Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, tout ouvrage doit obtenir le privilège royal pour être publié.
L’Église peut mettre à l’index certaines œuvres qui nuisent à la doctrine catholique. Ces
interdictions entrainent la circulation d’œuvres clandestines et la publication anonyme ou depuis
l’étranger. Nombreux sont les écrivains qui mettent en place d’inventives stratégies pour échapper
à cette censure. Montesquieu fait publier les Lettres Persanes anonymement et à Amsterdam. En
outre, il défend l’authenticité de ses lettres et nie les avoir écrites et inventées se présentant comme
simple traducteur d’une correspondance que des amis persans lui ont confiée : « Les Persans qui
écrivent ici étaient logés avec moi ; nous passions notre vie ensemble. Comme ils me regardaient
comme un homme d’un autre monde, ils ne me cachaient rien. En effet, des gens transplantés de
si loin ne pouvaient plus avoir de secrets. Ils me communiquaient la plupart de leurs lettres ; je
les copiai. »
Publié en 1721, les Lettres persanes, écrites par Montesquieu, relatent une correspondance
fictive de 161 lettres dans laquelle deux seigneurs persans découvrent les us et coutumes des
Européens. C’est un roman épistolaire. Cette forme adoptée par Montesquieu n’est pas anodine :
il choisit le genre épistolaire qui connaît un grand succès dans son siècle. L’intrigue n’est pas
menée par un narrateur unique mais par de multiples voix. Usbek correspond avec 22 personnes,
Rica 5 : cette multiplicité crée une polyphonie. De ce kaléidoscope (diversité, multitude) des
regards naît la confrontation des opinions qui permet la prise de recul et le relativisme.
La voix de Montesquieu n’est pas celle de tel ou tel personnage, elle transparaît tantôt sous
la plume d’Usbek, tantôt sous celle de Rica ou de Roxane.
1 Un mouvement européen qui incarne le combat de la raison contre l’obscurantisme. Des philosophes tels Voltaire,
Diderot et Rousseau prônent de nouvelles valeurs : l’éducation et les connaissances doivent éclairer les hommes.
Montesquieu a choisi d’adopter un regard oriental sur l’Occident pour en faire la critique. Ce geste,
en partie neuf, est un des premiers de ce qu’ont appelé avec Claude Lévi-Strauss le « relativisme
culturel ».
Une grande partie du séjour des deux Persans se passe à Paris et traite de la fin du règne
de Louis XIV puis de la régence de Philippe d’Orléans. Sur le plan politique, ce sont les excès
du pouvoir absolu de Louis XIV et la corruption de la cour et du régent qui sont au cœur du
discours des épistoliers. Mais leur situation en Perse est également traitée puisqu’une révolte
éclate au harem d’Usbek et est retracée dans les dernières lettres du recueil.
Les Lettres Persanes ont souvent recours au registre ironique : Montesquieu y tourne en
dérision les excès du régime monarchique français mais aussi les démesures et absurdités de la vie
européenne en général et de la vie parisienne en particulier. Ce texte a rencontré un grand succès à
son époque car il abordait sur un ton satirique et ironique les sujets brûlants qui étaient
habituellement soumis à la censure, comme les dérives des gouvernants tels que Louis XIV et
Philippe d’Orléans, mais aussi l’obéissance aveugle à l’Église ou encore l’intolérance religieuse.
Les passages les plus connus des Lettres persanes correspondent à différentes lettres. La
première est la lettre sur les Troglodytes, qui présente ce peuple imaginaire comme vivant dans
un état de guerre primitive (lettre 11). La deuxième est la lettre de critique de Paris, où Usbek
dit n’avoir jamais vu marcher personne à Paris depuis qu’il y est arrivé, puisque tout le monde y
court (lettre 24). La troisième est la lettre où Roxane annonce à Usbek qu’elle l’a trahi et que
c’est elle qui a conduit la révolte au harem. (lettre 161).
Le pouvoir :
Les Lettres persanes proposent la satire de la monarchie absolue de droits divins. Le Pape
et la hiérarchie ecclésiastique sont objets de satire ; les querelles et les interdits dogmatiques sont
présentés comme absurdes.
2 Les jésuites et les jansénistes sont deux courants catholiques (des branches du catholicisme). L’opposition principale
entre ces deux courants est que les jésuites étaient pour la liberté personnelle dans toute décision tandis que pour les
jansénistes tout est écrit à l’avance (prédestination, le plan de Dieu).
la visite en France de l’ambassadeur de Perse (lettre 91), la banqueroute (faillite) de Law et la crise
financière qui en résulte (lettre 140), l’essor de la presse… Autant de sujets qui font des Lettres
persanes une œuvre actuelle beaucoup moins fantaisiste qu’il n’y paraît.
Derrière ces lettres vives et pleines d’esprit se cache une critique audacieuse des mœurs
occidentales, de la religion et de la monarchie de droit divin, qui annonce le début du courant des
Lumières. Le regard neuf que les deux Persans portent sur les mœurs européennes permet à
Montesquieu d’en faire ressortir l’absurdité ou le grotesque (ridicule).
Rien n’échappe à l’ironie de l’auteur : la monarchie, la religion, la papauté, les femmes, les
courtisans, les magistrats, les lois…Montesquieu met à jour les artifices, les faux semblants et le
ridicule des institutions. Parallèlement, se noue une autre intrigue : Usbek apprend que les femmes
de son harem à Ispahan se révoltent contre sa tyrannie. Il donne ordre de punir ses femmes. Le
roman s’achève tragiquement sur la lettre pleine de haine que Roxane, sa favorite, lui écrit avant
de se suicider.
Les thèmes importants des Lettres persanes
Le voyage et l’orientalisme
L’exotisme est très à la mode au début du XVIIIème siècle. En retraçant le voyage de deux
Persans à Paris et en inscrivant l’intrigue orientale du sérail au cœur du roman, Montesquieu était
sûr de plaire au lecteur de l’époque. Mais il ne faut pas s’y tromper : derrière l’habit persan,
c’est Montesquieu qui avance, masqué pour mieux critiquer les mœurs et les institutions françaises.
La critique de l’absolutisme royal Montesquieu dénonce l’absolutisme royal en comparant le Roi
de France à un « grand magicien ».
Toutefois, attention : Montesquieu ne critique pas la monarchie en tant que telle mais la
monarchie absolue de droit divin, incarnée par Louis XIV, selon laquelle le roi exerce un pouvoir
absolu qu’il tient directement de Dieu.
La critique de la religion
Montesquieu critique la religion grâce au regard extérieur du musulman qui s’étonne
naïvement en découvrant les principes du dogme chrétien. On y voit néanmoins déjà apparaître
l’esprit des Lumières, qui conteste les préjugés religieux et le despotisme pour promouvoir la
raison, les progrès scientifiques, la tolérance et le libéralisme.
3
Le regard éloigné est donc emblématique de l’esprit des Lumières. Au XVIIIe siècle, d’autres philosophes des
Lumières utilisent le même procédé du regard éloigné dans des contes philosophiques : Voltaire dans Candide (nous,
vus par un innocent), dans L’Ingénu (par un Huron), dans Micromégas (par un géant venu d’une autre planète)
4
Le relativisme est une doctrine selon laquelle les valeurs et coutumes changent selon les lieux et les époques et qu’il
convient donc de ne pas les hiérarchiser.