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nous ont envahis, ils ont même utilisé le territoire du


Bélarus, on va leur faire vivre un enfer dont ils ne
Ces Ukrainiens qui rentrent « s’engager »
reviendront pas ! »
au pays
PAR HELENE BIENVENU
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 3 MARS 2022

Ruslan Shkola au passage frontalier de Medyka (Pologne), alors que


cet « ancien » de Maïdan rentre en Ukraine. © Photo Hélène Bienvenu.

« La Russie cherche à nous empêcher de rejoindre


Rencontré au passage frontalier de Medyka (Pologne),
Ruslan Shkola rentre en Ukraine. © Photo Hélène Bienvenu. l’OTAN et à nous dominer, sauf que l’avenir de
À la frontière avec la Pologne, dans le flot de ceux qui l’Ukraine réside en Europe, pas en Russie»,continue
fuient la guerre, on croise aussi des Ukrainiens qui font cet ancien de «Maïdan», qui avait participé à la
le trajet inverse, décidés à retourner au pays pour se révolution de la Dignité en 2014, réclamant un
battre ou être aux côtés de leur famille. rapprochement de l’Ukraine avec l’Union européenne.
Medyka (Pologne).– Casquette rouge sur la tête, «Bien sûr que les Ukrainiens vont remporter la guerre,
Ruslan Shkola a l’air déterminé. Il descend du bus mis nous ne sommes pas des Cosaques pour rien! Mais
à disposition par les sapeurs-pompiers de Przemy#l cela va reposer sur l’effort de chacun d’entre nous,
pour faire la navette entre un centre commercial notamment sur ces jeunes qui s’engagent au front.»
et le passage frontalier de Medyka. À l’inverse du Une fois chez lui, Ruslan Shkola va s’empresser
demi-million de personnes qui ont fui l’Ukraine à la de vérifier sur Internet les possibilités qui lui sont
suite de la guerre déclenchée par Vladimir Poutine, offertes: mobilisation dans la défense territoriale ou
Ruslan Shkola, lui, s’y rend. Direction Vinnytsia, pour encore défense citoyenne de proximité. «J’ai beau
retrouver sa sœur et ses neveux qui vivent dans le n’avoir pas de formation militaire, je vais apprendre à
centre du pays. confectionner des cocktails Molotov. D’ailleurs, l’un
« Je suis arrivé il y a une semaine en Pologne pour de mes amis, un peu porté sur la boisson, dispose de
un emploi que je viens de quitter car, entre-temps, plusieurs bouteilles de vodka chez lui, elles pourraient
la guerre a éclaté. Il y a eu des bombardements à bien servir…»
25kilomètres de chez moi et des tirs de roquette à Un peu plus loin, face au bâtiment des gardes-
10kilomètres. Je ne peux pas rester en Pologne les frontières de Medyka, Alexander s’apprête lui aussi
bras croisés à regarder YouTube et à attendre que à regagner l’Ukraine. Ce quinquagénaire aimerait s’y
ma maison se fasse bombarder. Il faut aller à la enrôler dans l’armée. Interrogé sur sa motivation, il tire
guerre!», explique ce trentenaire qui pousse une valise une bouffée de tabac puis, visiblement ému, il fouille
grise et s’est fait offrir un sac à dos militaire par dans sa poche pour sortir son téléphone et montre son
des amis polonais juste avant son départ. « J’ai pris fond d’écran. «C’est pour elle, pour ma petite fille, et
ma décision sanshésitation, invective ce travailleur ma famille que je reviens et que je rejoins l’armée.»
ukrainien. C’était plus difficile d’être au travail et Juste derrière, dans la foule, Lela et Vitaly, originaires
d’observer ce qui se passait en Ukraine. Les Russes de Ternopil, dans l’ouest de l’Ukraine, sont venus
en Pologne peu après le début de l’invasion russe.
Deux jours plus tard, ils sont sur la voie du retour.
«Nous avons accompagné notre fille de 25ans. Elle

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est enceinte de cinq mois et nous voulions qu’elle soit avons une défense territoriale, et je veux m’engager
en sécurité, en Pologne, sous le parapluie de l’OTAN. dans l’unité de ma région [près de Kiev – ndlr]»,
Mais elle accouchera sans doute en Ukraine, la guerre poursuit le jeune homme aux yeux verts.
sera finie d’ici là», indique Vitaly. Optimiste, ce père Sa mère, qui habite en Crimée, région annexée par la
de famille, qui a déjà servi dans l’armée, il y a 30ans, Russie en 2014, ne souhaite pas le voir rentrer. Lui
lors de son service militaire à l’époque soviétique, se en a décidé autrement. «Cela fait huit ans qu’il y a
dit prêt à «dépoussiérer ses rudiments d’art militaire». des tensions avec la Russie, on savait bien que ça
Un peu plus loin, face au supermarché Biedronka, allait exploser un jour. Pourquoi attendre pour aller
grande valise bleue à la main et capuche sur la tête, défendre notre territoire?»
Dmytro Marchenko fait partie de ces membres de la Pour Dmytro Marchenko non plus, la victoire de
diaspora installés en Pologne qui veulent rejoindre l’Ukraine ne fait aucun doute: «Je connais beaucoup
l’Ukraine. «Pour le moment, c’est compliqué et de gens de la diaspora qui ont fait le choix de retourner
dangereux de se rendre à Kyiv [Kiev - ndlr] donc en Ukraine. Il est de la responsabilité de chacun de
je fais du bénévolat à la frontière mais dès que ce prêter main-forte à l’armée. C’est notre terre, notre
sera possible, je partirai, ma valise est prête», lâche- pays qui est en jeu.»
t-il. Lui n’a aucune expérience militaire. «Il va falloir
tout apprendre, et j’espère avoir la possibilité de me C’est ce même sentiment de «devoir» qui anime
former.» Ivanna Tkatchova, une Ukrainienne de 42ans
rencontrée dans une école élémentaire de Przemy#l,
dont le gymnase sert de dortoir à celles et ceux qui
ont quitté l’Ukraine. Cette mère de famille a fait le
trajet jusqu’en Pologne pour mettre sa fille de 14ans,
Viktoria, à l’abri des bombes. Mais elle-même va
regagner l’Ukraine. «Je comprends que des familles
quittent le pays, c’est bien naturel, mais s’il n’y a
Navette quittant la Pologne pour l'Ukraine. © Photo Hélène Bienvenu. plus d’Ukrainiens, il n’y a plus d’Ukraine. Il faut
À l’heure de peser le pour et le contre, chez cet bien que certains restent au pays et le défendent. Moi
Ukrainien de 24ans résidant dans la ville de #ód# je le sais depuis le début: je veux rester et je serai
depuis cinq ans, c’est le «pour» qui l’a largement prête à m’engager en tant que bénévole pour aider
emporté. «D’un côté, c’est vrai que c’est une décision à l’arrière ceux qui se battent ou pour les soigner.
difficile: j’ai fait une bonne partie de ma vie en Et puis notre grande maison non loin de Lviv me
Pologne, j’y ai un appartement. Bref, c’est un peu manque terriblement, j’ai le mal du pays…»,confie-
comme si je lâchais tout. Et je ne sais pas si je vais t-elle. Avant de serrer fort sa fille pour d’émouvants
revenir en Pologne un jour. Mais en Ukraine, nous adieux.

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