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Québec français

Hors dossier

Enseigner stratégiquement la grammaire


Marie-Christine Paret

Number 119, Fall 2000


Chanson et littérature
Compétences transversales

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Publisher(s)
Les Publications Québec français

ISSN
0316-2052 (print)
1923-5119 (digital)

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Paret, M.-C. (2000). Enseigner stratégiquement la grammaire. Québec français,
(119), 54–57.

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hft.r.& dossier

Enseigner stratégiquement
la grammaire
PAR M A R I E - C H R I S T I N E PARET

D ans la classe de français, l'enseignement de


la grammaire demeure un domaine délicat
plus que tout autre semble-t-il, où l'ensei-
gnant a souvent le sentiment aigu de perdre son
temps et où les changements sont lents et difficiles,
Un enseignement « stratégique»^
Mais ces efforts seront vamsTsi, parallèlement, ne se
généralisent pas d'autres façons de « faire de la grai
maire » dans la classe. Les courants actuels de re-
flexion sur la didactique de la grammaire se sont
malgré les quelques progrès qu'on a pu faire. À cela, beaucoup enrichis au contact des travaux en linguis-
on peut avancer une explication : c'est qu'il s'agit tique, mais aussi à ceux de la psychologie qui met-
de plusieurs changements fondamentaux en même tent en évidence la construction des apprentissages,
temps, qui remettent en question des conceptions donc les opérations mentales responsables des acqui-
et des façons de faire solidement implantées : d'un sitions de connaissances. Il s'agit de comprendre « les
côté, la grammaire elle-même, c'est-à-dire le point mécanismes qui permettent à l'élève d'acquérir,
de vue sur la langue, (ses unités, ses structures, ses d'intégrer et de réutiliser des connaissances »', c'est-
règles d'emploi), de l'autre, les démarches didacti- à-dire les stratégies cognitives mises en œuvre par
ques qui devraient permettre aux élèves de s'appro- l'élève, stratégies définies comme des séquences de

<t
prier les mécanismes de la langue. Et quand, par le procédures sélectionnées en vue d'atteindre efficace
passé, on a tenté de changer l'un sans l'autre (dans ment un objectif. Le but de
les années 70), on a malheureusement constaté peu l'enseignement sera d'aider
d'améliorations. l'élève à développer des straté-
gies efficaces et économiques,
La nouvelle grammaire non seulement pour acquérir
L'étiquette de grammaire nouvelle est un terme prati- des connaissances qu'on peut
qualifier de théoriques sur les rigueur.
que pour regrouper ce qui dans les nouvelles connais-
sances sur la langue peut constituer un corps de mécanismes de la langue
concepts et de critères valables pour l'école. Ce (qu'on appelle aussi connais-
renouvellement était nécessaire pour introduire sances déclaratives), mais
davantage de rigueur, permettre un certain niveau de aussi pour pouvoir « utiliser
systématisation dans l'étude de la langue en classe, fonctionnellement les con-
avoir en main un outil pour l'observer, pour réfléchir naissances acquises afin de
sur ses mécanismes, ce qui était beaucoup plus diffi- poser les actions appro-
cile avec la grammaire traditionnelle aux définitions priées z » de façon à trou-
et critères peu homogènes. Le changement est en ver, par exemple, un ac-
cours, bien qu'inégalement, dans le monde franco- cord grammatical ou à
phone, mais il est ardu, car il exige une formation construire une phrase.
assez approfondie de l'enseignant. La nouvelle pers- Comme ne cessent de
pective est en effet très différente, même si souvent le remarquer les ensei-
la terminologie utilisée est la même ; on observe une gnants, il ne suffit pas de pouvoir
tendance naturelle mais forte à retourner vers ce que « réciter » une règle de grammaire pour être capable
l'on connaît le mieux, à rechercher ce qui semble de l'employer correctement, c'est-à-dire avec la bonne
inchangé derrière le nouveau", ce qui a pour effet démarche et dans le contexte approprié. Les stratégies
d'anéantir les efforts pour installer les nouveaux à mobiliser pour réussir sont aussi des connaissances b
modes de raisonnement. et doivent, à ce titre, faire partie des apprentissages

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scolaires. L'articulation de ces deux types de connais- ou trois exemples, mais sur des regroupements suffi-
sances est au coeur de l'enseignement dit « stratégi- sants pour permettre à l'élève de pouvoir véritable-
que ». Cela suppose l'élaboration d'interventions ment travailler les données, à l'aide de manipula-
didactiques plus complexes que les exercices d'applica- tions linguistiques. Ce terme évidemment
tion habituels, mais de démarches métaphorique signifie qu'on soumet l'unité retenue à
de type heuristique (c'est-à-dire une série de tests susceptibles de faire apparaître des
où l'on est amené à découvrir soi- propriétés ; pour cela, on peut réutilise! avec profit
même les règles de fonctionne- un ensemble d'opérations formelles simples dont les
ment de la langue et du texte), grammaires nouvelles se sont équipées pour étudier
parce qu'elles misent sur la les structures des langues, telles que le déplacement,
réflexion de l'élève, sur « sa la substitution (ou remplacement), l'effacement et
participation active et cons- l'addition, et des transformations plus complexes
ciente ' ». Elles le placent au (comme la pronominalisation, la nominalisation, la
centre d'un dispositif de résolu- relativisation, la mise en emphase, etc.), ainsi que
tion de problème qui vise à le des classements et des comparaisons. On peut alors
faire interagir avec des conte- formuler des hypothèses de règles (en grammaire) ou
nus linguistiques tout en de régularités (au niveau du texte). Les manipula-
reliant les nouveaux appren- tions interviennent pour mieux observer, et non pas,
tissages à ses connaissances au niveau scolaire du moins, pour tester une hypo-
antérieures. thèse déjà là. En effet, la variété des manipulations
disponibles n'est pas très grande, et c'est leur utilisa-
Les démarches en classe tion pour dégager des propriétés qui permet de poser
On distingue déjà, depuis longtemps, deux moments des hypothèses.
ou deux approches du travail de la langue en classe : Les regroupements d'occurrences du cas étudié
l'étude systématique de phénomènes langagiers seront la plupart du temps soigneusement préparés
grammaticaux, orthographiques, textuels ou énoncia- par l'enseignant, du moins en ce qui concerne la
tifs, et le réinvestissement des connaissances acquises détermination de leurs caractéristiques précises. Il est
en situation d'écriture, surtout lors de la révision de en effet le seul à savoir à quelles hypothèses l'obser-
son propre écrit. Il est nécessaire d'insister sur les vation va conduire et quelles peuvent être les mani-
relations indispensables et systématiques entre les pulations les plus éclairantes. C'est à lui que revient
deuxc. Ces deux approches se combinent dans une d'évaluer la dose de tâtonnements qu'il va permettre
démarche globale qui inclut un certain nombre à son groupe. Il serait peu responsable de soutenir
d'opérations cognitives (induction, déduction, com- qu'une démarche de découverte, aux niveaux pri-
paraison, etc.) et de moments, rassemblées parfois maire et secondaire, implique de laisser l'élève déci-
sous l'appellation de « démarche de découverte 4 », der seul de la suite des moyens qu'il va employer
qu'on pourrait résumer ainsi : pour explorer la langue. On ne peut s'attendre à ce
1 ) À l'occasion d'observations d'énoncés en con- que, sans grandes pertes de temps et de motivation, il
texte, lors de lectures ou d'écriture, prise de cons- puisse seul inventer, même en équipe, la séquence
cience - souvent engagée par l'enseignant - d'un des manipulations qui vont l'amener à décortiquer
phénomène langagier particulier, d'une difficulté des mécanismes syntaxiques ou textuels complexes.
syntaxique, morphologique, orthographique, d'orga- Mais le degré d'autonomie laissé à l'élève dans le
nisation textuelle ou encore reliée à la situation choix des manipulations pertinentes pour la question
d'énonciation. La difficulté retenue sera, générale- à l'étude variera considérablement selon le niveau
ment mais pas obligatoirement, en lien avec le pro- scolaire et selon l'habitude des élèves de fonctionner
gramme d'étude de l'année. en classe-atelier.
2) Rappel, suscité par l'enseignant, des connais- Par ailleurs, dans le domaine spécifique de la
sances que les élèves peuvent déjà avoir sur le sujet, grammaire, il est bien évident que la conscience de
ou plutôt de leurs représentations, qu'elles soient ce qui est grammatical pour un registre de langue
justes ou erronées. Leur prise en compte est le point donné n'est pas déjà acquise mais à construire au
de départ indispensable qui permettta d'établir un long de la formation à la langue, elle est non pas un
lien explicite avec ce qui est nouveau, sinon l'élève point de départ mais un objectif de la formation
ne pourra traiter d'une façon significative cette nou- scolaire. En conséquence, il est de la responsabilité
velle information 5. de l'enseignant de guidet les élèves dans la formula-
3) Observation approfondie d'occurrences de la tion des hypothèses, dans le choix des manipulations
question de langue à l'étude non seulement sur deux et dans l'évaluation de la grammaticalité. La diffi-

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culte mais aussi l'intérêt de cette démarche réside nécessaire avant de passer à l'exploration libre. Mais
dans l'évaluation que doit faire l'enseignant de la la phase d'application est beaucoup plus brève que
forme de son guidage. dans une démarche traditionnelle.
Ajoutons que, pour faciliter la tâche d'observa- 7) Réinvestissement en situation d'écriture des
tion, les manipulations s'effectuent en référence à nouvelles compétences (connaissances et stratégies
des structures qui servent de « modèles », au sens de acquises lors du travail systématique en classe), enca-
patrons, de structures prototypiques 6. Le premier dré par l'enseignant. La transition entre ces deux
est la phrase dite « de base » constituée des deux derniers moments est d'ailleurs graduelle puisque la
groupes syntaxiques obligatoires, et éventuellement révision par l'élève de son propre écrit ou des écrits
d'autres groupes (qui sont alors compléments de des autres est encore la recherche de contextes nou-
phrase). Les autres modèles sont ceux des consti- veaux pour la nouvelle connaissance, mais de façon
tuants eux-mêmes, par exemple le GN formé du moins directe parce qu'accompagnée de la recherche
déterminant, du nom et d'un ou de plusieurs com- d'autres dimensions de la langue ou du texte qui
pléments éventuels, le GV constitué du V et de son correspondent à des acquis antérieurs. Il est essentiel
ou ses compléments s'il y a lieu, etc. Ces modèles d'insister sur l'importance de cette dernière étape, où
n'ont pas d'intérêt en eux-mêmes, mais uniquement l'on place l'élève en situation de résolution de pro-
dans la mesure où ils constituent un outil de travail blème face à son propre écrit, pour qu'il puisse met-
sur la langue. Retrouver la phrase de base n'est pas tre en jeu, en révision, l'ensemble des connaissances
un objectif mais un moyen pour observer les effets et des stratégies acquises pour exercer cette compé-
des modifications qu'on fait subir aux énoncés sur la tence complexe qu'est l'écriture.
grammaticalité de la phrase et sur son sens. On voit à travers cette démarche apparaître le
4) A partir de la découverte des mécanismes mouvement caractéristique de l'enseignement stra-
langagiers à l'étude, vérification des hypothèses en tégique :
ayant recours à d'autres énoncés, d'autres contextes,
trouvés par les élèves eux-mêmes ou proposés par le • contextualiser : observer un phénomène de
maître, selon la difficulté de la question et le groupe langue inscrit dans un texte et une situation
d'élèves ; leur confirmation débouche alors sur des de communication puisque, comme le souligne
formulations définitives (et leur comparaison éven- Meirieu : « Tout apprentissage doit, d'abord,
tuelle avec celles des ouvrages de référence en gram- être effectué dans un contexte précis, avec des
maire). Autrement dit, c'est l'étape où les règles exemples accessibles à celui qui apprend » ;
provisoires (les hypothèses) deviennent des règles • décontextualiser : abstraire le phénomène de
véritables. son contexte particulier pour le comprendre,
5) Élaboration, par les élèves et l'enseignant, de en le joignant à d'autres cas du même phéno-
procédures qui permettront de résoudre des problè- mène ; cette prise de distance est nécessaire à
mes relatifs à l'utilisation des connaissances nouvel-
les en situation d'écriture ou de relecture. Autrement
dit, construction avec les élèves des connaissances
la généralisation ;
• recontextualiser les ap-
prentissages : l'élève recher-
A?
qui concernent le comment et le quand (procédures che des situations, des
et conditions dans lesquelles utiliser les connaissan- contextes offrant les mê-
ces déclaratives). Ces « outils » produits en classe mes caractéristiques struc-
seront utilisés en révision et abandonnés peu à peu turelles que celles de
lorsque l'élève pourra s'en passer. départ, et qui peuvent
6) Exercice de ces nouvelles compétences en les donc être traitées par ces
appliquant à des contextes nouveaux, eux aussi re- mêmes connaissances
cherchés par les élèves ou l'enseignant, pour les nouvellement acquises 8.
mettre à l'épreuve et les raffiner, et pour favoriser
leur généralisation et leur consolidation. Meirieu
insiste sur l'importance de demander aux élèves de
« chercher eux-mêmes des situations où ils peuvent
retrouver [la notion ou la procédure] et la faire
jouer », et non pas de leur proposer des exercices
d'application 7. Nous nuancerons quant à nous cette
affirmation, car dès que l'on a affaire à des notions
assez complexes, l'étape d'exercices d'application
relativement contraints est non seulement utile mais

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Au total, ce qui dans cette démarche reste le plus b Pour les opposer aux déclaratives, on utilise l'expression de
délicat pour l'enseignant, c'est d'évaluer le dosage de connaissances procédurales, parmi lesquelles certains auteurs
font une distinction - pas toujours aisée - avec des connaissan-
son intervention entre les deux écueils : d'une part, ces conditionnelles (M. Fayol, « Quelques remarques à propos
risque de laisser trop de champ libre aux élèves, de l'acquisition et de la mise en œuvre de stratégies », Enjeux,
30,1993, p.25-41. Voir aussi Tardif, ci-dessus).
c'est-à-dire de leur fournir un étayage insuffisant
pour qu'ils puissent construire leurs apprentissages, c Y. Reuter, Y, Enseigner et apprendre à écrire, Paris, ESF, 1996.
Reuter met l'accent sur les relations qui doivent exister entre
et d'autre part un guidage trop étroit qui aurait pour des situations distanciées et des situations « d'écriture
effet de simplifier trop les tâches, ce qui aboutirait au authentiques», p.l 10.

même résultat en plus d'enlever tout le plaisir de la 1. J. Tardif, Pour un enseignement stratégique, Montréal, Éditions
Logiques, 1992, p.23.
découverte. Il demeure qu'une telle façon de faire est
2. Ibid., p.44.
dévoreuse de temps; si l'on veut être réaliste, on la
choisira pour les questions (ou même les parties de 3. S. Chartrand, Pour un nouvel enseignement de la grammaire,
Montréal, Éditions Logiques, 1996, p.l 97.
questions) difficiles, qui demandent pour être com-
4. S. Chartrand et M.-C. Paret, « Enseignement de la grammaire :
prises un travail approfondi. quels objectifs, quelles démarches ? », Bulletin de l'A.C.L.A., 11,
1,1989, p. 31-38. [Voir aussi Chartrand, ci-dessus]
Sans penser que ces tendances nouvelles dans la
réflexion didactique permettront de résoudre tous les 5. Tardif, Op. cit., p.39.

problèmes, l'attention portée aux stratégies ne peut 6. M.-C. Paret, dans Chartrand, Pour un nouvel enseignement de la
grammaire.
qu'aider l'élève dans son accession à plus d'autono-
7. P. Meirieu, « Les enjeux de l'enseignement du français
mie en écriture. Encore faut-il insister sur ce que les aujourd'hui : nature et fonction d'une discipline en muta-
futurs programmes d'études semblent reléguer au tion », dans C. Préfontaine et G. Fortier, (Éd.) Enseigner le fran-
second plan : l'importance décisive de l'acquisition çais, Montréal, Éditions Logiques - AQPF, 1994, p.33-49.
8. Ibid., p.46.
de connaissances spécifiques, en langue comme dans
9. Tardif, Op. dr., p.301.
les autres domaines. « Toutes les activités de l'ensei-
gnant stratégique sont donc axées sur l'acquisition
de connaissances spécifiques d'abord », soulignait
Tardif avec force 9. On ne peut penser faire l'écono-
5ans
mie du traitement de contenus spécifiques pour Penser 0Uo
acquérir cette compétence générale qu'est l'écriture
sans préparer pour la maîtrise de la langue un sombre r e tniia. i-_
avenir.
W*ider Véiè'Z* 3UX st «tégi e l n
Notes

a C'est ce que des chercheuses suisses illustrent bien quand, par-


lant des enseignants qui ont été particulièrement entraînés à la
grammaire, elles font une hypothèse sur ce qui vient perturber
les résultats de leur recherche : « Il se peut donc que les ensei-
gnants - chez lesquels les conceptualisations traditionnelles sont
certainement restées bien ancrées - aient tendance à faire appel
à des définitions sémantiques lorsque le travail de substitution
et de classification des éléments en paradigmes leur semble trop
aride ». (H. Kilcher-Hagedorn, C. Othenin-Girard et G. Week, Le
savoir grammatical des élèves, Berne, Peter Lang, 1987, p.59).


(ES ÉMOTIONS À F0IS0

MON PÈRE. CE SALAUD! PÉCHÉS MIGNONS


(ROMAN JEUNESSE) (NOUVELLES JEUNESSE)

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