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Pyramides

Revue du Centre d'études et de recherches en administration publique

7 | 2003

Relation de service et secteur public

Modernisation et libéralisation des


services publics : l’usager sujet
ou objet ?
Pierre Bauby
p. 61-74

Abstract
La définition du service public par l’autorité publique n’implique en tant que telle ni mode
démocratique de décision, ni possibilité d’expression des utilisateurs, ni réelles procédures de
contrôle ; les politiques, une technocratie ou une bureaucratie peuvent confisquer le service d’intérêt
général. Dans l’objectif de remédier à ces dysfonctionnements, une libéralisation des services publics
a été menée au cours des années 1980 et 1990, aussi bien en France que dans le cadre de la
construction européenne.

Pour autant, une libéralisation totale, qui ne ferait relever ces activités que du droit commun de la
concurrence, mettrait en cause la réalisation des objectifs et missions d’intérêt général et ne
remédierait en rien à la marginalisation des usagers. Dans ces conditions, les règles européennes,
résultantes de débats contradictoires, d'initiatives d'acteurs, de mouvements sociaux, ont consisté à
mettre en œuvre une libéralisation maîtrisée, organisée, régulée. L’objectif est de définir des formes
d’organisation et de régulation qui évitent les dérives à la fois du monopole et du tout concurrence,
qui permettent de conjuguer l’incitation à l’efficacité des règles de marché et les finalités d’intérêt
général. Cette problématique impose de transformer profondément la perspective pour remettre au
centre le consommateur, l’usager et le citoyen. Cette refondation des services d’intérêt général
fondée sur la réponse aux besoins des consommateurs, des citoyens et de la société, conduisent à
mettre l’accent sur deux éléments-clés : la régulation et l’évaluation.

Full text

Introduction
1 L’expression «  service public  » a un double sens, désignant tantôt l'organisme de
production du service, tantôt la mission d'intérêt général confiée à celui-ci. L'on confond
souvent aussi à tort service public et secteur public (y compris fonction publique), c'est-à-
dire mission et statut, destinataire et propriétaire. Pour éviter ces confusions, l’Union
européenne utilise l’expression de «  services d'intérêt général  », désignant ainsi les
activités de services, marchands ou non, considérées d'intérêt général par les autorités
publiques, et soumises pour cette raison à des obligations spécifiques.

I. Objectifs et missions des Services


d’intérêt général
2 Les objectifs et missions d’intérêt général relèvent du «  triptyque de légitimité du
service public »1, à chaque niveau (local, régional, national, européen) :

garantir le droit de chaque habitant d'accéder à des biens ou services essentiels


pour la satisfaction de ses besoins, garantir l'exercice des droits fondamentaux de la
personne,
assurer la cohésion et les solidarités économiques, sociales et territoriales,
promouvoir l'intérêt général de chaque collectivité,
créer les conditions d’un développement durable à la fois économique, social et
environnemental, à long terme et prendre en compte les intérêts des générations
futures.

3 Partout en Europe, par-delà la diversité des mots et des concepts, des formes
d’organisation (à l’échelle nationale ou locale), des formes de propriété (publique, privée
ou mixte), on retrouve ces trois objectifs, qui conduisent à ce que les mêmes secteurs
(éducation, santé, justice, sécurité et autres fonctions régaliennes, transport,
communications, énergie) ne relèvent pas seulement du droit commun de la concurrence,
mais aussi de règles et normes particulières ; les services d’intérêt général font partie des
valeurs communes de l’Europe, du « modèle social européen ».
4 C’est l’autorité publique, à chaque niveau territorial (local, régional, national, européen),
qui décide, à un moment donné et dans son aire de responsabilité, qu’un bien ou un
service, existant ou nouveau, relève du service d’intérêt général.
5 Elle a la responsabilité, dans la transparence et la proportionnalité :

de définir les objectifs, missions et obligations d’intérêt général,


de décider du mode d’organisation de leur mise en œuvre (rapport entre
concurrence et monopole, gestion par elle-même, ou en en chargeant un organisme
ou une entreprise, publique, privée ou mixte, d'économie sociale et coopérative ou
associative),
d’organiser les modes de régulation, de contrôle et d’évaluation,
de prévoir la manière dont le service devra évoluer pour répondre aux
transformations des besoins.

6 La finalité des services d’intérêt général, la base de leur légitimité, est donc de répondre
aux besoins des usagers, des citoyens et de la société.

II. Réussites et dysfonctionnements


7 Pour autant, il faut distinguer ce modèle idéal de la réalité de l’organisation et du
fonctionnement des services d’intérêt général dans bon nombre de secteurs et de pays de
l’Union européenne.
8 En France, ces principes se sont traduits par de réelles réussites technico-économiques
(TGV, Minitel programme électronucléaire)  : les services publics ont contribué
efficacement au progrès économique et social, à la compétitivité et à l’attractivité des
territoires comme au lien social.
9 Cependant, en même temps, se sont développés de profonds dysfonctionnements.
10 La gestion « tripartite » des grands services publics nationaux, associant représentants
de l’État, directions des services et organisations syndicales, a débouché sur une
« confiscation » dont ont été pour l'essentiel exclus les usagers, ainsi que les collectivités
territoriales. D'un côté, au nom du pouvoir d'orientation et de contrôle de l'État, on a
assisté à la prolifération d'une tutelle gouvernementale et administrative tatillonne,
régentant budgets, investissements, tarifs, marchés, etc. Souvent, les services publics ont
été vus d'abord comme vecteurs, instruments d'une politique industrielle, d'une politique
économique et d'une politique conjoncturelle des Pouvoirs publics. Parallèlement, et en
contrepoint, les dirigeants des entreprises de service public se sont dotés d'un pouvoir
d'expertise technico-économique et d'une fétichisation de l'optimum économique (« il n'y
a qu'une solution  ») qui a pris le pas sur les capacités de la tutelle et leur a permis
d'influer, sinon d'imposer leurs solutions dans bien des cas (on parle de «  capture du
régulateur par l'opérateur  »). Ils ont été amenés à définir eux-mêmes le contenu de
l'intérêt général, les limites et les contraintes du service public. De leur côté, les
organisations syndicales ont eu tendance à définir elles-mêmes ce que devait être le
service public à la place des usagers.
11 Conséquence de ces jeux d'acteurs comme des traditions françaises, le service public a
été défini par en haut, par l'État. Son système institutionnel s'est trouvé fortement
centralisé et hiérarchisé, avec une place et un rôle souvent hégémoniques de quelques
grands corps de fonctionnaires, les polytechniciens, X-Mines ou X-Ponts, en particulier.
12 Parallèlement, les services publics locaux connaissaient d'importantes évolutions, avec
en particulier le développement de la gestion déléguée et la constitution de grands groupes
privés de services aux collectivités (Générale des eaux-Vivendi, Suez-Lyonnaise des eaux,
Bouygues-SAUR). Ils ont étendu leur domaine à toutes les activités qui touchent à la
production et à la gestion de la ville et couvrent l'ensemble des filières, du génie urbain au
bâtiment et travaux publics, de l'ingénierie financière et des études à la réalisation et à la
gestion des équipements.
13 Le développement de la gestion déléguée s’explique essentiellement par trois facteurs de
souplesse et de dynamisme  : dans une situation budgétaire difficile, elle permet de
recourir à l’investissement privé  ; elle offre la possibilité d’une intégration poussée de la
conception, de la réalisation, de l’exploitation et de la maintenance d’une infrastructure ou
d’un service  ; elle permet de substituer aux contraintes de la gestion administrative une
logique d’entreprise.
14 Cependant, cette souplesse et ce dynamisme tendent tout autant à éliminer les usagers
pour trois raisons. Premièrement, le recours au financement privé exige que le projet
concédé dégage une rentabilité suffisante pour rémunérer les capitaux investis, ce qui
implique la solvabilité des usagers et ne règle pas les questions d’exclusion dans l’accès à
des biens de consommation indispensable (eau, transports collectifs) pour les personnes
non solvables.
15 Deuxièmement, l’intégration et la substitution de la logique d’entreprise aux contraintes
de la gestion administrative ont tendance à marginaliser les destinataires du service
public, les consommateurs et les élus, qui sont les intermédiaires qui délèguent.
16 Troisièmement, un déséquilibre croissant d’informations et d’expertises s’est développé
entre d’un côté trois grands groupes internationaux intégrés et de l’autre les 36  000
communes (ou leurs regroupements) qui délèguent  ; celles-ci ont bien peu de moyens
d’exercer leurs rôles d’orientation et de contrôle.
17 Globalement, du fait de ces dysfonctionnements, ceux pour lesquels les services
existent, sont définis et organisés, les usagers-citoyens, ont été souvent relégués au rang
d'objets.
18 Même si au moment de la définition d’une activité comme service public les usagers ont
exprimé une réelle demande sociale, la sédimentation historique les a progressivement
exclus du fonctionnement. Même si l’autorité publique est censée décider en leur nom,
c’est bien rarement qu’ils sont appelés à s’exprimer, à faire part de leurs aspirations ou de
leurs critiques, à quelque niveau que ce soit et quels que soient les modes d’organisation
du service public (national ou local, administration, entreprise publique ou privée).
19 Le plus souvent, les services publics apparaissent sûrs d’eux-mêmes et tendent à définir
à leur place ce qui est bien pour les usagers comme pour la collectivité. Érigé en protecteur
de chacun et bénéficiant du triple postulat de bienveillance, d'omniscience et
d'infaillibilité, le service public tend à s’auto-organiser et s’auto-réguler. Même lorsque des
lois prévoient des formes de consultation des citoyens ou des organisations de
consommateurs, il manque le plus souvent la volonté de les faire vivre.
20 La définition du service public par l’autorité publique n’implique en tant que telle ni
mode démocratique de décision, ni possibilité d’expression des utilisateurs, ni réelles
procédures de contrôle  ; les politiques, une technocratie ou une bureaucratie peuvent
confisquer le service d’intérêt général.
21 Toute entité (publique comme privée, service administratif comme entreprise) chargée
de la mise en œuvre d’un service public bénéficie de davantage d’informations, de
compétences et d’expertise que l’autorité publique chargée de la contrôler ou de la
réguler  ; ce déséquilibre est structurel et ne saurait trouver de solution tant que l’on en
reste au face-à-face traditionnel entre opérateur et autorité publique.
22 Lorsque le mode d’organisation d’un secteur recourt, pour des raisons technologiques,
économiques et/ou sociales, à des formes de monopole relatif ou de droits exclusifs, on est
confronté au fait que tout monopole, public comme privé, tend à abuser de sa position
dominante au détriment des utilisateurs et génère de l’inefficacité.

III. La libéralisation et ses effets


23 Dans l’objectif de remédier à ces dysfonctionnements, une vigoureuse offensive de
libéralisation des services publics a été menée au cours des années 1980 et 1990, aussi
bien en France que dans le cadre de la construction européenne.
24 Elle a pris en compte à la fois des mutations technologiques, particulièrement rapides en
matière de télécommunications, mais présentes dans tous les secteurs,
l’internationalisation des économies et des sociétés, la diversification et la
territorialisation des besoins, les stratégies de certains grands groupes industriels et
financiers de services, les lourdeurs de bien des services publics, le développement de
l’influence des thèses néo-libérales et des vertus de la concurrence, etc., pour prétendre
apporter des réponses, au nom de la défense des consommateurs.
25 La libéralisation repose sur le présupposé d'une efficacité économique supérieure du
triptyque concurrence, dé-intégration et privatisation. Elle vise à introduire le plus
possible de concurrence, dé-intégrer, au plan comptable, voire organique, les opérateurs
entre production, transport et distribution, infrastructures et services, transformer leurs
statuts, ouvrir le capital voire privatiser, réduire les péréquations, mettre en cause les
statuts des personnels, etc.
26 A partir de l'Acte unique de 1986, l’Union européenne a engagé des processus de
libéralisation des services publics marchands (communications, énergie, transports),
fondés sur l’introduction de la concurrence, les logiques du marché et la mise en cause des
monopoles territoriaux (nationaux, régionaux ou locaux) antérieurs. L’objectif était
double :

casser les frontières nationales pour réaliser des « marchés intérieurs » dans
chacun des secteurs relevant de missions d’intérêt général, ce qui conduisait à
mettre progressivement en cause les formes antérieures d’organisation, qui avaient
été définies dans le cadre de la construction de chacun des États membres (sur des
bases nationales ou infra-nationales selon les pays et les secteurs),
inciter à une meilleure efficacité au bénéfice des utilisateurs de ces services par
l’introduction d’éléments de concurrence dans des domaines qui avaient été
souvent « protégés » par des droits exclusifs ou spéciaux, locaux, régionaux et/ou
nationaux.

27 Pour autant, on s’est vite aperçu que dans ces secteurs il ne pouvait pas y avoir une
libéralisation totale, ne les faisant relever que du droit communautaire de la concurrence.
Dans ces secteurs, l’introduction de la concurrence :

conduit spontanément à de nouvelles concentrations qui amènent à une


concurrence oligopolistique entre quelques grands groupes, pouvant accaparer des
rentes au détriment des utilisateurs,
tend à survaloriser le court terme, pour lequel le marché donne de précieuses
indications, au détriment du long terme, pour lequel le marché présente des formes
de myopie,
tend à privilégier les gros consommateurs, disposant d’un « pouvoir de marché »,
sur les petits consommateurs,
risque de mettre en cause l'égalité de traitement, les possibilités de péréquation des
tarifs et la cohésion territoriale,
ne prend en compte spontanément ni l'aménagement du territoire, ni les
conséquences sur l'environnement,
risque d'entraîner une juridicisation croissante des rapports sociaux,
peut aussi conduire à des formes de dumping social.

28 Une libéralisation totale, qui ne ferait relever ces activités que du droit commun de la
concurrence, mettrait donc en cause la réalisation des objectifs et missions d’intérêt
général et ne remédierait en rien à la marginalisation des usagers.
29 Dans ces conditions, les règles européennes, résultantes de débats contradictoires,
d'initiatives d'acteurs, de mouvement sociaux, ont consisté à mettre en œuvre une
libéralisation maîtrisée, organisée, régulée. L’Union européenne a été amenée à compléter
les projets sectoriels de libéralisation par la construction de nouveaux concepts et normes.
On a vu apparaître le concept de « service universel » dans les télécommunications et à la
poste, celui de service public a commencé à être défini dans l'énergie et les transports ; le
nouvel article 16 du traité de l'Union européenne reconnaît les services d'intérêt général
comme composantes des « valeurs communes » et souligne leur rôle dans la promotion de
la «  cohésion sociale et territoriale  »  ; l’article 36 de la Charte des droits fondamentaux,
proclamée lors du Conseil européen de Nice de décembre 2000 y fait référence  ; les
institutions européennes construisent progressivement une doctrine nouvelle du « service
d’intérêt général ».
30 L’objectif est de définir des formes d’organisation et de régulation qui évitent les dérives
à la fois du monopole et du tout concurrence, qui permettent de conjuguer l’incitation à
l’efficacité des règles de marché et les finalités d’intérêt général2.

IV. Opérer un profond retournement de


perspective
31 A l’évidence, cette problématique impose de transformer profondément la perspective
pour remettre au centre le consommateur, l’usager et le citoyen.
32 Le service d’intérêt général n’a aucun sens par lui-même ou pour lui-même, mais
uniquement pour répondre aux besoins des destinataires du service, dans toutes leurs
diversités.
33 En même temps que la libéralisation et la concurrence se développaient, les producteurs
de services, les «  opérateurs historiques  » comme les nouveaux entrants, ont affiché des
amitions de modernisation consistant à « mettre le client au centre de leurs stratégies »,
afin d’essayer de le fidéliser. En fait, il est absurde d’opposer les différentes figures de
l’utilisateur du service, qui ont toutes leur légitimité. Chacun est à la fois :

un individu-consommateur, souhaitant maximiser la satisfaction de ses propres


besoins,
un usager, qui a le souci de la garantie d’accès de chacun aux biens et services
essentiels,
un citoyen, qui veut voir pris en compte le lien social, la cohésion territoriale, le
développement durable.

34 Les usagers sont devenus plus exigeants à l'égard des services publics, qu'il s'agisse de
qualité du service, de réponse sur mesure à leurs besoins, de rapidité de réponse à leurs
demandes, d'attrait pour le durable, l'écologique, le simple, le naturel, évidemment de
coût, mais aussi d'information et de transparence.
35 Sur la base de la montée des niveaux d'information, d'éducation et de culture, se
développent des désirs de ré-appropriation par les individus, les petits groupes sociaux et
les collectivités de base des problèmes qui les concernent directement. Les usagers des
services publics sont porteurs de nouvelles exigences de service, de qualité, de satisfaction
de la diversité de leurs demandes et aspirations, de réponses à leurs besoins spécifiques,
de services de proximité, d'expression et de reconnaissance.
36 Il faut reconnaître la place centrale des consommateurs dans le fonctionnement de
chaque service d’intérêt général. Les consommateurs (domestiques, industriels, PME-
PMI) devraient être présents à tous les niveaux de définition des objectifs et missions,
comme de leur mise en œuvre, avec de réels pouvoirs, au même titre que les autres
acteurs, être systématiquement consultés en préalable et surtout être étroitement associés
aux procédures d'évaluation.
37 Cela implique de mettre en œuvre des dispositifs concrets, en particulier :

reconnaître à l’usager-concommateur-citoyen des droits et des devoirs, par exemple


sous forme de Charte définie à partir de son expression,
définir par contrat ses relations avec le fournisseur de service,
obliger à une information claire, transparente et en temps réel pour tout ce qui le
concerne,
prévoir des formes d’indemnisation en cas de non respect des clauses du contrat,
organiser des lieux d’expression individuels et collectifs, à chaque niveau pertinent
de définition et d’organisation du service et les doter de réels pouvoirs
d’intervention et de décision,
le faire participer par l’intermédiaire de ses représentants aux modes de régulation
et d’évaluation du service, pour sortir du face-à-face réducteur et déséquilibré entre
service et autorité publique.

38 De même, il s'agit de passer du produit aux services, de la quantité à la qualité. Les


services d’intérêt général ne prennent leur utilité que par leurs réponses à des besoins
concrets et spécifiques dans toutes les formes d'activité sociale, comme vecteur de
services. Le principe d'égalité n'est pas synonyme d'uniformité, mais de réponse sur
mesure à des besoins différenciés et se différenciant.
39 En même temps, les services d’intérêt général doivent répondre aux demandes sociales
de transparence. Ils ont encore trop tendance à apparaître comme sûrs d’œuvrer au bien
commun. Il s'agit d'aller vers une mise en débat public des principaux choix et arbitrages
(par exemple des arbitrages entre qualité, protection de l'environnement et coûts), de
susciter l'intervention, la prise de parole, de ne rien cacher des difficultés et incidents.
40 Les services d’intérêt général doivent ainsi intégrer pleinement les préoccupations en
matière de protection de la nature et de l'environnement, d'écologie, de sécurité et de
sûreté, dans l'ensemble de leurs activités. Il s'agit d'éléments à prendre en compte, au
même titre que les données technico-économiques, dans les décisions et les stratégies. Les
services d’intérêt général doivent être exemplaires dans une prise en compte réelle de
l'ensemble des interactions entre leurs activités et leur environnement (en particulier dans
les études d'impact de leurs projets d'infrastructures). Ceci implique de mettre en débat
public, à partir d'expertises pluralistes (ce qui suppose le financement d'organismes
indépendants), les enjeux et les propositions d'arbitrage, afin de permettre aux citoyens de
se les approprier.
41 Les services d’intérêt général doivent également déployer des politiques sociales
internes et externes  ; ils ont un devoir de citoyenneté vis-à-vis de la collectivité. Cette
problématique devrait être à l’œuvre en particulier en matière d'emploi et de lutte contre
l'exclusion.
42 Ces éléments, composantes d’une refondation des services d’intérêt général fondée sur
la réponse aux besoins des consommateurs, des citoyens et de la société, conduisent à
mettre l’accent sur deux éléments-clés : la régulation et l’évaluation.
43 La régulation des services d’intérêt général ne se réduit pas à la mise en œuvre du droit
commun de la concurrence, mais relève des rapports entre les règles de concurrence et les
missions d’intérêt général dont ils sont chargés. Ces rapports ne sont pas stables et figés,
mais évolutifs dans le temps et l’espace. Ils tiennent notamment aux histoires, traditions,
institutions et cultures nationales. Les modes de mise en œuvre des services d’intérêt
général sont étroitement dépendants des sociétés dans lesquelles ils prennent place.
44 Les fonctions de cette régulation spécifique sont : la réglementation, les objectifs publics
sectoriels ou transversaux, la surveillance de la concurrence, l’équité d’accès à
l’infrastructure lorsqu’elle reste un «  monopole naturel  », les relations évolutives entre
missions d’intérêt général et opérateurs, la tarification, la répartition de la rente et le
financement des missions, l’évaluation de l’efficacité économique et sociale du système,
afin de contribuer à l'évolution dans le temps et dans l'espace, en fonction des besoins des
consommateurs, des citoyens et de la société.
45 L’ensemble de ces fonctions ne sauraient relever d’une responsabilité unique, d’un
organe désigné comme «  le  » régulateur et censé assurer l’ensemble des fonctions de
régulation, mais de l’emboîtement de plusieurs instances à responsabilités
complémentaires à la fois quant à leurs fonctions et à leur champ territorial (du local à
l’échelon européen).
46 Cela implique de sortir du «  jeu à deux  », du face-à-face entre «  régulateur  » et
opérateur(s), pour passer d'une régulation d'«  experts  » à une régulation d'«  acteurs  »,
faisant intervenir tous les acteurs concernés  : autorités publiques, opérateurs,
consommateurs (usagers domestiques comme industriels - grands et petits), citoyens,
collectivités locales et élus (nationaux et locaux), personnels et organisations syndicales.
47 Ces orientations devraient déboucher sur l'existence de véritables évaluations des
activités et performances des services d’intérêt général, aussi bien des opérateurs que des
régulateurs, évaluations comparatives au plan européen3. On pourrait aller vers la
constitution, à chaque niveau d'organisation-régulation, d'Offices d'évaluation
indépendants des États, comme des opérateurs et de l'Union européenne, pluralistes dans
leur composition comme dans les critères d'appréciation et donc contradictoires, associant
les représentants des différents types de consommateurs, des personnels, des élus, etc.,
dont les rapports devraient être largement rendus publics.
48 Ainsi, la séparation opérateur-régulateur ne déboucherait pas sur un face-à-face fermé
entre eux ou à la capture du second par le premier, mais permettrait de répondre aux
demandes sociales de transparence, en passant d'un jeu à deux à des confrontations
pluralistes.
49 Par rapport aux dangers d'abus dont sont intrinsèquement porteurs les monopoles
(qu'ils soient publics, comme privés), les réponses sont à rechercher non dans une
soumission totale aux lois du marché et de la concurrence, ce qui entraînerait un
démantèlement des missions d’intérêt général, pas davantage dans le renforcement des
contrôles étatiques et bureaucratiques, mais, d'une part, dans l'assujettissement des
services d’intérêt général à des règles de droit clairement établies, précises mais limitées,
sous le contrôle des juridictions nationales et communautaires, d'autre part, dans le
développement de contre-pouvoirs et de participations à la fois internes et externes.
50 A l'intérieur des services publics, par une véritable décentralisation et une
démocratisation effective de leur fonctionnement, permettant l'intervention réelle des
personnels et des organisations syndicales, reconnaissant toute leur place de citoyens à
ceux qui font vivre le service public au quotidien. Les personnels doivent, tout autant que
les consommateurs, passer d'objets à sujets. La rénovation des services d’intérêt général
implique que l'usager-objet devienne sujet, reconnu, traité d'égal à égal sur la base de
relations de partenariat.
51 Ainsi pourra-t-on redonner sens aux services d’intérêt général  : répondre aux besoins
des usagers, des citoyens et de la collectivité.

Notes
1  P. BAUBY, Le service public, Paris, Flammarion, 1997.
2  P. BAUBY, Reconstruire l’action publique, Paris, Syros, 1998.
3   P. BAUBY, Évaluer les performances des Services d’intérêt économique général en Europe,
rapport pour la Commission européenne, Bruxelles, CEEP-CIRIEC, 2001.

References
Bibliographical reference
Pierre Bauby, “Modernisation et libéralisation des services publics : l’usager sujet ou
objet ?”, Pyramides, 7 | 2003, 61-74.

Electronic reference
Pierre Bauby, “Modernisation et libéralisation des services publics : l’usager sujet ou
objet ?”, Pyramides [Online], 7 | 2003, Online since 26 September 2011, connection on 01 July
2021. URL: http://journals.openedition.org/pyramides/410

About the author


Pierre Bauby

Docteur en science politique, Président de la Commission « Services d’intérêt général » du Centre


européen des entreprises à participation publique (CEEP).pierre.bauby@noos.fr

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Recomposer l’action publique dans le contexte de la mondialisation [Full text]
Published in Pyramides, 9 | 2005

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