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DISSERTATION SUR UN SUJET D'ORDRE GÉNÉRAL RELATIF AUX


PROBLÈMES POLITIQUES, ÉCONOMIQUES, FINANCIERS OU SOCIAUX
DU MONDE CONTEMPORAIN

«
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 Énoncé « Peut-on concilier service public et culture de performance ? »,
 Corrigé
Corrigé
Introduction
À première vue, il semble facile de répondre à la question : « Peut-on concilier
service public et culture de performance ? », tant les deux volets qui la composent
semblent antithétiques. Le service public se définit comme une activité à la
disposition de l'ensemble des personnes vivant sur un territoire déterminé. On pense
bien évidemment aux administrations et à leur rôle essentiel pour garantir partout à
chaque citoyen des services de qualité. Pourtant, les reproches fusent sur les
manquements des services rendus au public : « la police ne protège plus le
citoyen », « la queue n'en finit pas au bureau de poste ou à la Sécurité sociale », etc.
On raille très souvent les privilèges des fonctionnaires, tout en reconnaissant leur
utilité. Pourtant, on observe une évolution importante de nos administrations depuis
les années 1990. La libéralisation des marchés et la construction européenne ont
profondément modifié la donne. La culture de performance a été introduite dans le
secteur public, dans le cadre d'une réforme en profondeur de l'État. Cette notion de
culture de performance est associée à une logique de résultats et s'appuie sur des
modes de gestion employés par les entreprises privées. La question se pose de
savoir comment améliorer l'efficacité du service public en faisant en sorte que l'intérêt
général soit respecté, et cela en conformité avec les principes de notre démocratie.
En France, la dette publique représente environ 1 100 milliards d'euros. On assiste
aujourd'hui à une volonté ferme de nos dirigeants politiques de réduire les dépenses
publiques, en diminuant de manière conséquente le nombre de fonctionnaires.
Certains analystes estiment que la France comptabilise 20 à 30 % d'emplois publics
de plus que des pays comparables. On compte environ 5,7 millions d'agents de la
fonction publique dans notre pays. Fort de ce constat, le contribuable est en droit de
savoir comment est géré le service public. C'est là un des grands objectifs de la loi
organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001 qui est entrée en
vigueur en janvier 2006 pour toutes les administrations. Mais les choses ne sont pas
si simples : en effet, cette nouvelle donne qui introduit la culture de performance
dans le service public se heurte à des inerties, voire à des réticences, chez les
agents comme chez les responsables du dialogue social. Concilier service public et
culture de performance est pourtant devenu une obligation dans le cadre de
l'harmonisation des politiques européennes.
Il convient donc de se demander quelle marge d'évolution a le service public en
France et comment peut s'intégrer cette culture de performance, bien connue dans le
secteur privé. Pour cela, il faudra considérer que le service public regroupe une
grande diversité de situations et de multiples activités (I), dans le cadre desquelles la
culture de performance constitue une nouvelle logique de gestion et de nouveaux
enjeux de ressources humaines (II). On s'interrogera enfin sur les réussites et les
freins de la culture de performance au sein des administrations (III).

I. Le service public, une grande diversité de situations et des activités multiples


Le service public en France est multiforme. Il désigne de manière globale les
administrations et certains établissements ou entreprises publics. Sa finalité est de
répondre à des besoins d'intérêts généraux dans le respect de principes
républicains : continuité du service (qui ne doit pas être interrompu) ou égalité du
service (égalité de l'usager ou du client en terme d'accès ou de coût). On a coutume
de répartir ses activités en trois grands domaines.
A. La première catégorie d'activités de service public est liée aux fonctions
régaliennes de l'État, à travers lesquelles ce dernier affirme sa souveraineté. Ces
activités sont financées entièrement par les impôts et assurées par les
administrations publiques. Il s'agit par exemple de la justice, de la police, de la
sécurité civile ou de la défense nationale, mais aussi de toutes les activités liées aux
finances publiques (impôts) et à l'administration centrale ou décentralisée
(collectivités locales). Ces activités ont été, de tout temps, revendiquées par l'État (et
dès le Moyen-âge par le roi, d'où le terme de fonctions « régaliennes »).
Techniquement et moralement, elles ne peuvent être sous-traitées à des entreprises
privées et elles restent donc de la compétence de l'État, ou, depuis les lois de
décentralisation, des collectivités locales.
B. On distingue ensuite les activités du secteur non marchand, c'est-à-dire des
services, essentiellement gratuits, rendus à l'usager. Il s'agit du service public
d'enseignement, des services de santé (hôpitaux), de la Sécurité sociale ou des
activités culturelles (musées). En ce qui concerne l'Éducation nationale, chaque
enfant doit pouvoir être accueilli gratuitement à l'école, au collège ou au lycée, en
application des lois républicaines de Jules Ferry (1881-1882). L'État paie les
enseignants alors que les collectivités locales gèrent la construction et l'entretien des
locaux. Dans ce domaine d'activités, le secteur privé peut parfois faire concurrence
au service public, en ouvrant par exemple des écoles ou des cliniques qui proposent
en matière d'enseignement ou de santé les mêmes services, mais payants, que les
établissements publics.
C. Il existe enfin les services publics marchands réalisés dans des entreprises
publiques où l'État joue essentiellement un rôle de contrôle et d'actionnaire
minoritaire. Il s'agit des services de transport ferroviaire (SNCF), de la distribution du
gaz (GDF) et de l'électricité (EDF), de la distribution de l'eau potable, du courrier, du
téléphone, etc. Ces entreprises s'intègrent dans le secteur concurrentiel et suivent
une logique de rapprochement avec le secteur privé. Ainsi, France-Télécom est
aujourd'hui une entreprise privée dans laquelle l'État tient une place d'actionnaire
minoritaire (27 % des actions), loin du monopole de la Direction générale des
Télécommunications créée en 1941 au sein des PTT. D'autres opérateurs français
ou internationaux concurrencent France-Télécom, dont les usagers sont ainsi
devenus des clients.
Les différentes activités liées au service public ont en principe pour objectif de servir
l'intérêt général. Toutefois, les logiques de marché et la règlementation européenne
ont imposé une évolution conséquente au sein du service public français, même si la
culture de performance n'y est pas applicable de la même manière selon les types
d'activité.
II. La culture de performance comme nouvelle logique de gestion et nouvel enjeu des
ressources humaines
A. La culture de performance est un terme essentiellement utilisé dans les
entreprises privées. Elle vise à rendre l'acteur économique plus responsable et plus
motivé en fixant des objectifs et en évaluant leur atteinte. Transposer cette notion
dans le service public paraît, au moins pour certains secteurs, une gageure. C'est
pourtant un des enjeux de la LOLF qui veut mettre en place une gestion plus
démocratique et plus performante au bénéfice de tous. Le budget de l'État est ainsi
contrôlé de manière fine par les élus de la nation (le Parlement) aidés par la Cour
des comptes. Il s'agit donc de responsabiliser les managersdu service public en leur
donnant une plus grande liberté de gestion et en attendant en retour un engagement
sur les objectifs de performance. Cette nouvelle gestion du service public, entrée en
application complète en 2006, doit permettre aux administrations de rendre de
meilleurs services aux usagers.
B. Pour les services dits « régaliens », on voit apparaître des logiques de résultats. Il
s'agit de responsabiliser les agents sur les résultats attendus. Bien sûr, certains
objectifs, dans certains domaines comme la défense du territoire, sont difficilement
quantifiables. Pour la police et la gendarmerie, les ministères de l'Intérieur et des
Armées ont par exemple fixé comme objectif une diminution du nombre de morts sur
les routes. Si l'attitude des policiers et des gendarmes est plus ferme avec les
contrevenants, les bons résultats sont davantage dus aux radars installés au bord
des routes.
Pour les services publics non marchands, comme l'enseignement, on parle
aujourd'hui de plus en plus d'une logique de résultats. Mais la rémunération au
mérite est encore loin d'être mise en place. Les professeurs sont ainsi payés en
fonction d'une échelle des salaires fondée sur l'ancienneté et non sur la réussite de
leurs élèves.
En revanche, la logique de performance a fait son apparition dans les entreprises du
service public, en premier lieu suite au changement de la règlementation dans le
cadre de la construction d'un marché unique européen. Si l'on prend comme
exemple le transport aérien, Air France n'est plus en situation de monopole depuis la
« dérèglementation » du ciel français. Des sociétés concurrentes, comme les
compagnies low cost, ont ouvert des lignes intérieures depuis plusieurs années. Air
France a été privatisé partiellement en 1999 et complètement en 2004, même si
l'État détient encore des parts importantes au sein du capital. Dans les services de
téléphonie mobile (GSM), France-Télécom subit la concurrence de Bouygues ou
de SFR. L'ouverture de ces sociétés a nécessité des restructurations pour
rationaliser le service et améliorer la productivité en réduisant les coûts. Dans cette
optique, la culture de performance a un coût humain certain.
On assiste aujourd'hui à une redéfinition des services rendus au public sur le plan
territorial : c'est le cas dans le secteur de la santé avec la fermeture d'hôpitaux ou de
maternités dans certaines villes moyennes. C'est cette même logique qui a conduit la
ministre de la Justice à redessiner la carte judiciaire en fermant un nombre important
de tribunaux, ou le ministre de la Défense à restructurer la carte militaire. Un nombre
important de casernes devrait fermer ces prochaines années.
On voit bien que l'introduction de la culture de performance dans les services publics
a des incidences certaines sur le service rendu au citoyen, mais aussi sur la gestion
des agents de ces administrations.
III. Réussites et freins de la culture de performance au sein des administrations
A. L'introduction de la culture de performance au sein du service public a
incontestablement changé l'image de l'administration. Celle-ci fait aujourd'hui l'objet
de préjugés favorables au sein des usagers et des clients. Le public est souvent
solidaire des fonctionnaires quand ils défendent leurs droits et leurs conditions de
travail. L'introduction du service minimum dans les transports, en retour, permet de
ne pas trop pénaliser les usagers.
La culture de performance a aussi permis de motiver les agents de la fonction
publique, en proposant par exemple des primes quand les objectifs fixés sont
atteints. La rémunération liée aux performances dans l'administration a fait son
apparition mais sa mise en œuvre est cependant difficile. En effet, l'évaluation des
compétences d'un agent a posteriori se heurte à la difficulté qu'il y a à mesurer
l'action individuelle dans un cadre bien souvent collectif. Certains pays de l'Europe
du Nord appliquent déjà le principe des primes collectives quand les objectifs fixés
sont atteints. Dans le contexte plus large de budgétisation et de gestion, la culture de
performance a permis de diminuer la charge de l'État qui a réduit de manière
conséquente le nombre de fonctionnaires. Ce mouvement se poursuit avec le non-
remplacement des agents qui partent en retraite.
La loi organique aux lois de finances fait du Parlement l'organe de contrôle des
dépenses de l'État et de l'efficacité de l'administration. L'usager, qui est aussi
contribuable, peut ainsi « se réconcilier » avec son administration. Dans le cadre des
entreprises de service public, la concurrence entraîne souvent des innovations
techniques ainsi qu'une baisse des tarifs et des prix dont profitent les usagers.
B. Pourtant, il n'en demeure pas moins que l'introduction de la performance dans le
service public se heurte à de nombreux freins. Tout d'abord, on peut s'interroger sur
une dégradation du service rendu à l'usager. Certaines lignes ferroviaires ont été
fermées car jugées non rentables par la SNCF. Dans certaines zones rurales
retirées, les bureaux de poste ont été purement et simplement supprimés. Le
principe d'égalité des services rendus à l'usager est ainsi mis à mal. Par ailleurs, la
rémunération à la performance doit placer l'évaluation des fonctionnaires au cœur du
système, ce qui suppose que les personnels et leurs syndicats soient davantage
ouverts à ce nouveau type de gestion des ressources humaines. Dans le cadre des
entreprises de service public, la culture de la performance a entraîné une baisse des
effectifs destinée à accroître la productivité, un regroupement des structures et
parfois une moins grande disponibilité des agents pour l'usager. La diminution du
nombre d'agents au guichet de la poste occasionne par exemple des queues
interminables, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années.

Conclusion
Il semble donc possible de concilier service public et culture de performance. Celle-ci
a incontestablement changé l'administration et surtout les entreprises liées au
service public. Ce mouvement participe d'une rénovation et d'une modernisation du
service public ainsi que d'une meilleure utilisation des fonds de l'État. Grâce à
la LOLF, l'administration doit expliquer ses objectifs et évaluer son action grâce à des
indicateurs précis. Pourtant, ce changement de culture est loin d'être acquis. La
rémunération au mérite des fonctionnaires a beaucoup de mal à être mise en œuvre
face à la réticence de certains corps. La culture de la performance ne doit surtout
pas entamer la fonction première du service public qui est la satisfaction de l'intérêt
général.

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