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QUE SAIS-JE ?

EDMOND JACOB
Professeur émérite à l'Université de Strasbourg

Cinquième édition mise à jour


3 9 mille
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DU MÊME AUTEUR

La Tradition historique en Israël, Montpellier, Faculté de Théologie


protestante, 1946.
Considérations sur l'autorité canonique de l'Ancien Testament, dans
Le problème biblique dans le protestantisme, PUF, 1955.
Théologie de l'Ancien Testament, Neuchâtel, Paris, Delachaux
& Niestlé, 1 éd., 1955, 2 éd. augmentée, 1968, trad. anglaise,
espagnole, chinoise.
Ras Shamra-Ougarit et l'Ancien Testament, Cahiers d'Archéologie
biblique, 1960.
Commentaire de l'Ancien Testament, XI a : Les petits prophètes :
Osée, 1 éd., 1965, 2 éd., 1982.
Commentaire de l'Ancien Testament, VIII a : Es-aaïe, 1-12, Labor
& Fides, 1987, 176 p.
Le prophétisme à la lumière des recherches récentes, dans Où en sont
les études bibliques ?, Ed. du Centurion, 1968.
Israël dans la perspective biblique, Strasbourg, Ed. Oberlin, 1968.
Le Dieu vivant, coll. «Foi vivante », 137, Delachaux &Niestlé, 1971.
Sagesse et religion chez Ben Sira, dans Travaux du Centre d'Histoire
des Religions de Strasbourg, 1979.

ISBN 213 041723 x


Dépôt légal — 1 édition : 1967
5e édition mise à jour : 1988, avril
© Presses Universitaires de Franoe, 1967
108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
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CHAPITRE PREMIER
L'ASPECT EXTÉRIEUR
DE L'ANCIEN TESTAMENT
L'expression « Ancien Testament » est la tra-
duction du terme grec palaia diathékè que l'apôtre
Paul applique aux livres sacrés lus au cours de
l'office synagogal (2 Cor. 3/14) : cette « Ancienne
Alliance » est, selon lui, caractérisée par l'absence
de l'esprit et par la prédominance exclusive de la
lettre qui tue et s'oppose à la nouvelle alliance
(2 Cor. 3/6) annoncée par le prophète Jérémie
(31/31).
L'apôtre Paul pensait principalement au Penta-
teuque, mais bientôt l'expression fut étendue à tous
les livres du Canon juif, ainsi que cela ressort par
exemple d'un passage de Méliton de Sardes cité
par Eusèbe de Césarée et donnant une liste complète
des livres de l'ancienne alliance (Hist. eccl., IV, 26).
Cetitre est déjà une interprétation, et une interpré-
tation tendancieuse qui généralise l'attitude hermé-
neutique des lecteurs chrétiens à partir du moment
où le Canon du Nouveau Testament devint la
norme de lecture de l'Ancien. En bonne logique, et
pour éviter tout jugement devaleur, il faudrait parler
de « Premier Testament », usage qui commence à
recueillir de plus en plus de partisans. La première
génération chrétienne qui ne connaissait pas encore
de Nouveau Testament parlait de l'Ancien comme
des graphai, les écritures, ou graphé, l'écriture, sans
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qu'il soit toujours possible de dire si l'emploi du


pluriel veut mettre l'accent sur l'ensemble des livres
qui constituent le Canon, ou sur certaines paroles
seulement. Il semble bien que dans des passages
tels que Luc 24/27 (toutes les écritures), Jean 5/39
(vous sondez les écritures), Actes 17/2,11 18/24,
Rom. 15/4 16/26, I Cor. 15/3 les « écritures »
désignent l'ensemble de l'Ancien Testament. Lors-
qu'il est question de l' «écriture »au singulier, les
auteurs chrétiens entendent mettre l'accent sur
l'unité de l'Ecriture comme témoignage à Jésus-
Christ, ainsi Gal. 3/8,22 4/30, Rom. 4/3 9/17 10/11
11/2, Jacques 2/23 4/5. Deux fois seulement les
écritures sont expressément appelées « saintes »
(Rom. 1/2) et «sacrées »(2 Tim. 3/15). Mais dans
la littérature chrétienne postérieure au Nouveau
Testament l'usage de parler des écritures saintes
ou divines ou seigneuriales ira en s'accentuant.
C'était d'ailleurs en parfaite conformité avec la
tradition juive qui dans la langue rabbinique parle
des écrits saints (traité Shabbat 16/1) mais aussi
des écrits tout court, de ce qu'on lit, ou des
livres (Daniel 9/2).
Dans sa terminologie la tradition juive a obéi
davantage à des motifs fonctionnels que dogma-
tiques, ce qui tient à la tournure d'esprit concrète
des Israélites et aussi à l'usage courant où l'Ancien
Testament n'existait pas sous la forme d'un livre,
mais d'une pluralité de rouleaux, répartis en trois
groupes : la Torah, la loi, c'est-à-dire le Pentateuque,
les Nebiim, les Prophètes, les Ketubim, les Ecrits.
Les Juifs citent l'Ancien Testament par un de ces
trois termes et pour parler de l'ensemble ils ont
forgé le mot artificiel TaNaK qui n'est rien d'autre
qu'une vox memorialis. C'est d'ailleurs aussi à un
usage fonctionnel — qui correspond en partie à
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l'origine des livres dans l'histoire —que fait allusion


le terme deBible. LaBible, Biblia, est la latinisation
du pluriel du mot grec biblion, et signifie « les
livres »; ce n'est que par une erreur de traduction
que ce mot en est venu à désigner le livre unique
et on ne saurait s'appuyer sur le mot pour pro-
clamer, comme on le fait parfois, que la Bible est
une. Aussi la terminologie nous mène déjà au cœur
du problème : comment cette collection de livres
a-t-elle abouti au livre unique ? C'est cet itinéraire
que nous nous proposons de retracer.
I. —La langue de l'Ancien Testament
L'Ancien Testament est écrit en hébreu et en araméen; ce
dernierest limité à Esdras 4/8-6/18 7/12-26 et à Daniel 2/4b-
7/28; il faut y ajouter un verset de Jérémie (10/11) et deux
mots dans Genèse 31/47. L'hébreu fait partie de la famille
delangues que depuis la fin du XVIII siècle on appelle sémi-
tiquesd'aprèslagénéalogiedesfils deSem,aunombredesquels
se trouve Eber, l'ancêtre éponyme des Hébreux : Gen. 10/21
11/14, 1 Chron. 1/18. Les langues sémitiques peuvent être
subdivisées en 3groupes : a) Celui du nord-ouest : cananéen,
ougaritique, phénicien, hébreu; b) Celui del'est dont le prin-
cipal représentant est l'assyro-babylonien, l'araméen et le
syriaque; c) Le groupe du sud représenté par l'arabe et
l'éthiopien.
La comparaison de l'hébreu avec les autres langues sémi-
tiques s'impose d'autant plus que l'hébreu, du moins sous
saformeancienne,n'ajamaisétéunelanguevraimentindépen-
dante, maisune variété dialectale du cananéen; l'appellation
la plusanciennedel'hébreu est d'ailleurs«languedeCanaan»
(Es. 19/18). Leterme de«langue judéenne»2Rois 18/26,28
et Es. 36/11,13pourrait faire allusion àundialecte nettement
localisé. Le terme« hébreu», appliqué à la langue, apparaît
pourla premièrefoisdansleProloguegrecduSiracide(v. 22).
Il s'applique d'ailleurs aussi à l'araméen devenu la langue
parlée desIsraélites, ainsi Josèphe(Ant., 18/22,8 et Jean 5/2;
pour Jean 19/20 où il est question de l'inscription trilingue
surla croixduChrist,onpeut sedemandersilemot«hébreu»
désignel'hébreuoul'araméen. Lesrabbinsparlant del'hébreu,
et pour le distinguer de l'araméen, l'appelleront la «langue
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sainte » (traité Sota, 7/1), ce qui nous éloigne du sens ethnique.


Il est probable que les Israélites dont les ancêtres parlaient un
dialecte araméen (cf. la langue des textes de Mari), adoptèrent
lors de leur installation en Palestine, la langue de Canaan non
sans exercer aussi une influence sur cette dernière. Les plus
anciens manuscrits bibliques ne peuvent pas être considérés
comme l'expression absolument authentique de la langue des
auteurs mêmes des livres, encore que la transmission des
textes ait été faite avec une remarquable fidélité. Notre
connaissance de l'hébreu dans sa phase ancienne est éclairée
grâce à des documents extra-bibliques tels que le« calendrier »
agricole de Guézer(x siècle), lesostraca de Samarie(VIII siècle)
et de Lakish (vers 600). Les textes de Qumran et des vallées
voisines (Murabba'at, Nachal Heber), qui s'étalent sur une
période allant du III siècle av. J.-C. jusqu'au II siècle de l'ère
chrétienne, nous révèlent une forme de la langue hébraïque
fortement influencée par l'araméen, mais qui dans l'ensemble
reste assez proche de l'hébreu biblique.
Ces découvertes nous obligent en tous les cas à reconnaître
que la prédominance de l'araméen n'a pas réduit l'hébreu
au rang de langue morte. Cette langue dont l'expansion va de
pair avec le développement de la puissance politique des
peuples araméens a pénétré en Israël dès la chute de Sama-
rie (721) ; au temps d'Esaïe (2 Rois 18/26) l'araméen joue le
rôle de langue diplomatique internationale dans les relations
entre l'Assyrie et l'Egypte. La colonie juive d'Eléphantine
dont les origines remontent aux débuts du VI siècle parlait
l'araméen et les papyri qu'on y a trouvés sont une des sources
les plus précieuses pour l'étude de cette langue, qui devient la
langue officielle lorsque l'ancien royaume de Juda devint une
province perse. L'hébreu reste la langue sacrée, mais seule
une élite était capable de la comprendre (cf. Néh. 13/24).
Les termes araméens sont fréquents dans certains documents
récents de l'Ancien Testament, par exemple Ecclésiaste et
Esther. La présence des textes en araméen à l'intérieur de
l'Ancien Testament s'explique par le fait qu'ils rapportent
en partie des documents officiels rédigés dans cette langue
(Esdras) ou qu'ils constituent les premiers essais de targum,
de paraphrases du texte sacré qui n'avaient pas la mêmevaleur
que le texte lui-même.
II. Le texte de l'Ancien Testament
La priorité et la permanence de la tradition orale n'ont pas
empêché que d'assez bonne heure les paroles constituant l'An-
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cien Testament aient été mises par écrit. Leur fixation par
l'écriture était inspirée par le désir de conserver des paroles
sacrées sous leur forme originale ; elle était facilitée par le
fait que, dès la seconde moitié du I I millénaire, le Proche-
Orient connaissait une écriture alphabétique, faite d'un nombre
réduit de signes, obtenus, autant par le travail que par le génie,
à partir de la simplification de l'écriture hiéroglyphique ou
cunéiforme. Comme cette écriture alphabétique est attestée
dès le XIII siècle, on peut admettre que les anciens Hébreux
n'ont usé pour la plus ancienne rédaction de leurs documents
que de l'écriture cananéenne ou paléohébraïque attestée par
de nombreux documents épigraphiques et qui se retrouve
jusque dans l'écriture du Pentateuque samaritain et dans
certains fragments de Qumran. L'écriture carrée est appelée
ainsi à cause de la forme de ses lettres ; du fait de son origine,
on l'appelle aussi « écriture assyrienne ». Son attestation épi-
graphique la plus ancienne est l'inscription d'Araq-el-Emir
en Transjordanie datant du III av. J.-C. La tradition
rabbinique (traité Sanhedrin 21 b) fait remonter son introduc-
tion à Esdras qui l'aurait apportée de Babylone, ce qui est
une date manifestement trop ancienne qui, jusqu'à présent,
n'a reçu aucune vérification de la part de l'archéologie. L'écri-
ture carrée est celle des rouleaux de Qumran, bien qu'une ten-
dance à la graphie cursive et certaines ligatures de lettres
marquent le lien avec le paléohébraïque ; le même type
d'écriture apparaît dans le papyrus Nash, qui contient le
Décalogue et le début du S h (Deut. 6/4). L'écriture
carrée devait être d'un usage courant au temps de Jésus qui
mentionne le yod (grec iota) comme étant la plus petite lettre
de l'alphabet (Matth. 5/18), ce qu'il n'était pas dans l'alpha-
bet paléohébraïque.
La nature de l'écriture est étroitement dépendante de la
matière employée, sans qu'on puisse toujours dire si c'est la
matière qui appelle telle forme d'écriture ou si elle est choisie
en fonction des caractères (1). En Israël, comme ailleurs, on
s'est servi, aux époques les plus anciennes, de la pierre, de
l'argile, du bois et exceptionnellement de certains métaux.
Plusieurs de ces matériaux ont continué à être employés jus-
qu'à une période relativement basse, puisque les ostraca
(1) Sur l'origine de l'écriture en Palestine nous renvoyons à
l'excellent livre de H. MICHAUD, Sur la pierre et l'argile, Cahiers
d'archéologie biblique, n°10,publiés sousla direction d'André PARROT,
Neuchâtel-Paris, 1958 ; et à l'ouvrage plus récent et plus complet de
André LEMAIRE, Inscriptions hébraïques, t. 1 : Les Ostraca, Ed. du
Cerf, 1977, qui réunit le matériel épigraphique qui augmente d'année
en année.
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étaient en usage jusqu'à l'époque perse et qu'à Qumran


on a trouvé un écrit gravé sur un rouleau de cuivre. Tous ces
matériaux ne se prêtaient cependant guère à la mise par écrit
d'une littérature ; aussi eut-on recours à des techniques plus
perfectionnées : le cuir, obtenu grâce au traitement des
peaux de moutons et de chèvres, était une matière première
facile à se procurer et présentant de grands avantages de
solidité et de durée ; en cousant bout à bout les morceaux
obtenus, on pouvait réunir d'assez vastes ensembles qu'on
roulait et déroulait, d'où le nom de rouleau, en hébreu megillah,
pour désigner les plus anciens livres (Jér. 36/2 ss, Ez. 2/9, etc.).
Le parchemin —le nom vient de Pergame en Asie Mineure qui
était un des centres de fabrication — n'est qu'une forme
plus raffinée de l'usage des peaux. Une matière plus malléable
était le papyrus que les Egyptiens exportaient en Canaan
dès le XI siècle et probablement plus tôt, ainsi que cela
ressort du récit de voyage de l'Egyptien Wen Amon venu à
Byblos pour négocier la vente de papyrus contre l'achat de
bois de cèdre. Les feuilles de papyrus collées bout à bout per-
mettaient d'obtenir des rouleaux plus fins et offraient la
possibilité d'écrire au recto et au verso (cf. Ez. 2/10). On
peut supposer que le rouleau des oracles de Jérémie déchiré
et brûlé par le roi Jojakim (Jér. 36) était un papyrus ; des
papyrus ont été trouvés parmi les documents de Qumran
et ailleurs, mais sa conservation était moins facile en Palestine
qu'en Egypte. La forme du rouleau n'était cependant pas
très pratique ; pour retrouver un passage se trouvant à la fin
du rouleau, il fallait dérouler le rouleau tout entier, ce qui,
avec un rouleau de 7,34 m de long comme celui d'Esale à
Qumran, représentait un travail bien compliqué. Malgré cela,
le rouleau est resté la forme usuelle dans la synagogue ; on
écrivait sur un même rouleau un ou plusieurs livres ; ajoutons
que le maniement compliqué des rouleaux contribuait à mettre
en relief le caractère sacré du livre. Le prototype de notre livre,
le codex, n'a fait son apparition pour les textes bibliques qu'à
partir du I siècle de notre ère et marque un progrès consi-
dérable. L'encre dont on se servait pour les rouleaux et les
codes était fabriquée, soit à l'aide de produits métalliques, soit
à partir de
souvent substances
utilisés côte àvégétales, mais comme
côte, la nature les deux
de l'encre étaient
ne peut pas
être invoquée comme un argument probant pour la datation
d'un document.
La fixation écrite du texte de l'Ancien Testament fut
l'objet de soins particulièrement attentifs ; sa transmission
fut soumise aux variations et erreurs communes à la transmis-
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sion de n'importe quel texte. Il y avait à l'origine une pluralité


de textes et non un texte unique ; nous nous en rendons
compte en comparant les textes qui dans l'Ancien Testament
sont rapportés deux fois : 2 Sam. 22, Ps. 18; 2 Roisl 8/13-20/19,
Es. 36-39 ; 2 Rois 24/18-25/30, Jér. 52 ; Es. 2/2-4, Mich. 4/1-3 ;
Ps. 14 et 53; Ps. 40/14-18 et 70; la comparaison de ces textes
donne comme proportion de variantes environ un septième.
Nous devons admettre qu'il y avait vers le III siècle av. J.-C.
au moins trois formes du texte hébreu de la Bible, le premier
étant devenu celui qu'on appellera le texte massoréthique,
le second étant celui qui a servi, en partie du moins, à la tra-
duction grecque, et le troisième représenté par le texte du
Pentateuque samaritain. Mais, dès le I siècle av. J.-C., nous
constatons une tendance très nette à mettre fin à la pluralité
des traditions textuelles par l'établissement d'un texte nor-
matif. Ces efforts ont abouti, parallèlement à la formation du
Canon et pour les mêmes motifs, en l'an 100 apr. J.-C. à la
fixation définitive du texte biblique ; un des principaux inspi-
rateurs de ce travail a été le célèbre Rabbi Aqiba (mort en 135).
Ce texte unique qu'on appelle parfois à tort « archétype » n'a
atteint sa forme actuelle que dans la lutte et la confrontation
avec d'autres témoins textuels qui ont mené pendant un
certain temps une existence parallèle avant de s'aligner sur
lui. Les scribes se sont livrés à un travail de critique du texte
où les préoccupations dogmatiques ne l'emportent jamais sur
le respect du document. Soucieux de cette double fidélité en
vue de créer « une haie autour de la Torah », les scribes ont
recouru au système des points au-dessus de certains mots
pour attirer l'attention sur une lecture à l'égard de laquelle
ils avaient des doutes ; ils usèrent aussi du système des notes
marginales pour indiquer une meilleure leçon du texte tout
en laissant subsister ce dernier ; un des exemples les plus inté-
ressants est constitué par les tiqqunē sopherim, les corrections
des scribes, qui sont l'indication dans la marge que le texte
avait été corrigé, ainsi nous apprenons par une indication mar-
ginale que le texte primitif de Gen. 18/22 était « Yahweh
se tint encore debout devant Abraham », mais comme être
debout devant quelqu'un impliquait une idée de subordination,
les sujets ont été intervertis pour aboutir au texte actuel
« Abraham se tint encore debout devant Yahweh ». D'autres
fois les scribes ont introduit des changements sans prendre la
peine de les signaler (1), mais ils sont en général tellement trans-
(1) D'autres exemples de corrections destinées à atténuer les
anthropomorphismes se trouvent Nbrs 11/15, Zach. 2/12, Lam. 3/20.
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parents, comme par exemple la substitution du mot boshet,


honte, à ba'al dans certains noms propres, qu'une mention
explicite ne se justifiait guère. Les massorètes, c'est-à-dire
les hommes de la tradition, ont poursuivi le travail des
scribes toujours avec la même intention de fixer un texte
clair et intangible. L'option prise à la fin du I siècleapr. J.-C.
en faveur d'un texte unique et normatif n'a pas anéanti du
jour au lendemain les autres formes textuelles, ce qui explique
des différences entre les diverses écoles massorétiques, en par-
ticulier entre celles de l'Est dites babyloniennes et celles de
l'Ouest dont le centre était Tibériade ; mais dans l'ensemble
il faut dire que le travail des massorètes a porté davantage
sur la lecture du texte que sur la forme elle-même. Les plus
anciens manuscrits ne donnent que les consonnes du texte,
la prononciation des voyelles étant établie par une tradition
orale. Aussi longtemps que le texte n'était pas définitivement
fixé, on recourut à certaines consonnes pour exprimer les
voyelles ; c'étaient des matres lectionis ; mais lorsqu'à la
suite du travail des scribes et des massorètes le texte fut fixé
dans sesmoindresdétails, jusqu'au nombreexact deseslettres,
il nepeut plus être question d'introduire desconsonnessupplé-
mentaires, et l'on recourut au système des points supra- ou
infralinéaires. Dans ce délicat travail de vocalisation, les
massorètes seréféraientàla tradition et essayèrentderetrouver
la manière primitive dont l'hébreu avait été prononcé ; mais
devant les questions sans réponse et en présence des variétés
dialectales de l'hébreu, ils étaient obligés de faire œuvre de
grammairiens et de proposer des solutions qui ne pouvaient
avoir qu'une valeur empirique. Onne peut que s'étonner que
ce travail des massorètes ait pu être jugé définitif, infaillible
et inspiré et que dans la synagogue aussi bien quedans l'église
ontraita d'hérétiques ceux qui osaient mettre endoute l'inspi-
ration ou l'origine très ancienne des points et des voyelles. Ce
fut un savant juif, d'origine allemande, Elie Levita (1), à la
fois grammairien et humaniste, qui, en 1538 dans un ouvrage
qui reste le meilleur exposé sur le travail de la massorah, osa
réfuter l'opinion courante en prouvant l'origine récente —et
humaine —du système des signes vocaliques, sans toutefois
réussir à convaincre les tenants d'une inspiration littérale
de la Bible. Quelles que soient les opinions sur son origine, le
système de vocalisation représente un progrès considérable
(1) L
grand apersonneont
humaniste, et l'œuvre decepar
grammairien,
Gérard E.qui
WEétait aussi
Léviun
(1469-1549), Leiden, 1été
963analysées
. IL,Elie ta
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en mettant fin aux fantaisies de combinaisons multiples


auxquelles prêtait un texte purement consonantique et où les
séparations entre lesmotsn'étaient pastoujours bien marquées.
De même qu'on avait fait un choix pour obtenir le texte
normatif consonantique, le texte vocalisé ne fut obtenu qu'au
prix d'un choix parmi des traditions multiples. A l'intérieur
de la tradition palestinienne qui triompha de la tradition baby-
lonienne, deux écoles rivales prétendaient s'opposer, celle de
la famille de Ben Nephtali et celle de la famille de Ben Asher ;
si cette dernière eut finalement gain de cause, ce fut à cause
de l'appui que lui apporta le célèbre théologien, philosophe
et médecin, Malmonide (XII siècle). C'est à la tradition de
Ben Asher que se rattachent la plupart des manuscrits et c'est
elle qui est à la base du texte de nos Bibles imprimées.

III. — Les principaux manuscrits hébreux


a) Le plus ancien manuscrit biblique est sans nul doute le
rouleau d'Esaïe provenant de la grotte I de Qumran. Ce
texte qui remonte à l'époque préchrétienne est l'œuvre d'au
moins deux scribes qui n'avaient pas exactement les mêmes
habitudes orthographiques. Les variantes par rapport au
texte massorétique, encore inexistant, sont en général d'ordre
graphique seulement, ce qui est une indirecte confirmation de
la valeur textuelle de ce dernier. Les nombreux fragments
bibliques de Qumran, dont certains se présentent isolés,
d'autres à l'intérieur d'un florilège de textes groupés par
thème, d'autres enfin à l'intérieur d'un commentaire, appuient
dans l'ensemble les conclusions auxquelles a abouti l'étude du
rouleau d'Esaïe. Mais la tradition textuelle est encore extrê-
mement floue et c'est à propos de chacun de ces textes ou
fragments de texte qu'il convient de déterminer la tradition
particulière qu'il représente.
b) Le 'papyrus Nash (II siècle av. J.-C.), qui devait servir
à un usage liturgique, contient le Décalogue et la Shema 'Israel,
mais avec des variantes qui le rapprochent davantage du
modèle qui a servi aux traducteurs grecs.
c) Les fragments de la Geniza du Caire. Dans une geniza du
Caire, c'est-à-dire l'endroit de la synagogue où l'on déposait
les manuscrits devenus inutilisables pour la lecture publique
en attendant que le temps vienne détruire ce que la main de
l'homme ne pouvait toucher, on découvrit en 1890 à côté de
textes talmudiques, liturgiques, de l'original hébreu du
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Siracide, de l'Ecrit de Damas, un certain nombre de fragments


bibliques datant environ du V siècle de notre ère.
d) Les grands manuscrits de la famille de Ben Asher sont
le Codex du Caire qui comprend les livres prophétiques (de
Josué aux Douze) et qui date de la fin du IX siècle apr. J.-C.,
le Codex d'Alep dont le début a été détruit et qui se trouve
aujourd'hui à Jérusalem, le Codexde Leningrad datant, d'après
les indications du colophon, de l'an 1008 apr. J.-C. ; c'est ce
dernier qui est de loin le plus complet et qui sert de base à la
plupart des éditions.
e) Parmi les manuscrits de la famille de Ben Nephtali, le
plus connu est le Codex Reuchlinianus, qui avait appartenu
au célèbre humaniste Reuchlin et qui se trouve aujourd'hui
à Karlsruhe.
Il faut faire une place à part au Pentateuque samaritain
dont les plus anciens manuscrits connus ne sont pas antérieurs
au XIII siècle, et qui présente 6 000 variantes par rapport au
texte massorétique, dont beaucoup sont uniquement d'ordre
orthographique, dont certaines sont des corrections dogma-
tiques en vue d'appuyer les prétentions de la communauté
samaritaine établie à partir du IV siècle sur le mont Garizim
et qui à cause de leur analogie avec le texte hébreu utilisé
par les Septante présentent un réel intérêt pour l'histoire de
la critique textuelle.

IV. — Les éditions imprimées


Les éditions du texte biblique dans sa totalité ont été pré-
cédées à partir de 1477 par des éditions partielles du Penta-
teuque, des Prophètes ou des Hagiographes. Les deux premières
Bibles hébraïques complètes ont été publiées à Venise chez
Daniel Bomberg, la première par Félix Pratensis, la seconde
par Jacob ben Chayim (1524/25). Il s'agit d'une « Bible rabbi-
nique» qui, à côté du texte hébreu, donne la traduction ara-
méenne (Targum) et les commentaires des rabbins les plus
célèbres (Aben Ezra, Rashi). Le texte de Jacob ben Chayim
a servi de base à toutes les éditions jusqu'à son remplacement
par un texte plus ancien (Codex de Leningrad) dans la 3e édi-
tion de la Biblia hebraïca de R. Kittel.
B. Kennicott (1718-1783) a publié le texte massorétique
avec un important appareil critique, donnant les variantes de
nombreux manuscrits, qui toutefois ne représente qu'un pro-
grès minime sur le travail des massorètes. La Bible de
C. D. Ginsburg (1908 ; nouv. éd. 1926) reproduit le texte de
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Imprimé en France
Imprimerie des Presses Universitaires de France
73, avenue Ronsard, 41100Vendôme
Avril 1988 — NI 33 506
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par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement
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