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L’Europe latine et le monde arabe au Moyen Âge - Chapitre VIII.

Barr… anti-islamique de Pedro Pascual - Presses universitaires de Rennes 20/01/22 23:47

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Chapitre VIII. Barrières de haine...

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L’Europe latine et le monde arabe au Moyen Âge
| John Tolan

Chapitre VIII.
Barrières de haine
et de mépris : la
polémique anti-
islamique de
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L’Europe latine et le monde arabe au Moyen Âge - Chapitre VIII. Barr… anti-islamique de Pedro Pascual - Presses universitaires de Rennes 20/01/22 23:47

Pedro Pascual
p. 127-139

Texte intégral
1 Nombreux sont les érudits, depuis une trentaine d’années,
qui se sont intéressés à la place des musulmans dans
l’Espagne chrétienne. D’un côté, l’on a examiné les œuvres
polémiques ou apologétiques qui présentent l’islam comme
l’hérésie la plus néfaste depuis l’antiquité, fondée par
Mahomet, fourbe, pseudo-prophète, inspiré par le diable à
propager son hérésie par le glaive. D’un autre côté, l’on a
examiné la place du Musulman minoritaire dans les sociétés
chrétiennes ibériques à travers les lois et les documents
d’archives : ici l’on perçoit une situation complexe et
variable, mais on peut affirmer que le rôle du Musulman
minoritaire correspond à peu près au rôle des dhimmis dans
les sociétés islamiques.
2 Peu d’historiens, par contre, ont essayé de trouver des liens
directs entre la polémique théologique contre l’islam et le
rôle légal ou social du musulman au sein des sociétés
chrétiennes. Est-ce que ces restrictions légales et sociales
sont basées (explicitement ou implicitement) sur une vision
polémique de l’islam ? Est-ce que, au contraire, les intérêts
politiques, sociaux et militaires inspirent une polémique
justificatrice ?
3 Si la plupart des historiens se taisent sur les rapports entre
polémique antimusulmane et la place du musulman dans la
société chrétienne, c’est parce que la vaste majorité des
sources écrites n’en disent rien. Des douzaines de fueros
établissent les droits et devoirs des musulmans minoritaires
sans en donner la moindre justification théologique. Dans
les vastes archives du royaume de Valencia, quand on
justifie les privilèges ou les devoirs des mudéjares, c’est

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souvent en évoquant les traités entre conquérants chrétiens


et conquis musulmans, non pas en énumérant des motifs
théologiques.
4 Mais si nous regardons les nombreux textes qui décrivent (et
dénigrent) l’islam et son prophète, nous pouvons voir les
fonctions sociales de cette image négative de l’islam.
Certains de ces textes ont une fonction évangéliste : ils
s’adressent soit directement à des lecteurs musulmans soit à
des missionnaires chrétiens auprès des musulmans et
cherchent à démontrer la supériorité du christianisme. Tel
semble être le cas, par exemple, du Contra sectam sive
haeresim Sarracenorum de Pierre le Vénérable, du De seta
machometi de Ramon Martí, et des tractes arabes de Ramon
Llull.
5 Cette image négative de l’islam ne se limite guère à la
littérature polémique ou apologétique. Dans d’autres textes,
l’image négative de l’islam sert à justifier l’emprise politique
et militaire des rois chrétiens sur la péninsule, de
l’imposition de parias aux états musulmans à leur conquête
par des princes chrétiens. C’est le cas, par exemple, des
chroniques de Lucas de Tuy et Rodrigo Jiménez de Rada et
de la Estoria de España attribuée à Alphonse le Sage : ces
chroniques (pourtant théoriquement limités à l’histoire
péninsulaire) narrent la vie de Mahomet qu’ils présentent
comme hérésiarque et faux prophète pour mieux affirmer
l’illégitimité de toute domination musulmane dans la
péninsule. Ainsi, les trois chroniques présentent l’invasion
musulmane de 711 comme un événement quasi
apocalyptique1. Le dénigrement de Mahomet et du
musulman justifie la reconquista. La polémique religieuse
est ici au service de l’idéologie politique. On trouve la même
utilisation de la biographie de Mahomet dans le Libro de los
estados de Juan Manuel2.
6 Les barrières idéologiques entre chrétiens et minoritaires, si
clairement établies soient-elles par les lois, étaient loin

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d’être étanches. On les traversait tous les jours : commerce,


voisinage, conversions, relations sexuelles – tout cela
risquait (craignait-on) de brouiller les distinctions entre les
trois communautés. La loi ne suffisait pas de maintenir ces
séparations sans une sorte de répugnance mutuelle. David
Nirenberg a montré comment la violence ritualisée contre
les calls (quartiers juifs) des villes catalanes servait à
renforcer cette séparation ; Louise Mirrer a décrit l’idéologie
guerrière des romances castillanes qui affirme le droit des
braves hommes castillans à dominer les « faibles » :
femmes, musulmans et juifs3.
7 Je vous propose ici la lecture du Sobre la seta Mahometana
de Pedro Pascual, un texte qui manipule la tradition
polémique contre l’islam expressément pour inspirer dans
ses lecteurs une haine et un mépris pour l’islam qui les
empêcheraient de franchir les barrières communautaires.
Pedro Pascual, évêque de Jaen, fut capturé en 1298 et devint
prisonnier du roi Nasride de Grenade, Muhammad II. Pedro
s’inquiète de voir ses co-prisonniers se convertir à l’islam ; il
est également troublé par des pratiques divinatoires de
certains chrétiens, pratiques qu’il attribue à l’influence
néfaste de l’islam. De plus, certains de ses coreligionnaires
n’hésitent pas à partager leur lit avec l’infidèle. Dans son
Sobre la seta Mahometana, Pedro essaie d’offrir en castillan
une sorte de manuel qui fournisse au lecteur chrétien peu
lettré des arguments défensifs à déployer dans ses débats
avec des musulmans. De plus, il essaie d’inculquer chez son
lecteur chrétien un sens de différence radical avec le
musulman. Il présente une biographie hostile de Mahomet
pour inspirer le dédain et le mépris pour l’islam. Il affirme
que les Maures, descendants d’Ismaël, sont naturellement
libidineux, violents et stupides : c’est pour cela qu’ils suivent
la loi irrationnelle de Mahomet, qui lâche la bride à leur
concupiscence et qui fait d’eux les ennemis implacables des
chrétiens. Avec l’utilisation fréquente des métaphores

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animales, Pedro semble vouloir reléguer ses adversaires en


sous du seuil de l’humanité : ils sont des bêtes, des ânes4.
Pour Pedro Pascual, la loi et la différence théologique ne
sont pas suffisantes pour isoler le chrétien de l’influence
néfaste de l’islam : il faut ériger des barrières de haine et de
mépris.
8 Dans son Disputa contra los Jueus, Pedro décrit comment
plusieurs de ses ouailles, prisonniers comme lui, se
convertissent à l’islam.
« Moi, religieux et évêque par la grâce de Dieu de la ville de
Jaén du règne de Castille, par mésaventure ai été pris par le
Roi de Grenade. J’ai vu plusieurs captifs chrétiens qui ne
savaient pas lire et qui connaissaient mal la foi des
Chrétiens : tous les jours, il y en a un qui se convertit à la
mauvaise secte des Maures5. »

9 Il nous dit même que des juifs venaient tous les jours parler
aux chrétiens pour les convertir à « la fausse secte des
Maures ». Il nomme en particulier deux juifs, « inspirés par
une grande félonie et une grande malice », qui lui avaient
adressé une série de questions, questions auxquelles répond
Pedro dans sa Disputa contra los Jueus, qu’il compose en
Catalan. Si les prisonniers chrétiens s’apostasient ainsi, c’est
n’est pas seulement faute de la malveillance des juifs et des
musulmans, pour Pedro ; c’est à cause de leur ignorance. Il
nous dit qu’il a cherché des livres à propos de l’histoire
sainte et des doctrines chrétiennes, pour qu’il puisse les
instruire.
10 Le fruit de cette instruction, le Sobre la seta Mahometana, il
compose dans sa prison grenadine, au début de l’année
13006. Dans le prologue de ce texte, il explique sa
démarche :
« Je ne veux pas le pécheur meure en péchés, mais qu’il se
convertir, et qu’il vive [Ezech. 18 :23]. Voyant que plusieurs
captifs s’enfoncent dans le péché et désespèrent de la
miséricorde divine, tout comme Caïn qui tua son frère Abel

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et ensuite se désespéra et fut perdu, ou comme Judas qui


trahit le Seigneur et désespéra y se pendit. Par manque de
compréhension, ces captifs ne connaissent ni la loi des
chrétiens, ni celle des Maures : ces Maures que Mahomet a
trompés et qui prennent un malin plaisir à tromper les
chrétiens et à les détourner de leur loi.
Voyant ceci, j’ai eu une grande peine, pensant aux âmes de
nos chrétiens qui se perdaient puisqu’ils ne savaient pas la
vérité. En fin j’ai traduit du latin en roman directement, sans
rimes ni concordances (puisque les rimeurs tendent à
ajouter ou soustraire des choses à la vérité), l’histoire de
Mahomet comme je l’ai trouvée écrite dans nos livres qui
furent écrites à l’époque de Mahomet. J’ai ajouté d’autres
choses qui m’ont dites des Maures qui cherchaient à faire les
louanges de leur loi, et que j’ai trouvées écrites dans les
livres des Maures. Et ensuite j’ai écrit des choses que j’ai
trouvées écrites dans les Évangiles et les Épîtres et les autres
livres authentiques qui se lisent dans la Sainte Église7. »

11 Pedro affirme écrire pour sauver les chrétiens qui se


trouvent en captivité et qui risquent de plonger dans le
péché et (comme Caïn et Judas) dans le désespoir. Mais en
plus du désespoir causé par leur captivité, ils sont
ignorants : ils ne savent ni la loi des chrétiens ni celle des
maures. Ces maures, dupés par Mahomet, s’amusent
désormais à détourner les chrétiens de la vraie foi. Les
Chrétiens et les musulmans discutent à propos de leurs lois
respectives, et peu nombreux sont les chrétiens qui peuvent
défendre leur foi. Contre le désespoir et l’ignorance, Pedro
doit offrir l’espoir et l’instruction. Il propose d’expliquer à
ses lecteurs ignorants les lois chrétienne et maure. Il nous
annonce l’organisation de son traité : d’abord il présente la
vie de Mahomet deux fois : selon des auteurs musulmans, et
ensuite selon des auteurs chrétiens qu’il affirme être
contemporains du prophète ; cela correspond au premier
titulo de son livre, où il explique (et dénigre) l’islam.
Ensuite, il présente des choses qu’il a trouvées écrites dans
la bible : titulos 2-16 exposent, de manière didactique,
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l’histoire de Jésus et des doctrines chrétiennes. Ces


chapitres ont pour but d’expliquer la loi chrétienne pour
permette aux lecteurs de comprendre le christianisme et de
le défendre face aux adversaires musulmans. « Vous y
trouverez de quoi vous défendre contre les ennemis de notre
loi8. » Le but de Sobre la seta Mahometana, écrit pour
« nous qui sommes enfermés en ces lieux » [Obras, t. 4,
p. 350], c’est-à-dire en prison, est d’empêcher leur
apostasie : « Amis, soyez forts et tenez pour consolation
notre Seigneur Jésus Christ : dans son nom vous souffrirez
fers et prisons, faim, soifs, et plusieurs autres tourments,
peines et soucis. » Il doit convaincre ses lecteurs qu’il vaille
la peine de tenir bon, de supporter l’épreuve de
l’incarcération, pour avoir une récompense céleste. Il doit
surtout inspirer en eux un fort dégoût pour l’islam, pour que
l’apostasie leur paraisse pire que la prison.
12 Pedro s’adresse à un public non érudit. Certes, ils lisent le
castillan, mais surtout les « fables des romans d’amour et
d’autres vanités », [Sobre la seta, 3] et les vers des
« rimeurs » qui déforme la vérité. Pedro doit présenter la
doctrine chrétienne de manière que ces lecteurs puissent la
comprendre.
13 Quand il cite la Bible, il donne d’abord le texte latin et
ensuite la traduction castillane. Quand il cite Augustin il
explique à ses lecteurs de qui il s’agit :
« … un saint évêque, qui était un des hommes les plus
érudits qu’il y a eu dans le monde jusqu’à aujourd’hui ; il fut
évêque en Afrique avant le début de la secte de Mahomet.
Son nom est Saint Augustin, et il écrivit plusieurs livres »
[258].

Un outil défensif
14 Le but de ce livre (nous l’avons vu) c’est de donner au
chrétien une instruction de base dans la théologie
chrétienne et de lui fournir les éléments essentiels d’une

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argumentation défensive. Examinons d’abord cet aspect


défensif, avant (ensuite) de présenter le dénigrement du
musulman. Dans les titulos 2-16, Pedro explique les
doctrines centrales du christianisme et offre à ses lecteurs
des conseils pour leurs disputes contre les musulmans.
Regardons quelques exemples.
15 À plusieurs reprises Pedro présente les arguments
islamiques contre les doctrines chrétiennes, fournissant à
ses lecteurs chaque fois des contre-arguments. Après avoir
expliqué la doctrine de l’incarnation, Pierre présente les
objections des musulmans :
« Les Maures disent qu’ils ne voient pas y ne comprennent
pas pourquoi Dieu n’a pas pu nous sauver d’une autre
manière, sans mourir crucifié pour nous. Car il aurait pu
envoyer un autre homme ou un ange qui nous rachète et
nous sauve, soit en mourant soit sans mourir ; et contre cet
argument la première réponse est celle-ci… » [Sobre la Seta
4 :14, p. 182].

16 Suit une série de réponses qui visent à prouver que seul le


sacrifice d’un homme-Dieu était capable de sauver
l’humanité. Les idées sont bien traditionnelles (elles
ressemblent à celle du Cur Deus homo d’Anselme de
Canterbury), mais ici elles sont mises explicitement au
service de l’argumentation défensive contre les musulmans.
17 De la même manière Pedro affirme que « les Maures et les
juifs disent que puisque Jésus Christ, en qui nous
reconnaissons notre Sauveur, fut circoncis que nous autres,
puisque nous ne sommes pas circoncis, ne pouvons être
sauvés9 ». C’est effectivement un argument fréquent dans la
polémique antichrétienne des auteurs musulmans et juifs ;
au XIIe siècle, par exemple, Ibn ‘Abdun fulmine contre
l’hypocrisie des chrétiens qui fêtent la circoncision de Jésus
mais refusent de se faire circoncire eux-mêmes10. Ici encore,
Pedro présente une réponse des plus orthodoxes : le Christ
aurait remplacé la circoncision corporelle par le baptême et

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par la circoncision spirituelle. Le fait que les juifs et


musulmans ne comprennent pas cela montre qu’ils sont des
êtres charnels ; nous reviendrons à cette idée tout à l’heure.
18 Une autre pratique chrétienne vivement critiquée par les
polémistes musulmans et juifs est l’utilisation des crucifix et
des images. Les Maures et les juifs, dit Pedro, nous accusent
d’adorer des images, mais nous ne le faisons pas, nous
faisons simplement révérence à Dieu à travers les images
que nous embrassons. Les images servent pour Pedro à
rappeler au chrétien les souffrances subies par les martyrs et
surtout par le Christ ; dure doit être le cœur du Chrétien qui
ne pleure pas de tristesse en contemplant les plaies du
Christ crucifié.
« S’ils ne voyaient pas la croix et les images, ils ne s’en
souviendraient pas aussi souvent ; leurs cœurs ne seraient
pas aussi souvent émus ; et pour ces raisons on met des croix
et des images dans les églises, non pas parce que nous
croyons que les pierres ou le bois soit divins, ni qu’ils
puissent nous aider ou nous causer tort » [Sobre la Seta,
p. 288].

19 Il précise ailleurs que le crucifix sert à enseigner « aux non-


lettrés » la passion du Christ tout comme les peintures
servent à leur apprendre les passions des martyrs11. Pedro
reproduit la distinction classique entre adoration de Dieu et
dévotion au crucifix et aux images. Mais ici on voit surtout la
préoccupation pastorale : la fonction didactique et édifiant
des images qui (tout comme le texte de Pedro) enseigne la
doctrine chrétienne aux hommes simples et les inspire à la
dévotion. Certes, dit Pedro, nous utilisons des crucifix pour
dompter les démons, mais c’est normal : si on peut faire
peur aux malfaiteurs en leur montrant les insignes des rois
terrestres, on peut bien faire peur aux démons en leur
montrant les insignes du roi céleste.
20 C’est la simple révérence pour le Christ, affirme Pedro, qui
pousse les chrétiens à embrasser les crucifix et à embrasser

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les pieds des images du Christ et des saints. Il ne faudrait


pas réprimander ces pratiques, puisque les vassaux
embrassent les pieds et les mains de leurs seigneurs, Joseph
a bien embrassé le sceptre du Pharaon, les Maures
embrassent la terre quand ils prient, et chez les Maures les
moins importants embrassent les têtes et les vêtements des
plus importants12. Voici le genre d’arguments qu’il propose à
ses lecteurs, pour qu’ils comprennent les principes de la
dévotion des images et pour qu’ils puissent la défendre face
aux adversaires juifs et musulmans. Les analogies tentent de
montrer que telle dévotion n’est ni répréhensible ni
exceptionnelle, puisque l’on embrasse bien les pieds (ou
sceptres ou vêtements) des seigneurs terrestres. Ces
analogies, de surcroît, sont tirées des relations féodales en
société chrétienne, de l’ancien testament, et des pratiques
sociales musulmanes. Cela montre que Pedro se souciait de
fournir son lecteur avec des arguments qui pouvaient être
reconnus par des adversaires juifs et musulmans.
21 L’on pourrait multiplier les exemples pour montrer
comment Pedro, pour chaque doctrine centrale du
christianisme, présente les objections musulmanes (et
parfois juives) et fournit à ses lecteurs des arguments
simples qui sont censés les réfuter13. Il est à noter qu’il ne
propose jamais d’arguments agressifs ou offensifs envers les
musulmans.
22 Pedro lui-même affirme avoir participé à des disputes avec
des musulmans. Il interroge des « vieux sages » des
musulmans pour leur demander d’expliquer certaines
coutumes14. Ayant exposé certaines « contradictions » dans
le Coran, il affirme : « J’ai exposé cet argument à certains
Maures réputés sages et n’ai jamais trouvé personne qui
puisse y répondre » [Sobre la seta 1 :8 :242, p. 144]. Il dit
ailleurs qu’un petit maure (moruelo) lui avait raconté la
prise de Jérusalem par ‘ Umar15.
23 Pedro avoue d’avoir lu des « livres des Maures » ;

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notamment le Mi`râj, Coran, et Hadith. Certaines de ces


connaissances peuvent être de deuxième main, par le biais
de deux textes chrétiens qu’il cite, la Risâlat al-Kindî [Sobre
la seta, p. 34, 41, 46] et le Dialogi contra Iudaeos de Petrus
Alfonsi [Sobre la seta, p. 88-89]. Il utilise ses lectures
surtout pour dénigrer l’islam (comme nous verrons), mais
aussi, parfois, pour affirmer la doctrine chrétienne. Il utilise
le Coran comme témoin de la naissance de Jésus d’une
vierge, de la vie sainte et des miracles de Jésus et de la
résurrection de la chaire à la fin des temps. Ces passages du
Coran, affirme Pedro, « embêtent beaucoup les Maures16 ».

Une hostilité perpétuelle, ancrée dans


l’histoire
24 Mais il ne suffit pas de présenter aux lecteurs chrétiens des
arguments pour se défendre contre l’islam ; cela supposerait
qu’ils veulent se défendre et qu’ils préfèrent la prison (ou
éventuellement le martyre) à l’apostasie. Il faut inspirer
dans ces lecteurs une haine et un dédain pour l’islam et pour
les musulmans. Il faut aussi donner à l’islam une place dans
la théologie et dans l’histoire chrétienne. Pedro présente
l’islam comme une hérésie concoctée par un faux prophète
et répandue par le glaive.
25 Pedro dit qu’il a trouvé dans l’Histoire Ecclésiastique une
prophétie du martyr Méthode (il s’agit en fait de
L’Apocalypse du pseudo-Méthode, rédigée en Syriaque vers
692 et traduite dès le huitième siècle en Grec et en Latin).
Selon cette prophétie, le règne des maures devait durer
« huit semaines d’années », c’est-à-dire (affirme Pedro après
s’être livré à des calculs savants) 560 ans. Alors, dit Pedro,
nous sommes en era hispanique 1338 (ou anno domini
1300) et cette période est dévolue – ou presque. Le message
d’espoir pour les prisonniers chrétiens est clair : le destin est
de notre côté17. L’original syriaque de L’Apocalypse du
pseudo-Méthode avait proclamé en fait que le règne des
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Ismaélites durerait dix semaines d’années, ce qui valait


soixante-dix ans : écrit vers 692, ce texte offrait l’espoir que
la domination musulmane arriverait bientôt à sa fin18. Paul
Alvare, dans les années 850, quand il écrit pour justifier les
martyrs volontaires de Cordoue, retrouve une autre
prophétie (Daniel 7 :23-27) qui, avec quelques contorsions
calculationnelles, montre que le règne des « Chaldéens » en
Espagne doit durer 245 ans, dont restent seulement seize19.
Dans les trois cas, la démarche est la même : on trouve une
prophétie obscure, on tripote les chiffres un peu, et on
« prouve » ainsi que l’islam est sur son dernier souffle et que
le chrétien n’a que tenir bon pendant quelques années.
Pedro ajoute que « algunos de los moros » affirment que
Mahomet lui-même aurait prédit que le règne musulman
durerait 700 ans ; cette période, affirme Pedro, s’achève
cette année même de 1300. Effectivement 700 A. H.
commença le 15 septembre 1300.
26 Si les musulmans prétendent que leurs victoires prouvent
que Dieu est de leur côté, Pedro insiste que, au contraire,
dans les batailles menées par le Cid et par Alphonse VI de
Castille on voit bien que 1000 chrétiens vainquent 2 000
musulmans [26-27]. Les rois chrétiens ne tarderont pas à
réimposer leur hégémonie sur la péninsule, à revenir aux
bons temps du roi Wisigoth Witiza qui régnait sur toute
l’Espagne et qui recevait les parias de toute l’Afrique [62].
27 Mais Pedro est bien conscient que ces victoires chrétiennes
arriveront peut-être trop tard pour secourir ses camarades
dans la prison grenadine. Ils doivent être prêts, si
nécessaire, à subir le martyre. Leur emprisonnement est une
épreuve et une opportunité de purgation. Il faut suivre le
modèle des martyrs de l’antiquité :
« Faites louanges à Dieu et reconnaissez devant lui que vous
êtes des pécheurs, et que vous méritez ce que vous souffrez
et bien davantage. Bénissez le nom de Dieu, car ainsi firent
Job, les apôtres, les Saints Pères, et les confesseurs, qui

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furent emprisonnés dans des geôles plus obscures et des


prisons bien pires que les nôtres, comme on le lit clairement
dans les livres d’histoires » [204-205].

28 Les histoires des martyrs et du Christ servent comme


exempla pour le prisonnier chrétien, tout comme la
contemplation du crucifix doit inspirer le chrétien à être prêt
à subir le martyr [241]. Dans son septième chapitre
(supposé être une défense de la notion chrétienne de
martyre), Pedro, comme un propagandiste de guerre,
cherche à exciter la haine chez ses lecteurs en décrivant ce
que l’Autre musulman a fait à nous autres chrétiens. En
mettant cette hostilité violente dans le passé aussi bien que
le présent, il essaie de la présenter comme éternel,
inévitable : le mur de violence ne peut être franchi. Le
Martyre est le grand séparateur : il parle de chrétiens tués
par musulmans, parmi d’autres Pelayo, martyrisé à Cordoue
au Xe siècle [202]. Il présente l’histoire du Frère Daniel qui
(avec d’autres missionnaires Franciscains) est allé prêcher
aux maures de Ceuta, où le roi musulman l’a condamné à
mort par décapitation. L’Infante Don Pedro de Portugal était
à Ceuta, d’après Pedro, était témoin du Martyre, vit des
miracles, et rapporta leurs têtes au monastère de Sancta
Cruz de Coimbra. Pedro lui-même atteste y avoir vu les
têtes, qui (miraculeusement) semblaient être fraîchement
coupées [201-02]. Le message est clair : l’hostilité violente
des musulmans est permanente et implacable.
29 La violence, pour Pedro, caractérise Mahomet et ses
sectateurs : « Ils commencèrent avec l’épée, ils maintiennent
leur secte maudite avec l’épée, et enfin avec l’épée ils finiront
leur vie » [61]. Pedro essaie de nier toute exception à cette
règle en noircissant l’image de deux sultans musulmans
souvent présentés de manière très positive dans
l’historiographie chrétienne de l’époque : ‘Umar et al-Kâmil.
En narrant la prise de Jérusalem par ‘Umar, chroniqueurs
musulmans et chrétiens s’accordent pour décrire l’humilité

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du calife, ses pauvres habits, et le respect qu’il montrait


envers les chrétiens de la ville. Pedro dit qu’un « moruelo »
aurait affirmé que la prise de la ville sainte par ‘ Umar était
annoncée par Zacharie (9,9) qui parle du roi de Jérusalem
qui arrivera « mis simplement et monté sur un âne » ; cette
prophétie, affirme Pedro, ne s’applique qu’au Christ. Al-
Kâmil, le sultan égyptien auquel François d’Assise prêcha
lors de la cinquième croisade, est souvent présenté par les
auteurs latins du XIIIe siècle comme l’image du bon
infidèle : il écoute poliment le saint, reconnaît sa sainteté,
offre des cadeaux (que le saint refuse) et le laisse partir en
paix. Pour Pedro, si al-Kâmil laisse partir François, c’est par
animosité calculée ; le sultan lui dit : « Va ton chemin, car je
ne veux pas te faire martyr pour que les Chrétiens célèbrent
ensuite ta fête20. »

Une hostilité basée sur des différences


ethniques
30 Cette hostilité implacable, pour Pierre, est la continuation de
la haine entre les fils d’Isaac et ceux d’Ismaël. Ismaël, fils
illégitime d’Abraham, hostile à son frère, aurait fait des
idoles en argile et essayé d’obliger son frère de les adorer.
C’est pour cela, dit Pedro, qu’Abraham l’a expulsé,
augmentant l’hostilité entre les deux21. Il trace l’histoire des
Arabes, ces descendants d’Ismaël pour conclure que
« Ces peuples ont toujours persécuté et fait la guerre contre
les fils légitimes d’Abraham, qu’on appelle les peuples
d’Israël, et ils continuent [cette persécution] jusqu’à nos
jours, selon la prophétie dite à leur père Ismaël, qu’il devait
être cruel et voleur, sa main contre tous et les mains de tous
contre lui, et il placera sa tente contre ses frères. Et le texte
hébraïque dit qu’il doit être velut onager, ce qui veut dire
âne sauvage22. »

31 La prophétie qu’il cite, tirée de Genèse (16 :12), est un lieu


commun pour fustiger les conquérants arabes dès le VIIe

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siècle23. Les Arabes sont par nature violents et hostiles aux


Chrétiens, les vrais descendants spirituels d’Isaac. L’hostilité
entre les fils d’Ismaël et ceux d’Isaac seraient ainsi
permanente et inévitable ; il le compare ailleurs à l’hostilité
des démons contre les fils d’Adam et d’Ève24. Si Ismaël est
un âne sauvage, ses descendants sont les bêtes du champ
(bestiae agri) qui, dans une prophétie d’Ezéchiel (39,17)
boivent du sang et mange de la chaire humaine [Sobre la
seta, p. 70-71]. Tout au long de son texte, Pedro appelle les
Arabes et les Maures des bêtes, des ânes. Les métaphores
animales servent à déshumaniser l’adversaire.
32 Les prophéties bibliques expliquent l’hostilité et la férocité
des Ismaélites, mais Pedro ne s’arrête pas là. Il offre
différentes étymologies du mot moro. D’abord, les Maures
sont les originaires de Maurica major, une province
romaine de l’Afrique. Deuxièmement, les Maures ont
l’habitude, quand ils ont peur d’être volés, d’avaler leur or,
« et ensuite ils rejettent l’or parfois par la bouche, parfois
par-dessous. Et ainsi nous en Espagne les appelons moros,
avec mépris, car ils font passer l’or par le pire des endroits :
ainsi moro vient de meante oro » [Sobre la seta, p. 72-73].

33 Donc moro serait un terme de mépris, qui veut dire « chieur


d’or » ; rappelons que dans l’iconographie du XIIIe siècle
latin on trouve souvent des images des démons (ou des
avaricieux punis aux enfers) qui ont la même pratique. C’est
cet acte sale et honteux qui, pour Pedro, définit le Maure. De
surcroît, dit Pedro, les Maures n’ont pas de manières à table.
Il n’utilise ni cuillère ni couteaux, mais prennent leur
nourriture avec les mains et arrachent des morceaux de
viande avec les dents. Et celui qui mange le plus salement
est considéré le plus viril.
34 Cette ethnologie hostile des moros et des arabes sert à
accentuer la distance entre le chrétien et son adversaire.
Cela sert aussi à expliquer pourquoi ces peuples acceptent
de suivre l’islam, ou plutôt la caricature de l’islam, que

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Pedro présente comme une loi débauchée et ridicule pour


des bêtes dépourvues de raison. « Et je dis qu’il est bien plus
bête que les bêtes, celui qui lit les livres de ta secte, o
Mahomet, et tes dires, et tes faits, et qui te croit » [Sobre la
seta 1 :8 :206, p. 132]. Cette « bestialité », pour Pedro, se
voit dans la luxure de Mahomet et ses sectateurs, dans leurs
sacrements (qualifiés de charnels et de sales) et dans leur
manque de raison. Tout cela fait d’islam une « secte maudite
et sale ».

Une loi charnelle pour des hommes


charnels
35 C’est une tradition ecclésiastique vénérable, celle d’accuser
ses adversaires de débauches sexuelles : Jérôme lance de
telles accusations à propos de Priscillien, Simon Mage, et
d’autres hérésiarques25 ; les mêmes délits étaient attribués
aux hérétiques du XIIe et XIIIe siècles. La polygamie
musulmane et la promesse des houris qui attendent l’élu
dans un paradis charnel ne pouvaient qu’affirmer les
préjugés des lecteurs chrétiens. En soulignant la nature
supposée libidineuse de l’islam, Pedro s’insère dans une
longue tradition de polémique antimusulmane.
36 Ainsi, avant l’islam les Arabes auraient adoré Venus, la
déesse de la luxure, et auraient honoré son jour, le vendredi.
Pour cela, Mahomet aurait décrété que l’on garde le
vendredi comme jour de prière en honneur de la luxure, ce
même jour qui est pour les chrétiens un jour de jeûne en
souvenir de la passion du Christ [Sobre la seta, p. 87]. Leur
ville sainte s’appelle « Meca », le mot latin pour adultère
(moecha) [Sobre la seta, p. 4]. Il fustige la polygamie de
Mahomet et de ses sectateurs et affirme que Mahomet aurait
autorisé l’homosexualité [Sobre la seta, p. 30-37, p. 81-82].
Ses sectateurs convoitent les chrétiennes, dit-il, dont
plusieurs (mais malheureusement pas toutes) subissent le
martyre pour échapper à la luxure de leurs oppresseurs
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[Sobre la seta, p. 202-203].


37 Mais ce n’est pas seulement les mœurs sexuelles qui font de
ces hommes des êtres charnels : leurs sacrements (comme
ceux des juifs) sont charnels, en contraste avec les
sacrements spirituels et perdurables des chrétiens. Ici Pedro
s’insère dans la tradition anti-judaïque chrétienne, selon
laquelle les sacrements « spirituels » de l’ère de grâce
(baptême, eucharistie) auraient remplacé les sacrements
« charnels » de l’ère de la loi (circoncision, sacrifice pascal).
La circoncision et le sacrifice sont des sacrements « sales et
sanglants », contrairement aux sacrements « honnêtes,
pieux et propres » des chrétiens [Sobre la seta, p. 192]. Ainsi
les musulmans charnels pensent qu’en lavant leurs corps
avant de prier, ils peuvent se purifier ; mieux vaudrait, dit
Pedro, un « lavement intérieur, dans les cœurs » suivit par
le baptême [Sobre la seta, p. 88].
38 Leur incapacité de comprendre le spirituel les empêche de
comprendre les sacrements chrétiens ; cette cécité, affirme-
t-il, est prédite par Paul : ils adhèrent aveuglément à la lettre
qui tue, tandis que les chrétiens s’inspirent de l’esprit qui
vivifie26. Présentant la doctrine de la transsubstantiation,
Pedro utilise des prophéties vétérotestamentaires pour
montrer que non seulement l’Eucharistie chrétienne était
prévue par les prophètes, mais aussi l’aveugle refus des juifs
et des maures à la reconnaître27.

Irrationalité des maures et de leur loi


39 Loi charnelle pour des hommes charnels, l’islam serait du
même coup irrationnel. Ici les métaphores animales sont
nombreuses. Rappelons que Pierre le Vénérable de Cluny,
dans son Contre la dureté invétérée des Juifs, texte
polémique d’une virulence inouïe, affirme que les « fables
irrationnelles » du Talmud montrent que les Juifs ne sont
pas des êtres de raison mais de simples bêtes. Il les traite du
reste de bovins, de porcs, et de chiens28. Pedro prend la

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même attitude envers le Coran et les musulmans. Dans une


juxtaposition habile d’informations exactes et de légendes
diffamatoires, Pedro décrit la vie de Mahomet et
l’instauration de la loi coranique de façon à ridiculiser et
discréditer ses sectateurs29. Mahomet, « né un mauvais
jour » [46 & passim] serait un fourbe qui aurait dressé une
colombe à manger des grains dans son oreille en affirmant
qu’il s’agit de Gabriel qui vient lui parler. Possédé par des
démons, il souffre des crises d’épilepsie mais prétend que
c’est la conséquence des révélations divines. Il rédige sa loi
charnelle sous forme d’un rouleau qu’il attache aux cornes
d’un taureau ; quand la foule crédule voit arriver le taureau
avec le rouleau, elle croit qu’il s’agit d’une loi envoyée par
Dieu. Tout au long, Pedro fustige la stupidité du peuple dupe
aux ruses du faux prophète. Pedro qualifie la loi du Coran de
« fables, mensonges, vanités, contradictions, blagues,
hérésie, stupidités, insultes à Dieu, bêtises » [Sobre la seta,
passim].
40 Si la loi est si irrationnelle et ses fidèles si stupides,
comment expliquer l’érudition des musulmans dans la
philosophie et la science ? Pedro affirme que les philosophes
sarrasins rejettent l’idée du paradis charnel promis dans le
Coran :
« Et enfin vous ne trouverez jamais un Maure éduqué en
philosophie qui ne soit pas un hérétique par rapport à sa loi,
car il sait pertinemment que Mahomet fut stupide et que
dans cette affaire, comme dans bien d’autres, il ne savait pas
ce qu’il disait. Il était un homme illettré qui ne savait pas ce
qu’il disait… Ainsi les sages de sa propre loi se moquent de
Mahomet » [Sobre la seta, p. 145].

41 Les grands penseurs musulmans, pour Pedro, ne sont en fait


pas des musulmans : ils rejettent la loi coranique et se
moquent de Mahomet.
42 Pedro Pascual écrit dans le but de convaincre ses
coreligionnaires de résister à l’islam : de ne pas s’apostasier,

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bien sûr, mais aussi d’éviter toute relation sexuelle avec les
musulmans et toute participation dans les arts diaboliques
que pratiquent les Maures. Pedro n’est pas le seul auteur de
cette époque qui utilise la polémique contre Mahomet pour
inspirer une aversion envers l’autre musulman. Les Castigos
e documentos para bien vivir ordenados por le rey don
Sancho IV essaient de convaincre le futur roi Ferdinand IV
de Castille qu’avoir des relations sexuelles avec une Maure,
c’est comme coucher avec une chienne, puisqu’elle suit la loi
déraisonnée de Mahomet30. Pour provoquer chez ses
lecteurs la haine et le dégoût pour l’islam, il faut présenter
les Maures comme des bêtes sans raison, lubriques et
féroces, dont l’hostilité extrême et invariable serait
annoncée par la Bible. Fort de cette animosité, et fourni avec
les arguments défensifs de Pedro, le lecteur chrétien peut
résister à la tentation de l’apostasie ; les barrières entre le
chrétien et l’autre sont renforcées jusqu’en prison
grenadine, où la loi castillane n’a plus court.

Notes
1. Voir supra, chap. 3 ; TOLAN, « Alphonse X le Sage, roi des trois
religions » ; TOLAN, Sarrasins.
2. Juan MANUEL, Libro de los estados, p. 248-249.
3. Voir TOLAN, « Une convivencia bien précaire : la place des Juifs et des
Musulmans dans les sociétés chrétiennes ibériques au Moyen âge » ;
Louise MIRRER, Women, Jews, and Muslims in the Texts of Reconquest
Castile ; D. NIRENBERG, Communities of Violence : Persecution of
Minorities in the Middle Ages.
4. Pour accentuer la différence entre le « moi » chrétien et l’« autre »
musulman, Euloge et Alvare de Cordoue déploient également des
métaphores animales, affirmant que les Sarrasins sont sauvages, bêtes,
pas des hommes comme nous. Voir Dominique MILLET-GÉRARD,
Chrétiens mozarabes et culture islamique dans l’Espagne des VIIIe-IXe
siècles, p. 95-122 et p. 145-148.
5. Il décrit cela dans sa Disputa contra los Jueus : plusieurs
prisonniers, dit-il, « se tornaven a la mala secta dels moros », Obras de

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San Pedro Pascual, tome 3, p. 1.


6. Pedro Pascual, Sobre la seta Mahometana, in Obras 4 :1-357 ; c’est
l’auteur lui-même qui donne la date (p. 235-236). Le seul MS date de
1500 environ : Biblioteca de El Escorial, Monasterio, MS h. II. 25, fol. 1
r°-179 r° (Bibliography of Old Spanish Texts, p. 292 ; ce MS contient un
autre texte de Pedro, le Tratado del libre albedrio contra el fatalismo
de los Mahometanos (fol. 179 r°-199 r°) ; et une série de proverbes (199
v°-200 r°). Sur Pedro Pascual, voir Fidel Fita, « Once bulas de Bonifacio
VIII inéditas y biográficas de San Pedro Pascual » ; id., « Sobre la
bibliografía de San Pedro Pascual » ; Guadalupe Saiz Muñoz, « Críticas
contra el profeta Muhammad contenidas el la obra “El obispo de Jaén
contre la seta Mahometana” de Pedro Pascual ».
7. Pedro Pascual, Obras, t. 4, p. 2-3.
8. C’est dans l’épilogue de Sobre la seta, p. 348.
9. Sobre la Seta, p. 186-187.
10. Ibn `Abdun, Hisba (Traité sur la vie urbaine et les corps de
métiers), E. LÉVI-PROVENÇAL, trad., Séville musulmane au début du XIIe
siècle, p. 109.
11. Sobre la Seta, p. 241.
12. Sobre la Seta, p. 288-289.
13. Il introduit (souvent avec les formules comme « podedes
responder »), des arguments défensifs, – propos de l’eucharistie (p.
210), de la trinité (p. 307-308), des crucifix et images (p. 241-242 et
p. 287-290) ; de la divinité de Jésus (p. 313).
14. Sobre la Seta, p. 144.
15. Sobre la seta, p. 224.
16. « E en quanto entiendo por lo que decian algunos moros en las
disputationes, pésales de los alabanzas que dixo Mahomad de Jhesu
Christo, ca manifiesta mente contra los moros dixo », Sobre la seta,
p. 217 ; voir p. 158 (sur l’incarnation), p. 210 (sur la résurrection de la
chair).
17. Sobre la seta 1 :8, p. 69-71. Sur l’Apocalypse du Pseudo-Méthode,
voir TOLAN, Sarrasins, p. 86-90.
18. Apocalypse du Pseudo-Méthode, § V, p. 130 ; § X, p. 139.
19. Paulus Alvarus, Indiculus luminosus, dans Juan GIL (éd.), Corpus
scriptorum muzarabicorum, § 21, p. 293-295 ; sur ce passage, voir
TOLAN, « Mahomet et L’Antéchrist dans l’Espagne du IXe siècle » ;

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Richard SOUTHERN, Western Views of Islam in the Middle Ages, p. 23 ;


WOLF, Christian Martyrs in Muslim Spain, p. 91-95 ; TOLAN, Sarrasins,
p. 138-141.
20. Sobre la seta, p. 204 ; voir TOLAN, Le Saint chez le sultan.
21. Sobre la seta 1 :1 :36, p. 16-17 ; cette idée se trouve déjà dans le
Midrash et chez Jérôme. Voir Louis GINZBERG, Legends of the Jews,
tome 1, p. 237-240 et p. 263-269; tome 5, p. 230-233 et p. 246-247.
Merci à Alan Corre pour ces références.
22. Sobre la seta, 1 :8 :8, p. 69.
23. D’ailleurs, on le trouve même avant l’islam, chez Jérôme. Voir I.
SHAHÎD, Rome and the Arabs; E. ROTTER, Abendland und Sarazenen.
24. Sobre la seta, 1 :8 :4, p. 68.
25. Voir supra, chap. 1.
26. 2 Corinth. 3,6 ; Sobre la seta, p. 208.
27. « e estos dos profecias podedes alegar contra los Judíos e contra
moros » [Sobre la seta, p. 208].
28. Voir Dominique IOGNA-PRAT, Ordonner et exclure ; John TOLAN,
« Peter the Venerable on the “Diabolical Heresy of the Saracens” ».
29. Voir supra, chap. 3.
30. Castigos e documentos para bien vivir ordenados por le rey don
Sancho IV, p. 126-133.

© Presses universitaires de Rennes, 2009

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre


TOLAN, John. Chapitre VIII. Barrières de haine et de mépris : la
polémique anti-islamique de Pedro Pascual In : L’Europe latine et le
monde arabe au Moyen Âge : Cultures en conflit et en convergence [en
ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2009 (généré le 20
janvier 2022). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/pur/136416>. ISBN : 9782753566651.

Référence électronique du livre


TOLAN, John. L’Europe latine et le monde arabe au Moyen Âge :
Cultures en conflit et en convergence. Nouvelle édition [en ligne].

https://books.openedition.org/pur/136416?lang=fr Page 21 sur 22


L’Europe latine et le monde arabe au Moyen Âge - Chapitre VIII. Barr… anti-islamique de Pedro Pascual - Presses universitaires de Rennes 20/01/22 23:47

Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2009 (généré le 20 janvier


2022). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/pur/136314>. ISBN : 9782753566651.
Compatible avec Zotero

L’Europe latine et le monde arabe au


Moyen Âge
Cultures en conflit et en convergence
John Tolan

Ce livre est recensé par


Abbès Zouache, Revue des mondes musulmans et de la
Méditerranée, mis en ligne le 21 novembre 2011. URL :
http://journals.openedition.org/remmm/7279 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/remmm.7279

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