Vous êtes sur la page 1sur 115

Le Pentateuque

Introduction
Le nom « Pentateuque » désigne les cinq premiers livres de la Bible. Ce nom vient du
mot grec πεντάτευχος et il est la traduction d’une expression hébraïque « ḥāmišâ ḥumšê hattôrâ »,
littéralement les « cinq cinquièmes de la Torah ».

Etymologiquement, le mot grec πεντάτευχος d’où vient le latin pentateuchus, en


français « Pentateuque », est composé de πεντά (qui signifie « cinq ») et de τευχος (qui signifie
« étuis »). Donc πεντάτευχος signifie « cinq étuis » ; et par métonymie πεντάτευχος signifie
finalement « cinq livres » ou mieux « cinq rouleaux ».

Pour la tradition juive, ces livres constituent la Tôrâ, un terme qu’on traduit
souvent par « Loi », mais qui signifie d’abord « enseignement, instruction ».

Ces cinq premiers livres de la Bible ont été considérés par la tradition hébraïque

comme un seul livre nommé : la Tôrâ (hr"At). La Tôrâ est donc le plus ancien titre donné à
ces cinq premiers livres de la Bible ; et les Juifs continuent encore aujourd’hui à l’appeler ainsi.

Dans l’AT, il y a diverses expressions qui apparaissent pour désigner ces cinq

premiers livres : « livre de la Loi » (hr"ATh; rp,,se) en Ne. 8,3 ; « Loi de Moïse » (hv,mo
tr:At) en 2 Chr. 23,18 ; 30,16 ou bien « livre de la loi de Moïse (hv,mo tr:At rp,,se) en 2
R. 14,6 ; Ne. 8,1 et autres analogues.

C’est à partir de Philon d’Alexandrie (1er siècle ap. J.C.) que les Juifs de la diaspora et
ensuite les chrétiens de langue grecque et latine donnèrent à la Tôrâ le nom de πεντάτευχος.

Par le nom Pentateuque, les Juifs de la diaspora et les chrétiens de langue grecque et
latine indiquaient la division en cinq livres ce que les Hébreux voyaient comme un seul livre.
Les Pères de l’Eglise n’utilisaient que très rarement le terme πεντάτευχος. Ils
préféraient parler de la « LOI » ou de la «  LOI de MOISE » comme on le faisait parmi les Hébreux et
dans le NT (Mt. 5,17 ; 7,12 ; 11,13 : Lc. 16,16 ; 24,44 ; Ac. 13,15 ; Rm. 3,21 etc….).

Le Talmud recourt à l’expression hébraïque encore en usage aujourd’hui : « Les cinq


cinquièmes de la Loi ». C’est cette expression qui serait probablement à l’origine de l’expression
grecque πεντάτευχος.

1. LES TITRES USUELS DE CES CINQ PREMIERS LIVRES

Les titres usuels (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome) proviennent


de la traduction grecque : la LXX, et ont été repris par la Vulgate. Ils résument le contenu de
chaque livre, alors que l’hébreu (la tradition juive) désigne pour sa part chacun des cinq livres par
l’un des premiers mots qu’il contient. [Ainsi on a :

TM LXX (Vg) Français

Berē’šît tyviÞarEB. Γένεσις (origine) Genèse

(Au commencement)

We’ēlleh šemôt ‘tAmv. Εξοδος (sortie) Exode

hL,aeªw>
(Et ceux-ci sont les noms)

Wayyiqrā’ Λευιτικον (Lévitique) Lévitique

ar"Þq.YIw:
(et il appela)

Bemidbār rB:ïd>miB. hv,²mo-la, Αριθμοι (Nombres) Nombres


hw"ôhy> rBe’d:y>w:
(Au désert)

’ēlleh haddebārîm Δευτερονομιον (seconde Loi) Deutéronome

~yrIªb'D>h; hL,aeä
(Celles-ci sont les paroles)

2. LE CONTENU GENERAL DU PENTATEUQUE

Le Pentateuque, dans une perspective chrétienne, se caractérise


comme une œuvre narrative relatant l’origine du monde et du peuple hébreu
jusqu'à la veille de l’entrée en terre promise, veille qui coïncide avec la mort de
Moise.

Pour le Judaïsme, la Tôrâ est avant tout un « enseignement », son


centre étant constitué des différents codes législatifs dont les récits servent
d’illustrations.

Les textes narratifs sont de la littérature anonyme, non signée. Par


contre, de nombreux textes législatifs, notamment le code deutéronomique et son
introduction (Dt. 1,1 ; 4,45 etc.), ainsi que le code de l’alliance (Ex. 24,4) sont
attribués à Moise.

C’est cette attribution de la Loi à Moise qui a permis à la tradition


juive et chrétienne d’en faire l’auteur de tout le Pentateuque (cf Philon
d’Alexandrie, De vita Mosis, I § 8 ; Flavius Josèphe, Ant. Prooem 4 § 18-26 ; Mc.
12,26 ; 2Cor. 3,14, ect.)
=============0==============

Chapitre 1

LA FORMATION DU PENTATEUQUE SELON L’EXEGESE HISTORICO-CRITIQUE

L’exégèse historico-critique et l’exégèse juive traditionnelle ont un


présupposé en commun : pour ces deux types d’approches, la Tôrâ constitue la
pierre angulaire dont dépend la compréhension des deux autres parties de la Bible
hébraïque (prophètes et Ecrits), mais aussi de la conception de l’histoire de la Révélation
(= l’évolution des conceptions religieuses dans l’Israël ancien).

Pour l’exégèse historico-critique, il est alors indispensable de posséder une


théorie performante pour expliquer le processus conduisant à la formation des cinq
premiers livres de la Bible. A la fin du 19ème siècle, une théorie proposant un modèle
global pour expliquer la formation de la Tôrâ a été élaborée, théorie qui fut reçue par la
suite comme une véritable évidence. Depuis une trentaine d’années, cette évidence s’est
effondrée pour la plupart des exégètes ; et les différentes remises en cause du vieux
consensus ont obligé la recherche biblique de se renouveler et de s’interroger sur ses
présupposes idéologiques…

La vision nouvelle concernant la naissance du Pentateuque, qui semble se


profiler actuellement chez certains exégètes, implique un déplacement radical dans
l’explication de l’ancien consensus. Pour saisir l’enjeu de ce déplacement une brève
histoire de la recherche s’impose.

1. LES DEBUTS DE L’EXEGESE CRITIQUE

A - LA QUESTION DE L’AUTEUR

Le Pentateuque, dans une perspective chrétienne, se caractérise comme


une œuvre narrative relatant l'origine du monde et du peuple hébreu jusqu'à la veille
de l'entrée en terre promise, veille qui coïncide avec la mort de Moïse. Pour le
judaïsme, la Torah est avant tout un "enseignement", son centre étant constitué des
différents codes législatifs dont les récits servent d'illustrations.

Les textes narratifs sont de la littérature anonyme, qui ne porte pas la


signature d’un auteur identifiable ; c’est de la littérature non signée. Par contre,
de nombreux textes législatifs, notamment le code deutéronomique et son
introduction (Dt 1,1; 4,45 etc.), ainsi que le code de l'alliance (Ex24,4) sont
attribués à Moïse.

C’est cette attribution de la Loi à Moise qui a permis aux traditions juive et
chrétienne d’en faire l’auteur de tout le Pentateuque (cfr. Philon d’Alexandrie, De
vita Mosis, I § 84 ; Mc. 12,26 ; 2 Co. 3,15, etc.).

Même si l’idée d’une origine mosaïque de la Tôrâ ne fut guère ouvertement


contestée jusqu'au 18e siècle, quelques-unes des apories (= difficulté d'ordre
rationnel paraissant sans issue) inhérentes à cette conception se firent jour très
tôt.

Il y avait d’abord le récit de la mort de Moise et de son enterrement par


Dieu en Dt. 34. Peut-on imaginer que Moise lui-même ait décrit sa propre mort?
Certains rabbins en doutaient, suggérant que les derniers versets du Pentateuque
avaient été ajoutés après coup par Josué, le successeur de Moise (cf. Talmud
babylonien, Baba Bathra 14b).

Même si cette différenciation diachronique à l’intérieur du Pentateuque ne


concernait que quelques versets, nous avons ici en quelque sorte l’origine de la
critique littéraire1, dans la mesure où une observation de logique littéraire est
utilisée pour postuler un devenir du texte.

Les Pères de l’Eglise défendent farouchement l’authenticité mosaïque


du Pentateuque contre les critiques (notamment Origine, Contre Celse), déclarés
hérétiques par définition. En effet, dans le judaïsme comme dans le
christianisme, mettre en doute l’attribution du Pentateuque à Moise équivaut à
une excommunication.

Au Moyen Age, les savants Juifs Isaac ben Jesus et Abraham Ibn
Ezra dressèrent des listes des « post-mosaïca », des textes qui ont dû être écrits à
des moments plus tardifs de l’histoire d’Israël ( par exemple, Gn. 36,31
présuppose l’époque de la monarchie ; en Dt. 1,1 : « Voici les paroles que Moise
adressa à tout Israël, de l’autre côté du Jourdain », l’auteur de ces paroles doit se
trouver dans le terre promise, c’est-à-dire dans l’actuelle Cisjordanie. Or, Moise
est toujours resté en Transjordanie. Nb. 22,1 désigne la Transjordanie comme
pays au-delà du Jourdain, ce qui est en contradiction avec Moise écrivant en
Transjordanie ; En Gn. 22,14 après « l’épreuve », Abraham donne un nom au lieu
du sacrifice : « YHWH verra / pourvoira. » Le narrateur, qui selon la tradition
devait être Moise, ajoute : « pour cela on dit aujourd’hui : Sur la montagne YHWH
apparaît (pour la TOB : C’est sur la montagne que le Seigneur est vu). » Pour Ibn
Ezra, cette montagne est le mont Sion sur lequel est construit le temple où
« YHWH apparaît ». En conséquence Moise ne saurait dire « aujourd’hui l’on
dit… », parce que le temple a été construit bien longtemps après lui, sous
Salomon. Dt. 31, 9 énonce : « Moise écrivit toute cette loi… ». Pourquoi Moise ne
dit-il pas : « J’écrivis… » (à la première personne) ? Toutefois, ces auteurs
n’osèrent pas critiquer ouvertement la tradition reçue parce qu’ils craignaient la
censure, voire la persécution.

[A l’époque Moderne, la manière de lire la Bible avait changé à cause


du mouvement culturel appelé la Renaissance. La redécouverte de l’Antiquité
classique, le goût pour la philologie et les langues originales ont eu une grande

1
La critique littéraire est une méthode dont l’exégèse historico-critique se sert pour déceler les différentes couches d’un
document et qui se base sur des observations de logique interne, (rupture de) cohérence, etc.
influence sur la manière de faire l’exégèse. Après avoir, pendant plusieurs siècles,
lu et interprété la Bible dans sa version latine, les chrétiens d’Occident retournent
aux langues originales.]

La crainte de critiquer ouvertement la tradition reçue sera Surmontée dans le


Tractatus theologico-politicus (1670) du philosophe juif Baruch Spinoza (Pays-
Bas). Celui-ci observa que le Pentateuque forme avec les livres historiques (Josué
à Rois) une unité organique et ne peut par conséquent être rédigé avant la fin du
royaume de Juda (relatée en 2 Rois). Pour lui, le vrai auteur du Pentateuque est
Esdras qui cherchait à donner une identité au peuple Juif à l’époque perse. Une
approche similaire se trouve chez un prêtre de l’Oratoire, juriste et spécialiste des
langues sémitiques, Richard Simon (France) dans son Histoire critique du Vieux
Testament, 1678.

Déjà en 1520, le théologien protestant Carlstadt, dans le contexte de


la valorisation du texte hébreu par la Réforme, avait insisté sur les différences
styliques entre les textes législatifs et les textes narratifs, et en avait conclu que
Moise ne pouvait être l’auteur des deux.

Spinoza connaissait déjà très bien la Bible hébraïque quand il


découvrit la philosophie de Descartes et la science de Galilée. Il fut expulsé de la
Synagogue à cause de son rationalisme et ses œuvres furent mises à l’index par
l’Eglise catholique.

Richard Simon admettait l’origine mosaïque du Pentateuque, mais il


suggérait que sa forme définitive est due à l’activité continue des scribes et des
juristes depuis les origines jusqu’au temps d’Esdras. A cause de ses idées, il fut
violemment attaqué par les catholiques, en particulier par Bossuet ; il fut expulsé
de l’Oratoire et exilé dans une petite paroisse de Normandie.

Toutes ces études avaient identifié les anachronismes qui faisaient


hésiter les exégètes à attribuer tout le Pentateuque à Moise. Or la contestation de
l'authenticité mosaïque du Pentateuque à l'époque des Lumières était clairement
liée à un combat anticlérical ainsi qu'à un jugement de valeur. Jusqu’à l’aube du
XIXe siècle, le débat sur Moise comme auteur du Pentateuque continuera de tourner
autour de l’alternative : authenticité mosaïque ou édition sous Esdras. Cette
alternative impliquait presque toujours un jugement de valeur ; l’authenticité
mosaïque garantissait la valeur du Pentateuque, alors que la thèse d’une origine
postexilique lui enlevait, pensait-on, non seulement toute crédibilité historique mais
aussi toute portée théologique et spirituelle.

B-L’ACCEPTATION DE LA DIACHRONIE ET LA QUESTION DES SOURCES

Outre les anachronismes patents contenus dans la Tôrâ et dont il a


été question ci-haut, ce fut la découverte des ruptures dans la logique littéraire qui
amena les exégètes à poser la question des « sources » à partir desquelles le
Pentateuque aurait été constitué. Il y avait d'abord l'observation de nombreuses
tensions, voire de contradictions, dans le texte de la Tôrâ. Ainsi par exemple dans
le récit du déluge, combien de paires d’animaux de chaque espèce Noé a-t-il
emporté dans son arche ? Une selon Gn. 7,15 ou sept selon 7,2 ? Combien de
jours dure le Déluge ? 40 selon Gn. 8,6 ou 150 comme en 8,2-4 ? Pour quelle
raison Jacob s’expatrie-t-il en Mésopotamie ? Pour échapper à la vengeance de
son frère Esaü (Gn. 27,41-45) ou pour trouver une femme de sa propre race
(27,46-28,5) ? Joseph est-il emmené en Egypte par une caravane d’Ismaélites
(Gn. 37,27.28) ou de Madianites (37,28 .36) ? Selon Gn. 4,26, l’humanité invoque
le Dieu d’Israël sous le nom de « Yhwh » dès les origines, tandis qu’en Ex. 3,13-
15, ce nom n’est révélé à Israël qu’au moment de la vocation de Moise. Le
comportement de Pharaon face aux plaies d’Egypte est expliqué de deux façons
différentes : selon Ex. 7,3 c’est Yhwh qui rend inflexible le cœur du roi d’Egypte,
alors que d’autres textes insistent sur le fait que c’est Pharaon lui-même qui
endurcit son propre cœur (Ex. 8,11 etc.)…

On constate ensuite des interruptions brusques à maints endroits


dans les récits; ce qui fait qu’il y a discontinuité, désordre dans la narration.
Citons quelques exemples : Gn. 4,26 et 5,1 : après Gn. 4,26 on s’attendrait à ce
qu’on continue de parler de Seth ou d’Enosh, mais on revient plutôt à Abraham
en 5,1. Aucune suite logique entre Gn. 19,38 et 20,1. « Il partit de là ». D’où ?
C’est la suite de 19,29 évidemment. Entre 19,38 et 20,1, il y a incontestablement
une véritable rupture de la trame narrative. Ex. 4,19 est la suite logique d’Ex.
2,23 sur la mort de Pharaon. Les admonestations (avertissement sévère,
remontrance, réprimande) de Moise en Nb. 16,12-15 ont pour suite logique non
les vv. 16-24 mais les vv. 25ss.

On constate également la présence de nombreux doublets: des


versions d’un même fait, mais avec des différences notables. Le Pentateuque
comporte deux récits de création (Gn 1,1-2,3; Gn 2,4-3,24), deux récits de
conclusion d'alliance entre Dieu et Abraham (Gn 15 et 17), deux récits de
l'expulsion de Hagar (Gn 16 et 21,9ss), deux récits de vocation de Moïse (Ex 3 et
6), deux versions du Décalogue (Ex 20 et Dt 5), trois récits de la femme du
patriarche livrée au harem d’un roi étranger (Gn. 12,10-20 ; 20 ; 26,6-14). S’agit-
il d’Abraham ou d’Isaac, de Sara ou de Rebecca, de Pharaon, roi d’Egypte ou
d’Abimelek, roi des Philistins ? La loi de l’esclave est donnée deux fois (Ex. 21 et
Dt. 15) ; du meurtre on a trois textes Ex. 21, Dt. 19 et Nb. 35 ; le catalogue des
fêtes revient cinq fois Ex. 23,14ss, 34,18ss, Dt. 16,1ss ; Lv. 23,4ss ; Nb. 28 et Nb.
29 ; on a aussi au moins 5 législations sur les dîmes : Lv. 27,39ss ; Nb. 28,21ss ;
Nb. 26-32 ; Dt. 14 ; Dt. 26; etc.

La revalorisation des langues bibliques au moment de la Réforme


permettait de se rendre compte des différences de style, de vocabulaire et de
syntaxe, différences qui ne permettaient guère de maintenir l'idée d'un seul
auteur. Ce qui frappa surtout les esprits, c'était le recours variable dans les
textes à "Yhwh"(Gn. 16 ; Gn. 39,3.23) et à "Elohim"(Gn. 21,9 ; Gn. 40 ; 41) pour
désigner le Dieu d'Israël.

Une manière assez évidente de tenter de résoudre le problème des


contradictions, des doublets et de différentes appellations du nom divin fut de
répartir les passages conflictuels sur différentes sources, sur divers documents
ou sur des couches rédactionnelles différentes. C'est à partir de ces deux noms
différents que le pasteur et orientaliste allemand Henning Bernhard Witter et le
français Jean Astruc, médecin de Louis XV, élaborèrent, vers le milieu du 18 e s.,
pour la première fois et chacun de manière indépendante, une théorie des
sources du Pentateuque2. En 1753 Astruc publia les "Conjectures sur les
mémoires originaux dont il paraoit que Moyse s'est servi pour composer le Livre
de la Genèse". Son but était apologétique. Pour défendre l'authenticité mosaïque
du Pentateuque, Astruc postulait que Moïse aurait eu à sa disposition deux
documents principaux, le "mémoire A", utilisant le nom d'Elohim et débutant en
Gn 1 et le "mémoire B" caractérisé par l'emploi de "Yhwh" et commençant en Gn
2,4. Ainsi la première version d'une théorie documentaire était née, théorie qui
allait profondément marquer l'exégèse historico-critique moderne. [Pour H.B.
Witter qui publie en 1711 une étude sur Gn 1-3 dans laquelle il fait remarquer la
différence entre les noms divins d’Elohim (1,1-2,4a) et Yhwh Elohim (2,4b-3,24),
Moise a dû utiliser diverses « sources » pour composer le Pentateuque.

C - LES PREMIERES HYPOTHESES EXPLICATIVES

Dès lors que l’on avait admis l’existence de différentes « sources »


(l’aspect apologétique de l’entreprise d’Astruc fut vite oublié), il fallait un modèle
pour expliquer comment ces sources avaient été réunies pour former le
Pentateuque dans sa forme finale. Dès le 18 e siècle, plusieurs modèles furent
proposés ; les spécialistes se divisèrent en trois groupes et proposèrent trois
théories principales sur l’origine du Pentateuque : l’hypothèse des documents,
l’hypothèse des fragments et l’hypothèse des suppléments.

La publication des « conjectures » d’Astruc fut à l’ origine de la


théorie dite documentaire. En Allemagne, Johann Gottfried Eichhorn va reprendre

2
Cf. A. Lods, "Un précurseur allemand d'Astruc, Henning Bernhard Witter", ZAW 42, 1925, pp.134-135; R.
de Vaux, "A

propos du second centenaire d'Astruc. Refléxions sur l'état actuel de la critique du Pentateuque", SVT 1, 1953, pp.182-198.
le travail d’Astruc et l’affiner. Il défendra encore l’origine mosaïque du
Pentateuque, mais changera d’opinion après les découvertes de de Wette.

Selon l’hypothèse des documents (hypothèse documentaire), qui


reprend les idées de Astruc et Eichhorn, le Pentateuque actuel a été composé à
partir de plusieurs trames narratives, indépendantes les unes des autres et
rédigées à des époques différentes, relatant chacune la même « intrigue », mais
avec des accents idéologiques différents (un peu comme les Evangiles dans le NT).
Ces documents auraient été réunis les uns aux autres par des rédacteurs
successifs. Pourquoi l’a-t-on abandonnée pour penser à d’autres théories ? C’est
surtout à cause de la difficulté de reconstruire ces trames parallèles, c’est cela
qui amenait d’autres exégètes à favoriser l’hypothèse des fragments.

Celle-ci (l’hypothèse des fragments) fut proposée pour la première


fois par un prêtre catholique d’origine écossaise, Alexander Geddes (1737-1802)
qui étudia l’allemand afin de pouvoir suivre les progrès de l’exégèse en Allemagne.
Son hypothèse suppose qu’à l’origine du Pentateuque se trouvent un nombre
important de textes narratifs et législatifs, textes séparés et incomplets (= épars et
isolés), sans continuité narrative. Ces fragments auraient été réunis bien
longtemps après la mort de Moise par plusieurs rédacteurs responsables du
cadre chronologique du Pentateuque. Elle aussi était insatisfaisante parce qu’il
est difficile d’admettre que toute la trame narrative de la Tor ȃ était seulement le
résultat d’interventions rédactionnelles. Deux autres noms restent collés à cette
hypothèse pour l’avoir affinée et défendue en Allemagne : Johann Severin Vater et
Wilhelm de Wette.

L’hypothèse des compléments naquit un peu plus tard. Les


spécialistes en attribuent souvent la paternité à Heinrich Ewald. Mais pour être
plus exact, il conviendrait de dire qu’il en a suggéré l’idée sans jamais la défendre
en tant que telle. Ewald postulait d’un document de base contenant le « noyau »
du Pentateuque (Grundschrift), qui aurait reçu au cours des siècles de nombreux
compléments. Ce modèle, si séduisant fut-il pour certains, ne parvenait
cependant pas à expliquer l’existence de traditions parallèles dans le
Pentateuque.
En effet, au début du 19 eme siècle, où l’on voit la critique rationaliste
triompher, aucun modèle n’était suffisamment développé ni argumenté pour
pouvoir s’imposer dans la compréhension de la formation du Pentateuque. En
fait, les exégètes critiques étaient surtout occupés par la contestation du
Pentateuque comme document historique.

D- MYTHE OU HISTOIRE ?

Jusqu’au 16e siècle, la Bible était considérée comme un document


absolument digne de foi, sur tous les niveaux (cf. Galilée !), donc aussi sur le plan
de l’histoire. Par conséquent, le Pentateuque donnait toutes les informations
concernant la naissance du monde, de l’humanité et du peuple d’Israël. On ne
pouvait imaginer un clivage entre l’histoire « scientifique » et « l’histoire du salut ».
Ce sont surtout les représentants des Lumières qui contestaient la valeur
historique du Pentateuque.

L’histoire des origines (Gn. 1-11) fut la première dont on mettait en


doute les renseignements historiques. Le théologien reformé Isaac de la Peyrère
chercha, en 1655, à fournir la preuve qu’Adam ne pouvait être l’ancêtre de
l’humanité tout entière. Selon lui, Adam était seulement à l’origine du peuple juif.

Voltaire écrit dans son « Dictionnaire philosophique » (1764) que


l’histoire d’Abraham était une récupération des fables babyloniennes et que « le
juifs firent… de la fable ancienne ce que leurs fripiers font de leurs vieux habits ;
ils les retournent et les vendent comme neufs le plus chèrement qu’ils peuvent 3.

En même temps se développa une lecture « rationaliste » des textes


miraculeux. Un des meilleurs exemples de ce type d’approche est l’ouvrage de
J.G. Eichhorn De Aegypti anno mirabili (1818), où il explique le cycle des plaies
comme une immense supercherie de Moise, exploitant simplement des
phénomènes naturels.

Il est évident que ces nouvelles lectures, enlevant au Pentateuque


son rapport direct à l’Histoire et le rendant ouvert à l’esprit scientifique,

3
Dictionnaire philosophique, art. « Abraham », Paris, 1964.
signifiaient un immense déplacement dans l’interprétation des premiers livres de
la Bible.

Ce déplacement est particulièrement visible dans les travaux de l'exégète


suisse de Wette4. En 1805 il publie une thèse dans laquelle il identifie le livre – qui
selon 2 Rois 22-23 aurait été à l'origine de la réforme de centralisation du roi Josias
(vers 622 avant notre ère) - à la première édition du Deutéronome. Aussi bien, ce livre
ne peut il être guère plus ancien que la Réforme qu'il légitime. Il doit donc dater du 7 e s.
avant notre ère. Cela signifiait que le point d'ancrage chronologique du Deutéronome se
trouvait en dehors des événements relatés dans le Pentateuque. Il s'ensuit pour de Wette
que les récits "historiques" du Pentateuque sont plutôt à caractériser comme des
"mythes", qui peuvent certes édifier la foi, mais qui ne doivent pas être utilisés au
premier degré pour reconstruire l'histoire d'Israël. La dissociation entre "Histoire sainte"
(dans la terminologie de de Wette: "mythologie") et l'Histoire de l'historien était dès lors
irréversible.

E - L’ELABORATION DE LA THEORIE DES DOCUMENTS

L’élaboration du modèle explicatif de la formation du Pentateuque


qui dominera jusqu’en 1970 est attachée au nom de J. Wellhausen. Bien qu’il
n’ait pas lui-même inventé la théorie documentaire, il lui a donné une plausibilité
nouvelle, comme aucun exégète avant lui n’était parvenu à le faire et, pourrait-on
ajouter, comme peu parviendront à le faire après lui.

Selon lui, le Pentateuque s’est constitué à partir de trois ou quatre


documents parallèles : le document Yahwiste « J », le document Elohiste « E », le
Deutéronome « Dt » et le document sacerdotal « P ».

Cette idée était déjà envisagée bien avant Wellhausen, mais l’ordre
chronologique des différents documents n’était pas encore très clair. Pour
formuler cette conclusion, Wellhausen a eu besoin des travaux antérieurs de

4
Cf. J.W. Rogerson, W.M.L. de Wette. Founder of Modern Biblical Criticism. An Intellectual Biography;
JSOT Suppl. Series 126, Sheffield, 1992.
beaucoup d’autres. Signalons, avant de voir comment il a donné la chronologie
des différents documents, que le document contenant la législation sacerdotale
(P) (grosso modo Ex.25ss, Lv., Nb. 1-10 ainsi que les textes narratifs faisant
apparaître le même style) était longtemps considéré comme le document le plus
ancien.

LA TRANSITION VERS WELLHAUSEN

1) => De Wette

Toutes les hypothèses formulées cherchent à montrer comment le


Pentateuque s’est formé à travers l’histoire d’Israël, mais elles ne se posent pas la
question de savoir comment les diverses étapes de cette histoire auraient pu
influer sur la rédaction de la Tôrâ. Il manquait un « lien » historique qui
pouvait permettre de dater les différentes sources, fragments ou
suppléments. Ce pas fut franchi avec les travaux de Wilhelm Martin Leberecht
de Wette (1780-1849).

Dans sa thèse publiée en 1805, de Wette identifie le livre du


Deutéronome, au moins dans sa version la plus ancienne, avec le « livre » trouvé
dans le Temple sous le règne de Josias. Il arrive à cette conclusion après avoir
observé que la réforme de Josias (2R 23) correspond pour une large part aux
exigences cultuelles des lois deutéronomiques. Les articles principaux de cette
réforme sont la centralisation et la purification du Culte.

Les lois ou les récits qui ne présupposent pas la centralisation du


culte à Jérusalem, dit-il, doivent être antérieurs à la réforme de Josias, en 622
av. J.C. ; les textes législatifs ou narratifs qui en tiennent compte sont
logiquement postérieurs.

Aussi bien, ce livre ne peut pas être plus ancien que la Réforme qu’il
légitime. Il doit donc dater du 7 e siècle av.J.C. Cela signifiait que le point
d’ancrage chronologique du Deutéronomique se trouvait en dehors des
événements relatés dans le Pentateuque.
2) => De de Wette à Wellhausen

Vers 1800, un grand nombre d’exégètes distinguait deux sources


principales pour le Pentateuque : l’Elohiste et le Yahviste, selon le nom divin
qu’utilisait le livre de la Genèse et Ex 1-2. L’Elohiste offrait un récit plus articulé
qui structurait l’ensemble de l’histoire. En outre il apparaissait plus fidèle à
l’histoire puisque le nom divin Yhwh n’avait été révélé qu’au temps de Moise (Ex
3,14 ; 6,3). Pour ces raisons mêmes, il était considéré comme plus ancien et
appelé Grundschrift (récit fondamental). Trois œuvres importantes vont changer
ce paysage académique avant l’arrivée de Wellhausen.

En 1798, Karl David Ilgen distingue deux « Elohistes », l’un plus


ancien, l’autre plus récent. Le premier deviendra le « récit sacerdotal » de
l’hypothèse documentaire classique ; l’autre est l’Elohiste préexilique. Ilgen
pensait que ces documents faisaient partie des archives du temple de Jérusalem,
dispersées lorsque l’armée babylonienne détruisit la ville en 587/586 av. J.C. La
découverte de Ilgen sera ignorée jusqu’à ce que Hupfeld lui redonne vie en 1853.

Hermann Hupfeld écrit une importante étude sur les « sources de la


Genèse ». Il offre deux importantes contributions à l’exégèse de son temps. Tout
d’abord il démontre la validité de l’hypothèse documentaire contre l’hypothèse des
fragments et celle des compléments. Deuxièmement, tout comme Ilgen, mais sans
le connaître, il distingue deux Elohistes, l’un plus ancien et l’autre plus récent. Il
y a donc, selon Hupfeld, trois sources à l’origine de la Genèse qui sont, dans leur
ordre chronologique : le premier élohiste (qui deviendra le récit sacerdotal), le
second élohiste (l’élohiste de l’hypothèse documentaire classique) et, enfin le
Yahwiste. Cet ordre devait encore changer.

Un an plus tard, en 1854, Riehm (1830-1888) sépare définitivement


le Deutéronome du reste du Pentateuque pour en faire une source indépendante.

Désormais tout est prêt pour l’élaboration d’une hypothèse complète.


Les exégètes ont identifié quatre sources : deux Elohistes (E1 et E2), un Yahwiste
(J, de l’allemand Jahwist) et le Deutéronome (D). Ils ont à leur disposition un
solide point d’ancrage en ce qui concerne la chronologie : le lien entre le
Deutéronome et la réforme de Josias en 622 av.J.C. Il leur reste une tache à
accomplir : donner aux différents éléments leur place exacte.

3) => Reuß, Graf, Kuenen et Wellhausen:

En 1833, un professeur strasbourgeois, Edouard Reuß eut


l’intuition que les lois cultuelles et sacerdotales du Pentateuque reflétaient
apparemment une époque tardive de l’histoire d’Israël, parce que les prophètes
préexiliques ignorent ces prescriptions de la loi mosaïque. Ceci fait supposer que
ces lois rituelles (cultuelles et sacerdotales) sont très proches de textes
postexiliques tels que ceux d’Ezéchiel. Ces lois devraient donc être postexiliques.
Reuß, cependant, ne publie pas ses recherches. Son disciple et ami, Karl
Heinrich Graf, démontra en 1866 la validité des intuitions du maitre. Graf
observa que ni le Deutéronome, ni les livres prophétiques, ni les livres historiques
ne connaissent la législation sacerdotale telle qu’elle apparaît dans la Tôrâ.
Celles-ci avec leur cadre narratif (= le document sacerdotal), devaient dès lors être
datées de l’époque exilique, voire postexilique. Cette redéfinition de la chronologie
relative des différents documents devint alors l’un des piliers sur lesquels
Wellhausen allait bâtir sa théorie de la formation du Pentateuque.

En s’appuyant sur les conclusions de Reuß et de Hupfeld, Graf


affirme que l’élohiste doit être non la première mais la dernière des sources du
Pentateuque et qu’il n’a pu être écrit avant l’exil. De manière indépendante, le
grand exégète hollandais Abraham Künen aboutit aux mêmes conclusions en
1869. C’est lui, le premier, qui appellera cet élohiste Priestercodex (code
sacerdotal), et lui donnera comme sigle la lettre P.

Julius Wellhausen donnera à ces études une forme classique et


définitive. Le succès de ses théories est dû en grande partie à la clarté de son
exposition et à la limpidité de son style. Selon Wellhausen, le Pentateuque est le
résultat de la combinaison de quatre (trois !) documents : le document Yahwiste
(« J » à cause de la préférence de ce document pour le nom divin Yhwh), le
document élohiste (« E », ce document préfère le nom Elohim), le Deutéronome
(D) et le document sacerdotal (P).
Contrairement à ses successeurs, Wellhausen resta extrêmement
prudent quant à une datation précise de ces documents. “J” et “E” sont pour lui
des sigles regroupant chacun plusieurs documents (J1, J2, E1, E2, etc.). Une
différenciation de ces sources lui paraît souvent difficile, et il préfère les regrouper
sous le sigle JE (Jehowist). JE daterait de l’époque de la monarchie (8 ème siècle ?),
« D » de la fin de la monarchie, à l’époque de Josias (vers 620), et « P » serait à
situer aux alentours de 500 (début de la période postexilique).

Pour Wellhausen, « JE » et « P » sont également attestés dans le livre


de Josué, dont les récits de la conquête de la terre promise constituent
l’aboutissement du thème du « pays ». C’est ainsi qu’on se mit à parler d’un
Hexateuque, à la suite de Wellhausen.

F. LES DOCUMENTS COMME REFLETS DE L’EVOLUTION DE LA FOI


VETEROTESTAMENTAIRE

Pour Wellhausen la théorie des documents n’était pas uniquement


un outil d’analyse littéraire, elle lui fournissait aussi la clé de l’évolution de la
religion vétérotestamentaire. Chaque document reflète pour lui une étape décisive
de cette évolution : JE la monarchie, D la réforme de Josias (à la suite de
l’identification proposée par de Wette du D primitif avec le livre mentionné en 2R
22-23), P la période postexilique de la « restauration ».

L’enquête qu’il mène à partir de cinq institutions (le lieu du culte, les
sacrifices, les fêtes, le clergé, la dîme) fait apparaître chaque fois le même schéma
d’évolution : pluralité, centralisation, ritualisation. Il en arrive ainsi à distinguer
trois grandes périodes dans la religion d’Israël : les débuts de la monarchie, la
reforme deutéronomique et la période postexilique (le second Temple).

A ces trois étapes correspondent trois moments d’activité littéraire.


Au début de la monarchie furent écrits le Yahwiste puis l’élohiste ; le
deutéronome est évidemment né au moment de la reforme deutéronomique de
622 av. J.C., et les écrits sacerdotaux remontent à la période postexilique.
Cette vision évolutive de la religion d’Israël confirme Wellhausen
dans l’idée que la Loi n’est à l’origine ni de l’Israël ancien, ni du Pentateuque,
mais qu’elle devient le fondement du judaïsme à partir de l’époque postexilique.

La religion du Yahwiste est naturelle, spontanée, libre et


authentique. Avec le deutéronome commence un processus de « dégénérescence »
accompagnée d’une progressive centralisation et ritualisation de la religion. Les
règles prennent la place de la spontanéité. Ce processus arrive à son point
culminant avec la religion instaurée par le sacerdoce postexilique : le légalisme et
le ritualisme prennent le pas sur la liberté

Voici comment Wellhausen donne de la lumière sur les fondements


de sa théorie de l’évolution religieuse.

 Sur le lieu du culte : La première période correspond à la monarchie. Elle est


représentée par la source JE qui présuppose une pluralité de lieux de cultes
(temples, sanctuaires patriarcaux, etc.). Plus tard, Josias va centraliser le culte à
Jérusalem et son programme sera donné en Dt 12. Quant à la source P, elle
suppose la centralisation comme acquise et la transpose dans les récits des
origines (cf. le tabernacle dans le désert, dont la construction en Ex 25-40 est
relatée comme l’achèvement de la création du monde).

 Sur les sacrifices : A l’époque monarchique, les sacrifices ne sont pas


réglementés. Ils sont liés à la nature et pratiqués dans le cadre familial. Lorsque
Josias centralise le culte à Jérusalem, les laïcs ne peuvent plus exercer une
fonction liturgique, qui devient l’apanage des prêtres. La source P témoigne de la
ritualisation définitive du sacrifice à l’époque postexilique.

 Sur les fêtes : Pour la source JE (cf. ex 23,14-19 ; 34,18-26), les fêtes sont
purement agraires, visant la fertilité du sol et l’abondance des récoltes, ce qui
trahit, selon Wellhausen, leur origine cananéenne. Pour D (cf. 16,1-17), les fêtes
sont historisisées, c’est-a-dire mises en rapport avec les événements historiques
décisifs de l’histoire d’Israël (notamment la sortie d’Egypte, cf.Dt16). Pour P, les
fêtes, tout en gardant leurs références « historiques » sont ritualisées et
« dénaturalisées ». (Lev. 23, 1-44 ; Nb 28,29).
 Sur le clergé : A l’époque monarchique, chaque sanctuaire avait son clergé
particulier (1 S 21,2). Josias supprime les sanctuaires locaux et tente de ramener
les lévites à Jérusalem (Dt 18,6-8), mais en vain (cf. 2 R 23,9). Les lévites sont
alors réduits au rang des simples serviteurs pour avoir continué à servir dans les
hauts lieux. Pour P, cette situation est confirmée et le sacerdoce légitime est entre
les mains des fils d’Aaron, avec à leur tête le grand prêtre revêtu des insignes
royaux (manteau et onction), et véritable chef de la théocratie.

 Sur la dîme : Avant l’exil, la dîme n’est qu’une taxe royale (1 S 8,15), mais après
elle devient une redevance due aux prêtres (Nb 18,24).

Cette vision évolutive de la religion d’Israël confirme Wellhausen


dans l’idée que la Loi n’est pas à l’origine de l’ancien Israël ni du Pentateuque,
mais qu’elle devient le fondement du judaïsme à l’époque postexilique.

ATTENTION et N.B. : On peut dès lors constater une convergence


entre les résultats de l’exégèse historico-critique et les options théologiques du
protestantisme, puisque dans les deux cas la Loi est considérée comme quelque
chose de « secondaire ».

Avec la disparition de la liberté ancienne et des ambitions


hégémoniques et politiques d’Israël, la loi sacerdotale devient omniprésente et la
théocratie (instaurée par les prêtres) se mue en une hiérocratie du second
Temple. Selon Wellhausen, les récits yahwistes de l’époque patriarcale sont le
reflet d’une religion agraire liée à la nature, et où Yhwh est célébré comme un
dieu national et guerrier.

Wellhausen présente alors un schéma évolutionniste de l’histoire


d’Israël inspiré de la vision hégélienne du monde :

1. L’époque monarchique : l’état naturel de la religion (source JE): thèse

2. Juste avant l’exil: émergence de l’originalité d’Israël (source D) : antithèse

3. Période postexilique : Point culminant de la spécificité d’Israël (source P) :


synthèse.
3. LES PRESUPPOSES IDEOLOGIQUES ET PHILOSOPHIQUES DU

SYSTEME DE WELLHAUSEN.

Le monde ambiant de l’époque

Les exégètes du 19ème siècle vivent dans un monde intellectuel influencé par la
« philosophie des Lumières » ou « illuminisme » (en allemand Aufklärung) qui revendique
l’autonomie de la raison face à toute forme d’autorité. Le monde chrétien (protestant et catholique)
répond à ce défi en essayant de concilier foi et raison, lecture critique de la Bible et interprétation
religieuse de son message. Concrètement se manifeste la nécessité de séparer le contenu religieux
de la Bible de certaines hypothèses ayant trait à son origine.

Un autre mouvement (« le romantisme ») exerça une influence considérable sur les
exégètes pendant le 19ème siècle, et tout particulièrement en Allemagne. Son héraut dans le monde
de l’exégèse est Johann Gottfried Herder (1744-1803), célèbre pour son livre Vom Geist der
hebräischen Poesie. Herder donnera à de nombreux exégètes le goût des manifestations originelles,
spontanées et naturelles de la culture biblique. Pour cette raison naît le désir de retrouver dans le
passé les moments où la pensée était encore « vierge » et exempte de toutes les déviations
postérieures. Pour cette même raison se développe une attitude négative envers les périodes plus
récentes de l’histoire biblique, tout particulièrement l’époque postexilique, marquée, selon ces
auteurs, par un légalisme et un pharisaïsme exacerbés.

Enfin, dans le monde universitaire germanique (au 19ème toujours) prédominent les
catégories de l’« histoire ». Pour les historiens et les exégètes de cette époque, les cultures
connaissent des phases de développement analogues à celles du monde biologique : après la
naissance vient la période créative de la jeunesse, puis la maturité qui correspond à un premier
déclin des énergies vitales, et enfin la décadence de la vieillesse qui prélude à la mort.

Comme pour le romantisme, l’évolution n’est pas perçue comme une chose
positive, parce qu’elle ne conduit pas vers un sommet. Au contraire, l’évolution est cause de
sclérose, de déclin, de dépérissement de toute forme de vie intellectuelle et religieuse.

===> Il est assez clair que le système de Wellhausen trahit une


certaine influence de la philosophie hégélienne, en ce qui concerne l’idée de
l’évolution qui devient la grille de lecture de toute l’histoire de l’Israël
ancien. Cependant pour Wellhausen cette évolution n’aboutit pas à une
apothéose, mais plutôt à une décadence. Il existe de nombreux passages,
où Wellhausen caractérise le judaïsme des périodes perse et hellénistiques
dans les termes qui frôlent l’antisémitisme. La période de l’histoire d’Israël
qui a toutes les faveurs de Wellhausen est celle de la monarchie, telle
qu’elle est reflétée par le document JE. On peut y voir l’influence du
romantisme allemand, comme on l’a souvent dit. Mais cette préférence
monarchique de Wellhausen se comprend mieux encore dans le contexte
de la création de l’Empire allemand en 1871. Wellhausen, qui admirait le
Kaiser, a eu l’occasion de tenir devant lui un discours comparant la
naissance de la monarchie israélite et celle de l’empire allemand de
Bismark. Cette surévaluation de la période monarchique chez Wellhausen
est hautement problématique, puisqu’elle le conduit à voir dans la suite de
l’histoire d’Israël un processus de dégénérescence croissant vers un
judaïsme ritualiste et légaliste, processus qui culmine selon lui à l’époque
postexilique.

Les critiques provenant des milieux conservateurs chrétiens et


juifs furent virulentes. Elles provoquèrent la démission de Wellhausen de
la faculté de Théologie de Göttingen ; celui-ci enseigna des lors la philologie
sémitique à la Faculté des Lettres. Mais très vite, son modèle de la
composition du Pentateuque s’imposa à de nombreux exégètes sur le plan
universitaire, dans le monde académique. (Si la partie de l’évolution de la
Révélation vétérotestamentaire lui a causé des problèmes, l’autre partie de
la formation du Pentateuque lui a fait honneur.)

A partir de ce moment, l’hypothèse documentaire assume une


forme classique, familière à quiconque lit une introduction au
Pentateuque. On relève quatre sources : le J, écrit dans le Sud au IXème
siècle ; le E, écrit un siècle plus tard, environ, dans le royaume du Nord et
fut influencé par les premiers prophètes (VIIIème siècle) ; le D qui, en son
noyau le plus ancien, remonte à la reforme de Josias en 622 av.J.C ; enfin
le P, une œuvre datant de l’exil ou du retour de l’exil.
Selon toute probabilité, le Pentateuque actuel aurait été
compilé à l’époque du second Temple : nombreux sont ceux qui lient cette
rédaction à la reforme d’Esdras (cfr Ne 8)

MODIFICATIONS ET ACHEVEMENT DE LA THEORIE DOCUMENTAIRE

Le modèle explicatif du Pentateuque conçu par Wellhausen


était basé presque exclusivement sur la méthode de la critique littéraire.
Chez les exégètes qui adoptèrent ce modèle, on peut observer, au début du
20ème siècle, une certaine exagération de cette méthode. Chaque répétition,
chaque digression dans le texte fut considérée comme la preuve d’une
fusion de plusieurs documents. Ainsi le Yahwiste fut bientôt subdivisé en
J1, J2, etc., puis encore en L (source « laïque », cf. Eissfeldt) et en N
(source « Nomade », cf. Fohrer). E et P connurent des destins comparables.
La prolifération des couches rendait progressivement impossible un
consensus sur le détail et fait apparaître les limites d’une approche de
critique littéraire. Cela provoquait un réel malaise et une désaffection pour
cette méthode qui ne réussit plus à définir ses propres limites. (On pouvait
aller jusqu’ à l’infini en trouvant toujours les différents documents des qu’il
y avait répétition ou digression)

Il fallait alors chercher une autre méthode pour expliquer la


formation du Pentateuque, car la critique littéraire avait déçu. On observe
alors le déplacement de l’exégèse historico-critique vers une méthode
cherchant à prendre compte les traditions (orales) des textes du
Pentateuque ainsi que leur contexte sociologique. Cette autre méthode
trouve ses racines profondes dans la Religionsgeschichtliche Schule, l’école
de l’histoire des religions.

Il faut rappeler que la Religionsgeschichtliche Schule était


fortement marquée par les découvertes archéologiques en Mésopotamie,
qui avaient fait connaître des textes assyro-babyloniens.

Dans la seconde moitié du 19eme siècle, deux facteurs importants


vont apparaître et influenceront dans la suite le monde intellectuel et
exégétique : les découvertes du Moyen-Orient ancien et le goût pour la
littérature populaire. Les publications des découvertes en Mésopotamie
fournissaient désormais un abondant matériel comparatif. On pouvait alors
comparer ce qui se faisait en Mésopotamie avec ce qui se faisait dans d’autres
cultures. Le premier ouvrage qui eut un impact important sur les recherches
exégétiques fut celui de George Smith, Chaldean Account of Genesis. Le livre se
fonde sur la onzième tablette de l’épopée de Gilgamesh qui contient un récit du
déluge. Cette publication fit l’effet d’une bombe, car il bouleversait quelques
idées simples sur le caractère unique de la révélation biblique.

Ce déplacement de méthode en exégèse est étroitement lié au nom


de GUNKEL, qui adhéra à la Religionsgeschichtliche Schule parce qu’il en
était un partisan enthousiaste. Cette école de l’histoire des religions
accordera une grande place à la comparaison entre phénomènes similaires
dans les différentes religions et cultures de l’Antiquité.

5. GUNKEL et la « Formgeschichte »

GUNKEL a étudié le livre de la Genèse, les psaumes et les


prophètes. Dans son étude sur la Genèse il voulait montrer comment le
matériel de ce livre a été emprunté à d’autres cultures et adapté aux
besoins des Israélites. « La Genèse est une collection de légendes » : telle
est la première proposition et le Leitmotiv du commentaire de GUNKEL sur
la Genèse. Ce slogan implique entre autres, que les « auteurs » des
sources du Pentateuque ne sont pas les inventeurs des matériaux qu’ils
rapportent, mais qu’ils sont avant tout des collectionneurs et des éditeurs
de récits populaires, des légendes et des traditions orales.

Les sources J, E, D et P représentent pour GUNKEL un stade


déjà tardif dans le devenir du Pentateuque. A l’origine des parties
narratives se trouveraient des légendes autonomes, constituant des unités
primitives. [= Au commencement ces unités n’avaient pas de relation
particulière l’une avec l’autre, mais avec le temps, elles se sont rattachées
à quelques figures favorites comme Abraham, Jacob, Isaac… Ce n’est que
plus tard qu’elles furent englobées dans des unités plus grandes, à savoir
les documents connus comme J, E, etc., qui finalement furent réunis. En
d’autres termes, les cycles de légendes s’étaient déjà constitués avant de
tomber entre les mains de l’éditeur Yahwiste ou Elohiste. Toutes ces
légendes étaient transmises par voie orale. Quand elles furent mises par
écrit, elles avaient une longue histoire derrières elles.  Valorisation des
traditions orales.

Il étudia par exemple les différentes formes littéraires qu’ont


prises les thèmes du récit de la création : océan primordial, dragon,
lumière et ténèbres, jusqu’à la synthèse finale de Gn,1. Il brosse ainsi
l’histoire d’une forme littéraire donnée, depuis ses origines jusqu’au point
d’aboutissement, sa reprise dans la Bible. On voit ainsi la différence entre
le récit babylonien de la création par Marduk et le récit biblique de la
création. Ainsi l’histoire littéraire d’Israël fut vraiment, dit Gunkel,
l’histoire des formes. Gunkel est un des fondateurs de la méthode
exégétique dite de la Formgeschichte ou histoire des formes.

En valorisant la tradition orale, Gunkel dirigeait l’intérêt de la


recherche vers les étapes pré-littéraires de la formation du matériel
contenu dans le Pentateuque. Le deuxième apport de Gunkel (le premier
étant l’histoire pré-littéraire du Pentateuque et le rôle de la tradition orale)
est celui de l’enracinement des traditions : « Le Sitz im Leben ». Cette
expression qui signifie littéralement « assise dans la vie » signifie que tout
texte est ancré à l’origine dans une situation de communication précise et
dans un contexte sociologique particulier, situation qui se reflète dans la
forme du texte en question.

Gunkel entendait reconstituer les circonstances dans lesquelles


on racontait, par exemple, la vie des patriarches. Il imaginait que, pendant
les longues soirées d’hiver, les anciens occupaient le temps en remémorant
les aventures des ancêtres devant la famille réunie autour du feu.

Avec Gunkel, l’exégèse étudie les récits isolés à leur stade pré-
littéraire. On ne comprend plus la Genèse comme une compilation opérée à
partir de trois ou quatre sources écrites. Les sources ne sont plus des
compositions de grande importance pour l’exégèse.

L’Emergence de l’Israël Pré-Monarchique dans le cadre de la théorie documentaire

On constate depuis Gunkel un intérêt grandissant pour l’Israël


premonarchique et ses institutions religieuses et politiques. Une étude d’A.
Alt sur le « Dieu des Peres » fut particulièrement influente à cet égard.
Dans cet ouvrage, Alt pense pouvoir déceler derrière certains récits de la
Genèse, dans lesquels Yhwh est souvent présenté comme le « Dieu des
Peres », les traces d’une religion nomade et pré-yahwiste. Martin Noth
constitue quant lui, les institutions des tribus israélites à l’époque des
Juges, et notamment celle de l’amphictyonie (ligue sacrale de douze tribus
se partageant les taches d’entretien d’un sanctuaire commun). Par la suite,
il y eut presque une espèce d’euphorie dans la reconstruction de toutes
sortes de fêtes de l’Israël tribal, comme la fête du renouvellement de
l’alliance, la fête des mazzot (pains azymes), etc. les bases textuelles pour
de telles reconstructions étaient cependant très minces.

Au niveau du travail sur les textes, la concentration sur les


« unîtes primitives » fit progressivement surgir la question suivante : par
quel processus ces récits indépendants, à l’origine, sont-ils ensuite
devenus le matériel servant de base aux différents auteurs du
Pentateuque ?

Martin Noth et l’histoire de la transmission des traditions

C’est Noth qui s’efforça de répondre à cette question en se


donnant pour but de retracer l’histoire des traditions du Pentateuque
jusque dans ses dernières rédactions. Mais, tout comme GUNKEL, Noth
accorda la primeur de son intérêt aux stades prélittéraires de la formation
des traditions. Car pour Noth également, tout se joue à l’époque
prémonarchique, le Yahwiste, première source écrite du Pentateuque,
n’ayant eu qu’à agencer et à lier les différentes traditions préexistant.

Pour expliquer le chemin menant des légendes indépendantes


vers des traditions plus complexes, Noth introduisit la thèse selon laquelle
le Pentateuque se serait formé à partir de quelques « grands thèmes ». Ces
thèmes provenaient des milieux producteurs différents, les plus anciens
étant ceux de la sortie d’Egypte et de l’entrée en Canaan. D’autres thèmes
vont ensuite venir s’organiser autour de ces premiers. En d’autres termes,
pour Noth, les différents thèmes qui composent le « Pentateuque » actuel
ont été transmis séparément avant d’être réunis en une œuvre unique à la
suite d’un long processus rédactionnel. Pour cette raison, M. Noth parle
d’une « histoire de la transmission ». Au stade oral, il y avait cinq thèmes
originaux : la sortie d’Egypte, le séjour au désert, l’entrée dans la terre, les
promesses aux patriarches et la révélation du Sinaï.

Pour Noth également, ces traditions furent transmises oralement dans les
sanctuaires. Leur Sitz im Leben est donc cultuel. La substance des traditions était déjà
fixée avant leur rédaction écrite. Quand les auteurs des sources (J, E et P) sont
intervenus, ils se sont contentés de mettre par écrit les traditions qui étaient déjà
parvenues à leur forme quasi définitive. Ils ont donc ajouté bien peu de choses :
l’histoire des origines serait l’œuvre de J et les chronologies celle de P. Noth
démontrait ainsi l’importance de l’histoire des traditions comme champ d’investigation
pour l’exégèse scientifique de l’AT.

Un autre changement provoqué par Noth fut la mise en question du


concept de l’Hexateuque. Depuis Wellhausen, les chercheurs avaient supposé que les
documents du Pentateuque se prolongeaient dans le livre de Josué, lequel était alors
considéré comme partie intégrante, voire comme l’aboutissement de la trame narrative
des premiers livres de la Bible. En préparant un commentaire sur le livre de Josué, Noth
se rendit compte que le matériel contenu dans ce livre (récits et listes) était tellement
différents de celui des sources J, E et P qu’il était impossible de postuler la continuation
de ces mêmes sources en Josué. Cette conclusion se confirma pour Noth lorsqu’il
postula l’existence d’une « histoire deutéronomique » qui aurait contenu les livres allant
de Dt à 2R, et a laquelle le livre de Josué devait nécessairement appartenir. Avec cette
modification du modèle héritée de Wellhausen, ce n’est plus l’Hexateuque, mais un
Tetrateuque (Gn-Nb) qui aurait été à l’origine de la Tôrâ ; le Pentateuque n’aurait vu le
jour que beaucoup plus tard, lorsque le Dt fut retranché de l’histoire dtr.

Le problème de la fin des sources

Si la fin de J ne pouvait plus être cherchée dans le livre de Josué, Noth


restait au moins convaincu que les documents anciens, J et E, avaient comportée un récit
de la conquête. Mais où trouver un tel récit ? Noth était ainsi obligée de postuler que la
fin de J (et de E) avait été perdue ou supprimée lors de la fusion entre le Tetrateuque et
l’histoire dtr puisqu’elle représentait un doublet superflu avec les récits de Josué. Il était
néanmoins évident que cette solution n’était guère satisfaisante.

L’achèvement de la théorie documentaire dans l’œuvre de G. von Rad

On peut sans exagération regarder G.von Rad comme le grand


architecte de la « forme finale » de la théorie documentaire, telle que cette
théorie apparaitra dans les manuels d’introduction ainsi que dans les
ouvrages de vulgarisation (jusqu’aujourd’hui !) Von Rad reformule en fait la
théorie documentaire selon une conception qui envisage la formation de
l’AT sur le modèle d’une « histoire du salut » à la manière de la théologie
dialectique. A l’inverse de son collègue Noth, von Rad restait sceptique par
rapport à l’idée d’un Tetrateuque et continuait à travailler avec la thèse
d’un Hexateuque.

a) Gerhard von Rad et le kérygme d’Israël

Les thèses les plus importantes de von Rad concernent l’origine


de l’Hexateuque et la figure du Yahwiste. A l’instar des autres
représentants de la même école, von Rad cherche dans les origines les
moments les plus authentiques d’une tradition.

- Le « petit credo historique». G. von Rad constate que la


recherche des sources est désormais dans l’impasse. Il lui semble donc
plus intéressant d’étudier la « forme finale» de l’Hexateuque. Pour ce faire,
von Rad applique à l’ensemble de l’Hexateuque la méthode préconisée par
Gunkel : la recherche de la forme ou du genre littéraire et celle du Sitz im
Leben. En ce qui concerne le genre littéraire, il soutient que le Pentateuque
actuel est l’amplification d’un noyau primitif, le petit credo historique,
présent dans des textes anciens comme Dt 26, 5b-9 ; 6,20-23 ; Jos 24, 2b-
13.

Dans ces courtes confessions de foi qui résument en quelques


phrases toute l’histoire d’Israël se détachent deux moments majeurs :
l’exode et le don de la terre. L’histoire patriarcale n’est que rapidement
évoquée au début des textes, tandis que l’histoire des origines (Gn 1-11) et
le don de la Loi au Sinaï en sont complètement absents. Von Rad en tire
une conclusion drastique (énergique, contraignante) : « loi » et « histoire
d’Israël » sont deux « formes littéraires» différentes qui ont chacune leur
propre Sitz im Leben.

Le « petit credo historique» a pour Sitz im Leben la fête des


Semaines ou de la Récolte (Pentecôte) et il se célébrait à Gilgal, non loin du
Jourdain. A la Pentecôte (fête de la Moisson), parce que le texte le plus
ancien (Dt 26,5b-9) est lié à l’offrande des prémices (Dt 26,2-3). A Gilgal,
parce que c’est le lieu où l’on célébrait l’entrée dans la terre promise,
sommet du « petit credo historique » (Jos 4,19-24).

Le don de la Loi, en revanche, était célébré à Sichem, à


l’automne, pendant la fête des Tentes, selon les prescriptions de Dt 31,9-
13. Sichem est le lieu où Josué conclut une alliance entre Yhwh et son
peuple et établit un droit (Jos 24, particulièrement 24,25-26). Le tout fut
consigné dans le « livre de la loi de Dieu » (Jos 24,26). Sichem était donc le
lieu adapté pour une telle célébration.

A partir de ces « credo » cultuels et de la tradition du don de la


loi au Sinaï, le Yahwiste a composé au temps de Salomon la trame
narrative de son Hexateuque.

- Le Yahwiste. Selon Gunkel, le Yahwiste n’était qu’un


compilateur d’histoires qui se situait au terme d’un long processus de
rédaction. Pour von Rad, au contraire, le Yahwiste est une « grande
personnalité », un écrivain et un théologien génial de l’époque
salomonienne. Sa contribution à la composition de l’Hexateuque est
essentielle. Sans lui, nous n’aurions pas la grandiose construction
actuelle. En comparaison, les autres « sources », l’Elohiste (E) et le
sacerdotal (P), ne sont que de pâles figures. Sous cet aspect, von Rad est
encore un disciple de Herder et des romantiques, parce que, pour lui, les
joyaux littéraires sont toujours proches de la source du fleuve.

Quel fut le travail du Yahwiste ainsi conçu ? Il dut surtout


compléter un « credo » encore très succinct et, par la suite, forger des liens
entre les différents éléments de sa composition. - En premier lieu, comme
nous l’avons vu, il a combiné la tradition sur l’histoire du salut avec celle
du don de la loi sur le Sinaï. - Il a ensuite enrichi l’ensemble de traditions
déjà existantes, traditions qu’il a reformulées pour les faire correspondre à
son dessein théologique.

> Le petit credo historique mentionnait seulement Jacob (Dt 26,5). Le


yahwiste y ajouta les traditions sur Abraham et Isaac.

> >Pour relier les histoires patriarcales à l’exode, il insère entre les deux
« l’histoire de Joseph ». Le héros de ce dernier récit représente aux yeux de
von Rad l’idéal de l’administrateur avisé selon l’esprit « éclairé » de la cour
de Salomon.

> > J fit précéder cette partie introductive de l’histoire d’Israël en tant que
peuple d’un « prologue » universaliste, l’histoire des origines (Gn 1-11), qui
a pour cadre l’ensemble de l’humanité.

° Du point de vue théologique, von Rad a pour objectif de


démontrer que la monarchie davidique est, selon le Yahwiste, le sommet de
l’histoire d’Israël. L’œuvre littéraire témoigne de l’esprit d’une époque
« éclairé ». Von Rad ira jusqu’à parler d’une « Aufklärung salomonienne »
(Salmonische Aufklärung). Cette période exerce sur le grand exégète la
même fascination qu’elle exerçait sur Wellhausen. L’idée d’Aufklärung
salomonienne se perçoit surtout dans l’histoire de Joseph, parce que le
protagoniste doit découvrir la volonté de Dieu sans aucune aide
surnaturelle. Dieu ne parle jamais directement à Joseph.
° Certains passages programmatiques expriment clairement le
dessein du Yahwiste, ainsi Gn 12,3. L’oracle forme charnière entre
l’histoire de l’univers (Gn. 1-11) et l’histoire des patriarches,
commencement de l’histoire d’Israël.

Selon von Rad, Gn. 1-11 décrit un monde où le péché et la


malédiction divine augmentent chaque jour davantage. Gn. 12,1-3 marque
un tournant dans l’histoire de l’univers parce que, à ce moment-là,
l’histoire de malédiction se mue en histoire où Dieu promet, par
l’intermédiaire d’Abraham, une « bénédiction pour toutes les nations ». La
promesse divine s’accomplit au temps de David et de Salomon quand Israël
devient une grande nation (Gn. 12,2). Le « grand nom » est celui donné à
David (Gn. 12,2 ; cf. 2 S 7,9).

Les « familles de la terre » sont toutes les populations


rassemblées dans le royaume de David (« la terre ») qui ont la chance de
recevoir, grâce à la dynastie davidique, la bénédiction divine. Gn. 12,3
contient donc vraiment le « kérygme du Yahwiste » (cf. Rm. 3,21-30). 

Le modèle canonique de la théorie documentaire dans les années 1960

A la suite des travaux de von Rad notamment, le consensus


exégétique sur les quatre sources constitutives du Pentateuque peut se
résumer ainsi :

J Date : vers 930 (époque de Salomon)


Etendue : de Gn. 2,4 à Jos 24 ( ?; Fin perdue) :
Textes-clés : Gn. 12,1-3 ; Ex 19,3ss
Théologie : Justification de l’empire davidique.
Dieu accompagne l’homme, malgré ses
faiblesses,
et accomplit ses promesses.

E Date : vers 850-750, dans le Royaume du Nord


Etendue : de Gn. 15* ( ?) à ?
Textes-clés : Gn. 20-22
Théologie : la « crainte de Dieu » ;
E insiste sur le comportement éthique découlant
de cette crainte et est proche des milieux
prophétiques.

D Date : vers 750-620. Origine peut-être dans le Nord,


puis amené par des réfugiés à la cour de Jérusalem.
Etendue : Dt. 5-30
Texte-clé : Dt. 6,4ss
Théologie : alliance, obéissance à la loi et vénération
exclusive de Yhwh :

P Date : vers 550, durant, voire après l’exil.


Etendue : de Gn. 1 à Dt. 34* (Ou quelque part en Jos)
Textes-clés : Gn. 1 ; Gn. 17 ; Ex 6.
Théologie : souveraineté de Yhwh. Importance des institutions
et de la médiation sacerdotale.

La mise en question de la théorie documentaire au milieu des années 70.


a) La découverte de l’importance du phénomène deutéronomique-
deutéronomiste (Dt-Dtr) dans le Pentateuque

Dans son livre sur la théologie de l’Alliance, PERLITT cherche à démontrer


que les textes vétéro-testamentaires ne sont pas antérieurs au mouvement deutéronomique.
Il arrive entre autres à la conclusion que de nombreux passages attribués à J et E devraient
être datés d’une époque plus récente. C’est le cas notamment de Gn. 15, de la péricope du
Sinaï et de Jos 24. Tous ces textes devaient, en conséquence, être interprétés dans une autre
perspective historique.

WEINFIELD complète l’étude de PERLITT. Il fournit pour la première fois


l’inventaire des caractéristiques et théologique des textes deutéronomiques et
deutéronomistes. Enfin, L.ROST, W . RICHTER et HYATT montrent que les «  credos
historiques » de Dt 6, Dt 26 et Jos 24, considérés par von RAD comme « noyau de
l’Hexateuque », étaient en réalité des produits de la théologie deutéronomiste. => ces
différentes prises de positions ont rendu caduques aussi bien le système wellhausenien que
le concept de von RAD sur les origines du Pentateuque.

b) Critique historique

Jusque 1930, les théories sur le Pentateuque étaient liées à une datation très
ancienne des textes Yahvistes. A partir de cette époque, plusieurs avis contraires se font
jour :

1. Des exégètes tels que B. DIEBNER, H. VORLANDER, et d’autres


opinent que (opiner = dire, énoncer son opinion, son avis {dans une assemblée, une
délibération}. Opiner à = donner son assentiment => adhérer, consentir), loin de refléter un
type de religion nomade propre à certains groupes proto-israélites, les mentions du « dieu
des pères » dans la Genèse relevaient des constructions littéraires destinées à établir un
pont, un lien entre les divers récits patriarcaux. Ces récits seraient donc liés à une religion
qui daterait seulement de l’époque monarchique, voire post-exilique.
2. S’agissant des promesses faites aux patriarches, elles auraient été
introduites ultérieurement dans le récit Yahviste. Même la promesse de la terre promise est
remise en question en tant qu’élément des récits originels.

3. L’époque patriarcale : THOMPSON critique les études qui situaient


l’âge patriarcal au 2ème millénaire. Il estime que les récits patriarcaux reflètent l’époque
monarchique.

4. Quant à l’installation en Canaan, le modèle d’une sédentarisation


progressive de groupes nomades venus du désert est rejeté par MENDENHELL,
GOTTWALD et ZUBER. Ce dernier insiste sur le fait que le Proche-Orient ancien ne
connaît pas de développement linéaire du nomadisme vers la sédentarisation. Pour lui,
l’élevage du petit bétail et les transhumances ne sont pas indicatifs d’un mode de vie
nomade.

5. Au sujet de l’amphictyonie des douze tribus : la thèse de l’existence


d’une ligue construite selon le principe de l’amphictyonie est mise en mal par des études
conduites notamment par SMEND et d’autres exégètes. L’appartenance de Juda à une ligue
sacrale de l’époque pré-monarchique est contestée. Le lien historique jusqu’alors admis
entre les traditions du Pentateuque et l’histoire d’Israël pré-monarchique est, lui aussi, remis
en question.

John van SETERS souligne de son côté le fait que la plupart des traditions
en Gn 12 – 25 reflètent le contexte historique du 6 ème siècle, c-à-d l’époque exilique. Pour
lui, le Pentateuque se forme sur une base narrative de base, qui est l’œuvre de J (un
Yahwiste exilique), et qui est ensuite complété par différents ajouts, dont P (rédaction
sacerdotale). P devient ainsi la rédaction finale du Pentateuque. On retrouve là une
conception proche de celle de von Rad, à la différence près que le Yahwiste de van
SETERS ne se trouve plus à la cour de Salomon, mais il vit à l’époque de l’exil.

SCHMID met aussi l’accent principal sur l’analyse du « soit-disant


Yahwiste ». Le point de départ de son enquête se trouve dans les textes « J » tels qu’ils ont
été délimités par NOTH. Il va réexaminer ces textes quant à leur style, leur vocabulaire et
leur thématique. Les résultats de cet examen sont les suivants :
 tous les textes « J » analysés présupposent le prophétisme classique

du 8ème et 7ème siècles.

 Tous ces textes « J » analysés ont tous des liens étroits avec la
littérature deutéronomique. Ex : - le récit de la vocation de Moise en Ex 3, 10 ss est un
résumé de la vocation de Jérémie et de celle d’Ezéchiel. En imitant ces récits (du 7/6 ème !)
l’auteur d’Ex 3 veut faire de Moise le prophète par excellence. – Les récits de la
désobéissance du peuple dans le désert ( Ex et Nb) [suivent ou ] sont construits selon le
même schéma de «  faute et sanction » que l’on retrouve dans l’historiographie
deutéronomiste (cf par exemple Jg 2, 6ss).

SCHMID fait remarquer aussi que la plupart des traditions « Yahwistes » du


Pentateuque ne se retrouvent, en dehors du Pentateuque lui-même, que dans des textes
exiliques et postexiliques. Il en conclut que les textes dits « Yahwistes » du Pentateuque
doivent être situés (datés) aux alentours de l’exil, et dans la proximité du milieu
deutéronomiste (Dtr).

Martin ROSE.

SCHMID ne s’était pas prononcé clairement sur la relation entre son


« Yahwiste  - qui est exilique - » et l’histoire Dtr. Son élève M. ROSE va s’atteler à cette
tâche. Pour définir la relation entre ces deux ensembles, ROSE compare des textes du
début de l’histoire deutéronomiste avec les textes J/E du Tetrateuque se référant aux mêmes
traditions ( exemple : l’histoire des espions : Nb 13-14 { Tetrateuque} et Dt 1,19ss {histoire
Dtr} ). De telles comparaisons établissent selon M. ROSE, l’antériorité des textes de
l’histoire deutéronomiste => Voyons un exemple de son enquête : Dans le cas du récit des
explorateurs en Nb 13-14 et Dt 1,19ss :

- il n’y a pas d’équivalent en Dt 1 pour la prière d’intercession de


Moise qui existe en Nb 14.

- l’énoncé de Dt 1,37 qui parle de la colère de YHWH contre Moise


serait impossible si le modèle de l’auteur avait été Nb 13-14.
- Nb 14,25 (retour à la mer des Joncs) apparaît comme un motif
aveugle en Nb 13-14, alors qu’il prend tout son sens en Dt 1,40 et Dt 2,1.

=> J doit être daté après la première édition de l’histoire deutéronomiste.

R. RENDTORFF

Cet auteur expose de manière impitoyable et avec d’ironies les incohérences


et les faiblesses de l’hypothèse de quatre documents. Il développe ensuite son modèle
alternatif en reprenant à son compte plusieurs intuitions de NOTH. => Le Pentateuque dans
sa forme actuelle se composerait « d’unités majeures » qui sont toutes caractérisées par une
grande cohérence interne et par une indépendance presque totale à l’égard les unes des
autres. Ces unités sont les suivantes : * l’histoire des origines (Gn 1-11) , * les Patriarches
(Gn12-50), * la sortie d’Egypte (Ex 1-15), * le séjour au désert (Ex 16-18 ; Nb 11-20), * le
Sinaï (Ex 19-24 ; 32-34), * la conquête du pays (Nb + Jos). => Toutes ces unités auraient
été transmises pendant une longue période de manière indépendante, et chacune d’entre
elles aurait connu son propre processus de rédaction avant d’être mise en contact avec les
autres.

- Un autre phénomène qui contribue à l’écroulement de l’hypothèse


documentaire est l’émergence du structuralisme et l’intérêt pour la forme finale du texte.
Dès la fin des années 1960, l’exégèse structurale émerge et s’impose. Celle-ci fait
abstraction du contexte historique du texte et s’attache exclusivement au texte et à sa
structure interne, sous sa forme finale. Cette attention portée à la structure interne d’un texte
et sur les correspondances (ou les relations) entre les mots amènera les exégètes historico-
critiques à s’intéresser davantage aux techniques de composition et aux figures de styles
susceptibles de contribuer à déterminer l’homogénéité ou l’hétérogénéité d’un texte.
CHILDS renforcera l’exégèse structurale en introduisant la notion de « canonical
criticism » et en estimant qu’on ne peut comprendre le Pentateuque que si l’on tient compte
de sa forme d’ensemble canonique. R. SMEND et R. RENDTORFF insistent sur cette
nécessité de prendre au sérieux le texte dans sa forme finale.

4. Quel titre général ?


Ceux qui ont mis en question la dénomination « Pentateuque » ont fourni des
raisons qui valent la peine. Pourquoi alors la tradition grecque a préféré parler de
Pentateuque ? Y a-t-il quelques bonnes raisons de continuer à parler du Pentateuque ?

Cette manière d’organiser les livres de l’AT (Pentateuque, prophètes, Ecrits)


n’en exclut point d’autres. Cependant elle possède une valeur particulière, puisqu’elle tient
compte de la forme canonique, définitive et normative de la Bible pour la communauté de
foi – peuple d’Israël d’abord, églises chrétiennes ensuite.

=>1) Il existe un texte fondamental qui permet de séparer les cinq premiers
livres de la Bible de ceux qui suivent. Il s’agit de Dt 34, 10-12 « Il n’y a plus paru en Israël de
prophète semblable à Moise, que Yhwh connaissait face à face. Nul ne peut lui être comparé
pour tous les signes et les miracles que Yhwh l’envoya faire au pays d’Egypte contre Pharaon,
contre ses serviteurs et contre tout son pays, et pour tous les prodiges de terreur que Moise
accomplit à main forte sous les yeux de tout Israël. »

Ce texte affirme trois choses importantes :

* Moïse est plus grand que tous les autres prophètes. En raison de ceci, la
« Loi de Moïse» est supérieure à toutes les autres formes de révélation. Sa Tôrâ est
incomparable et demeurera toujours valable. En d’autres mots, la révélation faite à Moïse est
supérieure à toutes les autres révélations qui remontent aux prophètes. Pour cette raison,
dans le canon Moise précède les « prophètes antérieurs » (Jos-2 R) et les « prophètes
postérieurs » (Is.-Ml). Il précède aussi les « Ecrits » ou livres sapientiaux. L’autorité du
Pentateuque dépend en fin de compte de l’autorité supérieure de Moïse.

* La supériorité de Moïse dérive de la supériorité de sa relation avec Yhwh


(voir Ex 33,11 ; Nb 12,6-8 ; cf. Jn 1,18 ; 3,11). Yhwh et Moise étaient en contact « direct », sans
intermédiaire ni « écran » (comme dans le songe ou la vision ; cf. Nb 12,6-8)

* L’exode est l’événement fondamental de l’histoire d’Israël. Aucun autre événement


ne peut être comparé à celui-ci. La fondation d’Israël remonte donc à Moïse, et non à David ou à
Salomon. Israël est en fait plus ancien que la monarchie ou/et même que la conquête de la terre
promise.
=>2) La singularité attribuée à la  «Tôrâ  de Moise » par la tradition hébraïque est
aussi mise en relief par le fait que la Tôrâ est devenue le point de référence de n’importe quoi qui a
pu se faire dans l’histoire d’Israël, en commençant par ce que fit Josué (Josué 1,1-8).

* Ce denier n’est pas appelé « serviteur de Yhwh » comme Moïse, mais « ministre de
Moïse » : Il est défini donc dans sa relation subordonnée à Moïse. Le succès de ses aventures serait
essentiellement lié à sa fidélité à « la Loi de Moïse », considéré comme un livre écrit (Jos 1,7-8).

* En considérant le corpus prophétique dans son ensemble (Jos-Ml), on voit que la


Loi de Moïse fait une sorte d’inclusion : au début en Josué (Jos 1,7-8) et à la fin dans Malachie 3, 22-
24. La Tôrâ doit être tenue comme « un souvenir » à maintenir « vif » pour toujours dans la
mémoire d’Israël ; des autres écrits, on attend plutôt qu’ils l’actualisent afin de la maintenir
présente en Israël.

* La 3ème partie de la Bible hébraïque (les K etûbîm) commence par les psaumes. Le ps.1
qui sert d’introduction à toute la 3ème partie de la Bible hébraïque contient lui aussi des allusions à la
Loi. Ps.1,1-3 : Voici quelques affirmations de ce Ps. qui ont pour but de situer le Psautier et les Ecrits
en relation avec la Loi.

§ 1. Le critère qui distingue le juste de l’impie est la méditation de la Loi. La loi
constituera aussi le critère du jugement (Ps. 1,5-6). Ce Ps. applique à l’individu ce que «  les
prophètes antérieurs » affirmaient à propos du peuple.

§ 2. La Loi est appelée « Loi de Yhwh »

§ 3. Le Ps.1 invite à lire tous les Ps et tous les « Ecrits » comme une méditation de
la Loi de Yhwh.

 La conclusion de la Bible hébraïque qui coïncide avec la conclusion des « Ecrits »


se trouve en 2 Chr. 36,22-23. Trois observations de ce texte :

- On ne parle plus de Moïse et de la Loi, mais de Jérémie et de


Jérusalem. La Bible se termine par un rappel à « monter ». Ce verbe pourrait contenir une
allusion à l’exode car une expression qui décrit la sortie d’Egypte contient aussi ce verbe
« monter » (Ex 3,8)
- Le Temple de Jérusalem n’est pas mentionné comme tel dans le
Pentateuque. Mais les textes comme Ex 25-31 ; 35-40 ; les prescriptions cultuelles du
Lévitique ; la Loi sur la centralisation du culte en Dt 12 doivent être lus en relation au
Temple.

- Parmi les derniers livres de la Bible hébraïque se trouvent Esd et Ne ;


lesquels à un stade antérieur, suivaient très probablement les livres des Chroniques. L’ordre
1-2 Chr. – Esdras – Néhémie reflète mieux la chronologie des faits. Or les livres Esd et Ne
culminent dans la proclamation solennelle de la « Loi de Moïse » devant tout le peuple (Ne
8 ; cf. 8,1). Cette loi devient la pierre angulaire de toute la communauté postexilique. Il est
difficile de concevoir le Temple sans référence à la Loi et aux prescriptions cultuelles
contenues dans le Pentateuque. Dans la partie la plus sacrée du Temple, le saint des saints,
se trouve l’arche et dans l’arche on ne trouve qu’un seul objet : les deux tables que Yhwh
donna à Moise sur l’Horeb (2 Chr. 5,10). La Loi est au cœur du Temple. Et le culte suit les
prescriptions de la Loi de Moise (2 Chr. 8,13). Les références à la Loi de Moise sont
également très nombreuses dans Esd-Ne ( Esd 3,2 ; 6,18 ; 7,6 ; Ne 1,7 –8 ; 8,1.14 ; 9,14 ;
10,30 ;13,1).

5. Rapport avec le NT

Pour qui a lu le Pentateuque ou qui connaît plus ou moins la structure du


Pentateuque, il est facile de saisir le rapport qui existe entre lui et le NT.

La vie publique de Jésus, dans les quatre Evangiles, commence sur les rives du
Jourdain, où Jean Baptiste baptise. Pourquoi ce cadre ? Moise est arrivé face au Jourdain avec le
peuple et il est mort sans avoir pu franchir cette dernière frontière. Son œuvre est donc demeurée
inachevée. La conclusion du Pentateuque est une conclusion ouverte en direction de la terre que
Moise contemple. Josué achèvera l’œuvre commencée.

Qui est ce Josué ? C’est celui qui achève l’œuvre commencée ; il complète le
Pentateuque. Jésus est un autre Josué. Les deux noms sont identiques : Josué en est la forme
hébraïque et Jésus la forme araméenne. En Jn 5, le récit de la guérison du paralytique à la piscine de
Bethesda, fait allusion à cette thématique quand Jésus dit : « Moïse a parlé de moi » (Jn 5,46). Moïse
a annoncé que Yhwh avait choisi Josué pour accomplir la promesse faite aux patriarches de donner
la terre au peuple. (Dt 31,1-3.7)

Selon Jn 5, Jésus est ce Josué annoncé. Pour cette raison, les évangiles commencent
sur les rives du Jourdain où le peuple se trouve encore en Dt 34 quand le rideau tombe sur le
Pentateuque et sur Moïse.

Oui, quand Jésus apparaît dans les évangiles, sa mission est semblable à celle de
Josué : il annonce le venue « du Royaume » c-à-d la venue du moment où Israël pourra finalement
prendre possession de sa terre. Le début du NT se présente comme l’accomplissement de l’œuvre
inachevée de Moïse. « Je ne suis pas venu abolir la Loi et les prophètes, mais les accomplir » (Mt
5,17). Cette parole montre quel rôle Jésus a revendiqué par rapport à la révélation qui l’avait
précédé. S’adressant à des Juifs, il suppose acquis tous les enseignements positifs de l’AT. Il les
confirme en les complétant.

=> Quand on lit les paroles de Jésus dans les évangiles, il ne faut donc pas perdre de vue
les textes de l’AT auxquels elles font plus ou moins explicitement allusion.

QUELQUES QUESTIONS PRINCIPALES QU'ON POSE AUJOURD'HUI AUX


CHERCHEURS SUR LE PENTATEUQUE.

l. « HISTOIRE » ET « LOI ».

Le pentateuque se divise de manière égale, entre les textes législatifs et les textes
narratifs. Pour la tradition juive, le Pentateuque est compris comme La Loi d'Israël. Par contre,
la tradition chrétienne l’a lu comme l’histoire d’Israël. Dans les deux cas, Dieu est 1'initiateur à
la fois de 1'histoire et de la Loi. La question essentielle est la suivante : le Pentateuque était-il à
l'origine une histoire ou une loi ?

Si pour Wellhausen et Noth, les lois restent « secondes » par rapport aux récits,
B.J. Diebner se propose de prendre au sérieux la tradition juive de la Torah. II considère les
parties narratives du Pentateuque comme un cadre explicatif et homilétique qui se serait
cristallisé autour de la Loi. Ainsi, la plupart des textes de la Genèse ne seraient rien d'autre que
des midrashim sur la Torah du judaïsme postexilique. C'est la piste de la Torah qui nous
donnerait la clef pour le déchiffrement de la composition du Pentateuque.

Cette position de B.J. Diebner est sans aucun doute excessive, mais elle oblige à
poser plus clairement le problème de la relation entre « Loi » et « Histoire », et de la fonction
de ces deux pôles, lors de la mise en forme du Pentateuque, notamment au moment de la
rédaction finale.

2. LE PROBLEME DE LA REDACTION FINALE.

Les chercheurs s'intéressent aujourd'hui à la «forme finale » ou à la forme


«canonique» du Pentateuque. Aujourd’hui, la question cruciale sur la rédaction finale réside dans
sa relation avec les textes sacerdotaux et les textes « dtr ».

2.1. La rédaction finale et le « P ».

I1 est certain que P a connu et a réinterprété les textes présacerdotaux. Gn 17, par
exemple, réagit sur Gn 15 et Ex 6 sur Ex 3. Une grande question demeure toujours sur P : est-il
un ouvrage indépendant, autonome, ou faut-il voir en lui une couche rédactionnelle ?

La question de la datation de P mérite aussi un nouvel examen : le consensus


ancien sur une date exilique (et une rédaction en Babylonie) paraît ébranlé, et plusieurs auteurs
soutiennent aujourd'hui une date postexilique.

2.2. La rédaction finale et les textes « dtr »

La présence dans le Pentateuque, des textes apparentés à 1'école « dtr » ne peut


plus guère être contestée. Mais il n'existe encore aucun consensus sur la manière d'apprécier la
nature, 1'interconnexion et 1'homogénéité de ces textes. Plusieurs travaux récents tendent à
démontrer que certains textes « dtr » présupposent des textes sacerdotaux. II reste à trouver des
critères permettant de distinguer entre les éventuels textes « dtr » présacerdotaux et les textes «
dtr » qui « deutéronomisent » la théologie sacerdotale.
3. LE PROBLEME DE L'ORIGINE DU PENTATEUQUE.

3.1. Quel projet littéraire était à l’origine du Pentateuque ?

La vieille question d'un « Tétrateuque », d'un « Pentateuque », ou d’un


« Héxateuque » n'est toujours pas encore résolue. La question du projet littéraire qui était à
l'origine du Pentateuque a été posée par Rose et van Seters. Pour Rose,, I'origine du concept doit
être recherchée dans les credos deutéronomiques (dont les plus anciens remontent à 1'époque
de Josias).

Pour van Seters, le concept est né dans 1' .esprit du yahwiste postexilique qui, à la
manière des premiers historiens grecs (Hellanikos, Hérodote, ect), est vu comme un «historien
intellectuel». Comme ses cousins grecs, le yahwiste forge une «tradition nationale» en faisant
usage de mythes et de légendes locales, et en les insérant dans un cadre chronologique
complexe allant des temps x« mythiques » aux « temps historiques ».

Selon Rose, le concept d'origine du Pentateuque serait donc le fruit de la


théologie deutéronomique, tandis que .pour van Seters, il découle de la réflexion individuelle
d'un historien. Dans les deux cas, ce n'est pas avant 1'exil qu'Israël aurait commencé à
ébaucher une vision globale de son histoire et à être en mesure, par conséquent, de produire un
« concept » ou d'élaborer un projet littéraire correspondant à la structure du Pentateuque.

3.2. Quelles unités littéraires ont donné naissance au Pentateuque ?

Rendtorff avait ciblé des « unités majeures » tout à fait hétérogènes. La rupture
la plus évidente se remarque au passage entre 1'histoire des patriarches et celle de 1'exode.
Mais il s’avère plus difficile d'établir l'indépendance des unités majeures à partir du livre de
1'Exode. Exode, désert et Sinaï sont si profondément imbriqués et connectés que l'on ne voit
pas, comment on pourrait postuler une histoire rédactionnelle indépendante pour des unités
présentes dans le complexe Exode-Nombres.

Il faut se demander si Gn 12-35 n'est une «unité majeure» entièrement


autonome. L'histoire des trois patriarches ne fournit-elle pas, dans sa trame la plus ancienne,
une histoire des origines du peuple d'Israël qui se suffit à elle-même. On pourrait même se
demander si Gn 12-35 et Ex-Nb-Jos ne nous présentent pas deux variantes concurrentes des
origines du peuple d'Israël (voir pour cela Os 12). Le rôle du roman de Joseph (Gn 37-SOp
comme élément de liaison entre les deux unités (Gn 12-35 et Ex-Nb) à un stade assez tardif,
puisqu'elle ne semble ni préparée par la vielle geste patriarcale, ni présupposée par le début du
récit de 1'Exode. En Ex 1, seuls les vv. 5b. 6. 8, mal enracinés dans le contexte, semblent
connaître 1'histoire de Joseph, et parmi les nombreux crédos et psaumes historiques, le Ps 105
est le seul à en faire mention. Reste, tout de même, le problème de la préhistoire de ces « unités
majeures ».

3.3. Traditions du Pentateuque dans les autres parties de 1'A.T.

Autre secteur où 1'interruption demeure, c'est celui de 1'attestation des traditions


du Pentateuque dans le reste de 1'A.T., et notamment chez les prophètes. J. Diebner, H.
Vorlànder, H.H. Schmid constatent que beaucoup de thèmes et de personnages n'apparaissent
pas dans la littérature préexilique : notamment Abraham, Isaac, Joseph, la tradition du Sinaï,
etc. La tradition de 1'Exode semble assez bien enracinée dans cette littérature. Que faut-il dire
de ces « a r g u m e n t a s i l e n t i o ? » . L'absence d'une tradition dans les textes bibliques
en dehors du Pentateuque signifie-t-elle nécessairement que cette tradition n'était pas connue
avant l’exil ?

3.4. Le problème de la tradition orale.


Le texte d'Osée 12 suppose qu'au VIIè siècle les traditions de Jacob et de 1'Exode
étaient, non seulement connues, mais présupposées connues chez les auditeurs d'Osée. I1
suffisait au prophète de faire allusion à tel ou tel épisode pour que 1'ensemble de la geste
apparaisse dans leur mémoire. Cela signifie donc que les traditions, indépendamment de leur
mise éventuelle par écrit, circulaient -par voie orale. Il est donc impérieux de s'intéresser à la
transmission orale des traditions du Pentateuque.

CONCLUSION.

La génération des exégètes précédents était habitée par une certaine nostalgie des
origines. La génération de la nouvelle critique est fascinée par 1'exil et par 1'époque postexilique.
Le « grand chantier » du Pentateuque est à nouveau largement ouvert à
1'exploration. Cette tâche est importante parce que son résultat nous permettra de comprendre la
formation du Pentateuque, de renouveler notre vision des théologiens d'Israël, de l'histoire de ses
traditions et de son histoire tout court. Tous ces domaines offrent aujourd'hui encore, de nouveaux
horizons de recherche.

++========================++

CHAPITRE 2

ANALYSE DE QUELQUES TEXTES DU PENTATEUQUE

I : Gn 1-2,3

Ce texte biblique n'a aucune prétention scientifique, à moins qu’on ne puisse


qualifier ainsi 1'effort qui consiste à tenter une description ordonnée et aussi complète et exacte
que possible de 1'univers visible. Car c'est bien le but de cette page que de brosser, sous la forme
d'un récit, un tableau schématique mais englobant de l'univers, en portant sur celui-ci un regard de
foi qui y reconnaît la main de Dieu, du Dieu d'Israël. L'harmonie même du récit, son rythme calme
et régulier scandé par les refrains, l'équilibre de sa structure disent déjà 1'émerveillement de
1'auteur devant 1'ordre de l'univers qu'il perçoit comme un signe de la douce puissance de son
Dieu. Aussi, avant de chercher à comprendre le texte et la vision de 1'univers qui est la sienne, il
faut envisager son organisation et sa structure.

1. Structure du récit

Les sept jours

Plusieurs éléments permettent de repérer 1'organisation de cette page. Ce qui saute


aux yeux, c'est le refrain : «II y eut un soir et il y eut un matin – x ème jour» (vv.5.8.13.19.23.31)
qui donne au récit son cadre temporel d'une semaine de six jours, suivis du septième jour, jour de
repos (2,1-3).

En suivant ce cadre et en y situant 1'oeuvre divine, on peut repérer un premier aspect


de 1'harmonie du récit. Considérons le schéma ci-dessous.

Introduction  :

Ténèbres – Abime – Terre tohu – bohu


Jour Œuvre Séparation - Immeubles Ornementation - Meuble Œuvre Jour
I 1 Lumière – Ténèbres : Luminaires : 5 IV
Séparation Jour / Nuit Séparation Jour / Nuit
II 2 Eaux d’en Haut – d’en bas : Animaux du Ciel et de la Mer : 6 V
Ciel et terre Poissons – Oiseaux
III 3 Terre sèche – Mer Animaux terrestres 7 VI
4 Plantes de la terre Humanité : Nourriture 8
Conclusion  :
Jour VII : Dieu achève son œuvre

À partir de ce tableau, on peut déjà faire un certain nombre de considérations.


Ce qui saute aux yeux, c'est le parallélisme global entre les trois premiers jours et les trois
derniers. Les premiers jours donnent lieu à trois grandes séparations grâce auxquelles le
cadre "immobile" de l’univers est mis en place : le premier jour, la lumière est séparée de
la ténèbre, le deuxième jour, la voûte céleste sépare les eaux d'en haut des eaux d’en bas;
le troisième jour voit la séparation de la terre sèche et de la mer. On remarquera que ces
trois séparations sont effectuées sur les éléments du chaos primitif décrit au v.2 : la
ténèbre, ensuite 1'abîme, enfin le « tohu-bohu» de la terre (En hébreu, les mots rendus
dans la traduction du v.2 par « vide et désert » tohû wabohû, origine de notre mot
français tohu-bohu.). Les trois jours suivants, ce cadre permanent de la création va être
peuplé progressivement par les astres (l’armée des cieux»), les animaux et 1'humanité.

Les correspondances entre les jours sont frappantes : le quatrième jour


correspond au premier, car la création des astres répond à l’émergence de la lumière et
toutes deux permettent de rythmer le temps (l’alternance jour/nuit est reprise de part et
d'autre). Le cinquième jour va avec le deuxième : ce jour-là, Dieu peuple les espaces
céleste et marin qu’il avait ménagés le deuxième jour en installant la voûte des cieux.
Enfin les troisième et sixième jours se répondent d'un simple point de vue formel puisque
ici et là, Dieu réalise deux œuvres. Celles-ci se correspondent, en partie du moins : la
terre dégagée le troisième jour est peuplée le sixième jour par les animaux terrestres et par
l’humanité, et ceux-ci reçoivent en nourriture les végétaux qui constituent la seconde
œuvre du troisième jour. Cette structure bien équilibrée est par elle-même un signe de
l’harmonie et de la stabilité de 1'univers décrit. On sent qu'un projet est à l’œuvre, projet
qu’une intelligence déroule de manière cohérente et progressive suivant un rythme
régulier.

Le septième jour casse nettement le rythme. Cette rupture met ce jour en


évidence comme un jour différent, distinct des autres : c'est le jour où Dieu achève son
oeuvre de création en prenant distance et en s’émerveillant.

Dans la Bible une organisation à sept éléments met trois de ces éléments en évidence : les extrémités et le centre.
Ainsi, à côté du sabbat, le premier et le quatrième jours ont une importance particulière. De fait, on constate que ces trois jours sont ceux
où se mettent en place les grands points de repère du temps : le premier jour instaure le rythme fondamental jour/nuit; le quatrième jour
voit la création des astres grâce auxquels le temps est scandé par les fêtes, les saisons et les années (calendrier); le septième jour
détermine quant à lui le rythme hebdomadaire de la vie.

Les dix paroles

D’après le récit, Dieu crée le monde en réalisant huit oeuvres en six jours.
Mais il le fait en prononçant dix paroles qui ont toutes la forme d'ordres donnés. En effet,
par dix fois, le récit introduit une parole de Dieu par ces mots  : «Et Dieu dit»
(vv.3.6.9.11.14.20.24.26.28.29). Dans cette série, le v.28 est particulier, car un pronom suit
le verbe et désigne l'interlocuteur de Dieu, l’humanité  : « Et Dieu dit à eux». Pour la
première fois, Dieu trouve quelqu’un à qui parler, détail significatif de la position
assignée à 1'humanité dans l’univers créé et face à Dieu. Autre indice dans le même sens :
c’est seulement pour la création de l’humanité que Dieu se donne un ordre à lui-même
(« Faisons… », au v.26). Enfin, on peut encore remarquer deux éléments sont mis en
évidence dans une série de dix : le cinquième et le dernier. Dans notre récit, la cinquième
parole est celle de la création des astres le quatrième jour – ce qui renforce encore le
caractère central de ce jour. Quant à la dixième et dernière parole, c'est une parole de don
(Cette parole a d’ailleurs une forme particulière : elle n’apparaît pas comme un ordre,
même si la fin du v.29 – « pour vous ce sera à nourriture » - pourrait être entendue comme
un ordre. La parole est formellement l’énoncé d’un don, mais on verra plus loin que ce
don représente, selon l’expression de P. Beauchamp, «  la racine cachée d’une loi »). Dieu
y donne leur nourriture aux vivants de la terre. Il faudra revenir sur ce point pour montrer
en quoi cette parole a une importance spécifique et tout à fait essentielle.

Cette organisation en dix paroles divines se superpose à la structure septénaire


du récit. Elle a son importance théologique. En effet, en voyant cette série de dix paroles,
comment ne pas penser à l’autre série de dix paroles, le Décalogue  ? Cœur de la Loi du
peuple élu, les Dix Paroles ont été, selon le récit biblique, prononcées au moment même où
Dieu créait en quelque sorte Israël comme un peuple. Jusque là en effet les anciens esclaves
de Pharaon n'étaient pas encore un peuple : c'est en entrant dans l'alliance par 1'acceptation
libre des Dix Paroles qu'ils deviennent le peuple du Seigneur (Ex 19-24; Décalogue en 20,1-
17). Paroles d'ordres qui créent un peuple. Paroles créatrices parce qu'elles séparent en même
temps qu'elles permettent des relations en leur ouvrant un large espace : relations avec Dieu,
avec 1'univers, avec les autres, avec soi-même... Sur tous ces points, les dix paroles de la
création se rapprochent de celles du Décalogue, car les dix paroles de Gn 1 constituent
1'univers dans son autonomie en relation avec Dieu et ouvrent un vaste champ à de multiples
relations, grâce aux séparations qu'elles opèrent. En tout état de cause, il est difficile de
penser que ce rapprochement est 1'effet du hasard, surtout sous la plume de prêtres, ces
enseignants de la Loi. Et l'un de ses effets majeurs est sûrement de permettre, voire même
d'induire 1'identification entre le Dieu créateur et le Dieu qui a fait alliance avec Israël, un
message on ne peut plus clair pour les exilés attirés par la religion de Mardouk, le dieu
créateur de Babylone.

2. L'univers créé

Aussi surprenant que cela puisse paraître, le Dieu de la Genèse ne crée pas le
monde de rien. La première affirmation biblique à parler d'une création ex nihilo (à partir de
rien) se trouve dans le deuxième livre des Martyrs d'Israël appelé aussi livre des Maccabées :
«Regarde le ciel et la terre, contemple tout ce qui est en eux et reconnais que Dieu les a
créés de rien» (2 M 7,28. voir He 11,3). Ce livre est récent : il date du 2ème siècle avant J.-
C. Avant cela, la tradition biblique est unanime à rejoindre les idées communes du Proche
Orient ancien concernant la création : Dieu a organisé le monde à partir du chaos. Le verbe
–« créer »- (bara’) ne signifie donc pas : faire de rien, comme on le pensait spontanément
jusqu'il y a peu. En hébreu, il veut dire essentiellement : faire du neuf, de 1'inoui, du jamais
vu.[ Dans le premier Testament, Dieu est 1'unique sujet de ce verbe bara'. Il crée non
seulement au début (Gn 1,1; 1s40,26.28;42,5;45,12.18), mais aussi dans 1'histoire (J r 31,22;
Is 41,20; 43,1.7.15; 45,8; 48,7).]

Le chaos primitif et sa mise en ordre (Gn 1,2-11)

Le verset 2 décrit le chaos initial. L'univers («terre») est tohu-bohu. C'est le


chaos où la vie est impossible. Trois éléments négatifs sont soulignés dans ce chaos. Il y a
d'abord la ténèbre, l'obscurité où tout a la même couleur, le noir, et où rien ne peut
s'épanouir. Il y a ensuite 1'abîme (tehôm) correspondant à la déesse Tiamat dont le corps
coupé en deux devient comme la carcasse du monde dans le mythe babylonien de la création.
On peut se représenter cet abîme comme une sorte d'immense boule d'eau salée où toute vie
est impossible. Enfin, troisième élément du chaos : le «vent de Dieu» agite en tempête la face
des eaux de 1'abîme (C'est du moins une des interprétations probables. En effet, pour former
un superlatif en hébreu, on peut utiliser la locution "de Dieu". Ainsi, pour parler d'une très
haute montagne, on dira «une montagne de Dieu» (Ps 68,16). Ici, le «vent de Dieu» pourrait
être une tempête de Dieu le Père, ou de tous les diables si 1'on préfère… Une autre
interprétation souligne qu'avant la création, le souffle créateur de Dieu reste extérieur à l
univers chaotique et que la vie y est donc impossible (voir par ex la T0B) ), autre obstacle à
la mise en ordre et à la vie.

La mise en ordre de 1'univers se réalise en Gn 1 par la maîtrise de Dieu sur ce


chaos initial. Cette maîtrise consiste essentiellement en une activité de parole. Il y a là
d'ailleurs un premier acte de maîtrise. Il porte sur le troisième élément du chaos : le souffle
de Dieu agitant l’abîme. Car parler suppose que l'on maîtrise le souffle, la respiration. Ainsi,
Dieu doit dompter son souffle dévastateur pour en faire une parole articulée. Et cette parole
est pour la lumière. Ou même: elle est lumière. Une merveilleuse histoire juive raconte qu'un
enfant, caché avec sa mère dans un abri obscur lui disait : «Parle, maman : quand tu parles, il
fait moins noir ». Expérience fondamentalement humaine que celle d'une parole qui illumine
[C’est à cette expérience que le quatrième évangile se réfère quand il dit que «la Parole était
la vraie lumière qui illumine tout être humain en venant dans le monde » (Jn 1,4-9)] ; peut-
être aussi expérience des exilés de Babylone pour qui la parole des prophètes ou des prêtres
pouvait être une lumière dans leurs ténèbres?

Toujours est-il que le second élément du chaos à être maîtrisé par Dieu, c'est la
ténèbre. Le créateur y fait jaillir la lumière qui est bonne parce qu'elle permet la vie. Alors
s'instaure une alternance entre ténèbre et lumière, entre nuit et jour. En séparant la lumière
de la ténèbre, Dieu ne supprime donc pas cette dernière ; il la maintient, mais comme en
tension avec la lumière. Il fera de même avec les eaux de 1’abîme. Elles ne sont pas
détruites, mais maîtrisées en deux étapes : d'abord, Dieu coupe en deux la boule des eaux à
1'aide d'une voûte qui retient les eaux d'en haut et dégage un espace libre au-dessus des
eaux d'en bas (1'océan). Cette première séparation a lieu le deuxième jour, mais elle n'est
pas suffisante car elle ne permet pas la vie. C’est la raison pour laquelle Dieu ne trouve pas
la chose « bonne ». [Le refrain "Et Dieu vit : «que c'est bien!» manque pour le seul
deuxième jour]. En effet, il lui faut encore faire émerger le sol sec de 1'amas des eaux, la
terre de la mer, une seconde séparation qui, elle, est bonne parce qu'elle offre à la vie un
lieu où se développer.

On le voit : Dieu n'abolit aucun des éléments du chaos. Il leur laisse une place,
mais en instaurant une alternance avec leur contraire, une alternance qui est bonne. Cette
attitude de respect dans la maîtrise tranche sur le comportement violent des dieux créateurs
du Proche-Orient ancien : c’est au terme d'une lutte très violente, entraînant la mort de
certains dieux, que le créateur peut imposer son pouvoir aux autres divinités et organiser
l'univers [Dans le premier Testament, on a des traces de ces combats de création, courants
dans l’imagerie du Proche-Orient. Voir p. ex. Is 51,9-10; Jb 26,12-13; Ps 74,13-17, 89,10-12.].
Dans la Genèse, aucune destruction : même les éléments négatifs trouvent leur place dans
cet univers dont 1'harmonie est un signe de la maîtrise de Dieu, une maîtrise sans violence
puisqu'elle s'exerce par la parole. Il faut d'ailleurs remarquer que cette organisation aboutit
à la mise en place des deux constantes de tout le créé : le temps (jour et nuit) et l'espace
(haut, bas; ciel, terre et mer). C'est le cadre essentiel où se situe toute réalité créée.

Une dernière remarque à propos de cette partie. Quand Dieu se met à parler,
c'est pour dire : «Que soit!» Cette forme du verbe "être" (y ehî) est utilisée en Gn 1 pour la
création des objets célestes (vv.3.6.14). Il est intéressant de la relever dans la mesure où le
nom de YHWH (le Seigneur) semble être dérivé de la racine du même verbe "être" (hayâ);
sous cette forme, le nom divin pourrait signifier «il est», ou «il fait être». Si c'est le cas,
« alors, l’intuition de notre auteur, c'est que la parole créatrice jaillit du nom divin lui-
même. Elle est la mise en œuvre par Dieu de son propre nom, c'est-à - dire de son essence
divine.» À ce propos, ce n'est peut-être pas un pur hasard si ce verbe ha yâ est utilisé vingt-
six fois dans le récit de création proprement dit (vv.3-31). En effet, vingt-six est le résultat
de 1'addition de la valeur numérique des lettres du nom YHWH [ En hébreu ancien, il n'y a
pas de signes spéciaux pour noter les chiffres. On utilise les lettres qui ont chacune une
valeur numérique propre. Y =10, H = 5 et W = 6 : d'où, 10+5+6+5 = 26]. Ainsi donc, si le
chapitre 1 de la Genèse ne mentionne pas le nom du Dieu YHWH qui a fait alliance avec
Israël, il le cache en quelque sorte sous 1'action du Dieu qui dit : « Que soit!» et qui se
révèle dans son faire-être 1'univers.
Les végétaux et les luminaires (vv.11-19)

Créer, dans la première page de la Genèse, ce n'est pas seu lement ordonner le
chaos en opérant les séparations nécessaires. Ce n'est pas seulement faire apparaître du neuf
comme la lumière. C'est aussi rendre le créé productif. C’est ainsi que la terre reçoit 1'ordre
de produire les végétaux qui vont l’orner. Ceux-ci à leur tour sont créés capables de se
reproduire puisqu’ils contiennent la semence nécessaire à leur survie. L’acte de création
prend donc une dimension nouvelle : celle de donner fécondité au créé.

De plus, ici se manifeste 1'esprit systématique de 1'auteur sacerdotal : il se


montre soucieux de classifier les choses. Ainsi, il divise les végétaux en trois catégories : la
«pousse », c'est-à-dire les graminées communes; ensuite « l'herbe semençant semence»,
qui désigne semble-t-il les céréales; enfin 1'arbre à fruit faisant fruit selon son espèce qui
a en soi sa semence », à savoir les arbres fruitiers. Plus loin, 0n verra que les humains
reçoivent comme nourriture les céréales et les arbres fruitiers, tandis que les animaux
terrestres se nourriront des graminées (vv.29-30).

L'ornementation du ciel est constituée des luminaires. On a déjà vu


1'importance structurelle de cette cinquième parole prononcée le quatrième jour. Le récit
lui-même est d'ailleurs l'objet d’un soin tout particulier. Qu'on observe cette structure !

1. Ordre : «Que soient des luminaires à la voûte des cieux

a- pour séparer le jour de la nuit

b- et qu'ils soient pour signes pour convocations, jours et ans

c-et qu'ils soient pour luminaires... pour illuminer sur la terre

2. Fabrication : «Et Dieu fit les deux grands luminaires

d- le grand luminaire pour commandant du jour

d'- le petit luminaire pour commandant de la nuit

3. Placement : « Et Dieu les donna à la voûte des cieux


c’- pour illuminer sur la terre

b’- et pour commander au jour et à la nuit

a’- et pour séparer la lumière et la ténèbre

Les parties se correspondent comme 1'ordre (1) et 1'exécution (3) avec, au


centre, la fabrication proprement dite. En plus de la symétrie concentrique, on remarquera
la multiplication de la préposition pour marquant le but. A chaque ligne, l'auteur insiste sur
la finalité des astres. Ces «luminaires», qui portent le nom du lampadaire ornant le temple
du Seigneur 5, sont des objets utilitaires. Avec ces lampes pour 1'illuminer, le monde devient
comme un temple où tout être humain où qu'il soit - et le peuple des Judéens exilés en
particulier- peut rencontrer son créateur. De plus, ce sont eux qui servent à fixer les
moments et les temps de la prière et des fêtes puisqu'ils sont l'horloge cosmique à rythmer
le temps.

En 2, I, on évoque ces luminaires en s'appuyant sur une autre image : celle de


« 1'armée des cieux». Comment décoder le symbolisme? Tous ensemble, les astres forment
un corps qui se meut avec ordre, puisque les étoiles occupent toujours la même position les
unes par rapport aux autres dans le mouvement tournant de la voûte étoilée. La luminosité
variable des astres permet encore de les hiérarchiser sous le «commandement» de la lune et
du soleil. Tous ces éléments donnent 1'image d'une armée aux ordres de Dieu, dont la
permanence est perçue comme un signe de la maîtrise constante de Dieu sur 1'univers (voir
Is 40,26 ou Ps 148,2.5-6). Au même endroit (Gn 2,1), on parle aussi de «l'armée de la
terre», mais c'est un cas unique.

Par analogie avec 1'armée des cieux, l'auteur décrit le peuplement de l’univers
comme une armée. Ce n'est pas sans raison : dans ce récit, en effet, les vivants semblent
répondre aux ordres du créateur qui les appelle à l’être, et leur apparition ne manque pas

5
Le mot ma ôr désigne le lampadaire du temple en Ex 25,6 ; 27,20 ; 35,8.14.28 ; 39,37 et Lv
24,2.
d'ordre : poissons d’abord, puis oiseaux, et enfin animaux terrestres, tous classés «selon
leur espèce».

Le peuplement des espaces : les animaux (vv.20-25)

Le cinquième jour, Dieu crée les animaux marins et les volatiles. Le récit précise
même qu'il crée les grands monstres marins : c’est un nouveau signe de la volonté de l'auteur
sacerdotal d’ôter toute trace de mythologie de son texte. En effet, ces monstres divinisés jouaient
un rôle dans les mythes de Babylone, en particulier dans les mythes de création où ils sont associés
au chaos des eaux. Ici, ce sont de simples créatures.[ on trouve ces animaux ailleurs dans la Bible-
Voir Jb 40,15-41,26; Is 27,1;51,9-10; Ps 148,7.]

C’est à propos de ces animaux aquatiques et célestes que résonne la première


bénédiction du texte. Et le récit rapporte cette bénédiction : «  fructifiez et multipliez, et
emplissez les eaux dans les mers, et que le volatile se multiplie sur la terre» (v.22). La
bénédiction porte donc clairement sur l’épanouissement de la vie donnée à la création. Ceci
est fondamental dans la pensée biblique : Dieu est la source de toute bénédiction, et celle-ci
concerne la vie, sa croissance, sa fécondité et son épanouissement jusque dans 1e bonheur.
Cela n'a donc rien à voir avec 1'explication qui est souvent donnée à partir de 1'étymologie
latine du mot français : bénir (bene-dicere), c'est dire du bien. En Gn l, il semble pourtant y
avoir un élément supplémentaire dans 1'idée de bénédiction. En effet, les animaux terrestres
ne reçoivent pas de bénédiction comme les autres animaux et comme 1'humanité. Ceci
s'expliquerait bien par le fait que les animaux terrestres, au contraire de ceux qui peuplent
les airs et les mers, n'ont pas la maîtrise de l'espace qu'ils habitent. La maîtrise de la terre
est en effet réservée à 1'humanité par la parole de bénédiction : « Et Dieu les bénit et leur
dit "Fructifiez et multipliez et emplissez la terre et soumettez-la"» (v.28).[ C’est la
proposition Judicieuse de P. BEAUCHAMP, « Création et fondation de la loi en Gn 1,1-
2,4a», A.C.F.E.B., La Création dans 1'Oricnt ancien (Coll. Lectio Divina 127, Paris
1987), pp. 151-152.]

3. L'humanité à 1'image de Dieu


Logiquement, je devrais passer ici au commentaire de la création de
1'humanité (vv26-31). Mais le texte précise que celle-ci est créée «  à l’image de Dieu »
(vv. 26 et 28). Il me semble donc important de mettre au préalable en évidence le contenu
de l’image de Dieu qui se dégage du récit, avant de voir comment elle s'applique à
1'humanité.

L'image de Dieu et le sabbat (2,1-3)

Habituellement, les commentaires glosent sur la toute-puissance du Créateur


qui, par la seule force de sa parole, se montre capable de faire surgir un univers ordonné et
foisonnant de vie. Ce récit «affirme 1'absolue souveraineté de Dieu sur toutes choses :
de ses ordres sages et bons, immédiatement exécutés, surgit peu à peu 1'univers organisé et
parfait où prend place enfin 1'humanité qui couronne cette oeuvre. »(E. Osty) II est vrai
que le texte laisse une impression de puissance, de parfaite maîtrise. Mais est-ce la seule
composante de 1'image de Dieu en Gn 1? À ne retenir que celle-là, ne se laisse-t-on pas
illusionner par 1'image spontanée que 1'on s'est faite d'un Dieu tout-puissant? En tout cas,
certains éléments invitent à aller plus loin.

J'ai souligné plus haut comment la création biblique contraste avec les
cosmogonies (mythes de création) du Proche Orient ancien. Aucune destruction n’a lieu.
Au contraire, Dieu intègre dans 1'ordre de la création tous les éléments négatifs du chaos
initial (la ténèbre, les eaux de 1'abîme et le vent de la tempête).Il les maîtrise par sa parole
en leur imposant une limite pour qu'ils s'intègrent à une construction qui est bonne parce
qu'elle permet à la vie de jaillir. S'il y a maîtrise, elle n'est donc pas destructrice; elle ne
porte pas la mort. D'ailleurs, il faut le noter, cette maîtrise s'exerce par la parole. Et cette
parole met de 1'ordre et appelle à la vie, signe d'une maîtrise sans violence, tout empreinte
de douceur, cette douceur dont parle 1'harmonie du créé tel qu'il sort des mains divines.

Un second élément souvent négligé est fondamental pour 1'image de Dieu qui
émerge de ce premier récit de création. Le plus souvent, on 1'oublie parce qu'il se cache
dans un des refrains du texte : «Et Dieu vit : que c'est bien!» (vv.4.10.12.18.21.25.31). La
répétition de ces mots semble avoir produit chez les commentateurs un effet inverse de
celui recherché. Ce refrain en effet a sombré dans la banalité, comme des mots trop souvent
entendus, alors qu'il attire 1'attention sur un point fondamental. Chaque jour en effet, Dieu
semble se mettre à distance de ce qu'il a créé. Il prend le temps de regarder et d'admirer, de
s'extasier devant ce qui n'est pas lui et qui est comme sorti de lui. Son émerveillement
devient comme un chant :, «Que c'est bien, que c'est bon!». [. Les mots kî tôv sont une
formule que l'on retrouve dans les hymnes à la louange de Dieu: voir Ps100,6;
106,1;136,1;1Ch16,34.Ici, c'est le créateur qui les emploie pour chanter la louange du créé. ]
On ne soulignera jamais assez 1'importance pour l'acte créateur lui-même d’un tel regard
émerveillé. En effet, créer ou donner vie, ce n'est pas seulement mettre de 1'ordre, produire
du neuf, transformer. Tout qui vit sait que la seule existence ne suffit pas : il faut encore
le regard d’une autre, d’un autre ; un regard d’amour qui donne d’exister parce qu’il ouvre
un espace de vie, de confiance et de croissance, un regard qui donne toute son importance
et toute sa dignité à celle ou celui qu’il regarde. Tel est le regard créateur de Dieu sur le
monde créé. C’est une image qui vient corriger l’impression de puissance, en lui ajoutant
une touche de tendresse, de douceur, de respect infini. Cette touche est confirmée par un
troisième élément du récit : le repos du septième jour : c’est un jour différent, séparé des
autres, un jour « sanctifié », comme le souligne le récit (2,3) : jour à part puisque Dieu n’y
donne pas d’ordre et ne travaille pas, ne transforme ni ne produit rien. Mais l’auteur le
souligne : c’est ce repos qui achève vraiment la création. Sans lui, elle ne serait pas
achevée, parfaite (v.2). C’est pour cette raison que le septième jour est béni (v.3)  : c’est un
jour de vie, un jour fécond, créateur, même si le Créateur n’y fait rien que prolonger son
émerveillement devant l’univers : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voici : c’était très
bien ! » (1,31).

Mais en quoi le repos divin achève-t-il la création? En ce que Dieu se retire de


1'univers. Dire "création" c'est dire absence de Dieu et autonomie du monde. C'est en tout
cas le message du récit. Le septième jour, Dieu achève la création en s'en retirant. Il met
ainsi un terme au déploiement de sa puissance créatrice, il pose une limite à sa force, se
montrant plus fort qu'elle, maître de sa propre maîtrise. Et ce faisant, il affirme son refus de
tout remplir; il ouvre un espace d'autonomie à ce qui n'est pas lui  : au monde, et en
particulier à l'humanité à qui il vient de confier la responsabilité de maîtriser la terre. De
cette manière, Dieu, dès le début, prépare l'alliance. Car pour qu’il y ait alliance, il faut des
partenaires autonomes qui, en confiance, choisissent d'assumer leurs limites pour ouvrir un
espace à la vie et à la liberté de l’autre.

Bref, «le sabbat souligne encore la douceur au cœur de 1'image de Dieu. Loi
de douceur qui corrige les projections d'un Dieu surpuissant, confondu avec notre rêve de
surpuissance, c'est-à-dire un Dieu à notre image.»[P. Beauchamp, «  Au commencement Dieu
parle, ou les sept jours de la création », Etudes, juillet-aout 1986, p.113] En ce sens, la toute-
puissance de Dieu est la douceur de celui qui garde la maîtrise de sa puissance elle-même.
Non la douceur d'un faible qui n’a pas d'autre choix, mais la douceur qui est force plus
forte que la force [À la suite de la citation dans le crochet avant celui-ci, P. BEAUCHAMP
ajoute : «Une définition de la douceur comme force plus forte que la force est nécessaire, en
même temps, pour écarter un choix préférentiel de la faiblesse dicté par le ressentiment de
ceux qui seraient privés de cette force »]24. Comme le dit le livre de la Sagesse en
s’adressant à Dieu (12,16-18) : «Ta force est la source de ta justice et ta maîtrise sur tous te
fait user de clémence envers tous. II fait montre de sa force, celui dont le pouvoir absolu est
mis en doute...Mais toi qui maîtrises ta force, tu juges avec sérénité et tu nous gouvernes
avec tant de ménagements.»

L'image de Dieu : l'humanité (w.26-30)

Si la douceur est bien au cœur de 1'image de Dieu véhiculée par le premier


récit de la création, elle va logiquement investir le portrait que ce récit brosse de 1’être
humain.

O n a longuement épilogué sur le « faisons» de Dieu au début de la scène de l a


création de 1'humanité (v.26) : la forme plurielle en a intrigué plus d'un. Les Pères de
1'Église y ont vu un signe de la Trinité, tandis que les modernes parlent d'un pluriel de
délibération avec soi-même ou d'un souvenir des mythes où le créateur dialogue avec sa
cour céleste avant de créer 1’être humain. Mais au niveau du récit, quand Dieu se dit
« faisons », c’est comme s’il se dédoublait, voyant ainsi sa propre image qu’il va
reproduire. Et ce qu’il voit, c’est l’image de quelqu’un qui dit «  faisons », c’est-à-dire de
quelqu'un en acte de créer par la parole. Tel sera aussi 1’être humain  : quelqu'un capable de
créer et de maîtriser s o n m o n d e p a r l a p a r o l e , à l ’ i mage de Dieu.

Le terme utilisé ici pour parler de 1’être humain, c’est le mot «  adam », un
mot générique pour parler de 1’être humain ou de l'humanité. Il ne s'agit donc pas ici de la
création du premier homme et de la première femme, mais de l’appel à la vie du genre
humain. Celui-ci est lié à Dieu sous un double rapport : « image et ressemblance», dit le
texte. II est difficile de préciser la nuance des deux termes, mais il semble qu'on puisse dire
ceci. Comme le montre le rapprochement avec Gn 9,6, le terme image semble être lié à la
maîtrise du monde: l’être humain est à 1'image de Dieu en tant qu'il exerce seigneurie sur la
terre à 1'image du Dieu Seigneur de 1'univers (voir Si 17,2-4), Quant à la ressemblance, si
1'on en croit le rapprochement possible avec Gn 5,1-2a, elle semble se rattacher davantage
à 1'aspect de fécondité et donc au caractère sexué de 1’être humain. S'il en est ainsi, le fait
d'être à l’image de Dieu implique aussi la ressemblance : si 1’être humain doit maîtriser la
terre, il doit d'abord la remplir et donc se multiplier, d'où la nécessité d’ être «mâle et
femelle» (v.28).[ Au v.28, la paire «mâle et femelle» remplace le terme «ressemblance»
pour faire pendant au mot «image» dans les phrases parallèles. On peut noter aussi que la
paire «image et ressemblance» revient en Gn 5,3 pour indiquer le rapport entre un père et
son fils. Cet élément n'est peut-être pas absent de 1'image que le rédacteur sacerdotal se fait
du rapport entre Dieu et les humains.]

En tout cas, il semble clair que les mots «image et ressemblance» ne sont pas
une description de 1’être humain, mais plutôt 1'indication de la mission de 1'humanité.
D'ailleurs, les paroles divines précisent elles-mêmes la portée de ces termes : «qu'ils
maîtrisent le poisson de la mer et le volatile des cieux et le bétail et toute la terre, et
tout rampant qui rampe sur la terre» (v.26). Être à 1'image de Dieu renvoie donc bien à la
maîtrise de toute la terre par domination sur ses autres habitants, les animaux. La parole de
bénédiction du v. 28 va dans le même sens : il s'agit bien de «soumettre la terre en
maîtrisant le poisson de la mer, le volatile des cieux et tout vivant qui rampe sur la
terre». [Ici « ramper » signifie évoluer sur la terre sans pouvoir s’envoler.] Ainsi donc,
en la créant à son image, Dieu assigne à 1'humanité une mission, un devoir-être : elle sera
maître ci u monde terrestre à l'instar du créateur dont la maîtrise s'étend sur 1'univers. C'est le
motif de la louange du Ps 8 : «Tu l'as voulu un peu moindre qu'un Dieu, le couronnant de
gloire et d’honneur; tu mets toute chose à ses pieds» -et de citer alors les animaux que
l'homme maîtrise.

La dixième et dernière parole divine prend, sur cet arrière-fond, une importance
capitale. Apparemment, elle est anodine puisqu'elle parle du don de la nourriture à 1’être
humain et aux animaux. Mais sa seule position dans la série des dix paroles créatrices
suggère qu'elle pourrait bien avoir plus de poids qu'on ne veut bien lui en prêter d'ordinaire.
De plus, cette parole contient une énigme : seules les plantes constituent la nourriture de
1'humanité (céréales et fruits) et des animaux (herbe). Quelle est la portée de ce «végétarisme
primitif »? Comme 1'indique P. Beauchamp, cette énigme est à réfléchir à partir du contexte
immédiat. En bénissant l’humanité, on vient de le voir, Dieu lui fixe un devoir-être, une
responsabilité éthique : dominer la terre.

Sur cet arrière-fond, le don par Dieu d'une nourriture végétale constitue «la
racine cachée d'une loi». En effet, de manière discrète, ce type de nourriture suggère qu'il est
possible à 1'humanité de maîtriser 1'animal sans lui faire violence, sans le tuer. Un tel
comportement suppose que l’être humain accepte de mettre une limite à sa maîtrise, de ne
pas 1'exercer jusqu'en ses dernières possibilités, pour laisser à l’animal -à 1'autre que lui- un
espace pour sa vie. À côté du devoir de maîtrise, Dieu propose ainsi à 1'humanité un
pouvoir-être, une manière de réaliser sa vocation : la maîtrise maîtrisée, la douceur, force
plus forte que la force. Placé sous une telle maîtrise, le monde animal peut lui aussi ignorer la
violence puisqu'il est également herbivore (v.30).

Ce dernier trait a quelque chose d'irréel, d'utopique, qui invite à chercher dans le
végétarisme le signe qui s'y inscrit en filigrane. En réalité, à travers le rapport avec le monde
animal, c'est le rapport entre les humains et entre les groupes humains qui est visé. Le
végétarisme, qui signifie la volonté d’une relation pacifique avec le vivant, est signe du
projet d'un monde réconcilié, d'un vivre-ensemble de 1'humanité où l'on garde la maîtrise de
toute animalité, et donc aussi de la violence. Utopie et projet d'un monde d’où la violence est
bannie et où la douceur fait loi, d'une société où place est faite à 1'altérité et aux différences,
à celles de I'homme, des autres vivants et de 1a terre. On le voit: ce qui se joue ici, pour
l'humanité, c’est sa capacité à devenir ce qu'elle est : 1'image d'un Dieu dont la puissance est
douceur et don de vie à l’autre, un Dieu qui maîtrise sa propre maîtrise pour ouvrir un espace
d'autonomie à la création.

4. Conclusion

Bref, le don d'une nourriture végétale suggère que ce n'est pas par la seule
suprématie sur le créé que l’être humain réalise l’image. C’est tout autant, sinon davantage,
quand sa puissance de maîtrise se refuse à toute violence destructrice et s’ouvre au respect de
l’altérité. Ainsi, l'être humain devient image de Dieu quand, maître de sa propre maîtrise, il
crée une société pacifique, un monde réconcilié, avec cette douceur qui est renoncement à
l’illusion de la toute-puissance et ouverture dynamique à la différence. Il est alors un vivant
qui suscite la vie et est capable d'alliance – image de Dieu.

Ce qui se vérifie pour un individu est vrai aussi pour des groupes humains. Car
si la vocation de 1'humanité est d'être à l'image de Dieu, cette image inclut aussi 1'unité.
Construire son unité à 1'image de Dieu et à 1'inverse du monde animal, fait de pure
diversité puisque chacun est créé «selon son espèce», [L'expression revient sept fois à
propos des animaux, aux vv.21.24 et 25.] telle est la tâche de 1'humanité. Une telle tâche
n'est réalisable que si la violence des personnes et des groupes est contenue par le respect
des différences et par la volonté de construire 1'harmonie. De ce point de vue, l'image
chrétienne de Dieu représente un progrès par rapport à l'image du premier Testament. En
effet, l'image d'un Dieu un en trois personnes est celle d'une unité qui n'abolit pas l'altérité
de chacun, mais plutôt la valorise dans une dynamique d'alliance.

Une dernière remarque à propos de l'image de Dieu. Au v.27, le récit précise


que c'est l’être humain mâle et femelle qui est à l'image de Dieu. Quand on connaît les
images respectives de 1'homme et de la femme dans la culture juive ancienne, cette
précision donne à penser. La maîtrise qui consiste à produire, organiser et dominer était
perçue comme une valeur essentiellement masculine dans une culture où seuls les hommes
ont une vie publique. La femme, quant à elle, est responsable de la maison  : 1’accueil, la
tendresse, et cet émerveillement qui est reconnaissance de 1'autre, devaient dès lors être
perçus comme des valeurs essentiellement féminines. Dans ces conditions, une humanité à
l'image de Dieu sera masculine et féminine, dans la tension permanente entre maîtrise et
douceur, tension conflictuelle mais créatrice d'une attitude neuve face aux êtres et aux
choses...

II : Gn 3 : LA TENTATION ET LE PéCHé

INTRODUCTION

Israël n’a jamais eu une discussion théorique sur le péché, sur sa nature, sur ses
conséquences. Il n’a jamais eu donc de traité sur le péché. Israël a fait l’expérience du péché  ;
expérience multiple – du péché collectif (exemple dans le désert) et du péché individuel (comme
ceux de David ou de Salomon). Israël exprime cette expérience du péché dans la narration de Gn. 3
et aussi dans les confessions des péchés (Ps 51 ; 130 ; Neh 9 ; Dan 9).

A partir de cette expérience du péché, le Yahviste présente une « harmatologie » par


la narration. Il explique par des comportements situés dans le passé, la condition de son temps  : à
savoir l’invasion progressive du péché dans le monde ( qui se racontera jusqu’en Gn. 11) ; la
tentation permanente du peuple ( qui est toujours entrain de courir derrière d’autres dieux et se
laisse aller vers toutes sortes de péché) ; la souffrance ; la soumission douloureuse de la femme ; le
travail pénible ; les conflits dans la société ; les ravages causés par le péché de façon globale et la
mort à la fin.
Dans ce chapitre, l’auteur cherche à montrer que le péché a dès le point de départ
deux causes : une extérieure (le serpent) et l’autre intérieure (propre à l’homme, et qui est sa
faiblesse innée qui fait qu’il prête attention aux appels qui lui viennent du dehors)

La mise en scène de la femme dans ce récit a comme but de montrer que l’homme
est faible. L’auteur met en scène l’élément faible de l’humanité (homme et femme). Oui, la femme
est considérée selon les apparences comme étant plus faible que l’homme, même si en réalité c’est
elle qui est plus forte. Ici on parle donc selon les apparences. Cette faiblesse de l’humanité est
signalée par exemple dans Gn 6,5 ; Gn 8,1 ; Dt 10,16 ; Jr 17,9 ; Ps 40,13 ; Ps 103,14

 Le but de l’auteur sacré est de situer l’origine du péché et il en donne


les conséquences. Il ne s’agit pas seulement du péché du premier homme, mais du péché
de tout homme. C’est le récit de nos propres chutes.

V.1 le serpent : il est présenté sans explication, sans préambule comme s’il était déjà
connu. Dans le texte hébreu, il est précédé par l’article défini « le ». Le texte ne dit pas par
exemple « il y avait une fois un serpent… » pour le présenter. Il apparaît comme une figure
définie, connue. Mais qu’est-ce que c’est que ce serpent pour J ? Comment le connaissait-il lui ?

Dans les cultures anciennes, le serpent était affecté de différents symbolismes :

- symbole phallique (organe masculin de l’homme) : représentant la


sexualité et la force de la génération.

- Symbole de puissance magique ( symbole d’un homme capable


d’utiliser, de déclencher les forces de la nature)

- Symbole de longue vie, parce que le serpent est censé faire peau
neuve chaque année : chaque année les serpents sont frais, nouveaux et beaux. Ils sont donc
toujours là

Dans la Bible, le serpent a aussi plusieurs significations :

- c’est un être bienfaisant : Nb 21,4-9 : le serpent de bronze utilisé par


Moise. C’est une sorte de récupération au service du culte de Yhwh. Un être capable de
sauver. Mais avant c’était une idole dans les cultes païens. Après l’exode, on a trouvé un
culte du serpent dans le temple en mémoire certainement du serpent de Moise. Ce serpent
se trouvait dans un coin du temple et on venait l’adorer comme on le fait plus ou moins
avec les statuts qui sont dans nos églises. Même aux temps des prophètes qui ont travaillé à
la purification du Temple et du culte, on a gardé ce serpent dans le Temple. Cf. 2 R 18,4  ; 1
R 1,9 ; Neh 2,13 (ici c’est même après l’exil). Sg 16,7.12 justifie le culte du serpent dans le
désert : « à cause de la foi ». Du point de vue chrétien, ceci est important, car ça montre
l’importance des sacramentaux.

- Un être néfaste, nuisible. Cf. Gn 49,17 ; Is 11,8 ; Pr 23,32. c’est


dans ce sens du serpent être nuisible que se situe Pr 30,19 (être mystérieux : il n’a pas de
patte mais il peut monter et descendre sur les rochers alors que l’homme ne le peut pas.
L’aigle se tient dans l’air sans un quelconque soutien)

- Symbole de l’astuce et de la ruse. Cf. Ps 58,5 Ps 140,4. Ces


qualifications du serpent et sa forme ont fait de lui le symbole de la force hostile à Dieu 
Is 27,1 Job 26,13 (le mot hébreu se traduirait dragon ou gros serpent) Is 51,9 Ps 74,13
Ap.12,9 ; 20,2. L’ennemi type de Dieu c’est le serpent {« natash »  son chiffre selon
l’hébreu c’est 358. « messie » a aussi comme chiffre 358} c’est-à-dire que le serpent, le
tentateur va être remplacé, supplanté par le messie. ==> Quand Jésus dit : « comme le
serpent a été élevé dans le désert ainsi le fils de l’homme sera élevé… » = c’est une
déclaration de sa messianité en se basant sur les chiffres. Sa messianité reste toujours voilée
pour inviter à entrer dans le mouvement de la foi. => La finale de Marc (16,18) = vous
réduirez les forces hostiles symbolisées par le serpent. => Dans le récit de tentation de
Jésus---> parmi les bêtes, il y a aussi le serpent.

La signification du serpent dans Gn 3 n’est pas claire. D’abord à cause de ses


attaches avec les cultes naturistes. (On a pensé que l’auteur sacré le mettait ici pour représenter les
divinités païennes. Ces divinités avaient droit à un culte comme le culte de fécondité. Ce culte
existait de façon exemplaire en Canaan). Mais ce n’est pas acceptable parce qu’ on diviniserait le
serpent alors que le texte dit « qu’il était le plus rusé des animaux des champs ». Le texte le prend
dans sa qualité de créature et il reste créature. Les pères de l’Eglise ont vu dans le serpent
directement le diable à partir de Jn 8,44 et Ap. 12,9. ça c’est aller trop vite. A l’époque de J, il ne
pouvait pas incarner le diable parce qu’on n’avait pas la connaissance du diable. Voici les étapes
de la découverte du diable :

Job 2,1  1Chr 21,1  Zach 3,1  Sg 2,24

Satan Satan (après exil) Satan

Pour nous chrétiens c’est vraiment le diable, mais il ne faut pas le faire dire à
l’auteur de Gn 3. Il ne savait pas trop où situer cette bestiole là. Et le symbolisme ici est lié d’abord
à la représentation du mal, à la volonté de perdre l’homme. ( C’est pour cela que la LXX a
directement spécifié en écrivant δίαβολος à la place du serpent.)

La nature du serpent doit être dégagée non par sa forme mais par ce qu’il fait, ce
qu’il opère, ce qu’il réalise.

 La tentation apparaît immédiatement sans introduction et s’annonce


d’une façon tout à fait anodine (presque en sourdine) par une interrogation mitigée. « Est-
ce vraiment ? Est-ce que de fois ? Peut-être Dieu vous aurait-il dit… ? » C’est comme ça
qu’on peut traduit le texte hébreu.

 Ainsi la défense apparaît équivoque. Elle peut bien signifier :

° « vous ne mangerez pas de tout… en accentuant tout. C’est-à-dire

vous mangerez de quelques arbres seulement.

° « vous ne mangerez d’aucun arbre ».

La femme a compris le 2ème sens et a répondu : « Mais si, mais si nous pouvons
manger de tout, sauf d’un seul. C’est là que réside l’astuce du diable. Il présente la tentation de
façon tout à fait anodine. La sollicitation est tellement faible et fragile qu’on peut la repousser
comme un rien du tout. La femme augmente la défense « Dieu nous a dit vous ne toucherez
pas ». La femme est solide pour défendre la cause de Dieu et capable même d’en rajouter à la
défense. Avec ça, elle est entrée dans le dialogue avec l’adversaire ; elle a mis le petit doigt dans
l’engrainage => elle va être entraînée. ==> On peut bien comprendre la prière du Pater
Noster : selon le texte grec il est dit «  ne nous laisser pas entrer dans la tentation » (comme
EVE).
VV. 4-5 : Ici la tentation ou le serpent attaque la femme de front avec une
assurance qui déconcerte et laisse pressentir une science spéciale de la part du serpent. -->
« Vous ne mourez pas. Mais Dieu sait que … vos yeux s’ouvriront»

{Alors lui sait, pouvait se dire la femme. Ou bien Dieu nous a trompé ou bien il
n’est pas puissant, il n’est fort, il est limité} Le serpent introduit le doute dans la conscience de
l’homme, de la femme. ==> « Le doute rend mauvais le bien » disait Goethe. Le doute est
l’arme la plus efficace du Satan pour faire entrer sa force dans l’homme.

« Vous serez comme Elohim ». Elohim ici signifie Dieu. => Vous serez comme
Dieu lui a-t-il dit littéralement. C.-à-d. l’aspiration de la tentation est de devenir comme Dieu,
comme la divinité. C’est un souci de l’homme qui veut souvent faire sauter les limites pour
devenir comme une divinité (voir la tour de Babel, les géants de Gn 6 ; Ez 28). La tentation est
pareille à ce phénomène de vouloir devenir un surhomme. C’est cette poussée, cette ambition vers
le dépassement total (de toute limite) qui est instillée dans la conscience de l’homme par la
tentation. Le péché de l’homme le saisit par « en haut ». [Il faut donc se débarrasser de l’idée selon
laquelle ils auraient (les premiers parents) péché par la chair ; comme si l’acte conjugal serait
contraire à ce que Dieu leur avait prescrit au départ. Ne leur a-t-il pas demandé de se multiplier et
de remplir la terre ? ]

V.6 Le résultat de cette tentation est là. Le serpent se tait et laisse le trouble agir dans
la conscience de Eve par le biais du doute. Maintenant tout va se passer à l’intérieur de l’homme.
Et ce qui est important à souligner est tout va se passer selon un processus qui est naturel à
l’homme. La tentation nous pousse dans une ligne qui est naturelle à l’homme. Elle ne propose pas
des choses aberrantes, extraordinaires qui sortiraient de la nature de l’homme. S’il en était
autrement, l’homme s’en défendre bien. La tentation le pousse dans la ligne de ce qu’il est.

Travailler la terre, avoir le fruit et en jouir : tout cela est naturel à l’homme ; Dieu le
lui a confié. L’homme a reçu l’ordre de Dieu de pouvoir valoriser toutes ces possibilités (travailler
le jardin …) Mais il faut bien remarquer que même les péchés importants (capitaux) ne sont que le
prolongement des virtualités innées à l’homme. Tenez :

* L’avarice : c’est un péché capital. Mais qu’est-ce que l’avarice ? C’est le sens de
l’économie, de l’ordre, du rendement qui est poussé à bout, qui est exagéré.
* La luxure : C’est une perversion d’un instinct noble de la procréation et de la
signification de valeur, des gestes d’amour. C’est l’aberration de quelque chose de bon et de
naturel.

* La domination : c’est le service renversé, l’esprit de service renversé. On veut


servir, et tellement qu’on veut servir, on écrase.

C’est exactement la tentation d’Adam et d’Eve => Vouloir toucher à tous les arbres,
c’est ce dépassement des limites qui rend le désir mauvais. Et le texte de la Bible montre bien la
gradation de ce désir de dépassement. Il montre que le péché en général résulte d’un ensemble
d’attirance, d’un ensemble de forces qui pousse l’homme à transgresser les limites qui lui sont
imposées par le créateur.

« Bon à manger ». Cette expression relève de l’appétit sensible, tout ce qui est à la
limite de l’animal en nous.

« Le fruit était séduisant à voir » Il était attirant pour les yeux. C’est l’expression de
la beauté esthétique, le prestige, le désir d’éblouir. - On dirait en français, le désir de se faire voir.
« Fais-toi voir un peu ! » ou bien « je vais leur faire voir  ce que je suis! » => Le Christ a été
soumis à cette tentation. C’est la deuxième ! « Jette-toi en bas – montre un peu qu’on applaudisse !
Cette tentation s’est répercutée dans sa vie (Lc 4,23 Fais ici aussi comme tu l’as fait à… pour que
nous puissions aussi t’applaudir. Dans Marc, le secret messianique est la résistance à la tentation
de se faire voir avant. Sur la croix : « descends un peu si tu es fils de Dieu ! Baisse-toi un peu !
Montre-nous et nous allons croire ! » Mc 15,32).

« Le fruit est désirable pour l’intelligence » => littéralement « le fruit est désirable
pour comprendre » ( Sakal en hébreu ) Ce verbe qui a un sens très très fort, est souvent réservé au
messie dans la Bible. La science du messie est une science qui est exprimée par le verbe sakal.
Voir Is 41,20 Is 52,13 (les traductions n’ont toujours pas les nuances de l’hébreu)  ; Jr 3,15 ; Jr
23,5. Donc cette science qui est proposée à l’homme est comme une qualification quasi modifiée
du messie. Une fois que le messie commence à fonctionner dans la Bible, il est toujours présenter
comme quelqu’un de supérieur. Dans le livre de Daniel, il est présenté carrément comme un
personnage divin. « Le fils de l’homme qui est d’en haut est pour ainsi dire le messie achevé.
D’ailleurs notre Seigneur se rapportera à cette allusion du livre de Daniel quand il se qualifiera de
fils de l’homme.

==> Partant de toutes les qualifications du fruit, on peut dire que ce fruit n’est pas un
fruit particulier, un acte déterminé. C’est au contraire un ensemble de concupiscence de  : - de la
chair - des yeux - de l’esprit (orgueil de l’esprit comme le dit 1Jn 2,16. Il reprend pratiquement
la poussée qui est dans la tentation proposée à l’homme dans Gn 3). C’est aussi la modalité des
tentations de Jésus dans les synoptiques : le pain, la chute… La 3ème tentation dit « Je te donnerai
les empires » c-à-d la possession totale de l’univers. Jésus repousse ces tentations avec les paroles
de l’Ecriture. Curieusement les trois paroles de Jésus qu’il utilise dans sa défense sont les textes du
Deutéronome (auteur soucieux d’obéissance, de fidélité à l’alliance. C’est dans ce livre que Jésus
va puiser son arsenal contre les tentations qui lui sont proposées.

Après ces caractéristiques du fruit, vient le récit laconique de la chute. La


responsabilité de l’homme en face d’Eve est aussi affirmée. « L’homme en mange aussi ».

« Manger du fruit » est une l’expression qui signifie l’une ou l’autre fois dans la
Bible commettre le péché. Voir Os 10,13. => Si l’homme a aussi mangé du fruit, ceci signifie que
la tentation était commune au couple humain. Mais pour les besoins du récit, l’auteur a voulu
manœuvrer d’abord un personnage, puis l’autre dans la suite. C’est plus facile de manœuvrer
d’abord un acteur puis un deuxième dans un récit que le faire pour les deux à la fois. Voilà
pourquoi on a mis Eve à l’avant scène. ==> La deuxième signification de cette manœuvre est que
le péché n’est jamais solitaire ; ça ne touche pas qu’un individu, celui qui le commet. {La LXX a
traduit : » elle donna à son mari et ils mangèrent  les deux}

V.7 « Leurs yeux s’ouvrirent » => C’est une réalité. Leurs yeux s’ouvrirent sur une
nouvelle expérience : C’est-à-dire qu’ils découvrent quelque chose qu’ils ignoraient jusque là.
Quoi ? La nudité. Maintenant leur nudité est transformée en misère. La nudité odieuse et
douloureuse est la conséquence du péché. Cette nudité révèle qu’un désordre s’est introduit dans
leur vie.

- Le premier signal. Ils se rendent compte qu’ils n’ont rien sur eux
- Le 2ème signal. La peur devant Dieu. (Saint Jean dira juste le
contraire : l’amour chasse la peur 1Jn 4,18).

La nudité exprime ici un sentiment d’infirmité, d’insécurité dans laquelle s’est


installé l’homme : il a besoin maintenant de se protéger en mettant les vêtements, les feuilles de
figuier ( Ce n’est pas bien costaud ces feuilles ! L’auteur sacré a fait bien express pour montrer
qu’ils sont tout nus). Face à l’unité du couple (Gn 2), la sexualité est maintenant déréglée, et
comme tout le reste d’ailleurs. Cette sexualité devient un objet de tabou ; il faut se protéger
contre l’envahissement, contre l’esprit de conquête et de possession de l’autre sexe.

En hébreu « nu » se dit « harum ». Le mot « rusé » se dit aussi « harum ». L’homme
dénudé est la victime du serpent rusé. La ruse du serpent dénude l’homme.

VV. 8-11

« Ils entendent la voix ». La proximité de Dieu par rapport à l’homme n’est pas un
simple anthropomorphisme. C’est une affirmation théologique très forte. Le paradis est le domaine
de Dieu ; c’est là que Dieu est chez lui. Il va et vient (selon le texte hébreu. Les traductions disent
« il se promenait »). Aller et venir signifie que Dieu avait une vue d’ensemble sur le jardin. Sa
présence est simultanée partout, peut – on – dire. L’homme était donc en présence de Dieu partout
où il pouvait se trouver.

« La voix qui s’approche » n’est pas une voix qui parlait, mais une rumeur. C’était
une sorte de bruissement qui manifeste « l’approche de Dieu » ou « une apparition  avec un bruit
qui précède». Cf. 2 Sam 5,24 ; 1 R 14,6 ; 2 R 6,32. Donc Adam reçoit comme une apparition,
comme une théophanie, une manifestation de Dieu. Dieu se manifeste à lui (comme il le fera plus
tard à Moise et aux prophètes). Alors on comprend mieux ce phénomène de la peur. Tous les
prophètes ont eu peur avant l’apparition de Dieu. Voir Is 6. Quand Dieu s’approche, il n’y a plus
de protection qui tienne.

« Adam, où es-tu ? ». C’est la question que Dieu pose. Pourquoi la pose-t-il, lui qui
avait une vue d’ensemble du paradis ? C’est une question qui doit aider l’homme à expliciter sa
faute, à la clarifier. Par la question Dieu invite à la confession. => C’est un autre qui révèle ce que
nous sommes (Les questions du confesseur nous aident à clarifier notre faute, notre péché). Mais
cette question de Dieu n’a aucun effet. Le premier dialogue entre l’homme et Dieu ; la première
fois que l’homme parle à Dieu c’est un mensonge : « J’ai eu peur ». Il ne dit pas sa faute ; il ment
Dieu. C’est un dialogue faussé dès le point de départ. Il se dérobe à Dieu au lieu de s’ouvrir à lui et
d’être sauvé. D’autant plus que c’est Dieu qui prend l’initiative de venir à lui. Ce n’est pas Adam
qui a crié vers Dieu : « Seigneur, Seigneur, j’ai fait une bêtise. Adam est tout nu là, il n’est plus
rien, il est écrasé. Dieu vient à lui pour lui apporter une possibilité d’être sauvé => par la
confession de son péché.

VV. 12-13 « L’homme répond c’est la femme… qui m’a tenté ». L’aveu est
pratiquement nul. Et la défense qu’Adam présente pour se justifier, il la retourne en accusation :
« C’est la femme que TOI, tu as mise à mes cotés qui m’a tenté ». Il dit « la femme » comme s’il
ne la connaissait plus. Ce n’est plus la sienne, c’est celle de Dieu. => Dieu n’avait qu’à ne pas la
lui donner, et le malheur ne serait pas arrivé. Mais quand il l’avait vue pour la première fois, il
avait même fait un joli poème. Il l’a vite oublié ! ==> Le péché obscurcit le sens de la réalité, de
ce qu’on est, de ce qu’on a ; et le péché divise. Adam en ce moment crée une distance avec sa
femme, il s’en sépare. Les complices dans le péché deviennent des ennemis (voir le cas des
gangsters !) Le péché sépare de Dieu et des hommes [Contre Dieu : « que toi, tu m’as donnée » ;
Contre la femme : « la femme que tu as donnée »] => C’est l’attitude du frère aîné dans la parabole
du fils prodigue : « ton fils qui est venu » ; « toi, tu ne m’as jamais rien donné »

La réponse de la femme : « C’est le serpent, ce n’est pas moi ». Toute aussi


pécheresse, elle repousse aussi sa responsabilité et démissionne comme l’homme. Il reste le
troisième comparse, le troisième personnage : le serpent. A celui-ci Dieu ne pose pas de question.
Ça prouve qu’il a une condition rare, il n’est pas au même niveau que l’homme et la femme. Cela
veut aussi dire que l’origine du péché reste dans le mystère. Immédiatement aux vv 14 et 15, c’est
la sentence qui tombe. D’abord sur le serpent, le premier responsable. Il est frappé sans qu’il
puisse recevoir de question ni qu’il puisse se justifier. Il n’a aucune circonstance atténuante. Il est
mis à l’écart des autres animaux : «Tu ne seras pas comme les autres ». L’auteur explique ce fait
en se référant à la morphologie du serpent (il n’a pas de patte. Cf. Pr 30,19 et il mange
apparemment la poussière). C’est pour illustrer la race particulière de cet individu. ==> Ce texte
est un travail sur le péché pour montrer la supériorité, la beauté de la création avant le péché,
montrer le moment du péché et l’état de décadence amenée par le péché ; montrer le regret que
doit inspirer l’existence du péché. C’est ce que veut dire le texte.

« Le serpent mange la poussière » => La poussière dans la Bible est souvent le signe
de désagrégation, de mort. On peut comprendre que le serpent mange la mort. Le serpent est un
être de mort : le diable est un être qui mange la mort et qui la recrache sur le monde : Is 65,25 ;
Ps 72,9 ; Michée 7,7.

Face à l’homme, le serpent est dans une position d’inimitié « Je mettrai une
hostilité entre toi et la femme ». Le mot hébreu utilisé « heba » est très fort. Il signifie hostilité
permanente, invétérée, illimité. On trouve ce même mot dans Nb 35,21 (haine invétérée) ; Nb
25,15.

V.15. Le combat contre le serpent est exprimé en termes de réciprocité. Le serpent


fait « shouf », la descendance aussi fait « shouf ». « shouf » = agripper, mordre, serrer. C’est
l’image de cette lutte entre le serpent et la femme.

La forme du verbe en hébreu est au qal (ce n’est pas dans un sens intensif pour que
ça finisse vite. C’est-à-dire qu’il n’y aura pas de victoire éclair, mais une guerre à usure ==>
L’auteur constate que la victoire n’est pas encore là ; la lutte se poursuit. Cependant il faut qu’il y
ait une supériorité de l’homme. Oui, la supériorité de l’homme est nécessaire sinon la malédiction
du serpent n’aurait pas de sens. Cette victoire est exprimée par la différence de position
stratégique. La femme écrase la tête du serpent. Et ceci va bien avec la théologie du Yahviste, car
lui est optimiste. Sa théologie va de l’avant, ce n’est pas une théologie à l’avenir bouché. Cette
victoire entrevue est déjà une vue messianique. En effet, les jours du messie sont les jours où le
mal sera vaincu ; ce sera le sens de toutes les prophéties jusqu’à l’arrivée de Jésus. Le mal sera un
jour vaincu dans les jours du messie. Or à l’époque de J, le messie commence à poindre à
l’horizon. Un messie personnel. Cf 2 Sam 7 (prophétie de Nathan), Gn 49,10-11 ; Nb 24,17.

La perspective de la victoire de quelqu’un de la descendance de la femme n’est pas


étrangère au Yahviste. Ceci a été perçu dans la suite par les auteurs grecs (de la LXX). En
traduisant ils ont écrit : « Je mettrai une inimitié entre ton lignage et son lignage ». Lignage –
descendance en grec c’est «σπέρμα», et ce mot est au neutre. Voilà que la LXX a dit en
traduisant : « Je mettrai une inimitié entre ta semence et sa semence ; LUI t’écrasera la tête ». Le
grec a mis αυτος qui est masculin parce qu’il lisait le messie derrière. Il n’y a pas que le grec qui
l’a fait, le Targum aussi. Il y est écrit « Cette prophétie se réalisera au temps du roi messie » Il a lu
le messie dans la descendance. Les latins sont allés encore plus loin (C’est la traduction de
Jérôme : donc après le Christ), ils mettent la Sainte Vierge dedans. Ils disent : « Elle t’écrasera la
tête » (Elle = Sainte Vierge). Est-ce qu’on peut tirer tout ça du texte ?

 Partons du sens des mots « lignage » et « femme » qui sont dans le


verset.

°Lignage – descendance = « zerah » en hébreu. Ce terme est employé pour parler de


la descendance masculine (je multiplierai ta descendance, …). Cela comporte toujours une
signification masculine parce que dans la mentalité sémite c’est à travers les mâles, les masculins
que la descendance s’exprime et se poursuit. C’est pour cela que toutes les généalogies de l’AT
sont au masculin. Il n’y a qu’une généalogie où on a des femmes : celle de Matthieu dans le NT (il
y a quatre femmes). => Le terme lignage désigne donc la descendance masculine. En faisant
intervenir la logique, on doit penser que dans la descendance masculine émergera un individu pour
mener le combat à sa fin. D’ailleurs pour le serpent, le mot lignage n’a pas de sens. C’est un pur
symbole. Le serpent n’a pas de « fils ». C’est lui-même qui est là. On emploie le terme pour jouer
la symétrie = pour dire simplement que « vous serez toujours face –à – face », comme si le serpent
s’était aussi multiplié. Dans Is. On parle de cette émergence d’un individu : Is 11 (le rameau qui
est le messie) ; et son parallèle en négatif est en Is 14,29 (il s’agit du roi d’Assyrie). On a juxtaposé
ici un parallèle : d’un coté le messie et de l’autre l’antéchrist, l’ennemi type du peuple élu, le roi
d’Assyrie. Ceci confirme le grec et le Targum de Gn 3,15. Donc il faut un individu ; un individu
qui doit être très fort pour pouvoir vaincre. (Mais on ne sait pas encore qui c’est)

Le raisonnement analogue doit être fait avec le terme « femme. Qu’est-ce que c’est
que cette femme qui doit écraser la tête du serpent ? ‫ = השי‬la femme ; il s’agit d’une femme bien
déterminée. C’est nécessairement Eve en un premier temps. Eve comme interlocutrice et
protagoniste en face du serpent. Mais ça ne durera pas longtemps, parce qu’elle ne joue aucun rôle.
Dans le texte, on ne voit pas comment elle écrase la tête du serpent. L’annonce est faite d’ailleurs
pour plus tard. Donc la personne d’Eve est dépassée dans le texte pour plusieurs raisons :
° Le texte qu’on a est un oracle. C’est une poésie qui porte toujours plus loin que le
moment présent, le moment où cet oracle est prononcé. Tous les oracles prophétiques portent
toujours plus loin que le moment où ils sont prononcés. Exemple : Is 7,14. [=> Ici la jeune femme
c’est la femme du roi qui enfantera au milieu de la situation de désarroi, de détresse où on est.
Annonce positive pour donner courage au peuple au moment de détresse qu’on traverse. C’est le
premier sens. Mais cette prophétie si lourde : « donner l’Emmanuel », ce n’est pas quelque chose
de banal, pas ordinaire, ça ne doit pas être limité à la date de 704 ou 702. Elle va plus loin. C’est
pourquoi les théologiens depuis l’AT ont travaillé et lui ont trouvé un sens plus riche et
parfaitement valable] Dans cet oracle (voir la disposition dans BHS) c’est la femme qui est mise en
relief dans cette lutte contre le serpent.

° Si c’est la femme, elle doit alors avoir un rôle particulier dans cette lutte. Or du
temps de l’auteur, la femme avait encore une situation subalterne dans la société. En valorisant la
femme, l’auteur valorise quelqu’un auquel on ne s’attendait pas. Jusque là, peu de femmes ont
émergé dans l’histoire publique pour qu’elles soient données comme modèle de performance
religieuse. Les grandes femmes jusque là sont Sara, Rébecca, Rachel, Léa et Débora. Et pourtant
l’auteur entrevoit un rôle particulier de la femme dans la lutte, dans l’écrasement de la tête du
serpent. On peut donc conclure que dans ce verset Jésus et Marie sont présents de façon encore
obscure, voilée, implicite mais tout de même déjà réel. (Beaucoup d’exégètes ne voient pas Jésus
et Marie dans ce verset. Ils affirment que c’est la lutte indéfinie entre l’homme et la méchanceté, le
mal sans émergence d’un individu, descendant de la femme). Mais nous pouvons dire que dans ce
verset il y a le mystère de Jésus vainqueur du Satan d’un coté et la victoire sur le diable par la
conception immaculée de Marie (Quand Jésus dit : J’ai vu Satan tombé du ciel comme un éclair
dans Lc -> n’est-ce pas là une affirmation de la victoire sur le serpent ? Dire seulement qu’il y a
lutte, ça ne suffit, car il n’y aurait pas de victoire. Or la victoire sur Satan est inscrite dans le texte.
C’est donc dans ces deux personnes que s’accomplit la prophétie de Gn 3,15.

v.16 Il s’agit ici de la femme comme telle (non plus de la femme symbole de
l’humanité, mais de la féminité). Il est question ici du «châtiment» de la femme qu’on envisage
dans sa qualité d’épouse et de mère. Remarquez que la femme n’est pas maudite. Elle reçoit la
détermination de son destin. Elle est touchée dans sa particularité d’épouse et de mère c-à-d
maternité douloureuse au lieu d’une pure joie créatrice, penchant irrésistible vers l’homme (c’est
une exigence de la maternité : tension extrême de la femme vers l’enfant qu’elle ne peut pas avoir,
le drame de la stérilité. Voir les tourments des femmes entre elles : Sara et Haggar ; Rachel et Léa,
les filles de Loth qui couchent avec leu père pour avoir la descendance ; Tamar avec son père) ; la
subordination de la femme vis-à-vis de l’homme est exprimée là. Les relations du couple ne sont
plus équilibrées comme auparavant. Il faut maintenant ramer, faire des efforts pour que l’unité du
début se réalise. La femme reste fondamentalement ce qu’elle est par vocation ; partenaire égal de
l’homme. Mais la réalisation de cette vocation est hypothéquée. Les conséquences du péché se
manifestent dans les différents aspects de la condition féminine. C’est pour cela que à l’ère
messianique, ou au fur et à mesure que le messianisme se réalise (que le péché diminue), cette
sorte de suggestion diminue (voir par exemple Cantique des cantiques 7,11 => les conditions
douloureuses diminuent). Cette situation de domination de l’homme n’est pas dans le plan de Dieu.

VV.17-19 Châtiment de l’homme. Celui-ci est d’abord motivé : « parce que tu as


écouté ta femme » c-à-d parce que tu n’as pas tenu ton rôle de responsable numéro 1 de la
communauté conjugale. Quand Adam donne le nom à Eve, cela prouve que c’est lui le premier ;
que c’est lui qui a la direction ; que c’est lui le chef de fil. Il a désobéi à l’ordre formel de Dieu qui
lui avait donné cette responsabilité. Son châtiment c’est le travail. Celui-ci devient onéreux,
pénible. La « adamah » est maudite à cause de l’homme. La correspondance entre l’homme et la
terre est brisée. Il faut la retrouver pour qu’il y ait unité, pour qu’il y ait l’équilibre exprimé dans
Rom 8,22 (C’est-à-dire la terre est solidaire de l’homme, et les deux doivent retrouver l’harmonie
entre eux) => que la terre ne soit source de souffrance, et que l’homme aussi ne soit plus source
d’altération de la terre. Dans le texte, la terre apparaît comme une marâtre, une mère non bonne,
qui produit des ronces et des épines. C’est le symbole de la relation perturbée entre l’homme et la
nature. C’est la condition pécheresse qui fait percevoir maintenant la dureté de cette relation
homme-terre. Mais la terre n’a pas été abîmée, c’est la relation qui est ruinée. Le responsable de
cette altération de la terre dit saint Thomas, c’est l’homme. La rédemption de la terre se fera par la
rédemption de l’homme. L’homme nouveau, purifié, dégagé du péché cessera de dégrader la terre,
de l’abîmer par une surexploitation excessive (par exemple). La terre n’entre plus en repos pour se
reconstituer ; elle est abreuvée d’engrais.
Et la mort dans tout ça ? Qu’est-ce qu’elle vient faire ? Il est dit au v.19 « jusqu’à ce
que tu retournes à la poussière ». La mort est présentée comme une fin normale de la vie. Le texte
ne laisse rien paraître d’immortalité qui aurait été perdu. «  Tu travailleras durement toute ta vie
jusqu’à ce tu retournes à la poussière, car en réalité tu es poussière ». On peut même se demander
si cette formule n’est pas positive dans le sens qu’elle dirait « tu travailleras dur jusqu’à ta
délivrance » ! Tu auras un repos à un moment donné ! Là, la mort serait envisagée comme un
bienfait.

Toutefois, la mort est naturelle pour ces raisons :

*La structure des sentences (relatives à l’homme, relatives à la femme, et même


relatives au serpent) sont des choses qui sont présentes comme inhérentes à la nature humaine, à la
nature de ces êtres (absence de patte, manger la poussière, l’enfantement douloureux chez la
femme, la relation de la femme à l’homme, l’homme et le travail, la relation avec la terre). Tout
ceci est naturel ; c’est ce qui lui revient par nature. C’est la manière dont ils sont perçus après le
péché qui fait problème. L’élément formel introduit après le péché c’est l’altération de la relation
réciproque homme-femme, femme-enfant, homme-terre ; l’altération qui explique maintenant la
place de l’homme et de la femme dans la création. => On peut dire la même chose de la mort qui
arrive en fin de la trajectoire. Elle arrive comme conclusion normale.

* Gn 2,17

VV.20-24. Ces versets ne sont pas homogènes entre eux ni par rapport au reste du
chapitre. On y voit la mention de la femme et de l’arbre de vie qui réapparaît alors qu’il n’a joué
un aucun rôle jusqu’à présent. Ensuite, une fois dans la situation de péché ( où nous sommes déjà
arrivés), ça n’a plus de sens dire que l’homme n’avance pas la main vers l’arbre de vie. C’est déjà
fait ! Donc on peut penser que ces versets sont le reste d’un autre récit de la chute ( peut-être du
même auteur J) => Ceci fait que ces versets ont une autre signification, car ils ne sont plus le récit
d’une chute ( qui est déjà arrivée). Ils sont une grande et impérative mise en garde contre toute
autre tentation qui viendra ; contre tout autre désir de reprendre l’arbre de vie et d’essayer d’être
encore une autre fois immortel ; ce n’est plus possible d’autant plus que Dieu dit « voici l’homme
est devenu comme l’un de nous, connaissant le bien et le mal ». La connaissance du bien et du mal
ici n’a plus le même sens que ci-haut { Connaissance universelle, désir absolu de dépasser toutes
les limites} ; maintenant il a le sens moral {l’homme a appris quelque chose qu’il n’aurait pas dû
apprendre c.-à-d. il connaît maintenant le bon et le mauvais dans le sens moral.

De ce fait, ces versets constituent une grande et sévère mise en garde ; que ce qui est
arrivé ne se répète plus, que cela ne se reproduise plus. Ne recommencez plus le geste orgueilleux
d’Eve et d’Adam, restez bien à votre place.

III : Gn 4

Gn 4, 1-6. Nous donnons d’abord quelques remarques sur le texte ,puis viendra le
sens fondamental du texte.

Au V.1, nous avons Caïn. En hébreu on a Qain et en grec Kain. L’orthographe que
nous avons dans nos Bibles nous vient de latin. Ce nom est un substantif en hébreu désigne « la
lance ». Le verbe qnah signifie façonner, modeler (spécialement les objets de métal). Ce verbe est
aussi utilisé pour signifier, parler de la création du monde. Yhwh a aussi façonné, modelé. C’est le
ses qu’on trouve dans Gn 14,19 et Ps 115,15.  Donc le cri d’Eve : « j’ai procréé un homme,
avec le Seigneur » signifie « J’ai façonné, J’ai engendré, J’ai acquis, J’ai formé un homme avec
Dieu ». Ce cri est en même temps un acte de profession de foi où Eve reconnaît que toute
procréation vient de Dieu.

Au V.2 on a Abel. En hébreu ce mot s’écrit Hebel (ou Habel en pause).Il signifie
souffle, vapeur, brise légère, et par extension Vanité.

V.7 est un texte difficile car le texte est altéré. Toutes les Bibles (BJ, TOB)
l’indiquent. On peut reconstruire un sens valable en comparant ce verset avec deux autres versets
Gn 49,9 et Nb 23,24 (qui sont des textes contemporains de celui de J). => En comparant les trois
textes, on peut dire qu’il s’agit de la tentation comparée à un fauve, un animal couché devant la
porte, ce fauve qui menace et qui doit être vaincu. C’est une affirmation importante de la liberté
de l’homme face au péché. Liberté qui est réelle mais qui fonctionne souvent de travers. C’est
important pour J après la narration de la chute et du péché qu’il réaffirme la liberté de l’homme.

Au V.9 On a la réponse insolente de Caïn qui contraste avec la frayeur qu’a éprouvée
Adam lorsque Dieu lui a parlé. Caïn se comporte en effronté qui révèle une baisse grave du
sentiment religieux. Nous sommes déjà au commencement de cette dégradation que le Yahwiste va
nous décrire dans les pages suivantes.

V.11 Ce verset exprime de façon forte et réaliste la gravité du péché ; la gravité du


crime commis. La terre (adamah) a bu le sang d’adam ; Caïn est maudit à la suite de ce crime.
C’est la seule malédiction qui soit portée contre un homme dans la Bible. C’est ce qui montre la
gravité du crime. Et pour accentuer la gravité du crime le sang versé (le mot sang )est mis au
pluriel dans le texte hébreu, c’est-à-dire le sang versé coule abondamment.{Et les maîtres juifs ont
accentué la valeur de ce pluriel en disant que ce pluriel est donné pour exprimer, pour évoquer le
sang innocent versé dans toute l’histoire humaine}. Cette malédiction fait de Caïn un errant (nāv‛)
et un vagabond (nād) au v.12. A ce propos voir Sir 36,25 qui dit « un homme sans femme n’est pas
un homme ; il est comme Caïn => Errant et vagabond. Cela pose sur lui une sorte de malédiction
qui le diminue sa vocation d’homme normalement constitué. Que dire alors des religieux  ? La
charge de la solitude est supprimée par l’abondance de relation et le service d’amour qu’ils
rendent.

 Le sens fondamental du texte :

Le récit concerne d’abord les origines et les caractéristiques du clan des Qénites Ils
sont apparentés (ou proches des) aux hébreux ; et dans certains nombreux passages fidèles
yahwistes. On verra dans l’Exode Moise qui fuira chez les Madianites apparentés aux Qénites ; et
selon le texte ils sont adorateurs de Yhwh. Il y a là une sorte de familiarité, un bon jugement porté
à l’égard des Qénites. Ils sont aussi adorateurs de Yhwh : On les rencontre en Nb 10,29 ; Jug
4,11 ; Nb 24,21 ; Jug 1,19 ; Jug 4,11.17 ; I sam 15,16 ; I sam 27,6 ; I sam 30,29 ; 2 R 10,15 ; Jer
35  1 Chr 2,55. Le Yahviste ne les a pas beaucoup estimés. Mais ce n’est pas ce qui était sur
terrain : C’est pour trouver chez eux l’illustration de la croissance du péché.
 Le Yahviste a repris leur tradition populaire en les transposant sur le plan
religieux. C’est dans les rangs des Qénites qu’il a trouvé des figures pour illustrer sa théologie.
C’est pour illustrer sa théologie : la croissance rapide du péché et la miséricorde de Dieu. Le péché
grossit subitement jusqu’à l’assassinat et la suppression du partenaire au dialogue.

 Le récit dans sa première forme ne concernait pas l’humanité première, car il


est dit au v.14 « le premier venu que je rencontrerai va me tuer », et au v.17 « il trouve une
femme ». Donc c’est un récit qui s’intéresse à Caïn et s’occupe de sa figure indépendamment de
son attachement à Adam et Eve.

La densité théologique de ce récit est ici importante ; et en voici quelques


idées maîtresses :

a) La préférence de Dieu pour Abel. Elle ne se justifie pas rationnellement. Caïn,


l’aîné aurait normalement pu prétendre à un traitement privilégié, mais ce privilège n’a pas joué.
=> On a voulu expliquer cela par la différence de qualité des offrandes : Abel offre un animal gros
et gras tandis que Caïn présente des offrandes végétales frelatées. Les rabbins ont été même très
précis en disant que Caïn a apporté les offrandes en moitié pourrie. Ce sont des justifications
qu’on donne parce qu’on supporte mal cette différence apparemment injustifiée entre le premier
Caïn et le second Abel. On supporte mal que le deuxième passe avant le premier. En réalité la
raison profonde de cette préférence échappe. C’est l’illustration du principe que Dieu répète dans
la Bible. Rom 9,14-24 ; Mal 1,2-3.

b) Le plus grave des péchés qui a entraîné la malédiction ; qui a même défiguré
physiquement Caïn (vv.5-6) trouve un pardon auprès de Dieu. Cela a été exprimé par le signe qui
doit protéger Caïn de toute agression injustifiée. C’est Dieu qui le punit ; l’homme n’a pas à le
punir, à se venger du sang, et d’un assassinat. C’est Dieu qui reste maître de la vie et de la mort.
=> On a pensé habituellement que ce signe représente un tatouage de la tribu des Qénites interprété
alors dans un sens religieux. Le signe aurait été tracé par Dieu lui-même. Plus tard, on verra dans
la Bible les anges tracer un signe sur les fidèles (à l’alliance) toujours avec ce sens de protection
(Ez 9 et Ap 7), de sauvegarde. C’est ainsi que saint François a pris ce signe. Les Rabbins ont
toujours une signification en plus. Ils disent que Dieu avait tracé une de quatre lettres du
tétragramme.
c) C’est Dieu lui-même qui se réserve le châtiment du péché. C’est lui seul qui est le
maître de la vie et de la mort. La vengeance sauvage (coutume primitive parmi les nomades) n’est
pas admise par la Bible. => La vengeance sauvage n’a aucune limite ; elle est totalement arbitraire.
La torah ne l’admet pas. La loi du Talion, la loi du châtiment est réglée par un droit de la
communauté Ex 21,12-14 => Pour la protection du meurtrier. Celui qui doit accomplir le
châtiment, ce n’est pas un proche parent, mais le « Goel » c’est-à-dire le vengeur du sang, qui a
pris dans le temps la signification de « rédempteur », racheteur Job 19,25.

La descendance de Caïn Gn 4,17-24 (c’est encore le J)

Cette généalogie est très incomplète. Elle ne sera plus reprise. Elle est donnée dans
l’esprit de J pour caractériser une nouvelle étape de la dégradation morale. Elle peut provenir
d’une tradition différente de la précédente parce qu’on y parle encore des villes de Qénites. Deux
idées principales à retenir dans ce passage :

° Le progrès de la civilisation urbaine et technique se fait dans le clan des


descendants de Caïn (peu estimés par J du moins). J a mal jugé la civilisation technique et urbaine.
C’est lui qui aura le récit de Sodome et Gomorrhe, villes éminemment pécheresses. J ne condamne
pas le progrès technique puisque l’homme est mis dans le jardin c-à-d sur la terre pour la garder, la
développer et la faire prospérer. Mais le problème se situe au niveau de l’harmonisation de ce
progrès technique, de sa maîtrise. {On sait combien le monde et nous les chrétiens avons de peine
pour diriger ce progrès qui va souvent à l’aventure et entraîne les conséquences dramatiques,
douloureuses pour l’humanité}. Dans cette lignée de Caïn , il trouve trois personnages qui lui
servent à illustrer cette croissance du progrès. Le premier (Yabal) joue un peu moins. Celui-ci est
le patron des bergers dans le désert. Ce sont les deux autres qui vont illustrer ce progrès : Youbal et
Toubal- Caïn . Youbal par l’introduction de la musique ( avec son instrument « le yobel = corne
de bélier. C’est cet instrument qu’on utilisait et utilise encore pour introduire, pour faire entrer
dans la liturgie des grandes fêtes, spécialement le jour du nouvel an. Aujourd’hui encore on sonne
la yobel qui s’appelle aussi shauffar = corne de bélier ». Toubal- Caïn qui signifie celui qui porte
la lance ( il est l’ancêtre des forgerons) a une sœur : Naama = charme, douceur. Pourquoi cite-t-on
cette fille ici ? C’est pour rappeler que c’est cette personne qui est à l’origine de la musique, du
chant et de la danse. Naama est l’initiatrice de la danse et des instruments légers. Les rabbins ont
aussi eu une parole pour Naama en disant qu’elle était tellement belle que les anges qui sont autour
du trône sont descendus pour frotter avec elle. Ceci ressemble un peu le chapitre 6 où les filles des
hommes étaient très belles et les anges sont venus se marier à elles.

° Le progrès technique se situe dans la lignée de Caïn, il ne faut pas l’oublier. C’est-
à-dire que J est réservé en face du progrès technique parce qu’il en voit les dangers de la ville et
les inconvénients de la technique par la création des armes et de la guerre. La technique n’est
innocente, elle crée les abus que nous voyons. On voit comment la Bible est toujours sa vérité pour
tous les temps. On voit les méfaits de grosses accumulations urbaines avec des millions
d’habitants.(la ville de Mexico regorge 18 millions d’habitants ! Un homme ordinaire est perdu
dans cette masse humaine effrayant. Cette critique que le J fait à l’égard des villes et du progrès est
justifiée ; le chrétien doit toujours veiller à la surveiller de sorte qu’elle ne soit pas nuisible à
l’humanité). Toubal- Caïn inaugure l’art du métal, celui des forgerons. Il fabrique les armes qui
favorisent la guerre et les luttes sanglantes et introduit en quelque sorte le chant de vengeance, le
chant de guerre, le chant de Lamek qui suit immédiatement. [ Ce texte peut être indépendant du
début de la descendance de Caïn, mais il a été repris par le Yahviste pour exprimer la croissance
du péché par la polygamie qui porte atteinte à l’idéal monogamique présenté en Gn 2. Cette
polygamie existe déjà au temps de J. Cf. la polygamie modeste et paisible chez Elkana, le père de
Samuel ; polygamie déjà plus accentuée avec David (8 femmes et les concubines) ; polygamie
peut-être aussi du temps de Salomon auquel on attribue 700 femmes et 300 concubines. C’est un
chiffre rond pour expliquer deux choses : la puissance de Salomon et la multiplication des
étrangères considérées moins bien. Voilà pourquoi J a réquisitionné ce texte pour faire la critique
de la polygamie.]

 La cruauté extrême de Lamek est probablement dans l’esprit de J la


conséquence de la polygamie. L’homme qui a plusieurs femmes a difficile à les maîtriser, alors il
se durcit. Il devient un potentat. Il se fait chef, au lieu d’avoir une relation amicale, affectueuse
avec sa femme qui le forme, qui l’adoucit et l’équilibre. La polygamie ne favorise normalement
pas l’équilibre de l’homme. => Lamek exprime la cruauté d’une façon extrême. Dans son attitude
on voit aussi les traits blasphématoires à l’encontre de Dieu. Dieu venge Caïn 7 fois (une façon
mesurée, réglée) ; Lamek pousse la vengeance jusqu’à des limites indéfinies (77 fois) c-à-d sans
limites. Il s’arroge un droit et une puissance plus élevés que ceux de Dieu même. => On comprend
alors la parole de Jésus qui dit «  pardonnez 70 fois 7 fois. Et certains autres manuscrits disent 77
fois 7 fois. C’est le retournement de la cruauté, de l’esprit de vengeance de Lamek. C’est dans le
pardon, dans la non-vengeance que s’exprime de façon authentique et véritable l’amour du
prochain.

La descendance de Seth (vv.25-26). Nous rejoignons ici la lignée de Abel. Au v.25


la procréation est attribuée à Dieu. Au début de la généalogie de Caïn, il n’est pas question de
Dieu. La descendance de Seth est donc présentée comme une descendance bonne, religieuse.

Au v.26, on parle de « Enosh ». Ce terme signifie « Homme ». A la différence de


« Ish », Enosh désigne homme dans en tant qu’humain frêle, fragile. Le descendant de Seth et
d’Abel est un homme fragile qui contraste avec celui de la lignée de Caïn qui est immédiatement
constructeur de ville. L’auteur sacré place cet homme fragile au début de la généalogie de Seth
parce que c’est avec des hommes faibles que Dieu veut travailler. Et cet Enosh commence à
invoquer le nom de Yhwh. C’est le premier à établir un culte régulier à l’égard de Yhwh. =>
Affirmation d’un culte régulier, puis c’est Yhwh sous ce nom qui est invoqué, honoré. Ceci veut
dire dans l’esprit du Yahviste que c’est Yhwh Dieu d’Israël qui est le vrai Dieu dès les origines. E
et P ne servent du nom de Yhwh que trop tard : à partir de Ex 3,14 pour E, et de Ex 6,2-3 pour P.
=> Il n’y a pas d’autre Dieu pour J. => C’est donc une profession de foi de J au Dieu unique.

A ces deux versets (25 et 26), il faut ajouter Gn 5,29-30. P a utilisé la généalogie de
J pour présenter Noé en 5,29. [ Il y a une terminologie du Yahviste. En effet, il dit Noé va nous
« consoler » en parlant des travaux de le terre qui est maintenant maudite]. Qu’est ce que ça veut
dire ? La malédiction du sol en Gn 3 est annulée par la justice de Noé. Quand le péché recule dans
les personnages justes, les conséquences du péché reculent aussi. Noé est un cultivateur ; il n’est
pas un industriel. Il cultivera de façon droite et juste, et la terre donnera la consolation. Il y aura de
la vigne.

IV : Gn 5, 1-32 Les patriarches avant le déluge.


Ici on a une illustration parfaite de la méthode et de la mentalité de P. On a dès le
début la formule type de P « voici le livre de la descendance de… ». Ici commence donc une
longue généalogie qui, avec interruption, va conduire jusqu’à Moise (cf. Nb3,1 généalogie de P
sans interruption). Tout le vocabulaire renvoie à Gn 1 (Par exemple : homme et femme il les créa).
Cette généalogie est un schéma stéréotypé qui se continue de façon rectiligne, sauf pour deux
personnages : Enosh (21-24 : « il marcha avec Dieu ». c’est une formule qui ne se trouve pas chez
les autres. Voir aussi « il ne fut plus, parce que Dieu l’avait pris ») Noé (v.29 : celui-ci nous
consolera de nos labeurs et de la peine…).

« Il ne fut plus parce que Dieu l’a pris » => c’est une indication d’une relation
particulière entre Dieu et cet homme. Henok vécut 365 ans. C’est le nombre d’une année solaire.
C’est-à-dire cet homme a accompli un cycle parfait ( Les autres ont leur durée qui tourne autour de
900 ans). « Il ne fut plus parce que Dieu l’a pris » est rendu ailleurs par « il disparut… ». Le terme
hébreu rendu par le verbe prendre est un terme spécifique pour les enlèvements vers le ciel. Il n’est
pas souvent utilisé, chaque fois qu’il est employé c’est une ascension, un enlèvement mystérieux
(cf. 2 R 2,3.5.9 ; Ps 49,16 ; Ps 73,24 ). Ce terme exprime donc une conviction d’une vie
personnelle dans l’au-delà. Dieu accorde donc à Henok une vie totale, une vie en plénitude en ne le
laissant pas voir la mort parce que c’est un homme juste. Henok échappe à la destinée normale de
tous les pécheurs. Ce sort d’Henok a eu un succès énorme dans la suite des traditions. Le
personnage a été honoré, vénéré, regardé comme synonyme de toute la science, de toute la
connaissance et détenteur de toute la révélation de Dieu (Cf. Sir 44,6 ; Sg 4,10  ; Hb 11,5 ; Jude
14-15). Voir aussi le fameux livre d’Henok dans les écrits intertestamentaires). [Les trois
personnes qui ont été pris dans la Bible sont : Henok (avant la Loi) ; Eli (sous la Loi) et Jésus].

REMARQUEs GENERALEs SUR GN 5

En regardant la généalogie de Adam à Noé telle qu’elle est donnée dans Gn 5, cette
liste présente une grande ressemblance avec une liste babylonienne. Chacune de deux comporte
dix noms ; ce n’est pas par pur hasard. Mais les personnes citées dans celle des Babyloniens sont
des rois. Le troisième personnage de ces deux listes a le nom de « homme »[ : Enosh dans Gn 5 et
« amedou » dans la liste babylonienne. (Amedou = homme en babylonien)], et le 7 ème est en
relation spéciale avec Dieu [ : Ici Henok ; et Entoranti chez Babyloniens, parce qu’il y anime le
culte dans le sanctuaire de Babylone. Le 10 ème c’est Noé et de l’autre côté c’est … qui signifie « les
jours de l’esprit » c-à-d des longs jours.

La différence entre ces deux listes :

a) Les chiffres d’age en Babylonie sont exorbitants : 30 mille ans, 40 mille…


tandis que chez P ça tourne autour de mille ans.  

b) Les deux premiers noms dans la liste de Babylone sont des demi-dieux ; chez
P ce n’est pas le cas.

c) Les chiffres de P sont artificiels et symboliques. Tous les ages ici sont
divisibles par 5 ou bien divisible par 5 plus 7 ( par exemple 977= 970 +7 c’est le cas du
v.26. ). % est un chiffre parfait et 7 un chiffre encore plus parfait. => C-à-d que le calcul de P
a un but : il nous mène depuis la création du monde jusqu’à l’Exode qui se situe en 2666
avant notre ère. 2666 c’est les 2/3 de 4000. ( Les chiffres expressifs sont 3,5,7,12,50). La liste
de P conduit vers quelque chose qui est la libération. L’humanité marche vers une libération,
vers un salut. Au bout du salut il y a le messie, le sauveur qui n’est pas exprimé explicitement
ici. Il y a donc une marche vers un jour. L’histoire selon P n’est pas une marche aveugle, une
chose désordonnée et sans but, puisque P se situe à l’exil et exprime sa confiance dans
l’avenir.

d) P n’a pas de récit de la chute qui correspondrait à Gn 3. Il a exprimé les


conséquences du péché par cette diminution de l’age des patriarches. La génération après le
déluge voit son age tourner autour de 300 ans, ensuite ça gravite autour de 100 ans jusqu’à
Moise qui en a 120 ans ( ce qui est l’age exemplaire des temps actuels. C’est l’age maximun
dans les conditions présentes où nous vivons après l’exil. Le péché a donc joué son rôle,
maintenant l’homme a un age limité. => Le psalmiste va encore plus bas : 70 ans, det 80 pour
les plus forts).

V : Gn 6

Gn 6 est un chapitre mystérieux avec le mariage des anges ( les fils de Dieu) qu’il
renferme. Ce récit évoque la mythologie des géants. Chaque peuple a aux origines des
personnages de grandes dimensions, même physiques. Les Grecs étaient convaincus que leurs
héros anciens étaient de demi-dieux issus du mariage des divinités avec des femmes humaines.
( Zeus était marié à la Lune et eut Achille comme enfant). En Israël, on a connu aussi des
légendes relatives à des géants. Voir Nb 13,31-33 ; Dt 2,10 ; Dt 3,11 ; Jos 17,15. L’auteur a
utilisé cette croyance, cette légende pour ramener les choses à leur juste dimension.

VV.1-4 C’est l’entrée du déluge, l’introduction qui est ici donnée avec sa
signification morale. On y parle de la décadence morale de l’humanité ; des géants qui sont le
symbole d’une volonté de puissance démesurée (Sg 14,6 ; sir 16,7). Ces géants sont des êtres
hybrides.

Gn 6,5 – 9,17 c’est le corps du texte relatif au déluge. Ce texte provient de deux
sources J et P mélangés. Ce récit occupe le 1/3 de toute l’histoire primitive : 81 versets sur 223.
Cela montre peut-être aussi l’importance que la tradition biblique attache au déluge. La part de P
y est prépondérante (53 versets).

Remarques sur le déluge selon le Yahviste

6,3 On a la mention du repentir de Dieu. Cela exprime de façon réaliste le lien


entre Dieu et l’homme. Dieu dans la Bible n’est pas indifférent à ce que fait l’homme. Il est
vivant et non une idée abstraite qui n’aurait aucun contact avec l’homme. Le comportement,
pourrait-on dire, lui fait quelque chose.

6,5 Le jeux des mots expressifs pour caractériser le mal : « Son cœur était
uniquement, seulement méchant et toute la journée » = c’est-à-dire son cœur était totalement
méchant.

6,7 Il y a une énumération de l’homme, de bétail, reptile… Ceci peut être une
addition de P.

6,8 Noé trouve « grâce » devant Dieu (en hébreu « hen » . C’est le charme qui
attire, qui rend agréable, spécialement quand cela se dit du charme féminin). Le sens s’est déplacé
vers la signification morale. Etre trouvé agréable c’est-à-dire celui qui trouve agréable a trouvé
chez l’autre les dispositions affectueuses suite aux qualités de celui qui est trouvé. Cette racine
« hanan » donne aussi le nom de Johanan (Jean) et Hanana (la gracieuse – la gratifiée la mère de
Samuel le prophète et Anne la prophétesse dans la NT)

Le récit de J provoque le déluge par l’inondation due à des pluies excessives (7,12).

Au 7,4 et 7,12 Nous avons la première mention de 40 qui exprime ici une durée
exemplaire de l’épreuve au bout de laquelle survient le salut. Quelles sont les étapes
chronologiques du récit de J :

7,4 annonce

7,12 la pluie tombe

7,17 le déluge

8,2b-3a retrait des eaux

8,6 ouverture de la fenetre

8,8 la colombe vole

8,10 attente de 7 jours

8,12 attente de 7 jours encore

Total : 40 jours de pluie + 40 jours de déluge et de retrait des eaux + 21 jours


d’attente = 101 jours.

J fait embarquer 7 couples d’animaux purs en 7,2 pour la consommation et pour le


sacrifice que Noé offrira à la sortie en 8,20-21. J est moins légaliste que P , il établit la distinction
entre animaux purs et impurs dès le début. P l’introduira seulement à partir de l’exode et des
prescriptions établies par Moise.

La stabilité future du monde est en harmonie avec la théologie de J relative à la


création. En 8,21 il rappelle que l’homme est fragile, enclin au mal par nature( Cf Gn 2-3 où il est
dit que l’homme est poussière. Voilà pourquoi Dieu a désormais pitié de lui. Le pardon accordé
après la chute, il en garantit le renouvellement permanent. La fidélité de Dieu est garantie par la
stabilité des saisons. Elle est nécessaire pour assurer la vie active du maître de la terre qu’est
l’homme. C’est une alliance, bien que le mot alliance ne soit pas prononcé dans la formulation
expresse où Dieu est vraiment le donateur libre, qui n’a pas exigé de contre-partie. Dieu donne
librement la stabilité et la continuation de la vie après le péché. C’est donc d’après J un pardon
complet accordé.

Récit de P avec ses caractéristiques :

6,9 Début caractéristique de P. ( Voici la généalogie… c’est typique de P cette


formule)

La justice de Noé est caractérisée avec deux termes : - Tsadiq et tamim. Tsadiq =
juste ( au sens d’abord d’un juge juste, équitable ; puis c’est passé sur le sens moral qui se trouve
défini dans Ez 18 = Observance de la Loi cultuelle et observance de la justice sociale) => Noé est
déjà présenté comme « le juif parfait » selon les canons, les normes postexiliques. Tamim = sans
défaut, pur, parfait. C’est le sens rituel de la victime sans défaut. Puis c’est passé aussi au sens
moral. Juste au sens de sainteté. Noé marche avec Dieu, dit le texte. Ce qui insinue une familiarité
avec Dieu. => Noé atteint aussi le statut du juste de la première période de l’humanité.

6,11 La perversion du monde est qualifiée de violence. La violence c’est le contraire


de la justice. Toute la terre est impliquée dans la décadence.

6,13 « La fin » . En hébreu c’est « qets ». Ce terme particulier a le sens


eschatologique désignant les choses de la fin. C’est l’heure du grand jugement dont parlent les
prophètes (Am 8,2 ; Lam 4,18 ; Hab 2,3 ; Mt 24,14). P donne après les mesures pour la
construction de l’arche. Ça c’est son style ( cf. la construction du sanctuaire dans Exode. Tout est
mesuré au millimètre près. Voir aussi dans Ez 40-48 pour le Temple du temps messianique.

1 coudée = 50 cm

Le vaisseau tel qu’il est indiqué avec ses dimensions est impropre à la navigation. Il
serait un navire de 43 mille tonneaux = 420 mille mètres cubes. C’est énorme ( surtout qu’il était
sans moteur). Les chiffres donnés pour les mesures du navire sont symboliques : 300 et 30 sont des
multiples de 3 et de 10. Quant à 50, il est en lui-même un nombre expressif.

6,17 le déluge est désigné avec un terme particulier « maboul » qui vient de
« nabal » . Nabal signifie déranger, faner, détraquer, décomposer. La racine hébraïque représente
dans un premier sens le réservoir, la cruche, c’est-à-dire qu’elle évoque l’idée d’eau, d’humidité.
Maboul signifie aujourd’hui détraqué, un fou. C’est le sens qu’on trouve déjà dans 1Sam 25,25 (il
s’appelle Nabal, car en réalité il l’est) ; Sir 44,17-18 (on utilise Maboul pour le déluge).

A partir de 7,11, l’événement du déluge est parfaitement daté.

7,24 c’est la durée qui est différente de celle de J : 150 jours

8,3b retrait des eaux

8,4 arrêt de l’arche

8,14…

Total : on trouve une année lunaire + 11 jours = une année solaire = c’est bien
symbolique

8,15 sortie de l’arche sur l’ordre de Dieu ( dans J, ce n’était pas le cas ; l’initiative
venait de Noé). La sortie est comme une procession jusqu’à 8,19.

9,1-17 c’est un recommencement complet de la création. Comme on peut le


remarquer, la dernière main pour le déluge a été mise par P.

Le contenu théologique du déluge

Quelques points qui se dégagent de l’analyse du texte relatifs à la signification du


déluge.

 Pour J et P, le déluge représente une rupture totale de l’équilibre de la


création. En effet, là où le péché est total ( il n’y avait rien que péché), la destruction est
aussi totale. C’est le retour au chaos ( en 7,11 on voit revenir le fameux « tehom », le
désordre, l’abîme qui remonte et submerge) et cela se reproduit continuellement pour
chacun de nous. [ Les sociétés qui sombrent ; les civilisations qui sombrent c’est par le
péché. Ce n’est pas la vertu des hommes qui mène aux révolutions : c’est l’esprit de
domination, de conquête, l’écrasement des gens => c’est ça qui mène aux révoltes. Donc
le déluge fonctionne continuellement parce que le péché est toujours présent.

 Face à cette rupture totale de l’équilibre de la création, il faut dire que


le salut est assuré [ pour celui qui veut l’accueillir bien sûr]. Dieu ne sauve pas Noé
contre sa volonté. Il présente le salut à l’homme et celui-ci doit accepter pour être sauvé.
Celui qui l’accueille comme Noé, le salut est assuré grâce à la miséricorde de Dieu. De ce
fait, il y a collaboration entre Dieu et l’homme juste. Ce sont les justes qui sauvent le
monde ; et en particulier le JUSTE par excellence = Notre Seigneur dans lequel se
rassemble et se concentre toute la justice de tous les hommes justes de la terre. L’action
des justes ( avec le JUSTE en tête) qui permet d’arrêter le déluge, de redresser la
situation. D’ailleurs d’après le texte, le déluge n’est pas éternel, il n’a pas une durée
illimitée. Noé permet à la création de repartir ; l’homme juste permet aussi à la création
de repartir 9,1-2. Il est comme un deuxième père de l’humanité. L’homme juste qui aide
à la remontée de l’humanité joue un rôle paternel ; il est en quelque sorte un re-créateur
avec Dieu. { Sir 44,17 et Is 11,1 => le rameau, le surgeon, quelque chose qui repousse =>
c’est la même idée}. => Le messie est quelqu’un qui fait remonter les choses. Noé joue
en quelque sorte ici le rôle messianique, il achemine l’humanité vers le salut. Chaque
juste fait la même chose là où il est => et Jésus c’est à cause de sa justice qu’il sauve le
monde. Si chacun de nous est un Adam et recommence l’aventure d’Adam, chacun de
nous doit être Noé, un tsadiq et un tamim (juste et intègre)

 L’age de l’humanité, après le déluge, se passe loin du paradis [ Dans


la perspective de la Bible, on est bien loin du paradis si on le considère sur la ligne
temporelle]. C’est en réalité l’age dans lequel nous vivons – c’est l’age du péché – l’age
de la miséricorde de Dieu. C’est tout age durant lequel le péché continue à régner – c’est
donc une période dure, une période de lutte où la violence est présente. A partir de 9,3
l’homme a la possibilité ( la permission) de tuer les animaux. Et c’est une nouvelle
donnée. Et les animaux aussi tuent leurs « confrères », leurs semblables. Ils chercheront à
se défendre s’ils sont attaqués par l’homme => il y aura menace, bataille, agression de
part et d’autre. L’harmonie, celle du jardin ( à reconstruire selon la prophétie d’Isaïe),
cette harmonie est rompue. Nous vivons actuellement dans la disharmonie. A cause de
cela, il faut des lois pour endiguer le péché et le mal => Gn 9 donne des commandements
positifs ( des lois qui ne résultent pas de la nature des choses. Comme lois de la nature, on
a le soleil se lève à l’Est). La loi positive est celle qui est donnée par un législateur, une
autorité ( exemple le code de la route).
En Gn 9 il y a la première loi positive : ne pas manger le sang avec la viande. Donc il
faut saigner totalement, exactement, complètement. Ceci est une marque du respect pour le sang
qui, dans la conception ancienne, était le porteur de la vie. Lev 17,11 ; Dt 12,23. C’est le point
de départ de ce qu’on appelle jusqu’aujourd’hui « Casher » = pur. La bête doit être tuée de façon
rituelle ; la bête ne ressent rien.

Le deuxième commandement c’est l’interdiction de verser le sang du prochain ( loi


positive extrêmement importante pour tous les temps, spécialement pour les temps anciens où on
était très cruel. Les bagarres étaient vite suivies d’assassinat. Au v.6, « le verseur du sang de
l’homme, par l’homme son sang sera versé ». (Il y a 3 mots qui sont retournés de telle sorte que
l’oracle est bien frappé, ça peut bien rester dans la mémoire et ne peut pas être oublié). Cette
interdiction est justifiée par le rappel que l’homme est créé à l’image de Dieu. Donc il faut
respecter l’homme comme une créature particulièrement aimée de Dieu.

Sur ces lois positives, les juifs ont développé les fameuses « lois noachiques » (les
lois de Noé). Ce sont les 7 lois positives qui gouvernent le monde ( pour tous ceux qui ne sont pas
sous la Loi de Moise. La loi de Moise concerne le peuple juif et puis le christianisme.  Mais il y a
tous les autres : Comment doivent-ils vivre devant Dieu ? Quelles conditions pour eux pour avoir
le salut ? pour être en ordre, si vous voulez, face à Dieu ?) Nous le énumérons simplement sans
donner l’explication.

- verser le sang humain, l’assassinat

- l’idolâtrie

- la débauche et l’adultère

- l’institution des juges pour réglementer la vie dans la société

- la viande non saignée

- la bénédiction de Dieu à réaliser (= le respect de Dieu, le respect du


saint nom)

- le vol. Les juifs disent toujours, nous nous avons l’alliance, la loi de
Moise, toute la torah ; les autres ont la loi noachique. S’ils vivent selon cette loi là, ils sont
des hommes droits. Le seul commandement qui est tombé pour les non juifs, c’est
l’interdiction de manger le sang dans la viande. Cette loi est tombée, elle est caduque. Elle a
été donnée à une époque où cette importance du sang animal était tellement grande, on ne
voulait pas y toucher. Ceci s’est relativisé maintenant pour nous.

 Dieu conclut une véritable alliance avec l’homme. Ça, c’est la sortie
du déluge aussi bien dans le récit de J que dans le récit de P. Une alliance qui est donnée
par Dieu « Voici que moi j’établis mon alliance ». Elle est due à l’initiative personnelle
de Dieu. Il n’y a pas de contrat ; On verra plus tard avec Moise, il y a un contrat (Tu seras
mon peuple et moi je serai ton Dieu, à condition que tu sois mon peuple.) Ici Dieu donne
son alliance sans contre-partie, dans une gratuité totale. Elle est garantie pour J par la
permanence des saisons ( jour et nuit ; été et hiver ne cesseront plus), et dans P par l’arc-
en-ciel ( voici mon arc dans la nuée qui est le témoin que moi j’ai fait alliance avec vous).
C’est un signe qui doit rappeler cette alliance et la relation particulière de chaque homme
avec Dieu. En effet, l’arc-en-ciel apparaît après les grands orages. Les grands orages sont
comme un petit déluge => Après ces orages d’une heure ou deux avec tonnerre éclairs et
foudre, l’arc-en-ciel revient pour dire : Rassurez-vous, vous n’allez pas périr. C’est le
symbole de la garantie, de la protection de Dieu sur l’humanité.

 Dernière considération, c’est le destin de Noé dans l’AT et le


nouveau. On peut bien penser qu’une figure comme celle-là ( n’a pas pu dormir dans le
sable, dans les pages de l’écritures), elle s’est développée, et on marque son importance
dans deux textes de l’AT : Sg 10,4 et Sir 44,17-19. Le NT a encore enrichi cette figure en
Hb 11,7(pour cette épître, Noé est le modèle de la foi : ce qui découle d’ailleurs de sa
qualité de juste) ; dans 1P 3,20-21 (il est ici le symbole du baptême ; pas seulement Noé
mais le déluge. Le déluge est symbole du baptême qui sauve : le baptême permet au
juste, à celui qui veut se convertir, qui veut entrer dans la lignée des justes de surnager et
de rejoindre la terre ferme). C’est ce texte qui emploie l’expression « Typos » au v.21 à
propos du déluge, expression qui veut dire modèle, type, antécédent, préparation. A partir
d’ici est sortie l’expression « la typologie » : l’AT par rapport au NT. Les réalités de
l’AT ( la manne, le rocher, les sources ) sont des types des réalités du NT. Le déluge est
le premier de ces modèles, de ce qui surviendra dans le NT à l’époque de
l’accomplissement); et 2P 2,5.

Les fils de Noé 9,18-27

C’est encore P (Jusqu’au v.19). Le récit reprend une tradition relative à Noé un peu
différente de celle qu’on a vu jusqu’ici. En effet, dans les vv.18-19, on a les trois fils de Noé qui ne
sont pas mariés. Dans ce qu’on a vu jusqu’ici, ils étaient entrés dans l’arche avec leurs femmes.
Mais ici ils sont célibataires : Pourquoi sont-ils célibataires ? (on peut bien le vérifier), parce
qu’ils habitent encore la même tente que leur père. C’est pour cela que Cham commet ce péché
grave du manque de respect à l’égard de Noé qui s’était dénudé après avoir bu du vin. C’est donc
une autre tradition qui ne se relie pas à la précédente. Ensuite il y a un petit détail auquel on n’est
souvent pas attentif : « Noé fut le premier agriculteur. Il planta la vigne » (v.20). Si ce texte suivait
immédiatement les événements du déluge, on peut se demander comment Noé a-t-il pu faire pour
avoir un pied de vigne et commencer à planter la vigne ? Il faut donc comprendre qu’ici c’est un
autre récit. Ce problème de savoir comment Noé s’est procuré le pied de vigne le targum le sait. Le
targum et le midrash savent tout. Comme ils savent tout, ils savent que Noé l’a eu grâce à un des
fleuves du paradis qui a transporté un cep de vigne vers lui. => Naturellement c’est une légende,
mais très significative. Ça signifie que la vigne est un produit paradisiaque dont on peut si bien se
réjouir. Il canonise en quelque sorte la vigne en la faisant provenir directement du paradis. Le
paradis d’une certaine façon continue dans notre temps, notre temps de misère, de péché et de
malheur grâce à la vigne qui console : Noé le vigneron console (Voir Gn 5,29).

L’inconduite de Cham. L’inconduite de Cham qui a trouvé son père découvert et


s’est moqué de lui. Au moment où l’auteur fustige cette inconduite, il veut surtout fustiger les
orgies sacrées des cananéens. Cham c’est le père de Canaan et des cananéens au milieu desquels
vit le peuple juif. Ils étaient portés sur les cultes de fécondité avec beaucoup d’abus. Et ces cultes
ont toujours tenté Israël. Donc en mettant ici l’exemple de la malédiction, on met en garde les
israélites contre cette race maudite.

Deuxièmement, le Yahviste donne ici une leçon de pudeur, de respect. Parce que les
maîtres en lisant ce texte de l’Ecriture instruisaient les enfants, les jeunes gens. Une leçon de
pudeur,de respect. Et en effet, la Bible est toujours très délicate lorsqu’elle parle des choses
relatives au sexe, malgré certaines phrases qui sont très dures, en particulier dans le livre d’Ez. ,
elle utilise a toujours des périphrases qui marquent le respect de l’homme, de la femme. Par
exemple Lev 18 ( c’est chapitre relatif aux relations non permises, relations incestueuses dans la
famille. On utilise toujours l’expression «tu ne découvriras pas la nudité » au lieu de le dire
comme on le fait généralement en français « tu ne coucheras pas avec ta tante, ou ta sœur ». La
même expression est utilisée pour l’homme. C’est le respect du corps. C’est une éducation de la
délicatesse qui est exprimée dans ce passage. Cela vient de la conception élevée de l’homme-
image de Dieu, qu’il faut respecter et non pas tourner en dérision. D’ailleurs la pudeur et le respect
des parents se retrouvent dans plusieurs proverbes ( cf. Pr 30,17 par exemple).

Troisièmement, l’importance de l’oracle vv.25-27 sur Canaan, sur Sem et sur


Japhet : les trois fils de Noé. Canaan c’est la même chose que Cham. Dans le texte Canaan est le
fils de Cham. Pourquoi dans l’oracle parle-t-on de Canaan ? C’est parce que c’est le fils qui est le
plus proche, qui est autour de lui, qui est en Palestine. Il y a d’autre fils de Cham, on le verra au
chapitre 10, mais c’est Canaan ici qui est visé à cause de son inconduite et à cause de sa présence
autour d’Israël. Ici c’est important d’identifier qui est ce Cham, ce Canaan. Canaan c’est le peuple
qui entoure ou qui vit immédiatement autour d’Israël et qui est maudit : qu’ il soit le dernier des
esclaves. C’est un point très grave contre ce peuple dangereux pour la foi d’Israël et la pureté des
mœurs. 

Ce verset a servi surtout à partir du Moyen-age et de la Renaissance à justifier la


malédiction contre ceux qui sont réduits en esclavage. Justifier l’esclavage parce que Cham dans
Gn 10, c’est l’ancêtre de Kusch = Ethiopie => on descend donc en Afrique et vers les hommes de
couleur. Ce verset a servi d’appui pour la traite des esclaves, la traite des noirs.

Sem est béni. Sem, en Gn 10 représente d’abord Israël et les peuples avoisinants. Si
Cham doit devenir esclave de Sem => donc il représente une petite entité ethnique, car pour être
esclave de quelqu’un il ne faut pas être dix fois plus nombreux que le maître. Dans le texte on a
donc la traduction de la situation de Canaan qui vit à l’intérieur d’Israël et qui est déjà réduit. Il est
déjà un peuple sans consistance, sans liberté, sans structure politique indépendante. Au moment où
Israël est arrivé d’Egypte, les Cananéens occupaient le pays et ils étaient tout un peuple.
Progressivement Israël s’est développé au milieu d’eux Ils étaient alors en voie de disparition.
L’oracle exprime cette situation là. Japhet désigne dans Gn 10 les pays du Nord par rapport à la
Palestine, les pays grecs, la méditerranée et l’Europe. Comment le faire habiter dans ses tentes ?
qu’est-ce que ça signifie et qui est ce Japhet ? C’est une partie de la grande vague des descendants
de Japhet = les Philistins. Au moment où l’auteur écrit, il subsistait un certain nombre des
Philistins au bord de la méditerranée, au bord de la Palestine qui sont plus ou moins inféodés à
Israël. Ils habitent la tente. Ils sont arrivés en Palestine venant de l’Ile de Crète au même moment
où Israël arrive du désert. Puis ils se sont beaucoup disputés, beaucoup bagarrés. Finalement les
Philistins ont été intégrés étymologiquement dans Sem.

L’oracle traduit cette situation là. Et c’est le mot Philistin qui a donné le nom
Palestine. En grec παλεστινος c’est le nom des philistins. Là où habitent les philistins c’est
παλεστινα.

En outre, les Philistns habitant à l’intérieur d’Israël sont appelés à partager leur sort.
S’ils doivent habiter les tentes de Sem, ils doivent partager son sort. Il est appelé aussi à la
connaissance de la Torah, à la connaissance du vrai Dieu. Donc il y a une idée missionnaire dans
ce verset. Idée missionnaire qui se réalise en Ac 8,26 ( ville de la côte sont les villes philistines.
On a également cette idée dans Zach 9,4-7 (Idée de J qui vient de loin)

VI : Gn 10 La table des peuples .

C’est du P tout craché. Il repartit les descendants des fils de Noé en trois grandes
familles : les Chamites (descendants de Cham : l’Ethiopie-Koush, => l’Afrique) ; Sem au milieu
(Palestine et Moyen Orient) et ensuite Japhet (La Grèce = les îles)

Dans le livre d’Isaïe et les psaumes on parle souvent des îles et leurs habitants =
c’est les Grecs. Et au-delà on a l’Europe qui s’appelle Ashkénaz dans le texte c’est l’Europe.
Ashkénaz qui a donné le nom aux juifs d’Europe. Les Juifs d’Europe sont les Ashkénazim tandis
que les Juifs de Palestine, d’Afrique du Nord s’appellent les Cépharades. (Ce sont les deux
familles spirituelles des Juifs)

Contenu théologique :
C’est la croissance prodigieuse de l’humanité et l’accomplissement de la bénédiction
donnée à Noé (quant à vous, soyez féconds et prolifiques, pullulez sur la terre, et multipliez-vous
sur elle. Gn 9,7 ). Leur variété est un hommage à la beauté de la création ; beauté relevée dans
10,5.20.31 toutes ces langues peuples et nations

VII Le Livre de l’Exode.

Introduction

Il est le fruit d’une élaboration progressive très longue. A partir d’un fait
« historique » : la sortie d’Egypte ressentie vigoureusement comme une délivrance totale due à la
puissance de Dieu, les traditions parallèles ou successives ont construit un grand complexe qui se
continue dans le livre des Nombres.

Plus qu’un récit, qu’une narration historique, le livre de l’Exode est une réflexion
théologique sur la sortie et un grand nombre des textes législatifs qui sont venus se greffer sur cet
événement et qui ont accompagné le peuple dans le désert et surtout après ( au cours de
l’installation jusqu’à l’exil. Ils ont été rejetés artificiellement en arrière et mis sur le dos de Moise).

Le titre général Εοδος. Ce titre vient du grec.

Exo 1,1 C’est le texte de P reconnaissable parce qu’il s’intéresse aux familles ( les
enfants d’Israël…)

VV.1-7 C’est l’introduction qui crée un lien verbal entre Gn et Ex. Entre la fin de
Gn et le début de l’Ex, il y a une lacune.

Joseph est un sémite. Providence de Dieu qui retourne le mal en bien. Le lien entre
les patriarches et l’Exode : souci légitime mais mal exécuté parce qu’il n’y a pas de lien.

La vie de famille était sans histoire. Ces gens étaient bien fusionnés entre les gens  ;
rien de tout cela n’a été dit.

Autre caractéristique
A partir de l’exode commence l’histoire collective du peuple. En Gn 12 c’est le
début de l’histoire des individus ou d’un petit groupe.

Il y a deux centres de gravités où s’organisent tout ce qui est dans le livre :

- la sortie proprement dite ( événement fondateur. C’est le point de


départ et le noyau de tous les autres éléments)

- la révélation du Sinaï suivi de la marche dans le désert avec sa


pédagogie éducative.

Exode et histoire

Du point de vue historique, on n’a aucun document extra-biblique (archéologique


ou littéraire) d’avant Alexandre le grand pour justifier ou appuyer l’exode. Pourquoi parler
d’Alexandre le grand comme point historique de référence ? Alexandre le grand construisit une
grande ville en Egypte à laquelle est donnée le nom d’Alexandrie. Et à Alexandrie, il mit une
première bibliothèque du monde ; bibliothèque mise à la disposition de tout le monde
(bibliothèque publique). Dans cette bibliothèque, on pouvait trouver des éléments historiques
d’avant Alexandre. Malheureusement cette bibliothèque a été brûlée la première fois par un
romain ; la deuxième fois par des arabes qui détruisirent toute la bibliothèque.

Donc l’exode est un événement, du point de vue historique, qui n’est raconté que
dans la Bible. Et le récit de la Bible lui-même ne nous permet pas :

° de situer (dater) cet événement par rapport à l’histoire générale [ou


par rapport à l’histoire de l’Egypte. Le texte aurait bien fait de citer même le nom du
pharaon sous lequel cet événement s’est passé. Mais rien de tout cela. Le texte rappelle
(au moins cela !) la construction de ville-magasins de Python et Rames (Exo 1,11),
constructions auxquelles les Israéliens ont participé]

° d’établir le lien historique avec l’époque des patriarches [ exo 1,1-


7 c’est la rédaction sacerdotale et exo 1,8-14 c’est le Jahviste] Le lien qu’on trouve en
exo 1,1-7 est uniquement rédactionnel et il est fait de manière générique.
Ces deux raisons rendement les exégètes un peu méfiants, ils trouvent suspect le
récit de la Bible.( cela arrive de temps en temps quand les sources extra-bibliques sont
silencieuses)

 Comment peut-on expliquer le manque d’élément archéologique au sujet de


l’exode ? A part les noms de ces deux villes de Pithom et de Ramses qui ont réellement existé et
dont parle l’exode, nous ne connaissons rien d’autres. Cela peut s’expliquer peut-être. Fr ? (=feroo)
signifie la maison. Ce même mot a signifié par après l’habitant de cette maison. Donc, à l’origine
faroo signifiait le lieu (la maison qui était faite en bois, parce qu’il fait chaud en Egypte. Ainsi on
faisait cette maison en bois pour l’avoir bien aérée. Ce n’est pas n’importe qui, qui pouvait
l’avoir ! C’est comme la paillote quoi : N’importe qui ne peut pas l’avoir !).Les autres hommes du
pays possédaient des tentes en papyrus ! Donc, l’archéologie n’a pas de reste de ces maisons, parce
que le matériel est périssable. Avec les crues du Nil, il n’est pas possible d’avoir des vestiges. Et
cette situation n’a pas permis de comprendre la vie quotidienne des Egyptiens de l’ancien temps,
même si on retrouve dans les tombes beaucoup de leurs choses de la vie quotidienne.

 Comme toutes ces preuves manquent, et par le fait qu’il n’y a même pas de
sources extra-bibliques, cela ne signifie pas que la Bible soit une falsification. L’argument du
silence ne dit rien. La tradition qui concerne l’exode est tellement bien ancrée qu’on ne l’aurait pas
inventée. Il y a certainement un point de départ qui doit être historique :

- Un élément mineur et important : l’esclavage. C’est un élément


humiliant. Les débuts sont souvent présentés de manière éclatante. Si Israël doit présenter
ses débuts ainsi, cela ne vient pas de la pure invention.

- L’installation progressive et difficile telle qu’elle est décrite dans le


livre des Nombres.

- Hors d’Egypte, c’est-à-dire au moment de la sortie, il y a tout un


groupe hétérogène qui se joint aux hébreux pour fuir la servitude (Ex 12,38).
Bien qu’on puisse comprendre cet événement comme historique, ce qui est dans le
livre est une théologie et une spiritualité produites par les auteurs à partir du fait de l’Exode. Ce qui
peut nous amener à dire que chaque génération doit passer son exode.

Les chiffres qui se trouvent par exemple dans Ex 12,37 ne peuvent pas être pressés.
Ce n’est pas possible de déplacer un million de personnes de l’Egypte vers le désert( comment le
pouvait-on sans eau par exemple ?). Il s’agit probablement de quelques milliers. Et plus tard, on a
continué à augmenter le nombre de ceux qui étaient sortis ( Philon parle par exemple de 2
millions !).

Pour rattacher l’exode à l’histoire, on peut dire qu’il s’est réalisé vers le milieu du
13ème siècle. En effet, pour donner un cadre chronologique de l’exode dans la Bible, nous avons
peu de référence, malgré les divers éléments qu’on peut rencontrer dans la Bible. Il faut rappeler
d’abord les travaux forcés (Selon Philon !) des Hébreux pour la construction des ville-magasins de
Pithom et Rames (Exo 1,11 :J). La cité de Rames disparut des documents égyptiens avant la fin de
la 20ème dynastie, alors on peut identifier Rames II avec le pharaon de l’oppression. Il appartient à
la 19ème dynastie (1304-1184). Les documents – papyri – de cette période parlent aussi des soldats
’Apirû ( à identifier partiellement avec les hébreux) engagés dans la construction de la région de
Memphis.

Mais Exo 2,23a dit que le pharaon mourut durant le séjour de Moise à Madian. Donc
pour l’exode, il faudrait penser au règne du successeur de Rames II, c-à-d Merneptah (1224-1214).

Ramses II  mses= moise= fils de…, engendré par…

Ramses= engendré par le dieu Ra

Mern=grâce

Merneptah= grâce du dieu Ptah

 La divinisation des chefs vient de l’Egypte ; même celle de Jésus vient toujours
de là ( Cfr Athanase). Les romains ont copié des Egyptiens lorsqu’ils ont divinisé leurs chefs. Les
Sémites ne connaissent pas ce problème de nature. L’Islam n’accepte pas que Mohamed soit dieu,
mais les rabbins pensent que le messie sera fils de Dieu.
Au cours de la période indiquée pour le règne de Ramses et son fils, l’Orient
connaissaient deux grandes puissances : l’Egypte et les Hittites. Il y avait eu une guerre entre les
deux ( la titanique guerre de Qadeš), et chacun écrit dans ses documents qu’il avait gagné cette
guerre. Ceci signifie qu’il n’y avait ni vainqueur ni vaincu. Et à partir de cette époque, l’Egypte
avait changé de politique internationale. L’Egypte s’était renfermé chez soi ; il avait entamé les
grands travaux de construction (Comme Pithom et Ramses dans le Delta). Le pharaon se servit des
étrangers pour réaliser ses constructions (villes-magasins et les protections contre les invasions).
C’est en ce moment-là, que le pharaon avait utilisé les hébreux. Donc les conditions de vie de ces
hébreux étaient devenues difficiles. Dans l’entre-temps, la partie de la Palestine qui, auparavant
était dominée par l’Egypte s’était retrouvée libre, car l’Egypte s’était replié sur lui-même. Il y avait
donc, en outre les travaux pharaoniques, un affaiblissement du contrôle égyptien dans cette zone:
et tout ceci advint avant la fin du 13 ème siècle av.J.C. C’est dans ce cadre que l’on peut expliquer
l’exode.

On a trouvé une stèle de 1224 – 1214 sur laquelle le pharaon de ce temps avait
écrit ses victoires obtenues dans le Sud de la Palestine et même dans le Nord. C’est sur cette stèle
qu’apparaît pour la première fois dans l’histoire le nom d’Israël. Il est écrit : « Israël est anéanti. Il
est sans vie, il ne pourra plus se relever ». Ce nom d’Israël est précédé d’un signe qui indique
qu’Israël n’est pas un individu mais un peuple. Donc, le phénomène historique est explicable
même si on ne sait pas combien d’exodes il y a eu. On peut dire qu’il y a un fondement historique
de l’exode biblique.

En lisant le récit de l’exode, on peut remarquer qu’il y avait un problème


démographique. Est-ce qu’on avait réellement tué les enfants hébreux ? On ne sait pas. Il y a le
problème de Moise… tout ça, on ne sait pas. Mais le cadre de l’exode est bien compréhensible.

L’Exode et la géographie

De l’Egypte jusqu’au Sinaï, les fils d’Israël avaient trois possibilités, c-à-d il y avait
trois voies de sortie :

- la route plus courte et plus directe pour la Palestine : la via des


Philistins (Exo 13,17)
- la route appelée via maris (passant par Sile , aujourd’hui Quantara, et
Pelusio.

- Il y avait aussi un passage dans le Serapeum, qui rejoignait la route


des Philistins.

Ces hommes n’ont même pas emprunté cette troisième route parce qu’il y avait des
forteresses ( il y avait des gardes : probablement à Etam (13,20). Donc ils ne pouvaient même pas
prendre cette route du désert qui conduisait jusqu’à Qadeš et Bersheba. La route prise par les Fils
d’Israël  se dirige vers le sud jusqu’à Soukkot dans le Wadi Tumilat entre le lac Timsah et les lacs
Amari.( Cfr Boschi p.36-37). Ils avaient donc suivi la route la plus difficile pour échapper aux
gardes.

Bref : Il y a eu des Israélites en Egypte. Il y a eu une situation d’oppression.


Pourquoi ? A cause de la politique de Rames II. qui se croyait grand pharaon ( Il faut voir
comment il remplaçait les éloges de son père sur les stèles. Son père fut un grand pharaon. Il
remplaçait son nom pour se faire grand). A cette époque les pyramides étaient déjà construites
( c’est vers 1400 qu’elles l’ont été)

Dans l’interprétation religieuse de l’exode, ce dernier est vu comme la vraie


naissance du peuple de Dieu. En effet, avant l’exode il n’y avait pas de peuple de Dieu. Il y avait
quelques personnes qui étaient en rapport avec Dieu, mais pas tout un peuple. Le Yahviste
( antérieur à P) commence par dire les choses de manière réaliste, puis finit par exagérer  : « et
surgit un roi qui n’avait pas connu Joseph »  ça c’est la réalité ; et l’exagération réside dans les
paroles suivantes : « ce peuple était devenu plus nombreux que les Egyptiens ». Comment ce
peuple pouvait-il devenir plus nombreux que les fils d’Egypte ?

Pithom= signifie demeure de Thum = dieu soleil

Nous avons parlé des Apiru. Qui sont-ils ? Ils étaient des nomades dans les déserts
qui faisaient des razzias. Beaucoup d’auteurs ont assimilé ces apiru aux hébreux. { A P (I) R (U)
A B R}
LORETZ n’accepte pas ce lien qu’on établit entre apiru et les hébreux. On ne peut
pas nier ce lien comme tel, car pour les romains par exemple, les hébreux et les chrétiens c’est la
même chose. Pour les Egyptiens, cela pouvait être une même chose.

Nous avons dit que le cadre de l’exode est compréhensible et nous l’avons situé au
13ème siècle. Mais l’exode est lié à la personne de Moise.

Voyons un peu la personnalité de cet individu du point de vue critique historique.

Il y a des exégètes qui sont très réservés sur l’historicité de Moise à cause de toutes
les difficultés d’harmonisation du texte sur le plan littéraire. On peut être réservé, mais les
positions excessives ne sont pas bonnes. Beaucoup d’exégètes acceptent l’historicité de Moise.

Du point de vue historique, le nom Moise : Mosheh est un nom Egyptien qui signifie
« fils de ; engendré par ». Cet épithète est le suffixe des noms de plusieurs pharaons :exemple :
Tutmoses ; Ramses ; Kamos ; Amose. Donc Moise est né en Egypte et a reçu un nom du pays, de
la population locale. C’est la fille de pharaon qui donne ce nom. Mais on veut, selon le récit
biblique, faire dériver ce nom de MASHAK= extraire de…tirer de. Moise a une étymologie qui n’a
aucun lien avec « tiré des eaux ». Si on voulait donner le nom selon étymologie hébraïque on dirait
il s’appellera mosheh c-à-d sauveur parce que mosheh est un participe présent (de ‫ = השׁמ‬retirer,
sauver) qui veut dire sauveur, celui qui sauve.

Aaron serait aussi un nom égyptien qui signifie « le tanneur ». Certains exégètes
pensent que Aaron est un personnage imaginaire, créé de toutes pièces. S’il était un personnage
créé il aurait bien un nom hébraïque.

La naissance de Moise en exode 2 doit être traitée avec beaucoup de prudence. Elle
présente le caractère d’un récit populaire. C’est un récit relatif à la naissance de grands hommes
dont la destinée sera particulièrement élevée. Les caractères du récit qui montrent que le récit
relève d’un récit populaire :

 La fille du pharaon va se baigner dans le Nil. Elle ne se baigne pas


dans le Nil ; la fille du pharaon le fait à la maison dans les piscines particulières. La ville
capitale de l’Egypte au temps de Rames était Tanis. Elle est bien loin du Nil cette ville là.
 La fille du pharaon ne parle pas hébreu. Elle donne un nom hébraïque
et son interprétation !

Le caractère légendaire se retrouve ailleurs dans les parallèles bien connues (autres
cultures) => Les enfants sauvés des eaux et qui ont des destins particulier dans la suite. Il faut voir
par exemple la légende de Sargon, futur roi d’AKKAD autour de 1600 av.J.C. [Il est dit qu’il était
exposé dans un panier couvert de bitume. Un jardinier l’a retiré de l’eau et élevé. Plus tard la
déesse Ishtar vient placer ce Sargon sur le trône]

C’est un rappel, un renvoi aux empereurs de mésopotamie. Exemple Sargon qu’on


considérait (à l’instar des autres rois mésopotamiens) comme tiré des eaux de l’Euphrate.  On a
fait recours à cette signification, car on considère Moise comme le fondateur de la religion à
l’instar des rois fondateurs de dynastie. Ils étaient considérés autrement, et on leur donnait une
origine étrange. C’est ce qu’on a voulu faire avec Moise, alors que son nom est d’origine
égyptienne et signifie étymologiquement « fils de ». Il y a donc un passage de l’historique au
religieux.

Dès sa naissance, Moise a été entouré d’un secours particulier qui le préparait à sa
grande mission. C’est cela que toute cette fabrication légendaire veut dire. Avec un brin d’humour,
le texte veut aussi relever le fait que c’est pharaon, par l’intermédiaire de sa fille, qui élève celui
qui sera par après son grand ennemi ; un grand opposant qui deviendra libérateur de son peuple.
( Comme pour dire : C’est bien fait. Vous voyez  comment Dieu a bien joué !)

 Une question ( que vous ne vous êtes peut-être pas encore posés). Est-
ce Moise a eu une sœur et un frère ? Il faut un peu de réserve. Dans Ex 2,4 on parle de la
sœur de Moise. Si la sœur est là pour s’occuper de l’enfant, ce n’est pas une petite
gamine. Or elle n’est pas mentionnée (une personne si importante par son rôle!) Si on
prend le début du chapitre, Moise est le premier né. Après le mariage, on mentionne
Moise. La sœur est amenée à cette situation pour jouer le rôle, pour sauver le fils. C’est ça
le but du moins dans ce passage.

Dans Ex 15,20 c’est le cantique de Moise. Il vaut mieux l’appeler cantique de


Myriam (voir la fin du cantique). => ici il est dit que la fameuse Myriam est sœur d’Aaron et
non sœur de Moise. Et pourtant on l’a nommée sœur de Moise avant.
Dans Nb 4,14 On parle de Aaron comme frère de Moise. Il est dit « ton frère
Aaron, le lévite ». Pourquoi l’appeler « lévite » alors qu’il est de la famille ?

Dans Nb 12,1-2 il y a une contestation contre Moise. On voit qu’il y a Myriam et


Aaron qui s’opposent à Moise. Pourquoi ne pas dire Myriam sa sœur et Aaron son frère ! C’est
le bon endroit pour le dire.

D’où vient alors cette affirmation « Myriam sœur de Moise et Aaron frère de
Moise » ? Elle vient des généalogies que l’on façonne pour exprimer une parenté, une fraternité.
Exo 6,20 ; Nb26,59-60 ( Qui est en tete ici ? C’est Aaron et non pas Moise. P veut mettre Aaron en
relief parce qu’il est considéré comme le chef des prêtres au Temple ; surtout après l’Exil où la
communauté se réunit autour du Temple car il n’y a plus de roi ni de prophètes) ; 1 Chr 5, 29. Tout
ça, ce sont des textes de P. La paternité est une fabrication de P (cela ne met pas en doute
l’historicité de Moise).

L’éducation de Moise

Il y a des exégètes qui n’admettent pas cette affaire de l’éducation de Moise à la cour
du pharaon. Beaucoup d’autres, et parmi lesquels une majorité des catholiques, disent que c’est
plausible parce que le pharaon avait besoin de polyglottes pour exercer la fonction de secrétaire et
pour tenir sa correspondance. Ceci peut nous aider à comprendre Ac 7 où on dit que Moise était
élevé dans toute la science des Egyptiens.

ASSASSINAT D’UN EGYPTIEN

Dire de Moise qu’il est un assassin est quelque chose qui résiste à toute invention.
On n’invente pas une telle chose pour un héros, pour un juste, un prophète. Quand on crée les
héros ce sont les êtres exemplaires, et pas des assassins. Ce fait peut être aussi une indication
historique.

MADIAN

Madian est un groupe apparenté aux Hébreux. Cette parenté viendrait de Gn 25,1ss,
c’est un fils de Qetoura , la troisième femme d’Abraham. Ceci a été fait ainsi pour rapprocher
Abraham des autres peuples. Dans la suite, Madian était devenu ennemi d’Israel (cf. Jug 6-8).
Malgré l’altération des relations entre Israel et Madian, le bon départ dans leur rapport n’a pas été
effacé, oublié. Cf. Is 9,3

LE ROLE DE JETHRO

Cet homme a trois noms : Réouel (Ex 2,18) ; Jéthro (3,1 ; 4,18 ; 18,1) ; Hobab (Jug
4,11) ; (Hobab ? Nb 10, 29 Cf Note dans la Bible TOB). Cela est probablement dû aux traditions
différentes sur cet qui n’ont pas été harmonisées. Jethro appartient au groupe des Madianites.
Après la sortie d’Egypte, le groupe de Moise a trouvé un refuge en Madian. Là, les fugitifs ont
trouvé un homme religieux propice à leur formation religieuse. Et c’est dans cette région de
Madian qu’il y a eu la révélation du nom de Yhwh.. Jethro et Moise (Ex 18) offrent ensemble le
sacrifice au même Dieu. => Ceci montre que Jethro a une religion proche de celle de Moise. Dans
la suite du chapitre, c’est lui Jethro qui donne des conseils à Moise pour juger le peuple.

En Nb 10, 29-32, il lui est proposé d’être guide du groupe de Moise. On voit bien
quelle est sa réponse. Mais au moment où le peuple est installé, on trouve qu’il y a des gens de
Jethro, donc des Madianites qui sont installés au Sud. Cela signifie qu’ils n’ont pas été seulement
guides, ils se sont collés à ce peuple pour voyager avec lui.

LE SEJOUR DE MOISE EN MADIAN

Il y a un problème autour du séjour de Moise en Madian. C’est au sujet de ses


femmes, il en a deux. La première se nomme Cippora ( cf. Ex 3. Ce nom signifie petit oiseau). Le
mariage s’est fait selon le style traditionnel de rencontre Voir le scénario analogue dans l’histoire
de Jacob et Rebbeca. Moise épouse donc Cippora. En Nb 12,1-3 apparaît une contestation de
Myriam et Aaron à cause de l’autre femme Koushite ( = Ethiopienne). Cette femme a été trouvée
probablement à côté de Madian  (Hab 3,7). S’il y a querelle dans la famille, il faut y prêter
attention. On ne crée pas une contestation familiale comme ça et pour rien ! Cela signifie qu’il y a
un problème. Le problème, c’est l’introduction des autres éléments dans le dispositif du peuple
constitué depuis le désert. Myriam et Aaron ont eu leur résidence à Qadesh, lieu qui est proche ou
en relation avec le Sinaï. Aaron a rejoint Moise qui revenait du Sinaï vers Qadesh (Ex 4,14-27). Le
tombeau d’Aaron, dit-on, est situé entre Qadesh et Sinaï, là où était, peut-on, dire sa patrie. Quant à
Myriam, elle est morte à Qadesh même (Nb 20,1). => tout ceci pour dire qu’un groupe des gens de
Qadesh rencontré par les Hébreux en ce lieu s’était joint à ce peuple. C’est vrai que les hébreux y
sont restés longtemps ( et c’est là que s’était élaboré beaucoup d’éléments législatifs sous
l’influence de Myriam et Aaron. cf. Nb 12 et 16.

MOISE HABILLÉ.

Cet homme a été habillé d’un costume de prophète, de juriste, de prêtre.

VII : EX 3 VOCATION DE MOISE ET REVELATION DU NOM

Ce récit est moitié J moitié E

Le premier grand événement religieux de l’Exode, nous l’avons dans ce chapitre


trois (Ex 3). C’est à l’Horeb que cela se passe. Le texte parle d’abord de « la montagne de Dieu ».
Elle est ainsi appelée, soit parce que Dieu va s’y révéler à Moise (et après à tout le peuple : Ex 19),
soit parce que l’endroit était considéré déjà comme un lieu saint. Pour cette deuxième possibilité,
on peut dire que Moise arrive sur un haut lieu, un lieu du culte selon la Bible (comme par exemple
en Gn 28 ; haut lieu = Maqom en hébreu). Ce serait un endroit où une divinité est vénérée : donc
un endroit auquel on a déjà attaché une tradition religieuse. => Ce qui ferait comprendre que Dieu
se sert de ce qui existe pour pousser plus loin. Ce lieu appelé montagne de Dieu, sera appelé selon
les autres traditions Horeb (Elohiste et Deutéronomiste) ou Sinaï (J et P). {Avec cet événement,
nous avons l’origine de la religion des hébreux ( c’est une origine nomade). La Pâques est aussi
d’origine nomade : le sacrifice qu’on y fait est celui de l’agneau : c’est la bête des nomades. Cet
animal est une donnée importante dans la religion ( on verra les prescriptions pour la célébration
de la paques ).}

Le récit dit au chapitre 3 que la théophanie se fait dans le désert. SANEH (= buisson.
C’est ce mot qui serait probablement à l’origine du mot Sinai)

La flamme. Elle est une des nombreuses manifestations de Dieu. Voir par exemple
Gn 15 lorsque Dieu passe à travers les animaux coupés en deux. Ce symbole du feu signifie que
Dieu n’est pas figé, qu’il n’est pas immobile. Dieu s’exprime comme un être mobile, comme le feu
( changement de forme, insaisissable).
Le buisson. Il symbolise l’aridité, la sécheresse, l’austérité. D’après le texte, le
miracle ce n’est pas que « ça brûle », car il y a des buissons qui brûlent à cause du soleil. Le
prodige est que « ça ne se consume pas ».

Horeb signifie désertique. Donc le récit dit au chapitre 3 que la théophanie se fait
dans le désert. Et SANEH signifie buisson. C’est ce mot qui serait probablement à l’origine du mot
Sinaï. => Tout cela veut dire que Dieu n’est pas habillé en prince lorsqu’il se révèle, il apparaît
dans un contexte de dépouillement qui appelle le dépouillement de celui qui accueille. Et cela
caractérise Dieu, car il est « celui qui habite le buisson » (Dt 33,16).

v.4 « Moise, Moise. Me voici ! » On trouve cette formule aussi ailleurs. C’est le
style élohiste. On trouve le même style aussi chez les prophètes.

V.5 « retire tes sandales…une terre sainte. Le lieu sacré : la conception hellénistique
est différente de la conception sémitique. Dans le texte, il est question d’un espace limité qu’on
considère comme sacré. Cet espace est à ciel ouvert. La conception hellénistique est d’avoir un
espace limité dans un volume comme une basilique.

Le mur des lamentations est le mur de l’enceinte de l’espace sacré. Et la conception


sémitique est que: Dieu a le droit d’avoir une habitation dans cet espace. Le peuple n’entrait jamais
dans cet endroit. Moise ne peut pas s’approcher parce que c’est pratiquement un sanctuaire, Dieu y
apparaît. Dans l’ancien temps le prêtre officiait pratiquement nu. Le lieu est saint, il ne fallait pas y
entrer avec les choses souillées. Ici il y a donc deux choses : la sainteté du lieu et la sainteté de
l’apparition. C’est la raison pour laquelle les musulmans encore aujourd’hui enlèvent les sandales
avant d’entrer dans la mosquée. Ils s’en souviennent bien. Cet espace s’appelle en Arabe : haram. {
Puis, il est devenu l’enclos où on avait ses femmes. L’homme qui se mariait à plusieurs femmes
avait pouvoir sur les régions d’où venaient ses femmes, lorsque cet homme était un chef. Ce qui
explique les mariages politiques dans l’ancien temps }

V.7  Il entend la voix. Il reçoit une mission, celle d’aller libérer le peuple. La
réponse de Moise on la trouve chez tous les hommes choisis. Cf. par exemple les prophètes  : Isaïe,
Jérémie,…
« Je suis avec toi », cette déclaration divine est classique de la théologie du Nord
(Elohiste). Voir par exemple : Emmanuel : Dieu avec nous. Les vv.7.8.16.20 en tant que mission
confiée à Moise ne sont pas une révélation. Ces versets manifestent la gratuité de l’initiative de
Dieu. A chaque instant nous cognons sur ce comportement de Dieu qui donne gratuitement. En
effet, il faut voir dans le texte que le peuple n’a pas encore prié. Il crie seulement ( cf. v.7).

La Bible traduit ce cri par lamentation ou plainte. En comparant ce cri avec les
chants de lamentation dans l’AT par exemple, on notera une petite différence mais importante.
Dans une prière de lamentation trois éléments sont constitutifs :

1. le priant exprime son besoin

2. il crie à Yhwh

3. Yhwh écoute le cri et voit le besoin

Voir le cas du psaume 18,5-8

vv. 5-6 = 1

v. 7a = 2

vv.7b-8 = 3

Dans le cas de l’exode, nous trouvons les trois éléments avec une différence surtout
dans le deuxième élément. Le texte ne dit pas que « les fils de Jacob élevèrent leur cri à Yhwh », il
ne dit pas que « les fils de Jacob demandèrent l’aide à Yhwh ». Le texte affirme par contre que les
fils de Jacob crièrent, demandèrent de l’aide. Il n’est pas dit à qui ils demandèrent l’aide ni vers qui
ils crièrent. Le texte dit : «  du fond de l’esclavage, leur cri monta vers Dieu », car Dieu entendit ce
cri. Le peuple ne sait pas invoquer le nom de Dieu parce qu’il ne le connaît pas. Que signifie alors
ce cri du peuple ? C’est le cri instinctif de la nature humaine oppressée et violentée. Le terme
hébraïque employé est Sa‛aq (‫ )קעצ‬ou Za‛aq qui sont synonymes. Dans notre contexte Za‛aq n’est
pas une simple lamentation, mais un cri au secours qui émerge d’une grave nécessité, le cri
d’angoisse d’une bouche réduite au silence. Ce terme se retrouve par exemple dans Dt 22,24-27 ;
Gn 4,10 (le sang d’Abel).
Le peuple n’a donc pas prié ; Moise non plus. Ce dernier n’a pas dit « Seigneur, c’est
gentil que tu sois venu me saluer, mais va un peu plus loin en Egypte pour voir le peuple ». Il n’y
a prière ni du peuple ni de Moise.

Mais Dieu va dire « J’ai entendu la misère de mon peuple et je vais le sauver ». C’est
Dieu lui-même qui prend l’initiative. Et c’est là que Moise va lui demander :  « qui es-tu » ? On
pouvait dire qu’il est Elohim ou El. Ce sont les anciens noms ou les noms génériques de dieux.
Cela ne suffit pas. Il faut un nouveaux nom qui donne la nouvelle connaissance de Dieu. La
connaissance du nom de la divinité était nécessaire et capitale pour une mission à accomplir. Sans
ce nom, on ne pouvait pas être sur de la puissance de ce dieu, de son intervention, de sa protection.
La connaissance du nom était indispensable pour une relation personnelle avec un dieu. En
donnant son nom, Dieu donne en quelque sorte une possibilité de le joindre et une possibilité de se
souvenir de lui dans le culte. Le nom est en quelque sorte un mémorial, un monument ; comme
quelque chose auquel on peut se référer (Exemple Exo 20,24. Dieu donne la possibilité de
rappeler son nom.). Il faut avoir un nom pour pouvoir l’invoquer. Dans la Bible invoquer le nom
de Dieu signifie offrir un culte ( cf. Gn 12,8 ; Gn 4,26).

Dieu accepte de donner son nom Ex 3,14. Il dit : «  Je suis celui qui suis » selon la
BJ ou « je suis qui je serai » TOB.

De l'importance de la révélation du nom de Dieu, Israël s' en est continuellement


rendu compte. En effet, depuis le moment de la révélation du nom de Dieu, tout ce que s'impose
sur la révélation de Dieu est lié à ce nom Yhwh.
Dans le monde sémitique. Dans le langage oriental, et aussi biblique, le nom a une
dimension et une dynamique qui est malheureusement devenue étrangère à notre manière de
parler et de penser. Dans l'ancien orient, le nom n'est pas une simple étiquette, une indication
jointe. Le nom a une signification bien plus grande, parce qu'il sert à indiquer la nature d'un être, à
indiquer la particularité d'une personne. Entre le nom et celui qui le porte il existe un rapport
essentiel. Dans l'ancien orient, presque tous les noms étaient une description, une caractérisation,
et ils révélaient effectivement quelque chose de la personne dénommée : le nom est comme
quelque chose de son porteur, comme quelque chose qui le révèle, lui et sa vie. On peut avant tout
dire que dans l'ancien orient, le nom définit l'essence d'une chose. ; et pour l'homme oriental
ancien, le nom est la manifestation d'une réalité. Le nom d'une personne est la personne même.
Ainsi aussi l'AT est conscient de l'importance du propre nom personnel. En effet,
le nom dans l'AT indique la personne, il fait partie de la personne, on peut même dire: un tel est
son nom. En 1 Sam 25,25 nous avons un bel exemple: Nabal il s'appelle parce que nabal il est.
En outre, quand une personne donne le non à une personne ou à une chose, cette
personne et cette chose seront soumises à sa domination. Un très bel exemple en 2 Sam 12, 27-28
=> Celui qui a conquis la ville dit: si Je la prends elle porterait mon nom. Le conquérant d'une ville
mettait son nom sur la ville, il appelait la ville avec son nom. Ainsi aussi David quand il conquiert
la ville des Gebuséens Jérusalem il l'appela avec son nom: ville de David. Un autre exemple dans
le même sens c’est Gen 2,20. Dieu accorde au premier homme de nommer les animaux, et depuis
ce moment-là les animaux restent sous le pouvoir du premier homme. Nous voyons ainsi que dans
l'Ancien Testament et dans l'Ancien Orient: à un esclave on donnait un autre nom pour indiquer
qu'il était privé de sa liberté et il devenait possession du patron: l'esclave perdait son vrai nom, et
avec celui-ci il perdait son identité.
Connaître le nom d'une personne est bien plus que savoir distinguer cette personne
extérieurement. Dans l'Ancien Orient et dans l'Ancien Testament connaître le nom d'une personne
signifie entrer en rapport avec l'être de cette personne. Nous voyons donc que connaître le nom
d'une personne ou d'une chose avait comme conséquence pouvoir disposer de cette personne,
pouvoir endommager cette personne. En Egypte, la divinité tient caché son vrai nom derrière ses
nombreux noms cultuels pour rester soustraite à la prise magique des hommes pour ne pas courir
le danger de l'évocation humaine.
Le Dieu de la révélation, Exode 3,13-15 porte le nom de Yhwh. Dans le texte
hébraïque ce nom, le nom sacré, était constitué par les quatre consonnes. Et ce nom Yhwh était
considéré tellement sacré que les croyants évitaient de le prononcer par peur d'une transgression
possible du second commandement. La prononciation de ce nom fut réservée au grand prêtre, et
secrètement une seule fois l'an dans le saint des saints, le jour de l'expiation ou de la réconciliation.
Le nom Yhwh était pour Israël de grande importance. Il était une profession de
foi pour Israël. La révélation du nom était pour Israël d’une certaine manière la révélation de la
personne de Dieu. Pour nous il est d’une grande importance de comprendre ce que le nom de
Yhwh signifie pour Israël.
La réponse de Dieu se trouve au v. 15 ; v. 14a et 14b. Le v. 14 rompt le contexte
en y introduisant deux autres déclarations de Dieu: 14a veut être l'explication du nom de Yhwh
(hy<h.yI) du v.15; et v.14b fait l'intermédiaire entre le nom Yhwh en v.15 et son explication en
14a. Le v.14b a ainsi la fonction de mettre en relation 14a et 15.
Dans la langue latine on distingue six temps: Praesens - je lis; Imperfectum - je
lisais; Futurum simplex - je lirai; Perfectum - j'ai lu; Plus quam perfectum - j'avais lu; Futurum
exactum - j'aurai lu. Imperfectum dans le sens latin indique qu'une action avait lieu dans le passé.
Dans la langue hébraïque il y n'a pas de temps: le verbe a 2 manières d'exprimer les modalités
fondamentales de l'action. L’hébreu indique seulement qu'une action est accomplie ou elle n'est pas
accomplie, que ce soit dans le passé, dans le présent ou dans l'avenir. L'imperfectum indique que
l'action n'est pas encore accomplie. Les 3 premiers temps de la langue latine cités ci-haut sont en
hébreu Imperfectum, alors que les trois autres représentent le Perfectum. est imperfectum:
comment doit-il se traduire? On doit traduire par: « J'étais. Je suis. Je serai »: tous les trois
entendus comme une action non accomplie. Le passage de hy<h.a, ( ehyeh) à Yhwh (hy<h.yI)
apparaît comme le changement de la première à la troisième personne du même verbe, la
correspondance avec la troisième personne donnera alors " « il est, il était et il sera présent».
Yhwh signifie donc qu’ « il est présent et prêt à agir ». ce changement de la première à la troisième
est fait par Moise au v.15 lorsqu’il doit transmettre le message

Dans l’entre-temps cependant, la réponse que Dieu donne à Moïse est un refus de
se dévoiler complètement. En réalité, Dieu manifeste à l'homme seulement ce qui concerne
l'homme et non pas toute son essence. Ainsi le nom Yhwh indique deux choses : une proximité et
une distance. Proximité: Dieu révèle son nom, celui-ci est signe de grâce et d’amour. Son nom
signifie vie, présence. Cette présence de Dieu ne reste pas inefficace: c'est une présence puissante
et agissante; vraiment avec son nom Dieu fait savoir qu'il s'engage en faveur d'Israël ; qu’il
instaurera entre lui et Israël un rapport spécial. Dieu est et il sera présent à Israël comme il l’était
toujours. Distance: Le nom de Dieu est en même temps intouchable. Le nom Yhwh dévoile
également son « incomparabilité » et son inaccessibilité. Le respect de l'absolu et de son nom est la
première loi à l'Israël. Dieu est le seul puissant. Les homme lui sont soumis et Dieu n'est soumis à
personne.

Dieu s’était exprimé sous une forme verbale qui dure. Ce nom a été révélé chez les
Madianites. Et ce nom a une origine lointaine : on le trouvait en Babylonie sous les formes Yahou,
Yahoum… Ce Dieu est conçu comme « Dieu personnel », à la différence de « El » ou « Elohim »
qui signifie le dieu ordinaire, quotidien et sans cette particularité personnelle ( de moi, mon dieu).

Les traductions dans nos Bibles : Il y a deux façons de traduire :

 Je serai qui je serai (futur). Du point de vue grammatical, c’est


correct. Dieu sera toujours présent. Et Moise a besoin de cela, car c’est comme si Dieu le
rassurait en disant « de toute façon, vous verrez qui je serai pour vous ». => (Aquilla et
Théodotion )

 Je suis qui je suis (présent). Parfois dans la Bible on écrit « Je suis
celui qui est ». Cette deuxième traduction « …celui qui est » n’est pas bonne du point de
vue grammatical. Le sens au présent et au futur est le même.

Qu’est-ce ça veut dire ou qu’est-ce que ça signifie un tel nom, du moment qu’il y
avait déjà le nom de « El » qui circulait ?

On peut dire que Dieu révèle son nom à Moise en lui assurant sa présence. Cette
même révélation est aussi un refus de dire qui il est. Cela vient la formule utilisée par Dieu lui-
même. C’est une formule qui indique une indétermination synonyme du refus de révéler ce qu’on
attend. Exemple dans Exo 33,19 « J’accorde ma bienveillance à qui je l’accorde » = j’aime qui je
veux ; ( les autres références ci-après les traductions ne rendent pas textuellement l’hébreu : Ez
12,25 = « Je dirai ce que je dirai » ; 2 Sam 15,20 = « Je vais séjourner où je vais séjourner » c-à-d
je ne sais où, mais là où je serai. C’est dans la même ligne qu’est donnée la réponse de Moise en
Exo 4,13 = « envoie qui tu envoies » ( et donc pas moi). La TOB a mis « envoie –le dire par qui tu
voudras ». En 2 R 8,1 = « Séjourne où tu séjourneras » c-à-d n’importe où tu peux aller. Ces
formules de répétition sont en réalité aussi des formules de refus. Dans d’autres passages le refus
de Dieu pour donner son nom est encore plus explicite. Gn 32,30 ; Jug 13, 13-20 (surtout le v.18) ;
Exo 33,18 où Moise demande à Dieu : « fais moi voir ta face . => Ma face tu ne la verras pas Cf. la
note dans la TOB.

Dieu en révélant ce nom, il voulait dire quelque chose. Cette révélation est en
rapport avec la situation. Moise a besoin d’un nom pour communiquer au peuple afin que le peuple
puisse l’appeler, l’invoquer. Exemple : Ps 20,8 (appeler le nom); Nb 6,27 (placer le nom) ; 2 Sam
6,18 (appeler le nom du Seigneur comme secours). Par conséquent la formulation donnée par Dieu
a sa signification. Plusieurs divinités se disputaient le cœur des fidèles. Il y avait beaucoup de
divinités. Il fallait de la part du Dieu qui se révèle qu’il s’affirme, qu’il affirme son existence. Dieu
ne dit pas « je suis l’être en soi ». il n’a pas donné une formule abstraite. Les Grecs ont mis ό ων =
l’étant (l’etre) Je suis l’etre. Philon d’Alexandrie a mis …το ων = je suis ce qui est ( il n’y a rien
de personnel dans cette formule =>ça devient la chose.

La formule donnée par Dieu veut dire que les autres dieux ne sont rien ( ce sont des
morceaux de bois, de fer…, ils ne sont rien du tout, mais Dieu est). {Jésus prendra ici son
affirmation définitive : έγω ειμι.} Le « je suis qui je suis » signifie je suis quelqu’un de vivant.
Dieu se manifeste comme un vivant, par une action. Cf. Ps 104. (Pour « …Tu es si grand » du v.1
en hébreu on dit et c’est ce qui est écrit « Tu grandis magnifiquement ; tu es vivant dans ta
grandeur.) C’est celui là qui va agir. Mais avec les mécréants, Dieu ne pourra etre avec eux, il ne
pourra pas agir. Cf. Os 1,9. Mais dans Zach 2,9 Dieu promet qu’il sera de nouveaux avec son
peuple = il revient pour etre avec eux , pour réaliser son salut.

 Son nom garantit la présence agissante de Dieu (C’est le sens du nom


révélé que notre liturgie veut rendre en disant «  au Dieu qui est qui était et qui vient »

VIII : Exo 4, 24-26.

C’est un texte qu’on n’explique presque jamais. Ce texte a quelque chose à dire sur
Moise. L’acte de circoncision du petit garçon qui n’est pas nommé est accompli par la femme,
Cippora. Jamais dans la Bible on ne voit une femme circoncire ; aujourd’hui non plus, car chez les
juifs la circoncision se fait par un homme. On dirait que c’est l’homme dans les familles juives qui
est ministre de la circoncision ( Dans Gn 17 on voit Abraham qui la réalise pour Isaac). Une
femme qui pratique la circoncision est quelque chose d’anormal.

Le récit est mis à cette place à cause du voyage qui est mentionné ; voyage relatif à
la mission de Moise. L’attaque pour faire mourir Moise se fait la nuit. Donc dans la nuit il y a
toujours quelque chose de mystérieux qui est exprimé. Voir par exemple la ressemblance partielle
avec d’autres textes bibliques sur ce fait : Gn 32 (à partir de 23)= il y a un exterminateur ; Nb 22 :
à deux reprises Dieu se montre contre Balaam.

Ces attaques se passent dans un lieu ; ce n’est pas dans un sanctuaire ( car l’être
malfaisant ne vient dans le sanctuaire). Cet être mystérieux et malfaisant, la Bible l’a transformé en
Yhwh . En effet, on ne voit pas pourquoi Yhwh après avoir fait la révélation de son nom, après
avoir donné une mission à Moise ; on ne voit pas pourquoi il aurait le désir malfaisant de le tuer.
Donc ce n’est pas Yhwh au départ c’est quelqu’un d’autre. Donc ce texte exprime autre chose
avant d’être ramassé par le Yahviste.

=> on peut dire que:

 le texte a été recueilli pour justifier , officialiser la circoncision. J ne


connaît pas la tradition de Gn 17. Cette Gn 17 est une tradition de P ; elle est donc
postérieure à J. J n’a pas de texte d’institution officielle de la circoncision. S’il y en avait,
on aurait trouvé un moyen pour circoncire Moise. Il ne l’est pas, Moise !

 le texte justifie la circoncision des enfants, dans la mesure où le rite


anciennement était un rite d’initiation à l’âge adulte, à la puberté et au mariage. (Gn 17
=> Isaac à 13 ans : passage de l’enfance à la grande adolescence)

 le texte sert aussi à expliquer le sens de la formule finale « époux de


sang ». Une fois que la circoncision est appliquée à l’enfant, l’expression perd son sens.
La mère prend le prépuce de l’enfant et l’applique ou le place sur le sexe de Moise ; ce
qui constitue une circoncision par procuration. La femme ne peut pas faire la circoncision
sur l’homme adulte. Elle le fait sur l’enfant et touche le sexe du mari qui, en quelque
sorte, est aussi circoncis. Ceci fait que Moise désormais est en règle avec la circoncision.
Et le sang de l’enfant qui l’a touché, le libère de sa situation d’incirconcis dans laquelle il
se trouvait.

Dans la Bible, les pieds sont souvent une parole de remplacement pour désigner le
sexe. (cf. Is 7,20). La circoncision a en quelque sorte un certain caractère sacramental, car il
introduit l’enfant ( même un adulte) dans la communauté. Le rite de sang a un caractère
sacrificiel, donc un caractère de rédemption. Saint Paul parle de la circoncision en terme de sceau
– en rapport avec le baptême.

Les plaies d’Egypte : Ex 7-11

Ex 7- 11 est un ensemble bien constitué, un ensemble bien délimité, bien fermé sur
lui-même. Il se concentre sur les 9 premières plaies. C’est une composition littéraire qui a comme
arrière-fond les calamités d’Egypte. Il est fait d’éléments divers (P et J) et manifestent l’opposition
opiniâtre de Pharaon contre Moise et contre Dieu.=> C’est pour cela qu’on reprend souvent dans le
texte : »Le cœur de pharaon s’endurcit ». le Ps 27 rappellera cet endurcissement.

Du point de vue historique, il faut penser à des épreuves endémiques, des


manifestations naturelles qui ont été perçues par les auteurs sacrés comme une intervention divine
chargée de valeur religieuse. Tout va illustrer l’action de Dieu. Dans ces circonstances, le pharaon
incarne vraiment la résistance au plan de Dieu ; il devient le grand adversaire orgueilleux et
stupide. La tradition après a grandi ces plaies (Cf. Sg 11,15-20. Les plaies ne sont plus des
moucherons mais elles sont exprimées en terme des panthères, des lions, des êtres qui crachent le
feu. Cf aussi Ps 78 et Ps 105).

IX : EX 11

Dans ce texte , on a comme une reproduction de ce qui est présenté dans le déluge
( Péché – Punition )

Le peuple égyptien est présenté ici de façon sereine. Au v.3, l’auteur fait un effort
pour pouvoir séparer les braves gens qui ont dû subir les calamités. Il essaie de mettre les choses
en place : le chef est responsable de ces calamités, et pas les braves gens. Comme il est solidaire
avec son peuple, « tout le monde a trinqué », les braves gens ont aussi attrapé le coup.
Les fils d’Israël ont vécu cet événement comme une libération. A partir du salut
opéré sur le terrain, un mémorial (un souvenir) s’est développé dans la liturgie, et avec le temps
cela s’est enrichi et a donné le complexe très lourd qui est la présentation de la Pâques au chapitres
12-13. Le cœur de la célébration pascale se trouve dans Ex 12,1 – 13,6.

Cet ensemble pascal n’a pas été composé par un seul homme dans un bureau ! C’est
une succession d’éléments théologiques et liturgiques qui sont venus se greffer sur l’événement de
la sortie. Pour comprendre tout ce qu’il y a dans ce complexe, il faut faire des avenues. Il y a deux
grandes parties :

 le rituel pascal selon son développement par étape (depuis le désert


jusqu’à l’exil)

 la signification ancienne de la fête ( qui nous permettra d’expliquer et


de comprendre tous les éléments que nous lisons maintenant, parce que la Pâques est plus
veille que la Pâques.

Première Partie - Les étapes du rituel

1. Présentation du rite de sang Ex 12,21-24 (J)

C’est la première présentation du rite pascal. La paques est présenté à


l’improviste, sans préparation. Normalement on doit préparer et justifier ceci et cela. Ici c’est un
rite bien connu : on le présente sans l’expliquer. On n’explique ni le mot Pâques ni son origine =>
ceci suppose que le rite était déjà connu : Le rite vient de loin. Ce rite avait comme but de conjurer
l’exterminateur, le destructeur bizarre et mystérieux. Ce destructeur ne peut pas frapper quand il y
a du sang. Il était perçu comme un être réel et capable de tuer. (cf. Is 54,16 ; 2Chr 20,23 ; 22,4 =>
ce destructeur est nommé de façon abstraite, plus en lien avec la Pâques. Cippora a détourné cet
être mystérieux en appliquant le sang sur Moise [ origine de la fête de Pâques  : La paques était
un rite pastoral pratiqué par les pasteurs nomades ou semi-nomades. Ce rite est très ancien, car il
remonte au temps où Israël était encore nomade. Le premier jour de la pleine lune du Printemps,
dans la nuit, avant de se transférer des pâturages hivernaux vers les pâturages d’été, ce rite était
pratiqué. => Ce transfert était toujours une chose dangereuse, non sûre parce qu’il y avait au cours
de cette nuit là la menace de l’exterminateur. Cet exterminateur était une sorte de démon
maléfique, une force du mal personnifiée. Pour se protéger contre cette menace, les nomades se
réunissaient dans cette nuit là, un animal d’un an était abattu ; c’était un agneau ou un chevreau.
Son sang était recueilli dans un récipient, on l’aspergeait avec une branche d’hysope à l’entrée des
bergeries et sur les piquets des tentes. Ce sang éloignait l’exterminateur qui devait plus
probablement être identifié avec le vent de l’Est, un vent très chaud qui pouvait détruire toute la
végétation des pâturages au cours d’une seule nuit étant ainsi un danger pour les animaux et pour
les nomades.])

2. Présentation ancienne d’une fête des azymes (Mazzot : pain non levé
qu’on mange à Pâques) Ex 13, 3-10

La paques sera associée à la mention des azymes. C’est un signe que cette fête est
très ancienne, antérieure à l’introduction de la célébration des azymes, car ces azymes font partie
d’un régime agricole qui sera possible seulement lorsque le peuple sera en Canaan dans une terre
fertile et se sera mis au régime sédentaire et agricole. Dans Ex 12, 21-24 il n’ y avait pas de repas.
Donc pas de raison de présenter les azymes dans ce texte là. Dans Ex 12,21-24 c’est le sang qui
intéresse l’auteur et non pas les azymes. La description de cette deuxième étape ( la fête des
azymes) est assez simple, mais on voit que cette description se charge d’éléments deutéronomistes
(Dtr). Et cette fête est connue dans le code de l’Alliance Ex 23,15 ( c’est au mois d’Aviv qu’elle
doit avoir lieu. Mois d’Aviv = mois d’épis). Elle est décrite sous forme élémentaire. Et il n’ y a pas
de lien ici entre cette fête et la Pâques. La fête est présentée pour elle-même. Ce lien avec la
Pâques est assez lâche et viendra après. Et l’accent est mis sur le souvenir sans allusion à
l’immolation.

3. Présentation minutieuse et extrêmement précise d’un rituel


d’immolation Ex 12, 1-14

C’est le texte qu’on lit à la vigile pascale. Cette description est récente par
rapport aux deux autres présentations. Il y a des éléments anciens et récents. Voici les indications
relatives au caractère récent de quelques éléments :

a) La mention précise et peu habituelle du jour de la fête (v.2). L’année recommence


avec le mois de la Pâques. Ceci vient du fait qu’à l’époque de l’exil (ou peu avant l’exil
babylonien), le calendrier babylonien faisait commencer l’année au printemps. Ce calendrier a été
adopté par Israël vers 604 av. J.c. ( le roi Yoiaqim s’était soumis au roi de Babylone. Ce qui
entraîna l’alignement de certains usages d’Israël sur les usages babyloniens.) Ce premier mois n’a
pas de nom ici. Les mois sont désignés par ordre : 1er , 2ème, 3ème , etc. à Babylone et en Israël. Mais
ce premier mois s’appellera Nisan après l’exil. C’est en ce moment là que les Babyloniens
commenceront à donner les noms aux mois. Le nom de Nisan on le trouve dans Neh 2,1 ; Est 3,17.
Ce sont des textes tardifs. Ce même mois s’appelait très anciennement en Israël le mois d’Aviv.
Dans cette réglementation de Ex 12, 1 relative au mois, il semble y avoir une insistance, ce qui
confirme le changement d’habitude et aussi la difficulté pour faire admettre ce changement
( maintenant, le nouvel an c’est à Pâques). On comprend la difficulté de faire entrer la paques au
temps indiqué (au printemps). Voir par exemple Ex 23,16 ( Code de l’Alliance) et Ex 34,22
(Décalogue liturgique), ce sont des textes anciens. Le nouvel an est en automne – cela depuis
l’exode (tournant de l’année = nouvel an)

b) L’intervalle de 5 jours entre la préparation et l’immolation de la victime (Ex 12,


3.6) . Cet intervalle est inattendu. Qu’est-ce qu’il vient faire ? Il n’y a aucune réponse => D’après
Théophane CHARY, il intervient peut-être par souci de solenniser davantage la cérémonie par
cette préparation ( comme on prépare certaines fêtes par une retraite). Cette préparation n’est pas
restée dans la liturgie juive d’aujourd’hui.

C) La désignation du peuple en terme d’assemblée plénière,


juridique et cultuel ( hedah et qahal 12,3.6 )

Ces termes sont exclusivement postexilique. Le vocabulaire qui désigne la


communauté qui doit célébrer la Pâques est exclusivement postexilique.

D) l’insistance sur les conditions d’admission à cette célébration


(12,43-49).

Ce n’est pas n’importe qui, qui peut entrer. Les circoncis = les fils authentiques.
Ger = étranger qui séjourne depuis longtemps et qui est pratiquement assimilé et qui a reçu
aussi la circoncision.
Donc – rappel de l’insistance sur la circoncision => On est loin du désert, car là
il n’ y a pas d’ouvrier saisonnier.

4. Présentation du fait évolué des azymes (12,15-20)

Cette fois – ci, la fête des mazzot est formellement liée à la paques. Les mazzot sont
liés à l’immolation ; il y a la date à laquelle cette fête doit commencer. Tout n’existait pas dans la
première présentation. Les deux fêtes Mazzot et immolation sont fusionnées.

Vous aimerez peut-être aussi