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Chapitre VIII. Barrières de haine...
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de Rennes
L’Europe latine et le monde arabe au Moyen Âge
| John Tolan
Chapitre VIII.
Barrières de haine
et de mépris : la
polémique anti-
islamique de
https://books.openedition.org/pur/136416?lang=fr Page 1 sur 22
L’Europe latine et le monde arabe au Moyen Âge - Chapitre VIII. Barr… anti-islamique de Pedro Pascual - Presses universitaires de Rennes 20/01/22 23:47
Pedro Pascual
p. 127-139
Texte intégral
1 Nombreux sont les érudits, depuis une trentaine d’années,
qui se sont intéressés à la place des musulmans dans
l’Espagne chrétienne. D’un côté, l’on a examiné les œuvres
polémiques ou apologétiques qui présentent l’islam comme
l’hérésie la plus néfaste depuis l’antiquité, fondée par
Mahomet, fourbe, pseudo-prophète, inspiré par le diable à
propager son hérésie par le glaive. D’un autre côté, l’on a
examiné la place du Musulman minoritaire dans les sociétés
chrétiennes ibériques à travers les lois et les documents
d’archives : ici l’on perçoit une situation complexe et
variable, mais on peut affirmer que le rôle du Musulman
minoritaire correspond à peu près au rôle des dhimmis dans
les sociétés islamiques.
2 Peu d’historiens, par contre, ont essayé de trouver des liens
directs entre la polémique théologique contre l’islam et le
rôle légal ou social du musulman au sein des sociétés
chrétiennes. Est-ce que ces restrictions légales et sociales
sont basées (explicitement ou implicitement) sur une vision
polémique de l’islam ? Est-ce que, au contraire, les intérêts
politiques, sociaux et militaires inspirent une polémique
justificatrice ?
3 Si la plupart des historiens se taisent sur les rapports entre
polémique antimusulmane et la place du musulman dans la
société chrétienne, c’est parce que la vaste majorité des
sources écrites n’en disent rien. Des douzaines de fueros
établissent les droits et devoirs des musulmans minoritaires
sans en donner la moindre justification théologique. Dans
les vastes archives du royaume de Valencia, quand on
justifie les privilèges ou les devoirs des mudéjares, c’est
9 Il nous dit même que des juifs venaient tous les jours parler
aux chrétiens pour les convertir à « la fausse secte des
Maures ». Il nomme en particulier deux juifs, « inspirés par
une grande félonie et une grande malice », qui lui avaient
adressé une série de questions, questions auxquelles répond
Pedro dans sa Disputa contra los Jueus, qu’il compose en
Catalan. Si les prisonniers chrétiens s’apostasient ainsi, c’est
n’est pas seulement faute de la malveillance des juifs et des
musulmans, pour Pedro ; c’est à cause de leur ignorance. Il
nous dit qu’il a cherché des livres à propos de l’histoire
sainte et des doctrines chrétiennes, pour qu’il puisse les
instruire.
10 Le fruit de cette instruction, le Sobre la seta Mahometana, il
compose dans sa prison grenadine, au début de l’année
13006. Dans le prologue de ce texte, il explique sa
démarche :
« Je ne veux pas le pécheur meure en péchés, mais qu’il se
convertir, et qu’il vive [Ezech. 18 :23]. Voyant que plusieurs
captifs s’enfoncent dans le péché et désespèrent de la
miséricorde divine, tout comme Caïn qui tua son frère Abel
Un outil défensif
14 Le but de ce livre (nous l’avons vu) c’est de donner au
chrétien une instruction de base dans la théologie
chrétienne et de lui fournir les éléments essentiels d’une
bien sûr, mais aussi d’éviter toute relation sexuelle avec les
musulmans et toute participation dans les arts diaboliques
que pratiquent les Maures. Pedro n’est pas le seul auteur de
cette époque qui utilise la polémique contre Mahomet pour
inspirer une aversion envers l’autre musulman. Les Castigos
e documentos para bien vivir ordenados por le rey don
Sancho IV essaient de convaincre le futur roi Ferdinand IV
de Castille qu’avoir des relations sexuelles avec une Maure,
c’est comme coucher avec une chienne, puisqu’elle suit la loi
déraisonnée de Mahomet30. Pour provoquer chez ses
lecteurs la haine et le dégoût pour l’islam, il faut présenter
les Maures comme des bêtes sans raison, lubriques et
féroces, dont l’hostilité extrême et invariable serait
annoncée par la Bible. Fort de cette animosité, et fourni avec
les arguments défensifs de Pedro, le lecteur chrétien peut
résister à la tentation de l’apostasie ; les barrières entre le
chrétien et l’autre sont renforcées jusqu’en prison
grenadine, où la loi castillane n’a plus court.
Notes
1. Voir supra, chap. 3 ; TOLAN, « Alphonse X le Sage, roi des trois
religions » ; TOLAN, Sarrasins.
2. Juan MANUEL, Libro de los estados, p. 248-249.
3. Voir TOLAN, « Une convivencia bien précaire : la place des Juifs et des
Musulmans dans les sociétés chrétiennes ibériques au Moyen âge » ;
Louise MIRRER, Women, Jews, and Muslims in the Texts of Reconquest
Castile ; D. NIRENBERG, Communities of Violence : Persecution of
Minorities in the Middle Ages.
4. Pour accentuer la différence entre le « moi » chrétien et l’« autre »
musulman, Euloge et Alvare de Cordoue déploient également des
métaphores animales, affirmant que les Sarrasins sont sauvages, bêtes,
pas des hommes comme nous. Voir Dominique MILLET-GÉRARD,
Chrétiens mozarabes et culture islamique dans l’Espagne des VIIIe-IXe
siècles, p. 95-122 et p. 145-148.
5. Il décrit cela dans sa Disputa contra los Jueus : plusieurs
prisonniers, dit-il, « se tornaven a la mala secta dels moros », Obras de