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RECEIVED
UNDER THE WILL OF
JOSEPH J. COOKE
OF

PROVIDENCE, R. I.

1883
22 Dec.,
ESSAI POLITIQUE

SUR LE ROYAUME

DE LA

NOUVELLE- ESPAGNE .

L

IMPRIMÉ CHEZ PAUL RENOuard,


RUE DE L'HIRONDELLE , Nº 22 .
1

O
ESSAI POLITIQUE

SUR LE ROYAUME

DE LA

NOUVELLE - ESPAGNE ,

(
Friedrich Wilhelm BaHeinrich ,
ron von:
PAR 1ALEXANDRE DE HUMBOLDT.

DEUXIÈME ÉDITION.

TOME PREMIER.

A PARIS ,

CHEZ ANTOINE - AUGUSTIN RENOUARD.

M DCCC XXV. - 2.7.


3351.4

236514
12

S A 36 38.11.5

1883, Dec. 22.

Cooke bequest.

(I.-II. in 2 vet.)
A SA MAJESTÉ CATHOLIQUE

CHARLES IV ,

ROI D'ESPAGNE ET DES INDES .


3351· 4
;

SIRE,

Ayant joui, pendant une longue suite

d'années , dans les régions lointaines soumises

au Sceptre de Votre Majesté, de Sa protec

tion et de Sa haute bienveillance , je ne fais

que remplir un devoir sacré en déposant au


pied de Son Trone l'hommage de ma recon

naissance profonde et respectueuse.

En 1799 , à Aranjuez , j'eus le bonheur


d'être accueilli personnellement par Votre

Majesté. Elle daigna applaudir au zèle d'un

simple particulier, que l'amour des sciences

conduisait aux rives de l'Orénoque et vers la

cime des Andes.

C'est par la confiance que les faveurs de

Votre Majesté m'ont inspirée , que j'ose placer

Son nom auguste à la tête de cet ouvrage .


Il retrace le tableau d'un vaste royaume dont

la prospérité, Sire , est chère à Votre cœur.

Aucun des Monarques qui ont occupé le

Tróne Castillan , n'a, plus libéralement que

Votre Majesté, fait répandre des connais

sances précises sur l'état de cette belle portion

du globe, qui, dans les deux hémisphères ,

obéit aux lois espagnoles. Les côtes de l'Amé

rique ont été relevées par des astronomes.ha

biles , et avec une munificence digne d'un


grand Souverain. Des cartes exactes de ces

côtes , méme des plans détaillés de plusieurs

ports militaires , ont été publiés aux frais de

Votre Majesté. Elle a ordonné qu'annuelle

ment , à Lima , dans un journal péruvien , on

imprimát l'état de la population , celui du

commerce et desfinances.

Il manquait encore un essai statistique sur

le royaume de la Nouvelle - Espagne. J'ai

réuni le grand nombre de matériaux que je

possédais , dans un ouvrage dont la première

esquisse avait fixé honorablement , en 1804 ,

l'attention du Vice-Roi du Mexique. Heureux

sije pouvais meflatter que monfaible travail ,

sous uneforme nouvelle , et rédigé avec plus

de soin , ne sera pas trouvé indigne d'étre pré

senté à Votre Majesté.

Il respire les sentimens de reconnaissance

queje dois au Gouvernement qui m'a protégé,

et à cette Nation noble et loyale qui m'a reçu

non comme un voyageur, mais en concitoyen .


Comment pourrait-on déplaire à un bon Roi,
I
lorsqu'on Lui parle de l'intérêt national, du

perfectionnement des institutions sociales et

des principes éternels sur lesquels repose la

prospérité des peuples ?

Je suis , avec respect ,

SIRE ,

De Votre Majesté Catholique ,

Le très humble et très soumis serviteur ,

Le Baron A. de HUMBOLDT.

Paris , le 8 mars 1808.


PRÉFACE DE L'ÉDITEUR .

L'AMÉRIQUE espagnole présente aujourd'hui l'un des


plus grands spectacles qui , dans l'histoire de la civilisa
tion humaine , aient jamais pu attirer l'attention des
philosophes. En ne considérant que les seuls peuples de
race mexicaine , ceux qui habitent le Guatimala et la
Nouvelle- Espagne , nous voyons huit millions et demi
d'habitans se donner de nouvelles institutions sociales ,
fonder un grand Etat fédératif, exploiter librement les
immenses richesses de leur territoire. Placés entre des

côtes que baignent les mers d'Asie et d'Europe , concen


trés sur le dos et la pente des Cordillères , où les divers
climats se succèdent comme par étages , ces peuples se
voient appelés à de hautes destinées.
Tandis que des objets si dignes des plus graves mé
ditations occupent les esprits , on croit faire quelque
chose d'agréable au public , en reproduisant un ouvrage
qui renferme les matériaux les plus exacts sur les ques
tions que fait naître l'Amérique espagnole. L'Essai poli
tique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne réunit dans
un même tableau l'état physique et moral d'un pays cinq
xij PRÉFACE

fois grand comme la France. Il a paru à une époque où


la métropole exerçait encore toute son influence , où 2

l'Europe , agitée au-dedans par des guerres sans cesse


renaissantes , était peu occupée des affaires du Nouveau
Continent ; cependant cet ouvrage , dès sa première
publication , fit une sensation bien vive ; et , pour prou
ver qu'au lieu de diminuer avec les années , cet intérêt
n'a fait qu'augmenter, il suffira de rappeler que , depuis
ce temps , en Europe comme en Amérique , on n'a cessé
de le réimprimer , de le traduire , de l'extraire , de le
copier, ou de s'emparer des cartes géographiques qu'il
renferme. Tous ceux qui ont été chargés de l'adminis-
tration des Colonies se sont vus dans la nécessité d'avoir
recours aux travaux de M. de Humboldt. L'administra

tion espagnole y a puisé des renseignemens sur les pro


grès de la population , sur la consommation intérieure
et sur la balance du commerce. Depuis les révolutions
qu'a subies le Mexique , le nouveau gouvernement de ce
pays a fréquemment cité l'ouvrage de M. de Humboldt
dans les pièces officielles qui ont eu rapport , soit à
l'évaluation de l'étendue territoriale , soit à la richesse
des mines , soit à la distribution des diverses races
d'hommes dans les plaines et sur le dos des Cordillères.
C'est à ce livre , à la netteté des calculs qu'il renferme
et à la précision de ses résultats qu'est due aussi , en
grande partie , la facilité avec laquelle les propriétaires
des mines mexicaines ont trouvé , en Angleterre , plu
sieurs millions de livres sterling , pour ranimer des
exploitations depuis long-temps languissantes , ou pour
en commencer d'autres sur des filons qui étaient à peine
effleurés. Très récemment , dans une occasion solen
1
DE L'ÉDITEUR. xiij
nelle , le 21 juillet 1824 , le pouvoir exécutifdu gouver
nement mexicain a déclaré que « l'Essai politique de
་ M. de Humboldt renferme le tableau le plus complet
a et le plus exact des richesses naturelles du pays , et que

⚫ la lecture de ce grand ouvrage n'a pas peu contribué


à ranimer l'activité industrielle de la nation , et à lui
K inspirer de la confiance dans ses propres forces. >>

La statistique d'un pays se compose d'élémens divers ,


dont les uns sont fixes comme les lois de la nature phy
sique , les autres variables selon les vicissitudes de l'état
moral et politique des peuples. L'Essai sur la Nouvelle
Espagne ( et c'est le caractère de tous les ouvrages dans
lesquels on tend à s'élever à des considérations gé
nérales ) , traite de préférence des bases invariables de
la prospérité publique, L'auteur y discute l'influence
qu'exercent la configuration du sol , le climat et la vé
gétation plus ou moins vigoureuse sur l'agriculture , sur
l'exploitation des mines , sur les arts industriels et les
rapports commerciaux avec les peuples étrangers. Cette
influence et ces rapports sont les mêmes , quelle que
soit la forme du gouvernement sous lequel un peuple
est appelé à vivre. Quant aux élémens variables de la
statistique,M. de Humboldt a bien voulu , à notre prière,
en rectifier les plus essentiels. Il a discuté , dans des
notes additionnelles , les progrès qu'a faits la population
depuis l'époque de son voyage.
L'Essai politique ne se borne pas à tracer le tableau
de l'agriculture , des richesses minérales , des manufac
tures , du commerce , des finances et de la défense mili
taire du continent mexicain. Il traite aussi les autres

parties de l'Amérique espagnole , dont il analyse avec


xiv PRÉFACE

le même soin les élémens principaux de prospérité pu


blique. Sous ce rapport , il renferme plus que son titre
ne semble indiquer ; car , à côté de la statistique du
Mexique , on trouve , sinon celle de toutes les posses
sions espagnoles en Amérique , du moins le précis exact
de leur population , du produit de leurs mines , de

leurs exportations et de leur revenu public avant la


grande révolution qui les a séparées de la métropole.
Ces recherches de statistique comparée s'étendent même
à la confédération des Etats-Unis et aux possessions de
la Grande-Bretagne en Asie.
Publiant pour la première fois , d'après des rapports

officiels , tirés des archives , l'état des quantités d'argent


( 149,350,721 marcs ) extrait des mines du Mexique
pendant le long intervalle de 1690 à 1800 , M. de Hum
boldt a discuté la quantité de numéraire ( 5706 millions
de piastres ) qui a reflué d'un continent à l'autre , depuis
la fin du quinzième siècle jusqu'au commencement du
dix-neuvième . Cette discussion , une des plus importantes
dans les recherches qu'offre l'étude de l'économie poli
tique , a jeté beaucoup de jour sur la proportion entre
l'or et l'argent , et rectifié quelques erreurs , que le cé
lèbre auteur de l'ouvrage sur la Richesse des nations a dû
commettre , faute de renseignemens positifs . Elle a même
été citée d'une manière honorable dans les discussions
parlementaires de la Grande-Bretagne . A ces objets qui
ont rapport à l'accumulation progressive du numéraire
en Europe et en Asie , et au mouvement des métaux de
l'ouest à l'est , M. de Humboldt a ajouté d'autres consi
dérations qui , par leur intérêt varié , auraient pu être
l'objet de Mémoires séparés. Nous ne citerons ici que les
DE L'ÉDITEUR . XV

recherches sur les phénomènes caractéristiques de la


fievrejaune dans la zone torride, recherches qui ont été
réimprimées plusieurs fois et dans différentes langues à
l'époque des épidémies de Cadix et de Barcelone ; les con
sidérations sur les Canaux océaniques, projetés entre l'At
lantique et la Mer du Sud ; le précis des grands travaux
hydrauliques (en rigoles et galeries souterraines) qui ont
été entrepris pour préserver d'inondations la ville de
Mexico ; enfin la description géognostique des Cordil
lères d'Anahuac et de leurs divers embranchemens.

Dans l'Essai politique , comme dans les Vues des Cor


dilleres ou Recherches sur les Monumens américains , du
même auteur, se trouvent décrits les restes de construc
tions et de sculptures toultèques et aztèques qui an
noncent une civilisation avancée. Du temps de la con
quête , les premiers voyageurs , moines et guerriers , en
avaient déjà parlé ; mais la méfiance qu'inspiraient , dans
un temps de scepticisme philosophique , des relations
souvent exagérées , avait enseveli dans l'oubli les traces
d'une ancienne culture de notre espèce. Récemment un
voyageur plein de zèle , M. Bullock , a rapporté de Mexico
à Londres des copies réduites et des modèles en plâtre
des pyramides à gradins , de la pierre de sacrifice , du
zodiaque et de plusieurs divinités aztèques , qui ont
excité un vif intérêt , et qui se trouvent , en grande partie ,
figurés dans l'Atlas pittoresque du Voyage aux régions
équinoxiales.
En réimprimant l'Essai politique , on a cru devoir se
garder d'en changer le titre , de défigurer l'ouvrage par
des changemens inconsidérés , ou de le surcharger d'ac
cessoires d'un intérêt purement transitoire. M. de Hum
xvj PRÉFACE

boldt a décrit l'état des colonies à la fin de la domination 1

européenne , et on a voulu conserver à son tableau sta


tistique sa simplicité primitive , la vivacité de couleur
qui naît toujours de la vue des objets qu'on décrit.
Chaque page rappelle l'époque à laquelle il a été com
posé. Les erreurs de l'administration publique y sont
signalées ; mais elles le sont avec cette modération sans
laquelle tout espoir d'amélioration aurait disparu, Si
l'auteur avait tenté , dans cette nouvelle édition , de ra
mener tout au temps présent , il aurait ôté à son livre sa
physionomie et son caractère d'individualité ; il aurait
risqué de plus , en écrivant dans un si grand éloigne
ment , de tomber dans de graves erreurs. Les guerres
intestines ont diminué l'exploitation des mines et ra
lenti , pendant dix ans , les rapports commerciaux de ces
vastes contrées. Les quantités d'or et d'argent monnayé
à l'hôtel des mines de Mexico , les exportations des ports
de la Vera-Cruz , de Tampico , d'Alvarado , d'Acapulco
et de San-Blas , ont été tellement variables , que les

données statistiques les plus exactes sur l'état du Mexique


dans ces dernières années , n'offriraient qu'un bien faible
intérêt à ceux qui veulent apprendre ce que deviendra
ce beau pays , lorsque ses institutions seront entièrement
consolidées , et que la tranquillité publique n'y sera plus
menacée du dehors. Pour juger avec quelque proba
bilité de l'état futur du Mexique , pour acquérir une
idée précise de la consommation des produits du sol et
des manufactures de l'Europe par la population mexi
caine , il faudra , pendant long-temps encore , recourir
à l'Essai politique de M. de Humboldt. Ce voyageur
dépeint le pays au moment de la plus grande splendeur
DE L'ÉDITEUR. xvij

à laquelle il avait pu s'élever au milieu des entraves


qu'oppose à l'industrie la domination de la métropole ,
lorsque le produit annuel des mines était de 1600 kilo
grammes d'or et de 537,000 kilogrammes d'argent , oú
de 23 millions de piastres ; la valeur des manufactures
indigènes de sept à huit millions , et la consommation
des marchandises étrangères de plus de vingt millions
de piastres. Il est à espérer que l'indépendance , de
nouvelles institutions sociales et les capitaux fournis par
l'Europe , vivifieront l'industrie et porteront le Mexique
à un degré de prospérité supérieur à celui dont il a joui
jusqu'ici ; mais , avant d'obtenir cet heureux résultat , le
pays doit passer de nouveau par l'état de production et
de consommation qui a précédé immédiatement les
troubles politiques .
Nous rappellerons que les additions et les améliora
tions nombreuses de cette nouvelle édition sont en
grande partie intercalées dans le texte. Elles ont sur
tout rapport au Mémoire de géographie astronomique
qui forme l'introduction de l'ouvrage ; à la discussion
sur le degré d'utilité que peuvent offrir des canaux
océaniques au commerce de l'Europe et de l'Amérique du
nord , soit avec l'Inde et la Chine , soit avec le Pérou, le
Guatimala et la côte nord-ouest ; à l'accroissement de la
population parmi les indigènes ; aux tribus d'Indiens
indépendans qui habitent les régions septentrionales ;
au dénombrement des habitans de la ville de Mexico ,
au produit de la monnaie pendant les troubles civils ; à
l'exportation toujours décroissante de l'or des lavages
du Brésil , au commerce de la Vera-Cruz , dont le pro
duit total de 1795 à 1820 s'est élevé à 538,640,163 pias
xviij PREFACE DE L
l'édit
' eur. =
tres ; à la consommation annuelle de toiles dans l'inté
rieur du Mexique ; au revenu que le gouvernement tire
de trois branches d'impôts ( des Alcavalas , du Pulque et
de l'eau-de- vie de cannes à sucre ) ; enfin aux fonds ré
partis de 1777 à 1813 pour l'encouragement des exploi
tations par le Tribunal de Mineria. Les rapports constans
que l'auteur a conservés avec le gouvernement mexicain
et avec des personnes qui , à différentes époques , ont
occupé les places les plus éminentes dans l'administra
tion de ce pays , lui ont procuré un grand nombre de
matériaux statistiques entièrement neufs , qui paraî
tront pour la première fois dans cette édition. On croit
aussi être agréable au public en ajoutant le testament de
Fernand-Cortez , que M. de Humboldt a tiré des archives
de la famille de Monte-Leone , à Mexico , et qui porte
l'empreinte du caractère et des grandes qualités de cet
homme extraordinaire.
PRÉFACE

DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

ARRIVÉ au Mexique par la Mer du Sud , au mois


de mars 1803 , j'ai résidé dans ce vaste royaume
pendant un an. Après avoir fait des recherches
dans la province de Caracas , sur les rives de
l'Orénoque , du Rio- Negro et de l'Amazone , dans
la Nouvelle-Grenade , à Quito et sur les côtes du
Pérou , où je m'étais rendu pour observer , dans
l'hémisphère austral , le passage de Mercure sur le
soleil , le 9 novembre 1802 , je devais être frappé
du contraste qu'offre la civilisation de la Nouvelle
Espagne , avec le peu de culture des parties de
l'Amérique méridionale que je venais de parcou
rir. Ce contraste m'excitait à-la-fois et à l'étude

particulière de la statistique du Mexique , et à la


recherche des causes qui ont le plus influé sur les
progrès de la population et de l'industrie na
tionale.
Ma situation individuelle m'offrait tous les

moyens pour parvenir au but que je m'étais


proposé. Aucun ouvrage imprimé ne pouvait me
J. I
2 PRÉFACE

fournir des matériaux utiles , mais j'eus à ma dis

position un grand nombre de mémoires manus


crits , dont une curiosité active a fait répandre des
copies dans les parties les plus éloignées des colo
nies espagnoles. Je comparais les résultats de mes
propres recherches aux données contenues dans

les pièces officielles que j'avais rassemblées depuis


plusieurs années. Un séjour intéressant , quoique
peu prolongé , que je fis en 1804 , à Philadelphie
et à Washington , me fit faire des rapprochemens
entre l'état actuel des États-Unis et celui du Pérou

et du Mexique , que j'avais visités peu de temps


auparavant.
C'est ainsi que mes matériaux géographiques
et statistiques s'accrurent trop pour en faire en
trer les résultats dans la Relation historique du
voyage aux régions équinoxiales du Nouveau
Continent. Je me suis flatté de l'espoir qu'un ou
vrage particulier , publié sous le titre d'Essai poli
tique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne ,
pourrait être accueilli avec intérêt , à une époque
où l'Amérique fixe plus que jamais l'intérêt des
Européens. Plusieurs copies de la première es
quisse de ce travail , que j'avais d'abord rédigé en
espagnol , existent à Mexico et dans la Péninsule.
Croyant qu'il pouvait être utile à ceux qui sont ap
pelés à l'administration de de la Nouvelle-Espagne,
et qui , souvent après un longséjour , n'ont encore
aucune idée précise sur l'état de ces belles et vastes
DE LA PREMIÈRE ÉDITION. 3

régions , j'avais communiqué mon manuscrit à


tous ceux qui desiraient l'étudier . Ces communi
cations réitérées m'ont valu des corrections im

portantes. Le gouvernement espagnol même l'a


honoré d'une attention particulière. Mon travail
a fourni des matériaux à plusieurs pièces officielles,
destinées à discuter les intérêts du commerce et

de l'industrie manufacturière de l'Amérique.


L'Essai politique sur la Nouvelle - Espagne , que
je publie en ce moment , est divisé en six grandes
sections. Le premier livre offre des considérations
générales sur l'étendue et l'aspect physique du
pays. Sans entrer dans les détails de l'histoire na
turelle descriptive ( détails réservés pour d'autres

parties de mon ouvrage ) , j'ai examiné l'influence


de la constitution géologique et des inégalités du
sol sur le climat , l'agriculture , le commerce et la
défense des côtes. Le second livre traite de la po

pulation en général , de son accroissement pro


gressif et de la division des castes. Le troisième
présente la statistique particulière des inten
dances , leur population et leur surface calculée
d'après les cartes que j'ai dressées sur mes obser

vations astronomiques . Je discute dans le qua


trième livre l'état de l'agriculture et des mines
métalliques ; dans le cinquième , les progrès des
manufactures et du commerce. Le sixième livre
contient des recherches sur les revenus de l'état

et sur la défense militaire du pays.


1.
4 PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION .
1
Malgré le soin extrême que j'ai pris pour véri
fier les résultats auxquels je me suis arrêté , je ne
doute pas d'avoir commis plusieurs erreurs assez

graves , et qui seront relevées à mesure que mon


ouvrage excitera les habitans de la Nouvelle

Espagne à étudier l'état de leur patrie. Je puis


compter sur l'indulgence de ceux qui connaissent
les difficultés des recherches de cette nature , et

qui ont comparé entre elles les tables statistiques


qui paraissent annuellement dans les contrées les

plus civilisées de l'Europe.


ANALYSE RAISONNÉE

DE L'ATLAS

DE LA NOUVELLE - ESPAGNE.

EN publiant des cartes géographiques de la Nou


velle-Espagne et les dessins qui représentent les iné
galités du sol mexicain dans des projections verticales ,
je dois rendre compte aux astronomes et aux physi
ciens des matériaux qui ont été employés pour ce
travail. Lorsqu'un auteur se borne à faire une compi
lation , lorsque , puisant dans des sources peu connues,
il ne fait que réunir ce qui est épars dans des ou
vrages imprimés ou dans des cartes gravées , une
simple nomenclature des pièces employées peut servir
d'analyse. Il n'en est point ainsi quand un atlas se
fonde sur des observations astronomiques ou sur des

mesures qui appartiennent à l'auteur même ; quand ,


pour la construction de nouvelles cartes , on a tiré
parti de plans et de notes manuscrites conservées dans
les archives ou enfouies dans les couvens. Dans ce

dernier cas , et c'est celui dans lequel je me trouve , le


géographe est en droit de demander un exposé rai
6 INTRODUCTION

sonné des moyens dont on s'est servi pour vérifier


la position des points les plus importans. En présentant
ce travail au public , je distinguerai soigneusement
les résultats de simples combinaisons , qui ne peuvent
offrir que des probabilités plus ou moins grandes ,
de ce qui a été déduit immédiatement d'observations
astronomiques et de mesures géodésiques ou baromé
triques faites sur les lieux. Je tàcherai de donner une
analyse succincte des matériaux que j'ai eus à ma dis
position , réservant cependant les détails purement as
tronomiques pour le Recueil d'observations et de mesu
res que je publie , conjointement avec M. OLTMANNS . *
C'est en suivant cette marche que les différentes par
ties de mon ouvrage , la Statistique du Mexique , la
Relation historique du voyage aux tropiques et les
volumes astronomiques , serviront toutes , je m'en
flatte, à prouver que le desir de l'exactitude et l'amour

de la vérité m'ont guidé pendant le cours de mon


voyage. Puissent ces faibles travaux avoir contri

bué en quelque chose à dissiper les ténèbres qui


couvrent depuis des siècles la géographie d'une des
plus belles régions de la terre !

* Cet ouvrage astronomique , qui renferme en même temps le


nivellement barométrique des Cordillères , et un tableau de sept
cents positions , dont deux cent trente-cinq se fondent sur les seules
observations de M. de Humboldt , a paru en deux volumes in-4º ,
terminés en 1811. Le second volume renferme ( de pag. 466
à 564 ) le détail des observations astronomiques faites dans la Nou
velle-Espagne. ( E— R. )
GÉOGRAPHIQUE.
7

I.

CARTE RÉDUITE DU ROYAUME DE LA NOUVELLE


ESPAGNE.

J'ai dressé et dessiné cette carte à l'école royale des

mines (Real Seminario de Mineria) l'année 1803 ,


peu de temps avant mon départ de la ville de Mexico .

M. d'Elhuyar , le savant directeur de cette école ,


avait depuis long-temps recueilli des notions sur la
position des mines de la Nouvelle- Espagne et sur les
trente-sept districts dans lesquels elles ont été divisées.
sous la dénomination de Deputaciones de Minas . Il
desirait faire construire , à l'usage du collége suprême

appelé Tribunal de Mineria , une carte détaillée sur


laquelle les exploitations les plus intéressantes fussent
marquées. Un travail de cette nature était en effet
bien nécessaire , tant pour l'administration de ce pays.
que pour ceux qui veulent en connaître l'industrie

nationale. On cherche en vain sur la plupart des


cartes publiées en Europe , le nom de la ville de
Guanaxuato , qui a 70,000 habitans ; celui des mines.
célèbres de Bolaños , de Sombrerete , de Batopilas et
de Zimapan. Aucune des cartes qui ont paru jusqu'ici
ne présente la position du Real de Catorce , dans.
l'intendance de San-Luis Potosi , mine dont on a
retiré , par an , des minerais d'argent pour la valeur
de vingt millions de francs , et qui , par sa proximité
au Rio del Norte , paraît déjà avoir tenté la cupidité de
8 INTRODUCTION

quelques colons établis récemment dans la Louisiane.

Ayant calculé à Mexico même la plupart de mes ob


servations astronomiques pour avoir des points fixes
auxquels d'autres points pourraient être appuyés ,
voyant à ma disposition un nombre considérable de
matériaux et de cartes manuscrites , je conçus l'idée

d'étendre le plan que j'avais formé d'abord. Au lieu de


ne placer sur ma carte que les noms de trois cents en
droits connus par des exploitations considérables , je
me proposai de réunir toutes les notions que je pou
vais me procurer , et de discuter les différences de po
sition que tant de matériaux hétérogènes présentaient
à chaque instant . On n'aura pas lieu d'être surpris
des incertitudes qui règnent dans la géographie du
Mexique , si l'on considère les entraves qui ont arrêté
les progrès de la civilisation , non-seulement dans les
colonies , mais encore dans la mère-patrie ; surtout si
l'on se rappelle la longue paix dont jouissent ces con
trées depuis le commencement du seizième siècle.
Dans l'Indostan , les guerres avec Hyder-Ali et Tipoo
Sultan , les marches continuelles des armées , la néces
sité de chercher la communication la plus courte , ont
singulièrement contribué à augmenter les renseigne
mens géographiques. Cependant la connaissance plus
exacte de l'Indostan , visité par les peuples les plus
actifs de l'Europe , ne remonte pas au-delà de trente
ou quarante ans . Je pouvais prévoir que , malgré un
travail assidu de trois ou quatre mois , ma carte du

Mexique ne serait encore que très imparfaite , si on


GÉOGRAPHIQUE. 9

la compare à celles des parties de l'Europe les plus


anciennement civilisées. Cette idée ne m'a point dé
couragé. En considérant les avantages qu'offrait ma
position individuelle , je pouvais me flatter que mon
ouvrage , malgré les fautes graves qui devaient le dé
figurer , serait encore bien préférable à tout ce que
l'on a tenté jusqu'à ce jour pour faire connaître la
géographie de la Nouvelle-Espagne.
On portera un jugement équitable sur l'Atlas

qui accompagne l'Essai politique et sur celui de


la Relation historique , si l'on se rappelle la variété
de connaissances qu'exigent aujourd'hui les études
géographiques. Les fondemens principaux de ces
études sont la discussion des mesures ( observations
astronomiques , opérations géodésiques , itinéraires )
et la comparaison critique des ouvrages descriptifs
(voyages , statistiques , histoires des guerres et rapports
des missionnaires. ) Si tous les pays étaient relevés tri
gonométriquement , si les triangles étaient bien orien
tés , et les extrémités de leur chaîne fixées par des ob
servations astronomiques également précises , la con
struction des cartes se réduirait à une opération pure

ment graphique et manuelle. Il s'en faut de beaucoup


que tel soit l'état de nos connaissances . La sagacité des

géographes aura long-temps encore à s'exercer sur ce


qui est douteux . De nos jours une saine critique
doit se fonder nécessairement sur deux branches de
connaissances entièrement distinctes : ce sont 1 ° la
discussion de la valeur relative des méthodes astro
10 INTRODUCTION

nomiques qui ont été employées pour déterminer la

position des lieux ; 2 ° l'étude que le géographe doit


faire des ouvrages descriptifs qui renferment des no
tions détaillées sur les distances itinéraires , sur l'em
branchement des fleuves , et sur les inégalités du sol .
La première branche de ces connaissances suppose un
relevé des observations astronomiques déjà faites ,
leur calcul uniforme d'après les tables et les méthodes
les plus récentes , et ce tact que donne seule la pratique
de l'astronomie , et qui fait choisir dans une longue
série d'occultations , d'éclipses de satellites et de dis
tances lunaires , un résultat définitif, en évaluant la

limite des erreurs de chaque genre d'observations et


les circonstances dans lesquelles ces observations ont
été faites. La partie astronomique de la géographie
est celle qui a été cultivée avec le plus de succès de
nos jours ; elle doit cet avantage à la précision des
instrumens , à l'habileté des observateurs et surtout au

perfectionnement des tables astronomiques ; elle pré


sente à la construction des cartes le fondement le
plus essentiel , des élémens pour ainsi dire immuables.
Dans les pays pour lesquels on manque d'opérations
géodésiques et d'enchaînement de triangles, il faut mul
tiplier le nombre des positions astronomiques et savoir
lier habilement des points déterminés d'après des mé
thodes absolues (comme occultations d'étoiles , éclipses
de soleil , distances lunaires ) , par des lignes chrono
métriques , c'est -à-dire , par des séries de points dont la
longitude n'est fondée que sur le transport du temps ,
GÉOGRAPHIQUE. II
mais dont les extrêmes coïncident avec les résultats

des méthodes absolues . L'emploi des chronomètres ,

souvent dangereux lorsqu'il n'est pas raisonné , met


un certain nombre de positions dans une dépendance
mutuelle ; la correction que , d'après des observations
plus récentes et plus précises , on est forcé d'appliquer
à une de ces positions , doit nécessairement affecter le
système entier; et c'est pour avoir méconnu cette dé
pendance que les gisemens et les distances relatives
des lieux ont été souvent altérés de la manière la plus
bizarre.

Si dans les recherches de géographie astronomi


que il est indispensable de recourir aux sources ,
aux ouvrages mêmes dans lesquels les savans ont con
signé leurs observations, ce soin est plus indispensable
encore dans la seconde branche des études géogra
phiques , dans la discussion des itinéraires , des voyages
et des mémoires descriptifs en général. Les traductions
sont le plus souvent tronquées , falsifiées dans les

noms et dans la réduction des mesures. Les cartes qui


accompagnent les voyages , rarement construites par
les voyageurs eux-mêmes, ne renferment pas l'ensemble

des matériaux qu'on aurait pu employer ; le plus sou


vent , et c'est d'Anville qui l'a déjà remarqué , le plus
souvent ces cartes sont , sur des points essentiels , en
contradiction directe avec les ouvrages auxquels elles
sont destinées. Du temps de cet illustre géographe ,
la discussion des fondemens astronomiques ne pou

vait être que très incomplète : c'est par le soin ex


12 INTRODUCTION

trême avec lequel il a recueilli les itinéraires , étudié


les récits des voyageurs , combiné les distances et les
gisemens , qu'il est parvenu à donner à un grand
nombre de ses travaux cette perfection que nous ad
mirons encore aujourd'hui . La connaissance des lan

gues n'est pas seulement nécessaire pour pouvoir


puiser aux sources , et recueillir un grand nombre
de données qui , sans cela , resteraient perdues pour
la science ; elle l'est encore pour faciliter une espèce
d'examen philologique auquel le géographe instruit
doit soumettre le nom des rivières , des lacs , des
montagnes et des peuplades , pour découvrir leur
identité dans un grand nombre de cartes. Nos atlas
sont surchargés de noms pour lesquels on a créé des
fleuves , de même que dans le Catalogue des êtres
organisés , appelé vulgairement Systema Naturæ
on indique comme deux ou trois espèces distinctes
une plante ou un animal qui ont été décrits sous
différentes dénominations. C'est ce desir de compiler
sans critique , de remplir les vides et de combiner
des matériaux hétérogènes , qui donne souvent à nos
cartes, dans les contrées les moins visitées , une ap
parence d'exactitude dont on reconnaît la fausseté

lorsqu'on est sur les lieux . Déjà M. de La Condamine

avait dit judicieusement : « La plupart de nos atlas


fourmillent de détails aussi faux que circonstan
ciés. » En général , les progrès de la géographie , au
tant qu'ils se manifestent dans les cartes , sont beau
coup plus lents qu'ils ne devraient l'être , à raison du
GÉOGRAPHIQUE . 13

grand nombre de résultats utiles qui , à une époque


donnée , se trouvent répandus dans les ouvrages des
différentes nations. Les observations astronomiques ,

les renseignemens de topographie s'accumulent pen


dant une longue suite d'années sans qu'on en fasse
usage ; et par un principe de stabilité et de conser
vation , d'ailleurs très louable , les géographes aiment
souvent mieux ne rien ajouter et ne rien changer que
de sacrifier un lac , une chaîne de montagnes ou un
embranchement de rivière qui a été figuré depuis des
siècles.

On dira, peut-être , qu'il n'est pas encore temps de


dresser des cartes générales d'un vaste royaume sur le

quel on manque de données exactes. Mais , par la


même raison , on ne devrait à l'exception de la pro
vince de Quito et des Etats-Unis , publier aucune carte,
ni de l'intérieur de l'Amérique continentale , ni de plu
sieurs parties de l'Europe , par exemple de l'Espagne
ou de la Pologne , où sur des surfaces de plus de 1600
lieues carrées , on ne trouve pas un seul endroit dont
la position soit fixée par des moyens astronomiques . Il
n'y a pas quinze ans que , dans le centre de l'Alle
magne , il y avait à peine vingt endroits dont la longi
tude fût déterminée à un sixième ou à un huitième de

degré près.
Dans la partie de la Nouvelle- Espagne située au
nord du parallèle de 24° , dans les provinces appelées
internas ( au Nouveau Mexique , dans le gouverne
ment de Cohahuila et dans l'intendance de la Nouvelle
14 INTRODUCTION

Biscaye ) , le géographe est réduit à faire des combinai


sons fondées sur des journaux de route. La mer étant
très éloignée de la partie la plus habitée de ces pays ,
il ne lui reste pas de moyens de lier des endroits situés
dans l'intérieur d'un vaste continent à des points un
peu plus connus de la côte. Aussi , au-delà de la ville
de Durango , on erre , pour ainsi dire , dans un désert ;
on n'y trouve, malgré l'appui de quelques cartes ma
nuscrites généralement en contradiction les unes avec
les autres , pas plus de ressources que celles qu'a eues
le major Rennell en dressant les cartes de l'intérieur de
l'Afrique. Il n'en est point ainsi dans la partie du
Mexique contenue entre les méridiens d'Acapulco et
de la Vera-Cruz , entre la capitale de Mexico et le
Real * de Guanaxuato . Cette région que j'ai parcourue

depuis le mois de mars 1803 jusqu'au mois de février


1804 , est la plus cultivée et la plus habitée du royau
me , et depuis mon voyage on y trouve un assez grand
nombre de points dont la position est déterminée as
tronomiquement .
Il serait à desirer qu'un voyageur versé dans la pra
tique des observations , et muni d'un sextant ou d'un
cercle répétiteur à réflexion , d'un garde-temps , d'une
lunette achromatique et d'un baromètre portatif pour

la mesure des hauteurs , pût parcourir en trois direc


tions le nord du royaume de la Nouvelle-Espagne ; il
dirigerait sa course , 1º de la ville de Guanaxuato au

* Le mot Real indique un endroit où l'on exploite des mines


métalliques.
GÉOGRAPHIQUE. 15

Presidio de Santa- Fe , ou au village de Taos dans le


Nouveau-Mexique ; 2 ° de l'embouchure du Rio del
Norte , qui verse ses eaux dans le golfe du Mexique ,
à la mer de Cortès , surtout à la jonction du Rio Co
lorado et du Rio Gila ; et 3° de la ville de Mazatlan ,

dans la province de Cinaloa , à la ville d'Altamira , sur


la rive gauche du Rio de Panuco.
Le premier de ces trois voyages serait le plus impor
tant et le plus facile à exécuter : c'est celui dans lequel le
chronomètre se trouverait exposé aux changemens de
température les moins considérables. Il ne faudrait ce

pendant ne pas se fier au transport du temps seul ,


mais se servir , pour déterminer les longitudes , de
distance en distance , d'observations astronomiques
absolues , c'est - à - dire de satellites de Jupiter , d'oc
cultations d'étoiles , et surtout de distances de la
lune au soleil , moyens qui , depuis la publication des
excellentes tables de Delambre , de Zach , de Bürg et
de Burckhardt , méritent le plus haut degré de con
fiance. Dans le voyage astronomique de Mexico à
Taos , on vérifierait la position que j'ai assignée à
S. Juan del Rio , Queretaro , Zelaya , Salamanca et
Guanaxuato ; on déterminerait les longitudes et les la
titudes de S. Luis Potosi , Charcas , Zacatecas , Fres

nillo et Sombrerete , cinq endroits célèbres par la ri


chesse de leurs mines ; on passerait par la ville de Du
rango et par le Parral à Chihuahua , résidence du gou
verneur des Provincias internas. En longeant le Rio
Bravo, on se porterait par le Passo del Norte à la capitale
16 INTRODUCTION

du Nouveau-Mexique , et delà au village de Taos , qui


est le point le plus septentrional de cette province.
Le second voyage , le plus pénible de tous , et dans
lequel l'observateur serait exposé à un climat brûlant ,
fournirait des points fixes dans le Nouveau Royaume
de Léon , dans la province de Cohahuila , dans la Nou
velle-Biscaye et dans la Sonora. Les opérations de
vraient être dirigées de la bouche du Rio Bravo
del Norte , par le siège épiscopal de Monterey , au
Presidio de Moncloya. En poursuivant la route par la
quelle le chevalier de Croix , vice-roi du Mexique , est
venu en 1778 à la province de Texas , on parviendrait
à Chihuahua , et le second voyage se trouverait lié au
premier. Dé Chihuahua on passerait par l'établissement
militaire ( Presidio ) de S. Buenaventura à la ville
d'Arispe , et delà , soit par le Presidio de Tubac , soit

par les missions de la Pimeria alta , soit par les sa


vannes que parcourent les Indiens Apaches tontos , à
la bouche du Rio Gila.

La troisième excursion , dans laquelle on traverse


rait le royaume depuis Altamira jusqu'au port de Ma
zatlan , se lierait à la première par la ville de Sombre
rete ; elle servirait , par un détour au nord , à fixer la
position des fameuses mines de Catorce , de Guarisa
mey , du Rosario et de Copala. Je me suis restreint
dans cette énumération à ne nommer que les endroits

les plus douteux et dont la position m'a laissé le plus


d'incertitude lorsque j'ai dessiné ma carte de la Nou
velle-Espagne. On sait d'ailleurs que très peu de jours
GÉOGRAPHIQUE. 17

suffisent pour déterminer la latitude et la longitude de


chaque endroit que nous venons de nommer. Les villes
les plus considérables , comme Zacatecas , S. Luis Po
tosi , Monterey , Durango , Chihuahua , Arispe et San
ta-Fe du Nouveau- Mexique , nécessiteraient seules
peut-être un séjour de quelques semaines. Les moyens
astronomiques indiqués offrent facilement , sans que
l'observateur soit d'une habileté très extraordinaire ,
une certitude de douze à quinze secondes * pour la

latitude , et d'un tiers de minute en temps pour la lon


gitude absolue. Combien n'existe-t- il pas de villes très

* Les limites des erreurs diffèrent selon que l'on observe avec des
instrumens à réflexion des hauteurs circumméridiennes du soleil ou
celles des étoiles,dont les images, affaiblies et défigurées par les miroirs
et les horizons artificiels paraissent mal terminées. Dans le premier
cas , on peut atteindre une certitude de 6" à 8″, dans le second cas ,
les erreurs s'élèvent souvent à 20″ et 25" (Voy. l'Introduction de mon
Recueil d'observations astronomiques , tom. 1er , pag. VI, XIV et XXVII. )
Mais il ne faut pas oublier que dans nos cartes les plus détaillées du
Nouveau-Continent , on peut rarement distinguer une minute en arc
ou 950 toises. Un astronome célèbre a dit , avec raison , que même
aujourd'hui , après l'introduction des cercles répétiteurs , il n'y a pas
trois endroits de la terre dont la latitude soit connue avec la cer
titude d'une seconde. En 1770 , la latitude de Dresde était fausse de
près de trois minutes : celle de l'observatoire de Berlin était incertaine
jusqu'en 1806 à vingt-cinq secondes près. L'année 1790 , avant les ob
servations de MM. Barry et Henry, la position de l'observatoire de Man
heim était fausse d'une minute vingt-une secondes enlatitude, et cepen
dant le père jésuite Chrétien Mayer y avait observé avec un quart de
cercle de Bird de huit pieds de rayon. ( Ephémérides de Berlin, 1784 ,
pag. 158 ; et 1795 , pag. 96. ) Avant les observations de Le Monnier ,
on ignorait la vraie latitude de Paris à quinze secondes près.
1.
18 INTRODUCTION

considérables en Espagne , et dans la partie la plus


orientale et la plus septentrionale de l'Europe , qui
sont encore éloignées de cette exactitude de détermi

nation géographique ?
L'exécution des trois voyages que nous proposons
à un gouvernement éclairé , sont d'une facile exécution ,
et feraient changer de face à la géographie de la Nou
velle-Espagne. Les positions d'Acapulco, de Vera-Cruz

1 et de Mexico ont été vérifiées à différentes reprises par


les opérations de Galiano , d'Espinosa , de Bauzà et de

Cevallos , par celles de Gama et de Ferrer , et par les


miennes . Des officiers de la marine royale stationnés
au port de San Blas , pourraient , dans une seule excur
sion , fixer les positions importantes des mines de Bo
laños et de la ville de Guadalaxara. L'expédition astro
nomique dont le gouvernement a chargé MM . de Ce
vallos et Herera , pour relever les côtes du golfe de
Mexique , déterminera l'embouchure du Rio Huasa
cualco au sud-est de la Vera-Cruz. Il serait facile à

ces habiles astronomes , qui sont munis de superbes


instrumens anglais , de remonter cette rivière , célèbre
par le projet d'un canal de communication qui doit
réunir la mer des Antilles au Grand Océan équinoxial.
Ils pourront mesurer la largeur de cet isthme mexi
cain , en fixant la position du port de Tehuantepec
et celle de la barre de S. Francisco à l'embouchure du

Rio Chimalapa.
Peu de pays sur le globe offrent de si nombreux
avantages pour des opérations trigonométriques que la
GÉOGRAPHIQUE. 19

Nouvelle-Espagne. La grande vallée de Mexico , et les


vastes plaines de Zelaya et de Salamanca, unies comme
la surface des eaux qui semblent y avoir couvert le sol

pendant un long espace de siècles , offrent autant de pla


teaux élevésde 1700 à 2000 mètres au-dessus duniveau de
l'Océan, et bordés de montagnes visibles à de grandes di
stances: ces plateaux invitent l'astronome à la mesure de

quelques degrés de latitude vers les limites septentriona


les de la zone torride. Dans l'intendance de Durango, dans
une partie de celle de S. Luis Potosi, des triangles d'une
grandeur extraordinaire pourraient être tracés sur un
terrain couvert de graminées et dénué de forêts ; mais
en discutant ces avantages , il faut distinguer entre les
besoins de la science et ceux de l'administration . La me

sure d'un arc du méridien, compris entre les parallèles


de 19° et 24°,jointe à des observations précises sur la
longueur du pendule , serait sans doute d'un grand
intérêt pour la connaissance perfectionnée de la fi
gure de la terre , cependant ( et il est utile de le rap
peler ici ) cet intérêt est subordonné à un autre qui

se lie plus matériellement aux progrès de la prospérité


nationale. Pour bien gouverner la Nouvelle- Espagne ,
pour ouvrir des communications par des chemins ou
des canaux , il faut employer des moyens d'une exécu
tion prompte et facile. Vouloir jeter un réseau de
triangles sur un pays hérissé de montagnes et de plus
de 118,000 lieues carrées de 25 au degré , vouloir
étendre des opérations délicates sur un terrain cinq fois
grand comme la France , et publier une carte du Mexi
2.
20 INTRODUCTION

que à l'échelle de , c'est engager le gouvernement


à une entreprise brillante , mais trop vaste pour qu'on
puisse s'attendre à la voir terminée dans l'espace d'un
siècle et demi . En Suède on n'est parvenu pour la belle
carte trigonométrique , à laquelle on travaille en ce
moment , qu'à lever 900 lieues carrées par an * . On a
blàmé la scrupuleuse exactitude avec laquelle , dans
les expéditions de MM . Fidalgo et Churruca , des of
ficiers de la marine espagnole ont examiné les plus
✰✰
petites sinuosités de la côte de l'Amérique méridionale. *

Pour la grande carte de France , à laquelle on travaille actuelle


ment , un officier et son adjoint , déterminent , terme moyen , 12 à 16
points du premier ordre dans le cours d'une campagne de cinq mois :
les sept autres mois qui complètent l'année sont employés aux cal
culs géodésiques. Chaque triangle de cet ordre ayant environ 27 lieues
carrées de 25 au degré , coûte 340 francs , abstraction faite de la
solde d'un officier , chef d'opération , et d'un adjoint. Un officier tra
vaillant seul aux triangles du second ordre , et ayant les bases
données par le premier ordre , formant de grandes lignes géodési
ques de 200000 mètres en 200000 mètres , tant dans le sens du méri
dien que dans celui des parallèles , peut , en huit mois sur le terrain ,
et quatre mois de travaux sédentaires, observer et calculer 120
à 150 points couvrant à une feuille de 8 décimètres sur 5 dé
cimètres , ou une surface de 32 lieues de 25 au degré. Chaque
point , non compris la solde de l'officier, coûte 20 francs ; chaque
feuille ou 80 millième comprend environ mille cotes de hauteur.
On se sert de cercles répétiteurs de 13 pouces pour les triangles
du premier ordre ; de cercles ou de théodolites répétiteurs de 8 pouces
pour les triangles du second ordre. Les distances zénitales de tous
les points observés sont prises à chaque station.
** Un des plus savans géographes du siècle , M. Rennell , observe
que les Anglais possèdent des cartes très exactes des mouillages des
GÉOGRAPHIQUE. 21

Ce travail a été pénible et très coûteux ; je pense ce

pendant qu'on aurait tort de censurer ceux qui ont


présenté à la cour de Madrid ce beau projet d'un
relèvement hydrographique . Une carte marine ne peut
jamais être assez détaillée. La sûreté de la navigation ,
la facilité de se reconnaître dans un aterrage, les moyens
de défense nécessaires contre un ennemi qui menace

de débarquer , dépendent de la connaissance la plus


intime des côtes et de celle du fond de la mer. Il est

quelquefois peu important que la position d'une ville


située dans l'intérieur des terres , soit exacte en lati
tude à deux minutes près ; mais , sur les côtes, il est du
plus grand intérêt de connaître la position d'un cap
avec toute la précision que peuvent fournir les moyens
astronomiques . Dans une carte hydrographique , tous
les points doivent être également bien déterminés ,
puisque tous sont dans le cas de servir au navigateur
de point de départ ou de reconnaissance . Les cartes ,
au contraire , qui présentent l'intérieur d'un vaste
pays , sont déjà très précieuses lorsqu'elles offrent un
certain nombre d'endroits dont la position est fixée
astronomiquement .
S'il est à desirer que l'on n'entreprenne pas de
sitôt de relever les possessions espagnoles dans l'in
térieur de l'Amérique avec cette exactitude minutieuse
que l'on met à figurer les côtes ; si , dans l'état actuel

côtes de Bengal , tandis que pendant long-temps il n'existait aucune


carte passablement bonne du canal qui sépare l'Angleterre de
l'Irlande. ( Description de l'Indostan , tome I , Préface. )
22 INTRODUCTION

des choses il est plus utile de se borner à un relève


ment astronomique et au tracé de lignes chronomé
triques , c'est-à-dire à un travail provisoire fondé sur
l'usage d'instrumens à réflexion et des chronomètres ,
sur des distances lunaires , sur des observations de
satellites et d'occultations d'étoiles , il n'en serait pas

moins important pour cela de réunir , à ces moyens


précis et purement astronomiques , d'autres moyens
secondaires que présentent la nature du pays et la
grande élévation des cimes isolées . Lorsqu'on connaît
exactement la hauteur absolue de ces cimes, soit à l'aide
du baromètre , soit par le moyen d'opérations géomé

triques , des angles de hauteurs et des azimuths pris


avec le soleil couchant ou levant , peuvent servir à
lier ces montagnes à des points dont la latitude et la
longitude ont été suffisamment vérifiées. Cette méthode

se fonde sur l'emploi de bases perpendiculaires ; et en


évaluant de combien de mètres on peut s'être trompé
dans la mesure de chaque base , il est facile de conclure
en admettant différentes hypothèses , de combien cette
erreur peut influer sur la position astronomique , soit
de la montagne même , soit des autres points qui en
dépendent.Souvent la connaissance exacte de la limite
inférieure des neiges perpétuelles peut offrir les mêmes
avantages que la mesure d'une cime isolée. J'ai em
ployé cette méthode pour vérifier la différence de longi
tude qui existe entre la capitale de Mexico et le port de
Vera-Cruz. Deux grands volcans , celui de la Puebla ,
appelé Popocatepetl , et le Pic d'Orizava , visibles tous
GÉOGRAPHIQUE . 23

deux de la plate-forme de l'ancienne pyramide de


Cholula , ont servi à lier deux endroits éloignés l'un de
l'autre de 155,200 toises. La réunion de deux me
sures géométriques des montagnes , des azimuths et
des angles de hauteurs calculées par M. Oltmanns ,
ont donné le port de Vera- Cruz de o¹ 11′31 ″, à l'oc
cident de Mexico , tandis qu'il suit des observations
purement astronomiques une différence de méridiens
de ob 11'46". En modifiant le premier résultat par
quelques opérations secondaires faites à la pyramide
de Cholula , on trouve même o ° 11'41 ", 3 ; de sorte
que, dans ce cas particulier, sur une distance de trois
degrés , la méthode des azimuths n'a pas été fausse de
5" en temps* . J'ai trouvé par cette même méthode hyp
sométrique la différence des méridiens entre le volcan

d'Orizava et la Vera-Cruz , de 1 ° 5′13 ″ ; d'après


les opérations trigonométriques de MM . Ferrer et
Isasvirivill elle est ou de 1 ° 4′57 ″ ou de 1 ° 6′30″ .
Des cimes volcaniques placées isolément au milieu
d'un vaste plateau peuvent offrir , lorsqu'elles sont
accessibles , un autre moyen bien plus sûr encore
pour déterminer dans un court espace de temps , à
quelques secondes près , la longitude d'un grand
nombre d'endroits voisins. Des signaux lumineux,

* Mémoire astronomique sur la différence des méridiens entre


Mexico et Vera-Cruz , par MM . Oltmanns et Humboldt. ( Zach ,
Monathliche Correspondenz , novembre 1806 , pag. 445 , 454 , 458. )
Voyez aussi mon Recueil d'observations astronomiques, tome 1 , pag. 133
138 , et tome 11, pag. 537-546.
24 INTRODUCTION

donnés par la déflagration d'une petite quantité de

poudre à canon , seront observés à de grandes distances


par des personnes munies de moyens de trouver et de

conserver le temps moyen. Cassini de Thury et Lacaille


ont , les premiers , employé avec succès cette méthode
des signaux lumineux . Récemment M. de Zach a

prouvé , par ses opérations en Thuringe , que , dans


des circonstances favorables , elle peut fournir, en peu

de minutes , des positions comparables , pour l'exacti


tude , aux résultats tirés d'un grand nombre d'obser
vations de satellites ou d'éclipses solaires . Dans le

royaume de la Nouvelle- Espagne , les signaux pour


raient se donner à l'Iztaccihuatl ou Sierra Nevada de

Mexico , sur le rocher appelé le Moine , cime isolée du


volcan de Toluca , à laquelle je suis parvenu , le 29 sep

tembre 1803 ; sur la Malinche près de Tlascala , sur


le Coffre de Perote , et sur d'autres montagnes dont
le sommet est accessible , et qui sont toutes élevées de
plus de trois mille à quatre mille sept cents mètres
au-dessus du niveau de l'Océan .

Comme le gouvernement espagnol a fait depuis vingt


ans , avec une libéralité extraordinaire , les sacrifices
les plus grands pour le perfectionnement de l'astrono
mie nautique et pour le relèvement exact des côtes , on
peut espérer qu'il ne tardera pas à s'occuper de la
géographie de ses vastes domaines aux Indes. Cet

espoir est d'autant plus fondé , que la marine royale


possède une excellente collection d'instrumens , et
qu'elle est en état de fournir des astronomes très
GÉOGRAPHIQUE. 25

exercés dans la pratique des observations . L'école des


mines de Mexico , dans laquelle l'étude des mathéma
tiques se fait d'une manière solide , répand aussi sur
la surface de ce vaste empire un grand nombre de
jeunes gens animés du plus beau zèle , et capables de
se servir des instrumens que l'on placerait entre leurs
mains . C'est par des moyens analogues que la com

pagnie anglaise des Indes orientales est parvenue à


se procurer les cartes de son immense territoire. Les

temps n'existent plus où les gouvernemens , cherchant


leur sûreté dans le mystère , redoutaient de dévoiler
aux nations rivales les richesses territoriales qu'ils
possédaient aux Indes . Le roi d'Espagne actuel a or
donné que l'on publiât , aux frais de l'état , le relève
ment des côtes et des ports ; il n'a pas craint que les

plans les plus détaillés de la Havane , de Vera-Cruz


et de l'embouchure du Rio de la Plata fussent entre

les mains des nations que les événemens ont rendues


ennemies de l'Espagne. Une des belles cartes rédigées
par le Depositohidrografico de Madrid, offre les détails
les plus précieux sur l'intérieur du Paraguay , détails
qui se fondent sur des opérations exécutées par des offi
ciers de la marine royale , employés pour déterminer
les limites entre les Portugais et les Espagnols . A
l'exception des cartes de l'Égypte et de quelques parties
des Grandes-Indes , le travail le plus exact que l'on

ait sur aucune possession continentale des Européens


hors de l'Europe , est la carte du royaume de Quito ,
dressée par Maldonado . Tout prouve que depuis quinze
26 INTRODUCTION

ans le gouvernement espagnol , loin de craindre les


progrès de la géographie , a fait publier , au contraire ,
tout ce qu'il possède de matériaux intéressans sur ses
colonies dans les deux Indes .

Après avoir indiqué les moyens qui paraissent les


plus propres à perfectionner rapidement les cartes de
la Nouvelle-Espagne , je m'occuperai de l'analyse suc
cincte des matériaux que j'ai pu employer pour le
travail géographique que je présente au public.
La carte générale du royaume de la Nouvelle- Es
pagne est dressée , comme toutes les cartes que j'ai
dessinées pendant le cours de mon voyage , d'après
la projection de Mercator , avec des latitudes crois
santes . Cette projection a l'avantage de présenter
directement la vraie distance à laquelle se trouve un
endroit de l'autre ; elle est en même temps la plus

agréable aux marins qui visitent les colonies , et qui ,


en fixant la position de leur vaisseau par deux mon
tagnes visibles au large , veulent faire cadrer leur

relèvement avec les cartes. Si j'avais eu à choisir entre


les projections stéréographiques , j'aurais donné la
préférence à celle de Murdoch , qui mériterait d'être
généralement suivie . L'échelle de ma carte est de 32
millimètres pour chaque degré de l'équateur. L'échelle
des latitudes croissantes ne se fonde pas sur les tables

de Don Jorge Juan , mais sur celles que M. de Men


doza' a calculées pour le sphéroïde.


Connaissance des temps, pour l'année 1793 , pag. 303.
GÉOGRAPHIQUE. 27

Pour conserver une forme plus convenable à la carte


du Mexique , on n'en a étendu l'échelle que depuis les
15° aux 41° de latitude boréale , et depuis les 96º aux
117° de longitude. Ces limites n'ont pas permis de
présenter sur la même planche l'intendance de Mérida
ou la péninsule du Yucatan , qui appartient aussi à la
Nouvelle- Espagne. Pour faire entrer dans la carte le
point le plus oriental , qui est le cap Catoche , ou
plutôt l'île Cozumel , il aurait fallu ajouter vers l'est
encore sept degrés en longitude , ce qui m'aurait forcé
de comprendre sur la même planche une portion du
Guatimala , sur lequel je manque absolument de don
nées , la Louisiane , toute la Floride occidentale , une
partie du Tennessée et de l'Ohio .

On ne trouve pas sur ma carte générale de la


Nouvelle-Espagne , les établissemens espagnols sur la
côte nord-ouest de l'Amérique , établissemens isolés
que l'on peut considérer comme des colonies dépen

dantes de la métropole du Mexique. Pour faire voir sur


la même planche les missions de la Nouvelle-Califor
nie, il aurait encore fallu ajouter à l'ouest huit degrés
de longitude ; car le point du royaume le plus septen
trional est le Presidio de San Francisco , situé , d'après
Vancouver, par les 37°48′30 " de latitude boréale , et
par les 124° 27′45″ de longitude occidentale.
Il résulte de ces considérations , qu'une carte de la
Nouvelle-Espagne , pour mériter le nom de carte gé
nérale , devrait embrasser l'immense étendue de pays
comprise entre les 89° et 125° de longitude , et entre
28 INTRODUCTION

les 15° et 38° de latitude. Pour éviter l'inconvénient

de représenter , d'après une grande échelle , des pays


qui , considérés sous le point de vue de l'économie
politique , n'offrent pas le même intérêt , j'ai préféré
de restreindre mon travail dans des bornes plus étroites.
J'ai fait dresser , dans un format beaucoup plus petit ,
une seconde carte , qui non -seulement permet d'em
brasser d'un coup- d'œil tous les pays qui dépendent

de la vice- royauté du Mexique , mais qui s'étend


aussi sur les îles Antilles et les États-Unis de l'Amé

rique.
Quoique , d'après les principes que j'ai souvent
énoncés , je persiste à donner la préférence aux nou
velles mesures sur les anciennes , je n'ai cependant
pas ajouté à mes cartes l'échelle des degrés centési
maux . Le Bureau des Longitudes de France a constam
ment suivi , soit dans la Connaissance des temps ,
soit dans les nouvelles Tables astronomiques qu'il

vient de publier , l'ancienne manière de compter les


latitudes, et un seul individu s'opposerait en vain à des
préjugés si profondément enracinés, en ne présentant
que des latitudes exprimées en parties centésimales. Il
est à regretter que l'introduction du système métrique,
fixée par l'arrêté du 13 brumaire an Ix , ne soit pas

devenue générale , et que l'on ait augmenté en France


même la confusion des anciennes mesures , en imagi

nant un pied métrique et des pouces , que l'on risque


de prendre pour des pouces de pied- de -roi. Les degrés
de longitude que j'indique sont comptés à l'ouest du
GÉOGRAPHIQUE .
29

méridien qui passe par l'Observatoire royal de Paris . Si


la plus grande partie du public ne s'opposait pas aux
innovations , même lorsqu'elles sont utiles , j'aurais
préféré au méridien de Paris , le méridien universel
proposé par un des premiers géomètres * du siècle ,
et qui se fonde sur le mouvement du grand axe de
l'ellipse solaire. Ce méridien universel est à 185 ° 30′
à l'orient de Paris , ce qui fait 166 °46′12″ de l'an
cienne division sexagésimale . Il passe , par conséquent,

par la mer du Sud , 12' à l'est de l'île d'Erromanga ,


qui appartient à l'archipel du Saint-Esprit. L'intro
duction d'un méridien universel qui se fonde sur la
nature même , et qui ne blesse pas la vanité nationale
des Européens , serait d'autant plus à desirer , que
nous voyons tous les jours augmenter le nombre des

premiers méridiens tracés arbitrairement sur les cartes.


L'Espagne , depuis quelques années , en compte cinq :
celui de Cadix , qui est le plus usité parmi les naviga
teurs , ceux de Carthagène et du Nouvel Observatoire
à l'île de Léon , le méridien du Collége des Nobles à
Madrid , introduit par les belles cartes de M. Antillon,
et celui de la pointe de la Galera à l'île de la Trinité.

A ces cinq méridiens , on pourrait en ajouter encore


deux qui passent par les possessions espagnoles , et
qui ont été adoptés par un grand nombre de géo

Exposition du Système du monde , par LAPLACE , pag. 19. L'auteur


dans la quatrième édition de cet ouvrage ( pag. 74 ) a proposé de
rapporter toutes les longitudes terrestres au Mont-Blanc, qui domine
la charpente immense et inaltérable de la chaîne des Alpes.
30 INTRODUCTION

graphes je parle du méridien de Ténériffe et de celui


de l'île de Fer. Le dernier fait naître des confusions

inévitables , D'Anville le faisant passer entre le bourg


de Fer et le cap Ouest de l'île. Voilà , sans compter
celui de Tolède , sept premiers méridiens dans les
seuls états du roi d'Espagne.
J'ai suivi , pour la dénomination des mers qui bai
gnent les côtes du Mexique, les idées que M. Fleurieu a
proposées dans ses Observations sur la division hy
drographique du globe , ouvrage dans lequel de
grandes vues sont réunies à une profonde érudition
historique. Les noms espagnols ont été ajoutés pour
faciliter la lecture des voyages écrits en espagnol .

Pour dresser la carte du Mexique , j'ai commencé à


réunir tous les points fixés par des observations astro
nomiques ; j'en ai formé un tableau qui , pour pou
voir mieux faire apprécier le degré de confiance que
méritent les résultats , indique le genre d'observation

et le nom de l'observateur. Le nombre de ces points


monte à soixante-quatorze , dont cinquante sont
placés dans l'intérieur des terres. De cette dernière
classe , il n'y en avait que quinze de connus avant
mon arrivée au Mexique , au mois d'avril 1803. Il
sera utile de discuter quelques-uns des trente-trois
points dont la position est déterminée par mes pro
pres observations , et qui sont tous compris entre les
16°50' et 20°0′ de latitude , et les 98 ° 29 ′ et 103 ° 12′
de longitude. En fixant ces positions , nous entrerons
dans quelques détails historiques sur les erreurs
GÉOGRAPHIQUE. 31

extraordinaires qui se sont propagées jusqu'à ce jour


par les cartes les plus récentes et les plus répandues.

MEXICO.

Plusieurs hauteurs méridiennes du soleil et des

étoiles m'ont donné , pour la latitude de la capitale


au couvent de St. -Augustin * , 19° 25′45″. La lon

gitude , déduite des éclipses des satellites de Jupiter ,


des distances de la lune au soleil , du transport du

temps depuis Acapulco , et d'une opération trigono


métrique entreprise pour évaluer la différence de
méridiens entre Mexico et le port de Vera-Cruz , est
de 6h 45'42" ou de 101 ° 25'30". Je ferai observer
une fois pour toutes , que je m'arrête aux nombres

qui résultent des calculs extrêmement soignés de


M. Oltmanns " géomètre distingué qui a calculé

toutes les observations astronomiques que j'ai faites

depuis mon départ de Paris en 1798 jusqu'à mon re


tour à Bordeaux en 1804. La longitude de Mexico
( 6h45′28 ″) indiquée dans les nouvelles Tables astro
nomiques publiées par le Bureau des Longitudes , se
fonde sur un mémoire que j'avais présenté à la pre
mière classe de l'Institut de France le 4 pluviose
an XIII , et dans lequel les lieux de la lune n'avaient

point été calculés d'après les tables de M. Bürg. Un an

* La grande porte de l'église cathédrale de Mexico est de 12" plus


septentrionale , et de 10" ( en arc ) plus orientale que le couvent
de Saint-Augustin près duquel j'ai observé.
32 INTRODUCTION

plus tôt , je m'étais arrêté à un résultat qui approchait


plus encore de la vraie longitude ; la moyenne de

mes observations imprimées à la Havane était de


101°20'5 ".

Trois émersions du premier satellite de Jupiter


que j'ai observées , donnent en terme moyen , par les
tables corrigées de M. Delambre , la longitude de
645′30 ″ ; par les observations correspondantes de
Lancaster et de la Havane 6h45′21 ″.
Trente-deux distances de la lune au soleil calculées

par M. Oltmanns , d'après les plus nouvelles tables


lunaires , donnent la longitude 645′50 ″.
Le transport du temps depuis Acapulco donne ,
pour la différence de méridiens entre le port et la
capitale de Mexico , 2′55″, 4 en temps : par consé
quent, en supposant Acapulco à 648′38 ,
″ 2 , la
longitude de Mexico serait 6'45'42" 8.
La longitude de Guanaxuato , déterminée par des

distances lunaires et rapportée par mon chrono


mètre à celle de Mexico , donne pour cette capitale
6h45'56".
Il résulte de l'opération trigonométrique , ou plutôt
de mon essai de lier la capitale au port de Vera-Cruz
par le moyen des azimuths et des angles de hauteurs
pris sur les deux volcans d'Orizava et de Popocatepetl
( d'après les calculs de M. Oltmanns , et en supposant
Vera-Cruz de 633′56 ″ ) , la longitude de Mexico
de 6h45'37 "
, 3.
Tous ces résultats , obtenus par des voies diverses
GÉOGRAPHIQUE. 33

et indépendantes les unes des autres , confirment la


longitude que nous assignons à la capitale du Mexi
que ; elle est différente de plus d'un degré et demi
de celle que l'on a adoptée jusqu'ici ; car la Connais
sance des temps place Mexico , en 1772 , à 106 ° 1′0″,
et en 1804 encore à 102 ° 25'45". La C carte du

golfe du Mexique , publiée par le Deposito hidro


grafico de Madrid en 1799 , donne à la capitale
103 ° 1′27 ″ ; cependant , avant que j'eusse observé
au Mexique , la vraie longitude avait été assez exac
tement connue de trois astronomes dont les travaux

méritent d'être tirés de l'oubli , et dont deux sont nés


au Mexique même. MM . Velasquez et Gama , dès
l'année 1778 , avaient déduit , de leurs observations
de satellites , la longitude de 101 ° 30' ; mais , n'ayant
pas d'observations correspondantes , et ne calculant
que d'après les anciennes tables de Wargentin , ils
restèrent incertains ( comme ils l'assurent eux-mêmes )
de près d'un quart de degré. Ce résultat curieux est
contenu dans une petite brochure imprimée à Mexico* ,
et peu connue en Europe. Velasquez , directeur du
tribunal suprême des mines , fixa la longitude de la
capitale à 101 °44'0", comme le prouvent des manus
crits précieux conservés par M. Costanzo à Vera
Cruz. Dans une carte de la Nouvelle- Espagne ébau
chée en 1772 , Velasquez plaça Mexico par 278° 9' de

Descripcion orthografica universal del eclipse de sol del dia 24 de


Junio de 1778 , dedicada al Sr. Don Joacquin Velasquez de Leon , por
Don Antonio de Leon y Gama, 1778 , pag. Iv.
I 3
34 INTRODUCTION

longitude , comptés depuis l'île de Fer = 101°51'.


Il dit dans une note ajoutée à cette carte , « qu'avant
<< son voyage en Californie en 1768 , tout le Mexique
« était placé dans la mer du Sud ; que sa carte est la
(( première qui offre la vraie position de la capitale ,

« et qu'il l'a vérifiée par un grand nombre d'obser


« vations faites à Santa -Rosa en Californie, à Temascal
<< tepec et à Guanaxuato . » D" Dionisio Galiano, l'un
des plus habiles astronomes de la marine royale , avait
aussi reconnu la vraie position du Mexique , lorsqu'en
1791 il traversa le royaume pour rejoindre l'expé
dition de Malaspina . M. Antillon , il est vrai * , dé
duisit des observations de Galiano la longitude de
101 °52′o", résultat qui diffère encore de celui que
j'adopte , de 1'48 " , en temps ; mais je soup
çonne que cette différence tient à quelque légère
erreur qui se sera glissée dans le calcul . Les opéra
tions de Gama , Velasquez et Galiano m'étaient en
tièrement inconnues , lorsque je commençai à travailler
au Mexique. D'ailleurs , le détail des observations de
Don Dionisio Galiano ne m'a été communiqué par

M. Espinosa que pendant l'hiver de 1804 , après mon


retour en Europe. Elles ont donné une longitude qui
paraît beaucoup plus exacte que celle qu'a publiée
M. Antillon. « J'ignorais , m'écrit le savant directeur
« du dépôt hydrographique de Madrid , lors de votre

Analisis de la carta de la America septentrional, por Don Isidoro de


Antillon , 1803 , pag. 34. Cette carte place Mexico , non par 101 °25'.
mais par 101°52' , erreur de 27' en arc.
GÉOGRAPHIQUE. 35
(( séjour en Espagne en 1799 , les observations de

«< notre commun ami , M. Galiano . Elles consistent


« dans deux émersions de satellites , dans une occulta
« tion d'étoile et dans la fin d'une éclipse de lune.
a Elles m'ont donné 101 °22′34″ 6h45'30". >>

M. Oltmanns trouve par les deux émersions du pre


mier satellite , 6h45'44,0 ; par l'occultation d'une

étoile du Taureau , 6h45'35,6 ; par l'éclipse de lune ,


645'54,5 ; et en prenant le milieu entre les trois
observations de M. de Galiano qui n'ont été publiées
que depuis mon retour en Europe , 6h45'44". La
différence entre mes observations et celles de l'astro
nome espagnol, différence supposée de près d'un demi
degré , se réduit , par conséquent , à moins de deux
minutes en arc. Il est satisfaisant de trouver une

harmonie aussi grande entre des observateurs qui ,


sans se connaître , ont employé des méthodes diffé
rentes. Sur les cartes très détaillées de Thomas Jefferys
publiées en 1794 , Mexico est situé par 20° 2′ de
latitude , et 102 °52′47 ″ de longitude , tandis que
M. Arrowsmith , dans sa belle carte des Indes occi
dentales en quatre feuilles , fait en 1803 la longi
tude de Mexico 102 °8′0″ et la latitude de 19°57′ ,
fausse de 32 minutes.

Quelques géomètres mexicains du dix - septième


siècle avaient assez bien deviné la vraie longitude de
la capitale. Le père Diego Rodriguez , de l'ordre de
N. Señora de la Merced , professeur de mathématiques
à l'Université impériale de Mexico , et l'astronome
3.
36 INTRODUCTION

Gabriel Lopez de Bonilla , adoptèrent 7'25' pour la

différence de méridiens entre Uranienburg et la ca


-
pitale , d'où suit la longitude de 101 ° 37'45" =
6h46′29″. Don Carlos de Siguenza , le célèbre
successeur de Rodriguez dans la chaire académique ,
ignorait absolument en 1681 sur quelles observations
Bonilla fondait ce résultat. Il publia un petit traité **
sur la longitude « que l'on doit attribuer à la ville de

Mexico ». Il y cite une observation d'éclipse de lune


faite le 20 décembre 1619 par l'ingénieur Henri Mar
tinez à Huehuetoca , au nord-ouest de la capitale. C'est
le même ingénieur hollandais qui entreprit l'ouvrage
hardi du canal appelé le Desague de Huehuetoca ,
par lequel on empêche les inondations trop fré
quentes de la vallée de Tenochtitlan . L'observation
de Martinez , en la comparant à celle d'Ingolstadt ,
sans y appliquer aucune modification , donnerait
pour la longitude de Mexico, 6h32′16″. Comparée
à Lisbonne , cette même éclipse présente 622′31 ″.
Mais l'ingénieur Martinez ne faisant pas usage de
lunettes , Siguenza suppose que , par un effet de la
pénombre , la fin de l'éclipse a été 15' plus tôt. Il ré
sulte de cette supposition assez arbitraire , Mexico

* Libra astronomica yfilosofica escrita en 1681 , por Don Carlos de


Siguenza y Gongora , Catedratico de Matematicas de la Universidad de
Mexico , y impresõ en la misma ciudad en 1690 , § . 386.
⭑⭑
Voyez l'ouvrage cité ci-dessus , §. 382-385 . Je dois la connais
sance de ce livre très rare de Siguenza à M. Oteiza , qui a bien voulu
recalculer plusieurs anciennes observations faites par des astronomes
mexicains.
GÉOGRAPHIQUE. 37

comparé à Ingolstadt , 6'46′40″ , et Mexico com


paré à Lisbonne , 6h37′31 ″. M. Oltmanns observe ,
avec raison, qu'une des observations correspondantes
doit être fausse de 9' ; car la vraie différence de mé
ridiens entre Lisbonne et Ingolstadt n'est que de

122'16", tandis que l'éclipse du 20 décembre 1619


la donnerait de 113'0". Des observations aussi

anciennes et aussi peu soignées ne peuvent offrir


aucune certitude ; d'autant plus que les deux géo
mètres mexicains que nous venons de citer , Rodriguez
et Siguenza , n'étaient pas en état eux -mêmes d'obte
nir les résultats que nous venons d'énoncer. Ils con
naissaient si peu les différences de méridiens entre
Uranienburg , Lisbonne , Ingolstadt et l'île de Palma ,
qu'ils conclurent des mêmes données , indiquées dans
la Libra astronomica yfilosofica, que Mexico est situé
par 283°38' à l'ouest du premier méridien de l'île de
-6h26′40″ . Cette longitude
Palma , ou de 96 °40′ =
diffère de 100 lieues marines de la vraie , et de
240 lieues de celle qu'adoptait le géographe Jean
Covens au milieu du dernier siècle.

Dans les Éphémérides de Vienne , rédigées par le


père Hell en 1772 , et dans les tables astronomiques
de Berlin pour l'année 1776 , on trouve Mexico à
1060' . Cette supposition d'une longitude trop occi
dentale est très ancienne. M. Oltmanns l'a déjà trouvée
dans les observations * du Père jésuite Bonaventura


Ephemerides astronomica, auctore J. G. Triesneker , 1803.
38 INTRODUCTION

Suarez , qui séjourna au Paraguay dans la ville des


Saints-martyrs-Cosme-et -Damian . Cet astronome peu
connu fait Mexico de 3¹13′ à l'ouest de son observa
toire , et cet observatoire de 352′23″ à l'ouest de Pa

ris , d'où résulte la longitude de Mexico de 7h5′23″


= 106°22′30″ . Les jésuites de la Puebla de los
Angeles placent la capitale dans une carte mexicaine ,
gravée en 1755 , par 19 ° 10′ de latitude , et par
113o' de longitude , c'est -à-dire de 240 licues trop
à l'ouest.

Le voyage de Chappe , rédigé par M. de Cassini , ne


nous a rien appris d'exact sur la position de la capitale.
Chappe n'y séjourna même que quatre jours , sans
pouvoir se livrer à des observations astronomiques ,
et celles que M. Alzate lui communiqua n'étaient pas
faites pour résoudre le problème en question . Cet
ecclésiastique mexicain , que l'Académie de Paris
avait nommé un de ses correspondans , mettait plus de
zèle que de précision dans ses travaux. Il embrassait

trop d'objets à-la-fois , et ses connaissances étaient


bien inférieures à celles de Velasquez et de Gama, deux
Mexicains dont le mérite n'a pas été suffisamment
connu en Europe. Don Josef Antonio Alzate y Rami
rez , dans sa carte de la Nouvelle-Espagne publiée à
Paris , place Mexico par 104°9′0″ - 6h56'36".

Lalande trouve , par le passage de Vénus observé en


1769 par Alzate , 6h50'1 " : Pingré , 6h49′43″.
Une éclipse de lune observée en 1769 par Alzate ,
donne , en ne calculant que la fin par les anciennes
GÉOGRAPHIQUE . 39

tables lunaires , 637′7″ . Cassini * déduit de deux


immersions de satellites de Jupiter observées par

Alzate en 1770 , et comparées aux anciennes tables


par un milieu , 101 °25′ = 645′9″ . Dans un mé
moire . qu'Alzate a publié sur la géographie de la
Nouvelle-Espagne ** , il assure que la longitude de
Mexico , fondée sur des observations de satellites .
est de 6h46'30". Mais , en 1786 , dans une note qui
accompagne le plan des environs de la capitale dressé
par Siguenza et gravé à Mexico , Alzate établit la
longitude de 100°30′0″ = 6h42'o" , en ajoutant

que ce dernier résultat , le plus sûr de tous , se fonde


sur plus de vingt-cinq éclipses de satellites communi
quées à l'académie de Paris *** . Voilà donc une diffé
rence de plus de deux degrés qu'offrent les diverses
observations de M. Alzate , même en excluant le ré
sultat déduit de l'éclipse de lune du 12 décembre
1769. Il est à présumer que l'observateur a été bien
peu exact dans la recherche du temps . Peut -être aussi
que la longitude établie par les satellites est trop
orientale , parce que l'on n'a pas séparé les éclipses
du premier satellite , de celles du troisième et du

quatrième.
L'erreur dans la position attribuée si long-temps

* Voyage en Californie , 1772 , pag. 104.


** Gazeta de Mexico , 1772 , nº 95 , pag. 56.
*** Plano de las cercanias de Mexico , por Don Carlos de Siguenza,
reimpreso en 1786 , con algunos adiciones de Don Josef Alzate ( en la
Imprenta de Don Francisco Rangel. )
40 INTRODUCTION

à la capitale de la Nouvelle-Espagne s'est manifesté


d'une manière bien remarquable lors de l'éclipse de
soleil du 21 février 1803. Cette éclipse fut totale et
consterna le public, parce que les almanachs du Mexi
que, calculés sur la supposition de 6h49′43 ″ de lon
gitude, l'avaient annoncée comme à peine visible. Le sa
vant astronome de la Havane, Don Antonio Roberedo,
a recalculé cette éclipse d'après mes observations de
longitude * . Il trouve que l'éclipse n'aurait pas été
totale , si la longitude de Mexico était plus occidentale
que 6h46′35 ″, 4 = 101 ° 38′49″.

La latitude de la capitale de Mexico est restée


pendant long-temps aussi problématique que sa lon
gitude. Du temps de Cortez , les pilotes espagnols la
fixèrent à 20°0′ , comme le prouve la carte de Cali
fornie dessinée par Domingo de Castillo en 1541 , et

publiée dans l'édition mexicaine des lettres de Cortez**.


Cette latitude a été conservée par D'Anville et d'autres
géographes. Jean Covens , qui a augmenté la longitude
de Mexico de sept degrés , lui assigne aussi une posi
tion trop boréale de 1 ° 43′ . Dans le voyage de Chappe,
on adopte , d'après Alzate, 19° 54′ de latitude . Don Vi
cente Doz , connu par ses belles observations faites

+
Aurora, o Correo politico economico de la Havana , 1804 , nº 219 ,
pag. 13.

** Historia de Nueva España escrita por Hernan Cortes , aumentadapor


el Illustr. Señor Don Francisco Antonio de Lorenzana . Mexico , 1770 ,
pag. 328.
GÉOGRAPHIQUE . 41

en Californie, trouva * , au moyen d'un quart de cercle


mobile, 19° 21′2″; mais , dès l'année 1778 , Velasquez
et Gama fixèrent la vraie position. Don Jose Espinosa,et
Don Ciriaco Cevallos trouvèrent, en février 1790 , par

un sextant de huit pouces de rayon, pour la cathédrale de


Mexico 19°25′37″ de latitude. M. Galiano obtint ,
en 1791 , par de plus grands instrumens , 19° 26′ 1,8 ,
huit ou cinq secondes de plus que donnent mes ob
servations.

VERA-CRUZ.

Latitude , 19 ° 11′52″. Longitude , 633′56″


98°29′0″.Cette longitude est déduite d'une occultation
d'étoile observée par M. Ferrer , et calculée par
M. Oltmanns , de trois éclipses du premier satellite ,
et de la longitude que mes observations assignent à
la Havane , en rapportant ce port par le transport du
temps à celui de la Vera -Cruz. Il faut rappeler ici
que j'indique la position de la partie la plus boréale
de la ville, tandis que l'Observatoire de M. Ferrer était
la maison de Don Jose Ignacio de la Torre , qui est
de 30" à l'ouest du fort de St. Juan de Ulua.

La longitude à laquelle je m'arrête est presque


identique avec celle qui a été trouvée par Don Ma
riano Isasvirivill et par d'autres officiers de la marine
espagnole. Elle n'est que de cinq minutes en arc plus
occidentale que la position qui se trouve indiquée sur la

* Gazeta de Mexico , 1772 , pag. 56 .


42 INTRODUCTION

carte du golfe du Mexique publiée en 1799 par le


bureau des travaux hydrographiques de Madrid.
M. Antillon la fixe à 98°23'5" ; la Connaissance

des temps pour l'an 1808 , à 98°21′45″. Don


Thomas Ugarte , chef d'escadre au service du roi
d'Espagne , a rapporté par le transport du temps , la
Vera-Cruz à Porto-Rico . Il assigne au premier de ces

ports 98° 39′45″. M. Ferrer a déduit , en 1791 et 1792,


la longitude de la Vera- Cruz de soixante séries de
distances de la lune au soleil et aux étoiles : il a ob
tenu pour terme moyen 98° 18′15″. Il serait à désirer

que cet habile astronome cût publié le détail de ses


observations , pour pouvoir les recalculer d'après les
tables de Bürg , et en corrigeant les lieux de la lune
par des observations du passage de cette planète par
le méridien faites à Greenwich ou à Paris. Les mêmes

corrections devraient être appliquées aux résultats


publiés dans le voyage de Vancouver.

La position de la ville de la Vera-Cruz a d'ailleurs


eu le même sort que la ville de Mexico et tout le
Nouveau Continent . On les a crus de soixante, même de

cent quarante licues plus éloignés des côtes de l'Europe


qu'ils ne le sont effectivement. Jean Covens plaça Vera
Cruz par 104°45′o" ; Alzate , dans sa carte de la

Nouvelle-Espagne , à 101 °30' . M. Bonne * se plaint ,


avec raison , du peu d'accord que présentent les ob

servations astronomiques faites à la Vera-Cruz. Après

⭑ Atlas pour l'ouvrage de l'abbé Raynal , pag. 11.


GÉOGRAPHIQUE. 43

une longue discussion , il s'arrête à 99°37' . C'est


presque la même longitude qu'adoptaient D'Anville
et l'auteur du Neptune françois : c'est celle aussi à
laquelle les astronomes anglais ont long-temps donné
la préférence. Hamilton Moore s'arrête à 99°49′47″ ;
M.Arrowsmith (carte des possessions espagnoles, 1803 )
à 98°40′ , tandis que en 1794 , Thomas Jefferys ,
géographe du roi d'Angleterre , plaçait la Vera- Cruz
par 100°23′47″.
Si l'on a commis long-temps l'erreur d'assigner
aux ports de l'Amérique des longitudes trop occiden

tales , l'abbé Chappe au contraire a présenté un résultat


qui pèche dans le sens opposé. Il déduisit de la marche
de son garde-temps 97° 18′15″ * . Observateur plus
zélé qu'exact , Chappe négligeait de prendre des di
stances de la lune au soleil, distances qui lui auraient fait
apcrcevoir l'erreur de plus d'un degré , dans laquelle
il avait été induit par un excès de confiance dans les
méthodes chronométriques .

L'observation astronomique la plus ancienne faite


à la Vera-Cruz ( au château St.-Jean d'Ulua ) est ,
sans doute , celle de l'éclipse de lune de l'année 1577.
En comparant la fin de cette éclipse avec une obser
vation correspondante faite à Madrid , M. Oltmanns

trouve une différence de méridiens de 6¹26′, et par con


séquent pour la Vera-Cruz la longitude de 102°30'. **

*
Voyage en Californie , pag. 102.
** Mémoires de l'Académie , pour l'année 1726.
44 INTRODUCTION
1
L'abbé Chappe fixa la latitude de la ville à
19° 9′38 ″ , position de trois minutes trop australe .
J'ai examiné le petit quart de cercle de Chappe qui est
resté au Mexique entre les mains du savant père Pi
chardo ; il ne faut pas s'étonner qu'un instrument si im
parfait ait donné des observations peu exactes. D'autres
géographes plaçaient la Vera -Cruz de 20' trop au sud.
La carte de la Nouvelle-Espagne d'Alzate indique
même la latitude de 18°50'o".

Depuis la publication de la première édition de


cette Analyse de l'atlas de la Nouvelle- Espagne ,
M. Oltmanns a eu occasion de vérifier de nouveau la

longitude de la Vera-Cruz ( 6¹33′56″ ) à laquelle je


me suis arrêté dans la construction de mes cartes . Il

a trouvé par l'occultation de & du Sagittaire ( obser


vée par M. Ferrer le 25 août 1799 ) , 6h33'57'9 ;
par des éclipses de satellites de Jupiter , comparées
aux tables de M. Delambre , 6h33′52 ″, 2 ; par mon
opération hypsométrique , en combinant la pyramide
de Cholula et le volcan d'Orizaba avec les villes de
Mexico et de la Vera-Cruz , 6h34'0', 7 . La moyenne
serait 633'57" . J'ajoute à ce résultat d'autres

considérations également importantes. Six détermi


nations chronométriques ont donné à M. Ferrer
oh55'4"; à M. Isasvirivill o¹55'5"; à M. le brigadier
Montès o 55'4" , pour la différence de longitude
entre la Vera-Cruz et la Havane. Cette même diffé


Voyage en Californie , pag. 103.
GÉOGRAPHIQUE. 45

rence est o¹55′2 ″ , d'après deux satellites observés


à-la-fois à la Vera-Cruz et à la Havane par MM . Chur

ruca et Ferrer. Or , ce dernier port ( au Moro ) , est ,


d'après le transport du temps de Cumana par mon chro
nomètre et pendant une navigation un peu orageuse ,
5h38'40" ; d'après les satellites que j'ai observés con
jointement avec M. Galiano , 5h38'50", 2 ; d'après
quinze occultations d'étoiles observées de 1803 à
1811 par M. Ferrer , 5h 38'493 . En s'arrêtant
avec cet habile astronome espagnol , pour la Havane ,
à 5h38′51 ″ , on trouve , pour la Vera -Cruz , 6h33′54″,
ou 2″ de moins que le résultat que j'ai publié en 1808 .
Je pense qu'on peut déduire de l'ensemble de ces
recherches qu'en Europe même , il y a peu de posi
tions qui offrent autant de certitude que la Vera-Cruz ,
la Havane , Portorico et Cumana . En réduisant la
Vera-Cruz au Cap - Français ( île Saint - Domingue) on
trouve 6¹33'53 ",7 car les chronomètres de Borda ,
Puységur , Churruca , Ferrer et Cevallos , ont donné,
pour la différence des méridiens de ces deux ports ,
1h35′20″.

ACAPULCO .

Ce port , le plus beau de tous ceux que présentent les


côtes de l'Océan pacifique est situé , selon mes obser

⭑ Humboldt, Recueil d'observations astronomiques tome


, 11 , pag. 550
555. - Connaissance des temps , pour 1817 , pag. 333.
46 INTRODUCTION

vations faites à la maison du Contador Don Baltasar

Alvarez Ordoño , par 16°50'53" de latitude, et par


6h48′38″ =102 °9′33″ de longitude. Cette position
a été déduite par M. Oltmanns de deux occultations
d'étoiles observées en 1791 par les astronomes de
l'expédition de Malaspina , et de vingt-huit distances
que j'ai prises de la lune au soleil . Celles du 27 mars
1803 , calculées d'après les tables de Bürg , ont donné
648′33″ ; celles du 28 mars , 6h48′23″.

La différence des méridiens de Mexico et Acapulco

est , selon mon chronomètre , de 2′54″ en temps. Or,


Mexico ayant été trouvée, par le milieu de mes distances
lunaires , 645′42″ de longitude , il résulterait , en
excluant toute autre espèce d'observation , pour Aca
pulco , 648′48″. Une incertitude de 15″ en temps est
bien petite pour la comparaison de deux longitudes
conclues de simples distances de la lune au soleil .
J'avais trouvé en 1803 , par les tables lunaires de
Mason , 102°8′9″.
L'Atlas qui accompagne le Voyage des navigateurs
espagnols au détroit de Fuca , assigne au port d'Aca
pulco 102 °0′30″ de longitude et 16° 50′o"de latitude .
Cet atlas se fonde sur les opérations de l'expédition de
Malaspina. Cependant M. Antillon , dans un excellent
mémoire cité plus haut , présente un résultat tiré de

ces mêmes opérations , qui diffère de près d'un tiers


de degré. Il assure que les observations faites en 1791
par les astronomes embarqués sur les corvettes la
Descubierta et la Atrevida , trouvèrent Acapulco par
GÉOGRAPHIQUE. 47

102 °21′0″ de longitude , résultat qui me paraît


moins exact , quoique plus conforme aux manuscrits
que ces navigateurs ont laissés au Mexique. Ces na
vigateurs conclurent eux-mêmes de huit séries de dis
tances lunaires , 102 ° 26' , d'une immersion de pre
mier satellite , 102 °20′40″ , et du transport du
temps depuis Guayaquil , 102 °22'0" ; harmonie
admirable , mais peut -être apparente , à cause des er
reurs des anciennes tables de la lune. Je dois faire ob

server , d'ailleurs , que la longitude déduite en 1794


des opérations faites à bord du brigantin Activo , était
plus occidentale encore que celle de Malaspina . L'Ac
tivo , après avoir examiné les côtes de Sonzonate et de
Soconusco , fixa la longitude d'Acapulco à 102 °25′ 30″:
mais nous ignorons sur quel genre d'observations cette
longitude se fonde 6h48′23″. Tout récemment deux
navigateurs instruits et munis d'excellens instrumens ,
le capitaine Basil Hall ** et M. Henry Foster ont trouvé
chronométriquement Acapulco de 5°24′40″ à l'est de
San Blas , par conséquent , par la longitude de

Cette longitude chronométrique de 102° 22′ se trouve aussi sur


le plan détaillé du port d'Acapulco dressé par l'expédition de Malas
pina, et copié à l'école royale du pilotage de Lima. Il paraît , en
effet , que les astronomes de l'expédition de Malaspina avaient
d'abord adopté sur toutes les côtes de la mer du Sud , des positions
beaucoup plus occidentales que celles auxquelles s'est arrêté depuis le
Dépôt des travaux hydrographiques de Madrid. La différence s'élève
pour Acapulco à 20' , pour Guayaquil à 16′ , pour Pamana et Realexo
à 18' en arc.
*** Hall on South-America , vol. 11 , pag. 379.
48 INTRODUCTION

102° 14'2 " en supposant le port de San Blas, d'après une


occultation d'étoiles , 107° 38′42″. Ce résultat ne dif
fère que de 18″ en temps de la longitude d'Acapulco
que donnent mes distances de la lune au soleil : la
différence devient moindre encore ; si , comme nous le
verrons bientôt , San Blas est un peu plus oriental ,
que le suppose M. Hall . Il résulte de l'ensemble de

ces observations , par deux occultations d'étoiles , cal


culées en corrigeant les tables, 648′40″, et 6¹49′0″ ;
par les huit satellites de Jupiter , 6¹48′58 ″ ; par
mes distances lunaires 6h48′33 ″ ; par mon chrono
mètre , 6h48′48 ″ ; par le chronomètre du capitaine
Basil Hall , 648′56 ″ . L'accord des observations
astronomiques absolues n'est pas aussi grand que l'on
devrait le desirer. Le résultat des deux occultations
d'étoiles diffère de 20″ , ce qui suppose des circon
stances assez défavorables ; et je conclus qu'Acapulco ,
moins bien déterminé que la Vera-Cruz , oscille en
core entre 648′38″ , et 6h48′56 ″. Ces limites
peuvent cependant être regardées comme assez étroites
si l'on réfléchit sur l'état général de la géographie
astronomique de l'Amérique espagnole.
Il se trouve dans les archives de la vice-royauté à
Mexico une note écrite de la main d'un des astro
nomes de l'expédition de Malaspina ; elle indique que

l'on crut alors pouvoir conclure de quelques éclipses


de satellites observées à-la-fois à la capitale et à Aca
pulco , une différence de méridiens de 2′ 21″ en temps.
Or , en plaçant Mexico d'après l'ensemble de mes
GÉOGRAPHIQUE .
49
observations par les 6h45'42" de longitude , on
trouverait 6h48′3″ par le port d'Acapulco , ce qui

est 47" de moins que donnent les deux occultations


d'étoiles observées à Acapulco en 1791 , et calculées
d'après les tables les plus récentes. La distance de la
capitale à Acapulco est certainement plus grande que
2′21 ″, quoique peut-être moindre aussi que les 2'54"
que donna mon garde-temps , fatigué par cinq années
de marche , et passant rapidement , dans un terrain
montagneux , des chaleurs extrêmes de la côte aux
frimas de Guchilaque , c'est-à- dire d'une température
de 36° à une autre de 5º du thermomètre centigrade .
Anciennement on avait coutume de placer Aca

pulco à quatre degrés plus à l'ouest dans la Mer du Sud:


même, Jean Covens et Corneille Mortier , dans leur carte
de l'archipel du Mexique , font la longitude d'Acapulco
106'10'0". Les anciennes cartes du Dépôt français
de la marine s'arrêtent à 104°o' . Il est curieux de
voir comment cette longitude est devenue peu à peu
plus orientale . Bonne , dans le mémoire géographique

qui est joint à l'ouvrage de Raynal , s'arrête à 103'0';


Arrowsmith , en 1803 , à 102 ° 44′.
La Connaissance des temps pour l'an 1808 , tout
en fixant Acapulco assez bien en long . ( 102 ° 19′30″) ,
assigne à ce port une latitude trop australe de 10'.
Cette erreur est d'autant plus frappante , qu'avant

l'expédition de Malaspina , on faisait cette latitude


17°20′, ou 17°30' , comme le prouvent les cartes de
D'Anville, celles du Dépôt de la marine , et plus ancien
I.
4
50 INTRODUCTION

nement ( en 1540 ) le plan du pilote Domingo de


Castillo. Du temps de Cortez , on crut la capitale de
Mexico de trois degrés à l'ouest d'Acapulco , presque
dans le méridien du port de los Angeles. Il se peut
que les cartes que les indigènes eux-mêmes avaient
construites de leurs côtes , et que l'empereur Monte
zuma présenta aux Espagnols, aient donné lieu à cette

opinion . J'ai trouvé , parmi les manuscrits hiérogly


phiques de la collection de Boturini , conservés au
palais du vice-roi du Mexique , non la carte des côtes
occidentales , mais bien un plan très curieux des en
virons de la capitale. Dans ces derniers temps , les
personnes qui s'occupaient d'astronomie à Mexico
admettaient , comme certain , que la capitale et le port
d'Acapulco étaient placés sur un même méridien.

Route de Mexico à Acapulco.

Après avoir fixé la position des trois endroits prin


cipaux du royaume , jetons un coup -d'œil sur les deux

chemins qui vont depuis la capitale jusqu'à la Mer du


Sud et à l'Océan Atlantique. On pourrait nommer le
premier le chemin d'Asie , et l'autre celui d'Europe ;
ces dénominations désigneraient la direction du com
merce maritime de la Nouvelle - Espagne. J'ai déter
miné , sur ces deux routes très fréquentées , dix- sept
points , soit en latitude , soit en longitude.
Village de Mescala. J'en ai trouvé la latitude par
la culmination d'Antarès , 17°56′4″ , et la longitude
GÉOGRAPHIQUE. 51

par le garde-temps , 6h47'30", en supposant Aca


pulco 6h48′38″. La ville de Chilpanzingo , d'après
des angles pris à Mescala , paraît se trouver par
17°36′ de latitude et par 6h47′7″ de longitude .
Venta de Estola , maison isolée au milieu d'un
bois près d'une belle fontaine . J'y ai pris quelques
hauteurs de soleil : le chronomètre donna 647'10"
de longitude .
Le village de Tepecuacuilco . Latitude trouvée par la
méthode de Douwes , incertaine à 3′ près , 18°20′0″ ;
longitude , 6h 47′ 26″.
Village de Tehuilotepec . Longitude , 6h47′26″.
De doubles hauteurs de soleil m'ont donné , pour la
latitude , 18°38′ ; mais cette latitude , fondée sur

des mesures graphométriques , est incertaine de plu


sieurs minutes. La position de Tehuilotepec est inté
ressante à cause de la proximité des grandes mines
de Tasco .

Pont d'Istla , dans les grandes plaines de S. Gabriel.


Je le trouvai 18 °37′41″ de latitude , et 6h46′33″ de
longitude.
Village de San Agustin de las Cuevas. Longitude ,
6h 45'48" ; latitude , 19° 18′37″. Ce village termine à
l'ouest la grande vallée de Mexico .
Il sera utile , pour la connaissance détaillée du pays,

d'ajouter les distances que les indigènes , surtout les


muletiers qui vont par caravanes à la grande foire
d'Acapulco , comptent d'un village à l'autre. Connais
sant la vraie distance de la capitale au port , et suppo
4.
52 INTRODUCTION

sant un tiers de plus pour les détours dans un chemin


assez droit et d'un accès facile , on trouvera la valeur
des lieues usitées dans ces contrées . Cette donnée est

intéressante pour les géographes qui , dans des régions


peu visitées , doivent tirer parti de simples journaux
de route. Il est évident que le peuple raccourcit les
lieues à mesure que les difficultés du chemin augmen
tent. Cependant , sous des circonstances égales , on
peut avoir quelque confiance dans les jugemens que
les muletiers portent sur les grandeurs comparatives ;
ils ignorent si leurs bêtes de somme font deux ou
trois mille mètres dans l'espace d'une heure , mais ils

connaissent les parties aliquotes. Une longue habitude


leur a enseigné si une distance est le tiers , ou le quart,
ou le double de l'autre.
Les muletiers mexicains évaluent le chemin d'Aca

pulco à Mexico à cent dix lieues. Ils comptent d'Aca


pulco au Passo d'Aguacatillo , 4 lieues ; el Limon ,
3 lieues ; los dos Aroyos , 5 ; Alto de Camaron , 4 ;
la Guarita de los dos Caminos , 3 ; la Moxonera , ;;

Quaxiniquilapa , 2 ; Acaguisotla , 4 ; Masatlan , 4 ;


Chilpanzingo , 4 ; Sumpango , 3 ; Sopilote , 4 ; Venta
vieja , 4 ; Mescala , 4 ; Estola , 5 ; Palula , 1 ; la
Tranca del Conexo , 1 ; Cuagolotal , 1 ; Tuspa ou
Pueblo nuevo , 4 ; los Amates , 3 ; Tepetlalapa , 5 ;
Puente de Istla , 4 ; Alpuyeco , 6 ; Xuchitepeque , 2 ;
Cuernavaca , 2 ; S. Maria ,; Guchilaque , 2 ÷ ;
Sacapisca , 2 ; la Cruz del Marquès , 2 ; el Guarda , 2 ;
Axusco , 2 ; San Augustin de las Cuevas , 3 ; Mexi
GÉOGRAPHIQUE. 53

co , 4. Dans ce journal de route , les points où j'ai


fait des observations astronomiques sont marqués en
caractère italique , et les nombres indiquent de com
bien de lieues un endroit est éloigné de celui qui
précède immédiatement . D'autres journaux que l'on
distribue aux voyageurs qui arrivent par la Mer du
Sud , soit des îles Philippines , soit du Pérou , évaluent
la distance totale à 104 ou 106 lieues. Or , elle est

en ligne droite , d'après mes observations , de 151,766


toises . En l'augmentant d'un quart pour les détours , on
aurait 189,708 toises , ou 1725 toises pour une lieue de
muletiers mexicains.

Route de Mexico à Vera- Cruz.

J'ai déterminé sur cette route treize points , soit


par des moyens purement astronomiques ; soit par
des opérations géodésiques , surtout par des azimuths
et des angles de hauteurs . M. Oltmanns a conclu de

mes observations la position de la Venta de Chalco ,


au bord oriental de la grande vallée de Tenochtitlan ,
19° 16′8″ ; celle de la Puebla de los Angeles ( près
de la cathédrale ) , 19° 0′ 15″ de latitude , et 6h41′31 ″
= 100° 22′45″ de longitude ; de la Venta de Sotto
19° 26' 30" ; du village de Perote , près de la for
teresse du même nom 19° 33′ 37″ de latitude , et
6h 38′ 15″ de longitude ; du village de las Vigas "

19° 37′36″ ; enfin la position de la ville de Xalapa ,


19° 30'8" de latitude , et 6h 36′59″,6 - 99° 14′54″ de
1

54 INTRODUCTI
ON
longitude. Don Jose Joacquin Ferrer qui , long-temps
avant moi , a déterminé plusieurs points dans les
environs de Vera-Cruz et Xalapa , a trouvé , pour
la dernière ville , 19° 31'10" de latitude , et 99° 15′5″
de longitude. Nous avons , tous les deux , observé

près du couvent de St. - François , et l'accord entre


nos observations est on ne peut pas plus satisfaisant .
Dans cette région fertile et cultivée , quatre monta
gnes , dont trois sont perpétuellement couvertes de
neige, méritent la plus grande attention . La connaissance
de leur position exacte sert à lier plusieurs points inté
ressans pour la géographie de la Nouvelle-Espagne.
Les deux volcans que l'on distingue par les noms de
la Puebla ou de Mexico ( le Popocatepetl et l'Iztac
cihuatl ) , ont été appuyés à la capitale et à la руга
mide de Cholula . Je trouve pour le Popocatepetl ,
18'59'47" de latitude , et 6h43′33″ -100 ° 53′15″ de
longitude ; pour la Sierra Nevada ou l'Iztaccihuatl ,
19° 10'0 " de latitude , et 6h43′40″ - 100° 55'0"
de longitude. M. Costanzo avait conclu d'une série

d'opérations géodésiques , 19° 11'43" pour la latitude


de l'Iztaccihuatl , et 19° 1′54″ pour celle du Popo
catepetl. Comme les opérations de cet ingénieur ont
été faites par le moyen d'une boussole , et comme
la déclinaison magnétique est dépendante d'un grand
nombre de petites causes locales , il faut s'étonner de
l'exactitude des résultats qui ont été obtenus. Ces deux
montagnes colossales , et le Volcan ou Pic d'Orizaba ,

sont visibles depuis le plateau de la pyramide de Cho


GÉOGRAPHIQUE. 55

lula dont j'ai tâché de déterminer avec soin la position.


J'ai trouvé la chapelle qui couronne ce monument
antique , par 19" 2'6" de latitude , et 6h 42′ 14″ =
100° 33' 30" de longitude .
M. Ferrer avait conclu la position du Cofre de Perote
de plusieurs opérations géodésiques faites depuis l'En
cero et Xalapa : il trouva 19° 29′ 14″. Je suis parvenu,
malgré la rigueur de la saison , à porter des instru
mens , le 7 février 1804 , à la cime de cette montagne,
qui est de 384 mètres plus élevée que le Pic de
Ténériffe. J'y ai observé la hauteur méridienne du
soleil , qui a donné pour l'Alto de los Caxones situé
43″ en arc au nord de la Peña del Cofre, 19° 28′57″ de
latitude. La longitude a été trouvée par M. Oltmanns ,
en se servant des angles que j'ai pris entre le Cofre
et le Pic d'Orizaba , de 6h 37′ 54
″, 6 = 99°28′39″, lon
gitude qui diffère presque de 26" en temps de celle
qu'avait fixée M. Ferrer. Récemment dans un tableau
de positions que cet habile astronome a communiqué
à M. Arago , il s'arrête pour le Cofre à 19°28′54″ de
latitude et 99°26′55″ de longitude , ce qui s'accorde
à 6" près avec les résultats de mes observations .
La connaissance exacte de la position du Pic
d'Orizaba est surtout importante pour les naviga
teurs lors de leur atterrage à la Vera-Cruz. La
carte du golfe du Mexique publiée , en 1799 , par le
Dépôt hydrographique de Madrid , place cette mon
tagne d'un degré trop à l'est , par 100 °29′45″ de
longitude . Des angles de hauteurs et d'azimuths que
56 INTRODUCTION

j'ai pris , ont donné à M. Oltmanns 192'17 " de la


titude, et 99°35′15″ = 6h38'21' de longitude . Mais ,
long - temps avant moi , des marins espagnols ont
presque déjà connu la vraie position du Pic d'Orizaba.
Il paraît que l'erreur de la carte du Seno Mexicano ,
qui a passé dans la carte francaise * , doit être attribuée
à quelque méprise de la part du graveur. Aussi se
trouve-t-elle corrigée dans l'édition que le savant

M. Bauzà a faite de la carte espagnole en 1803. Le


nom de la capitale de Mexico y est effacé , et le Pic
d'Orizaba y est placé par 99° 47′30″ de longitude.
M. Ferrer fixe cette montagne, comme le prouvent des

manuscrits que je possède , et qui ont été rédigés


en 1793 , par 19°2′1 ″ de latitude et 99 ° 35′35″ de
longitude. Plus tard ** il s'est arrêté à 99°33′5″. Le
même résultat fut aussi obtenu par M. Isasvirivill , dont
j'ai eu occasion de reconnaître la grande exactitude ,
ayant observé avec lui à Lima et au Callao en 1802 .
Il paraît étonnant que , pour cette partie de la
Nouvelle- Espagne que nous analysons , la carte la plus
récente , celle qui porte le nom d'un auteur justement
estimé , soit la plus fausse de toutes . Je parle de la
grande carte anglaise qui porte le titre : Chart ofthe
West-Indies and spanish Dominions in North
America , by Arrowsmith , publiée en juin 1803.

* Carte des côtes du golfe du Mexique , d'après les observations


des Espagnols , an ix.
** Connaissance des temps pour 1817 , p. 302 , ou la latitude du
Pic, sans doute par erreur , est indiquée 19° 12′ 17″.
GÉOGRAPHIQUE. 57

Depuis Mexico jusqu'à Vera-Cruz , les noms y pa


raissent jetés comme au hasard. La position du Pic
d'Orizaba y est indiquée d'une manière qui peut être
dangereuse pour les navigateurs. La table suivante

présente les positions des points principaux , tels que


cette carte les indique. J'y ai ajouté le résultat de mes
observations astronomiques. Les longitudes y sont
comptées à l'est de la ville de Vera-Cruz , pour ne
pas faire entrer dans cette comparaison la position
absolue du dernier port.

RÉSULTATS
CARTE D'ARROWSMITH . DES
OBSERVATIONS ASTRONOMIques.
Latitude. Longit. Latitude. Longitude.

Mexico.. 19°57' 3°38' Mexico.. . 19°25'45" 2°56'30"

Volcan deMexi
CO. 19°33' 3°0′ Popocatepetl. 18°59'47" 2°24'15"

Puebla. 19°33' 2°25' Puebla. 19°0'15" 1°53'45"

Mont Orizava. 20°3' 1°50' Pic d'Orizaba. 19°2'17" 1°6′15"

Volcande Tlas
cala. 19°33' 1°54'

Perote. 19°48' 1°37' Perote. 19°33'37" 0°59'45"

False Orizaba. 19°51' 1°12'

Xalapa. · · 19°36' 10' Xalapa. 19°30'8" 0°45'54"


58 INTRODUCTION

Les erreurs de latitude sont , par conséquent , de

plus d'un demi-degré. Il est difficile de deviner ce


qu'on a voulu désigner dans la carte d'Arrowsmith de

1803 ( car celle de 1805 n'est qu'une copie de la


mienne ) , par les trois montagnes nommées Orizava ,
False Orizaba et Volcan de Tlascala . Elles sont toutes

indiquées au nord-ouest du port de la Vera-Cruz ,


tandis que le vrai Pic d'Orizaba ( et les Mexicains

n'en connaissent qu'un seul , appelé dans la langue


azteque Citlaltepetl ) est au sud-ouest de Vera-Cruz,
entre la ville de Cordoba et les villages de San Andres,
San Antonio , Huatusco et St. Jean Coscomatepec.
On a ajouté au False Orizaba la note « visible au
large , à quarante-cinq lieues de distance ». Or , le
Citlaltepetl est la cime que les navigateurs voient la
première en s'approchant des côtes de la Nouvelle

Espagne : par conséquent , on pourrait croire que le


savant géographe anglais l'ait nommé False Orizaba.
Mais , en ce cas , la latitude de cette montagne pro
blématique serait fausse d'un degré , et l'Orizaba serait
à sept lieues marines au nord de la ville de Xalapa ,
tandis que dans la réalité il en est à douze au sud-sud

ouest. Peut-on admettre que le Pic d'Orizava d'Arrow


smith soit le Cofre de Perote ? Mais encore le Cofre est

au sud-est , et non au nord-ouest du village de Perote.


Cette fable de deux montagnes appelécs Orizaba se
trouve d'ailleurs déjà dans l'atlas de Thomas Jefferys
( The West-Indian Atlas , London , 1794 ) , où l'on
a prétendu donner des renseignemens détaillés sur le
GÉOGRAPHIQUE . 59
chemin de Vera-Cruz à Mexico . Les latitudes y sont
fausses de 36'. La différence en longitude entre le port

et la capitale y est indiquée de 2 °29′ , au lieu de


3°38′ que donne la carte d'Arrowsmith , et au lieu
de 2 ° 56′30″ qui résultent de mes observations astro
nomiques. De même il est peu probable que le Volcan
de Tlascala indiqué dans la carte anglaise de 1803 ,
soit la Sierra de Tlascala , appelée dans le pays Ma
linche ; car cette Sierra n'est ni remarquable par son
élévation , ni très éloignée de la Puebla. Cette con
fusion est d'autant plus étonnante , qu'en 1803 on
pouvait connaître à Londres les belles observations
de Don Jose Joacquin Ferrer publiées * en 1798 , de

* Ephémérides géographiques de M. de Zach, 1798 , T. II. p. 393.


C'est en suivant cet ouvrage que je cite les résultats obtenus par
M. Ferrer. Ils ne sont pas toujours en harmonie avec les manuscrits
que, vraisemblablement d'après des calculs moins soignés , cet
excellent et infatigable navigateur avait rédigés sur les lieux mêmes,
et dont je conserve les copies. J'ai cru devoir faire cette observation
pour rappeler aux personnes qui se sont , souvent contre mon gré,
procuré des copies de mes travaux , que ce n'est qu'après avoir
calculé toutes les observations que l'on peut s'arrêter à un ré
sultat exact. ( Depuis la première édition de l'Essai politique ,
M. Ferrer a publié dans la Connaissance des temps pour 1817 les
derniers résultats de ses observations mexicaines : Nueva Vera- Cruz ,
lat. 19° 11'52" , long. 98°28'15" ; Pico de Orizaba , lat. 19°2′17″ ,
long. 99°33'5" ; Cofre de Perote , lat. 19 28′54″, longitude 99°26′55″ ;
Xalapa , latitude 19°30'57" , longitude 99° 12'55" ; Encero , latitude
19°28'8" , long. 99°6'39" ; Tampico , Barra , lat. 22° 15'30" , long.
100° 12′15″ ; Nuevo Santander , Barra , latitude 23°45′18 ″ , long.
100° 18′45″ ; Alvarado , 18°34'16" , long. 94°59'30" ; Campeche , lat.
19°50'14" , long. 93 ° 53′21 ″. )
60 INTRODUCTION

même que les cartes dressées par le Deposito hidro

grafico de Madrid. J'entre dans le détail de ces erreurs,


pour prouver quel a été l'état de la géographie du
Mexique , lorsque j'ai commencé à en faire l'objet de
mes travaux. Même en Espagne , dans la métropole
des colonies , M. Antillon plaça en 1802 , dans sa
carte de l'Amérique septentrionale , la Puebla de 32'
au sud de sa véritable position .

Points situés entre Mexico , Guanaxuato et


Valladolid.

J'ai déterminé dans deux excursions que j'ai faites ,


l'une aux mines de Moran et aux cimes porphyriques
d'Actopan , l'autre à Guanaxuato et au Volcan de
Jorullo dans la province de Mechoacan , la position
de dix points dont les longitudes se fondent presque
toutes sur le transport du temps. Ces points m'ont
servi à présenter avec quelque exactitude une grande
partie des trois intendances de Mexico , de Gua
naxuato et de Valladolid. La longitude de la ville de
Guanaxuato a été vérifiée par des distances de la
lune au soleil , qui ont donné 653'75 . Sa latitude ,
déduite de l'observation de a de la Grue , est de
21 °0′9″ ; par Fomalhaut , 21 ° 0′28″; par ẞ de la Grue ,
21 ° 0' 8". Les Pères jésuites , dans leur carte gravée
à la Puebla en 1755, placèrent Guanaxuato par 22 °50'
de latitude et 112 °30' de longitude, erreur de go ! M. Ve
lasquez , qui a observé des éclipses de satellites de
GÉOGRAPHIQUE. 61

Jupiter à Guanaxuato , trouve cette ville 1 ° 48′ à l'est


de Mexico , mais par 20° 45′ 0″ de latitude , comme
le prouve sa carte manuscrite de la Nouvelle- Espagne.

Cette erreur de latitude d'un quart de degré est d'autant


plus extraordinaire , que la différence en longitude
qu'admet l'astronome mexicain , est , à une minute en
arc près , la même que celle qui résulte de mes me
sures chronométriques.
Quant à la latitude de la ville de Toluca , je l'ai
trouvée par a
& de la Grue , 19° 16′24″, par Fomalhaut ,

19° 16′13″. J'ai tâché , autant qu'il était possible, d'ob


server constamment les mêmes étoiles de l'hémisphère
austral pour diminuer l'erreur qui résulterait de l'in
certitude de leur déclinaison.
La position du Nevado de Toluca , la latitude de
Patzcuaro , ville située au bord du lac de ce nom ,
celles de Salamanca , de San Juan del Rio et de Tisayu
ca, se fondent sur des observations moins précises. Il
est des circonstances sous lesquelles la méthode de
Douwes nedonne que des résultats approximatifs; mais,
dans un pays qui présente si peu de positions fixes ,
il faut souvent se contenter de résultats moins certains .

Je crois pouvoir assurer que les longitudes de Quere


taro , de Salamanca et de San Juan del Rio méritent
assez de confiance. Je les trouve , par le transport du
temps , 102 °30′30″ ; 103 ° 16′0″ ; 102 ° 12′15″. Les
latitudes de ces trois villes paraissent être 20°36′39″ ;
20°40′ , et 20°27'.
Dans la vallée de Mexico même , il existe plusieurs
62 INTRODUCTION

points très importans , dont la position a été déter


minée par Velasquez , géomètre mexicain très distin

gué. Cet homme infatigable exécuta , en 1773 , un


nivellement auquel était joint un travail trigonomé
trique ; il voulut prouver que les eaux du lac de Tez
cuco peuvent être conduites au canal de Huehuetoca.

M. Oteiza a calculé sur les lieux les triangles de Velas


quez , dont je possède les manuscrits. M. Oltmanns

vient de répéter ces calculs ; il a assujéti les positions


des signaux à la latitude et à la longitude que j'a
dopte pour le couvent de Saint-Augustin dans la capi
tale de Mexico . Ce sont ces derniers résultats obtenus

par M. Oltmanns , que contient mon tableau de posi


tions géographiques. Il ne reste aucun doute sur les
distances obliques ; mais le manque d'observations d'a
zimuths rend un peu incertaine la réduction aux
perpendiculaires ou les différences en latitude et en
longitude. Nous reviendrons sur cet objet dans l'ana
lyse de la carte des environs de Mexico .
Dix-sept positions fixées par M. Ferrer dans les
environs de Vera-Cruz dépendent de la longitude de

ce port. Cette longitude ayant été supposée par moi


de 10° 45′ plus occidentale que ne l'indique l'astro
nome espagnol , j'ai cru devoir réduire au méridien
de Paris les longitudes que M. Ferrer a publiées , en
ajoutant 8°47′15″ ; car cet observateur avait calculé

ses distances lunaires , d'après la Connaissance des


temps , à une époque à laquelle on croyait Cadiz
de 8°36′30″ à l'occident de Paris. C'est aussi d'après
GÉOGRAPHIQUE. 63

ce même principe que j'ai changé les longitudes


absolues de Xalapa , du Cofre de Perote et du Pic
d'Orizaba , dont nous avons parlé plus haut. M. Ferrer
place , par exemple , ce dernier pic par 90°48′23″
de longitude à l'ouest de Cadiz , tandis que , d'après
ce même méridien , il fixe la Vera-Cruz par 89° 41'45.

Ancienne et Nouvelle Californie , Provincias


internas.

La partie nord-ouest de la Nouvelle-Espagne , les


côtes de la Californie et celles que les Anglais appellent
de la Nouvelle-Albion , offrent plusieurs points déter
minés avec précision par les opérations géodésiques
et astronomiques de Quadra , de Galiano et de Van
couver. Peu de cartes de l'Europe sont mieux relevées

que celles de l'Amérique occidentale , depuis le cap


Mendocino jusqu'au détroit de la Reine Charlotte.
Cortez , après avoir fait faire deux voyages de
découvertes en 1532 et 1533 , par Diego Hurtado de

Mendoza , Diego Becerra et Hernando de Grixalva ,


reconnut lui-même , en 1533 , les côtes de la Califor
nie et le golfe qui , depuis cette époque , a porté le
nom de la Mer de Cortez * . En 1542 , l'intrépide Juan
Rodriguez Cabrillo poussa au nord jusqu'aux 44° de
latitude ; les îles Sandwich furent découvertes par
Juan Gaëtan ; en 1582 , Francisco Gali découvrit la

' Gomara , Hist. , cap. 12.


64 INTRODU
CTION
côte nord-ouest de l'Amérique par les 57 ° 30 ' de
latitude. Il résulte de ces données , que long - temps
avant que Cook fit connaître la partie du Grand
Océan dans laquelle il périt victime de son zèle , les
navigateurs espagnols avaient visité ces mêmes régions.
Leur nom n'a point acquis la célébrité qui leur était

due. Une politique étroite s'y est opposée , et la na


tion espagnole n'a pu jouir de toute la gloire que les
navigateurs courageux du seizième siècle lui avaient

préparée. Les causes de ces mystères qui enveloppent


les premières découvertes des Castillans , ont été dis
cutées dans l'Introduction historique du Voyage de
Marchand, et dans celle qui accompagne le Précis des
expéditions espagnoles entreprises pour la découverte
du détroit de Fuca.

Le passage de Vénus en 1769 , donna lieu au


voyage de MM. Chappe , Doz et Velasquez , trois
astronomes dont le premier était Français , le second
Espagnol , le troisième Mexicain , et ce qui plus est ,
élevé par un Indien très intelligent du village de
Xaltocan. Ce voyage est devenu important pour les
longitudes ; car , avant l'arrivée des astronomes en
Californie , les latitudes du cap San Lucas et de la
mission de Santa Rosa avaient déjà été déterminées
avec assez de précision par Don Miguel Costanzo ,
aujourd'hui brigadier et chef du corps d'ingénieurs .
Cet officier respectable , qui s'occupe avec le plus
grand zèle de la géographie de son pays , trouva , par
des gnomons et des octans anglais d'une construction
GÉOGRAPHIQUE. 65

très parfaite , San Jose , 23°2′o" ; le cap San Lucas ,


22° 48′10″. On avait cru jusqu'alors , comme le
prouve la carte d'Alzate , San Jose par 22 ° 0′ de la
titude.
Le détail des observations de l'abbé Chappe , pu

bliées par Cassini , n'inspirent pas une entière con


fiance. Muni d'un quart de cercle de trois pieds de

rayon , Chappe trouva la latitude de San Jose par


Arcturus , 23°4′1 ″ ; par Antares , 23°3′12 ″: Le mi
lieu de toutes les observations d'étoiles diffère du
résultat tiré des passages du soleil par le méridien , de
31". Parmi les observations solaires , il y en a dont les

extrêmes s'éloignent de 1′19″. Cependant M. de Cassini


les nomme «< très exactes et très d'accord entre elles * ».

Je cite ces exemples , non pour décréditer des astro


nomes qui ont tant d'autres titres à notre estime ,
mais pour prouver qu'un sextant de cinq pouces de

rayon aurait été plus utile à l'abbé Chappe que son

quart de cercle de trois pieds de rayon , difficile à


établir et à vérifier. Don Vicente Doz place San Jose
par 23° 5′15″ de latitude. La longitude de ce village
célèbre dans les annales de l'astronomie , a été déduite
du passage de Vénus et de quelques éclipses de satellites
de Jupiter , observés par Chappe et comparés aux
Tables de Wargentin . M. de Cassini la fit , terme
moyen, 7h28′10″, ou 112 °2′30″ ; le père Hell, 7h37′57″.
La longitude qui résulte des observations de Chappe

* Voyage en Californie , p. 106.


I. 5
66 INTRODUCTION

est de 3° 12 ′ plus orientale que celle adoptée en 1768


dans la carte d'Alzate * . Velasquez , l'astronome mexi
cain , s'était fait construire un petit observatoire au
village de Ste. Anne , où il observa seul le passage de
Vénus , en communiquant le résultat de son observa
tion à l'abbé Chappe et à Don Vicente Doz . Ce résul
tat , publié par M. de Cassini , est très conforme aux
observations manuscrites que je me suis procurées à

Mexico ; il pourrait servir pour déterminer la longi


tude de Ste. Anne. D'ailleurs , Velasquez connaissait,
avant l'arrivée de Chappe , l'énorme erreur de la lon
gitude de Californie ; il avait observé plusieurs éclipses
de satellites de Jupiter en 1768 à la mission de Santa
Rosa **, et il transmit aux astronomes européens
la véritable longitude de la Péninsule , avant que
ceux-ci eussent pu exécuter aucune de leurs obser
vations.
La position du cap San Lucas , appelé , du temps
de Cortez , Cabo de Santiago ***, a été déterminée par
les navigateurs espagnols. J'ai trouvé dans des manu
scrits **** conservés dans les archives de la vice - royauté

* Nouvelle Carte de l'Amérique septentrionale , dédiée à l'Académie


royale des sciences de Paris , par Don Joseph Antoine de Alzate et
Ramirez , 1768.
** Estado de la Geografia de la Nueva España y modo de perfeccio
narla , por Don Jose Antonio de Alzate. ( Periodico de Mexico , di
ciembre 1772 , nº 7 , p. 55. )
✰✰✰
Mapa de California , por Domingo de Castillo , 1541 .
**** M. de Asanza, vice-roi du Mexique , avait chargé M. Casasola,
GÉOGRAPHIQUE. 67

de Mexico , et rédigés par ordre du chevalier d'Asanza,


que M. Quadra avait trouvé le cap S. Lucas par
22 °52′ de latitude, et de 4°40′ à l'occident du port de
S. Blas , ce qui , en plaçant S. Blas avec Malaspina par
107°41′30″, donne , pour le cap le plus méridional
de la Californie , 112 ° 21 ' 30" . L'expédition de Malas
pina fixa (selon M. Antillon) le cap S. Lucas aussi par
22°52′ de latitude, mais par 112 ° 16′47″ de longitude.
Cette position chronométrique a été adoptée dans l'At
las qui accompagne le Voyage des Espagnols au détroit
de Fuca ; elle est toutefois de 17′15″ plus occidentale
que celle qui a été publiée ( j'ignore sur quelle
autorité ) dans la Connaissance des temps pour 1808 .
J'ai adopté entre San Jose et le cap une différence de
méridien de14'17" ; mais il faut observer que ces deux

lieutenant de frégate de la marine royale , de réunir en quatre


manuscrits tout ce qui a rapport aux navigations exécutées au nord
de la Californie sous les vice-rois Bucarelli , Florez et Revillagi
gedo. Ces travaux consistent, 1 ) dans un atlas de vingt-six cartes
dressé sur les observations de MM. Perez , Canisarez , Galiano ,
Anadra et Malaspina ; 2 ) dans un grand volume in-folio qui porte
le titre : Compendio historico de las navegaciones sobre las costas sep
tentrionales de California , ordenado en 1797 en la ciudad de Mexico ;
3) dans le voyage à la côte nord- ouest de l'Amérique , exécuté par
Don Juan Francisco de la Bodega y Quadra , commandant les
frégates Sta. Gertrudis , Aranzasa, Princesa, et la goëlette Activa ,
1792 ; et 4) dans un Reconocimiento de los quatro establecimientos
russos al norte de la California en 1788 , expédition faite par ordre
du vice-roi Florez , et décrite par Don Antonio Bonilla. Une partie
de ces matériaux précieux , que j'ai pu examiner dans les archives
à Mexico , ont été rendus publics dans la Relacion del Viage de
las Goletas Sutil y Mexicana, publiée à Madrid en 1802.
5.
68 INTRODUCTION

points n'ayant pas été rapportés l'un à l'autre , mais


ayant été fixés par des observations indépendantes , il
peut y avoir une erreur dans leur distance respective.
D'après des renseignemens que m'ont donnés des per
sonnes qui ont visité ces lieux arides et déserts , il
paraît que la différence de longitude est un peu plus
grande que je l'ai faite. Du temps de Cortez , on crut le
cap S. Lucas par les 22 ° 0' de latitude et 10 ° 50' à l'ouest
du méridien d'Acapulco, longitude relative qui est juste
à un demi-degré près . M. Oltmanns a calculé de nou
veau, d'après les tables astronomiques les plus récentes ,
le passage de Vénus observé par l'abbé Chappe à San
Jose. Il trouve pour ce village , 728′1 ″, 6 ; les sa
tellites avaient donné 728′7″, 5 , et San Jose étant de
38″ en temps à l'est du cap San Lucas , on doit placer
ce cap par 112 ° 10'38 " de longitude et 22 °52′28″
⭑ fixe le port de San
de latitude. M. Oltmanns
Blas , d'après l'émersion d'un seul satellite et la fin
d'une éclipse de lune observés par les officiers de
l'expédition de Malaspina , à 107°35′48″ de longitude
(et 21 °31'15" delat .) . Une occultation d'étoile a donné
récemment au capitaine Basil Hall ** 107°39′42″.


Humboldt, Rec. d'observations astronomiques : T. II , p. 613-616.

** Basil Hall, Extractsfrom a journal written on the coast of Chili ,


Peru and Mexico, 1820 ― 1822. ( Edinb. 1824. ) Vol. II , p. 379.
Ce navigateur fait la latitude de San Blas 21 ° 32′ 24″ ; le cap Cor
rientes , lat. 20° 24′ o" , long. 108° 2 ' 41 " ; un pic très élevé que l'on
crut être le Volcan de Colima , lat . 19° 36′ 20 ″ , long. 105° 56′ 44″.
J'avais fait , d'après Malaspina , sur ma carte , le cap Corrientes ,
lat. 20° 25′ 30″ , long. 107° 55′ 51″ , position qui s'accorde très bien
GÉOGRAPHIQUE.
69
Les côtes de la Nouvelle-Californie ont été reconnues

dans le plus grand détail par l'expédition espagnole des


goëlettes Sutil et Mexicana , entreprise en 1792. Depuis
les 30º de latitude ( depuis la mission de S. Domingo ),
elles ont été relevées par l'expédition de Vancouver.
Malaspina et l'infortuné La Pérouse ont visité Monte

rey ; les longitudes qu'ils assignent à ce port diffèrent


de 1′16″ en temps ! Quoique l'on puisse supposer que
la direction des côtes et les différences en longitude
des divers points soient parfaitement déterminés , on
se sent pourtant embarrassé en fixant les longitudes
absolues. Des observations de distances lunaires faites

par Vancouver *, placent Noutka et presque toute la

avec celle du célèbre navigateur anglais . Je ne puis prononcer


sur l'identité de la montagne relevée par le capitaine Hall avec le
Volcan de Colima. Ma carte du Mexique place ce volcan , d'après les
itinéraires par 19° 3′ de latitude et 105° 30' de longitude. J'ai
déjà fait remarquer dans la première édition de cet ouvrage ( T. II ,
p. 257 ) , que cette position est très incertaine , à cause du manque
absolu de toute observation astronomique entre Petatlan , Selagua
et les Playas de Jorullo. Si les relèvemens croisés du capitaine Hall
donnent un résultat également certain en latitude comme en longitude,
le Volcan de Colima serait aunord du parallèle du Puerto de Navidad,
et , par conséquent , bien éloigné de la Punta de Colima. Cette
position du Volcan de Colima en latitude est importante pour
le géologue : elle décidera un jour la question de savoir si le Pic
de Colima est , comme le Volcan de Tuxtla , placé hors du paral
lèle des volcans et nevados mexicains , ou si cette montagne se
trouve sur le même alignement avec le Pic d'Orizaba, le Popoca
tepetl ou Volcan de la Puebla , le Nevado de Toluca et le nouveau
Volcan de Jorullo.
* Voyage de Vancouver autour du monde , T. II , p. 46.
70 INTRODUCTION

côte nord-ouest de l'Amérique de 28′ en arc à l'est de


la position en longitude que lui attribuent Cook , Mar
chand et Valdès. Il serait très curieux d'examiner l'in

fluence des Tables lunaires de Bürg et de Burchardt


sur les observations de Vancouver dont on n'a malheu
reusement pas publié tous les détails. J'ai cru devoir

donner la préférence à la longitude absolue de Mon


terey , déduite des opérations de Malaspina , non -seu
lement parce qu'elle se fonde sur des occultations
d'étoiles et sur des éclipses de satellites , mais surtout
parce que les observations espagnoles lient , pour ainsi
dire , par le transport du temps , la Nouvelle -Californie
à l'Ancienne. Les corvettes la Discubierta et l'Atrevida,

commandées par Don Alexandro Malaspina , déter


minèrent chronométriquement la différence de longi
tude entre Acapulco , S. Blas , le cap S. Lucas et
Monterey. En adoptant la position plus orientale du
dernier port , c'est-à-dire celle qu'indique Vancouver,
le géographe se trouve incertain sur le gisement des
côtes plus méridionales. Pour éviter ces difficultés ,
j'ai placé Monterey, avec Malaspina , par 36'35′45″
de latitude et par 124° 23′45 ″ de longitude . La
Pérouse ** l'avait trouvé par des distances lunaires ,


Analisis de la Carta de Antillon , 1803 , p. 50. M. Oltmanns s'est
arrêté à 124° 11′21" par des motifs que cet habile géographe a exposés
dans le Supplément du Recueil de mes Observations astronomiques ,
vol. II, page 613.
**
Voyage , t. I , p. 3oá.
GÉOGRAPHIQUE.
7I

123°34′0″, par le garde-temps , 124°3′0″ * . Vancou


ver, déduit de 1200 distances de la lune au soleil , la
longitude de 123°54′30″. Comme ce dernier a eu le
loisir de relever le gisement des côtes avec la plus
scrupuleuse exactitude, j'ai cru pouvoir m'en tenir aux
différences de longitude qu'il indique entre Monterey
et les missions de S. Diego , S. Juan , S. Buenaven
tura , S. Barbara et S. Francisco. De cette manière ,
les positions de tous ces points ont été rapportées à

celle de Monterey. Si, au contraire , j'avais tracé toute


la côte nord-ouest d'après les seules observations de
Vancouver, j'aurais dû être tenté de rendre plus
orientale la longitude du cap S. Lucas. Il suffit ici
d'avoir indiqué la différence frappante ** qui, mal
gré tant de travaux , subsiste encore entre les opéra
tions anglaises et les opérations espagnoles. J'ai licu
de présumer que les positions absolues auxquelles

* M. Triesneker , en corrigeant le résultat obtenu par La Pérouse


au moyen des observations lunaires de Greenwich , trouve , au lieu
de 123°34'0", la longitude de 123° 42′12″. (Zach Corr. , tom. 1 , p. 173.)

** Voici les résultats définitifs des observations des plus célèbres na


vigateurs , en considérant l'ensemble de leurs travaux : Noutka , anse
des Amis, d'après Galiano et Valdès , 835′40″, 2 ; d'après Marchand
835'44", o ; d'après Cook 8h36'0"; d'après Vancouver 8,36′55″, 1 ;
moyenne 835'48" , = 128°57'1" . Monterey d'après La Pérouse
815'35 ", 6 ; d'après Malaspina 8,16'51 ",6 ; d'après Vaucouver
8b16′35 ″,0 ; moyenne 8h16′20″ , 7 = 124°5′11 ″ . On ne croirait pas
qu'une côte visitée par tant d'expéditions scientifiques puisse en
core offrir de telles incertitudes !
72 INTRODUCTION

nous nous arrêtons pour Acapulco , S. Blas et le cap


S. Lucas , sont assez précises , et que l'erreur de + 28′
en arc existe plus au nord. Une fausse supposition
dans la marche diurne d'un garde-temps , et l'état des
anciennes Tables lunaires de Mayer et de Mason ,
peuvent avoir beaucoup contribué à cette erreur.
Après avoir discuté des positions qui se fondent
sur des opérations astronomiques faites par des obser
vateurs exercés , je passe à celles qui doivent être
regardées comme douteuses , soit à cause de l'imper
fection des instrumens , soit à cause du peu de con

fiance qu'inspire le nom des observateurs , soit enfin


parce que l'on ignore si les résultats n'ont pas été tirés
de manuscrits inexactement copiés. Voici ce que j'ai
pu recueillir de ces anciennes observations astronomi
ques. Il faut les employer avec précaution ; mais elles
sont précieuses pour la géographie d'une région si peu
connue jusqu'à ce jour.
Les pères jésuites ont le mérite d'avoir les premiers
examiné le Golfe de Californie ou la Mer de Cortez.

Le père Kin, professeur de mathématiques à Ingol


stadt , et ennemi déclaré du géomètre mexicain Siguen
za , contre lequel il a publié plusieurs écrits , parvint,
en 1701 , à la jonction des grandes rivières Gila et

Colorado. Il fixa , par un anneau astronomique , la


latitude de cette Junta à 35° 30' . Je vois , par la carte
manuscrite qui a été dressée en 1541 par Domingo
de Castillo , et retrouvée dans les archives de la famille

de Cortez , qu'au milieu du seizième siècle , on con


GÉOGRAPHIQUE . 73

naissait déjà , à l'extrémité septentrionale du golfe ,


deux rivières qui paraissaient se joindre sous les 33°40'
de latitude , et que l'on appelait Rio de Buena Guia
et Brazo de Miraflores. En 1538 , le père Pedro Nadal
avait trouvé, par la hauteur méridienne du soleil , la
jonction du Gila et du Colorado , 35°o' . Fray Marcos
de Niza la fit de 34° 30' . C'est sur ces fondemens , sans

doute, que Delisle adopta 34° dans ses cartes ; mais


dans un ouvrage imprimé au Mexique * , on cite des
observations récentes , faites au moyen d'un anneau

astronomique , par deux pères de St. François très


instruits , Fray Juan Dias et Fray Pedro Font , obser
vations qui sont conformes entre elles, et qui paraissent
prouver que les Juntas sont de beaucoup plus méri
dionales qu'on ne l'a cru jusqu'ici. En 1774 , le père
Diaz obtint à la bouche du Gila , deux jours de suite ,
32°44' . En 1775 , le père Font y trouva 32°47'. Le
premier assure de plus que la simple considération
du chemin qu'il a suivi , c'est -à-dire la considération
des rumbs et des distances, fait entrevoir que les Juntas
ne peuvent pas être par les 35º de latitude . Les po

sitions que le père Font assigna , en 1777 , aux missions


de Monterey , de S. Diego et de S. Francisco , et qui
ne diffèrent que de peu de minutes des observations

de Vancouver et de Malaspina , sembleraient parler


en faveur de l'exactitude de son travail ; mais il se
peut aussi que le missionnaire ait copié simplement

Cronica serafica de Queretaro , 1792 , Prologo. p. 11.


74 INTRODUCTION

les données que des pilotes lui avaient fournies. On ne

peut rien préjuger sur la précision des observations


faites à la Junta de los Rios : car un observateur attentif
et zélé obtient souvent avec des moyens très imparfaits ,
des résultats satisfaisans. Les latitudes que Bouguer

avait prises sur les bords du Rio de la Magdalena au


moyen d'un gnomon de sept à huit pieds de haut , et

se servant pour échelle de quelques pièces de roseau ,

ne diffèrent que de quatre à cinq minutes de celles


que, soixante ans plus tard , j'y ai trouvées au moyen
d'excellens instrumens de réflexion.

Ce qui paraît moins douteux ; c'est que le père


Font, par son anneau astronomique , a très mal dé
terminé les latitudes des missions de S. Gabriel

( 32°37′ ) , S. Antonio de los Robles ( 36°2 ′ ) , et San


Luis Obispo ( 35° 17′ ) . En comparant ces positions
à l'Atlas de Vancouver , je trouve que les erreurs sont
tantôt +1°11 ' , tantôt ―― o°23 ' . Il est vrai que le navi
gateur anglais n'a pas visité lui-même les trois missions,
mais il a pu les rapporter à la côte voisine dont il
examinait le gisement . On voit par-là combien l'on doit
être en garde contre des observations faites avec des
anneaux astronomiques. Fray Pedro Font a aussi visité

l'emplacement des ruines appelées las Casasgrandes; il


les trouve par 33 30 ' . Cette position , si elle était exacte ,
serait bien importante : car les Casas grandes sont le
site d'une ancienne culture de l'espèce humaine. Il ne
faut cependant pas confondre cette seconde demeure des
Aztèques , de laquelle ils passèrent de la Tarahumara
GÉOGRAPHIQUE. 75

à Colhuacan , avec les Casas grandes ou la troisième


demeure des Aztèques , au sud du presidio de Yanos,
dans l'intendance de la Nouvelle- Biscaye. Je désirerais
connaître les observations du père jésuite Juan Hu
garte qui , en 1721 , a reconnu , selon M. Antillon ,
les erreurs des cartes de la Californie. On lui attribue

la gloire d'avoir reconnu le premier que ce vaste pays


était une presqu'île ; mais , dès le seizième siècle , per
sonne au Mexique ne niait ce fait , sur lequel , long
temps après , on a commencé de jeter des doutes en
Europe.
Je compte parmi les observations astronomiques
un peu douteuses , celles qu'ont exécutées plusieurs of
ficiers ingénieurs espagnols dans les fréquentes visites
qu'ils avaient à faire aux différens fortins situés sur
les frontières septentrionales de la Nouvelle-Espagne.
Je me suis procuré à Mexico les journaux de route
brigadier Don Pedro de Rivera, dressés en 1724 ; ceux
de DonNicolas Lafora , qui accompagna le marquis de
Rubi dans la recherche qu'il fit , en 1765, sur la ligne de
défense militaire des Provincias internas ; et le voyage

manuscrit de l'ingénieur Don Manuel Mascaro , depuis


Mexico jusqu'à Chihuahua et Arispe ** .. Ces voyageurs

En 1539 , Francisco de Ulloa , dans une expédition entreprise


aux frais de Cortez , reconnut le golfe de Californie jusqu'aux bou
ches du Rio Colorado. L'idée que la Californie était une île ne date
que du dix-septième siècle. (Antillon , Analisis , p. 47, nº 55.)

a) Derotero del Brigadier Don Pedro de Rivera en la visita que hizó de


UCTION
76 INTROD

'estimables assurent avoir fait des observations de la

hauteur méridienne du soleil. J'ignore quels instrumens


ils ont employés , et il est à craindre que les manuscrits
qui me sont parvenus ne soient pas toujours exacte
ment copiés ; car , m'étant donné la peine de calculer
les latitudes par les aires de vent et les distances indi
quées , j'ai trouvé des résultats qui cadrent souvent
assez mal avec les latitudes observées . MM. Bauzà et

Antillon , à Madrid , ont fait la même remarque. Je


regrette qu'aucune des observations de latitude faites

par les officiers ingénieurs , ne se rapporte à un endroit


dont la position ait été déterminée par M. Ferrer ou
par moi. M. Mascarò , il est vrai , a observé à Quere
taro. Nous différons de 10' pour la latitude de cette
ville ; mais mon résultat se fondant sur une méthode
analogue à celle de Douwes , il est resté douteux de 2 '.
Malgré ces incertitudes , les matériaux que je viens de
citer ne sont pas à négliger ; ils sont au contraire d'un
grand secours pour ceux qui veulent dresser la carte
d'une partie du monde si peu visitée par des voyageurs

los Presidios de las Fronteras de Nueva España en 1724. b) Itinerario del


mismo autor de Zacatecas á la Nueva Biscaya. c) Itinerario del mismo
autor desde el Presidio del Paso del Norte hasta el de Janos. d) Diario de
Don Nicolas de Lafora en su Viage á las Provincias internas en 1766.
e) Derotero del mismo autor de la Villa de Chihuahua al Presidio del Paso
del Norte. f) Derotero de Mexico a Chihuahua por el Yngeniero Don Ma
nuel Mascarò en 1778. g ) Derotero del mismo autor desde Chihuahua á
Arispe , Mission de Sonora. h ) Derotero del mismo autor desde Arispe á
Mexico en 1784. Les originaux de ces huit manuscrits se conservent
dans les archives de la vice-royauté du Mexique.
GÉOGRAPHIQUE. 77

instruits. Nous nous bornerons à discuter quelques


uns des points les plus importans .
M. Jefferson , dans son ouvrage classique sur la Vir
ginie , a tenté de fixer la position du Presidio de S. Fe
au Nouveau-Mexique ; il le croit par 38° 10' de lati
tude ; mais , en prenant le milieu entre les observations

directes faites par M. Lafora et par les pères Velez et


Escalante , on trouve 36° 12' . MM . Bauzà et Antillon ,
par une réunion de combinaisons ingénieuses , et en
rapportant S. Fe au Presidio del Altar et celui- ci aux

côtes de la Sonora , trouvent S. Fe de Nuevo Mexico ,


4° 21 ' à l'occident de la capitale de Mexico * . La carte
même de M. Antillon donne 5º de différence . Sans

avoir eu connaissance des travaux de ces habiles géo


graphes espagnols , je suis parvenu , par une autre
voie , à une différence de longitude plus considé
rable encore. J'ai fixé la longitude de Durango par

une éclipse de lune observée par le docteur Oteiza ;


cette position se trouve conforme à celle qu'avait adop
tée M. Antillon : or, supposant la latitude de Durango
de 24° 30' , et celle de Chihuahua , capitale de la Nou
velle-Biscaye, où M. Mascarò a observé long-temps , de

28° 45' , j'ai évalué la valeur des lieues indiquées dans


le journal de route du brigadier Rivera. Les distances
et les rumbs m'ont donné , au moyen d'une construc
tion graphique , pour la différence des méridiens de
Durango et Chihuahua, 53 ' , d'où résulte une différence

* Analisis de la Carta, p. 44.


CTION
78 INTRODU

de longitude de Mexico et de Santa- Fe de 5°48 '. Il est


naturel que cette différence soit , en apparence , plus

grande que celle à laquelle s'arrêtent MM. Bauzà et An


tillon ; car ces géographes placent la capitale de Mexico
de 37' en arc trop à l'ouest . Cependant la position qu'ils
assignent à Santa-Fe dépend plus encore des longitudes
de S. Blas et d'Acapulco que de celle de Mexico. Je
trouve Santa- Fe par 107 ° 13' de longitude absolue ,
MM . Bauzà et Antillon , par 107°2 ' , résultat très pro
bable et de 5° 28 ' plus oriental que la longitude qu'in
dique la carte de la Louisiane occidentale publiée
en 1803 à Philadelphie . Cette même carte est également
fausse de 4° dans la position du cap Mendocino , déter
minée par les observations de Vancouver et par celles des
navigateurs espagnols. M. Costanzo avait conclu d'un

grand nombre de combinaisons , que Santa-Fe et Chi


huahua étaient de 4°57' , et Arispe de 9° 5' à l'ouest de
Mexico. Dans toutes les anciennes cartes manuscrites

quej'ai consultées, surtout dans celles qui ont été faites


avant le retour de Velasquez de Californie, on a placé
Durango 3º à l'orient du Parral et de Chihuahua.
Velasquez réduisit cette différence de méridiens à 3'
en arc ; mais une méthode graphique , fondée sur les
journaux de route que je viens de citer , m'a donné 50'.
J'ai été satisfait de voir que sur un autre point de
la géographie de la Nouvelle-Espagne , mes combi
naisons m'ont aussi conduit au même résultat que
les savans astronomes de Madrid. Ma carte dressée

à Mexico , la même année où M. Antillon a publié


GÉOGRAPHIQUE. 79

son mémoire analytique * , indique , comme le pron


vent les copies déposées au Mexique , la différence
de méridiens de Tampico et de Mazatlan ( c'est-à
dire la largeur du royaume depuis l'Océan Atlan
tique jusqu'à la Mer du sud ) de 8°o ' . MM. Bauzà
et Antillon la trouvent de 8 °20' , tandis que la carte
de Lafora présentait 17 ° 45' , et celle des Indes occi

dentales par Arrowsmith , 9 ° 1 ' . Dans ma carte , j'ai


rapporté Tampico à la Barre de Santander , dont la
longitude a été observée par M. Ferrer , en supposant ,
conformément aux cartes du Dépôt de la marine de
Madrid , Tampico 10' à l'est de la Barre. Nous revien- .
drons dans la suite de ce Mémoire sur la position de ce
port.
La latitude de la ville de Zacatecas , célèbre par la

grande richesse de ses mines , a été déterminée par


le comte Santiago de la Laguna , non par un anneau
astronomique ou par des gnomons , mais , au moyen de
plusieurs quarts de cercle de trois à quatre pieds de
rayon construits dans le pays même ; elle fut trouvée
de 23°0' . Don Francisco Xavier de Zarria avait déduit

de plusieurs observations gnomoniques 22 °5'6" ! Ces


observations sont consignées dans un ouvrage inconnu
en Europe , dans la Chronique publiée par les pères de
S. François de Queretaro au Mexique . On croyait autre
fois Zacatecas d'un demi-degré plùs septentrional ,
comme le prouve une petite feuille de latitude publiée

Analisis de losfundamentos de la Carta de la America septentrional.


80 INTRODUCTION

à Mexico, par Don Diego Guadalaxara, à l'usage de ceux


qui veulent construire des gnomons . Le comte de la La
guna assure avoir trouvé la longitude de Zacatecas de
4° 30' à l'ouest de Mexico ; mais ce résultat est pro
bablement très douteux. Ayant fixé la position de
Guanaxuato par le chronomètre et par des observations
lunaires , j'ai trouvé par les rumbs et les distances in

diquées dans les itinéraires , pour la différence des


méridiens de Zacatecas et de Mexico , 2 ° 32 ' ; le calcul
des routes de M. Mascarò donne 3° 45 ' . Quant à la
longitude absolue , le comte de la Laguna la fixe d'une
manière tout aussi erronnée. Il conclut d'une obser

vation correspondante d'éclipse de lune faite à Bologne,


que Zacatecas est à 7h 50' à l'est de cette ville d'Italie,
ce qui donnerait 7h 13' 59" de longitude pour Zaca
tecas , et , par conséquent , 7h3′ 39" ( au lieu de
6h 45′ 42″ ) pour Mexico. Peut-être s'est-il glissé
quelque erreur dans la copie des chiffres? La différence
des méridiens serait-elle 7h 30' , au lieu de 7h 50' ?
Je suppose la longitude de Durango très près de
105° 55' . Don Juan Jose Oteiza , jeune géomètre
mexicain , dont les lumières m'ont été souvent d'un

grand secours dans mes travaux , a observé ( à l'Ha


cienda del Ojo , 38 ' en arc à l'est de Durango ) la fin
d'une éclipse de lune qui , comparée aux anciennes
tables de Mayer' , a donné le résultat que nous ve
nons d'indiquer. M. Friesen a conclu des rumbs et
des distances indiqués dans les journaux de route de
Rivera et de Mascarò , 5 ° 5' à l'orient de Mexico ,
GÉOGRAPHIQUE. 81

par conséquent 106°30' . La latitude de Durango pa


raît assez douteuse. Rivera et son compagnon de

voyage, Don Francisco Alvarez Bareiro, assurent avoir


trouvé en 1724, par des hauteurs méridiennes du soleil,
24°38' ; Lafora , en 1766, s'arrête à 24°9 ′ . Nous igno
rons de quels instrumens ces ingénieurs se sont servis .
Si la latitude que le comte de la Laguna , M. Zarria et
l'ingénieur Mascarò assignent à la ville de Zacatecas
est exacte , celle de Durango , conclue des rumbs et
des distances marquées dans les itinéraires , doit être
près de 24° 25'.
Il y a quelques endroits , dans les provinces septen
trionales de la Nouvelle-Espagne , où les trois ingé
nieurs que nous venons de citer ont observé succes
sivement ; cette circonstance donne quelque confiance
au résultat moyen .

Chihuahua. Latitude , 29° 11 ′ selon Rivera , 28 °56′


selon Lafora, 28°45 ' selon Mascarò . Longitude con
clue des rumbs et des distances , 5°25' à l'occident
de Mexico .

Santa-Fe. Latitude , 36° 28 ′ selon Rivera , 36° 10'


selon Lafora. Longitude par approximation 107 ° 13 ',
ou 5 °48 ′ par rapport au méridien de Mexico .

[ La relation du voyage de Pike aurait pu me faire croire que


la longitude à laquelle je m'arrête pour Santa-Fe del Nuevo
Mexico est de 6º trop orientale , mais , des longitudes des
montagnes colossales ( Spanish Peak, 106°55' , James Peak ,
107052' ) que l'on vient de fixer en liant les Rocky Moun-
tains chronométriquement à Council Bluff sur le Missouri ,
I. 6
82 INTRODUCTION

il résulte que la longitude de Santa-Fe n'est probablement


pas au-delà de 108' à l'ouest du méridien de Paris. En exa
minant attentivement les travaux récens du major Long et les
discussions géographiques de M. Tanner , on s'aperçoit que le
major Pike , voyageur plein de zèle et de courage , était peu
exact dans ses relèvemens , dans ses évaluations de hauteurs
et ses observations astronomiques. Voici les variantes pour
Santa-Fe depuis la première édition de l'Essai politiqué :
HUMBOLDT ROBINSON PIKK TANNER LONG
1804. 1810. 1823. 1824.
Lat. 36°12' 36°25' 36°20' 36°15' 36°12'
Lo. 107°15' 109°57' 113°55' 107°49' 107°15'

Je suis surpris de voir que M. Tanner ( Geographical Me


moir on North-America, 1823 , p. 6) place Santa-Fe de 38′ plus
à l'ouest que moi , tandis qu'il admet , avec le major Long,
pour la longitude du Highest Peak 108° 30 '. La position de
Santa-Fe adoptée par Long , est copiée de celle que j'ai pu
bliée d'après Lafora . Les trois pics ( Spanish , James et
Highest Peak) ont été rapportés à des points déterminés astro
nomiquement sur les rives de Mississipi ; mais on ne sera sûr de
la position de Taos , de Santa- Fe et du cours de Rio del Norte
que lorsqu'on aura lié , par le transport du temps , les trois
pics avec Taos, ou lorsque , dans le Nouveau-Mexique même ,
on aura fait quelques bonnes observations lunaires. Le major
Pike donne pour James Peak lat. 39-45' , long. 113°45',
11
tandis que Long trouve , par ses observations , lat. 38° 47 ′ ,
long. 107 ° 51 ' . Ce dernier voyageur a aussi relevé ( Ex
ped. t. 2 , p. 354 ) les énormes erreurs que le major Pike a
commises dans le cours de l'Arkansas et du Canadian-River, en
les dirigeant du N.-N.-O. au S.-S.-E. au lieu de l'ouest à l'est ,
ou tout au plus de l'O. - N.-O . à l'E.-S.-E. Dans les différentes
cartes gravées d'après les renseignemens donnés par M. Pike ,
les sources de l'Arkansas son placées tantôt lat. 41 °50',
long. 115 55 ' , tantôt latitude 40" 30 ', longitude 110 ° 15',
GÉOGRAPHIQUE .
83
( Tanner, Memoir, p. 7) . Les travaux du major Long ont enfin
rectifié une partie de ces erreurs et changé la géographie de ces
régions comprises entre le Mississipi , les Rocky-Mountains et
le Missouri.
Il suffira de citer quelques exemples pour prouver l'impor
tance de ces changemens :
LEWIS ET CLARK. LONG .
Sources de l'Arkansas.. lat. 41°47'
long. 114°25'
United-States Fort , à l'em
bouchure de la rivière de
Saint-Pierre. . lat. 43°55' 45°0'
long. 95°49′ 95°21'
Council Bluff.. long. 99°10' 98°6'
Ces Bluffs sont des collines de 25 toises de hauteur , 22 ′ au
nord du confluent du Missouri et du Platte- River, et 3 milles
au N.-O. du fort Calhoun ou d'Engineers Cantonnement. Le
fort se trouve , d'après Graham et Long ( Exped. t. 1 , p. 152,
t. 11, p. xxvi ) , latitude 41 ° 25'3 " longitude 98 °4'8 "; c'est
un poste militaire très important à moitié chemin entre Saint
Louis et le village des Mandanes. Il serait à desirer que Santa
Fe et Taos fussent liés chronométriquement à Council Bluff. ]

Presidio de Janos. Latitude , 31 ° 30 ' selon Rivera ,


30 ° 50 ' selon Mascarò. Longitude un peu douteuse
de 7 ° 40 ' à l'occident de Mexico .
Arispe. Latitude , 30 °30 ' selon Rivera , 30 °36'
selon Mascarò. Longitude approchée , 9°53' ( depuis
Mexico .)
Des combinaisons géographiques , fondées sur des
journaux de routes , rendent assez probables les po
sitions suivantes dont MM. Mascarò et Rivera ont dé

terminé la latitude. Ces résultats , adoptés dans ma

carte, sont conformes à ceux qu'ont obtenus MM . Bauzà


6.
84 INTRODUCTION

et Antillon mais nous différons de près d'un degré


sur la longitude absolue de la ville d'Arispe , située
dans la province de la Sonora , comme sur la longitude
du Passo del Norte dans le Nouveau -Mexique. Une

partie de ces différences naît de ce que la carte de


M. Antillon place Mexico , Acapulco et la bouche de
Rio Gila plus à l'est que moi.

LATITUDE LONGITUDE
a l'occident
LIEUX. N. DE MEXICO

Guadalaxara. 21°9' 3°57'

Real del Rosario.. 23°30' 7°1'

Presidio del Pasage. 25°28' 4°8'

Villa del Fuerte. 26°50' 9°5'

Real de los Alamos. 27°8' 9°58'

Presidio de Buenavista. 27°45' 11°3'

Presidio del Altar. • 31°2′ 2°41'

Passo del Norte. 32°9′ 5°38'

Lors de la formation des milices ( tropas de mili


cia ) dans le royaume de la Nouvelle- Espagne , il a été
levé une carte de la province d'Oaxaca , dans laquelle
on trouve marqués onze points dont la latitude ( selon
une remarque de l'auteur ) a été observée astronomi
quement. Je n'ai pu apprendre avec certitude, à Mexico,
si ces latitudes se fondent ( comme on a droit de le
supposer ) sur des hauteurs méridiennes prises avec
GÉOGRAPHIQUE. 85

des gnomons. La carte d'Oaxaca porte le nom de


M. Don Pedro de Laguna , lieutenant-colonel au ser
vice de S. M. Catholique. Les onze points qui mé
ritent une attention particulière sont situés en partie
sur la côte même entre les deux ports d'Acapulco et de
Tehuantepec , en partie près de la côte dans l'intérieur
du pays. En suivant de l'ouest à l'est , on trouve :

LIEUX. LATITUDE.

Ometepec. 16°37'

Xamiltepec.. 16°7'

Barra de Manialtepec . 15°47'

Pochutla. 15°50'

Puerto Guatulco.. .. 15°44'

Guiechapa.. 15°25'

Dans la Misteca alta , on a déterminé la position de


S. Antonio de las Cues par 18 ° 3 ' de latitude.
Teposcolula. • • • • 17 °18'
Nochistlan · • · 17°16'

On peut ajouter à ces positions le village d'Acatlan ,


dans l'intendance de la Puebla , par 17°58 ' , et la

ville d'Oaxaca par 16°54′ de latitude. Toutes ces dé


terminations , si toutefois elles ont quelque degré
d'exactitude , sont d'autant plus précieuses , que depuis
la Puebla de los Angeles jusqu'à l'isthme de Panama ,
86 INTRODUCTION

il n'y a jusqu'ici presque pas un seul point dans l'inté


rieur des terres dont la latitude soit déterminée astro

nomiquement. Ce qui donne un certain degré de con


fiance aux positions de la province d'Oaxaca , c'est
l'harmonie qui se trouve entre les latitudes assignées
dans la carte de Don Pedro Laguna et dans celles de
M. Antillon , à la ville de Tehuantepec et à Puerto
Escondido . Les navigateurs espagnols placent le pre

mier de ces points par 16 ° 22 ' , le second , qui est voi


sin du village de Manialtepec , par 15 ° 50 ' de lati
tude.

J'ai tracé avec candeur le déplorable état de la


géographie de la Nouvelle- Espagne ; j'ai montré les
doutes que laissent mes propres observations et celles

des voyageurs qui m'ont précédé ; j'ai fait voir qu'un


petit nombre de positions du Mexique se trouve fixé
avec toute la précision qu'il est permis d'exiger , là
où l'on n'a point encore établi d'observatoires. Vers
le nord et vers l'est , dans l'intérieur des terres , les er
reurs peuvent être de plus d'un degré en latitude. Je
desire ardemment que mes cartes soient refondues bien
tôt , et qu'on puisse leur substituer des travaux plus
exacts. Ce qu'elles renferment de données astronomi
ques subsistera toujours et servira d'appui aux opéra

rations géodesiques que l'on tentera après moi.

Nous avons discuté les positions fondées sur des ob


servations astronomiques plus ou moins dignes de la
confiance du géographe ; il nous reste à indiquer les
GÉOGRAPHIQUE. 87

cartes , presque toutes manuscrites , que j'ai employées


pour les différentes parties de ma Carte générale de la
Nouvelle - Espagne .

Le gisement et les sinuosités de la côte occidentale

baignée par le Grand Océan , depuis le port d'Aca


pulco jusqu'à la bouche du Rio Colorado et aux vol
cans des Vierges en Californie , ont été tirés , en grande
partie , de la carte qui accompagne la relation du voyage
des navigateurs espagnols au détroit de Fuca. Cette
carte , publiée en 1802 par le Dépôt de la marine à
Madrid , se fonde au nord d'Acapulco et de San Blas
sur les opérations des corvettes de Malaspina ; mais
la côte qui se prolonge au sud-est d'Acapulco a été
très imparfaitement examinée. Pour la tracer , j'ai dû
consulter la carte de l'Amérique septentrionale de
M. Antillon. On doit se plaindre aussi du peu d'exac

titude avec lequel ont été relevées jusqu'à ce jour les


côtes orientales du Mexique au nord de la Vera- Cruz,
La partie contenue entre l'embouchure du Rio Bravo
del Norte et celle du Mississipi est presque aussi in
connue que la côte orientale de l'Afrique entre Orange
River et Fish -Bay. L'expédition de MM. Cevallos et
Herera , munie d'excellens instrumens astronomiques ,
est destinée à lever des plans exacts de ces régions dé
sertes et arides. J'ai suivi , pour le détail de la côte
orientale , la carte * du golfe du Mexique publiée par

* Carta esférica que comprehende las costas del Seno Mexicano , cons
truida en el Deposito hidrografico de Madrid, 1799.
88 INTRODUCTION

ordre du roi d'Espagne en 1799 , et perfectionnée


en 1803. J'ai corrigé plusieurs points d'après les
observations de M. Ferrer , que nous avons citées
plus haut. Cet habile observateur plaçant le port de

la Vera-Cruz de 9′45 ″ en arc moins à l'ouest que


moi , j'ai réduit les positions des endroits qu'il a dé
terminés dans les environs de la Vera - Cruz , à la
longitude qui résulte des calculs de M. Oltmanns.

L'erreur des anciennes cartes portait principalement


sur la longitude de la Barre de Santander, qui , d'après
M. Ferrer , est de 1 ° 54′15 ″ à l'occident de Vera-Cruz ,
tandis que la carte du Deposito n'admet que 1 ° 23′ de
différence en longitude. J'ai cru devoir me rapprocher
des observations de M. Ferrer * , en réduisant la longi

tude de Tamiagua à celle de Santander.


Le terrain compris entre les ports d'Acapulco et de
la Vera-Cruz , entre Mexico , Guanaxuato , la vallée
de Santiago et Valladolid , entre le Volcan de Jorullo

et la Sierra de Toluca , est dressé d'après un grand


nombre de relèvemens géodésiques que j'ai pris , soit

D'après les dernières corrections que M. Ferrer a ajoutées , je


ne dirai pas à ses observations , mais à ses calculs , il place la Barre de
Santander par 23°45′18″ de latitude , et 100° 18′45″ de longitude , posi
tion de 11 ' en arc plus orientale que celle à laquelle je me suis arrêté
dans ma carte , en 1804. ( Connaissance des temps pour 1817 , pag. 303 ).
Comme M. Ferrer ne place la Vera- Cruz que de 45″ en arc plus à
l'est que moi , il résulte de son Mémoire rédigé en 1817 , que la diffé
rence des méridiens de la Vera- Cruz et de la Barre de Santander ,
est de 1 °50′30″. Le Deposito hidrografico de Madrid , donne à la
Barre 99°48' , erreur d'un demi-degré vers l'est.
GÉOGRAPHIQUE . 89

avec le sextant , soit avec un graphomètre d'Adams.


La partie contenue entre Mexico , Zacatecas , Fres
nillo , Sombrerete et Durango , se fonde sur un plan
manuscrit que M. Oteiza a bien voulu construire pour
moi , d'après des matériaux qu'il avait recueillis dans
son voyage à Durango . Ayant marqué très exactement
les rumbs et ayant évalué les distances d'après la
marche des mulets , son plan mérite quelque confiance ;
les positions de Guanaxuato et de S. Juan del Rio
y ont été corrigées par mes observations directes . Il

a été facile, par ce moyen , de convertir le temps en


distance , et de reconnaître la valeur des lieues du
pays.
Les journaux de MM . Rivera , Lafora et Mascarò ,
que nous avons eu occasion de citer plus haut , ont
été d'un grand secours pour les Provincias internas,
surtout pour les routes de Durango à Chihuahua , et de
là à Santa -Fe et à Arispe , dans la province de Sonora.
On n'a pu cependant employer ces matériaux qu'après de
longues discussions , et en les comparant avec les don
nées que M. Velasquez avait recueillies dans son ex

pédition en Californie. Les routes de Rivera diffèrent


souvent beaucoup de celles de Mascarò ; on se trouve
surtout embarrassé sur la différence de méridiens entre

Mexico et Zacatecas , ou entre Santa -Fe et Chihuahua ,


comme nous aurons lieu de l'exposer plus bas.
La géographie de la Sonora a été rectifiée par
M. Costanzo. Ce savant , aussi modeste que profon
dément instruit , a recueilli depuis trente ans tout ce
90 INTRODUCTION

qui a rapport à la connaissance géographique du vaste


royaume de la Nouvelle-Espagne. C'est le seul officier

ingénieur qui se soit livré à des discussions approfon


dies sur la différence en longitude des points les plus
éloignés de la capitale. Il a formé lui-même plusieurs
plans intéressans ; on y reconnaît comment des com
binaisons ingénieuses peuvent , jusqu'à un certain
point , remplacer les observations astronomiques. Je
me plais d'autant plus à rendre cette justice à M. Cos
tanzo , que j'ai vu dans les archives , à Mexico , beau
coup de cartes manuscrites dans lesquelles les échelles
de longitude et de latitude ne sont qu'un ornement
accidentel.
Voici l'énumération des cartes et des plans que j'ai
consultés pour le détail de ma carte : je crois avoir

réuni tout ce qui existait de matériaux jusqu'à l'an


née 1804.

Carte manuscrite de la Nouvelle-Espagne, dressée


par ordre du vice-roi Buccarelli , par MM. Costanzo
et Mascarò. Elle comprend l'immense espace entre les
39° et 42° de latitude ; elle s'étend depuis le cap Men
docino jusqu'à la bouche du Mississipi . C'est un travail
qui paraît avoir été fait avec beaucoup de soin ; il m'a
servi pour le Moqui , pour les environs du Rio Naba

joa et pour la route qu'a suivie le chevalier Lacroix

en 1778 , depuis Chihuahua jusqu'à Cohahuila et à


Texas.

Mapa del Arzobispado de Mexico , por Don Jose


Antonio de Alzate, carte manuscrite dressée en 1768 ,
GÉOGRAPHIQUE. 91

revue par l'auteur en 1772 ; très mauvaise , du moins


pour la partie que j'ai parcourue. On y trouve indiqués
quelques endroits de mines qui intéressent le géologue.
Je n'ai fait aucun usage de la carte de la Nouvelle
Espagne publiée en 1765 à Paris par M. de Fer, ni
de celle du gouverneur Pownall, publiée en 1777 , ni
de la carte de Siguenza , que l'Académie de Paris a fait
graver sous le nom d'Alzate , et qu'on a regardéejus
qu'à ce jour comme la meilleure carte du Mexique.
Carte générale de la Nouvelle - Espagne , depuis
les 14° jusqu'aux 27° de latitude , dressée par M. Cos
tanzo. Cette carte manuscrite est précieuse pour la
connaissance des côtes de la Sonora. Je l'ai aussi
consultée pour la partie qui se prolonge d'Acapulco

à Tehuantepec .

Carte manuscrite des côtes depuis Acapulco jus


qu'à Sonzonate , relevée par le brigantin Activo en
1794.
Carte manuscrite de toute la Nouvelle- Espagne
dressée par
M. Velasquez en 1772. Elle comprend
les pays situés entre les
19° et 34° de latitude , entre
l'embouchure de Rio Colorado et le méridien de Cho

lula. Elle a été dessinée pour fixer la situation des


minès les plus remarquables de la Nouvelle-Espagne ,
surtout celles de la Sonora.

Carte manuscrite d'une partie de la Nouvelle


Espagne, depuis le parallèle de Tehuantepec jusqu'à
celui de Durango , dressée par ordre du vice-roi Revil
lagigedo par Don Carlos de Urutia. C'est la seule
92 INTRODUCTION

carte du pays qui présente la division en intendances


et elle m'a été très utile sous ce rapport .

Mapa de la Provincia de la Compañia de Jesus


de Nueva España, gravée en 1765 à Mexico . Est-ce
par un simple hasard que cette carte , d'ailleurs très
mauvaise , place Mexico par 278 ° 26′ de longitude ,
tandis que la même capitale se trouve fixée à 270" de

longitude dans le plan qui porte le titre de Mapa de


distancias de los lugares principales de Nueva Es
paña, que les pères jésuites ont fait graver à la Pue
bla de los Angeles en 1755?
J'ai trouvé à Rome Provincia Mexicana apud
Indos ordinis Carmelitarum (erecta 1588) , Romæ,
1738. Mexico y est placé par 20°28' de latitude!
Le père Pichardo de San Felipe Neri , ecclésiastique
très éclairé , qui possède le petit quart de cercle de
l'abbé Chappe , a bien voulu me fournir deux cartes
manuscrites de la Nouvelle-Espagne , dont l'une est de
Velasquez, et l'autre d'Alzate. Elles diffèrent toutes
les deux de la carte que l'Académie de Paris a fait gra
ver. Elles présentent la situation de beaucoup d'en
droits de mines très remarquables et que j'ai cherchées
vainement sur d'autres cartes .
Environs de Mexico ; carte de Siguenza , publiée
de nouveau par Alzate en 1786. Une autre carte de la
vallée de Mexico se trouve annuellement dans l'alma

nach appelé la Guia de Foresteros : elle est de M. Mas


carò. Ni ces deux plans , ni celui qu'a publié Lopez en
1785 , ne présentent les lacs dans leur situation
GÉOGRAPHIQUE. 93

actuelle. La carte de Lopez offre les degrés de longi


tude marqués sur le méridien , méprise assez étrange
pour un géographe du roi!
Carte détaillée des environs du Doctor, du Rio

Moctezuma, qui reçoit les eaux du canal de Huehue


toca, et de Zimapan , par M. Mascarò. Les environs
de Durango , ceux de Toluca et de Temascaltepec ,
se trouvent représentés avec beaucoup de soin dans les
plans manuscrits dressés, pour mon usage, par M. Juan
Jose Oteiza .

Carte manuscrite de tout le royaume de la Nou

velle-Espagne, depuis le 16º jusqu'au 40º de latitude,


par Don Antonio Forcada y la Plaza , 1787. Cette
carte paraît faite avec beaucoup de soin . Les personnes
qui connaissent les localités , portent le même jugement
de la carte manuscrite de l'Audiencia de Guada
larara, dressée par M. Forcada en 1790.

Carte du pays compris entre le méridien de Mexico


et celui de Vera- Cruz, dressée par Don Diego Gar
cia Conde, lieutenant-colonel et directeur des chaus
sées. Cette carte manuscrite se fonde sur des observa

tions que M. Costanzo a faites conjointement avec


M. Garcia Conde. C'est une série de triangles mesurés
avec le graphomètre et la boussole. Ce travail a été
exécuté avec un soin extrême ; il présente surtout un
grand détail dans la partie qui embrasse la pente de la
Cordillère depuis Xalapa et Orizaba jusqu'à Vera -Cruz.
Carte des routes qui vont de Mexico à la Puebla,
au nord et au sud de la Sierra Nevada , dressée par
ON
94 INTRODUCTI

ordre du vice-roi marquis de Branciforte , par Don


Miguel de Costanzo .
Plan manuscrit des environs de Vera- Cruz. Il s'é

tend jusqu'à Perote , et indique en même temps la dif


férence des routes projetées de Xalapa à Vera-Cruz.
Carte manuscrite du terrain contenu entre Vera

Cruz et le Rio Xamapa, 1796.


Carte manuscrite de la province de Xalapa , avec
les environs détaillés de l'Antigua et de la Nueva
Vera-Cruz.

Carte manuscrite de la province d'Oaxaca et de


toute la cote, depuis Acapulcojusqu'à Tehuantepec ,
dressée par Don Pedro de la Laguna. Cette carte se
fonde sur onze positions que l'on assure avoir été dé
terminées en latitude par des observations directes.
Quant au cours du Rio Huasacualco , devenu célè
bre par le projet d'un canal qui doit réunir la Mer
du Sud à l'Océan Atlantique , je l'ai trouvé tracé dans
les plans de deux officiers ingénieurs , Don Au
gustin Cramer et Don Miguel del Corral. Ces plans
se conservent dans les archives de la vice-royauté du
Mexique.

Mapa anonimo de la Sierra Gorda , dans la province


de Nuevo Santander, du 21º au 29° de latitude ; carte
manuscrite peinte sur vélin , ornée de figures d'Indiens
sauvages. Elle est très exacte pour les environs de Sotto
la Marina et de Camargo .
Le cours des rivières contenues entre le Rio del

Norte et la bouche du Rio Sabina , a été copié d'après


GÉOGRAPHIQUE. 95

une carte manuscrite que le général Wilkinson a bien


voulu me communiquer à Washington , lors de son
retour de la Louisiane.

Mapa de la Nueva Galizia ; carte manuscrite dres


sée en 1794 par M. Pagaza , sur ses propres observa
tions et sur la carte de M. Forcada.

Carte de la province de Sonora et de la Nouvelle


Biscaye , dédiée à M. d'Asanza , et dressée à Cadix par
l'ingénieur Don Juan de Pagaza. Cette carte manus
crite, de quatre pieds de long , est très détaillée quant
aux sites montagneux dans lesquels se cachent les In
diens sauvages pour faire leurs excursions et pour atta
quer les voyageurs. Elle est très détaillée aussi pour
les environs du Passo del Norte , et surtout pour le

terrain désert qui est appelé Bolson de Mapimi.


Carte manuscrite de la Sonora , depuis les 27" jus
qu'aux 36° de latitude , dédiée au colonel Don Jose
Tienda de Cuervo . L'auteur de cette carte paraît être
un père jésuite allemand qui a résidé dans la Pimeria
Alta, c'est-à-dire dans la partie la plus septentrionale

de la province de Sonora.
Carte manuscrite de la Pimeria Alta. Elle s'étend
jusqu'au Rio Gila. Les fameuses ruines des Casas

Grandes y sont placées à 36°20′ de latitude , avec une


erreur de trois degrés !
Mapa de la California , carte manuscrite des

pères Francisco Garces et Pedro Font , 1777. Cette


carte a été gravée à Mexico , mais avec une erreur de
trois minutes en moins pour toutes les latitudes. Elle
N
TIO
RO DUC
96 INT

est intéressante pour la Pimeria Alta et pour le Rio


Colorado.

Carta geografica de la Costa occidental de la

California que se discubriò en los años 1769 y 1775,


por Don Francisco de Bodega y Quadray Don Jose
Canizares , desde los 17 hasta los 58 grados. Cette
petite carte , gravée en 1788 par Manuel Villavi
cencio à Mexico , est dressée sur le méridien de S. Blas.
Elle doit intéresser ceux qui s'occupent de l'histoire
des découvertes dans le Grand Océan. *

Le golfe de Cortez paraît très détaillé dans la


carte de la Californie qui accompagne la Noticia
de la California , del Padre Fr. Miguel Venegas ,
1757 ; mais la vraie position des missions qui se trou
vent actuellement dans cette péninsule , est indiquée
dans la carte qu'on a ajoutée à la Vie dupère Fray Ju
nipero Serra , imprimée à Mexico en 1787 .
Carte manuscrite de la province de la Nouvelle
Biscaye , depuis les 24° jusqu'aux 35° de latitude ,
dressée en 1792 par l'ingénieur Don Juan de Pagaza
Urtundua , sur des notions recueillies à Chihuahua.

Ce travail intéressant a été exécuté par ordre de M. de


Nava, capitaine-général des Provincias internas . Il m'a
servi pour toute l'intendance de Durango. Les envi
rons de la ville de Durango y paraissent moins exacts.
Carte manuscrite desfrontières septentrionales de
la Nouvelle-Espagne , depuis les 23 ° jusqu'aux 37º de

* Ily a quelques détails curieux dans Map ofNew-California, by order


ofthe captain general of the internalprovinces.
GÉOGRAPHIQUE . 97

latitude , par l'ingénieur Don Nicolas Lafora. Elle


développe le projet de défense du Marquis de Rubi,
et m'a servi pour vérifier la situation des petits forts
appelés Presidios. J'ai vu une copie de cette même
carte , de trois mètres de long , aux archives de la vice
royauté.
Mapa del Nuevo Mexico desde 29° hasta 42° de lat.
Cette carte manuscrite est très détaillée pour les pays

situés sous le parallèle de 41 ° . Elle contient des détails

sur le Lac (un peu incertain) des Timpanogos , et sur


les sources du Rio Colorado et du Rio del Norte.

Carte du Nouveau-Mexique , gravée en 1795 par


Lopez. Je n'en ai point fait usage. Elle paraît très
fautive pour les sources du Rio del Norte. Les pays
situés entre ces sources et celles du Missouri sont
mieux détaillés dans une Carte de la Louisiane pu

bliée à Philadelphie en 1803. *


J'ose me flatter que , malgré de grandes imperfec
tions , ma carte générale de la Nouvelle-Espagne a
deux avantages essentiels sur toutes celles qui ont paru
jusqu'à ce jour. Elle présente la situation de trois cent

* Le Map ofthe internal provinces of New Spainfrom the sketches of


M. Pike est regardé aujourd'hui comme une simple copie de la carte
de M. de Humboldt , avec quelques changemens dans les sources de
l'Arkansas. ( Tanner , American Atlas , 1823 , page 9. ) La carte qui
accompagne un ouvrage publié sous le titre modeste : Notes on
Mexico made inthe autum of 1822 , by a Citizen ofthe United States , est,
comme celle de Taylor's Selections , calquée sur la carte de M. de
Humboldt : elle offre cependant de plus les routes de Tampico à San
Zimapan. E-R.
J. 7
TION
ODUC
98 INTR

douze endroits de mines , et la nouvelle division du


pays en intendances : les exploitations y ont été indi

quées d'après un catalogue que le Tribunal suprême


des mines a fait dresser sur les lieux dans toute l'éten

due de ce vaste empire. J'ai distingué par des signes


particuliers les endroits qui sont le siège des Deputa
ciones de Minas et les sites d'exploitation qui en dé

pendent. Le catalogue qui m'a été fourni marquait le


plus souvent le rumb et la distance par rapport à une
ville plus considérable . J'ai combiné ces notes avec ce
que présentaient les cartes manuscrites anciennes ,
parmi lesquelles celles de Velasquez m'ont été du plus
grand secours. Ce travail a été aussi minutieux que
pénible. Lorsqu'aucune carte ne rapportait le nom de
la mine , il a fallu la placer simplement d'après le gise
ment que présentait le catalogue , en réduisant les dis

tances itinéraires , ou les lieues du pays, en distances


absolues , d'après les combinaisons fournies par des cas
analogues. La population de la Nouvelle - Espagne
étant concentrée sur le grand plateau intérieur de la
chaîne centrale , il en résulte que la carte du Mexique
est très inégalement chargée de noms. Il ne faut pas
supposer cependant qu'il y ait des terrains entièrement

inhabités , partout où la carte n'indique ni village , ni


hameau. Je n'ai voulu placer que les endroits dont la
position était la même sur plusieurs cartes manuscrites
d'après lesquelles je travaillais. Car la plupart des
cartes de l'Amérique , faites en Europe , sont remplies
de noms d'endroits dont on ignore l'existence dans le
GÉOGRAPHIQUE . 99

pays même. Ces erreurs se perpétuent , et il est sou


vent difficile d'en deviner la source. J'ai mieux aimé

laisser beaucoup d'espace vide sur ma carte , que de


me livrer à des tâtonnemens incertains.
L'indication des chaînes de montagnes a présenté

de grandes difficultés , et qui ne peuvent être bien sen


ties que par ceux qui se sont occupés eux-mêmes du
dessin de cartes géographiques . J'ai dû préférer les ha
chures en projection orthographique , à la méthode de
représenter les montagnes en profil . Cette dernière , la
plus imparfaite et la plus ancienne de toutes , donne
lieu au mélange de deux sortes de projections très hé
térogènes . Je ne me dissimule pas cependant que cet
inconvénient est presque balancé par un avantage réel.
L'ancienne méthode fournit des signes qui annoncent

simplement << que le terrain est montueux , qu'il existe


des montagnes dans telle ou telle province ». Plus ce
langage hiéroglyphique est vague , et moins il expose
à l'erreur . La méthode des hachures au contraire force
le dessinateur de dire plus qu'il n'en sait , plus même
qu'il n'est possible d'en savoir sur la constitution géo
logique d'une vaste étendue de terrain . A voir les der
nières cartes qui ont paru de l'Asie mineure et de la
Perse , on devrait croire que de savans géologues y ont
reconnu la hauteur relative , les limites et la direction
des montagnes . On y découvre des chaînes qui ser
pentent et qui s'embranchent comme des rivières ; on
dirait que les Alpes et les Pyrénées sont moins connues
que ces contrées lointaines. Cependant les personnes
7.
100 INTRODUCTION

instruites qui ont parcouru la Perse et l'Asie Mineure


assurent que l'agroupement des montagnes y differe
entièrement du type que présente la grande carte d'A
sie, publiée par Arrowsmith , et tant de fois copiée en
France et en Allemagne.

Les eaux donnent sans doute en quelque sorte le


tracé du pays ; mais le cours des rivières indique sim
plément la différence de niveau qui existe dans l'éten
due du terrain sur lequel elles coulent. La connaissance
des grandes vallées ou des bassins , l'examen des points
de partage sont du plus grand intérêt pour l'ingénieur
hydrographe. C'est cependant par une fausse applica
tion des principes de l'hydrographie , que du fond de
leurs cabinets les géographes ont voulu déterminer la
direction des chaînes de montagnes dans des pays dont

ils croyaient connaître avec précision le cours des ri


vières. Ils se sont imaginés que deux grands bassins
d'eau ne peuvent être séparés que par de grandes élé
vations , ou qu'une rivière considérable ne peut chan
ger de direction que parce qu'un groupe de montagnes
s'oppose à son cours. Ils ont oublié que très souvent ,

soit à cause de la nature des roches , soit à cause de


l'inclinaison des couches , les plateaux les plus élevés
ne donnent naissance à aucune rivière , tandis que les

sources des fleuves les plus considérables sont éloi

gnées des hautes chaînes de montagnes . Aussi les essais


que l'on a faits jusqu'ici de dresser des cartes physiques
d'après des idées théoriques , n'ont pas été fort heu
reux . Il est d'autant plus difficile de deviner la véri
GÉOGRAPHIQUE. 101

table configuration du terrain , que les courans péla


giques et la plupart des rivières par lesquelles la sur
face du globe a été changée , ont totalement disparu.
La connaissance la plus parfaite et des rivières qui ont
existé , et de celles qui existent de nos jours , pourrait
nous instruire sur la pente des vallées , mais aucune

ment sur la hauteur absolue des montagnes , ou sur la


position de leurs chaînes.
J'ai tracé sur ma Carte de la Nouvelle-Espagne la
direction des Cordillères , non d'après des suppositions
vagues , ou d'après des combinaisons hypothétiques ,
mais d'après un grand nombre de renseignemens four
nis par des personnes qui ont visité les mines mexi
caines. Le groupe de montagnes le plus élevé se trouve

dans les environs de la capitale , sous les dix - neuf de


grés de latitude. J'ai parcouru moi - même la partie des
Cordillères d'Anahuac comprise entre les parallèles de
16°50', et les -21 °0' sur une largeur de plus de 140
lieues . C'est dans cette région que j'ai fait le grand
nombre de mesures barométriques et trigonométriques,
dont les résultats ont servi aux profils géologiques
qu'offre mon Atlas mexicain. Les cartes manuscrites
de M. Velasquez , celles de MM . Costanzo et Pagaza
m'ont été d'un grand secours pour les provinces sep
tentrionales. M. Velasquez , directeur du Tribunal de
Mineria , avait parcouru la majeure partie de la Nou
velle-Espagne ; il a tracé sur la carte que nous avons
citée plus haut , p. 91 , les deux branches de la Sierra
Madre de Anahuac, savoir : le rameau oriental qui
102 INTRODUCTION

se dirige de Zimapan vers Charcas et Monterey, dans


le Royaume de Léon , et le rameau occidental qui
s'étend depuis Bolaños jusqu'au Presidio de Fronteras.
Des mémoires manuscrits de M. Sonnenschmidt , sa
vant minéralogiste saxon , qui a visité les mines de
Guanaxuato , de Zacatecas , de Chihuahua et de Ca

torce , les travaux de M. del Rio , professeur à l'école


des mines de Mexico , et de D" Vicente Valencia , ré
sident à Zacatecas , m'ont aussi fourni des éclaircisse
mens très utiles. J'en dois d'autres aux conseils qu'ont
bien voulu me donner le célèbre chimiste et direc

teur des mines M. Don Fausto D'Elhuyar , à Mexico;


M. Chovell , à Villalpando ; M. Abad-Queipo , à Val
ladolid ; M. Anza , à Tasco ; le colonel Obregon , à
Catorce, et un grand nombre de riches propriétaires
de mines et de moines missionnaires qui ont montré
de l'intérêt pour mon travail . Malgré les soins que j'ai
employés à m'instruire sur les lieux de la direction des
Cordillères , je suis bien loin de regarder cette partie
de mon travail comme parfaite. Occupé depuis vingt
ans à parcourir des montagnes , et à ramasser des ma
tériaux pour un atlas géologique , je sais combien est
hasardeuse l'entreprise de tracer les montagnes sur une
étendue de terrain de 118,000 lieues carrées !
J'aurais desiré pouvoir dresser , sur une grande
échelle , deux cartes de la Nouvelle - Espagne , l'une
physique , l'autre purement géographique ; mais j'ai
craint de rendre l'atlas mexicain trop volumineux . Les
hachures qui désignent les lignes de plus grande pente
GÉOGRAPHIQUE. 103

et le mouvement du terrain , donnent en même temps


de l'ombre aux cartes chargées d'un grand nombre de
noms . Ces noms deviennent souvent illisibles , lorsque
le graveur veut produire beaucoup d'effet par la dis
tribution du clair-obscur. Il résulte de ces considéra
tions que le géographe qui a discuté avec soin la po
*
sition astronomique des lieux , est incertain de ce
qu'il doit préférer , ou de conserver la netteté du trait
et de la lettre, ou de rendre plus sensible la hauteur
relative des montagnes . Une des plus belles cartes que
l'on ait publiée de la France , celle qui a été rédigée au
Dépôt de la guerre , en 1804 , prouve suffisamment
combien il est difficile de concilier deux genres d'in
térêt opposés , l'intérêt du géologue et celui de l'astro
nome. La crainte de donner trop d'étendue à mon ou
vrage, les difficultés que présente la publication d'un
atlas pour lequel aucun gouvernement ne fournit les
frais , m'ont fait abandonner le projet que j'avais formé
d'abord , de joindre à chaque coupe du terrain une
carte physique en projection horizontale. **

* Je traite , dans le huitième chapitre , de la régularité extraor


dinaire qu'offre la position des volcans mexicains. Je suis un peu in
certain sur la latitude du volcan de Colima et sur la longitude du pic
de Tancitaro, qui a été relevé deux fois de loin. Je crains que quelque
erreur ne se soit glissée en copiant mes angles ; mais la latitude du
pic de Tancitaro me paraît sûre à 8' près.
** Il existe plusieurs copies plus ou moins incomplètes de la grande
carte de la Nouvelle-Espagne de M. de Humboldt. Nous ne citerons
ici que celles de M. Arrowsmith, du major Pike et de M. A. F. Tardieu
père ( Carte de la Louisiane et du Mexique , 1820. ) Voici le jugement
que notre voyageur a porté ( Relation historique , tome 1 ; Introduc
104 INTRODUCTION

II.

CARTE DE LA NOUVELLE - ESPAGNE ET DES PAYS


LIMITROPHES AU NORD ET A L'EST.

J'ai exposé plus haut les motifs qui m'ont engagé à


restreindre ma grande Carte de la Nouvelle -Espagne
dans des limites trop étroites pour représenter , sur la
même planche, toute l'étendue du royaume , depuis la
Nouvelle-Californie jusqu'à l'intendance de Mérida .
La seconde carte de l'atlas mexicain est destinée à re
médier à cet inconvénient. Elle fait voir à -la-fois , non

seulement toutes les provinces qui dépendent du vice


roi de Mexico , et des deux commandans des Provin
cias internas , mais aussi l'île de Cuba , dont la capi
tale peut être considérée comme le port militaire de la

tion , page 21 ) sur les deux premières de ces copies. « Ma Carte gé


nérale du royaume de la Nouvelle-Espagne , dressée sur des observations
astronomiques et sur l'ensemble des matériaux qui existaient à Mexico
en 1804, a été copiée par M. Arrowsmith, qui se l'est appropriée en la
publiant sur une plus grande échelle en 1805 (avant que la traduction
anglaise de mon ouvrage eût paru à Londres , chez Longman , Hurst
et Orme) , sous le titre de New Map of Mexico , compiledfrom original
documents by Arrowsmith. Il est facile de reconnaître cette carte par
beaucoup de fautes chalcographiques , par l'explication des signes
qu'on a oublié de traduire du français en anglais , et par le mot Océan
que l'on trouve inscrit au milieu des montagnes , dans un endroit où
l'original porte : Le plateau de Toluca est élevé de 1400 toises au-dessus
du niveau de l'Océan. Le procédé de M. Arrowsmith est d'autant plus
blamable , que MM. Dalrymple , Rennell , d'Arcy de La Rochette , et
tant d'autres excellens géographes que possède l'Angleterre , ne lui
GÉOGRAPHIQUE. 105

Nouvelle-Espagne , la Louisiane et la partie atlantique


des États -Unis. Cette carte a été rédigée par un ingé

nieur habile de Paris , M. Poirson , d'après les maté


riaux que nous lui avons fournis , M. Oltmanns et moi.
Elle embrasse l'immense étendue comprise entre les
15 ° et 42º de latitude , et les 75° et 130° de longi
tude. J'avais eu d'abord le projet d'étendre cette carte
au sud jusqu'à l'embouchure du Rio San Juan , pour
y indiquer différens canaux dont la construction a été
proposée à la cour de Madrid , et qui serviraient à
établir entre les deux mers , la communication dont
il sera question au second chapitre de cet ouvrage.
Mais ayant aperçu , pendant l'exécution de ce projet ,
qu'en adoptant une plus petite échelle , la péninsule
du Yucatan et la côte de Monterey ne seraient pas
représentées avec tout le développement qu'elles sem
blaient exiger , j'ai préféré de conserver une échelle

en ont donné l'exemple ni dans leurs cartes ni dans les analyses qui les
accompagnent. Les réclamations d'un voyageur doivent paraîtrejustes,
lorsque de simples copies de ses travaux se répandent sous des noms
étrangers. D M. Tanner , dans son Nouvel Atlas américain , a également
profité des travaux de M. de Humboldt ; mais , non content d'indiquer
les sources auxquelles il a puisé , il a rendu un témoignage éclatant du
caractère de candeur et de véracité qu'offre l'Essaipolitique. « La carte
du Mexique , dans la partie dont M. de Humboldt est seul responsable,
porte , dit M. Tanner ( New American Atlas , 1823 , page 6 ) , un
cachet de précision qu'une longue épreuve de vingt années n'a pas
démentie. Elle continuera d'être ce qu'elle a été lors de la première
publication , la base de toute nouvelle carte du Mexique , jusqu'à ce
que le pays entier ait pu être soumis à de véritables opérations
géodésiques. E-R.
106 INTRODUCTION

plus grande , et de n'étendre ma carte vers le sud que


jusqu'au golfe de Honduras.
La partie principale , celle qui comprend le royaume
de la Nouvelle-Espagne , est une copie fidèle de ma
grande carte , dont je viens de donner l'analyse. Le
Yucatan a été ajouté d'après la carte du golfe du
Mexique , publiée par le Deposito hidrografico de
Madrid. La Nouvelle-Californie a été tracée d'après
l'atlas qui accompagne la Relation du voyage des cor
vettes Sutil et Mexicana , et d'après un mémoire de
M. Espinosa , imprimé en 1806 , ayant pour titre :
Memoria sobre las observaciones astronomicas que

han servido de fundamento á las cartas de la costa


N.-O. de America , publicadas por la Direcion de
trabajos hidrograficos. Chaque fois que ce mémoire
a donné des résultats différens de ceux qu'offrent la
Relacion del viage al Estrecho de Fuca , on les a
préférés comme fondés sur des bases plus solides * . Le
travail de M. Espinosa a aussi servi pour le petit

* J'ai placé Monterey par lat. 36°35′45″, et long. 124° 12′23″,


et le cap San Lucas , par lat. 22 °52′33″, long. 112° 14′30″. La longi
tude de Monterey , à laquelle je me suis arrêté définitivement avec
M. Espinosa dans la construction de ma carte du Mexique , diffère
moins de celle de Vancouver , que le résultat publié par M. Antillon.
La différence entre les navigateurs espagnols et anglais , est de
18' en arc. Voyez plus haut , page 70. ( Il est important de rappeler
ici que le commencement de cette Introduction géographique , depuis
page 1 jusqu'à page 97 , a été rédigé à Berlin au mois de septem
bre 1807 , et que la suite a été publiée au printemps de l'année 1809.
On reconnaîtra facilement ce qui a été ajouté en 1825 dans cette
seconde édition de l'Essai politique. )
GÉOGRAPHIQUE. 107
groupe d'îles que M. Collnett a nommé l'Archipel de

Revillagigedo, en honneur du vice-roi mexicain qui a


rétabli l'ordre dans les finances et fait faire des relevés

statistiques très importans.

Les îles de San Benedicto , Socoro , Roca Partida et


Santa Rosa , situées entre les 18° et 20° de latitude
furent découvertes par des navigateurs espagnols ,
au commencement du seizième siècle. Hernando de
Grixalva trouva en 1533 l'île de Santo Tomas , ap

pelée aujourd'hui île Socoro. En 1542 Ruy Lopez


de Villalobos atterrit sur un îlot qu'il désigna par le
nom de la Nublada . Il indiqua très bien sa distance de
l'île Santo Tomas . C'est la Nublada de Villalobos qui
s'appelle aujourd'hui San Benedicto . Il est moins cer

tain que la Roca Partida du même navigateur soit l'île


de Santa Rosa des hydrographes modernes , car il règne
la plus grande confusion sur la position de cet écueil.
Juan Gaetan * le place même deux cents lieues à l'ouest
de l'île Santo Tomas. C'est cette dernière île qu'on

trouve marquée par les 19°45′ de latitude , comme un


bas-fond de trente-six milles de longueur , sur la carte
de Domingo de Castillo , dressée en 1541 , et long-temps
ensevelie dans les archives de la famille de Cortez , à

Mexico . A des époques plus récentes le groupe des îles


de Revillagigedo n'a été vu que trois fois ; savoir , par
le pilote Don Josef Camacho , en 1779 , dans une na
vigation de San Blas à la Nouvelle- Californie ; par le


Ramusio , tome 1, page 375 ( édition de Venise , 1613 ) .
108 INTRODUCTION

capitaine de vaisseau Don Alonzo de Torres , en 1792 ,


dans un voyage d'Acapulco à San Blas ; et enfin par
M. Collnett * , en 1793. Les observations de ces trois
navigateurs sont très peu d'accord entre elles. Il paraît
cependant que M. Collnett a fixé assez exactement la
position de l'île du Socoro , en prenant plusieurs séries
de distances de la lune au soleil . C'est d'après ces dis
tances calculées sur les tables de Mason , que tout
le groupe d'îlots a été orienté.

J'ai tracé dans cette carte , d'après les matériaux


qu'on possédait en 1804 , les Montagnes Rocheuses du
Nouveau-Mexique jusqu'au parallèle de 42 ° . Tel est
l'accord entre les observations astronomiques du major
Long avec la longitude que j'ai donnée à Santa-Fe et à
Taos , que je n'aurais point à changer aujourd'hui
(1825) la longitude de la partie orientale des mon
tagnes. Les trois pics se trouvent :
Spanish Peak : . . . . . . . lat. 37°20′ long. 106°55′
James Peak que l'on croit
de 1798 toises de hau
teur : · lat. 38°38′ long. 107°52′

Big Horn ou Pic principal (Highest Peak) du major Long

* Collnett's Voyage to the South Sea , page 107. M. Collnett trouve


le cap San Lucas par 22° 45′ de latitude , et 112 ° 20′15 ″ de longitude.
Cette latitude paraît fausse de près de 7 minutes. La montagne de
San Lazaro , dont M. Collnett a fixé la position par 25 ° 15′ de lati
tude , et 114°40'15 " ( pages 92 et 94 ) , n'est sans doute pas la même
que celle que Ulloa a appelée en 1539 cap de San Abad , et que j'ai
placée ( d'après M. Espinosa ) par les 24° 47′ de lat. , et 114°45'30"
de longitude .
GÉOGRAPHIQUE. 109

ou Long Peak de Tanner : lat. 40° 13′ long. 108 °30'.


je pense que pour continuer, dans l'état actuel de la géo
graphie de ces contrées , les Cordillères mexicaines
( Rocky ou Stony Mountains ) vers le nord , il faut
en placer le bord oriental à

38° de latitude par 107°20′ de longitude.


40° 108°30'
45° 1130'
63° 124°40'
68° 130°30'

Je fixe la longitude de l'extrémité septentrionale de


la chaîne des Andes dans les Rocky Mountains , d'a
près les corrections que les observations du capitaine
Franklin ont apportées récemment à la carte de
M. Mackensie. Les erreurs , par les 67° et 69° de
latitude , paraissent de 4º à 6º en longitude : mais dans

le parallèle du Lac des Esclaves , elles sont presque


nulles ( embouchure de la Rivière Mackensie , d'après
Franklin 128° , d'après Mackensie 135 ° ; embouchure
du Copper-Mine-River , d'après Franklin , 115°35' ;
d'après Mackensie et Hearne 111 ° ; embouchure de la
Rivière de l'Esclave dans le lac de ce nom , d'après

Franklin , 112 ° 45 ' ; d'après Mackensie , 113º à l'ouest


de Greenwich ) . Il résulte de ces données , 1º que les
Montagnes Rocheuses se trouvent sous les parallèles de
60° et 65° par 127 et 128 ° de longitude à l'ouest du

méridien de Paris ; 2 ° que l'extrémité boréale de la


chaîne à l'ouest de l'embouchure de la Rivière de Mac
kensie est par les 130° 20′ de longitude ; 3° que le
110 INTRODUCTION

groupe des Montagnes de cuivre est par 118 et 119°


de longitude , et 67° et 68° de latitude. Les belles cartes
de M. Tanner sont encore affectées de l'ancienne erreur

de 6º ou 7° à la bouche de la Rivière Mackensie. Il me


paraît que ce géographe place les Montagnes Ro
cheuses trop à l'ouest par lat. 60° à 65° de 2º à 3°
lat. 55° 0° 30'
tandis qu'il craint « par les parallèles de 45° et 48 ° ,
d'avoir porté les montagnes 3° plus à l'est qu'on ne le
fait généralement . >>
Avouons d'ailleurs que toutes ces longitudes de la
chaine centrale , au nord de 50 ° , sont bien incertaines.
Aucune observation de distances lunaires n'ayant été
faite dans ces régions , on ne peut s'appuyer que sur
les positions de Council Bluff et des sources de l'Ar
kansas qui sont 10° à 12° plus au sud.
Quant aux pays limitrophes de la Nouvelle- Espagne,
on s'est servi pour la Louisiane de la belle carte de
l'ingénieur Lafond ; pour les États - Unis , de la carte
d'Arrowsmith , rectifiée par les observations de Rit
tenhouse, Ferrer et Ellicott. Les positions de New
York et de Lancaster ont été discutées par M. Olt
manns dans un savant mémoire inséré dans le second
volume de mon Recueil d'observations astronomiques,

p. 92. Le même ouvrage contient les matériaux qui


ont servi pour tracer l'île de Cuba . Il serait superflu
d'entrer dans de plus grands détails sur une partie qui
n'est qu'un objet accessoire de cette carte. Plusieurs
points situés dans l'intérieur de l'île de Cuba et sur
GÉOGRAPHIQUE. III

les côtes australes , entre les ports de Batabano et de


la Trinidad , ont été fixés par les observations astro
nomiques que j'ai faites en 1801 , entre les Jardins du
Roi, avant mon départ pour Carthagène des Indes.
Dans la Carte du Mexique et des pays limitrophes,
les points suivans se fondent sur les observations astro
nomiques que j'ai faites dans la navigation de Cumana
à la Havane , en traversant le banc de la Vibora , et
dans celle du Batabano au Golfe du Darien.

LONGITUDE.
NOMS DES LIEUX. LATITUDE.
EN TEMPS. EN ARC.

h , " 0 1 " O 1
La Havanne , le Morro. 5 38 52,5 84 43 8 23 927
La Trinité de Cuba. 5 29 24,5 82 21 7 2148 20
Cap Saint-Antoine , N. O.. 549 9,5 87 17 22 2155 O
Punta de Mata - Hambre.. 5 38 31,0 84 37 45 «
Bocca de Xagua. · 5 31 37,5 82 54 22 « «
Cayo Flamingo. 5 36 14,1 84 332 22 0 0
Cayo de Piedras. 5 34 28,8 83 37 12 21 56 40
Cayman Grande , pointe E. 5 31 56,3 82 59 4 1919 O
Cayman Brac, pointe E. 5 28 30,5 82 7 37 1940 O
Cap Portland. 5 17 14,3 79 18 35 « "
Las Ranas. 5 13 34,4 78 23 35 17 28 0
Récifs peu connus sur le
banc de la Vibora. 5 22 55,4 80 43 49 1650 O

Ces positions ont été discutées dans le Recueil d'Ob

servations astronomiques que j'ai publié conjointe 4


ment avec M. Oltmanns , vol. II , pages 7 , 11 , 13 , 56 ,
66,68 , 109 , 112. Le cap Morant , qui , d'après M. de
Puységur , se trouve par les 17°57′45″ de lat. , et par
les 78°35′23″ de long. , a été placé , par M. Poirson ,
112 INTRODUCTION

de 5′ en arc plus à l'est . Cette position plus orientale


est justifiée par plusieurs cartes espagnoles.
Quant à la position de la ville de Washington , nous
n'avons pas cru devoir adopter la longitude que lui
assigne la Connaissance des temps pour l'année 1812 ,
et qui est de 78 °57′30 ″ , ou d'un demi- degré trop
orientale. Si cette position était exacte , les géogra

phes des États -Unis se trouveraient bien en peine


pour placer Baltimore et le cap Hatteras. L'occulta

tion d'Aldebaran , du 21 janvier 1793 , observée à


Washington , avait été calculée par Lalande , qui en dé
duisit , en effet , la long . de 5¹15′51 ″ ; mais M. Wurm *
a refait le calcul , et a trouvé 5h17′16″ , ou 79 ° 19′0″. Ce
dernier résultat s'accorde très bien avec l'observation
d'une éclipse de soleil faite par M. Ellicot , en 1791 ,

à George-Town , près de Washington , à l'ouest , et


qui donne 517′40″ , ou 79°25′9″. Quoique , en gé
néral , pour la partie orientale des États-Unis on se
soit servi de la carte d'Arrowsmith , quelques légers
changemens ont été faits d'après les recherches de 1
M. Ebeling et d'après des renseignemens que M. de
Volney a recueillis dans son voyage à l'ouest des
Alléghanys.
La côte du nord-ouest de l'Amérique septentrio

nale , depuis le cap Saint-Lucas jusqu'au cap Saint


Sébastien , a été tracée d'après les savantes recherches

* Zach, Mon. Corresp. , 1803 , nov. , page 382. M. William Lambert


s'arrête à 79° 15′45 ″ longitude peut-être trop orientale , puisque Fer
rer trouve par Georgetown 70 ° 25'7".
GÉOGRAPHIQUE . 113

de M. Oltmanns , consignées dans son ouvrage sur la


Géographie du Nouveau-Continent * . On a eu égard
aux relèvemens faits par Vancouver et Alexandre Ma
laspina : la longitude de l'île de Guadalupe paraît un
peu douteuse. Un ukase émané en 1799 , sous le règne
de l'empereur Paul Ier , déclare que toute la côte si
tuée au nord du parallèle des 55 ° appartient au gouver
nement russe. Dans cet ukase , la côte nord-ouest est

constamment appelée la côte nord- est de l'Amérique ,


dénomination extraordinaire que l'on a cru justifiée

par la circonstance « que , depuis le Kamtschatka , il


faut naviguer à l'est pour trouver l'Amérique. >>
(Storch's Russland, B. I , page 145, 163 , 265 et 297.)
Quoique les résultats auquels s'est arrêté M. Olt
manns dans le grand tableau des positions , placé à la
tête de notre Recueil d'Observations astronomiques ,
ne different pas sensiblement de ceux que j'ai pré
sentés plus haut , pages 85--90 , il sera pourtant utile
de consigner ici les longitudes rectifiées de huit points
des côtes occidentales .

* Oltmanns Untersuchungen über die Geographie des Neuen Continents,


(Paris , F. Schoell) , Th. II , p. 407. Recueil d'Observations astrono
miques, Vol. II , 592-619.
00

1. 8
114 INTRODUCTION

NOMS DES LIEUX. LONGITUDE.

0 / "
Acapulco. 102 933
San Blas. 107 15 48
San Josef. 112 1 8
Cap San Lucas. 112 10 38
Cap Mendocino. 126 49 30
Punta del Año Nuevo. 124 43 53
Monterey. 124 11 21
Noutka. 12857 1

III.

CARTE DE LA VALLÉE DE MEXICO , OU DE L'ANCIEN


TENOCHTITLAN.

Peu de contrées inspirent un intérêt aussi varié que


la vallée de Tenochtitlan. C'est le site d'une ancienne
civilisation des peuples américains. De grands souve
nirs se rattachent non-seulement à la ville de Mexico ,
mais surtout à des monumens plus anciens , aux pyra
mides de Teotihuacan , qui étaient dédiées au soleil et
à la lune , et dont la description sera donnée dans le
troisième livre de cet ouvrage. Ceux qui ont étudié
l'histoire de la conquête aimeront à chercher sur ma
carte les positions militaires de Cortez, et de l'armée
tlascaltèque. Le physicien contemple avec intérêt la
prodigieuse élévation du sol mexicain , ces rivières qui
ne se rendent point à la mer , cette forme extraor
dinaire d'une chaîne de montagnes trachytiques et ba
GÉOGRAPHIQUE. 115

saltiques , qui entoure la vallée comme un mur circu


laire. Il reconnaît que cette vallée toute entière est le
fond d'un lac desséché. Les bassins d'eau douce et

' d'eau salée qui remplissent le centre du plateau , les


cinq lagunes de Zumpango , de San Christobal , de
Tezcuco , de Xochimilco et de Chalco , ne sont , à ses
yeux , que les faibles restes d'une grande masse d'eau
qui couvrait jadis toute la vallée de Tenochtitlan . Les
travaux entrepris pour préserver la capitale du danger
des inondations , offrent à l'ingénieur et à l'architecte
hydraulique , sinon des modèles à imiter , du moins des
objets dignes d'une étude aprofondie. *
Malgré l'intérêt qu'offre cette contrée sous le triple
rapport de l'histoire , de la géologie et de l'architecture

hydraulique, il n'existe aucune carte dont l'inspection


puisse faire naître l'idée de la véritable forme de la

vallée. Le plan des environs de Mexico , publié à Ma


drid par Lopez , en 1785 , et celui de la Guia de Fo
rasteros de Mexico , ne se fondent que sur un ancien
plan de Siguenza dressé au dix -septième siècle. Ces
esquisses ne méritent certainement pas le nom de cartes
topographiques ; car elles ne représentent ni la situa
tion actuelle de la capitale , ni l'état des lacs du temps
de Montezuma .

* Voyez plus bas , dans l'Analyse statistique , les recherches sur la


position de l'ancienne ville de Mexico , sur les pyramides de Teoti
huacan , sur la position des lacs , sur le canal artificiel ( Desague )
par lequel les eaux de la vallée découlent vers le golfe du Mexique ,
et sur les deux plateaux de Cholula et de Toluca , dont une partie est
comprise dans ma Carte de la Vallée de Tenochtitlan.
8.
116 INTRODUCTION

Le plan de Siguenza , qui n'a que 21 centimètres


de longueur sur 16 de largeur , a pour titre : Mapa
de las aguas que per el circulo de noventa leguas
vienen á la laguna de Tezcuco , delineado por Don
Carlos de Siguenza y Gongora, reimpreso en Mexico
con algunas adiciones, en 1786 , por Don Joseph Al
zate. L'échelle de latitudes et de longitudes que

M. Alzate a ajoutée à ce plan de Siguenza , a des dé


fauts de construction qui excèdent trois minutes en
arc. La longitude absolue de la capitale , que le sa
vant Mexicain assure être le résultat de vingt - une
observations de satellites de Jupiter , et qu'il dit avoir
été approuvée et vérifiée par l'Académie des sciences
de Paris , est fausse d'un degré. Ce plan de M. Alzate
a été servilement copié par tous les géographes qui
ont hasardé de publier des cartes de la vallée de Mexi
co. Il offre pour la distance directe

a) de la cime du volcan de Popocatepetl au village


de Tisayuca , situé à l'extrémité septentrionale de
la vallée , 1 ° 1 ′ en arc équatorial . ( Vraie distance
0°53'. )

b) du centre de la ville de Mexico à Huchuetoca , où


commence le canal d'écoulement des lacs o°32'.

(Vraie distance o° 23′. )

c) de Mexico à Chiconautla , o ° 20′ . ( Vraie distance


0° 15′. )

d) du rocher ( Peñol ) de los Baños à Zumpango ,


0°32'. ( Vraie distance o°21'. )
I
19
GÉOGRAPHIQUE. 117

du Peñol de los Baños à San Christobal , o° 13′.

( Vraie distance o° 8′. )


f) du village de Tehuiloyuca à Tezcuco, o° 29′ : (Vraie
distance o°21.)

Voilà des erreurs de 16,000 , même de 20,000 mè

tres sur des distances que M. Velasquez , dans une


opération géodésique faite en 1773 , avait mesurées
avec une grande exactitude , et sur lesquelles il ne reste
peut-être pas un doute de cent mètres . Cependant
M. Alzate avait à sa disposition la triangulation de
Velasquez , et il aurait pu s'en servir comme nous l'a
vons fait , Don Luis Martin , M. Oltmanns et moi , en
rédigeant la carte qui est insérée dans l'atlas mexicain .
Je n'ai pas fait d'observation astronomique à Pachuca ,

mais bien au Réal de Moran , dont la latitude est plus


grande que celle de Pachuca. J'ai trouvé Moran par les
"
20° 10′4″ de latitude , et cependant M. Alzate fait Pa
chuca 20° 14′. L'ancienne ville de Tula est placée dans
sa carte trop au nord , de près d'un quart de degré.
Le plan de Mascarò , publié dans la Guia de Mexico

(Mapa de las cercanias de Mexico ) , n'a que 14 cen


timètres de long sur 10 de large. Il est par conséquent
douze fois plus petit que celui qui est joint à cet ou
vrage. On peut le considérer comme une copie du plan
de Siguenza et d'Alzate. Cependant la partie septen
trionale de la vallée s'y trouve un peu rétrécie. La cime du
volcan de Popocatepetl est éloignée de Huehuetoca ,
d'après le père Alzate , de 1 ° 14' ; d'après Mascarò , de
1°11' . La vraie distance est de 1 ° 1' . C'est celle qui ré
118 INTRODUCTION

sulte en liant , par les triangles de Velasquez , Hue


huetoca au rocher de los Baños , et ce rocher , par mes

observations astronomiques et par plusieurs azimuths ,


au volcan de Popocatepetl et à la pyramide de Cholula.
Il existe des cartes selon lesquelles les eaux des lacs
voisins de la ville de Mexico , ne coulent pas au nord
est , vers le golfe du Mexique , comme c'est effective
ment le cas , mais au nord - ouest , vers la Mer du

Sud. Cette erreur se trouve , parmi un grand nombre


d'autres , sur la carte de l'Amérique septentrionale ,

publiée à Londres par M. Bower , géographe du roi.


Dès mon arrivée à Mexico , au printemps de l'an
née 1800 , j'avais conçu le projet de dresser une carte
de la vallée de Tenotchtitlan . Je m'étais proposé de
fixer, par des observations astronomiques , les limites
de cette vallée qui a la forme d'un ovale allongé . J'a
vais pris en outre un grand nombre d'angles de posi
tions , en me plaçant successivement sur la tour de la
cathédrale de Mexico , à la cime des collines de Cha
poltepec et du Peñol de los Baños , à la Venta de
Chalco , au sommet de la Montagne du Chicle , à Hue
huctoca et à Tissayuca. La position des deux Volcans
de la Puebla et du Pic d'Axusco avait été déterminée

par une méthode hypsométrique particulière , c'est-à


dire par des angles de hauteurs et des azimuths . N'ayant
que peu de temps à donner à ce travail je ne pouvais
me flatter de réunir dans ma carte le grand nombre
de petits villages indiens qui couvrent les bords des
lacs. Mon but principal était de fixer avec soin la
GÉOGRAPHIQUE .
119

forme générale de la vallée , et de dresser la carte


physique d'une contrée dans laquelle je venais de me
surer un grand nombre de hauteurs à l'aide du baro
mètre.

Les circonstances m'ont mis à même de publier une

carte topographique fondée sur des matériaux plus


exacts. Une personne respectable qui ( par une réu
nion bien rare dans tous les pays ) joint une grande
fortune à l'amour des sciences et du bien public ,
M. Don Jose Maria Fagoaga , voulait me laisser un
souvenir précieux de sa patrie , en me donnant , lors
de mon départ de Mexico , l'esquisse d'un plan de la
vallée. C'est sur l'invitation de M. de Fagoaga qu'un de

mes amis , Don Luis Martin , minéralogiste et ingénieur


habile , dressa une carte d'après les opérations géodési
ques qui ont été faites à différentes époques entre la ville
de Mexico et le village de Huehuetoca , à l'occasion des
canaux de Tezcuco , de San Christobal et de Zumpango.
M. Martin employa une partie de mes relèvemens en
assujétissant le tout aux observations astronomiques
que j'avais faites aux extrémités de la vallée. De nom
breuses excursions géologiques entreprises dans les

environs de la capitale et aux Volcans de la Puebla ,


l'ont mis en état d'exprimer avec beaucoup de vérité
la forme et la hauteur relative des montagnes qui sé

parent le plateau de Mexico de ceux de Toluca , de


Tula , de Puebla et de Cuernavaca .
La carte que je dois à l'amitié de M. de Fagoaga ,
n'est cependant pas celle qui est jointe à mon atlas
120 INTRODUCTION

mexicain. En examinant cette carte avec soin , en la

comparant , soit à la triangulation de M. Velasquez ,


dont je possède le détail dans un manuscrit original ,
soit au tableau des positions astronomiques fixées par
mes observations , j'ai vu que la côte orientale du lac
de Tezcuco et toute la partie septentrionale de la vallée ,
exigeaient des changemens considérables. M. Martin
lui-même avait reconnu l'imperfection de sa première
ébauche, et j'ai cru faire une chose qui lui serait
agréable , en engageant M. Oltmanns à faire dessiner

de nouveau , sous ses yeux , la carte de la vallée , d'après


la réunion de tous les matériaux que j'avais rapportés.

Chaque point a été discuté séparément ; on a pris des


termes moyens lorsque plusieurs relèvemens ne ca
draient pas entre eux.
Voici la chaîne des triangles mesurés par M. Velas
quez , en 1773 , depuis le rocher des bains ( Peñol de
los Baños ) , près de la ville de Mexico jusqu'à la mon
tagne de Sincoque, au nord de Huehuetoca . Les angles
ont été mesurés avec un excellent théodolite anglais
de dix pouces de diamètre , et muni de deux lunettes
de vingt-huit pouces de longueur.
GÉOGRAPHIQUE. 121

NOMBRE DISTANCES
AAGAAS

ANGLES
des NOMS DES STATIONS. RÉDUITES
observes (en vares mexicaines, dont
TRIANGLES. 2,32258 font une toise.)
ARG
ARC
AAG
AAS
ABC
AAG

Garita de Guadalupe . 57°42' De A à B. 4474


I. B. Garita de Peralvillo. 84°57' De B à C. 6233
C. Cumbre del Peñol.. 37°21' De A à C. 7346
A. Garita de Peralvillo. 81°27'
De A à C. 4806
II. B. Cumbre del Peñol. 40°44'
C. 57°49' De Bà C. 7283
San Miguel de Guadalupe..
A. San Miguel de Guadalupe.. 62°25' De A à C. 29136
III. B. Cumbre del Peñol.. 103°31'
C. Tezcuco . De B à C. 26560
14°4'
A. Cumbre del Peñol. 61°35'
IV. B. De A à C. 20229
Tezcuco.. 46°25'
De B à C. 24562
C. { Cruzes del Cerro de S. Christobal. 72°0'
A. Tezcuco.... 35°1'
De A à C. 20694
V. B. Cruzes del Cerro de S. Christobal. 57°19'
De B à C. 14100
C. Creston de Chiconautla. 87°40'
A. Creston de Chiconautla. 76035
VI. B. De A à C. 14631
Cruzes del Cerro de S. Christobal. 5393'
De B à C. 17809
C. Xaltocan... 50°22'
A. Creston de Chiconautla. 59947'
VII. B. 76°8' De A à C. 19677
Cruzes del Cerro de S. Christobal. De B à C. 17513
C. Hacienda de Santa Iñes. .. 4405'
A. Cruzes del Cerro de S. Christobal. 23°5'
VIII. B. 80°46' De A à C. 17809
Hacienda de Santa Iñes.
76°9′ De Bà C. 7072
C. Xaltocan.
A. Xaltocan. 65°19'
IX. B. De A à C. 11738
Hacienda de Santa Iñes. 71°30'
36°11' De B à C. 10884
C. Zumpango.
A. Zumpan go. 49°34'
X. De A à C. 12718
B. Hacienda de Santa Iñes. 74°46'
De Bà C. 10033
C. Tehuiloyuca. 55°40'
A. Zumpango. 57°12′
XI. B. De A à C. 20927
Tehuiloyuca. 85°30'
De B à C. 17647
C. Sincoque ( Cerro de ) . 37°17'
A. Tehuiloyuca. 24°30'
XII. Sincoque. 29°43' De A à C. 10783
Hacienda de Xalpa. 125°47' De B à C. 9020
A. Hacienda de Xalpa . 32 19'
101°44' De A à C. 12288
XIII. B. Sincoque.
C. Loma del Potrero. 47°57' De B à C. 6709
A. Loma del Potrero. 113°50' De A à C. 8672
XIV. B. Sincoque. 37°50′ De B à C.
C. Puente del Salto. 28°20'
122 INTRODUCTION

M. Velasquez avait mesuré deux bases ; l'une de


3702 vares mexicaines dans la plaine souvent inon
dée qui sépare le village de San Christobal et la colline
de Chiconautla ; l'autre de 4474 vares sur la chaussée
qui mène de la capitale au sanctuaire de S. Michel
de la Guadeloupe. La seconde base fut même mesurée
deux fois . En résolvant successivement la série des
triangles d'après ces valeurs , on trouve la distance di

recte de la croix de la montagne de San Christobal à


la crête ( creston ) de la Loma de Chiconautla . Une
des bases donne 14099 vares pour cette distance ,
l'autre en donne 14101. Le troisième triangle et les
trois derniers ont chacun un angle obtus ; mais dans
ces mêmes triangles une erreur d'une minute dans
l'angle le plus aigu ne produirait encore que trois ou
quatre vares de différence sur la longueur des côtés . Il
en résulte que cette opération est très précieuse pour

la topographie de la Vallée de Tenochtitlan.

Des signes particuliers indiquent sur ma carte les


positions qui se fondent sur la triangulation de M. Ve
lasquez , et celles que j'ai fixées astronomiquement. On
a ajouté les résultats de mes mesures faites à l'aide du
baromêtre , et calculées d'après le coefficient de M. Ra
mond. Pour faciliter l'usage de la carte à ceux qui étu

dient l'histoire de la conquête , j'ai mis les anciens


noms mexicains à côté des noms qui sont usités de nos
jours. J'ai tâché d'être très exact dans l'orthographe
aztèque , en ne suivant que les auteurs mexicains , et
non les ouvrages de Solis , Robertson , Raynal et Pauw,
GÉOGRAPHIQUE. 123

qui défigurent de la manière la plus étrange les noms


des villes , des provinces et des rois d'Anahuac.

IV.

CARTE QUI PRÉSENTE LES POINTS SUR LESQUELS ON


A PROJETÉ DES COMMUNICATIONS ENTRE L'OCÉAN
ATLANTIQUE ET LA MER DU SUD.

Cette carte a été dressée pour offrir aux yeux du


lecteur , dans un même tableau , neuf points qui pour
raient fournir des moyens de communication entre les
deux Océans . Elle sert à expliquer les renseignemens
donnés dans le deuxième chapitre du premier livre.
J'ai représenté dans neufesquisses réunies les points de
partage entre l'Ounigigah et le Tacoutché Tessé , entre
le Rio Colorado et le Rio del Norte ; les isthmes de
Tehuantepec , de Nicaragua , de Panama et de Cu
pica ; la rivière de Guallaga et le golfe de S. George ,
enfin le ravin de la Raspadura au Choco , par lequel ,
depuis 1788 , des bateaux ont remonté de l'Océan
Pacifique à la Mer des Antilles. Les esquisses les plus
intéressantes sont celles du petit canal de dérivation
de la Raspadura et de l'isthme de Tehuantepec. J'ai
tracé le cours des rivières de Huasacualco ( Guasa

cualco ) et de Chimalapa d'après les matériaux que


j'ai trouvés dans les archives de la vice-royauté de
Mexico , et surtout d'après les plans des ingénieurs
Don Miguel del Coral , et Don Augustin Cramer, que

le vice-roi Revillagigedo avait envoyés sur les lieux .


124 INTRODUCTION

Les distances ont été rectifiées par des itinéraires dres


sés à une époque très récente , lorsque l'indigo de
Guatimala a commencé à passer par la forêt de Tarifa ,
c'est-à -dire par un chemin nouveau ouvert au com
merce de la Vera-Cruz.
⭑ l'isthme
Dans la Carte des points de partage 9
de Panama a été tracé , en grande partie , d'après
les opérations astronomiques et trigonométriques de
MM . Fidalgo , Noguera et Tiscar. Voyez la belle
Carte publiée par le bureau des longitudes de Madrid ,
qui porte le titre de Carta esférica del Mar de las
Antillas y de las costas de Tierrafirme, des la isla de
la Trinidadhasta elgolfo de Honduras, 1805. D'après
les recherches faites par l'expédition de Fidalgo , la baie
de Mandinga s'étend , vers le sud , jusqu'aux 9 °9 ′ de
lat. nord , et la ville de Panama se trouve de 7′en arc
à l'est de la ville de Portobelo . Don Jorge Juan avait
conclu de ses relèvemens , faits dans la rivière de
Chagre , que Panama était situé de 31 ' à l'ouest de

Portobelo ** . D'après la carte du Deposito , de 1805 ,


l'isthme n'aurait , au sud de la baie de Mandinga ,
que 15' en arc , ou 14,258 toises de largeur , tandis
que , d'après la carte de la Cruz , cette largeur est de
55', ou de 52,277 toises . Malgré l'extrême confiance
que méritent les relèvemens des côtes de M. Fidalgo ,
il ne faut point oublier que ses opérations n'embrassent

* Atlas mexicain, Pl. IV , N' VII. Introduction , page LX.


**
Vo age dans l'Amérique méridionale , tome 1 , page 99.
GÉOGRAPHIQUE. 125

absolument que les côtes septentrionales , et que ces


dernières n'ont pas été liées jusqu'ici aux côtes méri
dionales par une chaîne de triangles ou par le trans
port du temps . Ce n'est que par ces moyens ou par
un grand nombre d'observations correspondantes de
satellites et d'occultations d'étoiles , que l'on pourra

résoudre le problême important de la différence de


longitude entre Panama et Portobelo : j'appelle ce
problême important , parce que c'est la longitude de
Panama qui influe sur celle de l'embouchure du Rio
Chepo , et par conséquent sur la position de cette
partie du golfe de Panama qui correspond au méri
dien de la pointe de San Blas et du fort de Saint
Raphaël de Mandinga . En jetant les yeux sur la con
figuration des côtes septentrionales et méridionales ,
on reconnaît facilement que , quoique leur direction
moyenne soit à-peu-près de l'est à l'ouest , ce n'est
pourtant pas des latitudes seules que dépend la largeur
de l'isthme. Selon la Carte du Deposito hidrografico

de 1817 ( Quarta Hoja de la Prov. de Cartagena )


le minimum de la largeur de l'isthme de Panama est
de nouveau de 25′ ou de 23,775 toises , près de 8 lieues
marines. Le fond de la baie de Mandinga est indiqué
non par 9°9′ , mais par 9° 28′ de latitude.
Quelle est la hauteur des montagnes au point où
l'isthme est le plus étroit ? Quelle est la largeur de
l'isthme au point où la chaîne de montagne est le moins
élevée ? Voilà les deux grandes questions qu'un gou
vernement éclairé doit tâcher de faire résoudre , en em
126 INTRODUCTION

ployant des observateurs exercés , qu'il suffira de munir


d'un sextant , de deux garde-temps et d'un baromètre.
Aucune mesure de hauteur , aucun nivellement du sol

n'ont jamais été faits dans l'isthme de Panama : ni les


archives de Simancas , ni celles du conseil des Indes ,
ne renferment aucune pièce importante propre à jeter
du jour sur la possibilité de faire des canaux de com
munication entre les deux mers. Ce serait à tort que
l'on accuserait le ministère de Madrid d'avoir voulu

cacher des choses dont il n'a jamais eu plus de con


naissance que les géographes de Londres et de Paris.

Dans la petite Carte du Choco * , qui présente le


canal creusé , par le curé de Novita , à travers un terrain
appelé Bocachica , j'ai marqué , comme incertaine , la
direction de la côte qui s'étend depuis la Pointe de
San Francisco Solano , jusqu'au Golfe de San Miguel.
Il serait à desirer que l'on connût plus exactement la
position de Cupica ou Cupique , où le pilote espa
gnol , M. Gogueneche , a fait son établissement.

V.

CARTE RÉDUITE de la route d'Acapulco a MEXICO .

J'ai levé et dessiné cette carte itinéraire en voya

geant des côtes de la Mer du Sud à la ville de Mexico ,


depuis le 28 mars jusqu'au 11 avril. On a donné plus
haut ( pag. 50 ) le précis des observations astronomi

* Atlas mexicain , Pl. IV , Nº VIII. Chap. 11.


GÉOGRAPHIQUE. 127

ques qui lui ont servi de base : elle offre en même

temps les résultats d'un nivellement barométrique * ,


les inégalités du sol d'Anahuac , et les lignes de cul
ture dont la direction est modifiée par l'élévation du
I sol.
VI.

CARTE DE LA ROUTE DE MEXICO A DURANGO.

Comme le plateau de la Nouvelle-Espagne , qui s'é


tend sur le dos des Cordillères , est la partie la plus
peuplée du royaume , il m'a paru intéressant de pré
senter dans trois cartes itinéraires le détail du chemin

qui conduit de la ville de Mexico par Zacatecas , Du


rango et Chihuahua à Santa- Fe du Nouveau-Mexique.
Ce chemin , praticable pour des voitures , se soutient
jusqu'à Durango , peut-être même au-delà de cette
ville , à une élévation de plus de 2000 mètres au-des
sus de la surface de l'Océan . Ayant employé , pour les
cartes de routes , d'autres matériaux que ceux qui ont
servi à former la carte générale du Mexique , je dois
rendre raison ici de la cause des différences que l'on
remarquera entre les diverses parties de l'atlas Mexi
cain . Dans la carte générale j'ai présenté , à l'exemple
de D'Anville , de Rennell , et d'autres géographes cé
lèbres , les résultats qui , d'après un grand nombre de
combinaisons , m'ont semblé les plus probables. Lors

Voyez mon Recueil d'observations astronomiques , vol. 1 , pages


318-320.
128 INTRODUCTION

qu'on est privé d'observations directes , il faut y sup


pléer par des combinaisons et par les artifices d'une
critique éclairée . Des moyennes tirées d'observations
dont les extrêmes s'éloignent considérablement les uns

des autres , peuvent fournir d'utiles approximations .


Du temps de D'Anville il existait à peine dans l'Indos
tan quelques endroits dont la position fût déterminée
astronomiquement . Cependant cet excellent géographe
qui n'avait pour l'intérieur de l'Inde que des itiné

raires vagues , est parvenu , selon le témoignage de


M. Rennell même , à dresser des cartes , dont l'exac
titude doit surprendre.

En traçant les cartes du plateau mexicain , d'après


de simples journaux de route , il aurait été dangereux
de modifier les points intermédiaires. L'objet princi
pal de ces cartes est de présenter un détail topogra
phique qui n'a pu être marqué sur la grande carte :
il a paru utile de ne rien changer aux aires de vent
et aux distances indiquées par les ingénieurs. Les la
titudes des points extrêmes étant connues , le calcul
des sinus et cosinus des rumbs observés , a donné la
différence en longitude , et la valeur des lieues dupays.
Ces résultats méritent assez de confiance , lorsque plu
sieurs latitudes ont été rectifiées par des moyens astro

nomiques sur la même route , comme c'est le cas dans


le chemin de Mexico à Durango . On a employé dans
ce cas la méthode des navigateurs ; on a corrigé l'es
time par la latitude observée. M. Friesen , qui réunit
au talent d'un dessinateur distingué une connaissance
GÉOGRAPHIQUE . 129

solide des mathématiques , a bien voulu se charger de


ces calculs . C'est lui aussi qui a dressé , d'après la pro

jection de Mercator , les trois cartes de routes que con


tient l'Atlas mexicain. On ne trouvera de différence

sensible avec la grande carte que dans la longitude de


Santa -Fe , qui est d'après Rivera , 107° 58′ , au lieu
de 107° 13′ ; et dans la latitude du Presidio del Passo ,
que ma grande carte place 8' plus au sud. Cette der

nière carte offre les positions qui , d'après l'état actuel


de nos connaissances géographiques , me paraissent ,
je ne dirai pas les plus exactes , mais les moins erronées.
L'échelle des trois cartes itinéraires est à l'échelle de

la carte générale 3 : 2.

Le plan qui présente la route de Mexico à Durango,


par Zacatecas , est fondé sur mes propres observa
tions astronomiques , et sur les journaux de route de
M. Oteiza. Entre Mexico et Guanaxuato on a joint aux
noms des lieux le nombre de toises dont , suivant mon
nivellement barométrique , le sol du plateau est élevé
au-dessus du niveau de l'Océan.

Le calcul a donné la capitale de Mexico à l'est de


Zacatecas , par les routes de M. Mascarò , 3°45', par
celles de Rivera 1 °58'. Cette énorme différence prouve
l'incertitude des rumbs dans un pays de montagnes et

sur des chemins tortueux . Nous avons adopté avec


M. Oteiza 2°35', ce qui tient presque le milieu entre les
résultats des deux ingénieurs. Durango est d'après Ri
vera , 1 °20' à l'ouest de Zacatecas , d'après Oteiza 1 ° 57'.
M. Friesen a trouvé que les rumbs indiqués dans le
I.
9
130 INTRODUCTION

journal de Lafora , placent la ville de Queretaro 1 °33′


à l'est de Zacatecas , et 47' à l'est de Mexico. Cette der
nière différence est fausse de 18' ; car , d'après mon
garde-temps , Queretaro est par les 102 °30'30" de
longitude.

VII.

CARTE DE LA ROUTE DE DURANGO A CHIHUAHUA.

Cette route traverse une grande partie de la pro


vince de la Nouvelle-Biscaye. MM . Rivera et Mascarò
ont fait ce chemin , le premier directement de Durango
à la capitale des Provincias internas , l'autre en pre
nant par Zacatecas , Fresnillo , la Laborcilla et Abi
nito. M. Friesen a trouvé , d'après Rivera , pour la
différence des méridiens de Chihuahua et Durango ,

1° 10'. Zacatecas serait placé , d'après le même voya


geur, 2°3′ à l'est de Chihuahua ; selon M. Mascarò , on
trouverait 2 °53' . Cette harmonie est assez satisfaisante

pour une méthode d'estime naturellement imparfaite.


Cependant ces deux ingénieurs diffèrent beaucoup
dans la longitude de quelques points intermédiaires.
Tous deux ont passé par Rio Florido . M. Mascarò ,
d'après les rumbs et les distances qu'il rapporte, place
ce point 3°22′, Rivera 2 ° 12′ à l'ouest de Zacatecas.

Notre carte de route a été construite d'après les don


nées de Rivera. Elle offre plusieurs endroits intéres
sans tels que les mines du Parral et les postes militaires
GÉOGRAPHIQUE. 131

de Passo del Gallo , Mapimi , Cerro Gordo , et Con


chos. Il serait à désirer que l'on déterminât l'élévation
du plateau qui se prolonge depuis Durango jusqu'à
Chihuahua, ou jusqu'au Passo del Norte. J'ai déduit
la hauteur de Durango d'une série d'observations ba
rométriques faites par M. Oteiza. Je crois que le pla
teau central de la Nouvelle-Espagne s'abaisse rapide
ment depuis Durango vers le Bolson de Mapimi. En
supposant que le Rio del Norte n'ait pas plus de pente
que le Rio de la Magdalena , dans la Nouvelle- Grenade ,
le Presidio del Passo et le terrain situé au sud de ce

poste militaire ne peuvent être élevés que de six cents


mètres au-dessus du niveau de la mer.
*
VIII.

CARTE DE LA ROUTE DE CHIHUAHUA A SANTA-FE DEL


NUEVO MEXICO.

On est embarrassé dans le choix des matériaux pour


cette partie du pays. Comme la distance est très con
sidérable , et comme un pays désert présente peu de
hameaux que l'on puisse découvrir à de grandes dis
tances , l'indication des rumbs y devient sujette à de
graves erreurs . M. Friesen a calculé avec beau

coup de précision , au moyen de tables trigonomé


triques , les routes de Rivera et de Lafora. D'après le
premier, Santa-Fe est 53′ à l'ouest , d'après le second ,
10' à l'est de Chihuahua. En comparant des points

intermédiaires on voit que les deux journaux placent


9.
134 INTRODUCTION

nadian River , deux affluens de l'Arkansas. Le voyage

de Pike et surtout celui du major Long , ont éclairci


quelques-uns de ces points qui étaient restés douteux
lors de la publication de la première édition de mon
ouvrage. « On ignore encore , dit M. James ( le savant
rédacteur du voyage de Long) les véritables sources du
Red River de Natchitotches (la carte du Major Long les
place par la lat . de 35°, ou 10 lieues à l'est du méri
dien de Santa- Fe) . L'opinion long-temps reçue qu'une
des branches principales du fleuve naît dans un point
qui se trouve 30 à 40 milles à l'est de Santa -Fe est

évidemment fausse. Plusieurs personnes arrivées de


Santa-Fe à St.-Louis sur le Missouri , et nommément
le frère du capitaine Schreves nous ont fait connaître
un chemin direct qui se dirige de Santa-Fe au S.-E. , et
passe un des bras du Canadian River, affluent de l'Ar
kansas. On pense qu'à une distance considérable de
ce point , vers le sud, se trouve la source principale
du Red River. En consultant toutes nos données , nous

sommes persuadés que , le 28 juillet , ( lat. 37°3′ long.


103°32' à l'occident de Greenwich ) nous avons été
campés sur le bord de la rivière que M. de Humboldt
appelle Rio Roxo , et qui a été prise long-temps pour
la source de Red River de Natchitotches : nous croyons
aussi que , le 1er août , nous étions à 40 ou 50 milles à

l'est de Santa-Fe . Dans une région d'argile et de sables


rouges où toutes les rivières ont la couleur du sang
artériel , il n'est pas étonnant que beaucoup de rivières

aient reçu le même nom , et qu'un géographe aussi


!

GÉOGRAPHIQUE. 135

attentif que M. de Humboldt , ayant appris qu'une

rivière à eaux rouges naît 40 à 50 milles à l'est de


Santa-Fe , et dirige son cours vers l'est , ait pu soup
çonner que ce point est la source du Red River de Nat

chitotches. Ce simple soupçon a été converti en certi


tude par nos faiseurs de cartes. » ( Long , Exped. t. 11 ,

p. 316 ).
D'après les travaux du major Long le Rio Roxo de
ma Carte de la Nouvelle- Espagne , de 1804 , est la
branche septentrionale du Canadian River , qui reçoit
le Rio de Mora. Le Rio Roxo de Natchitotches naît de

deux branches par les 34° et 35° de latitude ; enfin , les


véritables sources du Rio Colorado de Texas se trou

vent probablement par les 33° . Il ne faut pas oublier


que l'on ne connaît encore avec quelque certitude que
l'origine du Padouca ou Southern Fork of Platte Ri
ver , de l'Arkansas et du Canadian River. Tout ce qui a
rapport aux sources du Rio Roxo et du Rio Colorado
est assez vague. L'opinion erronée de l'identité du Rio

Mora avec le Rio Roxo , a été répétée sur ma Carte de la


Nouvelle-Espagne , d'après l'indication d'une grande
carte manuscrite que je possède et qui porte le titre de
Mapageografico de unaparte de la America septentrio
nal comprehendida entre los 19°y 41º de latitud.Quant
au Rio Napestle avec ses affluens ( le Rio del Sacramento
et le Rio Dolores ) , il reste douteux si on doit le croire
(comme je l'ai fait ) affluent de l'Arkansas et par consé
quent identique avec le Padouca qui est la branche mé
ridionale de Platte River. La distance de Taos aux
ON
138 INTRODUCTI

X.

CARTE DES FAUSSES POSITIONS.

Cette esquisse présente les fausses positions attri


buées aux ports de Vera- Cruz et d'Acapulco , et à la
capitale de la Nouvelle- Espagne. Elle prouve combien
ont été imparfaites les cartes du Mexique que l'on a
publiées jusqu'ici . J'ai tracé cette esquisse d'après le
modèle de la Mapa critica Germaniæ , dressée par
le célèbre astronome Tobie Mayer.

Dans la Carte des fausses positions * , on a distin


gué le résultat que M. de Cassini a tiré des observa
tions de longitude , contenues dans le Voyage de l'abbé
Chappe , et qui se trouve consigné dans la Connais
sance des temps pour l'année 1784 , du résultat adopté
par les membres de l'Académie des sciences chargés de
publier la carte d'Alzate , en 1772. On lit dans cette
carte la note suivante :
a Le Voyage de M. Chappe à la Californie a procuré des correc
· tions dans la position de différens endroits , qu'il est intéressant
• d'indiquer ici.
Longitude
de ile de Fer. Latitude nord.
. Nueva Vera-Cruz ** . 285°35'15" 19°9'30"
· Mexico. 278°16'30"
· San Josef.. 267°52'30" 22°1'0"

On a récemment agité la question : « de combien


« le résultat de mes observations faites pour détermi


Atlas mexicain , Pl. X. Introduction.
** Sans doute une erreur typographique , 285 " pour 282".
T

GEOGRAPHIQUE. 139
<< ner la position de Mexico , diffère du résultat des
<< observations de M. Chappe ? » Je dois rappeler à
cette occasion que cet astronome a observé à la Vera

Cruz et à Saint-Joseph , mais non à Mexico même ; et


que les observations de M. Alzate , dont nous devons
la connaissance à l'abbé Chappe , diffèrent entre elles
de plus de deux degrés en longitude.

XI.

PLAN DU PORT DE VERA- CRUZ .

L'Atlas de la Nouvelle-Espagne paraîtrait bien in


complet , s'il ne renfermait pas le plan du port par le
quel toutes les richesses mexicaines refluent vers l'Eu
rope. Jusqu'à ce jour Vera-Cruz est le seul port qui
puisse recevoir des vaisseaux de guerre européens. Le
plan que je publie est la copie exacte de celui qui a
été dressé en 1798 , par M. Orta , capitaine du port de
la Vera-Cruz . Je l'ai fait diminuer de la moitié de

l'échelle , et j'y ai ajouté quelques notes sur la longi


tude , les vents , les marées atmosphériques , et sur la
quantité de pluie qui tombe annuellement . La simple
vue de ce plan prouve combien serait difficile une
attaque militaire , dirigée contre un pays qui , sur ses
côtes orientales , n'offre d'autre abri aux vaisseaux
qu'un dangereux mouillage entre des bas-fonds.
Les doubles lignes tracées sur le plan du port indi
quent la direction que les vaisseaux doivent suivre
140 INTRODUCTION

pour mouiller . Aussitôt que le pilote découvre les édi


fices de la ville de Vera-Cruz , il doit gouverner de
sorte que la tour de l'église de S. François couvre la

tour de la cathédrale . Il continuera cette route jusqu'à

ce que l'angle saillant du bastion de St. Crispin pa


raisse derrière le bastion de St. Pierre. Depuis ce mo
ment on vire à bas -bord en plaçant la proue sur l'île
des Sacrifices . Le bas-fond de la Gallega offre , près
de la pointe du Soldado , plusieurs balises ( palos de
marca ) qui servent à indiquer aux vaisseaux qui en
trent à la Vera-Cruz deux roches très dangereuses ,
appelées Laxa de Fuera et de Dentro .

XII.

TABLEAU PHYSIQUE DE LA PENTE ORIENTALE DU


PLATEAU D'ANAHUAC .

Les projections horizontales que l'on désigne com


munément par le nom de cartes géographiques , ne
font connaître que très imparfaitement les inégalités
du sol et la physionomie d'un pays . Les mouvemens du
terrain , la forme des montagnes , leur hauteur rela

tive et la rapidité des pentes ne peuvent être repré


sentés complètement dans un dessin , qu'en suivant la
méthode du nivellement par tranches , et en dirigeant
avec beaucoup de précision les hachures d'après les
lignes desplus grandes pentes. Une carte levée d'après
ces principes , remplace jusqu'à un certain point un

* Le chef de la topographie à l'École Polytechnique , M. Clerc , qui


GÉOGRAPHIQUE.
141
relief. Des lignes tracées sur un plan qui n'a que deux

dimensions , peuvent produire le même effet qu'un


modèle en bosse , si l'étendue du terrain que l'on figure
n'est pas très grande , et si elle est parfaitement connue
dans toutes ses parties : mais les difficultés de ce tra
vail deviennent presque insurmontables , si la projec
tion horizontale embrasse un pays montueux dont la
surface a plusieurs milliers de lieues carrées .
Dans la région la plus habitée de l'Europe , par
exemple en France , en Allemagne ou en Angleterre ,
les plaines qui sont le siège de la culture , ne sont gé
néralement élevées les unes au-dessus des autres que
de cent ou deux cents mètres. Leurs hauteurs absolues
sont trop peu considérables pour avoir une influence
sensible sur le climat * . Il en résulte que la connais

sance exacte de ces hauteurs n'intéresse pas également


le cultivateur et le physicien , et que dans les cartes de

l'Europe il suffit d'indiquer les chaînes de montagnes

possède un talent éminent pour le figuré du terrain , s'occupe de la


publication d'un ouvrage sur le dessin des cartes , et sur la construc
tion des reliefs , qui fera époque dans l'histoire de la topographie.
* L'intérieur de l'Espagne offre une exception bien frappante ; le
sol des Castilles dans les environs de Madrid a plus de 600 mètres
d'élévation absolue. Voyez mon mémoire sur la configuration du sol
de l'Espagne , inséré dans l'Itinéraire de M. Alexandre de Laborde,
tome 1 , page CXLVII -CLVI ; et plus récemment Perfiles de la Peninsula
Española segun las dos direcciones SE. -NO y SO.-NE. por el Baron de
Humboldt, tracés sur la grande Carte d'Espagne de MM. Donnet et
Malo, 1823. C'est aussi d'après mes mesures qu'est dressée la petite
erte géologique , jointe au Rapport sur l'importation des mérinos , par
M. Poyféré de Cère , 1809. Malheureusement cette carte n'a pas été
dessinée , danstoutes ses parties , d'après la même échelle de hauteur.
142 INTRODUCTION

les plus élevées et les contreforts qui se prolongent


vers les plaines.
Sous la zone équinoxiale du Nouveau Continent ,
surtout dans les royaumes de la Nouvelle-Grenade , de
Quito et du Mexique , la température de l'atmosphère ,
son état de sécheresse ou d'humidité , le genre de cul
ture auquel s'adonnent les habitans , dépendent de
l'énorme élévation des plaines, qui forment le dos même
des Cordillères. La constitution géologique de ces con
trées est un objet d'étude également important pour
l'homme d'état et pour le naturaliste voyageur. L'im
perfection de nos méthodes graphiques devient d'au
tant plus sensible , qu'on les emploie à des plateaux
d'une grande élévation : elle frappe bien autrement
dans une carte de la Nouvelle- Espagne que dans une
carte de la France. Pour faire complètement connaître
des pays dont le sol a une configuration si extraordi
naire , j'ai cru devoir recourir à des moyens que les
géographes n'avaient point encore tentés. Les idées
les plus simples sont généralement celles qui se pré
sentent les dernières.

J'ai figuré des pays entiers , de vastes étendues de


terrain , dans des projections verticales , comme depuis
long-temps on a tracé le profil d'une mine ou celui
d'un canal * . Les principes d'après lesquels ces tableaux

* Le premier essai que j'ai fait dans ce genre a été la carte phy
sique du cours du Rio Magdalena , et du chemin de Honda à Santa
Fe de Bogota , qui a été gravée en 1801 , contre mon gré à Madrid.
Voyez mon Recueil d'Observations astronomiques, vol. 1 , page 370.
GEOGRAPHIQUE. 143

physiques doivent être construits , seront détaillés dans


mon Essai de Pasigraphie géologique. Comme les
endroits dont il importe de faire connaître la hauteur
absolue , se trouvent rarement sur la même ligne , la
coupe est composée de plusieurs plans qui diffèrent
dans leur direction , ou bien elle n'offre qu'un seul plan
qui est placé hors du chemin parcouru , et sur lequel
sont abaissées des perpendiculaires . Dans le dernier cas
les distances que présente la carte physique , diffèrent
des distances absolues , surtout lorsque la direction
moyenne des points dont la hauteur et la position ont
été déterminées , dévie considérablement de la direction

du plan de projection.
Les méthodes graphiques appliquées à différens
objets de la géographie physique offrent l'avantage de
porter dans l'esprit cette conviction intime qui accom
pagne toujours les notions reçues immédiatement et
rapidement par les sens . Elles ne sont pas seulement

imitatives , représentant les formes de l'espace d'après


des sections faites par des plans , comme dans le figuré
géométrique du terrain , qui résulte des différens modes

de projections ; elles peuvent aussi servir , par exten


sion , à indiquer toutes les relations de grandeur et de
quantité, tout ce qui , numériquement , est susceptible
d'accroissement et de diminution . C'est ainsi qu'on
trace , et non sans avantage pour la philosophie natu
relle ,en prenant la division du temps pour une des coor
données , des courbes de température moyenne des mois,
de pression atmosphérique et d'humidité ; c'est ainsi
144 INTRODUCTION

qu'en examinant la distribution de la chaleur , la direc


tion et l'intensité des forces magnétiques sur la surface
du globe , on a tracé des bandes isothermes , des

courbes d'égale inclinaison et déclinaison magnétiques ,


enfin " ces lignes isodynamiques sur lesquelles une

même aiguille , dans un espace de temps donné , fait


le même nombre d'oscillations . La géographie phy
sique se borne aux méthodes graphiques imitatives , à
celles qui expriment , par projections , la position re
lative des points dont les divers systèmes constituent
de grandes étendues sur la surface de la terre. Il est
naturel que le besoin des cartes proprement dites ,

c'est-à -dire, du plan géométral d'un pays , de la situa


tion respective des lieux projetés sur un plan horizontal ,
se soit fait sentir plutôt que le besoin des coupes ou
sections verticales qui représentent les points de la sur
face du globe à la hauteur où ils sont placés au-dessus
du plan normal de la surface de l'Océan . Les premières
de ces projections figurent des surfaces planes ou
courbes , les secondes ne représentent que des lignes.

L'arpentage qui mesure la contenance des propriétés


devait , dans une société naissante , précéder les opé
rations du nivellement . Aussi les cartes proprement
dites n'offrirent-elles , pendant long-temps , que les
limites des espaces figurés , les sinuosités des côtes , le
cours des rivières , et , comme le prouvent les tableaux
des routes ( itineraria picta ) des Romains , la posi
tion relative des lieux qui se suivent selon de certaines
directions. On négligeait entièrement le relief du pays.
GÉOGRAPHIQUE. 145

Ce n'est que depuis un demi siècle que le figuré géo


métrique du terrain a acquis cette perfection qui lui
permet de représenter la forme polycdrique de la sur
face du globe , là où les inégalités sont considérables
et rapprochées les unes des autres. Il n'en est pas de
même lorsque des plateaux sont liés par des pentes
très douces. Les différences de niveau naissent à-la-fois

du degré d'inclinaison des pentes partielles et de la


durée ou continuité de cette inclinaison , c'est-à-dire,
de l'étendue plus ou moins considérable dans laquelle
la même pente se prolonge. Quelque grande que soit
l'échelle adoptée pour une carte chorographique de
plusieurs milliers de lieues carrées , aucun dessin de
hachure ne pourrait exprimer une pente d'un degré :
cependant cette même pente , très long - temps prolon
gée , conduirait à des hauteurs considérables. La vaste
surface de l'Amérique méridionale , là , où elle a six
cents lieues de largeur de l'est à l'ouest , offre l'exemple
le plus frappant de cette continuité d'une pente cou
verte de terrains de rapport.
Les sections verticales expriment à-la- fois et égale
ment bien , lorsqu'on combine avec soin les échelles
*
de hauteur et de distance , les plaines basses et les
plaines hautes , les pentes qui les lient , toutes ces on
dulations de terrain qui disparaissent presque entiè
rement sur un plan géométral . Les projections verti
cales appliquées à des pays entiers ne présentent par
conséquent pas seulement un grand intérêt pour l'étude
de la configuration du sol ; leur multiplication sert
1. 10
146 INTRODUCTION

aussi à rectifier le figuré du reliefsur nos cartes ordi


naires . C'est le manque de ces matériaux qui a rendu
si peu exact l'ingénieux essai de M. Dupain-Triel , de
représenter la France entière par des courbes de ni
veau d'un très grand développement.

Depuis long-temps le besoin des coupes ou projec


tions verticales s'était fait sentir dans le travail des

mines ou de la géométrie souterraine , dans le tracé


des canaux et des routes. Pour faire connaître la hau

teur comparative des montagnes du globe , on avait ,


sans avoir égard à la position géographique des lieux ,
réuni des montagnes sous la forme bizarre de pics
élancés . L'abbé Chappe avait publié , moins d'après
des mesures que d'après de vagues données , et en
mêlant le dessin du paysage et les effets de la perspec
tive aérienne au tracé d'une coupe , le chemin de Pé
tersbourg à Tobolsk ; mais il restait à assujettir ce
genre de projection à des règles fixes et à l'appliquer à
la représentation de pays entiers. Les sections verticales
de la Nouvelle- Espagne , que j'ai dessinées en 1803 , et
dont de nombreuses copies sont restées en Amérique ,

ont offert , à ce que je crois , le premier exemple de


cet essai orographique .

Dans les profils de pays entiers , comme dans les


profils des canaux , l'échelle des distances ne peut pas
être égale à l'échelle des hauteurs . Si l'on voulait tenter
de donner la même grandeur aux deux échelles , on se
rait forcé de faire des dessins d'une longueur démesurée,

ou d'adopter une échelle de hauteur si petite , que les


GÉOGRAPHIQUE .
147
inégalités du sol les plus remarquables deviendraient
insensibles . J'ai indiqué sur la douzième planche , par

deux flèches , les hauteurs qu'auraient le Chimborazo


et la ville de Mexico , si le tableau physique était assu
jéti à une même échelle dans toutes ses dimensions . On
voit que dans ce cas une élévation de cinq cents mètres

n'occuperait sur le dessin que l'espace d'un millimètre.


En employant au contraire pour les distances itiné
raires , l'échelle des hauteurs que présentent les
planches XII , XIII , XIV, et qui est à peu près de
270 mètres par centimètre , il faudrait une planche de

plus de 15 mètres de long , pour représenter l'étendue


de terrain comprise entre les méridiens de Mexico et
de la Vera-Cruz ! Il résulte de cette inégalité des échelles
que mes cartes physiques ne présentent les véritables

pentes du terrain pas plus que les profils des canaux


et des routes , dressés par les ingénieurs géographes.
Ces pentes , d'après la nature des projections employées,
paraissent plus rapides dans les dessins qu'elles ne le
sont dans la nature * . Cet inconvénient augmente , si

les plateaux d'une grande hauteur ont très peu d'éten


due , ou s'ils sont séparés par des vallées profondes et
étroites. C'est du rapport des échelles de distance et de
hauteur que dépend principalement l'effet que produit
à l'œil le profil d'un pays. Je n'entrerai point dans une
discussion des principes que j'ai suivis dans ce genre de
cartes. Toute méthode graphique doit être soumise à
des règles , et il m'a paru d'autant plus nécessaire d'en

* Voyez mon Essai sur la Géographie des plantes , page 53.


10.
148 INTRODUCTION

rappeler ici quelques-unes , que plusieurs imitations


de mes tableaux physiques qu'on vient de publier ré
cemment , pèchent à-la-fois contre le goût et les lois
la projection orthogonale. Ce sont des coupes en partie
ombrées comme des paysages et projetées sur plusieurs
plans à-la-fois , sans que rien indique la direction de
ces plans par rapport aux grands cercles de la sphère.
On ne devrait construire des cartes physiques en

projections verticales qu'en connaissant , pour les points


par lesquels passe le plan de projection , les trois coor
données de longitude , de latitude et de l'élévation du
lieu au-dessus du niveau de l'Océan. Ce n'est qu'en
réunissant des mesures barométriques aux résultats
d'observations astronomiques que l'on peut tracer la
coupe d'un pays. Ce genre de projection deviendra

d'autant plus fréquent que les voyageurs s'adonneront


plus assidûment aux observations barométriques . Jus
qu'à ce jour très peu de parties d'Europe offrent les
matériaux qui sont indispensables pour dresser des
tableaux analogues à ceux de l'Amérique équinoxiale.
La construction des profils pl . XII , XIII et XIV
est absolument uniforme. Les échelles sont les mêmes
dans les trois tableaux ; les échelles de distance y sont
à celles de hauteur à-peu-près comme un est à vingt
quatre. Les trois cartes indiquent la nature des roches
qui composent la surface du sol . Cette connaissance

géognostique intéresse les agriculteurs ; elle sera utile


surtout aux ingénieurs qui sont chargés du tracé des
canaux et des routes.
GÉOGRAPHIQUE .
149

On m'a blámé de n'avoir pas fait voir dans ces


mêmes coupes la superposition ou le gisement des
couches secondaires ou primitives , leur inclinaison ou
leur direction . Des raisons particulières m'ont empêché
d'indiquer ces phénomènes. Je possède dans mes jour
naux de route tous les matériaux géologiques néces
saires pour former ce que l'on a coutume de nommer

des cartes minéralogiques. J'ai publié un grand nombre


de ces matériaux dans mon ouvrage sur le nivelle
ment de la Cordillère des Andes , et dans l'Essai géo
gnostique sur le gisement des Roches dans les deux

Hémisphères; mais c'est d'après un mûr examen que


j'ai pris le parti de séparer entièrement les profils géo
logiques qui font connaître la superposition des roches,
des tableaux physiques qui indiquent les inégalités du
sol. Il est très difficile , j'oserais presque dire impos
sible , de dresser une coupe géologique d'un pays éten

du , si cette coupe doit être assujétie à une échelle de


hauteur . Une couche de gypse d'un mètre d'épaisseur
intéresse souvent le géologue tout autant qu'une masse
énorme de gneis , de micaschiste ou de porphyre ; car
l'existence de ces couches très minces , et le mode de
leur gisement répand du jour sur l'ancienneté relative
des formations . Or comment tracer le profil de pro

vinces entières , si la grandeur de l'échelle doit être


telle que
l'on puisse distinguer des masses si peu con
sidérables ? Comment indiquer dans une vallée étroite ,
par exemple dans celle du Papagayo ( planche XIII ) ,
sur l'espace d'un ou de deux millimètres de largeur
150 INTRODUCTION

que la vallée occupe dans le dessin , les différentes


formations qui reposent les unes sur les autres? Ceux
qui ont réfléchi sur les méthodes graphiques , et qui
ont essayé de les perfectionner , sentiront , comme moi ,
que ces méthodes ne peuvent offrir tous les avantages
à-la-fois. Une carte que l'on charge de trop de signes ,
devient confuse , et perd son avantage principal , celui
de faire saisir à-la-fois un grand nombre de rapports.

La nature des roches et leur superposition mutuelle


intéressent le géologue bien plus que l'élévation absolue
des formations , et l'épaisseur de leurs couches. Il suffit
qu'un profil géologique exprime l'aspect général du
pays; et ce n'est qu'en le débarrassant des échelles de
hauteur et de distance , qu'il pourra indiquer avec
clarté les phénomènes de gisement ou de stratification
qu'il importe de faire connaître. On pourrait distin
guer ( en prenant le mot géographie dans le sens plus
strict qu'on lui a donné anciennement , et dans lequel
il ne se rapporte qu'à l'étendue et à la configuration )
entre des coupes géographiques et des coupes géolo
giques. Ces dernières expriment des rapports de com
position , la série des roches superposées.
Le tableau physique de la pente orientale de la
Nouvelle- Espagne est un développement de trois
profils partiels. Il indique à-la-fois la position astro
nomique des points d'intersection , leur distance res
pective et l'angle que fait chaque plan sécant partiel
avec les méridiens. Les trois coupes dont il est com
posé , se distinguent par des couleurs différentes. La
GÉOGRAPHIQUE. 151

ville de Mexico , celle de la Puebla de los Angeles et


le petit hameau de Cruz Blanca , situé entre Perote et
las Vigas , sont les points dans lesquels se fait l'inter
section des trois plans sécans. On a ajouté la longitude
et la latitude de ces points fondées sur mes propres
observations , la direction moyenne de chaque coupe ,

et sa longueur exprimée en lieues de France , qui sont


des lieues communes de vingt-cinq au degré. L'échelle
des distances de ce profil ( pl. XII ) est exactement la
même que celle d'après laquelle est dressée la carte
géographique ( pl . IX ) . La projection verticale oc
cupe plus d'étendue que la projection horizontale ,
parce que dans la première on a conservé les distances
itinéraires d'un endroit à l'autre. La distance absolue

de Mexico à Puebla , par exemple, n'est que de vingt


sept lieues , tandis qu'elle paraît plus grande de deux
lieues sur le dessin du profil qui développe pour ainsi

dire toutes les sinuosités de la route. Il indique le


nombre de lieues que l'on fait en allant de Mexico à
Puebla , par la Venta de Chalco , par Rio Frio et
Ocotlan.

Les deux grands volcans qui se trouvent à l'est de


la vallée de Tenochtitlan , le Pic d'Orizaba , et le Cofre
de Perote , ont été placés dans le profil selon leurs vé
ritables longitudes. On les a figurés tels qu'on les voit
dans une éclaircie , lorsqu'une brume épaisse couvre
leur pied, et que leur cime paraît au-dessus des nuages.
Malgré l'énorme largeur de ces montagnes colossales ,
on n'a pas osé présenter leurs contours entiers , à cause
152 INTRODUCTION

de la grande inégalité des échelles de hauteur et de


distance. En les rattachant au plateau , ces volcans
auraient défiguré le tableau et se seraient présentés
comme des colonnes élevées au-dessus du plateau . J'ai
tâché de rendre avec soin la forme bizarre , j'oserais
presque dire la physionomie particulière des quatre
grandes montagnes de la Cordillère d'Anahuac ; et je
me flatte que les personnes qui dans le voyage de Vera
Cruz à Mexico ont été frappées de l'aspect imposant
les con
de ces cimes majestueuses , reconnaîtront que
tours sont tracés avec précision dans cette planche et
dans celles des nº XVI et XVII .

Pour fixer dans l'esprit des lecteurs quelques faits


importans de la géographie physique , on a marqué
des deux côtés des tableaux , près des échelles de hau
teurs , l'élévation du Chimborazo , et de plusieurs
montagnes des Alpes et des Pyrénées ; celle de la limite

des neiges perpétuelles sous l'équateur , sous le pa


rallèle de Quito et les 45° de lat. * ; la température

.
D'après les recherches les plus récentes de M. de Humboldt (Mé
moires sur les neiges de l'Himalaya , dans les Annales de chimie et dø
physique, 1820, tome xiv, page 56), la limite des neiges perpétuelles se
trouve dans les Andes de Quito ( lat . 1º —1 °30′ ) à la hauteur de
2460 toises ; au Mexique ( lat. 19°—19° 12′ ) à 2350 toises ; à l'Hima
laya ( lat. 30°40'- 31 °4′ ) sur la pente méridionale , à 1950 toises ;
sur la pente septentrionale , probablement à 2605 toises ; au Caucase
( lat. 42°—43º ) à 1650 toises ; aux Pyrénées ( lat. 42º÷ —43 ° ) à 1400
toises ; dans les Alpes de la Suisse ( lat. 45°2—46; ) à 1370 toises ; aux
Carpathes ( lat. 49° 10′ ) à 1330 toises ; en Norwège ( lat. 61 °—-62º ) à
850 toises ; (lat. 67º), à 600 toises ; (lat . 70º), à 550 toises (et par lat. 70º¦ ),
Bous l'influence des étés brumeux des côtes à 366 toises. E-B.
GÉOGRAPHIQUE. 153

moyenne de l'air au pied et sur la pente des Cordil


lères ; enfin les hauteurs auxquelles certaines plantes
mexicaines commencent à se montrer , ou cessent de
végéter dans la partie montueuse du pays. On trouvera

l'indication de quelques-uns de ces phénomènes , ré


pétée sur plusieurs de mes cartes ; cette répétition est
analogue à celle qu'offraient jadis les échelles des
thermomètres en indiquant , quoique avec peu d'exac
titude , le maximum et le minimum de température
observé sous telle ou telle zone. J'ai pensé que les

profils de l'Atlas mexicain qui ont quelque analogie


avec le grand tableau de ma Géographie des plantes ,
pourraient contribuer à répandre l'étude de la nature
considérée dans ses rapports d'influence mutuelle de
climats et de hauteur.

XIII.

TABLEAU PHYSIQUE DE LA PENTE OCCIDENTALE DU


PLATEAU DE LA NOUVELLE-ESPAGNE.

Ce tableau , celui de la partie centrale , et la coupe

de la vallée de Tenochtitlan ( pl . XVI ) sont dressés


d'après les principes que nous venons d'exposer à L
l'occasion du profil de la pente orientale de la Cor
dillère . L'étendue de pays dont la treizième planche
représente la projection verticale , se trouve tracée en
projection horizontale sur la cinquième planche. Le
profil et le plan n'ont pas la même échelle ; car le
154 INTRODUCTION

même nombre de lieues considérées comme distance

itinéraire , occupe sur le plan un espace d'un quart


plus petit que sur le profil. Au contraire les planches
XIII et XIV ont été tracées d'après une valeur uni
forme des échelles , afin qu'on puisse les réunir , si l'on
veut , dans une seule coupe , qui s'étendra depuis
l'Océan atlantique jusqu'à la Mer du Sud , et qui
développera aux yeux du géologue la conformation
extraordinaire du pays entier. J'ai donné au tracé de
la route de Mexico à Acapulco ( pl . V) un peu moins
de développement que ne l'aurait exigé la grande échelle
de la neuvième carte. Pour tirer parti de croquis faits
sur une étendue de terrain de trois degrés , en remon
tant des côtes occidentales vers la capitale de la Nou
velle-Espagne , il a fallu assujétir le dessin à une échelle
#
plus petite. Elle est à celle de la neuvième planche
comme 3 est à 4 .
Il est nécessaire de faire observer à ceux qui vou
draient réunir les profils XIII et XIV, en découpant
les deux échelles verticales , sur lesquelles se trouvent
marquées les hauteurs du Puy - de - Dôme et du Vé
suve, que les plans de projection de ces profils se
coupent presque à angle droit au centre de la ville de
Mexico . La direction moyenne de la première coupe ,

qui est composée elle-même de plusieurs plans , est de


l'est à l'ouest ; la direction moyenne de la seconde coupe,
de celle du chemin de Mexico à Acapulco , est du S. S. O.
au N.N. E. * . La prolongation de la première coupe

* Exactement N. 14° E.
GÉOGRAPHIQUE. 155

s'étendrait à-peu-près par Pazcuaro et Zapotlan vers


la Villa de la Purification . Ce plan prolongé à l'ouest
aboutirait aux côtes de la Mer du Sud entre le cap
Corrientes et le port de la Navidad . Comme la Nou
velle-Espagne s'élargit singulièrement dans cette direc
tion vers l'ouest , il en résulterait que la descente de la
Cordillère, depuis la vallée de Tenochtitlan jusqu'aux
plaines de l'intendance de Guadalaxara , serait du double
plus longue que le chemin de Mexico à Acapulco , tracé
dans la pl . XIII . Les mesures barométriques que j'ai
faites entre Valladolid , Pazcuaro , Ario et Ocambaro,
prouvent d'ailleurs qu'en traçant cette coupe trans
versale d'après la direction des parallèles de 19 ou
20 degrés , on verrait le plateau central conserver la
grande hauteur de 2000 mètres sur plus de 60 lieues
à l'ouest de la ville de Mexico , tandis que dans la
direction de la coupe N° XIII , le plateau n'atteint
plus cette élévation , dès que l'on sort de la vallée de
Tenochtitlan vers le S. S. O.

Je doute qu'une coupe dirigée de l'est à l'ouest ,


depuis la Vera - Cruz jusqu'au petit port de la Na
vidad , puisse présenter une idée plus précise de la
constitution géologique de la Nouvelle - Espagne , que
la réunion de mes deux profils Nº XIII et XIV. La
simple considération de la direction de la Cordillère
d'Anahuac , suffit pour prouver ce que j'avance. La
chaîne centrale des montagnes est dirigée depuis la

province d'Oaxaca jusqu'à celle de Durango , du S. E.


au N. O. Par conséquent le plan de projection pour
156 INTRODUCTION

être perpendiculaire à l'axe longitudinal de la Cor


dillère , ne doit pas être placé parallèlement à l'équa
teur : il doit se diriger du N. E. au S. O. En réfléchis
sant sur la structure particulière et sur les limites du
groupe de montagnes qui avoisinent la capitale de
Mexico , on trouvera que la réunion des deux coupes
No XIII et XIV présente moins imparfaitement la
constitution géologique du pays , qu'on ne serait tenté
de le croire d'après des idées purement théoriques.
Dans la région montueuse comprise entre les 19 et 20
degrés de latitude , rien n'annonce une crête longitudi
nale. Il n'y existe pas même de ces chaînons parallèles
qui sont beaucoup plus rares dans la nature que dans
les ouvrages des géologues , où ils sont de la manière

la plus arbitraire , comme des rangées de digues et


arrêtes rocheuses . La Cordillère d'Anahuac s'élargit vers
le nord , et il résulte de cet élargissement que les plans
inclinés que forment les pentes orientales et occiden

tales de la Cordillère , ne sont pas parallèles dans leur


direction moyenne , qui est presque N. et S. le long
des côtes du golfe du Mexique , et S. E. et N.O. sur la
pente opposée au Grand Océan . Les coupes , pour
être perpendiculaires aux directions des pentes , ne
peuvent pas se trouver dans un même plan de pro
jection .
GÉOGRAPHIQUE. 157

XIV .

TABLEAU PHYSIQUE DU PLATEAU CENTRAL DE LA


CORDILLÈRE DE LA NOUVELLE- ESPAGNE.

Le profil du chemin qui conduit de la ville de


Mexico aux mines de Guanaxuato , les plus riches du
monde connu ,
a été dessiné sous mes yeux à Mexico
par M. Raphaël Davalos * , jeune homme plein de zèle
pour les sciences et élève de l'École des mines . Ce

dessin fait voir la prodigieuse hauteur du plateau


d'Anahuac dans son prolongement vers le nord , bien
au-delà de la zone torride. La configuration extraor
dinaire du sol mexicain rappelle les hautes plaines de
l'Asie centrale. Il serait bien intéressant de voir con

tinué mon profil depuis Guanaxuato jusqu'à Durango


et Chihuahua, surtout jusqu'à Santa - Fe du Nouveau
Mexique. Le plateau d'Anahuac , comme nous le prou
verons plus bas , conserve vers le nord , dans une

étendue de 200 lieues , plus de deux mille , dans une


étendue de 500 lieues , plus de 800 mètres d'éléva
tion absolue.

* M. Davalos et M. Juan Jose Rodriguez ( natif du Parral , dans


les Provincias internas ) , ont bien voulu m'aider pendant plusieurs
mois dans la construction d'un grand nombre de cartes géologiques ,
que je compte joindre à mon ouvrage sur le gisement des roches. Je
me plaís à rendre à ces personnes distinguées par leurs talens et leur
application , un témoignage public de ma reconnaissance.
158 INTRODUCTION

XV.

PROFIL DU CANAL DE HUEHUETOCA.

Le canal de Huehuetoca ou de Nochistongo , a été


creusé au dix-septième siècle , dans la chaîne des mon
tagnes qui bordent la vallée de Tenochtitlan , vers le
nord. Il sert à préserver la capitale du danger des
inondations. Le profil que j'en offre au public , a été
dressé, à Berlin , par M. Friesen , d'après les dessins
de Don Ignacio Castera , architecte des constructions

hydrauliques à Mexico . Il explique tout ce qui est rap


porté dans le troisième livre sur la fameuse coupure
de montagne par laquelle passe la rivière artificielle ,
appelée el Rio del Desague. En comparant cette
planche N° XV avec la carte N° III , on verra que les
quatre plans de projection réunis dans un seul profil ,
passent par les villages de Carpio , de San Mateo et de
Huehuetoca , dont j'ai déterminé les hauteurs au-des
sus du niveau de l'Océan , par des mesures baromé
triques. J'ai été obligé d'assujétir ce profil à une
échelle extrêmement grande pour pouvoir faire sentir
la petite différence de niveau qui existe entre la grande
place de la ville de Mexico et le lac de Tezcuco , et
comme le dessin embrasse une étendue de terrain de

près de 20 lieues communes , il a fallu admettre entre


les échelles de distances et de hauteurs une inégalité

beaucoup plus considérable que dans les trois coupes


GÉOGRAPHIQUE. 159

précédentes. Il en résulte l'apparence d'une chute très


grande dans le canal ; mais aussi les bassins des trois
lacs placés , comme par étages , les uns au-dessus des
autres , paraissent d'autant mieux dans leur vérita
ble forme. On voit comment , en débordant , ces lacs
peuvent causer l'inondation de la ville de Mexico .

Le profil N° XV est le seul de mes tableaux phy


siques qui renferme à- la-fois plusieurs plans de pro
jections parallèles , et distingués par des teintes diffé
rentes. Cette méthode , qui ne pèche pas contre les
règles des projections , a été suivie depuis long -temps
dans le tracé des grandes routes ou des canaux . Si l'on
voulait représenter le profil d'une vallée , par exemple
de celle de Quito , bordée à l'est et à l'ouest par de
hautes montagnes , on pourrait faire passer le plan de
secant par l'axe longitudinal de la vallée , et projeter

sur le même plan , par des perpendiculaires , les con


tours des cimes orientales et occidentales. Un profil
construit d'après cette méthode , ne présenterait pas
des idées confuses à l'esprit , si l'on distinguait par des
teintes différentes les sommets des deux Cordillères ,
et si ces sommets isolés n'étaient pas placés de manière à
se couvrir mutuellement .

Les petits croquis N° I - IV, ajoutés au bas de la


planche , sont dessinés d'après une autre échelle ; ils
représentent le vieux pont de Huehuetoca , et les dif
férentes coupes du canal de Nochistongo . On y recon
naît ( N° IV ) les vestiges de l'ancienne galerie de
Henri Martinez. Le dessin N° II , indique l'état déplo
160 INTRODUCTION

rable dans lequel se trouve la tranchée , à cause des


érosions continuelles des eaux pluviales . Le dessin
No III , fait voir le talus que l'on cherche à donner
en ce moment aux pentes latérales du canal , pour
diminuer le danger des éboulemens . Trois lignes blan
ches marquent , sur le grand profil , les points de la
coupure de montagne , dont la hauteur correspond au
niveau des trois lacs de Zumpango , de San Christobal
et de Tezcuco.
XVI.

VUE PITTORESQUE DES VOLCANS DE MEXICO OU DE LA


PUEBLA.

Cette planche et celle qui la suit immédiatement ,


étaient d'abord destinées à paraître dans l'Atlas pitto
resque de la Relation historique de mon voyage aux
régions équinoxiales : car cet atlas réunit des esquisses
propres à faire connaître la physionomie des cimes.
colossales qui couronnent le dos des Cordillères . J'ai
pensé que des contours des Andes comparés à ceux
qu'offrent l'excellent itinéraire de M. Ebel , et les
beaux dessins de M. Osterwald , pourraient intéresser
vivement les géologues qui veulent étudier compara
tivement les Alpes de la Suisse et les Cordillères du
Mexique et du Pérou . Quoique le but de cet ouvrage
soit plutôt de décrire les richesses territoriales que la

constitution géologique de la Nouvelle- Espagne , j'ai


cru devoir joindre à l'Atlas mexicain quelque vues pit
GÉOGRAPHIQUE. 161

toresques N° XVI et XVII , pour servir de supplé


ment à la carte de la vallée ( pl . III ) , et pour faire
mieux sentir la beauté du site de la ville de Mexico .

De ces deux cimes , le Popocatepetl et le Citlaltepetl ,


la première est visible à Mexico et à Cholula , la
seconde à Cholula et à la Vera-Cruz : elles m'ont servi
à vérifier la différence de méridien de la ville de

Mexico et du port de la Vera-Cruz , en employant une

méthode (hypsométrique) peu suivie jusqu'ici , celle des


bases perpendiculaires , des azimuths et des angles de
hauteurs. *

La ville de Mexico est de moitié plus près des deux


Nevados de la Puebla , que les villes de Berne et de
Milan ne le sont de la chaîne centrale des Alpes . Cette
grande proximité contribue beaucoup à rendre im
posant et majestueux l'aspect des volcans mexicains.

Les contours de leurs sommets , couverts de neiges


éternelles , paraissent d'autant plus prononcés , que
l'air à travers lequel l'œil reçoit les rayons , est plus
rare et plus transparent. La neige brille d'un éclat
extraordinaire , surtout lorsqu'elle se détache sur un
ciel dont le bleu est constamment d'une teinte plus
foncée que le bleu du ciel que nous voyons au-dessus

de nos plaines dans la zone tempérée. A la ville de


Mexico , l'observateur se trouve dans une couche d'air
dont la pression barométrique n'est que de 585 milli

Voyez plus haut , page 32 , et mon Recueil d'observations astrono


miques, vol. 1 , page 373.
I. II
162 INTRODUCTION

mètres. Il est aisé de concevoir que l'extinction de la


lumière doit être très faible dans une atmosphère aussi
peu condensée , et que les sommets du Chimborazo ou
du Popocatepetl , vus des plateaux de Riobamba ou
de Mexico , doivent présenter des contours plus dis
tincts et plus tranchés que si , à la même distance , on
les voyait des côtes de l'Océan .
L'Iztaccihuatl et le Popocatepetl , dont le dernier
a la forme conique propre au Cotopaxi et au Pic
d'Orizaba , s'appellent , dans le pays , indistinctement
les Volcans de la Puebla ou de Mexico , parce qu'on
les distingue presque également bien de ces deux villes.
Je ne doute pas que l'Iztaccihuatl , que le cardinal Lo
renzana nomme Zihualtepec , ne soit un volcan éteint ;
cependant aucune tradition indienne ne remonte à
l'époque à laquelle cette montagne , qui rappelle dans
ses contours le volcan de Pichincha , vomissait du feu .
Il en est de même du Nevado de Toluca . Les Es

pagnols , depuis les premiers temps de la conquête ,


ont l'usage de nommer Volcan toute cime isolée qui
entre dans la région des neiges perpétuelles. On
confond souvent les mots de Nevado et de Volcan;

j'ai même entendu à Quito les expressions bizarres


de Volcan de Nieve et de Volcan de Fuego. Le
Cotopaxi , par exemple , est réputé volcan de feu ,
parce qu'on connaît ses éruptions périodiques , tandis
que le Corazon et le Chimborazo s'appellent des vol
cans de neige , parce que les natifs supposent qu'ils
ne récèlent pas de feu dans leur sein . Dans le royaume
GÉOGRAPHIQUE. 163

de Guatimala * , et aux îles Philippines , on nomme


volcans d'eau (volcanes de agua) ceux qui inondent
le pays d'alentour . On voit par les exemples que je
viens de citer , que le mot Volcan , dans les cartes
espagnoles , est souvent pris dans un sens totalement
différent de celui que lui attribuent les autres nations
de l'Europe .
M. Don Luis Martin a dessiné les volcans de la
Puebla tels qu'ils se présentent par un temps serein
et vus de la terrasse de l'École des mines ( Seminario
Real de Mineria ) . Un artiste célèbre , qui m'honore
·
d'une amitié particulière , M. Gmelin , a retouché
pendant mon séjour à Rome, et le dessin de M. Martin,
et un croquis que j'ai fait du Pic d'Orizaba. Les con
tours n'ont point été altérés , et la distribution des
ombres a rendu les masses rocheuses plus imposantes.
Les Volcans de la Puebla ont été dessinés au mois

de janvier , dans une saison où la limite inférieure des


neiges perpétuelles descendait presque jusqu'à la hau
teur de la cime du Pic de Ténériffe , ou jusqu'à 3800

En Goatemala hay dos volcanes , uno de fuego y otro de agua..


(Lorenzana , dans une note aux Lettres de Cortez ). Ce Volcan de
Agua se trouve placé entre le Volcan de Pacaya et le Volcan de Gua
timala , appelé Volcan de Fuego. Il conserve la neige pendant plusieurs
mois de l'année , et le 11 septembre 1541 , il vomit «་ un torrent d'eau
et de pierres · qui ruina le Ciudad Vieja ou Almolonga , ancienne
capitale du royaume de Guatimala , qu'il ne faut pas confondre avec
l'Antigua Guatimala. Voyez Remesal , Histoire de la province de San
Vicente , lib. iv , chap. 5 , et Juarros , Compendio de la Historia de
Goatimala , tom. 1 , pag. 72 , 85.
II.
164 INTRODUCTION

mètres de hauteur absolue. J'ai vu , pendant mon sé

jour à Mexico , tomber une si grande quantité de


neige dans les montagnes , que les deux volcans étaient
presque réunis par une même bande de neiges. Le
maximum de hauteur de la limite des neiges , tel

que je l'ai trouvé au mois de novembre 1803 , est à


peu-près de 4560 mètres.
La Sierra Nevada , ou l'Iztaccihuatl , n'est que de

quelques mètres plus élevé que le Mont - Blanc ; le Po


pocatepetl surpasse la hauteur de cette dernière mon

tagne , de 625 mètres. D'ailleurs la plaine qui s'étend


depuis la ville de Mexico jusqu'au pied des volcans ,
est déjà plus élevée que la cime du Mont d'Or , et
que les fameux passages du Petit St.- Bernard , du
Mont Cenis , du Simplon , de Gavarnie et de Cavarere.
C'est entre les cimes des deux volcans de la Puebla

que Cortez a passé avec son armée et avec six mille


Tlascaltèques , lors de sa première expédition contre
la ville de Mexico. Pendant cette marche pénible le
valeureux Diego Ordaz , pour donner aux indigènes
une preuve de son courage , tenta de parvenir à la
cime du Popocatepetl. Quoiqu'il ne réussit point dans
son entreprise **, l'empereur Charles-Quint lui permit
de placer un volcan dans ses armes. On ignore si Fran
cisco Montaño , après la prise de la capitale , en 1522 ,
retira le souffre employé dans la fabrication de la

* Voyez chap. I.

** Cartas de Cortez, page 318 et 380 , Clavigero III , pages 68 et 162.


1

GÉOGRAPHIQUE. 165

poudre, du cratère même du Popocatepetl , ou comme


cela me paraît plus probable , de quelque crevasse la
térale. :
1
XVII.
‫י‬

VUE PITTORESQUE DU PIC D'ORIZABA.


1

Le Pic d'Orizaba , sur la position duquel M. Ar



rowsmith et d'autres géographes ont jeté tant de
confusion dans leurs cartes , jouit , parmi les naviga
teurs , de la même célébrité que le Pic de Ténériffe ,
la Silla de Caracas , le Tafelberg et le Pic de St. -Elie.
Je l'ai dessiné tel qu'il se présente dans le chemin qui
conduit de Xalapa au village d'Oatepec (Huatepeque)
près du Barrio de Santiago. On ne découvre à cette
station que la partie couverte de neiges perpétuelles.
Le premier plan de mon dessin est une forêt épaisse
de Liquidambar styraciflua , de melastomes , d'arbou

siers , et de pipers. Il est digne de remarque que les


deux plus grands volcans mexicains , le Popocatepetl
et le Citlaltepetl , ont tous les deux le cratère incliné
vers le sud-est. On trouve en général que dans la ré
gion équinoxiale de la Nouvelle-Espagne , les mon
tagnes ont une pente plus rapide vers le golfe du
Mexique , et que les bancs de roches y sont le plus sou
vent dirigées du N.-O. au S.-E. Pour mieux distinguer
les volcans actifs des volcans éteints , je me suis permis

*
Voyez plus haut , page 57.
166 INTRODUCTION

d'ajouter une petite colonne de fumée aux dessins du


Pic d'Orizaba et du grand volcan de Puebla , quoique
je n'aie observé cette fumée ni à Xalapa , ni à Mexico
même *. Nous avons vu sortir , M. Bonpland et moi ,
une grande masse de cendres , et des vapeurs très
denses de la bouche du Popocatepetl , le 24 janvier
1804. Nous nous trouvâmes alors dans la plaine de
Tetimpa , près de San Nicolas de los Ranchos , où nous
fimes la mesure géodésique du volcan . Le Pic d'Ori
zaba , que les Indiens appellent aussi Pojauhtecatl ou
Zeuctepetl , a eu ses plus fortes éruptions depuis 1545
jusqu'en 1566 .
M. Ferrer , huit ans avant mon arrivée au Mexique ,
avait mesuré le Citlaltepetl ou volcan d'Orizaba , en
prenant des angles de hauteurs dans un grand éloi
gnement de la cime du pic , près de l'Encero. Il lui
assigne , d'après un mémoire inséré dans les Transac
tions de la Société de Philadelphie , la hauteur de
5450 mètres **. Ma mesure qui lui donne 155 mètres

* M, Bullock n'a pas fait attention à ce passage , lorsqu'il blâme


M. de Humboldt ( Six months residence in Mexico , 1824 , page 121 ) ,
d'avoir figuré de ta fumée au-dessus du cratère du Pic d'Orizaba.
Nous rappellerons aussi , à cet estimable voyageur , la lettre de
M. Visconti ( Vue des Cordillères , tome 1 , ) ; et les explications de la
pose des mains et des pieds dans les figures mexicaines agenouillées ,
en réponse de ce qui est dit , 1. c. page 531.
E- R.
⭑⭑
Voyez aussi Purdy, Colombian Navigator , 1824, p. 198. Si cette
mesure de M. Ferrer est exacte , le Pic d'Orizaba serait plus élevé que
je Popocatepetl.
GÉOGRAPHIQUE. 167

de moins , a été faite dans une petite plaine près de


Xalapa , où l'angle de hauteur de la cime n'était aussi
que de 3 °43′48″. Malgré la constance extraordinaire

des réfractions sous les tropiques , et malgré les soins


que j'ai pris , je ne crois pas être parvenu à faire con-,
naître , pendant le cours de mes voyages , l'élévation
d'une seule montagne de l'Amérique , aussi exactement
que les travaux géodésiques du général Roi, de Tralles ,
Delambre , Zach et Oriani , nous ont fait connaître la
hauteur de quelques montagnes de l'Europe. Il en est
de ces opérations délicates comme de l'analyse chimi
que des minéraux : on ne les fait avec une grande pré
cision que lorsqu'on jouit d'une tranquillité parfaite ,
et d'un loisir que le voyageur peut rarement se pro
curer dans des climats lointains.

Cette planche n° XVII , et la précédente , ont été


gravées par mon compatriote M. Arnold , jeune ar
tiste d'un talent distingué , qui a été enlevé aux arts
*
à la fleur de l'âge. J'ai trouvé l'azimuth du Pic

d'Orizaba à Xalapa , en mesurant successivement les


distances du bord du soleil au sommet du pic , Sud
33°35′30″ Quest. M. Ferrer trouve Sud 33°36'30"
Ouest.

Voyez les détails des observations dans mon Recueil astrono


mique , tome I , page 530.
168 INTRODUCTION

XVIII.

PLAN DU PORT D'ACAPULCO.

Le commerce de la Nouvelle-Espagne n'a que deux


débouchés , le port de la Vera-Cruz et celui d'Aca
pulco. Par le premier se fait le commerce avec l'Eu
rope , avec les côtes de Caracas , la Havane , les États
Unis et la Jamaïque. Le second est le point central du
commerce de la Mer du Sud et de l'Asie. Il reçoit les
bâtimens qui viennent des îles Philippines , du Pérou ,
de Guayaquil , de Panama , et de la côte du nord
ouest de l'Amérique septentrionale.
Après avoir donné dans le plus grand détail les
cartes itinéraires des chemins d'Europe et d'Asie , il
m'a paru important de publier aussi des plans exacts
des ports de la Vera-Cruz et d'Acapulco . Il serait diffi
cile de trouver deux mouillages qui offrent un con
traste plus grand. Le port d'Acapulco paraît un im
mense bassin creusé de la main de l'homme , tandis que
le port de la Vera- Cruz mérite à peine même le nom
d'une rade. C'est plutôt un malheureux ancrage entre
des bas-fonds.

Le plan que je donne du port d'Acapulco n'a jamais


été publié , quoiqu'il en existe plusieurs copies en
Amérique. Il a été levé en 1791 , par les officiers em
barqués sous les ordres de Malaspina , dans les cor
vettes Descubierta et Atrevida . Je le dois à la bien
GÉOGRAPHIQUE . 169

veillance de M. Bauzà , directeur du Dépôt hydrogra

phique de Madrid . Le dessin est entièrement con


forme à un plan de Malaspina , de près d'un mètre de
long , que j'ai examiné à Acapulco , pendant le séjour
que j'y ai fait en 1803 .

La longitude que j'assigne au port d'Acapulco


( 102°9′33″ ) à la maison du Contador Don Balthazar
Alvarez Ordoño , est plus grande que celle que l'on a

adoptée dans le Voyage de la Sutil et Mexicana au


détroit de Fuca. Mais il résulte d'un mémoire inséré

dans l'Almanach de Cadix , que les membres du Dépôt


hydrographique de Madrid s'arrêtent aujourd'hui à une
position plus occidentale que la mienne , et identique
avec celle que m'avait donnée mon chronomètre *, en

réduisant Acapulco à la longitude de Mexico , et en


négligeant les distances lunaires observées le 27 et
le 28 mars 1803.

M. Espinosa trouve Acapulco à l'ouest de Paris ,


par le transport du temps depuis le port de San Blas **
102° 17′21 ″ ; par deux satellites de Jupiter , observés
simultanément à Acapulco , à Greenwich et à Paris

* Voyez plus haut , page 46.

** Il faut remarquer que la longitude de San Blas ne se fonde que


sur deux observations célestes , sur un satellite comparé aux tables ,
et sur une éclipse de lune. Les résultats tirés de ces deux observations
different de 5′45″ en arc. ( Le capitaine Hall donne à San Blas , d'a
près une occultation d'étoile , 107°39′42″. Extractsfrom a Journal, etc.
1824 , vol. 1 , page 279 ). Le mémoire de M. Espinosa offre un
exemple instructif de l'extrême prudence qu'exige l'emploi des
170 INTRODUCTION

102 °24′15″, et par huit satellites comparés aux tables


corrigées , 102 ° 15'47", ou en terme moyen , 102° 19'8",
ce qui est la longitude à laquelle s'arrête aussi M. An
tillon , dans l'analyse de sa Carte de l'Amérique. On
observa en outre , pendant le séjour de l'expédition de
Malaspina à Acapulco , en 1791 , deux occultations

d'étoiles pour lesquelles on n'eut cependant pas d'ob


servations correspondantes en Europe. Le capitaine
de frégate Don Juan Tiscar , les calcula d'après les
tables de Bürg. Il trouva Acapulco par l'occultation
du 19 février , de 102 °9′45″ , par l'occultation du
15 avril , 102 °35′45″. Des distances de la lune au
soleil , prises le 12 février, mais calculées par groupes
et sans corriger le lieu de la lune par l'observation d'un
passage au méridien , donnèrent 102°24′37″.
Voilà un grand nombre de déterminations faites par
des moyens très différens. Toutes donnent une longi
tude un peu plus occidentale que celle qui résulte
de mes seules observations , et que j'ai adoptée dans
mon atlas , avant d'avoir eu connaissance de l'inté

ressant mémoire de M. Espinosa . Les occultations


d'étoiles sont sans doute préférables à tout autre genre
d'observations , si elles ont été faites dans des circon

garde-temps , si on ne vérifie pas les longitudes chronométriques par


d'autres observations purement célestes. Dans l'expédition de Mala
spina quatre chronomètres d'Arnold donnèrent au port Mulgrave ,
à 9' près, la même longitude de 142° 38'57" ; et cependant des dis
tances lunaires ont prouvé que la véritable longitude était 142°0′27″.
Les quatre horloges avaient changé à -la-fois leur marche diurne.
GÉOGRAPHIQUE. 171

stances favorables. Mais les résultats qu'offrent des


occultations de deux étoiles du Lion , observées à Aca
pulco , diffèrent entre elles , d'après le calcul de
M. Tiscar, de 26', d'après celui de M. Oltmanns , de
5' en arc. Les astronomes espagnols admettent aussi
pour le premier satellite une erreur des tables extrê
mement considérable. Ils la font 35″ en temps , tandis
que M. Oltmanns , en comparant les tables de M. De

lambre avec des observations faites depuis le mois de


janvier jusqu'au mois de mai 1791 , ne trouve l'erreur
des tables que de — 76 pour les immersions , et
de - 14" pour les émersions. Il croit , d'après des
calculs publiés dans le second volume de notre Re
cueil d'observations astronomiques , que le véritable
terme moyen tiré des observations de l'expédition de
Malaspina , est 102 ° 14'30', et qu'en n'accordant qu'une
demi-valeur à nos observations , on pourrait fixer la
longitude d'Acapulco à 102'9'33 "; c'est - à - dire qu'elle
serait de trois minutes et demie plus occidentale que ne
l'indique mon atlas mexicain . On ne peut s'étonner
de ces doutes qui nous restent sur la position d'un
port de la Mer du Sud , lorsqu'on réfléchit que la lon
gitude d'Amsterdam était incertaine , il y a peu d'an

nées , non de trois ou quatre minutes , mais d'un tiers


de degré. En examinant le détail de mes observations *

on trouve , par mon chronomètre ou le transport du


temps de Guayaquil , 102 °9′57″ = 648′39″, 8 ; par 14


Observations astronomiques , tome II , pages 439 , 456 , 464.
172 INTRODUCTION

distances de la lune au soleil , prises le 27 mars ( en

corrigeant l'erreur des tables par des observations de


Greenwich ) , 648′34″ ; par 15 distances du 28 mars
6h48′23″. Le capitaine Basil Hall admet ( au fortin de
San Carlos ) , par le transport des temps de San Blas ,
une longitude de 16" en temps plus occidentale que
celle de mon chronomètre. Il s'arrête à 102° 14′2″. Je
crois avoir prouvé par le simple exposé des faits que la
longitude d'Acapulco se trouve déjà circonscrite dans
des limites d'erreurs assez étroites pour que des ob
servations d'occultation seules puissent la fixer avec
plus de précision .
XIX .

CARTE DES DIVERSES ROUTES PAR LESQUELLES LES


RICHESSES MÉTALliques refluent d'un continent
DANS L'AUTRE.

La quantité d'or et d'argent que le Nouveau-Con


tinent envoie annuellement en Europe fait plus de
neuf dixièmes du produit total des mines dans le
monde connu. Les colonies espagnoles , par exemple ,
fournissent par an près de trois millions et demi de
marcs d'argent , tandis que dans tous les états euro
péens , y compris la Russie asiatique , l'exploitation

annuelle excède à peine la somme de trois cent
mille marcs . Un séjour prolongé dans l'Amérique
espagnole , m'a fourni l'occasion de me procurer sur


Voyez : pour les mines d'Europe , l'excellent tableau statistique
GÉOGRAPHIQUE. 173

la richesse métallique du Mexique , du Pérou , de la


Nouvelle- Grenade , et de la vice-royauté de Buenos
Ayres , des notions plus exactes que celles qu'offrent
les ouvrages d'Adam Smith, de Robertson et de Raynal.
Partant de ces bases , j'ai cru pouvoir me livrer à des
recherches sur l'accumulation des métaux précieux ,
qui a eu lieu pendant long -temps , dans la partie du
sud et du sud- est de l'Asie . J'ai présenté les princi
paux résultats de mes conjectures dans une petite carte
que j'ai esquissée sur mer , en 1804 , dans la traversée
de Philadelphie aux côtes de France. Cette carte in
dique , pour ainsi dire , le flux et le reflux des richesses

métalliques. On y observe en général un mouvement


de l'ouest à l'est , mouvement opposé à ceux de l'Océan,
de l'atmosphère , et de la civilisation de notre espèce.

XX.

FIGURES REPRÉSENTANT LA SURFACE DE LA NOUVELLE


ESPAGNE , ET DE SES INTENDANCES , LES PROGRÈS DE
L'EXPLOITATION MÉTALLIQUE , ET D'AUTRES OBJETS
T
RELATIFS AUX COLONIES DES EUROPÉENS DANS LES
DEUX INDES .

Dans la figure qui représente , d'après la méthode


de l'Arithmétique linéaire de M. William Playfair ,
les progrès de l'exploitation des mines d'or et d'argent

de la richesse minérale qui est jointe au Mémoire général sur les mines ,
par M. Héron de Villefosse , page 240. •
174 INTRODUCTION

de la Nouvelle-Espagne * , j'ai marqué comme incer


taine l'année 1742. D'après le tableau qui m'a été
communiqué à l'hôtel des monnaies de Mexico , le
monnoyage s'élevait , à cette époque , à 16,677,000
piastres. Cette quantité diffère extrêmement de la

masse de métaux précieux monnoyés en 1741 et 1743 ;


et la comparaison avec le tableau , qui ne présente que
l'exploitation en argent seul , me fait croire que le

nombre de 16,677,000 est inexact.


Les figures réunies dans la planche XX servent à

expliquer ce qui est dit plus bas ** sur la dispropor


tion extraordinaire qu'on observe entre l'étendue des
colonies et la surface ( area ) des métropoles euro
péennes. L'inégalité de la division territoriale de la

Nouvelle-Espagne a été rendue sensible en représen


tant les intendances par des carrés inscrits les uns
dans les autres . Cette méthode graphique est analogue

à celle que M. Playfair a employée le premier et d'une


manière très ingénieuse , dans son atlas commercial
et politique, et dans ses cartes statistiques de l'Europe.
Sans attacher beaucoup d'importance à ce genre d'es

quisses , je ne puis les regarder comme de simples jeux


d'esprit étrangers à la science. On a dit que la carte dans
laquelle M. Playfair a tracé des progrès de la dette na
tionale de l'Angleterre, rappelait le profil du Pic de
Ténériffe ; mais nous rappellerons que depuis long

* Atlas mexicain , Pl. XIX.


✰✰
Chap. 1, et chap. VIII.
GÉOGRAPHIQUE. 175

temps les physiciens ont indiqué , par des figures tout


à-fait semblables , la marche du baromètre , de l'hy
gromètre et de la température moyenne des mois. Il
serait peu convenable d'exprimer par des courbes des
idées morales , la prospérité des peuples , leur pro
grès dans la carrière constitutionnelle , ou la déca
dence plus ou moins rapide de la littérature ; mais
tout ce qui a rapport à l'étendue et à la quantité , est
propre à être représenté par des figures géométriques.
Les projections appliquées aux élémens de l'économie
politique parlent aux sens sans fatiguer l'esprit ; elles
ont l'avantage surtout de fixer l'attention sur un grand
nombre de faits importans , et de faciliter les compa
raisons numériques .
ON
176 INTRODUCTI

mmmm

TABLEAU

DES POSITIONS GÉOGRAPHIQUES DU ROYAUME DE LA


NOUVELLE-ESPAGNE , DÉTERMINÉES PAR DES
OBSERVATIONS ASTRONOMIQUES .

( Les positions marquées d'un astérisque sont établies , soit sur des
triangulations , soit sur des angles de hauteur et des azimuths. )

LONGITUDE
NOMS LATITUDE NOMS
A L'OCCI. DE PARIS
DES LIEUX.. boreale. DES OBSERVATEURS
ET REMARQUES.
En degies. En temps.

INTÉRIEUR
ᎠᎬ ᏞᎪ
NOUVELLE-ESPAGNE. 0 • "1 O 1 "I h 1 "
Mexico.. 19 25 45 101 25 30 6 45 42 HUMBOLDT au cou
S. Agostin delas Cue vent de St-Augustin.
vas , (village). 19 18 37 101 27 0 6 45 48 Idem.
Cerro de Axusco ★
(montagne). . . .19 15 27 101 32 45 6 46 11 Idem.
Venta de Chalco ,
19 16 8 » » » Idem.
(ferme) .
Moran , (mine) . 20 10 4 100 46 0 6 43 4 Idem.
Actopan , (village).. 20 17 28 101 9 15 6 44 37 Idem.
Totonilco el Grande
(village). . . 20 17 55 100 53 0 6 43 32 Idem.
Tisajuca , (village)... D 101 11 30 6 44 46 Idem.
Toluca , (village) . 19 16 19 101 41 45 6 46 47 Idem.
Nevado de Toluca. 19 11 33 101 45 38 6 47 2 |Idem.
GÉOGRAPHIQUE. 177

LONGITUDE
NOMS LATITUDE A L'OCCI. DE paris. NOMS
DES OBSERVATEURS
DES LIEUX. boréale.
ET REMARQUES.
En degres. En temps

0 #1 O # " h "
San Juan del Rio ,
A " D 102 12 30 6 48 50 HUMBOLDT au couv.
(ville)..
de S. Augustin .
Queretaro , (ville). 20 36 39 102 30 30 6 50 2 Idem.
Salamanca , (ville).. 20 40 103 15 06 53 0 Idem.
Guanaxuato, (ville) . 21. 0 15 103 15 06 53 0 Idem, à la maison de
Don Diego Rul.
Valladolid , (ville).. 19 42 0 103 12 15 6 52 49 Idem, au palais de l'é
vêque.
Pazcuaro , (ville).. D ‫ » מ‬103 40 0 6 54 40 Idem.
Las Playas de Jorul
A D 103 50 33 6 55 22 Idem.
lo , (ferme) .
Volcan de Jorullo » » 103 51 48 6 55 27 Idem.
Pont d'Istla , (ferme) 18 37 41 101 34 45 6 46 19 Idem.
Tehuilotepec , ( vil
lage ) .... 101 48 06 47 12 Idem, près de la ma
chine à colon. d'eau.
Tasco , (ville) . 18 35 0101 49 0 6 47 16 Idem.
Th Tepecuacuilco , (vil
lage).. 18 20 0 101 48 0 6 47 12 Idem.
Fuente de Estola
(hôtellerie) .
« » 23 101 44 06 46 56 Idem.
Mescala , (village) . .17 56 4 101 49 06 47 16 Idem.
Popocatepetl , (vol
can).. 18 59 47 100 53 15 6 43 33 Idem, cime de la mon
tagne.
San Nicolas de los
Ranchos, (village) 19 2 0 100 41 06 42 44 Idem.
Iztacihuatl , (mon
tagne)... 19 10 0 100 55 06 43 40 Idem.
Pyramide de Cho
lula , ( monument
ancien ). ... 19 2 6 100 33 30 6 42 14 Idem, plateforme de
La Puebla de los An la pyramide .
geles , (ville).. . 19 0 15 100 22 45 6 41 31 Idem.
Venta de Soto , (fer.) 19 26 30 K " " « « Idem.
Perote , (village). . 19 33 37 99 33 45 6 38 15 Idem.
Cofre de Perote
(montagne). 19 28 57 99 28 45 6 37 55 Idem.
Las Vigas , (village). 19 37 37 « a « " « Idem.
Xalapa, (ville). . . 19.30 8 99 15 0 6 37 0 Idem.
J. 12
178 INTRODUCTION

LONGITUDE
NOMS LATITUDE NOMS
A L'OCCI. DE PARIS.
DES LIEUX. boréale . DES OBSERVATEURS
En temps. ET REMARQUES.
En degrés.

Cerro de Maculte- 0 • H • " h 1 "


pec, (montagne ) . 19 31 49 99 14 35 6 36 58 HUMBOLDT .
Pic d'Orizava , * (vol- |
can... 19 217 HUMBOLDT et FER
96 35 15 6 38 21
RER , cime.
El Encero , (ferme) . 19 28 25 99 8 326 36 34 FERRER.
Tezcuco ⭑ (ville).. 19 30 40 101 11 15 6 44 45 VELASQUEZ.
Zumpango , (villag.) 19 46 52 101 24 06 45 36 Idem.
El Peñol , (colline). 19 26 4 101 22 30 6 45 30 Idem.
Xaltocan *, (village). 19 42 47 101 21 15 6 45 25
Idem.
Tehuiloyuca , (vil
lage)..... 19 43 17 101 28 56 45 54 Idem.
Hacienda de Xalpa *
(ferme) . 19 47 58 101 29 45 6 45 59 Idem.
Cerro de Chiconau
tla *, (colline). 19 38 39 101 16 06 45 4 Idem.
San Miguel de Gua
dalupe ,(couvent) 19 28 48 101 24 456 45 39 Idem.
Huehuetoca , ( vil
lage).. 19 48 38 101 32 45 6 46 11 Idem.
Garita de Guadalu
(barrière de
La ville de Mexico) 19 28 38 101 24 456 45 39 Idem.
Cerro de Sincoque *, 1
(colline). 19 49 28 101 33 30 6 46 14 Idem.
Hacienda de Santa
Iñes *, (ferme) . 19 42 25 101 24 15 6 45 37 Idem.
Cerro de San Chris
toval *" (montag.) 19 35 5 101 21 30 6 45 26 Idem.
Puente del Salto * "
( pont).. . .. . .19 54 30 101 36 0 6 46 24 Idem.
COTES ORIENTALES
DE LA
NOUVELLE- ESPAGNE.

Campêche , (ville). .19 50 45 92 50 45 6 11 23 FERRER et CEVALLOS.


Punta de la Desco
nocida.. 20 49 45 92 44 30 6 10 58 CEVALLOSetHERRERA
Castillo del Sisal. • 21 10 0 92 19 45 6 919 Idem.
Alacran , ( pointe oc
cidentale ) .. 22 27 50 92 740 6 830 Idem.
GÉOGRAPHIQUE.
179

LONGITUDE
NOMS LATITUDE NOMS
A L'OCCI. DE Paris.
boréale. DES OBSERVATEURS
DES LIEUX.
En degrés. En temps. ET REMARQUES.

0 • #! 0 " "1 h 1 "


Alacran , (extrémité
septentrionale) . .22 35 15 92 045 6 8 3 CEVALLOS et HERRE
Embouchure du Riol ᎡᎪ .
de los Lagartos . 21 34 0 90 30 15 6 2 1 Idem.
Punta S.-O. del
Puerto.. 22 21 30 91 58 15 6 7 57 Idem.
Pointe nord du Con
boy. 21 33 30 89 5 0 6 56 20 Idem.
Pointe sud du Con "
boy. • . 21 28 50 89 4 06 56 16 Idem.
Baxo del Alerta. • 21 33 0 89 11 15 6 56 45 Idem.
Bas · fond de Diez
Brazas.. 20 32 10 94 14 5 6 15 56 Idem.
Ilot au S.- O. du
triangle. • 20 55 50 94 31 52 6 18 7 Idem.
Baxo del Obispo... 20 30 14 94 30 23 6 18 1 Idem.
Vera-Cruz , ( port ). 19 11 52 98 29 0 6 33 56 HUMBOLDT et FER
Ile des Sacrifices , RER .
(centre). 19 10 10 98 26 40 6 33 47 FERRER .
Bas-fond du Pajaro. 19 10 55 98 26 10 6 33 45 Idem.
Isla Verde.. 19 11 16 98 25 26 6 33 42 Idem.
Islote Blanquillas "
(centre). 19 12 55 98 26 45 6 33 47 Idem.
Anegada de Fuera ,
pointe méridion..19 12 12 98 24 35 6 33 38 Idem.
septentrionale.. 19 12 55 98 25 5 6 33 40 Idem.
Bas-fond de la Gal
lega. 19 13 20 98 28 22 6 33 53- Idem.
Punta Gorda.. 19 14 30 98 31 20 6 34 5 Idem.
Bouches du Rio An
tigua... 19 18 41 98 37 17 6 34 29 Idem.
Bernal Chico. 19 37 45 98 46 5 6 35 4 Idem.
Bernal Grande.. 19 39 42 98 45 43 6 35 3 Idem.
Punta Mari Andrea. 19 43 15 98 45 43 6 35 3 Idem.
Barra de Tamiagua. 21 15 48 ( << « " « Idem.
I
Santander, (ville). 23 45 18 100 32 23 6 42 9- Idem.
' D'après les derniers calculs de M. Ferrer :
Barra de Santander . . . lat. 23°45'18" long. 100° 18′45″.
Barra de Tampico. • 22°15'30" 100°12′15″.
Alvarado . 18°34'16" 94°59'30".
En supposantVera-Cruz. 98°28'15".
12 .
180 INTRODUCTION

LONGITUDE
NOMS LATITUDE NOMS
A L'OCCI. De paris .
DES LIEUX . boréale. DES OBSERVATEURS
En degrés: En temps. ET REMARQUES.

Lago de San Fer 0 · " h · "


nando , ou la Car
bonera .
FERRER .
Embouchure du Rio 24 36 0 100 18 40 6 41 15
Bravo del Norte..25 55 0 99 51 10 6 39 25 Idem.

CÔTES OCCIDENTALES
de la
NOUVELLE- ESPAGNE.

Acapulco. (port ) . .16 50 29 102 6 0 6 48 24 HUMBOLDT, à la mai


Extrémité occiden
son du gouverneur
tale de las Playas
de Cujuca .
Morro Petatlan, (col 17 15 0103 5 15 6 52 21 Expédit . de MALA
SPINA.
line). 17 32 0 103 48 45 6 55 15 Idem
Port de Selagua. (un
peu douteux..` • 19 6 0 106 53 5 7 7 32 Idem.
Cabo Corrientes.. · 20 25 30 107 59 7 11 56 Idem.
Ilot au N.-N.-O. du
cap Corrientes.. 20 45 0 108 7 15 7 12 29 Idem.
Cerro del Valle
>
(colline). .. 21 1 30 109 35 0 7 18 20 Idem.
Iles Marias , (cap sud
de la plus orien
tale).. • 21 16 0 108 37 45 7 14 31 Idem.
Montagne de San
Juan.. 21 26 15 107 23 07 9 32 Idem.
San Blas , (port) ' . 21 32 48 107 37 45 7 10 31 Idem.
Piedra Blanca. 21 33 0 107 47 45 7 11 11 Idem.
Ile San Juanico. • · 21 45 30 109 1 35 7 16 6 Idem.
Ilot Isabella. 21 50 30 108 17 5 7 13 8 Idem.
Cap San Lucas.. 22 52 23 112 10 38 7 28 42 CHAPPE , Doz et ME
Mission de S. Josef,
DINA.
(village). 23 3 25 112 1 8 7 28 4 Idem.
Mission de Todos los
Santos..
23 26 0112 38 15 7 30 33 Expédit. de MALA
Montagne de San SPINA .
Lazaro..
24 47 0 114 41 15 7 38 5 Idem.

' D'après le capitaine Basil Hall : lat. 21 °32'24" long. 107°39′42″.


GÉOGRAPHIQUE. 181

LONGITUDE
NOMS LATITUDE NOMS
A L'OCCI. DE PARIS.
DES OBSERVATEURS
DES LIEUX. boréale.
En degrés. En temps. ET REMARQUES.

0 • " O I " h " "


Montagne au nord
des Abreojos.. • 26 59 30 116 8 15 7 44 33 Idem.
Hle des Cèdres- ,
(pointe sud )... 28 2 10 117 43 15 7 50 33 Idem.
Isla de San Benito ,
( la partie la plus
haute) · 28 18 22 118 615 7 52 25 Idem.
Isla Guadalupe, (cap
sud). 28 53 0 120 37 15 8 229 Idem.
Isla de San Bernar
do.. • 29 40 40 118 17 15 7 53 9 Idem.
Isla de S. Martin , ou
de los Coronados ,
(l'ilot le plusgrand
et le plus oriental) 32 25 10 119 38 55 7 58 36 Idem.
San Diego, (port). 32 39 30 119 38 15 7 58 33 VANCOUVER et MA
EASPINA.
Isla S. Salvador "
(pointe sud) .. 32 43 0 120 50 15 8 321 Expédit. de MALA
Isla S. Nicolas , (cap SPINA.
occidental) .. 33 16 30 121 56 15 8 745 Idem.
San Juan, (mission). 33 29 0 120 13 30 8 054 VANCOUVER et Ma
Isla de Juan Rodri LASPINA.
guez Cabrillo,(cap
occidental ) .... 34 0 0 122 51 15 8 11 25 Expédition de MALA
SPINA.
Santa Buenaventura 34 17 0121 45 308 7 2 VANCOUVER.
Presidio de Santa 34 26 122 5 30 8 8 22 VANCOUVER et MA
Barbara,(mission) LASPINA.
Monterey, (presidio) 36 36 0 124-11 8 8 16 44 Expédit. de MALA
Punta del Año Nue SPINA
vo. 37 15 124 42 538 18 51 Idem.
Farallones,(rochers) 37 48 10 125 21 15 8 21 25 Idem.
San Francisco,(port) 37 48 30 134 57 08 19 48 VANCOUVER ET MA
LASPINA.
Cap Mendocino . • • 40 29 0 126 48 45 8 27 15 Expé. de MALASPINA.
Nutka , (port).. 49 35 13 128 55 15 8 35 41 Idem. (Cette position
et la précédentesont
hors des limites ac
tuelles de la Nou
velle-Espagne.
182 INTRODUCTION

LONGITUDE NOMS
NOMS LATITUDE
A L'OCCI. De paris. DES OBSERVATEURS
DES LIEUX. boreale.
ET REMARQUES.
En degres. En temps.

ILES
DE REVILLAGIGEDO.
0 11 0 , " h " "
Isla de Santa Rosa ,
(centre). 18 37 0116 23 45 7 54 33 COLLNET,CAMACHO et
TORRES ( Mémoire
de M. Espinosa.)
Isla del Socoro , ( ci-|
me de la monta
gne , qui a plus de
1115 mètres d'é
lévation)... 18 48 0112 29 15 7 29 57 Idem.
Rocca Partida.. 19 40 113 25 45 7 33 43 Idem.
Isla de San Benedi
to , (cap sud) ... 19 15 40 113 13 45 7 28 55 Idem.

POSITIONS MOINS CERTAINES.


1 " 0 " " La " "
Guatulco , (port ) . 1544 0 » » D 33 a D PEDRO DE LAGUNA,
Barra de Manialte
pec . 15 47 0 D 23 D D Idem.
Pachutla , (village).. 15 50 0 D Σ >> 23 » Idem .
Xamiltepec, (village) 16 7 0 » » 33 D D Idem.
Guiechapa, (village) 15 25 0 D 32 D » Idem.
Ometepec , (village). 16 37 0 D ‫ ע‬D 2 D Idem.
Nochistlan , (village) 17 16 0 D D . 23 Idem.
Teposcolula. 17 18 0 » B Idem.
San Antonio de los
Cues , (village) . · 18 3 0 P D Idem.
Guadalaxara, ( ville). 21 9 0105 22 30 7 1 30 MASCARÒ et RIVERA.
Zacatecas , (ville ) . .23 0 0 103 55 06 55 40 Le comte DE LA LA
Real del Rosario , GUNA.
(mine)... 23 30 0108 26 30 7 13 46 MASCARÒ. et RIVERA,
Durango , (ville).. 24 25 0105 55 07 340 OTEIZA.
Presidio del Passage 25 28 0 105 33 307 2 14 MASCARÒ et RIVERA.
Villa del Fuerte.. 26 50 0110 33 30 7 22 14 Idem.
Real de los Alamos ,
(mine).. 27 8 0111 23 307 25 34 Idem.
Presidio de Buena
vista. 27 45 0112 28 307 29 45 Idem.
GÉOGRAPHIQUE . 183

LONGITUDE
NOMS LATITUDE NOMS 1
A L'OCCI. DE PARIS.
DES LIEUX, DES OBSERVATEURS
boréale.
En degrés. En temps. ET REMARQUES.

" " 0 · " h · "1


Chihuahua, (ville).. 28 50 0 106 50 07 740 MASCarò et Lafora.
Arispe , (ville). 30 36 0 111 18 307 25 14 MASCARò et RIVERA.
Presidio de Janos. 33 109 5 30 7 16 22 MASCARÒ.
Presidio del Altar. • 31 2 0114 6 0 7 36 24 MASCARÒ ET RIVERA.
Passo del Norte,(pre
sidio) . 32 9 0 107 3 0 7 812 MASCARÒ.
Jonction du Rio Gila
et Colorado... 32 45 0 » Les PP. DIAZ et FONT.
Las Casas Grandes ,
(près du Rio Gila) 33 30 0
« » 33 » Le P. FONT.
Santa-Fe , (ville).. 36 12 0 107 13 7 852 LAFORA.
184 INTRODUCTION

TABLEAU

DES HAUTEURS LES PLUS REMARQUABLES , MESURÉES

DANS L'INTÉRIEUR DE LA NOUVELLE -ESPAGNE.

L'ouvrage publié sous le titre de Nivellement baro


métrique fait dans les régions équinoxiales du No
veau - Continent, en 1799-1804, contient près de
deux cents points situés dans l'intérieur de la Nou
velle-Espagne dont j'ai déterminé l'élévation au-des
sus du niveau de la mer , soit à l'aide du baromètre ,
soit par des méthodes trigonométriques . On s'est con
tenté de réunir dans le tableau suivant les hauteurs

absolues des montagnes et des villes les plus remar


quables. Les points marqués d'un astérisque sont dou
teux. Auprès de chaque point se trouve une citation
de page qui renvoie au texte de la Statistique spéciale
du Mexique. On pourra consulter aussi mon Recueil
d'observations astronomiques et de mesures baro
métriques , ( Vol. I , pages 318 à 334 ) qui a été ré
digé par M. Oltmanns.
GÉOGRAPHIQUE . 185

HAUTEUR
au-dessus
du niveau de la mer,
NOMS DES LIEUX D'OBSERVATION. d'après
la formule de M. Laplace.
En mètres. En toises.

VOLCAN DE POPOCATEPETL , Volcan Grande de Mexico ó


de Puebla..... 5400 2771
PIC D'ORIZABA ou CITLALTEPetl. 5295 2717
NEVADO D'IZTACCIHUATL , Sierra Nevada de Mexico.. 4786 2456
NEVADO DE TOLUCA , au rocher de Frailes.. 4621 2372
COFRE DE PEROTE OU NAUHCAMPATEPETL.. 4089 2098
CERRO DE AXUSco , six lieues au S.-S.-O. de la ville de
Mexico. 3674 * 1885 ⭑
PIC DE TANCITARO.. 3200 * 1642
EL JACAL, cime du Cerro de las Nabajas. 3124 1603
MAMANCHOTA OU ORGANOS D'ACTOPAN, au N. - E. de
Mexico. 2977 1527
VOLCAN DE COLIMA.. 2800 1437
VOLCAN DE JORULLO , dans l'intendance de Valladolid. 1301 667
MEXICO , au couvent de Saint-Augustin. 2277 1168
PACHUCA.. 2484 1274
MORAN, mine près du Real del Monte. 2595 1331
REAL DEL MONTE , mine. 2781 1427
TULA, vill . 2053 1053
e
TOLUCA , ville .. 2688 1379
CUERNAV , ville . 1656 849
TASCO , viAllCeA.. • 1784 915
CHILPAN
S GO , ville. 1380 708
PUEBLA DEINLOS Angeles , ville. 2194 1126
PEROTE, bourgade. 2354 1208
XALAPA, ville. 1321 678
VALLADOLID , ville. 1952 1001
PAZCUARO , ville.. 2202 1130
CHARO, ville... 1907 978
VILLA DE ISLAHUACA , dans l'intendance de Valladolid. 2585 1326
SAN JUAN DEL RIO , bourgade. • 1978 1015
QUERETARO , ville.. 1940 995
CELAYA , ville.. 1835 941
SALAMANCA , ville. 1757 902
GUANAXUATO , ville. 2084 1069
MINE DE LA VALENCIANA. 2328 1194
DURANGO , ville. . 2087 * 1071
186 INTRODUCTION

On peut ajouter à la hauteur des deux cents points


L
que j'ai mesurés dans le royaume de la Nouvelle-Es
pagne, les hauteurs suivantes , tirées du Voyage miné
ralogique de M. Sonneschmidt. Ce savant n'a indiqué
que les hauteurs barométriques ; mais M. Oltmanns les
a calculées d'après la formule de M. Laplace , en sup
posant la colonne de mercure , du baromètre de M. Son
neschmidt , de 1 , 9 trop courte * , et la température
de l'instrument de 2º R. plus élevée que celle de l'air
extérieur.

NOMS HAUTEUR TEMPÉRA HAUTEUR ABSOLUE,


du TURE OBSERVATIONS.
DES LIEUX. baromètre. de l'air. en toises. en mètres.

po. li. o R.
Cardonal... 22 1,9 18 1076 2097 Intendance de Mexico,
partie N.-E.
Real del Doctor. 20 5,9 16 1419 2767 Id.
Zimapan. 22 11,9 18 900 1755 Id.
Vallée entre Zi
mapan etleDoc
tor . 24 10,9 24 564 1099 Id.
Mecameca. 21 0,9 14,5 1286 2507, Dans le chemin de Mexi
co aux volcans de la
Puebla.
Pic du Fraile.. 15 5,9 1 2567 5004 Partie du Popocatepetl.
Limite supérieu
re des pins, au
Popocatepetl. 18 4,9 9 . 1867 3639 Au Cofre près de Pe
rote, j'ai trouvé cette
limite à 2022 toises de
hauteur.

* Ce résultat se fonde sur la comparaison des hauteurs baromé


triques indiquées par M. Sonneschmidt dans quatre endroits où j'ai
porté mes instrumens. La différence entre nos observations est ,
Pour Mexico , de .. 2,7
Real del Monte.. 1,9 1. 9.
Pachuca.. 2,0
Guanaxuato . 0,9
GÉOGRAPHIQUE. 187

La hauteur de 2456 toises que j'ai assignée à


la Sierra Nevada de Puebla ( Iztaccihuatl ) ne se
fonde pas sur une mesure directe , mais sur des angles.

de hauteur , des azimuths et des distances. M. Sonnes


chmidt a été plus heureux que moi ; il a porté son ba
romètre à la cime de l'Iztaccihuatl , et a vu que le mer

cure s'y soutenait à 166,4 , ce qui ne donne , en


supposant une température de 6º,5 R. , d'après les
tables hypsométriques de M. Oltmanns, que 2317 toises
ou 4516mètres. J'ignore cependant si M. Sonneschmidt
a mesuré la même partie de la Sierra Nevada , dont
j'ai pris les angles de hauteur à la terrasse de l'école
des mines de Mexico et sur la pyramide de Cholula . *
✰✰
La ferme de Pazcuaro , près de Zitaquaro " est ,

d'après M. Ontivero , à 880 toises ( 1670 mètres ) de


hauteur au-dessus du niveau de la mer , le baromètre
po.
s'y soutenant à 23 2 " , et le thermomètre à 19° R.
M. Alzate affirme *** qu'il a vu le baromètre se sou
tenir , à la cime du Picacho de San Tomas , qui fait
partie du Cerro de Axusco , à 18. 3. , et « que le Pi
«< cacho est par conséquent élevé , au-dessus du niveau
« de la mer , de 4300 varas. » M. Oltmanns trouve ,
d'après la formule de M. Laplace , et en supposant la
température de l'air de 9° R. , 1899 toises ou 3702
mètres.

* Recueil d'observations astronomiques , Vol . II , p . 574.


** Intendance de Valladolid .
*** Plan de la vallée de Mexico , de Siguenza.

FIN DE L'INTRODUCTION GÉOGRAPHIQUE.


ESSAI POLITIQUE

SUR LE ROYAUME

DE LA

NOUVELLE - ESPAGNE .

mn

LIVRE I.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR L'ÉTENDUE ET L'ASPECT


PHYSIQUE DU PAYS.- INFLUENCE DES INÉGALITÉS du
SOL SUR LE CLIMAT , L'AGRICULTURE , LE COMMERCE ,
ET SUR LA DÉFENSE MILITAIRE.

CHAPITRE PREMIER.

ÉTENDUE DES POSSESSIONS ESPAGNOLES EN AMÉRIQUE .


COMPARAISON DE CES POSSESSIONS AVEC LES COLONIES
ANGLAISES ET AVEC LA PARTIE ASIATIQUE de l'empire
RUSSE. - DÉNOMINATIONS DE NOUVELLE- ESPAGNE ET
D'ANAHUAC. — LIMITE DE L'Empire des rois aztÈQUES.

AVANT de tracer le tableau politique du royaume

de la Nouvelle - Espagne , il sera important de jeter


un coup-d'œil rapide sur l'étendue et la population
des possessions espagnoles dans les deux Amériques.
190 LIVRE I ,

C'est en généralisant les idées ; c'est en considérant


chaque colonie sous ses rapports avec les colonies voi
sines et avec la métropole , que l'on est sûr de parvenir
à des résultats exacts , et d'assigner au pays que l'on

décrit , la place qui lui est due par sa richesse terri


toriale.

Les possessions espagnoles du Nouveau Continent


occupent l'immense étendue de terrain comprise en
tre les 41 °43′ de latitude australe et les 37°48′ de lati
tude boréale. Cet espace de soixante-dix-neuf degrés ,
égale non - seulement la longueur de toute l'Afrique ,

mais il surpasse encore de beaucoup la largeur de l'em


pire russe qui embrasse sur cent soixante- sept degrés
de longitude , sous un parallèle dont les degrés ne sont
plus que de la moitié des degrés de l'équateur.
Le point le plus austral du Nouveau Continent ,
habité par les Espagnols , est le fort Maullin , près du
petit village de Carelmapu * , sur les côtes du Chili,
vis-à-vis de l'extrémité septentrionale de l'île de Chiloe.
On a commencé à ouvrir une route depuis Valdivia
jusqu'à ce fort de Maullin ; entreprise hardie , mais
d'autant plus utile qu'une mer constamment agitée ,

empêche , pendant une grande partie de l'année , d'abor


der à cette côte dangereuse pour les navigateurs . Au
sud et au sud- est du fort Maullin , dans le golfe
d'Ancud et dans celui de Reloncavi , par lequel on

parvient aux grands lacs de Nahuelhapi et de Todos

*
Voyez la note A à la fin de l'ouvrage.
CHAPITRE I. 191

los Santos , il n'y a point d'établissemens espagnols .


On en trouve , au contraire , aux îles voisines de la
côte orientale de Chiloe , jusqu'aux 43 °34′ de latitude
australe , où l'île Caylin ( vis-à-vis de la haute cime du
Corcobado ) , est habitée par quelques familles d'ori
gine espagnole.
Le point le plus septentrional des colonies espa
gnoles est la Mission de San Francisco , sur les côtes
de la Nouvelle Californie , à sept lieues au nord-ouest
de Santa-Cruz. La langue espagnole , par conséquent ,

est répandue sur une étendue de plus de 1900 lieues


de longueur. Sous la sage administration du comte
Florida Blanca , une communication régulière de
postes a été établie depuis le Paraguay jusqu'à la côte
nord-ouest de l'Amérique septentrionale. Un moine ,
placé dans la Mission des Indiens Guaranis , peut
entretenir une correspondance avec un autre mission
naire habitant du Nouveau Mexique ou des pays

voisins du Cap Mendocin , sans que leurs lettres


s'éloignent de beaucoup du continent de l'Amérique
espagnole.
Les domaines du roi d'Espagne en Amérique sur
passent en étendue deux fois la surface des États

Unis , depuis l'Océan atlantique jusqu'à la Mer du


Sud : ils surpassent quatre fois la surface de tout l'em

pire britannique dans l'Inde. Ils ne sont que d'un


quart moins étendus que la Russie asiatique , ou pour
me servir d'une comparaison plus frappante , que la
demi -surface de la lune. J'ai cru qu'il serait intéres
192 LIVRE I ,

sant de dresser un tableau qui indiquât ces différences


et la disproportion frappante qu'offrent l'area et la

population de la mère-patrie , comparées avec celles


des colonies. Pour rendre cette disproportion encore
plus palpable , j'ai formé , d'après des échelles exactes ,
les dessins que présente la dernière planche. Un pa
rallelogramme rouge qui sert de socle représente la

surface des métropoles ; un parallelogramme bleu qui


repose sur ce socle indique l'aréa des possessions espa
gnoles et anglaises en Amérique et en Asie. Ces ta

bleaux , analogues à ceux de M. Playfair, ont quelque


chose d'effrayant et d'omineux , surtout lorsqu'on fixe
les yeux sur la grande catastrophe que représente la
quatrième figure , et qui est devenue la source de la

prospérité des États - Unis . Cette planche seule peut


faire naître des considérations importantes à ceux qui
sont appelés à veiller sur le bonheur et la tranquillité
des colonies . La crainte d'un mal futur est , sans doute ,

un motif d'action peu noble en lui - même ; mais il de


vrait être puissant chez les grands corps politiques ,
comme il l'est pour de simples individus .
Les possessions espagnoles en Amérique se divisent
en neuf grands gouvernemens , que l'on peut regarder
comme indépendans les uns des autres. De ces neuf
gouvernemens , cinq , savoir ; les vices-royautés du
Pérou et de la Nouvelle- Grenade , les capitanias ge-.
nerales de Guatimala , de Portorico et de Caracas,
sont entièrement comprises dans la zone torride ; les
quatre autres divisions , savoir ; les vice-royautés du
CHAPITRE I. 193

Mexique, et de Buenos Ayrès, la Capitania general


du Chili , et celle de la Havane qui comprend les Flo
rides , embrassent des pays dont une grande partie est
placée hors des deux tropiques, c'est-à-dire dans la
zone tempérée. Nous verrons dans la suite de cet ou
vrage que cette position seule ne détermine pas la nature
des productions qu'offrent ces belles contrées . La réu

nion de plusieurs causes physiques , telles que la grande


hauteur des Cordillères , leurs masses énormes , le nom

bre des plateaux élevés de plus de deux à trois mille


mètres au-dessus du niveau de l'Océan , donnent à une
partie des régions équinoxiales une température propre
à la culture du froment et des arbres fruitiers de l'Eu

rope. La latitude géographique influe peu sur la ferti


lité d'un pays où , sur le dos et sur la pente des mon
tagnes , la nature a réuni tous les climats.

Parmi les colonies sujettes à la domination du roi


d'Espagne , le Mexique occupe en ce moment le pre
mier rang , tant à cause de ses richesses territoriales ,
qu'à cause de sa position favorable pour le commerce

avec l'Europe et avec l'Asie. Nous ne parlons ici que


de la valeur politique du pays , en le considérant dans
son état actuel de civilisation , qui est bien supérieure
à ce que l'on observe dans les autres possessions espa
gnoles . Plusieurs branches d'agriculture ont, sans doute,
atteint un plus haut degré de perfection dans la pro
vince de Caracas que dans la Nouvelle- Espagne . Moins
une colonie a de mines , et plus l'industrie des habitans
se porte à tirer parti des productions du règne végétal,
I. 13

1
LIVRE I ,
194

La fertilité du sol est plus grande dans les provinces


de Cumana , de la Nouvelle- Barcelone et de Vene
zuela ; elle est plus grande sur les bords du Bas
Orénoque et dans la partie boréale de la Nouvelle
Grenade que dans le royaume du Mexique , dont
plusieurs régions sont stériles , manquent d'eau et
paraissent dénuées de végétation . Mais en considé
rant la grandeur de la population du Mexique , le
nombre des villes considérables qui s'y trouvent très
rapprochées les unes des autres , la prodigieuse valeur
de l'exploitation métallique , et l'influence de cette
exploitation sur le commerce de l'Europe et de l'Asie ;
en se rappelant le peu de culture que l'on trouve
dans le reste de l'Amérique espagnole , on est tenté
de justifier la préférence que la cour de Madrid ac
corde depuis long-temps au Mexique sur le reste de
ses colonies.

La dénomination de Nouvelle-Espagne désigne ,

en général , la vaste étendue de pays sur laquelle le


vice-roi du Mexique exerce son pouvoir. En prenant
ce mot dans ce sens , on doit regarder comme limites

boréales et australes les parallèles du 38° et du 10º


degré de latitude. Mais le capitaine-général de Gua
timala, considéré comme administrateur , ne dépend

que faiblement du vice-roi de la Nouvelle - Espagne.


Le royaume de Guatimala embrasse , selon sa division
politique , les gouvernemens de Costa Rica et de
Nicaragua. Il est limitrophe du royaume de la Nou
velle-Grenade , auquel appartient le Darien , l'isthme
CHAPITRE I. 195

de Panama et la province de Veragua * . Chaque


fois que , dans le cours de cet ouvrage , nous nous
servons des dénominations de Nouvelle - Espagne et
de Mexique , nous en excluons la Capitania general
de Guatimala, pays extrêmement fertile , très peuplé ,
en comparaison du reste des possessions espagnoles ,
et d'autant mieux cultivé , que le sol , bouleversé par
des volcans , n'y offre presque pas de mines métalliques.
Nous considérons comme les parties les plus méridio
nales , et en même temps les plus orientales de la Nou
velle-Espagne , les intendances de Merida et d'Oaxaca.
Les confins qui séparent le Mexique du royaume de

Guatimala touchent la côte du grand Océan à l'est du


port de Tehuantepec , près de la Barra de Tonala.
Ils aboutissent aux côtes de la Mer des Antilles près
de la baie de Honduras.

Le nom de Nouvelle - Espagne ne fut d'abord


donné , l'année 1518 , qu'à la province de Yucatan ,
où les compagnons d'armes de Grijalva avaient trouvé

des champs cultivés avec le plus grand soin , des édi


fices à plusieurs étages et des villes populeuses. Cortez,
dans sa première lettre adressée à l'empereur Charles
Quint , en 1520 , étend déjà la dénomination de Nou
velle - Espagne à tout l'empire de Montezuma. Cet
empire , si l'on en croit Solis, s'étendait depuis Panama

* La limite nord-ouest de la Nouvelle- Grenade passe par Punta


Careta ( lat. 9°36', long. 84°43 ′ ) sur les côtes de la Mer des Antilles et
par le Cap Burica (lat. 8°5', long. 85°7'.) Humboldt , Relationhistorique,
tom . III , pag. 78. Sur les limites du Guatimala, Voj ez l. c. , p. 76.
13.
196 LIVRE I,

jusqu'à la Nouvelle - Californie. Mais les recherches


savantes d'un historien mexicain , l'abbé Clavigero *,
nous ont appris que Montezuma , le sultan de Te
nochtitlan, n'avait sous sa domination qu'un espace

de pays beaucoup moins vaste. Son royaume était


limité sur les côtes orientales par les rivières de Gua

sacualco et de Tuspan , sur les côtes occidentales par
les plaines de Soconusco et par le port de Zacatula.
En jetant un coup -d'œil sur ma Carte générale de la
Nouvelle- Espagne , divisée en intendances , on trou
vera que d'après les limites que je viens de tracer ,
l'empire de Montezuma n'embrassait que les inten
dences de Vera- Cruz , d'Oaxaca , de la Puebla ,
de Mexico et de Valladolid. Je crois pouvoir évaluer
son aréa à dix -huit ou vingt mille lieues carrées.
Au commencement du 16e siècle , la rivière de

Santiago séparait les peuples agricoles du Mexique


et de Mechuacan des hordes barbares et nomades ,

appelées Otomites et Chichimeques . Ces sauvages pous


saient souvent leurs incursions jusqu'à Tula , ville
située près du bord septentrional de la vallée de Te

nochtitlan. Ils occupaient les plaines de Zelaya et de


Salamanca , dont nous admirons aujourd'hui la belle
culture et la multitude de métairies éparses.
La dénomination d'Anahuac ne doit pas non plus

être confondue avec celle de Nouvelle-Espagne. Avant

* Dissertazione sopra i confini di Anahuac. Voyez Storia antica del


Messico, tome Iv , page 265.
CHAPITRE 1 . 197

la conquête , on ne désignait sous le premier nom que


le pays contenu entre le 14° et le 21 degré de lati

tude . Outre l'empire Aztèque de Montezuma , les pe


tites républiques de Tlaxcallan et de Chollolan , le
royaume de Tezcuco ( ou Acolhoacan ) et celui de

Mechuacan , qui comprenait une partie de l'inten


dance de Valladolid , appartenaient à l'ancien Anahuac.
Le nom de Mexico même est d'origine indienne. Il
signifie dans la langue aztèque, l'habitation du dieu de

la guerre, dont le nom était Mexitli ou Huitzilopochtli.


Il paraît cependant qu'avant l'année 1530 , la ville fut
appelée plus communément Tenochtitlan que Mexico.
Cortez *, qui n'avait fait que de faibles progrès dans les
langues du pays , nomme la capitale , par corruption ,
Temixtitan. On ne trouvera pas ces observations éty
mologiques trop minutieuses dans un ouvrage qui
traite exclusivement du royaume de Mexique. D'ailleurs,
l'homme audacieux qui bouleversa la monarchie aztè
que la regarda comme assez étendue , pour conseiller **
à Charles-Quint de réunir le titre d'Empereur de la
Nouvelle-Espagne à celui d'Empereur Romain.
On est tenté de comparer ensemble l'étendue et la
population du Mexique , et celle de deux empires avec

* Historia de Nueva España , por Lorenzana. ( Mexico , 1770 , pag. 1.)


** Cortez dit dans sa première lettre , datée de Villa Segura de la
Frontera, le 30 octobre 1520 : « Las cosas de esta tierra son tantas y tales
que Vuestra Alteza se puede intitular de nuevo Emperador de ella , y con
titulo y non menos merito , que el de Alemaña , que por lagracia deDios .
Vuestra Sacra Magestad posee. » ( Lorenzana , page 38. )
198 LIVRE 1 ,

lesquels cette belle colonie est dans des rapports d'u


nion et de rivalité. L'Espagne est cinq fois plus petite
que le Mexique. En faisant abstraction des malheurs
imprévus , on peut compter que , dans moins d'un
siècle, la population de ce dernier royaume égalera
celle de la métropole. Les États-Unis de l'Amérique
septentrionale , depuis la cession de la Louisiane et
depuis qu'ils ne veulent reconnaître d'autre limite
que le Rio Bravo del Norte , comptent 260,000 lieues
carrées ( de 25 au degré équinoxial . ) Leur population

est peu supérieure à celle du Mexique , comme nous


le verrons plus bas , en examinant avec soin la popu
lation et l'area de la Nouvelle -Espagne.

Si la force politique de deux États dépendait uni


quement de l'espace qu'ils occupent sur le globe et du
nombre de leurs habitans ; si la nature du sol et la
configuration des côtes ; si le climat , l'énergie du
peuple , et surtout le degré de perfection qu'ont atteint
les institutions sociales , n'étaient pas les élémens prin
cipaux de ce grand calcul dynamique , le royaume de
la Nouvelle-Espagne pourrait , à l'époque présente , se
placer à côté de la confédération des républiques amé
ricaines . L'un et l'autre sentent l'inconvénient d'une
population trop inégalement distribuée. Celle des États
Unis , quoique sur un sol et dans un climat moins fa

* En 1824 , on peut évaluer la population de la Nouvelle-Espagne


( sans le Guatimala ) à 6,800,000 ; la population des États-Unis à
10,220,000. Cette dernière n'avait été en 1800 que de 5,306,000 ; en
1810 , de 7,240,000. (Humboldt , Relation historique , tom. 1 , pag. 70.)
CHAPITRE I. 199
vorisés par la nature , augmente avec une rapidité in

finiment plus grande : aussi ne comprend -elle pas ,


comme la population mexicaine , près de deux millions
et demi d'aborigènes * . Ces Indiens abrutis par le des

potisme des anciens souverains aztèques , et par les


vexations des premiers conquérans , quoique protégés

par les lois espagnoles , généralement sages et hu


maines , ne jouissent cependant que très peu de cette
protection , à cause du grand éloignement de l'auto
rité suprême. Le royaume de la Nouvelle- Espagne a un
avantage marquant sur les États-Unis. Le nombre des

esclaves , soit africains , soit de race mixte , y est presque


nul ; avantage que les colons européens ne commencent
à bien apprécier que depuis les événemens tragiques
de la révolution de Saint-Domingue : tant il est vrai
que la crainte des maux physiques agit plus puissam
ment que les considérations morales sur les vrais inté

rêts de la société , ou les principes de philanthropie et de


justice , si souvent énoncés au parlement , à l'assemblée
constituante et dans les ouvrages des philosophes !
Le nombre des esclaves africains dans les États

Unis , monte au- delà d'un million ** : ils font la sixième


partie de la population entière. Les états méridionaux ,

* Nous verrons plus bas que le nombre des Indiens de race pure ,
qui habitent la Nouvelle - Espagne , a été évalué , en 1810 , par
M. Navarro à 3,676,000 , ce qui forme plus de la moitié de tous les
Indiens de l'Amérique espagnole.
** En 1824 , à 1,620,000 , ou au quart de tous les nègres libres et
esclaves du Nouveau Continent .
200 LIVRE I ,

dont l'influence politique est devenue plus grande de


puis l'acquisition de la Louisiane , ont augmenté in
considérément le nombre des esclaves. Enfin , par un

acte national également motivé par la justice et la pru


dence , la traite des nègres a été abolie : elle l'aurait

été long-temps avant , si la loi avait permis au prési


dent des États-Unis ( magistrat * dont le nom est cher
aux vrais amis de l'humanité ) de s'opposer à l'intro
duction des esclaves , et d'épargner par là de grands
malheurs aux races futures .

Pour faciliter la comparaison des grandes divisions politiques


de l'Amérique espagnole , nous allons placer à la fin de ce chapitre
le tableau suivant , que M. de Humboldt vient de publier dans le
troisième volume de sa Relation historique , page 64.

SURFACE POPULATION
GRANDES DIVISIONS POLITIQUES. en lieues carrees
de 20 au degre
équinoxial. ( 1823)

I. POSSESSIONS DES ESPAGNOLS-AMÉRICAINS. 371,380 16,785000


Mexico ou Nouvelle-Espagne. 75,830 6,800000
Guatimala. 16,740 1,600000
Cuba et Portorico. 4,430 800000
Colombia. ( Venezuela. 33,700 785000
Nouvelle-Grenade et Quito. 58,250 2,000000
Pérou. 41,420 1,400000
Chili. 14,240 1,100000
Buenos-Ayres. 126,770 2,300000
II. POSSESS. DES PORTUGAIS-AMÉRICAINS ( BRÉSIL. ) 256,990 4,000000
III. POSSESS . DES ANGLO-AMÉRICAINS ( ÉTATS-UNIS. ) 174,300 10,220000

* M. Thomas Jefferson , auteur de l'excellent Essai sur la Virginie.


CHAPITRE 1 . 201

En comparant les évaluations numériques de surface que ren


ferment les ouvrages de M. de Humboldt , il ne faut point oublier que
ce voyageur s'est servi constamment dans l'Essai politique de lieues
communes carrées de 25 au degré , comme on l'a fait jusqu'ici dans
tous les ouvrages de statistique publiés en français , tandis que dans
la Relation historique il a employé les lieues marines de 20 au degré ,
égales à trois minutes en arc , et par conséquent beaucoup plus com
modes dans des discussions scientifiques , surtout dans celles de la
géographie astronomique et physique. Une lieue marine carrée a
1,5625 lieues communes carrées. E -R.
202 LIVRE I ,

mmmn

CHAPITRE II.

CONFIGURATION DES CÔTES. POINTS SUR LESQUELS LES


DEUX MERS SONT LE PLUS RAPPROCHÉES . ---- CONSIDÉRA
TIONS GÉNÉRALES SUR LA POSSIBILITÉ DE joindre la
MER DU SUD A L'OCÉAN ATLANTIQUE . - -RIVIÈRES DE
LA PAIX ET De tacoutché- tessé. SOURCES DU RIO
BRAVO ET DU RIO COLORADO. - ISTHME DE TEHUANTEPEC.
-LAC DE NICARAGUA. - ISTHME DE PANAMA. -BAIE
DE CUPICA.― CANAL DU CHOCO. - RIO-GUALLAGA. ―――――
GOLFE DE SAINT-George.

LE royaume de la Nouvelle- Espagne , la partie la

plus septentrionale de toute l'Amérique espagnole ,


s'étend depuis le 16 jusqu'au 38 ° degré de latitude .
La longueur de cette vaste région , dans la direction
du sud-sud-est au nord- nord- ouest , est à-peu-près de

270 myriamètres ( ou 610 lieues communes ) ; sa plus


grande largeur se trouve sous le parallèle du 30 ° de
gré. Depuis la Rivière-Rouge de la province de Texas
( Rio Colorado ), jusqu'à l'île de Tiburon , sur les côtes
de l'intendance de la Sonora , on compte , de l'est à
l'ouest , 160 myriamètres ( ou 364 lieues ).
La partie du Mexique dans laquelle les deux océans ,
l'Atlantique et la Mer du Sud , se rapprochent le plus ,.
n'est malheureusement pas celle dans laquelle se trou
vent les deux ports d'Acapulco et de Vera- Cruz , et la
CHAPITRE II. 203

capitale du Mexique. Il y a , d'après mes observations


astronomiques , d'Acapulco à Mexico , une distance
oblique de 2 °40′19 ″ de grand cercle (ou de 155,885
toises) ; de Mexico à Vera -Cruz , 2 °57'9" (ou 158,572
toises ) ; et du port d'Acapulco au port de la Vera
Cruz , en ligne directe , 4° 10'7" . C'est dans ces dis
tances que les anciennes cartes sont les plus fautives.

D'après les observations publiées par M. de Cassini,


dans la relation du voyage de Chappe , l'éloignement
de Mexico à Vera-Cruz serait de 5° 10' de longitude ,

au lieu de 2° 57' que l'on trouve par des observations


plus précises. En adoptant pour Vera-Cruz la longi
tude donnée par Chappe , et pour Acapulco celle de la
carte du Dépôt français de la marine rédigée en 1784 ,
la largeur de l'isthme mexicain entre les deux ports
serait de 175 lieues , distance de 71 lieues trop grande.
Ces différences ont été rendues sensibles dans la petite
carte critique qu'offre l'Atlas mexicain.
L'isthme de Tehuantepec , au sud-est du port de la
Vera-Cruz , est le point de la Nouvelle- Espagne dans
1
lequel le continent présente le moins de largeur. On y
compte , depuis l'Océan Atlantique jusqu'à la Mer du
Sud , 45 lieues de distance. Les sources rapprochées
des rivières d'Huasacualco et de Chimalapa , pa

raissent favoriser le projet d'un canal de navigation


intérieure , projet dont le comte de Revillagigedo ,
l'un des vice-rois les plus zélés pour le bien public ,
• s'est occupé pendant long-temps . Lorsque nous don

nerons la description de l'intendance d'Oaxaca , nous


204 LIVRE I ,

reviendrons sur cet objet si important pour toute


l'Europe civilisée . Nous nous bornons ici à considérer

le problème de la communication entre les deux mers


dans toute la généralité dont il est susceptible. Nous
présenterons dans un même tableau neuf points , dont
plusieurs ne sont pas assez connus en Europe , et qui
offrent tous une possibilité plus ou moins grande ,
soit de canaux , soit de communications intérieures par
des rivières . Dans un moment où le Nouveau Conti
nent , profitant des malheurs de l'Europe et de ses dis
sensions perpétuelles , fait des progrès rapides vers la
civilisation ; à une époque où le commerce de la Chine
et celui de la côte nord -ouest de l'Amérique deviennent,
d'année en année , plus avantageux , l'objet que nous
traitons ici sommairement offre le plus grand intérêt
pour la balance du commerce et pour la prépondé
rance politique des nations.

Les neuf points que j'ai réunis dans la Planche IV


de mon Atlas géographique et physique , ont fixé , à
différentes époques , l'attention des hommes d'état et
des négocians éclairés qui ont fait un long séjour dans
les Colonies : ils présentent des avantages très différens.
Nous les rangerons d'après leur position géographi
que , en commençant par la partie la plus septentrio
nale du Nouveau Continent , et en suivant les côtes
jusqu'au sud de l'île de Chiloe . Ce n'est qu'après avoir
examiné tous les projets formés jusqu'ici sur la com
munication des deux mers , que l'on pourra décider

lequel d'entre eux mérite la préférence. Avant cet exa


CHAPITRE II. 205

men , pour lequel les matériaux exacts ne sont point


encore rassemblés , il serait imprudent de creuser des
canaux dans les isthmes de Guasacualco , de Nicara
gua, de Panama ou de Cupica.
1. Sous les 54° 37′ de latitude boréale , dans le pa
rallèle de l'île de la Reine Charlotte , les sources de la
rivière DE LA PAIX ou d'Ounigigah (Unjigah) se rap
prochent de sept lieues des sources du TACOUTCHÉ
TESSÉ , que l'on suppose être identique avec la rivière

de Colombia. La première de ces rivières débouche dans


la Mer Polaire , après avoir mêlé ses eaux à celles du
Lac de l'Esclave et du fleuve Mackenzie . La seconde

rivière , celle de Colombia , se jette dans l'Océan Paci


fique , près du cap Desappointment , au sud de la baie
de Noutka , d'après le célèbre voyageur Vancouver,
les 46° 19′ de latitude. La Cordillère des Montagnes
Rocheuses ( Stony-Mountains ) , abondante en char
bon de terre , a été trouvée , par M. Fiedler, élevée en
quelques endroits de 3520 pieds anglais * , ou de 550

toises au-dessus des plaines voisines . Elle sépare les


sources des rivières de la Paix et de Colombia . D'après
le récit de Mackenzie , qui a passé cette Cordillère au

' S'il est vrai que cette chaîne de montagnes entre dans la limite des
neiges perpétuelles ( Mackenzie , tom. III , pag. 331 ) , leur hauteur ab
solue doit être au moins de 1000 à 1100 toises ; d'où résulterait , ou
que les plaines voisines sur lesquelles M. Fiedler était placé pour éta
blir ses mesures , sont élevées de 450 à 550 toises au-dessus du niveau
de la mer , ou que les cîmes dont ce voyageur indique la hauteur ne
sont pas les plus élevées de la chaîne traversée par Mackenzie.
206 LIVRE I ,

mois d'août 1793 , le portage y est assez praticable ,


et les montagnes n'y paraissent pas d'une très grande
élévation. Pour éviter le grand détour que fait le Co
lombia , une autre voie de commerce encore plus
courte pourrait s'ouvrir depuis les sources du Tacout
ché-Tessé jusqu'à la rivière des Saumons , dont l'em
bouchure se trouve à l'est des îles de la Princesse

Royale , sous les 52 ° 26′ de latitude. M. Mackenzie


observe , avec raison , qu'un gouvernement qui ouvri
rait cette communication entre les deux Océans , en

formant des établissemens réguliers dans l'intérieur du


pays et aux deux extrémités des fleuves , deviendrait ,

par là même , maître de tout le commerce des pelle


teries de l'Amérique septentrionale , depuis le 48° de
latitude jusqu'au pôle , excepté la partie de la côte qui
depuis long-temps est comprise dans la Russie Amé
ricaine. Le Canada , par la multitude et le cours
de ses rivières , présente des facilités de commerce
intérieur semblables à celles qui existent dans la Sibé
rie orientale. L'embouchure de la Rivière de Colombia

paraît inviter les Européens à y former une belle co


lonie. Les bords de cette rivière offrent des terrains

fertiles et couverts de superbes bois de construction . Il


faut convenir cependant que , malgré l'examen fait par

M. Broughton , on ne connaît encore qu'une très pe


tite partie du Colombia , qui , semblable à la Saverne
et à la Tamise , paraît se rétrécir * énormément à

* Voyage de Vancouver , tom. II , pag. , 49 , et tom. II , pag. 521.


CHAPITRE II. 207

mesure qu'il s'éloigne des côtes. Tout géographe qui


comparera soigneusement les cartes de Mackenzie

avec celles de Vancouver, sera étonné que le Colom


bia, en descendant de ces Stony-Mountains , que l'on
est tenté de considérer comme une prolongation des

Andes du Mexique , puisse traverser la chaîne des


montagnes qui se rapproche de la côte du Grand

Océan , et dont les cimes principales sont le Mont


Ste.-Hélène et le Mont-Rainier. Mais aussi M. Malte

Brun a déjà élevé des doutes importans contre l'iden


tité du Tacoutché- Tessé et du Rio Colombia. Il pré
sume même que le premier se jette dans le golfe de
Californie , supposition qui donnerait au Tacout
ché-Tessé un cours d'une longueur énorme. Il faut
convenir que toute cette partie de l'ouest de l'Amé
rique septentrionale n'est encore que très imparfaite
ment connue.

Sous les 50° de latitude , le fleuve NELSON , le SAS

*
Depuis la première édition de cet ouvrage , on a reconnu que le
Colombia ou Oregon diffère entièrement du Tacoutché-Tessé ou
Frasers River. Le premier naît dans le terrain montueux qui lie par
une arrête transversale la grande chaîne centrale des Rocky Mountains
aux Alpes maritimes de la Nouvelle-Albion : il offre , près de ses
sources, les phénomènes de sinuosités les plus bizarres. L'origine du
Colombia ne se trouve pas , comme prétendent les géographes des
États-Unis dans les ouvrages les plus récens , par les 55º de latitude :
elle est par les 50°3'. Le fleuve coule d'abord au N.-N.-O. jusqu'à la
station d'Arthabasai ( lat. 52 ) où elle n'est éloignée que de 6 à 7 lieues
de la source principale du Tacoutché-Tessé : delà elle tourne au sud ,
recevant successivement le Flat-Bow et le Flat-Head River (lat. 49°),
208 LIVRE I ,

KASHAWAN et le MISSOURY , que l'on peut regarder


comme une des branches principales du Mississipi ,
fournissent également des facilités de communication
avec l'Océan Pacifique. Toutes ces rivières naissent au
pied des Stony-Mountains. Nous n'avons pas encore
des données assez positives sur la nature du terrain

par lequel le portage devrait s'établir , pour pronon


cer sur l'utilité de ces communications . Le voyage que
le capitaine Lewis a exécuté aux frais du gouverne
ment anglo-américain sur le Mississipi et le Missoury,

appelé aussi Fleuve de Clarke , le Saptin ou Lewis River ( lat . 46°5′ ) ,


et le Multnomah ( lat. 45 °20′ ) . Les sources du Flat -Bow River se
rapprochent à la distance de quatre ou cinq mille toises de celles du
Colombia, de sorte qu'un vaste terrain de forme triangulaire , com
pris entre les 46° et 50° de latitude, est presque entièrement entouré
d'eaux courantes. Avant que l'on eût abandonné la colonie d'Astoria
( à l'embouchure du Colombia ) , ces parages étaient beaucoup plus
fréquentés. On sait que des navires de 300 tonneaux peuvent re
monter 125 milles marins jusqu'au confluent du Multnomah. La ri
vière de Fraser ou le Tacout ché - Tessé naît à-peu-près par les
52°20' de latitude , et coule comme le Columbia d'abord vers le nord
(jusqu'à 54°30′), puis vers le S.-S-O . en débouchant dans Birch-Bay
qui fait partie du bras de mer qui sépare l'île de Quadra et de Van
couver de la terre ferme. Il y a plus de 60 lieues de l'embouchure
du Colombia à celle du Tacoutché- Tessé. Entre ces deux grandes
rivières qui pourront devenir un jour très importantes pour la ci
vilisation humaine , se trouve une troisième rivière , le Caledonia. En
jetant les yeux sur les fleuves qui naissent à la pente des Mon
tagnes Rocheuses , on voit qu'ils suivent , à leur sortie des mon
tagnes , un cours parallèle à l'axe de la chaîne. Ce phénomène , dont
j'ai examiné les causes dans un autre endroit , caractérise plusieurs
Cordillères de l'Inde et de la Chine. (Ritter , Erdzunde , tom. 1 , pag. 248.
Humboldt, Relation historique , tom. II , pag. 518. )
CHAPITRE II . 209

pourra répandre un grand jour sur ce problème inté


ressant.

2° Sous les 40° de latitude , les sources du RIO DEL


NORTE , ou Rio Bravo , qui débouche dans le golfe
du Mexique , se trouvent séparées des sources du RIO
COLORADO par un terrain montueux de douze à treize
lieues de large. Ce terrain est la continuation de la
Cordillère des Grues , qui se prolonge vers la Sierra
Verde et vers le lac de Timpanogos , célèbre dans
l'histoire mexicaine. Le Rio S. Rafaël et le Rio S. Xa

vier sont les sources principales du fleuve Zaguana


nas , qui , avec le Rio de Nabajoa , forme le Rio Co
lorado et mêle ses eaux à celles du golfe de Californie.
Les régions que parcourent ces rivières abondent en
sel gemme : elles ont été examinées , en 1777 , par deux
voyageurs remplis de zèle et d'intrépidité , moines de
l'ordre de S. François , le père Escalante et le père
Antonio Velez . Quelque intéressans que le Rio Za
guananas et le Rio del Norte puissent devenir un jour
pour le commerce intérieur de cette partie septentrio
nale de la Nouvelle- Espagne , quelque facile que soit
le portage à travers les montagnes , il n'en résultera
jamais une communication dont les avantages puissent
Menser ceux d'un canal océanique.
STHME DE TEHUANTEPEC comprend , sous les
sources du Rio Huasacualco ou
te dans le golfe du Mexique ,
Chimalapa. Les eaux de cette
à celles de l'Océan Pacifique ,

14
210 LIVRE I ,

près de la Barra de S. Francisco. Je considère ici le


Rio del Passo comme la source principale de la rivière
de Huasacualco , quoique celle- ci ne prenne son nom
qu'au Passo de la Fabrica , après qu'un de ses bras ,
qui vient des montagnes de los Mixés , s'est réuni avec
le Rio del Passo. Cet isthme de Tehuantepec est le
point que Fernand Cortez , dans ses lettres à l'empe
reur Charles V, appelle le secret du détroit , dénomi
nation qui prouve suffisamment l'importance qu'on y
attachait dès le commencement du seizième siècle. Il

a fixé de nouveau l'attention des navigateurs , depuis


que les hostilités exercées par le château de San Juan
d'Ulua ont fait refluer le commerce de la Vera
Cruz à la Barre d'Alvarado et à la côte de Tabasco
voisines de l'embouchure du Rio Huasacualco . La ligne

de faîte , qui forme le partage d'eau entre les deux


Océans , est interrompue par une vallée ; mais je doute
que dans le temps des grandes crues cette vallée se
remplisse ( comme on l'a avancé récemment ) d'une
quantité d'eau suffisante pour permettre un passage
naturel aux bateaux des indigènes . De semblables com
munications temporaires existent entre les bassins du
Mississipi et de la rivière Saint Laurent , c'est-à-dire

entre le lac Erié et le Wabash , entre le lac Michigan


et la rivière des Illinois. Nous reviendrons , plus bas ,
sur la possibilité de creuser un canal * de six à sept lieues

* L'ouverture de ce canal a été décrétée par les Cortès d'Espagne


en 1814. On chargea de l'exécution du canal le Consulado de Guada
laxara qui se proposait de faire un appel aux capitalistes de l'Europe .
CHAPITRE II. 211

de long dans les forêts de Tarifa. Depuis qu'en 1798


on a ouvert un chemin de terre qui mène du port de
Tehuantepec à l'Embarcadero de la Cruz ( chemin
perfectionné en 1800 ) , le Rio Huasacualco forme
une communication commerciale entre les deux Océans.

Pendant le cours de la guerre avec les Anglais , l'in


digo de Guatimala , le plus précieux de tous les indi
gos connus, est venu par la voie de cet isthme au port
de la Vera-Cruz, et delà en Europe.

4º Le grand LAC DE NICARAGUA Communique non


seulement avec le lac de Léon , mais aussi à l'est , par
la rivière de San Juan, avec la Mer des Antilles. La
communication avec l'Océan Pacifique serait effectuée,
en creusant un canal à travers l'isthme qui sépare le
lac du golfe du Papagayo . C'est sur cet isthme étroit que
se trouvent les cimes volcaniques et isolées de Bomba
cho ( par 11 °7′ de latitude ) , de Grenade et du Papa
gayo ( par 10°50' de latitude ). Les cartes anciennes
indiquaient même une communication d'eau à travers
l'isthme. D'autres cartes , un peu plus nouvelles , re
présentent une rivière sous le nom de Rio Partido *,

qui donne une de ses branches à l'Océan Pacifique , et


l'autre au lac de Nicaragua ; mais cette bifurcation
paraît très incertaine. Elle a disparu sur les dernières
cartes que les Espagnols et les Anglais ont publiées .
Il existe , dans les archives de Madrid , plusieurs

* Mémoire sur le passage de la Mer du Sud à la Mer du Nord , par


M. La Bastide , en 1791. Voyage de Marchand , vol. I, pag. 565. Mapa
del Golfo de Mexico , por Tomas Lopez y Juan de la Cruz, 1755.
14.
212 LIVRE I ,

mémoires français et anglais , sur la possibilité de la


réunion du lac de Nicaragua avec l'Océan Pacifique.
Le commerce que les Anglais font sur les côtes des
Mosquitos a contribué beaucoup à donner de la célé

brité à ce projet de communication entre les deux mers .


Dans aucun des mémoires qui sont parvenus à ma
connaissance , le point principal , qui est la hauteur du
terrain dans l'isthme , ne se trouve éclairci .
Depuis le royaume de la Nouvelle- Grenade jus
qu'aux environs de la capitale du Mexique , il n'y a pas
une seule montagne , pas un seul plateau , pas une seule
ville dont nous connaissions l'élévation au-dessus du
niveau de la mer. Existe-t-il une chaîne de montagnes

non-interrompue dans les provinces de Veragua et de


1
Nicaragua ? Cette Cordillère , que l'on suppose réunir
les Andes du Pérou aux montagnes du Mexique ,
a-t-elle sa chaîne centrale à l'ouest ou à l'est du lac de

Nicaragua? L'isthme de Papagayo offre-t- il un ter


rain montueux ou un seuil, une simple arrête ? Voilà
des problèmes dont la solution intéresse autant l'homme
d'état que le physicien géographe ! Les différens ou

vrages qui ont paru depuis les guerres de l'indépen


dance de l'Amérique espagnole , se bornent aux mêmes
notions que renfermait la première édition de cet ou

vrage : j'en excepte quelques renseignemens utiles que


M. Davis Robinson * a donnés sur la barre du Rio
San Juan de Nicaragua . Il assure «< que cette barre

*
Memoirs onthe Mexican Revol. , 1821 , pag. 263. Edinburg- Review,
CHAPITRE II. 213

a 12 pieds d'eau , et que sur un seul point elle offre une


passe étroite de 25 pieds de profondeur. » On compte
dans le Rio San Juan même 4-6 brasses , dans le

lac de Nicaragua 3 à 8 brasses . Le Rio San Juan est


navigable , selon M. Robinson , pour des brigantins et
des goëlettes .
Il n'y a aucun lieu sur le globe qui soit aussi hérissé
de volcans que cette partie de l'Amérique , depuis les 1 1º
ou 13º de latitude ; mais il paraît que les montagnes
trachytiques, à travers lesquelles le feu souterrain se
fait jour, ne forment que des groupes isolés , et que ,

séparées les unes des autres par des vallées , elles s'é
lancent de la plaine même. On ne doit pas s'étonner
que nous ignorions des faits de cette importance ; car
nous verrons bientôt que même la hauteur du chaî
non qui traverse l'isthme de Panama est aussi peu
connue aujourd'hui qu'elle ne l'était avant l'invention
des baromètres et avant l'application de cet instrument
à la mesure des montagnes. Peut-être aussi la com
munication du lac de Nicaragua avec l'Océan Pacifique
pourrait - elle se faire par le lac de Leon , au moyen
de la rivière de Tosta qui , sur la route de Leon à Rea
lexo , descend du volcan de Telica . En effet , le terrain
y paraît très peu élevé , et le récit du voyage de Dam
pier peut supposer qu'il n'existe pas une véritable
chaîne de montagnes entre le lac de Nicaragua et la
Mer du Sud. « La côte de Nicoya , dit ce grand navi

1810 , janv. , pag. 47. Biblioteca Americana , tom. 1 , pag. 115


129.
214 LIVRE I,

<< gateur , est basse et inondée au moment de la


" pleine mer. Pour arriver de Realexo à Leon , on

<< fait vingt milles à travers un pays plat et couvert de


<< mangliers. » La ville de Leon elle-même est située
dans une savanne. Il existe une petite rivière qui , dé
bouchant près de Realexo , pourrait faciliter la com
munication entre ce dernier port et celui de Leon * .
Depuis le bord occidental du lac de Nicaragua , il
n'y a que quatre lieues marines jusqu'au fond du golfe
de Papagayo , et sept jusqu'à celui de Nicoya , que
les navigateurs appellent la Caldera. Dampier dit ex
pressément que le terrain entre la Caldera et le lac

est peu montueux , et pour la plus grande partie uni


et en savanne.

L'isthme de Nicaragua , par la position de son lac


intérieur et la communication de ce lac avec la Mer

des Antilles au moyen du Rio San Juan , présente plu


sieurs traits de ressemblance avec cette gorge de la
Haute-Écosse , où la rivière de Ness forme une com
munication naturelle entre les lacs des montagnes et

le golfe de Murray. A Nicaragua, comme dans la Haute


Écosse, il n'y a , à l'ouest , qu'un seuil étroit à franchir ;
peut-être suffirait- il vers l'est de canaliser le Rio San

Juan , sans sortir du lit de la rivière qui n'a des bar


rages que dans la saison des sécheresses. S'il est vrai

que l'isthme à franchir est hérissé de quelques col


lines là où il est le plus étroit entre la rive occidentale

*
Collection of Dampier's and Wafer's Voyages , vol. 1 , pag. 113 ,
119 , 218.
CHAPITRE II. 215

de Nicaragua et le golfe de Papagayo , il est , au con


traire , formé de savannes et de plaines non interrom
pues , offrant un excellent chemin pour les voitures
(camino caretero ) , entre la ville de Leon et la côte
de Realexo. C'est la grande route par laquelle on en
voie les marchandises de Guatimala à Leon , en débar
quant dans le golfe de Fonseca ou Amalapa au port
de Conchagua . Le lac de Nicaragua est élevé au
dessus de la Mer du Sud de toute la chute que pré

sente le Rio San Juan sur une longueur de 30 lieues :


aussi l'élévation de ce bassin est - elle si bien connue

dans le pays qu'on l'a regardée jadis comme un ob


stacle invincible à l'exécution du projet du canal. On
craignait , soit un déversement impétueux vers l'ouest ,
soit une diminution des eaux dans le Rio San Juan ,
qui , pendant les sécheresses , offre , au- dessus de l'an
cien Castillo de San Carlos * , plusieurs rapides , et
dont les bords , dans leur état actuel d'inculture , sont
extrêmement malsains . L'art de l'ingénieur-construc
teur est assez avancé de nos jours pour ne pas craindre

Ce fortin , pris par les Anglais en 1665 , est appelé vulgairement El


Castillo delRio San Juan. Il se trouvait , selon M. Juarros , à 10 lieues
de distance de l'extrémité orientale du lac de Nicaragua. Le fortin
construit sur un rocher , à l'embouchure du fleuve , est désigné sous
le nom de Presidio del Rio San Juan. Déjà dans le seizième siècle le
Desaguadero de las Lagunas , avait fixé l'attention du gouvernement
espagnol , qui ordonna à Diego Lopez Salcedo de fonder , près de la
rive gauche du Desaguadero ou Rio San Juan , la ville de Nueva Jaen,
Cette ville fut bientôt abandonnée , de même que celle de Bruscelles
( Bruselas ). Voyez Humboldt , Relation historique , tom. III , pag. 138.
216 LIVRE I ,

de semblables dangers . Le lac de Nicaragua pourra

servir de bassin supérieur comme le lac Oich dans le


canal Calédonien . Des écluses régulatrices ne feront
passer dans le canal qu'autant d'eau qu'il en faut
pour l'alimenter. La petite différence de niveau que
l'on suppose entre la Mer des Antilles et l'Océan Pa

cifique ne tient probablement qu'à la hauteur inégale


des marées. Une différence semblable s'observe entre

les deux mers , que réunit le grand Canal d'Écosse ; et


fût-elle même de 6 toises , et permanente comme celle
de la Méditerranée et de la Mer Rouge , elle n'en fa
voriserait pas moins une jonction océanique. Les vents
soufflent assez fort sur le lac de Nicaragua pour qu'on
ne doive pas avoir besoin de remorquer , par le moyen
de bateaux à vapeur , les navires qui doivent passer
d'une mer à l'autre ; mais l'emploi de la force motrice
des vapeurs sera d'une grande utilité dans les trajets
de Realexo ou de Panama à Guayaquil . Pendant les
mois d'août , de septembre et d'octobre les calmes
alternent dans ces parages avec des vents qui soufflent
dans une direction contraire à ce trajet.
Les côtes de Nicaragua sont assez dangereuses dans
les mois d'août, de septembre et d'octobre , à cause des
orages et des pluies épouvantables * ; en janvier et en
février , à cause des nord-est et des est-nord-est fu

* M. de Humboldt dit , dans le troisième volume de la Relation his


torique qui vient de paraître ( chap. xxvI , pag. 119 ) , a d'après
M. Davis Robinson les côtes occidentales de Nicaragua ne sont pas
aussi orageuses qu'on me les avait dépeintes dans la traversée de
Guayaquil à Acapulco . » E-R.
CHAPITRE II. 217

rieux , que l'on désigne sous le nom de Papagayos.


Cette circonstance offre de grands inconvéniens pour
la navigation . Le port de Tehuantepec , dans l'isthme
de Huasacualco , n'est pas mieux favorisé par la na

ture ; il donne son nom à des ouragans qui soufflent


du nord-ouest , et qui font fuir tous les vaisseaux de
l'attérage des petits ports de Sabinas et de Ventosa.
Il résulte de l'ensemble de ces considérations que la
possibilité du canal océanique de Nicaragua est triple,
soit du lac de Nicaragua au golfe de Papagayo , soit de
ce même lac au golfe de Nicoya , soit du lac de Leon *
ou Managua à l'embouchure du Rio de Tosta. La
distance de l'extrémité sud - est du lac de Nicaragua

au golfe de Nicoya est très différemment indiquée ( de


25 à 48 milles ) dans la carte de l'Amérique méridio
nale d'Arrowsmith , et dans la belle carte du Deposito
hidrografico de Madrid , qui porte le titre : Mar de
las Antillas , 1809 .

5° L'ISTAME DE PANAMA a été traversé pour la


première fois par Vasco Nuñez de Balboa , l'année
1513. Depuis cette époque mémorable dans l'histoire

des découvertes géographiques , le projet d'un canal


a occupé tous les esprits ; cependant aujourd'hui même,
après trois cents ans , il n'existe ni un nivellement de
terrain , ni une détermination bien exacte des posi
tions de Panama et de Portobelo. La longitude du

* Et non du lac de Leon au golfe de Nicoya, comme dit le rédacteur,


d'ailleurs très instruit, de la Biblioteca Americana , 1823, Agosto, p. 120.
218 LIVRE I ,

premier de ces deux ports a été rapportée à Cartha


gène ; la longitude du second a été fixée depuis Guaya
quil. Les opérations de Fidalgo et de Malaspina mé
ritent , sans doute , une très grande confiance ; mais
les erreurs se multiplient insensiblement , lorsque , par
des opérations chronométriques qui embrassent toute
la côte de la Terre-Ferme , depuis l'île de la Trinité
jusqu'à Portobelo , et depuis Lima jusqu'à Panama ,
une position devient dépendante de l'autre. Il serait
important de transporter directement le temps de
Panama à Portobelo , et de lier ainsi les opérations
faites dans la Mer du Sud à celles que le gouverne

ment espagnol a fait exécuter dans l'Océan Atlantique.


Peut-être que MM . Fidalgo , Tiscar et Noguera pour

ront un jour avancer avec leurs instrumens jusqu'à


la côte méridionale de l'isthme , tandis que MM . Col
menarès , Isasvirivill et Quartara pousseraient leurs
travaux * jusqu'à la côte septentrionale. Pour se faire
une idée de l'incertitude qui règne encore sur la
forme et la largeur de l'isthme ( par exemple du côté
de Nata ) , on n'a qu'à comparer les cartes de Lopez
avec celles d'Arrowsmith , et avec les cartes les plus
récentes du Deposito hidrografico de Madrid. La ri
vière de Chagre , qui débouche dans la Mer des An

* Ces officiers de la marine espagnole ont été chargés , en 1803 ,


de lever les plans des côtes septentrionales et occidentales de l'Amé
rique méridionale. L'expédition de Fidalgo a été destinée pour la côte
située entre l'île de la Trinité et Portobelo , l'expédition de Colmenarès
pour la côte du Chili, et l'expédition de Moraleda et de Quartara pour
la partie qui s'étend de Guayaquil à Realexo.
CHAPITRE II . 219

tilles à l'ouest de Portobelo , présente malgré ses


sinuosités et ses rapides , une grande facilité pour le

commerce ; elle a une largeur de 120 toises à son em


bouchure , et de 20 toises près de Cruces, où elle
commence à devenir navigable. On remonte aujour

d'hui le Rio Chagre , depuis sa bouche jusqu'à Cru


ces, en quatre à cinq jours. Si les eaux sont très hautes,
il faut lutter contre le courant pendant dix à douze
jours. De Cruces à Panama , on transporte les mar
chandises , à dos de mulet , par un espace de cinq
petites lieues. Les hauteurs barométriques rapportées
dans le Voyage d'Ulloa * , me font supposer que dans
le Rio Chagre il existe , depuis la Mer des Antilles jus
qu'à l'Embarcadero ou Venta de Cruces , une diffé
rence de niveau de 35 à 40 toises. Cette différence
doit paraître bien petite à ceux qui ont remonté le Rio
Chagre ; ils oublient que la force du courant dépend
à-la-fois d'une grande accumulation d'eau près des
sources , et de la pente générale de la rivière , c'est

à-dire de celle qu'elle présente au-dessus de Cruces.


En comparant le nivellement barométrique d'Ulloa à
celui que j'ai fait dans la rivière de la Magdeleine , on
s'aperçoit que l'élévation de Cruces au - dessus de

l'Océan , loin d'être petite , est au contraire très con


sidérable. La pente du Rio de la Magdalena , depuis
Honda jusqu'au Digue de Mahates , près de Barancas ,
est de 160 toises ; et cependant cette distance n'est
pas , comme on pourrait le supposer , quatre fois , mais

* Observations astronomiques d'Ulloa , pag. 97.


220 LIVRE I ,

huit fois plus grande que celle de Cruces au Fort de


Chagre.
Les ingénieurs , qui ont proposé à la cour de Ma
drid d'établir la communication entre les deux Océans

par le Rio Chagre , ont projeté de creuser un canal


de la Venta de Cruces à Panama. Ce canal devrait

passer par un terrain montueux dont on ignore abso


lument la hauteur. Nous savons seulement que , de

Cruces , on monte d'abord rapidement , et qu'en


suite on descend pendant plusieurs heures vers les
côtes de la Mer du Sud. Il est bien étonnant qu'en
traversant l'isthme , ni La Condamine et Bouguer,
ni Don George Juan et Ulloa , n'aient eu la curiosité
d'observer leur baromètre pour nous apprendre quelle

est la hauteur du point le plus élevé sur la route du


fortin de Chagre à Panama. Ces savans ont sé
journé trois mois dans cette région si intéressante pour
le monde commerçant ; mais leur long séjour n'a pres
que rien ajouté aux observations que nous devons à
Dampier et à Wafer. Il paraît indubitable que la

Cordillère principale , ou plutôt une rangée de collines ,


que l'on peut regarder comme une prolongation des

Andes de la Nouvelle-Grenade , se trouve entre Cruces


et Panama, plus rapprochée de la Mer du Sud que de
la Mer des Antilles . C'est du haut de cette Cordillère
que l'on a prétendu apercevoir les deux Océans à-la

fois , observation qui ne supposerait qu'une hauteur ab


solue de 290 mètres. Lionel Wafer, se plaint de n'avoir

pujouir de ce spectacle ; et il assure que les collines qui


CHAPITRE II. 221

forment la chaîne centrale sont séparées les unes des

autres par des vallées qui laissent un libre cours aux


passages des rivières * . Si cette dernière assertion est
fondée , on pourrait croire à la possibilité d'un canal
qui conduirait de Cruces à Panama , et dont la naviga
tion ne serait interrompue que par très peu d'écluses.
D'après quelques faibles indications sur la tempé
rature de ces lieux et sur la géographie des plantes
indigènes , je serais porté à croire que l'arrête dans le
chemin de Panama à Cruces n'atteint pas 500 pieds de
hauteur. M. Robinson la suppose au plus de 400 pieds .
D'ailleurs , on trouve presque dans tous les pays mon

tagneux , qu'on examine avec soin , des exemples d'ou


vertures naturelles à travers des arrêtes . Les collines

entre les bassins de la Saône et de la Loire que le canal


du Centre aurait eu à franchir , ont 800 à 900 pieds
d'élévation , mais une gorge ou interruption de la
chaîne , près de l'étang de Long-Pendu , a offert un
seuil qui est de 350 pieds plus bas.
Il existe d'autres points dans lesquels , selon des
mémoires dressés en 1528 , on a proposé de couper

l'isthme , par exemple en joignant les sources des ri


vières appelées Caimito et Rio grande avec le Rio
Trinidad. La partie orientale de l'isthme est plus
étroite , mais le terrain y paraît aussi beaucoup plus

* Description ofthe Isthmus ofAmerica, 1729 , pag. 297. Près de la ville


de Panama , un peu au nord du port , se trouve la montagne de l'Ancon,
qui, selon une mesure géométrique , a 101 toises de hauteur. Ulloa,
vol. 1 , pag. 101.
222 LIVRE I ,

élevé. C'est du moins ce qu'on observe dans le che


min affreux que suit le courier de Portobelo à Pa
nama , chemin de deux journées qui va par le village de
Pequeni, et qui présente les plus grandes difficultés.
De tout temps et dans tous les climats , les hommes
ont cru de deux mers voisines , l'une plus élevée que
l'autre. Les traces de cette opinion vulgaire se trouvent
* l'on
déjà chez les anciens. Strabon rapporte que
croyait le niveau du golfe de Corinthe près de Léchée,
supérieur au niveau des eaux du golfe de Cenchrée. Il
s'imagine qu'il serait très dangereux de couper l'isthme
du Péloponnèse dans l'endroit où les Corinthiens, à l'aide
de machines particulières , avaient établi un portage.
En Amérique, dans l'isthme de Panama , on suppose
communément que la Mer du Sud est plus élevée que la

Mer des Antilles. Cette opinion se fonde sur une simple


apparence. Après avoir lutté plusieurs jours contre le
courant du Rio Chagre , on croit avoir monté beau
coup plus que l'on ne descend depuis les collines voi
sines de Cruces jusqu'à Panama . En effet , rien de
plus trompeur que le jugement que l'on porte de la

différence de niveau sur une pente prolongée , et par


conséquent très douce. Au Pérou , j'ai eu de la peine à
en croire mes yeux , en trouvant , au moyen d'une me
sure barométrique , que la ville de Lima est de 91
toises plus élevée que le port du Callao . Il faudrait , que
par un tremblement de terre , le rocher de l'île San Lo
renzo fût entièrement couvert d'eau, pour que l'Océan

* Strabo , lib. 1, ed. Siebenkees, vol. I , pag. 146. Livius , lib. 42 , cap. 16.
CHAPITRE II. 223

pût parvenir jusqu'à la capitale du Pérou. Don George


Juan a déjà combattu l'opinion d'une différence de
niveau entre la Mer des Antilles et le Grand Océan ;
il a trouvé que la hauteur de la colonne de mercure est
la même à l'embouchure du Chagre et à Panama.
L'imperfection des instrumens météorologiques dont
on se servait alors , et le manque de toute correction
thermométrique appliquée au calcul des hauteurs ,
pouvait encore laisser quelques doutes . Ces doutes sem
blaient même avoir acquis plus de poids depuis que

les ingénieurs français , attachés à l'expédition d'E


gypte , ont trouvé le niveau de la Mer Rouge élevé de
6 toises au-dessus des eaux moyennes de la Méditer
ranée. Aussi long-temps qu'aucun nivellement géo
métrique n'est exécuté dans l'isthme de Panama , on
doit avoir recours aux mesures barométriques. Celles
que j'ai faites à l'embouchure du Rio Sinu dans la
Mer des Antilles et sur les côtes de la Mer du Sud

au Pérou , prouvent , toute correction faite pour la


température , que , s'il existe une différence de niveau

entre les deux Océans , elle ne peut pas aller au- delà
de six à sept mètres.
En réfléchissant sur l'effet du courant de rotation *

qui , sur les côtes boréales , porte les eaux de l'est à


l'ouest , et les accumule vers les côtes de Costa Rica
et de Veragua , on est tenté d'admettre , contre l'opi

* J'appelle courant de rotation , le mouvement général des eaux de


l'est à l'ouest que l'on observe dans la partie de l'Océan comprise
entre les tropiques.
224 LIVRE I ,

nion reçue , que la Mer des Antilles est un peu plus


élevée que la Mer du Sud . De petites causes locales , la
configuration des côtes , les courans et les vents (comme
dans le détroit de Bab-el-Mandeb) , peuvent troubler
le grand équilibre qui doit exister nécessairement entre
toutes les parties de l'Océan . Les marées s'élèvent à
Portobelo à un tiers de mètre , à Panama à quatre
ou cinq mètres de hauteur , d'où il résulte que le ni
veau des deux mers voisines doit être variable selon

les époques différentes de l'établissement du port.


Mais ces légères inégalités , bien loin d'empêcher les
travaux de construction hydraulique , favoriseront plu
tôt l'effet des écluses .

On ne peut pas douter que si l'isthme de Panama


était rompu par quelque grande catastrophe semblable
à celle qui a ouvert les colonnes d'Hercule * , le cou
rant de rotation , au lieu de remonter vers le golfe
du Mexique et de déboucher par le canal de Bahama ,
suivrait un même parallèle depuis la côte de Paria
jusqu'aux îles Philippines. L'effet de cette ouverture
ou de ce nouveau détroit s'étendrait bien au-delà du

banc de Terre-Neuve ; il ferait disparaître totalement ,


ou diminuer de célérité cette rivière d'eau chaude que

l'on désigne sous le nom de Gulphstream **, et qui,

* Diodorus Siculus , lib. iv, pag. 226 , lib. xvII , pag. 553 , edit.
Rhodom.
✰✰
Le Gulphstream sur lequel Franklin , et après lui Williams dans
son traité de navigation thermométrique , nous ont laissé des obser
vations précieuses , porte les eaux des tropiques aux latitudes bo
réales. Il doit son origine au courant de rotation qui frappe contre les
CHAPITRE II. 225

dirigée d'abord au nord- nord-est depuis la Floride jus


qu'au banc de Terre- Neuve , porte sous les 43º de la
titude , à l'est vers les côtes d'Irlande et au sud-est vers
les côtes de l'Afrique. Une passe de plusieurs lieues de
largeur , formée par des tremblemens de terre ou des
déchiremens volcaniques , dans l'isthme de Panama ,
produirait des changemens physiques analogues à ceux
dont la mémoire a été conservée dans les traditions.
des Samothraces . Mais ose-t-on comparer les chétifs
travaux des hommes à des canaux creusés par la nature

même , à des détroits comme l'Hellespont et les Dar


danelles!

Strabon paraît porté à croire que les flots ouvri
ront un jour l'isthme de Suez. On ne doit pas s'at

tendre à une catastrophe semblable dans l'isthme de


Panama, à moins que d'énormes révolutions , peu
probables dans l'état actuel de repos de notre planète ,
ne causent des bouleversemens extraordinaires . Une

langue de terre prolongée de l'est à l'ouest dans une


direction presque parallèle à celle du courant de ro
tation , échappe , pour ainsi dire , au choc des flots.
L'isthme de Panama serait menacé , si , dirigé du sud
au nord , il se trouvait situé dans la province de Costa

côtes de Veragua et de Honduras , et qui , remontant vers le golfe du


Mexique , entre le Cap Catoche et le Cap Saint-Antoine , sort par
le canal de Bahama. C'est ce mouvement des eaux qui porte des
productions végétales des Antilles en Norwège , en Irlande et aux
Canaries. Voyez Relat. Hist. , tom. I , pag. 64—70.

* Strabo , ed. Siebenkees , tom. 1 , pag. 156 .


I. 15
226 LIVRE I ,

Ricca, entre le port de Cartago et l'embouchure du Rio


San Juan , c'est-à- dire , si la partie la plus étroite du
nouveau continent était entre les 10° et 11° de la
titude.

La navigation sur la rivière de Chagre est difficile ,


tant à cause du nombre de ses sinuosités que par la

célérité de son courant , qui est souvent d'un à deux


mètres par seconde. Les sinuosités présentent cepen

dant l'avantage d'un contre-courant qui se forme par


remoux vers les bords , et à la faveur duquel les petits
bâtimens appelés Bongos et Chatas remontent , soit à
la rame et à la perche , soit en se faisant touer. Si l'on
coupait ces sinuosités cet avantage cesserait , et l'on
aurait bien de la peine à arriver de la Mer des Antilles
à Cruces.

Le minimum de largeur de l'isthme de Panama n'est


pas comme l'indiquaient les premières cartes du De
posito hidrografico de Madrid , de 15 milles , mais de
25 milles ( de 950 toises chacun , ou de 60 milles au
degré ) , c'est-à -dire de 8 lieues marines , ou 24,500
toises ; car les dimensions du golfe de San Blas , appelé
aussi Ensenada de Mandinga , à cause de la petite
rivière du même nom qui s'y jette , ont donné lieu à de
graves erreurs . Ce golfe entre de 17 milles de moins
dans les4 terres qu'on ne l'avait supposé en 1805 en
relevant l'archipel des Iles Mulatas. Quelque con
fiance que paraissent mériter les dernières opérations
astronomiques , sur lesquelles se fonde la carte de

l'isthme publiée par le Deposito hidrografico de Ma


CHAPITRE II. 227

drid en 1817 , il ne faut pas oublier cependant que


ces opérations n'embrassent que les côtes septen
trionales , et que celles-ci n'ont point encore été liées ,
soit par une chaîne de triangles , soit chronométri
quement ( par le transport du temps ) aux côtes méri
dionales. Or , le problême de la largeur de l'isthme ne
dépend pas de la seule détermination des latitudes. *

Il paraît , d'après l'ensemble des renseignemens que


j'ai pu me procurer pendant mon séjour à Carthagène
et à Guayaquil , que l'on doit abandonner l'espoir d'un
canal de 7 mètres de profondeur et de 22 à 28 mètres

* Relation historique , tom. II , pag. 126. « En comparant ( dit M. de


Humboldt ) les deux cartes du Deposito hidrografico de Madrid ,
portant le titre de Carta esférica del Mar de las Antillas y de las Costas
de Tierra Firme desde la isla de la Trinidad hasta el golfo de Honduras,
1806 , et la Quarta Hoja que comprehende las costas de la Provincia da
Cartagena , 1817 , on voit combien étaient fondés les doutes que j'é
nonçais il y a quinze ans sur l'orientation relative des points les plus
importans des côtes septentrionales et méridionales de l'isthme. La
côte méridionale entre les embouchures du Rio San Juan Diaz et de
Rio Lucuma, à l'est de Panama , dans le méridien de la Punta San
Blas se prolonge , selon la carte de 1809 , par 8°54′ de latitude ;
selon la carte de 1817 par 9°2'. La côte septentrionale formant le
fond du golfe Mandinga ou de San Blas , au sud des Iles Mulatas ,
se trouve située dans la première de ces cartes par lat. 9 °9′ ; dans
la seconde par 9°27′ . Comme le cap San Blas , dans la partie nord
ouest du golfe de Mandinga , n'a point été porté au nord de la
même quantité que le fond du golfe près de l'embouchure du Rio
Mandinga , il en résulte que le golfe rentre , d'après la carte de 1807 ,
de 24' , d'après celle de 1817 de 7' . Plus à l'ouest la largeur moyenne
de l'isthme , entre le Castillo de Chagre , Panama et Portobelo , est de
14 lieues marines. Le minimum de largeur est deux à trois fois moin
dre que la largeur de l'isthme de Suez , auquei M. Le Pere donne
59,000 toises. »
228 LIVRE I,

de largeur , qui , semblable à une passe ou à un dé


troit , traverserait l'isthme de Panama de mer en mer,
et recevrait les mêmes vaisseaux qui font voile de
l'Europe aux Grandes-Indes . L'élévation du terrain

forcera l'ingénieur à avoir recours , soit à des gale


ries souterraines , soit au système des écluses . Par con
séquent , les marchandises destinées à passer l'isthme
de Panama ne pourront être transportées que dans

des bateaux plats , incapables de tenir la mer. Il fau
drait des entrepôts à Panama et à Portobelo. Toutes
les nations qui voudraient faire le commerce par cette

voie , deviendraient dépendantes de la nation qui serait


maîtresse de l'isthme et du canal. Cet inconvénient

serait surtout très grand pour les vaisseaux expédiés


d'Europe. Dans le cas même où le canal serait creusé ,
il est probable que le plus grand nombre des vais
seaux craignant les retards causés par des écluses trop
multipliées continueraient leurs voyages autour du
Cap de Bonne-Espérance. Nous voyons que le passage
du Sund est très fréquenté , malgré l'existence du
canal de l'Eyder qui réunit l'Océan à la Baltique.
Il n'en serait pas de même des productions de l'Amé

rique occidentale , ou des marchandises que l'Europe


envoie aux côtes de l'Océan Pacifique, à celles de Quito
et du Pérou septentrional ; ces marchandises traver
seraient l'isthme avec moins de frais , et , surtout en
temps de guerre , avec moins de danger qu'en dou
blant l'extrémité australe du Nouveau Continent.
Dans l'état actuel de la route , le transport de trois
CHAPITRE II . 239

quintaux , à dos de mulet , coûte de Panama à Por


tobelo trois à quatre piastres ( 15 à 20 francs ) . Mais
l'état inculte dans lequel le gouvernement a laissé
l'isthme est tel , que le nombre des bêtes de somme,
depuis Panama jusqu'à Cruces , est beaucoup trop
petit pour que le cuivre du Chili , le quinquina du Pé
rou , et surtout les 70,000 fanegas * de cacao qu'ex
porte annuellement Guayaquil , puissent traverser cette
langue de terre on préfère , par conséquent , la na
vigation dangereuse , lente et coûteuse autour du cap
de Horn .

En 1802 et 1803, où les corsaires anglais gênaient par


tout le commerce espagnol , on fit passer une grande
partie du cacao de Guayaquil à travers le royaume
de la Nouvelle-Espagne , en l'embarquant à la Vera
Cruz pour Cadix. On préféra au danger d'une longue
navigation par le cap de Horn , et à la difficulté de re

monter contre le courant le long des côtes du Pérou et


du Chili , la traversée de Guayaquil à Acapulco , et un
chemin de terre de cent trente-cinq lieues , depuis Aca
pulco jusqu'à Vera-Cruz . Cet exemple prouve que , si
la construction d'un canal , soit à travers l'isthme de
Panama, soit à travers celui de Guasacualco , offrait

trop de difficulté à cause de la multiplicité des écluses ,


le commerce de l'Amérique occidentale gagnerait déjà
immensément par de belles routes tracées de Tehuan

tepec à l'Embarcadero de la Cruz , et de Pánama à

* Unefanega pèse 110 livres de Castille.


230 LIVRE I,

Portobelo. Il est vrai que dans l'isthme les pâturages


sont , jusqu'à ce jour * , peu favorables à la nourriture
et à la multiplication du bétail ; mais , dans un terrain
si fertile , il serait facile de former des savannes en
abattant les forêts , ou de cultiver le Paspalum pur
pureum , le Milium nigricans , et surtout la luzerne
(Medicago sativa ) , qui vient abondamment au Pérou
dans les pays les plus chauds . L'introduction des cha
meaux serait un moyen plus propre encore à diminuer
les frais de transport. Ces navires de terre , comme les
Orientaux appellent les chameaux , n'existent encore
que dans la province de Caracas , où le marquis del
Toro les a importés des îles Canaries.
Aucune considération politique ne devrait s'op
poser aux progrès de la population , de l'agriculture , du
commerce et de la civilisation dans l'isthme de Panama.

Plus cette langue de terre sera cultivée , et plus elle


opposera de résistance à un ennemi extérieur . Si quel
que nation entreprenante voulait se rendre maîtresse

de l'isthme , elle le pourrait plutôt dans son état ac


tuel . On y trouve de belles et nombreuses fortifications,
dénuées de bras pour les défendre. L'insalubrité du
climat , quoique déjà diminuée à Portobelo , rend assez
difficile une entreprise militaire dans l'isthme. C'est

depuis Saint-Charles de Chiloe , et non depuis Panama ,


que l'on peut attaquer le Pérou . Il faut trois à quatre

* L'assertion de Raynal ( tom. IV, pag. 150 ) , que les animaux


domestiques transportés à Portobelo y perdent leur fécondité , est
entièrement dénuée de vérité.
CHAPITRE II. 231

mois pour remonter contre les courans de Panama à

Lima , tandis que la navigation du Chili au Pérou est


aisée et constamment rapide. Malgré les désavantages
qu'offre l'isthme, sa possession ne laisse pas d'être d'une
haute importance pour une nation entreprenante. La
pêche de la baleine et du cachalot, qui déjà, en 1803,
fit passer soixante bâtimens anglais à la Mer du Sud ;

la facilité du commerce de la Chine et les pelleteries de


NootkaSund sont des amorces bien séduisantes ; elles
suffisent pour attirer tôt ou tard les maîtres de l'Océan
vers un point du globe que la nature semble avoir
destiné à faire changer de face au système commercial
des nations. *

6º Au sud-est de Panama, en suivant les côtes de


l'Océan Pacifique , depuis le Cap S. Miguel jusqu'au
Cap Corrientes , on rencontre le petit port et la baie
de CUPICA. Le nom de cette baie est devenu célèbre

dans le royaume de la Nouvelle- Grenade , à cause


d'un nouveau projet de communication entre les deux
mers. Depuis Cupica , on traverse , sur cinq ou six

* L'isthme de Panama, comme partie centrale de l'Amérique espa


gnole , a fixé récemment , sous un autre point de vue , l'attention
des gouvernemens libres du Nouveau-Monde. Dans le 5º article du
traité d'amitié conclu entre la république de Colombia et la confé
dération des États-Unis Mexicains , le 3 octobre 1823 , on trouve
exprimé le desir de voir réunis de temps en temps les plénipoten
tiaires de tous les états espagnols -américains en congrès général
dans l'isthme de Panama , « congrès que l'on pourrait regarder , dit
M. Alaman ministre secrétaire-d'état à Mexico ( Informe al Congreso
soberano de Mexico del 8 novembre 1823 , pag. 11. ) comme fondé sur
un pacte de famille entre des peuples d'une même origine. »
232 LIVRE 1 ,

lieues marines , un terrain tout uni * et très propre à


creuser un canal qui aboutirait à l'Embarcadero du 1
Rio Naipi ou Naipipi . Cette dernière rivière est na
vigable , et débouche au - dessous du village de Zitara
dans le grand Rio Atrato , qui se jette dans la Mer
des Antilles. Un pilote Biscayen très intelligent , M. Go
gueneche , a le mérite d'avoir le premier fixé l'atten
tion du gouvernement sur cette baie de Cupica ; il a
voulu prouver qu'elle peut être pour le Nouveau Con
tinent ce que Suez a été jadis pour l'Asie. M. Gogue
neche a proposé de faire passer par le Rio Naipi tout

⭑ a
Depuis que vous avez remonté le Rio Magdalena pour passer
à Santa Fé de Bogota et à Quito , › m'écrivit, au mois de février 1803
un habitant de Carthagène des Indes , Don Ignacio Pombo , auteur
de plusieurs Mémoires statistiques très estimables , « je ne cesse de
prendre des informations sur l'isthme de Cupica : il n'y a que 5 à 6
lieues de ce port à l'embarcadero du Rio Naipi ; tout ce terrain est en
plaine ( terreno enteramente llano. ) » La position géographique de
Cupica est tout aussi incertaine que la position du confluent de Naipi
avec l'Atrato. Il est cependant très important de savoir si des goëlettes
peuvent remonter de l'embouchure de l'Atrato jusqu'à ce confluent.
Je n'ai trouvé sur aucune carte espagnole le port de Cupica, mais
bien Puerto Quemado ou Tupica , par 7° 15′ de latitude. Un croquis
manuscrit de la province de Choco , que je possède , confond Cupica
et Rio Sabaleta , lat. 6°30' ; cependant Rio Sabaleta , d'après les cartes
du Deposito hidrografico de Madrid , est placé au sud et non au nord
du cap de S. Francisco ; par conséquent 45' au sud de Puerto Que
mado. D'après la carte de la province de Carthagène , publiée par
Don Vicente Talledo , le confluent du Naipipi (Naipi ) et de l'Atrato
est par 6°40′ de lat.; d'après M. Restrepo ( Semanario de Bogota ,
tom. II , pag. 96) , par 7°25 . Il faut espérer que ces incertitudes seront
bientôt levées par des observations astronomiques faites sur les
lieux.
CHAPITRE II . 233

le cacao de Guayaquil à Carthagène. La même voie


présente l'avantage d'une communication très prompte
entre Cadix et Lima. Au lieu de faire passer les cour
-
riers par Carthagène , Santa Fe et Quito , ou par
Buenos -Ayres et Mendoça , on devrait envoyer les dé

pêches par les bouches de l'Atrato à Cupica et expé-,


dier de petits paquebots , fins voiliers , de Cupica au
Pérou . Si cette voie avait été ouverte , le vice-roi de

Lima ne serait pas resté quelquefois cinq à six mois


à attendre des ordres de sa cour. En outre , les envi

rons de la baie de Cupica pourraient offrir de su


perbes bois de construction , très propres à être trans
portés à Lima. Le terrain contenu entre Cupica et la
bouche de l'Atrato est peut - être la scule partie de
toute l'Amérique dans laquelle la chaîne des Andes

se trouve entièrement interrompue. Pour se former


une idée précise de cette dépression extraordinaire
qu'éprouve la Cordillère occidentale de la Nouvelle
Grenade, il faut se rappeler que , par les 2º de latitude
dans le noeud de montagnes qui renferme les sources
du Rio Magdalena , les Andes se divisent en trois chaî
nons. Le plus oriental se prolonge , en déviant vers le
nord-est , par Timana , Bogota et Pamplona jusqu'aux
montagnes neigeuses de Merida : il se rattache entre
le lac de Maracaybo et la ville de Valencia à la Cor
dillère du littoral de Venezuela . Le chaînon intermé

diaire , celui de Panama , de Guanacas et de Quindiù


sépare la vallée longitudinale du Rio Cauca de celle
du Rio Magdalena. Il se réunit dans la province d'An
234 LIVRE I ,

tioquia au chainon le plus occidental de la Nouvelle


Grenade , chaînon qui , dans le Choco , par les 7º de
latitude , un peu à l'ouest de Zitara , entre la rive
gauche de l'Atrato et les côtes de l'Océan Pacifique ,
disparaît peu-à-peu. Il serait intéressant de connaître
la configuration du sol entre le cap Garachine , ou
golfe de S. Miguel , et le cap Tiburon , surtout vers
les sources du Rio Tuyra et Chucunaque , ou Chu
chunque , pour pouvoir déterminer, avec précision ,
où commencent à s'élever les montagnes de l'isthme de
Panama , montagnes dont la ligne de faite ne paraît
pas avoir au-delà de cent toises de hauteur. L'intérieur
du Darfour n'est guère plus inconnu aux géographes
que le terrain humide , malsain , couvert d'épaisses fo
rêts , qui s'étend , au nord- ouest de Betoi et du con
fluent du Bevara avec l'Atrato , vers l'isthme de Pa
nama. Tout ce que nous savons positivement jusqu'à
ce jour , c'est qu'entre Cupica et la rive gauche de
l'Atrato il y a , soit un détroit terrestre , soit une ab

sence totale de toute Cordillère. Les montagnes de


l'isthme de Panama peuvent , par leur direction , et
par leurposition géographique, être considérées comme
une continuation des montagnes d'Antioquia et du

Choco ; mais on trouve dans les plaines , à l'ouest du


Bas-Atrato , à peine un seuil ou une faible arrête. Il
n'existe entre l'isthme et la Cordillère d'Antioquia

pas un groupe de montagnes interposé semblable à


celui qui lie indubitablement ( entre Barquesimeto ,
Nirgua et Valencia ) le chaînon oriental de la Nou
CHAPITRE II . 235

velle-Grenade ( la Sierra de la Suma Paz et la Sierra


Nevada de Merida ) à la Cordillère du littoral de Ve
nezuela.

7º Dans l'intérieur de la province du Choco , le


petit Ravin ( Quebrada ) de la Raspadura unit le
Rio de Noanama , appelé vulgairement Rio San Juan ,
à la petite rivière de Quibdò . Cette dernière , grossie
par les eaux de l'Andagueda et du Rio Zitara ; forme

le Rio d'Atrato qui se jette dans la Mer des An


tilles , tandis que le Rio San Juan débouche dans
la Mer du Sud. Un moine très actif, curé du village

de Novita , a fait creuser par ses paroissiens un petit


canal dans le ravin de la Raspadura . Au moyen de ce

canal , navigable lorsque les pluies sont abondantes ,


des canots chargés de cacao sont venus d'une mer à
l'autre. Voilà donc une communication intérieure qui
existe depuis 1788 , et que l'on ignore en Europe. Le
petit canal de la Raspadura lie les côtes de deux
Océans sur deux points éloignés l'un de l'autre de plus
de 95 lieues. Ce ne sera toujours qu'un canal de petite
navigation ; mais il pourrait être facilement agrandi ,
si l'on y joignait les ruisseaux connus sous le nom de
Caño de las Animas , del Caliche et d'Aguas claras. Des
réservoirs et des rigoles nourricières sont facilement

établis dans un pays commele Choco où il pleut pendant


toute l'année , et où le tonnerre se fait entendre tous les
jours. D'après les notions que j'ai acquises à Honda et
à Vilela près de Cali , par des personnes employées dans
le commerce ( rescate ) de la poudre d'or du Choco ,
236 LIVRE I ,

le Rio Quibdò qui communique avec le canal de la


Mina de Raspadura se réunit près du village de Quibdò
( vulgairement appelé Zitara ) avec le Rio de Zitara et
le Rio Andagueda ; mais selon une carte manuscrite
que je viens de recevoir du Choco , et sur laquelle le
canal de la Raspadura joint également ( par lat.
5°20' ? ) le Rio San Juan et le Rio Quibdò , un peu
au-dessus de la mine de Animas , le village de Quibdò

se trouve placé au confluent de la petite rivière de ce


nom avec le Rio Atrato qui , trois lieues plus haut ,
près de Lloro , a reçu le Rio Andagueda. Depuis son
embouchure ( lat. 4°6′ ) au sud de la pointe de Cha
rambira , le grand Rio San Juan reçoit successive
ment , en montant vers le N.-N.-E. , le Rio Calima ,
le Rio del Nò ( au-dessus du village de Noanama ) , le
Rio Tamana qui passe près de Novita , le Rio Irò ,
la Quebrada de San Pablo ; et enfin , près du village
de Tadò , le Rio de la Platina . La province du Choco
n'est habitée que dans les bassins de ces rivières : elle a
des communications de commerce , au nord , avec
Carthagène , par l'Atrato dont les rives sont entière
ment désertes depuis les 6°45′ de latitude ; au sud ,
avec Guayaquil , et ( avant 1786 ) avec Valparaiso , par
le Rio San Juan ; à l'est , avec la province de Popayan

par le Tambo de Calima et par Cali . Le ravin de la


Raspadura qui sert de canal , et que je crois avoir fait
connaître le premier en Europe , est confondu sou
vent sur les cartes avec le portage de Calima et de San
Pablo. L'Arastradero de San Pablo conduit aussi au
CHAPITRE II. 237

Rio Quibdò , mais plusieurs licues au-dessus de l'em


bouchure du canal de la Raspadura . C'est le chemin
de cet Arastradero de San Pablo que prennent

communément les marchandises que l'on envoie de


Popayan par Cali , Tambo de Calima et Novita , au
Choco del Norte , c'est-à-dire à Quibdò . On ne sau
rait révoquer en doute que sur un point quelconque
de l'Amérique équinoxiale , soit dans l'isthme du
Choco , soit dans ceux de Panama , de Nicaragua et
de Huasacualco , la réunion de deux ports voisins par
un canal en petite section ( de 4-6 pieds de fond ) ,
ou par une rivière canalisée , ferait naître un grand
mouvement de commerce. Ce canal en petite section
agirait comme un chemin en fer ( rail - way ) et
quelque petit qu'il fût , il vivifierait et abrégerait les
communications entre les côtes américaines occiden

tales , et celles des États-Unis et de l'Europe * : mais


quelque convenables que soient des entreprises de ce
genre , elles ne peuvent exercer sur le commerce des

deux mondes l'influence puissante qu'aurait un véri


table canal océanique.

Les côtes de Varapez et d'Honduras offrent aussi plusieurs ports


très propres aux canaux de petite navigation. Dans le méridien de Son
zonate le Golfo Dulce entre plus de 20 lieues dans les terres , de sorte
que la distance du village de Zacapa ( dans la province de Chiqui
mala près de l'extrémité méridionale de Golfo Dulce ) aux côtes de
l'Océan Pacifique , n'est que de 21 lieues. Les rivières du nord s'ap
prochent des eaux que les Cordillères d'Izalco et de Sacatepeque
versent dans la Mer du Sud. A l'est du Golfo Dulce dans le partido de
Comayagua , on trouve le Rio Grande de Motagua cu Rio de las Bo
238 LIVRE I,

8° Sous les 10° de latitude australe, à deux ou


trois journées de Lima , on arrive aux bords de la RI
VIÈRE DE GUALLAGA ( ou Huallaga ) , par laquelle ,
sans doubler le cap de Horn , on peut se rendre aux
côtes du Grand Para dans le Brésil. Les sources du

Rio Huanuco *, qui se jette dans le Guallaga , sont


éloignées près de Chinche de quatre à cinq lieues des
sources du Rio Huaura , qui débouche dans l'Océan

Pacifique. Même le Rio Xauxa , affluent de l'Apuri


mac ou Ucayale , prend son origine près de Jauli à
peu de distance des sources du Rio Rimac qui tra
verse la ville de Lima. La hauteur de la Cordillère Pé

ruvienne et la nature du terrain y rendent impossible


l'exécution d'un canal ; mais la construction d'une
route commode , tracée de la capitale du Pérou au Rio
de Huanuco , faciliterait le transport des marchan

degas de Gualan , le Rio Camalecon , l'Ulua et le Lean qui sont navi


gables pour de grandes pirogues 40 à 50 lieues dans l'intérieur des
terres. Il est très probable que la Cordillère qui fait ici l'arrête de
partage est divisée par quelques vallées transversales. L'ouvrage inté
ressant que M. Juarros a publié à Guatimala , nous apprend que la
belle vallée de Chimaltenango donne à-la -fois, ses eaux aux côtes mé
ridionales et septentrionales. Des bateaux à vapeur ranimeront , je
l'espère, bientôt le commerce sur les rivières de Motagua et de Polo
chic. Voyez Relation historique , tome 11 , page 127.
* Voyez la carte que le père Sobreviela a donnée dans le troisième
volume d'un excellent journal littéraire publié à Lima sous le titre de
Mercurio Peruviano. L'ouvrage de Skinner sur le Pérou est un extrait
de ce journal , dont on s'est procuré à Londres quelques volumes ,
qui , malheureusement , ne sont pas les plus intéressans. J'ai déposé
l'ouvrage complet à la bibliothèque du roi à Berlin.
CHAPITRE II. 239

dises en Europe. Les grandes rivières de l'Ucayale et


du Guallaga porteraient , en cinq ou six semaines ,
les productions du Pérou à l'embouchure de l'Ama
zone et aux côtes les plus voisines de l'Europe , tandis
qu'il faut un trajet de quatre mois pour faire parvenir
ces mêmes marchandises au même point , en doublant
le cap de Horn. La culture des belles régions situées
sur la pente orientale des Andes , la prospérité et la
richesse de leurs habitans , dépendent d'une libre na
vigation sur la Rivière des Amazones. Cette liberté
que la cour de Portugal refuse aux Espagnols , aurait
pu être acquise à la suite des événemens qui ont pré
cédé la paix de 1801 .
9° Avant que la côte des Patagons fût suffisam
ment reconnue , on supposait que le GOLFE DE SAINT
GEORGE , situé entre les 45° et les 47° de latitude
australe , entrait assez avant dans les terres pour
communiquer aux bras de mer qui interrompent la
continuité de la côte occidentale , c'est-à-dire de la
côte qui est opposée à l'archipel de Chayamapu . Si
cette supposition était fondée sur des bases solides ,
les bâtimens destinés pour la Mer du Sud pourraient
traverser l'Amérique méridionale 175 lieues au nord
du détroit de Magellan , et raccourcir leur route de
plus de 700 lieues. Les navigateurs éviteraient par là

les dangers qu'offre encore , malgré le perfectionne


ment de la science nautique , le voyage autour du cap
de Horn et le long des côtes Patagones occidentales ,
depuis le Cap Pilarès jusqu'au parallèle de l'archipel
240 LIVRE 1 ,

des îles Chonos. En 1790 , ces idées avaient fixé l'at


tention de la cour de Madrid. Le vice-roi du Pérou ,
M. Gil Lemos , administrateur intègre et zélé , en
voya une petite expédition sous les ordres de M. Mo
raleda *, pour examiner la côte australe du Chili. J'ai
vu que dans l'instruction qu'il reçut à Lima , on lui
ordonna le plus grand secret dans le cas qu'il fût assez
heureux pour découvrir une communication entre les
deux mers. M. Moraleda reconnut , en 1793 , que
l'Estero de Aysen , visité avant lui en 1763 par les
pères jésuites Jose Garcia et Juan Vicuña , est , de

tous les bras de mer , celui par lequel l'Océan Paci


fique s'étend le plus vers l'est . Cependant , cet Estero
n'a que 8 lieues de long , et il se termine brusquement

un peu au- delà de l'ile de la Cruz, où il reçoit , près


d'une source chaude , une rivière de peu de largeur.
L'Estero de Aysen , situé sous les 45°28′ de latitude ,
reste , par conséquent , éloigné du golfe de St. George
de 88 lieues . Ce dernier golfe a été exactement relevé

* Don Jose de Moraleda y Montero visita l'archipel de Chiloe ,


celui de los Chonos et la côte occidentale des Patagons , depuis 1787
jusqu'en 1796. Il existe dans les archives de la vice-royauté de Lima
deux manuscrits intéressans , rédigés par M. Moraleda ; l'un porte le
titre : Viage al reconocimiento de las Islas de Chiloe , 1786; l'autre com
prend la Reconocimiento del Archipelago de los Chonos y Costa occidental
Patagonica, 1792-1796. Il serait intéressant de publier des extraits
de ces journaux qui contiennent des détails curieux sur les villes de
los Cesares et de l'Arguello, que l'on prétend avoir été fondées en 1554,
et que des relations apocryphes placent entre les 42 et 49º de latitude
australe.
CHAPITRE II. 241

par l'expédition de Malaspina. Déjà en 1746, on avait


soupçonné en Europe une autre communication entre
la baie de St. Julien ( lat . 50° 53′ ) et la Mer Pacifique.
J'ai tracé , sur une même planche , les neuf points
qui semblent présenter des moyens de communica
tion entre les deux mers , en réunissant des rivières
voisines , soit par des canaux , soit par des routes qui

facilitent le transport jusqu'aux endroits où les ri


vières deviennent navigables . Ces esquisses ne sont
pas d'une exactitude égale , en les considérant sous

le rapport des fondemens astronomiques ; il ne s'agis


sait que d'éviter au lecteur la peine de chercher sur

plusieurs cartes ce que l'on peut réunir dans une


seule. C'est au gouvernement qui possède la partie la
plus belle et la plus fertile du globe , de faire perfec
tionner ce que je n'ai pu qu'indiquer dans cette discus
sion. Deux ingénieurs espagnols , MM . Le Maur , ont
dressé avec beaucoup de soin le plan du canal de los
Guines *, projetté pour traverser toute l'île de Cuba ,
depuis le Batabano jusqu'à la Havane . Un nivellement
semblable , fait à l'isthme de Guasacualco , au lac de Ni
caragua , entre Cruces et Panama , et entre Cupica et le
Rio Naipi **, dirigerait l'homme d'état dans son choix ;
on apprendrait si c'est au Mexique , dans le Nicaragua

* Voyez la seconde note.


** Les notions que le major Alvarez vient de communiquer au ca
pitaine Cochrane ne sont pas favorables à l'utilité d'un canal entre 1
Rio Naixò ou Naipipi (affluent de l'Atrato ) et la baie de Cupica ou
Tupica. Ce voyageur assure que le Naipipi est rempli de barrages ,
J. 16
242 LIVRE I ,

ou au Darien que l'on doit exécuter cette grande en


treprise faite pour immortaliser un gouvernement qui

serait occupé des vrais intérêts de l'humanité.


La longue circonnavigation de l'Amérique méridio
nale serait dès-lors moins fréquente ; on ouvrirait un
chemin , sinon pour les vaisseaux , du moins pour les

marchandises qui doivent passer de l'Océan Atlanti


que dans la Mer du Sud. Nous aimons à croire que les
temps n'existent plus , « où l'Espagne , par une poli
« tique ombrageuse , voulait refuser aux autres peuples
<
«< un chemin à travers des possessions dont elle a dé
<< robé long-temps la connaissance au monde entier *. »
Les hommes éclairés qui se trouvent à la tête du gou
vernement , apprécieront les projets d'utilité publique
qu'on leur propose : la présence d'un étranger ne sera
plus regardée comme un danger pour la patrie.
Quand un canal de communication réunira les
deux Océans , les productions de Nootka- Sund et de
la Chine seront rapprochées de l'Europe et des États
Unis de plus de 2000 lieues. Ce n'est qu'alors que
de grands changemens s'effectueront dans l'état po
litique de l'Asie orientale ; car cette langue de terre ,
contre laquelle se brisent les flots de l'Océan Atlan

et que l'isthme entre la rivière et les côtes de l'Océan Pacifique esttra


versée par trois rangées de collines. ( Journal of a residence and travels
in Colombia during the years 1823 and 1824 , by capt. Charles Stuart
Cochrane , vol. 2 , pag. 448. )
* M. de Fleurieu , dans ses notes savantes sur le Voyage de Mar
chand , tom. I , pag. 566.
CHAPITRE II. 243

tique , est , depuis des siècles , le boulevard de l'indé

pendance de la Chine et du Japon.

Comme M. de Humboldt a donné récemment beaucoup plus de


développement aux idées qu'il a exposées , dans ce chapitre , sur la
possibilité d'un canal océanique, nous renvoyons le lecteur au 3º vo
lume de la Relation historique, p. 117-147, en nous bornant à em
prunter à cet ouvrage quelques données numériques : « Il reste à
prouver, dit notre auteur , par l'analogie de ce que les hommes ont
exécuté dans l'état de notre civilisation moderne, la possibilité de
réaliser la jonction entre les deux mers. A mesure que les problèmes
deviennent compliqués et qu'ils dépendent à-la-fois d'un grand nom
bre d'élémens variables par leur nature, il est plus difficile de fixer le
maximum des efforts que l'intelligence et la puissance physique des
peuples sont en état d'exercer. S'il n'était question ici que de canaux
en section moyenne de 3 à 6 pieds de profondeur, et ne servant qu'à
la navigation intérieure , je pourrais citer des canaux exécutés de
puis long-temps qui franchissent des arrêtes de montagnes de 300 à
580 pieds de hauteur. Depuis long -temps les ingénieurs ont si peu
regardé 580 pieds , c'est-à-dire la hauteur du bief de distribution de
Naurouse au canal du Midi, comme le maximum qu'on puisse raison
nablement atteindre, qu'un homme célèbre , M. Perronnet , avait con
sidéré comme très praticable , le projet du canal de Bourgogne entre
l'Yonne et la Saône , qui devait franchir ( près de Pouilly ) une hau
teur de 621 pieds au-dessus des basses eaux de l'Yonne : mais de sem
blables projets importans pour la prospérité du commerce intérieur
d'un pays , ne constituent guère ce que l'on appelle des canaux de na
vigation océanique. De ces canaux nous en connaissons déjà trois
exécutés sur une grande échelle , le canal de l'Eyder ou du Holstein ,
qui reçoit des bâtimens de 140 à 160 tonneaux , le canal de la Nord
Hollande et le canal Calédonien , qui est , je ne dirai pas le plus
utile, mais le plus magnifique ouvrage hydraulique exécuté jusqu'à
ce jour. Le canal de la Nord-Hollande dont l'exécution fait le plus
grand honneur au gouvernement des Pays-Bas , est navigable pour
des frégates de 44 canons, tirant 16 pieds d'eau. Il a 15 lieues de
16.
244 LIVRE 1 ,
long , et 120 pas de large là où il est le plus rétréci. Le canal Calé
donien a été terminé dans l'espace de seize ans : il peut donner
passage à des frégates de 32 canons , et à de forts navires employés
dans le commerce des mers lointaines. Sa profondeur moyenne est
de 18 pieds 8 pouces, et sa largeur , à la ligne de fond, de 47 pieds.
Les écluses , au nombre de vingt-trois , ont 160 pieds de long sur
37 pieds de large. Le canal Calédonien a coûté près de quatre millions
de piastres , c'est-à-dire , 2,700,000 piastres de moins que le canal de
Languedoc, si l'on réduit le marc d'argent au cours actuel de la mon
naie. L'aperçu de la dépense générale des travaux du canal de Suez ,
projeté par M. Le Père , à l'époque de l'expédition de Bonaparte
en Egypte , s'élevait à cinq ou six millions de piastres , dont un tiers
aurait appartenu aux canaux subsidiaires du Caire et d'Alexandrie.
La profondeur du canal océanique , projeté dans l'Amérique aus
trale, pourrait être moindre que la profondeur du canal Calédonien.
Tel est le changement que de nouveaux systèmes de commerce et
de navigation ont produit depuis quinze ans dans la capacité ou le
port des vaisseaux employés le plus communément dans les échanges
avec Calcutta et Canton , qu'en examinant avec attention la liste
officielle des bâtimens qui , pendant deux ans ( de juillet 1821 à
juin 1823 ) ont fait le commerce de Londres et Liverpool avec
l'Inde et la Chine , on trouve sur un total de 216 bâtimens deux
tiers au-dessous de 600 tonneaux , un quart entre 900 et 1400 ton
neaux , et un septième au-dessous de 400 tonneaux. En France ,
dans les ports de Bordeaux , de Nantes et du Hâvre , le tonnage moyen
des bâtimens de l'Inde est de 350 tonneaux. Le système des petites
expéditions est surtout suivi aux États-Unis, où l'on sent tous les avan
tages du chargement prompt des navires et d'une circulation rapide
des capitaux. Le port moyen des vaisseaux américains qui vont dans
l'Inde autour du cap de Bonne-Espérance , ou au Pérou , autour du
cap de Horn, est de 400 tonneaux. Les baleiniers de la Mer du Sud
n'en ont que deux ou trois cents. Ces données prouvent suffisam
ment que , dans l'état actuel du commerce du monde , un canal de
jonction tel qu'on le projette entre l'Océan Atlantique et la Mer du
Sud, est suffisamment grand , si par l'aire de sa section et la capacité
de ses écluses il peut donner passage à des navires de 300 à 400
tonneaux. C'est le minimum de la limite des dimensions que la con
CHAPITRE II. 245
struction du canal doit atteindre ; cette limite suppose une capacité
presque égale à celle du canal de l'Eyder , mais une capacité moin
dre que celle du canal Calédonien. Il est vrai que le tonnage ne
détermine que d'une manière approximative le tirant d'eau des na
vires , car une construction plus ou moins fine influe à-la - fois sur la
marche et sur le port. On peut admettre cependant qu'une profon
deur moyenne de 15 à 17 pieds et demi (ancienne mesure française)
suffira pour le canal de jonction océanique. »
«Les ouvrages gigantesques de l'Europe , tels que le canal Calédo
nien , le canal de la Nord-Hollande et celui de Forth et Clyde , n'ont
eu que de petites hauteurs à franchir , moins de 160 pieds. Les ca
naux qui traversent des arrêtes de 400 à 600 pieds n'offrent jusqu'ici
que 4 à 6 pieds de profondeur. Les difficultés augmentent avec l'élé
vation de l'arrête de partage , avec la profondeur des excavations,
avec la largeur et non avec la multiplicité des écluses. Il ne s'agit pas
seulement de creuser le canal , il faut être sûr aussi que la quantité
d'eau dérivée des parties supérieures au point de partage soit toujours
suffisante pour alimenter le canal et pour remplacer ce qui se perd
par les éclusées , par l'évaporation et les filtrations. L'Escalier de
Neptune, dans le canal Calédonien , nous offre l'exemple de sas accollés
qui élèvent des frégates dans un très court espace de temps à 60 pieds
de hauteur. Or, cet ouvrage hydraulique n'a coûté que 257,000 pias
tres , c'est - à - dire , cinq fois moins que trois puits de la mine de Va
lenciana, près de Guanaxuato ; et dix Escaliers de Neptune feraient
franchir à des navires de 500 tonneaux une arrête de partage de 600
pieds , arrête plus élevée que la chaîne des Corbières , entre la Médi
terranée et l'Océan Atlantique. Nous n'insistons ici que sur la possi
bilité d'exécuter des ouvrages que certainement on ne sera pas forcé
d'entreprendre .
鶯 En comparant les différentes routes autour du cap de Bonne
Espérance , autour du cap de Horn , ou à travers une coupure de
l'isthme dans l'Amérique centrale , il faut distinguer soigneusement
entre les objets du commerce et la différente position des peuples
qui voudraient y prendre part. Le problème des routes se présente
d'une manière toute différente à un négociant anglais ou à un né
gociant anglo-américain ; de même ce problème important est au
trement résolu par ceux qui font le commerce direct avec le Chili ,
246 LIVRE 1 ,

avec l'Inde et la Chine , ou par ceux dont les spéculations sont di


rigées vers le Pérou septentrional et les côtes occidentales de Gua
timala et du Mexique , vers la Chine ( après avoir visité la côte nord
ouest de l'Amérique ) , vers la pêche du cachalot dans l'Océan- Paci
fique. Ce sont ces trois derniers objets de la navigation exécutée par
les habitans de l'Europe et des États- Unis que la coupure d'un isthme
américain favoriserait le plus indubitablement. Il y a de Boston à
Noutka , ancien centre du commerce des fourrures sur la côte nord
ouest de l'Amérique , à travers le canal projeté de Nicaragua , 2100
lieues marines ; le même voyage est de 5200 lieues , si l'on fait,
comme c'est le cas jusqu'ici, le tour du cap de Horn. Les trajets
sont, pour un vaisseau qui part de Londres , ou de 3000 ou de 5000
lieues. Il résulte de ces données un raccourcissement de route , pour
les Américains des États -Unis , de 3100 lieues ; pour les Anglais ,
de 2000 lieues , sans mettre en ligne de compte la chance des vents
contraires et les dangers de la navigation si différens dans les deux
voies que nous mettons en parallèle. La comparaison est beaucoup
moins favorable pour la navigation à travers l'Amérique centrale ,
sous le rapport du chemin et du temps , lorsqu'il s'agit du commerce
direct avec l'Inde et la Chine. Les vaisseaux parcourent ordinaire
ment autour du cap de Bonne-Espérance , de Londres à Canton , en
coupant deux fois l'équateur, 4400, de Boston à Canton , 4500 lieues ;
si le canal Nicaragua était creusé , ces longueurs de route seraient
de 4800 et 4200 lieues marines. Or , dans l'état actuel du perfection
nement de la navigation , la durée ordinaire d'un voyage des États
Unis , ou d'Angleterre en Chine , autour de l'extrémité de l'Afrique ,
est de 120 à 130 jours. En fondant les calculs sur l'analogie des
voyages de Boston et de Liverpool à la côte des Indiens Mosquitos ,
et d'Acapulco à Manille , on trouve 105 à 115 jours pour le voyage
des États-Unis ou de l'Angleterre à Canton , en restant dans l'hémis
phère boréal , sans jamais couper l'équateur , c'est-à- dire en profitant
du canal de Nicaragua et de la constance des vents alisés dans la
partie la plus paisible du Grand- Océan. La différence de temps se
rait donc à peine d'un sixième ; on ne pourrait revenir par la même
route , mais en allant en Chine , la navigation serait plus sûre dans
toutes les saisons. Je pense qu'une nation qui a de beaux établisse
mens à l'extrémité de l'Afrique et à l'Ile-de-France , préférerait ass ez
CHAPITRE II . 247

généralement l'ancienne route de l'ouest à l'est qui fait éviter en


même temps les maladies que les marins peuvent prendre dans le
canal de Nicaragua. Les principaux et véritables objets de la coupure
de l'isthme américain sont la prompte communication avec les
côtes occidentales du Nouveau- Continent , le voyage de la Havane et
des Etats-Unis à Manille , les expéditions faites d'Angleterre et du
Massachussets à la côte des fourrures (côte nord-ouest) on aux îles de
l'Océan-Pacifique pour visiter plus tard les marchés de Canton et
de Macao. »
• Quant au mode d'exécution sur lequel j'ai été récemment con
sulté par des personnes éclairées qui appartiennent aux nouveaux
gouvernemens de l'Amérique équinoxiale, je pense qu'une association
par actions ne devrait être formée que lorsque la possibilité d'un ca
nal océanique , propre à recevoir des bâtimens de trois à quatre cents
tonneaux, aura été prouvée entre les 7° et 18º de latitude boréale , et
que l'on aura reconnu le terrain dans lequel on veut entreprendre
les travaux. Il serait dangereux de faire un choix avant d'avoir exa
miné , d'après un plan uniforme , les isthmes de Tehuantepec, de
Nicaragua , de Panama , de Cupica et du Choco. Quand les plans
et les profils des cinq terrains pourront être mis sous les yeux du
public, une discussion libre et franche éclaircira les avantages et les
désavantages de chaque localité , et l'exécution de cet important ou -
vrage sera confiée à des ingénieurs qui ont concouru à l'exécution de
semblables travaux en Europe. La compagnie de jonction trouvera des
actionnaires parmi ceux des gouvernemens et des citoyens qui , im
passibles à l'appât du gain et cédant à de plus nobles impulsions ,
s'enorgueilliront de l'idée d'avoir contribué à une œuvre digne de la
civilisation du dix-neuvième siècle.
D'ailleurs, et il est prudent de le rappeler ici, l'appât du gain même,
base fondamentale de toutes les spéculations financères , n'est point
illusoire dans l'entreprise dont j'embrasse la défense avec chaleur.
Les dividendes des compagnies qui ont obtenu en Angleterre la con
cesssion d'ouvrir des canaux prouvent l'utilité de ces entreprises ,
pour les actionnaires. Dans un canal de jonction des mers , les droits
de tonnage peuvent être d'autant plus considérables que les navires
qui veulent profiter du nouveau passage pour aller soit à Guayaquil
et à Lima , soit à la pêche du cachalot , soit à la côte nord- ouest de
248 LIVRE 1 ,

l'Amérique et à Canton , raccourcissent leur chemin et évitent les


hautes latitudes australes souvent dangereuses dans la mauvaise sai
SOL. L'activité du passage augmenterait à mesure que le commerce se
familiariserait davantage avec la nouvelle route d'un Océan à l'autre.
Dans le cas même que les dividendes ne seraient pas assez considé
rables , et que les capitaux placés dans cette entreprise ne porteraient
pas les intérêts qu'offrent les nombreux emprunts des gouvernemens ,
depuis la côte des Indiens Mosquitos jusqu'aux derniers confins de
l'Europe , il serait de l'intérêt des grands états de l'Amérique espa
gnole de soutenir cette entreprise. C'est mettre en oubli ce que l'ex
périence et l'économie politique enseignent depuis des siècles que de
restreindre l'utilité des canaux et des grandes routes aux droits
que paie le transport des marchandises , et de ne compter pour rien
l'influence qu'exercent les canaux sur l'industrie et sur la propriété
nationale, »
CHAPITRE 111. 249

CHAPITRE III.

ASPECT PHYSIQUE DU ROYAUME DE LA NOUVELLE-ESPAGNE


COMPARÉ A Celui de l'europe et de l'AMÉRIQUE MÉRI
DIONALE. ___ INÉGALITÉS DU SOL. INFLUENCE de ces
INÉGALITÉS SUR LE CLIMAT , LA CULTURE ET LA DÉFENSE
MILITAIRE DU PAYS. -- ÉTAT DES CÔTES.

Nous avons considéré jusqu'ici la vaste étendue et


les limites du royaume de la Nouvelle- Espagne. Nous
avons examiné ses rapports avec les autres possessions
espagnoles , et les avantages qui peuvent résulter de la
configuration de ses côtes pour les communications
entre la Mer des Antilles et le Grand Océan . Traçons
maintenant le tableau physique du pays ; fixons nos
regards sur les inégalités de son sol , et sur l'influence
que cette inégalité exerce sur le climat , sur l'état de la
culture et sur la défense militaire du Mexique. Nous
nous bornerons à présenter des résultats généraux . Les
détails minutieux de l'histoire naturelle descriptive
n'appartiennent pas à la statistique ; mais on ne saurait
se former une idée précise de la richesse territoriale
d'un état sans connaître la charpente des montagnes ,

la hauteur à laquelle s'élèvent les grands plateaux de


l'intérieur et la température qui est propre à ces ré
250 LIVRE I ,

gions dans lesquelles les climats se succèdent comme


par étages les uns au-dessus des autres .
En embrassant d'un coup-d'œil général toute la
surface du Mexique , nous voyons qu'un tiers seule
ment est situé entre les tropiques , et que les deux
autres tiers appartiennent à la zone tempérée. La der
nière partie a 82,000 lieues carrées ; elle comprend
les Provincias internas , dont les unes sont soumises
à l'administration immédiate du vice-roi du Mexique

(par exemple , le nouveau royaume de Léon et la pro


vince du Nouveau -Santander ) , et les autres gouver

nées par un commandant- général particulier. Ce com


mandant exerce son influence sur les Intendances

de Durango et de Sonora , et sur les provinces de Co


hahuila , de Texas et du Nouveau - Mexique , régions
peu habitées , dont l'ensemble est désigné par la dé
nomination de Provincias internas de la Comen

dancia general, pour les distinguer des Provincias


internas del Vireynato.
D'un côté, de petites portions des provinces sep
tentrionales de la Sonora et du Nouveau- Santander

dépassent le tropique du Cancer ; de l'autre , les In


tendances méridionales de Guadalaxara , de Zacatecas
et de S. Luis Potosi ( surtout les environs des mines
célèbres de Catorce ) , s'étendent un peu au nord de
cette limite. On sait que le climat physique d'un pays

ne dépend pas seulement de sa distance au pôle , mais


en même temps de son élévation au-dessus du niveau
de la mer , de la proximité de l'Océan , de la confi
CHAPITRE III. 251

guration du terrain et d'un grand nombre d'autres


circonstances locales. Par ces mêmes causes, des 36,000

lieues carrées qui sont situées dans la zone torride ,


plus de trois cinquièmes jouissent aussi d'un climat
froid ou tempéré. L'intérieur de la vice-royauté du
Mexique, les pays connus jadis sous les dénomina
tions d'Anahuac et de Mechoacan , et toute la Nou

velle - Biscaye , forment un plateau immense élevé


de 2000 à 2500 mètres au -dessus du niveau des mers
voisines.

A peine existe-t-il un point sur le globe dont les


montagnes présentent une construction aussi extraor
dinaire que celles de la Nouvelle- Espagne. En Europe ,

la Suisse, la Savoie et le Tyrol sont regardés comme


des pays très élevés ; mais cette opinion n'est fondée

que sur l'aspect qu'offre l'agroupement d'un grand


nombre de cimes perpétuellement couvertes de neige ,
et disposées dans des chaînes souvent parallèles à la
chaîne centrale. Les cimes des Alpes s'élèvent à 3900 ,
même à 4700 mètres de hauteur, tandis que les plaines
voisines dans le canton de Berne n'en ont que 400

à 600. Cette première élévation très médiocre peut


être considérée comme celle de la plupart des pla
teaux d'une étendue considérable en Souabe , en Ba
vière et dans la Nouvelle- Silésie , près des sources de
la Wartha et de la Piliza . En Espagne , le sol des deux
Castilles a un peu plus de 580 mètres ( 300 toises )
d'élévation . En France , le plateau le plus haut est
celui de l'Auvergne , sur lequel reposent le Mont- d'Or ,
252 LIVRE I ,

le Cantal et le Puy-de-Dôme ; l'élévation de ce plateau,


d'après les observations de M. de Buch , est de 720 mè
tres ( 370 toises ) . Ces exemples prouvent qu'en général ,
en Europe , les terrains élevés qui présentent l'aspect
de plaines , n'ont guère plus de 400 à 800 mètres
de hauteur au-dessus du niveau de l'Océan. *

Peut-être qu'en Afrique , vers les sources du Nil **,


et en Asie sous les 34 et 37° de latitude boréale , on
trouve des plateaux analogues à ceux du Mexique ;
mais les voyageurs qui ont parcouru ces dernières ré
gions , nous ont laissés dans une ignorance parfaite
sur l'élévation du Thibet . Les passages de l'Himalaya
ont généralement la hauteur du sommet du Mont

Blanc , et le capitaine Webb trouve le lac Alpin ,


Rawun-Rhudd , duquel sort la rivière du Sutledge (très
près du fameux lac Manassarowar ) à plus de 4600
mètres au- dessus du niveau de l'Océan . On a plutôt
mesuré jusqu'ici les sommets des montagnes et les
cols ou passages , que les hautes plaines du Thibet ,
celles par exemple qui entourent Lassa et Ladack :

mais je ne doute aucunement que la hauteur moyenne


du plateau compris entre les chainons de l'Himalaya

* D'après les mesures les plus récentes ( Humboldt , Relation histo


rique , tom. III, pag. 208) , le plateau de l'intérieur de l'Espagne a 330
à 360 toises ; celui de la Suisse , entre les Alpes et le Jura , 270 toises ;
celui de la Bavière 260 toises ; celui de la Souabe 150 toises de hau
teur. E- R.
⭑⭑
D'après Bruce ( vol . 11 , pag. 642 , 652 et 712 ) , les sources du
Nil bleu , dans le Gogam , sont élevées de 3200 mètres au -dessus du
niveau de la Méditerranée,
CHAPITRE III. 253

et du Zangling ou Kuen-Lun n'excède 3500 mètres.


Plus au nord le grand désert de Cobi , au nord -ouest
de la Chine , n'atteint , d'après l'ouvrage du père Du
halde , que 1400 mètres de hauteur. Le colonel Gordon
avait assuré à M. Labillardière , que depuis le Cap
de Bonne-Espérance jusqu'au 21 ° degré de latitude
australe , le sol de l'Afrique s'élevait insensiblement
à 2000 mètres ( 1000 toises ) de hauteur * , et des
mesures faites plus récemment ont prouvé la justesse
de cette opinion . Tout le plateau africain au nord du
parallèle de 31º habité par les Betjuanes , les Koranas
et les Bosjesmans a 880 toises d'élévation au-dessus
du niveau de l'Océan. **

La chaîne des montagnes qui forme le vaste pla


teau du Mexique est la même que celle qui , sous le
nom des Andes , traverse toute l'Amérique méri
dionale ; cependant la construction ou charpente de
cette chaîne , diffère beaucoup au sud et au nord de
l'équateur. Dans l'hémisphère austral , la Cordillère
est partout déchirée et interrompue par des crevasses
qui ressemblent à des filons ouverts et non remplis
de substances hétérogènes . S'il y existe des plaines
élevées de 2700 à 3000 mètres ( 1400 à 1500 toises ) ,
comme dans le royaume de Quito , et plus au nord
dans la Province de los Pastos , elles ne sont pas com

parables en étendue à celles de la Nouvelle-Espagne;

Labillardière , tom. 1 , pag. 89.


** Barrow , Travels in the interior ofSouth Africa , tom. 1 , pag. 10.
Lichtenstein , Reisen im südlichen Africa , tom. 11 , pag. 544.
254 LIVRE I ,

ce sont plutôt des vallées longitudinales limitées par


deux branches de la grande Cordillère des Andes . Au
Mexique, au contraire , c'est le dos même des monta

gnes qui forme le plateau ; c'est la direction du plateau


qui désigne , pour ainsi dire , celle de toute la chaîne.
Au Pérou , les cimes les plus élevées constituent la
crête des Andes ; au Mexique , ces mêmes cimes , moins
colossales , il est vrai , mais toutefois hautes de 4900
à 5400 mètres ( 2500 à 2770 toises ) , sont ou disper
sées sur le plateau , ou rangées d'après des lignes qui
n'ont aucun rapport de parallélisme avec l'axe prin
cipal de la Cordillère. Le Pérou et le royaume de la
Nouvelle-Grenade offrent des vallées transversales dont

la profondeur perpendiculaire est quelquefois de 1400


mètres ( 700 toises ) . C'est l'existence de ces vallées qui
empêche les habitans de voyager autrement qu'à cheval ,
à pied ou portés sur le dos d'Indiens appelés carga
dores. Dans le royaume de la Nouvelle-Espagne , au con
traire , les voitures roulent depuis la capitale de Mexico
jusqu'à Santa-Fe , dans la province du Nouveau-Mexi
que, sur une longueur de plus de 2200 kilomètres ou
500 lieues communes. Sur toute cette route , l'art n'a
pas eu à surmonter des difficultés considérables.

En général , le plateau mexicain est si peu inter


rompu par les vallées , sa pente est si uniforme et si
douce, que jusqu'à la ville de Durango , située dans la
Nouvelle-Biscaye , à 140 lieues de distance de Mexico ,
le sol reste constamment élevé de 1700 à 2700 mètres
(850 à 1350 toises) au-dessus du niveau de l'Océan voi
CHAPITRE III. 255

sin : c'est la hauteur des passages du Mont-Cenis , du


Saint-Gothard et du Grand Saint-Bernard . Pour pré
senter dans tout son jour un phénomène géologique si

curieux et si nouveau , j'ai fait cinq nivellemens baro


métriques. Le premier traverse le royaume de la Nou
velle-Espagne , depuis les côtes de la Mer du Sud jusqu'à
celles du golfe Mexicain , d'Acapulco à Mexico , et de
cette capitale à la Vera - Cruz. Le second nivellement
s'étend de Mexico par Tula , Queretaro et Salamanca
à Guanaxuato ; le troisième comprend l'intendance de
Valladolid , depuis Guanaxuato à Patzcuaro et au vol
can de Jorullo ; le quatrième conduit de Valladolid à
Toluca , et delà à Mexico ; le cinquième embrasse les
environs de Moran et d'Actopan . Le nombre des points
dont j'ai déterminé la hauteur, soit au moyen du baro
mètre, soit trigonométriquement , s'élève à 208; ils sont
tous distribués sur un terrain contenu entre les 16° 50'

et 21 °0′ de latitude boréale , et les 102 ° 8′ et 98° 28′ de

longitude (occidentale de Paris). Au-delà de ces limites ,


je ne connais qu'un seul endroit dont l'élévation soit
exactement déterminée . Cet endroit est la ville de Du
rango , dont la hauteur au-dessus du niveau de l'Océan,

déduite de la hauteur moyenne du baromètre , est de


2000 mètres ( 1027 toises ) . Le plateau du Mexique
conserve , par conséquent , sa hauteur extraordinaire
même en s'étendant vers le nord , bien au- delà du
tropique du Cancer.
Ces mesures barométriques , jointes aux observa
tions astronomiques que j'ai faites sur la même éten
256 LIVRE I ,

due de terrain , m'ont mis en état de former les cartes


physiques qui accompagnent cet ouvrage. Elles con
tiennent une série de coupes verticales ou de profils .
J'ai essayé de représenter des pays entiers d'après une
méthode qui , jusqu'à ce jour , n'a été employée que
pour des mines ou pour de petites portions de terrain
par lesquelles on a voulu tracer des canaux. Dans la

statistique du royaume de la Nouvelle -Espagne , il a


fallu se borner à des dessins propres à inspirer de

l'intérêt sous le point de vue de l'économie politique.


La physionomie d'un pays , l'agroupement des mon
tagnes , l'étendue des plateaux , l'élévation qui en déter
mine la température et la sécheresse , tout ce qui consti
tue la construction physique du globe , a les rapports
les plus essentiels avec les progrès de la population et
avec le bien-être des habitans. Ce sont les modifica

tions de la surface de la terre qui influent sur l'état de


l'agriculture variée selon la différence des climats et la
direction des lignes isothermes , sur la facilité du com
merce intérieur , sur les communications plus ou moins
favorisées par la nature du sol , enfin sur la défense

militaire dont dépend la sûreté extérieure du pays.


Sous ces rapports seuls , de grandes vues géologiques
deviennent susceptibles d'intéresser l'homme d'état ,
lorsqu'il cherche à évaluer les forces et la richesse
territoriale des nations.

Dans l'Amérique méridionale , la Cordillère des Andes


présente , aussi à d'immenses hauteurs , des terrains en
tièrement unis . Tel est le plateau élevé de 2658 mètres
CHAPITRE III. 257

(de 1365 toises) dans lequel se trouve la ville de Santa


Fe de Bogota , et qui est cultivé en froment d'Europe ,
en pommes-de-terre et en Chenopodium Quinoa : tel
est le plateau de Caxamarca au Pérou , l'ancienne ré
sidence de l'infortuné Atahualpa , que j'ai trouvé élevé
de 2860 mètres ( 1464 toises ) . Les grandes plaines

d'Antisana, au milieu desquelles s'élève la partie du


volcan qui entre dans la limite des neiges perpétuelles ,
ont 4100 mètres ( 2100 toises ) de hauteur au-dessus
du niveau des mers. Ces plaines dépassent de 389
mètres ( 200 toises ) la cime du Pic de Ténériffe ; elles
sont tellement unies , qu'à l'aspect du sol natal , les
personnes qui habitent ces contrées élevées ne se
doutent pas de la situation extraordinaire dans laquelle

la nature les a placées. Cependant , tous ces plateaux


de la Nouvelle-Grenade , de Quito et du Pérou , n'ont
pas au-delà de 40 lieues carrées . Comme ils sont d'un
accès pénible et séparés les uns des autres par des
vallées profondes , ils favorisent très peu le transport
des denrées et le commerce intérieur. Couronnant des

cimes isolées , ils forment , pour ainsi dire , des îlots


au milieu de l'Océan aérien . Aussi les peuples qui
habitent ces plateaux glacés y restent concentrés ; ils
craignent de descendre dans les pays voisins , où règne
une chaleur étouffante et nuisible aux habitans primi
tifs des hautes Andes .

Au Mexique , le sol présente un aspect entièrement


différent. Des plaines plus étendues que celles du
Pérou , et d'une surface non moins uniforme , sont
I. 17
258 LIVRE I ,
tellement rapprochées les unes des autres , que sur le
dos prolongé de la Cordillère d'Anahuac elles ne for
ment qu'un seul plateau. Tel est celui qui est compris
entre le 18° et le 40° de latitude boréale. Sa longueur

est égale à la distance que l'on aurait à parcourir de


Lyon jusqu'au tropique du Cancer en traversant le
grand désert africain . Le plateau du Mexique s'incline
insensiblement vers le nord. Aucune mesure , comme

nous l'avons remarqué plus haut , n'a été faite dans la


Nouvelle- Espagne au-delà de la ville de Durango ;

mais les voyageurs observent que le terrain s'abaisse vi


siblement vers le Nouveau- Mexique et vers les sources
du Rio Colorado . Les profils joints à cet ouvrage pré
sentent trois coupes , dont l'une est longitudinale et
dirigée du sud au nord : elle figure le dos des mon
tagnes dans leur prolongation vers le Rio Bravo . Les
deux autres dessins présentent des coupes transver
sales depuis les côtes de l'Océan- Pacifique jusqu'à
celles du Golfe du Mexique. Ces trois sections verti
cales font voir d'un seul coup - d'œil les entraves que
la configuration extraordinaire du sol oppose au
transport des productions, dès qu'il s'agit du com
merce entre les provinces de l'intérieur et les villes
commerçantes de la côte.
En voyageant de la capitale du Mexique aux grandes
mines de Guanaxuato , on reste d'abord pendant dix
lieues dans la vallée de Tenochtitlan , élevée de 2277

mètres ( 1168 toises ) au- dessus des eaux de l'Océan


voisin . Le niveau de cette belle vallée est si uniforme ,
CHAPITRE III. 259

que le village de Gueguetoque, situé au pied de la


montagne de Sincoq, n'est encore que de 20 mètres
plus élevé que la ville de Mexico . La colline de Ba
rientos n'est qu'un promontoire qui se prolonge dans
la vallée. Depuis Gueguetoque , on monte près de Batas
au Puerto de los Reyes , et delà on descend dans la
vallée de Tula , qui est de 222 mètres plus basse que
la vallée de Tenochtitlan , et à travers laquelle le
grand canal d'écoulement des lacs de San Christoval
et de Zumpango porte ses eaux au Rio de Moctezuma
et au golfe du Mexique. Pour parvenir du fond de la
vallée de Tula au grand plateau de Queretaro , il faut
passer la montagne de Calpulalpan , qui n'a que 2687
mètres ( 1379 toises ) au-dessus du niveau de la mer,
et qui, par conséquent , est moins élevée que la ville
de Quito , quoiqu'elle paraisse le point le plus haut de
toute la route de Mexico à Chihuagua . Au nord de ce
pays montagneux commencent les vastes plaines de St.
Juan del Rio , de Queretaro et de Zelaya , plaines fer
tiles remplies de villages et de villes considérables . Elles

portent le nom de baxio ( basses terres ) et cependant


leur hauteur moyenne égale celle de la cime du Puy
de-Dôme en Auvergne : elles ont près de 30 lieues
de long, et s'étendent jusqu'au pied des montagnes
métallifères de Guanaxuato . Des personnes qui ont

voyagé jusqu'au Nouveau - Mexique , assurent que le


reste du chemin ressemble à la partie que je viens de
décrire , et que j'ai représentée dans un profil parti
culier. D'immenses plaines qui paraissent autant de
17.
260 LIVRE I,

bassins desséchés d'anciens lacs , se suivent les unes les


autres ; elles ne sont séparées que par des collines qui
à peine s'élèvent de 200 à 250 mètres au-dessus du
fond de ces mêmes bassins . Je présenterai dans un autre
ouvrage ( dans l'Atlas joint à la Relation historique de
mon voyage ) le profil des quatre plateaux qui envi
ronnent la capitale du Mexique. Le premier , qui com
prend la vallée de Toluca , a 2600 mètres ( 1340
toises ) ; le second , ou la vallée de Tenochtitlan , 2274
mètres ( 1168 toises ) ; le troisième , ou la vallée d'Ac
topan , 1966 mètres ( 1009 toises ) ; et le quatrième
la vallée d'Istla , 981 mètres ( 504 toises ) de hauteur.
Ces quatre bassins different autant par le climat que
par leur élévation au-dessus du niveau de l'Océan ;
chacun d'eux offre une culture différente : le quatrième
qui est le moins élevé est propre à la culture de la
canne à sucre; le troisième à celle du coton ; le second
à la culture du blé d'Europe ; et le premier , celui de
Toluca , à des plantations d'Agave , que l'on peut con
sidérer comme les vignobles des Indiens Aztèques .
Le nivellement barométrique que j'ai exécuté de
puis Mexico jusqu'à Guanaxuato , prouve combien la
configuration du sol favorise longitudinalement , c'est
à-dire , dans l'intérieur de la Nouvelle- Espagne , le
transport des denrées , la navigation , et même la con
struction des canaux . Il n'en est pas ainsi des coupes

transversales tracées depuis la Mer du Sud jusqu'à


l'Océan Atlantique. Ces coupes développent les diffi
cultés que la nature oppose à la communication entre
CHAPITRE III. 261

l'intérieur du royaume et les côtes ; elles présentent


partout une énorme différence de niveau et de tem

pérature , tandis que depuis Mexico jusqu'à la Nou


velle-Biscaye , le plateau conserve une égale hauteur ,
et par conséquent un climat plutôt froid que tempéré.
De la capitale du Mexique à la Vera-Cruz , la descente
est plus courte et plus rapide que du même point à
Acapulco . On pourrait dire que , par la nature même ,
le pays est militairement mieux défendu contre les

peuples de l'Europe que contre les attaques d'un en


nemi asiatique ; mais la constance des vents alisés et
le grand courant de rotation qui est constant entre
les tropiques , rendent presque nulle toute influence
politique que , dans la suite des siècles , la Chine , le
Japon ou la Russie asiatique voudraient exercer sur le
Nouveau-Continent.

En se dirigeant depuis la capitale de Mexico vers


l'est dans le chemin de la Vera-Cruz , il faut avancer

60 lieues marines pour trouver une vallée dont le fond


soit élevé de moins de 1000 mètres au-dessus du ni

veau de l'Océan , et dans laquelle , par une suite né


cessaire , les chênes cessent de végéter. Dans le chemin
d'Acapulco , en descendant depuis Mexico vers la Mer
du Sud , on parvient à ces mêmes régions tempérées
en moins de 17 lieues de distance. La pente orientale
de la Cordillère est si rapide , que commençant une

fois à descendre du grand plateau central , on continue


la descente jusqu'à ce que l'on arrive à la côte orien
tale , à celle d'Alvarado et de la Vera-Cruz.
262 LIVRE I ,

La pente occidentale est sillonnée par quatre vallées


longitudinales très marquantes et si régulièrement
disposées , que les plus voisines de l'Océan sont en
même temps plus profondes que celles qui en sont
plus éloignées. En fixant les yeux sur le profil que j'ai
dressé d'après des mesures exactes , on observe que du

plateau de Tenochtitlan , le voyageur descend d'abord

dans la vallée d'Istla , puis dans celle de Mescala , puis


dans celle du Papagallo , et enfin dans la vallée du
Peregrino. Les fonds de ces quatre bassins s'élèvent
au-dessus du niveau de l'Océan de 981 , de 514 , de
170 ou de 158 mètres ( de 504 , de 265 , de 98 ou de
82 toises ) . Les bassins plus profonds sont en même
temps les plus étroits. Une courbe que l'on tracerait
par les montagnes qui séparent ces vallées , par le
Pic du Marquis ( l'ancien camp de Cortez ) par les
cimes de Tasco , de Chilpansingo et des Posquelitos,
aurait une forme très régulière. On pourrait même
être tenté de croire que cette régularité est conforme
au type que la nature a généralement suivi dans la

construction des montagnes ; mais l'aspect des Andes


de l'Amérique méridionale suffit pour détruire ces
rêves systématiques. Un grand nombre de considéra
tions géologiques nous prouvent que , lors de la for
mation des montagnes , des causes , très petites en ap
parence , ont déterminé la matière à s'accumuler dans

des cimes colossales , tantôt vers le centre , tantôt sur


les bords des Cordillères .

La route d'Asie est bien différente de celle qui con


CHAPITRE III. 263

duit aux côtes opposées à l'Europe. Dans l'espace de

72 lieues qu'il y a en ligne droite depuis Mexico jus


qu'à Acapulco , on ne fait que monter et descendre ; on
parvient, à chaque instant , d'un climat froid à des

régions excessivement chaudes. Cependant , la route


d'Acapulco est capable d'être rendue propre au char
riage. Des 84 lieues , au contraire , que l'on compte
depuis la capitale jusqu'au port de Vera-Cruz , il y en
a 56 qu'occupe le grand plateau d'Anahuac. Le reste
du chemin n'est qu'une descente pénible et continuelle ,
surtout de la petite forteresse de Perote à la ville de
Xalapa , et de ce site , un des plus beaux et des plus
pittoresques du monde habité , à la Rinconada. C'est

la difficulté de cette descente qui renchérit le trans


port des farines du Mexique à la Vera -Cruz , et qui
les empêche jusqu'à ce jour de rivaliser en Europe
avec les farines de Philadelphie . On est actuellement
occupé à construire une superbe chaussée * le long de
cette descente orientale de la Cordillère . Cet ouvrage ,

dû à la grande et louable activité des négocians de la


Vera-Cruz , aura l'influence la plus prononcée sur le
bien-être des habitans de tout le royaume de la Nou

velle-Espagne. Des milliers de mulets seront remplacés


par des chariots qui porteront les marchandises d'un

Océan à l'autre ; ils rapprocheront , pour ainsi dire ,


le commerce asiatique d'Acalpuco du commerce euro
péen de la Vera-Cruz.

* Depuis la publication de la première édition de l'Essai politique ,


cette route est entièrement terminée.
264 LIVRE I,

Nous avons annoncé , plus haut , que dans les pro


vinces mexicaines situées dans la zone torride , un

espace de 23,000 lieues carrées jouit d'un climat plu


tôt froid que tempéré. Aussi toute cette grande éten
due de pays est- elle traversée par la Cordillère du
Mexique , chaîne de montagnes colossales qui peut
être considérée comme une prolongation des Andes du
Pérou . Malgré l'abaissement des montagnes à l'ouest
du Rio Atrato , dans le Choco et dans la province du
Darien , les Andes qui traversent l'isthme de Panama
paraissent liées au chaînon occidental de la Nouvelle -
Grenade : elles recouvrent une hauteur considérable

dans la province de Veragua et dans le royaume de


Guatimala. Leur crête se trouve tantôt rapprochée de
l'Océan Pacifique , et tantôt occupe le centre du pays ;
quelquefois même elle se porte vers les côtes du golfe
du Mexique. Dans le royaume de Guatimala , par
exemple, cette crète , hérissée de cônes volcaniques * ,
longe la côte occidentale depuis le lac de Nicaragua

Humboldt, Relation Historique , tom. II , pag. 206. On compte


vingt-un volcans, en partie éteints , en partie enflammés , depuis le
golfe de Nicoya jusqu'au parallèle de Soconusco ( de 9° ¦ à 16º de
latitude ). Le Volcan de agua placé entre le volcan de Pacaya et le
Volcan de Fuego appelé aussi Volcan de Guatemala , conserve les neiges
pendant une grande partie de l'année et paraît avoir plus de 1750
toises de hauteur. Voyez sur les torrens . d'eau et de pierres » qu'a
lancés ce Volcan de agua, le 11 septembre 1541 , en ruinant Almo
longa ou la Ciudad Vieja , qu'il ne faut pas confondre avec l'Antigua
Guatimala, Remesal , Historia de la Provincia de San Vicente , lib. IV,
cap. 5; et Juarros, Compendio de la Historia de Guatemala , tom. 1 ,
pag. 72-85 , tom. 11 , pag. 551.
CHAPITRE III. 265

jusque vers la baie de Tehuantepec ; mais , dans la


province d'Oaxaca , entre les sources des rivières de
Chimalapa et de Guasacualco , elle occupe le centre de
l'isthme mexicain. Depuis les 18° jusqu'aux 21 ° de la
titude , dans les Intendances de la Puebla et de Mexico ,

depuis la Misteca jusqu'aux mines de Zimapan , la


Cordillère se dirige du sud au nord , et se rapproche
des côtes orientales.

C'est dans cette partie du grand plateau d'Ana


huac , entre la capitale de Mexico et les petites villes
de Cordoba et de Xalapa , que paraît un groupe de
montagnes qui rivalisent avec les cimes les plus élevées
du Nouveau Continent . Il suffit de nommer quatre
de ces colosses dont la hauteur était inconnue avant

mon voyage : le Popocatepetl ( de 5400 mètres , ou


2771 toises ) , l'Iztaccihuatl ( ou la Femme blanche,
de 4786 mètres , ou 2455 toises ) , le Citlaltepetl ( ou

* A l'exception du Cofre de Perote , ces quatre mesures sont


toutes géométriques ; mais les bases se trouvant élevées de 1100 à
1200 toises au-dessus du niveau de l'Océan , la première partie de la
hauteur totale a été calculée d'après la formule barométrique de
M. Laplace. Le mot Popocatepetl dérive de popocani, fumée , et de
tepetl, montagne ; Iztaccihuatl de iztac , blanc , et de ciuatl, femme.
Citlaltepetl signifie une montagne qui paraît brillante comme une
étoile, de citlaline , astre , et tepetl, montagne ; car le Pic d'Orizaba se
présente de loin comme une étoile , lorsqu'il jette du feu. Nauhcam
patepetl dérive de nauhcampa , chose carrée. C'est une allusion à la
forme de la petite roche trachytique qui se trouve à la cime de la
montagne de Perote , et que les Espagnols ont comparée à un cofre.
(Voyez le Vocabulaire de la langue Aztèque par le P. Alonzo de Mo
lina , publié à Mexico en 1571 , pag. 63. )
266 LIVRE I ,

Pic d'Orizaba , de 5295 mètres , ou 2717 toises ) , et

le Nauhcampatepetl ( ou Cofre de Perote , de 4089


mètres , ou 2089 toises ) . Ce groupe de montagnes
volcaniques offre de grandes analogies avec le groupe
du royaume de Quito qui est situé un degré et demi
au sud et un quart de degré au nord de l'équateur . Si
la hauteur que l'on attribue aujourd'hui au Mont

St.-Elie est exacte , on peut admettre que ce n'est
que par les 19° et les 60º de latitude que , dans l'hé


Cette montagne colossale ne se trouve proprement pas sur la
prolongation de la chaîne centrale du Mexique : elle appartient aux
Alpes maritimes de la Californie et de toute la côte nord -ouest, chaînon
qui est lié par des arrêtes et des contreforts ( sous les 48º de latitude )
aux Montagnes Rocheuses. Les navigateurs espagnols ont trouvé , en
1791 , par des moyens précis , la hauteur du Mont St. Elie au-dessus
du niveau de la mer de 2793 toises , tandis que dans la Relation du
voyage de Lapérouse , cette hauteur n'est indiquée que de 1980 toises.
Nous ferons observer à cette occasion qu'au nord du nœud des mon
tagnes de Loxa ( lat. austr. 3º—5º ) , les Andes ne s'élèvent que trois
fois au-dessus de la hauteur majestueuse de 2600 toises , savoir : dans
le groupe de Quito , de o° à 2º lat. austr. ( Chimborazo , Antisana ,
Cayambe , Cotopaxi , Collanes , Iliniza , Sangai ) ; dans le groupe de
Cundinamarca , lat. 4º bor. ( Pic de Tolima , au nord du passage de
Quindiù) ; et dans " le groupe d'Anahuac ou du Mexique central ,
lat. 18°59′ à 19° 12 ' ( Popocatepetl , et Pic d'Orizaba ) . Il n'existe dans
l'immense étendue des Cordillères , depuis les 8º de latitude australe
jusqu'au détroit de Magellan , pas une seule montagne couverte de
neiges perpétuelles dont on ait déterminé la hauteur au-dessus du
niveau des mers , soit par une simple mesure géométrique , soit par
des moyens combinés de mesures barométriques et géométriques.
Le sommet des Andes le plus élevé , au nord de l'équateur , est le
Pic de Tolima ( lat. 4°46′ ) dont le nom est presque inconnu en Eu
rope et que j'ai trouvé de 2865 toises de hauteur.
CHAPITRE III. 267

misphère boréal , les montagnes atteignent l'élévation


énorme de 5400 mètres au-dessus du niveau de
l'Océan.

Plus au nord du parallèle de 19°, près des mines


célèbres de Zimapan et du Doctor, situées dans l'Inten
dance de Mexico , la Cordillère prend le nom de Sierra
Madre. Elle s'éloigne de nouveau de la partie orientale
du royaume, et se porte au nord-ouest vers les villes

de San Miguel el grande et de Guanaxuato. Au nord


de cette dernière ville , qu'on peut regarder comme le
Potosi du Mexique , la Sierra Madre prend une lar
geur extraordinaire . Bientôt elle se divise en trois
branches , dont la plus orientale se dirige vers Charcas
et le Real de Catorce , pour se perdre dans le Nou
veau Royaume de Léon . La branche occidentale oc
cupe une partie de l'Intendance de Guadalaxara. De

puis Bolaños , elle s'abaisse rapidement , et se prolonge


par Culiacan et Arispe , dans l'Intendance de la So
nora , jusqu'aux bords du Rio Gila . Sous les 30° de
latitude , elle acquiert de nouveau une hauteur consi

dérable dans la Tarahumara , près du golfe de Cali


fornie, où elle forme les montagnes de la Pimeria alta ,
célèbres par des lavages d'or très considérables . La

troisième branche de la Sierra Madre , que l'on doit


regarder comme la chaîne centrale des Andes mexi
caines , occupe toute l'étendue de l'Intendance de

Zacatecas. On peut la suivre par Durango et le Parral


( dans la Nouvelle-Biscaye ) jusqu'à la Sierra de los
Mimbres ( située à l'ouest du Rio grande del Norte ) .
268 LIVRE I ,

De là cette branche traverse le Nouveau - Mexique ,


et se joint aux montagnes de la Grüe et à la Sierra
Verde. Le pays montueux , situé sous les 40º de lati
tude , a été examiné en 1777 par les pères Escalante
et Font. Il donne naissance au Rio Gila , dont les
sources se rapprochent de celles du Rio del Norte.
C'est la crête de cette branche centrale de la Sierra

Madre qui partage les eaux entre l'Océan Pacifique et


la Mer des Antilles . C'est elle dont Fidler, Mackenzie ,
Pike , Long et James ont examiné la continuation

entre les 37° et 68° de latitude. Dans ces régions bo


réales , les Andes d'Anahuac portent les noms de Mon
tagnes-Rocheuses , ( Stony ou Chippewayan-Moun
tains ). Elles sont hérissées de pics granitiques décrits
par les voyageurs américains, sous les noms de Spanish
Peak, James-Peak, Bighorn ( de lat . 37°20′ à 40° 13′) ,
et qui s'élèvent de 1600 à 1870 toises de hauteur * . Plus
loin , au nord des sources de la rivière Platte , les Mon
tagnes-Rocheuses paraissent s'abaisser beaucoup par
les 46° et 47° ; puis elles s'exhaussent de nouveau
entre les 48° et 49° . Leurs crêtes atteignent 1200 à
1300 toises , leurs cols près de 950 toises , entre les
sources du Missouri et de la Rivière de Lewis , ( un
des affluens de l'Oregan ou Colombia ) . Les Cordil
lères s'élargissent prodigieusement et forment un coude
qui rappelle celui du Noeud du Couzco (lat. 14° sud).
Dirigécs N. 24° O. elles se prolongent vers l'embou

* Voyez l'Introduction, pag. 54.


CHAPITRE III. 269
chure de la Rivière de Mackenzie , ( lat. 69° nord) ,
après avoir atteint , depuis la Terre de Feu , ou pour
parler avec plus de précision , depuis l'écueil de Diego
Ramirez , ( lat. austr. 56°33′ ), une longueur de trois
mille sept cents lieues de 25 au degré. Cette longueur
des Andes égale la distance qu'il y a du Cap Finistère
en Galice au Cap Nord-Est ( Tschuktschoi- Noss ) de
l'Asie. De toutes les chaînes du Globe , celle des Andes
est la plus continue , la plus longue et la plus cons
tante dans sa direction du sud au nord et au nord
ouest.
Nous venons d'ébaucher le tableau des Andes et

leurs rapports avec celles de la Nouvelle - Espagne.


Nous avons fait voir que presque les côtes seules de
ce vaste pays jouissent d'un climat chaud et propre à
fournir les productions qui font l'objet du commerce

* Elle est la plus longue , mais non la plus élevée. Voici les rap
ports que je trouve entre l'Himalaya , les Andes , les Alpes et les
Pyrénées :
HAUTEUR
PLUS HAUTES
NOMS DES CHAINES DE MONTAGNES . MOYENNES
CIMES
DES CRÉTES
Himalaya (entre lat. bor. 30° 18′ et 31 °53',
et long. 75°23′ et 77°38′. . . 4026 t. 2450 t.
Cordillères des Andes (entre lat. 5° bor.
et 2° austr.).. 3350 t. 1850 t.
Alpes de la Suisse 2450 t. 1150 t.
s
Pyrénée ... 1787 t. 1150 t.
Les passages de l'Himalaya , qui conduisent de la Tartarie chinoise
dans l'Hindoustan , ont de 2400 à 2700 toises de hauteur. Le col de
Guanacas que traverse le chemin de Santa-Fe de Bogota à Popayan
LIVRE I ,
270

des Antilles . L'Intendance de la Vera-Cruz ( à l'excep


tion du plateau qui s'étend de Perote au Pic d'Ori
zaba ) , la péninsule de Yucatan , les côtes d'Oaxaca ,
les provinces maritimes du Nouveau- Santander et de
Texas , tout le Nouveau Royaume de Léon , la pro
vince de Cohahuila , le pays inculte appelé Bolson de
Mapimi , les côtes de la Californie , la partie occiden
tale de la Sonora , de Cinaloa et de la Nouvelle-Gallice ,
les régions méridionales des Intendances de Vallado
lid , de Mexico et de la Puebla , sont des terrains bas
et entrecoupés de collines peu considérables. La tem
pérature moyenne de ces plaines est analogue à celle

qu'on trouve partout sous les tropiques , lorsque , par


les 17° et 23° de latitude , l'élévation du sol au-dessus
du niveau de l'Océan , ne surpasse pas trois à quatre
cents mètres : elle est de 25° à 26° du thermomètre

centigrade * , c'est- à-dire de 8 ° à 9° plus grande que la


chaleur moyenne de Naples .

Ces régions fertiles , que les indigènes nomment

en a 2300. Quant à la cime la plus élevée de l'Himalaya , j'ai choisi


le Iawahir ( lat. 30°22'19" , long. 77°35'7". ) , que MM. Hodgson
et Herbert ont trouvé de 4026 toises d'élévation . Ce n'est que d'après
des angles pris à de grandes distances qu'on évalue le Pic Dhawala
giri au sud de Mustung près des sources de Gunduck à 4390 toises.
( Voyez mon Mémoire sur la hauteur des montagnes de l'Inde dans
les Annales de chimie et de physique, 1816 , tom. III , pag. 313 ; ma Re
lation historique , tom. II , pag. 191 , et Asiat. Researches , vol. 14 ,
pag. 187-373. )
* Dans le cours de cet ouvrage , j'ai constamment employé la divi
sion centésimale du thermomètre à mercure , et il faut sous -entendre
degrés centésimaux lorsque le contraire n'est pas énoncé expressément.
CHAPITRE III. 271

tierras calientes, produisent du sucre , de l'indigo, du


coton et des bananes en abondance. Lorsque des Eu
ropéens non acclimatés les fréquentent pendant long
temps , lorsqu'ils s'y réunissent dans des villes popu

leuses , ces mêmes contrées deviennent le siége de la


fièvre jaune connue au Mexique sous le nom de vo
missement noir ou du vomito prieto . Le port d'Aca
pulco , les vallées du Papagayo et du Peregrino , ap
partiennent aux endroits de la terre où l'air est cons
tamment le plus chaud et le plus malsain . Sur les côtes
orientales de la Nouvelle Espagne , les grandes cha
leurs sont interrompues pendant les mois l'hiver. Les
vents du nord y amènent des couches d'air froid de
la baie de Hudson vers le parallèle de la Havane et de
la Vera-Cruz. Ces vents impétueux soufflent depuis le
mois d'octobre jusqu'au mois de mars ; ils s'annoncent
en troublant la périodicité des petites marées atmos
phériques * ou variations horaires du baromètre. Sou

vent ils refroidissent l'air à tel point , que le thermo


mètre centigrade descend ** • près de la Havane jusqu'à

4°, et à la Vera-Cruz jusqu'à 16º.

* J'ai développé ce phénomène dans un ouvrage portant le titre


d'Essai sur la Géographie des plantes et Tableau physique des Régions
équinoxiales, 1807, pag. 92 —94.

** M. Ferrer , dans les trois années 1810 , 1811 et 1812 , n'a vu


monter le thermomètre centigrade à la Havane , pas au-delà de 30°
et descendre pas au-delà de 16º,4 ; mais en janvier 1801 , j'ai trouvé
à Rio Blanco , au sud de la Havane , dans une plaine élevée de peu
de toises au-dessus du niveau de la mer , le thermomètre , au lever
LIVRE I ,
272

Sur la pente de la Cordillère, à la hauteur de 1200


à 1500 mètres , il règne perpétuellement une douce
température de printemps qui ne varie que de 4 à 5º.
De fortes chaleurs et un froid excessif y sont éga
lement inconnus. C'est la région que les indigènes ap
pellent tierras templadas , dans laquelle la chaleur
moyenne de toute l'année est de 18 à 20°. C'est le beau

climat de Xalapa , de Tasco et de Chilpanzingo , trois


villes célèbres par l'extrême salubrité de leur climat ,
et par l'abondance des arbres fruitiers qu'on cultive
dans leurs environs. Malheureusement cette hauteur

mitoyenne de 1300 mètres est presque la même à la


quelle les nuages se soutiennent au-dessus des plaines
voisines de la mer , circonstance qui fait que ces ré
gions tempérées , situées à mi-côte ( par exemple aux
environs de la ville de Xalapa ), sont souvent envelop

pées dans des brumes épaisses.


Il nous reste à parler de la troisième zone désignée
par la dénomination de tierras frias. Elle comprend
les plateaux qui sont élevés de plus de 2200 mètres
au-dessus du niveau de l'Océan , et dont la tempéra

ture moyenne est au-dessous de 17° . A la capitale du


Mexique , on a vu quelquefois descendre le thermo

du soleil , à 7°5 cent. L'astronome Don Antonio Roveredo a même vu


de la glace formée dans une batia ( vase rempli d'eau ) dans l'intérieur
de l'île de Cuba ( lat. 22°56′ ) à une hauteur absolue de 40 toises.
Cette glace était sans doute l'effet du rayonnement à la surface du
fluide , et l'atmosphère n'avait peut-être pas baissé pendant la nuit
à plus de + 3°.
CHAPITRE III. 273

mètre centigrade jusqu'à quelques degrés au-dessous du


point de la glace; mais ce phénomène est très rare. Les
hivers, le plus souvent , y sont aussi doux qu'à Naples.
Dans la saison la plus froide , la chaleur moyenne du
jour est encore de 13 à 14º; en été le thermomètre à l'om
bre ne monte pas au-dessus de 26° . En général , la tem
pérature moyenne de tout le grand plateau du Mexique
est de 17º; elle est un peu moindre que celle de Na
ples et de la Sicile. Cependant ce même plateau , d'a
près la classification des indigènes , appartient , comme
nous l'avons rapporté plus haut , aux tierras frias ;
car les expressions de froid et de chaud n'ont pas de
valeur absolue. A Guayaquil , sous un ciel brûlant , les
gens de couleur se plaignent d'un froid excessif, lors
que le thermomètre centigrade baisse subitement à 24°,
tandis qu'il se soutient le reste du jour à 30°.
Les plateaux qui sont plus élevés que la vallée de
Mexico , ceux par exemple dont la hauteur absolue dé

passe 2500 mètres , ont , sous les tropiques , un climat


rude et désagréable , même au sentiment de l'habitant
du nord. Telles sont les plaines de Toluca et les hau
teurs de Guchilaque , où , pendant une grande partie
du jour, l'air ne s'échauffe pas au- delà de 6 ou 8°. L'o
livier n'y porte pas de fruits , tandis qu'on le cultive
avec succès à quelques centaines de mètres plus bas ,
dans la vallée de Mexico .

Toutes ces régions appelées froides jouissent d'une


température moyenne de 11 à 13° égale à celle de la
France et de la Lombardie . Cependant , la végétation
I. 18
274 LIVRE 1,

y est beaucoup moins vigoureuse , et les plantes de


l'Europe n'y croissent pas avec la même rapidité que
dans leur sol natal. Les hivers , à 2500 mètres de
hauteur, ne sont pas extrêmement rudes ; mais aussi ,
pendant l'été , le soleil n'échauffe pas assez l'air raréfié
de ces plateaux , pour accélérer le développement des
fleurs et pour porter les fruits à une maturité parfaite.
C'est cette égalité constante , c'est cette absence d'une
forte chaleur éphémère qui imprime au climat des
hautes régions équinoxiales un caractère particulier.
La culture de plusieurs végétaux réussit moins bien
sur le dos des Cordillères mexicaines entre les tropi
ques que dans des plaines situées sous une latitude

beaucoup plus boréale. La chaleur moyenne annuelle


de ces plaines peut être moindre que celle des plateaux
compris entre les 19° et 22° de latitude; mais la ma
turité des fruits et le développement d'une végétation
plus ou moins vigoureuse ne dépendent pas autant de
la température moyenne annuelle que de la répartition
de la chaleur entre les différentes saisons .

Ces considérations générales sur la division phy


sique de la Nouvelle - Espagne offrent un grand intérêt
politique. En France , et dans la plus grande partie de
l'Europe , l'emploi du territoire et les divisions agri
coles dépendent presque entièrement de la latitude géo
graphique ; dans les régions équinoxiales du Pérou ,
dans celles de la Nouvelle- Grenade et du Mexique , le
1
climat , la nature des productions , l'aspect , j'ose dire
la physionomie du pays, sont uniquement modifiés par
CHAPITRE III. 275
l'élévation du sol au-dessus de la surface des mers.

L'influence de la position géographique seperd auprès


de l'effet de cette élévation . Des lignes de culture sem
blables à celles qu'Arthur Young et M. Decandolle ont
tracées sur les projections horizontales de la France ,
ne peuvent être indiquées que sur des profils de la
Nouvelle-Espagne. Sous les 19° et 22º de latitude , le
sucre, le coton , surtout le cacao et l'indigo , ne vien
nent abondamment que jusqu'à 6 ou 800 mètres de
Irauteur*. Le froment d'Europe occupe une zone qui ,

sur la pente des montagnes , commence généralement


à 1400 mètres , et finit à 3000 mètres. Le bananier

(Musa paradisiaca ) , plante bienfaisante qui cons


titue la nourriture principale d'une grande partie des
habitans des tropiques, ne donne presque plus de fruit
au-dessus de 1550 mètres ; les chênes du Mexique ne

végètent qu'entre 800 mètres et 3100 mètres ; les pins


ne descendent vers les côtes de Vera-Cruz que jusqu'à
1850 mètres ; mais aussi ces pins ne s'élèvent , près de
la limite des neiges perpétuelles , que jusqu'à 4000
mètres de hauteur.

Les provinces appelées internas , et situées dans la

* Il n'est question ici que de la distribution générale des produc


tions végétales. Je citerai plus bas des endroits où, favorisés par une
exposition particulière , le sucre et le coton se cultivent jusqu'à 1700
mètres d'élévation au-dessus de l'Océan.
** On peut consulter à ce sujet le profil du chemin de Mexico à la
Vera-Cruz (pl. XII de l'Atlas) , et l'échelle d'agriculture de mon Essai
sur la géographie des plantes , p. 139.
18 .
276 LIVRE I,

zone tempérée ( celles surtout qui sont comprises entre


les 30° et 38° de latitude ), jouissent , avec le reste de
l'Amérique septentrionale , d'un climat qui diffère es
sentiellement de celui que l'on rencontre sous les mê
mes parallèles dans l'ancien continent. Il y règne une
inégalité frappante entre la température des différentes
saisons. Des hivers d'Allemagne y succèdent à des étés
de Naples et de Sicile. J'ai exposé ces phénomènes
dans mon Mémoire sur les Inflexions des lignes iso
thermes. Il serait superflu d'en citer d'autres causes ,
que la grande largeur du continent et son prolonge
ment vers le pôle boréal. Plusieurs voyageurs éclairés ,
et récemment encore M. de Volney dans son ouvrage

sur le sol et le climat des Etats- Unis , ont traité cet


objet avec tout le soin qu'il mérite. Je me borne à
ajouter que la différence de température observée à
égale latitude en Europe et en Amérique , est bien
moins frappante dans les parties du Nouveau Con
tinent qui se rapprochent de l'Océan-Pacifique , que
dans les parties orientales . M. Barton a tenté de prou
ver , par l'état de l'agriculture et par la distribution
naturelle des végétaux , que les provinces atlantiques
sont bien plus froides que les plaines étendues situées
à l'ouest des montagnes Alleghanys.

Un avantage très notable pour les progrès de l'in


dustrie nationale naît de la hauteur à laquelle la na

ture , dans la Nouvelle-Espagne , a déposé les grandes


richesses métalliques. Au Pérou , les mines d'argent les
plus considérables , celles de Potosi , de Pasco et de
CHAPITRE III . 277

Chota , se trouvent à d'immenses élévations très près


de la limite des neiges éternelles . Pour les exploiter ,
il faut amener de loin les hommes , les vivres et les
bestiaux . Des villes situées sur des plateaux où l'eau

gèle pendant toute l'année , et où les arbres ne peuvent


végéter, ne sont pas faites pour offrir un séjour at
trayant. Il n'y a que l'espoir de s'enrichir qui peut dé
terminer l'homme libre d'abandonner le climat déli

cieux des vallées pour s'isoler sur le dos des Andes du


Pérou. Au Mexique , au contraire , les filons d'argent
les plus riches , ceux de Guanaxuato , de Zacatecas , de
Tasco et de Real del Monte , se trouvent à des hauteurs
moyennes de 1700 à 2000 mètres. Les mines y sont

entourées de champs labourés , de villes et de villages ;


des forêts couronnent les cimes voisines ; tout y facilite
l'exploitation des richesses souterraines .
Au milieu de tant d'avantages que la nature a ac
cordés au royaume de la Nouvelle-Espagne , ce pays
souffre en général , comme l'ancienne Espagne , d'un
manque d'eau et de rivières navigables. Le grand
fleuve du nord ( Rio Bravo del Norte ) et le Rio Co
lorado sont les seules rivières qui peuvent fixer l'at
tention du voyageur , tant à cause de la longueur de
leur cours , que par la grande masse d'eau qu'ils por
tent à l'Océan. Le Rio del Norte , depuis les mon
tagnes de la Sierra Verde ( à l'est du lac de Timpa
nogos ) jusqu'à son embouchure dans la province du
Nouveau-Santander, a 512 lieues de cours. Le Rio
Colorado en a 250. Mais ces deux rivières , situées
278 LIVRE I ,

dans la partie du royaume la plus inculte , resteront


sans intérêt pour le commerce , jusqu'à ce que de
grands changemens dans l'ordre social et d'autres évè
nemens favorables fassent refluer des colons dans ces

régions fertiles et tempérées. Ces changemens ne sont


peut-être pas très éloignés. En 1797 , les rives de
l'Ohio * étaient encore si peu peuplées , que l'on comp

tait à peine trente familles dans un espace de 130


licues, tandis qu'aujourd'hui les habitations n'y sont
éloignées que d'une ou de deux lieues.
Dans toute la partie équinoxiale du Mexique , on ne
trouve que de petites rivières dont les embouchures
ont une largeur très considérable. L'aridité du plateau
et la forme étroite du continent y empêchent la réu
nion d'une grande masse d'eau. La pente rapide de la
Cordillère donne plutôt naissance à des torrens qu'à
des fleuves. Le Mexique est dans le même cas que le

Pérou , où les Andes sont aussi très rapprochées des

côtes , et où ce rapprochement trop grand produit les


mêmes effets sur l'aridité des plaines voisines. Parmi
le petit nombre de rivières qui existent dans la partie
méridionale de la Nouvelle- Espagne , les seules qui

puissent avec le temps devenir intéressantes pour le


commerce intérieur , sont : 1º le Rio Guasacualco et
celui d'Alvarado , tous les deux au sud-est de la Vera
Cruz, et propres à faciliter les communications avec
le royaume de Guatimala ; 2 ° le Rio de Moctezuma ,

* Voyage de Michaux à l'ouest des monts Alleghanys , pag. 115.


CHAPITRE III. 279

qui porte les eaux des lacs et de la vallée de Tenoch

titlan au Rio de Panuco , et par lequel ( en oubliant


que Mexico est élevé de 2277 mètres au - dessus du
niveau de l'Océan ) on a projeté une navigation depuis
la capitale jusqu'à la côte orientale ; 3º Le Rio de Zaca
tula ; 4° le grand fleuve de Santiago , qui naît de la
réunion des rivières de Lerma et de las Laxas , et qui

pourrait porter les farines de Salamanca , de Zelaya ,


et peut-être de toute l'Intendance de Guadalaxara , au
port de San Blas , situé sur les côtes de l'Océan Pa
cifique.
Les lacs dont le Mexique abonde , et dont la plupart
paraissent diminuer d'année en année , ne sont que
les restes de ces immenses bassins d'eau qui paraissent
avoir existé jadis dans les hautes plaines de la Cordil
lère. Je me contente de nommer, dans ce tableau phy
sique , le grand lac de Chapala dans la Nouvelle-Ga
lice , qui a près de 160 lieues carrées , et qui est du
double plus grand que le lac de Constance ; les lacs
de la vallée de Mexico , qui n'occupent aujourd'hui
que de la surface de cette vallée; le lac de Patzcuaro

dans l'Intendance de Valladolid , un des sites les plus


pittoresques que je connaisse dans les deux continens ;
le lac de Mextitlan et celui de Parras dans la Nou
velle- Biscaye.
L'intérieur de la Nouvelle- Espagne , surtout une
grande partie du haut plateau d'Anahuac , est dénué
de végétation : son aspect aride rappelle en quelques
endroits les plaines des deux Castilles. Plusieurs causes
280 LIVRE I ,

concourent à produire cet effet extraordinaire. La Cor


dillère mexicaine est trop haute pour que cette hauteur
n'augmente pas déjà sensiblement l'évaporation qui a
lieu sur tous les grands plateaux . D'un autre côté , le
pays n'est pas assez élevé pour qu'un grand nombre

de cimes puisse entrer dans la limite des neiges perpé


tuelles. Cette limite se trouve sous l'équateur à une

hauteur de 4800 mètres ( 2460 toises ) , sous les 45º


de latitude, à 2700 mètres ( 1400 toises ) au-dessus de
la surface de l'Océan. Au Mexique , par les 19° et 20°
de latitude , les neiges éternelles commencent , d'après
mes mesures , à 4600 mètres ( 2350 toises ) d'élévation.
Aussi , des six montagnes colossales que la nature a
rangées sur une même ligne entre les parallèles de 19°
et 19° , quatre seulement , le Pic d'Orizaba , le Popo
catepetl , l'Iztaccihuatl et le Nevado de Toluca , sont
perpétuellement couvertes de neige , tandis que les

deux autres , le Cofre de Perote et le volcan de Co

lima , en sont dépourvues pendant la plus grande par


tie de l'année. Au nord et au sud de ce parallèle des
grandes hauteurs au-delà de cette zone singulière, dans
laquelle est venu se ranger le nouveau volcan de Jo
rullo , il n'y a plus de montagne qui présente le phé
nomène des neiges perpétuelles .

Les neiges , à l'époque de leur minimum au mois


de septembre , ne descendent pas , sous le parallèle de
Mexico , au - delà de 4500 mètres . Mais au mois de
janvier, leur limite se trouve à 3700 mètres : c'est l'é
poque de leur maximum. L'oscillation de la limite des
CHAPITRE III. 281

neiges éternelles est , par conséquent , sous les 19° de


latitude d'une saison à l'autre , de 800 mètres , tandis

que sous l'équateur elle n'est que de 60 à 70 mètres.


On ne doit pas confondre les neiges éternelles avec
celles qui tombent accidentellement en hiver dans des
régions beaucoup plus basses. Ce dernier phénomène ,
comme tout dans la nature , est assujéti à des lois im
muables et digne de la recherche des physiciens . Sous
l'équateur, dans la province de Quito , on n'observe
de la neige éphémère qu'à des hauteurs de 3800 à
3900 mètres. Au Mexique , au contraire , sous les 18º
et 22º de latitude , on la voit jusqu'à 3000 mètres d'é
lévation. On a même vu neiger dans les rues de la
capitale du Mexique à 2277 mètres , et encore 400
mètres plus bas , dans la ville de Valladolid.
En général , dans les régions équinoxiales de la
Nouvelle-Espagne , le sol , le climat , la physionomie
des végétaux portent le caractère des zones tempérées.
La hauteur des plateaux , la force du rayonnement de
la chaleur vers un ciel extrêmement pur, la proximité
du Canada , la grande largeur qu'acquiert le Nouveau
Continent au-delà du 28º de latitude , la masse de
neiges dont il s'y couvre, cause dans l'atmosphère mexi
caine des refroidissemens auxquels on ne devrait guère
s'attendre dans des régions si rapprochées de l'équateur.

Si le plateau de la Nouvelle- Espagne est singulière


ment froid en hiver , d'un autre côté sa température
d'été est beaucoup plus élevée que l'annoncent les ob
servations thermométriques faites par Bouguer et La
282 LIVRE I ,

Condamine dans les Andes du Pérou. La grande masse

de la Cordillère du Mexique , l'immense étendue de ses


plaines , produisent une réverbération des rayons so
laires qu'à égale hauteur on n'observe pas dans des pays

montagneux à surface plus inégale. Cette chaleur et


d'autres causes locales influent sur l'aridité qui désole
ces belles contrées .

Au nord du 20º , surtout depuis les 22 ° jusqu'au


30° de latitude , les pluies , qui ne durent que pendant
les mois de juin , de juillet , d'août et de septembre ,
sont peu fréquentes dans l'intérieur du pays. Nous
avons déjà fait voir plus haut que la grande hauteur
de ce plateau et la moindre pression barométrique que
l'air raréfié y exerce , accélèrent l'évaporation . Le cou
rant ascendant , ou la colonne d'air chaud qui s'élève
des plaines , empêche les nuages de se précipiter en
pluie et d'abreuver une terre sèche , salée et dénuée
d'arbustes. Les sources sont rares dans des montagnes

composées , en grande partie , d'amygdaloïde poreuse


et de trachytes fendillés. L'eau infiltrée , au lieu de se
réunir en de petits bassins souterrains , se perd dans
des fentes que d'anciennes révolutions volcaniques ont
ouvertes ; elle ne sort qu'au pied de la Cordillère , près
des côtes où elle forme un grand nombre de rivières
dont le cours , à cause de la configuration du pays ,
n'est que de peu de longueur.

L'aridité du plateau central , le manque d'arbres au


quel peut-être a contribué aussi le séjour prolongé
des eaux dans les grandes vallées , sont très nuisibles à
CHAPITRE III. 283

l'exploitation des mines. Ces désavantages ont aug


menté depuis l'arrivée des Européens au Mexique : les
colons n'ont pas seulement détruit sans planter , mais

en desséchant artificiellement de grandes étendues de


terrains , ils ont causé un autre mal plus important en
core. Le muriate de soude et de chaux , le nitrate de po
tasse et d'autres substances salines , se sont emparé de
la surface aride du sol ; elles se sont répandues avec

une rapidité que le chimiste a de la peine à expliquer,


Par cette abondance de sels , par ces efflorescences
contraires à la culture , le plateau du Mexique res
semble , en quelques endroits à celui du Thibet et aux
steppes salées de l'Asie centrale. C'est surtout dans la
vallée de Tenochtitlan que la stérilité et le manque

d'une végétation vigoureuse ont visiblement augmenté


depuis l'époque de la conquête espagnole ; car cette
vallée était ornée d'une belle verdure pendant que les
lacs occupaient plus de terrain , et pendant que le sol

argilleux était lessivé par des inondations plus fré


quentes.
Cette aridité du sol dont nous venons d'indiquer

les causes physiques , ne se trouve heureusement que


dans les plaines les plus élevées . Une grande partie du
vaste royaume de la Nouvelle-Espagne appartient aux
pays les plus fertiles de la terre. La pente de la Cordil
lère est exposée à des vents humides et à des brumes
fréquentes la végétation , constamment nourrie de
vapeurs aqueuses , y est d'une beauté et d'une force

imposantes L'humidité des côtes , tout en favorisant


284 LIVRE I ,

la putréfaction d'une grande masse de substances or


ganiques , cause des maladies auxquelles les Européens
et d'autres individus non acclimatés sont seuls exposés ;
car sous le ciel brûlant des tropiques , l'insalubrité de
l'air indique presque toujours une fertilité extraordi
naire du sol. Aussi , à la Vera -Cruz , la quantité de
pluie qui tombe dans l'espace d'un an est de 1,62 ,
tandis qu'en France elle est à peine de o," 80. Cepen
dant , à l'exception de quelques ports de mer et de
quelques vallées profondes , où les indigènes souffrent
de fièvres intermittentes , la Nouvelle - Espagne doit
être considérée comme un pays extrêmement sain .
Le repos des habitans du Mexique est moins trou
blé par des tremblemens de terre et par des explosions
volcaniques , que celui des habitans du royaume de
Quito et des provinces de Guatimala et de Cumana.
Dans toute la Nouvelle-Espagne , il n'y a que cinq vol
cans enflammés , l'Orizaba , le Popocatepetl , les mon
tagnes de Tustla , de Jorullo et de Colima . Les trem

blemens de terre , qui sont assez fréquens sur les côtes


de l'Océan-Pacifique et dans les environs de la capi
tale , n'y causent cependant pas des malheurs aussi
grands que ceux qui ont affligé les villes de Lima, de
Riobamba , de Guatimala et de Cumana. Une horrible

catastrophe a fait sortir de terre , le 14 septembre 1759 ,


le volcan de Jorullo environné d'une innombrable mul

titude de petits cônes encore fumans. Des bruits sou


terrains, et presque d'autant plus effroyables qu'ils n'é
taient suivis d'aucun autre phénomène , se sont fait en
CHAPITRE III . 285

tendre à Guanaxuato au mois de janvier 1784. Tous


ces phénomènes paraissent prouver que le pays con
tenu entre les parallèles de 18° et de 22 ° recèle un feu
actif qui perce de temps en temps la croûte du globe ,
même à de grands éloignemens des côtes de l'Océan.
La situation physique de la ville de Mexico offre
des avantages inappréciables, si on la considère sous le
rapport des communications avec le reste du monde ci
vilisé. Placé entre l'Europe et l'Asie sur un isthme qui
est baigné par la Mer du Sud et par l'Océan Atlan
tique , Mexico paraît destiné à exercer un jour une
grande influence sur les évènemens politiques qui agi
tent les deux continens . Un roi d'Espagne , fixé dans
la capitale du Mexique , ferait transmettre ses ordres
en cinq semaines à la Péninsule , en six semaines aux
îles Philippines . Le vaste royaume de la Nouvelle- Es
pagne , cultivé avec soin , produirait à lui seul tout ce
que le commerce rassemble sur le reste du globe , le su
cre , la cochenille , le cacao , le coton , le café , le fro
ment , le chanvre , le lin , la soie , les huiles et le vin .
Il fournirait tous les métaux , sans en exclure le mer
cure même. De superbes bois de construction , l'abon
dance de fer et de cuivre , favoriseraient les progrès de
la navigation mexicaine ; mais l'état des côtes et le
manque de ports depuis l'embouchure du Rio Alva

rado jusqu'à celle du Rio Bravo del Norte , opposent


des obstacles difficiles à vaincre.

Ces obstacles , il est vrai , n'existent pas du côté de


l'Océan Pacifique. St. François dans la Nouvelle -Cali
286 LIVRE I ,

fornie, San Blas dans l'Intendance de Guadalaxara ,


près de l'embouchure de la rivière de Santiago , et
surtout Acapulco , sont des ports magnifiques. Le der
nier , formé probablement par l'effet d'un tremblement
de terre , est un des bassins les plus admirables que le
navigateur puisse trouver dans le monde entier. Dans

la Mer du Sud , il n'y a que Coquimbo , situé sur les


côtes du Chili , que l'on puisse préférer à Acapulco ;
cependant en hiver , à l'époque des grands coups de
vent , la mer est très grosse dans ce dernier port. Plus

au sud , on trouve le port de Realexo dans le royaume


de Guatimala , formé, comme celui de Guayaquil , par
une belle et grande rivière. Sonzonate , très fréquenté
pendant la belle saison , offre une rade qui est ouverte
comme celle de Tehuantepec , et par conséquent très
dangereuse en hiver.
Si nous fixons nos regards sur les côtes orientales
de la Nouvelle -Espagne , nous voyons qu'elles n'ont
pas le même avantage que les côtes occidentales. Nous
avons observé plus haut qu'il n'y existe , à propre

ment parler, pas de port ; car celui de la Vera-Cruz ,


par lequel se fait annuellement un commerce de 50 à
60 millions de piastres , n'est qu'un mauvais mouillage
entre les bas-fonds de la Caleta , de la Gallega et de la
Lavandera . La cause physique de ce désavantage est
facile à développer. La côte du Mexique , le long du
golfe de ce nom , peut être considérée comme une digue
contre laquelle les vents alisés et le mouvement per

pétuel des eaux de l'est à l'ouest , jettent les sables que


CHAPITRE III. 287

l'Océan agité tient suspendus. Ce courant de rota


tion longe l'Amérique méridionale depuis Cumana
jusqu'au Darien ; il remonte vers le cap Catoche , et ,
après avoir long-temps tournoyé dans le golfe du
Mexique , il sort par le canal de la Floride , et se dirige
vers le banc de Terre-Neuve. Les sables amoncelés

par le tournoyement des eaux , depuis la péninsule de


Yucatan jusqu'aux bouches du Rio del Norte et du
Mississipi , rétrécissent insensiblement le bassin du
golfe mexicain . Des faits géologiques très frappans
prouvent cet accroissement du continent ; partout on
voit l'Océan se retirer. Près de Sotto la Marina , à l'est
de la petite ville du Nouveau- Santander , M. Ferrer a
trouvé , à dix lieues dans l'intérieur des terres , les sa
bles mouvans remplis de coquilles pélagiques . J'ai fait
la même observation dans les environs de l'Antigua et
de la Nouvelle-Vera- Cruz. Les Rivières qui descendent
de la Sierra Madre pour se jeter dans la Mer des An
tilles , ne contribuent pas peu à augmenter les bas

fonds. Il est curieux d'observer que les côtes orientales


de l'ancienne et de la Nouvelle- Espagne offrent les
mêmes désavantages aux navigateurs . Les dernières ,
depuis les 18 et 26° de latitude , sont garnies de
barres ; des vaisseaux qui tirent au-delà de 32 déci
mètres ( 10 pieds ) d'eau ne peuvent passer sur au
cune de ces barres sans courir le danger de toucher.
Cependant ces entraves , si contraires au commerce ,
faciliteraient en même temps la défense du pays contre
les projets ambitieux d'un conquérant européen .
288 LIVRE I ,

Mécontens du port de la Vera-Cruz ( si l'on ose


nommer port le plus dangereux de tous les mouillages ) ,
les habitans du Mexique se bercent de l'espérance de
pouvoir ouvrir des voies plus sûres au commerce avec
la métropole. Je me borne à nommer , au sud de Vera
Cruz , les bouches des rivières d'Alvarado et de Gua
sacualco ; au nord de Vera-Cruz , le Rio Tampico , et
surtout le village de Sotto la Marina , près de la barre
de Santander. Ces quatre points , depuis long-temps ,
ont fixé l'attention du gouvernement ; mais même en
ces parages , d'ailleurs très avantageux , les bas- fonds
empêchent l'entrée des grands bâtimens. Il faudrait
curer les ports , si toutefois les localités permettent
de croire que ce remède soit d'un effet durable. On
connaît encore trop peu les côtes du Nouveau-Sant
ander et de Texas , surtout la partie qui se prolonge
au nord du lac de St. Bernard ou de la Carbonera ,

pour savoir si , dans toute cette étendue , la nature


présente les mêmes obstacles et les mêmes barres. Deux
officiers espagnols distingués par leur zèle et par leurs
connaissances astronomiques , MM. de Cevallos et
Herrera , se sont occupés de ces recherches également
intéressantes pour le commerce et pour la navigation .

Dans l'état actuel des choses , le Mexique est dans une

dépendance militaire de la Havane ; c'est le seul port


voisin qui puisse recevoir des escadres ; c'est le point
le plus important pour la défense des côtes orientales
de la Nouvelle- Espagne. Aussi le gouvernement , de
puis la dernière prise de la Havane par les Anglais ,
CHAPITRE III. 289

a-t-il fait des dépenses énormes pour augmenter les


fortifications de cette place. Reconnaissant ses vrais
intérêts , la cour de Madrid a posé en principe que ,

pour conserver la possession de la Nouvelle- Espagne ,


il faut rester maître de l'île de Cuba.

Un inconvénient très grave est commun aux côtes


orientales et à celles que baigne le Grand Océan
faussement appelé Océan-Pacifique. Des tempêtes vio
lentes les rendent inabordables pendant plusieurs mois ,
et empêchent presque toute navigation dans ces pa
rages. Les vents du nord ( los Nortes ) , qui sont des
vents de nord-ouest , soufflent dans le golfe du Mexi
que depuis l'équinoxe de l'automne jusqu'à celui du
printemps. Ces vents sont généralement faibles aux
mois de septembre et d'octobre : leur plus grande force
est dans le mois de mars ; ils durent quelquefois jus
qu'en avril. Les navigateurs qui fréquentent long
temps le port de la Vera-Cruz , connaissent les symp
tômes par lesquels s'annonce la tempête , à-peu-près
comme le médecin connaît les symptômes d'une mala
die aiguë. D'après les observations de M. Orta , un
grand mouvement dans le baromètre , une interrup
tion subite dans le jeu réglé des variations horaires
sont le signe le plus certain de la tempête . Les phéno
mènes suivans l'accompagnent. D'abord un petit vent
de terre ( terral) souffle de l'ouest - nord-ouest ; à ce
terral succède une brise qui se met au nord-est et puis
au sud. Pendant ce temps règne une chaleur étouf
fante ; l'eau dissoute dans l'air se précipite sur les murs
1. 19 .
290 LIVRE I ,

construits en briques , sur le pavé et sur les balustrades


en fer ou en bois. La cime du Pic d'Orizaba , celle du
Cofre de Perote , les montagnes de Villa Rica , surtout
la Sierra de San Martin , qui s'étend de Tustla à l'embou
chure du Rio Guasacualco , paraissent découvertes
de nuages , tandis que leur pied est caché sous un
voile de vapeurs à demi transparent. Les sommets des
Cordillères se projettent sur un beau fond azuré. Dans
cet état de l'atmosphère , la tempête commence ; elle
se fait quelquefois sentir avec une telle impétuosité ,
que dès le premier quart-d'heure il serait dangereux
de rester sur le môle dans le port de la Vera-Cruz.
Toute communication entre la ville et le château de
St. Jean d'Ulua est interrompue . Les coups de vent
du nord durent communément trois à quatre jours ,
quelquefois dix à douze. Si le nord va à la brise par
le sud , cette dernière est peu constante ; il est pro
bable alors que la tempête recommence : si le nord
prend le tour de l'est par le nord -est , alors la brise
ou le beau temps est durable. Pendant l'hiver , on peut
compter que la brise continue trois ou quatre jours
de suite , intervalle plus que nécessaire pour qu'un
vaisseau sortant de la Vera-Cruz puisse se mettre au
large , et se délivrer du danger des bas -fonds qui sont
voisins de la côte. Quelquefois même , dans les mois
de mai , de juin , de juillet et d'août , des coups de
vents très forts se font sentir dans le golfe du Mexique:
on les nomme Nortes de hueso colorado ; mais heu
reusement ils ne sont pas très communs. D'ailleurs ,
CHAPITRE III. 291

les époques auxquelles règnent à la Vera-Cruz le vo


missement noir et les tempêtes du nord , ne coïncident
pas. Par conséquent , l'Européen qui arrive au Mexi
que, et le Mexicain que ses affaires forcent de s'em
barquer ou de descendre du haut plateau de la Nou
velle-Espagne vers les côtes , ont à choisir entre le
danger de la navigation et celui d'une maladie mortelle.

Les côtes occidentales du Mexique , celles qui sont


opposées au Grand Océan , offrent une navigation
très dangereuse dans les mois de juillet et d'août ; des
ouragans terribles y soufflent alors du sud-ouest . Dans

ce temps , et jusqu'en septembre et en octobre , les


attérages de San Blas , d'Acapulco et de tous les ports
du royaume de Guatimala , sont des plus difficiles ;
mais aussi , depuis le mois d'octobre jusqu'au mois de
mai , pendant la belle saison ( verano de la Mar del
Sur) , la tranquillité de l'Océan-Pacifique est inter
rompue en ces parages par des vents impétueux du
nord-est et du nord-nord -est : on les connaît sous les

noms de Papagallo et de Tehuantepec .


Ayant essuyé moi-même une de ces tempêtes , j'au
rai occasion d'examiner , dans un autre endroit , si ,
comme l'admettent quelques navigateurs , les Papa
gallos comme vents purement locaux , sont causés
par la proximité des volcans , ou s'ils proviennent du
peu de largeur de l'isthme mexicain dans le parallèle
du lac de Nicaragua . On pourrait croire que l'équi
libre de l'atmosphère étant troublé , au mois de jan
vier et de février , sur les côtes de la Mer des Antilles ,
19.
292 LIVRE 1 ,

l'air agité reflue impétueusement vers le Grand Océan.


Le Tehuantepec , d'après cette supposition , ne serait
que l'effet ou plutôt la continuation des Nortes du

golfe mexicain et des brisottes de S. Marthe. Il rend


la côte de Salinas et de la Ventosa presque aussi ina
bordable que le sont les côtes de Nicaragua et de Gua

timala , sur lesquelles , aux mois d'août et de septembre,


règnent de violens sud-ouest connus sous le nom de
Tapayaguas. Ces vents sud-ouest sont accompagnés
de tonnerre et de pluies tandis que les Tehuantepe
ques et les Papagallos * exercent leurs fureurs pen
dant que le ciel est clair et azuré. C'est ainsi qu'à de

certaines époques , presque toutes les côtes de la Nou


velle-Espagne sont dangereuses pour les navigateurs.

Nous rappellerons à la fin de ce chapitre les résultats numériques


relatifs au climat mexicain , que M. de Humboldt a consignés
dans son Mémoire sur les lignes isothermes , pag. 120 — 123 ; et dans
• son ouvrage De distributione geographica plantarum secundum cœli tem
periem et altitudinem montium. Toutes les indications de températures
sont en degrés du thermomètre centesimal.
Côtes orientales de la Nouvelle- Espagne , température moyenne de
l'année 25°4' . Vera-Cruz lat. 19° 11 ' , le jour communément dans la
saison la plus chaude 27° à 30 ° ; la nuit 25°, 7—28° ; dans la saison
froide le jour 19° à 24° ; de nuit 18° -22". Plus grande chaleur de
toute l'année 36° , la moindre chaleur 16º. La température moyenne
du mois de décembre diffère de celle du mois d'août de 5º,6.

* Les Papagallos soufflent surtout depuis le Cap blanc de Nicoya


(lat. 9°30′ ) jusqu'à l'Ensenada de Sainte-Catherine ( lat. 10°45′).
CHAPITRE III. 293
Côtes occidentales de la Nouvelle-Espagne , température moyenne
26º,8. Acapulco lat. 16°50' , le jour 28° à 31° ; la nuit 23º à 25º, vers
le lever du soleil souvent 18°.
(Pour servir de comparaison : Cumana lat. 10°27' , temp.
27°,7; mois le plus chaud 29°, 2 ; mois le moins chaud 26°, 2 . De jour
communément 26° à 30° ; de nuit 22º à 23º,5 . Maximum observé
dans le courant d'une année par M. de Humboldt , 32°,7; minimum
21º,2 . Havane lat. 23°8′. temp. moy. 25º,6. ; mois le plus chaud 28°,5 ;
le moins chaud 21º, 1 . Le thermomètre centigrade baisse lorsque le
vent du nord souffle au-dessous de 8". Caire lat. 30°2' , temp. moy.
22º,4 , mois le plus chaud 29°, 9 ; le moins chaud 13º,4. Funchal
lat. 32°37' , temp. moy. 18° ,8. Rome lat. 41 °53′ temp. moy. 15°,8. )
Région tempérée de la Nouvelle-Espagne. Xalapa lat. 19°30'; haut.
677 toises , temp. moy. 18°,2. Le thermomètre descend en hiver
à 14 .
Chilpanzingo lat. 18° 11 ' ; hauteur 708 toises ; température moyenne
probablement 20º,6 à cause du rayonnement du plateau sur lequel la
ville est placée.
Valladolid lat. 19°42 ' ; hauteur 1000 toises. On croit la température
moyenne de 20° ; mais on a vu descendre le thermomètre à 3º,4 au
dessous de zéro.
Le plateau central, d'une grande fertilité , entre Queretaro , San
Juan del Rio , Zelaya et Guanaxuato , hauteur 940 à 1070 toises ,
température moyenne 19º,3.
Régionfroide: Mexico lat. 19°25' ; hauteur 1168 toises , température
moyenne 17º : dans les mois les plus chauds le jour 16º à 21 ° ; de
nuit 13º à 15º; dans les mois les plus froids, de jour 11° à 15° ; de nuit
oº à 7º. Par fois même plusieurs degrés au- dessous de zéro. Il tombe
de la neige tous les trente à quarante ans. Maximum de chaleur envi
ron 26°. La chaleur d'été , à Mexico, ressemble à celle de la fin de
juin à Paris , la chaleur d'hiver , à Mexico , ressemble à celle de la
fin d'avril à Paris. La température moyenne du mois le plus chaud ,
diffère à Mexico de la température moyenne du mois le plus froid de
6° à7°.
Toluca lat. 19'16' , hauteur 1380 toises , température moyenne
vraisemblablement 15º.
(Pour servir de comparaison : Caracas lat. 10°31 ' , hauteur 450
LIVRE I ,
294
toises , température moyenne 20°,8. Guaduas lat. 5°3' , hauteur 590
toises , température moyenne 19",7 ; Popayan lat. 2°26′ , hauteur 911
toises , température moyenne 18,7 . Santa Fe de Bogota lat. 4°35′ ,
hauteur 1365 toises , température moyenne 14º,3. Quito lat. australe
0° 14′ , hauteur 1492 toises ; température moyenne 14",4. Micuipampe
lat. australe 6'43' , hauteur 1856 toises , température moyenne de la
ville , probablement 8°.
Marseille lat. 43° 17' , température moyenne 15,0. Philadelphie
lat. 39°56′ , température moyenne 11º,9. Paris lat. 48° 50' , tempéra
ture moyenne 10º,6. )
CHAPITRE IV. 295

LIVRE II .

POPULATION générale de la NOUVELLE- ESPAGNE.


DIVISION DES HABITANS EN CASTES.

CHAPITRE IV.

dénombrement GÉNÉRAL FAIT EN 1793. ---- PROGRES DE


LA POPULATION DANS LES DIX ANNÉES SUIVANTES.
RAPPORT ENTRE LES NAISSANCES ET LES DÉCÈS.

Le tableau physique que nous venons de tracer ra


pidement , prouve qu'au Mexique , comme partout
ailleurs , la nature a inégalement répandu ses bien
faits. Les hommes , méconnaissant la sagesse de cette

distribution , ont peu profité des richesses qui leur sont


offertes . Réunis sur une petite étendue de terrain ,
dans le centre du royaume , sur le plateau de la Cor
dillère , ils ont laissé inhabitées les régions les plus fer
tiles et les plus voisines des côtes .
Aux États-Unis , la population est concentrée dans
la partie atlantique , c'est-à-dire dans la zone longue et
296 LIVRE II ,

étroite qui se prolonge entre la mer et les monts Allé


ghanys. Dans la Capitanie générale de Caracas , il n'y
a, pour ainsi dire , de terrains habités et bien cultivés

que ceux des régions maritimes. Au Mexique , au con


traire, la culture et la civilisation sont reléguées dans
l'intérieur du pays. Les conquérans espagnols n'y ont
fait que suivre les traces des peuples conquis. Les

.
Aztèques, originaires d'un pays situé au nord du Rio
Gila, peut-être même originaires de l'Asie la plus sep
tentrionále , avaient poussé leur migration vers le sud ,
en suivant le dos des Cordillères , et en préférant les
régions alpines et froides aux chaleurs excessives de
la côte.

La partie d'Anahuac qui composait le royaume de


Montezuma II , du temps de l'arrivée de Fernand Cor
tez , n'égalait pas en surface la huitième partie de la
Nouvelle-Espagne actuelle. Les rois d'Acolhuacan , de
Tlacopan et de Michuacan , étaient des princes indé
pendans. Les grandes villes des Aztèques , les terrains
les mieux cultivés , se trouvaient dans les environs de
la capitale du Mexique , surtout dans la belle vallée
de Tenochtitlan . Cette raison seule aurait suffi pour
que les Espagnols y eussent établi le centre de leur
nouvel empire ; mais ils se plaisaient , en outre , à ha
biter des plateaux dont le climat analogue à celui de
leur patrie , était favorable à la culture du froment
et des arbres fruitiers de l'Europe. L'indigo , le coton ,
le sucre et le café , les quatre grands objets du com
merce des Antilles et de toutes les régions chaudes
CHAPITRE IV. 297

des Tropiques , intéressaient peu les conquérans du


seizième siècle ; ils n'étaient avides que de métaux
précieux , et la recherche de ces métaux les fixait
sur le dos des montagnes centrales de la Nouvelle
Espagne.
Il est tout aussi difficile d'évaluer , avec quelque
certitude , le nombre des habitans qui composaient le
royaume de Montezuma , que de prononcer sur l'an
cienne population de l'Egypte , de la Perse , de la Grèce
ou du Latium. Les ruines étendues de villes et de

villages que l'on observe sous les 18° et 20º de latitude,


dans l'intérieur du Mexique , prouvent sans doute que

la population de cette partie du royaume était bien


supérieure à celle qu'on y trouve aujourd'hui . Les let
tres de Cortez adressées à l'empereur Charles- Quint ,
les mémoires de Bernal Dias et un grand nombre
d'autres monumens historiques , confirment ce fait in
téressant *. Mais en réfléchissant combien il en coûte

de nos jours pour parvenir à des idées exactes sur la


statistique d'un pays, il ne faut pas s'étonner de l'igno
rance dans laquelle nous laissent les auteurs du sei

zième siècle sur l'ancienne population des Antilles ,


sur celle du Pérou et du Mexique. L'histoire nous
présente , d'un côté , des conquérans ambitieux de faire
valoir le fruit de leurs exploits , de l'autre l'évêque
de Chiapa et un petit nombre d'hommes bienfaisans

* Voyez les observations judicieuses de l'abbé Clavigero , sur l'an


cienne population du Mexique , dirigées contre Robertson et l'abbé
Pauw , Storia antica di Messico , tome iv, page 282 .
298 LIVRE II ,

qui employaient , avec une noble ardeur , les armes de


l'éloquence contre la cruauté des premiers colons.
Tous les partis étaient également intéressés à exagérer
l'état florissant des pays nouvellement découverts : les
seuls pères de S. François se vantaient d'avoir bap
tisé , depuis l'année 1524 jusqu'en 1540 , plus de six
millions d'Indiens , et ( ce qui plus est ) d'Indiens qui
n'habitaient que les parties les plus voisines de la
capitale !
Un exemple frappant nous prouve combien il faut
être circonspect à ne pas prêter foi trop facilement
aux nombres que l'on trouve dans les anciennes des
criptions de l'Amérique. On a imprimé souvent * , que
le dénombrement des habitans du Pérou fait par l'ar
chevêque de Lima , Fray Geronimo de Loaysa , l'an
1551 , avait donné 8,285,000 Indiens. Ce résultat
devait affliger ceux qui savent qu'en 1793 , dans le dé
nombrement très exact ordonné par le vice-roi Gil
Lemos , les Indiens du Pérou actuel ( après la sépara
tion du Chili et de Buenos-Ayres ) ne montaient pas
au-delà de 600,000 individus. Voilà 7,600,000 In
diens que l'on pouvait croire disparus sur le globe.

Heureusement l'assertion de l'auteur péruvien s'est


trouvée dénuée de vérité. D'après les recherches faites
dans les archives de Lima par le père Cisneros , on a dé
couvert que l'existence des huit millions , en 1551 , n'est

* Relacion de la ciudad de Truxillo, por el doctor Feyjoó , 1763, p. 29.


1

CHAPITRE IV. 299

appuyée sur aucun document historique. Le docteur


Feyjoó , auteur de la statistique de Truxillo , a même
déclaré depuis , que son assertion hasardée n'avait été
fondée que sur un calcul fictif, sur le dénombrement
de tant de villes ruinées depuis l'époque de la con
quête. Ces ruines lui paraissaient annoncer une im
mense population dans les temps les plus reculés. Sou
vent l'examen d'une opinion erronée mène à quelque

vérité importante. Le père Cisneros , en fouillant dans


les archives du seizième siècle , a découvert que le
vice-roi Toledo , regardé à juste titre comme le pre
mier législateur espagnol du Pérou , ne compta , en
1575 , dans la visite du royaume qu'il fit en personne
depuis Tumbez jusqu'à Chuquisaqua ( ce qui est à peu
près l'étendue du Pérou actuel), que 1,500,000 Indiens.
En général , rien n'est plus vague que le jugement
que l'on porte sur la population d'un pays récemment
découvert. Cook évalua le nombre des habitans de
l'île de Taïti à 100,000 ; les missionnaires protestans
de la Grande-Bretagne n'y supposent qu'une popula
tion de 49,000 amnes ; le capitaine Wilson la fixe à
16,000 : M. Turnbull croit prouver que le nombre des
habitans n'excède pas 5,000 . Je doute que ces diffé
rences soient l'effet d'une diminution progressive.
Cette diminution existe sans doute comme l'effet des

maladies funestes dont les peuples civilisés de l'Europe


ont infecté ces contrées jadis plus heureuses ; mais elle
ne peut pas avoir été assez rapide pour avoir fait périr ,
3oa LIVRE II ,

en quarante ans , les dix-neuf vingtièmes des habitans .


Nous avons rappelé que les environs de la capitale
du Mexique , et peut-être le pays entier soumis à la
domination de Montezuma * , étaient jadis plus peu

plés qu'ils ne le sont aujourd'hui ; mais cette grande po


pulation se trouvait concentrée sur un très petit espace.
On sait ( et la connaissance de ce fait est consolante
pour l'humanité ) que non -seulement , depuis un siè
cle , le nombre des indigènes ne cesse d'augmenter ,
mais qu'aussi toute la vaste région que nous désignons
sous le nom général de la Nouvelle- Espagne , est plus
habitée aujourd'hui qu'elle ne l'était avant l'arrivée des
Européens. La première de ces assertions est prouvée

par l'état de la capitation ; la seconde est fondée sur


une considération très simple. Au commencement du
seizième siècle , les Otomites et d'autres peuples bar
bares occupaient les pays situés au nord des rivières
de Panuco et de Santiago ; depuis que la culture du
sol et la civilisation ont avancé vers la Nouvelle-Bis

caye et vers les provincias internas , la population a


augmenté dans ces provinces septentrionales avec cette
rapidité que l'on remarque partout où un peuple no
made est remplacé par des colons agriculteurs .
En Espagne même , des recherches d'économie po
litique , fondées sur des nombres exacts , ont été peu
communes avant les travaux de l'illustre Campomanes
et avant le ministère du comte de Florida Blanca ; il ne


Clavigero , Storia antica di Messico , tome 1 , page 36.
CHAPITRE IV. 301

faut donc pas s'étonner qu'au Mexique les archives de

la vice-royauté ne contiennent aucun dénombrement


antérieur à celui de 1794 , fait par ordre du comte de
Revillagigedo , un des administrateurs les plus actifs et
les plus sages du 18e siècle. Dans le travail entrepris sur
la population du Mexique du temps du vice-roi Pedro
Cebrian comte de Fuenclara , en 1742 , on s'était con
tenté d'évaluer le nombre des familles ; ce que Villa
Señor nous a conservé de cette évaluation , est
vague et incomplet . Si l'on passe en revue toutes les
difficultés qu'offre le dénombrement dans les parties
les plus cultivées de l'Europe; si l'on se rappelle que
les économistes n'assignaient que dix-huit millions
d'habitans à la France entière , et que l'on a disputé
encore récemment si la population de Paris était de
500,000 ou de 800,000 habitans , on ne peut s'éton
ner des puissantes entraves qu'on trouve à vaincre
dans un pays où les employés n'ont aucune habitude
des recherches statistiques. Le vice-roi , comte de Re
villagigedo , malgré son zèle et sa grande activité , n'est
point parvenu à terminer son ouvrage . Le dénom
brement qu'il avait entrepris ne fut point achevé dans
les intendances de Guadalaxara et de la Vera- Cruz ,

et dans la province de Cohahuila.


Voici l'état de la population * de la Nouvelle- Es
pagne , d'après les notices que les intendans et les

* Je publie cet état d'après la copie conservée dans les archives du


vice-roi. J'observe que d'autres copies qui circulent dans le pays ,
302 LIVRE II,

gouverneurs de province ont transmises à la vice

royauté jusqu'au 12 mai 1794 :

NOMS POPULATION
DES INTENDANCES ET GOUVERNEMENS
dans lesquels DES INTENDANCES
et DES CAPITALES.
LE DÉNOMBREMENT A ÉTÉ TERMINÉ EN 1793. COUVERNEMENS.
MEXICO. 1,162,856 112.926
PUEBLA. 566,443 52,717
TLASCALA. 59,177 3,357
OAXACA. 411,366 19,069
VALLADOLID. 289,314 17,093
GUANAXUATO. 397,924 32,098
SAN LUIS POTOSI. 242,280 8,571
ZACATECAS. 118,027 25,495
DURANGO. 122,866 11,027
SONORA.. 93,396
NUEVO MEXICO . 30,953
LES DEUX CALIFORNIES. 12,666
YUCATAN. 358,261 28,392
Total de la population de la Nouvelle-Es
pagne , déduite du dénombrement ef
fectué en 1793. 3,865,559
Dans un rapport fait au roi , le comte de
Revillagigedo évalua l'intendance de Gua
dalaxara à. 485,000 hab.
Celle de Vera-Crux à. 120,000 618,000
Laprovincede Coahuila à 13,000
Résultat approximatifdu dénombrement
en 1793. 4,483,559 habit.

Ce résultat présente le minimum de la population


qu'on pouvait admettre à cette époque . Le gouver
nement central , et surtout les administrations pro

présentent des nombres peu exacts , par exemple, 638,771 âmes pour
l'intendance de la Puebla , en y comprenant l'ancienne république de
Tlascala.
CHAPITRE IV. 303

vinciales ont reconnu bientôt combien on était resté

loin du but qu'on voulait atteindre. Dans le Nouveau


Continent , comme dans l'ancien , le peuple considère
tout dénombrement comme le présage sinistre d'une
opération financière . Redoutant sans cesse une aug
mentation dans les impôts , chaque père de famille
cherche à diminuer le nombre d'individus dont se
compose sa maison. Il est facile de démontrer la vérité
de cette assertion. Avant le dénombrement du comte
de Revillagigedo , on avait cru , par exemple , que la

capitale du Mexique contenait 200,000 habitans.


Cette évaluation pouvait être exagérée ; mais les ta
bleaux de consommation , le nombre des baptêmes et
des enterremens , la comparaison de ce nombre avec
ceux que présentent les grandes villes d'Europe , ten
daient à prouver que la population de Mexico s'éle
vait pour le moins à 135,000 : cependant le tableau

que le vice-roi fit imprimer en 1790 , ne présenta


que 112,926. Dans des villes plus petites et plus
faciles à contrôler , l'erreur était plus considérable
et plus manifeste encore. Les personnes qui avaient
suivi en détail le dépouillement des registres dressés
en 1793, jugeaient dès-lors que le nombre des habitans
qui s'étaient soustraits au dénombrement général , ne
pouvait être compensé par ceux qui , errant sans do

micile fixe , avaient été comptés plusieurs fois . On


admettait assez généralement que pour obtenir un ré
sultat satisfaisant , il fallait ajouter un sixième ou un
septième à la somme totale, ce qui donnait pour la
304 LIVRE II ,

population de toute la Nouvelle-Espagne 5,200,000


âmes. Je m'arrête *, pour l'année 1804 , à 5,837,100.
On doit regretter que les vice-rois qui , dans l'ad
ministration du pays , ont succédé au comte de Revil
lagigedo , n'aient pas renouvelé le dénombrement total .
Le gouvernement , depuis ce temps , ne s'est plus oc

cupé de recherches statistiques . Plusieurs mémoires


que des intendans ont dressés sur l'état actuel du pays
confié à leurs soins , contiennent exactement les mêmes
nombres que le tableau de 1793 , comme si la popu
lation pouvait être restée la même pendant dix ans.
Il est hors de doute que la population augmente avec
une prodigieuse rapidité. L'augmentation des dîmes
et de la capitation des Indiens , celle de tous les droits

de consommation , les progrès de l'agriculture et de


la civilisation , l'aspect d'une campagne couverte de
maisons nouvellement construites , annoncent un ac
croissement considérable dans presque toutes les par

ties du royaume. Comment concevoir aussi que des


institutions sociales puissent être assez imparfaites ,
qu'un gouvernement puisse assez intervertir l'ordre de
la nature pour empêcher la multiplication progressive

* Ce nombre semble aussi le plus probable aux hommes d'état


que le Congrès souverain du Mexique avait choisis pour former le
projet de la constitutionfédérative. « Nous sommes chargés , disaient-ils
dans leur rapport en date du 20 novembre 1820 , de proposer des
institutions propres à améliorer le sort de six millions d'hommes
libres qui habitent les provinces mexicaines, qui parlent un même
idiome et qui professent une même religion. »
CHAPITRE IV. 305

de l'espèce humaine dans des temps calmes , sans


guerres au dedans , sur un sol fertile et sous un climat

tempéré ? Les indigènes ne gémissent plus sous le


joug des Encomiandas , et une paix de trois siècles a
presque effacé jusqu'au souvenir des crimes produits
par le fanatisme et par l'avarice insatiable des pre
miers conquérans !
Pour former le tableau de la population en 1803 ;

pour présenter des nombres qui se rapprochassent ,


autant qu'il était possible , de la vérité , il a fallu aug
menter le résultat du dernier dénombrement , 1º de la
partie des habitans qui se sont soustraits aux listes for
mées ; 2° de celle qui résulte de l'excédant des naissances

sur les décès. J'ai préféré de m'arrêter à un nombre qui


fut au-dessous de la population actuelle , plutôt que
de hasarder des suppositions qui pourraient paraître
trop avantageuses. Par conséquent , j'ai diminué le
nombre des habitans que l'on peut supposer avoir été

omis dans le recensement général ; au lieu d'un sixième ,


je ne l'ai évalué qu'à un dixième.
Quant àl'augmentation progressive de la population
depuis l'année 1793 jusqu'à l'époque de mon voyage ,
j'ai pu la fixer d'après des renseignemens assez exacts.
La bienveillance particulière dont m'a honoré un
prélat respectable , l'archevêque actuel de Mexico * ,

* Don Francisco Xavier de Lizana. Je dois aussi des renseigne


mens très utiles à Don Pedro de Fonte , proviseur de l'archevêché
(et depuis successeur de son oncle Már de Lizana ). Voyez la note B à
la fin de l'ouvrage .
J. 20
306 LIVRE H ,

m'a mis en état de faire des recherches détaillées sur


le rapport des naissances aux décès , selon la diffé
rence des climats du plateau central et des régions voi
sines de la côte. Plusieurs curés , intéressés à la solu
tion du problême de l'augmentation ou de la diminu

tion de notre espèce , ont entrepris un travail assez


pénible. Ils m'ont communiqué le nombre des baptêmes
et des enterremens , année par année , depuis 1752
jusqu'en 1802. L'ensemble de ces registres détaillés ,
que je conserve , prouve que le rapport des naissances

aux décès est à peu près comme 1,7 à 1. Je me con


tenterai ici de rapporter un petit nombre d'exemples
qui puissent confirmer cette assertion ; ils offrent d'au
tant plus d'intérêt , que nous manquons encore de
données statistiques sur le rapport des décès aux nais
sances sous la zone torride.

Dans le village indien de Singuilucan , situé à onze


lieues de distance de la capitale vers le nord , il y eut ,
depuis 1750 jusqu'en 1801 , en tout 1950 morts et
4560 naissances : l'excédant des dernières fut done de
2610.

Dans le village indien d'Axapuzco , à treize lieues

au nord de Mexico , il y eut depuis l'époque où ce vil


lage se sépara de la paroisse d'Otumba , en 1767 jus
qu'en 1797 , en tout 3511 décès et 5528 naissances ;
par conséquent , l'excédant des naissances sur les morts.
s'éleva à 2017 .

Dans le village indien de Malacatepec , à vingt-huit


lieues à l'ouest de la vallée de Tenochtitlan , il y eut ,
CHAPITRE IV. 307

depuis 1752 jusqu'à 1802 , en tout 13,734 naissances


et 10,529 morts , ou 3205 excédant des naissances.

Dans le village de Dolores , il y eut , depuis 1756


jusqu'en 1801 , en tout 24,123 décès et 61,258 nais
sances; ce qui donne l'excédant extraordinaire de
37,135 naissances .
Dans la ville de Guanaxuato , il y eut
eut,, depuis 1797

jusqu'en 1802 , donc pendant cinq ans , 12,666 nais


sances et 6294 décès , ou un excédant de 6372 nais
sances.

Dans le village de Marfil , près de Guanaxuato , on


compta , dans le même espace de temps , 3702 nais
sances et 1904 décès , ou un excédant de 1798 nais
sances.
Dans le village de Ste. Anne , près de Guanaxuato ,
il y eut , en cinq ans , 3629 naissances , et 1857 décès ,
par conséquent un excédant de 1772 naissances.
A Yguala , village situé dans une vallée très chaude

près de Chilpanzingo , il y eut , en dix ans , 3373


naissances et 2395 décès , ou un excédant de 978
naissances.

Dans le village indien de Calimaya , situé sur un


plateau assez froid , il y eut , en dix ans , 5475 nais
sances et 2602 morts , ou un excédant de 2673 nais
sances .

Dans la juridiction de la ville de Queretaro , il y


eut , en 1793 , en tout 5064 naissances et 2678 morts ,
ou un excédant de 2386 naissances .

Ces exemples prouvent que le rapport du nombre


20.
308 LIVRE II,

des décès à celui des naissances , est très différent selon


le climat et la salubrité de l'air. Il est :

à Dolores . = 100 : 253.

à Singuilucan. = 100 : 234.

à Calimaya 100 202 .


à Guanaxuato . = 100 201 .
à S. Ana · 100 : 195.
à Marfil 100 194 .
à Queretaro 100 : 188.

à Axapuzco • = 100 : 157 .


à Yguala · 100 140.
à Malacatepec . = 100 : 134.
à Panuco . = 100 : 123.

Le terme moyen de ces onze endroits donne le rap

port de 100 à 183 ; mais le rapport qu'on peut re


garder comme appartenant à la totalité de la popula
tion , n'est vraisemblablement que de 100 : 170 .
Il paraît que , sur le haut plateau de la Cordillère ,
l'excédant des naissances est plus grand que vers les

côtes ou dans les régions très chaudes . Quelle diffé


rence entre le village de Calimaya et celui d'Yguala !
A Panuco , où le climat est aussi brûlant qu'à la Vera
Cruz , sans cependant que la maladie mortelle du vo

missement noir y soit connue jusqu'ici , le nombre


des naissances a été , depuis 1793 à 1802 , de 1224 ,
et le nombre des décès de 988 ; d'où résulte le rap
port peu favorable de 100 à 123. L'Indoustan et

l'Amérique méridionale , surtout la province de Cu


CHAPITRE IV. 309

mana , la côte de Coro et les plaines ( llanos ) de Ca


racas, prouvent que la chaleur seule n'est pas la cause

de cette grande mortalité. Dans les pays très chauds ,


mais secs à -la-fois , l'espèce humaine jouit d'une lon
gévité peut-être plus grande encore que celle que nous

observons dans les zones tempérées et partout où la


température et le climat sont extrêmement variables.

Les Européens qui , à un âge un peu avancé , se trans


portent dans la partie équinoxiale des colonies espa
gnoles , y parviennent généralement à une belle et
heureuse vieillessse . A la Vera-Cruz , au milieu des

épidémies du vomissement noir , les indigènes et les


étrangers déjà acclimatés jouissent de la santé la plus
parfaite.
En général , les côtes et les plaines arides de l'Amé

rique équatoriale doivent être regardées comme saines ,


malgré l'ardeur excessive du soleil , dont les rayons
perpendiculaires sont réfléchis par un sol presque dé
nué de végétation . Les individus d'un âge mûr , prin
cipalement ceux qui approchent de la vieillesse , ont
peu à redouter des régions ardentes et sèches à-la-fois .
C'est àtort qu'on attribue à ces régions une grande insa
lubrité. La mortalité du peuple n'est considérable parmi
les enfans et les jeunes gens que là où une tempéra
ture très élevée est accompagnée d'une excessive hu
midité. Des fièvres intermittentes règnent le long de
toute la côte du Golfe mexicain , depuis la bouche
d'Alvarado jusqu'à Tamiagua , Tampico , et aux plaines
du Nouveau Santander. La pente occidentale de la
310 LIVRE II ,

Cordillère du Mexique et les côtes de la Mer du Sud ,


depuis Acapulco jusqu'aux ports de Colima et de San
Blas , sont également malsaines. On peut comparer ce
terrain humide , fertile et insalubre , à la partie mari
time de la province de Caracas qui s'étend depuis la
Nouvelle -Barcelone à Portocabello . Les fièvres tierces

sont le fléau de ces contrées , que la nature a ornées


de la végétation la plus vigoureuse et la plus riche en
productions utiles. Ces maladies exercent d'autant plus
de ravages , que les indigènes laissent les malades dans

l'abandon le plus affligeant ; ce sont les enfans des In


diens surtout qui deviennent les victimes de cette cou
pable insouciance. Dans les régions chaudes et hu
mides , la mortalité est si grande , que la population n'y
sensible ,, tandis que dans
fait presque pas de progrès sensible
les régions froides et tempérées de la Nouvelle-Espagne
( et ces régions occupent la plus grande partie du
royaume ) le rapport des naissances aux décès est
comme 183 : 100 , même comme 200 : 100.
Le rapport de la population aux naissances et
aux décès est plus difficile à évaluer que celui des
naissances aux décès. Dans des pays où les lois ne
tolèrent que l'exercice d'une seule religion , et où le

curé tire une partie de ses revenus des baptêmes et des


enterremens , on peut être assez sûr de connaître avec

précision l'excédant des naissances sur les morts : mais


le nombre qui exprime le rapport des décès à la po
pulation , est affecté d'une partie de l'incertitude qui
enveloppe cette population même. Dans la ville de
CHAPITRE IV . 311

Queretaro et dans son territoire , on compte une po


pulation de 70,600 habitans . En divisant ce nombre
par celui des 5064 naissances et 2678 morts , on
trouve que de quatorze personnes il en naît une , et
que de vingt-six il en meurt une. A Guanaxuato , y
compris les mines voisines de Ste . Anne et de Marfil ,
sur une population de 60,100 , il y a , année commune
( en prenant le terme moyen de cinq ans ) , 3998 nais
sances et 2011 morts . Par conséquent , sur quinze
personnes il en naît une , et de vingt-neuf il en meurt

une. L'Europe nous présente un rapport des nais


sances ou des décès à la population entière qui est bien
moins favorable à l'augmentation de l'espèce en
France , par exemple , on comptait , en 1800 , sur
28 personnes une naissance , et sur 30 un

décès. C'est le résultat précis que M. Peuchet a déduit


des tableaux dressés dans quatre-vingt-dix-huit dépar
temens. En 1823 , il y avait sur 313 une naissance ;
sur 393 un décès.

En Angleterre , les naissances sont aux décès comme


25,3 à 19 ; dans la Monarchie Prussienne comme 28
à 19. Dans un pays moins favorisé par la nature , en

Suède , d'après les tableaux de M. Nicander, les plus


exacts et les plus étendus qu'on ait jamais dressés ,
il naît un individu sur trente , et il en meurt un sur
trente-neuf.

Si l'on pouvait admettre , que , dans le royaume de


la Nouvelle-Espagne , le rapport des naissances à la

population est comme un est à dix-sept , et le rapport


312 LIVRE II ,

des décès à la population comme un est à trente , on


obtiendrait pour le nombre des naissances à-peu-près
350,000, et pour celui des décès 200,000 . L'excédant des
naissances dans des circonstances avantageuses , c'est

à-dire dans des années sans famine , sans épidémie de


petite-vérole et sans matlazahuatl, qui est la maladie
la plus mortelle des Indiens , serait par conséquent
de 150,000 . On observe partout sur le globe que sous
des formes de gouvernement les plus diverses ( lors
que le pouvoir absolu ne dégénère pas en tyran
nie ) la population augmente avec rapidité dans des
pays qui sont encore peu habités , sur un sol éminem
ment fertile , sous l'influence d'un climat doux et
d'une température égale , et surtout dans une race
d'hommes robustes que la nature appelle très jeunes
au mariage .
Les parties de l'Europe dans lesquelles la civilisa
tion n'a commencé à germer que très tard , présentent
des exemples frappans de l'excès des naissances. Dans
la Prusse occidentale , il y eut en 1784 , sur une po
pulation de 560,000 habitans , 27,134 naissances et
15,669 décès. Ces nombres donnent le rapport des
naissances aux décès exprimé par 36 : 20 , ou comme
180 : 100, rapport presque aussi avantageux que celui
qu'offrent les villages indiens situés sur le plateau
central du Mexique. Dans l'Empire russe , en 1806 ,
on compta 1,361,134 naissances et 818,433 décès .

Les mêmes causes produisent partout les mêmes effets .


Plus neuve est la culture d'un pays , plus facile est la
CHAPITRE IV . 313

subsistance sur un sol nouvellement défriché , et plus


rapide est aussi le progrès de la population . Pour con
firmer cet axiome , on n'a qu'à jeter les yeux sur les rap
ports des naissances aux décès que présente le tableau
suivant :

En France , en 1823 . = 125 : 100.

En Angleterre ―― 137 : 100.


En Suède.. = 130 : 100 .
En Finlande 160 : 100 .
Dans l'Empire russe . 166 : 100.
Dans la Prusse occidentale . = 180 : 100 .

Dans le gouvernement de To
bolsk , d'après M. Hermann . = 210 : 100.

Dans plusieurs parties du pla


teau du Mexique . 230 : 100.

Aux États-Unis , dans l'état de


New-Jersey • = 300 : 100 .

Les renseignemens que nous avons pris sur les rap


ports des naissances aux décès , et de ceux -ci à la
population entière , prouvent que , si l'ordre de la na
ture n'était point interverti de temps en temps par
quelque cause extraordinaire et perturbatrice , la popu
lation de la Nouvelle- Espagne devrait doubler ** tous

Essays on theprinciples ofpopulation , by M. Malthus , ouvrage d'é


conomie politique des plus profonds qui aient jamais paru.
** Soit p la population actuelle d'un pays, n le rapport de la popu
lation aux naissances, d le rapport des décès aux naissances , et à le
nombre d'années au bout desquelles on veut estimer la population, on
aura l'état de la population à l'époque k exprimée par p (1 † n ( 1 — d})};
314 LIVRE II ,

les dix-neuf ans. Dans une époque de dix ans , elle


doit avoir augmenté de - . Aux États -Unis , on a vu
doubler la population , depuis l'année 1784 , tous les
vingt à vingt-trois ans. Les tableaux curieux que
M. Samuel Blodget a publiés dans son Statistical
Manuelfor the Unitea States ofAmerica , prouvent
que , pour quelques états , ce cycle heureux n'est que
de treize à quatorze ans. En France , on verrait se
doubler la population dans l'espace de 109 ans , si
aucune guerre , aucune maladie contagieuse ne dimi
nuait l'excédant annuel des naissances sur les décès .

Telle est la différence entre les pays déjà très peuplés


et ceux qui n'ont qu'une industrie naissante !
Le seul signe vrai d'un accroissement réel et per
manent de population est l'accroissement des moyens
de subsistance . Cet accroissement , cette augmentation
des produits de l'agriculture , sont évidens au Mexi
que ; ils paraissent même indiquer un progrès de po
pulation beaucoup plus rapide que celui que l'on a
supposé, en concluant la population de 1803 d'après
le dénombrement imparfait de 1793. Dans un pays
catholique , les dîmes ecclésiastiques sont , pour ainsi
dire , le thermomètre par lequel on peut juger de l'état
de l'agriculture ; et ces dîmes , comme nous l'expose

en sorte que , si l'on veut savoir en combien d'années la population


redouble , ce nombre d'années à sera exprimé par

k= log. 2 .
log. ( nd ).
CHAPITRE IV. 315

rons plus bas , doublent en moins de vingt-quatre


ans.
Toutes ces considérations suffisent pour prouver

qu'en admettant 5,800,000 habitans dans le royaume


du Mexique à la fin de l'année 1803 , je m'arrête à un
nombre qui , bien loin d'être exagéré , est probable
ment au-dessous de la population existante. Aucune
calamité publique n'a affligé le pays depuis le dénom
brement de 1793. En ajoutant , 1 ° un dixième pour
les individus non compris dans le dénombrement , et
2º deux dixièmes pour le progrès de la population en
dix ans , on suppose un excédant de naissances qui est
de la moitié plus petit que celui que donnent les re

gistres des paroisses. D'après cette supposition , le


nombre des habitans ne doublerait que tous les trente
six à quarante ans. Cependant , des personnes ins
truites qui ont observé attentivement les progrès de
l'agriculture , l'agrandissement des villages et de plu
sieurs villes , l'augmentation de tous les revenus de la
couronne dépendans de la consommation des denrées ,
sont tentées de croire que la population du Mexique
a fait des progrès bien plus rapides. Je suis loin de
prononcer sur une matière si délicate ; il suffit d'avoir

présenté le détail des matériaux qu'on a réunis jusqu'à


ce jour , et qui peuvent conduire à des résultats exacts.
Je regarde comme très probable qu'en 1808 , la popu

lation du Mexique dépasse 6,500,000 . Dans l'Empire


russe , dont l'état politique et moral a plusieurs rap
ports frappans avec le pays qui nous occupe , l'accrois
316 LIVRE II ,

sement de la population dû à l'excédant des naissances ,


est bien plus rapide que nous ne l'admettons pour le
Mexique. D'après l'ouvrage statistique de M. Hermann ,
le dénombrement de 1763 donna 14,726,000 âmes . Il
résulte de celui qui fut fait en 1783 près de 25,677,000 ,

et en 1805 la population totale de la Russie fut déjà


évaluée à 40,000,000 . Cependant , quelles entraves la
nature même n'oppose -t - elle pas aux progrès de la
population dans les parties les plus septentrionales de
l'Europe et de l'Asie ! Quel contraste entre la fertilité
du sol mexicain , enrichi des productions végétales
les plus précieuses de la zone torride , et ces plaines
stériles qui restent ensevelies sous la neige et les glaces
pendant plus de la moitié de l'année !

Depuis la publication de la première édition de l'Essai politique, la


population de la Nouvelle-Espagne et celle des pays auxquels cette
population a été comparée ont fait des progrès sensibles. En France,
par exemple, les rapports de la population aux naissances et aux
décès ont singulièrement changé. On s'était arrêté long-temps aux
rapports 28 : 1 pour exprimer celui de la population aux naissances :
au rapport 30 : I pour exprimer celui de la population aux décès.
D'après l'excellent travail d'économie politique de M. Villermé , on
trouve pour la France entière , d'après les résultats moyens de
1817-21 qu'il y a 1 naissance sur 31 et 1 décès sur 399 Ces
résultats sont entièrement conformes à ceux qu'a obtenus l'auteur
d'un savant mémoire sur la population en France , inséré dans le
tom . xxv de la Revue encyclopédique ( mars 1825 ). Le rapport de la
population entière de la France à l'accroissement annuel est comme
157 : 1 ou de 193,000 individus. En supposant que ce rapport se
soutienne, on trouve que le taux de l'accroissement annuel est de
0.0063 et que la population sera doublée en 109 ans ; mais les pro
CHAPITRE IV. 317

grès de la population réagissent sur les causes qui les produisent , les
affaiblissent graduellement et finissent par les détruire. L'accroisse
ment de la population qu'on a cru par erreur long-temps en France
0,003 est aujourd'hui près du double : il est en Amérique , où le re
doublement se fait presque en 24 ans , de près de 3 pour cent ,
plus précisément d'après l'expérience des progrès de 1810-1820
de 0,02915 . Car la population totale des États-Unis était , en 1810 ,
de 7,239,903 ; en 1820 , de 9,649,999 ; la population des esclaves
était, pour ces deux époques, 1,191,364 et 1,623,124. Le taux de
l'accroissement des esclaves est 0,02611.
Si l'on connaissait avec exactitude les rapports de la population
aux naissances et aux décès dans une vaste étendue de pays , sous
les climats chauds , tempérés et froids du Mexique , il serait facile
de juger de l'accroissement que doit avoir eu le nombre des habi
tans depuis les travaux imparfaits tentés en 1793. Mais les données
que je dois à M. l'Archevêque de Mexico sont trop peu nombreuses
pour en tirer des résultats moyens applicables au pays entier. Ce
n'est que par induction que l'on peut approcher de la vérité. Je crois
avoir prouvé d'après des données positives , qu'en 1804 la popu
lation de l'ancienne vice- royauté de la Nouvelle - Espagne en y
comprenant les Provincias internas et le Yucatan (mais non la capi
tania général de Guatimala) renfermait pour le moins 5,840,000 ha
bitans dont 2 millions d'indigènes de race cuivrée , I million d'espa
gnols mexicains et 75,000 européens. J'énonçais même qu'en 1808
la population devait approcher de 6 millions dont deux ou trois cin
quièmes ou 3,250,000 Indiens. Les mouvemens politiques par les
quels les intendances de Mexico , de Vera- Cruz , de Valladolid et
de Guanaxuato ont été agitées , ont retardé sans doute les progrès de
cet accroissement annuel de la population mexicaine , progrès qui ,
lors de mon séjour dans le pays , étaient peut-être de 150,000. Les
recherches faites dans le pays même ont récemment prouvé que les
évaluations auxquelles je me suis arrêté , il y a douze ans , ne s'é
loignent pas beaucoup de la vérité. Don Francisco Navarro y No
riega a publié à Mexico un résultat d'un travail étendu sur le
nombre des curatos y missiones du Mexique ; il évalue , en 1810 , la
population du pays 6,128,000. ( Catalogo de los curatos que tiene la
Nueva España , 1813 , p. 38 ; et Rispuesta de un Mexicano al nº 200
318 LIVRE II ,

del Universal, p. 7.) Le même auteur , que son emploi dans les
finances (Contador de los ramos de arbitrios ) met en état d'examiner
les données statistiques sur les lieux mêmes , pense ( Memoria sobre
la poblacion de Nueva España , Mexico 1814 ; et Semanario politico y
literario de la Nueva España , nº 20 , p. 94 ) qu'en 1810 , la population
de la Nouvelle-Espagne , sans y comprendre les provinces de Guati
mala, se composait des élémens suivans :

1,097,928 Européens et Espagnols américains.


3,676,281 Indiens .
1,338,706 Castes ou races mixtes.
4,229 Ecclésiastiques séculiers.
3,112 Ecclésiastiques du clergé régulier.
2,098 Religieuses.

6,122,354

J'incline à croire que la Nouvelle -Espagne a aujourd'hui près de


sept millions d'habitans. C'est aussi l'opinion d'un prélat respectable,
l'archevêque de Mexico , Don Jose de Fonte qui a parcouru une
partie considérable de son diocèse , et que j'ai eu l'honneur de revoir
récemment à Paris. L'évaluation du nombre des Indiens de race
pure ( 3,676,000 ) est un des résultats les plus importans du tra
vail de M. Navarro. Il paraît mériter d'autant plus de confiance que
l'auteur a été employé fort long-temps dans une branche d'adminis
tration qui le mettait en état d'examiner les registres des tributaires
indiens. On compte dans toute la Nouvelle- Espagne ( Catalogo de los
curatos y missiones 1813 , p. 39 ) près de 1500 fonts baptismaux (pilas
bautismales) savoir : 1073 de curatos , 157 de missiones et 270 des
paroquias auxiliares ou vicarias , de sorte qu'à chaque baptistère cor
respondent plus de 4000 individus , lorsque en Espagne , où les
paroisses sont plus petites , chacune d'elles ne compte pas 600 indi
vidus de tout âge et de tout sexe. A la réunion du premier con
grès mexicain on a fixé les élections d'après un tableau statistique
que je vais consigner ici , dont les élémens ont été tirés de celui que
j'ai publié dans le huitième chapitre de l'Essaipolitique.
CHAPITRE IV. 319

ÉTENDUE
ÉTATS DE LA CONFÉDÉRATION POPULATION. en
MEXICAINE. LIEUES CARRÉES.

MEXICO. 1,300,000 5,926


XALISCO.. 650,000 9,612
ZACATECAS.. 250,000 2,225
SAN LUIS POTOSI. 180,000 2,357
VERA-CRUZ. 174,000 4,141
PUEBLA. 750,000 2,696
OAXACA. 600,000 4,447
GUANAXUATO. 500,000 911
MICHOUCAN. 400,000 3,446
QUERETARO. 180,000 5,193
TAMAULIPAS.. 70,000
INTERNO DEL Norte. 240,000 5,977
YUCATAN.. 500,000 19,143
INTERNO DE OCCIDENTE. 170,000 20,271
INTERNO DE oriente. 110,000 D
TLASCALA. 70,000 »
TABASCO. 60,000
6,204,000

Cette pièce officielle , qui cependant ne se fonde pas sur un dé N


nombrement nouveau , comprend 6,204,000 habitans, sans les deux
territoires de Colima et des Californies. Les surfaces sont copiées de
mon tableau statistique , les populations sont celles du même tableau ,
modifiées un peu pour les ramener à une époque plus moderne. En
admettant sur la fin de 1823 une population de 6,800,000 , on peut
évaluer les Indiens à 3,700,000 ; les races mixtes à 1,860,000 ; les
blancs à 1,230,000 ; les nègres au plus à 10,000. Ce ne sont , je le
répète , que des résultats approximatifs , des nombres limités pour les
minima. Les doutes ne pourront disparaître que lorsque le gouver
nement aura trouvé les moyens de faire un dénombrement exact,
et ce qui est surtout très important , de constater les rapports de la
population aux naissances et aux décès dans les différentes régions
(tierra caliente, templada y fria ) du Mexique. Je consignerai à la fin
de ce chapitre cinq tableaux dans lesquels j'ai considéré la popula
tion américaine sous les rapports de la différence des castes , des
races , des cultes et des idiomes.
320 LIVRE 11 ,

DISTRIBUTION DES RACES DANS L'AMÉRIQUE


CONTINENTALE ET INSULAIRE.
1° BLANCS.
Amérique Espagnole... 3,276,000
Antilles sans Cuba , Portorico
et la Marguerite.. 140,100
Bresil.. 920,000
États-Unis. 8,575,000
Canada... 550,000
Guyanes Anglaise , hollandaise
et française. 10,000
13,471,000
2 INDIENS.
Amérique espagnole. 7,530,000
Bresil Indiens enclavés du Rio
Negro , du Rio Branco et de
l'Amazone. 260,000
Indiens indépendans à l'est et à
l'ouest des Montagnes Ro
cheuses , sur les frontières du
Nouveau-Mexique , des Mos
quitos , etc. , etc. . 400,000
Indiens indépendans de l'Amé
rique du Sud.. 420,000
8,610,000
3 NÈGRES.
Antilles avec Cuba et Portorico. 1,960,000
Amérique espagnole du Conti
nent. 387,000
Bresil. 1,960,000
Guyanes angl. , holl. et franç. 206 000
États-Unis. 1,920,000
6,433,000
4° RACES MÉLANGÉES.
Amérique espagnole. 5,328,000
Antilles sans Cuba , Portorico
et la Marguerite.. 190,000
Bresil et États-Unis. 890,000
Guyanes angl. , holl. et franç. 20,000
6,428,000
RÉCAPITULATION.
Blancs.. 13,471,000 ou 38 p. e.
Indiens. 8,610,000 25
Nègres. 6,433,000 19
Races mixtes. 6,428,000 18
34,942,000
CHAPITRE IV. 321

RAPPORT DES RACES DANS L'AMÉRIQUE ESPAGNOLE.

I'INDIGÈNES (INDIENS , HOMMES ROUGES , RACE CUIVRÉE AMÉRICAINE ,


OU PRIMITIVE , SANS MÉLANGE de blanc et de NÈGRE. )
Mexique. 3,700,000
Guatimala. 880,000
Colombia.. 720,000
Pérou et Chili. 1,030,000
Buenos-Ayres avec les pro
vinces de la Sierra. 1,200,000
7,530,000
2 BLANCS ( EUROPÉEns et descendans d'EUROPÉENS , SANS MÉLANGE
DE NÈGRE ET D'INDIEN , LA PRÉTENDUE RACE DU CAUCASE. )
Mexique. 1,230,000
Guatimala. 280,000
Cuba et Portorico. 339,000
Colombia.. 642,000
Pérou et Chili. 465,000
Buenos-Ayres.. 320,000
3,276,000
3 ' NÈGRES (RACE AFRICAINE , SANS MÉLANGE DE BLANC OU D'INDIEN ;
NOIRS LIBRES ET ESCLAVES . )
Cuba et Portorico . . 389,000
Continent.... 387,000
776,000
4 RACES MÉLANGÉES DE Noir " BLANC ET INDIEN ( MULATRES ,
MESTIZOS , ZAMBOS ET MÉLANGe des mélanges. )
Mexique. 1,860,000
Guatimala. 420,000
Colombia.. 1,256,000
Pérou et Chili.. 853,000
Buenos - Ayres. 742,000
Cuba et Portorico . 197,000
5,328,000
RÉCAPITULATION D'APRÈS LA PRÉPONDÉRANCE DES RACES.
Indiens. 7.530,000 ou 45 p . c.
Races mélangées. 5,328,000 32
Blancs.. 3,276,000 19
Noirs , race africaine. 776,000 4
16,910,000
I. 21
322 LIVRE II ,

POPULATION NOIRE DE L'AMÉRIQUE CONTINENTALE


ET INSULAIRE.

1° NÈGRES ESCLAVES.
Antilles, Amérique insulaire. • 1,090,000
Etats-Unis. 1,650,000
Bresil. 1,800,000
Colonies espagnoles du Continent 307,000
Guyanes anglaise , hollandaise et
française. 200,000
5,047,000
2º NÈGRES LIBRES.
Haïti et les autres Antilles..
États -Unis. 870,000
270,000
Bresil , peut-être. 160,000
Colonies espagnoles du Continent 80,000
Guyanes anglaise , hollandaise et
française.
6,000
1,386,000
RÉCAPITULATION.
NOIRS SANS MÉLANGE , PAR CONSÉQUENT EN EXCLUANT LES
MULATRES.
5,047,000 esclaves 79 p. c.
1,386,000 libres 21
6,433,000
CHAPITRE IV. 323

DISTRIBUTION DE LA POPULATION TOTALE DE L'AMÉ.


RIQUE , D'APRÈS LA DIVERSITÉ DES CULTES,

I. CATHOLIQUES ROMAINS. 22,486,000


a. Amérique espagnole continen
tale. 15,985,000
Blancs.. 2,937,000
Indiens . 7,530,000
Races mixtes et
Nègres . .. 5,518,000
15,985,000
b. Amérique portugaise. 4,000,000
c. États - Unis , Bas - Canada et
Guyane française.. 537,000
d. Haïti , Cuba , Portorico , Antil
les françaises. 1,964,000
22,486,000
II. PROTESTANS. 11,636,000
a. États-Unis.. 10,295,000
b. Canada anglais , Nouvelle
Écosse , Labrador. 260,000
c. Guyanes anglaise et hollandaise 220,000
d. Antilles anglaises. .. 777,000
e. Antilles hollandaises , danoi
ses, etc. 84,000
11,636,000
iii. Indiens indépendans , non chrétiens . 820,000
34,942,000

21.
324 LIVRE II ,
PRÉPONDÉRANCE DES LANGUES DANS LE NOUVEAU
CONTINENT.
12 LANGUE ANGLAISE.
États- Unis . 10,525,000
Haut- Canada , Nouvelle-Ecosse,
New-Brunswick... 260,000
Antilles et Guyane anglaise .. 862,000
11,647,000
2° LANGUE ESPAGNOLE.
Amérique espagnole , savoir :
Blancs. 3,276,000
Indiens.. 1,000,000
Races mixtes et négres. 6,104,000
Partie espagnole d'Haïti. 124,000
10,504,000
3º LANGUEs indiennes.
Amérique espagnole et portu
gaise, y compris les tribus in
dépendantes... 7,593,000
40 LANGUE PORTUGAISE.
Bresil.. 3,740,000
5° LANGUE FRANÇAISE .
Haïti. 696,000
Antilles dépendantes de la Fran
ce: Louisiane et Guyane franç. 256,000
Bas-Canada. 290,000
1,242,000
6º LANGUES HOLLANDAISE, DANOISE, SUÉDOISE
ET RUSSE.
Antilles.. 84,000
Guyane.. 117,000
Russes de la côte N.-O. 15,000
216,000
RÉCAPITULATION.
Anglaise. • 11,647,000
Espagnole. 10,504,000
Indienne. 7,593,000
Portugaise. 3,740,000
Française. 1,242,000
Holl . Dan. Suéd. 216,000
34,942,000
Langues de l'Europe latine... 15,486,000 langues européennes
Langues des races germaniques 11,863,000 27,349,000
Langues Indiennes. 7,593,000
CHAPITRE IV. 325

Je n'ai pas fait mention séparément de l'allemand


du gâle ( irlandais ) et du basque , parce que les in
dividus d'ailleurs très nombreux qui conservent la
connaissance de ces trois belles langues mères , savent
en même temps l'anglais ou le castillan . Le nombre
d'individus qui parlent usuellement les langues in
diennes , est dans ce moment au nombre d'individus

qui se servent des langues d'Europe comme i est à


32/5. Par l'accroissement plus rapide de la popula
tion aux États-Unis , les langues du rameau germa
nique vont gagner insensiblement , dans le rapport
numérique total , sur les langues de l'Europe latine ,
mais ces dernières se répandront en même temps ,
par l'effet de la civilisation croissante des peuples des
races espagnole et portugaise, dans les villages indiens ,
dont à peine un vingtième de la population entend
quelques mots de castillan ou de portugais. Je crois
qu'il existe encore plus de sept millions et demi d'in
digènes , en Amérique , qui ont conservé l'usage de
leurs propres langues et qui ignorent presque entiè
rement les idiomes européens . Telle est aussi l'opi
nion de monseigneur l'archevêque de Mexico et de
plusieurs ecclésiastiques très respectables , qui ont
long-temps habité le Haut-Pérou , et que j'ai pu con
sulter à ce sujet . Le petit nombre d'Indiens ( un mil
lion peut-être ) , qui ont entièrement oublié les lan
gues indigènes , habite les grandes villes et les villages
très populeux qui entourent ces villes . Parmi les in
dividus qui parlent français dans le Nouveau- Conti
326 LIVRE II,

nent, on trouve plus de 700,000 nègres de race afri


caine , circonstance qui , malgré les efforts très loua
bles du Gouvernement haïtien pour l'instruction po

pulaire , ne contribue pas à maintenir la pureté du


langage. On peut admettre qu'en général , dans l'Amé
rique continentale et insulaire , il y a , sur 6,223,000
noirs , plus d'un tiers ( au moins 2,360,000 ) , qui
parlent anglais , plus d'un quart qui parlent portu
gais , et un huitième qui parlent français.
Ces tableaux de la population américaine , consi
dérée sous les rapports de la différence des cultes , des
langues et des idiomes , se composent d'élémens très
variables : ils représentent approximativement l'état
de la société américaine. Dans un travail de ce genre ,

il ne s'agit que des masses : les évaluations partielles


ne pourront acquérir qu'avec le temps une précision
plus rigoureuse. La langue des chiffres , seuls hiéro
glyphes qui se sont conservés parmi les signes de la
pensée , n'a pas besoin d'interprétation . Il y a quelque
chose de grave et de prophétique dans ces inventaires
du genre humain tout l'avenir du Nouveau-Monde

y semble inscrit.
CHAPITRE v . 1 327

CHAPITRE V.

MALADIES QUI ARRÊTENT PÉRIODIQUEMENT LE PROGRÈS


DE LA POPULATION. ―――――― PETITE-VÉROLE NATURELLE ET
! INOCULÉE. - VACCINE. - MATLAZAHUATL. -DISETTE. •
SANTÉ DES MINEURS.

Il nous reste à examiner les causes physiques qui


arrêtent presque périodiquement l'accroissement de la
population mexicaine. Ces causes sont la petite-vérole,
la maladie cruelle que les indigènes appellent matla
zahuatl, et surtout la disette , dont les effets se font
sentir pendant long-temps.

La petite-vérole , introduite depuis l'année 1520 ,


ne paraît exercer ses ravages que tous les dix-sept à
dix-huit ans. Dans les régions équinoxiales , elle a ,
comme le vomissement noir et comme plusieurs autres
maladies , ses périodes fixes auxquelles elle est assez
régulièrement assujétie. On dirait que , dans ces con
trées , la disposition pour de certains miasmes ne se
renouvelle dans les indigènes qu'à des époques assez
éloignées les unes des autres ; car , quoique les vais
seaux qui arrivent d'Europe introduisent souvent de
nouveau le germe de la petite-vérole , elle ne devient
328 LIVRE II ,

pourtant épidémique qu'après des intervalles de temps


très marqués ; circonstance singulière qui rend le mal
d'autant plus dangereux pour les adultes. La petite
vérole a fait des ravages terribles en 1763 , et surtout
en 1779 : dans cette dernière année , elle enleva , dans
la capitale du Mexique seule , plus de neuf mille per
sonnes ; des tombereaux passaient tous les soirs dans
les rues pour recevoir les cadavres , comme cela se
pratique à Philadelphie à l'époque de la fièvre jaune :
une grande partie de la jeunesse mexicaine fut mois
sonnée dans cette année fatale.

L'épidémie de 1797 fut moins meurtrière , à cause


du zèle avec lequel l'inoculation se trouvait propa
gée en même temps dans les environs de Mexico et
dans l'évêché de Mechoacan . La capitale de ce der

nier évêché , Valladolid , ne perdit de 6800 indivi


dus inoculés , que 170 , ou deux et demi sur cent ;
et encore faut-il observer que plusieurs de ceux qui
périrent , avaient été inoculés dans un moment où
probablement ils étaient déjà attaqués du mal par l'effet
de la contagion naturelle. La mort enleva quatorze sur
cent des individus de tout àge qui , sans avoir été ino
culés , furent victimes de la petite-vérole naturelle .
Plusieurs particuliers , parmi le clergé surtout , ont
déployé à cette époque un patriotisme très louable ,
en arrêtant le progrès de l'épidémie par l'inoculation .
Je meborne à nommer deux hommes également éclairés,
M. de Reaño , intendant de Guanaxuato , et Don Ma
nuel Abad , chanoine pénitencier de la cathédrale de
CHAPITRE V.. 329

Valladolid , dont les vues généreuses et désintéressées


ont été constamment dirigées vers le bien public . On
inocula alors , dans le royaume , au-delà de cinquante
à soixante mille individus .

Mais depuis le mois de janvier 1804 , la vaccine


même a été introduite au Mexique , grâce à l'activité
d'un citoyen respectable , Don Thomas Murphy , qui ,
à plusieurs reprises , en a fait venir le virus de l'Amé
rique septentrionale. Cette introduction a trouvé peu
d'obstacles ; la vaccine ne se présenta que sous l'as

pect d'une maladie très légère , et l'inoculation de la


petite-vérole avait déjà accoutumé les Indiens à l'idée
qu'il pouvait être utile de se donner un mal passager
pour se garantir de l'effet d'un mal plus grave. Si le
préservatif de la vaccine ou du moins l'inoculation
ordinaire eussent été connus dans le Nouveau- Monde

depuis le seizième siècle , plusieurs millions d'Indiens


n'auraient pas péri victimes de la petite-vérole , et
surtout du traitement déraisonnable par lequel on est
parvenu à rendre cette maladie si dangereuse. C'est
elle qui a diminué , d'une manière si effrayante , le
nombre des indigènes de la Californie.
Des vaisseaux de la marine royale destinés à porter
la vaccine dans les colonies de l'Amérique et de l'Asie ,
sont arrivés à la Vera- Cruz peu de temps après mon
départ. Don Antonio Valmis , médecin en chef de
cette expédition , a visité Portorico , l'île de Cuba , le
Mexique et les îles Philippines ; son séjour au Mexi
que , où avant son arrivée on connaissait déjà la
330 LIVRE II ,

vaccine , a facilité singulièrement la propagation de


ce préservatif bienfaisant . Dans les principales villes
du royaume , il s'est formé des comités de vaccine

juntas centrales ) , composés des personnes les plus


(
éclairées , qui , en faisant vacciner de mois en mois ,
veillent à ce que le miasme de la vaccine ne se perde
pas. Il se perdra d'autant moins , qu'il existe dans le
pays même ; M. Valmis l'a découvert dans les environs
de Valladolid et dans le village d'Atlisco , près de la
Puebla , aux pis des vaches mexicaines . La commis
sion ayant rempli les vues bienfaisantes du roi d'Es
pagne , on peut se flatter de l'espoir que , par l'in
fluence du clergé , et surtout par celle des religieux
missionnaires , on parviendra peu à peu à introduire
la vaccination jusque dans l'intérieur des terres. Aussi
ce voyage de M. Valmis restera-t-il à jamais mémo
rable dans les annales de l'histoire. Les Indes , pour la

première fois , ont vu ces mêmes vaisseaux , qui ne


renferment que les instrumens du carnage et de la
mort , porter à l'humanité souffrante le germe du
soulagement et de la consolation !

L'arrivée des frégates armées sur lesquelles M. Val


mis a parcouru l'Océan Atlantique et la Mer du Sud,
a donné lieu , sur plusieurs côtes , à une cérémonie re
ligieuse des plus simples , et par cela même des plus
touchantes. Les évêques , les gouverneurs militaires ,
les personnes les plus distinguées par leur rang , se
rendaient au rivage ; ils prenaient dans leurs bras les
enfans qui devaient porter le vaccin aux indigènes de
CHAPITRE V. 331

l'Amérique et à la race malaie des îles Philippines.


Suivis des acclamations publiques , plaçant aux pieds
des autels ces dépôts précieux d'un préservatif bienfai
sant , ils rendaient grâce à l'Etre Suprême d'avoir été

témoins d'un événement si heureux. En effet , il faut


connaître de près les ravages que la petite-vérole exerce
sous la zone torride , et surtout parmi une race d'hom
mes dont la constitution physique semble contraire
aux éruptions cutanées , pour sentir combien la décou
verte de M. Jenner est plus importante encore pour la
partie équinoxiale du Nouveau-Continent qu'elle ne l'a
été pour la partie tempérée de l'Ancien.

Il sera utile de consigner ici un fait important pour


ceux qui s'occupent de l'histoire de la vaccination.
Jusqu'au mois de novembre de l'année 1802 , la vac
cine était inconnue à Lima. A cette époque régnait la
petite-vérole sur les côtes de la Mer du Sud . Le bâti
ment marchand Santo Domingo de la Calzada , relâ
cha à Lima , dans sa traversée d'Espagne à Manille .
Un particulier de Cadiz avait eu le bon esprit d'en
voyer, par ce bâtiment , le vaccin aux îles Philippines.
Profitant de cette occasion favorable , M. Unanue ,
professeur d'anatomie à Lima , et auteur d'un excellent
traité physiologique sur le climat du Pérou * , vaccina

plusieurs individus au moyen du virus qu'avait porté le

Cet ouvrage prouve une connaissance intime de la littérature


francaise et anglaise ; il a pour titre : Observaciones sobre el clima
de Lima y susinfluencias en los seres organizados , en especial el hombre ,
por el Dr. D. Hipolito Unanue. Lima, 1806.
332 LIVRE II ,

bâtiment marchand . On ne vit naître aucune pustule :


le virus paraissait altéré ou trop faible. Cependant ,.
M. Unanuc observa que les personnes vaccinées avaient
toutes une petite-vérole singulièrement bénigne et il
se servit de ce venin variolique pour tâcher de rendre ,
par l'inoculation ordinaire , l'épidémie moins funeste.
Il reconnut ainsi , par une voie indirecte , les effets
d'une vaccination que l'on avait cru manquée.
C'est dans le cours de cette même épidémie , en
1802 , qu'un hasard fit découvrir que , depuis long
temps , l'effet bienfaisant de la vaccine était connu aux
gens de la campagne dans les Andes péruviennes . On
avait inoculé la petite-vérole , dans la maison du mar
quis de Valleumbroso , à un nègre esclave : il n'eut
aucun symptôme de la maladie . On voulut répéter
l'inoculation , lorsque le jeune homme déclara qu'il
était bien sûr de ne jamais prendre la petite-vérole ,
parce que en trayant les vaches dans la Cordillère des

Andes , il lui était venu une sorte d'éruption cuta


née , causée , au dire d'anciens pâtres indiens , par le

contact de certains tubercules que l'on trouve au pis


des vaches. Ceux qui ont eu cette éruption , disait
le nègre , n'ont jamais la petite-vérole . Les Africains ,
et surtout les Indiens , ont une grande sagacité pour
observer le caractère , les mœurs , les maladies des ani
maux avec lesquels ils vivent habituellement. Il ne faut
donc pas s'étonner que , dès l'introduction des bêtes à

cornes dans l'Amérique , le bas peuple ait remarqué


que les boutons que l'on trouve sur les pis des vaches ,
CHAPITRE V. 333

communiquent aux pâtres une sorte de petite-vérole


bénigne , et que ceux qui l'ont eue , échappent à la con
tagion générale à l'époque des grandes épidémies.
Le matlazahuatl , maladie particulière à la race

indienne , ne paraît presque se montrer que de siècle


en siècle ; il a surtout sévi en 1545 , en 1576 et en 1736 :
les auteurs espagnols le nomment une peste. L'épidé
mie la plus récente ayant eu lieu à une époque où, dans
la capitale même , la médecine n'était pas considéréc

comme une science , nous manquons de renseignemens


exacts sur le matlazahuatl. Il a , sans doute , quelque
analogie avec la fièvre jaune ou avec le vomissement
noir; mais il n'attaque pas les hommes blancs * , soit
européens , soit descendans des indigènes. Les indi
vidus de race européenne ne paraissent pas exposés à ce
typhus mortel , tandis que , d'un autre côté , la fièvre
jaune ou le vomissement noir n'attaque que très ra
rement les Indiens mexicains. Le site principal du vo
mitoprieto est la région maritime , dont le climat est
excessivement chaud et humide. Le matlazahuatl,

au contraire , porte l'épouvante et la mort jusque dans


l'intérieur du pays , sur le plateau central , aux régions
les plus froides et les plus arides du royaume.

* Lorsque les premiers puritains débarquèrent , en 1614 , à la Nou


velle-Angleterre par Santander , une colonie européenne , une peste
dans laquelle les mourans jaunissaient , enleva les de la population
indigène du Massachusets ; les étrangers ( Richard Vines et ses com
pagnons , ne furent pas attaqués de ce matlazahuatl de l'Amérique
du nord. Ce fait me parait bien digne d'attention. ( Morse and Parish ,
Hist. ofNew-England , 1820 , p. 59.)
334 LIVRE II,

Le père franciscain Torribio , plus connu sous son


nom mexicain de Motolinia , assure que la petite-vérole
introduite en 1520 par un nègre , esclave de Narvaez ,
enleva la moitié des habitans du Mexique . Torquemada

avance l'opinion hasardée que dans les deux épidémies


du matlazahuatl , de 1545 et 1576 , il mourut , dans
la première 800,000 , dans la dernière 2,000,000
Indiens. Si l'on réfléchit sur la difficulté avec la

quelle on évalue aujourd'hui même , dans la partie


orientale de l'Europe , le nombre de ceux qui meurent
victimes de la peste , on doute , avec raison , qu'au
seizième siècle les deux vice-rois Mendoza et Almanza,
qui gouvernèrent un pays récemment conquis , aient
pu se procurer le dénombrement des Indiens mois
sonnés par le matlazahuatl. Je n'accuse pas de manque
de véracité les deux moines historiens ; mais il est peu
probable que leur calcul se fonde sur des données
exactes.

Il existe un problême intéressant à résoudre. La


peste , que l'on dit avoir désolé de temps en temps les
régions atlantiques des États-Unis avant l'arrivée des
Européens , et que le célèbre Rush et ses sectateurs
regardent comme le principe de la fièvre jaune , au
rait-elle été identique avec le matlazahuatl des Indiens
mexicains ? On peut espérer que cette dernière mala
die , au cas qu'elle reparaisse dans la Nouvelle - Espagne ,
y sera désormais observée avec soin par les médecins .
Un troisième obstacle qui s'oppose au progrès de la
population de la Nouvelle- Espagne , et peut-être le
CHAPITRE V. 335

plus cruel de tous , est la famine. Les Indiens améri


cains , comme les habitans de l'Indoustan , sont accou
tumés à se contenter de la moindre quantité d'ali
mens qu'exige le besoin de la vie ; ils augmentent en
nombre , sans que l'accroissement des moyens de subsi
stance soit proportionel à cette augmentation de po
pulation . Indolens par caractère , et surtout à cause
de la position dans laquelle ils se trouvent sous un beau
climat , sur un sol généralement fertile , les indigènes
ne cultivent , en maïs , en pommes de terre et en fro
ment , que ce qu'il leur faut pour leur propre nour

riture , ou tout au plus ce que requiert la consomma


tion des villes et celle des mines les plus voisines . Il est
vrai que les progrès de l'agriculture ont été très mar
quans depuis vingt ans ; mais la consommation a aussi

augmenté extraordinairement par l'accroissement de


la population , par un luxe effréné et inconnu autre
fois aux castes de sang mêlé , et par l'exploitation
d'un grand nombre de nouveaux filons , exploitation
qui exige des hommes , des chevaux et des mulets. Les
manufactures , sans doute , n'occupent que très peu

de bras dans la Nouvelle-Espagne ; mais il y en a un


grand nombre de soustraits à l'agriculture par la né
cessité de transporter , à dos de mulet , les marchan
dises , les produits des mines , le fer , la poudre et le
mercure , depuis la côte jusqu'à la capitale , et delà
aux mines , sur le dos des Cordillères .
Des milliers d'hommes et d'animaux passent leur vie
sur les grandes routes entre la Vera-Cruz et Mexico ,
336 LIVRE JI,

entre Mexico et Acapulco , entre Oaxaca et Durango ,


et les chemins de traverse par lesquels on porte des
provisions aux usines établies dans des régions arides
et incultes . Cette classe d'habitans , que les écono
mistes désignent , dans leur système , par la dénomi
nation de stérile et de non-productive , est par consé
quent plus grande en Amérique qu'on ne devrait s'y
attendre dans un pays où l'industrie manufacturière
est encore si peu avancée. Le manque de proportion
qui existe entre les progrès de la population et l'ac
croissement de la quantité d'alimens produite par la
" culture , renouvelle le spectacle affligeant de la famine
chaque fois qu'une grande sécheresse ou quelque autre
cause locale a gâté la récolte du maïs. La disette des

vivres a été accompagnée , de tout temps et dans


toutes les parties du globe , des épidémies les plus fu
nestes à la population . En 1784 , le manque de nour
riture causa des maladies asthéniques parmi la classe
la plus indigente du peuple. Ces calamités réunies
moissonnèrent un grand nombre d'adultes , et surtout
d'enfans ; on compta que , dans la ville et dans les

mines de Guanaxuato , il périt plus de 8000 individus.


Un phénomène météorologique très frappant contri
bua surtout à cette disette le maïs , après avoir
éprouvé une sécheresse extraordinaire , gela , par l'effet
du rayonnement contre un ciel très pur , dans la nuit
du 28 août , à 1800 mètres de hauteur. On évalua à
plus de 300,000 le nombre d'habitans que cette réu
nion fatale de disette et de maladies enleva sur toute
CHAPITRE V. 337

la surface du royaume. Ce nombre paraîtra moins exa


géré, si l'on se rappelle qu'en Europe même la disette
diminue quelquefois la population , dans une seule an
"
née , plus que l'excédant des naissances sur les morts ne
l'augmente pendant quatre années consécutives. La

Saxe , par exemple , a vu périr , en 1772 , près de


66,000 habitans , tandis que l'excédant des naissances
sur les décès n'y a pas été , année commune , depuis
1764 jusqu'à 1784 , au-delà de 17,000 individus.
Les effets de la famine sont communs à presque

toutes les régions équinoxiales. Dans l'Amérique méri


dionale , dans la province de la Nouvelle-Andalousie ,
j'ai vu des villages dont les habitans , forcés par la fa
mine , se dispersent de temps en temps dans les régions
incultes pour y chercher de la nourriture parmi les

plantes sauvages. Les missionnaires emploient inuti


lement leur autorité pour empêcher cette dispersion .
Dans la province de los Pastos , les Indiens manquant
de pommes de terre , qui sont leur nourriture princi
pale , se réfugient quelquefois sur le dos le plus élevé
de la Cordillère pour se nourrir de la moëlle des achu
pallas , plante voisine du genre Pitcarnia . Les Oto
maques à Uruana , sur les bords de l'Orénoque , avalent
pendant plusieurs mois de la terre glaise , pour absor
ber le suc gastrique et pancréatique , dont la terre
glaise excite la secrétion abondante , et pour assouvir
ainsi la faim qui les tourmente * . Dans les îles de

Voyez mes Tableaux de la Nature, tome 1 , pages 62, 191, et 209,


et Relations historiques , chap. xxtv , pag. 609 — 620.
I. 22
338 LIVRE II ,

la Mer du Sud , sur un sol fertile , au sein d'une grande


et belle nature , la famine porte les habitans à l'an
thropophagie la plus cruelle. Sous la zone torride, où
une main bienfaisante semble avoir répandu le germe
de l'abondance , l'homme insouciant et phlegmatique

éprouve périodiquement un manque de nourriture que


l'industrie des peuples cultivés éloigne des régions les
plus stériles du nord.
On a regardé long-temps le travail des mines comme
une des causes principales de la dépopulation de l'Amé
rique. Il serait difficile de révoquer en doute qu'à la
première époque de la conquête , et même encore au
dix-septième siècle , beaucoup d'Indiens succombèrent
au travail excessif auquel on les força dans les mines ;
ils périrent sans laisser de postérité , semblables à ces
milliers d'esclaves africains qui sont moissonnés an
nuellement dans les plantations des îles Antilles , affai
blis par le défaut de nourriture et de sommeil. Au

Pérou , du moins dans la partie la plus méridionale ,


la campagne est dépeuplée par le travail des mines ,
parce qu'il y existe encore aujourd'hui ( 1804 ) la
Mita , loi barbare qui force l'Indien de quitter ses
foyers et de se transporter dans des provinces éloi
gnées où l'on manque de bras pour exploiter les ri
chesses souterraines . Mais ce n'est pas autant le tra
vail , que le changement subit de climat , qui rend la
Mita si pernicieuse pour la conservation des Indiens.
Cette race d'hommes n'a point la flexibilité d'organi
sation qui distingue l'Européen . La santé de l'homme
CHAPITRE V. 339

cuivré souffre infiniment lorsqu'on le transporte d'un


climat chaud dans un climat froid , surtout lorsqu'on
le force de descendre , du haut de la Cordillère , dans
ces vallons étroits et humides où paraissent se déposer
tous les miasmes des régions voisines.
Dans le royaume de la Nouvelle-Espagne , du moins
depuis trente ou quarante ans , le travail des mines est
un travail libre ; il n'y existe pas de trace de Mita ,
quoiqu'un auteur justement célèbre , Robertson * , ait

avancé le contraire. Nulle part le bas peuple ne jouit

plus parfaitement du fruit de ses fatigues que dans les


mines du Mexique ; aucune loi ne force l'Indien de

choisir ce genre de travail ou de préférer telle exploi


tation à telle autre. Mécontent du propriétaire d'une
mine , l'Indien l'abandonne pour offrir son industrie à
un autre qui paie plus régulièrement ou en argent
comptant. Ces faits exacts et consolans sont peu con
nus en Europe. Le nombre des personnes employées
dans les travaux souterrains , et divisées en plusieurs
classes ( Barenadores , Faeneros , Tenateros , Bare
teros ) , ne s'élève pas , dans tout le royaume de la
Nouvelle-Espagne , à 30,000 . Par conséquent , il n'y
a que de toute la population qui soit immédiate
ment occupé de l'exploitation des richesses métalliques.
En général , la mortalité parmi les mineurs du
Mexique n'est pas beaucoup plus grande que celle
que l'on observe parmi les autres classes du peuple,

* Robertson , Hist. of America , tome 11 , page 373.


22.
340 LIVRE II ,

Il est facile de s'en convaincre en examinant les listes

des décès formées dans les différentes paroisses de


Guanaxuato et de Zacatecas . Ce phénomène est d'autant
plus frappant , que le mineur , dans plusieurs de ces
mines , est exposé à une température qui est de 6º
plus élevée que les températures moyennes de la Ja
maïque et de Pondichéry. J'ai trouvé le thermomètre

centigrade à 34° au fond de la mine de Valenciana (en


los planes ) , à la grande profondeur perpendiculaire
de 513 mètres , tandis que près du puits on voit bais
ser , à l'air libre , le même thermomètre en hiver jus
qu'à 4° ou 5º au-dessus de zéro . Le mineur mexicain
y résiste , par conséquent , à une différence de tempé
rature de plus de 30 ° . Mais cette énorme chaleur de
la mine de Valenciana n'est pas l'effet du grand nombre
d'hommes et de lumières réunis dans un petit espace :

elle tient à des causes géologiques que nous examine


rons dans un autre endroit.
Il est curieux d'observer comment les Métis et les

Indiens qui sont employés à porter le minerai sur leur


dos , et que l'on désigne sous le nom de Tenateros,
restent chargés continuellement , pendant six heures ,
d'un poids de 225 à 350 livres , étant exposés en même
temps à une température très élevée , et montant huit
ou dix fois de suite , sans se reposer , des escaliers de
1800 gradins . L'aspect de ces hommes laborieux et ro
bustes aurait pu faire changer d'opinion aux Raynal ,
aux Pauw et à ce grand nombre d'auteurs , d'ailleurs
estimables, qui se sont plu à déclamer sur la dégéné
CHAPITRE V. 341

ration de notre espèce dans la zone torride. Dans les


mines mexicaines , des enfans de dix à douze ans por
tent déjà des masses de pierre de cent livres pesant .
Ce métier des Tenateros est réputé malsain , s'ils en
trent plus de trois fois par semaine dans la mine. Ce

pendant , le travail qui ruine le plus rapidement les


constitutions éminemment robustes , est celui que pré

sente le métier des Barenadores , qui font sauter la


roche par le moyen de la poudre; ils atteignent rare

ment au-delà des trente-cinq ans , si excités par le


desir de gagner , ils continuent
con leur travail pénible
pendant toute la semaine : généralement ils ne font ce
métier que pendant cinq ou six ans ; ils s'adonnent ,

après , à des occupations moins nuisibles à la santé.


L'art du mineur se perfectionne de plus en plus ; les
élèves de l'école des mines de Mexico répandent peu

à peu des connaissances précises sur la circulation de


l'air dans les puits et les galeries ; on commence à in
troduire des machines qui rendent inutile l'ancienne
méthode de faire porter le minerai et l'eau à dos
d'hommes et sur des escaliers d'une pente rapide. A

mesure que les mines de la Nouvelle-Espagne com


menceront à ressembler davantage à celles de Frey
berg , de Clausthal et de Schemnitz , la santé du mi
neur sera aussi moins altérée par l'influence des mo
fettes et par les efforts trop prolongés du mouvement
musculaire . *

* Il serait superflu de développer ici combien les grandes associa


tions formées récemment en Europe pour l'exploitation des mines
342 LIVRE II ,

Près de cinq à six mille personnes sont employées à


l'amalgamation des minerais ou aux manipulations qui
la précèdent. Un grand nombre de ces individus pas
sent leur vie à marcher pieds nus sur les amas de mé
tal broyé, humecté et mélangé de muriate de soude ,
de sulfate de fer et de mercure oxidé par le contact de

l'air atmosphérique et des rayons solaires. C'est un


phénomène assez frappant que de voir jouir ces hommes
de la santé la plus parfaite . Les médecins qui exercent
leur art dans les lieux où il y a des mines , assurent
unanimement que les affections du système nerveux ,

que l'on pourrait attribuer à l'effet d'une résorption


de mercure oxidé , ne se présentent que très rarement.
A Guanaxuato on boit quelquefois l'eau qui sort du
lavage de l'amalgame ( agua de los lavaderos ) sans
que la santé en soit altérée. Ce fait a souvent frappé
les Européens à qui les principes de chimie étaient
peu familiers . L'eau des lavages est d'abord gris
bleuâtre ; elle contient en suspension de l'oxide noir
de mercure , de petits globules de mercure natif et d'a

malgame d'argent ce mélange métallique se préci


pite peu-à -peu ; l'eau devient limpide ; elle ne peut
dissoudre ni le mercure oxidé , ni le muriate de mer
cure , qui est un des sels les plus insolubles que nous
connaissions. Les mulets aiment beaucoup à boire de
cette eau , parce qu'elle contient un peu de muriate
de soude en dissolution.

de l'Amérique espagnole libre , contribuerait , par l'introduction des


machines et le percement de galeries aërées , à la santé des mineurs.
CHAPITRE V. 343

En parlant des progrès de la population du Mexique


et des causes qui retardent ces progrès , je n'ai fait
mention ni de l'arrivée de nouveaux colons européens ,

ni de la mortalité qui est l'effet du vomissement noir.


Nous discuterons ces deux objets dans la suite de cet
ouvrage. Il suffit d'observer ici que le vomito prieto
est un fléau qui ne se fait sentir que sur les côtes , et
qui , dans tout le royaume , n'enlève pas annuellement

au-delà de 2000 à 3000 individus . Quant à l'Europe ,


elle n'en envoie pas 800 au Mexique. Les écrivains poli
tiques ont exagéré de tout temps ce qu'ils appellent le
dépeuplement de l'ancien continent par le nouveau .
M. Page *, par exemple , dans son ouvrage sur le com
merce de Saint- Domingue , assure que les émigrations
d'Europe fournissent annuellement aux États - Unis
plus de 100,000 individus. Cette évaluation est dix

fois trop grande; car en 1784 et 1792 , leur nombre **


n'excéda pas 5000. M. Galatin *** assure que la

moyenne annuelle arrivant d'Europe aux États-Unis ,


a été dans dans les dernières années de 10,000 . Le
nombre a oscillé entre 4000 et 22,000 . Les progrès

que la population fait au Mexique et dans l'Amérique


septentrionale, sont simplement dus aux effets d'un ac
croissement de prospérité intérieure.

* Vol. 11 , pag. 427.


** Samuel Blodget's Economica , 1806 , pag. 58.
*** Voyez ma Relation Historique , tom. III , p. 179.
344 LIVRE II,

m mw

CHAPITRE VI.

DIFFÉRENCE DES CASTES. INDIENS OU INDIGÈNES AMÉ


RICAINS. -- LEUR NOMBRE ET LEURS MIGRATIONS .
DIVERSITÉ DES LANGUES. --- DEGRÉ DE CIVILISATION DES
INDIENS.

La population mexicaine est composée des mêmes


élémens que ceux qu'offrent les autres colonies espa
gnoles. On y distingue sept races : 1 ° les individus nés
en Europe , vulgairement appelés Gachupines ; 2° les
Espagnols créoles ou les blancs de race européenne nés
en Amérique ; 3° les Métis ( Mestizos) , descendans de
blancs et d'Indiens ; 4° les Mulâtres , descendans de
blancs et de nègres ; 5° les Zambos , descendans de
nègres et d'Indiens ; 6º les Indiens même , ou la race
cuivrée des indigènes ; et 7° les Nègres africains. En
faisant abstraction des subdivisions , il en résulte quatre

castes : les blancs compris sous la dénomination géné


rale d'Espagnols , les Nègres , les Indiens et les hommes

de race mixte , mélangés d'Européens , d'Africains ,


d'Indiens américains et de Malais ; car c'est par la com

munication fréquente qui existe entre Acapulco et les


îles Philippines , que plusieurs individus d'origine asia
CHAPITRE VI . 345

tique , soit Chinois , soit Malais , se sont établis dans


la Nouvelle -Espagne.
Un préjugé très répandu en Europe , fait croire
qu'un très petit nombre d'indigènes à teint cuivré ou
de descendans des anciens Mexicains , se sont con

servés jusqu'à nos jours . Les cruautés des Européens


ont fait disparaître entièrement les anciens habitans
des îles Antilles. Heureusement on n'est point parvenu
à cet horrible résultat sur le continent de l'Amérique.

Dans la Nouvelle- Espagne , le nombre des Indiens


s'élève à deux millions et demi ou trois millions , en

ne comptant que ceux qui sont de race pure , sans



mélange de sang européen ou africain. Ce qui est
plus consolant encore , et nous le répétons , c'est que ,
loin de s'éteindre , la population des indigènes a aug
menté considérablement depuis cinquante ans , comme
le prouvent les registres de la capitation ou du tribut.

En général , les Indiens paraissent former plus de


deux cinquièmes de toute la population du Mexique.
Dans les quatre intendances de Guanaxuato , de Val
ladolid, d'Oaxaca et de la Puebla , cette population s'é

lève même à trois cinquièmes. En 1793 , le dénom


brement présentait le tableau suivant :

Nous avons fait voir plus haut ( p. 318 ) que d'après le travail
de M. Navarro , la population indienne de la Nouvelle-Espagne
excédait probablement 3,600,000.
346 LIVRE II ,

NOM DES INTENDANCES. POPULATION TOTALE. NOMBRE DES INDIENS.


Guanaxuato , 398,000 175,000
Valladolid , 290,000 119,000
Puebla , 638,000 416,000
Oaxaca , 411,000 363,000

Il résulte de ce tableau que , dans l'intendance


d'Oaxaca , on compte sur 100 individus 88 Indiens .
Ce grand nombre d'indigènes prouve sans doute
combien la culture de ce pays est ancienne. Aussi
trouve-t-on près d'Oaxaca et surtout au sud-ouest
dans le Chiapa , des restes de monumens d'architecture
mexicaine qui annoncent une civilisation très avancée.
Les Indiens ou les hommes à teint cuivré sont très

rares dans le nord de la Nouvelle- Espagne ; à peine

en trouve-t-on dans les provinces appelées internas .


L'histoire fait entrevoir plusieurs causes de ce phéno
mène. Lorsque les Espagnols firent la conquête du
Mexique , ils ne trouvèrent que très peu d'habitans

dans les pays situés au-delà du parallèle de 20° . Ces


provinces étaient la demeure des Chichimèques et des
Otomites , deux peuples nomades dont les hordes
peu nombreuses occupaient de vastes terrains. L'agri
culture et la civilisation , comme nous l'avons fait re
marquer plus haut , étaient concentrées sur les pla
teaux qui se prolongent de la rivière de Santiago
vers le sud , surtout entre la vallée de Mexico et

la province d'Oaxaca.
En général , depuis le septième siècle jusqu'au trei
zième , la population paraît avoir continuellement re
CHAPITRE VI. 347

flué vers le Guatimala. Des régions situées au nord


du Rio Gila sortirent ces nations guerrières qui , les

unes après les autres , inondèrent le pays d'Anahuac.


Nous ignorons si c'était là leur patrie primitive , ou
si , originaires de l'Asie ou de la côte nord-ouest de
l'Amérique , ils avaient traversé les savanes de Naba
joa et du Moqui , pour parvenir au Rio Gila . Les ta
bleaux hieroglyphiques des Aztèques nous ont transmis
la mémoire des époques principales qu'offre la grande

migration des peuples américains . Cette migration a


quelque analogie avec celle qui , au cinquième siècle ,
plongea l'Europe dans un état de barbarie , dont nous
ressentons encore les suites funestes dans plusieurs de
nos institutions sociales . Les peuples qui traversèrent
le Mexique y laissèrent , au contraire , des traces de
culture et de civilisation . Les Toultèques y parurent

pour la première fois l'an 648 , les Chichimèques en


1170 , les Nahualtèques l'an 1178 , les Acolhues et les
Aztèques en 1196. Les Toultèques introduisirent la
culture du maïs et du coton ; ils construisirent des
villes , des chemins , et surtout ces grandes pyramides
que nous admirons encore aujourd'hui , et dont les
faces sont très exactement orientées . Ils connaissaient

l'usage des peintures hiéroglyphiques ; ils savaient


fondre des métaux et tailler les pierres les plus dures ;
ils avaient une année solaire plus parfaite que celle des
Grecs et des Romains. La forme de leur gouvernement

indiquait qu'ils descendaient d'un peuple qui , lui


même , avait déjà éprouvé de grandes vicissitudes dans
348 LIVRE II ,

son état social. Mais quelle est la source de cette cul


ture ? quel est le pays d'où sortirent les Toultèques et
les Mexicains?

La tradition et les hiéroglyphes historiques nom


ment Huehuetlapallan , Tollan et Aztlan , la première
demeure de ces peuples voyageurs . Rien n'annonce
aujourd'hui une ancienne civilisation de l'espèce hu
maine au nord du Rio Gila ou dans les régions sep

tentrionales parcourues par Hearne , Fidler et Mac


kenzie. Mais sur la côte nord-ouest , entre Nootka et
la Rivière de Cook , surtout sous les 57 ° de latitude
boréale , dans la baie de Norfolk et dans le canal de
Cox , les indigènes montrent un goût décidé pour les

peintures hieroglyphiques * . Un savant distingué ,


M. de Fleurieu , soupçonne que ces peuples pour
raient bien être les descendans de quelque colonie
mexicaine qui , lors de la conquête , se réfugia dans
ces régions boréales . Cette opinion ingénieuse paraîtra
moins probable , si l'on considère la grande distance
que ces colons auraient eu à franchir , et si l'on se
rappelle que la culture mexicaine ne s'étendait pas au
nord du 20º de latitude . J'incline plutôt à croire que ,

lors de la migration des Toultèques et des Aztèques


Voyage de Marchand , tome 1 , page 258 , 261 , 375 ; Dixon ,
page 332. Sur les grands problêmes de l'ancienne culture et de la
migration des peuples américains , voyez Humboldt, Vues des Cor
dillères et Monumens des peuples indigènes , tom. 1 , p. 85 ; tom. II ,
p. 214. Relation Historique , tom. 1 , p. 155 — 163.
CHAPITRE VI. 349

vers le sud , quelques tribus sont restées sur les côtes


du Nouveau-Norfolk et de la Nouvelle- Cornouaille ,
tandis que les autres continuaient leur marche vers le

sud. On conçoit comment des peuples qui voyageaient


en masse , par exemple les Ostrogoths et les Alains ,
ont pu parvenir depuis la Mer Noire jusqu'en Espa
gne ; mais croirait-on qu'une portion de ces mêmes
peuples aurait pu retourner de l'ouest à l'est, à une
époque où d'autres hordes avaient déjà occupé leurs pre
mières demeures vers les rives du Don et du Borysthène?
Il ne nous est point permis d'agiter ici le grand pro
blême de l'origine asiatique des Toultèques ou des
Aztèques. La question générale de la première origine
des habitans d'un continent est au-delà des limites

prescrites à l'histoire ; peut-être même n'est-elle pas


une question philosophique. Sans doute il existait déjà

d'autres peuples au Mexique , lorsque les Toultèques


s'y présentèrent dans leur migration . Par conséquent ,
rechercher si les Toultèques sont une race asiatique ,
n'est pas demander si tous les Américains sont descen
dus du haut plateau du Thibet ou de la Sibérie orien
tale. De Guignes croit avoir prouvé , par les annales
des Chinois , que ce dernier peuple visitait l'Amérique
depuis l'année 458. Horn , dans son ouvrage ingénieux
de originibus Americanis , publié en 1699 , M. Sché
rer , dans ses Recherches historiques sur le Nouveau
Monde , et des écrivains plus récens , ont rendu très
probable que d'anciens rapports existaient entre l'Asie

et l'Amérique.
350 LIVRE II ,

J'ai avancé, dans un autre endroit * , que les Toul


tèques ou les Aztèques pourraient être une partie de
ces Hiongnoux qui , selon les histoires chinoises , émi
grèrent en suivant leur chef Punon , et se perdirent.
dans le nord de la Sibérie. Cette nation de guerriers
pasteurs a changé plus d'une fois la face politique de
l'Asie orientale ; c'est elle qui , mêlée aux Huns et à
d'autres peuples de race finnoise ou uralienne , a
désolé les plus belles parties de l'Europe civilisée.
Toutes ces conjectures pourront acquérir plus de pro
babilité , lorsqu'on découvrira une analogie marquante
entre les langues de la Tartarie et celles du Nouveau
Continent , analogie qui , d'après les recherches de
MM . Barton Smith , Vater et Guillaume de Humboldt ,
ne s'étend que sur un très petit nombre de mots. Le
manque de froment , d'avoine , d'orge et de seigle , de
ces graminées nourrissantes que l'on désigne sous le
nom général de céréales , paraît prouver que , si des
tribus asiatiques ont passé en Amérique , elles devaient
descendre de quelque peuple nomade ou pasteur. Dans
l'Ancien-Continent , nous voyons la culture des cé
réales et l'usage du lait , introduits depuis l'époque la
plus reculée à laquelle remonte l'histoire. Les habi
tans du Nouveau-Continent ne cultivaient d'autres
graminées que le maïs ( Zea ) . Ils ne se nourrissaient

d'aucune espèce de laitage , quoique les lamas , les


alpacas , et , dans le nord du Mexique et du Canada ,

* Tableaux de la nature , vol. I, pag. 53.


CHAPITRE VI. 351

deux espèces de bœufs indigènes , eussent pu leur offrir


du lait en abondance . Voilà des contrastes frappans

entre les peuples de la race mongole et ceux de la race


américaine.

Sans nous perdre dans des suppositions sur la pre ·

mière patrie des Toultèques et des Aztèques , sans fixer


la position géographique de ces anciens royaumes de
Huehuetlapallan et Aztlan , nous nous bornerons à
énoncer ce que nous apprennent les historiens espa

gnols . Au seizième siècle , les provinces septentrionales ,


la Nouvelle - Biscaye , Sonora et le Nouveau - Mexique 兽
n'étaient que très peu habitées . Les indigènes étaient

des peuples nomades et chasseurs ; ils se retirèrent à


mesure que les conquérans européens s'avancèrent
vers le nord. L'agriculture seule attache l'homme au
sol , et développe l'amour de la patrie. Aussi nous
voyons que dans la partie méridionale d'Anahuac,
dans la région cultivée voisine de Tenochtitlan , les
colons Aztèques , endurant patiemment les vexations
cruelles que les vainqueurs exerçaient sur eux , souf

frirent tout , plutôt que de quitter le sol que leurs


pères avaient cultivé de leurs mains . Dans les provinces
septentrionales , au contraire , les indigènes cédèrent
aux conquérans les savanes incultes qui servaient de
pâturages aux buffles. Les Indiens se réfugièrent au-delà
du Gila , vers le Rio Zaguanas et vers les montagnes
de las Grullas . Les tribus indiennes qui occupaient ja
dis le territoire des États-Unis au Canada , ont suivi la
même politique : elles ont préféré de se retirer , d'abord
352 LIVRE II ,

derrière les monts Alléghanys , puis derrière l'Ohio , et


enfin , derrière le Missoury , pour ne pas être forcés de
vivre parmi les Européens. Par une cause analogue , on
ne trouve la race des indigènes à teint cuivré ni dans

les provincias internas de la Nouvelle- Espagne , ni


dans la partie cultivée des États-Unis.
Les migrations des peuples américains s'étant con
stamment faites du nord au sud , du moins depuis le
sixième jusqu'au douzième siècle , il est clair que la po

pulation indienne de la Nouvelle-Espagne doit être


composée d'élémens très hétérogènes . A mesure que la
population a reflué vers le sud , quelques tribus se sont
arrêtées dans leur course , et se sont mêlées aux peu

ples qui les suivaient de près. La grande variété des


langues que l'on parle encore aujourd'hui dans le
royaume du Mexique , prouve une grande variété de
races et d'origine.
Le nombre de ces langues est au -delà de vingt , dont
quatorze ont déjà des grammaires et des dictionnaires
assez complets. Voici leurs noms : Langue mexicaine
ou aztèque; langue otomite ; langue tarasque; langue
zapotèque ; langue mistèque ; langue maye ou du Yu
catan ; langue totonaque ; langue popolouque ; langue
matlazingue ; langue huastèque ; langue mixe; langue
caquiquelle ; langue taraumare ; langue tepehuane ;
langue core. Il paraît qu'un grand nombre de ces lan
gues , loin d'être des dialectes d'une seule ( comme
quelques auteurs l'ont faussement avancé ) , sont plus
différentes les unes des autres que l'est le persan de
CHAPITRE VI. 353

l'allemand , ou le français des langues slaves. C'est du


moins le cas des sept langues de la Nouvelle-Espagne
dont je possède les vocabulaires . Cette variété d'idiomes
que parlent les peuples du Nouveau- Continent , et que ,
sans la moindre exagération , on peut porter à plu
sieurs centaines , présente un phénomène bien frap
pant , surtout si on le compare au peu de langues
qu'offrent l'Asie et l'Europe.
La langue mexicaine , celle des Aztèques , est la plus
répandue ; elle s'étend aujourd'hui depuis le 37° jus
qu'au lac de Nicaragua , sur une longueur de 400
lieues . L'abbé Clavigero a prouvé * que les Toultè
ques , les Chichimèques ( desquels descendent les ha
bitans de Tlascala ) , les Acolhues et les Nahuatlaques ,
parlaient tous la même langue que les Mexicains.
Cette langue est moins sonore **, mais presque aussi

répandue et aussi riche que celle des Incas . Après la


langue mexicaine ou aztèque , dont il existe onze gram
maires imprimées , la langue la plus générale de la
Nouvelle-Espagne est celle des Otomites.
Je serais sûr d'intéresser le lecteur par une descrip

tion détaillée des mœurs , du caractère , de l'état phy


sique et intellectuel de ces indigènes du Mexique , que
les lois espagnoles désignent par la dénomination

* Storia di Messico , tome 1 , page 153.


** Notlazomahuizteopixcatatzin signifie : prêtre vénérable que je
chéris comme mon père . Les Mexicains emploient ce mot de vingt
sept lettres ou plutôt ce titre ( car la philosophie de la grammaire
s'oppose à le nommer un mot) en parlant aux curés.
I. 23
354 LIVRE II ,

d'Indiens. La prédilection générale que l'on marque

en Europe pour ces restes de la population primitive .


du Nouveau-Continent , a sa source dans un sentiment
généreux et qui honore l'humanité. L'histoire de la
conquête de l'Amérique présente le tableau d'une
lutte inégale entre des peuples avancés dans les arts et
d'autres qui n'étaient encore qu'au premier degré de la
civilisation . Cette race infortunée des Aztèques et des
Otomites qui avait échappé au carnage , paraissait
destinée à s'éteindre sous une oppression de plusieurs
siècles. On a de la peine à se persuader que plus de
trois millions d'aborigènes aient pu survivre à ces
longues calamités . L'habitant du Mexique et du Pérou ,
l'Indien des Philippines , l'Africain traîné dans l'escla
vage aux Antilles , fixent l'attention de l'observateur

par des causes toutes différentes de celles qui ren


dent si attrayans les voyages en Chine et au Japon.
Tel est l'intérêt qu'inspire le malheur d'un peuple
vaincu , qu'il rend même souvent injuste envers les
descendans du peuple vainqueur.
Pour faire connaître les indigènes de la Nouvelle
Espagne , il ne suffirait pas de les dépeindre dans leur
état actuel d'abrutissement et de misère ; il faudrait
remonter à l'époque reculée où , gouvernée par ses
lois , la nation pouvait déployer sa propre énergie ; il
faudrait consulter les peintures hiéroglyphiques , les
constructions en pierres taillées et les ouvrages de

sculpture qui se sont conservés jusqu'à nos jours , et


qui , attestant l'enfance des arts , offrent cependant
CHAPITRE VI . 355

des analogies frappantes avec plusieurs monumens des


peuples les plus civilisés. Ces recherches sont réser
pour un autre ouvrage *. La nature de celui- ci

ne nous permet pas d'entrer dans des détails qui sont


d'ailleurs également importans pour l'histoire et l'é
tude psychologique de l'espèce humaine. Nous nous
bornerons ici à indiquer les traits les plus saillans de
ce vaste tableau des peuples indigènes de l'Amérique.
Les Indiens de la Nouvelle- Espagne ressemblent ,
en général, à ceux qui habitent le Canada et la Flo
ride , le Pérou et le Brésil : même couleur basanée
et cuivrée , cheveux plats et lisses , peu de barbe ; le
corps trapu , l'œil allongé , ayant le coin dirigé par en
haut vers les tempes ; les pommettes saillantes , les
lèvres larges ; dans la bouche une expression de dou
" ceur qui contraste avec un regard sombre et sévère.

La race américaine est , après la race hyperboréenne ,


la moins nombreuse ; mais elle occupe le plus grand
espace sur le globe . Sur 1,700,000 lieues carrées de

25 au degré , depuis les îles de la Terre-de - Feu jus


qu'au fleuve Saint- Laurent et au détroit de Behring ,
on est frappé , au premier abord , de la ressemblance
que présentent les traits des habitans. On croit recon
naître que tous descendent d'une même souche , mal
gré l'énorme différence des langues qui les éloigne
les uns des autres . Cependant , en réfléchissant sur

* Cet ouvrage , traduit en plusieurs langues , a paru sous le titre :


Vues des Cordillères et Monumens des peuples indigènes du Nouveau
Continent, 2 vol. avec 69 planches in-folio.
23.
356 LIVRE II ,

cet air de famille , en vivant plus long-temps parmi les


indigènes de l'Amérique , on remarque que des voya

geurs célèbres qui n'ont pu observer que quelques in


dividus sur les côtes , ont singulièrement exagéré l'ana
logie des formes dans la race américaine.
La culture intellectuelle est ce qui contribue le plus
à diversifier les traits. Chez les peuples barbares , il
existe plutôt une physionomie de tribu et de horde ,
qu'une physionomie propre à tel ou tel individu . En
comparant les animaux domestiques à ceux qui ha
bitent nos forêts , on croit faire la même observation .
Mais l'Européen , en jugeant de la grande ressem
blance des races qui ont la peau très basanée , est ,
de plus , sujet à une illusion particulière ; il est frappé
d'un teint aussi différent du nôtre , et l'uniformité du
coloris fait long - temps disparaître à ses yeux la dif
férence des traits individuels. Le nouveau colon a de

la peine à distinguer les indigènes , parce que ses yeux


sont moins fixés sur l'expression douce , mélancolique
ou féroce du visage , que sur la couleur d'un rouge
cuivré, sur ces cheveux noirs , luisans , grossiers et tel
lement lisses , qu'on les croirait constamment mouillés .
On reconnaît , sans doute , dans le tableau fidèle qu'un
excellent observateur, M. de Volney , a tracé des Indiens
du Canada, les peuplades éparses dans les prairies du Rio
Apure et du Carony. Le même type existe dans les deux

Amériques ; mais les Européens qui ont navigué comme


moi sur les grandes rivières de l'Amérique du sud ,
ceux qui ont eu occasion de voir les tribus diverses
CHAPITRE VI. 357

assemblées sous la hiérarchie monastique dans les


Missions , auront observé que la race américaine offre
plusieurs peuples qui , par leurs traits , diffèrent aussi
essentiellement les uns des autres que les variétés
nombreuses de la race du Caucase , les Circassiens , les
Maures et les Perses. La forme élancée des Patagons

qui habitent l'extrémité australe du Nouveau Conti


nent , se retrouve , pour ainsi dire , chez les Caribes

qui habitent les plaines depuis le Delta de l'Orénoque


jusqu'aux sources du Rio Blanco . Quelle différence
entre la taille , la physionomie et la constitution phy
sique de ces Caribes * , que l'on doit compter parmi les
peuples les plus robustes de la terre , et qu'il ne faut
pas confondre avec les Zambos dégénérés , appelés
jadis Caribes à l'île de Saint-Vincent , et le corps trapu
des Indiens Chaymas de la province de Cumana !
Quelle différence de forme entre les Indiens de Tlas
cala et les Lipans et Chichimèques de la partie septen
trionale du Mexique !

Les indigènes de la Nouvelle- Espagne ont le teint


plus basané que les habitans des pays les plus chauds
de l'Amérique méridionale. Ce fait est d'autant plus
remarquable , que , dans la race du Caucase que l'on

* La grande nation des Caribes ou Caraïbes qui , après avoir exter


miné les Cabres , avait conquis une partie considérable de l'Amérique
méridionale , s'étendait au seizième siècle depuis l'équateur jusqu'aux
Iles Vierges. (Voyez Relation Historique, tom. II , chap. 25 , pag. 5 ,
22, 161 , 163. ) Le peu de familles qui existaient de nos temps dans les
fles Antilles orientales , et qui ont été déportées par les Anglais à
l'ile Ratan , étaient un mélange de vrais Caribes et de Nègres.
358 LIVRE II ,

peut aussi appeler la race arabe européenne , les peu


ples du midi ont la peau moins blanche que ceux du
nord. Quoique plusieurs des nations asiatiques qui
ont inondé l'Europe au sixième siècle , eussent le co
loris très foncé , il paraît cependant que la nuance de
teints observée parmi les peuples de la race blanche
est moins due à leur origine et à leur mélange , qu'à
l'influence locale du climat. L'effet de cette influence
paraît presque nul chez les Américains et chez les

Nègres. Ces races dans lesquelles le carbure d'hydro


gène se dépose abondamment dans le corps muqueux
ou réticulaire de Malpighi , résistent singulièrement
aux impressions de l'air ambiant . Les Nègres des
montagnes de la haute Guinée ne sont pas moins noirs
que ceux qui avoisinent les côtes. Parmi les indigènes
du Nouveau-Continent , il existe sans doute des tribus
d'une couleur très peu foncée , et dont le teint se rap
proche de celui des Arabes ou des Maures. Nous
avons trouvé que les peuples du Rio Negro sont plus

basanés que ceux du Bas- Orénoque , et cependant les


bords du premier de ces deux fleuves jouissent d'un
climat plus frais que les régions plus septentrionales.
Dans les forêts de la Guiane , surtout vers les sources

de l'Orénoque , vivent plusieurs tribus blanchâtres , les


Guaicas , les Guaharibes , les Guainares et les Maqui
ritares , dont quelques individus robustes et n'offrant
aucun signe de la maladie asthénique qui caractérise
les Albinos , ont le teint de vrais Métis . Cependant ,

Relat. Hist., tom. 1 , pag. 498 , 503 ; tom. 11 , pag. 572 , 574 .
CHAPITRE VI. 359

ces tribus ne se sont jamais mêlées avec les Euro


péens , et se trouvent entourées d'autres peuplades
d'un brun noirâtre. Les Indiens qui , dans la zone
torride , habitent les plateaux les plus élevés de la Cor
dillère des Andes , ceux qui , sous les 45º de latitude
australe , dans l'Archipel des Chonos , vivent de la
pêche , ont le teint aussi cuivré que les Indiens qui ,
sous un ciel brûlant , cultivent des bananes dans les

vallées les plus étroites et les plus profondes de la ré


gion équinoxiale. Il faut ajouter à cela que les Indiens
montagnards sont vêtus et l'ont été long-temps avant
la conquête , tandis que les indigènes qui errent dans
les plaines sont tout nus , et par conséquent toujours
exposés aux rayons perpendiculaires du soleil . Je n'ai

point observé que , dans un même individu , les parties


du corps couvertes soient moins brunes que celles qui
sont en contact avec un air chaud et humide. Partout

on s'aperçoit que la couleur de l'Américain dépend


très peu de la position locale dans laquelle nous le
voyons actuellement. Les Mexicains , comme il a été
observé plus haut , sont plus basanés que les Indiens de
Quito et de la Nouvelle -Grenade , qui habitent un cli
mat entièrement analogue ; nous voyons même que les
peuplades éparses au nord du Rio Gila sont plus
brunes que celles qui avoisinent le royaume de Guati

mala . Cette couleur foncée se soutient jusqu'à la côte


la plus proche de l'Asie. Mais , sous les 54° 10' de la
titude boréale , à Cloak-Bay , au milieu d'Indiens à
teint cuivré et à petits yeux très allongés , se présente
360 LIVRE II ,

une tribu qui a de grands yeux , des traits européens et


la peau moins brune que les paysans de nos campa

gnes. Peut-être descendait - elle de ces peuples Indo


germaniques , les Ousuns et les Tinglings que M. Kla
proth * nous a fait connaître dans le centre et le nord
de l'Asie, près de deux cents ans avant l'ère chré
tienne. Tous ces faits tendent à prouver que malgré
la variété des climats et des hauteurs qu'habitent les
différentes races d'hommes , la nature ne dévie pas
du type auquel elle s'est assujétie depuis des milliers
d'années.

Mes observations sur la couleur innée des indigènes


sont en partie contraires aux assertions de Michiki
nakoua , le célèbre chef des Miamis , que les Anglo
Américains nomment Petite- Tortue , et qui a donné
tant de renseignemens précieux à M. deVolney . Il assura
« que les enfans des Indiens du Canada naissent blancs
<
«
< comme des Européens ; que les adultes ne sont brunis
<< que par le soleil et par les graisses et les sucs d'herbes
<<< avec lesquels ils se frottent la peau ; que les femmes
<
«
< même ont toujours blanche la portion de la cein
<< ture qui ne cesse pas d'être couverte de vêtemens **. »
Je n'ai pas vu les nations du Canada dont parle le chefdes
Miamis ; mais je puis assurer qu'au Pérou , à Quito ,
sur la côte de Caracas , sur les bords de l'Orénoque

* Tableaux historiques de l'Asie , 1825 , pag. 162–174.


** Volney , Tableau du climat et du sol des États-Unis , vol. 11,
page 435.
CHAPITRE VI. 361

et au Mexique , les enfans ne sont jamais blancs en


naissant , et que les caciques indiens qui jouissent d'une
certaine aisance , qui se tiennent vêtus dans l'intérieur
de leurs maisons , ont toutes les parties de leur corps
(à l'exception de l'intérieur de leurs mains et de la
plante des pieds ) d'une même teinte rouge brunâtre
ou cuivrée. *

Les Mexicains , surtout ceux de la race Aztèque et


Otomite , ont plus de barbe que je n'en ai vu chez
d'autres indigènes de l'Amérique méridionale . Presque
tous les Indiens , dans les environs de la capitale ,
portent de petites moustaches ; c'est même une marque
caractéristique de la caste tributaire. Ces moustaches ,
que des voyageurs modernes ont aussi retrouvées chez

les habitans de la côte nord-ouest de l'Amérique , sont


un fait d'autant plus curieux , que les naturalistes cé
lèbres ont laissé indécise la question de savoir si les Amé
ricains n'ont naturellement ni barbe ni poil sur le reste

* Cette assertion de Little Turtle dont le major Long vient de visiter


la tombe près du fortWayne ( Narration of an expedition to the lake
of Winnepeek, 1824 , tom. 1 , pag. 85 ) a été réfutée victorieusement
par des voyageurs qui ont eu occasion d'observer toutes les nations
indiennes depuis l'Ohio jusqu'aux Montagnes - Rocheuses. ( Long's
Exped. to the Rocky-Mount. , tom. 1 , pag. 285 ). Déjà Vespucci avait
énoncél'opinion que les indigènes de l'Amérique seraient blancs comme
les Européens s'ils étaient vêtus. (Grynæus Orbis Nov. , pag. 224 ) . Le
Père Dobrizhofer observe que les Indiens Puelches et les Patagons ,
habitans des climats froids , ont une couleur beaucoup plus foncée
que les Abipons , Mocobis et Tobas , et toutes les hordes du Chaco
qui parcourent des plaines brûlantes entre les 9° et 10º de latitude
australe. (Historia de Abiponibus , tom. II, pag. 17 ).
362 LIVRE II ,

du corps , ou s'ils se les arrachent avec soin. Sans entrer


ici dans des détails physiologiques , je puis assurer que

les Indiens qui habitent la zone torride de l'Amérique


méridionale , ont généralement un peu de barbe . Cette
barbe augmente lorsqu'ils se rasent , comme nous
en avons vu plusieurs exemples dans les missions des
capucins de Caripe , où les sacristains indiens desirent

ressembler aux moines qui sont leurs maîtres absolus.


Cependant beaucoup d'individus naissent entièrement
dénués de barbe et de poils .
M. de Galeano , dans sa Relation de la dernière
expédition espagnole au détroit de Magellan * , nous
apprend que parmi les Patagons il y a plusieurs vieil
lards qui ont de la barbe , quoique courte et peu touffue.
En comparant cette assertion avec les faits que Mar

chand , Meares , et surtout M. de Volney, ont recueillis


dans la zone tempérée boréale , on pourrait être tenté
d'admettre que les Indiens sont plus barbus à mesure

qu'ils s'éloignent de l'équateur . D'ailleurs , ce manque


apparent de barbe est un caractère qui n'est pas par
ticulier à la race américaine ; plusieurs hordes de l'Asie
orientale , et surtout quelques peuplades de Nègres
africains , ont si peu de barbe , que l'on serait tenté
d'en nier entièrement l'existence. Les Nègres du Congo
et les Caribes , deux races d'hommes éminemment ro
bustes , souvent de stature colossale , prouvent suffi
samment que c'est une rêverie physiologique que de

*
Viaje alEstrecho de Magellanes , page 331.
CHAPITRE VI . 363

regarder un menton imberbe comme un signe certain


de la dégénération et de la faiblesse physique de l'es
pèce humaine. On oublie facilement que tout ce que
l'on a observé sur la race du Caucase , n'est pas appli
cable à la race mongole ou américaine , ni à celle des
Nègres de l'Afrique.
Les indigènes de la Nouvelle - Espagne , ceux du
moins qui sont soumis à la domination européenne ,
atteignent généralement un âge assez avancé. Culti
vateurs paisibles , réunis dans des villages depuis six
cents ans , ils ne sont pas exposés à toutes les chances

qu'offre la vie errante des peuples chasseurs et guer


riers du Mississipi et des savanes du Rio Gila. Assu
jétis à une nourriture uniforme et presque entière
ment végétale , à celle que présentent le maïs et les
graminées céréales , les Indiens parviendraient sans
doute à une longévité très grande , si l'ivrognerie n'af
faiblissait pas leur constitution. Leurs boissons eni
vrantes sont l'eau -de-vie de canne à sucre , de maïs et

de la racine du jatropha fermentés , surtout le vin du


pays , le suc de l'agave américana , appelé Pulque.
Cette dernière liqueur , dont nous aurons occasion de
parler dans le livre suivant , est même nourrissante , à
cause de son principe sucré non décomposé. Beaucoup
d'indigènes adonnés au pulque ne sentent pas , pen
dant long-temps , le besoin d'une nourriture solide.
Prise avec modération , cette boisson est très salutaire ;
en fortifiant l'estomac , elle favorise les fonctions du
système gastrique.
364 LIVRE II ,

Le vice de l'ivrognerie est cependant moins général


parmi les Indiens qu'on ne le croit communément.
Les Européens qui ont voyagé à l'est des monts Allé
ghanys , entre l'Ohio et le Missoury , auront de la peine
à croire que dans les forêts de la Guyane , aux bords
de l'Orénoque , nous avons vu des indigènes qui mar
quaient de la répugnance pour l'eau-de-vie que nous
leur faisions goûter . Il y existe des peuplades indiennes
très sobres , et dont les boissons fermentées sont trop
faibles pour enivrer. Dans la Nouvelle- Espagne , l'ivro
gnerie est surtout commune parmi les indigènes qui
habitent la vallée de Mexico , les environs de Puebla et de
Tlascala , partout où l'on cultive en grand le maguey ou
agave. Dans la capitale de Mexico , la police fait cir
culer des tombereaux pour recueillir les ivrognes que
l'on trouve étendus dans les rues . Ces Indiens , que

l'on traite comme des corps morts , sont menés au


corps-de-garde principal ; on leur met le lendemain
un anneau de fer au pied , et on les fait travailler
pendant trois jours à nettoyer les rues. En les relâ
chant le quatrième jour , on est sûr d'en saisir plu
sieurs dans le courant de la même semaine. L'excès

des liqueurs nuit aussi beaucoup à la santé du bas


peuple dans les pays chauds et voisins des côtes , dans
ceux qui produisent de la canne à sucre. Il faut espérer
que ce mal diminuera à mesure que la civilisation fera
des progrès parmi une caste d'hommes dont la gros
sièreté de mœurs est extrême.

Des voyageurs qui ne jugent que d'après la physio


CHAPITRE VI. 365

nomie des Indiens , sont tentés de croire qu'il est rare


de voir des vieillards parmi eux. En effet , sans con
sulter les registres de paroisse , qui , dans les régions
chaudes , sont dévorés par les termites tous les vingt
à trente ans , il est très difficile de se faire une idée de
l'âge des indigènes ; eux-mêmes ( je ne parle que du

pauvre Indien cultivateur ) l'ignorent parfaitement.


Leur tête ne grisonne que très rarement. Il est infi
niment plus rare de trouver un Indien qu'un Nègre
à cheveux blancs , et le manque de barbe donne au
premier un air constant de jeunesse. La peau des In
diens est aussi moins sujette à se rider. Il n'est pas rare
au Mexique , dans la zone tempérée , située à mi-côte
de la Cordillère , de voir arriver les indigènes , surtout
les femmes , à l'âge de cent ans . Cette vieillesse est gé
néralement heureuse ; car l'Indien mexicain et péru
vien conservent leurs forces musculaires jusqu'à la
mort. Pendant mon séjour à Lima mourut , au vil
lage de Chiguata , éloigné de quatre lieues de la ville

d'Arequipa , l'Indien Hilario Pari à l'âge de cent qua


rante-trois ans ; il fut marié pendant l'espace de qua
tre-vingt-dix ans avec l'Indienne Andrea Alea Zar ,
qui avait atteint l'âge de cent dix-sept ans. Ce vieil
lard péruvien fit jusqu'à l'âge de cent trente ans
journellement trois à quatre lieues à pied il devint
aveugle treize ans avant sa mort , ne laissant de douze
enfans qu'une fille de soixante-seize ans.
Les indigènes à teint cuivré jouissent d'un avantage
physique qui tient sans doute à la grande simplicité

L
366 LIVRE II ,

avec laquelle leurs ancêtres ont vécu depuis des mil


liers d'années ; ils ne sont presque sujets à aucune
difformité . Je n'ai jamais vu un Indien bossu ; il est
extrêmement rare d'en voir de louches , de boîteux
ou de manchots . Dans des pays dont les habitans
souffrent du goitre , cette affection de la glande thy
roïde ne s'observe jamais chez les Indiens , rarement
chez les Métis . C'est à cette dernière caste qu'appar
tient aussi le fameux géant mexicain , que l'on nomme
faussement indien , Martin Salmeron , qui a une taille
de 2,224 ou 6 pieds 10 pouces 23 lignes du pied
de Paris . Il est fils d'un Métis qui a épousé une In
dienne du village de Chilapa el Grande , près de Chil
panzingo. *
En ne considérant que les sauvages chasseurs ou
guerriers , on pourrait croire que l'on ne voit parmi eux
que des hommes bien faits , parce que les individus qui
ont des difformités naturelles , ou périssent de fatigue ,

ou sont délaissés par leurs parens ; mais les Indiens


mexicains et péruviens , ceux de Quito et de la Nou
velle- Grenade , parmi lesquels j'ai vécu pendant long
temps, sont des agriculteurs que l'on ne peut com

* Telle est la véritable grandeur de ce géant , le mieux propor


tionné que j'aie jamais vu. Il a un pouce de plus que le géant de
Tornéo qu'on a vu à Paris en 1735. Les gazettes américaines don
nent à Salmeron 7 pieds un pouce , mesure de Paris. Gazetta de Goa
timala , 1800. Agosto , Annales de Madrid, tom. IV , nº 12. L'espèce
humaine paraît varier de 2 pieds 4 pouces à 7 pieds 8 pouces ou
de om , 757 à 2m., 490. ( Schreber Mamm. , t. 1 , p. 27.)
CHAPITRE VI. 367

parer qu'à la classe de nos paysans européens. Il


n'est donc pas douteux que l'absence de difformi
tés naturelles observée parmi eux ne soit l'effet de
leur genre de vie et de la constitution propre à leur
race. Tous les hommes à peau très bazannée , ceux
d'origine mongole et américaine , surtout les Nègres ,
participent au même avantage. On est tenté de croire
que la race arabe-européenne a une plus plus grande
flexibilité d'organisation , et que , modifiée aisément
par un grand nombre de causes extérieures , par la
variété d'alimens , de climats et d'habitudes , cette
organisation tend plus souvent à dévier de son type

primitif.
Ce que nous venons d'énoncer sur la forme exté
rieure des indigènes de l'Amérique , confirme l'asser

tion de plusieurs autres voyageurs , sur l'analogie qui


existe entre les Américains et la race mongole . Cette
analogie se présente surtout dans la couleur de la peau

et des cheveux , dans le peu de barbe , dans les pom


mettes saillantes et dans la direction des yeux . On ne
peut se refuser d'admettre que l'espèce humaine n'offre
pas de races plus voisines que le sont celles des Amé
ricains , des Mongols , des Mantchoux et des Malais.
Mais la ressemblance de quelques traits ne constitue
pas une identité de race. Si les peintures hierogly
phiques , si les traditions des habitans d'Anahuac re

cueillies par les premiers conquérans paraissent indi


quer qu'un essaim de peuples errans se répandit du
nord-ouest vers le sud , il ne faut pas en conclure que
368 LIVRE II ,

tous les indigènes du nouveau continent soient d'ori

gine asiatique. En effet , l'ostéologie nous apprend


que le crâne de l'Américain diffère assez de celui
de la race mongole : le premier offre une ligne
faciale plus inclinée , quoique plus droite que celle
du Nègre ; il n'y a pas de race sur le globe dans la
quelle l'os frontal soit plus déprimé en arrière ou qui
ait le front moins saillant *. L'Américain a les os de

la pommette presque aussi proéminens que le Mongol ;


mais les contours en sont plus arrondis , à angles
moins aigus. La mâchoire inférieure est plus large
que chez le Nègre ; les branches en sont moins écar
tées que dans la race mongole. L'os occipital est moins

bombé , et les protubérances qui correspondent au


cervelet , et auxquelles le système de M. Gall donne

* Cet aplatissement extraordinaire se trouve chez des peuples qui


n'ont jamais connu les moyens de produire des difformités artifi
cielles , comme le prouvent les crânes d'Indiens mexicains , péru
viens et aturès que nous avons rapportés , M. Bonpland et moi ,
et dont plusieurs ont été déposés au Muséum d'histoire naturelle
à Paris. J'incline à croire que l'usage barbare introduit parmi quel
ques hordes sauvages , de comprimer la tête des enfans entre deux
planches , naît de l'idée que la beauté consiste dans une forme
de l'os frontal , qui caractérise la race d'une manière prononcée. Les
Nègres donnent la préférence aux lèvres les plus grosses et les plus
proéminentes ; les Calmouques l'accordent aux nez retroussés. Les
Grecs , dans les statues des héros , ont relevé la ligne faciale outre
nature de 85 à 100° ( Cuvier, Anat. comparée , t. 2 , p. 6. ) Les Az
tèques, qui n'ont jamais défiguré la tête des enfans , représentaient
leurs principales divinités , comme le prouvent leurs manuscrits
hieroglyphiques, avec une tête beaucoup plus aplatie que je ne l'ai
vue chez aucun Caribe.
CHAPITRE VI. 369
une grande importance , sont peu sensibles . Peut-être
cette race d'hommes à teint cuivré , que nous com
prenons sous le nom général d'Indiens américains , est
elle un mélange de peuplades asiatiques et d'indigènes
primitifs propres à ce vaste continent ; peut-être les
figures à énormes nez aquilins que l'on observe dans
les peintures hiéroglyphiques mexicaines conservées
à Vienne , à Velletri et à Rome , comme dans les frag
mens historiques que j'ai rapportés , indiquaient -elles
la physionomie de quelques races éteintes ? Les sau
vages Canadiens se nomment eux-mêmes des Metok
theniakes , nés du sol , sans que les robes noires *
(nom qu'ils donnent aux missionnaires ) aient pu leur
persuader le contraire .
Quant aux facultés morales des indigènes mexicains ,
il est difficile de les apprécier avec justesse , si l'on ne
considère cette caste souffrante sous une longue ty
rannie que dans son état actuel d'avilissement . Au

commencement de la conquête espagnole , les Indiens

les plus aisés , et chez lesquels on pouvait supposer un


certain degré de culture intellectuelle , périssaient , en
grande partie , victimes de la férocité des Européens.
Le fanatisme chrétien sévit surtout contre les prêtres
aztèques ; on extermina les Teopixqui ou ministres de
la divinité , tous ceux qui habitaient les Teocalli ** ou les
maisons de Dieu , et qui étaient les dépositaires des


Volney, t. 2 , p. 438.
** De Teotl , Dieu , : ;.
1. 24
370 LIVRE 11 ,

connaissances historiques , mythologiques et astrono


miques du pays ; car c'étaient les prêtres qui obser
vaient l'ombre méridienne aux gnomons , et qui ré
glaient les intercalations. Les moines firent brûler les
peintures hiéroglyphiques par lesquelles des connais
sances de tout genre se transmettaient de génération
à génération . Privé de ces moyens d'instruction , le
peuple retomba dans une ignorance d'autant plus
profonde , que les missionnaires , peu versés dans les
langues mexicaines , substituaient peu d'idées nou
velles aux idées anciennes. Les femmes indiennes qui
avaient conservé quelque fortune , aimèrent mieux
s'allier au peuple conquérant que de partager le mé
pris qu'on avait pour les Indiens. Les soldats espa
gnols étaient d'autant plus avides de ces alliances ,
que très peu de femmes européennes avaient suivi
l'armée. Il ne resta donc des naturels que la race la

plus indigente ; les pauvres cultivateurs , les artisans ,


parmi lesquels on comptait un grand nombre de tisse
rands , les portefaix dont on se servait comme de bêtes
de somme , et surtout cette lie du peuple , cette foule
de mendians qui , attestant l'imperfection des institu
tions sociales et le joug de la féodalité , remplissaient
déjà , du temps de Cortez , les rues de toutes les
grandes villes de l'empire mexicain . Or , d'après ces
restes misérables d'un peuple puissant , comment juger
et du degré de culture auquel il s'était élevé depuis le
douzième siècle jusqu'au seizième , et du développe
ment intellectuel dont il est susceptible ? Si de la na
CHAPITRE VI. 371

tion française ou allemande il ne restait un jour que


les pauvres agriculteurs , lirait-on dans leurs traits

qu'ils appartenaient à des peuples qui ont produit les


Descartes , les Clairaut , les Kepler et les Leibnitz ?
Nous observons que , même en Europe , le bas

peuple , pendant des siècles entiers , ne fait que des


progrès très lents dans la civilisation . Le paysan breton
ou normand , l'habitant de l'Ecosse septentrionale ,
different aujourd'hui bien peu de ce qu'ils étaient
du temps de Henri IV et de Jacques Ier . En étudiant
ce que les lettres de Cortez , les mémoires de Bernal
Diaz , écrits avec une admirable naïveté , et d'autres
historiens contemporains , nous rapportent sur l'état
dans lequel on trouva , du temps du roi Montezuma 11 ,
les habitans de Mexico , de Tezcuco , de Cholollan et
de Tlascala , on croit voir le tableau des Indiens de

nos temps même nudité dans les régions chaudes ,


même forme de vêtemens sur le plateau central , mêmes
habitudes dans la vie domestique. Comment aussi de
grands changemens pourraient- ils s'opérer sur les in
digènes , quand on les tient isolés dans des villages
dans lesquels les blancs n'osent pas s'établir , quand
la différence des langues met une barrière presque
insurmontable entre eux et les Européens , quand ils
sont vexés par des magistrats que des considérations

politiques font choisir dans leur sein , quand enfin


ils ne doivent attendre leur perfectionnement moral
et civil que d'un homme qui leur parle de mystères ,
de dogmes et de cérémonies dont ils ignorent le but ?
24.
372 LIVRE II ,

Il ne s'agit point ici de discuter ce que les Mexicains


ont été avant la conquête des Espagnols ; nous avons
touché cet objet intéressant au commencement de ce
chapitre. En observant que les indigènes avaient une
connaissance presque exacte de la grandeur de l'année ,
qu'ils intercalaient à la fin de leur grand cycle de 104
ans avec plus d'exactitude que les Grecs * , les Romains
et les Egyptiens , on est tenté de croire que ces pro
grès ne sont pas l'effet du développement intellectuel
des Américains même, mais qu'ils les devaient à leur com
munication avec quelque peuple très cultivé de l'Asie
centrale. Les Toultèques paraissent dans la Nouvelle
Espagne au septième siècle , les Aztèques au douzième ;
déjà ils dressent la carte géographique du pays par
couru , déjà ils construisent des villes , des chemins ,
des digues , des canaux , d'immenses pyramides très
exactement orientées , et dont la base a jusqu'à 438
mètres de long. Leur système de féodalité , leur hié
rarchie civile et militaire se trouvent dès - lors si

compliqués , qu'il faut supposer une longue suite


d'événemens politiques pour que l'enchaînement sin

* M. Laplace a reconnu dans l'intercalation mexicaine , sur la


quelle je lui ai fourni des matériaux recueillis par Gama , que la
durée de l'année tropique des Mexicains est presque identique avec
la durée trouvée par les astronomes d'Almamon. Voyez , sur cette
observation importante pour l'histoire de l'origine des Aztèques ,
l'Exposition du système du monde troisième édition , p. 554. Les Vues
des Cordillères et Monumens des peuples de l'Amérique, ( in-8") tom. I ,
p. 332-392 ; tom. 1, p. 1-99 et la notice historique placée à la fin
de ce sixième chapitre,
CHAPITRE VI. 373

gulier des autorités de la noblesse et du clergé ait pu


ains s'établir ; et pour qu'une petite portion du peuple ,
Fons esclave elle-même du sultan mexicain , ait pu subju
le ce guer la grande masse de la nation . L'Amérique méri
une dionale nous offre des formes singulières de gouverne
*
Tee, mens théocratiques : tels étaient ceux du Zaque de
101 Bogota (l'ancienne Cundinamarca) et de l'Ynca du Pé
ains rou , deux empires étendus dans lesquels le despotisme
ro. se cachait sous les apparences d'un régime doux et
tuel patriarchal. Au Mexique , au contraire , de petites
om peuplades , lassées de la tyrannie , s'étaient donné des
Asie constitutions républicaines. Or , ce n'est qu'après de
longs orages populaires que ces constitutions libres

me; peuvent se former. L'existence des républiques n'in


Dar dique pas une civilisation très récente. Comment , en
ns, effet , douter qu'une partie de la nation mexicaine ne
rès fût parvenue à un certain degré de culture , en réflé
38 chissant sur le soin avec lequel les livres hieroglyphi
ie ques ** furent composés , en se rappelant qu'un citoyen

te L'empire du Zaque , qui embrassait le royaume de la Nouvelle


Grenade , fut fondé par Idacanzas ou Bochica , personnage mys
térieux qui, d'après les traditions des Mozcas, vécut dans le temple du
soleil de Sogamozo pendant 2000 ans.
* Les manuscrits aztèques sont écrits ou sur du papier d'agave, ou
sur des peaux de cerfs ; ils ont souvent 20 à 22 mètres ou 60 à 70
pieds de long ; chaque page a 100 à 150 pouces carrés de surface
Ces manuscrits sont pliés çà et là en losange ; des planches de bois
très minces attachées aux extrémités en forment la reliure et leur
donnent de la ressemblance avec nos livres in-4°. Aucune nation con
nue de l'ancien continent n'a fait un usage aussi étendu de l'écriture
374 LIVRE II,

de Tlascala , au milieu du bruit des armes , profita de


la facilité que lui offrait notre alphabet romain , pour
écrire dans sa langue cinq gros volumes sur l'histoire
d'une patrie dont il déplorait l'avilissement ?
Nous ne résoudrons point ici le problème , d'ailleurs
si important pour l'histoire , si les Mexicains du quin
zième siècle étaient plus civilisés que les Péruviens , et
si les uns et les autres , abandonnés à eux-mêmes ,
n'auraient pas fait des progrès plus rapides vers la
culture intellectuelle que ceux qu'ils ont faits sous
la domination du clergé espagnol ? Nous n'examine
rons pas non plus si , malgré le despotisme des princes
aztèques , le perfectionnement de l'individu trouvait
moins d'entraves au Mexique que dans l'Empire des
Yncas. Dans ce dernier , le législateur n'avait voulu
agir sur les hommes que par masses ; en les contenant
dans une obéissance monastique , en les traitant comme
des machines animées , il les forçait à des travaux qui
nous étonnent par leur ordonnance , par leur gran
deur , et surtout par la persévérance de ceux qui les
ont dirigés. Si nous analysons le mécanisme de cette
théocratie péruvienne généralement trop vantée en

hieroglyphique ; aucune ne nous présente de vrais livres reliés comme


ceux que nous venons de décrire. Il ne faut pas confondre avec ces
livres d'autres peintures aztèques composées avec les mêmes signes ,
mais en forme de tapisseries de plus de 60 pieds carrés. J'en ai vu
quelques-uns dans les archives de la vice-royauté à Mexico ; j'en
possède moi-même des fragmens que j'ai fait graver dans l'Atlas
pittoresque qui accompagne la Relation historique de mon voyage.
CHAPITRE VI . 375

Europe , nous observerons que partout où les peuples


sont divisés en castes , dont chacune ne peut s'adonner
qu'à de certains genres de travaux , que partout où les
habitans ne jouissent pas d'une propriété particulière
et travaillent au seul profit de la communauté , on

pourra trouver des canaux , des chemins , des aque


ducs , des pyramides , des constructions immenses ;
mais que ces peuples , conservant pendant des milliers
d'années le même aspect d'aisance extérieure , n'avan
cent presque pas dans la culture morale , qui est le ré
sultat de la liberté individuelle.

Dans le tableau que nous traçons des différentes


races d'hommes qui composent la population de la
Nouvelle-Espagne , nous nous bornons à considérer
l'Indien mexicain dans son état actuel. Nous ne re

connaissons en lui ni cette mobilité de sensations , de


gestes et de traits , ni cette activité d'esprit qui carac
térisent avantageusement plusieurs peuples des régions
équinoxiales de l'Afrique. Il n'existe pas de contraste

plus marquant que celui qu'offrent la vivacité impé


tueuse des Nègres du Congo et le flegme apparent de
l'Indien cuivré. C'est surtout le sentiment de ce con

traste qui porte les femmes indiennes à préférer les


Nègres , non-seulement aux hommes de leur propre
race , mais aux Européens même. L'indigène mexicain
est grave , mélancolique , silencieux , aussi long-temps
que les liqueurs enivrantes n'ont pas agi sur lui. Cette
gravité est surtout remarquable dans les enfans indiens ,

qui , à l'âge de quatre ou cinq ans, montrent beaucoup


376 LIVRE II ,

plus d'intelligence et de développement que les enfans


des blancs. Le Mexicain aime à mettre du mystérieux
dans ses actions les plus indifférentes ; les passions les
plus violentes ne se peignent pas dans ses traits : il
présente quelque chose d'effrayant lorsqu'il passe tout
à-coup du repos absolu à une agitation violente et
effrénée. L'indigène du Pérou a plus de douceur dans
ses mœurs ; l'énergie du Mexicain dégénère en dureté .
Ces différences peuvent naître de celles du culte et
de l'ancien gouvernement des deux pays . Cette éner
gie se déploie surtout chez les habitans de Tlascala.
Au milieu de leur avilissement actuel , les descendans
de ces républicains se distinguent encore par une cer
taine fierté de caractère que leur inspire le souvenir
de leur ancienne grandeur.
Les Américains , comme les habitans de l'Indoustan
et comme tous les peuples qui ont gémi long-temps
sous le despotisme civil et religieux , tiennent avec une
opiniâtreté extraordinaire à leurs habitudes , à leurs
mœurs , à leurs opinions . Je dis à leurs opinions , car
l'introduction du christianisme n'a presque pas pro
duit d'autre effet sur les indigènes du Mexique que de

substituer des cérémonies nouvelles , symboles d'une


religion douce et humaine, aux cérémonies d'un culte
sanguinaire. Ce passage d'un rite ancien à un rite
nouveau , a été l'effet de la contrainte et non de la
persuasion. Des événemens politiques ont amené ce
changement. Dans le nouveau continent , comme dans
l'ancien , les peuples à demi barbares étaient accoutu
CHAPITRE VI . 377

més à recevoir , des mains du vainqueur , de nouvelles


lois , de nouvelles divinités ; les dieux indigènes et
vaincus leur paraissaient céder aux dieux étrangers.

Dans une mythologie aussi compliquée que celle des


Mexicains , il était facile de trouver une parenté entre
les divinités d'Aztlan et celles de l'Orient. Cortez sut

même profiter adroitement d'une tradition populaire ,


d'après laquelle les Espagnols n'étaient que les descen
dans du roi Quetzalcohuatl , qui avait passé du Mexique
à des pays situés à l'est pour y porter la culture et les

lois. Les livres rituels que les Indiens composèrent en


caractère hieroglyphique au commencement de la con
quête , et dont je possède quelques fragmens , démon
trent évidemment qu'à cette époque , le christianisme
se confondait avec la mythologie mexicaine : le Saint
Esprit s'identifiait avec l'aigle sacré des Aztèques . Les
missionnaires ne toléraient pas seulement , ils favori
saient même , jusqu'à un certain point , ce mélange
d'idées par lequel le culte chrétien s'introduisait plus
facilement chez les indigènes ; ils leur persuadèrent que
l'Evangile , dans des temps très anciens , avait déjà été
prêché en Amérique ; ils en recherchèrent les traces
dans le rite aztèque , comme de nos jours , les savans
qui s'adonnent à l'étude du sanscrit discutent l'ana
logie de la mythologie grecque avec celle des bords du
Gange et du Bourampouter.
Ces circonstances , qui seront détaillées dans un
autre ouvrage , expliquent comment les indigènes
mexicains , malgré l'opiniâtreté avec laquelle ils adhè
378 LIVRE II,

rent à tout ce qui leur vient de leurs pères , ont oublié


facilement leurs rites anciens . Ce n'est pas un dogme

qui a cédé au dogme ; ce n'est qu'un cérémonial qui a


fait place à l'autre. Les natifs ne connaissent de la re
ligion que les formes extérieures du culte. Amateurs
de tout ce qui tient à un ordre de cérémonies pres
crites , ils trouvent dans le culte chrétien des jouis
sances particulières. Les fêtes de l'église , les feux d'ar
tifice qui les accompagnent , les processions , mêlées
de danses et de travestissemens baroques , sont pour le
bas peuple indien une source féconde de divertisse
mens . C'est dans ces fêtes que se déploie le caractère
national dans toute son individualité. Partout le rite

chrétien a pris les nuances du pays dans lequel il a été


transplanté . Aux îles Philippines et Marianes , les peu
ples de la race Malaye l'ont mêlé aux cérémonies qui
leur sont propres . Dans la province de Pasto , sur le
dos de la Cordillère des Andes , j'ai vu des Indiens
masqués et ornés de grelots exécuter des danses sau
vages autour de l'autel , tandis qu'un moine de Saint
François élevait l'hostie.

Accoutumés à un long esclavage , tant sous la domi


nation de leurs propres souverains que sous celle des
premiers conquérans , les indigènes du Mexique souf
frent patiemment les vexations auxquelles ils sont en
core assez souvent exposés de la part des blancs . Ils ne
leur opposent qu'une ruse voilée sous les apparences

les plus trompeuses de l'apathie et de la stupidité. Ne


pouvant se venger que rarement des Espagnols , l'In
CHAPITRE VI . 379

dien fait cause commune avec eux pour opprimer


ses concitoyens. Vexé depuis des siècles , forcé à une
obéissance aveugle , il a le desir de tyranniser à son
tour. Les villages indiens sont gouvernés par des ma
gistrats de la race cuivrée ; un alcade indien exerce son
pouvoir avec une dureté d'autant plus grande , qu'il
est sûr d'être soutenu ou par le curé ou par le subdé
légué espagnol. L'oppression a partout les mêmes ef
fets , partout elle corrompt la morale.
Les indigènes appartenant presque tous à la classe
des paysans et du bas peuple , il n'est pas facile de
juger de leur aptitude pour les arts qui embellissent
la vie. Je ne connais aucune race d'hommes qui pa
raisse plus dénuée d'imagination. Lorsqu'un Indien
parvient à un certain degré de culture , il montre une
grande facilité d'apprendre , un esprit juste , une logi
que naturelle , un penchant particulier à subtiliser ou
à saisir les différences les plus fines des objets à com
parer ; il raisonne froidement et avec ordre , mais il ne
manifeste pas cette mobilité d'imagination , ce coloris
du sentiment, cet art de créer et de produire qui carac
térisent les peuples du midi de l'Europe et plusieurs
tribus de Nègres africains. Je n'énonce cependant
cette opinion qu'avec réserve ; il faut être infiniment
circonspect en prononçant sur ce que l'on ose appeler
les dispositions morales ou intellectuelles de peuples
dont nous sommes séparés par les entraves multipliées
qui naissent de la différence des langues , de celle des
habitudes et des mœurs . Un observateur philosophe
380 LIVRE II ,

trouve inexact ce que , dans le centre de l'Europe cul


tivée , on a imprimé sur le caractère national des Es
pagnols , des Français , des Italiens et des Allemands .
Comment un voyageur , après avoir abordé dans une
île, après avoir séjourné pendant quelque temps dans
un pays lointain , s'arrogerait-il le droit de prononcer
sur les diverses facultés de l'âme , sur la prépondérance
de la raison , de l'esprit et de l'imagination des peuples?
La musique et la danse des indigènes se ressentent
du manque de gaîté qui les caractérise. Nous avons ,

M. Bonpland et moi , observé la même chose dans


toute l'Amérique méridionale. Le chant est lugubre
et mélancolique. Les femmes indiennes déploient plus
de vivacité que les hommes ; mais elles partagent les
malheurs de l'asservissement auquel le sexe est con

damné chez tous les peuples où la civilisation est en


core très imparfaite. Les femmes ne prennent géné
ralement point part à la danse ; elles y assistent pour
présenter aux danseurs des boissons fermentées qu'elles
ont préparées de leurs mains .
Les Mexicains ont conservé un goût particulier pour
la peinture et pour l'art de sculpter en pierre et en bois.
On est étonné de voir ce qu'ils exécutent avec un mau
vais couteau et sur les bois les plus durs . Ils s'exercent

surtout à peindre des images et à sculpter des statues


de saints. Ils imitent servilement , depuis trois cents
ans , les modèles que les Européens ont portés avec
eux au commencement de la conquête . Cette imitation
tient même à un principe religieux qui date de très
1
CHAPITRE VI. 381

loin. Au Mexique , comme dans l'Indoustan , il n'était


pas permis aux fidèles de changer la moindre chose à
la figure des idoles. Tout ce qui appartenait au rite
des Aztèques et des Indous était assujéti à des lois im
muables. C'est par cette même raison que l'on juge
mal de l'état des arts et du goût national chez ces peu
ples , si l'on ne considère que les figures monstrueuses
sous lesquelles ils représentaient leurs divinités. Au
Mexique , les images chrétiennes ont conservé en
partie cette roideur et cette dureté des traits qui carac
térisaient les tableaux hieroglyphiques du siècle de
Montezuma. Plusieurs enfans indiens élevés dans les
colléges de la capitale ou instruits à l'Académie de

peinture fondée par le roi , se sont distingués , sans


doute ; mais c'est moins par leur génie que par leur

application. Sans sortir jamais de la route frayée , ils


montrent beaucoup d'aptitude pour l'exercice des arts
d'imitation ; ils en déploient une plus grande encore
pour les arts purement mécaniques . Cette aptitude
deviendra un jour très précieuse , lorsque les manu
factures prendront de l'essor dans un pays où il reste
tout à créer à un gouvernement régénérateur.
Les Indiens mexicains ont conservé le même goût

pour les fleurs , que Cortez leur trouvait de son temps .


Un bouquet était le cadeau le plus précieux que l'on

fît aux ambassadeurs qui visitaient la cour de Mon


tezuma. Ce monarque et ses prédécesseurs avaient
réuni un grand nombre de plantes rares dans les jar
dins d'Istapalapan . Le fameux arbre à mains , le
382 LIVRE JI ,

Cheirostemon * , décrit par M. Cervantes , et dont on

ne connut pendant long-temps qu'un seul individu


d'une haute antiquité , paraît indiquer que les rois de
Toluca cultivaient aussi des arbres étrangers à cette

partie du Mexique. Cortez , dans ses lettres à l'empe


reur Charles-Quint , vante souvent l'industrie que les
Mexicains déployaient dans le jardinage ; il se plaint
que l'on ne lui envoie pas les graines des fleurs d'or
nement et de plantes utiles qu'il a demandées à ses amis
de Séville et de Madrid. Le goût pour les fleurs in
dique sans doute le sentiment du beau. On est étonné
de le trouver chez une nation dans laquelle un culte
sanguinaire et la fréquence des sacrifices paraissaient
avoir éteint tout ce qui tient à la sensibilité de l'âme
et à la douceur des affections. Au grand marché de
Mexico , le natif ne vend pas de pêches , pas d'ananas ,

pas de légumes, pas de pulque ( le jus fermenté de


l'agave ) , sans que sa boutique ne soit ornée de fleurs
qui se renouvellent tous les jours. Le marchand in
dien paraît assis dans un retranchement de verdure.
Une haie d'un mètre de haut et formée d'herbes fraî

ches , surtout de graminées à feuilles délicates, entoure,

comme un mur semi-circulaire , les fruits qui sont

M. Bonpland en a donné une figure dans nos plantes équi


noxiales, vol. 1, pag. 75 , pl. xxiv. Depuis peu , on a des pieds de l'arbol
de las manitas dans les jardins de Montpellier et de Paris. Le Cheiros
temon est aussi remarquable , par la forme de sa corolle , que l'est ,
par la forme de ses fruits , le Gyrocarpus mexicain que nous avons
introduit dans les jardins d'Europe , et dont l'illustre Jacquin n'avait
pu trouver la fleur.
CHAPITRE VI . 383

offerts au public . Le fond , d'un vert uni , est divisé


par des guirlandes de fleurs qui sont parallèles les
unes aux autres. De petits bouquets placés symétri
quement entre les festons , donnent à cette enceinte

l'apparence d'un tapis parsemé de fleurs. L'Européen


qui se plaît à étudier les habitudes du bas peuple ,
doit aussi être frappé du soin et de l'élégance avec
lesquels les natifs distribuent les fruits qu'ils vendent
dans de petites cages faites d'un bois très léger. Les
sapotilles (achras ) , le mammea , les poires et les rai
sins en occupent le fond , tandis que le sommet est
orné de fleurs odoriférantes. Cet art d'entrelacer des

fleurs et des fruits date-t-il peut-être de cette époque


heureuse où , long-temps avant l'introduction d'un rite
inhumain , semblables aux Péruviens , les premiers ha
bitans d'Anahuac offraient au grand esprit Teotl les
prémices de leur récolte?
Les traits que j'ai recueillis et qui caractérisent les
natifs du Mexique, appartiennent à l'Indien cultivateur,
dont la civilisation , comme nous l'avons énoncé plus
haut, se rapproche de celle des Chinois et des Japonais.
Je ne dépeindrais que plus imparfaitement encore les
mœurs des Indiens nomades que les Espagnols em
brassent sous la dénomination d'Indios bravos, et dont

je n'ai vu qu'un petit nombre d'individus , transportés à


la capitale comme prisonniers de guerre. Les Mecos

( tribu des Chichimèques ) , les Apaches , les Lipans ,


sont des hordes de peuples chasseurs qui , dans leurs
courses souvent nocturnes , infestent les frontières de
384 LIVRE II ,

la Nouvelle-Biscaye , de la Sonora et du Nouveau


Mexique. Ces sauvages , comme ceux de l'Amérique
méridionale , annoncent plus de mobilité d'esprit , plus
de force de caractère que les Indiens cultivateurs.
Quelques peuplades ont même des langues dont le mé
canisme prouve une ancienne civilisation . Ils ont beau

coup de difficulté d'apprendre nos idiomes européens ,


tandis qu'ils s'expriment dans le leur avec une facilité
extrême . Ces mêmes chefs indiens , dont la morne ta
citurnité étonne l'observateur , tiennent des discours
de plusieurs heures , lorsqu'un grand intérêt les excite
à rompre leur silence habituel. Nous avons observé
cette même volubilité de langue , dans les missions de
la Guyane espagnole , parmi les Caribes du Bas-Oré
noque , dont le langage est singulièrement riche et

sonore.

Après avoir examiné la constitution physique et les


facultés intellectuelles des Indiens ; il nous reste à jeter
un coup-d'œil rapide sur leur état social . L'histoire des
dernières classes d'un peuple est la relation des évène
mens funestes qui , en fondant à-la-fois une grande inéga
lité de fortune , de jouissance et de bonheur individuel ,
ont placé peu-à -peu une partie de la nation sous la tutelle
et dans la dépendance de l'autre. Cette relation , nous
la cherchons presque en vain dans les annales de l'his

* J'ai donné la description des peuples Caribes , dans la Relation


Historique ( éd. in-4° ) , tom. 1 , p. 461 , 496 ; tom. II , p. 97, 260, 395 ;
et surtout tom. 1 , p. 10 et 161.
CHAPITRE VI. 385

toire ; elles conservent la mémoire des grandes révo


lutions politiques , des guerres , des conquêtes et d'au
tres fléaux qui ont accablé l'humanité ; elles nous
apprennent peu sur le sort plus ou moins déplorable
de la classe la plus pauvre et la plus nombreuse de la
société. Il n'y a qu'une très petite partie de l'Europe
dans laquelle le cultivateur jouisse librement du fruit
de ses travaux ; et cette liberté civile , nous sommes
forcés de l'avouer , n'est point autant le résultat d'une
civilisation avancée que l'effet de ces crises violentes
pendant lesquelles une classe ou un état a profité des
dissensions des autres. Un vrai perfectionnement des
institutions sociales dépend , sans doute , des lu
mières et du développement intellectuel ; mais l'en
chaînement des ressorts qui meuvent un état est tel
que , dans une partie de la nation , ce développement
peut faire des progrès très marquans , sans que la si
tuation des classes inféricures en devienne plus heu
reuse. Presque tout le nord de l'Europe nous confirme
cette triste expérience il offre des pays dans les
quels , malgré la civilisation vantée des hautes classes

de la société , le cultivateur vit encore presque dans


le même avilissement sous lequel il gémissait trois ou
quatre siècles plus tôt. Nous trouverions peut-être le
ort des Indiens plus heureux , si nous le comparions
à celui des paysans de la Courlande , de la Russie et
d'une grande partie de l'Allemagne septentrionale.
Les indigènes que nous voyons répandus aujour
d'hui dans les villes , et surtout dans la campagne du
I. 25
386 LIVRE II ,

Mexique , et dont le nombre (en excluant ceux de sang


mêlé ) s'élève à trois millions et demi , sont , ou des
cendans d'anciens cultivateurs , ou les restes de quel

ques grandes familles indiennes qui , dédaignant de


s'allier aux conquérans espagnols , ont préféré de la
bourer de leurs mains les champs que jadis ils faisaient
cultiver par leurs vassaux . Cette différence influe sen

siblement sur l'état politique des natifs ; elle les divise


en Indiens tributaires et Indiens nobles ou Caciques .
Ces derniers , d'après les lois espagnoles , doivent par

ticiper aux priviléges de la noblesse de Castille ; mais ,


dans leur situation actuelle , cet avantage n'est qu'il
lusoire. Il est difficile de distinguer, par leur extérieur,
les Caciques de ces indigènes , dont les ancêtres , du
temps de Montezuma II , constituaient déjà le bas
peuple ou la dernière caste de la nation mexicaine.
Le noble , par la simplicité de son vêtement et de sa

nourriture , par l'aspect de misère qu'il aime à présen


ter , se confond facilement avec l'Indien tributaire. Ce
dernier témoigne au premier un respect qui indique la
distance prescrite par les anciennes constitutions de la
hiérarchie aztèque. Les familles qui jouissent des droits
héréditaires du Cacicasgo, loin de protéger la caste des
natifs tributaires , abusent le plus souvent de leur in
fluence. Comme ils exercent la magistrature dans les
villages indiens , ce sont eux qui lèvent la capitation .
Non-seulement ils se plaisent à devenir les instrumens
des vexations des blancs , mais ils se servent aussi de
leur pouvoir et de leur autorité pour extorquer de
CHAPITRE VI. 387

petites sommes à leur profit. Des intendans éclairés ,


qui ont étudié pendant long-temps l'intérieur de ce
régime indien , assurent que les caciques pèsent for
tement sur les indigènes tributaires . De même , dans
plusieurs parties de l'Europe , où les juifs sont encore
privés des droits de citoyen , les rabbins pèsent sur les
membres de la commune qui leur est confiée . La no
blesse aztèque offre la même grossièreté de mœurs ,

le même manque de civilisation que le bas peuple


indien ; elle demeure , pour ainsi dire , dans le même
isolement , et les exemples de natifs mexicains qui ,
jouissant du Cacicasgo , ont suivi la carrière de la

robe ou de l'épée , sont infiniment rares. On trouve


plus d'Indiens qui ont embrassé l'état ecclésiastique ,
surtout celui de curé la solitude des couvens ne

paraît avoir d'attraits que pour les jeunes filles in


diennes.

Lorsque les Espagnols firent la conquête du Mexi


que , ils trouvèrent déjà le peuple dans cet état d'ab
jection et de pauvreté qui accompagne partout le des
potisme et la féodalité. L'empereur , les princes , la
noblesse et le clergé ( les Teopixqui) possédaient seuls
les terres les plus fertiles ; les gouverneurs de province
se permettaient impunément les exactions les plus
graves ; le cultivateur était avili . Les grands chemins ,
comme nous l'avons observé plus haut , fourmillaient
de mendians ; le manque de grands quadrupèdes do
mestiques forçait des milliers d'Indiens à faire le mé
tier des bêtes de somme et à servir pour le transport
25.
388 LIVRE II ,

du maïs , du coton , des peaux et d'autres denrées que


les provinces les plus éloignées envoyaient comme tri
but à la capitale. La conquête rendit l'état du bas
peuple bien plus déplorable encore ; on arracha le cul
tivateur au sol , pour le traîner dans des montagnes

où commençait l'exploitation des mines ; un grand


nombre d'Indiens fut obligé de suivre les armées , et

de porter , manquant de nourriture et de repos , par


des chemins montueux , des fardeaux qui excédaient
leurs forces . Toute propriété indienne , soit mobilière ,
soit foncière , était regardée comme appartenant au

vainqueur. Ce principe atroce fut même sanctionné


par une loi qui assigne aux indigènes une petite por
tion de terrein autour des églises nouvellement con
struites .

La cour d'Espagne , voyant que le nouveau conti


nent se dépeuplait d'une manière rapide , prit des me
sures bienfaisantes en apparence , mais que l'avarice
et la ruse des conquérans ( Conquistadores ) sut faire
tourner contre ceux dont on se flattait de soulager
les malheurs . On introduisit le système des Encomien
das. Les indigènes , dont la reine Isabelle avait vai
nement proclamé la liberté , étaient jusqu'alors esclaves
des blancs , qui se les agrégeaient indistinctement. Par
l'établissement des Encomiendas , l'esclavage prit des

formes plus régulières. Pour finir les rixes entre les


Conquistadores , on partagea les restes du peuple con
quis : les Indiens , divisés en tribus de plusieurs cen
taines de familles , eurent des maîtres nommés en Es
CHAPITRE VI. 389

pagne parmi les soldats qui s'étaient distingués dans


la conquête , et parmi les gens de loi * , que la cour
envoya pour gouverner les provinces et pour servir de
contre-poids au pouvoir usurpateur des généraux . Un
grand nombre d'Encomiendas et des plus considéra
bles furent distribuées aux moines. La religion qui , par

ses principes , devait favoriser la liberté , fut avilie en


profitant elle-même de la servitude du peuple. Cette ré
partition des Indiens les attacha à la glèbe : leur travail
appartenait aux Encomenderos. Le serf prit souvent
le nom de famille de son maître. Beaucoup de familles
indiennes portent encore aujourd'hui des noms espa

gnols , sans que leur sang ait jamais été mêlé au sang
européen. La cour de Madrid croyait avoir donné des
protecteurs aux Indiens ; elle avait empiré le mal
elle avait rendu l'oppression plus systématique .
Tel fut l'état des cultivateurs mexicains au seizième

et au dix-septième siècle. Depuis le dix-huitième , leur


sort a commencé à devenir progressivement plus heu
reux. Les familles des Conquistadores se sont éteintes
en partie. Les Encomiendas , considérées comme fiefs ,
n'ont point été distribuées de nouveau . Les vice-rois ,
et surtout les Audiencias , ont veillé sur les intérêts
des Indiens ; leur liberté , et , dans plusieurs provinces ,
leur aisance même, ont augmenté peu à peu. C'est le

roi Charles III surtout qui , par des mesures aussi


Ces hommes puissans ne portaient souvent que le simple titre de
Licenciados , d'après le degré qu'ils avaient pris dans leur faculté.
390 LIVRE II ,

sages qu'énergiques , est devenu le bienfaiteur des in


digènes il a annulé les Encomiendas ; il a défendu
les Repartimientos , par lesquels les Corregidors se
constituaient arbitrairement les créanciers , et par con

séquent les maîtres du travail des natifs , en les pour


voyant , à des prix exagérés , de chevaux , de mulets et
de vêtemens ( ropa). L'établissement des intendances ,
que l'on doit au ministère du comte de Galvez , est
devenu surtout une époque mémorable pour le bien
être des Indiens . Les petites vexations auxquelles le
cultivateur était sans cesse exposé de la part des ma

gistrats subalternes espagnols et indiens , ont singuliè


rement diminué sous la surveillance active des inten

dans ; les indigènes commencent à jouir des avantages


que les lois , généralement douces et humaines , leur
ont accordés , mais dont ils ont été privés dans des
siècles de barbarie et d'oppression . Le premier choix
des personnes auxquelles la cour a confié les places
importantes d'intendans ou de gouverneurs de pro
vince , a été très heureux. Parmi les douze qui admi
nistraient le pays en 1804 , il n'y en avait pas un

seul que le public accusât de corruption ou d'un


manque d'intégrité.
Le Mexique est le pays de l'inégalité. Nulle part
peut-être il n'en existe une plus effrayante dans la dis
tribution des fortunes , de la civilisation , de la cul
ture du sol et de la population . L'intérieur du royaume
contient quatre villes qui ne sont éloignées les unes
des autres que d'une ou de deux journées , et qui comp
CHAPITRE VI. 391

tent 35,000 , 67,000 , 70,000 et 135,000 habitans .


Le plateau central depuis la Puebla jusqu'à Mexico , et
delà à Salamanca et Zelaya , est couvert de villages et

de hameaux comme les parties les plus cultivées de la


Lombardie. A l'est et à l'ouest de cette bande étroite

se prolongent des terreins non défrichés , et sur les


quels on ne trouve pas dix à douze personnes par
lieue carrée. La capitale et plusieurs autres villes ont
des établissemens scientifiques que l'on peut comparer

à ceux de l'Europe. L'architecture des édifices publics


et privés , l'élégance de l'ameublement , les équipages ,
le luxe de l'habillement des femmes , le ton de la so

ciété, tout annonce un raffinement avec lequel con


trastent la nudité , l'ignorance et la grossièreté du bas
peuple. Cette immense inégalité de fortune n'existe
pas seulement parmi la caste des blancs ( européens
ou créoles ) , on la découvre même parmi les indi
gènes .
Les Indiens Mexicains , en les considérant en masse ,

présentent le tableau d'une grande misère. Relégués


dans les terres les moins fertiles , indolens par carac

tère , et plus encore par suite de leur situation poli


tique , les natifs ne vivent qu'au jour le jour. Presque
en vain chercherait - on parmi eux des individus qui
jouissent d'une certaine médiocrité de fortune. Au lieu
d'une aisance heureuse , on trouve quelques familles
dont la fortune paraît d'autant plus colossale , qu'on
s'y attend moins dans la dernière classe du peuple .
Dans les intendances d'Oaxaca et de Valladolid, dans.
392 LIVRE II ,

la vallée de Toluca , et surtout dans les environs de la


grande ville de la Puebla de los Angeles , vivent quel
ques Indiens qui , sous l'apparence de la misère , recè
lent des richesses considérables. Lorsque je visitai la
petite ville de Cholula , on y enterra une vieille femme
indienne qui laissait à ses enfans des plantations de
maguey (agave ) pour plus de 360,000 francs. Ces
plantations sont les vignobles et toute la richesse du
pays. Cependant il n'y a pas de caciques à Cholula ;
les Indiens y sont tous tributaires , et se distinguent

par une grande sobriété , par des mœurs douces et pai


sibles . Ces mœurs des Cholulains contrastent singu

lièrement avec celles de leurs voisins de Tlascala , dont


un grand nombre prétend descendre de la noblesse la
plus titrée , et qui augmentent leur misère par leur
goût pour les procès et par un esprit inquiet et que
relleur. Aux familles indiennes les plus riches appar

tiennent , à Cholula , les Axcotlan , les Sarmientos et


Romeros ; à Guaxocingo , les Sochipiltecatl ; et surtout
dans le Village de los Reyes , les Tecuanouegues. Cha 1

cune de ces familles possède un capital de 800,000 à


1,000,000 de livres tournois. Ils jouissent , comme
nous l'avons indiqué plus haut , d'une grande consi
dération parmi les Indiens tributaires ; mais ils vont
généralement pieds nus ; couverts de la tunique mexi

caine d'un tissu grossier et d'un brun noirâtre , ils


sont vêtus comme le dernier de la race des indigènes.
Les Indiens sont exempts de tout impôt indirect ;
ils ne paient point d'alcavala : la loi leur accorde
CHAPITRE VI . 393

pleine liberté pour la vente de leurs productions. Le


Conseil suprême des finances de Mexico , appelé la
Junta superior de Real Hacienda , a essayé de temps
à autre , surtout depuis cinq à six ans , de faire payer

l'alcavala aux indigènes. Il faut espérer que la cour


de Madrid , qui de tout temps a protégé cette classe
infortunée , leur conservera l'immunité aussi long
temps qu'ils continueront d'être sujets à l'impôt direct
des tributs ( tributos ) . Cet impôt est une véritable
capitation que paient les Indiens mâles , depuis l'âge
de dix ans jusqu'à celui de cinquante. Le tribut n'est
pas le même dans toutes les provinces de la nouvelle
Espagne ; il a été diminué depuis deux cents ans. En
1601 , l'Indien payait par an 32 réaux de plata de
tribut et 4 réaux de servicio real , en tout environ
23 francs . On le réduisit peu peu, dans quelques

intendances , à 15 et même à 5 francs * . Dans l'évê


ché de Méchoacan et dans la plus grande partie du
Mexique , la capitation monte aujourd'hui à 11 francs.
En outre , les Indiens paient , comme un droit de pa
roisse (derechos parroquiales), 10 francs pour le bap
tème, 20 francs pour le certificat de mariage , et 32
francs pour l'enterrement. Il faut ajouter à ces 62 fr.
que l'église lève comme un impôt sur chaque individu
indien , 25 à 30 francs pour des offrandes que l'on
*
Compendio de la Historia de la Real Hacienda de Nueva España ,
ouvrage manuscrit que Don Joacquin Maniau présenta en , 1793 ,
au ministre secrétaire d'état Don Diego de Gardoqui , et dont on
conserve une copie dans les archives de la vice-royauté .
LIVRE II ,
394
appelle volontaires , et que l'on désigne par les noms

de Cargos de cofradias , Responsos et Misas para



sacar animas.

Si la législation de la reine Isabelle et de l'empe


reur Charles-Quint paraît favoriser les indigènes sous
le rapport des impôts , d'un autre côté elle les a pri
vés des droits les plus importans dont jouissent les
autres citoyens . Dans un siècle où l'on discuta for
mellement si les Indiens étaient des êtres raisonna

bles , on crut leur accorder un bienfait en les traitant


comme des mineurs , en les mettant à perpétuité sous
la tutelle des blancs , et en déclarant nul tout acte
signé par un natif de la race cuivrée , toute obligation
que ce natif contractait au-dessus de la valeur de 25

francs. Ces lois se maintiennent dans leur pleine vi


gueur ; elles mettent des barrières insurmontables en
tre les Indiens et les autres castes , dont le mélange

est également prohibé. Des milliers d'habitans ne peu


vent faire de contrat valable (no pueden tratar y con
tratar) ; condamnés à une minorité perpétuelle , ils
deviennent à charge à eux-mêmes et à l'état dans le
quel ils vivent. Je ne pourrais mieux achever le ta
bleau politique des Indiens de la Nouvelle - Espagne
qu'en mettant sous les yeux du lecteur l'extrait d'un
Mémoire que l'évêque et le chapitre de Méchoacan **

* Frais de confrérie , répons et messes que l'Indien fait dire pour


tirer des âmes du purgatoire.
** Informe del Obispoy Cabildo eclesiastico de Valladolid de Mechoacan
al Rey sobre Jurisdiccion y Ymunidades del Clero Americano. Ce rap
CHAPITRE VI . 395

ont présenté au roi l'an 1799 , et qui respire les vues


les plus sages et les idées les plus libérales .
L'évêque respectable * que j'ai eu l'avantage de con
naître personnellement , et qui a terminé sa vie utile et
laborieuse à l'âge de 80 ans , représente au monarque

que, dans l'état actuel des choses , le perfectionnement


moral de l'Indien est impossible , si l'on ne lève pas
les entraves qui s'opposent aux progrès de l'industrie
nationale. Il confirme les principes qu'il énonce , par

plusieurs passages tirés des ouvrages de Montesquieu


et de Bernardin de Saint-Pierre. Ces citations doivent

sans doute nous surprendre sous la plume d'un prélat


qui appartenait au clergé régulier , qui passa une par
tie de sa vie dans des couvens , et qui occupa un siège

épiscopal sur les bords de la mer du Sud. « La popu


<< lation de la Nouvelle-Espagne , dit l'évêque vers la
< fin de son Mémoire , se compose de trois classes

port , que je possède en manuscrit , et qui a plus de dix feuilles , fut


fait à l'occasion de la fameuse cédule royale du 25 octobre 1795 , qui
permit au juge séculier de prononcer sur les delittos enormes du clergé.
La Sala del crimen de Mexico , sûre de son droit , sévit contre les
curés ; elle les jeta dans les mêmes prisons avec les dernières classes
du peuple. Dans cette lutte , l'Audience se rangea du côté du clergé.
Les disputes de juridiction sont très communes dans ces pays éloignés.
On les poursuit avec d'autant plus d'acharnement , que la politique
européenne , depuis la première découverte du Nouveau-Monde , a
considéré la désunion des castes , celle des familles et des autorités
constituées , comme des moyens de conserver les colonies dans la
dépendance de la métropole.
Fray Antonio de San Miguel , moine de Saint Jérôme de Corvan ,
natif des Montañas de Santander.
LIVRE II ,
396

« d'hommes , de blancs ou Espagnols , d'Indiens et de


« Castes. Je suppose que les Espagnols font la dixième
«< partie de la masse totale. C'est entre leurs mains que

« se trouvent presque toutes les propriétés et les ri


«
< chesses du royaume. Les Indiens et les Castes cul

<
«
< tivent le sol ; ils sont au service des gens aisés ; ils
« ne vivent que du travail de leurs mains. Il en résulte
<<< entre les Indiens et les blancs cette opposition d'in
«< térêt, cette haine mutuelle qui naît facilement entre

«
< ceux qui possèdent tout et ceux qui n'ont rien , entre
« les maîtres et ceux qui vivent dans la servitude.
«< Aussi voyons-nous , d'un côté , les effets de l'envie

<«< et de la discorde , la ruse , le vol , le penchant de


<
«
< nuire aux intérêts du riche ; de l'autre , de l'arro
« gance , de la dureté , et le desir d'abuser à chaque
« instant de la faiblesse de l'Indien . Je n'ignore pas

« que ces maux naissent partout d'une grande inéga


lité de condition. En Amérique , ils deviennent plus
(( effrayans encore , parce qu'il n'y existe pas d'état

intermédiaire ; on y est ou riche ou misérable , ou


«<< noble ou avili par les lois et la force de l'opinion
<
(( (infame de derecho y hecho).

« En effet, les Indiens et les races de sang-mêlé ( Cas


« tas) se trouvent dans un état d'humiliation extrême.
« La couleur propre aux indigènes , l'ignorance , et sur
<< tout la misère , les placent dans un éloignement pres
«< que infini des blancs qui occupent le premier rang
<< dans la population de la Nouvelle - Espagne. Les pri
<< vilèges que les lois paraissent accorder aux Indiens
CHAPITRE IV. 397

<< leur procurent peu d'avantages ; on peut plutôt ad


« mettre qu'ils leur sont nuisibles. Restreints dans un

<< espace étroit de 600 vares ( 500 mètres ) de rayon


(( qu'une loi ancienne assigne aux villages indiens , les

<«< natifs n'ont , pour ainsi dire , pas de propriété indi


«< viduelle ; ils sont tenus de cultiver les biens commu

« naux ( bienes de comunidad ) . Cette culture leur


« devient une charge d'autant plus insupportable que ,
« depuis quelques années
, ils n'ont presque plus l'es
« poir de pouvoir profiter du fruit de leur travail. Le

<< nouveau réglement des intendances porte que les


<< natifs ne peuvent pas recevoir de secours de la caisse

« de communauté , sans une permission particulière


« du Collège des finances du Mexique ( Junta superior
« de la Real Hacienda ) . » ( Les biens communaux ont
été mis en ferme par les intendans ; le produit du tra
vail des natifs est versé dans les caisses royales , où les

Officiales reales tiennent compte , sous des rubriques


spéciales , de ce qu'ils appellent la propriété de cha
que village. Je dis ce qu'ils appellent , car , depuis plus
de vingt ans , cette propriété n'est presque que fictive.
L'intendant même n'en peut pas disposer en faveur
des natifs . Ceux-ci se lassent de réclamer des secours
de leurs caisses de communauté. La Junta de Real

Hacienda demande des informes au fiscal et à l'Ase


sor du vice-roi. Des années entières se passent à en
tasser des pièces , mais les Indiens restent sans réponse.
Aussi s'est-on tellement habitué à regarder l'argent
des Caxas de Comunidades comme une somme qui
LIVRE II,
398
n'a pas de destination fixe , que l'intendant de Valla
dolid , en 1798 , en a envoyé à Madrid près d'un mil
lion de francs qu'on avait accumulés depuis douze ans.
On représenta au roi que c'était un don gratuit et
patriotique que les Indiens de Méchoacan faisaient au
souverain , pour l'aider à continuer la guerre contre
l'Angleterre ! )
« La loi défend le mélange des castes ; elle défend
<< aux blancs de se fixer dans les villages indiens ; elle
« empêche que les natifs ne s'établissent au milieu des
« Espagnols. Cet état d'isolement met des entraves à
« la civilisation . Les Indiens se gouvernent par eux
« mêmes ; tous les magistrats subalternes sont de la

« race cuivrée. Dans chaque village , on trouve huit


« ou dix vieux Indiens qui vivent , aux dépens des au
<< tres , dans l'oisiveté la plus complète , et dont l'au
« torité se fonde, ou sur une prétendue illustration de
<< naissance , ou sur une politique adroite et devenue
« héréditaire de père en fils. Ces chefs , généralement
« les seuls habitans du village qui parlent l'espagnol ,
<«< ont un grand intérêt à maintenir leurs concitoyens
« dans l'ignorance la plus profonde ; ils contribuent
«< le plus à perpétuer les préjugés , l'ignorance , l'an
< cienne barbarie des mœurs .
«
«< Incapables , d'après les lois des Indes , de con

<< tracter devant notaire ou de s'endetter de plus de


« cinq piastres , les natifs ne peuvent parvenir à amé

« liorer leur sort et à jouir de quelque aisance , soit


<< comme laboureurs , soit comme artisans. Solorzano ,
CHAPITRE VI . 399

« Fraso , et d'autres auteurs espagnols ont recherché


« en vain la cause secrète par laquelle les privilèges
<< accordés aux Indiens produisent des effets constam
<< ment défavorables à cette caste . Je m'étonne que ces
«< jurisconsultes célèbres n'aient pas conçu que ce qu'ils
" appellent une cause secrète est fondé dans la nature

« de ces privilèges mêmes. Ce sont des armes qui


aα n'ont jamais servi à la protection de ceux qu'elles
« sont destinées à défendre , et que les citoyens des
<< autres castes emploient adroitement contre la race
« des indigènes. Une réunion de circonstances aussi
« déplorables a produit dans
la dernière une paresse
" d'esprit , un état d'indifféren
ce et d'apathie , dans
«< lequel l'homme
n'est affecté ni de l'espoir ni de la
«< crainte .

Les Castes , descendans des Nègres esclaves , sont


a notés d'infamie par la loi ; ils sont sujets à payer le

« tribut. Cet impôt direct leur imprime une tache in


" effaçable ; ils le regardent comme une marque d'es
«< clavage qui se transmet aux générations les plus
« éloignées. Parmi la race de sang-mêlé , parmi les

« métis et les mulâtres , il y a beaucoup de familles qui


<< par leur couleur , leur physionomie et leur culture ,
« pourraient se confondre avec les Espagnols ; mais la

« loi les tient dans l'avilissement et le mépris. Doués


« d'un caractère énergique et ardent , ces hommes de
« couleur vivent dans un état constant d'irritation con

<<< tre les blancs : il faut même s'étonner que le ressenti


« ment ne les porte pas plus souvent à la vengeance.
400 LIVRE II ,

« Les Indiens et les Castes sont entre les mains des


( magistrats de district ( Justicias territoriales ) , dont
« l'immoralité n'a pas peu contribué à leur misère .
« Aussi long-temps que les Alcaldias mayores ont sub
sisté au Mexique , les alcades se considéraient comme
« des négocians qui avaient acquis un privilège exclu
<
«< sif d'acheter et de vendre dans leurs provinces , et
«< qui pouvaient exploiter ce privilège de manière à

« gagner de 30,000 jusqu'à 200,000 piastres ( 150,000


« à 1,000,000 de francs ) , et , qui plus est , dans le
« court espace de cinq ans. Ces magistrats usuriers
« forcèrent les Indiens à recevoir de leurs mains , à des
«< prix arbitraires , un certain nombre de bestiaux . Par
« là , les natifs devinrent leurs débiteurs . Sous prétexte

« de se faire payer le capital et l'usure, l'Alcalde mayor


«< disposa , pendant toute l'année , des Indiens comme
« de véritables serfs . Le bonheur individuel n'augmenta
«< certainement pas chez les malheureux qui avaient sa
« crifié leur liberté pour avoir un cheval ou un mulet
« avec lequel ils travaillaient au profit du maître. Mais
<
<< au milieu de cet état de choses amené par des abus ,

l'agriculture et l'industrie firent des progrès .


« Lors de l'établissement des intendances , le gou

<< vernement voulut faire cesser les vexations qui résul


<< taient des repartimientos . Au lieu d'Alcaldes mayo
« res , on nomma des subdelegados , des magistrats
« subalternes auxquels toute sorte de commerce fut
rigoureusement défendue. Comme on ne leur assigna
« pas d'appointemens ni aucune sorte d'émolument
CHAPITRE VI. 401

«< fixe , le mal a presque encore empiré. Les Alcaldes

« mayores administraient la justice avec impartia


«< lité , chaque fois qu'il ne s'agissait pas de leurs pro

« pres intérêts. Les subdélégués des intendans n'ayant


<<< d'autres revenus que les casuels , se croient auto
«< risés à employer des moyens illicites pour se pro

« curer quelque aisance : delà ces vexations perpé


a tuelles , cet abus de l'autorité à l'égard des pauvres ,

delà cette indulgence envers les riches , ce trafic hon


<< teux de la justice. Les intendans trouvent de grandes
< difficultés dans le choix des subdelegados , desquels ,
<
«
<< dans l'état actuel des choses , les Indiens peuvent ra

« rement attendre de la protection et de l'appui. Ils


<< les cherchent auprès des curés. Le clergé et les subdé
« légués vivent , par conséquent , dans une opposition
« constante. Mais les natifs mettent plus de confiance
« dans les curés et dans les magistrats d'un rang su
" périeur , les intendans et les Oïdores ( membres de

« l'Audiencia). Or , Sire , quel attachement peut avoir


« pour le gouvernement l'Indien méprisé , avili , pres
« que sans propriété et sans espoir d'améliorer son
« existence ? Il est attaché à la vie sociale par un lien
«< qui ne lui offre aucun avantage . Qu'on ne dise point

« à Votre Majesté que la crainte seule du châtiment


« doit suffire pour conserver la tranquillité dans ces
« pays ; il faut d'autres motifs , il en faut de plus puis
<< sans. Si la nouvelle législation que l'Espagne attend
<< avec impatience , ne s'occupe pas du sort des Indiens
<< et des gens de couleur, l'influence du clergé , quel
I. 26
402 LIVRE II,

« que grande qu'elle soit sur le cœur de ces malheu


« reux , ne le sera pas assez pour les tenir dans la
<< soumission et dans le respect dus à leur souverain .
«< Qu'on abolisse l'impôt odieux et personnel du

« tribut; qu'on fasse cesser la flétrissure ( infamia de


« derecho ) par laquelle des lois injustes ont marqué
«< les gens de couleur ; qu'on les déclare capables d'oc

< cuper tous les emplois civils qui ne requièrent pas


«
<
« un titre spécial de noblesse ; qu'on partage les biens
<« communaux et indivis des natifs ; qu'on accorde une
«< portion des domaines de la couronne ( tierras realen
(( gas), qui sont généralement sans culture , aux In

« diens et aux Castes ; qu'on donne au Mexique une


«< loi agraire semblable à celles des Asturies et de la
«< Galice , d'après lesquelles il est permis au pauvre

«< cultivateur de défricher , sous de certaines condi


" tions , les terres que les grands propriétaires ont lais

«< sées incultes depuis des siècles, au détriment de l'in


« dustrie nationale ; qu'on donne pleine liberté aux

« Indiens , aux Castes et aux blancs , de s'établir dans


<< des villages qui aujourd'hui n'appartiennent qu'à une
< de ces classes ; qu'on assigne des appointemens fixes
«
à tous les juges et à tous les magistrats de district :
<< voilà, Sire , les six points principaux dont dépend
<«< la félicité du peuple mexicain .
<
« On sera étonné , sans doute , de voir que , dans un
« moment où les finances de l'État se trouvent dans

<
«< une situation déplorable , on ose proposer à Votre
" Majesté d'abolir le tribut. Un calcul très simple
CHAPITRE VI . 403
(C pourrait cependant prouver qu'en prenant les me


< sures qui viennent d'être indiquées , et en accordant
« à l'Indien tous les droits de citoyen , les revenus de
« l'État (Real Hacienda) , loin de diminuer, augmente
<< ront considérablement . » L'évêque suppose , dans
toute l'étendue de la Nouvelle-Espagne , 810,000 fa
milles d'Indiens et d'hommes de couleur. Plusieurs de

ces familles , surtout parmi celles de sang mêlé , sont


habillées et jouissent de quelque aisance ; celles-là vi
vent à peu près comme le bas-peuple de la Péninsule :
leur nombre est un tiers de toute la masse. Les be
soins de consommation annuelle de ce tiers peuvent
être évalués à 300 piastres par famille. En ne comp
tant pour les autres deux tiers que 60 piastres *, et sup

posant que les Indiens paient l'alcavala de 14 pour


100 comme les blancs , on trouve un revenu annuel
de 5,000,000 de piastres , revenu qui est plus que le

quadruple de la valeur actuelle des tributs. Nous ne


sommes pas garans de l'exactitude du nombre sur le

quel se fonde ce calcul ; mais un simple aperçu suffit


pour prouver qu'en établissant une égalité de droits

et d'impôts entre les différentes classes du peuple ,


non-seulement l'abolissement de la capitation ne cau
serait aucun déficit dans les revenus de la couronne ,

mais que ces revenus augmenteraient nécessairement


On compte que dans la région chaude du Mexique , un journalier
a besoin annuellement en nourriture et en habillement , pour lui et sa
famille , de soixante-douze piastres. Le luxe est moindre de près de
vingt piastres dans la région froide du pays.
26.
404 LIVRE II ,

avec un accroissement d'aisance et de bien-être parmi


les natifs .

On aurait pu espérer que les administrations de


trois vice-rois éclairés et animés du plus beau zèle
pour le bien public , celles du marquis de Croix , du

comte de Revillagigedo et du chevalier d'Asanza , pro


duiraient des changemens heureux dans l'état politi
que des Indiens ; mais ces espérances ont été trompées .
Le pouvoir des vice-rois a été singulièrement diminué
dans ces derniers temps ; ils se trouvent entravés dans

toutes leurs démarches , non -seulement par la Junta


de finances ( de Real Hacienda ) et par la haute- cour
de justice (Audiencia) , mais surtout par la manie que
l'on a dans la métropole de vouloir gouverner , dans

le plus grand détail , des provinces éloignées de deux


mille lieues , et dont on ignore l'état physique et mo
ral. Les philanthropes assurent qu'il est heureux pour
les Indiens qu'on ne s'occupe pas d'eux en Europe ,
parce qu'une triste expérience a prouvé que la plu
part des mesures qui ont été prises pour améliorer
leur existence , ont produit un effet opposé. Les gens
de robe qui détestent les innovations , les propriétaires
créoles qui souvent trouvent du profit à tenir le culti
vateur dans l'avilissement et la misère , avancent qu'il

ne faut pas toucher aux natifs , parce qu'en leur ac


cordant plus de liberté , les blancs auraient tout à
craindre de l'esprit vindicatif et de l'arrogance de la
race indienne. Ce langage est le même partout où il
s'agit de faire jouir le paysan des droits d'homme li
CHAPITRE VI. 405

bre et de citoyen . J'ai entendu répéter au Mexique ,



au Pérou , dans le royaume de la Nouvelle-Grenade ,
tout ce que , dans plusieurs parties de l'Allemagne ,
en Pologne , en Livonie et en Russie , on oppose à
l'abolissement de la servitude des paysans .

Des exemples récens nous apprennent combien il


est dangereux de laisser les Indiens former un status
in statu , de perpétuer leur isolement , la barbarie de
leurs mœurs , leur misère , et par là les motifs de leur
haine contre les autres castes . Ces mêmes Indiens stu

pides, indolens , et qui se laissent fustiger patiemment


à la porte de l'église , se montrent rusés , actifs , im
pétueux et cruels chaque fois qu'ils agissent en masse
dans une émeute populaire . Il sera utile de rapporter
une preuve de cette assertion . La grande révolte sus
citée en 1781 manqua d'enlever au roi d'Espagne
toute la partie montagneuse du Pérou , à la même
époque à laquelle la Grande-Bretagne perdait presque
toutes ses colonies sur le continent de l'Amérique .
Jose Gabriel Condorcanqui , connu sous le nom de
l'inca Tupac-Amaru , se montra , à la tête d'une ar
mée indienne , devant les murs du Cusco . Il était fils

du cacique de Tongasuca , village de la province de


Tinta , ou plutôt fils de la femme du cacique ; car il
paraît certain que le prétendu inca était métis , et que
• son véritable père était un moine. La famille Condor
canqui fait remonter son origine à l'inca Sayri-Tupac
qui disparut dans les forêts épaisses à l'est de Villca
pampa , et à l'inca Tupac-Amaru qui , contre les or
406 LIVRE II ,

dres de Philippe II , fut décapité en 1578 , sous le


vice-roi Don Francisco de Toledo.

Jose Gabriel avait reçu une éducation soignée à


Lima ; il revint dans les montagnes après avoir solli
cité inutilement de la cour d'Espagne le titre de mar
quis d'Oropesa , qui appartient à la famille de l'inca
Sayri-Tupac. Son esprit de vengeance le porta à sou

lever les Indiens montagnards , irrités contre le corré


gidor Arriaga. Le peuple le reconnut comme descen
dant de ses vrais souverains , et comme fils du Soleil .
Le jeune homme profita de l'enthousiasme populaire
qu'il avait excité par les symboles de l'ancienne gran

deur de l'empire du Cusco ; il ceignit souvent son


front du bandeau impérial des incas ; il mêla adroi
tement des idées chrétiennes aux souvenirs du culte
du Soleil.

Au commencement de ses campagnes , il protégea


les ecclésiastiques et les Américains de toutes les cou
leurs. Ne sévissant que contre les Européens , il se fit
un parti , même chez les métis et les créoles ; mais les
Indiens se méfiant de la sincérité de leurs nouveaux

alliés , firent bientôt une guerre d'extermination à tout


ce qui n'était pas de leur race. Jose Gabriel Tupac
Amaru , dont je possède des lettres dans lesquelles il
se nomme Inca du Pérou , fut moins cruel que son
frère Diego , et surtout que son neveu Andres Con
dorcanqui qui , à l'âge de dix-sept ans , déploya beau
coup de talens , mais un caractère sanguinaire . Ce
soulèvement , qui me paraît peu connu en Europe , et ,
CHAPITRE VI . 407

sur lequel je donnerai des renseignemens plus détail


lés dans le récit historique de mon voyage, dura près

de deux ans . Tupac-Amaru avait déjà conquis les


provinces de Quispicanchi , Tinta , Lampa , Azangara ,
Caravaja et Chumbivilcas , lorsque les Espagnols le
firent prisonnier lui et sa famille tous furent écar
telés dans la ville du Cusco .

Le respect que le prétendu Inca avait inspiré aux


indigènes était si grand que, malgré leur crainte des
Espagnols , et quoiqu'ils fussent entourés des soldats
de l'armée victorieuse , ils se prosternèrent à la vue
du dernier fils du Soleil , lorsque celui - ci traversa les
rues pour être mené au supplice. Le frère de Jose
Gabriel Condorcanqui , connu sous le nom de Diego
Christobal Tupac-Amaru , ne fut exécuté que long
temps après la fin de ce mouvement révolutionnaire

des Indiens péruviens . Lorsque le chef tomba entre


les mains des Espagnols , Diego se rendit volontaire
ment pour profiter du pardon qu'on lui promit au
nom du roi. Une convention formelle fut signée en
tre lui et le général espagnol , le 26 janvier 1782 , au
village indien de Siquani , situé dans la province de
Tinta. Il vécut tranquillement dans sa famille jusqu'à
ce que , par l'effet d'une politique insidieuse et mé
fiante , il fut arrêté sous le prétexte d'une nouvelle
conspiration.
Les horreurs que les natifs du Pérou ont exercées
envers les blancs , en 1781 et 1782 , dans la Cordil
lère des Andes , ont été répétées en partie dans les
408 LIVRE II ,

petits soulèvemens qui ont eu lieu , vingt ans plus tard ,


dans le plateau de Riobamba . Il est du plus grand in
térêt , même pour le repos des familles européennes ,
établies depuis des siècles sur le continent du Nouveau
Monde , de s'occuper des Indiens , et de les arracher
à leur état actuel de barbarie , d'abjection et de mi
sère.

TABLEAU CHRONOLOGIQUE DE L'HISTOIRE DU MEXIQUE.

( EXTRAIT DE L'ouvrage de M. DE HUMBOLDT sur les moNU


MENS DES PEUPLES INDIGÈNES DE L'AMÉRIQUE , TOM. II ,
PAG. 118 , 136 , ET 385. )

De tous les traits d'analogie que l'on observe dans les monumens ,
dans les mœurs et dans les traditions des peuples de l'Asie et de
l'Amérique, le plus frappant est celui que présente la mythologie
mexicaine dans la fiction cosmogonique des destructions et des régé
nérations périodiques de l'Univers. Cette fiction , qui lie le retour
des grands cycles à l'idée d'un renouvellement de la matière suppo
sée indestructible , et qui attribue à l'espace ce qui semble n'appar
tenir qu'au temps *, remonte jusqu'à la plus haute antiquité. Les li
vres sacrés des Hindoux , surtout le Bhágavata Pourána , parlent déjà
des quatre âges et despralayas , ou cataclysmes, qui , à diverses épo
ques, ont fait périr l'espèce humaine ** . Une tradition de cinq âges,
analogue à celle des Mexicains , se retrouve sur le plateau du Tibet. ***
S'il est vrai que cette fiction astrologique , qui est devenue la base

HERMANN , Mythologie der Griechen , Th . II , . 352.


** HAMILTON et LANGLÈS , Catalogue des Manuscrits sanskrits de la Bibl . imper.,p 13,
Rech. asiatiques , tome II , pag. 171 ; MOOR , Hindu Pantheon , pag. 27 et 10:
*** GEORGI Alphab . Tibetanum , pag. 220.
CHAPITRE VI. 409
d'un système particulier de cosmogonie , a pris naissance dans l'Hin
doustan, il est probable aussi que , de là , par l'Iran et la Chaldée ,
elle a passé aux peuples occidentaux. On ne saurait méconnaître une
certaine ressemblance entre la tradition indienne des yougas et des
kalpas, les cycles des anciens habitans de l'Étrurie , et cette série de
générations détruites , caractérisées par Hésiode sous l'emblême de
quatre métaux.
Les peuples de Culhua ou du Mexique , dit Gomara * qui écri
vait au milieu du seizième siècle , croient , d'après leurs peintures
hieroglyphiques, qu'avant le soleil qui les éclaire maintenant, il y en a
déjà eu quatre qui se sont éteints les uns après les autres. Ces divers
soleils sont autant d'âges dans lesquels notre espèce a été anéantie
par des inondations , par des tremblemens de terre , par un embra
sement général et par l'effet des ouragans. Après la destruction du
quatrième soleil , le monde a été plongé dans les ténèbres pendant
l'espace de vingt -cinq ans. C'est au milieu de cette nuit profonde ,
dix ans avant l'apparition du cinquième soleil , que le genre humain
a été régénéré. Alors les dieux , pour la cinquième fois , ont créé un
homme et une femme. Le jour où parut le dernier soleil porta le
signe tochtli (lapin ) , et les Mexicains comptent huit cent cinquante
ans , depuis cette époque jusqu'en 1552. Leurs annales remontent
jusqu'au cinquième soleil. Ils se servaient de peintures historiques
(escritura pintada) , même dans les quatre âges précédens ; mais ces
peintures , à ce qu'ils affirment , ont été détruites , parce qu'à chaque
âge tout doit être renouvelé. » D'après Torquemada ** , cette fable ,
sur la révolution des temps et la régénération de la nature , est d'ori
gine Toltèque c'est une tradition nationale qui appartient à ce
groupe de peuples que nous connaissons sous les noms de Toltèques ,
Chichimèques , Acolhues , Nahuatlaques , Tlascaltèques et Aztèques ,
et qui, parlant une même langue , ont reflué du nord au sud depuis
le milieu du sixième siècle de notre ère.
En examinant à Rome le Codex Vaticanus , nº 3738 , copié en 1566
par un religieux dominicain , Pedro de los Rios , j'ai découvert qu'il

GOMARA, Conquista , fol. cxIx.


TORQUEMADA, vol. I , page 40 ; vol. II , page 83.
410 LIVRE II ,

indique en chiffres hiéroglyphiques aztèques la durée de chaque


soleil et les périodes des cataclysmes. Les quatre périodes ont duré :
5206 années = 13 X 400+ 6
4804 années = 12 X 400 + 4
4010 années 10 X 400 + 10
4008 années 10 X 400 8
18028 ans.

D'après le système des Mexicains , les quatre grandes révolutions


de la nature sont causées par les quatre élémens ; la première catas
trophe est l'anéantissement de la force productrice de la terre; les
trois autres sont dues à l'action du feu , de l'air et de l'eau. Après
chaque destruction , l'espèce humaine est régénérée , et tout ce qui
n'a pas péri de la race ancienne est transformé en oiseaux , en singes
ou en poissons. Ces transformations rappellent encore les traditions
de l'Orient mais dans le système des Hindoux , les âges ou yougas
se terminent tous par des inondations ; et dans celui des Égyptiens * ,
les cataclysmes alternent avec des conflagrations , et les hommes se
sauvent tantôt sur les montagnes , tantôt dans les vallées. Ce serait
nous écarter de notre sujet , que d'exposer ici les petites révolutions
locales arrivées à plusieurs reprises dans la partie montueuse de la
Grèce **, et de discuter le fameux passage du second livre d'Héro
dote , qui a tant exercé la sagacité des commentateurs. Il paraît assez
certain que , dans ce passage , il n'est pas question d'apocatastases ,
mais de quatre changemens (apparens) arrivés dans les lieux du cou
cher et du lever du soleil *** et causés par la précession des équi
noxes. ✰✰✰✰
Comme on pourrait être surpris de trouver cinq âges ou soleils
chez les peuples du Mexique , tandis que les Hindoux et les Grecs
n'en admettent que quatre , il est utile de faire remarquer ici que la
cosmogonie des Mexicains s'accorde avec celle des Tibétains qui re

* TIMEUS , cap. 5 ( PLATON , Op. , 1578 , ed. Serran . , tome III , pag. 22. ) De Legib.,
Lib. III ( Op. omn. , tome II , pag. 676-679 ) . ORIGENES contra Celsum , Lib. I , c. 90 ;
Lib. IV, c. 20. ( ed. Delarue , pag. 358 et 51 ).
** ARIST. Meteor. , Lib I , c. 14 ( Op. omn. , ed. Duval, 1639, pag. 770).
*** Herod. , Lib. II , c. 142 ( LARCHER , 1809 , tome II , pag. 482 ).
**** DUPUIS , Mémoire explicatifdu zodiaque , pag. 37 et 59.
CHAPITRE VI , 411

garde aussi l'âge présent comme le cinquième. En examinant avec


attention le beau morceau d'Hésiode * , dans lequel il expose le sys
tème oriental du renouvellement de la nature , on voit que ce poète
compte effectivement cinq générations en quatre âges. Il divise le
siècle de bronze en deux parties qui embrassent la troisième et la
quatrième génération **, et l'on peut être surpris qu'un passage si
clair ait quelquefois été mal interprété *** . Nous ignorons quel était
le nombre des âges rapportés dans les livres de la Sibylle **** ; mais
nous pensons que les analogies que nous venons d'indiquer ne sont
pas accidentelles , et qu'il n'est pas sans intérêt pour l'histoire philo
sophique de l'homme de voir les mêmes fictions répandues depuis
l'Etrurie et le Latium jusqu'au Tibet , et de là jusque sur le dos des
Cordillères du Mexique.
La région montagneuse du Mexique , semblable au Caucase , était
habitée , dès les temps les plus reculés , par un grand nombre de
peuples de races différentes. Une partie de ces peuples peut être
considérée comme le reste de tribus nombreuses qui , dans leurs
migrations du nord au sud , avaient traversé le pays d'Anahuac , et
dont quelques familles , retenues par l'amour du sol qu'elles avaient
défriché , s'étaient séparées du corps de la nation , en conservant leur
langue , leurs mœurs , et la forme primitive de leur gouvernement.
Les peuples les plus anciens du Mexique , ceux qui se regardaient
comme autochthones , sont les Olmèques ou Hulmèques qui ont
poussé leurs migrations jusqu'au golfe de Nicoya et à Léon de Nica
ragua , les Xicalanques , les Cores , les Tépanèques , les Tarasques ,
les Miztèques , les Tzapotèques et les Otomites. Les Olmèques et les
Xicalanques , qui habitaient le plateau de Tlascala , se vantaient
d'avoir subjugué ou détruit , à leur arrivée , les géans ou quinametin,
tradition qui se fonde vraisemblablement sur l'aspect des ossemens
d'éléphans fossiles trouvés dans ces régions élevées des montagnes
d'Anahuac. ( Torq. , tom. 1 , pag. 37 et 364. ) Boturini avance que les

HESIODI Opera et dies , v. 174 ( Op. omn. , ed. Cleric. , 1701 , pag. 221 ).
** HESIOD. , v. 153 et 155.
*** FABRICU! Bibl. græca , Hamb. , 1790 , vol. I , pag. 216.
**** Virg. Bacol. , tv, v. 4 ( ed. Heyne , Lond. , 1793 , vol. I , pag. 74 et 81. )
412 LIVRE 11 ,

Olmèques , chassés par les Tlascaltèques , ont peuplé les Antilles et


l'Amérique méridionale.
Les Toltèques , sortis de leur patrie , Huehuetlapallan ou Tlalpallan,
l'an 544 de notre ère, arrivent à Tollantzinco, dans le pays d'Anahuac,
en 648 , et à Tula , en 670. Sous le règne du roi toltèque , Ixtlicue
chahuac , en 708 , l'astrologue Huematzin composa le fameux livre
divin , le Teo-amoxtli , qui renfermait l'histoire , la mythologie, le
calendrier et les lois de la nation. Ce sont aussi les Toltèques qui pa
raissent avoir construit la pyramide de Cholula , sur le modèle des
pyramides de Teotihuacan. Ces dernières sont les plus anciennes de
toutes , et Siguenza les croit l'ouvrage des Olmèques. ( Clav. , tom. I ,
pag. 126 et 129 , tom. iv, pag. 46. )
C'est du temps de la monarchie toltèque , ou dans des siècles anté
rieurs , que paraît le Budha mexicain , Quetzalcohuatl , homme
blanc , barbu et accompagné d'autres étrangers qui portaient des
vêtemens noirs en forme de soutanes. Jusqu'au seizième siècle , le
peuple employait de ces habits de Quetzalcohuatl pour se déguiser
dans les fêtes . Le nom du saint était Cuculca à Yucatan , et Camaxtli
à Tlascala. ( Torq. , tom. 11 , pag. 55 et 307. ) Son manteau était par
semé de croix rouges. Grand-prêtre de Tula , il fonda des congréga
tions religieuses. « Il ordonna des sacrifices de fleurs et de fruits , et
se bouchait les oreilles lorsqu'on lui parlait de la guerre. 33 Son com
pagnon de fortune , Huemac , était en possession du pouvoir sécu
lier , tandis que lui-même jouissait du pouvoir spirituel. Cette forme
de Gouvernement était analogue à celles du Japon et du Cundina
marca ( Torq., tom. II , pag. 237. ) ; mais les premiers moines , mis
sionnaires espagnols , ont gravement discuté la question si Quetzal
cohuatl était Carthaginois ou Irlandais. De Cholula , on envoya des
colonies à la Mixteca, à Huaxayacac , Tabasco et Campèche. On
suppose que le palais de Mitla a été construit par ordre de cet in
connu. Du temps de l'arrivée des Espagnols , on conservait à Cho
lula , comme des reliques précieuses , certaines pierres vertes qui
avaient appartenu à Quetzalcohuatl ; et le père Toribio de Motilinia
vit encore sacrifier en honneur du Saint au sommet de la montagne
de Matlalcuye , près de Tlascala. Le même religieux assista , à Cho
lula , à des exercices ordonnés par Quetzalcohuatl , dans lesquels les
pénitens se sacrifiaient la langue , les oreilles et les lèvres. Le grand
CHAPITRE VI. 413
prêtre de Tula avait fait sa première apparition à Panuco : il quitta
le Mexique dans le dessein de retourner à Tlalpallan , et c'est dans
ce voyage qu'il disparut , non pas au nord , comme on devrait le sup
poser , mais à l'est , sur les bords du Rio Huasacualco. (Torq. , tom. II ,
pag. 307-311 . ) La nation espéra son retour pendant un grand
nombre de siècles. « Lorsque , en arrivant à Ténochtitlan , je passai
par Xochimilco , dit le moine Bernard de Sahagun , tout le monde me
demanda si je venais de Tlalpallan. Je n'entendais pas alors le sens
de cette question , mais je sus plus tard que les Indiens nous pre
naient pour les descendans de Quetzalcohuatl. (Torq. , tom. II ,
pag. 53. ) Il est intéressant sans doute de réunir jusqu'aux plus pe
tites circonstances de la vie de ce personnage mystérieux qui, appar
tenant à des temps héroïques , est probablement antérieur aux Tol
tèques.
Peste et destruction des Toltèques , en 1051. Ils poussent leurs
migrations plus loin au sud. Deux enfans du dernier roi et quelques
familles toltèques restent dans le pays d'Anahuac.
Les Chichimèques , sortis de leur patrie Amaquemecan , arrivent
au Mexique en 1170.
Migration des Nahuatlaques ( Anahuatlaques) en 1178. Cette na
tion renferma les sept tribus des Sochimilques , des Chalques , des
Tépanèques, des Acolhues , des Tlahuiques , des Tlascaltèques ou
Téochichimèques et des Aztèques ou Mexicains qui , de même que
les Chichimèques , parlaient tous la langue toltèque. ( Clav. , tom. 1 ,
pag. 151 ; tom. Iv, pag. 48. ) Ces tribus appelaient leur patrie Aztlan
ou Teo-Acolhuacan, et la disaient voisine d'Amaquemecan ( Garcia ,
Origen de los Indios , pag. 182 et 502. ) Les Aztèques étaient sortis
d'Aztlan , d'après Gama , en 1064 ; d'après Clavigero , en 1160. Les
Mexicains proprement dits se séparèrent des Tlascaltèques et des
Chalques , dans les montagnes de Zacatecas. ( Clav,, tom. 1 , pag. 156 .
Torq. , tom. I , pag. 87. Guma , Descripcion de dos Piedras , pag. 21. )
Arrivée des Aztèques à Tlalixco ou Acahualtzinco , en 1087 ; ré
forme du calendrier , et première fête du feu nouveau depuis la sortie
d'Aztlan , en 1091.
Arrivée des Aztèques à Tula , en 1196 ; à Tzompanco , en 1216 ; et
à Chapoltepec , en 1245.
⚫ Sous le règne de Nopaltzin , roi des Chichimèques , un Toltèque ,
414 LIVRE II ,

appelé Xiuhtlato , seigneur de Quaultepec , enseigne au peuple , vers


l'an 1250 , la culture du maïs et du coton , et la panification de la
farine de maïs. Le peu de familles toltèques qui habitaient les rives
´du lac de Tenochtitlan avaient entièrement négligé la culture de cette
graminée , et le froment américain aurait été perdu pour toujours si
Xiuhtlato n'en eût conservé quelques grains depuis sa première jeu
nesse. » ( Torq. , tom. 1 , pag. 74. )
Union entre les trois nations des Chichimèques , des Acolhues et
des Toltèques. Nopaltzin , fils du roi Xolotl , épouse Azcaxochitl ,
fille d'un prince toltèque ; Pochotl , et les trois sœurs de Nopaltzin
s'allient aux chefs des Acolhues. Il existe peu de nations dont les
annales présentent un si grand nombre de noms de famille et de lieux
que les annales hiéroglyphiques d'Anahuac.
Les Mexicains tombent dans l'esclavage des Acolhues , en 1314 ,
mais ils réussissent bientôt à s'y soustraire par leur valeur.
Fondation de Ténochtitlan , en 1325.
Rois mexicains : I. Acamapitzin , 1352-1389 ; II. Huitzilihuit!,
1389-1410 ; III. Chimalpopoca , 1410-1422 ; IV. Itzcoatl , 1423
1436 ; V. Motezuma-Ilhuicamina ou Motezuma premier , 1436
1464 ; VI. Axajacatl , 1464-1477 ; VII. Tizoc , 1477-1480 ; VIII.
Ahuitzotl , 1480-1502 ; IX. Motezuma-Xocojotzin ou Motezuma se
cond, 1502-1520 ; X. Cuitlahuatzin , dont le règne ne dura que trois
mois ; XI. Quauhtemotzin qui régna pendant neuf mois de l'année
1521. (Clav. , tom. IV , pag. 55-61. )
Sous le règne d'Axajacatl mourut Nezahualcojotl , roi d'Acolhua
can ou Tezcuco , également mémorable par la culture de son esprit
et par la sagesse de sa législation. Ce roi de Tezcuco avait composé , en
langue aztèque , soixante hymnes en l'honneur de l'Etre- Suprême ,
une élégie sur la destruction de la ville d'Azcapozalco , et une autre
sur l'instabilité des grandeurs humaines , prouvée par le sort du tyran
Tezozomoc. Le petit-neveu de Nezahualcojotl , baptisé sous le nom
de Ferdinand Alba Ixtilxochitl , a traduit une partie de ces vers en
espagnol , et le chevalier Boturini posséda l'original de deux de ces
hymnes composés cinquante ans avant la conquête , et écrits du
temps de Cortez , en caractères romains , sur du papier de metl. J'ai
cherché vainement ces hymnes parmi les restes de la collection de
Boturini , conservés au palais du vice -roi à Mexico . Il est encore bien
CHAPITRE VI . 415

digne de remarque que le célèbre botaniste Hernandez a fait usage


de beaucoup de dessins de plantes et d'animaux , dont le roi Neza -
hualcojot avait orné son habitation à Tezcuco , et qui avaient été
faits par des peintres aztèques.
Arrivée de Cortez à la plage de Chalchicuecan , en 1519.
Prise de la ville de Ténochitlan , en 1521 .
Les comtes de Motezuma et de Tula , résidant en Espagne , descen
dent d'fhuitemotzin , petit-fils du roi Motezuma-Xocojotzin qui avait
épousé Dona Francisca de la Cueva. Les maisons illustres de Cano
Motezuma , d'Andrade Motezuma et du comte de Miravalle ( à
Mexico ) tirent leur origine de Tecuichpotzin , fille du roi Motezuına
Xocojotzin. Cette princesse , baptisée sous le nom d'Élisabeth , sur
vécut à cinq maris , parmi lesquels on compte les deux derniers rois
du Mexique, Cuitlahuatzin et Quauhtemotzin et trois militaires Es
pagnols.
416 LIVRE II ,

CHAPITRE VII.

BLANCS , CRÉOLES ET EUROPÉENS . LEUR CIVILISATION.


-INÉGALITÉ de leurs fortunes. - NÈGRES . ――――― MÉ
LANGE DES CASTES. - RAPPORT DES SEXES ENTRE EUX.
-- LONGEVITÉ SELON LA DIFFÉRENCE DES RACES .
SOCIABILITÉ.

PARMI les habitans de race pure , les blancs occu


peraient le second rang , si on ne les considérait que
sous le rapport de leur nombre. On les divise en blancs

nés en Europe , et en descendans des Européens nés


dans les colonies espagnoles de l'Amérique ou dans
les îles asiatiques . Les premiers portent le nom de
Chapetones ou de Gachupines , les seconds celui de
Criollos. Les natifs des îles Canaries , que l'on désigne
généralement sous la dénomination d'Isleños (hommes

des îles ) , et qui sont les gérans des plantations , se


considèrent comme Européens . Les lois espagnoles ac
cordent les mêmes droits à tous les blancs ; mais ceux
qui sont appelés à exécuter les lois cherchent à dé

truire une égalité qui blesse l'orgueil européen . Le


gouvernement , qui se méfie des créoles , donne les
CHAPITRE VII. 417

grandes places exclusivement aux natifs de l'ancienne


Espagne. Depuis quelques années on disposait même
à Madrid des plus petits emplois dans l'administration
des douanes ou dans la régie du tabac. A une époque
où tout tendait vers un relâchement général des res
sorts de l'état , le système de vénalité fit des progrès
effrayans. Le plus souvent , ce n'était point une po
litique soupçonneuse et méfiante , c'était l'intérêt pé
cuniaire seul qui faisait passer tous les emplois aux
mains des Européens . Il en est résulté des motifs de
jalousie et de haine perpétuelle entre les Chapetons
et les Créoles. L'Européen le plus misérable, sans édu
cation , sans culture intellectuelle , se croit supérieur
aux blancs nés dans le nouveau continent : il sait que ,
protégé par ses compatriotes , favorisé par des chan

ces assez communes dans des pays où les fortunes


s'acquièrent aussi rapidement qu'elles se détruisent , il
peut un jour parvenir à des places dont l'accès est
presque interdit aux natifs , même à ceux qui se distin
guent par leurs talens , par leurs connaissances et par
leurs qualités morales. Ces natifs préfèrent la dénomi
nation d'Américains à celle de Créoles. Depuis la paix
de Versailles , et surtout depuis l'année 1789 , on entend
souvent dire avec fierté : « Je ne suis point Espagnol ,
je suis Américain » , mots qui décèlent l'effet d'un long
ressentiment. Devant la loi , tout Créole blanc est Es
pagnol ; mais l'abus des lois , les fausses mesures du
gouvernement colonial , l'exemple des états confédérés
de l'Amérique septentrionale, l'influence des opinions
I. 27
418 LIVRE II ,

du siècle, ont relâché les liens qui unissaient jadis plus


intimement les Espagnols créoles aux Espagnols eu
ropéens. Une sage administration pourra rétablir l'har
monie , calmer les passions et le ressentiment , conser
ver peut-être encore , pendant long - temps , l'union
entre les membres d'une même et grande famille
éparse en Europe et en Amérique , depuis la côte des
Patagons jusqu'au nord de la Californie.
Le nombre des individus qui constituent la race
blanche ( Casta de los blancos ou de los Españoles ) ,
s'élève probablement , dans toute la Nouvelle-Espagne,
à 1,200,000 , dont près de la quatrième partie habite
les Provincias internas . Dans la Nouvelle-Biscaye ou
dans l'intendance de Durango , il n'existe aucun indi
vidu sujet au tribut. Presque tous les habitans de ces
régions les plus septentrionales prétendent être de race
pure européenne.
L'année 1793 on compta :
dans l'intendance de Guana
âmes Espagnols .
xuato , sur une population
totale de . 398,000 103,000 .
de Valladolid, 290,000 80,000.
de Puebla , . 638,000 63,000 .
d'Oaxaca , 411,000 26,000 .

Tel est le simple résultat du dénombrement , en n'y


faisant aucun des changemens qu'exige l'imperfection
de cette opération que nous avons discutée dans le
cinquième chapitre. Par conséquent , dans les quatre
intendances voisines de la capitale, on trouva 272,000
CHAPITRE VII. 419

blancs , soit Européens , soit descendans d'Européens ,


sur une population totale de 1,737,000 âmes. Sur cent
habitans , il y avait :

Dans l'intendance de Valladolid , 27 blancs.


de Guanaxuato , 25
de Puebla , 9
d'Oaxaca , 6

Ces différences considérables indiquent le degré de


civilisation auquel étaient parvenus les anciens Mexi
cains au sud de la capitale. Ces régions les plus aus
trales étaient de tout temps les plus habitées. Au nord,
comme nous l'avons observé plusieurs fois dans le
courant de cet ouvrage , la population indienne était
plus clair-semée : l'agriculture n'y a fait de progrès
sensibles que depuis les temps de la conquête.
Il est intéressant de comparer le nombre des blancs
dans les îles Antilles et au Mexique. La partie fran
çaise de Saint - Domingue avait , même à l'époque la
plus heureuse , en 1788 , sur une surface de 1,700
lieues carrées ( de 25 au degré ) , une population moin
dre de celle qu'offre l'Intendance de la Puebla . Page
évalue la première à 520,000 habitans , parmi lesquels
il y avait 40,000 blancs , 28,000 affranchis et 452,000
esclaves. Il en résulte pour Saint-Domingue , sur 100
âmes , 8 blancs , 6 hommes de couleur libres , et 86

esclaves africains. La Jamaïque comptait, en 1787 , sur


100 habitans , 10 blancs , 4 hommes de couleur et 86
esclaves ; et cependant cette colonie anglaise a un tiers
de moins de population que l'intendance d'Oaxaca. Il
27.
420 LIVRE II ,

en résulte que la disproportion entre les Européens


ou leurs descendans et les castes de sang indien ou
africain , est encore plus grande dans les parties mé
ridionales de la Nouvelle-Espagne qu'aux îles Antilles
françaises et anglaises. L'île de Cuba , au contraire

offre jusqu'à ce jour , dans la distribution des races ,
une différence bien grande et bien consolante. D'après
des recherches statistiques assez précises faites en 1821 ,
la population totale était composée de 630,980 , dont
blancs : 290,021 . libres de couleur : 115,691 . escla
ves : 225,268 .
Il est probable qu'il y avait en 1823 blancs : 317,000.
libres de couleur, 127,000 : esclaves 256,000 , total ,
700,000 . En général, je pense que la population des
Antilles espagnoles ( Cuba et Porto-Rico ) se compose
d'esclaves noirs avec quelques mulâtres , 281,400 ; li
bres de couleur, mulâtres et noirs , 319,500 ; blancs ,
342,100 , total , 943,000 . Cette proportion entre les
hommes libres et les esclaves diffère donc prodigieu

sement du rapport qu'offre tout l'Archipel des îles


Antilles , dans lequel , sur une population totale de
2,843,000 , il y a 1,147,500 , ou 40 p. 0/0 d'esclaves
noirs et mulâtres ; 1,212,900 , ou 43 p. 0/0 libres de
couleurs (mulâtres et noirs) ; 482,600, ou 17 p . 0/0 de
blancs . Le nombre des blancs est , par conséquent , beau
coup plus grand à l'île de Cuba qu'il ne l'est au Mexique,
même dans les régions où il y a le moins d'Indiens.
Le tableau suivant indique la prépondérance
moyenne des autres castes sur celle des blancs dans
CHAPITRE VII. 421

les différentes parties du nouveau continent . Sur cent


habitans , on compte :
aux États-Unis de l'Amérique septen
trionale . · 83 blancs .

à l'île de Cuba . • 45

dans le royaume de la Nouvelle- Espa


gne ( sans y comprendre les Provin
cias internas • · · 16 >>

dans le royaume du Pérou 12


à l'île de la Jamaïque . • 10 >>

Dans la capitale de Mexico , il existe , d'après le dé


nombrement du comte de Revillagigedo , sur 100 habi
tans , 49 Espagnols créoles , 2 Espagnols nés en Eu
rope , 24 Indiens aztèques et otomites , et 25 individus
de sang mêlé. La connaissance exacte de ces propor

tions est d'un grand intérêt politique pour ceux qui


sont appelés à surveiller la tranquillité des colonies .
Il serait très difficile d'évaluer au juste combien il
y a d'Européens sur 1,200,000 blancs qui habitent la
Nouvelle-Espagne. Comme dans la capitale de Mexico
même , où le gouvernement réunit le plus d'Espagnols ,
sur une population de plus de 135,000 âmes , il n'y
a pas 2,500 individus nés en Europe , il est plus que
probable que tout le royaume n'en contient pas au
delà de 70 à 80,000 . Ils ne sont , par conséquent , que
la soixante-dixième partie de la population totale , et
la proportion des Européens aux créoles blancs est

comme est à 14 .
Les lois espagnoles défendent l'entrée dans les pos
422 LIVRE II ,

sessions américaines à tout Européen qui n'est point


né dans la Péninsule. Les mots d'Européens et d'Es

pagnols sont devenus synonymes au Mexique et au


Pérou. Aussi les habitans des provinces éloignées ont
de la peine à concevoir qu'il y ait des Européens qui
ne parlent pas leur langue ; ils considèrent cette igno
rance comme une marque de basse extraction , parce
qu'autour d'eux il n'y a que la dernière classe du
peuple qui ne sache pas l'espagnol . Connaissant plus
l'histoire du seizième siècle que celle de nos temps , ils

s'imaginent que l'Espagne continue à exercer une pré


pondérance, prononcée sur le reste de l'Europe. La
Péninsule leur paraît le centre de la civilisation euro
péenne. Il n'en est point ainsi des Américains qui ha
bitent la capitale. Ceux qui ont lu des ouvrages de la
littérature française ou anglaise , tombent facilement
dans le défaut contraire ; ils ont une idée plus défa
vorable de la métropole qu'on ne l'avait en France à
une époque où les communications étaient moins fré
quentes entre l'Espagne et le reste de l'Europe. Ils
préfèrent aux Espagnols les étrangers des autres pays ;
ils aiment à croire que la culture intellectuelle fait
des progrès plus rapides dans les colonies que dans la
Péninsule.

Ces progrès sont , en effet , très marquans à Mexico ,


à la Havane , à Lima , à Santa-Fe , à Quito , à Po
payan et à Caraccas. De toutes ces grandes villes ,
la Havane ressemble le plus à celles de l'Europe , sous
le rapport des usages , du raffinement du luxe , et du
CHAPITRE VII. 423

ton de la société. C'est à la Havane que l'on connaît le


mieux la situation des affaires politiques et leur in
fluence sur le commerce . Cependant , malgré les ef
forts de la Société patriotique de l'île de Cuba , qui
encourage les sciences avec le zèle le plus généreux ,
ces dernières prospèrent lentement dans un pays où
la culture et le prix des produits coloniaux fixent
toute l'attention des habitans. L'étude des mathéma

tiques , de la chimie , de la minéralogie et de la bo


tanique , est plus répandue à Mexico , à Santa-Fe et
à Lima. Partout aujourd'hui on observe un grand
mouvement intellectuel , une jeunesse douée d'une
rare facilité pour saisir les principes des sciences . On
prétend que cette facilité est plus remarquable encore
chez les habitans de Quito et de Lima qu'à Mexico
et à Santa-Fe. Les premiers paraissent jouir d'une plus
grande mobilité d'esprit , d'une imagination plus vive ;
tandis que les Mexicains et les natifs de Santa-Fe ont

la réputation d'être plus persévérans à continuer les


études auxquelles ils ont commencé à se vouer.
Aucune ville du nouveau continent , sans en ex

cepter celles des États-Unis , n'offre des établissemens


scientifiques aussi grands et aussi solides que la ca
pitale du Mexique. Je me borne à nommer ici l'École
des mines qui est dirigée par le savant d'Elhuyar , et
sur laquelle nous reviendrons en parlant de l'exploi
tation métallique ; le Jardin des plantes et l'Acadé
mie de peinture et de sculpture. Cette académie porte
le titre d'Academia de los Nobles Artes de Mexico .
424 LIVRE II ,

Elle doit son existence au patriotisme de plusieurs par


ticuliers mexicains et à la protection du ministre Gal
vez . Le gouvernement lui a assigné un hôtel spacieux
dans lequel se trouve une collection de plâtres plus
belle et plus complète qu'on n'en trouve dans aucune
partie de l'Allemagne. On est étonné de voir que l'A
pollon du Belvédère , le groupe du Laocoon et des
statues plus colossales encore aient pu passer par des

chemins de montagnes qui sont au moins aussi étroits


que ceux du Saint- Gothard : on est surpris de trouver
ces chefs - d'œuvre de l'antiquité réunis sous la zone
torride , dans un plateau qui surpasse la hauteur du
couvent du grand Saint-Bernard. La collection de
plâtres transportée à Mexico , a coûté au roi près de
deux cent mille francs . C'est dans l'édifice de l'Aca

démie, ou plutôt dans une des cours qui y appartien


nent , qu'on devrait réunir les restes de la sculpture
mexicaine , des statues colossales de basalte et de
porphyre qui sont chargées d'hieroglyphes aztèques ,
et offrent souvent des rapports avec le style égyptien
et hindou . Il serait curieux de placer ces monumens
de la première culture de notre espèce , ces ouvrages
d'un peuple à demi barbare habitant les Andes mexi
caines , à côté des belles formes qu'a vu naître le ciel
de la Grèce et de l'Italie.
Les rentes de l'Académie des beaux arts de Mexico sont

de 125,000 francs, dont le gouvernement donne 60,000,

le corpsdes mineurs mexicains près de 25,000 , le Consu


lado ou la réunion des négocians de la capitale plus de
CHAPITRE VII. 425

15,000 . On ne saurait nier l'influence que cet établis


sement a exercée sur le goût de la nation . C'est sur
tout dans l'ordonnance des bâtimens , dans la per

fection avec laquelle on exécute la coupe des pierres ,


les ornemens des chapiteaux , les reliefs en stuc , que
cette influence est visible. Quels beaux édifices ne
trouve-t-on pas déjà à Mexico , et même dans les
villes de province , à Guanaxuato et à Queretaro !
Ces monumens , qui souvent coûtent un million à un
million et demi de francs , pourraient figurer dans les
plus belles rues de Paris , de Berlin ou de Pétersbourg.
M. Tolsa , professeur de sculpture à Mexico , est même
parvenu à y fondre une statue équestre du roi Char

les IV , ouvrage qui , à l'exception du Marc- Aurèle ,


à Rome , surpasse en beauté et en pureté de style
tout ce qui nous est resté de ce genre en Europe. A
l'Académie des beaux-arts , l'enseignement se donne
gratis. Il ne se restreint pas seulement au dessin du
paysage et de la figure ; on a eu le bon esprit d'em
ployer d'autres moyens par lesquels on peut vivifier
l'industrie nationale. L'Académie travaille avec succès

à répandre parmi les artisans le goût de l'élégance et


des belles formes . De grandes salles , très bien éclai
rées par des lampes d'Argand , réunissent tous les

soirs quelques centaines de jeunes gens , dont les uns


dessinent d'après la bosse ou le modèle vivant , tan
dis que d'autres copient des dessins de meubles , de
candélabres ou d'autres ornemens en bronze. Dans

cette réunion ( et ceci est très remarquable au milieu


426 LIVRE II,

d'un pays où les préjugés de la noblesse contre les

castes sont invétérés ) , dans cette réunion , les rangs ,


les couleurs , les races d'hommes se confondent ; on y
voit l'Indien ou le Métis à côté du blanc , le fils d'un
pauvre artisan rivalisant avec les enfans des grands
seigneurs du pays. Il est consolant d'observer que ,
sous toutes les zones , la culture des sciences et des

arts établit une certaine égalité parmi les hommes , en


leur faisant oublier , pour quelque temps au moins ,
ces petites passions dont les effets entravent le bon
heur social.

Depuis la fin du règne de Charles III et depuis celui


de Charles IV , l'étude des sciences naturelles a fait
de grands progrès non-seulement au Mexique , mais
en général dans toutes les colonies espagnoles. Aucun
gouvernement européen n'a sacrifié de sommes plus
considérables pour avancer la connaissance des végé
taux , que le gouvernement espagnol . Trois expédi
tions botaniques , celles du Pérou , de la Nouvelle
Grenade et de la Nouvelle - Espagne , dirigées par

MM . Ruiz et Pavon , par Don Jose Celestino Mutis ,


et par MM. Sesse et Mociño , ont coûté à l'état près
de deux millions de francs. En outre , des jardins de bo
tanique ont été établis à Manille et aux îles Canaries.
La commission destinée à lever les plans du canal de los
Guines , fut aussi chargée d'examiner les productions
végétales de l'île de Cuba. Toutes ces recherches , fai

tes pendant vingt ans dans les régions les plus fertiles
du nouveau continent , n'ont pas seulement enrichi le
CHAPITRE VII. 427

domaine de la science de plus de quatre mille nouvelles


espèces de plantes , ils ont aussi contribué beaucoup
à répandre le goût de l'histoire naturelle parmi les
habitans du pays . La ville de Mexico présente un jar
din de botanique très intéressant , dans l'enceinte même
du palais du vice-roi * . Le professeur Cervantes y fait
annuellement des cours qui sont très suivis. Ce sa
vant possède , outre ses herbiers , une riche collection
de minéraux mexicains. M. Mociño , que nous venons
de nommer comme un des collaborateurs de M. Sesse ,
et qui a poussé ses excursions pénibles depuis le
royaume de Guatimala jusqu'à la côte nord-ouest ou

jusqu'à l'île de Vancouver et Quadra ; M. Echeveria ,


peintre de plantes et d'animaux , dont les travaux peu
vent rivaliser avec ce que l'Europe a produit de plus
parfait en ce genre , sont tous deux natifs de la Nou

velle-Espagne : ils s'étaient élevés à un rang distingué


parmi les savans et les artistes avant d'avoir quitté
leur patrie.

* On a eu récemment ( 1823 ) le projet d'établir dans l'hôpital de


Naturales un Musée national et une École de médecine , et de rem
placer le petit jardin botanique formé dans la cour du palais des
vice-rois , par deux autres , dans le cimetière de l'hôpital de Naturales
et dans l'Egido deVelasco. L'Académie des beaux-arts est restée fer
mée par manque de fonds , depuis que les révolutions politiques se
sont succédées si rapidement ; d'un autre côté , on a réuni et en
registré les notes des collections mexicaines de Boturini et de Dupée.
**
Le public ne jouit encore que des découvertes faites par l'expédi
tion de botanique du Pérou et du Chili . Les grands herbiers de
M. Sesse , et l'immense collection de dessins de plantes mexicaines
428 LIVRE II ,

Les principes de la nouvelle chimie , que l'on


désigne dans les colonies espagnoles par le mot un
peu équivoque de la nouvelle philosophie ( nueva fi
losofia ) , sont plus répandus au Mexique que dans

bien des parties de la Péninsule. Un voyageur eu


ropéen serait surpris sans doute de rencontrer dans
l'intérieur du pays , sur les confins de la Californie ,
de jeunes Mexicains qui raisonnent sur la décompo
sition de l'eau dans le procédé de l'amalgamation à
l'air libre. L'École des Mines renferme un laboratoire

de chimie , une collection géologique rangée d'après


le système de Werner , un cabinet de physique dans
lequel on trouve non-seulement des instrumens pré
cieux de Ramsden , d'Adams , de Lenoir et de Louis
Berthoud, mais aussi des modèles exécutés dans la

capitale même avec la plus grande précision et avec


les plus beaux bois du pays . C'est à Mexico qu'a été
imprimé le meilleur ouvrage minéralogique que pos
sède la littérature espagnole, le Manuel d'oryctognosie ,
rédigé par M. del Rio , d'après les principes de l'école
de Freyberg, dans laquelle l'auteur s'est formé. C'est à

Mexico qu'on a publié la première traduction espa


gnole des Élémens de chimie de Lavoisier. Je cite ces
faits isolés , parce qu'ils nous donnent la mesure de

faits sous ses yeux , sont arrivés à Madrid depuis l'année 1803. On
attend avec impatience , et la publication de la Flore de la Nouvelle
Espagne , et celle de la Flore de Santa-Fe de Bogota. La dernière est
le fruit de quarante ans de recherches et d'observations faites par un
des plus grands botanistes du siècle , par le célèbre Mutis.
CHAPITRE VII. 429

l'ardeur avec laquelle on commence à embrasser les


sciences exactes dans la capitale de la Nouvelle - Es
pagne. Cette ardeur est bien plus grande que celle
avec laquelle on s'y livre à l'étude des langues et de
la littérature anciennes.

L'enseignement des mathématiques est moins soi


gné à l'université de Mexico qu'à l'École des Mines .
Les élèves de ce dernier établissement pénètrent plus
en avant dans l'analyse ; on les instruit dans le calcul
intégral et différentiel. Lorsqu'avec le retour de la
paix et des libres communications avec l'Europe , les
instrumens astronomiques ( les chronomètres , les sex
tans et les cercles répétiteurs de Borda ) deviendront
plus communs , il se trouvera dans les parties les plus
éloignées du royaume des jeunes gens capables de
faire des observations et de les calculer d'après les
méthodes les plus récentes. J'ai indiqué plus haut ,
dans l'Analyse de l'Atlas , le parti que le gouvernement
pourrait tirer de cette aptitude extraordinaire , pour
faire lever la carte du pays. D'ailleurs , le goût pour.l'as

tronomie est assez ancien au Mexique. Trois hommes


distingués, Velasquez , Gama et Alzate , ont illustré
leur patrie vers la fin du dernier siècle. Tous les trois
ont fait un grand nombre d'observations astronomi
ques, surtout des éclipses des satellites de Jupiter. Le
moins savant d'eux , Alzate , était correspondant de
l'Académie des sciences de Paris. Observateur peu
exact , d'une activité souvent impétueuse , il se livrait
à trop d'objets à-la-fois . Nous avons discuté , dans l'in
430 LIVRE II,

troduction géographique qui précède cet ouvrage , le


mérite de ses travaux astronomiques . Il en avait un
autre très réel , celui d'avoir excité ses compatriotes à
l'étude des sciences physiques. La Gazeta de Litera
tura , qu'il publia pendant long-temps à Mexico , con
tribua singulièrement à donner de l'encouragement
et de l'impulsion à la jeunesse mexicaine.
Le géomètre le plus marquant que la Nouvelle- Es
pagne ait eu depuis l'époque de Siguenza , était Don
Joacquin Velasquez Cardenas y Leon . Tous les travaux
astronomiques et géodésiques de ce savant infatigable
portent le caractère de la plus grande précision . Né
(le 21 juillet 1732 ) dans l'intérieur du pays , à la mé
tairie de Santiago Acebedocla , près du village indien
de Tizicapan , il ne se forma , pour ainsi dire , que par
lui-même. A l'âge de quatre ans , il communiqua la

petite vérole à son père qui en mourut . Un oncle ,


curé de Xaltocan , se chargea de son éducation et le
fit instruire par un Indien nommé Manuel Asentzio ,
homme de beaucoup d'esprit naturel , et très versé
dans la connaissance de l'histoire et de la mythologie

mexicaines . Velasquez apprit à Xaltocan plusieurs


langues indiennes et l'usage de l'écriture hiéroglyphi
que des Aztèques. Il est à regretter qu'il n'ait rien
publié sur cette branche intéressante de l'antiquité.
Placé à Mexico au collège Tridentin , il n'y trouva
presque ni professeur , ni livres , ni instrumens. Avec
le peu de secours qu'il put obtenir , il se fortifia dans

l'étude des mathématiques et des langues anciennes.


CHAPITRE VII. 431
Un heureux hasard fit tomber entre ses mains les ou

vrages de Newton et de Bacon. Il puisa dans les uns


le goût pour l'astronomie , dans les autres la connais
sance des vraies méthodes philosophiques. Pauvre , ne
trouvant aucun instrument à Mexico même , il se mit
avec son ami , M. Guadalaxara , ( aujourd'hui profes
seur des mathématiques à l'académie de peinture ) , à
construire des lunettes et des quarts de cercle. Il fit
en même temps le métier d'avocat , occupation qui ,
au Mexique comme partout ailleurs , est plus lucrative
que celle d'observer les astres. Ce qu'il gagna par son
travail fut employé à acheter des instrumens en An
gleterre. Nommé professeur à l'université , il accom

pagna le Visitador Don Jose de Galvez dans son
voyage à la Sonora. Envoyé en commission à la Cali

fornie , il profita de la beauté du ciel de cette Pénin


sule pour y faire un grand nombre d'observations as

tronomiques. Il y observa, le premier , que dans toutes


les cartes , depuis des siècles , par une énorme erreur
de longitude , cette partie du nouveau continent avait

* Le comte de Galvez , avant d'obtenir le ministère des Indes ,


parcourut la partie septentrionale de la Nouvelle-Espagne sous le
titre de Visitador. On donne ce nom à des personnes chargées par la
cour de prendre des informations sur l'état des colonies. Leur voyage
( visita ) n'a généralement d'autre effet que de contre-balancer , pour
quelque temps , le pouvoir des vice-rois et des Audiencias , de rece
voir une infinité de mémoires , de pétitions et de projets , et de signa
ler leur séjour par l'introduction de quelque nouvel impôt. Le
peuple attend l'arrivée des Visitadores avec la même impatience avec
laquelle il desire ensuite leur départ.
432 LIVRE II ,

été marquée de plusieurs degrés plus à l'ouest qu'elle


ne l'est effectivement . Lorsque l'abbé Chappe , plus
célèbre par son courage et son dévoûment pour les
sciences que par l'exactitude de son travail , arriva
en Californie , il y trouva déjà établi l'astronome
mexicain . Velasquez s'était fait construire , en planches
de mimosa , un observatoire à Sainte-Anne. Ayant
déjà déterminé la position de ce village indien , il ap
prit à l'abbé Chappe que l'éclipse de lune du 18 juin
1769 serait visible en Californie. Le géomètre français
douta de cette assertion jusqu'à ce que l'éclipse an
noncée eut lieu. Velasquez lui seul fit une très bonne

observation du passage de Vénus sur le disque du


soleil , le 3 juin 1769. Il en communiqua le résultat ,
le lendemain même du passage , à l'abbé Chappe et
aux astronomes espagnols Don Vicente Doz et Don
Salvador de Medina . Le voyageur français fut surpris

de l'harmonie que présenta l'observation de Velasquez


avec la sienne . Il s'étonna sans doute de rencontrer
en Californie un Mexicain qui , sans appartenir à au
cune académic , et sans être jamais sorti de la Nouvelle
Espagne , faisait autant que les académiciens. En 1773,
Velasquez exécuta le grand travail géodésique dont nous
avons donné quelques résultats dans l'analyse de l'At
las mexicain , et sur lequel nous reviendrons en par
lant de la galerie d'écoulement des lacs de la vallée
de Mexico . Le service le plus essentiel que cet homme
infatigable a rendu à sa patrie , est l'établissement du
Tribunal et de l'École des Mines , dont il présenta les
CHAPITRE VII. 433

projets à la cour. Il finit sa carrière laborieuse le 6


mars 1786 , étant le premier directeur-général du Tri
bunal de Miniera , et jouissant du titre d'Alcalde del
Corte honorario:

Après avoir cité les travaux d'Alzate et de Velas


quez , il serait injuste de ne pas consigner ici le nom
de Gama, qui fut l'ami et le collaborateur du dernier .
Sans fortune , forcé à soutenir une famille nombreuse
par un travail pénible et presque mécanique , mécon
nu , négligé pendant sa vie par ses concitoyens * , qui
l'ont comblé de louanges après sa mort , Gama devint
par lui-même un astronome habile et instruit. Il pu
blia plusieurs mémoires sur des éclipses de lune , sur
les satellites de Jupiter , sur l'almanach et la chrono
logie des anciens Mexicains , et sur le climat de la
Nouvelle-Espagne ; mémoires qui annoncent tous une
grande justesse dans les idées et de la précision dans
les observations . Si je me suis permis d'entrer dans
ces détails sur le mérite littéraire de trois savans mexi

cains , ce n'est que pour prouver , par leur exemple ,


que l'ignorance dont l'orgueil européen se plaît à ac
cuser les Créoles , n'est pas l'effet du climat ou d'un
manque d'énergie morale; mais que cette ignorance ,
là où on l'observe encore , est uniquement l'effet de

* Le célèbre navigateur Alexandre Malaspina , pendant son séjour


à Mexico , observa avec Gama. Il le recommanda aussi avec beau
coup de chaleur à la cour , comme le prouvent les lettres officielles
de Malaspina conservées dans les archives du vice-roi.
I. 28
LIVRE II ,
434
l'isolement et des défauts propres aux institutions so
ciales dans les colonies .
Si, dans l'état actuel des choses , la caste des blancs

est celle parmi laquelle on trouve presque exclusive


ment du développement intellectuel , c'est elle aussi
qui presque seule possède de grandes richesses . Ces
richesses sont malheureusement distribuées encore
plus inégalement au Mexique qu'elles ne le sont dans
la Capitania general de Caraccas , à la Havane , et
surtout au Pérou . A Caraccas , les chefs de famille les
plus riches ont 200,000 livres tournois de rentes : à
l'île de Cuba , on en trouve qui ont au-delà de 6 à
700,000 francs. Dans ces deux colonies industrieuses ,
l'agriculture a fondé des richesses plus considérables
que l'exploitation des mines n'en a accumulé au Pé
rou. A Lima, un revenu annuel de 80,000 francs est
déjà assez rare. Je ne connais actuellement aucune fa
mille péruvienne qui jouisse d'une rente fixe et sûre
de 130,000 francs. Dans la Nouvelle- Espagne , au
contraire , il y a des individus qui ne possèdent aucune
mine , et dont le revenu annuel monte à un million de

francs. La famille du comte de la Valenciana , par


exemple , possède elle seule , sur le dos de la Cordil
lère , pour plus de vingt-cinq millions de francs en

biens -fonds , sans compter la mine de Valenciana, près


de Guanaxuato , qui , année commune , donne un bé
néfice net d'un million et demi de livres tournois . Cette

famille , dont le chef actuel , le jeune comte de Valen


ciana , se distingue par un caractère généreux et par
CHAPITRE VII. 435

un noble desir de l'instruction , n'est partagée qu'en


trois branches ; elles ont ensemble , même dans des an
nées où l'exploitation de la mine n'est pas très lucra
tive , au-dela de 2,200,000 de revenus. Le comte de
Regla , dont le fils cadet , le marquis de San Christo
bál * , s'est distingué à Paris par ses connaissances en
physique et en physiologie , a fait construire à la Ha
vane , à ses frais , en bois d'acajou et de cèdre (cedrel

la ) , deux vaisseaux de ligne de la première grandeur ,


dont il a fait hommage à son souverain . C'est le filon
de la Biscaina, près de Pachuca , qui a fondé la fortune
de la maison de Regla. La famille de Fagoaga, con
nue par sa bienfaisance , par ses lumières et son zèle
pour le bien public , présente l'exemple de la plus
grande richesse qu'une mine ait jamais offerte à ses
propriétaires. Un seul filon que la famille du marquis
de Fagoaga possède dans le district de Sombrerete , a
laissé en cinq à six mois , tous les frais étant déduits ,
un profit net de vingt millions de francs.

D'après ces données , on devrait supposer , dans les


familles mexicaines, des capitaux infiniment plus grands
encore que ceux que l'on y observe. Le défunt comte
de la Valenciana , le premier de ce titre , a eu quelque
fois de sa mine seule , dans une année , jusqu'à six mil
lions de livres de revenu net. Ce revenu annuel , pen

* M. Tereros ( c'est le nom sous lequel ce savant modeste est


connu en France ) a préféré , pendant long-temps , l'instruction que
lui procurait le séjour de Paris , à une grande fortune dont il ne pou
vait jouir que vivant à Mexico même.
28.
436 LIVRE II ,

dant les derniers vingt-cinq ans de sa vie , n'a jamais


été au-dessous de deux à trois millions de livres tour

nois ; et cependant cet homme extraordinaire , qui


était venu sans aucune fortune en Amérique , et qui
continuait à vivre avec une grande simplicité , ne laissa
en mourant , outre sa mine , qui est la plus riche du
monde, que dix millions en biens-fonds et en capitaux .
Ce fait très exact , n'a rien de surprenant pour ceux
qui ont examiné le régime intérieur des grandes mai
sons mexicaines . L'argent gagné rapidement se dé
pense avec la même facilité. L'exploitation des mines
devient un jeu dans lequel on s'engage avec une pas
sion sans borne. Les riches propriétaires des mines
prodiguent des sommes immenses à des charlatans qui
les engagent à de nouvelles entreprises dans les pro
vinces les plus éloignées. Dans un pays où les travaux
se font tellement en grand , que le puits d'une mine
coûte souvent deux millions de francs à percer , la

fausse exécution d'un projet hasardé peut absorber ,


en peu d'années , ce qui a été gagné à l'exploitation
des filons les plus riches. Il faut ajouter à cela que,
par le désordre intérieur qui règne dans la plupart des
grandes maisons de l'ancienne et de la Nouvelle-Es
pagne , un chef de famille se trouve souvent gêné ,
quoiqu'il ait une rente d'un demi million , et quoiqu'il
paraisse n'étaler d'autre luxe que celui de nombreux
attelages de mulets .
Les mines sans doute ont été la source principale
des grandes fortunes du Mexique. Beaucoup de mi
CHAPITRE VII . 437

neurs ont fait un emploi heureux de leurs richesses ,


en achetant des terres et en s'adonnant avec le plus
grand zèle à l'agriculture. Mais il y a aussi un nombre
considérable de familles très puissantes qui n'ont ja
mais eu de mines très lucratives à exploiter. C'est à ces
dernières qu'appartiennent les riches descendans de
Cortez, ou du Marquis del Valle. Le duc de Monte
leon , seigneur napolitain , qui possède aujourd'hui le
majorat de Cortez , a de superbes terres dans la pro
vince d'Oaxaca , près de Toluca , et à Cuernavacca . Le
produit net de ses rentes n'est actuellement que de
550,000 francs , le roi ayant ôté au duc la perception
des Alcavalas et les droits du tabac . Les frais ordi

naires de l'administration se montent à plus de 12-5,000


francs. En outre , plusieurs gouverneurs du Marque
sado se sont singulièrement enrichis. Si les descen
dans du grand Conquistador voulaient vivre au Mexi
que même , leur revenu monterait bientôt à plus d'un
million et demi .

Pour compléter le tableau des richesses immenses qui


se trouvent entre les mains de quelques particuliers de la
Nouvelle-Espagne , et qui peuvent rivaliser avec celles
que présentent la Grande-Bretagne et les possessions
européennes dans l'Indoustan , j'ajouterai quelques no
tions exactes , et sur les revenus du clergé mexicain ,
et sur les sacrifices pécuniaires que fait annuellement
le corps des mineurs ( Cuerpo de Mineria ) pour le
perfectionnement de l'exploitation métallique. Ce der
nier corps , formé par la réunion des propriétaires des
438 LIVRE II ,

mines , et représenté par les députés qui siègent dans


le Tribunal de Mineria , a avancé en trois ans , de

puis 1784 jusqu'à 1787 , une somme de quatre millions


de francs à des individus qui manquaient de fonds né
cessaires pour exécuter de grands travaux. On croit
dans le pays que cet argent n'a pas été très utilement

employé (para habilitar ) ; mais sa distribution prouve


la générosité et l'opulence de ceux qui sont capables
de si grandes largesses . Un lecteur européen sera plus
surpris encore , si je consigne ici le fait extraordinaire
que la famille respectable des Fagoaga a prêté , il y
a peu d'années , sans intérêts , une somme de plus de
trois millions et demi de francs à un ami dont ils cru
rent fonder la fortune d'une manière solide : cette

somme énorme a été irrévocablement perdue dans


l'entreprise manquée d'une nouvelle exploitation mé
tallique. Les travaux d'architecture qui s'exécutent à
la capitale de Mexico pour l'embellissement de la ville,
sont si dispendieux que , malgré le bas prix de la main
d'œuvre , le superbe édifice que le Tribunal de Mine
ria fait construire pour l'École des Mines coûtera au
moins trois millions de francs , dont près des deux

tiers ont été assignés dès qu'on a commencé à jeter les


fondemens. Pour accélérer la construction , surtout
pour faire jouir bientôt les élèves d'un laboratoire pro
pre à faire des expériences métalliques sur l'amalga
mation de grandes masses de minerais ( beneficio de
patio ) , le corps des mineurs mexicains avait assigné
par mois , dans la seule année de 1803 , la somme de
CHAPITRE VII. 439

cinquante mille francs. Telle est la facilité avec laquelle


de vastes projets peuvent s'exécuter dans un pays où les
richesses appartiennent à un petit nombre d'individus.
Cette inégalité de fortune est plus frappante encore
parmi le clergé , dont une partie gémit dans la der
nière misère , tandis que certains membres ont des
rentes qui surpassent les revenus de plusieurs princes
souverains de l'Allemagne. Le Clergé mexicain, moins
nombreux qu'on ne le croit en Europe , n'est composé
que de dix mille personnes , dont près de la moitié

sont des réguliers qui portent le froc . En y comprenant


les frères lais ou servans , les sœurs converses ( Legos ,
Donados y Criados de los Conventos ) , tous ceux qui
ne sont point destinés aux ordres sacrés , on peut éva
luer le clergé à treize ou quatorze mille individus. *

* Le nombre des moines de saint François en Espagne monte à


15,600. Il est plus grand que le nombre de tous les ecclésiastiques du
royaume du Mexique. Dans la Péninsule , le clergé embrasse plus de
177,000 individus. Il y a , sur 1000 habitans , 16 ecclésiastiques ,
tandis que dans la Nouvelle-Espagne on n'en compte pas deux.
Voici le tableau détaillé du clergé dans quelques Intendances, d'après
le dénombrement fait en 1793 :
Dans l'Intendance de
la Puebla, 667 ecclés. non réguliers ou Clerigos, et 881 régul .
Valladolid , 293 298
Guanaxuato , 225 197
Oaxaca , 306 342
Dans la ville de
Mexico, 550 1646
En comprenant dans le dénombrement les Donados ou frères ser
vans , les couvens de la capitale contiennent plus de 2500 individus.
440 LIVRE II,

Or , le revenu annuel de huit évêques mexicains dont


nous présentons le tableau suivant , monte à la somme
totale de 2,721,950 francs.
Rentes de l'archevêque de
Mexico, 130,000 piastres fortes.
l'évêque de la Puebla , 110,000
Valladolid , 100,000
Guadalaxara , 90,000

Durango , 35,000
Monterey , 30,000
Yucatan , 20,000
Oaxaca , 18,000
Sonora , 6,000
L'évêque de la Sonora , le moins riche de tous , ne
perçoit pas le revenu des dîmes . Comme celui de Pa

nama, il est payé immédiatement par le roi (de caxas


Reales). Ses rentes ne font que la vingtième partie
de celles de l'évêque de Valladolid de Méchoacan ; et
ce qui est vraiment affligeant dans le diocèse d'un ar
chevêque dont le revenu annuel monte à 650,000 f. ,
il y a des curés de villages indiens qui n'ont pas cinq

à six cents francs par an! L'évêque et les chanoines de


Valladolid ont envoyé successivement au roi , comme
dons gratuits , surtout pendant la dernière guerre con
tre la France , une somme de 810,000 francs . Les
biens-fonds du clergé mexicain (bienes raices) ne mon
tent pas à 12 ou 15 millions de francs ; mais ce même
clergé possède d'immenses richesses en capitaux hy
pothéqués sur les propriétés des particuliers. Le to
CHAPITRE VII. 441

tal de ces capitaux ( capitales de Capellanias y obras


pias , fondos dotales de Comunidades religiosas ) ,
dont nous donnerons le détail dans la suite , monte à
la somme de quarante-quatre millions et demi de pias
tres fortes , ou de 233,625,000 francs * . Cortez , dès
les premiers temps de la conquête , craignit la grande
opulence du clergé dans un pays où la discipline ec
clésiastique est difficile à maintenir. Il dit très naïve
ment dans une lettre à l'empereur Charles-Quint ,
«< qu'il supplie sa majesté d'envoyer aux Indes des
«< religieux , et non des chanoines , parce que les der

« niers déploient un luxe effréné , laissent de grandes


«< richesses à leurs enfans naturels , et donnent du
<< scandale aux Indiens récemment convertis. >> Ce con
seil , dicté par la franchise d'un vieux militaire , ne

fut pas suivi à Madrid . Nous avons transcrit ce pas


sage curieux d'un ouvrage qui a été publié , il y a quel
ques années , par un cardinal ** : il ne nous appartient
pas d'accuser le conquérant de la Nouvelle-Espagne


J'ai suivi les données contenues dans la Representacion de los ve
cinos de Valladolid al Excellentissimo Señor Virey ( en date du 24 octo
bre 1805 ) , mémoire manuscrit très précieux. Je compte , dans le
cours de cet ouvrage , la piastre forte en raison de 5 livres 5 sous. Sa
valeur intrinsèque est de 5 livres 8 sous tournois. Il ne faut d'ail
leurs pas confondre le pezo , qui s'appelle aussi pezo sencillo oupiastre
de commerce, et qui est une monnaie fictive , avec la piastre forte
d'Amérique , ou duro, ou pezo duro. La piastre forte a 20 réaux de
vellon , ou 170 quartos , ou 680 maravedis , tandis que le pezo sencillo,
qui vaut 3 livres 15 sous , n'a que 15 réaux de vellon, ou 510 maravedis.
** L'archevêque de Lorenzana.
442 LIVRE II ,

de prédilection pour les réguliers ou d'animosité en


vers les chanoines !

Le bruit qui s'est répandu en Europe , de la gran


deur de ces richesses mexicaines , y a causé des idées
très exagérées sur l'abondance d'or et d'argent que l'on
voit employés dans la Nouvelle- Espagne , en vaisselle ,
en meubles , en batteries de cuisine , en harnais. Un
voyageur dont l'imagination a été montée par ces
contes de clefs , de serrures et de gonds d'argent mas
sif, sera bien surpris , à son arrivée à Mexico , en n'y
voyant pas plus de métaux précieux employés à l'u
sage de la vie domestique qu'en Espagne , en Portu
gal et dans d'autres parties de l'Europe australe ; il
sera tout au plus frappé de voir au Mexique , au Pé
rou ou à Santa-Fe , des gens du peuple qui ont les
pieds nus garnis d'énormes éperons d'argent , ou d'y
trouver les gobelets et les plats d'argent un peu plus
communs qu'en France et en Angleterre. La surprise
du voyageur cessera , ss'il se souvient que la porcelaine

est très rare en ces régions nouvellement civilisées , que


la nature des chemins de montagnes en rend le trans
port extrêmement difficile , et que , dans un pays où

le commerce est peu actif, il est assez indifférent de

posséder quelques centaines de piastres en espèces ou


en meubles d'argent . D'ailleurs , malgré l'énorme dif
férence de richesses qu'offrent le Pérou et le Mexique ,
en considérant isolément les fortunes des grands pro
priétaires , je serais tenté de croire qu'il y a plus de
vraie aisance à Lima qu'à Mexico . L'inégalité des for
1
CHAPITRE VII. 443

tunes est beaucoup moindre dans la première de ces


deux capitales. S'il est très rare , comme nous l'avons
observéplus haut , d'y trouver des particuliers qui jouis
sent de 50 à 60,000 francs de rentes , on y trouve , en
échange , un grand nombre d'artisans mulâtres et de
nègres affranchis qui , par leur industrie , se procurent
bien au-delà du nécessaire. Parmi cette classe , les ca

pitaux de 10 à 15,000 piastres sont assez communs ,


tandis que les rues de Mexico fourmillent de vingt à

trente mille malheureux ( Saragates , Guachinangos ),


dont la plupart passent la nuit à la belle étoile , et
s'étendent le jour au soleil , le corps tout nu enveloppé

dans une couverture de flanelle. Cette lie du peuple ,


Indiens et Métis , présente beaucoup d'analogie avec
les Lazaronis de Naples. Paresseux , insoucians , sobres
comme eux , les Guachinangos n'ont cependant au
cune férocité dans le caractère ; ils ne demandent ja
mais l'aumône s'ils travaillent un ou deux jours par
semaine , ils gagnent ce qu'il leur faut pour acheter

du pulque ou de ces canards qui couvrent les lagunes


mexicaines , et que l'on rôtit dans leur propre graisse.
La fortune des Saragates dépasse rarement deux ou
trois réaux , tandis que le peuple de Lima , plus
adonné au luxe et au plaisir , peut-être même plus
industrieux , dépense souvent deux à trois piastres en
un seul jour. On dirait que partout le mélange de l'Eu
ropéen et du Nègre produit une race d'hommes plus
active , plus assidue au travail que le mélange du
blanc avec l'Indien mexicain !
444 LIVRE II ,

Le royaume de la Nouvelle-Espagne est , de toutes


les colonies des Européens sous la zone torride , celle
dans laquelle il y a moins de Nègres . On peut presque
dire qu'il n'y a point d'esclaves. On parcourt toute la
ville de Mexico sans trouver un visage noir. Le service
d'aucune maison ne s'y fait avec des esclaves . Sous ce
point de vue surtout , le Mexique offre un contraste
bien grand avec la Havane , avec Lima et Caraccas.
D'après des renseignemens exacts pris par des per
sonnes employées au dénombrement fait en 1793 , il
paraît que dans toute la Nouvelle - Espagne il n'y a pas
six mille Nègres et tout au plus neuf à dix mille escla
ves , dont le plus grand nombre habite les ports d'Aca
pulco et de Vera-Cruz , ou la région chaude voisine des

côtes ( tierras calientes ) . Les esclaves sont quatre fois


plus nombreux dans la Capitania générale de Carac
cas , qui pourtant n'a pas la sixième partie des habi
tans du Mexique. Les Nègres de la Jamaïque sont à
ceux de la Nouvelle- Espagne dans le rapport de 250 : 1.
Aux îles Antilles , au Pérou , et même à Caraccas , les

progrès de l'agriculture et de l'industrie en général dé


pendent , dans l'état actuel des choses , de l'augmen
tation des Nègres. Dans l'île de Cuba , par exemple ,
où l'exportation annuelle du sucre est montée , en douze
ans , de 400,000 quintaux à 1,000,000 , on a intro
duit , depuis 1792 jusqu'en 1803 , près de 55,000 es
claves * . Au Mexique , au contraire , l'accroissement

* D'après les tableaux de la douane de la Havane , dont je pos


CHAPITRE VII . 445

de la prospérité coloniale n'est aucunement dû à une


traite de Nègres devenue plus active . Il y a vingt ans
que l'on ne connaissait presque pas en Europe du sucre
mexicain aujourd'hui , la Vera-Cruz seule en exporte

plus de 120,000 quintaux ; et cependant les progrès


qu'a faits dans la Nouvelle -Espagne , depuis la révo
lution de Saint-Domingue , la culture de la canne à
sucre, n'y a heureusement pas augmenté d'une ma
nière sensible le nombre des esclaves. Parmi les
74,000 Nègres que l'Afrique * fournit annuellement
aux régions équinoxiales de l'Amérique et de l'Asie ,
et qui équivalent , dans les colonies mêmes , à une
somme de 111,000,000 de francs , il n'y en a pas une
centaine qui abordent sur les côtes du Mexique.
D'après les lois , il n'existe point d'Indiens esclaves
dans les colonies espagnoles. Cependant , par un abus
singulier , deux genres de guerre , très différens en ap
parence , donnent lieu à un état qui ressemble beau
coup à celui de l'esclave africain. Les moines mission

naires de l'Amérique méridionale font de temps en


temps des incursions dans les pays occupés par de
paisibles tribus d'Indiens , que l'on appelle sauvages
( Indios bravos ) , parce qu'ils n'ont pas encore appris
à faire le signe de la croix comme les Indiens égale

sède la copie , l'introduction des Nègres fut , depuis 1799 jusqu'en


1803 , de 34,500 , desquels meurent sept pour cent par an.
* D'après M. Norris, et d'après les renseignemens donnés, en 1787,
au parlement d'Angleterre par les négocians de Liverpool.
446 LIVRE II ,

ment nus des Missions ( Indios reducidos ). Dans ces


incursions nocturnes , dictées par le fanatisme le plus
coupable , on se saisit de tout ce que l'on peut surpren
dre , surtout des enfans , des femmes et des vieillards .

On sépare sans pitié les enfans de leurs mères , pour


éviter qu'ils ne se concertent sur les moyens de s'enfuir.
Le moine qui est le chef de cette expédition , distribue
les jeunes gens aux Indiens de sa Mission qui ont le
plus contribué au succès des Entradas . A l'Orénoque
et aux bords du Rio-Negro portugais , ces prisonniers
portent le nom de Poitos ; ils sont traités comme des
esclaves jusqu'à ce qu'ils soient dans l'âge de se marier.
C'est le desir d'avoir des Poitos et de les faire travail

ler pendant huit ou dix ans , qui porte les Indiens des
Missions à exciter eux-mêmes les moines à ces in

cursions ; les évêques ont généralement eu la sagesse


de les blâmer , comme des moyens de rendre odieux la
religion et ses ministres. Au Mexique , les prisonniers
faits dans la petite guerre qui est presque continuelle
sur les frontières des Provincias internas , éprouvent
un sort bien plus malheureux que les Poitos . Ces pri
sonniers , qui sont généralement de la nation indienne
des Mécos ou Apaches , sont traînés à Mexico , où ils
gémissent dans les cachots d'une maison de force ( la
Cordada). L'isolement et le désespoir augmentent leur
férocité. Déportés à la Vera-Cruz et à l'île de Cuba ,
ils y périssent bientôt comme tout Indien sauvage que

l'on transporte du haut plateau central dans les ré


gions les plus basses , et par conséquent les plus chau
CHAPITRE VII. 447

des. On a eu des exemples récens que ces prisonniers


Mécos , échappés des cachots , ont commis les cruau
tés les plus atroces dans la campagne voisine. Il serait
bien temps que le gouvernement s'occupât de ces mal
heureux dont le nombre est petit , et dont il serait
d'autant plus facile d'améliorer le sort .
Il paraît qu'au commencement de la conquête , on
comptait au Mexique un grand nombre de ces prison
niers de guerre , que l'on traitait comme les esclaves du
vainqueur. J'ai trouvé à ce sujet un passage très re
marquable dans le testament de Hernan Cortez * , mo
nument historique digne d'être arraché à l'oubli . Le
grand capitaine qui , pendant le cours de ses victoires ,
surtout dans sa conduite perfide envers le malheureux
roi Montezuma II , n'avait pas montré trop de délica
**
tesse de conscience , se fit , vers la fin de sa carrière ,

* Testamento que otorgò el Excellentissimo Señor Don Hernan Cortez,


Conquistador de la Nueva España hecho en Sevilla el 11 del mes de oc
tubre , 1547. L'original de cette pièce très curieuse , dont j'ai fait faire
une copie , existe dans les archives de la maison del Estado ( du mar
quis del Valle ) , située sur la grande place de Mexico. Elle n'a jamais
été imprimée. J'ai aussi trouvé dans ces archives un mémoire rédigé
par Cortez , peu de temps après le siège de Tenochtitlan , et conte
nant des instructions sur la confection des chemins , sur l'établisse
ment des auberges le long des grandes routes , et sur d'autres objets
de police générale.
** Cortez , dans ses lettres datées de la Rica Villa de Vera- Cruz ,
dépeint à l'empereur Charles-Quint la ville de Tenochtitlan comme
s'il parlait des merveilles de la capitale du Dorado. Après lui avoir
transmis tout ce qu'il a pu apprendre sur la richesse « de ce puissant
seigneur Montezuma » , il assure à son souverain que, mort ou vivant,
448 LIVRE II,

des scrupules sur la légitimité des titres auxquels il pos


sédait d'immenses biens au Mexique ; il ordonne à son
fils de faire les recherches les plus soignées sur les
tributs qu'avaient perçus les grands seigneurs mexi

cains qui avaient été propriétaires de son majorat


avant l'arrivée des Espagnols à Vera-Cruz ; il veut
même que la valeur des tributs exigés en son nom , en
sus des impôts anciennement usités , soit restituée aux
indigènes. En parlant des esclaves dans les trente-neu
vième et quarante-unième articles de son testament ,
Cortez ajoute ces mots mémorables : « Comme il est
<«< resté douteux si , en bonne conscience , un chrétien
<< a pu se servir comme esclaves des indigènes qui ont été
« faits prisonniers de guerre , et comme jusqu'à ce jour
<<< on n'a pu tirer au clair ce point important , j'ordonne
« à mon fils Don Martin , et à ceux de ses descendans
<< qui posséderont mon majorat et mes fiefs après lui ,

<< de prendre toutes les informations possibles sur les


<< droits que l'on peut légitimement exercer sur les pri

«< sonniers . Les naturels qui , après m'avoir payé des


« tributs , ont été forcés à des services personnels , doi
« vent être dédommagés , si dans la suite il était décidé
«< qu'on ne puisse pas demander de corvées. » Ces dé

le roi mexicain doit tomber entre ses mains. « Certifique a Vuestra Al


teza que lo habria preso ó muerto ó subdito á la Real Corona de Vuestra
Magestad. » (Lorenzana , pag. 39. ) Il faut observer que ce projet fut
conçu lorsque le général espagnol était encore sur les côtes , et
n'avait eu aucune communication avec les ambassadeurs de Monte
zuma.
CHAPITRE VII. 449

cisions sur des questions aussi problématiques , de qui


devait-on les attendre , sinon du pape ou d'un concile ?
Avouons que trois siècles plus tard , malgré les lumiè
res que répand une civilisation avancée , les riches

propriétaires en Amérique ont , même en mourant , la


conscience moins timorée. De nos jours , ce sont les

philosophes et non les dévots , qui agitent la question ,


s'il est permis d'avoir des esclaves ! Mais le peu d'éten
due que de tout temps a eu l'empire de la philosophie ,
fait croire qu'il aurait été plus utile à l'humanité souf
frante que ce genre de scepticisme se fût conservéparmi
les croyans .

D'ailleurs , les esclaves qui , heureusement se trou


vent en très petit nombre au Mexique , y sont , comme
dans toutes les possessions espagnoles , un peu plus
protégés par les lois que les Nègres qui habitent les
colonies des autres nations européennes. Ces lois sont
toujours interprétées en faveur de la liberté. Le gou
vernement desire voir augmenter le nombre des affran
chis. Un esclave qui , par son industrie , s'est procuré
quelque argent , peut forcer son maître à l'affranchir
en lui payant la somme modique de 1500 ou 2000 li
vres. La liberté ne saurait être refusée au Nègre sous
prétexte qu'il a coûté le triple en l'achetant , ou qu'il
possède un talent particulier pour exercer un métier
lucratif. Un esclave qui a été cruellement maltraité ,
acquiert par là même son affranchissement d'après la
loi , si toutefois le juge embrasse la cause de l'opprimé.
On conçoit que cette loi bienfaisante doit être fort
I. 29
450 LIVRE II,

souvent éludée. J'ai vu cependant à Mexico même ,


au mois de juillet 1803 , l'exemple de deux Négresses ,
à qui le magistrat qui fait les fonctions d'Alcalde de

Corte , donna la liberté , parce que leur maîtresse ,


une dame native des îles , les avait couvertes de bles

sures faites avec des ciseaux , des épingles et des ca


nifs . Dans le cours de ce procès affreux , la dame fut
accusée d'avoir , au moyen d'une clef, cassé les dents
à ses esclaves , lorsque celles-ci se plaignaient d'une
fluxion aux gencives qui les empêchait de travailler.
Les matrones romaines n'étaient pas plus raffinées
dans leurs vengeances. La barbarie est la même dans

tous les siècles , lorsque les hommes peuvent laisser


un libre cours à leurs passions , et que les gouver
nemens tolèrent un ordre de choses contraire aux lois

de la nature , et par conséquent au bien-être de la


société.
Nous venons de faire l'énumération des différentes
races d'hommes qui constituent aujourd'hui la popu
lation de la Nouvelle-Espagne. En jetant les yeux sur

les tableaux physiques contenus dans l'Atlas mexicain ,


on voit que la majeure partie d'une nation de six mil

lions d'habitans peut être considérée comme un peuple


montagnard. Sur le plateau d'Anahuac , dont l'éléva
tion surpasse au moins deux fois la hauteur des gros
nuages qui en été sont suspendus au-dessus de nos
têtes , se trouvent réunis des hommes à teint cuivré
venus de la partie nord-ouest de l'Amérique septen
trionale , des Européens et quelques Nègres des côtes
CHAPITRE VII. 451

de Bonny , de Calabar et de Melimbo . En considérant


que ce que nous appelons aujourd'hui Espagnols , est
un mélange d'Alains et d'autres hordes tartares avec
les Visigoths et les anciens habitans de l'Ibérie ; en se
rappelant l'analogie frappante qui existe entre la plu
part des langues européennes , le sanscrit et le persan ;
en réfléchissant , enfin , sur l'origine asiatique des tri
bus nomades qui ont pénétré au Mexique depuis le
septième siècle , on est tenté de croire sortie d'un même

centre , mais par des chemins diamétralement opposés ,


une partie de ces peuples qui , long-temps errans ,
après avoir fait , pour ainsi dire , le tour du globe , se
rencontrent de nouveau sur le dos des Cordillères
mexicaines.
Pour achever le tableau des élémens qui composent

la population mexicaine , il nous reste d'indiquer rapi


dement la différence des castes qui naissent du mé
lange des races pures les unes avec les autres . Ces castes
constituent une masse presque aussi considérable que
les indigènes du Mexique. On peut évaluer le total des
individus à sang mêlé à près de 2,400,000 . Par un raffi
nement de vanité , les habitans des colonies ont enrichi
leur langue , en désignant les nuances les plus fines des
couleurs qui naissent de la dégénération de la couleur
primitive. Il sera d'autant plus utile de faire connaître
ces dénominations * , que plusieurs voyageurs les ont

* Sobre el clima de Lima , por el Doctor Unanue, pag. 48 , ouvrage


imprimé au Pérou même , l'année 1806.
29.
452 LIVRE II ,

confondues , et que cette confusion cause de l'embarras

à la lecture des ouvrages espagnols qui traitent des


possessions américaines.

Le fils d'un blanc ( Créole ou Européen ) et d'une


indigène à teint cuivré est appelé Métis ou Mestizo .
Sa couleur est presque d'un blanc parfait ; sa peau est
d'une transparence particulière. Le peu de barbe , la
petitesse des mains et des pieds et une certaine obli
quité des yeux , annoncent plus souvent le mélange
de sang indien que la nature des cheveux . Si une Mé

tisse épouse un blanc , la seconde génération qui en


résulte ne diffère presque plus de la race européenne.
Très peu de Nègres ayant été introduits dans la Nou

velle- Espagne , les Métis composent vraisemblable


ment les de la totalité des castes . Ils sont généralement
réputés d'un caractère beaucoup plus doux que les
Mulâtres ( Mulatos ) , fils de Blancs et de Négresses ,
qui se distinguent par la violence de leurs passions , et
par une singulière volubilité de langue. Les descendans

de Nègres et d'Indiennes portent à Mexico , à Lima


et même à la Havane , le nom bizarre de Chino , Chi
nois . Sur la côte de Caraccas , et , comme il paraît par

les lois , à la Nouvelle-Espagne même , on les appelle


aussi Zambos. Aujourd'hui , cette dernière dénomi
nation est principalement restreinte aux descendans
d'un Nègre et d'une Mulâtresse , ou d'un Nègre et
d'une China. On distingue de ces Zambos communs ,

les Zambos prietos , qui naissent d'un Nègre et d'une


Zamba. Du mélange d'un Blanc avec une Mulâtresse ,
CHAPITRE VII. 453

provient la caste des Quarterons. Lorsqu'une Quarte


ronne épouse un Européen ou un Créole , son fils porte
le nom de Quinteron . Une nouvelle alliance avec la
race blanche fait tellement perdre le reste de couleur ,
que l'enfant d'un Blanc et d'une Quinteronne est blanc
aussi. Les castes de sang indien ou africain conservent

l'odeur qui est propre à la transpiration cutanée de


ces deux races primitives . Les Indiens péruviens qui ,
au milieu de la nuit , distinguent les différentes races
par la finesse de leur odorat , ont formé trois mots
pour l'odeur de l'Européen , de l'indigène Américain
et du Nègre : ils appellent la première pezuña , la se
conde posco ,
* , et la troisième grajo. D'ailleurs , les
mélanges dans lesquels la couleur des enfans devient
plus foncée que n'était celle de leur mère , s'appellent
salta-atras , ou sauts en arrière.
Dans un pays gouverné par les blancs , les familles
qui sont censées être mêlées avec le moins de sang
nègre ou mulâtre , sont naturellement aussi les plus
honorées. En Espagne , c'est pour ainsi dire un titre
de noblesse de ne descendre ni de Juifs ni de Maures .
En Amérique , la peau plus ou moins blanche décide
du rang qu'occupe l'homme dans la société. Un Blanc

qui monte pieds nus à cheval s'imagine appartenir à


la noblesse du pays . La couleur établit même une cer
taine égalité entre des hommes qui , comme partout
où la civilisation est ou peu avancée ou dans un mou

* Mot ancien de la langue qquichua.


454 LIVRE II ,

vement rétrograde , se plaisent à raffiner sur les pré


rogatives de race et d'origine. Lorsqu'un homme du
peuple se dispute avec un des seigneurs titrés du pays ,
on l'entend souvent dire : « Serait-il possible que

<< vous crussiez être plus blanc que moi ? » Ce mot


caractérise très bien l'état et la source de l'aristo

cratie actuelle. Il y a , par conséquent , un grand intérêt


de vanité et de considération publique à évaluer au juste
les fractions de sang européen que l'on doit assigner
aux différentes castes. D'après les principes sanctionnés
par l'usage , on a adopté les proportions suivantes :
CASTES . MÉLANGE DU SANG.

Quarterons , nègre blanc .


Quinterons , nègre blanc .
3
Zambo , nègre blanc.
Zambo prieto , 7
nègre blanc .
Il arrive souvent que des familles qui sont soup
çonnées d'être de sang mêlé , demandent à la haute
cour de justice ( l'Audiencia ) qu'on les déclare appar
tenir aux Blancs. Ces déclarations ne sont pas tou

jours conformes au jugement des sens . On voit des


Mulâtres très basanés qui ont eu l'adresse de se faire
blanchir (c'est l'expression bannale du peuple) . Quand
la couleur de la peau est trop contraire au jugement
qui est sollicité , le pétitionnaire se contente d'une
expression un peu problématique . La sentence dit
alors simplement , « que tels ou tels individus peuvent
« se considérer eux - mêmes comme Blancs ( que se
<< tengan por Blancos). »
CHAPITRE VII. 455

Il serait très intéressant de pouvoir discuter à fond


l'influence de la diversité des castes sur le rapport des

sexes entre eux . J'ai vu , par le dénombrement fait en


1793 , que dans la ville de la Puebla et à Valladolid ,
il y a parmi les Indiens plus d'hommes que de femmes ,
tandis que parmi les Espagnols ou dans la race des

Blancs on y trouve plus de femmes que d'hommes. Les


intendances de Guanaxuato et d'Oaxaca présentent ,

dans toutes les castes , le même excédant d'hommes.


Je n'ai pume procurer assez de matériaux pour résoudre

le problême de la diversité des sexes selon la différence


des races , selon la chaleur du climat ou la hauteur des

régions que l'homme habite : nous nous bornerons ,


par conséquent , à offrir des résultats généraux.

En France , on a trouvé , par un dénombrement


partiel fait avec le plus grand soin , que sur 991,829
âmes , les femmes vivantes sont aux hommes dans le
rapport de 9 à 8. M. Peuchet * paraît s'arrêter à la propor
tion de 34 : 33. Il est certain qu'en France il existe plus
de femmes que d'hommes , et , ce qui est très remar
quable , qu'il naît plus de garçons dans les campagnes
et dans le midi que dans les villes et les départemens
qui sont compris entre le 47° et le 52º de latitude.
Dans la Nouvelle- Espagne , au contraire , ces cal
culs d'arithmétique politique donnent un résultat tout
à-fait opposé. Les hommes y sont , en général , plus
nombreux que les femmes , comme le prouve le fa

.
Statistique élémentaire de la France , page 242.
456 LIVRE II ,

bleau suivant que j'ai dressé , et qui embrasse huit pro


vinces ou une population de 1,352,000 habitans .

NOMS PROPORTION
des des
INTENDANCES , DIVERSITÉ DES RACES. HOMMES FEMMES HOMMES
et des aux
GOUVERNEMENS. FEMMES.

Espagnols ou Blancs. 53,983 49,316 100 : 91


GUANAXUATO. Indiens ou indigènes.89,753 85,429 100 : 95
Castes mêlées.. 59,659 59,604 100 : 99
VALLADOLID ( Espagnols . · 40,399 39,081 100 : 97
de MECHOA- Indiens. 61,352 58,016 100 94
CAN... Castes mêlées.. 44,704 43,704 100 : 98
Espagnols . 12,923 12,882 100 : 99
OAXACA . Indiens. 182,342 180,738 100 : 99
Castes mêlées.. 11,163 10,566 100 : 95
DURANGO 60,727 59,586 100 : 98
SONORA Dans ces cinq pro 20,473 17,832 100 : 87
CINALOA. vinces , on a compté 27,772 27,290 100 : 98
l'ensemble de toutes 14,910 100 : 94
NUEVO MEXICO 15,915
CALIFORNIE . les races . 6,770 5,946 100 : 87
Total. 687,935 664,900 moyenne comm.
100 à 95
1,352,835

Il suit de mes calculs , comparés à ceux faits au Mi


nistère de l'Intérieur à Paris , que les hommes sont
aux femmes, dans la population générale de la Nou
velle-Espagne , dans la proportion de 100 : 95 ; dans
la France , dans la proportion de 100 : 103. Ces nom
bres paraissent indiquer le véritable état des choses ;

* On pourrait supposer que l'excédant des mâles dans le nord du


Mexique devrait être attribué en partie à l'existence des postes mili
taires appelés Presidios , et dans lesquels ne vivent pas de femmes.
Mais nous verrons dans la suite que ces Presidios tous ensemble ne
contiennent pas au delà de trois mille hommes.
CHAPITRE VII . 457

car on ne conçoit pas pourquoi , dans le dénombre

ment fait par ordre du comte de Revillagigedo , les


femmes mexicaines auraient eu plus d'intérêt de se
soustraire que les hommes. Ce soupçon est d'autant
moins probable , que le même dénombrement offre ,
dans les grandes villes , un rapport des sexes tout-à
fait différent de celui qui existe dans les campagnes .
Nous verrons bientôt qu'aux États- Unis les dénombre
mens donnent aussi un plus grand nombre d'hommes
vivans que de femmes.

C'est l'aspect de ces grandes villes qui vraisembla


blement a fait naître la fausse idée généralement ré
pandue dans les colonies , que dans les climats chauds ,
et , par conséquent , dans toutes les basses régions de
la zone torride , naissent plus de filles que de gar
çons. Le peu de registres des paroisses que j'ai pu
examiner , donnent un résultat absolument contraire.
A la capitale de Mexico , il y a eu en cinq ans , depuis
1797 jusqu'en 1802 :
DANS LES PAROISSES. NAISSANCES MALES. NAISSANCES FEMELLES.
du Sagrario . . 3705 3603,
de Santa-Cruz . 1275 1167 .
A Panuco et Yguala * , deux endroits situés dans
un climat ardent et très malsain , sur neufannées consé
cutives , il n'y en eut pas une seule dans laquelle l'ex
cédant ne fût du côté des naissances mâles. En général ,
le rapport de ces dernières aux naissances femelles me

* A Panuco les registres de la paroisse donnent , depuis 1793 , jus


qu'en 1802 , sur 674 naissances mâles , 550 naissances femelles.
A Yguala , on comptait 1738 garçons sur 1635 filles.
458 LIVRE II ,

paraît , dans la Nouvelle- Espagne , comme 100 : 95 ;


ce qui indique un excédant de mâles un peu plus grand
qu'en France , où sur 100 garçons il naît 96 filles.
Quant au rapport des décès selon la différence des
sexes , il m'a été impossible d'y reconnaître la loi éta
blie par la nature. A Panuco , il mourut , en dix ans ,

479 hommes sur 509 femmes. A Mexico , il y eut en


cinq ans , dans une seule paroisse , celle du Sagrario ,
2393 décès de femmes sur 1951 d'hommes. D'après
ces données peu nombreuses , il est vrai , l'excédant
des hommes vivans devrait être plus grand encore que

nous ne l'avons trouvé. Mais il paraît qu'en d'autres


contrées , les décès d'hommes sont plus fréquens que
les décès de femmes . A Yguala et à Calimaya , les pre
miers furent aux derniers , en dix ans , comme 1204 à

1191 , et comme 1330 à 1292. M. de Pomelles a déjà


observé qu'en France même , la différence des sexes
est bien plus sensible dans les naissances que dans les
décès ; il y naît de mâles de plus que de femelles ,
et l'état paisible du campagnard n'offre que de plus
de décès masculins que de décès féminins . Il résulte
de l'ensemble de ces données , qu'en Europe , ainsi que

dans les régions équinoxiales qui jouissent d'une lon


gue tranquillité , on trouverait un excédant d'hommes ,
si la marine , les guerres et les travaux dangereux aux
quels notre sexe se livre , ne tendaient sans cesse à en
diminuer le nombre.

La population des grandes villes n'est pas stable et


ne se conserve pas par elle-même dans un état d'équi
CHAPITRE VII. 459
libre par rapport à la différence des sexes . Les femmes

des campagnes entrent dans les villes pour le service


des maisons qui manquent d'esclaves. Un grand nom
bre d'hommes en sort pour parcourir le pays comme

muletiers ( arrieros ) , ou pour se fixer dans les endroits


où existent des exploitations métalliques considérables .
Quelle que soit la cause de cette disproportion des
sexes dans les villes , il n'en est pas moins certain
qu'elle a lieu. Le tableau suivant , qui n'embrasse que
trois villes , offre un contraste frappant avec le ta
bleau que nous avons donné de la population générale
de huit provinces mexicaines :

PROPORTION
NOMS des
DIVERSITÉ DES RACES. HOMMES FEMMES HOMMES
DES VILLES. aux
FEMMES.
I
Européens 2,118 217 100 : 10
Espagnols ou Créoles
blancs. 21,338 29,033 100 136
MEXICO.. Indiens ouindigènes. 11,232 14,371 100 : 128
Mulâtres. 2,958 4,136 100 : 140
Autres castes ou sang
mêlés.. • 7,832 11,525 100 : 147
Espagnols . 2,207 2,929 100 : 133
QUERETARO. Indiens.. 5,394 6,190 100 : 115
Castes mêlées.. 4,639 5,490 100 : 118
Espagnols . 2,207 2,929 100 : 133
VALLADOLID.. Mulâtres. 1,445 1,924 100 : 133
Indiens. • 2,419 2,276 100 : 93
Total. 63,789 81,020 moyenne comme 1
100 à 127
144,809

* Cette disproportion apparente provient du petit nombre de


femmes espagnoles qui quittent l'Europe pour se fixer au Mexique.
460 LIVRE II ,

Aux États-Unis de l'Amérique septentrionale , les


dénombremens qui embrassent toute la population in
diquent , comme au Mexique , un excédant d'hommes
vivans . Cet excédant est très inégal dans un pays
où l'émigration des blancs , l'introduction de beau
coup d'esclaves mâles et le commerce maritime ten
dent sans cesse à troubler l'ordre prescrit par la na
ture. Dans les états de Vermont * , de Kentucky et
de la Caroline du Sud , il y a presque plus de mâles

que de femelles , tandis qu'en Pensylvanie et dans l'é


tat de New-York , cette disproportion ne monte pas
à ..

Lorsque le royaume de la Nouvelle- Espagne jouira


d'une administration qui favorise les connaissances ,
l'arithmétique politique pourra y fournir des données
infiniment importantes , et pour la statistique en géné
ral , et pour l'histoire physique de l'homme en parti
culier. Que de problèmes à résoudre dans un pays
montagneux qui offre , sous une même latitude , les

climats les plus variés , des habitans de trois ou quatre


races primitives , et le mélange de ces races dans toutes
les combinaisons imaginables ! Que de recherches à
faire sur l'âge de la puberté , sur la fécondité de l'es
pèce , sur la différence des sexes , et sur la longévité
qui est plus ou moins grande selon l'élévation et la
température des lieux , selon la variété des races , se
lon l'époque à laquelle les colons ont été transplantés

* Samuel Blodget, page 75 .


CHAPITRE VII. 461

dans telle ou telle région , enfin selon la différence de


nourriture dans des provinces où , sur un espace étroit,
croissent à-la-fois le bananier , le jatropha , le riz , le
maïs , le froment et la pomme de terre !
Il n'est point donné à un voyageur de se livrer à
ces recherches qui exigent beaucoup de temps , l'in
tervention de l'autorité suprême , et le concours d'un
grand nombre de personnes intéressées à atteindre le
même but . Il suffit ici d'avoir indiqué ce qui reste à
faire, lorsque le gouvernement voudra profiter de la
position heureuse dans laquelle la nature a placé ce
pays extraordinaire.

Le travail fait en 1793 sur la population de la ca


pitale présente des résultats qui méritent d'être consi
gnés à la fin de ce chapitre. On a distingué dans cette
partie du dénombrement , selon la différence des cas
tes , les individus au-dessous et au-dessus de cinquante
ans ; on a trouvé que cette époque a été dépassée :
Par 4128 Blancs créoles sur une population totale
de 50,371 indiv. de la même race.
Par 539 Mulâtres 7,094
Par 1789 Indiens 25,603
Par 1278 sang-mêlés 19,357
De sorte qu'il est parvenu au-delà de cinquante ans :
Sur 100 Blancs créoles (Espagnols) . · 8 »
Indiens .. . 6 4.
Mulȧtres . • · • 7 »
Individus d'autres castes mêlées 6 >>
Ces calculs , en confirmant l'admirable uniformité
462 LIVRE II,

qui règne dans toutes les lois de la nature , paraissent


indiquer que la longévité est un peu plus grande dans
les races mieux nourries , et dans lesquelles l'époque
de la puberté est plus tardive. Sur 2335 Européens
qui existaient à Mexico en. 1793 , il n'y en avait pas
moins de 442 qui avaient atteint l'âge de cinquante
ans , ce qui ne prouve guère que les Américains aient
trois fois moins de probabilité de vieillir que les Eu
ropéens : car ces derniers ne passent généralement aux
Indes qu'à un âge mûr.
Après l'examen de l'état physique et moral des dif
férentes castes qui composent la population mexicaine,
le lecteur desirera sans doute voir aborder la question ,

quelle est l'influence de ce mélange de races sur le


bien-être général de la société ; quel est le degré de
jouissance et de bonheur individuel que , dans l'état
actuel du pays , l'homme cultivé peut se procurer au
milieu de ce conflit d'intérêts , de préjugés et de res
sentimens ?

Nous ne parlons point ici des avantages qu'offrent


les colonies espagnoles , par la richesse de leurs pro
ductions naturelles , par la fertilité de leur sol , par la
facilité qu'y trouve l'homme de pouvoir choisir à son
gré et le thermomètre à la main , sur un espace de
quelques lieues carrées , la température ou le climat
qu'il croit le plus favorable à son âge , à sa constitution
physique ou au genre de culture auquel il veut s'a
donner. Nous ne retraçons point le tableau de ces pays
délicieux situés à mi - côte dans la région des chênes et
CHAPITRE VII. 463

des sapins , entre 1000 et 1400 mètres de hauteur, où


règne un printemps perpétuel , où les fruits les plus
délicieux des Indes se cultivent auprès de ceux de
l'Europe , et où ces jouissances ne sont troublées ni
par la multitude des insectes , ni par la crainte de la
fièvre jaune (vomito) , ni par la fréquence des tremble
mens de terre. Il ne s'agit point ici de discuter si , hors
des tropiques , il existe une région dans laquelle l'hom
me, avec moins de travail , puisse subvenir plus large
ment aux besoins d'une famille nombreuse . La pros

périté physique du colon ne modifie pas seule son


existence intellectuelle et morale.

Lorsqu'un Européen , qui a joui de tout ce qu'offre •

d'attrayant la vie sociale des pays les plus avancés


dans la civilisation , se transporte dans ces régions
lointaines du nouveau continent , il gémit à chaque

pas de l'influence que , depuis des siècles , le gouver


nement colonial a exercée sur le moral des habitans.

L'homme instruit , qui ne s'intéresse qu'au dévelop


pement intellectuel de l'espèce , y souffre peut-être
moins que l'homme doué d'une grande sensibilité : le
premier se met en rapport avec la métropole ; les com
munications maritimes lui procurent des livres , des
instrumens ; il voit avec ravissement les progrès que
l'étude des sciences exactes a faits dans les grandes
villes de l'Amérique espagnole : la contemplation d'une
nature grande , merveilleuse , variée dans ses produc
tions , dédommage son esprit des privations auxquelles
sa position le condamne : le second ne trouve la vie
464 LIVRE II ,

agréable dans les colonies espagnoles qu'en se repliant


sur lui -même. C'est là que l'isolement et la solitude lui
paraissent surtout desirables , s'il veut profiter paisi
blement des avantages que présentent la beauté de ces
climats , l'aspect d'une verdure toujours fraîche , et le
calme politique du Nouveau-Monde. En énonçant ces
idées avec franchise , je n'accuse pas le caractère moral
des habitans du Mexique ou du Pérou ; je ne dis pas
que le peuple de Lima soit moins bon que celui de Ca
dix ; j'inclinerais plutôt à croire ce que beaucoup d'au
tres voyageurs ont observé avant moi , que les Améri
cains sont doués par la nature d'une aménité et d'une
douceur de mœurs qui tendent à la mollesse , comme
l'énergie de quelques nations européennes dégénère
facilement en dureté. Ce manque de sociabilité qui
est général dans les possessions espagnoles , ces haines
qui divisent les castes les plus voisines , et dont les ef
fets répandent de l'amertume dans la vie des colons ,
sont uniquement dûs aux principes de politique qui ,
depuis le seizième siècle , ont gouverné ces régions .
Un gouvernement éclairé sur les vrais intérêts de l'hu

manité, pourra propager les lumières et l'instruction ;


il réussira à augmenter le bien-être physique des co
lons , en faisant peu à peu disparaître cette inégalité
monstrueuse des droits et des fortunes : mais il trou

vera d'immenses difficultés à vaincre lorsqu'il voudra


rendre les habitans sociables , et leur apprendre à se
regarder mutuellement comme concitoyens.
N'oublions pas qu'aux États-Unis, la société s'est
CHAPITRE VII. 465

formée d'une manière bien différente qu'au Mexique


et dans les autres régions continentales des colonies
espagnoles. En pénétrant dans les monts Alleghanys ,
les Européens ont trouvé des forêts immenses dans

lesquelles erraient quelques tribus de peuples chas


seurs que rien n'attachait à un sol non défriché . A
l'approche des nouveaux colons , les indigènes se reti
rèrent peu à peu dans les savanes occidentales qui

avoisinent le Mississipi et le Missoury. Ainsi des hom


mes libres , d'une même race , de la même origine , de
vinrent les premiers élémens d'un peuple naissant .
« Dans l'Amérique septentrionale , dit un homme d'é
<< tat célèbre , un voyageur qui part d'une ville prin
" cipale où l'état social est perfectionn , traverse suc
é
< cessivement tous les degrés de civilisation et d'in
«
<< dustrie , qui vont toujours en s'affaiblissant jusqu'à
< ce qu'il arrive , en très peu de jours , à la cabane in
«
<< forme et grossière construite de troncs d'arbres nou
« vellement abattus. Un tel voyage est une sorte d'ana
« lyse pratique de l'origine des peuples et des états.
<< On part de l'ensemble le plus composé pour arriver

< aux données les plus simples ; on voyage en arrière


«
<
<<< dans l'histoire des progrès de l'esprit humain ; on
<< retrouve dans l'espace ce qui n'est dû qu'à la suc
« cession du temps . »

Dans la Nouvelle -Espagne et au Pérou , si l'on en

excepte les Missions , les colons ne sont nulle part ren


trés dans l'état de nature . Se fixant au milieu de peu

* Le prince de Talleyrand , dans son Essai sur les colonies nouvelles.


I. 30
466 LIVRE II,

ples agricoles , qui vivaient eux - mêmes sous des


gouvernemens aussi compliqués que despotiques , les
Européens ont profité des avantages que leur offraient
la prépondérance de leur civilisation , leur astuce et
l'autorité que leur donnait la conquête. Cette situation

particulière , et le mélange de races dont les intérêts


sont diamétralement opposés , devinrent une source
intarissable de haine et de désunion . A mesure que les

descendans des Européens furent plus nombreux que


ceux que la métropole envoya directement , la race
blanche se divisa en deux partis dont les liens du sang
ne peuvent calmer les ressentimens. L'administration

coloniale , par une fausse politique , crut profiter de


ces dissensions. Plus les colonies sont grandes , et plus
l'administration y prend un caractère de méfiance. D'a
près des idées que malheureusement on a suivies de
puis des siècles , ces régions lointaines sont considérées
comme tributaires de l'Europe . On les gouverne , non

point de la manière que l'intérêt public l'exige , mais


comme le dicte la crainte de voir augmenter trop ra
pidement la prospérité des habitans. Cherchant la
sécurité dans les dissensions civiles , dans la balance
des pouvoirs et dans une complication de tous les res
sorts de la grande machine politique , la métropole tra
vaille sans cesse à nourrir l'esprit de parti et à augmen

ter la haine que se portent mutuellement les castes et


les autorités constituées . C'est de cet état de choses que

naissent un malaise et une aigreur qui troublent les


jouissances de la vie sociale .
CHAPITRE VII. 467

J'ai examiné dans les deux premiers livres de cet


ouvrage l'étendue de la Nouvelle- Espagne , l'aspect
physique du pays et les différentes races de ses ha

bitans je vais réunir à présent dans le troisième livre


ce que j'ai pu recueillir de plus certain sur les pro
vinces et les intendances dont se compose le vaste
territoire mexicain.

FIN DU PREMIER VOLUME.


1
TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES DANS CE VOLUME.

Pages.
DEDICACE .
PREFACE DE L'ÉDITEUR.
L' xj
PRÉFACE de la première édition. I

734
Ст
ANALYSE RAISOnnée de l'atlAS DE LA NOUVELLE-ESPAGNE..
I. Carte réduite du royaume de la Nouvelle-Espagne
Mexico.. . 31
Vera -Cruz..
Acapulco. 45
Route de Mexico à Acapulco. 50
Route de Mexico à Vera-Cruz. 53
Points situés entre Mexico , Guanaxuato et Valladolid.. 60
Ancienne et Nouvelle Californie, Provincias internas. 63
II. Carte de la Nouvelle - Espagne et des pays limitrophes au
nord et à l'est. • · 104
III. Carte de la Vallée de Mexico , ou de l'ancien Tenochtitlan.. 114
IV. Carte qui présente les points sur lesquels on a projeté des com
munications entre l'Océan Atlantique et la Mer du Sud. · 123
V. Carte réduite de la route d'Acapulco à Mexico. . 126
VI. Carte de la route de Mexico à Durango. 127
VII. Carte de la route de Durango à Chihuahua. 130
VIII. Carte de la route de Chihuahua à Santa-Fe del Nuevo
Mexico. • · 131
IX. Carte de lapartie orientale de la Nouvelle-Espagne , depuis
leplateau de Mexicojusqu'aux côtes de Vera-Cruz.. 136
470 TABLE DES MATIÈRES.
Pages.
X. Carte des fausses positions. . . 138
XI. Plan duport de Vera-Cruz. 139
XII. Tableauphysique de la pente orientale duplateau d'Anahuac, 140
XIII. Tableau physique de la pente occidentale du plateau de la
Nouvelle-Espagne. . • 153
XIV. Tableau physique du plateau central de la cordillère de
la Nouvelle-Espagne. • 157
XV. Profil du canal de Huehuetocu . 158
XVI. Vue pittoresque des volcans de Mexico ou de la Puebla. . 160
XVII. Vue pittoresque du Pic d'Orizaba. . 165
XVIII. Plan du port d'Acapulco.. 168
XIX. Carte des diverses routes par lesquelles les richesses mé
talliques refluent d'un continent dans l'autre. . • 172
XX. Figures représentant la surface de la Nouvelle-Espagne , et
de ses intendances , les progrès de l'exploitation métallique,
et d'autres objets relatifs aux colonies des Européens dans
les deux Indes. ⋅ 173
TABLEAU des positions géographiques du royaume de la Nou
velle - Espagne, déterminées par des observations astrono
miques: • 176
TABLEAU des hauteurs les plus remarquables , mesurées dan:
l'intérieur de la Nouvelle - Espagne. . 184
LIVRE I. ― Considérations générales sur l'étendue et l'aspect
physique du pays. -Influence des inégalités du sol sur le
climat, l'agriculture , le commerce , et sur la défense mi
litaire. · 4. 189
CHAP. Ier. - Etendue des possessions espagnoles en Amérique.
- Comparaison de ces possessions avec les colonies anglaises
et avec la partie asiatique de l'empire russe. Dénomina
tions de Nouvelle- Espagne et d'Anahuac . Limites de
l'empire des rois aztèques. ib.
CHAP. II. ――― Configuration des côtes. --- Points sur lesquels les
deux mers sont le plus rapprochées. Considérations gé
nérales sur la possibilité de joindre la Mer du Sud à l'Océan ·
Atlantique. -- Rivières de la Paix et de Tacoutché-Tessé.
Sources du Rio Bravo et du Rio Colorado. Isthme de *
i Lac de Nicaragua.
Tehuantepec. Isthme de Panama.
TABLE DES MATIÈRES. 471
Pages.
Baie de Cupica. - Canal du Choco. Rio Guallaga.
- Golfe de Saint-George. · . 202
CHAP. III. - Aspect physique du royaume de la Nouvelle-Es
pagne comparé à celui de l'Europe et de l'Amérique méri
dionale. - Inégalités du sol. — Influence de ces inégalités
sur le climat, la culture et la défense militaire du pays. -
Etat des côtes. 249
LIVRE II. Population générale de la Nouvelle-Espagne.
Division des habitans en castes. • 295
CHAP. IV. - Dénombrement général fait en 1793. — Progrès
de la population dans les dix années suivantes. Rapport
entre les naissances et les décès. . ib.
CHAP. V. Maladies qui arrêtent périodiquement le progrès de
la population. Petite-vérole naturelle et inoculée.
Vaccine. - Matlazahuatl. Disette. Santé des mineurs . 327
CHAP. VI. -- Différence des castes. - Indiens ou indigènes
américains. ―――― Leur nombre et leurs migrations. ――― Diversité
des langues. -- Degré de civilisation des Indiens.. 344
TABLEAU chronologique de l'histoire du Mexique. • 408
CHAP. VII. ――――― Blancs , créoles et européens.· Leur civilisation.
- Inégalité de leurs fortunes. ―― Nègres.-Mélange des
castes.-·Rapport des sexes entre eux. - Longévité selon la
différence des races. Sociabilité . • 416

FIN DE LA TABLE DU TOME PREMIER.


ESSAI POLITIQUE

SUR LE ROYAUME

DE LA

NOUVELLE - ESPAGNE .

II.
IMPRIMÉ CHEZ PAUL RENOUARD ,
RUE GARENCIÈRE , N° 5.
ESSAI POLITIQUE

SUR LE ROYAUME

DE LA

NOUVELLE- ESPAGNE ,

PAR ALEXANDRE DE HUMBOLDT.

DEUXIÈME ÉDITION.

TOME SECOND.
$

A PARIS ,

CHEZ JULES RENOUARD , LIBRAIRE,


RUE DE TOURNON 9 N° 6 .

M DCCC XXVII.
ESSAI POLITIQUE

SUR LE ROYAUME

DE LA

NOUVELLE - ESPAGNE .

LIVRE III .

STATISTIQUE PARTICULIÈRE DES INTENDANCES QUI COM


POSENT LE ROYAUME DE LA NOUVELLE- ESPAGNE .
LEUR ÉTENDUE TERRITORIALE ET LEUR POPULATION .

CHAPITRE VIII.

DE LA DIVISION POLITIQUE DU TERRITOIRE MEXICAIN ET


DU RAPPORT DE LA POPULATION DES INTENDANCES A
leur étenDUE TERRITORIALE. - VILLES PRINCIPALES.

AVANT de présenter le tableau qui contient la statis


tique particulière des intendances de la Nouvelle- Es
pagne , nous discuterons les principes sur lesquels se
fondent les nouvelles divisions territoriales . Ces divi
sions sont entièrement inconnues aux géographes les

plus modernes , et nous répétons ici ce que nous avons


II.
2 LIVRE III ,

déjà indiqué plus haut dans l'Introduction de cet ou


vrage, que notre Carte générale publiée dans l'Atlas
mexicain est la seule qui offre les limites des inten
dances établies depuis l'année 1776.
M. Pinkerton , dans la seconde édition de sa Géogra
phie moderne , a essayé de donner une description
détaillée des possessions espagnoles dans l'Amérique
du nord ; il y a mêlé plusieurs notions exactes tirées du
Viajero universal , à des données vagues que lui a
fournies le Dictionnaire de M. Alcedo . L'auteur qui se
croit singulièrement instruit sur les vraies divisions
territoriales de la Nouvelle-Espagne , considère les pro
vinces de Sonora , de Cinaloa et de la Pimeria comme

n° 9)
* On annonce en ce moment ( Bibliothèque américaine , 1808 nº
que M. Pinkerton assure s'être servi de mes manuscrits pour son
travail sur le Mexique. J'ai communiqué , avec la franchise naturelle
à mon caractère, plusieurs notes manuscrites à M. Bourgoing , à
M. Alexandre Laborde , et à quelques autres savans également res
pectables. Je n'en ai jamais communiqué à M. Pinkerton ; et la ma
nière avec laquelle il m'avait traité dans sa Géographie , avant mon
retour en Europe, ne devait pas , sans doute , m'engager à des re
lations avec lui. Compilateur aussi inexact qu'audacieux , M. Pin
kerton, dans le style qui lui est propre, trouve « ridicule , dégoûtant
et absurde . tout ce qui est contraire aux idées qu'il s'est formées
dans son cabinet. Ignorant que la carte de La Cruz est dressée sur
celle du père Caulin , il ne permet pas d'autres cours aux rivières
que ceux qu'il trouve indiqués par le premier. Il pousse le scepti
cisme si loin , que , d'après lui , l'auteur du Voyage à la Terre-Ferme ,
M. Depons, ignore jusqu'au nom du pays dans lequel il a séjourné
quatre ans ! Les notes surtout qui accompagnent la nouvelle édition
de la Géographie de M. Pinkerton , contribuent à répandre les idées
les plus fausses sur la physique et l'histoire naturelle descriptive.
CHAPITRE VIII. 3

parties de la Nouvelle-Biscaye. Il divise ce qu'il appelle


le Domaine de Mexico , dans les districts de Nueva
Galicia , de Panuco , de Zacatula , etc. , etc. D'après •
le même principe , on dirait que les grandes divisions
de l'Europe sont l'Espagne , le Languedoc , la Catalogne,
les arrondissemens de Cadix et de Bordeaux .
Avant que la nouvelle administration fût introduite

par le comte Don Jose de Galvez , ministre des Indes ,


la Nouvelle- Espagne embrassait : 1º le Reyno de Me
xico ; 2 ° le Reyno de Nueva-Galicia,; 3° le Nuevo
Reyno de Leon ; 4° la Colonia del Nuevo-Santander ;
5º la Provincia de Texas ; 6° la Provincia de Coha
huila ; 7° la Provincia de Nueva- Biscaya ; 8° la Pro
vincia de la Sonora ; 9° la Provincia de Nuevo-Mexico ;
et 10° Ambas Californias , ou les Provincias de la Vieja
y Nueva-California. Ces anciennes divisions sont en
core très usitées dans le pays. La même limite qui sé
pare la Nueva - Galicia du Reyno de Mexico auquel
appartient une partie de l'ancien royaume de Mechoa
can , est aussi la ligne de démarcation entre la juridic
tion des deux audiences de Mexico et de Guadalaxara .

Cette ligne , que je n'ai pas pu tracer sur ma Carte gé


nérale , ne suit cependant pas exactement les contours
des nouvelles intendances. Elle commence sur les côtes
du golfe du Mexique , dix lieues au nord de la rivière
de Panuco et de la ville d'Altamira , près de Bara Ciega
et traverse l'intendance de S. Luis Potosi jusqu'aux
mines de Potosi et de Bernalejo ; de là longeant l'ex
trémité méridionale de l'intendance de Zacatecas et la
.
4 LIVRE III,

limite occidentale de l'intendance de Guanaxuato , elle

se dirige à travers l'intendance de Guadalaxara , entre


Zapotlan et Sayula , entre Ayotitan et la ville de la Pu
rification , sur Guatlan , un des ports de l'Océan Paci
fique. Tout ce qui est au nord de cette ligne appartient
à l'audience de Guadalaxara ; tout ce qui est au sud à
l'audience de Mexico.

Dans son état actuel , la Nouvelle-Espagne est divi


sée en douze intendances , auxquelles il faut ajouter
trois autres districts très éloignés de la capitale , qui
ont conservé la simple dénomination de provinces . Ces
quinze divisions sont :
I. SOUS LA ZONE TEMPÉRÉE . 82,000 lieues car
rées , avec 677,000 âmes ou 8 habitans par lieue
carrée.

A. Région du Nord , région intérieure.


1. Provincia de NUEVO-MEXICO , le long du Rio
del Norte , au nord du parallèle de 31 degrés.
2. INTENDENCIA DE NUEVA BISCAYA , au sud-ouest
du Rio del Norte , sur le plateau central qui
s'abaisse rapidement depuis Durango vers
Chihuahua.
B. Région du Nord- Ouest , voisine du Grand-Océan .
3. PROVINCIA DE LA NUEVA-CALIFORNIA , ou côte
nord-ouest de l'Amérique septentrionale oc
cupée par les Espagnols .
4. PROVINCIA DE LA ANTIGUA CALIFORNIA. Son

extrémité méridionale entre déjà dans la zone


torride.
CHAPITRE VIII . 5

5. Intendencia DE LA SONORA. La partie la plus


australe de Cinaloa , dans laquelle sont si
tuées les mines célèbres de Copala et du Ro
sario , dépasse aussi le tropique du Cancer.
C. Région du Nord-Est, voisine du golfe du Mexique.
6. Intendencia de San LUIS POTOSI. Elle com
prend les provinces de Texas , la colonia de
Nuevo Santander et Cohahuila , le Nuevo
Reyno de Leon , et les districts de Charcas ,
Altamira , de Catorce et Ramos. Ces derniers
districts composent l'intendance de San Luis
proprement dite. La partie australe , celle qui
s'étend au sud de la Barra de Santander et du

Real de Catorce , appartient à la zone torride.


II. SOUS LA ZONE TORRIDE . 36,500 lieues car

rées , avec 5,160,000 âmes ou 141 habitans par


lieue carrée.

D. Région centrale.
7. INTENDENCIA DE ZACATECAS , excepté la partie
qui s'étend au nord des mines de Fresnillo.
8. INTENDENCIA DE GUADALAXARA.

9. INTENDENCIA de Guanaxuato.
10. INTENDENCIA DE VALLADOLID.
II. INTENDENCIA DE MEXICO.
12. INTENDENCIA DE LA PUEBLA.
13. IntendenCIA DE VERA-CRUZ .

E. Région du Sud- Ouest.


14. INTENDENCIA DE OAXACA.
15. Intendencia de MerIDA.
6 LIVRE III ,

Les divisions qu'offre ce tableau se fondent sur l'é


tat physique du pays. Nous voyons que près des sept
huitièmes des habitans vivent sous la zone torride . La
population est d'autant plus clairsemée que l'on avance

vers Durango et Chihuahua . Sous ce rapport , la Nou


velle-Espagne présente une analogie frappante avec
l'Hindoustan , qui confine aussi au nord à des régions
presque incuites et inhabitées. Parmi cinq millions qui
occupent la partie équinoxiale du Mexique , il y en a
quatre cinquièmes qui habitent le dos de la Cordillère ,
ou des plateaux dont l'élévation au-dessus du niveau

de l'Océan égale la hauteur du passage du Mont


Cenis.

La Nouvelle-Espagne , en considérant ses provinces


d'après leurs relations commerciales ou d'après la si
tuation des côtes auxquelles elles touchent immédiate
ment , se divise en trois régions.

I. PROVINCES DE L'INTÉRIEUR , qui ne s'éten


dent pas jusqu'aux côtes de l'Océan :
1. NUEVO MEXICO .

2. NUEVA BISCAYA,
3. ZACATECAS.

4. GUANAXUATO.

II . PROVINCES MARITIMES de la côte orientale,

opposée à l'Europe :
5. SAN LUIS POTOSI.
6. VERA-CRUZ .

7. MERIDA OU YUCATAN.
CHAPITRE VIII. 7
HI. PROVINCES MARITIMES de la côte occiden

tale , opposée à l'Asie :


8. NOUVELLE-CALIFORNIE .

9. ANCIENNE-CALIFORNIE.
10. SONORA.
II . GUADALAXARA.
12. VALLADOLID.
13. MEXICO .
14. PUEBLA.
15. OAXACA.

Ces divisions seront un jour d'un grand intérêt po

litique, quand la culture du Mexique sera moins con


centrée sur le plateau central ou sur le dos de la Cor
dillère , et quand les côtes commenceront à se peupler.
Les provinces maritimes occidentales enverront leurs
vaisseaux à Noutka , à la Chine et aux grandes Indes.
Les îles de Sandwich , habitées par un peuple féroce ,
industrieux , mais entreprenant , paraissent plutôt des
tinées à recevoir des colons mexicains que des colons

européens. Elles offrent une échelle importante aux


nations qui se livrent au commerce d'entrepôt dans le
grand Océan. Les habitans de la Nouvelle-Espagne et
du Pérou , n'ont pas pu profiter jusqu'ici des avantages
de leur position sur une côte opposée à l'Asie et à la
Nouvelle-Hollande. Ils ne connaissent pas même les
productions des îles de la mer Pacifique. L'arbre à
pin et la canne à sucre d'Otaheiti , ce roseau précieux
dont la culture a eu l'influence la plus heureuse sur
le commerce des Antilles , au lieu des îles les plus voi
8 LIVRE III ,

sines, leur parviendront un jour de la Jamaïque , de la


Havane et de Caraccas ! Que d'efforts n'ont pas faits
depuis peu d'années les états confédérés de l'Amérique

septentrionale ,, pour s'ouvrir un chemin vers les côtes


occidentales , vers ces mêmes côtes sur lesquelles les
Mexicains ont les ports les plus beaux , mais sans vie et
sans commerce !

D'après l'ancienne division du pays , le Reyno de

Nueva- Galicia avait plus de quatorze mille lieues


carrées et près d'un million d'habitans ; il embrassait
les intendances de Zacatecas et de Guadalaxara * , ainsi
qu'une petite partie de celle de San Luis Potosi. Les
régions désignées aujourd'hui sous la dénomination
des sept intendances de Guanaxuato , Valladolid ou
Mechoacan , Mexico , Puebla , Vera-Cruz , Oaxaca et
Merida , formaient , avec une petite portion de l'in
tendance de San Luis Potosi ** , le Reyno de Mexico
proprement dit. Ce royaume avait , par conséquent ,
plus de 27,000 lieues carrées et près de quatre millions
et demi d'habitans.

Une autre division de la Nouvelle-Espagne égale


ment ancienne et moins vague est celle qui distingue
la Nouvelle-Espagne proprement dite des Provincias
internas. A ces dernières appartient , à l'exception des
deux Californies , tout ce qui est au nord et au nord

* A l'exception de la bande la plus australe , dans laquelle se trou


vent le volcan de Colima et le village d'Ayotitan .
** La partie la plus méridionale qui est traversée par la rivière de
Panuco.
CHAPITRE VIII. 9

ouest du royaume de Nueva- Galicia ; par conséquent ,


1° le petit royaume de Léon ; 2° la colonie du Nou

veau- Santander ; 3º Texas ; 4° la Nouvelle-Biscaye ;


5° Sonora ; 6° Cohahuila ; et 7° le Nuevo-Mexico . On
distingue les Provincias internas del Vireynato , qui
comprennent 7814 lieues carrées , des Provincias
internas de la comandancia ( de Chihuahua ) , éri
gées en capitania general l'année 1779. Ces dernières
ont 59,375 lieues carrées. Des douze intendances nou
velles , il y en a trois situées dans les provinces inter
nes , celles de Durango , Sonora et San Luis Potosi.
Il ne faut cependant pas oublier que l'intendant de San
Luis n'est directement soumis au vice-roi que pour

Léon , Santander et les districts qui sont voisins de sa


résidence , ceux de Charcas , de Catorce et d'Altamira.
Les gouvernemens de Cohahuila et Texas font aussi

partie de l'intendance de San Luis Potosi , mais ils


appartiennent directement à la comandancia general de
Chihuahua . Les tableaux suivans pourront jeter quelque

jour sur ces divisions territoriales assez compliquées. Il


en résulte que l'on divise toute la Nouvelle-Espagne en

A. Provincias sujetas al Virey de Nueva España ;


59,103 lieues carrées , avec 547,790 âmes :
les dix intendances de Mexico , Puebla ,
Vera-Cruz , Oaxaca , Merida , Valladolid,
Guadalaxara , Zacatecas , Guanaxuato et

San Luis Potosi ( sans y comprendre Co


hahuila et Texas ) ;
les deux Californies;
10 LIVRE III ,

B. Provincias sujetas al comandante general de


provincias internas , 59,375 lieues carrées ,
avec 359,200 habitans :
les deux intendances de Durango et Sonora ;

la province de Nuevo-Mexico ;
Cohahuila et Texas.

Toute la Nouvelle- Espagne , 118,478 lieues carrées ,


avec 5,837,100 habitans.
Ces tableaux offrent la surface des provinces calcu
lée en lieues carrées , de 25 au degré , d'après la carte
générale contenue dans mon Atlas mexicain. Les pre
miers calculs avaient été faits à Mexico même , à la
fin de l'année 1803 , par M. Oteysa et par moi . Mes
travaux géographiques ayant atteint depuis cette épo
que un peu plus de perfection , M. Oltmanns a bien
voulu se charger de recalculer toutes les surfaces ter
ritoriales. Il a exécuté ce travail avec la précision qui
caractérise tout ce qu'il entreprend , ayant formé des
carrés dont les côtés n'avaient que trois minutes en arc.
La population indiquée dans mes tableaux est celle
que l'on peut supposer avoir existé l'année 1803. J'ai

développé plus haut , dans le quatrième chapitre ( p . 57


et 65 ) , les principes sur lesquels se fondent les chan
gemens faits dans les nombres obtenus par le dénom
brement de 1793. Je n'ignore pas que les géographes
modernes n'admettent que deux à trois millions d'ha
bitans pour le Mexique. On s'est plu de tout temps à
exagérer la population de l'Asie , et à rabaisser celle
des possessions espagnoles en Amérique. On oublie
CHAPITRE VIII. UI

que , sous un beau climat et sur un sol fertile , la po


pulation fait des progrès rapides , même dans les pays
les moins bien administrés. On oublie que des hommes
épars sur un terrain immense souffrent moins des im
perfections de l'état social , que lorsque la population
est très concentrée.

On est incertain sur les limites que l'on doit assigner

à la Nouvelle- Espagne au nord et à l'est . Il ne suffit


pas qu'un pays ait été parcouru par un moine mission

naire , ou qu'une côte ait été vue par un vaisseau de la


marine royale , pour les considérer comme appartenant
aux colonies espagnoles de l'Amérique. Le cardinal
Lorenzana a fait imprimer , à Mexico même , l'année
1770 , que la Nouvelle-Espagne , par l'évêché de Du
rango, confinait peut-être avec la Tartarie et le Groen

land ! * On est aujourd'hui trop instruit en géogra


phie pour se livrer à des suppositions si extravagantes.
Un vice-roi du Mexique a fait visiter , depuis San Blas ,
les colonies américaines des Russes sur la péninsule
d'Alaska. L'attention du gouvernement mexicain a été
pendant long-temps fixée sur la côte nord-ouest , sur
tout lors de l'établissement à Noutka , que la cour de
Madrid s'est vue forcée d'abandonner pour éviter une
guerre avec l'Angleterre. Les habitans des États-Unis
poussent leur civilisation vers le Missoury. Ils tendent

⭑a
Y aun si ignora se la Nueva España por lo mas remoto de la dio
cesis de Durango confina con la Tartaria y Groelandia , por las Cali
"fornias con la Tartaria , y por el Nuevo-Mexico con la Groelandia. »
Lorenzana , p. 38.
12 LIVRE III ,

à s'approcher des côtes du grand Océan , auxquelles le


commerce des fourrures les appelle. L'époque appro
che où , par les progrès rapides de la culture humaine ,
les limites de la Nouvelle-Espagne toucheront à celles de
l'empire russe et de la grande confédération des répu
bliques américaines. Dans l'état actuel des choses , le
gouvernement mexicain ne s'étend sur les côtes occi

dentales que jusqu'à la Mission de Saint-François , au


sud du cap Mendocin , et au Nouveau-Mexique jus
qu'au village de Taos . A l'est , vers l'état de la Loui
siane , les limites de l'intendance de San Luis Potosi

sont assez incertaines ; le congrès de Washington tend


à les restreindre jusqu'à la rive droite du Rio Bravo
del Norte ; tandis que les Espagnols comprennent ,
sous la dénomination de province de Texas , les sa
vanes qui s'étendent jusqu'au Rio- Mexicano ou Mer
mentas , à l'est du Rio - Sabina.
Le tableau suivant offre la surface et la popula

tion des plus grandes associations politiques de l'Eu


rope et de l'Asie . Il fournira des comparaisons cu
rieuses avec l'état actuel du Mexique.
CHAPITRE VIII. 13

LIEUES
GRANDES ASSOCIATIONS POPULATION HABITANS
CARRÉES par
POLITIQUES En 1804. DE 20 AU DEGRÉ. TOTALE LIEUE CARRÉE.

L'Empire russe. 616,000 54,000,000 87


1. Partie européenne .. 150,400 52,000,000 345
2. Partie asiatique . 465,600 2,000,000 4
Toute l'Europe jusqu'à l'Ou
ral.. 304,700 195,000,000 639
Les États-Unis de l'Amérique
septentrionale. . . . 174,300 10,220,000 58
Empire britanniq. dans l'Inde 90,100 73,000,000 810
La Monarchie autrichienne. 21,900 29,000,000 1324
La France. 17,100 30,616,000 1790
L'Espagne. 15,000 11,446,000 763
Colonies espagnoles d'Amé
rique.. 371,400 16,785,000 45
Nouvelle-Espagne. 75,830 6,800,000 90

Nous voyons par ce tableau , qui peut faire naître


des considérations très curieuses sur la disproportion de

la culture européenne , que la Nouvelle-Espagne est


presque quatre fois aussi grande que la France , avec
une population qui , jusqu'à ce jour , est presque
sept fois plus petite. Les rapports que présente la
comparaison des États- Unis et du Mexique sont sur
tout très frappans , si l'on regarde la Louisiane et
le territoire occidental comme les provincias internas
de la grande confédération des républiques américaines.
J'ai présenté dans ce chapitre l'état de ces provin
cias internas , tel qu'il était lorsque je séjournai au
Mexique. Il s'est fait depuis un changement dans le
gouvernement militaire de ces vastes provinces , dont
la surface est presque le double de celle de la France.
L'année 1807 , deux comandantes generales , les bri
14 LIVRE III ,

gadiers Don Nemesio Salcedo et Don Pedro Grimarest ,


gouvernaient ces régions septentrionales.

Voici la division actuelle du Gobierno militar , qui


n'est plus entre les seules mains du gouverneur de
Chihuahua :
PROVINCIAS INTERNAS DEL REYNO DE
NUEVA ESPAÑA :
A. Provincias internas occidentales :
I. SONORA .
2. DURANGO O NUEVA BISCAYA.
3. NUEVO-MEXICO.
4. CALIFORNIAS .
B. Provincias internas orientales :
1. COHAHUILA.
2. TEXAS .
3. COLONIA DEL NUEVO-SANTANDER.
4. NUEVO-REYNO DE LEON.
Les nouveaux comandantes generales des provinces
internes sont considérés comme chefs de l'administra
tion des finances dans les deux intendances de Sonora

et de Durango , dans la province de Nuevo-Mexico ,


et dans cette partie de l'intendance de San- Luis Po
tosi qui comprend Texas et Cohahuila. Quant au petit
royaume de Léon et au Nouveau - Santander , ils ne
sont soumis aux commandans que sous le rapport de
la défense militaire .
ANALYSE STATISTIQUE

DU ROYAUME

DE LA

NOUVELLE- ESPAGNE .

SURFACE NOMBRE
en POPULATION des
DIVISIONS TERRITORIALES. LIEUES CARRÉES RÉDUITE À L'ÉPOQUE HABITANS
de de 1803. par
25 AU DEGRÉ. LIEUE CARREE

NOUVELLE - ESPAGNE , ( éten


due de toute la vice-royauté, sans
y comprendre le royaume de
Guatimala ).. 118,478 5,837,100 49

A. PROVINCIAS INTERNAS. 67,189 423,200 6


a. Immédiatement soumises au
vice-roi (Provincias internas
807

del Vireynato).. . 7,814 64,000


1. NUEVO REYNO DE LEON.. 2,621 29,000 10
2. NUEVO SANTANDER... 5,193 38,000
b. Soumises au gouverneur de
Chihuahua, (provincias in
ternas de la comandancia
59,375 359,200 6
general ). . . .
1. INTENDENCIA DE LA NUE
VA BISCAYA O DURANGO. 16,873 159,700 10
2. INTENDENCIA DE LA So
6229

NORA.... 19,143 121,400


3. COHAHUILA 6,702 16,900
4. TEXAS. 10,948 21,000
5. NUEVO MEXICO. 5,709 40,200 7
16 LIVRE III ,

SURFACE NOMBRE
en POPULATION des
DIVISIONS TERRITORIALES . LIEUES CARRÉES RÉDUITE A L'ÉPOQUE HABITANS
de de 1803. par
25 AU DEGRÉ. LIEVE CARREE.

B. NOUVELLE - ESPAGNE
proprement dite , immédia
tement soumise au vice-roi , |
comprenant los Reynos de
Mexico , Mechoacan y Nueva
Galicia et les deux Californies 51,289 5,413,900 105
I. INTENDANCE de MEXICO.. 5,927 1,511,900 255
2. INT. DE PUEBLA.. 2,696 813,300 301
3. INT. DE VERA-CRUZ.. 4,141 156,000 38
4. INT. DE OAXACA.. 4,447 534,800 120
5. IN. DE MERIDA OU JUCATAN 5,977 465,800 81
6. INT. DE VALLADOLID . 3,446 476,400 273
7. INT. DE GUADALAXARA . 9,612 630,500 66
8. INT. DE ZACATECAS. 2,355 153,300 65
9. INT. DE GUANAXUATO.. 911 517,300 568
10. INT. DE SAN LUIS POTOSI
(sans compter le Nouveau
Santander,Texas, Cohahui
la et le royaume de Léon). 2,357 230,000 98
II. VIEILLE CALIFORNIE , (An
tigua California ). 7,295 9,000 1
12. NOUVELLE CALIFORNIE
(Nueva California ). . . 2,125 15,600 7

Le tableau statistique que nous venons de présen


ter prouve une grande imperfection dans la division

territoriale. Il paraît qu'en confiant à des intendans


l'administration de la police et des finances , on avait
en vue de diviser le sol mexicain d'après des princi
pes analogues à ceux que le gouvernement français
avait suivis jadis en partageant le sol en généralités.
Dans la Nouvelle- Espagne , chaque intendance com
prend plusieurs subdélégations. De la même manière
les généralités , en France , étaient gouvernées par
CHAPITRE VIII. 17

des subdélégués , qui exerçaient leurs fonctions sous


les ordres de l'intendant. Mais en formant les in
tendances mexicaines , on a eu bien peu égard à l'é
tendue du territoire ou à l'état de la population plus
ou moins concentrée . Aussi cette nouvelle division eut
elle lieu à une époque où le ministre des colonies , le
conseil des Indes et les vice-rois étaient dépourvus de
tous les matériaux nécessaires pour un travail si im
portant. Et comment saisir le détail de l'administra

tion d'un pays dont on n'a pas tracé la carte , sur le


quel on n'a pas même tenté les calculs les plus simples
de l'arithmétique politique !
En comparant l'étendue de la surface des inten
dances mexicaines , on en trouve plusieurs qui sont

dix , vingt , même trente fois plus grandes que d'autres .


L'intendance de San Luis Potosi , par exemple , a plus

que toute l'Espagne européenne , tandis que


d'étendue '
l'intendance de Guanaxuato n'excède pas la grandeur

de deux ou trois départemens de la France. Voici le


tableau exact de la disproportion extraordinaire qu'of
frent ces intendances mexicaines dans leur étendue

territoriale ; nous les rangeons dans l'ordre de leur


grandeur :
Intendance de S. Luis Potosi , 27,821 lieues carrées,
Int. de Sonora , 19,143 l. c.

Int. deDurango , 16,873 l . c.


Int. de Guadalaxara , 9,612 l. c.
Int. de Merida , 5,977 l. c.
Int. de Mexico , 5,927 l. c.
II.
18 LIVRE III ,

' Oaxaca , 4,447 I. c.


Int. d
Int. de Vera- Cruz, 4,141 l. c.
Int. de Valladolid , 3,447 1. c.
Int. de Puebla , 2,696 l. c.
Int. de Zacatecas , 2,355 l. c.
Int. de Guanaxuato , 911 l. c.
A l'exception des trois intendances de San Luis Po
tosi , de Sonora et de Durango , dont chacune occupe
plus de terrain que l'empire réuni de la Grande-Bre
tagne, les autres intendances ont une surface moyenne
de trois ou quatre mille lieues carrées. On peut les
comparer , quant à leur étendue , au royaume de Na
ples ou à celui de Bohême. On conçoit que moins un
pays est peuplé , et moins son administration exige de
petites divisions . En France , aucun département
n'excède l'étendue de 550 lieues carrées : la grandeur
moyenne des départemens y est de 300. Dans la Russie
européenne et au Mexique , au contraire , les gouver
nemens et les intendances ont une étendue près de dix
fois plus considérable.
En France , les chefs des départemens , les préfets ,
veillent sur les besoins d'une population qui excède
rarement 450,000 àmes , et qu'en terme moyen on
peut évaluer à 300,000. Les gouvernemens dans les
quels l'empire russe est divisé , ainsi que les inten
dances mexicaines , embrassent , malgré la différence
de leur état de civilisation , un plus grand nombre
d'habitans. Le tableau suivant fait voir la dispropor
tion qui existe dans la population des divisions terri
CHAPITRE VIII. 19
toriales de la Nouvelle-Espagne : il commence par
l'intendance la plus peuplée , et finit par celle qui est
la plus dépourvue d'habitans .
Intendance de Mexico , 1,511,800 habitans.
Int. de Puebla , 813,300 .
Int. de Guadalaxara , 630,500 .
Int. d'Oaxaca , 534,800 .
Int. de Guanaxuato , 517,300 .
Int. de Merida , 465,700 .
Int. de Valladolid , 376,400 .
Int. de San Luis Potosi , 334,000 .
Int. de Durango , 159,700.
Int. de Vera-Cruz , 156,000 .
Int. de Zacatecas , 153,300.
Int. de Sonora , 121,400 .

C'est en comparant le tableau de la population des


douze intendances à celui de l'étendue de leur surface ,

qu'on est surtout frappé de l'inégalité avec laquelle la


population mexicaine est distribuée , même dans la
partie la plus civilisée du royaume. L'intendance de
la Puebla , qui , dans le second tableau , occupe une
des premières places , se trouve presque à la fin du pre
mier. Cependant , nul principe ne devrait plus guider
ceux qui assignent des limites aux divisions territo
riales , que le rapport de la population à l'étendue

exprimée en lieues carrées ou en myriamètres. Seule


ment dans les états qui, comme la France , jouissent
du bonheur inappréciable d'avoir une population
presque uniformément répandue sur leur surface, les
2.
20 LIVRE III ,

divisions peuvent être à peu près égales . Un troisième


tableau présente l'état de la population que l'on pour
rait appeler relative. Pour parvenir aux résultats nu
mériques qui indiquent ce rapport entre le nombre des
habitans et l'étendue du sol habité , il faut diviser la
population absolue par le territoire des intendances.
Voici les résultats de ce travail :

Int. de Guanaxuato , 568 habitans par lieue carrée.


Int. de Puebla, 301 .
Int. de Mexico , 255 .
Int. d'Oaxaca, 120 .
Int. de Valladolid, 109.

Int. de Merida, 81 .
Int. de Guadalaxara , 66.
Int. de Zacatecas , 65.
Int. de Vera-Cruz , 38.
Int. de San Luis Potosi , 12.

Int: de Durango , 10 .
Int. de Sonora , 6.

Ce dernier tableau prouve que dans les intendances


où la culture du sol a fait le moins de progrès , la

population relative est 50 à 90 fois moins grande


que dans les régions anciennement civilisées et limi
trophes de la capitale. Cette différence extraordinaire
dans la distribution de la population se retrouve aussi
dans le nord et le nord-est de l'Europe . En Laponie ,

on compte à peine un habitant par lieue carrée ,


tandis que dans d'autres parties de la Suède , par
exemple en Gothie , il y en a au-delà de 248. Dans

CHAPITRE VIII. 21

les états soumis au roi de Danemarck , l'île de Seeland


a 944 , et l'Islande 11 habitans par lieue carrée. Dans
la Russie européenne , les gouvernemens d'Archangel ,
d'Olonez , de Kalouga et de Moscou , different telle
ment dans le rapport de la population à l'étendue du
territoire, que les deux premiers de ces gouvernemens
ont 6 et 26, les deux derniers 842 et 974 âmes par
lieue carrée. Voilà les différences énormes qui indiquent
qu'une province est 160 fois plus habitée que l'autre.

En France , où le total de la population donne par


lieue carrée 1094 habitans , les départemens les plus
peuplés , ceux de l'Escaut , du Nord et de la Lys ,
présentent une population relative de 3869, 2786 et
2274. Le département le moins peuplé , celui des
Hautes- Alpes , formé d'une partie de l'ancien Dau
phiné , n'a que 471 habitans par lieue carrée . Il en ré
sulte que les extrêmes sont en France dans le rapport

de 8 : 1 , et que l'intendance du Mexique , dans la


quelle la population est la plus concentrée , celle de
Guanaxuato , est à peine plus habitée que le dépar
tement de la France continentale * le plus dépeuplé !
Je me flatte que les trois tableaux que j'ai dressés

* On n'a eu égard , dans ces comparaisons , ni au département du


Liamone , formé de la partie méridionale de la Corse , et n'ayant
que 277 habitans par lieue carrée , ni au département de la Seine.
Le dernier offre , en apparence , une population relative de 26,165
habitans : il serait inutile d'exposer les causes qui produisent un
ordre de choses aussi peu naturel dans un département dont le chef
lieu est la capitale d'un vaste empire.
22 LIVRE III,

sur l'étendue , la population absolue et la population


relative des intendances de la Nouvelle - Espagne ,

prouveront suffisamment la grande imperfection de


la division territoriale actuelle. Un pays dans lequel

la population est dispersée sur une vaste étendue ,


exige que l'administration provinciale soit restreinte
à des portions de terrain plus petites que celles qui
forment les intendances mexicaines. Partout où la

population a été trouvée au-dessous de 100 habitans


par lieue carrée , l'administration d'une intendance ou
un département ne devrait pas s'étendre sur plus de
100,000 habitans . On pourrait assigner un nombre
double ou triple à des régions dans lesquelles la popu
lation est plus rapprochée .
C'est de ce rapprochement sans doute que dépen
dent le degré d'industrie , l'activité du commerce par

conséquent , et le nombre des affaires , qui doivent


fixer l'attention du gouvernement départemental . Sous

ce rapport , la petite intendance de Guanaxuato donne


plus d'occupation à un administrateur que les pro
vinces de Texas , de Cohahuila et du Nouveau- Mexi
que , qui ont six à dix fois plus d'étendue. Mais d'un
autre côté , comment un intendant de San Luis Po

tosi peut- il jamais espérer de connaître les besoins


d'une province qui a près de 28,000 lieues carrées ?
Comment peut-il , même en se dévouant avec le zèle
le plus patriotique aux devoirs de sa place , surveiller
les subdélégués , protéger l'Indien contre les vexations
qui s'exercent dans les communes ?
CHAPITRE VIII. 23

Ce point de l'organisation administrative ne saurait


être discuté avec assez de soin . Un gouvernement ré

générateur doit , avant tout , s'occuper à changer les


limites actuelles des intendances . Ce changement po

litique doit être fondé sur la connaissance exacte de


l'état physique et agricole des provinces qui consti
tuent le royaume de la Nouvelle- Espagne . La France ,
sous ce rapport , offre un exemple de perfectionne
ment digne d'être imité dans le Nouveau-Monde . Les
hommes éclairés qui ont formé l'Assemblée constituante
ont prouvé , dès le commencement de leurs travaux ,
quelle grande importance ils attachaient à une bonne
division territoriale. Cette division est bonne lorsqu'elle
repose sur des principes que l'on peut considérer

comme d'autant plus sages , qu'ils sont plus simples


et plus naturels .
ANALYSE STATISTIQUE

DU ROYAUME

DE LA

NOUVELLE- ESPAGNE .

ÉTENDUE territoriale : 118,478 lieues carrées


( 2,339,400 myriares ) .
Population : 5,837,100 habitans , ou 49 habitans
par lieue carrée ( ou 2 par myriare ).
LA NOUVELLE ESPAGNE comprend :

A. Le Mexique proprement dit ( el Reyno de


Mexico).
Etendue territoriale : 51,280 lieues carrées.
Population : 5,413,900 habitans.
ou 105 habitans par lieue carrée.

B. Las provincias internas orientales y occiden


tales.

Etendue territoriale : 67,189 lieues carrées.


Population 423,200 habitans ,
ou 6 habitans par lieue carrée.
CHAPITRE VIII. 27

NOUVELLE- ESPAGNE .

ANALYSE STATISTIQUE .

1. INTENDANCE DE MEXICO.

POPULATION EN 1803 , 1,511,800 .

ETENDUE DE LA SURFACE EN LIEUES CARRÉES, 5,927 .

HABITANS PAR LIEUE CARRÉE , 255.

CETTE intendance tout entière est située sous la

zone torride . Elle s'étend depuis les 16° 34' jusqu'au


21° 57′ de latitude boréale. Elle confine au nord avec
l'intendance de San Luis Potosi , à l'ouest avec celles
de Guanaxuato et de Valladolid , à l'est avec celles de
Vera-Cruz et de la Puebla . Vers le sud , les eaux de la
mer du Sud ou du Grand Océan baignent l'intendance
de Mexico sur une longueur de côtes de 82 lieues ,
depuis Acapulco jusqu'à Zacatula.
Sa plus grande longueur depuis ce dernier port
1
28 LIVRE III ,

jusqu'aux mines du Doctor , est de 136 lieues ; sa


plus grande largeur , depuis Zacatula jusqu'aux mon
tagnes situées à l'est de Chilpanzingo , est de 92 lieues.
Dans sa partie boréale , du côté des mines célèbres de
Zimapan et du Doctor , une bande étroite sépare l'in
tendance de Mexico du golfe du Mexique ; près de
Mextitlan , cette bande n'a que 9 lieues de large.
Plus des deux tiers de l'intendance de Mexico sont

un pays montagneux , dans lequel il y a d'immenses


plateaux élevés de 2000 à 2300 mètres au- dessus du
niveau de l'Océan , et offrant depuis Chalco jusqu'à
Queretaro des plaines presque non interrompues de
50 lieues de long et de 8 à 10 de large ; dans la partie
voisine de la côte occidentale , le climat est brûlant et
peu salubre. Une seule cime , le Nevado de Toluca ,
située dans un plateau fertile qui a 2700 mètres de
hauteur, entre dans la limite inférieure des neiges per
pétuelles. Cependant le sommet porphyritique de cet
ancien volcan , dont la forme ressemble beaucoup à
celle du Pichincha près de Quito , et qui paraît avoir
été jadis extrêmement élevé , se dépouille aussi de

* Les points extrêmes sont proprement situés au sud- est- d'Aca


pulco , près de la bouche du Rio -Nespa et au Nord du Réal del
Doctor, près de la ville de Valles , qui appartient déjà à l'inten
dance de San Luis Potosi . Des endroits remarquables étant rare
ment situés sur les confins mêmes , on a préféré de nommer ceux qui
en sont les plus voisins. Un coup-d'œil jeté sur ma carte générale de
la Nouvelle-Espagne servira à justifier ce mode d'indiquer les limites
des intendances.
CHAPITRE VIII. 29

neige dans les mois pluvieux de septembre et d'octobre.


L'élévation du Pico del Fraile ou de la plus haute cime
du Nevado de Toluca , est de 4620 mètres ( 2370
toises ) . Aucune montagne de cette intendance n'égale
le Mont-Blanc en hauteur.

La vallée de Mexico ou de Tenochtitlan , dont je


publie une carte très détaillée , est située au centre de
la Cordillère d'Anahuac , sur le dos des montagnes

porphyritiques et d'amygdaloïde basaltique qui se pro


longent du sud-sud-est au nord- nord-ouest. Cette
vallée est d'une forme ovale. D'après mes observations
et celles d'un minéralogiste distingué , M. Don Luis
Martin , elle a , depuis l'embouchure du Rio Tenango
dans le lac de Chalco jusqu'au pied du Cerro de Sin
coq, près du Desague Real de Huehuetoca , 18 14 de

lieues de longueur , et depuis S. Gabriel près de la


petite ville de Tezcuco jusqu'aux sources du Rio de
Escapusalco , près de Guisquiluca , 12 lieues de lar
geur . L'étendue territoriale de la vallée est de
244 lieues carrées , dont les lacs n'occupent que
22 lieues carrées ; ce qui n'est pas tout-à-fait un
dixième de toute la surface .
La circonférence de la vallée , en la comptant sur

* Les cartes de la vallée de Mexico que l'on a publiées jusqu'ici


sont si fausses , que sur celle de M. Mascarò , répétée annuellement
dans l'almanach de Mexico , les distances marquées ci -dessus sont de
25 et 17 au lieu de 18 et 12 lieues. C'est sans doute d'après cette carte
que l'archevêque Lorenzana donne à toute la vallée une circonférence
de plus de go lieues , tandis qu'elle en a presque un tiers de moins.
30 LIVRE HI ,

la crête des montagnes qui l'entourent comme un


mur circulaire , est de 67 lieues. Cette crête est la plus
élevée au sud , surtout au sud-est , où les deux grands
volcans de la Puebla , le Popocatepetl et l'Itzaccihuatl ,
bordent la vallée. Un des chemins qui mènent de la
vallée de Tenochtitlan à celle de Cholula et de la

Puebla , passe entre les deux volcans mêmes par Tla


manalco , Ameca , la Cumbre et la Cruz del Coreo .

C'est par ce même chemin qu'a passé le petit corps


d'armée de Cortez , lors de sa première invasion .
Six grandes routes traversent la Cordillère qui
borne la vallée , et dont la hauteur moyenne est de
3000 mètres au- dessus du niveau de l'Océan : 1º la route

d'Acapulco qui va à Guchilaque et Cuervaracca par


la haute cime appelée la Cruz del Marques ** ; 2 ° la
route de Toluca par Tianguillo et Lerma , chaussée
magnifique que je n'ai pu assez admirer , construite
avec beaucoup d'art , en partie sur des arches ; 3º la
route de Queretaro , Guanaxuato et Durango , el ca
mino de tierra adentro , qui passe par Guautitlan ,
Huehuetoca et le Puerto de Reyes , près de Bata , par
des collines à peine élevées de quatre-vingts mètres

* C'était une position militaire au commencement de la conquête .


Lorsque les habitans de la Nouvelle-Espagne prononcent le mot du
Marquis sans ajouter un nom de famille , ils sous-entendent le nom de
Hernan Cortez Marques de el Valle de Oaxaca. De même l'expression
elAlmirante désigne , dans l'Amérique espagnole , Christophe Colomb.
Cette manière naïve de s'énoncer prouve le respect et l'admiration
qui se sont conservés pour la mémoire de ces grands hommes.
CHAPITRE VIII. 31

au-dessus du pavé de la grande place de Mexico ;


4° la route de Pachuca. Elle se dirige aux mines cé
lèbres de Real del Monte, par le Cerro Ventoso , cou
vert de chênes , de cyprès , et de rosiers presque cons
tamment fleuris ; 5º l'ancien chemin de la Puebla par .
S. Bonaventura et les Llanos de Apan ; enfin , 6° le
nouveau chemin de la Puebla par Rio Frio et Tes
melucos au sud- est du Cerro del Telapon , dont la
distance à la Sierra Nevada , ainsi que celle de la
Sierra Nevada ( l'Iztaccihuatl ) au grand volcan ( le
Popocatepetl ) ont servi de bases aux opérations tri
gonométriques de MM. Velasquez et Costanzo.
Accoutumés depuis long-temps à entendre parler
de la capitale de Mexico comme d'une ville bâtie au
milieu d'un lac , et qui ne tient au continent que par
des digues , ceux qui jettent les yeux sur mon Atlas
mexicain seront surpris sans doute de voir que le
centre de la ville actuelle est éloigné du lac de Tez
cuco de 4,500 mètres , du lac de Chalco de plus de
9,000 mètres. Ils seront portés ou à douter de l'exac
titude des descriptions données dans l'histoire des dé
couvertes du Nouveau-Monde , ou bien ils croiront
que la capitale du Mexique n'est pas bâtie sur le même
sol que l'ancienne résidence de Montezuma * . Mais

* Le vrai nom mexicain de ce roi est Moteuczoma. On distingue dans


la généalogie des sultans Aztèques deux rois de ce nom , dont le
premier s'appelle Huehue Moteuczoma , le second , qui mourut prison
nier de Cortez , Moteuczoma Xocojotzin. Les adjectifs placés devant et
après le nom propre , signifient aîné et cadet.
32 LIVRE III ,

ce n'est certainement pas la ville qui a changé de


place ; la cathédrale de Mexico occupe exactement le
même endroit où se trouvait le temple de Huitzilo .
pochtli ; la rue actuelle de Tacuba est l'ancienne rue
de Tlacopan par laquelle Cortez fit sa fameuse re
traite , le 1er juillet de l'année 1520 , dans la nuit mé
lancolique que l'on désigne par le nom de Noche
triste ; la différence de situation qu'indiquent les cartes
anciennes avec celle que je publie , provient unique
ment de la diminution d'eau qu'a soufferte le lac de
Tezcuco .

Il sera utile de rappeler ici le passage d'une lettre


que Cortez adressa * à l'empereur Charles- Quint , en
date du 30 octobre de l'année 1520 , et dans laquelle

il traça le tableau de la vallée de Mexico ; ce passage


écrit avec une grande simplicité de style , expose en
même temps la police qui régnait dans l'ancien Te
nochtitlan . « La province dans laquelle est située la
« résidence de ce grand seigneur Muteczuma , dit
« Cortez , est circulairement entourée de montagnes
«С élevées , et entre- coupées de précipices . La plaine

< contient près de 70 lieues de circonférence , et dans


«
«< cette plaine se trouvent deux lacs qui remplissent
<< presque toute la vallée , car à plus de 50 lieues
« d'alentour les habitans naviguent en canots . » ( II
faut observer que le général ne parle que de deux
lacs , parce qu'il ne connaissait qu'imparfaitement ceux

* Lorenzana , p. 101.
CHAPITRE VIII . 33

de Zumpango et Xaltocan , entre lesquels il passa à la


hâte dans sa fuite de Mexico à Tlascalla , avant la ba
taille d'Otumba. ) « Des deux grands lacs de la vallée
« de Mexico l'un est d'eau douce et l'autre d'eau salée.

<< Ils sont séparés l'un de l'autre par une petite


«< rangée de montagnes , ( les collines coniques et iso

« lées près d'Iztapalapan ) ; ces montagnes s'élèvent


«< au milieu de la plaine , et les eaux du lac se mêlent
<< ensemble dans un détroit qui existe entre les col
« lines et la haute Cordillère ( sans doute la pente

<< orientale de Cerros de Santa Fe. ) Les villes et les


«< villages nombreux construits dans l'un et l'autre des

<< deux lacs font leur commerce par des canots sans
« passer par la terre ferme. La grande ville de Te
<< mixtitan * ( Tenochtitlan ) est fondée au milieu du
<«< lac salé, qui a ses marées comme la mer ; depuis la
« ville jusqu'à la terre-ferme il y a deux lieues , de
«< quelque côté qu'on veuille y entrer. Quatre digues

<< mènent à la ville ; elles sont faites à mains d'hommes

<< et ont la largeur de deux lances. La ville est grande


« comme Séville ou Cordoue. Les rues , je ne parle
« que des principales , sont très étroites et très larges ,
«< quelques unes sont moitié à sec , et moitié occupées
« par des canaux navigables , garnis de ponts de bois


Temistitan , Temixtitan , Tenoxtitlan , Temihtitlan , sont des
changemens vicieux du vrai nom de Tenochtitlan. Les Aztèques ou
Mexicains s'appelaient eux-mêmes aussi Tenochques , d'où dérive la
dénomination de Tenochtitlan.
II. 3
34 LIVRE III ,

« très bien faits et si larges que dix hommes à cheval


<< y peuvent passer à -la-fois. Le marché , deux fois
«< grand comme celui de Séville , est entouré d'un
«< portique immense sous lequel on expose toutes sortes
« de marchandises , des comestibles , des ornemens en

«< or, en argent , en plomb , en étain , en pierres fines ,


<
« en os , en coquilles et en plumes , de la faïence ,
« des cuirs et du coton filé. On y trouve des pierres
«< coupées , des tuiles , des bois de charpente . Il y a

« des ruelles pour le gibier , d'autres pour les lé


<< gumes et les objets de jardinage ; il y a des maisons
« où des barbiers ( avec des rasoirs faits en obsi
< dienne ) rasent la tête ; il y a des maisons qui res
<
«
<< semblent à nos boutiques de pharmaciens , dans les
«< quelles se vendent les médecines déjà faites , les

<
«< onguens et les emplâtres. Il y a des maisons où
«< l'on donne à manger et à boire pour de l'argent.
<
« Le marché offre un si grand nombre de choses , que
(< je ne les saurais nommer à Votre Altesse. Pour
<< éviter la confusion , chaque genre de marchandises
« se vend dans une ruelle séparée ; tout se vend à
« l'aune , mais jusqu'ici on n'a pas vu peser dans le
<< marché. Au milieu de la grande place est une mai
« son , que j'appellerais l'audiencia , dans laquelle
<<< sont constamment assises dix ou douze personnes
(( qui jugent les disputes qui ont lieu à cause de la
« vente des marchandises. Il y d'autres personnes
(( qui se tiennent continuellement dans la foule
«< même , pour voir si l'on vend à juste prix . On
CHAPITRE VIII. 35

« leur a vu briser les fausses mesures , qu'ils avaient


<< saisies aux marchands . »
Tel était l'état de Tenochtitlan l'année 1520 , d'après

la description de Cortez même. J'ai cherché en vain


dans les archives de sa famille , conservées à Mexico
dans la Casa del Estado , le plan que ce grand capi
taine fit dresser des environs de la capitale , et qu'il
envoya à l'empereur , comme il le dit dans sa troisième
lettre publiée par le cardinal Lorenzana . L'abbé Clavi
gero a hasardé de donner un plan du lac de Tezcuco ,
telles qu'il suppose en avoir été les limites au seizième

siècle. Cette esquisse est peu exacte , quoique bien pré


férable à celle qu'ont donnée Robertson et d'autres
auteurs européens également peu versés dans la géo
graphie du Mexique. J'ai tracé sur la carte de la vallée
de Tenochtitlan , l'ancienne étendue du lac salé , telle
que j'ai cru la reconnaître dans la relation historique
de Cortez et de quelques-uns de ses contemporains .
L'année 1520 , et encore long-temps après , les villages
d'Iztapalapan , Coyohuacan ( faussement appelé Cuya
can ) , Tacubaja et Tacuba se trouvaient tout près des
rives du lac de Tezcuco . Cortez dit expressément * que

la plupart des maisons de Coyohuacan , Culuacan ,


Chulubuzco , Mexicaltzingo , Iztapalapan , Cuitaguaca
et Mizqueque étaient construites dans l'eau sur pilotis ,
de sorte que souvent les canots pouvaient entrer par
une porte inférieure. La petite colline de Chapoltepec

* Lorenzana , p. 229 , 195 , 102.


3.
36 LIVRE III,

sur laquelle le vice-roi , comte de Galvez , a fait cons


truire un château , ne formait plus une île dans le lac
de Tezcuco du temps de Cortez . De ce côté la terre
ferme se rapprochait de près de 3000 mètres de la

ville de Tenochtitlan ; par conséquent la distance de


deux licues , indiquée par Cortez dans sa lettre à
Charles-Quint, n'est pas de toute exactitude. Il aurait
dû la restreindre à la moitié , exceptant toutefois la
partie de la côte occidentale sur laquelle se trouve la
colline porphyritique de Chapoltepec. On doit croire
cependant que cette colline quelques siècles plus tôt a
été aussi un îlot semblable au Peñol del Marques, et
à celui de los Baños . Des observations géologiques
rendent très probable , que les lacs ont été en dimi
nuant long-temps avant l'arrivée des Espagnols , et
avant la construction du canal de Huehuetoca.

Les Aztèques ou Mexicains , avant d'avoir fondé sur


un groupe d'îlots , l'an 1325 , la capitale qui subsiste
encore , avaient déjà habité pendant cinquante-deux
ans une autre partie du lac qui est plus méridionale
et dont les Indiens n'ont pas pu m'indiquer exacte
ment le site. Les Mexicains sortis d'Aztlan vers l'an

née 1160 , n'arrivèrent qu'après une migration de cin


quante-six ans dans la vallée de Tenochtitlan par Ma

linalco , dans la Cordillère de Toluca , et par Tula. Ils


se fixèrent d'abord à Zumpango , puis à la pente mé

ridionale des montagnes de Tepeyacac où est situé


aujourd'hui le temple magnifique dédié à Notre-Dame
de la Guadeloupe. L'an 1245 ( suivant la chronologie
CHAPITRE VIII . 37

de l'abbé Clavigero ) , ils arrivèrent à Chapoltepec.


Harcelés par les petits princes de Xalcotan , que les

historiens espagnols honorent du titre de rois , les Az


tèques , pour conserver leur indépendance , se réfu
gièrent sur un groupe de petites îles appelées Aco
colco , et situées vers l'extrémité méridionale du lac

de Tezcuco. Ils y vécurent pendant un demi -siècle


dans une misère affreuse , forcés de se nourrir de ra
cines de plantes aquatiques , d'insectes et d'un reptile
problématique appelé Axolotl, que M. Cuvier regarde
comme le tétard d'une salamandre inconnue * . Tombés

dans l'esclavage des rois de Tezcuco ou d'Acolhuacan ,


les Mexicains furent forcés d'abandonner leur village
situé au milieu de l'eau , et de se réfugier sur la terre
ferme à Tizapan. Les services qu'ils rendirent à leurs
maîtres dans une guerre contre les habitans de Xochi
milco , leur procurèrent de nouveau la liberté. Ils se
fixèrent d'abord à Acatzitzintlan que , du nom de leur

dieu de la guerre Mexitli ou Huitzilopochtlí ** , ils


nommèrent Mexicalzingo , puis à Iztacalco . C'est pour
accomplir l'ordre donné par l'oracle d'Aztlan , qu'ils

* M. Cuvier l'a décrit dans mon Recueil d'observations zoologiques et


d'anatomie comparée , p. 119. M. Dumeril croit que l'axolotl , dont
nous avons apporté , M. Bonpland et moi , des individus bien con
servés , est une nouvelle espèce de Protée. Zoologie analytique , p. 93.
** Huitzilin désigne le colibri , et opochtli , signifie gauche ; car le
dieu était peint ayant des plumes de colibri sous le pied gauche.
Les Européens ont corrompu le nom de Huitzilopochtli en Huichi
lobos et Vizlipuzli. Le frère de ce dieu , qui fut surtout révéré des
habitans de Tezcuco , s'appelait Tlacahuepan-Cuexcotzin.
38 LIVRE III ,

se transportèrent d'Iztacalco aux îlots qui s'élevaient


alors à l'est-nord- est de la colline de Chapoltepec dans
la partie occidentale du lac de Tezcuco . Une tradition
antique s'était conservée parmi cette horde , que le
terme fatal de leur migration devait être l'endroit où
ils trouveraient un aigle assis sur la cime d'un nopal
dont les racines perceraient à travers les fentes d'un
rocher. Ce Nopal ( Cactus ) , désigné par l'oracle , se
montra aux Aztèques l'année 1325 ( ce qui est le se
cond Calli * de l'ère mexicaine ) , sur un îlot qui servit
de fondement au Teocalli ou Teopan , c'est-à- dire à la
maison de Dieu , appelée depuis par les Espagnols le
grand temple de Mexitli .
Le premier Teocalli autour duquel la nouvelle ville
fut construite , était de bois , tel que le plus ancien
temple grec, celui d'Apollon à Delphes , décrit par
Pausanias. L'édifice en pierre dont Cortez et Bernal
Diaz admirèrent l'ordonnance , avait été construit au
même endroit par le roi Ahuitzotl , l'année 1486 ;
c'était un monument pyramidal , situé au milieu d'une
vaste enceinte de murailles , et élevé de 37 mètres.
On y distinguait cinq assises ou étages , comme dans

* Comme le premier Acatl correspond à l'année vulgaire 1519 , le


second Calli, dans la première moitié du quatorzième siècle , ne peut
être que l'année 1325 , et non 1324 , 1327 et 1341 , années auxquelles
l'interprète de la Raccolta di Mendoza , ainsi que Siguenza cité par
Boturini , et Betencourt cité par Torquemada , fixent la fondation
de Mexico. Voyez la Dissertation chronologique de l'abbé Clavigero,
Storia di Mexico , t. 4 , p. 54.
CHAPITRE VIII. 39

plusieurs pyramides de Sacara , surtout dans celle de


Mehedun. Le Teocalli de Tenochtitlan , exactement

orienté comme toutes les pyramides égyptiennes , asia


tiques et mexicaines , avait 97 mètres de base : il for
mait une pyramide si tronquée , que vu de loin , le
monument paraissait un cube énorme , sur la cime
duquel s'élevaient de petits autels couverts de cou
poles construites en bois . La pointe par laquelle se ter
minaient ces coupoles , était élevée de 54 mètres au
dessus de la base de l'édifice ou du pavé de l'enceinte.
On voit par ces détails que le Teocalli avait une
grande analogie de forme avec le monument antique
de Babylone , que Strabon nomme le mausolée de
Belus , et qui n'était qu'une pyramide dédiée à Jupiter
Belus * . Ni le Teocalli ni l'édifice babylonien n'étaient
des temples dans le sens que nous attachons à ce mot ,
d'après les idées que les Grecs et les Romains nous ont
transmises . Tous les édifices consacrés aux divinités

mexicaines formaient des pyramides tronquées ; les


grands monumens de Teotihuacan , de Cholula et Pa

pantla qui se sont conservés jusqu'à nos jours , con


firment cette idée ; ils indiquent ce qu'ont été les
temples moins considérables , construits dans les villes
de Tenochtitlan et de Tezcuco . Des autels couverts

étaient placés au sommet des Teocallis ; ces édifices


rentrent par-là dans une même classe avec les monu
mens pyramidaux de l'Asie dont anciennement on

*
Zoega de Obeliscis, p. 50.
40 LIVRE III ,

trouvait des traces jusqu'en Arcadie ; car le mausoléc


conique de Callistus * , un vrai Tumulus couvert

d'arbres fruitiers , servait de base à un petit temple


consacré à Diane.

Nous ignorons de quels matériaux était construit


le Teocalli de Tenochtitlan . Les historiens rapportent

seulement que ce monument était couvert d'une pierre


dure et polie. Les énormes fragmens que de temps en

temps on découvre autour de la cathédrale actuelle ,


sont de porphyre à base de grunstein rempli d'am
phibole et de feld-spath vitreux . Lorsqu'on a pavé
récemment la place autour de la cathédrale , des pierres
sculptées ont été trouvées jusqu'à 10 et 12 mètres de
profondeur. Peu de nations ont remué de plus grandes
masses que les Mexicains. La pierre calandaire et
celle des sacrifices exposées à la vue du public sur la
grande place , ont de 8 à 10 mètres cubes. La statue
colossale de Teoyaomiqui , chargée d'hieroglyphes et
couchée dans un des vestibules de l'université , a 2 mè
tres de long sur 3 de large. Le chanoine M. Gamboa
m'a assuré qu'en fouillant vis-à-vis de la chapelle du
Sagrario on a trouvé, parmi une immense quantité
d'idoles appartenant au Teocalli , une roche sculptée
qui avait 7 mètres de long , 6 de large , et 3 de haut.
On a travaillé en vain pour la retirer.
Le Teocalli était déjà en ruines ** " quelques années

* Pausanias , lib. vi
, c. 35.
** Un des manuscrits des plus précieux et des plus anciens que l'on
CHAPITRE VIII. 41

après le siège de Tenochtitlan qui , comme celui de


Troyes, finit par une destruction presque
presque totale de la
ville ; j'incline par conséquent à croire que l'extérieur
de la pyramide tronquée était d'argile et revêtu de
l'amygdaloïde poreuse , appelée Tetzontli. En effet
peu avant la construction du temple , sous le règne
du roi Ahuitzotl , les carrières de cette roche cellulaire
et spongieuse commencèrent à être exploitées. Or ,
rien n'était plus facile à détruire que des édifices cons
truits avec des matériaux poreux et légers , comme la

pierre ponce. Malgré la conformité d'un grand
nombre de témoignages , il se pourrait cependant que
les dimensions attribuées au Teocalli fussent un peu

conserve à Mexico est le livre de la Municipalité ( libro de el Cabildo).


Un religieux respectable et très versé dans l'histoire de sa patrie , le
père Pichardo , au couvent de San Felipe Neri , m'a montré ce ma
nuscrit , commencé le 8 mars 1524 , ce qui est trois ans après le
siège; il y est parlé de la place où avait été le grand temple ( « la Plaza
adonde estaba el templo major. » )

* Si ceux qui nous ont laissé des descriptions et des dessins du


Teocalli , au lieu d'en prendre la mesure eux-mêmes , ne nous ont
rapporté que ce que les Indiens leur ont dit , la conformité des té
moignages prouve moins qu'on ne pourrait le croire au premier as
pect. Dans tous les pays il existe des traditions uniformes sur la gran
deur des édifices , la hauteur des tours , la largeur des cratères , la
hauteur des cataractes. L'orgueil national se plaît à exagérer ces di
mensions , et les voyageurs sont en harmonie dans leurs rapports ,
aussi long-temps qu'ils puisent à la même source. D'ailleurs , dans le
cas particulier qui nous occupe , l'exagération de la hauteur n'a vrai
semblablement pas été très grande , parce qu'il était facile de juger
de l'élévation du monument par le nombre des gradins qui y condui
saient.
42 LIVRE III ,

exagérées ; mais la forme pyramidale de cet édifice


mexicain , sa grande analogie avec les monumens les
plus antiques de l'Asie , doivent bien plus nous inté
resser que sa masse et sa grandeur.
L'ancienne ville de Mexico communiquait avec le
continent par trois grandes digues , celles de Tepejacac

( Guadelupe ) Tlacopan ( Tacuba ) et Iztapalapan .


Cortez fait mention de quatre digues , parce qu'il
compte sans doute aussi la chaussée qui conduisait à
Chapoltepec. La Calzada de Iztapalapan , avait une
branche qui unissait Coyohuacan avec le petit fort
appelé Xoloc , le même dans lequel les Espagnols ,
lors de leur première entrée , furent complimentés par
la noblesse mexicaine . Robertson parle d'une digue
qui conduisait à Tezcuco ; mais cette digue n'a jamais
existé à cause de la distance du lieu et de la grande
profondeur de la partie orientale du lac.
Dix-sept ans après la fondation de Tenochtitlan ,

l'année 1338 , dans une dissension civile , une partie


des habitans se sépara des autres. Ils se fixèrent dans
des îlots situés au nord- ouest du temple de Mexitli .
La nouvelle ville qui d'abord prit le nom de Xaltilolco ,
et puis celui de Tlatelolco , eut un roi indépendant
de celui de Tenochtitlan . Dans le centre d'Anahuac ,

comme dans le Péloponnèse , dans le Latium , et par


tout où la civilisation de l'espèce humaine ne fait que
commencer , chaque ville constituait pendant long
temps un état séparé. Le roi mexicain Axajacatl fit

Clavigero, I, p. 251. Axajacatl régna de 1464 à 1477. (IV,p. 58.)
CHAPITRE VIII. 43

la conquête de Tlatelolco qui dès-lors fut réuni par


des ponts à la ville de Tenochtitlan . J'ai découvert
dans les manuscrits hieroglyphiques des anciens Mexi
cains , conservés dans le palais du vice-roi , une pein
ture curieuse qui représente le dernier roi de Tlate
lolco , appelé Moquihuix , tué sur la cime d'une
maison de Dieu ou d'une pyramide tronquée , et jeté

en bas des escaliers qui menaient à la pierre des


sacrifices. Depuis cette catastrophe , le grand mar
ché des Mexicains tenu jusque-là près du Teocalli de
Mexitli , fut transféré à Tlatelolco . C'est à cette der
nière ville que se rapporte la description que nous
avons donnée du marché mexicain , d'après le récit
de Cortez.
Ce que l'on appelle aujourd'hui le Bario de San

tiago , n'occupe qu'une partie de l'ancien Tlatelolco.


C'est sur le chemin qui mène à Tanepantla et aux
Ahuahuetes que l'on peut marcher plus d'une heure
entre les ruines de l'ancienne ville . On y reconnaît ,
ainsi que sur la route de Tacuba et d'Iztapalapan ,
combien Mexico , rebâti par Cortez , est plus petit que
l'était Tenochtitlan sous le dernier des Montezuma .

L'énorme grandeur du marché de Tlatelolco , dont on


reconnaît encore les limites , prouve combien la popu
lation de l'ancienne ville doit avoir été considérable .

Les Indiens montrent sur cette même place une élé


vation entourée de murs; c'est la même qui formait
un des théâtres mexicains , et sur laquelle Cortez , peu
de jours avant la fin du siège , avait établi la fameuse
44 LIVRE III ,

catapulte( trabuco depalo ) * dont l'aspect imposait aux


assiégés , sans que la machine pût agir à cause de la
maladresse des artilleurs . Cette élévation est aujourd'hui

comprise dans le porche de la chapelle de Santiago.


La ville de Tenochtitlan était divisée en quatre quar

tiers , appelés Tcopan ou Xochimilca , Atzacualco ,


Moyotla et Tlaquechiuhcan ou Cuepopan . Cette an
cienne division s'est conservée jusqu'à nos jours dans
les limites assignées aux quartiers de Saint-Paul , Saint
Sébastien , Saint - Jean et Sainte - Marie. Les rues ac

tuelles ont en grande partie la même direction qu'elles


avaient autrefois , à-peu-près du nord au sud et de l'est
à l'ouest **. Mais ce qui donne à la nouvelle ville ,
comme nous l'avons observé plus haut , un caractère par
ticulier et distinctif, c'est qu'elle se trouve entièrement
sur la terre-ferme, entre les extrémités des deux lacs.
de Tezcuco et de Xochimilco , et qu'elle ne reçoit par des
canaux navigables que les eaux douces de ce dernier lac.
Plusieurs circonstances ont contribué à ce nouvel
ordre de choses. De tout temps la partie du lac salé
contenue entre les digues australes et occidentales fut
la moins profonde. Cortez se plaint déjà que sa flottille,

Lorenzana, p. 289.
⭑⭑
Proprement du S. 16' O. a N. 74° E. , du moins du côté du cou
vent de Saint-Augustin , où j'ai pris des azimuts. Sans doute la direc
tion des anciennes rues était déterminée par celle des digues prin
cipales; or, d'après la position des lieux auxquels ces digues parais
sent avoir abouti , il n'est guère probable que les dernières puissent
avoir représenté exactement des méridiens et des parallèles.

CHAPITRE VIII. 45

les brigantins qu'il avait fait construire à Tezcuco , ne


pouvaient pas , malgré les ouvertures dans les digues ,
faire le tour entier de la ville assiégée. Ces flaques d'eau
peu profondes devinrent peu-à-peu des terrains maré
cageux ; ceux-ci entrecoupés de rigoles ou de petits
canaux d'écoulement , se convertirent en chinampas et
en terres labourables. Le lac de Tezcuco , que Valmont
*
de Bomare supposait communiquer avec l'Océan ,
quoique d'après mes mesures il se trouve à une éléva

tion de 2,277 mètres , n'a pas de sources particulières ,


mme on en observe au lac de Chalco . En considé

rant d'un côté le petit volume d'eau que dans les an


nées sèches des rivières peu considérables fournissent
à ce lac , de l'autre l'énorme rapidité de l'évaporation
qui a lieu dans le plateau du Mexique , et sur laquelle
j'ait fait des expériences suivies , il faut admettre , ce
que des observations géologiques paraissent aussi con
firmer, que , depuis des siècles , un manque d'équilibre
entre la perte d'eau évaporée et la masse d'eau affluente

a restreint progressivement le lac de Tezcuco , dans des


✰✰ nous ap
limites plus étroites. Les annales mexicaines
prennent que , sous le règne du roi Ahuizotl , ce lác
salé éprouvait déjà un manque d'eau assez grand pour
interrompre la navigation , et qu'afin d'obvier à ce mal
et d'augmenter les affluens , on construisit dès-lors un

* Dictionnaire d'histoire naturelle, article Lac.


** Peintures conservées à la bibliothèque du Vatican, et témoignage
du Père Acosta.
46 LIVRE III,

aqueduc depuis Coyohuacan jusqu'à Tenochtitlan . Cet


aqueduc conduisait les sources d'Huitzilopochco à plu
sieurs canaux de la ville , qui se trouvaient à sec.
Cette diminution d'eau , éprouvée avant l'arrivée
des Espagnols , n'aurait été sans doute que très lente
et peu sensible , si , depuis l'époque de la conquête ,
la main de l'homme n'avait pas contribué à intervertir
l'ordre de la nature. Ceux qui ont parcouru la Pénin
sule savent combien , en Europe même , le peuple
pagnol est ennemi des plantations qui donnent de
l'ombre autour des villes et des villages. Il paraît que
les premiers conquérans ont voulu que la belle vallée
de Tenochtitlan ressemblât en tout au sol castillan ,

aride et dénué de végétation . Depuis le seizième siècle,


on a coupé inconsidérément les arbres , tant dans le
plateau sur lequel est située la capitale , que sur les
montagnes qui l'entourent . La construction de la nou
velle ville , commencée en 1524 , a exigé une grande
quantité de bois de charpente et de pilotis . On a dé
truit et on détruit encore journellement sans replan

ter , si ce n'est tout autour de la capitale , où les der


niers vice-rois ont perpétué leur mémoire par des

promenades * ( Paseos , Alamedas ) qui portent leurs


noms. Le manque de végétation expose le sol à l'in
fluence directe des rayons du soleil , et l'humidité qui
ne s'est pas perdue en filtrant à travers la roche amyg
daloïde basaltique et spongieuse , s'évapore rapidement ;

*
Paseo de Buccarelli, de Revillagigedo , de Galvez , de Asanza.
CHAPITRE VIII. 47

elle se dissout dans l'air partout où le feuillage des


arbres ou un gazon touffu ne défend pas le sol de
l'influence du soleil et des vents secs du midi.

Cette cause étant la même dans toute la vallée ,


l'abondance et la circulation des eaux y ont sensible
ment diminué. Le lac de Tezcuco , le plus beau des
cinq lacs , que Cortez , dans ses lettres , nomme habi
tuellement une mer intérieure , reçoit de nos jours
beaucoup moins d'eau par infiltration qu'au seizième
siècle; partout les défrichemens et la destruction des
forêts ont les mêmes suites . Le général Andreossi ,
dans son ouvrage classique sur le canal du midi , a
prouvé que les sources ont diminué autour du réser
voir de Saint-Ferréol simplement par un faux système
introduit dans l'aménagement des forêts. Dans la pro
vince de Caraccas , le lac pittoresque de Tacarigua
se dessèche peu à peu , depuis que le soleil darde li
brement ses rayons sur le sol défriché des vallées d'A

ragua.
Mais la circonstance qui a le plus contribué à la
diminution du lac de Tezcuco est la fameuse percée
à ciel ouvert connue sous le nom du Desague real de
Huehuetoca , et dont nous traiterons dans la suite de
cet ouvrage. Cette coupure de montagne commencée
d'abord , l'année 1607 , en forme de percement sou

* La diminution des eaux y fait même naître de temps en temps de


nouvelles îles ( las aparecidas ). Le lac de Tacarigua ou de Nueva
Valencia est élevé de 474 mètres au-dessus de la surface de la mer,
( Voy. mes Tableaux de la Nature , tom. I , pag. 72.)
48 LIVRE III ,

terrain, n'a pas seulement réduit à des limites très



⚫ étroites les deux lacs situés dans la partie boréale de
la vallée , ceux de Zumpango ( Tzompango ) et de San
Christobal ; elle les a aussi empêchés , lors des temps
pluvieux , de verser leurs eaux dans le bassin du lac

de Tezcuco . Ces eaux inondaient jadis les plaines et


lessivaient des terres fortement chargées de carbonate
et de muriate de soude. Aujourd'hui , sans séjourner
dans des mares et sans augmenter par là l'humidité
de l'atmosphère mexicaine , elles découlent par un
canal artificiel dans la rivière de Panuco , et par con

séquent dans l'Océan atlantique.


Cet état de choses a été amené par le desir de con
vertir l'ancienne ville de Mexico en une capitale qui
serait à-la-fois propre à la circulation des voitures
et moins exposée au danger des inondations. En ef
fet , l'eau et la végétation ont diminué avec la même
rapidité avec laquelle le Tequesquite ( ou carbonate
de soude ) a augmenté. Du temps de Montezuma et
encore long-temps après , le faubourg de Tlatelolco ,
les barios de St. - Sébastien , de San Juan et de Santa
Cruz étaient célèbres à cause de la belle verdure qui
ornait leurs jardins. Aujourd'hui ces mêmes endroits ,
et surtout les plaines de San Lazaro , n'offrent plus
qu'une croûte de sels efflorescens. La fertilité du pla
teau , quoique considérable encore dans la partie mé
ridionale, n'est plus aussi grande qu'elle était lorsque
la ville s'élevait au milieu du lac. Une sage économie

de l'eau, surtout de petits canaux d'irrigation , pour


CHAPITRE VIII. 49

raient rendre son ancienne fécondité au sol et sa ri

chesse à une vallée que la nature paraît avoir destinée


à être la capitale d'un grand empire.
Les limites actuelles du lac de Tezcuco sont peu
déterminées , le sol étant glaiseux et si uni que , sur

un mille d'étendue , il ne présente pas deux décimè


tres de différence de niveau. Lorsque les vents d'est
soufflent avec force , l'eau se retire vers le bord occi
dental du lac , et laisse quelquefois à sec une étendue
de plus de 600 mètres de long. Peut-être qu'un jeu
périodique de ces vents a fait naître à Cortez l'idée
de marées régulières * , dont l'existence n'a pas été
vérifiée par de nouvelles observations. Le lac de Tez
cuco n'a généralement que trois à cinq mètres de pro
fondeur. Dans quelques endroits le fond se trouve
même déjà à moins d'un mètre . Aussi le commerce
des habitans de la petite ville de Tezcuco souffre-t -il
beaucoup dans les mois très secs de janvier et de fé
vrier. Le manque d'eau les empêche alors d'aller en
canots à la capitale. Cet inconvénient n'a pas lieu au
lac de Xochimilco ; car depuis Chalco , Mesquic et
Tlahuac la navigation n'est jamais interrompue , et
Mexico reçoit journellement , par le canal d'Iztapa
lapan , des légumes , des fruits et des fleurs en abon
dance.
Des cinq lacs de la vallée de Mexico , celui de Tez

* Journal des savans pour l'année 1676 , p. 34. Le lac de Genève


manifeste aussi un mouvement d'eau assez régulier , que Saussure
attribue à des vents qui soufflent périodiquement.
II. 4
50 LIVRE III ,

cuco a l'eau la plus chargée de muriate et de carbo


nate de soude. Le nitrate de baryte prouve que cette
eau ne tient aucun sulfate en dissolution . L'eau la
plus pure , la plus limpide , est celle du lac de Xochi
milco ; j'en ai trouvé la pesanteur spécifique de 1,0009 ,

quand celle de l'eau distillée à la température de 18°


centigrades est de 1,000 , et quand celle de l'eau du lac
de Tezcuco est de 1,0215. Par conséquent cette der

nière eau est plus pesante que l'eau de la mer Balti


que ; elle l'est moins que l'eau de l'Océan , qui , sous
différentes latitudes , a été trouvée entre 1,0269 et

1,0285. La quantité d'hydrogène sulfuré qui se dégage


de la surface de tous les lacs mexicains , et que l'acé
tate de plomb indique en grande abondance dans les
lacs de Tezcuco et de Chalco , contribue sans doute en
certaines saisons à l'insalubrité de l'air de la vallée.
Cependant , et ce fait est curieux , les fièvres intermit
tentes sont très rares sur les bords de ces mêmes lacs
dont la surface est en partie cachée par des joncs et
des herbes aquatiques .

Orné de nombreux Teocallis qui s'élevaient en forme


de minarets , entouré d'eau et de digues , fondé sur
des îles couvertes de verdure , recevant dans ses rues
à chaque heure des milliers de bateaux qui vivifiaient
le lac , l'ancien Tenochtitlan , d'après le récit des pre
miers conquérans , devait ressembler à quelques villes
de la Hollande , de la Chine ou du Delta inondé de la

Basse - Égypte. La capitale , reconstruite par les Espa


gnols , offre un aspect moins riant peut-être , mais
CHAPITRE VIII. 51

d'autant plus imposant et plus majestueux . Mexico


est sans doute au nombre des plus belles villes que les

Européens aient fondées dans les deux hémisphères .


A l'exception de Pétersbourg , de Berlin , de Philadel
phie et de quelques quartiers de Westminster, il existe
à peine une ville de la même étendue , qui , pour le
niveau uniforme du sol qu'elle occupe , pour la régu
larité et la largeur des rues , pour la grandeur des pla

ces publiques , puisse être comparée à la capitale de la


Nouvelle- Espagne. L'architecture y est généralement
d'un style assez pur ; il y a même des édifices dont
l'ordonnance est très belle. L'extérieur des maisons
n'est pas surchargé d'ornemens . Deux sortes de pierres

de taille , l'amygdaloïde poreuse appelée tetzontli , et


surtout un porphyre à feld-spath vitreux et dépourvu
de quartz , donnent aux constructions mexicaines un
air de solidité et quelquefois même de magnificence .
On n'y connaît pas ces balcons et ces galeries de bois
qui , dans les deux Indes , défigurent toutes les villes
européennes. Les balustrades et les grilles y sont en
fer de Biscaye , et ornées de bronzes. Les maisons y
ont des terrasses au lieu de toits , comme les maisons

d'Italie et de tous les pays méridionaux.


Mexico a été singulièrement embelli depuis le sé
jour que l'abbé Chappe y a fait en 1769. L'édifice
destiné à l'ecole des mines , et pour lequel les plus

riches particuliers du pays ont fourni une somme de


plus de trois millions de francs * , ornerait les places

* Voy. plus haut , chap. vII , tom . I , p. 438.


4
52 LIVRE III ,

principales de Paris et de Londres. Des architectes


mexicains , élèves de l'académie des beaux-arts de la

capitale , ont construit récemment deux grands hôtels ,


dont l'un, dans le quartier de la Traspana , offre dans
l'intérieur de la cour un très beau péristyle de forme
ovale , et à colonnes accouplées. Le voyageur admire
avec raison , au milieu de la Plaza Major de Mexico ,
en face de la cathédrale et du palais des vice-rois , une

vaste enceinte pavée en carreaux de porphyre , fermée


par des grilles richement garnies de bronze , et renfer

mant la statue équestre du roi Charles IV , placée
sur un piedestal de marbre mexicain . Cependant , il
faut en convenir , malgré les progrès que les arts ont
faits depuis trente ans , c'est bien moins par la gran
deur et par la beauté des monumens que par la lar
geur et l'alignement des rues , c'est moins par ses
édifices que par l'ensemble de sa régularité , de son
étendue et de sa position , que la capitale de la Nou
velle-Espagne impose aux Européens . Par un concours
de circonstances peu communes , j'ai vu de suite , et

dans un très court espace de temps , Lima , Mexico ,

* Cette statue colossale , dont il a été parlé plus haut , a été exé
cutée aux frais du marquis de Branciforte , ci-devant vice- roi du
Mexique, beau-frère du prince de la Paix. Elle pèse 450 quintaux.
Elle a été modelée , fondue et placée par le même artiste , M.
Tolsa , dont le nom mérite une place distinguée dans l'histoire de la
sculpture espagnole. Le mérite de cet homme de génie ne peut être
dignement apprécié que par ceux qui connaissent les difficultés que
présente , dans l'Europe civilisée même , l'exécution de ces grands
ouvrages de l'art.
CHAPITRE VIII. 53

Philadelphie , Washington * , Paris , Rome , Naples et


les plus grandes villes de l'Allemagne . En comparant
entre elles des impressions qui se suivent rapidement ,
on est à même de rectifier une opinion à laquelle on
s'est peut-être livré trop légèrement. Malgré des com
paraisons , dont plusieurs auraient pu paraître désa
vantageuses pour la capitale du Mexique , cette der
nière m'a laissé un souvenir de grandeur que j'attribue

surtout au caractère imposant de son site et de la na


ture environnante.

En effet , rien de plus riche et de plus varié que le


tableau que présente la vallée , lorsque dans une belle
matinée d'été , le ciel étant sans nuages et de cet azur

foncé qui est propre à l'air sec et raréfié des hautes


montagnes , on se transporte sur une des tours de la
cathédrale de Mexico ou au haut de la colline de Cha

poltepec. Une belle végétation entoure cette colline .

* D'après le plan tracé pour la ville de Washington , et d'après la


magnificence de son Capitole , dont je n'ai vu achevée qu'une partie ,
Federal City sera un jour , sans contredit , une ville beaucoup plus
belle que Mexico. Philadelphie aussi a la même régularité de cons
truction. Les allées de platanes , d'acacias et de populus heterophilla ,
qui ornent ses rues , lui donnent une beauté presque champêtre. La
végétation des rives du Putomac et du Delaware est plus riche que celle
qu'à plus de 2300 mètres d'élévation , on trouve sur le dos des Cordil
- lères mexicaines. Mais Washington et Philadelphie ressembleront
toujours à de belles villes européennes. Ils ne frapperont pas les yeux
du voyageur par ce caractère particulier , j'ose dire exotique , qui ap
partient à Mexico , à Santa Fe de Bogota , à Quito et à toutes les capi
tales qui , sous les tropiques , sont construites à la hauteur du passage
du Grand Saint-Bernard , ou même à de plus grandes élévations.
54 LIVRE III ,

Des troncs antiques de cyprès * , de plus de quinze à


seize mètres de circonférence , élèvent leurs cimes dé
1
nuées de feuillage au-dessus de celles des schinus qui ,
par leur port , ressemblent aux saules pleureurs de
l'Orient . Du fond de cette solitude , du sommet du

rocher porphyritique de Chapoltepec , l'œil domine


une vaste plaine , des champs soigneusement labourés
qui s'étendent jusqu'au pied des montagnes colossales
couvertes de glaces perpétuelles. La ville paraît bai
gnée des eaux du lac de Tezcuco , dont le bassin en
touré de villages et de hameaux , rappelle les plus
beaux lacs des montagnes de la Suisse. De grandes
avenues d'ormes et de peupliers conduisent de tout
côté à la capitale ; deux aqueducs construits sur des
arches très élevées traversent la plaine , et offrent un
aspect aussi agréable qu'intéressant. Au nord se pré
sente le couvent magnifique de Notre- Dame de la
Guadeloupe , adossé aux montagnes de Tepeyacac ,
entre des ravins qui abritent quelques dattiers et des
yucca arborescens . Au sud , tout le terrein entre San
Angel , Tacubaya et San Augustin de las Cuevas pa
raît un immense jardin d'orangers , de pêchers , de
pommiers , de cerisiers et d'autres arbres fruitiers de

l'Europe. Cette belle culture contraste avec l'aspect


sauvage des montagnes pelées qui forment l'enceinte

de la vallée , et parmi lesquelles se distinguent les fa


meux volcans de la Puebla , le Popocatepetl et l'Iztac

* Los Ahuahuetes. Cupressus disticha L.


1
CHAPITRE VIII . 55

cihuatl. Le premier forme un cône énorme , dont le


cratère constamment enflammé , jetant de la fumée et
des cendres , s'ouvre au milieu des neiges éternelles.
La ville de Mexico est remarquable aussi à cause de
la bonne police qui y règne. La plupart des rues ont
des trottoirs très larges ; elles sont propres et très bien
éclairées par des réverbères à mèche plate en forme de

rubans. Ces avantages sont dus à l'activité du comte


de Revillagigedo qui , lors de son arrivée , trouva la
capitale d'une malpropreté extrême.
L'eau se rencontre partout dans le sol de Mexico à
très peu de profondeur ; mais elle est saumâtre comme
celle du lac de Tezcuco . Les deux aqueducs par les

quels la ville reçoit l'eau douce et dont nous avons parlé


plus haut, sont des monumens de construction mo
derne dignes de l'attention des voyageurs . Les sources
d'eau potable sont à l'est de la ville , l'une dans le mon
ticule isolé de Chapoltepec , l'autre dans les Cerros de
Santa-Fe , auprès de la Cordillère qui sépare la vallée
de Tenochtitlan de celles de Lerma et de Toluca. Les

arches de l'aqueduc de Chapoltepec occupent une lon


gueur de plus de 3300 mètres. L'eau de Chapoltepec
entre par la partie méridionale de la ville , au Salto

del Agua ; elle n'est pas très pure , et on ne la boit que

dans les faubourgs de Mexico . L'eau la moins chargée


de carbonate de chaux est celle de l'aqueduc de Santa
Fe qui , en longeant l'Alameda , aboutit à la Traspana
au pont de la Marescala . Cet aqueduc a près de 10,200
mètres de long ; mais la pente du terrain n'a permis
56 LIVRE III ,

que dans un tiers de cet espace , que l'eau fût conduite


sur des arches . L'ancienne ville de Tenochtitlan avait

des aqueducs non moins considérables * . Au commen


cement du siège , les deux capitaines Alvarado et Olid
détruisirent celui de Chapoltepec . Cortez , dans sa pre
mière lettre à Charles- Quint , parle aussi de la source

d'Amilco , près de Churubusco , dont les eaux furent


conduites à la ville par des tuyaux de terre cuite. Cette
source est voisine de celle de Santa-Fe . On reconnaît
encore les restes de ce grand aqueduc qui était cons
truit à doubles tuyaux , dont l'un recevait l'eau , tandis
qu'on était occupé à nettoyer l'autre ** . Cette eau était
vendue dans des canots qui traversaient les rues de
Tenochtitlan. Les sources de San Augustin de las Cue
vas sont les plus belles et les plus pures ; aussi j'ai cru
reconnaitre sur le chemin qui mène de ce charmant
village à Mexico , des traces d'un ancien aqueduc.

Clavigero III. p. 195 ; Solis I, p. 406.


** Lorenzana , p. 108. « La plus grande et la plus belle construction
que les indigènes ont faite en ce genre , est l'aqueduc de la ville de
Tezcuco. On y admire encore les traces d'une grande digue qui fut
élevée pour augmenter le niveau de l'eau. En général , comment ne
pas admirer l'industrie et l'activité qu'ont déployées les anciens
Mexicains et les Péruviens dans l'irrigation des terres arides ! Dans la
partie maritime du Pérou , j'ai vu des restes de murs sur lesquels on
conduisait l'eau par un espace de plus de 5 à 6000 mètres , depuis le
pied de la Cordillère jusqu'aux côtes. Les conquérans du seizième
siècle ont détruit ces aqueducs ; et cette partie du Pérou , comme
la Perse , est redevenue un désert dénué de végétation. Telle est la
civilisation que les Européens ont portée chez des peuples qu'ils se
sont plu à nommer barbares. »
CHAPITRE VIII. 57

Nous avons nommé plus haut ( page 42 ) les trois


digues principales par lesquelles l'ancienne ville tenait
à la terre-ferme. Ces digues existent en partie , et on en
a même augmenté le nombre. Ce sont aujourd'hui de
grandes chaussées pavées qui traversent des terrains
marécageux , et qui , étant très élevées , ont le double
avantage de servir au roulage des voitures et de con
tenir les eaux débordées des lacs . La calzada d'Iztapa
lapan est fondée sur cette même digue ancienne , sur
laquelle Cortez fit des prodiges de valeur dans ses ren
contres avec les assiégés . La calzada de San Anton se
distingue encore de nos jours par ce grand nombre
de petits ponts que les Espagnols et les Tlascaltèques
y trouvèrent , lorsque le compagnon d'armes de Cor
tez , Sandoval , fut blessé près de Coyohuacan * . Ces
calzadas de San Antonio Abad , de la Piedad , de San
Christobal et de la Guadelupe ( anciennement appelée
la digue de Tepeyacac ) furent reconstruites à neuf
après la grande inondation de l'année 1604 , sous le
vice-roi Don Juan de Mendoza y Luna , marquis de
Montesclaros. Les seuls savans de ce temps , les pères
Torquemada et Geronimo de Zarate , exécutèrent le
nivellement et l'alignement des chaussées . C'est à cette
époque aussi que fut pavée pour la première fois la ville
de Mexico ; car avant le comte de Revillagigedo , au
cun autre vice-roi ne s'était occupé avec plus de succès
de la bonne police , que le marquis de Montesclaros .

* Lorenzana, p. 229 , 243.


58 LIVRE III ,

Les objets qui attirent généralement l'attention du


voyageur , sont : 1º la Cathédrale , dont une petite
partie est dans le style vulgairement appelé gothique ;
l'édifice principal qui a deux tours ornées de pilastres
et de statues , est d'une ordonnance assez belle et de
construction très récente ; 2° la Monnaie , attenant au
Palais des vice-rois , bâtiment d'où sont sortis , depuis
le commencement du seizième siècle , plus de six mil
liards et demi en or et en argent monnayé ; 3° les cou
vens , parmi lesquels se distingue surtout le grand cou
vent de Saint-François qui , simplement en aumônes ,
a une rente annuelle d'un demi-million de francs. Ce
vaste édifice devait d'abord se construire sur les rui

nes du temple de Huitzilopochtli ; mais ces ruines mê


mes ayant été destinées aux fondemens de la cathédrale ,
on commença en 1531 le couvent dans son local actuel.

Il doit son existence à la grande activité d'un frère


servant ou moine lai , Fray Pedro de Gante , homme
extraordinaire , que l'on dit avoir été fils naturel de
l'empereur Charles -Quint , et qui devint le bienfaiteur
des Indiens , auxquels il enseigna le premier les arts
mécaniques les plus utiles de l'Europe ; 4° L'Hospice,
ou plutôt les deux hospices réunis , dont l'un entretient
600 , l'autre 800 enfans et vieillards . Cet établissement
dans lequel règne assez d'ordre et de propreté , mais
peu d'industrie , a 250,000 francs de rentes. Un riche
négociant lui a légué récemment , par son testament ,
six millions de francs , capital qui a été pris par la
trésorerie royale , avec promesse d'en payer un intérêt
CHAPITRE VIII. 59
de cinq pour cent ; 5° l'Acordada , bel édifice dont

les prisons sont généralement spacieuses et bien aé


rées. On compte dans cette maison et dans les autres
prisons de l'Acordada qui en dépendent , plus de douze
cents personnes , parmi lesquelles se trouve un grand
nombre de contrebandiers , et les malheureux prison
niers indiens traînés à Mexico depuis les provincias
internas ( Indios Mecos ) , dont il a été question plus
haut dans les sixième et septième chapitres * ; 6º l'E
cole des Mines , le nouvel édifice commencé et l'ancien
établissement provisoire , avec ses belles collections de
physique , de mécanique et de minéralogie ** ; 7ºle Jar
din de Botanique , dans une des cours du palais du
vice-roi , très petit , mais extrêmement riche en pro
ductions végétales et rares ou intéressantes pour l'in
dustrie et le commerce ; 8° les édifices de l'Université

et la Bibliothèque publique , qui est peu digne d'un


si grand et si ancien établissement ; 9° l'Académie des
✰✰✰ ·
beaux-arts , avec une collection de plâtres antiques "
10° la statue équestre du roi Charles IV sur la Plaza
Mayor , et le monument sépulcral que le duc de Monte

* Tom. I , p . 383 , chap. vi , et p. 446 , chap. vII.


** Deux autres collections oryctognostiques et géologiques très re
marquables , sont celles du professeur Cervantes et de l'oïdor Cara
vajal. Ce magistrat respectable possède aussi un superbe cabinet de
coquilles formé pendant son séjour aux îles Philippines , où déjà il
avait déployé le même zèle pour les sciences naturelles , qui le dis
tingue si honorablement au Mexique.
*** Voyez tom. I , p. 424 , chap . vII.
бо LIVRE III ,

leone a consacré au grand Cortez dans une chapelle


de l'hôpital de los Naturales. C'est un simple monu
inent de famille , orné d'un buste en bronze , représen
tant le héros dans un âge mûr , et exécuté par M. Tolsa .
Qu'on traverse l'Amérique espagnole depuis Buenos
Ayres jusqu'à Monterey , depuis la Trinité et Porto
Rico jusqu'à Panama et Veragua , et nulle part on ne
rencontrera un monument national que la reconnais

sance publique ait élevé à la gloire de Christophe Co


lomb et de Hernan Cortez !

Ceux qui se livrent à l'étude de l'histoire et à la re


cherche des antiquités américaines , ne trouveront pas
dans l'enceinte de la capitale ces grands restes de con
structions que l'on voit au Pérou , dans les environs

de Cusco et de Guamachuco , à Pachacamac près de


Lima , ou à Mansiche près de Truxillo ; dans la pro
vince de Quito , au Cañar et au Cayo ; au Mexique
près de Mitla et de Cholula , dans les intendances
d'Oaxaca et de Puebla. Il paraît que les seuls monu

mens des Aztèques étaient les Teocallis dont nous avons


indiqué plus haut la forme bizarre. Or , le fanatisme
chrétien n'avait pas seulement un grand intérêt à les
détruire ; mais aussi la sûreté du vainqueur rendit cette
destruction nécessaire. Elle se fit en partie pendant le
siège même, car ces pyramides tronquées construites
par assises servaient de refuge aux combattans , comme
le temple de Baal- Berith aux peuples de Chanaan ;
c'étaient autant de châteaux dont il fallait déloger
l'ennemi.
CHAPITRE VIII. 61

Quant aux maisons des particuliers , que les histo


riens espagnols nous dépeignent comme très basses ,
nous devons être peu surpris de n'en trouver que les
fondemens ou des masures peu élevées , telles qu'on les
découvre dans le Bario de Tlatelolco et vers le canal

d'Istacalco . Dans la plupart de nos villes d'Europe


même , quel petit nombre de maisons peut-on comp
ter dont la construction remonte au commencement
du seizième siècle ? Cependant les édifices de Mexico
ne sont pas tombés en ruines par vétusté. Animés de

ce même esprit de destruction que les Romains mon


trèrent à Syracuse , à Carthage et en Grèce , les con
quérans espagnols ne crurent avoir achevé le siège
d'une ville mexicaine qu'après en avoir rasé les bâti

mens. Cortez , dans sa troisième lettre à l'empereur

Charles-Quint , énonce lui- même le système effrayant


qu'il suit dans ses opérations militaires. « Malgré tous
<< ces avantages , dit- il , que nous avions remportés , je
<< vis bien que les habitans de la ville de Temixtitan
« ( Tenochtitlan ) étaient si rebelles et si opiniâtres ,
(( qu'ils desiraient tous périr plutôt que de se rendre ;
( je ne savais plus quels moyens employer pour nous
(( épargner tant de dangers et de fatigues , et pour ne
< pas achever la ruine totale de la capitale , qui était
«
<< la plus belle chose du monde ( á la ciudad , porque
« era la mas hermosa cosa del Mundo ) . J'avais beau

« leur dire que je ne leverais pas mon camp , que je

* Lorenzana , p. 278.
62 LIVRE III ,

<< ne retirerais pas ma flottille de brigantins , que je ne


« cesserais pas de leur faire la guerre par terre et par
« eau , avant que je ne fusse maître de Temixtitan ; je
« leur observai en vain qu'ils n'avaient aucun secours

« à attendre , et qu'il n'y avait pas un coin de terre


<< dont ils pussent espérer tirer du maïs , de la viande ,
« des fruits et de l'eau. Plus nous leur fimes ces exhor

<
«< tations, et plus ils nous prouvèrent qu'ils étaient
<< loin d'être découragés. Ils n'avaient d'autre desir
« que celui de combattre. Dans cet état de choses ,
« considérant que déjà plus de quarante à cinquante
«< jours s'étaient écoulés depuis que nous avions in

« vesti la place , je résolus enfin de prendre un moyen


« par lequel , en pourvoyant à notre sûreté , nous étions
« à même de serrer de plus près nos ennemis ; je for
« mai le dessein de démolir d'un côté et de l'autre
« toutes les maisons à mesure que nous nous ren
« drions maîtres des rues , de sorte que nous n'avan

< cerions pas d'un pied sans avoir tout détruit et


«
« abattu derrière nous , convertissant en terre ferme

« tout ce qui était eau , quelle que put être la len


<< teur de ce travail et le retard auquel nous nous
«< exposerions * . Pour cet effet , je réunis les seigneurs

* Accordé de tomar un medio para nuestra seguridad y para poder


mas estrechar á los enemigos ; yfue que comofuessemos ganando por las
calles de la ciudad , que fuessen derocando todas las casas de ellas , de un
ladoy del otro; por manera que nofuessemos un passo adelante sin la de
jar todo asolado , y que lo que era agua hacerlo tierra firme ; aunque hu
biesse toda la dilacion que se pudiesse seguir. Lorenzana , nº XXXIV.
CHAPITRE VIII. 63

« et les chefs de nos alliés , et je leur expliquai la ré


<< solution que j'avais prise. Je les engageai à faire ve
<< nir un grand nombre de laboureurs avec leurs coas,
" qui sont semblables aux
houes dont on se sert en
« Espagne pour faire des excavations ; et nos alliés et

« nos amis approuvèrent mon projet , car ils espéraient


« que la ville serait détruite de fond en comble , ce
qu'ils desiraient ardemment depuis long-temps . Trois
« à quatre jours se passèrent sans combat , car nous
<< attendîmes l'arrivée des gens de la campagne qui
« devaient nous aider à démolir. »

Après avoir lu ce récit naïf que le général en chef


fait à son souverain dans sa troisième lettre , on ne
doit plus être surpris de ne trouver presque aucun
vestige des anciens édifices mexicains . Cortez raconte
que les indigènes , pour se venger des vexations qu'ils
avaient éprouvées sous la domination des rois aztè
ques , accoururent en grand nombre et des provinces
les plus éloignées , dès qu'ils apprirent qu'on travaillait
à la destruction de la capitale. Les décombres des mai
sons démolies servirent à combler les canaux. On mit

les rues à sec pour faire agir la cavalerie espagnole.


Les maisons basses , comme celles de Pékin en Chine ,
étaient construites en partie en bois , en partie en
tetzontli , pierre spongieuse , légère et facile à briser.
« Plus de cinquante mille Indiens nous aidèrent , dit
Cortez , le jour que , marchant sur des monceaux de
«< cadavres , nous gagnâmes enfin la grande rue de
<< Tacuba, et que nous brûlâmes la maison du roi Gua
64 LIVRE III ,

« timucin * . Aussi ne fit-on autre chose que brûler et


<<
a raser des maisons . Ceux de la ville disaient à nos

« alliés (les Tlascatèques ) qu'ils avaient tort de nous


«< aider à détruire , parce qu'ils auraient un jour à re
<
« construire de leurs mains ces mêmes édifices , soit
pour les assiégés si ceux -ci restaient vainqueurs, soit
« pour nous autres Espagnols , qui effectivement déjà
✰✰
<
«
< les forçons à rebâtir ce qui a été démoli.>>
En parcourant le Libro del Cabildo , manuscrit dont
nous avons déjà parlé , page 40 , et qui contient l'his
toire de la nouvelle ville de Mexico depuis l'année 1524

jusqu'en 1529 , je n'y ai trouvé sur toutes les pages que


des noms de personnes qui comparaissent devant les al
guasils « pour demander l'emplacement (solar) sur le

* Le vrai nom de ce roi malheureux , le dernier de la dynastie az


tèque , est Quauhtemotzin . C'est le même auquel Cortez fit brûler peu
à-peu la plante des pieds après les avoir fait tremper dans l'huile. Ce
tourment ne porta pas le roi à déclarer dans quel endroit ses trésors
avaient été cachés. Sa fin fut la même que celle du roi d'Alcohuacan
(Tezcuco ) et de Tetlepanguetzaltzin , roi de Tlacopan ( Tacuba) .
Ces trois princes furent pendus à un arbre , et comme je l'ai vu
représenté dans une peinture hiéroglyphique que possède le père Pi
chardo ( au couvent de San Felipe Neri ) , ils furent pendus par les
pieds , pour prolonger leurs tourmens. Cet acte de cruauté de Cortez ,
que des historiens récens ont eu la lâcheté de dépeindre comme l'effet
d'une politique prévoyante , causa des murmures dans l'armée même.
" La mort du jeune roi , » dit Bernal Diaz del Castillo ( vieux soldat
plein de droiture et de naïveté dans l'expression ) , « était chose bien
injuste. Aussi fut-elle blâmée de nous tous , autant que nous étions
" dans la suite du capitaine , dans sa marche vers Comajahua. »

** Lorenzana, pag. 286.


CHAPITRE VIII. 65

« quel était autrefois la maison de tel ou tel seigneur


<«< mexicain . » Même encore aujourd'hui on est occupé
à combler et dessécher les canaux anciens qui traver
sent plusieurs rues de la capitale. Le nombre de ces
canaux a surtout diminué depuis le gouvernement du
comte de Galvez , quoique à cause de l'extrême largeur
des rues de Mexico , les canaux y soient encore moins

contraires à la circulation des voitures que dans la


plupart des villes de Hollande.
On peut compter parmi les faibles restes des anti

quités mexicaines qui intéressent le voyageur instruit ,


soit dans l'enceinte de la ville de Mexico , soit dans ses
environs , les ruines des digues ( albaradones ) et des
aqueducs aztèques ; la pierre dite des sacrifices , ornée
d'un relief qui représente le triomphe d'un roi mexi
cain ; le grand monument calandaire ( exposé avec le
précédent à la Plaza Major ) ; la statue colossale de la
déesse Teoyaomiqui , couchée sur le dos dans une des
galeries de l'édifice de l'université , et habituellement
couverte de trois ou quatre pouces de terre ; les ma
nuscrits ou tableaux hiéroglyphiques aztèques , peints

sur du papier d'agave , sur des peaux de cerfs et des


toiles de coton ( collection précieuse enlevée injuste
ment au chevalier Boturini * , très mal conservée dans

les archives du palais des vice-rois ; et attestant dans


chaque figure l'imagination égarée d'un peuple qui se

* L'auteur de l'ouvrage ingénieux : Idea de una nueva Historia ge


neral de la America Septentrional , por el Caballero Boturini.
II. 5
66 LIVRE III ,

plaisait à voir offrir le cœur palpitant des victimes hu


maines à des idoles gigantesques et monstrueuses ) ;

les fondemens du palais des rois d'Alcolhuacan à Tez


cuco ; le relief colossal tracé sur la face occidentale du

rocher porphyritique appelé le Peñol de los Baños , et


plusieurs autres objets qui rappellent à l'observateur
instruit les institutions et les ouvrages de peuples de

la race mongole , et dont la description et les des


sins seront donnés dans la Relation historique de mon
Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Con
tinent.

Les seuls monumens anciens qui , dans la vallée


mexicaine, peuvent imposer par leur grandeur et leurs
masses aux yeux des Européens , sont les restes des
deux pyramides de San Juan de Teotihuacan , situées
au nord-est du lac de Tezcuco ; consacrées au soleil et
à la lune , appelées par les indigènes Tonatiuh Yt
zaqual , maison du Soleil , et Meztli Ytzaqual , maison
de la Lune. D'après les mesures faites en 1803 , par
un jeune savant mexicain , le docteur Oteyza * , la pre
mière pyramide , qui est la plus australe , a , dans son
état actuel , une base de 208 mètres ( 645 pieds ) de

* M. Bullock qui a récemment visité les plaines d'Otumba a confirmé


la description de M. Oteyza. Il croit même la grande pyramide plus
élevée ( Six months residence , p. 408 et 418 ) . Il est assez singulier
que des personnes auxquelles M. Bullock demanda des renseigne
mens sur ces monumens dont j'ai indiqué , en 1805 , la position
sur ma carte de la vallée de Mexico , en nient l'existence en 1822 .
(Bullock , Description of the Mexican Exhibition , p. 44 ).
CHAPITRE VIII. 67

long, et 55 mètres (66 vares mexicaines ou 171 p.)
d'élévation perpendiculaire. La seconde , la pyramide
de la Lune , est de 11 mètres (34 pieds) plus basse , et
sa base est beaucoup moins grande. Ces monumens ,
d'après le récit des premiers voyageurs et d'après la
forme qu'ils présentent encore aujourd'hui , ont servi
de modèle aux Teocallis aztèques . Les peuples que les

Espagnols trouvèrent établis dans la Nouvelle - Es


pagne, attribuèrent les pyramides de Teotihuacan **
à la nation Toultèque ; leur construction remonte , par
conséquent , au huitième ou au neuvième siècle , car le
royaume de Tollan dura depuis 667 jusqu'en 1031 .
Les faces de ces édifices sont , à 52′ près , exactement
orientées du nord au sud et de l'est à l'ouest. Leur

intérieur est de l'argile mêlé de petites pierres . Ce


noyau est revêtu d'un mur épais d'amygdaloïde po
reuse. On y reconnaît , en outre , des traces d'une cou
che de chaux qui enduit les pierres ( le tetzontli ) par

⭑ Velasquez a trouvé la vare mexicaine a exactement 31 pouces


que
de l'ancien pied de roi ( de Paris ) . La façade septentrionale de l'hôtel
des Invalides à Paris n'a que 600 pieds de longueur.
** Cependant Siguenza , dans ses notes manu anuscrites, les croit un
ouvrage de la nation Olmèque , qui habitait autour de la Sierra
de Tlascala , appelée Matlacueje. Si cette hypothèse , dont nous
ignorons les fondemens historiques , était vraie , ces monumens se
raient plus anciens encore. Car les Olmèques appartiennent aux pre
miers peuples dont la chronologie aztèque fait mention dans la
Nouvelle-Espagne. On prétend même que c'est la seule nation dont
la migration s'est faite , non depuis le nord et le nord- ouest ( l'Asie
Mongole ? ) , mais depuis l'Orient ( l'Europe ?)
5.
68 LIVRE III,

dehors. Quelques auteurs du seizième siècle préten


dent , d'après une tradition indienne , que l'intérieur
de ces pyramides est creux. Le chevalier Boturini dit
que le géomètre mexicain Siguenza avait vainement

essayé de percer ces édifices par une galerie. Ils for


maient quatre assises , dont on ne reconnaît aujour
d'hui que trois, les injures du temps et la végétation
des cactus et des agaves ayant exercé leur influence des
tructive sur l'extérieur de ces monumens. Un escalier

construit en grandes pierres de tailles conduisait jadis


à leur cime ; c'est là que , d'après le récit des premiers
voyageurs, se trouvaient des statues couvertes de lames

d'or très minces . Chacune des quatre assises principales


était subdivisée en petits gradins d'un mètre de haut ,
dont on distingue encore les arrêtes. Ces gradins sont
couverts de fragmens d'obsidienne qui , sans doute ,
étaient les instrumens tranchans avec lesquels , dans
leurs sacrifices barbares , les prêtres toultèques et az

tèques ( Papahua Tlemacazque ou Teopixqui ) ou


vraient la poitrine aux victimes humaines . On sait que
l'obsidienne ( itztli ) était l'objet des grandes exploita
tions dont on voit encore les traces dans une innom

brable quantité de puits entre les mines de Moran et


le village d'Atotonilco el Grande , dans les montagnes
porphyritiques d'Oyamel et du Jacal , région que les
Espagnols appellent la montagne des couteaux , el

Cerro de las Navajas .

* J'ai trouvé la cime du Jacal élevée de 3124 mètres ; la Roca de


CHAPITRE VIII. 69

On desirerait sans doute voir résolue la question si


ces édifices curieux , dont l'un (le Tonatiuh Ytzaqual) ,
d'après les mesures exactes de mon ami , M. Oteyza ,
a une masse de 128,970 toises cubes, ont été entiè
rement construits à mains d'hommes , ou si les Toul
tèques ont profité de quelque colline naturelle qu'ils
ont revêtue de pierres et de chaux ? Cette même ques
tion a été récemment agitée par rapport à plusieurs
pyramides de Gize et de Sacara ; elle est devenue dou
blement intéressante par les hypothèses fantastiques
que M. Witte a hasardées sur l'origine des monumens
de forme colossale de l'Égypte , de Persépolis et de
Palmyre. Comme ni les pyramides de Teotihuacan , ni
celle de Cholula , dont nous parlerons dans la suite ,
n'ont été percées diamétralement , il est impossible de
parler avec certitude de leur structure intérieure. Les
traditions indiennes d'après lesquelles on les croit creu
ses, sont vagues et contradictoires . Leur situation dans

des plaines où l'on ne trouve aucune autre colline rend


même assez probable qu'aucun rocher naturel ne sert
de noyau à ces monumens. Ce qui est très remarquable
aussi ( surtout si l'on se rappelle les assertions de Po
cocke, sur la position symétrique des petites pyramides
d'Égypte ) , c'est que tout à l'entour des maisons du
Soleil et de la Lune de Teotihuacan , on trouve un

groupe , j'ose dire un système de pyramides , qui ont

las Ventanas , au pied du Cerro de las Navajas , élevée de 2950


mètres au-dessus du niveau de la mer.
70 LIVRE III ,

à peine neuf à dix mètres d'élévation . Ces monumens ,


dont il y a plusieurs centaines , sont disposés dans des
rues très larges qui suivent exactement la direction des
parallèles et des méridiens , et qui aboutissent aux qua
tre faces des deux grandes pyramides . Les petites py
ramides sont plus fréquentes vers le côté austral du
temple de la Lune que vers le temple du Soleil : aussi
étaient-elles , d'après la tradition du pays , dédiées aux
étoiles. Il paraît assez certain qu'elles servaient de sé
pulture aux chefs des tribus. Toute cette plaine que
les Espagnols , d'après un mot de la langue de l'île de
Cuba , appellent Llano de los Cues , porta jadis dans
les langues aztèque et toultèque le nom de Micaotl, ou
chemin des morts . Que d'analogies avec les monumens
de l'ancien continent ! Et ce peuple toultèque qui , en
arrivant , au septième siècle , sur le sol mexicain , con
struisit d'après un plan uniforme plusieurs de ces mo
numens de forme colossale , ces pyramides tronquées
et divisées par assises comme le temple de Bélus à Ba

bylone , d'où avait-il pris le type de ces édifices ? Était-il


de race mongole ? descendait - il d'une souche com
mune * avec les Chinois , les Hiong-nu et les Japonais ?
Un autre monument ancien , très digne de l'atten
tion du voyageur , c'est le retranchement militaire de
Xochicalco , situé au sud-sud-ouest de la ville de Cuer

* Voy. l'ouvrage de M. Herder : Idée d'une histoire philosophique


de l'espèce humaine , tom. II , pag. 59 ; tom. III , pag. 11 ( en alle
mand) ; et Essai d'une histoire universelle de M. Gatterer , pag. 489
(en allemand ).
CHAPITRE VIII. 71

navaca , près de Tetlama , appartenant à la paroisse de


Xochitepeque. C'est une colline isolée, de 117 mètres
d'élévation , entourée de fossés , et divisée à main
d'hommes en cinq assises ou terrasses qui sont revêtues
de maçonnerie. Le tout forme une pyramide tron
quée , dont les quatre faces sont exactement orientées
selon les quatre points cardinaux. Les pierres de por
phyre à base basaltique , sont d'une coupe très régu
lière , et ornées de figures hiéroglyphiques , parmi les
quelles on distingue des crocodiles jetant de l'eau , et ,
ce qui est très curieux , des hommes assis les jambes
croisées à la manière asiatique. La plate-forme de ce
monument extraordinaire ✩ a près de 9000 mètres

carrés, et présente les ruines d'un petit édifice carré


qui servit sans doute de dernière retraite aux assiégés .
Je finirai ce tableau rapide des antiquités aztèques

en désignant quelques endroits que l'on peut nommer


classiques , à cause de l'intérêt qu'ils inspirent à ceux
qui ont étudié l'histoire de la conquête du Mexique
par les Espagnols .
Le palais de Motezuma était placé dans le même
site où se trouve aujourd'hui l'hôtel du' duc de Mon
teleone , vulgairement appelé Casa del Estado , à la
Plaza Mayor , au sud -ouest de la cathédrale. Ce palais
comme ceux de l'empereur de la Chine , dont sir

Descripcion de las antiguedades de Xochicalco dedicada á los


Señores de la Expedicion maritima baxo las ordenes de Don Alexan
dro Malaspina , por Don Jose Antonio Alzate. Mexico , 1791 , p. 12.
72 LIVRE III,

George Staunton et M. Barrow nous ont donné des


descriptions exactes, était composé d'un grand nombre
de maisons spacieuses mais très peu élevées . Elles oc
cupaient tout le terrain contenu entre l'Empedradillo,
la grande rue de Tacuba et le couvent de la Professa .
Cortez, après la prise de la ville , fixa sa demeure vis
à-vis des ruines de ce palais des rois Aztèques , là où
est placé aujourd'hui le palais des vice- rois . Mais on
jugea bientôt que la maison de Cortez convenait da

vantage aux assemblées de l'Audiencia. Par conséquent


le gouvernement se fit céder la Casa del Estado , ou
l'ancien hôtel appartenant à la famille de Cortez . Cette
famille qui porte le titre du Marquesado del Valle de
Oaxaca , reçut en échange l'emplacement de l'ancien
palais de Motezuma. C'est là qu'elle construisit le bel
édifice dans lequel se trouvent les archives del Estado ,
et qui est passé avec tout l'héritage au duc napolitain
de Monteleone.

Lorsque Cortez fit sa première entrée à Tenochtit


lan , le 8 novembre 1519 , lui et son petit corps d'ar
mée furent logés , non au palais de Motezuma , mais
dans un édifice qu'avait habité jadis le roi Axajacatl .
C'est dans cet édifice que les Espagnols et leurs alliés
les Tlascaltèques soutinrent l'assaut des Mexicains ;

c'est là que périt le malheureux roi Motezuma des

* C'est d'un de ses fils , appelé Tohualicahuatzin , et après le bap


tême Don Pedro Motezuma , que descendent les comtes de Motezuma
et Tula en Espagne. Les Cano Motezuma , les Andrade Motezuma ,
et , si je ne me trompe , même les comtes de Miravalle à Mexico ,
CHAPITRE VIII. 73

suites d'une blessure qu'il avait reçue en haranguant

son peuple. On reconnaît encore * de foibles restes de


ce quartier des Espagnols , dans des masures situées
derrière le couvent de Sainte-Thérèse , au coin des
rues de Tacuba et del Indio Triste.

Un petit pont près de Bonavista a conservé le nom


de saut d'Alvarado ( salto de Alvarado) , en mémoire du
saut prodigieux que fit le valeureux Pedro de Alva

rado , lorsque dans la fameuse nuit mélancolique **, la


digue de Tlacopan ayant été coupée en plusieurs en
droits par les Mexicains , les Espagnols se retirèrent

de la ville sur les montagnes de Tepeyacac. Il paraît


que déjà du temps de Cortez , on disputa sur la vérité
historique de ce fait , qui par une tradition populaire
a été transmis à toutes les classes des habitans de

Mexico . Bernal Diaz regarde l'histoire du saut comme

font remonter leur origine à la belle princesse Tecuichpotzin , fille ca


dette du dernier roi , Motezuma II , ou Moteuczoma Xocojotzin. Les
descendans de ce roi ne mêlèrent leur sang à celui des blancs que
dans la seconde génération .
* Les preuves de cette assertion sont contenues dans les manus
crits de M. Gama , qui se trouvent au couvent de San Felipe Neri ,
entre les mains du père Pichardo. Cortez , dans ses lettres , nomme
son quartier la Fortaleza , la Forteresse. Le palais d'Axajacatl était
probablement une vaste enceinte qui contenait plusieurs édifices ; car
on y caserna près de sept mille hommes. ( Clavigero III, p. 79. ) Les
ruines de la ville de Mansiche au Pérou nous donnent une idée très
claire de ce genre de construction américaine. Chaque habitation d'un
grand seigneur y formait un quartier séparé , dans lequel on distin
guait des cours , des rues , des murailles et des fossés.
**
Noche triste, le 1er juillet 1520.
74 LIVRE III ,

une simple fanfaronnade de son compagnon d'armes


dont il vante d'ailleurs le courage et la présence d'esprit.
Il assure que le fossé était beaucoup trop large pour
le passer au saut . Je dois observer cependant que cette
anecdote est rapportée avec beaucoup de détail dans
le manuscrit d'un noble métis de la république de
Tlascala , Diego Muños Camargo ; manuscrit que j'ai
consulté au couvent de San Felipe Neri , et dont le

père Torquemada paraît aussi avoir eu connais
sance. Cet historien métis était contemporain de Her
nan Cortez. Il raconte l'histoire du saut d'Alvarado

avec beaucoup de simplicité , sans apparence d'exagé


ration , et sans énoncer la largeur du fossé. On croit
reconnaître dans son récit naïf un héros de l'antiquité
qui , appuyant l'épaule et le bras sur sa lance , fait un
élan énorme pour se sauver des mains de l'ennemi .
Camargo ajoute que d'autres Espagnols voulurent sui
vre l'exemple d'Alvarado , mais qu'ayant moins d'agi

*
Monarquia indiana , lib. IV, cap . 80 ; Clavigero I , p. 10. Il existe
encore au Mexique et en Espagne plusieurs manuscrits historiques
composés au seizième siècle , et dont la publication par extraits jet
terait beaucoup de jour sur l'histoire d'Anahuac. Tels sont les manus
crits de Sahagun , de Motolinia , d'Andrea de Olmos , de Zurita, de
Josef Tobar , de Fernando Pimentel Ixtlilxochitl , d'Antonio Mote
zuma , d'Antonio Pimentel Ixtlilxochitl , de Taddeo de Niza , Ga
briel d'Ayala , Zapata , Ponce , Christophe de Castillo , Fernando
Alba Ixtlilxochitl , Pomar, Chimalpaïn , Alvarado Tezozomoc et de
Gutteriez. Tous ces auteurs , à l'exception des cinq premiers , étaient
des Indiens baptisés , natifs de Tlascala , de Tezcuco , de Cholula et
de Mexico. Les Ixtilxochitl descendaient de la famille royale d'Al
cohuacan.
CHAPITRE VIII. 75

lité que lui , ils tombèrent dans le fossé ( Azequia ).


Les Mexicains , dit-il , furent si étonnés de l'adresse
d'Alvarado , qu'en le voyant sauvé ils mangèrent la
terre ( expression figurée que l'auteur tlascatlique em
prunte de sa langue , et qui signifie être stupéfait d'ad
miration ) . « Les enfans d'Alvarado qui fut appelé le
«<
Capitaine du saut , prouvèrent par des témoins , de
<< vant les juges de Tezcuco , la prouesse de leur père.
« Ils y furent forcés par un procès dans lequel ils ex
༥ posèrent les exploits qu'Alvarado de el Salto leur

«< père avait faits lors de la conquête du Mexique. >>


On montre aux étrangers le pont du Clerigo près
de la plaza mayor de Tlatelolco , comme l'endroit mé
morable où fut pris le dernier roi aztèque , Quauhte

motzin , neveu de son prédécesseur , le roi Cuitlahuat


zin * , et gendre de Motezuma II . Mais il résulte des
recherches soignées que j'ai faites avec le père Pi
chardo , que le jeune roi tomba entre les mains de
Garci Holguin ** dans un grand bassin d'eau qu'il y

Ce roi Cuitlahuatzin ( que Solis et d'autres historiens européens ,


qui confondent tous les noms mexicains , nomment Quetlabaca ) était
frère et successeur de Motezuma II. C'est le même prince qui montra
tant de goût pour les jardins , et qui , d'après le récit de Cortez ,
avait fait la collection des plantes rares que l'on admirait encore
long-temps après sa mort à Iztapalapan.
** Le 31 août 1521 , le soixante-quinzième jour du siège de Tenoch
titlan , jour de Saint-Hippolyte. Le même jour est encore célébré
tous les ans par un tour que le vice-roi et les Oidores font à cheval par
la ville , en suivant l'étendard de l'armée victorieuse de Cortez , porté
par l'alferez -major de la très noble ville de Mexico.
E
76 LIVR III ,

avait autrefois entre la Garita del Peralvillo , la place


de Santiago de Tlatelolco et le pont d'Amaxac. Cor
tez se trouva sur la terrasse d'une maison de Tlate

lolco , lorsqu'on lui amena le roi prisonnier : « Je le


«< fis asseoir , dit le vainqueur dans sa troisième lettre
<
<< à l'empereur Charles- Quint , je le traitai avec con
« fiance , mais le jeune homme mit la main sur un
<< poignard que je portais à la ceinture , et m'exhorta

« de le tuer , parce qu'après avoir fait ce qu'il devait à


« lui-même et à son peuple , il ne lui restait d'autre
« desir que la mort. » Ce trait est digne du plus beau

temps de la Grèce et de Rome. Sous toutes les zones ,


quelle que soit la couleur des hommes , le langage des
âmes fortes est le même lorsqu'elles luttent contre le
malheur. Nous avons vu plus haut quelle fut la fin
tragique de cet infortuné Quauhtemotzin !
Après la destruction totale de l'ancien Tenochtitlan ,
Cortez resta avec les siens pendant quatre ou cinq
mois à Cojohuacan * , endroit pour lequel il a cons
tamment montré une grande prédilection . Il fut d'a
bord incertain s'il devait reconstruire la capitale dans
quelque autre endroit autour des lacs . Il se détermina
pour le site ancien « parce que la ville de Temixtitan
<< était devenue célèbre, que sa position est merveilleuse ,
«
< et que de tout temps on l'avait considérée comme le
< chef-lieu des provinces mexicaines. » ( como prin
«
cipal y señora de todas estas provincias. ) Il n'est pas


Lorenzana, pag. 307 .
CHAPITRE VIII. 77

douteux cependant qu'à cause des fréquentes inon


dations qu'ont souffertes l'ancien et le nouveau Mexi
que , on aurait mieux fait de placer la ville à l'est de
Tezcuco , ou sur les hauteurs entreTacuba et Tacubaya *.
C'est , en effet , à ces hauteurs que la capitale dut être
transférée par un ordre formel du roi Philippe III , lors
de la grande inondation de l'année 1607. L'Ajun
tamiento , ou le magistrat de la ville , représenta à la
cour que la valeur des maisons dont on ordonnait la
destruction , était de 105 millions de francs. On pa
raissait ignorer à Madrid que la capitale d'un royaume
construite depuis quatre-vingt-huit ans , n'est pas un

camp volant que l'on change de place à volonté !


Il est impossible de déterminer avec quelque certi
tude le nombre des habitans de l'ancien Tenochtitlan .

A en juger d'après les masures des maisons ruinées ,


Cisneros Descripcion del sitio en el qual se halla Mexico. Alzate, To
pografia de Mexico ( Gazeta de Literatura , 1790 , p. 32. ) . La plupart
des grandes villes des colonies espagnoles , quelque neuves qu'elles
paraissent être , se trouvent dans des sites désavantageux. Je ne parle
pas ici de l'emplacement de Caraccas , de Quito , de Pasto et de plu
sieurs autres villes de l'Amérique méridionale , mais seulement des
villes mexicaines ; par exemple , de Valladolid , que l'on aurait pu
construire dans la belle vallée de Tepare ; de Guadalaxara , qui se
trouve tout près de la plaine riante du Rio Chiconahuatenco ou San
Pedro; de Pazcuaro , que l'on desirerait voir bâti à Tzintzontza. On
dirait que partout les nouveaux colons de deux lieux voisins ont
choisi celui qui est le plus montagneux ou le plus exposé aux inonda
tions. Mais aussi les Espagnols n'ont presque pas construit de nou
velles villes ; ils n'ont fait qu'habiter ou agrandir celles qui avaient
été fondées par les indigènes.
78 LIVRE III ,

d'après le récit des premiers conquérans , et surtout


d'après le nombre des combattans que les rois Cuitla
huatzin et Quauhtimotzin opposèrent aux Tlascaltè
ques et aux Espagnols , la population de Tenochtitlan

paraît avoir été au moins trois fois plus grande que ne


l'est de nos jours celle de Mexico. Cortez assure qu'a
#
près le siège , le concours des artisans mexicains qui
travaillaient pour les Espagnols comme charpentiers ,

mâçons , tisserands et fondeurs , était si énorme , qu'en


1524 la nouvelle ville de Mexico compta déjà trente
mille habitans. Les auteurs modernes ont mis en avant

les idées les plus contradictoires sur la population de


la capitale. L'abbé Clavigero , dans son excellent ou
vrage sur l'histoire ancienne de la Nouvelle-Espagne ,
prouve que ces évaluations vont de soixante mille jus
qu'à un million et demi d'habitans * . Ces contradic
tions ne doivent pas nous étonner , en considérant com
bien les recherches statistiques sont neuves , même
dans la partie la plus cultivée de l'Europe.
D'après les données les plus récentes et les moins
incertaines , la population actuelle de la capitale du
Mexique paraît être ( en y comprenant les troupes ) de
135 à 140,000 âmes. Le dénombrement fait
1 en 1790 ,
par ordre du comte de Revillagigedo , ne donna pour
la ville qu'un résultat ** de 112,926 habitans ; mais on
sait que ce résultat est de plus d'un sixième trop pe

*
Clavigero IV, p. 278 , note p.
** Voyez la note C à la fin de l'ouvrage.
CHAPITRE VIII. 79

tit. La troupe réglée et la milice en garnison dans la


capitale , sont composées de 5 à 6000 hommes sous
les armes. On peut admettre avec une grande proba
bilité que la population actuelle consiste en :

2,500 blancs européens.


65,000 blancs créoles .

33,000 indigènes ( Indiens cuivrés ).


26,500 métis , mélange de blancs et d'Indiens .
10,000 mulâtres.

137,000 habitans .

Il existe par conséquent à Mexico 69,500 hommes


de couleur , et 67,500 blancs , mais un grand nombre
de métis (mestizos) sont presque aussi blancs que les

Européens et les Espagnols créoles !


Dans les vingt-trois couvens d'hommes que renferme
la capitale , il y a à peu près 1200 individus , parmi
lesquels on compte près de 580 prêtres et choristes.
Dans les quinze couvens de femmes , il y a 2100 in
dividus , dont près de 900 sont religieuses professes .
Le clergé de la ville de Mexico est extrêmement
nombreux , quoique d'un quart moins nombreux que
celui de Madrid . Le dénombrement de 1790 indiquait :

Dans les couvens 573 prêtres et choristes . 1


59 novices. 867
de moines.. .
235 frères servans . •
Dans les couvens ( 888 religieuses profess.
de religieuses. 35 novices.. 923
Prébendés • 26
Total. · • 1,816 ind.
80 LIVRE III.

Report. 1,816
Curés. 16
Vicaires 43
Ecclésiastiques séculiers . 517
Total.... 2,392 ind.
et , sans les frères servans et les novices , 2,063 . Le
clergé de Madrid est composé , d'après l'excellent ou
vrage de M. de Laborde , de 3,470 personnes : par
conséquent le clergé est à la population entière à
Mexico comme 1 à 100 , et à Madrid comme 2 à 100 .

Nous avons donné plus haut ( t. 1 , p . 440 ) le ta


bleau des revenus du clergé mexicain . L'archevêque
de Mexico a 682,500 livres tournois de rentes . Cette
somme est un peu moindre que le revenu du couvent

des Jeronimites de l'Escurial . Un archevêque de Mexico


est par conséquent de beaucoup moins riche que les

archevêques de Tolède , de Valence , de Séville et de


Santiago . Celui de Tolède a 3 millions de livres tour
nois de revenus. Cependant M. de Laborde a prouvé ,
et ce fait est très peu connu , qu'avant la révolution
le clergé de France était plus nombreux , en le com
parant à la population totale , et plus riche comme
corps que le clergé espagnol . Les revenus du tribunal

de l'inquisition de Mexico , tribunal qui s'étend sur


tout le royaume de la Nouvelle- Espagne , sur celui de
Guatimala et sur les îles Philippines , sont de 200,000
livres tournois.
Le nombre des naissances est à Mexico , en prenant

un terme moyen de cent ans , de 5,930 ; le nombre des


CHAPITRE VIII . 81

décès est de 5,050 . L'année 1802 il y eut même 6,155


naissances et 5,166 décès ; ce qui donnerait , en sup
posant une population de 137,000 âmes , sur 22 indi
vidus une naissance , et sur 26 individus un décès
Nous avons vu plus haut dans le quatrième chapitre
(tom. 1, p . 311. ) , qu'à la campagne, on compte en général
dans la Nouvelle - Espagne , le rapport des naissances
à la population * comme 1 à 17 ; et le rapport des dé
cès à la population comme 1 : 30. Par conséquent il
y a en apparence une très grande mortalité et un très
petit nombre de naissances dans la capitale. L'af
fluence des malades y est considérable , non-seule
ment pour la classe du peuple la plus indigente , qui
cherche des secours dans les hôpitaux , dont le nom
bre des lits monte à 1100 , mais aussi pour les per

sonnes aisées qui se laissent transporter à Mexico ,


parce qu'elles ne trouvent ni médecins ni remèdes à la

campagne. Cette circonstance explique le grand nom


bre de décès que manifestent les registres des paroisses .
D'un autre côté , les couvens , le célibat du clergé sé
culier , les progrès du luxe , la milice , et l'indigence
des saragates indiens , qui vivent dans la fainéantise

* En France , le rapport des naissances aux morts est tel , que sur
la totalité de la population , il n'en meurt annuellement qu'un tren
tième , tandis qu'il en naît un vingt-huitième. Peuchet , Statistique ,
p. 251. Dans les villes , ce rapport dépend d'un concours de circons
tances locales et variables. On comptait , en 1786 , à Londres ,
18,119 naissances et 20,454 décès : en 1802 , à Paris , 21,818 nais.
sances et 20,390 décès.
II. 6
82 LIVRE III ,

comme les lazaronis de Naples , sont les causes prin


cipales qui influent sur le rapport désavantageux des
naissances au total de la population.
MM. Alzate et Clavigero * , en comparant les regis
tres des paroisses de Mexico à ceux de plusieurs villes
d'Europe , ont tenté de prouver que la capitale de la
Nouvelle- Espagne doit avoir plus de 200,000 habi
tans : mais comment supposer que dans le dénombre

ment de 1790 on se soit trompé de 87,000 âmes , ce


qui est plus de deux cinquièmes de la population to
tale ? En outre , les comparaisons faites par les deux
savans mexicains ne peuvent guère par leur nature
conduire à des résultats certains , parce que les villes
dont ils offrent les registres mortuaires , sont situées à
des hauteurs et sous des climats très différens , et parce

que l'état de civilisation et d'aisance de la grande masse


des habitans présente les contrastes les plus frappans.
A Madrid on compte une naissance sur 34 ; à Berlin une
sur 28 individus . L'un de ces rapports est , aussi peu

que l'autre , appliquable aux calculs que l'on voudrait


hasarder sur la population des villes de l'Amérique équi
noxiale. Leur différence est en outre si grande , qu'elle

* L'abbé Clavigero est dans l'erreur quand il dit qu'un dénombre


ment a donné plus de 200,000 âmes à la ville de Mexico. Il avance
d'ailleurs, et avec raison , que cette ville compte généralement un
quart de plus de naissances et de décès que Madrid. En effet , à Ma
drid , en 1788 , le nombre des naissances était de 4,897 , celui des
morts de 5,915 ; en 1797 , il y avait 4,441 morts , et 4,911 nais
sances (Alexandre de Laborde , !I , p. 102 ) .
CHAPITRE VIII. 83

seule augmenterait ou diminuerait de 36,000 âmes la


population de Mexico , en y supposant un nombre an
nuel de 6,000 naissances . Le moyen de déterminer le
nombre des habitans d'un district ou d'une province

par le nombre des décès ou des naissances est peut- être


le meilleur de tous , quand l'arithmétique politique a

fixé avec soin , dans un pays donné , les nombres qui


expriment les rapports des naissances et des décès à la
population totale ; mais ces mêmes nombres , résultats
d'une longue induction , ne peuvent pas être appli
qués à des pays dont la situation physique et morale
est totalement différente. Ils désignent l'état moyen

de prospérité d'une masse de population dont la plus


grande partie habite la campagne. On ne peut par
conséquent pas se servir de ces mêmes rapports pour
trouver le nombre des habitans d'une capitale.
La ville de Mexico est la plus peuplée des villes du
nouveau continent ; elle a près de 40,000 habitans de
moins que Madrid * : comme elle forme un grand carré

dont chaque côté a près de 2,750 mètres , sa popula


tion est éparse sur un grand espace de terrain. Les
rues étant très larges , elles paraissent en général assez
désertes : elles le sont d'autant plus que dans un climat
que les habitans des tropiques considèrent comme froid,

* La population de Madrid ( dit M. de Laborde ) est de 156,272


- habitans; cependant , avec la garnison , les étrangers et les Espa
• gnols qui accourent des provinces , la population peut être portée à
◄ 200,000 âmes. » La plus grande longueur de Mexico est de près de
3,900 mètres ; celle de Paris , de 8,000 mètres.
6.
84 LIVRE HI ,

le peuple s'expose moins à l'air libre que dans les vil

les situées au pied de la Cordillère. Aussi ces dernières


(ciudades de tierra caliente ) paraissent constamment
plus populeuses que les villes des régions tempérées
ou froides ( ciudades de tierra fria ) . Si Mexico a plus
d'habitans que les villes de la Grande-Bretagne et de
la France , à l'exception de Londres , de Dublin et de
Paris ; d'un autre côté , la population est de beaucoup
moindre que celle des grandes villes du Levant et des

Indes orientales . Calcutta , Surate , Madras, Haleb et

Damas , comptent toutes au-delà de deux , quatre et


même six cent mille habitans.

Le comte de Revillagigedo a fait faire des recher


ches exactes sur la consommation de Mexico. Le ta

bleau suivant , dressé en 1791 , offrira quelque intérêt


à ceux qui connaissent les travaux importans que
MM . Lavoisier et Arnould ont faits sur la consomma
tion de Paris et de la France entière .

CONSOMMATION DE MEXICO .

I. COMESTIBLES.

Bœufs · 16,300.
Veaux · 450.
Moutons 278,923.
Porcs. . 50,676.
Chevreaux et lapins 24,000.
Poules • 1,255,340.
CHAPITRE VIII. 85

Canards. • 125,000.
Dindons. 205,000.
Pigeons . 65,300.
Perdrix . 140,000.

II. GRAINES .

Maïs ou blé de Turquie , cargas à 3 fa


nègues • 117,224.
Orge , cargas · 40,219.
Farine de froment , cargas à 12 arrobes . 130,000.

III. LIQUIDES.

Pulque , suc fermenté de l'agave , cargas. 294,790.


Vin et vinaigre, barrils à 4 arrobes . · 4,507.
Eau-de-vie , barrils . · 12,000 .
Huile d'Espagne , arrobes à 25 livres. 5,585.
En supposant , avec M. Peuchet , la population de
Paris quatre fois plus grande que celle de Mexico , on
observera que la consommation en viande de bœuf
est à-peu-près proportionnelle au nombre des habi
tans des deux villes , mais que celle de viande de
mouton et de porc est excessivement plus grande à
Mexico . Voici la différence :

CONSOMMATION QUADRUPLE
de la
CONSOMMATION
DE MEXICO. DE PARIS. DE MEXICO.

Bœufs.... 16,300 70,000 65,200


Moutons . 273,000 350,000 1,116,000
Cochons . 50,100 35,000 200,400
86 LIVRE III ,

M. Lavoisier a trouvé par ses calculs que les habi


tans de Paris consommaient de son temps annuelle
ment go millions de livres pesant de viande de toute
sorte , ce qui fait 163 livres ( 79 kilogrammes ) par
individu. En évaluant la viande comestible que don
nent les animaux désignés dans le tableau précédent ,
d'après les principes de M. Lavoisier , modifiés selon
les localités , la consommation de Mexico , en toutes
sortes de viande , est de 26 millions de livres pesant ,
ou de 189 livres ( 92 kilogrammes ) par individu.

Cette différence est d'autant plus frappante que la

population de Mexico embrasse 33,000 Indiens qui


ne mangent tous que très peu de viande.

La consommation du vin a beaucoup augmenté

depuis 1791 , surtout depuis l'introduction du sys


tème brownien dans la pratique des médecins mexi
cains . L'enthousiasme général avec lequel ce système
a été reçu dans un pays où les remèdes asthéniques ou
débilitans avaient été employés avec excès depuis des
siècles , a eu , selon le témoignage de tous les négocians
de Vera-Cruz , l'effet le plus marquant sur le com
merce des vins liquoreux d'Espagne. Mais ces vins
ne sont bus que par la classe aisée des habitans. Les

Indiens , les métis , les mulâtres , et même le plus grand


nombre des blancs créoles préfèrent le jus fermenté
de l'agave , appelé pulque , dont il se consomme an
nuellement l'énorme quantité de 44 millions de bou
teilles ( chacune à 48 pouces cubes ) . La grande po
pulation de Paris ne consommait annuellement , du
CHAPITRE VIII. 87

temps de M. Lavoisier , que 281,000 muids en vin ,


eau-de-vie , cidre et bière , ce qui fait 80,928,000 bou
teilles.

La consommation du pain à Mexico est égale à


celle des villes d'Europe. Ce fait est d'autant plus
frappant , qu'à Caraccas , à Cumana , à Carthagène
des Indes , et dans toutes les villes d'Amérique qui sont
situées sous la zone torride , mais au niveau de la mer ,
ou à de petites hauteurs , les habitans créoles ne se
nourrissent presque que de pain de maïs , et du ja
tropha manihot . Si l'on suppose , avec M. Arnoud ,
que 325 livres de farine donnent 416 livres pesant de
pain , on trouve que les 130,000 charges de farine
consommées à Mexico pouvaient fournir 49,900,000
livres de pain , ce qui fait une consommation de
363 livres par individu de tout âge. En évaluant la
population habituelle de Paris à 547,000 habitans ,
et la consommation en pain à 206,788,000 livres , on
trouve pour Paris 377 livres par individu. A Mexico

la consommation en maïs est presque égale à celle du


froment. Aussi le blé turc est la nourriture la plus re
cherchée par les indigènes. On peut lui appliquer la
dénomination que Pline donne à l'orge ( le xpion d'Ho

mère ) antiquissimum frumentum ; car le zea maïs


est la scule graminée à graines farineuses que culti
vaient les Américains avant l'arrivée des Européens .
Le marché de Mexico est richement fourni en co

mestibles , surtout en légumes et en fruits de toute


espèce. C'est un spectacle intéressant dont on pent
88 LIVRE III ,

jouir tous les matins au lever du soleil , que de voir


entrer ces provisions et une grande quantité de fleurs,
sur des bateaux plats conduits par des Indiens , des
cendant les canaux d'Istacalco et de Chalco . La ma
jeure partie de ces légumes est cultivée sur les chi
nampas , que les Européens désignent par le nom de
jardins flottans . Il y en a de deux sortes ; les uns
sont mobiles , poussés çà et là par le vent , les autres

fixés et unis au rivage. Les premiers seuls méritent


la dénomination de jardins flottans , mais leur nombre
diminue de jour en jour .
L'invention ingénieuse des chinampas paraît re

monter à la fin du quatorzième siècle. Elle tient à la


situation extraordinaire d'un peuple qui , entouré
d'ennemis , forcé de vivre au milieu d'un lac peu pois
sonneux , raffinait sur les moyens de pourvoir à sa
subsistance. Il est probable que la nature même a sug
géré aux Aztèques la première idée des jardins flot
tans. Sur les rivages marécageux des lacs de Xochi
milco et de Chalco , l'eau agitée dans la saison des
grandes crues , enlève des mottes de terre couvertes
d'herbes , et entrelacées de racines. Ces mottes voguant
long-temps çà et là au gré des vents , se réunissent
quelquefois en petits îlots . Une tribu d'hommes trop
faibles pour se maintenir sur le continent, crut devoir
profiter de ces portions de terrain que le hasard leur
offrait , et dont aucun ennemi ne leur disputait la
propriété. Les plus anciens chinampas n'étaient que
des mottes de gazon réunies artificiellement , piochées
CHAPITRE VIII. 89

et ensemencées par les Aztèques. Ces îles flottantes


se forment sous toutes les zones. J'en ai vu dans le

royaume de Quito , dans la rivière de Guayaquil ,


ayant 8 à 9 mètres de long , nageant au milieu du
courant , et portant de jeunes tiges de bambusa , de
pistia stratiotes , de pontederia , et une foule d'autres
végétaux dont les racines s'entrelacent facilement. J'en
ai trouvé aussi en Italie , dans le petit lago di aqua
solfa de Tivoli , près des thermes d'Agrippa , petites
îles qui sont formées de soufre , de carbonate de

chaux et des feuilles de l'ulva thermalis , et qui chan


gent de place au moindre souffle de vent.
De simples mottes de terre enlevées au rivage ont
donné lieu à l'invention des chinampas ; mais l'indus
trie de la nation aztèque a peu à peu perfectionné ce
système de culture. Les jardins flottans que les Espa
gnols trouvèrent très multipliés , et dont plusieurs
existent encore dans le lac de Chalco , étaient des ra
deaux formés de roseaux ( totora ) , de joncs , de ra
cines , et de branches de broussailles. Les Indiens
couvrent ces matières légères et enlacées les unes
dans les autres , de terreau noir qui est naturellement
imprégné de muriate de soude. On enlève peu à peu
ce sel en arrosant le sol avec l'eau du lac : le terrain

devient d'autant plus fertile que l'on répète plus sou


vent cette lixiviation . Ce procédé réussit même avec
l'eau salée du lac de Tezcuco , parce que , très éloi

guée du point de sa saturation , cette eau est encore


propre à dissoudre du sel , à mesure qu'elle filtre à
90 LIVRE III ,

travers le terreau. Les chinampas renferment quelque


fois jusqu'à la cabane de l'Indien qui sert de garde
pour un groupe de jardins flottans . On les toue où on

les pousse avec de longues perches pour les transporter


à volonté d'un rivage à l'autre.
A mesure que le lac d'eau douce s'est éloigné du
lac salé , les chinampas mobiles se sont fixés. On en
voit de cette dernière classe tout le long du canal de la
Viga , dans le terrain marécageux contenu entre le
lac de Chalco et le lac de Tezcuco . Chaque chinampas

forme un parallelogramme de 100 mètres de long ,


et de 5 à 6 mètres de large. Des fossés étroits et com
muniquant symétriquement entre eux , séparent ces
carrés. Le terreau propre à la culture , dessalé par de

fréquentes irrigations , s'élève de près d'un mètre au


dessus de la surface de l'eau environnante. C'est sur

ces chinampas que se cultivent les fèves , les petits


pois , le piment ( chile , capsicum ) , les pommes de
terre , les artichaux , les choux-fleurs , et une grande
variété d'autres légumes. Les bords de ces carrés
sont généralement garnis de fleurs , quelquefois même
d'une haie de rosiers. La promenade que l'on fait en
bateaux autour des chinampas d'Istacalco , est une des
plus agréables dont on puisse jouir dans les environs
de Mexico. La végétation est très vigoureuse sur un
sol constamment arrosé.

La vallée de Tenochtitlan offre à l'examen des phy


siciens deux sources d'eaux thermales , celle de Notre
Dame de la Guadalupe , et celle du Peñon de los
CHAPITRE VIII. 91

Baños ( rocher des bains ) . Ces sources contiennent de


l'acide carbonique , du sulfate de chaux et de soude ,
et du muriate de soude. Celle du Peñon a une tempé

rature assez élevée. On y a établi des bains très salu


taires et assez commodes. C'est aussi auprès du Peñon
de los Baños que les Indiens fabriquent le sel. Ils
lessivent des terres argileuses chargées de muriate de
soude, et concentrent des eaux qui n'ont que 12 à 13
pour 100 de sel. Les chaudières qui sont très mal con
struites , n'ont que six pieds carrés de surface , et deux
à trois puces de profondeur. On n'y emploie d'autre

combustible que la fiente de mulets et de vaches . Le


feu est si mal dirigé , que pour produire douze livres
de sel , qui se vendent 35 sous ( monnaie de France ) ,
on consume pour 12 sous de combustible ! Cette saline
existait déjà du temps de Motezuma , et il n'y a eu
d'autre changement dans le procédé technique que la
substitution de chaudières de cuivre battu aux cuves

en poterie de terre.
Le monticule de Chapoltepec avait été choisi par
le jeune vice-roi Galvez , pour y construire un château
de plaisance pour lui et ses successeurs. Le château a
été terminé extérieurement , mais les appartemens

n'ont point été meublés . Cette construction a coûté au


roi près d'un million et demi de livres tournois. La
cour de Madrid désapprouva la dépense , mais , comme
à l'ordinaire , après qu'elle avait été faite. L'ordonnance
de cet édifice est très singulière. Il est fortifié du côté
de la ville de Mexico . On y reconnaît des murs saillans
92 LIVRE III ,

et des parapets propres à placer des canons , quoiqu'on


ait donné à ces parties l'apparence de simples orne
mens d'architecture. Du côté du nord il y a des fossés
et de vastes souterrains , capables de contenir des pro
visions pour plusieurs mois. C'est une opinion popu
laire à Mexico de regarder cette maison des vice-rois
à Chapoltepec comme un château-fort masqué. On
accusa le comte Bernardo de Galvez d'avoir eu le

projet de rendre la Nouvelle-Espagne indépendante


de la Péninsule. On suppose que le rocher de Chapol
tepec était destiné pour lui servir d'asile et de défense

en cas d'une attaque par des troupes européennes . J'ai


vu des hommes respectables et occupant les premières
places , qui partagent ce soupçon contre le jeune vice
roi . Il est du devoir de l'historien de ne pas se livrer
légèrement à des accusations d'une nature grave. Le
comte de Galvez appartenait à une famille que le roi
Charles III avait élevée rapidement à un degré de
richesses et de puissance extraordinaires. Jeune ,
aimable , adonné aux plaisirs et au faste , il avait
obtenu de la munificence de son souverain une des

premières places à laquelle un particulier puisse s'é


lever. Par conséquent il ne paraissait pas lui con
venir de briser les liens qui , depuis trois siècles ,
unissaient les colonies à la métropole. Le comte de

Galvez , malgré sa conduite propre à gagner la fa


veur de la populace de Mexico , malgré l'influence
d'une vice - reine aussi belle que généralement ai
mée , aurait éprouvé le sort qu'aura tout vice - roi
CHAPITRE VIII. 93

européen qui tend à l'indépendance. Dans un grand
mouvement révolutionnaire on ne lui aurait pas par
donné de ne pas être Américain !
Le château de Chapoltepec doit être vendu au
profit du gouvernement. Comme dans tout pays il est
difficile de trouver des personnes qui achètent des
places fortes , quelques ministres de la Real Hacienda ,
ont commencé par vendre à l'enchère les vîtres et les
chassis des fenêtres . Ce vandalisme que l'on désigne

par le nom d'économie , a déjà beaucoup contribué à


dégrader un édifice qui se trouve à 2325 mètres de
hauteur , et qui , sous un climat assez rude , est exposé
à toute l'impétuosité des vents . Il serait peut-être
prudent de conserver ce château , comme la seule
place dans laquelle on pourrait placer les archives ,
déposer les barres d'argent de la monnaie , et sauver
la personne du vice-roi , dans les premiers momens
d'une émeute populaire. On conserve à Mexico la
mémoire des émeutes ( motinos ) du 12 février 1608 ,
du 15 janvier 1624 et du 8 juin 1692. Dans la der

* Parmi les cinquante vice-rois qui ont gouverné le Mexique , de


puis l'année 1535 jusqu'en 1808 , il n'y en a eu qu'un seul né en Amé
rique , le péruvien Don Juan de Acuña , marquis de Casa Fuerte
( 1722 —- 1734 ) , homme désintéressé et bon administrateur. Quel
ques-uns de mes lecteurs apprendront peut-être aussi avec intérêt
qu'un descendant de Christophe Colomb et un descendant du roi Mo
tezuma ont été vice-rois de la Nouvelle-Espagne. Don Pedro Nuño
Colon , duc de Veraguas , fit son entrée à Mexico en 1673 , et mou
rut six jours après. Le vice-roi Don Joseph Sarmiento Valladares ,
comte de Motezuma , gouverna depuis 1697 jusqu'en 1701 .
94 LIVRE III ,

nière, les Indiens manquant de maïs , brulèrent le pa


lais du vice-roi don Gaspar de Sandoval , comte de
Galve , qui se réfugia chez le gardien du couvent de
Saint- François. Mais ce n'est qu'à cette époque que
la protection des moines valait la sûreté d'un château
fortifié.
Pour terminer la description de la vallée de Mexico ,
il nous reste de tracer rapidement le tableau hydro
graphique de cette contrée entrecoupée de lacs et de
petites rivières. Ce tableau , j'ose m'en flatter , inté
ressera autant le physicien que l'ingénieur- construc
teur. Nous avons dit plus haut que la surface des
quatre lacs principaux occupe près d'un dixième de
la vallée, ou vingt- deux lieues carrées . En effet , le lac
de Xochimilco ( et Chalco ) a 6 , le lac de Tezcuco
10 celui de San Christobal 3 , celui de Zum
pango I lieues carrées ( de 25 au degré équatorial ) .
La vallée de Tenochtitlan ou de Mexico , est un
bassin entouré d'un mur circulaire de montagnes por

phyritiques très élevées . Ce bassin dont le fond est à


une hauteur de 2277 mètres au- dessus du niveau de
l'Océan , ressemble en petit au vaste bassin de la Bo
hême , et , ( si la comparaison n'est pas trop hasardée),
aux vallées des montagnes de la lune , décrites par
MM . Herschel et Schroeter. Toute l'humidité que four
nissent les Cordillères qui environnent le plateau de
Tenochtitlan , se réunit dans la vallée . Aucune rivière

n'en sort , à l'exception du petit ruisseau ( arroyo ) de


Tequisquiac qui , dans un ravin de peu de largeur ,
CHAPITRE VIII. 95
traverse la chaîne boréale des montagnes , pour se

jeter dans le Rio de Tula ou de Moteuczoma .


Les affluens principaux de la vallée de Tenochti
tlan sont : 1 ) les rivières de Papalotla , de Tezcuco , de
Teotihuacan et de Tepeyacac (Guadalupe) qui versent
leurs eaux dans le lac de Tezcuco ; 2 ) celles de Pa
chuca et de Guautitlan ( Quauhtitlan) qui débouchent
dans le lac de Zumpango. La dernière de ces rivières
( le Rio de Guautitlan ) a le cours le plus long ; son
volume d'eau est plus considérable que celui de tous
les autres affluens pris ensemble.
Les lacs mexicains qui sont autant de récipiens na
turels dans lesquels les torrens déposent l'eau des
montagnes environnantes , s'élèvent par étage , à me
sure qu'ils s'éloignent du centre de la vallée ou du

site où est placée la capitale. Après le lac de Tezcuco


la ville de Mexico est le point le moins élevé de toute
la vallée. Selon le nivellement très exact de MM. Ve

lasquez et Castera , la Plaza mayor de Mexico , au


coin austral du palais du vice-roi , est de 1 vare mexi
caine 1 pied et 1 pouce * plus élevée que le niveau

D'après l'ouvrage classique de M. Ciscar ( Sobre los nuevospesos y


medidas decimales ) la vare castillane est à la toise = 0,5130 : 1,1963 ,
et une toise = 2,3316 res. Don Jorge Juan évaluait une vare cas
tillane à trois pieds de Burgos , et chaque pied de Burgos à 123 lignes
deux tiers du pied de roi. La cour de Madrid avait ordonné , en 1783 ,
que le corps des artilleurs de mer se servît de la mesure des vares , et
le corps des artilleurs de terre de la toise française , différence dont il
serait difficile d'indiquer l'utilité. Compendio de matematicas de Don
Francisco Xavier Rovira , T. IV , p. 57 et 63. La vare mexicaine est
égale a om , 839.
E
96 LIVR III ,

moyen des eaux du lac de Tezcuco * . Ce dernier lac

est de 4 vares o pied 8 pouces plus bas que le lac de


San Christobal , dont la partie septentrionale s'appelle
lac de Xaltocan . C'est dans cette partie que se trou
vent, sur deux îlots , les villages de Xaltocan et To
nanitla . Le lac de San Christobal proprement dit , est

séparé de celui de Xaltocan par une digue très an


cienne qui va aux villages de San Pablo et de San
Tomas de Chiconautla . Le lac le plus septentrional
de la vallée de Mexico , celui de Zumpango ( Tzom
pango ) est de 10 vares 1 pied 6 pouces plus élevé
que le niveau moyen des eaux du lac de Tezcuco . Une
digue ( la Calzada de la Cruz del Rey ) divise le lac

* Les matériaux manuscrits que j'ai suivis dans la rédaction de cette


notice sur le Desague sont : 1 ) les plans détaillés dressés en 1802 , par
ordre du doyen de la haute-cour de justice (Decano de la Real Audien
cia de Mexico ) , Don Cosme de Mier y Trespalacios ; 2 ) le mémoire
que Don Juan Diaz de la Calle , second officier du secrétariat d'Etat
à Madrid , présenta , l'an 1646 , au roi Philippe IV ; 3 ) l'instruction
que le vénérable Palafox , évêque de la Puebla et vice-roi de la Nou
velle-Espagne , transmit , en 1642 , à son successeur, le vice-roi comte
de Salvatierra ( marquis de Sobroso ; 4 ) un mémoire que le cardinal
Lorenzana, alors archevêque de Mexico , présenta au vice-roi Buc
carelli ; 5 ) une notice rédigée par le tribunal de Cuentas de Mexico ;
6 ) un mémoire dressé par ordre du comte de Revillagigedo ; et 7) l'In
forme de Velasquez. Je dois nommer aussi l'ouvrage curieux de Zepeda,
Historia del Desague , imprimé à Mexico. J'ai examiné moi-même
deux fois le canal de Huehuetoca , une fois au mois d'août 1803 , et
la seconde fois depuis le 9 jusqu'au 12 janvier 1804 , en accompa
gnant le vice-roi Don Jose de Iturrigaray, dont je ne puis trop vanter
la bienveillance et la loyauté dans ses rapports envers moi. — (Voyez
la note D à la fin de cet ouvrage ).
CHAPITRE VIII. 97

de Zumpango en deux bassins , dont le plus occi


dental porte le nom de Laguna de Zitlaltepec , et le
plus oriental , le nom de Laguna de Coyotepec. A l'ex
trémité méridionale de la vallée se trouve le lac de

Chalco . Il renferme le joli petit village de Xico , fondé


sur une île ; il est séparé du lac de Xochimilco par
la Calzada de San Pedro de Tlahua , digue étroite
qui va de Tuliagualco à San Francisco Tlaltengo . Le
niveau des lacs d'eaux douces de Chalco et de Xochi

milco n'est que de I1 vare et 11


II pouces plus élevé

que la Plaza mayor de la capitale. J'ai cru que ces


détails pouvaient être intéressans pour les ingénieurs
hydrographes qui veulent se former une idée exacte
du grand canal (Desague) de Huehuetoca.
La différence de hauteur à laquelle se trouvent ,
dans la vallée de Tenochtitlan , les quatre principaux

réservoirs d'eau, s'est fait sentir dans les grandes inon


dations auxquelles , depuis une longue série de siècles ,
a été exposée la ville de Mexico. Dans toutes , la suite
des phénomènes a constamment été la même. Le lac
de Zumpango grossi par les crues extraordinaires du
Rio de Guautitlan et des affluens de Pachuca , verse

ses eaux dans le lac de San Christobal , auquel con


duisent les Cienegas de Tepejuelo et de Tlapanahui
loya . Le lac de San Christobal rompt la digue qui le
sépare du lac de Tezcuco . Enfin les eaux débordées de
ce dernier bassin élèvent leur niveau de plus d'un mè
tre , et refluent impétueusement , en traversant les ter
rains salins de San Lazaro , dans les rues de Mexico .
II. 7
E
98 LIVR III ,

Telle est la marche générale des inondations : elles


viennent du nord et du nord-ouest . Le canal d'écou

lement qu'on appelle Desague Real de Huehuetoca ,


est destiné à en éloigner le danger : il est sûr cepen
dant que , par une réunion de plusieurs circonstances ,
les affluens du sud (avenidas del Sur) sur lesquels le
Desague n'a malheureusement aucune influence, pour
raient devenir tout aussi funestes à la capitale. Les
lacs de Chalco et de Xochimilco déborderaient si ,

dans une forte éruption du volcan de Popocatepetl ,


cette montagne colossale se dépouillait soudainement
de ses neiges . Pendant que j'étais à Guayaquil , sur
les côtes de la province de Quito , en 1802 , le cône
de Cotopaxi fut tellement chauffé par l'effet du feu
volcanique, que presque dans une seule nuit il perdit
l'énorme calotte de neige qui le couvre. Dans le Nou
veau-Continent les éruptions et les grands tremble
mens de terre sont souvent suivis d'averses qui durent
des mois entiers. De quels dangers la capitale ne se
rait-elle pas menacée , si ces phénomènes avaient lieu

dans la vallée de Mexico , sous une zone où , dans des

années peu humides , il tombe jusqu'à 15 décimètres


de pluie. *
Les habitans de la Nouvelle-Espagne croient recon
naître une période constante dans le nombre des an
nées qui s'écoulent entre les grandes inondations .
L'expérience prouve en effet que les crues d'eau ex

·
Voy. plus haut , tom. 1º , chap. III , p. 284.
CHAPITRE VIII. 99
traordinaires se sont suivies dans la vallée de Mexico
à-peu-près tous les 25 ans . Depuis l'arrivée des
Espagnols la capitale a éprouvé cinq grandes inonda
tions , savoir en 1553 , sous le vice-roi don Luis de
Velasco ( el Viejo ) , connétable de Castille ; en 1580 ,
sous le vice- roi don Martin Enriquez de Almanza ;
en 1604 , sous le vice-roi marquis de Montesclaros ; en
1607 , sous le vice-roi don Luis de Velasco ( el se
gundo ) marquis de Salinas ; et en 1629 , sous le vice
roi marquis de Ceralvo . Cette dernière inondation est
la seule qui ait eu lieu depuis l'ouverture du canal
d'épuisement de Huehuetoca , et nous verrons dans la
suite quelles étaient les circonstances qui l'ont amenée.
Depuis l'année 1629 il y a encore eu , dans la vallée de
Mexico , sept crues d'eau très alarmantes ; mais la ville
en a été préservée par le desague . Ces sept années
très pluvieuses ont été les suivantes : 1648 , 1675 ,
1707 , 1732 , 1748 , 1772 , 1795. En comparant
entre elles les onze époques que nous venons d'indi
quer, on trouve , pour le retour du terme fatal , les

nombres de 27 , 24 , 3 , 26 , 19 , 27 , 32 , 25 , 16 , 24
et 23 ans , série de nombres qui marque sans doute un
peu plus de régularité que celle que l'on prétend re

connaître à Lima , dans le retour des grands tremble


mens de terre .

* Toaldo prétend pouvoir conclure d'un grand nombre d'obser


vations , que les années très pluvieuses , et par conséquent les grandes
inondations , reviennent tous les dix-neuf ans , selon les termes du
cycle de Saros. Rozier, Journal de physique , 1783.
7.
100 LIVRE III ,

La situation de la capitale du Mexique est d'autant


plus dangereuse que la différence de niveau qui existe
entre la surface du lac de Tezcuco et le sol sur lequel
les maisons sont construites , diminue d'année en an
née. Ce sol est un plan fixe , surtout depuis que toutes
les rues de Mexico ont été pavées sous le gouverne
ment du comte de Revillagigedo . Le fond du lac de
Tezcuco au contraire s'élève progressivement par les
troubles que charient les petits torrens , et qui font
naître des atterrissemens dans les réservoirs où ils se

rendent. C'est pour éviter un inconvénient semblable


que les Vénitiens ont détourné de leurs lagunes la
Brenta , la Piave , la Livenza et d'autres rivières qui y
formaient des dépôts * . Si l'on pouvait compter sur
tous les résultats d'un nivellement fait au seizième

siècle , on y reconnaîtrait sans doute que la plaza


inajor de Mexico était jadis élevée de plus de onze dé
cimètres au-dessus du niveau du lac de Tezcuco , et
que ce niveau moyen du lac est variable d'année en

année . Si d'un côté , par la destruction des forêts ,


l'humidité de l'atmosphère et les sources ont diminué
dans les montagnes qui environnent la vallée , d'un
autre côté les défrichemens ont augmenté l'effet des
atterrissemens et la rapidité des inondations . Le gé
néral Andreossy , dans son excellent ouvrage sur le
canal du Languedoc , a beaucoup insisté sur ces causes ,
qui sont les mêmes sous tous les climats . Les eaux qui

* Andreossy , sur le canal du Midi , p. 19.


CHAPITRE VIII. 101

glissent sur des pentes couvertes de pelouse , forment


moins d'atterrissemens que celles qui parcourent des

terres meubles. Or , cette pelouse , qu'elle soit formée


par des graminées comme en Europe , ou par de pe

tites plantes alpines comme au Mexique, ne se con


serve qu'à l'ombre des forêts. D'un autre côté , les
broussailles et les bois sur pied opposent des obstacles
aux eaux de neiges qui coulent sur la pente des mon
tagnes. Lorsque ces pentes sont dénuées de végéta
tion , les filets d'eau y sont moins retenus , et se réu
nissent plus rapidement aux torrens , dont les crues
font gonfler les lacs voisins de la ville de Mexico .
Il est assez naturel , que dans l'ordre des travaux
hydrauliques entrepris pour préserver la capitale du
danger des inondations , le système des digues ait
précédé celui des canaux d'écoulement . Lorsque 9
l'année 1446 , la ville de Tenochtitlan fut tellement
inondée qu'aucune de ses rues ne restait à sec , Mote
zuma I" ( Huehue Moteuczoma) , guidé par les con
seils de Nezahualcojotl , roi de Tezcuco , fit construire
une digue de plus de 12,000 mètres de long et de 20
de large. Cette digue , en partie élevée dans le lac ,
consistait en un mur formé de pierre et d'argile , et
fraisé de chaque côté d'une rangée de palissades . On
en voit encore les restes très considérables dans les

plaines de San Lazaro. Cette digue de Motezuma I


fut agrandie et réparée après la grande inondation de

l'année 1498 , causée par l'imprudence du roi Ahuit


zotl . Ce prince , comme nous l'avons déjà dit plus,
102 LIVRE III ,

haut , avait fait conduire les sources abondantes de


Huitzilopochco au lac de Tezcuco. Il oublia que ce
même lac dépourvu d'eau dans les temps secs , devient
plus dangereux dans les années pluvieuses à mesure
que l'on augmente le nombre de ses affluens. Ahuit
zotl avait fait périr Tzotzomatzin , citoyen de Coyo
huacan , parce qu'il avait osé lui prédire le danger
auquel le nouvel aqueduc de Huitzilopochco expose
rait la capitale. Peu de temps après , le jeune roi Mexi
cain manqua d'être noyé dans son palais. La crue
d'eau vint avec une rapidité si grande , que le prince
fut blessé grièvement à la tête en se sauvant par une
porte qui menait des appartemens du rez-de-chaussée
à la rue.

Les Aztèques avaient ainsi construit les digues ( cal


zadas ) de Tlahua et de Mexicaltzingo , et l'Albaradon
qui se prolonge depuis Iztapalapan jusqu'à Tepeyacac
( Guadalupe ) , et dont les ruines , dans leur état actuel,
ne laissent pas d'être encore très utiles à la ville de
Mexico . Ce système de digues que les Espagnols ont
continué à suivre jusqu'au commencement du dix
septième siècle , présentait des moyens de défense qui
étaient , sinon très sûrs , du moins à-peu-près suffisans
à une époque où les habitans de Tenochtitlan , navi
guant en canots , étaient plus indifférens aux effets
des petites inondations. L'abondance des forêts et des
plantations facilitait alors les constructions sur pilotis.
Une nation frugale se contentait du produit des jar
dins flottans ( chinamvas ) . Elle n'avait besoin que
CHAPITRE VIII. 103

d'un petit espace de terres labourables . Le débordement

du lac de Tezcuco était moins à craindre pour des


hommes qui vivaient dans des maisons dont plusieurs
étaient traversées par des canaux .
Lorsque la nouvelle ville de Mexico , reconstruite
par Hernan Cortez , éprouva la première inondation
l'année 1553 , le vice-roi Velasco I fit construire l'Al
baradon de San Lazaro. Cet ouvrage , exécuté d'après
le modèle des digues indiennes , souffrit beaucoup dans
la seconde inondation de l'année 1580. Dans la troi
sième , en 1604 , il fallut le rétablir en entier. Le vice
roi Montesclaros y ajouta alors , pour la sûreté de la
capitale , la prise d'eau ( presa ) d'Oculma , et les trois
calzadas de Notre- Dame de la Guadalupe , de San
Christobal et de San Antonio Abad.
A peine ces grandes constructions étaient - elles
achevées , que , par une réunion de circonstances extra
ordinaires , la capitale fut inondée de nouveau en
1607. Jamais auparavant , deux inondations ne s'é

taient suivies de si près ; jamais depuis , le cycle fatal


de ces calamités n'a été plus court que de 16 ou 17 ans.
Las de faire des digues ( Albaradones ) , que les eaux
détruisaient périodiquement , on s'aperçut à la fin
qu'il était temps d'abandonner l'ancien système hy
draulique des Indiens , et d'embrasser celui des ca

naux d'écoulement . Ce changement paraissait d'autant


1
plus nécessaire que la ville habitée par les Espagnols
ne ressemblait plus à la capitale de l'empire aztèque .
Déjà le rez -de-chaussée des maisons était habité. On
104 LIVRE III ,

ne pouvait parcourir que peu de rues en bateaux.


Les inconvéniens et les pertes réelles qu'entraînaient
les inondations étaient par conséquent devenus plus
grands qu'ils ne l'étaient du temps de Motezuma.
Les crues extraordinaires de la rivière de Guautit

lan et de ses affluens étant regardées comme la cause


principale des inondations , l'idée se présenta natu
rellement d'empêcher cette rivière de se jeter dans le
lac de Zumpango , dont les eaux moyennes sont à leur
surface de 7 mètres plus élevées que le sol de la
grande place de Mexico . Dans une vallée qui se trouve
circulairement entourée de hautes montagnes , on ne

pouvait donner d'issue au Rio de Guautitlan que par


une galerie souterraine , ou par un canal creusé à ciel
ouvert , à travers ces montagnes mêmes. En effet ,
déjà en 1580 , à l'époque de la grande inondation ,
deux hommes intelligens , le licenciado Obregon et le
maestro Arciniega , avaient proposé au gouvernement
de faire percer une galerie entre le Cerro de Sincoque
et la Loma de Nochistongo. Ce point , plus que tout
autre , devait fixer l'attention de ceux qui avaient étu
dié la configuration du sol mexicain . Il est le plus rap
proché du Rio de Guautitlan , considéré avec raison
comme l'ennemi le plus dangereux de la capitale . Nulle
part les montagnes qui entourent le plateau ne sont

moins élevées , et ne présentent moins de masse qu'au


nord-nord ouest de Huehuetoca , près des collines de
Nochistongo . On dirait en examinant attentivement ce
terrein marneux , dont les couches horizontales rem
CHAPITRE VIII. 105

plissent une gorge porphyritique , que c'est là que la


vallée de Tenochtitlan communiquait jadis avec celle
de Tula.
L'année 1607 , le vice-roi , marquis de Salinas , char

gea Enrico ( Henri ) Martinez de l'épuisement artifi


ciel des lacs mexicains. On croit communément dans

la Nouvelle-Espagne que cet ingénieur célèbre , auteur


du Desague de Huehuetoca , était Hollandais ou Al
lemand. Son nom indique sans doute qu'il descendait
de quelque famille étrangère ; il paraît cependant avoir
été élevé en Espagne même. Le roi lui avait conféré
le titre de cosmographe; il existe de lui un traité de
trigonométrie imprimé à Mexico , qui est devenu très
rare aujourd'hui. Enrico Martinez , Alonzo Martinez ,
Damian Davila et Juan de Ysla firent un nivellement

général de la vallée , dont l'exactitude a été prouvée


par les travaux exécutés en 1774 , par le savant géo
mètre don Joaquin Velasquez . Le cosmographe royal ,
Enrico Martinez , présenta deux projets de canaux ,
l'un pour l'épuisement des trois lacs de Tezcuco , Zum
pango et San Christobal, l'autre pour celui de Zumpango
seul. Conformément aux deux projets , l'écoulement des
eaux devait se faire par la galerie souterraine de No
chistongo , proposée en 1580 , par Obregon et Arci
niega. Mais la distance du lac de Tezcuco à l'embou
chure du Rio de Guautitlan étant de près de 32000
mètres , le gouvernement préféra de se borner au canal
de Zumpango . Ce canal fut commencé de manière à
recevoir en même temps les eaux du lac de ce nom ,
106 LIVRE III ,
et celles de la rivière de Guautitlan. Il est faux par

conséquent que le desague projeté par Martinez , fût


négatif dans son principe , c'est-à- dire qu'il empêchât
simplement le Rio de Guautitlan de se jeter dans le

lac de Zumpango . La branche du canal qui condui


sait les eaux du lac à la galerie , se combla par des at
térissemens , le desague dès lors ne servit que pour

la rivière de Guautitlan , que l'on détourna dans son


cours. Aussi quand M. Mier entreprit récemment l'é
puisement direct des lacs de San Christobal et de Zum

pango , on se souvenait à peine à Mexico que , 188


années plus tôt, le même ouvrage avait déjà été exécuté
pour le premier de ces grands bassins .
La fameuse galerie souterraine de Nochistongo fut
commencée le 28 novembre 1607. Le vice-roi en pré
sence de l'Audiencia , donna le premier coup de pioche.
Quinze mille Indiens étaient occupés à cet ouvrage ,
qui fut terminé avec une célérité extraordinaire , parce
qu'on travaillait dans un grand nombre de puits à-la
fois . Les malheureux indigènes furent traités avec la
plus grande dureté. L'emploi de la pioche et de la
pelle suffisait pour percer une terre meuble et ébou
leuse. Après onze mois de travaux continuels , la ga
lerie ( el socabon ) était achevée , ayant plus de 6600
18.0 licues communes * ) de long , et 3™ 5
mètres ( ou I
de large sur 4 2 de haut . Au mois de décembre de
l'année 1608 le vice-roi et l'archevêque de Mexico

* De 25 au degré sexagésimal, de 4443 mètres chacune.


CHAPITRE VIII. 107

furent invités par l'ingénieur Martinez à se rendre à


Huehuetoca pour voir couler les eaux * du lac de Zum
pango et du Rio de Guautitlan à travers la galerie .
Le vice-roi , marquis de Salinas , au rapport de Ze
peda , fit plus de 2000 mètres à cheval dans ce pas
sage souterrain. Au revers de la colline de Nochis

tongo se trouve le Rio de Moctezuma ( ou de Tula ) , qui


jette dans celui de Panuco . Depuis l'extrémité septen
trionale du Socabon , appelé la Boca de San Gregorio ,
Martinez avait pratiqué une rigole à ciel ouvert qui ,
dans une distance directe de 8600 mètres , conduisait
les eaux de la galerie à la petite cascade ( Salto ) du Rio
de Tula. Depuis cette cascade , les mêmes eaux ont en
core à descendre , d'après mes mesures , jusqu'au golfe du
Mexique , près de la barre de Tampico , une hauteur de
2153 mètres , ce qui donne pour une longueur de 323,000
mètres , une pente moyenne de 6 mètres sur 1000 .
Un passage souterrain , servant de canal d'épuisement ,

achevé en moins d'un an , ayant 6600 mètres de long ,


avec une ouverture de 10 mètres carrés en profil , est
un ouvrage hydraulique qui de nos temps , et même en
Europe , fixerait l'attention des ingénieurs . Ce n'est , en
effet , que depuis la fin du dix- septième siècle , depuis
l'exemple que l'illustre François Andreossy a donné au
canal du midi , par le passage de Malpas , que ces percées
souterraines sont devenues plus communes. Le canal
qui réunit la Tamise à la Saverne , passe , près de Sap

* Les premières eaux avoient coulé depuis le 17 septembre 1608.


108 LIVRE III ,

perton , sur une longueur de plus de 4000 mètres ,


par une chaîne de montagnes très élevée. Le grand ca
nal souterrain de Bridgewater qui , près de Worsley ,
dans les environs de Manchester , sert au transport

des houilles , a , en y comprenant ses diverses ramifi


cations , une étendue de 19200 mètres ou de 4 lieues
communes. Le canal de Picardie , auquel on travaille
en ce moment , devait , d'après le premier projet,
avoir un passage souterrain et navigable de 13700
mètres de longueur sur 7 mètres de large , et 8 mè
tres de haut.

A peine une partie de l'eau de la vallée de Mexico


avait-elle commencé à couler vers l'Océan Atlantique,
que l'on reprocha à Enrico Martinez d'avoir creusé

une galerie qui n'était ni assez large , ni assez durable ,


ni assez profonde , pour recevoir l'eau des grandes
crues. L'ingénieur en chef ( Maestro del Desague ) ,
répondit qu'il avait présenté plusieurs projets , mais
que le gouvernement avait préféré le remède le plus
prompt, dans l'exécution . En effet , les filtrations et

les érosions causées par des alternatives d'humidité et


de sécheresse , produisirent des éboulemens fréquens
dans une terre meuble. On se vit bientôt forcé de

* Millar and Vazic on channels , 1807. Le Georg-Stollen au Hartz ,


galerie commencée en 1777 et finie en 1800 , a 10438 mètres de long ,
et a coûté 1,600,000 fr. Près de Forth on travaille dans les mines de
houille à plus de 3000 mètres de distance sous la mer , sans être
exposé à des infiltrations. Le canal souterrain de Bridgewater a une
longueur qui égale les deux tiers de la largeur du Pas-de- Calais.
CHAPITRE VIII. 109

soutenir le plafond , qui n'est formé que de couches


alternantes de marne et d'argile endurcie , appelée te

petate . On se servit d'abord de boisage , en plaçant


des solivettes à corniche sur des piliers . Mais le bois
résineux n'étant pas très commun dans cette partie de
la vallée , Martinez substitua le muraillement au boi
sage : ce muraillement , à en juger d'après les restes
que l'on en découvre dans la obra del consulado , était
très bien exécuté , mais il pécha par le principe même.

L'ingénieur , au lieu d'avoir revêtu la galerie , depuis


le plafond jusqu'à la rigole du plancher , d'une voûte
entière à coupe elliptique , ( comme on les emploie
dans les mines chaque fois qu'une galerie de traverse
est creusée dans un sable mouvant ) n'avait construit
que des arcs qui reposaient sur un terrein peu solide .

Les eaux auxquelles on avait donné trop de chute ,


minèrent peu à peu les murs latéraux. Elles déposé

rent une énorme quantité de terre et de gravier dans


la rigole de la galerie , parce qu'on n'avait employé
aucun moyen de les filtrer , par exemple en les faisant
passer préalablement à travers des tissus de petate faits
par les Indiens avec les filamens des pétioles de pal
miers. Martinez , pour obvier à ces inconvéniens , con
struisit dans la galerie , de distance en distance , des es
pèces de batardeaux , ou de petites écluses qui , en
s'ouvrant rapidement devaient servir à nettoyer le pas
sage. Ce moyen fut insuffisant , et la galerie se boucha
par les atterrissemens continuels .

Dès l'année 1608 les ingénieurs mexicains se dis


110 LIVRE III,

putèrent pour savoir s'il fallait ou élargir le socabon


de Nochistongo , ou en achever le muraillement , ou
faire une percée à ciel ouvert , en enlevant le cerveau
de la voûte , ou enfin entreprendre une nouvelle ga
lerie d'épuisement dans un point plus bas , et capable
de recevoir, outre les eaux du Rio de Guautitlan et du
lac de Zumpango , celles du lac de Tezcuco. Le vice
roi-archevêque Don Garcia Guerra , religieux domi
nicain , fit faire de nouveaux nivellemens en 1611 ,
par Alonso de Arias , surintendant de l'arsenal du roi
Armero mayor ) , et inspecteur des fortifications

( Maestro mayor defortificationes ) , homme probe ,


et qui jouissait d'une grande réputation à cette épo
que. Arias parut approuver les travaux de Martinez ,
mais le vice-roi ne sut prendre aucune résolution dé
finitive. La cour de Madrid ennuyée des disputes des
ingénieurs , envoya à Mexico en 1614 , un Hollandais ,
Adrien Boot , dont les connaissances dans l'architec
ture hydraulique sont vantées dans les mémoires de
ce temps , conservés dans les archives de la vice

royauté. Cet étranger recommandé à Philippe III , par


son ambassadeur à la cour de France , prêcha de nou
veau en faveur du système indien ; il conseilla de con
struire autour de la capitale de grandes digues et des
levées de terre revêtues . Il ne parvint cependant à
faire abandonner entièrement la galerie de Nochis
tongo que l'année 1623. Un nouveau vice-roi , le
marquis de Guelves , ne faisait qu'arriver au Mexique.
Il n'avait par conséquent point encore été témoin des
CHAPITRE VIII. III

inondations causées par les débordemens de la rivière


de Guautitlan ; il eut la témérité d'ordonner à l'ingé
nieur Martinez de boucher le passage souterrain , et
de faire entrer les eaux de Zumpango et de San Chris
tobal dans le lac de Tezcuco , pour voir si en effet le

danger serait aussi grand qu'on le lui avait dépeint. Ce


dernier lac gonfla d'une manière extraordinaire. Les
ordres furent révoqués. Martinez reprit le travail de la
galerie jusqu'au 20 juin * 1629 , où il arriva un évène
ment dont les vraies causes sont restées secrètes.
Les pluies avaient été très abondantes : l'ingénieur
boucha le passage souterrain . La ville de Mexico se
trouva le matin inondée à un mètre de hauteur. La Plaza

Mayor, celle du Volador , et le faubourg de Santiago de


Tlatelolca restèrent seuls à sec. On alla en bateau dans

le reste des rues. Martinez fut jeté au cachot . On pré


tendait qu'il avait fermé la galerie d'écoulement pour
donner aux incrédules une preuve manifeste et négative
de l'utilité de son ouvrage. L'ingénieur déclara au con
traire que , voyant une masse d'eau beaucoup trop con
sidérable pour être reçue dans sa galerie étroite , il avait
mieux aimé exposer la capitale au danger passager
d'une inondation , que de voir détruire dans un jour, par
l'impétuosité des eaux , les travaux de tant d'années.
Mexico , contre toute attente , resta inondé pendant
cinq ans , depuis l'année 1629 jusqu'en 1634 ** . On

* D'après quelques Mémoires manuscrits , le 20 septembre.


** Plusieurs Mémoires marquent que l'inondation ne dura que
jusqu'en 1631 , mais qu'elle recommença vers la fin de l'année 1633.
112 LIVRE III ,

traversa les rues en canots , comme on avait fait avant


la conquête dans l'ancien Tenochtitlan . On construi
sit le long des maisons des ponts en bois qui servirent
de quais aux piétons .
Dans cet intervalle quatre projets différens furent
présentés et discutés par le vice-roi marquis de Ce
ralvo. Un habitant de Valladolid de Mechoacan , Si
mon Mendez , exposa dans un mémoire que le sol du
plateau de Tenochtitlan s'élève considérablement du
côté de nord-ouest , vers Huehuetoca et la colline de
Nochistongo ; que le point où Martinez avait attaqué
la chaîne de montagnes qui ferme circulairement la
vallée , correspond au niveau moyen du lac le plus
élevé ( celui de Zumpango ) et non au niveau du lac le
plus bas , celui de Tezcuco ; qu'au contraire le sol de la
vallée s'abaisse considérablement au nord du village

de Carpio , à l'est des lacs de Zumpango et de San


Christobal. Mendez proposa de dessécher le lac de
Tezcuco par une galerie d'écoulement qui passerait
entre Xaltocan et Santa Lucia , en débouchant dans
le ruisseau ( Arroyo ) de Tequisquiac , qui , comme il
a été observé plus haut , se jette dans le Rio de Mocte
zuma ou de Tula. Mendez commença ce desague projeté
par le point plus bas ; quatre puits d'airage (lumbre
ras ) étaient déjà achevés lorsque le gouvernement ,
irrésolu et vacillant sans cesse , abandonna l'entreprise
comme trop longue et trop coûteuse. D'un autre côté,
Antonio Roman et Juan Alvarez de Tolède proposèrent
en 1630 le desséchement de la vallée par un point in
CHAPITRE VIII. 113

termédiaire , par le lac de San Christobal , en condui


sant les eaux au ravin ( barranca ) de Huiputztla
au nord du village de San Mateo et quatre lieues à
l'ouest de la petite ville de Pachuca . Le vice-roi et
l'Audience firent aussi peu d'attention à ce projet qu'à
celui du maire d'Oculma , Christobal de Padilla , qui
ayant découvert trois cavernes perpendiculaires , ou
trois gouffres naturels ( boquerones ) situés dans l'en
ceinte de la petite ville d'Oculma même , voulut se
servir de ces trous pour épuiser les lacs. La petite ri
vière de Teotihuacan se perd dans ces boquerones . Pa
dilla proposa d'y faire entrer aussi les eaux du lac de
Tezcuco en les conduisant à Oculma , par la métairie

de Tezquititlan .
Cette idée de se servir des cavernes naturelles qu'of
frent les couches d'amygdaloïde poreuse , fit naître un
projet analogue , et non moins gigantesque , dans la
tête du jésuite Francisco Calderon . Ce religieux pré
tendait qu'au fond du lac de Tezcuco , tout près du
Peñol de los Baños , il existait un trou ( sumidero ) qui
élargi pouvait engloutir toutes les eaux. Il cherchait à
appuyer cette assertion sur le témoignage des indigènes
les plus intelligens , et sur celui d'anciennes cartes in
diennes . Le vice-roi chargea les prélats de tous les
ordres religieux ( qui sans doute devaient être les plus
instruits en matières hydrauliques ) de l'examen de ce
projet. Les moines et le jésuite sondèrent en vain pen
dant trois mois , depuis septembre jusqu'en décembre
1635 ; le sumidero ne fut pas trouvé , quoique aujour
II. 8
114 LIVRE III ,

d'hui même encore beaucoup d'Indiens croient à son


existence avec la même opiniâtreté que le Père Calde
ron. Quelle que soit l'opinion géologique que l'on se
forme de l'origine volcanique ou neptunienne des
amygdaloïdes poreuses ( blasiger Mandelstein ) de la
vallée de Mexico , il n'est guère probable que cette
roche problématique puisse présenter des creux assez
considérables pour recevoir les eaux du lac de Tez
cuco , qui même dans des temps de sécheresse doivent

être évaluées à plus de 251,700,000 mètres cubes. Ce


n'est que dans des coupes de gypse secondaire , comme

en Thuringe , qu'on peut hasarder quelquefois de con


duire des masses d'eau peu considérables dans des
cavernes naturelles ( gypschlotten) : on y laisse aboutir
des galeries d'écoulement commencées depuis l'inté
rieur d'une mine de schiste cuivreux , sans s'embar
rasser des chemins ultérieurs que prennent les eaux
qui gènent les travaux métalliques. Mais comment
compter sur l'emploi de ce moyen local , lorsqu'il s'agit
d'un grand travail hydraulique?
Pendant l'inondation de Mexico , qui dura cinq an
nées de suite , la misère du bas-peuple augmenta sin
gulièrement. Le commerce cessa , beaucoup de mai
sons s'écroulèrent , d'autres furent rendues inhabita

bles. Dans ces temps malheureux l'archevêque Fran


cisco Manzo y Zuniga se distingua par sa bienfaisance.
Il sortit journellement en canot pour distribuer du
pain aux pauvres dans les rues inondées . La cour de

Madrid ordonna en 1635 pour la seconde fois , de


CHAPITRE VIII. 115

transférerer la ville dans les plaines entre Tacuba et


Tacubaya , mais le magistrat ( Cabildo) représenta que
la valeur des édifices (fincas ) , qu'en 1607 on avait
portée à 150 millions de livres tournois , et qu'on
proposait d'abandonner , montait déjà à plus de 200
millions. Au milieu de ces malheurs le vice-roi fit
venir à Mexico l'image de la Sainte-Vierge de la Gua

dalupe * . Elle séjourna long-temps dans la ville inon


dée. Mais les eaux ne se retirèrent qu'en 1634 , où ,

par des tremblemens de terre très forts et très fréquens,


Dans les calamités publiques , les habitans de Mexico recourent
aux deux images célèbres de Notre-Dame de la Guadalupe et de celle
des Remedios. La première est regardée comme indigène , ayant ap
paru entre des fleurs dans le mouchoir d'un Indien ; la seconde a été
apportée d'Espagne du temps de la conquête. L'esprit de parti qui
existe entre les Créoles et les Européens ( Gachupines ) donne une
nuance particulière à la dévotion. Le bas-peuple créole et indien voit
à regret que , lors des grandes sécheresses , l'archevêque fasse venir
de préférence à Mexico l'image de la Vierge des Remedios. De là , ce
proverbe qui caractérise si bien la haine mutuelle des castes ; tout ,
même l'eau , doit nous venir d'Europe ( hasta el agua nos debe venir
de la Gachupina ! ) Si , malgré le séjour de la Sainte-Vierge de los
Remedios , la sécheresse continue comme on prétend en avoir eu
quelques exemples assez rares , l'archevêque permet aux Indiens
d'aller chercher l'image de Notre-Dame de la Guadalupe. Cette per
mission répand l'allégresse parmi le peuple mexicain , surtout lorsque
de longues sécheresses finissent ( comme partout ailleurs ) par des
pluies abondantes. J'ai vu des ouvrages de trigonométrie imprimés
à la Nouvelle-Espagne , et dédiés à la Sainte-Vierge de la Guada
lupe. C'est sur la colline de Tepejacac , au pied duquel est construit
son riche sanctuaire , que se trouva jadis le temple de la Cérès mexi
caine , appelée Tonantzin ( notre mère ) , ou Cen-teotl (déesse du maïs) ,
ou Tzin-teotl ( déesse génératrice ).
8.
116 LIVRE III ,

la terre se crevassa dans la vallée , phénomène qui (au


dire des incrédules ) favorisa beaucoup le miracle de
l'image révérée.
Le vice-roi marquis de Ceralvo remit l'ingénieur
Martinez en liberté . Il fit construire la Calzada (digue)
de San Christobal , à-peu-près telle que nous la voyons
aujourd'hui. Des écluses ( compertuas ) , permettent la
communication du lac de San Christobal avec le lac

de Tezcuco , dont le bief est généralement plus bas de


30 à 32 décimètres. Martinez , depuis l'année 1609 ,
avait déjà commencé à convertir une petite partie de
la galerie souterraine de Nochistongo en une percée
à ciel ouvert. Après l'inondation de 1634 on lui or
donna d'abandonner ce travail comme trop long et

trop dispendicux , et d'achever le Desague en élargis


sant son ancienne galerie . Le produit d'une imposition
particulière sur la consommation des denrées (derecho
de Sisas) avait été destiné par le marquis de Salinas ,
pour l'entretien des travaux hydrauliques de Martinez .
Le marquis de Cadereyta augmenta les revenus de la
caisse du Desague , par une nouvelle imposition de
25 piastres sur l'importation de chaque pipe de vin
d'Espagne. Ces droits de Sisa et de boissons subsistent
encore de nos jours , mais une faible partie des deniers
est au profit du Desague. Au commencement du dix
huitième siècle , la cour destina la moitié de l'accise des
vins à l'entretien des grandes fortifications du château
de San Juan d'Ulua. Depuis 1779 la caisse des tra
vaux hydrauliques de la vallée de Mexico ne perçoit
CHAPITRE VIII. 117

même plus que 5 francs des droits payés pour chaque


barril de vin d'Europe , importé à la Vera-Cruz.
Le travail du Desague fut continué avec peu d'é
nergie depuis 1634 jusqu'en 1637 , où le vice-roi mar

quis de Villena ( duc d'Escalona ) , en chargea le Père


Luis Flores , commissaire général de l'ordre de Saint
François . On vante beaucoup l'activité de ce religieux ,
sous l'administration duquel on changea pour la troi
sième fois le système de desséchement. On résolut
définitivement d'abandonner la galerie ( socabon ) ,
d'enlever le cerveau de la voûte , et de faire une im
mense coupure de montagne ( tajo abierto) , dont
l'ancien passage souterrain ne formerait que la rigole.

Les moines de Saint- François surent se conserver la


direction des travaux hydrauliques. Ils y réussirent

d'autant mieux qu'à cette époque * la vice-royauté se


trouva presque consécutivement entre les mains d'un

évêque de la Puebla , Palafox , d'un évêque de Yuca


tan , Torres , d'un comte de Baños , qui finit une car
rière brillante en se faisant carme déchaussé, et d'un

archevêque de Mexico , moine de Saint-Augustin , En


riquez de Ribera . Ennuyé de l'ignorance et de la len
teur monastiques , un homme de loi , le fiscal Martin
de Solis obtint en 1675 , de la cour de Madrid , l'ad
ministration du Desague. Il promit de finir à couper
la chaîne des montagnes en deux mois. Son entreprise
réussit si bien que 80 ans ont à peine suffi pour répa

*
Depuis le 9 juin 1641 jusqu'au 13 décembre 1673.
118 LIVRE III ,

-
rer le mal qu'il a causé en peu de jours . Le fiscal con
seillé par l'ingénieur Francisco Posuelo de Espinosa ,
fit jeter à-la-fois plus de terre dans la rigole que le choc
des eaux ne pouvait en emporter. Le passage fut
bouché. En 1760 on reconnut encore des restes des
éboulemens causés par l'imprudence de Solis . Le vice
roi , comte de Monclova , crut , et avec raison , que la
lenteur des moines de Saint- François était moins nui
sible que l'activité téméraire du jurisconsulte. Le père

Fray Manuel Cabrera fut réintégré en 1687 dans sa


place de sur-intendant ( super-intendente de la Real
obra del Desague de Huehuetoca ) . Il se vengea du

fiscal en publiant un livre qui porte le titre * bizarre :


« Vérités éclaircies ou impostures combattues par les
«< quelles une plume puissante et envenimée a tenté

« de prouver , dans un rapport mal conçu , que l'ou


<
« vrage du Desague a été achevé en 1675. »
Le passage souterrain avait été percé et revêtu de
maçonnerie en très peu d'années. Il fallut deux siècles

pour achever la coupure à ciel ouvert , dans un terrain


meuble , et dans des profils de 80 à 100 mètres de
largeur , sur 40 à 50 de profondeur perpendiculaire .
On négligea le travail dans les années de sécheresse ;
on le reprit avec une énergie extraordinaire pendant
le peu de mois qui suivaient l'époque des grandes

* Verdad aclarada ydesvanecidas imposturas , con que lo ardiente y


envenenado de una pluma poderosa en esta Nueva España , en un dictamen
mal instruido, quisó persuadir averse acabado y perfeccionado el año
de 1675, lafabrica del Real Desague de Mexico.
CHAPITRE VIII. 119

crues ou un débordement de la rivière de Guautitlan .

L'inondation dont fut menacée la capitale en 1747 ,


engagea le comte de Guemes de s'occuper du Desa

gue. Mais nouvelle lenteur jusqu'en 1762 , où après


un hiver très pluvieux il y eut de fortes apparences de
débordement. Il restait encore à l'extrémité boréale

de la percée souterraine de Martinez 2310 vares mexi


caines , ou 1938 mètres qui n'avaient pas été convertis
en tranchée à ciel ouvert ( tajo abierto ). Cette galerie
étant trop étroite , il arrivait fréquemment que les
eaux de la vallée ne pouvaient couler librement vers
le Salto de Tula.
Enfin en 1767 , sous l'administration d'un vice-roi
flamand , le marquis de Croix , le corps des négocians
de Mexico , formant le tribunal du Consulado de la
capitale , se'chargea d'achever le Desague sous la con
dition qu'on lui ferait percevoir les droits de Sisa et
de vins , pour l'indemniser de ses avances. L'ouvrage
avait été évalué par les ingénieurs à 6 millions de
francs. Le Consulado l'exécuta en effet avec une dé
pense de 4 millions , mais aussi au lieu de terminer

la coupe en 5 ans ( comme il avait été stipulé) , et


au lieu de donner à la rigole 8 mètres de largeur ,
le canal ne fut achevé qu'en 1789 , et encore en ne lui
conservant que l'ancienne largeur de la galerie de
Martinez. Depuis cette époque on n'a cessé de per
fectionner ce travail en élargissant le fond de la coupe

et surtout en rendant les pentes plus douces. Il s'en


faut de beaucoup cependant que le canal soit aujour
120 LIVRE III ,

d'hui dans un état tel qu'on n'ait plus à craindre des


éboulemens . Ceux -ci sont d'autant plus dangereux

que les érosions latérales augmentent en raison des


empêchemens qui ralentissent le cours des eaux.
En étudiant dans les archives de Mexico , l'histoire
des travaux hydrauliques de Nochistongo , on recon
naît une irrésolution continuelle de la part des gou

vernans , une fluctuation d'opinions et d'idées qui


augmente le danger au lieu de l'éloigner. On y trouve
des visites faites par le vice-roi , accompagné de l'Au
dience et des chanoines ; des pièces dressées par le
fiscal et d'autres gens de loi ; des juntes ; des con
seils donnés par les moines de S. François ; une acti
vité impétueuse tous les 15 ou 20 ans , chaque fois que
les lacs menacent de déborder ; au contraire , de la
lenteur et une coupable insouciance lorsque le danger

est passé. Vingt-cinq millions de livres tournois furent


dépensés , parce qu'on n'eut jamais le courage de
suivre le même plan , parce qu'on balança pendant
deux siècles entre le système indien des digues , et

celui des canaux d'épuisement , entre le projet d'une


galerie souterraine ( socabon) , et celui d'une coupure
de montagne à ciel ouvert ( tajo abierto ) . On laissa
écrouler la galerie de Martinez , parce qu'on voulut

en percer une plus grande et plus profonde ; on né


gligea d'achever la coupe ( tajo ) de Nochistongo ,

parce qu'on se disputa sur le projet d'un canal de


Tezcuco , qui ne fut jamais exécuté.
Le Desague , dans son état actuel , appartient sans
CHAPITRE VIII. [21

doute aux ouvrages hydrauliques les plus gigantesques


que les hommes aient exécutés. On le regarde avec
une sorte d'admiration , surtout en considérant la na
ture du terrain , l'énorme largeur , la profondeur et la
longueur de la fosse. Si cette fosse était remplie d'eau
à une profondeur de dix mètres , les plus grands vais
seaux de guerre passeraient à travers la rangée de
montagnes qui bordent le plateau de Mexico au nord
est. L'admiration qu'inspire cet ouvrage est cepen
dant mêlée d'idées affligeantes. On se rappelle , à la
vue de la coupe de Nochistongo , combien d'Indiens y
ont péri , soit par l'ignorance des ingénieurs , soit par
l'excès des fatigues auxquelles on les exposait dans des
siècles de barbarie et de cruauté. On examine si , pour
faire sortir d'une vallée fermée de toutes parts , une

masse d'eau peu considérable , il avait été indispen


sable de se servir d'un moyen si lent et si coûteux ? On
regrette que tant de forces réunies n'aient pas été em

ployées pour un but plus grand et plus utile ; par


exemple , pour ouvrir , non un canal , mais une passe
à travers quelque isthme qui entrave la navigation.
Le projet de Henri Martinez était sagement conçu ;
il a été exécuté avec une rapidité étonnante. La na
ture du sol, la forme de la vallée rendaient nécessaire
un percement souterrain. Le problème aurait été ré
solu d'une manière complète et durable , 1º si la galerie
avait été commencée dans un point plus bas , c'est-à
dire qui correspondît au niveau du lac inférieur , et
2º, si cette galerie avait été percée en coupe elliptique,
122 LIVRE III ,

et qu'on l'eût revêtue entièrement d'un mur solide , à


voûte également elliptique. Le passage souterrain exé
cuté par Martinez , n'avait que 15 mètres carrés en

profil , comme nous l'avons observé plus haut . Pour


juger des dimensions qu'il aurait fallu donner à une
galerie d'écoulement , il faudrait connaître exactement
la masse d'eau que charrient la rivière de Guautitlan

et le lac de Zumpango , lors des grandes crues . Je


n'en ai trouvé aucune évaluation dans les mémoires

dressés par Zepeda , Cabrera , Velasquez , et par


M. Castera. Mais , d'après les recherches que j'ai faites
moi-même sur les lieux , dans la partie de la coupure
de montagne ( el corte ó tajo ) , appelée la obra del
consulado , il m'a paru , qu'à l'époque des pluies ordi
naires , les eaux présentent un profil de huit à dix
mètres carrés , et que cette quantité augmente dans
les débordemens extraordinaires de la rivière de

Guautitlan jusqu'à 30 ou 40 mètres * carrés. Les In


diens m'ont assuré que dans ce dernier cas la rigole
qui forme le fond du tajo se remplit tellement que les
ruines de l'ancienne voûte de Martinez restent cachées

sous la surface des eaux. Les ingénieurs eussent- ils


trouvé de grandes difficultés dans l'exécution d'une
galerie elliptique de plus de quatre à cinq mètres de

* L'ingénieur Iniesta avança même que , lors des grandes crues ,


l'eau monte jusqu'à 20 ou 25 mètres de hauteur dans le canal près
de la Boveda Real. Mais Velasquez assure que ces évaluations sont
énormément exagérées ( Declaracion del Maestro Iniesta et Informe
de Velasquez , tous deux manuscrits. )
CHAPITRE VIII. 123

largeur , il aurait sans doute mieux valu soutenir la

voûte par un pilier au centre , ou creuser deux gale


ries à-la-fois , que de faire une tranchée à ciel ouvert .
Ces tranchées ne deviennent avantageuses que lorsque

les collines sont peu élevées , peu larges , et qu'elles


renferment des couches moins sujettes aux éboule
mens. Pour faire passer à travers la montagne de
Nochistongo un volume d'eau qui a communément 8 ,

quelquefois 15 à 20 mètres carrés en profil , on a cru


devoir creuser une fosse dont le profil , sur des dis
tances considérables , est de 1800 à 3000 mètres
carrés !

Dans son état actuel , le canal d'écoulement ( De


sague ) de Huehuetoca a, d'après les mesures de
M. Velasquez : *

Depuis l'écluse de Vertideros jus vares mexic. mètres.


qu'au pont de Huehuetoca . · 4870 ou 4087

Depuis le pont de Huehuetoca jus


qu'à l'écluse de Sainte-Marie 2660 2232

Depuis la Compuerta de Santa Ma


ria jusqu'à l'écluse de Valderas . 1400 1175
De la Compuerta de Valderas à
la Boveda Real . • • 3290 2761
De la Boveda Real aux restes de

l'ancienne galerie souterraine ap


12020 ou 10255

Informe y exposicion de las operaciones hechas para examinar la


posibilidad del Desague general de la Laguna de Mexicoy otros fines á el
conducientes , 1774. ( Mémoire manuscrit , fol. 5. )
124 LIVRE III ,
vares mexic. mètres.

Report. 12220 ou 10255


pelée Techo Baxo. 650 545
De Techo Baxo à la galerie des
vice-rois . 1270 1066

Depuis le Cañon de los Vireyes jus


qu'à la Boca de San Gregorio .. 610 512

De la Boca de San Gregorio à l'é


cluse démolie . . • 1400 1175
De la Presa demolida au pont de
la Cascade • 7950 6671
De la Puente del salto à la Cas
cade même ( Salto del Rio de

Tula ). • 430 361

Longueur du canal depuis Ver


tideros jusqu'au Salto . . 24530 ou 20585
Dans cette longueur de 4 lieues communes il y
en a un quart sur lequel la chaîne des collines de No

chistongo ( à l'est du Cerro de Sincoque ) a été cou


pée à une profondeur extraordinaire . Au point où
l'arrête est la plus élevée , près de l'ancien puits de
Juan Garcia , sur plus de 800 mètres de long , la cou
pure de montagne offre une profondeur perpendicu
laire de 45 à 60 mètres . D'un talus à l'autre vers la
cime, sa largeur est de 85 à 110 mètres * . Dans une
longueur de plus de 3500 mètres la profondeur de la

* Pour se former une idée plus nette de l'énorme largeur de cette


fosse dans la Obra del Consulado , on n'a qu'à se souvenir que la lar
geur de la Seine , à Paris, est , au port d'Orsay, de 102 mètres ; au
CHAPITRE VIII. 125

coupe est de 30 à 50 mètres. La rigole dans laquelle


coule l'eau n'a généralement que 3 à 4 mètres de large,
mais dans une grande partie du Desague , tel qu'on
le voit dans les profils que j'ai ajoutés à la 15º planche
de mon Atlas mexicain , la partie supérieure de la coupe
n'a pas une largeur proportionnée à sa profondeur , de

sorte que les parties latérales , au lieu d'avoir 40 ou


45° d'inclinaison , sont beaucoup trop rapides , et cau
sent des éboulemens continuels. C'est surtout dans la

Obra del Consulado que l'on voit l'énorme accumu


lation des terrains de transport que la nature a dé
posés sur les porphyres basaltiques de la vallée de
Mexico. En descendant l'escalier des Vice- rois , j'ai

compté 25 couches d'argile endurcies , alternantes


avec autant de couches marneuses qui renferment des
boules de calcaire fibreux à surface cellulaire . C'est

aussi en creusant la fosse du desague que l'on a dé


couvert les ossemens d'éléphans fossiles dont j'ai parlé
dans un autre ouvrage.

Des deux côtés de la coupure de la montagne on


voit des collines considérables qui sont formées par
les déblais , et qui commencent peu à peu à se couvrir
de végétaux. L'extraction de ces décombres ayant été
un travail infiniment pénible et lent , on s'est servi ,
dans ces derniers temps , de la méthode déjà employée

Pont-Royal , de 136 mètres ; au pont d'Austerlitz , près le Jardin des


Plantes , 175 mètres.
* Dans le Recueil de mes Observations de Zoologie et d'Anatomie com
parée.
126 LIVRE III ,

par Enrico Martinez . On a élevé le niveau des eaux


par de petites écluses , de sorte que la force du cou
rant a emporté les déblais jetés dans la rigole. Pen
dant ce travail , vingt à trente Indiens ont quelque
fois péri à-la-fois . On les attachait à des cordes , en
les forçant de travailler suspendus pour réunir les dé
combres au milieu du courant ; et souvent il arrivait
que l'impétuosisé de ce dernier les jetait contre des
masses de rochers détachées , et les écrasait.
Nous avons remarqué plus haut que depuis l'année
1623 la branche du canal de Martinez , dirigée vers
le lac de Zumpango , s'était bouchée , et que par là
(pour me servir de l'expression des ingénieurs mexi
cains de nos jours ) le Desague était devenu simple
ment négatif; c'est-à-dire qu'il empêchait la rivière de
Guautitlan de se jeter dans le lac. A l'époque des
grandes crues on éprouva les désavantages qui résul
taient de cet état de choses pour la ville de Mexico .
En débordant , le Rio de Guautitlan versa une partie
de ses eaux dans le bassin de Zumpango ; ce dernier ,
gonflé en outre par les affluens de San Mateo et de
Pachuca , s'unissait au lac de San Christobal. Il aurait
été très dispendieux d'élargir le lit de la rivière de
Guautitlan , de couper ses sinuosités et de rectifier son
cours. Ce remède n'aurait pas même éloigné tout le
danger de l'inondation . Par conséquent on a pris à la
fin du dernier siècle , sous la direction de Don Cosme
de Mier y Trespalacios , surintendant-général du De
sague , la résolution très sage d'ouvrir deux canaux
CHAPITRE VIII. 127

qui conduisent les eaux des lacs de Zumpango et de


San Christobal à la coupure de la montagne de No
chistongo. Le premier de ces canaux a été commencé
en 1796 , le second en 1798. L'un a 8900 , l'autre a
13000 mètres de longueur. Le canal d'épuisement de
San Christobal se réunit à celui de Zumpango au sud
est de Huehuetoca , à 5000 mètres de distance de son
entrée dans le Desague de Martinez . Ces deux ouvrages
ont coûté plus d'un million de livres tournois . Ce
sont des rigoles dans lesquelles le niveau de l'eau est
de huit à douze mètres plus bas que le sol voisin. Ils
ont en petit les mêmes défauts que la grande tranchée
de Nochistongo . Leurs pentes sont beaucoup trop ra
pides ; en plusieurs endroits elles sont presque per
pendiculaires. Aussi les éboulemens des terres meubles
y sont si fréquens que l'entretien de ces deux canaux
de M. Mier coûte annuellement plus de 16 à 20,000
francs. Lorsque les vice-rois font l'inspection ou la
visita du Desague ( voyage de deux jours , qui jadis
leur valait un cadeau de 3000 piastres fortes ) ils s'em
barquent près de leur palais * au bord austral du lac de

San Christobal , et vont en bateau jusqu'au-delà de


Huehuetoca , sur une distance de sept lieues communes.
D'après un mémoire manuscrit de Don Ignacio
Castera , inspecteur actuel ( Maestro mayor ) des ou

* Ce soi-disant Palacio de los Vireyes , dans lequel on jouit d'une


vue magnifique sur le lac de Tezcuco et le volcan Potocatepec , cou
vert de neiges éternelles , ressemble plutôt à une grande maison de
ferme qu'à un palais.
128 LIVRE III ,

vrages hydrauliques dans la vallée de Mexico , le De


sague a coûté , en y comprenant les réparations des
digues ( Albaradones ) depuis l'année 1607 jusqu'en
1789 , la somme de 5,547,670 piastres fortes. Si l'on
ajoute à cette somme énorme 6 à 700,000 piastres dé
pensées dans les quinze années suivantes , on trouve
que l'ensemble de ces travaux , ( la coupure de la mon
tagne de Nochistongo , les digues et les deux canaux
des lacs supérieurs ) ont coûté plus de trente- un mil
lions de livres tournois. Le devis des frais du canal du

Midi , dont la longueur est de 238,648 mètres , n'a été


( malgré la construction de 62 écluses , et du magni
fique réservoir de Saint- Ferréol ) que de 4,897,000 fr.
Mais l'entretien de ce dernier canal a coûté , depuis
l'année 1686 jusqu'en 1791 , la somme de 22,999,000
francs. *

En résumant ce que nous venons d'énoncer sur les


travaux hydrauliques exécutés dans les plaines de
Mexico , nous voyons que la sûreté de la capitale re
pose actuellement : 1 ° sur les digues de pierres qui em
pêchent les eaux de Zumpango de se jeter dans le lac
de San Christobal , et les eaux de ce dernier lac d'en
trer dans le lac de Tezcuco ; 2° sur les digues et les
écluses de Tlahuac et Mexicaltzingo qui s'opposent au
débordement des lacs de Chalco et de Xochimilco ;

3º sur le desague d'Enrico Martinez , par lequel la ri


vière de Guautitlan franchit les montagnes pour pas


Andreossy, Histoire du canal du Midi, p. 289.
CHAPITRE VIII . 129

ser la vallée de Tula ; 4° sur les deux canaux de M. Mier,


par lesquels on peut épuiser à volonté les lacs de Zum
pango et de San Christobal.

Cependant ces moyens multipliés ne garantissent pas


la capitale des inondations qui viennent du nord et du
nord-ouest. Malgré toutes les dépenses qu'on a faites ,
la ville continuera à courir de grands risques aussi
long-temps qu'aucun canal ne sera dirigé immédiate
ment sur le lac de Tezcuco . Les eaux de ce lac peu

vent se gonfler sans que celles de San Christobal rom


pent la digue qui les retient. La grande inondation de

Mexico , sous le règne d'Ahuitzotl , ne fut due qu'à


des pluies fréquentes * , et au débordement des lacs les
plus méridionaux , ceux de Chalco et de Xochimilco.
L'eau monta à cinq ou six mètres de hauteur au- dessus
du niveau du sol dans les rues. En 1763 , et au com

mencement de l'année 1764 , on vit de même la capi


tale dans le plus grand danger . Inondée de toutes
parts , elle forma une île pendant plusieurs mois , sans
qu'une goutte d'eau de la rivière de Guautitlan vînt
se jeter dans le lac de Tezcuco. Ce débordement ne
fut donc causé que par les petits affluens qui viennent
de l'est , de l'ouest et du sud. Partout on vit l'eau sourdre

* Les historiens indiens racontent qu'à cette époque on vit sortir


sur les pentes des montagnes , de l'intérieur de la terre , de grandes
masses d'eau , qui contenaient des poissons qu'on ne trouve que dans
les rivières des régions chaudes (pescados de tierra caliente) , phéno
mène physique difficile à expliquer, à cause de l'élévation du plateau
mexicain.
II. 9
130 LIVRE III ,

de la terre , sans doute par la pression hydrostatique


qu'elle éprouve en s'infiltrant dans les montagnes en
vironnantes. Le 6 septembre de l'année 1772 , il tomba *
dans la vallée de Mexico une averse si abondante et

si subite , qu'elle eut toute l'apparence d'une trombe


( manga de agua ) . Heureusement ce phénomène eut
lieu dans la partie nord et nord-ouest de la vallée. Le
canal de Huehuetoca produisit alors l'effet le plus
bienfaisant , quoiqu'une grande portion de terrain
entre San Christobal , Ecatepec , San Mateo , Santa
Iñès et Guautitlan fût tellement inondée , que beau
d'édifices y tombèrent en ruines. Si cette nuée
coup
eût crevé au-dessus du bassin du lac de Tezcuco , la

capitale aurait été exposée au danger le plus immi


nent . Ces circonstances , et plusieurs autres encore que
nous avons exposées plus haut **,, prouvent suffisam
ment combien il devient indispensable au gouvernement

de s'occuper de l'épuisement des lacs qui sont les plus


proches de la ville de Mexico . Cette nécessité augmente
de jour en jour , parce que les attérissemens rehaus
sent le fond des bassins de Tezcuco et de Chalco .

En effet , pendant mon séjour à Huehuetoca , au


mois de janvier 1804 , le vice-roi Iturrigaray ordonna
la construction du canal de Tezcuco , projeté déjà par
Martinez , et nivelé récemment par Velasquez . Ce canal
dont le devis des dépenses est porté à trois millions de

* Informe de Velasquez (manuscrit) ,fol. 25.


** Pag. 98 et suivantes.
CHAPITRE VIII. 131

livres tournois , commencera à l'extrémité nord-ouest


du lac de Tezcuco dans un point situé depuis la pre
mière écluse de la Calzada de San Christobal , sud 36º
est , à la distance de 4593 mètres. Il passera d'abord
par la grande plaine aride dans laquelle se trouvent
les montagnes isolées de las Cruces de Ecatepec et de
Chiconautla *; puis il se dirigera par la métairie de
Santa Iñès , vers le canal de Huehuetoca. Sa longueur
totale sera , jusqu'à l'écluse de Vertideros , de 37,978
vares mexicaines , ou 31,901 mètres ; mais ce qui ren "

dra l'exécution de ce projet plus dispendieuse , c'est la


nécessité dans laquelle on se trouvera d'approfondir la
rigole de l'ancien desague depuis Vertideros jusqu'au
delà de la Boveda Real ; le premier de ces deux points
étant de 9 078 plus élevé , le second de 9" 181 plus
bas que le niveau moyen des eaux du lac de Tezcuco ** .

* La première de ces cimes a , d'après les mesures géodésiques


de M. Velasquez , 404 ; la seconde 378 vares mexicaines ( 339 et
317 mètres ) de hauteur au-dessus du niveau moyen des eaux de
Tezcuco.

** Pour compléter la description de ce grand ouvrage hydraulique ,


et pour donner en même temps plus d'intérêt à la planche qui présente
le profil de la coupure de montagne , nous consignerons ici les résul
tats principaux du nivellement de M. Velasquez. Ces résultats corri
gés de l'erreur de la réfraction , et par la réduction du niveau appa
rent au niveau vrai , se trouvent assez d'accord avec ceux qu'avaient
obtenus Enrico Martinez et Arias au commencement du dix-sep
tième siècle ; mais ils prouvent la fausseté des nivellemens exécu
tés , en 1764 , par Don Yldefonso Iniesta , d'après lesquels l'épuise
ment du lac de Tezcuco se présenta comme un problème bien plus
difficile à résoudre qu'il ne l'est en effet. Nous désignerons par les
9.
132 LIVRE III,

Leur distance est presque de 10200 mètres. Pour évi


ter d'approfondir le lit du Desague actuel dans une

longueur encore plus considérable , on ne compte don


ner au nouveau canal sur 1000 mètres que o 2 de
chute. En 1607 , le projet de l'ingénieur Martinez fut
rejeté, simplement parce qu'on supposait que les eaux
courantes devaient avoir une chute d'un demi-mètre
sur cent. Alonso de Arias prouva alors par l'autorité

de Vitruve ( L. VIII . c . 7. ) que , pour faire entrer les


eaux du lac de Tezcuco dans le Rio de Tula , il fau

points qui sont plus élevés , par les points qui sont moins élevés
que le niveau moyen des eaux de Tezcuco en 1773 et 1774 , ou le
signal placé près de son bord sud 36° est de la première écluse
de la Calzada de San Christobal à la distance de 5475 vares mexi
caines.
varas. palmos. dedos. granos.
Le fond de la rivière de Guautitlan
près de l'écluse de Vertideros. . + 10. 3. 2. 3.
Le fond du Desague , sous le port
de Huehuetoca. + 8. 0. 2. I.
Id. près de l'écluse de Santa Maria. + 4. 3. 8. 3a
Id. au-dessous de l'écluse de Val
+11

deras . 2. I. II. 2.
Id. sous la Boveda-Real. 10. 3. 9. 3.
Id. sous la Boveda de Techo Baxo. 15. 0. 6. I.
Id. au-dessous de la Boca de San
Gregorio. . ―― 23. 1. II. 2.
ld. au-dessus du Salto del Rio. · go. I. 9. 0.
Id. au-dessous du Salto del Rio. . 107. 2. 9. 0.
Il faut observer que la vare se divise en 4 palmes , 48 doigts et
192 granos , qu'une toise est égale à 3,32258 vares mexicaines , et
une vare mexicaine à 0,839169 mètres , d'après les expériences faites
sur une vare conservée dans la Casa del Cabildo de Mexico , depuis le
temps du roi Philippe II.
CHAPITRE VIII. 133

drait donner au nouveau canal une profondeur pro


digieuse , et que même au pied de la cascade , près de
l'Hacienda del Salto , le niveau de ses eaux serait in
férieur de 200 mètres au bief de la rivière. Martinez

dut céder à l'empire des préjugés et à l'autorité des


anciens ! Nous pensons que s'il est prudent de donner
peu de pente aux canaux de navigation , il est utile
en général d'en donner beaucoup aux canaux de des
séchement. Mais il est des cas particuliers où la na

ture du terrain ne permet pas de réunir dans les ou


vrages hydrauliques tous les avantages que la théorie
a prescrits.
En considérant les dépenses qu'exigeront les exca
vations nécessaires dans le Rio del Desague , depuis

l'écluse de Vertideros ou celle de Valderas jusqu'à la


Boveda Real , on est tenté de croire qu'il serait peut
être plus facile de garantir la capitale des dangers
dont la menace encore le lac de Tezcuco , en revenant
sur le projet que Simon Mendez commença à mettre
en exécution pendant la grande inondation de 1629
à 1634. M. Velasquez a examiné de nouveau ce projet
en 1774. Après avoir nivelé le terrain , ce géomètre

* Depuis mon départ , on avait commencé réaliser le grand


projet du Desague directo , c'est- à-dire un canal qui commence au lac
de Tezcuco , traverse les lacs de San Christobal et de Zumpango, et
porte ses eaux à la tranchée de Huehuetoca , qui doit être creusée
jusqu'au niveau du lac de Tezcuco. Les révolutions politiques n'ont
pas seulement interrompu ce nouveau travail, mais aussi , par man
que d'entretien , elles ont réduit à l'état le plus déplorable les anciens
travaux .
134 LIVRE III ,

assure que 28 puits d'airage , et une galerie souter


raine de 13000 mètres de long , qui conduirait les
eaux de Tezcuco à travers la montagne de Citlal
tepec , vers la rivière de Tequixquiac , s'achèverait et à
moins de frais et plus rapidement que l'élargissement
de la fosse du Desague , l'augmentation de son fond
sur une longueur de plus de 9000 mètres , et un canal
creusé depuis le lac de Tezcuco jusqu'à l'écluse de Ver
tideros , près de Huehuetoca . J'ai assisté aux confé
rences qui , en 1804 , ont précédé la résolution de
faire écouler le dernier lac
lac par l'ancienne coupure de
montagne de Nochistongo. Les avantages et les désa
vantages du projet de Mendez n'ont point été discu
tés dans ces conférences .

Il faut espérer qu'en creusant le nouveau canal de


Tezcuco on s'occupera plus sérieusement du sort des
Indiens qu'on ne l'a fait jusqu'ici , même en traçant ,

en 1796 et 1798 , les rigoles de Zumpango et de San


Christobal. Les indigènes ont la haine la plus pronon

cée contre le Desague de Huehuetoca . Une entreprise


hydraulique est regardée par eux comme une cala
mité publique , non · seulement parce qu'un grand
nombre d'individus ont péri par des accidens funestes ,
dans la coupure de montagne de Martinez , mais sur
tout parce que , forcés au travail , et négligeant leurs
affaires domestiques , ils sont tombés dans la plus
grande indigence pendant qu'on achevait l'épuisement
des lacs . Plusieurs milliers de laboureurs indiens y
ont été presque constamment occupés depuis deux
CHAPITRE VIII. 135

siècles. Le Desague peut être considéré comme une


cause principale de la misère des indigènes dans la

vallée de Mexico . La grande humidité à laquelle ils ont


été exposés dans la fosse de Nochistongo , a causé des
maladies mortelles parmi eux . Il n'y a que peu d'an
nées encore qu'on a eu la cruauté d'attacher les In
diens à des cordes , et de les faire travailler comme des
forçats , quelquefois malades et expirans sur les lieux
même. Par un abus des lois , surtout par un abus des
principes introduits depuis l'organisation des inten
dances , le travail au Desague de Huehuetoca est re
gardé comme une corvée extraordinaire. C'est une
journée de corps que l'on exige de l'Indien , un reste de
mita * que l'on ne s'attendrait pas à trouver dans un

pays où l'exploitation des mines est aujourd'hui un


travail entièrement libre , et où l'indigène jouit de
plus de liberté personnelle que le paysan dans la par
tie nord-est de l'Europe . En fixant l'attention du vice
roi sur ces considérations importantes , j'ai pu m'ap
puyer sur les témoignages nombreux contenus dans
l'Informe de Zepeda. On y lit sur toutes les pages ,
« que le Desague a diminué la population et le bien
« être des Indiens ,. et que l'on n'ose pas mettre tel
«< ou tel projet hydraulique en exécution , parce que

* Voyez tom. 1ºr, Chap. V, page 338. L'Indien est payé au Desague
à raison de deux réaux de plata ou de 25 sols par jour. Au dix-sep
tième siècle , du temps de Martinez , on ne payait aux indigènes que
5 réaux ou 3 francs par semaine , mais en leur donnant en outre une
certaine quantité de maïs pour leur nourriture.
136 LIVRE III ,

« les ingénieurs ne peuvent plus disposer d'un aussi


«< grand nombre d'Indiens que du temps du vice-roi
« Don Luis de Velasco II ». Il est consolant au moins,

d'observer , comme nous avons tâché de le dévelop


per au commencement du quatrième chapitre , que
cette dépopulation progressive n'a eu lieu que dans
la partie centrale de l'ancien Anahuac.
Dans tous les travaux hydrauliques de la vallée de
Mexico , l'eau n'a été regardée que comme un ennemi

contre lequel il faut se défendre , soit par des digues ,


soit par le moyen des canaux d'épuisement . Nous

avons prouvé plus haut ( p . 44 et suiv. ) que ce mode


d'agir , surtout le système européen d'un desséche
ment artificiel , ont détruit le germe de la fertilité dans
une grande partie du plateau de Tenochtitlan. Les ef
florescences de carbonate de soude ( Tequesquite ) ont

augmenté à mesure que l'humidité de l'atmosphère


et la masse des eaux courantes ont diminué. De belles

savanes ont pris peu à peu l'aspect d'un steppe aride.


Dans de grands espaces , le sol de la vallée n'offre

plus qu'une croûte d'argile endurcie ( Tepetate ) dé


nuée de végétaux et crevassée au contact de l'air. Il
eût été bien facile cependant de profiter des avantages
naturels du terrain , en se servant à volonté des mê
mes canaux pour l'écoulement des lacs , pour l'arro
sement des plaines arides , et pour la navigation in
téricure. De grands bassins d'eau , rangés , comme par
étages , les uns au-dessus des autres , facilitent le tracé
des canaux d'irrigation . Au sud-est de Huehuetoca se
CHAPITRE VIII . 137

trouvent trois écluses que l'on appelle los Vertideros ,


et qu'on ouvre chaque fois que l'on veut faire déchar

ger la rivière de Guautitlan dans le lac de Zumpango ,


ou que l'on veut mettre à sec le Rio del Desague ( la

coupure de montagne ) pour en déblayer ou approfon


dir la rigole. La trace de l'ancienne embouchure du
Rio de Guautitlan , celle qui existait en 1607 , s'étant
perdue peu à peu , on a creusé un nouveau canal de

puis Vertideros jusqu'au lac de Zumpango . Au lieu de


faire découler continuellement les eaux depuis ce lac ,

et depuis celui de San Christobal , hors de la vallée vers


l'Océan atlantique , on aurait pu , dans l'intervalle de

dix-huit ou vingt ans , pendant lesquels les crues extra


ordinaires n'ont souvent pas lieu , distribuer les eaux
du Desague au profit de l'agriculture dans les parties
les plus basses de la vallée . On aurait pu construire
des réservoirs d'eau pour l'époque des sécheresses. Mais
on préféra de suivre aveuglément l'ordre émané an
ciennement de Madrid , et qui porte « qu'aucune goutte
« d'eau ne doit entrer du lac de San Christobal dans

«< celui de Tezcuco , à moins que ce ne soit une fois


<
«< par an , lorsqu'en ouvrant les écluses ( las compuer
« tas de la calzada ) on fait la pêche * dans le premier


Cette pêche est pour les habitans de la capitale une des plus
grandes fêtes champêtres. Les Indiens construisent des cabanes sur
les bords du lac de San Christobal , qui est presque mis à sec pendant
la pêche ; cela rappelle la pêche qu'au récit d'Hérodote , les Egyptiens
faisoient deux fois par an au lac Moris , à l'ouverture des écluses
d'irrigation.
138 LIVRE III ,

« de ces bassins . » Le commerce des Indiens de Tez

cuco languit pendant des mois entiers à cause du


manque d'eau dans le lac salé qui les sépare de la ca
pitale ; des terrains arides s'étendent au-dessous du
niveau moyen des eaux du Guautitlan , et de celui des

lacs septentrionaux ; et pourtant depuis des siècles on


n'a pas songé à subvenir aux besoins de l'agriculture
et de la navigation intérieure. Il existait depuis long
temps un petit canal ( Sanja) depuis le lac de Tezcuco
jusqu'au lac de San Christobal. Un sas d'écluse de 4
mètres de chute aurait pu faire remonter les canots
depuis la capitale jusqu'à ce dernier lac. Les canaux de
M. Mier les auraient même conduits jusqu'au village
de Huehuetoca. De cette manière , une communica
tion d'eau se serait établie depuis le bord austral du
lac de Chalco jusqu'à la limite septentrionale de la
vallée , sur une étendue de plus de 80,000 mètres. Des
hommes instruits et animés d'un grand zèle patrio
tique , ont osé élever la voix * en faveur de ces idées.
Mais le gouvernement , en rejetant pendant long-temps
les projets les mieux conçus , n'a voulu reconnaître

dans l'eau des lacs mexicains qu'un élément nuisible


dont il faut débarrasser les environs de la capitale ,
et auquel il ne faut permettre d'autre cours que celui
qui le dirige vers les côtes de l'Océan .
Aujourd'hui que , par ordre du vice-roi Don Josef

·
Par exemple , M. Velasquez , à la fin de son Informe sobre el
Lesegue (manuscrit).
CHAPITRE VIII. 139

de Iturrigarray , le canal de Tezcuco doit être ouvert ,


rien ne s'opposera à la libre navigation à travers la
grande et belle vallée de Tenochtitlan. Le blé et les
autres productions des districts de Tula et Guautitlan
viendront par eau à la capitale. La charge d'un mulet
qui est évaluée à 300 livres pesantes , coûte en frais
de transport , depuis Huehuetoca jusqu'à Mexico , 5
réaux * ou 4 fr. On compte que , lorsque la naviga
tion sera établie , le frêt d'un canot indien de 15000
livres de port ne sera que de 4 ou 5 piastres , de sorte
que le transport de 300 livres ( qui font une carga )
ne coûtera que neuf sous. Mexico aura par exemple la

chaux à 6 ou 7 piastres la charretée ( carretada ) tan


dis qu'aujourd'hui elle en coûte 10 à 12 .
Mais l'effet le plus bienfaisant d'un canal navigable
de Chalco à Huehuetoca , sera celui qu'en éprouvera
le commerce de l'intérieur de la Nouvelle - Espagne ,
qu'on désigne par le nom de comercio de tierra aden

tro , et qui va en ligne droite de la capitale à Du


-
rango , Chihuahua et Santa Fe du Nouveau - Mexi
que. Huehuetoca pourra devenir dorénavant le lieu

d'entrepôt pour ce commerce important dans lequel


on emploie plus de cinquante à soixante mille bêtes
de somme ( recuas ) . Les muletiers ( arrieros ) de la
Nouvelle-Biscaye et de Santa-Fe ne craignent , sur une

* Une piastre forte a huit réaux de Plata , et dans les ouvrages


qui traitent des colonies espagnoles en Amérique , il n'est question
que de pesos fuertes et de reales de Plata (Voyez tome 1º , la note
pag. 441 ).
140 LIVRE III ,

route de 500 lieues , aucune journée autant que celle

de Huehuetoca à Mexico . Les chemins dans la partie


nord-ouest de la vallée où l'amygdaloïde basaltique
est couverte d'une grosse couche d'argile , deviennent
presque impraticables dans la saison des pluies. Beau
coup de mulets y périssent . Les autres ne peuvent se
remettre de leurs fatigues dans les environs de la ca
pitale qui n'offrent , ni les bons pâturages ni les grandes
communes ( exidos ) qu'ils trouveraient en séjournant
à Huehuetoca . Ce n'est qu'après avoir demeuré long
temps dans des pays où tout le commerce se fait par

caravanes , soit de chameaux , soit de mulets , que l'on


peut apprécier l'influence des objets que nous venons
de discuter , sur le bien - être des habitans.
Les lacs situés dans la partie méridionale de la val
lée de Tenochtitlan dégagent de leur surface des mias
mes d'hydrogène sulfurique l'on sent dans les rues de
Mexico , chaque fois que le vent du sud souffle. Aussi
regarde-t- on dans le pays ce vent comme très mal
sain. Les Aztèques , dans leur écriture hiéroglyphique ,
le désignaient jadis par une tête de mort. Le lac de
Xochimilco est en partie rempli de plantes de la famille
des Joncacées et des Cyperoïdes qui végètent à peu de
profondeur , sous une couche d'eau croupissante. On
a proposé * récemment au gouvernement de creuser
en ligne droite un canal navigable de la petite ville de
Chalco à Mexico , canal qui sera d'un tiers plus court

* Informede don Ignacio Castera ( manuscrit) ,fol. 14.


CHAPITRE VIII. 141

que celui qui existe actuellement . On projète en même


temps de dessécher les bassins des lacs de Xochimilco
et de Chalco , et d'en vendre les terres qui , lessivées
depuis des siècles par des eaux douces , sont devenues
très fertiles . Le lac de Chalco ayant à son centre un

peu plus de profondeur que le lac de Tezcuco , son


épuisement ne sera pas complet. L'agriculture et la sa
lubrité de l'air gagneront également à l'exécution de ce
projet de M. Castera ; car l'extrémité australe de la
vallée offre en général le sol le plus propre à la cul
ture. Le carbonate et le muriate de soude y abondent
moins , à cause des filtrations continuelles entretenues
par les filets d'eau qui descendent des hauteurs du
Cerro d'Axusco , du Guarda et des Volcans . Il ne faut
pas oublier cependant que l'épuisement des deux lacs
tendra encore à augmenter la sécheresse de l'atmos
phère dans une vallée où l'hygromètre de Deluc * des
cend souvent à 15º . Ce mal sera inévitable , si on ne

s'occupe pas à lier ces travaux hydrauliques à un sys


tème général , si l'on n'entreprend pas en même temps
de multiplier les canaux d'arrosement , de former des

réservoirs d'eau pour les temps de sécheresse , et de


construire des écluses qui , propres à contre-balancer
les différentes pressions de biefs inégaux , s'ouvrent

* La température de l'air étant à 23º centigrades , les 15° de l'hy


gromètre à baleine de Deluc équivalent à 42º de l'hygromètre à che
veu de Saussure. J'ai discuté les causes de cette sécheresse extrême
dans le Tableau physique des régions équinoxiales , annexé à mon
Essai sur la Géographie des plantes , pag. 98.
142 LIVRE III ,

pour recevoir et pour retenir les crues des rivières . Ces


réservoirs d'eau distribués à des hauteurs convenables

pourraient même servir à nettoyer et à laver périodi


quement les rues de la capitale.
A l'époque d'une civilisation naissante les concep
tions hardies , les projets gigantesques ont quelque
chose de plus séduisant que les idées les plus simples
et les plus faciles à exécuter. Au lieu d'établir un sys
tème de petits canaux pour la navigation intérieure
de la vallée , on s'est égaré , du temps du vice-roi ,
comte de Revillagigedo , dans de vagues spéculations
sur la possibilité d'une communication par eau entre
la capitale et le port de Tampico. En voyant des
cendre les eaux des lacs à travers la montagne de No
chistongo par le Rio de Tula ( appelé aussi Rio de
Moctezuma ) , et par celui de Panuco au golfe du
Mexique , on a conçu l'espoir de pouvoir ouvrir la
même route au commerce de la Vera-Cruz . Des mar
chandises dont la valeur s'élève au-delà de 100 mil

lions de livres tournois , sont transportées annuelle


ment à dos de mulets , depuis la côte opposée à l'Eu
rope , sur le plateau de l'intérieur . Les farines , le cuir
et les richesses métalliques descendent au contraire du
plateau central à la Vera-Cruz . La capitale est l'entrepôt
de ce commerce immense. Le chemin de terre , qu'au
défaut d'un canal on doit construire depuis la côte
jusqu'à Perote , coûtera plusieurs millions de piastres.
L'air du port de Tampico paraît jusqu'ici moins fu
neste aux Européens et aux habitans des régions
CHAPITRE VIII. 143

froides du Mexique , que le climat de la Vera-Cruz . Si


la barre empêche le premier de ces ports de recevoir
des bâtimens qui tirent 45 à 6o décimètres d'eau , il
pourrait , d'ailleurs , être préférable au mouillage dan
gereux qu'offrent les bas-fonds de la Vera-Cruz . Par

la réunion de ces circonstances , une navigation de


puis la capitale jusqu'à Tampico deviendrait desirable ,
quelque grande que fût la dépense qu'exigerait l'exé
cution d'un projet si hardi.
Mais ce n'est point la dépense que l'on peut crain
dre dans un pays dans lequel un simple particulier ,
le comte de la Valenciana , a creusé , dans une seule
mine * , trois puits qui lui ont coûté plus de huit mil
lions et demi de francs . On ne doit pas non plus nier
la possibilité de l'exécution d'un canal depuis la vallée
de Tenochtitlan jusqu'à Tampico. Dans l'état actuel
de l'architecture hydraulique , on peut faire passer des
bateaux sur des chaînes de montagnes élevées , chaque

fois que la nature y présente des points de partage


qui font la communication entre deux récipiens prin
cipaux. Le général Andreossy a indiqué plusieurs de
ces points dans les Vosges , et en d'autres parties de
la France **. M. de Prony a calculé le temps que met

trait un bateau pour passer les Alpes , si , en profi


tant des lacs situés près l'hospice du Mont- Cenis , on
établissait une communication par eau entre Lans-le

* Près de Guanaxuato.
✰✰
Andreossy , sur le canal du Midi , pag. 45 .
144 LIVRE III ,

Bourg et la vallée de Suze. Cet illustre ingénieur a


prouvé par son calcul même combien , en ce cas par
ticulier , le transport de terre était préférable à la len
teur des écluses. Les plans inclinés , inventés par
Reynolds , et perfectionnés par Fulton , les écluses à
plongeur de MM . Huldleston et Betancourt , deux con
ceptions également applicables au système des petits
canaux , ont multiplié avantageusement les moyens
que l'art fournit à la navigation dans les pays mon

tagneux . Mais quelque grande que soit l'épargne


des eaux et du temps à laquelle on puisse parvenir ,
il est de certains maximum de hauteur du point cul
minant , au-delà desquels les canaux ne l'emportent
plus sur l'usage des routes. Les eaux du lac de Tez

cuco à l'est de la capitale de Mexico , sont élevées de


2276 mètres au-dessus des eaux de la mer près du
port de Tampico ! Même en employant des sas ac
collés , il faudrait près de deux cents écluses pour

élever des bateaux jusqu'à une hauteur si énorme. Si ,


dans le canal mexicain , les biefs devaient être distri
bués comme dans le canal du Midi , dont le point de
partage ( à Naurouse ) n'a qu'une élévation perpen
diculaire de 189 mètres , le nombre des écluses mon
terait à 330 ou 340. Je ne connais pas le lit de la
rivière de Moctezuma , au-delà de la vallée de Tula

(l'ancien Tollan); j'ignore quelle est sa chute partielle.


jusqu'aux environs de Zimapan et du Doctor ; je me
rappelle que sans écluses , par les grandes rivières de
l'Amérique méridionale, par des distances de 180 lieues,
CHAPITRE VIII. 145

les pirogues remontent , ou touées ou à la rame , contre


le courant , à des hauteurs de 300 mètres ; mais malgré
cette analogie , et celles qu'offrent les grands travaux
exécutés en Europe , j'ai de la peine à me persuader
qu'un canal de navigation , depuis le plateau d'Anahuac
jusqu'aux côtes de la mer des Antilles , soit un ou
vragehydraulique dont on puisse conseiller l'entreprise!

Les villes remarquables ( Ciudades y villas ) de


l'intendance de Mexico sont les suivantes :

MEXICO , capitale du royaume de la Nouvelle-Espagne.


Hauteur , 2277 mètres , 137,000 .
TEZCUCO , avec des manufactures en coton jadis très
considérables , mais qui ont beaucoup souffert par
la concurrence de celles de Queretaro , 5,000 .
CUYOACAN , avec un couvent de religieuses , fondé par
Hernan Cortez , couvent dans lequel , d'après son
testament , le grand capitaine voulut être enterré ,
(( quelle que fût la partie du monde où il finirait ses

« jours. » Nous avons vu plus haut que cette clause


du testament n'a pas été remplie .

TACUBAYA , à l'ouest de la capitale , avec un palais


de l'archevêque et une belle plantation d'oliviers
d'Europe.

TACUBA , l'ancien Tlacopan , capitale d'un petit


royaume des Tepanèques.
CUERNAVACCA , l'ancien Quauhuahuac , à la pente mé
ridionale de la Cordillère de Guchilaque , sous un

climat tempéré , des plus délicieux et des plus pro


IJ. 10
146 LIVRE III ,

pres à la culture des arbres fruitiers d'Europe. Hau


teur *, 1655 mètres.

CHILPANSINGO ( Chilpantzinco ) , entouré de champs


fertiles en froment. Hauteur , 1080 mètres .
TASCO ( Tlachco ) , avec une belle église paroissiale ,
construite et dotée vers le milieu du dix -huitième

siècle par un Français , Joseph de Laborde , qui


avait gagné en très peu de temps des richesses im
menses par l'exploitation des mines mexicaines. La
seule construction de l'église coûta à ce particu

lier plus de deux millions de francs. Réduit à une


grande pauvreté vers la fin de sa carrière , il obtint
de l'archevêque de Mexico la permission de vendre
à son profit à la métropole de la capitale le magni
fique soleil ( Custodia ) enrichi de diamans , que ,
dans des temps plus heureux , il avait offert par
dévotion au tabernacle de l'église paroissiale de
Tasco. Hauteur de la ville , 783 mètres.
ACAPULCO ( Acapolco ) , adossé à une chaîne de mon

* M. Alzate assure , dans la gazette de Littérature , publiée à


Mexico ( 1760 , 220) , que , dans la Nouvelle-Espagne , la hauteur
absolue des lieux influe très peu sur leur température. Il cite pour
exemple la ville de Cuernavacca qui, selon lui, est à la même hauteur,
au-dessus du niveau de la mer, que la capitale de Mexico , et qui ne
doit son climat délicieux qu'à sa position au sud d'une haute chaîne
de montagnes. Mais M. Alzate s'est trompé de plus de 600 mètres sur
l'élévation de la ville de Cuernavacca! Cortez , qui altère tous les noms
de la langue axtèque , nomme cette ville Coadnabaced, mot dans le
quel il est difficile de reconnaître Quauhuahuac. ( Carta de relacion al
Emperador don Carlos , paragraphe 19 ).
CHAPITRE VIII. 147
tagnes granitiques , qui , par la réverbération du ca
lorique rayonnant , augmente la chaleur étouffante
du climat . On a récemment fini , près de la baie de la
Langosta , la fameuse coupure de montagne (abra de
San Nicolas) , destinée à donner accès aux vents de
mer. La population de cette misérable ville , habitée
presque exclusivement par des gens de couleur , s'é
lève à 9000 , à l'époque de l'arrivée du galion de Ma
nille ( Nao de China ) . Sa population habituelle
n'est que de 4,000 .
ZACATULA , petit port de la mer du Sud, sur les fron
tières de l'intendance de Valladolid , entre les ports

de Siguantanejo et de Colima.
LERMA , à l'entrée de la vallée de Toluca , dans un
terrain marécageux .

TOLUCA ( Tolocan ) , au pied de la montagne porphy


ritique de San Miguel de Tutucuitlalpilco , dans
une vallée abondante en maïs et en maguey (agave).
Hauteur , 2687 mètres .

PACHUCA, avec Tasco l'endroit de mines le plus an


cien du royaume , comme le village voisin Pachu
quillo est censé avoir été le premier village chrétien
fondé par les Espagnols. Hauteur , 2482 mètres.

CADEREITA , avec de belles carrières de porphyre à


base d'argile ( Thonporphyr).
SAN JUAN DEL RIO , entouré de jardins qui sont ornés
de vignes et d'anona . Hauteur , 1978 mètres.
QUERETARO , célèbre à cause de la beauté de ses édifi

ces , de son aqueduc et de ses manufactures de draps .


10.
148 LIVRE UJI ,

Hauteur, 1940 mètr. Population habituelle, 35,000 .


La ville renferme 1 1,600 Indiens , 85 ecclésiasti
ques séculiers , 181 moines , et 143 religieuses. La
consommation de Queretaro monta , en 1793 , à

13618 cargas de farine de froment , 69445 fane


gas de maïs , 656 cargas de chile ( capsicum ) ,
1770 barils d'eau-de-vie , 1682 bœufs et vaches ,
14,949 moutons , 8869 cochons. *

Les mines les plus importantes de cette intendance ,


en ne les considérant que sous le rapport de leur
richesse actuelle , sont :
La Veta Biscaina de Real del Monte , près de Pachuca ;

Zimapan , el Doctor, et Tehulilotepec , près de Tasco .

II. INTENDANCE DE PUEBLA.

POPULATION ( EN 1803 ) 813,300 ,

ÉTENDUE DE LA SURFACE EN LIEUES CARRÉES , 2,696.

HABITANS PAR LIEUE CARRÉE , 301 .

Cette intendance , qui n'est baignée par les eaux du


grand Océan que sur une côte de 26 lieues de long ,
s'étend depuis les 16°57′ jusqu'aux 20°40′de latitude
boréale. Elle est par conséquent entièrement située
sous la zone torride , confinant au nord-est à l'inten

dance de la Vera-Cruz , à l'est à celle d'Oaxaca , au sud


à l'Océan , et à l'ouest à l'intendance de Mexico . Sa

* Noticia del Doctor don Juan Ignacio Briones ( manuscrit ).


CHAPITRE VIII . 149

plus grande longueur depuis l'embouchure de la petite


rivière de Tecoyame jusque vers Mextitlan , est de
118 lieues , sa plus grande largeur depuis Techuacan
jusqu'à Mecameca , est de 50 .
La majeure partie de l'intendance de Puebla est
traversée par les hautes Cordillères d'Anahuac. Au
delà du dix -huitième degré de latitude tout le pays

offre un plateau éminemment fertile en froment , en


maïs , en agave et en arbres fruitiers ; plateau qui a
dix-huit cents à deux mille mètres de hauteur au
dessus du niveau de l'Océan . C'est dans cette inten

dance aussi que se trouve la montagne la plus élevée


de toute la Nouvelle- Espagne , le Popocatepetl . Ce
volcan , que j'ai mesuré le premier , est constamment
enflammé ; mais depuis plusieurs siècles on ne voit
sortir de son cratère que de la fumée et des cendres .
Il est de 600 mètres plus élevé que toutes les hautes
cimes de l'ancien continent. Depuis l'isthme de Pa
nama jusqu'au détroit de Behring qui sépare l'Asie de
l'Afrique , nous ne connaissons qu'une seule hauteur ,
celle
le mont St.-Elie , qui soit plus considérable que
du grand volcan de la Puebla.

La population de cette intendance est encore plus


inégalement distribuée que celle de l'intendance de
Mexico. Elle se trouve concentrée sur le plateau qui
se prolonge depuis la pente orientale des Nevados *

* Les mots Nevado et Sierra Nevada désignent en espagnol , non


des montagnes qui , de temps en temps , se couvrent de neige en été ,
mais des cimes qui entrent dans la région des neiges éternelles. Je
150 LIVRE III ,

jusqu'aux environs de Perote , surtout dans les hautes


et belles plaines entre Cholula , la Puebla et Tlascala .
Presque tout le pays qui s'étend depuis le plateau
central vers San Luis et Ygualapa , près des côtes de
la Mer du sud , est désert , quoique très propre à la
culture du sucre , du coton et des autres productions
les plus précieuses des tropiques.
1
Le plateau de la Puebla offre des vestiges remar
quables de la plus ancienne civilisation mexicaine.
Les fortifications de Tlaxcallan sont d'une construc

tion postérieure à celle de la grande pyramide de Cho


lula , monument curieux dont je donnerai le dessin et
la description détaillée dans la Relation historique de
mes voyages dans l'intérieur du Nouveau-Continent .
Il suffit d'énoncer ici que cette pyramide , sur la cime
de laquelle j'ai fait un grand nombre d'observations
astronomiques , consiste en quatre assises ; qu'elle n'a ,
dans son état actuel , que 54 mètres d'élévation per
pendiculaire , mais 439 mètres de largeur horizontale
à sa base; que ses côtés sont très exactement orientés ,
d'après la direction des méridiens et des parallèles , et
qu'elle est construite ( à en juger d'après le percement
fait , il y a peu d'années , du côté du nord) , de couches

préfère ce mot étranger , à la longueur des phrases ou à l'expression


impropre de montagnes neigeuses , employée quelquefois par les
académiciens envoyés au Pérou. D'ailleurs , le mot de Nevado , lors
qu'il se trouve joint au nom d'une montagne , donne une idée du
minimum de hauteur que l'on doit attribuer à sa cime. ( Voyez
le Recueil de mes observations astronomiques , vol. I , pag. 134. )
CHAPITRE VIII. 151

de briques qui alternent avec des couches d'argile. Ces


données suffisent pour reconnaître dans la construc
tion de cet édifice , le même type qu'offre la forme
des pyramides de Teotihuacan , dont nous avons parlé
plus haut. Elles suffisent pour prouver la grande ana
logie * qui existe entre ces monumens en briques éle
vés par les plus anciens habitans d'Anahuac , le temple
de Bélus à Babylone , et les pyramides de Menschich
Dashour , près de Sakhara en Egypte.
La plate-forme de la pyramide tronquée de Cho
lula a une surface de 4200 mètres carrés . Au milieu
d'elle s'élève une église dédiée à Notre-Dame de los
Remedios , qui est entourée de cyprès , et dans laquelle
la messe est célébrée tous les matins par un ecclésias
tique de race indienne , dont le séjour habituel est la
cime de ce monument. C'est de cette plate -forme que

l'on jouit d'une vue délicieuse et imposante sur le


volcan de la Puebla , sur le pic d'Orizaba , et sur la
petite Cordillère de Matlacueye ** , qui sépara jadis le
territoire des Cholulains de celui des républicains
Tlaxcaltèques.
La pyramide ou le Teocalli de Cholula a exacte
ment la même hauteur que le Tonatiuh Itzaqual de


Zoega de obeliscis , p. 38o. Voyages de Pococke ( édition de Neufchá
tel), 1752 , tom. I , p . 156 et 167. Voyage de Denon , éd. in-4º , p. 86 ,
194 et 237. Grobert, Description des Pyramides , p. 6 et 12.
** Appelée aussi la Sierra Malinche ou Doña Maria. Malinche paraît
dériver de Malintzin , mot qui ( j'ignore pourquoi ) désigne aujour
d'hui le nom de la Sainte Vierge.
152 LIVRE III ,

Teotihuacan , que nous avons décrit plus haut ( page


66 ) ; elle est de trois mètres plus élevée que le My
cerinus , ou la troisième des grandes pyramides égyp

tiennes du groupe de Ghizé. Quant à la longueur


apparente de sa base , elle excède celle de tous les édi
fices de ce genre que des voyageurs aient trouvés dans
l'ancien continent . Cette base est presque double de
celle de la grande pyramide connue sous le nom de
Cheops . Ceux qui , par la comparaison à des objets.
plus connus , veulent se former une idée nette de la
masse considérable de ce monument mexicain , s'ima
gineront un carré quatre fois plus grand que la place
Vendôme , couvert d'un monceau de briques qui s'élève
à la double hauteur du Louvre ! Peut -être tout l'in

térieur de la pyramide de Cholula n'est pas de briques ;


peut-être celles-ci , comme l'a déjà soupçonné un an
tiquaire célèbre , M. Zoega , à Rome , ne forment- elles
que le revêtement d'un amas de cailloux et de ciment ,
à l'instar de plusieurs pyramides de Sakhara , visitées
par Pococke , et récemment encore par M. Grobert * .
Le chemin de Puebla à Mecameca , creusé à travers
une partie de la première assise du Teocalli , est ce
pendant contraire à cette supposition.
Nous ignorons l'ancienne hauteur de ce monument
extraordinaire. Dans son état actuel la longueur de sa

base ** est à sa hauteur perpendiculaire comme 8 à 1 ,

* Voyez la note E à la fin de cet ouvrage.


** Je consiguerai ici les véritables dimensions des trois grandes py
-1
CHAPITRE VIII. 153

tandis que dans les trois grandes pyramides de Ghizé


cette proportion se trouve comme I et à 1 , à-peu
près comme 8 à 5. Nous avons fait remarquer plus haut

ramides de Ghizé , d'après l'intéressant ouvrage de M. Grobert. Je


placerai , à côté , les dimensions des monumens pyramidaux en
briques de Sakhara en Egypte , et de Teotihuacan , et de Cholula au
Mexique. Les nombres sont des pieds de roi.

PYRAMIDES EN PIERRES. PYRAMIDES EN BRIQUES.

A 5 ASSISES , A 4 ASSISES,
CEPHREN. EN ÉGYPTE , AU MEXIQUE ,
CHEOPS. MYCERINUS.
près
DE SAKHARA. Teotihuacan Cholula.

Hauteur. 448 P. 398 p. 162 p. 150 p. 171 p. 172 p.


Long. de 280 210 645 1355
la base.. 728 655

Il est curieux d'observer , 1º que les peuples d'Anahuac ont eu


l'intention de donner à la pyramide de Cholula la même hauteur
et la double base du Tonatiuh Itzaqual ; et 2 ° que la plus grande de
toutes les pyramides égyptiennes , celle d'Asychis , dont la base a
800 pieds de longueur , n'est pas en pierre , mais en briques. ( Grobert
p. 6. ) La cathédrale de Strasbourg est de huit pieds , la croix de
Saint-Pierre à Rome est de quarante-un pieds plus basse que le Cheops.
Il existe au Mexique des pyramides à plusieurs étages , dans les forêts
de Papantla, à une petite élévation au-dessus du niveau de l'Océan, sur
les plateaux de Cholula et de Teotihuacan , à des hauteurs qui surpas
sent celles de nos passages des Alpes. Nous voyons avec étonnement
que dans les régions les plus éloignées les unes des autres , sous les
climats les plus différens , l'homme suive le même type dans ses
constructions , dans ses ornemens , dans ses habitudes , et jusque
dans la forme de ses institutions politiques.
154 LIVRE III ,

que les maisons du soleil et de la lune , ou les monu


mens pyramidaux de Teotihuacan au nord-est de
Mexico , sont entourés d'un système de petites py
ramides , symétriquement rangées. M. Grobert a pu
blié un dessin très curieux de la disposition égale
ment régulière des petites pyramides qui environnent
le Cheops et le Mycerinus à Ghizé. Le Teocalli de
Cholula , si toutefois il est permis de le comparer à

ces grands monumens de l'Egypte , paraît avoir été


construit sur un plan analogue. On découvre encore
du côté occidental , vis-à-vis du Cerros de Tecaxete
et de Zapoteca , deux masses parfaitement prismati
ques. L'une de ces masses porte aujourd'hui le nom
d'Alcosac ou d'Istenenetl , l'autre celui du Cerro de
la Cruz. La dernière , construite en pisé , n'est élevée
que de 15 mètres .
L'intendance de la Puebla offre aussi à la curiosité

du voyageur un des plus anciens monumens de la


végétation. Le fameux Ahahuete * ou cyprès du vil
lage d'Atlixco , a 23 , 3, ou 73 pieds de circonférence :
mesuré intérieurement ( car son tronc est creux ) , on

lui trouve 15 pieds de diamètre. Ce cyprès d'Atlixco


a par conséquent , à quelques pieds près , la même
✰✰
grosseur que le Baobab ( Adansonia digitata ) du
Sénégal .

* Cupressus disticha. Lin.


**Voyez sur l'antiquité des espèces végétales, mon Mémoire sur la
Physionomie des plantes , dans mes Tableaux de la Nature , tom. II ,
pag. 108 et 137.
CHAPITRE VIII. 155

Le district de l'ancienne république de Tlaxcalla


habité par des Indiens jaloux de leurs priviléges , et
très enclins aux dissensions civiles , a formé depuis
long-temps un gouvernement particulier . Je l'ai indi

qué dans ma carte générale de la Nouvelle-Espagne ,


comme appartenant encore à l'intendance de la Puebla ;
mais, par un changement récent dans l'administration

financière , Tlaxcalla et Guautla de las Hamilpas , ont


été réunis à l'intendance de Mexico , tandis que Tlapa

et Ygualapa en ont été séparés.


On comptait en 1793 , dans l'intendance de la
Puebla , sans y comprendre les quatre districts de
Tlaxcalla , de Guautla , d'Ygualapa et de Tlapa :
Indiens · · 187,531 ȧmes.
Indiennes · 186,221
mâles · 25,617
Espagnols ou Blancs
femelles · 29,393
mâles • · 37,318
De race mixte • •
femelles 40,590
Ecclésiastiques séculiers 585
Moines · 446
Religieuses 427

Résultat du dénombrement total 508,028 âmes .

distribués en 6 villes , 133 paroisses , 607 villages ,


425 fermes ( Haciendas ) 886 maisons isolées ( ran
chos), et 33 couvents dont deux tiers de moines.
Le gouvernement de Tlaxcalla contenait , en 1793 ,
une population de 59,177 âmes , parmi lesquels on
156 LIVRE III ,

désignait 21,849 Indiens et 21,029 Indiennes , distri


bués en 22 paroisses , 110 villages , et 139 fermes.
Les priviléges vantés des citoyens de Tlaxcallan se
réduisent aux trois points suivans : 1 ° la ville est
gouvernée par un cacique , quatre Alcaldes indiens

qui représentent les anciens chefs des quatre quartiers


appelés encore aujourd'hui Tecpectipac , Ocotelolco ,
Quiahutztlan et Tizatlan . Ces alcaldes dépendent d'un
gouverneur indien qui lui-même est sujet à l'inten
dant espagnol 2º les blancs ne peuvent pas siéger
dans la municipalité de Tlaxcalla , en vertu d'une cé
dule royale du 16 avril 1585 ; et 3° le cacique ou
gouverneur indien , jouit des honneurs d'un Alferez
real.
Le district de Cholula renfermait , en 1793 , une

population de 22,423 âmes ; on y comptait 42 vil


lages et 45 fermes . Cholula , Tlaxcalla et Huetxocingo
sont les trois républiques qui résistèrent pendant des
siècles à l'empire mexicain , quoique la malheureuse
aristocratie de leur constitution eût laissé à peine plus
de liberté au bas peuple qu'il n'en aurait eu sous le
régime féodal des rois aztèques.
Les progrès de l'industrie nationale et du bien -être
des habitans de cette province ont été très lents , mal
gré le zèle actif d'un intendant aussi éclairé que res
pectable , don Manuel de Flon , qui vient d'hériter du
titre de comte de la Cadena. Le commerce des farines ,
l'énorme
jadis très florissant , a souffert beaucoup par
cherté du transport depuis le plateau mexicain jusqu'à
CHAPITRE VIII . 157

la Havane , surtout par le manque de bêtes de somme.


Le commerce que la ville de la Puebla fit jusqu'en 1710
avec le Pérou , en chapeaux et en fayence , a cessé en
tièrement. Mais le plus grand mal qui s'oppose à la
prospérité publique , consiste en ce que les quatre
cinquièmes de toutes les propriétés (fincas ) appar
tiennent à des gens de main-morte , c'est-à -dire à des
communautés de moines , aux chapitres , aux confré
ries et aux hôpitaux.
L'intendance de Puebla a des salines assez consi

dérables près de Chila , Xicotlan , et Ocotlan ( dans


le district de Chiautla ) , comme aussi près de Zapotit
lan. Le beau marbre , connu sous le nom de marbre
de Puebla , et préférable à celui de Bizarou , Real del
Doctor , s'exploite dans les carrières de Totamehuacan
et de Tecali , à deux et à sept lieues de la capitale de
l'intendance. Le carbonate de chaux de Tecali est

transparent , comme l'albâtre gypseux de Volterra et


le phengite des anciens.
Les indigènes de cette province parlent trois lan
gues tout-à-fait différentes , le mexicain , le totonaque
et le tlapanèque. La première langue est propre aux
habitans de Puebla , de Cholula et de Tlaxcalla , la
seconde à ceux de Zacatlan ; la troisième s'est con
servée dans les environs de Tlapa.

Les villes les plus remarquables de l'intendance de


Puebla , sont :
158 LIVRE III,

LA PUEBLA DE LOS ANGELES , capitale de l'intendance ,


plus peuplée que Lima , Quito , Santa Fe et Carac

cas : après Mexico , Guanaxuato et la Havane , c'est


la ville la plus considérable dans les colonies es
pagnoles du Nouveau-Continent. La Puebla appar
tient au très petit nombre de villes américaines qui
ont été fondées par les colons européens ; car dans
la plaine d'Acaxete ou de Cuitlaxcoapan , au site
où se trouve aujourd'hui la capitale de la province ,
il n'y avait, au commencement du seizième siècle ,
que quelques cabanes habitées par des Indiens de
Cholula. Le privilége de la ville de la Puebla est
du 28 septembre 1531. En 1802 , la consomma
tion des habitans montait : en farine de froment,

à 52,951 cargas ( chacune de 300 livres pesant ) ;


en maïs à 36,000 cargas . Hauteur du sol à la Plaza

Mayor, 2196 mètres. Population , 67,800.


TLAXCALLA est tellement déchu de son ancienne gran

deur , qu'on n'y compte plus que 3400 habitans ,


parmi lesquels il n'y a d'Indiens de race pure que
900. Cependant Hernan Cortez y trouva une po
pulation qui lui parut plus considérable que celle
de Grenade : 3,400 .
CHOLULA , appelé Churultecal par Cortez *, environ

* Ce grand Conquistador, avec la simplicité de style qui caractérise


ses écrits , trace un tableau curieux de l'ancienne ville de Cholula.
" Les habitans de cette ville, dit-il dans'sa troisième lettre à l'empereur
« Charles-Quint , sont mieux vêtus que ceux que nous avons vus jus
« qu'ici. Les gens aisés portent des manteaux ( albornoces ) au-dessus
CHAPITRE VIII. 159

née de belles plantations d'agave . Population ,


16,000.
ATLIXCO , justement célèbre par la beauté de son
climat , la grande fertilité de ses champs et l'abon
dance des fruits savoureux , surtout de l'anona

cherimolia , Lin. (chilimoya) et de plusieurs passi
flores (parchas ) que produisent les environs.
TEHUACAN DE LAS GRANADAS , l'ancien Teohuacan de

la Mizteca , un des sanctuaires les plus visités par


les Mexicains avant l'arrivée des Espagnols.
TEPEACA OU Tepeyacac , appartenant au marquisat de
Cortez. C'est la ville appelée au commencement de
la conquête , Segura de la Frontera ( Cartas de
Hernan Cortez , p . 155) . Dans le district de Tepeaca ,

" de leurs habits. Ces manteaux diffèrent de ceux d'Afrique ; car ils
" ont des poches , quoique la coupe , le tissu et les franges soient les
« mêmes. Les environs de la ville sont très fertiles et bien cultivés.
« Presque tous les champs peuvent être arrosés , et la ville est plus
a belle que toutes celles d'Espagne ; car elle est bien fortifiée et bâtie
« sur un sol très uni. Je puis assurer à Votre Altesse que , du haut
a d'une mosquée ( mezquita , c'est le mot par lequel Cortez désigne les
« Teocalli ) , je comptai quatre cents et tant de tours , et toutes sont
" des mosquées. Le nombre des habitans est si considérable , qu'il
<« n'y a pas un pouce de terre qui ne soit cultivé ; et cependant , en
« plusieurs endroits , les Indiens éprouvent les effets de la famine ; et
il y a beaucoup de gens pauvres qui demandent l'aumône aux riches
dans les rues , dans les maisons et au marché , comme font les men
" dians en Espagne et en d'autres pays civilisés ( Cartas de Cortez,
" p. 69. ) » Il est assez curieux d'observer que le général espagnol
regarde la mendicité dans les rues comme un signe de civilisation. Il
dit : « Gente que piden como hay en España y en otras partes que hay
• gente de razon, »
160 LIVRE III,

se trouve le joli village indien appelé aujourd'hui

Huacachula ( l'ancien Quauhquechollan ) , situé dans


une vallée riche en arbres fruitiers.

HUAJOCINGO OU Huexotzinco , jadis le chef-lieu d'une


petite république de ce nom , ennemie de celles de
Tlascala et de Cholula.

Quelque dépeuplée que soit l'intendance de la Pue

bla , sa population relative * est cependant quatre fois


plus grande que celle du royaume de Suède , et à-peu

près égale à celle du royaume d'Aragon.


L'industrie des habitans de cette province est peu

dirigée vers l'exploitation des mines d'or et d'argent ;


celles d'Yxtacmaztitlan , de Temeztla et d'Alatlauquite
pec dans le Partido de San Juan de los Llanos , celles
de la Cañada près de Tetela de Xonotla , et celles de
San Miguel Tenango près de Zacatlan , sont presque
abandonnées ou du moins faiblement travaillées.

III . INTENDANCE DE GUANAXUATO.

POPULATION ( EN 1803 ) 517,300.

ÉTENDUE DE LA SURFACE EN LIEUES CARRÉES , 911 .

HABITANS PAR LIEUE CARRÉE , 586.

Cette province , entièrement située sur le dos de la


haute Cordillère d'Anahuac , est la plus peuplée de la

* Voyez plus haut, pag. 20.


CHAPITRE VIII. 161

Nouvelle-Espagne ; c'est celle aussi dans laquelle la


population est le plus également distribuée . Sa lon
gueur , depuis le lac de Chapala jusqu'au nord-est de
San Felipe , est de 52 lieues ; sa largeur depuis la Villa
de Leon jusqu'à Celaya , est de 31 lieues. Son étendue
territoriale est presque la même que celle du royaume
de Murcie ; sa population relative excède celle du
royaume des Asturies. Elle est même plus forte que la

population relative des départemens des Hautes-Alpes ,


-
des Basses Alpes , des Pyrénées - Orientales et des
Landes. Le point le plus élevé de ce pays montagneux
paraît être la montagne de los Llanitos , dans la Sierra
de Santa Rosa . J'ai trouvé sa hauteur au-dessus du

niveau de la mer , de 2815 mètres .


La culture de cette belle province , partie de l'ancien
royaume de Mechoacan , est presque entièrement due
aux Européens qui , au seizième siècle , y ont porté le
premier germe de la civilisation . C'est dans ces régions
septentrionales , sur les bords du Rio de Lerma , ap
pelé jadis Tololotlan , que furent combattus les peu
ples nomades et chasseurs que les historiens désignent
par la dénomination vague de Chichimèques , et qui
appartenaient aux tribus des Indiens Pames , Capuces ,
Samues , Mayolias , Guamanes et Guachichiles. A me
sure que le pays fut abandonné par ces nations vaga
bondes et guerrières , les conquérans espagnols y trans
plantèrent des colonies d'Indiens mexicains ou aztèques .
Pendant long-temps les progrès de l'agriculture y furent
plus considérables que ceux de l'exploitation des mines.
II. II
162 LIVRE III,

Ces mines , peu célèbres au commencement de la con


quête, furent presque abandonnées pendant le dix -sep
tième et le dix-huitième siècle. Elles ne se sont élevées
par leurs richesses , au- dessus des mines de Pachuca ,
de Zacatecas et de Bolaños , que depuis trente à qua
rante ans. Leur produit métallique , comme nous le
développerons plus bas , est aujourd'hui plus grand que
n'a jamais été le produit du Potosi , ou celui d'aucune
autre mine dans les deux continens.

On compte dans l'intendance de Guanaxuato , 3


ciudades , ( savoir : Guanaxuato , Celaya et Salvatierra ),
4 villas , ( savoir : San Miguel el Grande , Leon , San
Felipe et Salamanca ) ; 37 villages , ou pueblos , 33
paroisses (paroquias ) , 448 fermes ou haciendas , 225
individus du clergé séculier , 170 moines , 30 religieu
ses , et sur une population de plus de 180,000 Indiens ,
52,000 tributaires.

Les villes les plus remarquables de cette intendance


sont les suivantes :

GUANAXUATO , ou Santa-Fe de Goanajoato. La con


struction de celle ville fut commencée par les Es
pagnols en 1554. Elle reçut le privilège royal de
villa en 1619 ; celui de ciudad , le 8 décembre 1741 .
Sa population actuelle est :
dans l'enceinte de la ville ( en el casco de la ciu
· 41,000
dad) .
dans les mines qui environnent la ville ,
et dont les édifices y sont contigus ,
à Marfil , Santa - Ana , Santa - Rosa,
CHAPITRE VIII. 163

Valenciana , Rayas et Mellado . 29,600


parmi lesquels il y a 4500 Indiens. Hauteur de la
ville à la Plaza Mayor , 2084 mètres. Hauteur de
Valenciana au bord du puits nouveau ( tiro nuevo ) ,
2313 mètres. Hauteur de Rayas à la bouche de la
galerie , 2157 mètres .

SALAMANCA , jolie petite ville , située dans une plaine


qui s'élève insensiblement par Temascatio , Burras
et Cuevas , vers Guanaxuato. Hauteur , 1757 mètres.
CELAYA. On a récemment élevé des édifices somptueux

à Celaya , à Queretaro et à Guanaxuato. L'église


des Carmes à Celaya est d'une belle ordonnance ,
ornée de colonnes d'ordre corinthien et ionique. Hau
teur , 1835 mètres.

VILLA DE LEON , dans une plaine éminemment fertile


en blé. C'est depuis cette ville jusqu'à San Juan del
Rio que l'on trouve les plus belles cultures en fro

ment, en orge , et en maïs .


SAN MIGUEL EL GRANDE , célèbre par l'industrie de
ses habitans qui fabriquent des toiles de coton.
On trouve dans cette province les eaux chaudes de
San Jose de Comangillas , qui sortent d'une brèche
basaltique , et dont la température ( selon mes expé
riences faites conjointement avec M. Roxas ) , est de
96º , 3 du thermomètre centigrade.

II.
164 LIVRE III,

IV. INTENDANCE DE VALLADOLID.

POPULATION ( EN 1803 ) 376,400 .

ÉTENDUE DE LA SURFACE EN LIEues carrées . 3,446 .

HABITANS PAR LIEUE CARRÉE. 109.

Cette intendance , du temps de la conquête des

Espagnols , faisait partie du royaume de Michuacan


( Mechoacan), qui s'étendait depuis le Rio de Zacatula
jusqu'au port de la Navidad , et depuis les montagnes
de Xala et de Colima jusqu'à la rivière de Lerma et
au lac de Chapala . La capitale de ce royaume de Mi
chuacan qui , de tout temps ( comme les républiques
de Tlaxcallan , Huexocingo et Chollollan ) fut indépen
dant de l'empire mexicain , était Tzintontzan , ville si
tuée sur les bords d'un lac infiniment pittoresque ,

appelé lac de Patzquaro . Tzintzontzan , que les Aztè


ques , habitans de Tenochtitlan , nommèrent Huitzitzila ,
n'est aujourd'hui qu'un pauvre village indien , quoi
qu'il ait conservé le titre fastueux de cité ( ciudad ) .
L'intendance de Valladolid , que dans le pays on

appelle vulgairement celle de Michuacan , est limi


tée au nord par le Rio de Lerma qui , plus à l'est ,

prend le nom de Rio Grande de Santiago . Elle touche


à l'est et au nord- est à l'intendance de Mexico ; au

nord , à celle de Guanaxuato ; à l'ouest , à celle de


CHAPITRE VIII. 165

Guadalaxara . La plus grande longueur de la province


de Valladolid est de 78 lieues , depuis le port de Za

catula jusqu'aux montagnes basaltiques de Palangeo ;


par conséquent dans la direction du sud-sud-est au
nord-nord-est. Elle est baignée par les eaux de la mer

du Sud sur une étendue de côtes de plus de 38 lieues.


Située sur la pente occidentale de la Cordillère
d'Anahuac , entrecoupée de collines et de vallées char
mantes , offrant à l'oeil du voyageur un aspect peu
commun sous la zone torride , celui de prairies éten
dues et arrosées de ruisseaux , la province de Vallado
lid jouit en général d'un climat doux , tempéré et
extrêmement favorable à la santé des habitans . Ce

n'est qu'en descendant le plateau d'Ario , en appro


chant de la côte , que l'on trouve des terrains dans
lesquels les nouveaux colons et souvent même les in
digènes sont exposés au fléau des fièvres intermittentes
et putrides .
La cime de montagne la plus élevée de l'intendance
de Valladolid , est le pic de Tancitaro , à l'est de Tus
pan. Je n'ai pas pu le voir d'assez près pour en faire

une mesure exacte ; mais il est certain qu'il est plus


haut que le volcan de Colima , et qu'il se couvre plus
souvent de neige . A l'est du pic de Tancitaro , s'est

formé , dans la nuit du 29 septembre 1759 , le vol


can de Jorullo ( Xorullo ou Juruyo ) , dont nous avons
parlé plus haut * , et dans le cratère duquel nous som

* Tom. Ier, chap. III, pag. 284, et Géographie desplantes, pag. 130. Les
166 LIVRE III ,

mes parvenus , M. Bonpland et moi , le 19 septembre


de l'année 1803. La grande catastrophe dans laquelle
cette montagne est sortie de terre , et par laquelle un
terrain d'une étendue considérable a totalement changé

de face , est peut-être une des révolutions physiques


les plus extraordinaires que nous présentent les anna
les de l'histoire de notre planète * . La géologie désigne
les parages de l'Océan où , à des époques récentes ,

depuis deux mille ans , près des Açores , dans la mer


Egée , et au sud de l'Islande , des îlots volcaniques se
sont élevés au-dessus de la surface des eaux. Mais

elle ne nous offre aucun exemple où , dans l'intérieur


d'un continent , à 36 lieues de distance des côtes , à
plus de 42 lieues d'éloignement de tout autre volcan
actif, il se soit formé soudainement , au centre d'un
millier de petits cônes enflammés , une montagne de

hauteurs que j'indique aujourd'hui se fondent sur la formule baro


métrique de M. Laplace. Elles sont le résultat du dernier travail de
M. Oltmanns ; elles diffèrent quelquefois de 20 à 30 mètres de celles
que j'ai consignées dans la Géographie des plantes , rédigée peu
de mois après mon retour en Europe , à une époque où il étoit
impossible de donner à un si grand nombre de calculs toute la pré
cision dont ils sont susceptibles. (Voyez la note écrite au mois de
nivose de l'an 13 , à la fin de la Géographie des plantes , p. 147.)
* Strabon rapporte ( éd. Alm., tom. I , p. 102 ) que , dans les plaines
voisines de Methone , au bord du golfe d'Hermione , une explosion
volcanique fit naître une montagnes de scories ( un monte novo ) , au
quel il attribue la hauteur énorme de sept stades ; ce qui , dans la sup
position des stades olympiques ( Voyage de Néarque , par M. Vincent ,
p. 56 ) , feroit 1249 mètres ! Quelque exagérée que soit cette assertion ,
le fait géologique mérite sans doute de fixer l'attention des voyageurs.
CHAPITRE VIII. 167
scories et de cendres , haute de 517 mètres , en ne la
comparant qu'au niveau ancien des plaines voisines.
Ce phénomène remarquable a été chanté en hexa
mètres latins , par un père jésuite , Raphaël Landivar ,

natif de Guatimala . L'abbé Clavigero en a fait men
tion dans l'histoire ancienne de sa patrie ; et cepen

dant il est resté inconnu aux minéralogistes et aux

physiciens de l'Europe , quoiqu'il n'ait encore que


cinquante années de date , et qu'il ait eu lieu à six jour
nées de distance de la capitale de Mexico , en descen
dant du plateau central vers les côtes de la mer du
Sud !

Une vaste plaine se prolonge depuis les collines


d'Aguasarco jusque vers les villages de Teipa et Petat
lan , également célèbres par leurs belles cultures de
coton. Entre les Picachos del Mortero , les Cerros de
las Cuevas et de Cuiche, cette plaine n'a que 750 à
800 mètres de hauteur au-dessus du niveau de l'Océan.

Des cônes basaltiques s'élèvent au milieu d'un terrain


dans lequel domine le porphyre à base du grünstein.
Leurs cimes sont couronnées de chênes toujours verts ,
à feuillage de lauriers et d'oliviers , entremêlés parmi
de petits palmiers à feuilles flabelliformes . Cette belle
végétation contraste singulièrement avec l'aridité de la

plaine , qui a été dévastée par l'effet du feu volcanique.


Jusqu'au milieu du dix-huitième siècle , des champs

Storia antica di Messico , vol. I , pag. 42 , et Rusticatio Mexicana


(poème du P. Landivar, dont la seconde édition a paru à Bologne A
en 1782 ) , pag. 17.
168 LIVRE III ,

cultivés en canne à sucre et en indigo s'étendaient


entre deux ruisseaux appelés Cuitimba et San Pedro,
Ils étaient bordés par des montagnes basaltiques , dont
la structure semble indiquer que tout ce pays , à une

époque très reculée , avait déjà été bouleversé plusieurs


fois par des volcans. Ces champs arrosés avec art
appartenaient à l'habitation ( Hacienda ) de San Pedro
de Jorullo , une des plus grandes et des plus riches
du pays. Au mois de juin de l'année 1759 un bruit.

souterrain s'y fit entendre. Des mugissemens épouvan


tables ( bramidos ) furent accompagnés de fréquens
tremblemens de terre. Ils se succédèrent pendant cin
quante à soixante jours , et plongèrent les habitans de
l'Hacienda dans la plus grande consternation . Depuis
le commencement du mois de septembre tout semblait
annoncer une tranquillité parfaite , lorsque dans la
nuit du 28 au 29 un horrible fracas souterrain se
manifesta de nouveau. Les Indiens épouvantés se sau
vèrent sur les montagnes d'Aguasarco . Un terrain de
trois à quatre milles carrés , que l'on désigne par le
nom du Malpays , se souleva en forme de vessie. On
distingue encore aujourd'hui dans des couches fractu
rées les limites de ce soulèvement. Le Malpays , vers
ses bords , n'a que 12 mètres de hauteur au-dessus du

niveau ancien de la plaine , appelée las playas de Jo


rullo. Mais la convexité du terrain soulevé augmente

progressivement vers le centre jusqu'à 160 mètres


d'élévation .

Ceux qui de la cime d'Aguasarco ont été témoins


CHAPITRE VIII. 169

de cette grande catastrophe , assurent que l'on vit


sortir des flammes sur une étendue de plus d'une de
mi-lieue carrée , que des fragmens de roches incan
descens furent lancés à des hauteurs prodigieuses , et

qu'à travers une nuée épaisse de cendres , éclairée par


le feu volcanique , semblable à la mer agitée , on crut
voir se gonfler la croûte ramollie de la terre. Dès-lors
les rivières de Cuitimba et de San Pedro se précipi
tèrent dans les crevasses enflammées . La décomposi
tion de l'eau contribuait à ranimer les flammes ; on

les distingua à la ville de Pazcuaro , quoique située


sur un plateau très large , et élevée de 1400 mètres au
dessus des plaines de las playas de Jorullo . Des érup
tions boueuses , surtout des couches d'argile qui enve
loppent des boules de basalte décomposées , à couches
concentriques , semblent indiquer que des eaux sou
terraines ont joué un rôle très important dans cette
révolution extraordinaire. Des milliers de petits cônes
qui n'ont que deux à trois mètres de hauteur , et que
les indigènes appellent des fours (hornitos) sortirent de
la voûte soulevée du Malpays. Quoique depuis quinze
ans , d'après le témoignage des Indiens , la chaleur de

ces fours volcaniques ait beaucoup diminué, j'y ai encore


vu monter le thermomètre à 95° en le plongeant dans des
crevasses qui exhalent une vapeur aqueuse. Chaque
petit cône est une fumarole de laquelle s'élève une
fumée épaisse jusqu'à dix ou quinze mètres de hauteur.
Dans plusieurs on entend un bruit souterrain qui
paraît annoncer la proximité d'un fluide en ébullition.
170 LIVRE III ,

Au milieu des fours , sur une crevasse qui se dirige


du nord-nord- est au sud-sud-est , sont sorties de terre

six grandes buttes toutes élevées de quatre à cinq cents


mètres au-dessus de l'ancien niveau des plaines . C'est
le phénomène du Monte Novo de Naples , répété plu
sieurs fois dans une rangée de collines volcaniques.
La plus élevée de ces buttes énormes qui rappellent
les puys de l'Auvergne, est le grand volcan de Jorullo.

Il est constamment enflammé , et il a vomi , du côté


du nord , une immense quantité de laves scorifiées et
basaltiques qui renferment des fragmens de roches pri
mitives. Ces grandes éruptions du volcan central ont
continué jusqu'au mois de février 1760. Dans les an
nées suivantes , elles sont devenues progressivement
plus rares. Les Indiens épouvantés du fracas horrible
causé par le nouveau volcan , avaient d'abord aban

donné les villages situés à sept ou huit lieues de dis


tance des playas de Jorullo . Ils s'accoutumèrent en
peu de mois à ce spectacle effrayant ; retournés dans
leurs chaumières , ils descendirent vers les montagnes

d'Aguasarco et de Santa Iñes pour admirer les gerbes


de feu lancées par une infinité de grandes et de petites
bouches volcaniques. Les cendres alors couvraient les
toits des maisons de Queretato à plus de 48 lieues de
distance en ligne droite du lieu de l'explosion. Quoi
que le feu souterrain paraisse peu actif* en ce mo

* Nous trouvâmes dans le fond du cratère l'air à 47°, en quelques


endroits à 58 et 60°. Nous eûmes à passer sur des crevasses qui exha
laient des vapeurs sulfureuses , dans lesquelles le thermomètre mon
CHAPITRE VIII. 171

ment , et que le Malpays et le grand volcan commen


cent à se couvrir de végétaux , nous trouvâmes pourtant
l'air ambiant tellement échauffé par l'action des petits

fours (hornitos ) que très éloigné du sol , et à l'ombre ,


le thermomètre monta à 43°. Ce fait paraît prouver

qu'il n'y a pas d'exagération dans le témoignage de


quelques vieux Indiens qui rapportent que plusieurs
années après la première éruption , même à de grandes
distances du terrain soulevé , les plaines de Jorullo
étaient inhabitables à cause de l'excessive chaleur qui
y régnait.
On montre encore au voyageur , auprès du Cerro
de Santa Iñes , les rivières de Cuitimba et de San
Pedro , dont les eaux limpides arrosaient jadis la
canne à sucre cultivée dans l'habitation de Don André

Pimentel. Ces sources se sont perdues dans la nuit du

tait à 85°. Le passage de ces crevasses et les amas de scories qui cou
vrent des creux considérables , rendent la descente dans le cratère
assez dangereuse. Je réserve le détail de mes recherches géologiques
sur le volcan de Jorullo , pour la relation historique de mon voyage.
L'atlas qui accompagnera cette relation contiendra trois planches :
1º la vue pittoresque du nouveau volcan , qui est trois fois plus élevé
que le Monte Novo de Pouzzole , sorti de terre en 1538 , presque sur
les bords de la Méditerranée ; 2º la Coupe verticale ou le Profil du
Malpays et de toute la partie soulevée ; 3° la Carte géographique des
plaines de Jorullo , dressée au moyen du sextant , et en employant la
méthode des bases perpendiculaires et des angles de hauteur. Les
productions volcaniques de ce terrain bouleversé se trouvent dans le
cabinet de l'Ecole des mines à Berlin. Les plantes cueillies dans les
environs font partie des herbiers que j'ai déposés au Muséum d'his
toire naturelle à Paris.
172 LIVRE III ,

29 septembre 1759 ; mais plus à l'ouest à une dis


tance de 2000 mètres , dans le terrain soulevé même ,
on voit aujourd'hui deux rivières qui brisent la voûte
argileuse des hornitos , et se présentent comme des
eaux thermales dans lesquelles le thermomètre monte
à 52 ° , 7. Les Indiens leur ont conservé les noms de San
Pedro et de Cuitimba , parce que dans plusieurs par

ties du Malpays on croit entendre couler de grandes


masses d'eau dans la direction de l'est à l'ouest , de
puis les montagnes de Santa Iñes vers l'Hacienda de

la Presentacion . Près de cette habitation il y a un


ruisseau qui dégage de l'hydrogène sulfureux. Il a
plus de sept mètres de large , et c'est la source hydro
sulfureuse la plus abondante que j'aie jamais observée.
Selon l'opinion des indigènes , ces changemens
extraordinaires que nous venons de décrire , cette
croûte de la terre soulevée et crevassée par le feu vol
canique , ces montagnes de scories et de cendres amon

celées , sont l'ouvrage des moines , le plus grand sans


doute qu'ils aient produit dans les deux hémisphères !
Aux Playas de Jorullo , dans la chaumière que nous
habitions , notre hôte indien nous raconta qu'en 1759,
des capucins en mission prêchèrent à l'habitation de
San Pedro , mais que , n'ayant pas trouvé un accueil
favorable ( ayant diné peut-être moins bien qu'ils ne
s'y attendaient ) , ils chargèrent cette plaine alors si
belle et si fertile , des imprécations les plus horribles
et les plus compliquées ; ils prophétisèrent que d'abord

l'habitation serait engloutie par des flammes qui sor


CHAPITRE VIII. 173

tiraient de terre , et que plus tard l'air ambiant se


refroidirait à tel point que les montagnes voisines
resteraient éternellement A couvertes de neige et de
glace. La première de ces malédictions ayant eu des
suites si funestes , le bas-peuple indien voit déjà , dans
le refroidissement progressif du volcan , le présage
sinistre d'un hiver perpétuel . J'ai cru devoir citer
cette tradition vulgaire, digne de figurer dans le poème
épique du jésuite Landivar, parce qu'elle ajoute un
trait assez piquant au tableau des mœurs et des pré
jugés de ces pays éloignés. Elle prouve l'industrie ac
tive d'une classe d'hommes , qui , abusant trop sou
vent de la crédulité du peuple , et feignant de sus
pendre par leur influence les lois immuables de la
nature , savent profiter de tout pour fonder leur em
pire par la crainte des maux physiques.
La position du nouveau volcan de Jorullo donne
lieu à une observation géologique très curieuse . Nous
avons déjà remarqué plus haut , dans le troisième
chapitre , qu'il existe à la Nouvelle- Espagne un pa
rallèle des grandes élévations , ou une zone étroite
contenue entre les 18 ° 59′, et les 19° 12′ de latitude ,
dans laquelle sont situées toutes les cimes d'Anahuac

qui s'élèvent au-dessus de la région des neiges perpé


tuelles. Ces cimes sont ou des volcans encore actuelle

ment enflammés , ou des montagnes qui par la forme


ainsi que la nature de leurs roches rendent infiniment

probable qu'elles ont recélé jadis un feu souterrain.


En partant des côtes de la mer des Antilles , nous
LIVRE III ,
174

trouvons de l'est à l'ouest le pic d'Orizaba , les deux


volcans de la Puebla , le Nevado de Toluca , le pic de
Tancitaro et le volcan de Colima. Ces grandes hau
teurs , au lieu de former la crête de la Cordillère d'Ana

huac , et de suivre sa direction , qui est du sud-est au


nord-ouest , sont , au contraire , placées sur une ligne
qui est perpendiculaire à l'axe de la grande chaîne de
montagnes. Il est sans doute très digne d'être observé
que , l'année 1759 , le nouveau volcan de Jorullo se
soit formé dans le prolongement de cette ligne , sur ce
même parallèle des anciens volcans mexicains !
Un coup -d'œil jeté sur mon plan des environs de
Jorullo prouve que les six grandes buttes sont sorties
de terre sur un filon qui traverse la plaine depuis le
Cerro de las Cuevas au Picacho del Mortero : les bocche •
nove du Vésuve se trouvent aussi rangées sur le pro

longement d'une crevasse. Ces analogies ne nous don


nent-elles pas le droit de supposer qu'il existe dans
cette partie du Mexique , à une grande profondeur
dans l'intérieur de la terre , une crevasse dirigée de

l'est à l'ouest sur une longueur de 137 lieues , et à tra


vers laquelle , en rompant la croûte extérieure des
roches porphyritiques , le feu volcanique s'est fait jour,
à différentes époques , depuis les côtes du golfe du
Mexique jusqu'à la mer du Sud ? Cette crevasse se
prolongerait-elle jusqu'au petit groupe d'îles appelé
par M. Collnet l'Archipel de Revillagigedo , et autour
desquels , sur le même parallèle des volcans mexi
cains , on a vu nager de la pierre-ponce ? Des natu
CHAPITRE VIII. 175
ralistes qui distinguent les faits qu'offre la géologie
descriptive , des rêveries théoriques sur l'état primitif
de notre planète , nous pardonneront d'avoir consigné
ces observations sur la carte générale de la Nouvelle
Espagne contenue dans l'Atlas mexicain . D'ailleurs
depuis le lac de Cuiseo , qui est chargé de muriate de
soude , et qui exhale de l'hydrogène sulfuré , jusqu'à
la ville de Valladolid , sur une étendue de terrain de
40 lieues carrées , il y a une grande quantité de
sources chaudes qui ne contiennent généralement que
de l'acide muriatique sans vestiges de sulfates terreux
ou de sels métalliques . Telles sont les eaux thermales
de Chucandiro , de Cuinche , de San Sebastian et de
San Juan Tararamco.
L'étendue de l'intendance de Valladolid est d'un
cinquième plus petite que celle de l'Irlande ; mais sa

population relative est deux fois plus grande que celle


de la Finlande. On compte dans cette province 3 ciu
dades (Valladolid , Tzintzontzan et Pazcuaro) ; 3 villas
( Citaquaro , Zamora et Charo), 263 villages , 205 pa
roisses et 326 métairies . Le dénombrement imparfait
de 1793 donna une population totale de 289,314 âmes ,
parmi lesquelles se trouvèrent 40,399 blancs mâles "
39,081 blancs femelles , 61,352 Indiens , 58,016 In
diennes , 154 religieux , 138 religieuses et 293 indivi

dus du clergé séculier .


Les Indiens qui habitent la province de Valladolid
forment trois peuples d'une origine différente , les
Tarasques , célèbres au seizième siècle par la douceur
" 176 LIVRE III ,

de leurs mœurs , par leur industrie dans les arts mé


caniques et par l'harmonie de leur langue riche en
voyelles ; les Otomites , tribu encore aujourd'hui très
arriérée dans la civilisation , et parlant une langue
pleine d'aspirations nasales et gutturales ; les Chichi
mèques qui , comme les Tlascaltèques , les Nahuat
laques et les Aztèques , ont conservé la langue mexi
caine. Toute la partie méridionale de l'intendance de
Valladolid est habitée par des Indiens. On n'y ren
contre dans les villages d'autre figure blanche que celle
du curé , qui souvent aussi est Indien ou mulâtre.
Les bénéfices y sont si pauvres que l'évêque de Me
choacan a la plus grande difficulté de trouver des ec
clésiastiques qui veuillent se fixer dans un pays où
l'on n'entend presque jamais parler l'espagnol , et
où le long de la côte du grand Océan , les curés at
teints par les miasmes contagieux des fièvres malignes ,

périssent souvent après un séjour de sept ou huit mois.


La population de l'intendance de Valladolid a di
minué dans les années de disette de 1786 et 1790 .
Elle aurait bien plus souffert encore , si l'évêque res

pectable dont nous avons parlé au sixième chapitre ,


n'avait fait des sacrifices extraordinaires pour soulager

les Indiens ; il perdit volontairement en peu de mois


la somme de 230,000 francs , en achetant 50,000 fa
nègues de maïs , qu'il revendit à vil prix pour contenir
l'avarice sordide de plusieurs riches propriétaires qui ,
à l'époque des calamités publiques , cherchaient à pro
fiter de la misère du peuple.
CHAPITRE VIII. 177

Les endroits les plus remarquables de la province


de Valladolid sont les suivans :

VALLADOLID de Michoacan , capitale de l'intendance ,


siège d'un évêque , jouissant d'un climat délicieux .
Sa hauteur au-dessus du niveau de la mer est de

1950™ ;, et cependant à cette hauteur si peu considé


rable , et sous les 19°42′ de latitude , on a vu tomber
de la neige dans les rues de Valladolid. Cet exemple
d'un refroidissement * subit de l'atmosphère , causé
sans doute par un vent du nord , est bien plus frap
pant que la neige tombée dans les rues de Mexico ,
la veille de l'enlèvement des pères jésuites ! Le nouvel
aqueduc par lequel la ville reçoit l'eau potable , a été
construit aux frais du dernier évêque , Fray Antonio
de San Miguel ; il lui a coûté près d'un demi
million de francs . Population : 18,000 habitans .
PASCUARO , sur les bords du lac pittoresque de ce
nom , vis-à-vis du village indien de Janicho , situé
à une petite lieue de distance sur un îlot charmant
au milieu du lac. C'est à Pascuaro que reposent les
cendres d'un homme très remarquable , et dont la
mémoire depuis deux siècles et demi est vénérée
par les Indiens , du fameux Vasco de Quiroga ,
premier évêque de Michoacan , mort en 1556 au
village d'Uruapa. Ce prélat zélé , que les indigènes
appellent encore aujourd'hui leur père ( Tata don

* Voyez plus haut , tom. Ier, p. 281 , et ma Géographie des Plantes,


p. 133.
II. 12
178 LIVRE III ,

Vasco), a eu plus de succès en protégeant les


malheureux habitans du Mexique , que le vertueux
évêque de Chiapa , Bartholomée de las Casas. Qui
roga devint surtout le bienfaiteur des Indiens Ta
rasques , dont il encouragea l'industrie. Il prescri
vit à chaque village indien une branche de com
merce particulière. Ces institutions utiles se sont
conservées en grande partie jusqu'à nos jours. Hau
teur de Pascuaro , 2200 mètres. Population : 6,000.

Tzintzontzan , ou Huitzitzilla , l'ancienne capitale


du royaume de Michoacan , dont nous avons parlé

plus haut. Population : 2,500.


L'intendance de Valladolid contient les mines de
Zitaquaro , d'Angangueo , de Tlapuxahua , du Real
del Oro et d'Ynguaran .

V. INTENDANCE DE GUADALAXARA .

POPULATION ( EN 1803 ) 630,500.

ÉTENDUE de la surface en lieues carrées , 9,612 .

HABITANS PAR LIEUE CARRÉE , 66.

Cette province , partie du royaume de Nueva-Gali


cia , a presque deux fois plus d'étendue que le Por
tugal , avec une population qui est cinq fois plus
petite. Elle confine au nord aux intendances de So
nora et de Durango , à l'est à celles de Zacatecas et de
Guanaxuato , au sud à la province de Valladolid ,
CHAPITRE VIII. 179

et à l'ouest , sur une longueur de côte de 123 lieues ,


à l'Océan Pacifique. Sa plus grande largeur est de
100 lieues depuis le port de San-Blas jusqu'à la ville
de Lagos ; sa plus grande longueur est , du sud au nord,
depuis le volcan de Colima jusqu'à San Andrès Teul ,
de 118 lieues.
L'intendance de Guadalaxara est traversée de l'est

à l'ouest par le Rio de Santiago , rivière considé


rable qui communique avec le lac de Chapala , et
qui , un jour ( lorsque la civilisation aura augmenté
dans ces pays ) , pourra devenir intéressante pour la
navigation intérieure , depuis Salamanca et Zelaya jus
qu'au port de San Blas.
Toute la partie orientale de cette province occupe
le plateau et la pente occidentale des Cordillères
d'Anahuac. Les régions maritimes , surtout celles qui
s'étendent du côté de la grande baie de Bayonne , sont
couvertes de forêts , et fournissent de superbes bois de
construction . Mais les habitans y sont exposés à un air
malsain et excessivement chaud. L'intérieur du pays
jouit d'un climat tempéré et favorable à la santé.
Le volcan de Colima , dont la position n'a point
encore été déterminée par des observations astrono
miques , est le plus occidental des volcans de la Nou
velle-Espagne , qui sont placés sur une même ligne ,
dans la direction d'un parallèle. Il jette souvent des
cendres et de la fumée. Un ecclésiastique éclairé qui ,
long-temps avant mon arrivée au Mexique , y avait
fait plusieurs mesures barométriques très exactes, Don
12 .
180 LIVRE III ,

Manuel Abad, grand-vicaire de l'évêché de Michoa


can , évalue l'élévation du volcan de Colima au-dessus
du niveau de l'Océan , à 2800 mètres. « Cette mon
<< tagne isolée , observe M. Abad , ne paraît que d'une

<«< hauteur médiocre , en comparant sa cime au sol


« de Zapotilti et Zapotlan , deux villages élevés de
« 2000 vares au- dessus des côtes . C'est depuis la pe
« tite ville de Colima que le volcan se présente dans
<< toute sa grandeur. Il ne se couvre de neige que
lorsque , par l'effet des vents du nord , il en tombe
<< dans la chaîne des montagnes voisines. Le 8 dé
«<< cembre 1788 , le volcan fut couvert de neige presque
« à deux tiers de sa hauteur * ; mais cette neige ne se
« conserva pendant deux mois que sur la pente sep
<< tentrionale de la montagne , du côté de Zapotlan.
« Au commencement de l'année 1791 , j'ai fait le tour
<< du volcan par Sayula , Tuspan et Colima , sans qu'il
«
«<< y eût la moindre trace de neige à sa cime. »

D'après un mémoire manuscrit communiqué au tri


bunal du Consulado de Vera-Cruz par l'intendant de
Guadalaxara , la valeur des produits de l'agriculture de
cette intendance monta en 1802 à 2,599,000 piastres

(près de 13 millions de francs ) parmi lesquels on


comptait 1,657,000 fanegas de maïs , 43,000 cargas

* Supposons que la neige ne couvrît le volcan qu'à la moitié de sa


hauteur. Or il tombe quelquefois de la neige dans la partie occiden
tale de la Nouvelle-Espagne , sous la latitude de 18 à 20 degrés , à
1600 mètres d'élévation. Ces considérations météorologiques donne
roient à-peu-près 3200 mètres, pour la hauteur du volcan de Colima.
CHAPITRE VIII. 181

de froment , 17,000 tercios de coton (le tercio à 5 piast . )


et 20,000 livres de cochenille d'Autlan ( à 3 francs la
livre). La valeur de l'industrie manufacturière fut

évaluée à 3,302,200 piastres , ou à 16 millions et demi
de francs .

La province de Guadalaxara a 2 ciudades, 6 villas et


322 villages. Les mines les plus célèbres sont celles de •
Bolaños , d'Asientos de Ibarra , d'Hostotipaquillo , de

Copala et de Guichichila près de Tepic.

Les villes les plus remarquables sont :

GUADALAXARA , sur la rive gauche du Rio de Santiago,


résidence de l'intendant , de l'évêque et de la haute
cour de justice ( Audiencia ). Population : 19,500.
SAN BLAS , port , résidence du Departemento de Ma
rina , à l'embouchure du Rio de Santiago . Les em
ployés ( Officiales reales ) sont à Tepic , petite ville
dont le climat est moins ardent et plus salubre. On
a depuis dix ans agité la question s'il serait utile de
transporter les chantiers , les magasins et tout le dé
partement de la marine , de San Blas à Acapulco .
Ce dernier port manque de bois de construction .
L'air y est sans doute aussi malsain qu'à San Blas ,
mais le changement projeté , en favorisant la con
centration des forces navales , faciliterait au gou
vernement et la connaissance des besoins de la ma

rine , et les moyens d'y subvenir.


COMPOSTELA , au sud de Tepic. C'est au nord- ouest
182 LIVRE III ,

de Compostela , comme dans les partidos d'Autlan ,


Ahuxcatlan et Acaponeta , que l'on cultivait jadis
un tabac d'une qualité supérieure.
AGUAS CALIENTES , au sud des mines de los Asientos
de Ibarra , petite ville très peuplée.
VILLA DE LA PURIFICACION , au nord-ouest du port du
Guatlan , appelé jadis Santiago de Buena Esperanza,
et célèbre par le voyage de découvertes fait en 1532
par Diego Hurtado de Mendoza.

LAGOS , au nord de la ville de Léon , sur un plateau


fertile en froment , sur les frontières de l'intendance
de Guanaxuato.
COLIMA , à deux lieues au sud du volcan de Colima.

VI. INTENDANCE DE ZACATECAS.

POPULATION ( EN 1803 ) 153,300 .


ÉTENDUE DE LA SURFACE EN LIEUES CARRÉES , 2355.

HABITANS PAR LIEUE CARRÉE , 65.

Cette province singulièrement dépeuplée , occupe


un terrain montagneux , aride , exposé à une intem
périe continuelle de l'air. Ses limites sont au nord l'in
tendance de Durango , à l'est celle de San Luis Po
tosi , au sud la province de Guanaxuato , et à l'ouest
celle de Guadalaxara . Sa plus grande longueur est de

85 lieues , sa plus grande largeur, depuis Sombrerete


jusqu'au Real de Ramos , est de 51 lieues.
L'intendance de Zacatecas a à-peu-près la même
CHAPITRE VIII. 183

étendue que la Suisse , à laquelle elle ressemble sous

plusieurs rapports géologiques. La population rela


tive est à peine aussi grande que celle de la Suède.
Le plateau qui forme le centre de l'intendance de
Zacatecas , et qui s'élève à plus de 2000 mètres de
hauteur, est formé de siénite , roche sur laquelle ,
d'après les belles observations de M. Valencia*, re
posent des couches de schiste primitif et de chlorite
schisteuse (chlorith-schiefer). Le schiste forme la base
des montagnes de grauwacke et de porphyre trappéen.
Au nord de la ville de Zacatecas se trouvent neuf

petits lacs abondans en muriate et surtout en carbo


nate de soude **. Ce carbonate que , de l'ancien mot
mexicain tequixquilit , on désigne par le nom de
tequesquite , est d'un grand emploi dans la fonte des
muriates et des sulfures d'argent . Un avocat de Zaca
tecas , M. Garcès , a récemment fixé l'attention de ses
compatriotes sur le tequesquite qui se trouve aussi à
Zacualco , entre Valladolid et Guadalaxara , dans la
vallée de San Francisco , près de San Luis Potosi , à
Acusquilco près des mines de Bolaños, au Chorro près
de Durango , et dans cinq lacs autour de la ville de

* Don Vicente Valencia , élève du savant et respectable Don Andrès


del Rio et de l'école des mines deMexico , a composé une description
très intéressante des mines de Zacatecas ( Gazeta de Mexico, tom. XI ,
pag. 417 ).
** Don Joseph Garcèsy Eguia , del beneficio de los metales de oro y
plata. Mexico , 1802 , pag. 11 et 49. ( Ouvrage qui annonce des con
naissances chimiques très solides ).
184 LIVRE III ,

Chihuahua. Le plateau central de l'Asie n'est pas plus


riche en soude que le Mexique.

Les endroits les plus remarquables de cette province


sont :

ZACATECAS , aujourd'hui , après Guanaxuato , l'endroit


de mines le plus célèbre de la Nouvelle-Espagne.
Sa population est au moins de 33000 habitans .
Fresnillo , sur le chemin de Zacatecas à Durango.
SOMBRERETE , chef-lieu , résidence d'une Diputacion
de mineria.

En outre des trois endroits nommés , l'inten


dance de Zacatecas offre encore des filons métal

lifères intéressans près de Sierra de Pinos , Chal


chiguitec , San Miguel del Mezquitas et Ma
zapil. C'est cette province aussi qui , dans la mine
de la Veta Negra de Sombrerete , a offert
l'exemple de la plus grande richesse que jamais
filon ait montrée dans les deux hémisphères .

VII. INTENDANCE D'OAXACA.

POPULATION ( EN 1803 ) 534,800 .

ÉTENDUE DE LA SURFACE EN LIEUEs carrées 4,447 .

HABITANS PAR LIEUE CARRÉE 120 .

Le nom de cette province que d'autres géographes


appellent moins correctement Guaxaca , dérive du
CHAPITRE VIII . 185

nom mexicain de la ville et de la vallée d'Huaxyacac,


un des chefs -lieux du pays des Zapotèques , et qui
était presque aussi considérable que leur capitale de
Teotzapotlan. L'intendance d'Oaxaca est un des pays
les plus délicieux de cette partie du globe. Beauté et
salubrité du climat , fertilité du sol , richesse et variété
des productions , tout y concourt pour le bien- être
des habitans . Aussi cette province a -t- elle été , depuis
les temps les plus reculés , le centre d'une civilisation
avancée.
Elle confine au nord à l'intendance de Vera-Cruz, à

l'est au royaume de Guatimala , à l'ouest à la province


de Puebla , et au sud , sur une longueur de côte de
III lieues , au Grand Océan . Son étendue excède celle
de la Bohême et de la Moravie prises ensemble ; sa
population absolue est neuf fois plus petite. Sa popu
lation relative égale par conséquent celle de la Russie
européenne .
Le sol montagneux de l'intendance d'Oaxaca con
traste singulièrement avec celui des provinces de Pue
bla , de Mexico et de Valladolid . Au lieu de ces couches
de basalte , d'amygdaloïdes et de porphyre à base de
grunstein , qui couvrent le sol d'Anahuac depuis les
18° jusqu'aux 22º de latitude , on ne voit dans les
montagnes de la Mixteca et de la Zapoteca que du

granite et du gneiss. La chaîne de montagnes de la


formation de trapp ne recommence qu'au sud-est ,:sur

les côtes occidentales du royaume de Guatimala . Nous


ne connaissons la hauteur d'aucune des cimes grani
186 LIVRE III ,

tiques de l'intendance d'Oaxaca . Les habitans de ce


beau pays regardent comme une des plus élevées le
Cerro de Senpualtepec , près de Villalta , duquel on
voit les deux mers. Cette étendue de l'horizon n'in
diquerait cependant qu'une hauteur de 2350 mètres *.

On prétend qu'on jouit du même spectacle imposant


à la Ginetta , sur les limites des évéchés d'Oaxaca

et de Chiapa , à 12 lieues de distance du port de


Tehuantepec , sur la grande route qui mène de Gua
timala à Mexico .

La végétation est belle et vigoureuse dans toute la


province d'Oaxaca , surtout à mi-côte dans la région
tempérée, dans laquelle les pluies sont très abondantes
depuis le mois de mai jusqu'au mois d'octobre. Au vil
lage de Santa Maria del Tule , à trois lieues de la
capitale , à l'est , entre Santa Lucia et Tlacochiguaya ,
se trouve un énorme tronc de cupressus disticha ( sa
bino ) qui a 36 mètres de circonférence . Cet arbre
antique est par conséquent plus gros que le cyprès
d'Atlixco , dont nous avons parlé plus haut , que le
dragonnier des îles Canaries , et que tous les boababs
(Adansonia) de l'Afrique. Mais en l'examinant de près ,

* L'horizon visuel d'une montagne de 2350 mètres d'élévation a


3º20 de diamètre. On a agité la question si de la cime du Nevado de
Toluca les deux mers pourroient être visibles. L'horizon visuel de
cette montagne, a 2° 21 ′ ou 58 lieues de rayon, en ne supposant qu'une
réfraction ordinaire. Les deux côtes du Mexique , qui se rapprochent
le plus du Nevado , celles de Coyuca et de Tuspan , s'en trouvent à
une distance de 54 et 64 lieues.
CHAPITRE VIII. 187

M. Anza a observé que ce qui excite l'admiration


des voyageurs n'est pas un seul individu , et que trois
troncs réunis forment le fameux sabino de Santa Ma
ria del Tule.
L'intendance d'Oaxaca comprend deux pays mon

tagneux que , dès les temps les plus reculés , on dé


signe sous les noms de Mixteca et Zapoteca. Ces
dénominations qui se sont conservées jusqu'à nos

jours , indiquent une grande différence d'origine entre


les indigènes . L'ancien Mixtecapan se divise aujour
d'hui dans la haute et basse Mixteca ( Mixteca alta y
baxa ). La limite orientale de la première , qui est
voisine de l'intendance de la Puebla , se dirige depuis

Ticomabacca , sur Quaxiniquilapa , vers la mer du


Sud. Elle passe entre Colotepeque et Tamasulapa.
Les Indiens de la Mixteca sont un peuple actif, in
telligent et industrieux .
Si la province d'Oaxaca ne renferme pas des mo

numens de l'ancienne architecture aztèque aussi éton


nans par leurs dimensions que les maisons des dieux
( Teocallis ) de Cholula , Papantla et Teotihuacan ,
elle offre des ruines d'édifices qui sont plus remar

quables à cause de leur ordonnance et de l'élégance


de leurs ornemens. Les murs du palais de Mitla
sont décorés de grecques et de labyrinthes formés en
mosaïque de petites pierres porphyritiques . On y re
connaît le même dessin que l'on admire sur les vases

faussement appelés étrusques , ou dans la frise du


vieux temple du Deus Redicolus , près de la grotte
188 LIVRE III ,

de la nymphe Egerie à Rome. J'ai fait graver une


partie de ces ruines américaines qui ont été dessinées
avec beaucoup de soin par le colonel don Pedro de
la Laguna, et par un architecte habile , don Luis
Martin . Si l'on est justement frappé de la grande
analogie qu'offrent les ornemens du palais de Mitla
avec ceux qu'ont employés les Grecs et les Romains ,
on ne doit pas pour cela se livrer légèrement à des hy
pothèses historiques sur les anciennes communications
qui pourraient avoir existé entre les deux continens.
Il ne faut point oublier que , sous toutes les zones ,
les hommes se plaisent à une répétition rhythmique
des mêmes formes , et que c'est cette répétition qui
constitue le caractère principal de tout ce que nous
appelons grecques * , méandres , labyrinthes et ara
besques.

Le village de Mitla s'appelait jadis Miguitlan , mot


qui en langue mexicaine désigne un lieu sombre , un
lieu de tristesse. Les Indiens Tzapotèques , le nomment

Leoba , ce qui signifie tombeau . En effet , le palais


de Mitla dont on ignore l'ancienneté était , selon la
tradition des indigènes , et comme le manifeste aussi
la distribution de toutes ses parties , un palais cons
truit au-dessus des tombeaux des rois . C'était un édi

fice dans lequel le souverain se retirait pour quelque


temps lors de la mort d'un fils , d'une épouse ou d'une

* Le connaisseur le plus profond des antiquités égyptiennes ,


M. Zoega , a fait l'observation curieuse que les Egyptiens n'ont jamais
employé ce genre d'ornement,
CHAPITRE VIII. 189

mère. En comparant la grandeur de ces tombeaux à


la petitesse des maisons qui servaient de demeure aux
vivans , on dirait avec Diodore de Sicile ( L. I , c. 51. ) ,
qu'il y a des peuples qui érigent des monumens somp
tueux pour les morts , parce que regardant cette vie
comme courte et passagère , ils s'imaginent qu'il ne
vaut pas la peine d'en construire pour les vivans .
Le palais, ou plutôt les tombeaux de Mitla forment
trois édifices placés symétriquement dans un site ex
trêmement romantique. L'édifice principal est le
mieux conservé , il a près de 40 mètres de long. Un
escalier pratiqué dans un puits conduit à un appar
tement souterrain qui a 27 mètres de long et 8 de
large. Cet appartement lugubre destiné aux tombeaux ,
est couvert des mêmes grecques qui ornent les murs
extérieurs de l'édifice .

Mais ce qui distingue les ruines de Mitla de tous.


les autres restes de l'architecture mexicaine , ce sont
six colonnes de porphyre placées au milieu d'une vaste
salle , et soutenant le plafond . Ces colonnes , presque
les seules trouvées dans le nouveau continent , mani
festent l'enfance de l'art. Elles n'ont ni base ni chapi
teau. On n'y remarque qu'un simple rétrécissement
à la partie supérieure. Leur hauteur totale est de cinq
mètres ; cependant le fût en est d'une seule pièce de
porphyre amphibolique. Des décombres amoncelés
pendant des siècles , cachent ces colonnes à plus d'un
tiers de leur hauteur. En les découvrant , M. Martin a
trouvé que cette hauteur est égale à 6 diamètres ou
190 LIVRE III ,

à 12 modules. Il en résulterait une ordonnance qui


serait encore moins légère que celle de l'ordre toscan ,
si le diamètre inférieur des colonnes de Mitla n'était
pas à leur diamètre supérieur en raison de 3 à 2 .
La distribution des appartemens dans l'intérieur de
cet édifice singulier , offre des rapports frappans avec
celle que l'on remarque dans les monumens de la

Haute- Égypte , figurés par M. Denon et par les sa


vans qui composent l'institut du Caire. M. de Laguna
a trouvé dans les ruines du Mitla des peintures cu
rieuses représentant des trophées de guerre et des sa
crifices. J'aurai lieu de revenir dans un autre endroit

( dans la Relation historique de mon voyage ) sur ces


restes d'une ancienne civilisation . A mesure que l'on

avance de Mexico vers le sud , on trouve les vestiges


d'édifices et de sculptures qui annoncent une civilisa
tion plus avancée. C'est surtout au sud-est de l'inten
dance d'Oaxaca , dans le Guatimala , que l'on admire
les ruines des grandes villes du Palengue ou de Culhua
can , et d'Utatlan , vulgairement appelé Quiche , d'après
le nom du roi toultèque Nima Quiche. Les premières
appartiennent à la province des Tzendales (partido de
Ciudad real , de l'évêché de Chiapa ) , où une grande
paroisse porte encore le nom de Santo Domingo
Palengue. Les secondes entourent le village de Santa
Cruz del Quiche ( province de Solola ) . On a eu ré
cemment l'heureuse idée de publier en Angleterre les
dessins que le capitaine don Antonio del Rio a faits
en Palengue , et qui portent le caractère le plus étrange
CHAPITRE VIII. 191

dans les figures à énormes nez aquilins * , dans les


croix auxquelles on fait des offrandes, et dans les poses
des divinités de l'Indoustan. (Description ofthe ruins
ofan ancient city discovered in the Kingdom ofGua
timala , 1822 .-- Zuarros Compendio de la historia de
Guatimala , tom. Ier, p . 14 et 64. )
L'intendance d'Oaxaca est la seule qui ait conservé
la culture de la cochenille (coccus cacti) branche d'in
dustrie qu'elle partageait autrefois avec la province
de la Puebla , et celle de la Nouvelle-Galice.
La famille de Hernan Cortez porte le titre de mar

quis de la vallée d'Oaxaca. Son majorat est composé


des quatre villas del Marquesado , et de 49 villages
qui renferment une population de 17,700 habitans.

Les endroits les plus remarquables de cette pro


vince sont :

ou Guaxaca , l'ancien Huaxyacac , appelé An


OAXACA Ou
tequera au commencement de la conquête. Thierry
de Menonville ne lui donne que 6000 habitans ,
mais par le dénombrement fait en 1792 , on en a
trouvé 24,400.

TEHUANTEPEC , ou Teguantepeque , port situé au fond

* Ces grands nez se retrouvent dans les manuscrits ou peinture


hieroglyphiques mexicaines. Voyez mes Vues des Cordillères , t. II ,
p. 200. La pose triomphale que j'ai représentée pl. XI est une sculp
ture du Palengue , comme je l'ai rappelé dans les additions , t. II ,
p. 392 ( édit. in-8° ).
192 LIVRE III ,

d'une anse que l'Océan forme entre les petits vil


lages de San Francisco , San Dionisio , et Santa
Maria de la mar. Ce port , défendu par une barre

assez dangereuse , deviendra très important un jour,


lorsque la navigation en général , et surtout le
transport de l'indigo de Guatimala seront plus fré
quens par le Rio Guasacualco.

SAN ANTONIO DE LOS CUES , endroit très peuplé sur le


chemin d'Orizava à Oaxaca , célèbre par les restes
d'anciennes fortifications mexicaines.

Les mines de cette intendance que l'on exploite avec


le plus de soin , sont celles de Villalta , Zolaga , Yxte
pexi et Totomostla.

VIII . INTENDANCE DE MERIDA .

POPULATION ( EN 1803 ) 465,800 .

ÉTENDUE DE LA SUrface en lieues CARRÉES , 5977

HABITANS PAR Lieue carrée , 81 .

Cette intendance , sur laquelle M. Gilbert * nous a

* Cet observateur éclairé a párcouru une grande partie des colonies


espagnoles. Il a eu le malheur de perdre dans un naufrage , au sud de
l'île de Cuba , entre les bas-fonds des Jardins du Roi , dont j'ai déter
miné la position astronomique , les matériaux statistiques qu'il avait
recueillis. Il est utile de faire remarquer ici que , sans connaître les
données que je me suis procurées, en évaluant lui-même le nombre des
villages et leur population , M. Gilbert avait trouvé que le Yucatan
CHAPITRE VIII. 193

fourni des renseignemens précieux , comprend la


grande péninsule de Yucatan , située entre la baie de
Campêche et celle de Honduras . C'est par le cap Ca
toche , éloigné de cinquante-une lieues des collines cal
caires du cap Saint-Antoine , qu'avant l'irruption de
la Mer des Antilles , le Mexique paraît avoir été con
tigu à l'île de Cuba .
+
La province de Merida confine au sud au royaume
de Guatimala , et à l'est à l'intendance de Vera-Cruz ,

dont elle est séparée par le Rio Baraderas , appelé


aussi la rivière des Crocodiles ( Lagartos ) ; à l'ouest ,
les établissemens anglais s'étendent jusqu'à l'embou
chure du Rio Honda au nord de la baie d'Hanovre ,
vis-à-vis l'île d'Ubero ( Ambergreese Key. ) Dans cette
partie, Salamanca , ou le petit fort de San Felipe de
Bacalar est le point le plus austral de la côte habité
par les Espagnols.
La péninsule de Yucatan , dont la côte septentrio
nale , depuis le cap Catoche , près de l'île du Contoy,
jusqu'à la Punta de Piedras ( sur une longueur de
quatre-vingt-une lieues ) suit exactement la direction

du courant de rotation , est une vaste plaine traversée,


dans son intérieur , du nord-ouest au sud-ouest , par
une chaîne de collines peu élevée . Les pays qui s'é
tendent à l'est de ces collines , vers les baies de l'Ascen

sion et du Saint-Esprit , paraissent être les plus fer

devait contenir , en 1801 , près d'un demi-million d'habitans de


toutes castes et de toutes couleurs.
II. 13
LIVRE III,
194
tiles , aussi ont-ils été jadis les plus habités . Les ruines
d'édifices européens que l'on découvre dans l'île Co

sumel , au milieu d'un bosquet de palmiers , indiquent ,


qu'au commencement de la conquête même , cette
île , qui est déserte aujourd'hui , fut peuplée par des
colons espagnols . Depuis que les Anglais se sont éta
blis entre Omo et Rio Honda , le gouvernement , pour
diminuer le commerce de contrebande , a concentré
la population espagnole et indienne dans la partie de
la péninsule qui est à l'ouest des montagnes de Yu
catan . Il n'est point permis aux colons de se fixer sur
la côte occidentale , sur les bords du Rio Bacalar et sur
Rio Honda. Toute cette vaste contrée est restée dé

peuplée : on n'y trouve que le poste militaire (presidio)


de Salamanca.
L'intendance de Merida est un des pays les plus
chauds , et cependant un des plus sains de l'Amérique
équinoxiale . Cette salubrité du climat doit sans doute
être attribuée , dans le Yucatan , comme à Coro , à
Cumana et dans l'île de la Marguerite , à l'extrême sé
cheresse du sol et de l'atmosphère . Sur toute la côte ,
depuis Campêche , ou depuis l'embouchure du Rio de

San Francisco jusqu'au cap Catoche , le navigateur ne


trouve pas une seule source d'eau douce . Près de ce

dernier cap la nature a répété le même phénomène


qui se présente au sud de l'île de Cuba , dans la baie
de Xagua , et que j'ai décrit dans un autre endroit * .

* Dans mes Tableaux de la Nature , vol. II , pag. 174 et 235.


CHAPITRE VIII.! 195

Sur la côte septentrionale de Yucatan , à l'embouchure


du Rio Lagartos , à 400 mètres du rivage , des sources
d'eau douce jaillissent au milieu des eaux salées . On
appelle ces sources remarquables les bouches (bocas)
de Conil. Il est probable que , par une forte pression
hydrostatique , les eaux douces , après avoir brisé les
bancs de roche calcaire entre les fentes desquels elles ont
coulé , s'élèvent au-dessus du niveau des eaux salées .
Les Indiens de cette intendance parlent la langue

Maya , qui est très gutturale , et de laquelle il existe


quatre dictionnaires assez complets , rédigés par Pedro

Beltran , Andrès de Avendaño , Fray Antonio de Ciu


dad-Real et Luis de Villalpando. La péninsule de Yu
catan ne fut jamais soumise aux rois mexicains ou
aztèques. Cependant les premiers conquérans , Bernal
Diaz , Hernandez de Cordova et le valeureux Juan de
Grixalva , furent frappés de la civilisation avancée des
habitans de cette péninsule . Ils y trouvèrent des mai
sons construites en pierres cimentées avec de la chaux ,
des édifices pyramidaux ( teocallis ) qu'ils comparèrent
aux mosquées des Maures , des champs enclos de
haies , un peuple vêtu , policé et très différent des in
digènes de l'île de Cuba. On découvre encore aujour
d'hui beaucoup de ruines , surtout de monumens sé
pulcraux (guacas ) à l'est de la petite chaîne centrale
des montagnes. Quelques tribus d'Indiens ont conservé
leur indépendance dans la partie méridionale de ce
terrain montueux , que l'épaisseur des forêts et la force

de la végétation rendent presque inaccessible.


13 .
196 LIVRE III ,

La province de Merida , comme tous les pays de la


zone torride , dont le sol ne s'élève pas à 1300 mètres
de hauteur au-dessus du niveau de la mer, ne produit ,

pour la nourriture de ses habitans , que du maïs et


des racines de jatropha et de dioscorea , mais point de
blé d'Europe. Les arbres qui fournissent le fameux
bois de Campêche (Hæmatoxilon campechianum , L.)
croissent en abondance dans plusieurs districts de cette
intendance. Les coupes ( Cortes de palo Campeche )
se font annuellement sur les rives du Rio Champoton,
dont l'embouchure est au sud de la ville de Cam

pêche , à quatre lieues du petit village de Lerma. Ce


n'est qu'avec une permission extraordinaire de l'inten
dant de Merida , qui porte le titre de Gouverneur

Capitaine-général , que les négocians peuvent , de


temps en temps , faire des coupes de bois de Cam
pêche à l'est des montagnes , près des baies de l'As
cension , de Todos los Santos et del Espirito Santo.
C'est dans ces anses de la côte orientale que les Anglais
entretiennent un commerce de contrebande aussi con

sidérable que lucratif. Le bois de Campêche , après


avoir été coupé , doit sécher pendant un an avant
qu'on l'envoie à Vera-Cruz , à la Havane ou à Cadix .
Le quintal de ce bois sec (palo de tinta ) se vend à
Campêche à raison de 2 piastres ou 2 piastres et demie
(10 fr. 50 c. à 12 fr. 88 c. ) L'hæmatoxilon , très abon
dant dans le Yucatan et sur la côte d'Honduras , se
trouve d'ailleurs épars dans toutes les forêts de l'Amé
rique équinoxiale, partout où la température moyenne
CHAPITRE VIII. 197

de l'air n'est pas au- dessous de 22 ° du thermomètre


centigrade. La côte de Paria , dans la province de la
Nouvelle-Andalousie , pourra un jour faire un com
merce considérable avec les bois de Campêche et
de Brésil ( Caesalpinia ) , qu'elle produit en grande
quantité.

Les endroits les plus remarquables de l'intendance


de Merida sont :

MERIDA DE YUCATAN , capitale , à dix lieues dans l'in


térieur des terres , dans une plaine aride. Le petit
port de Merida s'appelle Sizal , à l'ouest de Cha
boana , vis-à-vis un banc de sable qui a près de
12 lieues de long. Population : 10,000 .
CAMPÊCHE , sur le Rio de San Francisco , avec un port
qui n'est pas très sûr. Les vaisseaux sont obligés de
mouiller loin du rivage. En langue maya , cam si

gnifie serpent , et pêche le petit insecte ( acarus )


appelé par les Espagnols garapata , qui perce la
peau , et cause des douleurs cuisantes. Entre Cam
pèche et Merida se trouvent deux villages indiens.
très considérables , appelés Xampolan et Equetche
can. L'exportation de la cire de Yucatan est une
des branches de commerce les plus lucratives. La
population habituelle de la ville est de 6000.

VALLADOLID , petite ville dont les environs produisent


beaucoup de coton , et d'une excellente qualité. Ce
coton se vend cependant à bas prix , parce qu'il a le
198 LIVRE III ,

grand défaut d'être très adhérent à la graine. On ne


sait pas le nettoyer ( despepitar ou desmotar) dans
le pays . Le frêt absorbe les deux tiers de sa valeur, à

cause du poids de la graine.

IX . INTENDANCE DE VERA-CRUZ .

POPULATION ( EN 1803 ) 156,000 .

ÉTENDUE DE LA surface en lieues carrées , 4141 .

HABITANS PAR Lieue carrée , 38.

Cette province , située sous le ciel brûlant des tro


piques , s'étend le long du golfe mexicain , depuis le
Rio Baraderas ( ou de los Lagartos) jusqu'à la grande
rivière de Panuco , qui prend sa source dans les mon
tagnes métallifères de San Luis Potosi . Elle embrasse
par conséquent une partie très considérable de la côte
orientale de la Nouvelle-Espagne. Sa longueur, depuis
la baie de Terminos près de l'île del Carmen , jusqu'au
petit port de Tampico , est de 210 lieues , tandis que
sa largeur n'est généralement que de 25 à 28 lieues .
Elle confine , à l'est , à la péninsule de Merida ; à
l'ouest , aux intendances d'Oaxaca , de Puebla et de
Mexico ; au nord , à la colonie du Nouveau-San
tander.
CHAPITRE VIII. 199

Un coup-d'œil jeté sur la neuvième et la douzième


planche de mon Atlas mexicain , fera voir la confor

mation extraordinaire de ce pays , qui jadis fut com


pris sous la dénomination de Guetlachtlan . Il y a peu
de régions du nouveau continent , dans lesquelles le
voyageur soit plus frappé du rapprochement des cli
mats les plus opposés . Toute la partie occidentale de
l'intendance de Vera- Cruz occupe la pente des Cordil

lères d'Anahuac . Dans l'espace d'un jour, les ha


bitans y descendent de la zone des neiges éternelles
à ces plaines voisines de la mer dans lesquelles

règnent des chaleurs suffoquantes . Nulle part on ne


reconnaît mieux l'ordre admirable avec lequel les dif
férentes tribus de végétaux se suivent comme par
couches les unes au-dessus des autres , qu'en mon
tant depuis le port de la Vera-Cruz vers le plateau

de Perote. C'est là qu'à chaque pas on voit changer


la physionomie du pays , l'aspect du ciel , le port
des plantes , la figure des animaux , les mœurs
des habitans et le genre de culture auquel ils se
livrent .
A mesure que l'on s'élève , la nature paraît moins
animée , la beauté des formes végétales diminue , les
tiges sont moins succulentes , les fleurs moins grandes ,
moins colorées. L'aspect du chêne mexicain rassure
le voyageur débarqué à la Vera-Cruz. Sa présence lui
indique qu'il a quitté cette zone justement redoutée
par les peuples du nord , sous laquelle la fièvre jaune
exerce ses ravages dans la nouvelle - Espagne. Cette
200 LIVRE III,

même limite inférieure des chênes avertit le colon

habitant du plateau central , jusqu'où il peut descendre


vers les côtes , sans craindre la maladie mortelle du

vomito. Près de Xalapa des forêts de liquidambar


annoncent , par la fraîcheur de leur verdure , que cette
hauteur est celle à laquelle les nuages suspendus au
dessus de l'Océan viennent toucher les cimes basal

tiques de la Cordillère. Plus haut encore , près de la


Banderilla , le fruit nourrissant du bananier ne vient
plus à maturité. Aussi dans cette région brumeuse et
froide le besoin excite l'Indien au travail , et réveille
son industrie. A la hauteur de San Miguel les sapins
comment à s'entremêler aux chênes , et le voyageur les

trouve jusqu'aux plaines élevées de Perote , qui lui


offrent l'aspect riant de champs semés en froment .
Huit cents mètres plus haut , le climat devient déjà
trop froid pour que les chênes puissent y végéter.
Les sapins seuls y couvrent les rochers , dont les
cimes entrent dans la zone des neiges éternelles. C'est
ainsi qu'en peu d'heures , dans ce pays merveilleux , le
physicien parcourt toute l'échelle de la végétation ,
depuis l'héliconia et le bananier dont les feuilles

lustrées se développent dans des dimensions extraor


dinaires , jusqu'au parenchyme rétréci des arbres ré
sineux !

La province de la Vera -Cruz est enrichie par la na


ture des productions les plus précieuses. Au pied de
la Cordillère , dans les forêts toujours vertes de Pa
pantla , de Nautla et de St. -André Tuxtla , croît la
CHAPITRE VIII . 201

liane ( epidendrum vanilla ) dont le fruit odoriférant


est employé pour parfumer le chocolat . Près des vil

lages indiens de Colipa et de Misantla se trouve la


belle convolvulacée ( convolvulus jalapa ) dont la ra
cine tubéreuse fournit le jalap , un des purgatifs les
plus énergiques et les plus bienfaisans. Dans la par
tie orientale de l'intendance de la Vera- Cruz les forêts

qui s'étendent vers la rivière de Baraderas produisent


le myrte ( myrtus pimenta ) dont la graine est une
épice agréable , et connue dans le commerce sous le

nom de pimienta de Tabasco. Le cacao d'Acayucan


serait recherché , si les indigènes se livraient plus assi
dûment à la culture des cacaoyers . A la pente orientale
et australe du pic d'Orizaba , dans les vallées qui se
prolongent vers la petite ville de Cordoba , se cultive
du tabac d'une qualité excellente , et qui fournit à la
couronne un revenu annuel de plus de 18 millions de
francs . Le smilax , dont la racine est la vraie salsepa
reille , végète dans les ravins humides et ombragés de
la Cordillère. Le coton des côtes de Vera-Cruz est cé
lèbre à cause de sa finesse et de sa blancheur. La canne

y est presque aussi abondante en sucre qu'à l'île de


Cuba , et plus que dans les plantations de Saint- Do
mingue.
Cette intendance seule suffirait pour vivifier le com
merce du port de la Vera-Cruz , si le nombre des colons

était plus considérable , et si leur paresse , effet de la


bienfaisance de la nature et de la facilité de pourvoir

sans travail aux premiers besoins de la vie , n'entravait


202 LIVRE III ,

les progrès de l'industrie . La population ancienne du


Mexique était concentrée dans l'intérieur du pays ,
sur le plateau même. Les peuples mexicains , origi
naires de contrées septentrionales , comme nous l'a
vons exposé plus haut , préférèrent dans leurs migra
tions le dos des Cordillères , parce qu'il leur offrait un
climat analogue à celui de leur pays natal . Sans doute
lors de la première arrivée des Espagnols sur la plage
de Chalchiuhcuecan (Vera-Cruz) toute cette côte , de
puis la rivière de Papaloapan ( Alvarado ) jusqu'à
Huaxtecapan , était plus habitée et mieux cultivée
qu'elle ne l'est aujourd'hui . Cependant à mesure que
les conquérans montèrent au plateau , ils trouvèrent
les villages plus rapprochés les uns des autres , les
champs divisés en portions plus petites , le peuple
plus policé. Les Espagnols qui croyaient fonder de
nouvelles villes quand ils donnaient des noms euro
péens à des villes construites par les Aztèques , suivi
rent les traces de la civilisation des indigènes. Ils eu
rent des motifs bien puissans d'habiter le plateau
d'Anahuac. Ils craignaient la chaleur et les maladies
qui règnent dans les plaines . La recherche des métaux
précieux , la culture du blé et des arbres fruitiers
d'Europe , l'analogie du climat avec celui des Castilles ,
et d'autres causes indiquées dans le quatrième cha
pitre de cet ouvrage , les engagèrent à se fixer sur le
dos des Cordillères. Aussi long - temps que les Enco

menderos , abusant des droits qui leur avaient été ac


cordés par les lois , traitèrent les Indiens comme serfs ,
CHAPITRE VIII. 203

un grand nombre de ceux-ci furent transplantés des


régions voisines des côtes au plateau de l'intérieur ,
soit pour travailler dans les mines , soit seulement
pour les rapprocher de l'habitation de leurs maîtres.
Pendant deux siècles le commerce de l'indigo , du
sucre et du coton américains était presque nul . Rien
n'excitait les blancs à s'établir dans les plaines qui ont
le véritable climat des Indes. On pourrait dire que les

Européens ne venaient sous les tropiques que pour


y habiter la zone tempérée.
Depuis que la consommation du sucre a considéra
blement augmenté , et que le commerce du Nouveau
Continent fournit beaucoup de productions que l'Eu
rope tirait jadis de l'Asie et de l'Afrique seules , les
plaines ( tierras calientes ) offrent sans doute plus
d'appât à la colonisation . Aussi les plantations de la
canne à sucre et des cotonniers se sont multipliées
dans la province de la Vera-Cruz , surtout depuis les
événemens funestes qui ont eu lieu à Saint- Domingue ,
et qui ont donné un grand essor à l'industrie dans les
colonies espagnoles. Ces progrès cependant ne sont
pas encore très marqués sur les côtes mexicaines. Il

faudra des siècles pour repeupler ces déserts. Aujour


d'hui des espaces de plusieurs lieues carrées sont occu
pés par deux ou trois cabanes ( hattos de ganado)
autour desquelles errent des boufs à demi sauvages.
Un petit nombre de familles puissantes , et qui vivent
sur le plateau central , possèdent la plus grande partie
du littoral des intendances de Vera-Cruz et de San Luis
204 LIVRE III ,

Potosi. Aucune loi agraire ne force ces riches proprié


taires de vendre leurs majorats ( mayorazgos ) , s'ils
persistent à ne pas vouloir défricher eux-mêmes les
terres immenses qui en dépendent . Ils vexent leurs
fermiers et les chassent à leur gré.
A ce mal que les côtes du golfe du Mexique ont de
commun avec l'Andalousie , et avec une grande partie
de l'Espagne , se joignent d'autres causes de dépopu
lation. L'intendance de Vera-Cruz a une milice trop

nombreuse pour un pays si peu habité. Le service


militaire pèse sur le laboureur. Il fuit la côte pour ne
pas être forcé d'entrer dans les corps des lanceros et
des milicianos . Aussi les levées faites pour fournir
des matelots à la marine royale se répètent -elles trop

souvent , et s'exécutent-elles d'une manière trop arbi


traire. Le gouvernement a négligé jusqu'ici tous les
moyens par lesquels il pourrait augmenter la popu
lation de cette côte déserte. Il résulte de cet état de

choses un manque de bras et une cherté de vivres qui


contrastent avec la grande fertilité du pays. Au port

de Vera-Cruz la journée d'un ouvrier ordinaire est de


5 à 6 francs. Un maître-maçon et tout homme qui
exerce un art particulier , y gagne 15 à 20 francs par
jour, c'est-à-dire trois à quatre fois autant que sur
le plateau central.
L'intendance de Vera- Cruz renferme dans ses li

mites deux cimes colossales , dont la première , le


volcan d'Orizaba , est , après le Popocatepetl , la

montagne la plus élevée de la Nouvelle-Espagne . Le


CHAPITRE VIII. 205

sommet de ce cône tronqué est incliné au sud-est.


L'échancrure qu'il présente rend le cratère visible de
très loin , même depuis la ville de Xalapa. La se
conde cime , le Cofre de Perote , est , d'après mes
mesures , de près de 400 mètres plus élevé que le pic
de Ténériffe . Il sert de signal aux navigateurs lors
de leur atterrage sur Vera-Cruz . Comme cette circon
stance rend très importante la détermination de sa
position astronomique , j'ai observé sur le Cofre
même des hauteurs circum-méridiennes du soleil. Une

couche épaisse de pierre-ponce environne cette monta


gne porphyritique. Rien n'y annonce un cratère au som
met, mais les courans de laves que l'on observe entre les
petits villages de las Vigas et de Hoya, paraissent être
les effets d'une explosion latérale très ancienne. Le
petit volcan de Tuxtla , adossé à la Sierra de San
Martin , est situé à 4 lieues de la côte , au sud- est du port
de Vera-Cruz , près du village indien de Santiago de
Tuxtla. Il se trouve par conséquent hors de la ligne que
nous avons indiquée plus haut comme le parallèle des
volcans enflammés du Mexique. Sa dernière éruption
très considérable a eu lieu le 2 mars, l'an 1793. Les cen
dres volcaniques couvrirent alors les toits des maisons
à Oaxaca, à Vera - Cruz et à Perote. Dans ce dernier en
droit qui est éloigné du volcan de Tuxtla de 57 lieues *


Cette distance est plus grande que celle de Naples à Rome , et
cependant le Vésuve ne se fait pas même entendre au-delà de Gaëta.
Nous avons , M. Bonpland et moi , entendu distinctement les mu
206 LIVRE III ,

en ligne droite , le bruit souterrain ressemblait à des


décharges de grosse artillerie.
Dans la partie septentrionale de l'intendance de
Vera-Cruz , à l'ouest de l'embouchure du Rio Teco
lutla , à deux lieues de distance du grand village in
dien de Papantla , se trouve un édifice pyramidal
d'une haute antiquité. La pyramide de Papantla était
restée inconnue aux premiers conquérans. Elle est
située au milieu d'une forêt épaisse , appelée Tajin
en langue totonaque. Les indigènes , pendant des siè
cles , ont caché aux Espagnols ce monument , objet
d'une antique vénération . Ce n'est que depuis trente
ans que le hasard l'a fait découvrir à des chasseurs .
Un observateur aussi modeste qu'éclairé , et qui depuis
long-temps se livre à des recherches très curieuses sur
l'architecture et les idoles mexicaines , M. Dupé * ,
1 a visité la pyramide de Papantla . Il a examiné avec
soin la coupe des pierres dont elle est construite ; il a
dessiné les hiéroglyphes dont ces pierres énormes sont

gissemens du Cotopaxi , lors de son explosion en 1802 , dans la mer


du Sud, à l'ouest de l'île de la Puna , à 72 lieues de distance du cra
tère. En 1744 , ce même volcan fut entendu à Honda et à Mompox ,
sur les bords de la rivière de la Madeleine . Voyez ma Géographie des
Plantes , pag. 53.
*
Capitaine au service du roi d'Espagne. C'est M. Dupé qui possède
le buste en basalte d'une prêtresse mexicaine que j'ai fait graver par
M. Massard , et qui offre de grandes ressemblances avec le calanthica
des têtes d'Isis. Par les soins de personnes éclairées qui composent le
gouvernement actuel de la confédération mexicaine , les dessins de
M. Dupé ont été réunis dans une collection ouverte au public.
CHAPITRE VIII. 207

couvertes. Il serait à desirer qu'il voulût se résoudre


à donner la description de ce monument intéressant .
La figure * publiée en 1785 , dans la gazette de Mexi
co , est très imparfaite.
La pyramide de Papantla n'est point construite en
briques ou en argile mêlée de cailloux et revêtue

d'un mur d'amygdaloïde , comme les pyramides de


Cholula et de Teotihuacan . Les seuls matériaux qui
y ont été employés sont d'immenses pierres de taille
porphyritiques . On distingue du mortier dans les

joints. L'édifice est cependant moins remarquable par


sa grandeur que par son ordonnance , par le poli des
pierres , et par la grande régularité de leur coupe. La
base de la pyramide est exactement carrée , chaque
côté ayant 25 mètres de long. La hauteur perpendi
culaire paraît être à peine de 16 à 20 mètres . Ce mo
nument , comme tous les Teocallis mexicains , se com
pose de plusieurs assises . On en distingue encore six ,
et l'on croit que la septième est cachée par la végéta
tion qui couvre tout le flanc de la pyramide. Un grand
escalier de 57 gradins mène à la cime tronquée du
Teocalli , à l'endroit où se faisait le sacrifice des vic

times humaines . Un petit escalier se trouve à chaque


côté du grand. Le revêtement des assises est orné
d'hieroglyphes dans lesquels on reconnaît des serpens
et des crocodiles sculptés en relief. Chaque assise offre

Voyez aussi Monumenti di Architettura Messicana di Pietro Marquez,


Roma , 1804 , tab. I.
208 LIVRE III ,

un grand nombre de niches carrées , et symétrique


ment distribuées . Dans le premier étage on en compte
de chaque côté 24 , dans le second 20 , dans le troi
sième 16. Le nombre de ces niches est de 366 dans

le corps de la pyramide , et de 12 dans l'escalier que

l'on distingue vers l'est. L'abbé Marquez suppose que


ce nombre de 378 niches fait allusion au système ca
lendaire des Mexicains ; il croit même que dans cha
cune d'elles était répétée une des vingt figures qui ,
dans le langage hiéroglyphique des Toultèques , ser
vaient de symbole pour désigner le jour de l'année
commune , et les jours intercalaires à la fin des cycles.
En effet , l'année étant composée de 18 mois , dont
chacun a 20 jours , il en résultait 360 jours auxquels ,
conformément à l'usage égyptien , on ajoutait les 5
jours complémentaires appelés nemonteni. L'intercala
tion se faisait tous les 52 ans , en augmentant le cycle
de 13 jours , ce qui donne 360 +5 + 13 = 378 ,
signes simples ou composés des jours du calendrier

civil , qu'on nomma compohualilhuitl ou tonalpo


hualli, pour le distinguer du comilhuitlapohualliztli ,
ou du calendrier rituel usité par les prêtres pour indi

quer le retour des sacrifices. Je n'entreprendrai pas ici


d'examiner l'hypothèse de l'abbé Marquez , qui rap
pelle d'ailleurs les explications astronomiques qu'un
historien célèbre , M. Gatterer , a données du nombre
des appartemens et des gradins que l'on trouvait dans

le grand labyrinthe égyptien .


CHAPITRE VIII. 209

Les villes les plus remarquables de cette province


sont :

VERA-CRUZ , résidence de l'intendant , et centre du com


merce avec l'Europe et les îles Antilles. La ville est
jolie et très régulièrement construite , habitée par
des négocians éclairés , actifs et zélés pour le bien
de leur patrie ; elle a beaucoup gagné dans les der
nières années , sous le rapport de la police intérieure.
La plage dans laquelle Vera- Cruz est située , s'appe
lait jadis Chalchiuhcuecan . L'île sur laquelle , à
frais énormes ( selon la tradition vulgaire , avec
une dépense de 200 millions de francs ) on est
parvenu à construire la forteresse de San Juan de

Ulua , fut déjà visitée par Juan de Grixalva , l'an


née 1518. Il lui donna le nom d'Ulua , parce qu'y
ayant trouvé les restes de deux malheureuses vic

times * , et ayant demandé aux indigènes pourquoi


ils sacrifiaient des hommes , on lui répondit que
c'était par ordre des rois d'Acolhua ou du Mexique.

Les Espagnols qui n'eurent d'autre interprète que


des Indiens de Yucatan , saisirent mal la réponse ,
et crurent qu'Ulua était le nom de l'île. C'est à de

semblables méprises que le Pérou , la côte de Pa


ria et beaucoup d'autres provinces , doivent leurs
noms actuels. La ville de Vera-cruz est souvent ap


Il paraît que ces sacrifices se faisaient sur plusieurs des petits îlots
qui entourent le port de Vera- Cruz. Un de ces îlots, redouté par les
navigateurs , porte encore aujourd'hui le nom d'Isla de Sacrificios.
11. 14
210 LIVRE III ,

pelée Vera-Cruz Nueva , pour la distinguer de la


Vera-Cruz Vieja, située près de l'embouchure du
Rio Antigua , et que presque tous les historiens re

gardent commela première colonie fondée par Cortez.


L'abbé Clavigero a prouvé la fausseté de cette
opinion. La ville commencée l'année 1519 , et
nommée Villarica , ou la Villa Rica de la Vera
Cruz , était située à trois licues de Cempoalla , chef
lieu des Totonaques , près du petit port de Chia
huitzla , que , dans l'ouvrage de Robertson , on a
de la peine à reconnaître sous le nom de Quia
bislan. Trois ans plus tard la Villarica resta dé
serte , et les Espagnols fondèrent , au sud , une
autre ville qui a conservé le nom de l'Antigua. On
croit dans le pays que cette seconde colonie fut
abandonnée de nouveau à cause de la maladie du

vomito , qui déjà à cette époque moissonnait plus


des deux tiers des Européens débarqués dans la
saison des grandes chaleurs . Le vice-roi , comte de
Monterey , qui gouverna le Mexique à la fin du
seizième siècle , fit jeter les fondemens de la Nueva
Vera-Cruz , ou de la ville actuelle , en face de l'îlot
de San Juan d'Ulua , dans la plage de Chalchiuh
cuecan , à l'endroit même où Cortez avait débarqué

le 21 avril de l'année 1519. Cette troisième ville


de Vera-Cruz n'a eu ses priviléges de ville que sous
le roi Philippe III , en 1615. Elle est située dans
une plaine aride , dépourvue d'eaux courantes , et
sur laquelle les vents du nord qui soufflent impé
CHAPITRE VIII. 21L

tueusement depuis le mois d'octobre jusqu'au mois


d'avril , ont formé des collines de sable mouvant .
Ces dunes ( Meganos de arena ) changent tous les
ans , et de forme et de lieu. Elles ont de 8 à 12 mè
tres de hauteur , et elles contribuent singulièrement
par la réverbération des rayons du soleil et par la
haute température qu'elles acquièrent elles- mêmes
pendant les mois d'été , à augmenter la chaleur suf
focante de l'air de la Vera-Cruz. Entre la ville et

l'Aroyo Gavilan se trouvent , au milieu des dunes ,


des terrains marécageux couverts de mangliers et
d'autres broussailles . Les eaux stagnantes du Baxio
de la Tembladera , et les petites lagunes de l'Hor
miga , du Rancho de la Hortaliza et d'Arjona , font
naître des fièvres intermittentes parmi les indigènes.

Elles jouent probablement aussi un rôle important


parmi les causes funestes qui produisent le fléau
du vomito prieto , et que nous examinerons dans la
suite de cet ouvrage. Tous les édifices de Vera-Cruz
et du château d'Ulua sont construits avec des maté

riaux tirés du fond de l'Océan , et qui sont l'habi


tation pierreuse des madrepores ( piedras de mu
cara) ; car dans les environs de la ville on ne trouve
aucune roche. Les sables couvrent les formations

secondaires qui reposent sur le porphyre de l'En


cero , et qui ne viennent au jour que près d'Acazo
nica , métairie des jésuites , célèbre à cause de ses
carrières de beau gypse feuilleté . En creusant dans
le sol sablonneux de Vera -Cruz , on trouve de l'eau
14.
212 LIVRE III ,

douce à un mètre de profondeur ; mais cette eau


provient de la filtration des mares ou lagunes for
mées entre les dunes . C'est de l'eau de pluie qui a
été en contact avec les racines des végétaux ; elle est
d'une très mauvaise qualité , et ne sert qu'au lavage.
Le bas-peuple , ( et ce fait est important pour la to
pographie médicale de la Vera - Cruz) est obligé
d'avoir recours à l'eau d'un fossé (zanja) qui vient
des Meganos , et qui est un peu meilleure que celle

des puits , ou que l'eau du ruisseau de Tenoya . Les


gens aisés au contraire boivent l'eau de pluie re
cueillie dans des citernes dont la construction est
assez vicieuse , à l'exception des belles citernes
(algibes ) du château de San Juan d'Ulua , dont
l'eau très pure et très salutaire n'est distribuée
qu'aux employés militaires. Depuis des siècles on
a regardé ce manque de bonne eau potable comme
une des nombreuses causes des maladies des habi

tans. L'année 1704 on forma le projet de conduire


une partie de la belle rivière de Xamapa au port
de la Vera-Cruz. Le roi Philippe V envoya un ingé

nieur français pour examiner le terrain . L'ingé


nieur , sans doute peu content de son séjour dans
un pays si chaud et si désagréable à habiter , dé
clara l'exécution du projet impossible. L'année 1756
les débats recommencèrent entre les ingénieurs , la
municipalité , le gouverneur, l'assesseur du vice- roi

et le fiscal. On a dépensé jusqu'ici en visites d'ex


perts et en frais judiciaires ( car tout devient procès
CHAPITRE VIII. 213

dans les colonies espagnoles ! ) la somme de


2,250,000 francs. Avant d'avoir nivelé le sol , on a
construit , à 1100 mètres au-dessus du village de
Xamapa , une digue ( levée ) qui déjà est à moitié
détruite, et qui a coûté un million et demi de fr. Le
gouvernement , depuis plus de douze ans , fait payer

au public un droit sur les farines , qui rapporte


annuellement plus de 150,000 francs . Un aqueduc
maçonné (atarxea ) qui peut fournir un profil
d'eau de 116 centimètres carrés , est déjà construit
à plus de 900 mètres de longueur , et malgré tous
ces frais , malgré le fatras de mémoires et d'infor
mations amoncelés dans les archives , les eaux du

Rio Xamapa sont encore à plus de 23,000 mètres


de distance de la ville de Vera-Cruz. En 1795 on a
fini par où l'on aurait dû commencer; on a nivelé

le terrain , et l'on a trouvé que les eaux moyennes


du Xamapa sont élevées de 8, 83 ( 10 vares mexi
caines , et 22 pouces ) au - dessus du niveau des
rues de Vera-Cruz . On a reconnu que la grande

digue devait être placée à Medellin , et que , par


ignorance , elle a été construite dans un point non
seulement trop élevé , mais encore de 7500 mètres
plus éloigné du port que ne l'exige la chute néces
saire pour la conduite des eaux . Dans l'état actuel
des choses la construction de l'aqueduc , depuis le
Rio Xamapa jusqu'à Vera-Cruz , est évaluée à cinq
ou six millions de francs. Dans un pays dans lequel
il existe des richesses métalliques immenses , ce
214 LIVRE III ,

n'est pas la grandeur de cette somme qui effraie le


gouvernement. Le projet est ajourné parce qu'on a
calculé depuis peu , que dix citernes publiques , pla
cées hors de l'enceinte de la ville , ne coûteraient
ensemble que 700,000 francs , et suffiraient pour
une population de 16,000 âmes , si chaque citerne
contenait un volume d'eau de 670 mètres cubes.
« Pourquoi , dit-on dans le rapport au vice-roi ,

<< chercher si loin ce que la nature offre si près ?


«< pourquoi ne pas profiter de ces pluies aussi régu

« lières qu'abondantes, et qui , selon les expériences


« exactes du colonel Costanzo , fournissent annuel
« lement trois fois autant d'eau qu'il en tombe en
<
«<< France et en Allemagne. » La population habi
tuelle de Vera - Cruz , sans compter la milice et les
gens de mer , est de 16,000.
XALAPA ( Xalapan ) , ville au pied de la montagne ba
saltique de Macultepec , dans une situation très ro
mantique. Le couvent de S. François , comme tous
ceux qui ont été fondés par Cortez , ressemble de
loin à une forteresse ; car dans les premiers temps
de la conquête on construisit les couvens et les
églises de manière à pouvoir servir de défense au
cas d'une insurrection de la part des indigènes . C'est
à ce même couvent de S. François , à Xalapa , que
l'on jouit d'une vue magnifique sur les cimes colos
sales du Cofre et du Pic d'Orizaba , sur la pente de

la Cordillère ( vers l'Encero , Otates et Apazapa ) sur


la rivière de l'Antigua et même sur l'Océan. Les
CHAPITRE VIII . 215

forêts épaisses de styrax , de piper , de melastomes


et de fougères en arbres , celles surtout que traverse
le chemin de Pacho et de San Andrès , les bords du
petit lac de los Berrios , et les hauteurs qui condui
sent au village d'Huastepec , offrent des promenades
infiniment agréables. Le ciel de Xalapa , beau et
serein en été , inspire de la mélancolie depuis le mois
de décembre jusqu'au mois de février. Chaque fois
que le vent du nord souffle à Vera-Cruz , une brume
épaisse enveloppe les habitans de Xalapa. Le ther
momètre y descend alors jusqu'à 12 ou 16 degrés ;
à cette époque ( estacion de los Nortes) on passe
souvent deux ou trois semaines sans voir le soleil et

les étoiles. Les négocians les plus riches de Vera


Cruz ont des maisons de campagne à Xalapa , dans
lesquelles ils jouissent d'une agréable fraîcheur ,
tandis que les moustiques , les grandes chaleurs et

la fièvre jaune rendent la côte désagréable à ha


biter. On trouve dans cette petite ville un établis
sement dont l'existence confirme ce que j'ai avancé
plus haut sur les progrès de la culture intellectuelle
du Mexique ; c'est une excellente école de dessin
fondée depuis peu d'années , et dans laquelle les en
fans des pauvres artisans sont instruits aux frais des

citoyens les plus aisés . La hauteur de Xalapa au


dessus du niveau de l'Océan est de 1320 mètres. Sa

population est évaluée à 13,000.


PEROTE ( l'ancien Pinahuizapan ) . La petite forteresse
de San Carlos de Perote est située au nord du
216 LIVRE HI ,

grand bourg de Perote. C'est plutôt une place d'armes


qu'une forteresse . Les plaines environnantes sont
très stériles et couvertes de pierre-ponce . Pas d'ar
bres , à l'exception de quelques troncs isolés de cy
près et de molina ! Hauteur de Perote , 2353 mètres.
CORDOBA , ville , à la pente orientale du pic d'Orizaba ,
dans un climat beaucoup plus chaud que celui de

Xalapa . Les environs de Cordoba et d'Orizaba pro


duisent tout le tabac qui se consomme dans la Nou
velle-Espagne.
ORIZABA , à l'est de Cordoba , un peu au nord du Rio
Blanco , qui se jette dans la laguna d'Alvarado. On
a disputé pendant long-temps si la nouvelle route
de Mexico à Vera-Cruz devait aller par Xalapa ou
par Orizaba . Ces deux villes ayant un grand intérêt
à la direction de cette route , elles ont dans leur ri
valité employé tous les moyens pour faire valoir
leurs droits auprès des autorités constituées. Il en
est résulté que les vice-rois ont alternativement em

brassé l'un et l'autre parti , et que pendant cette


incertitude , aucune route n'a été construite. Enfin
depuis quelques années une belle chaussée a été

commencée depuis la forteresse de Perote jusqu'à


Xalapa, et de Xalapa à l'Encero.
TLACOTLALPAN , chef-lieu de l'ancienne province de
Tabasco. Plus au nord se trouvent les petites villes
de Victoria et de Villa Hermosa , dont la première
est une des plus anciennes de la Nouvelle-Espagne .
L'intendance de Vera- Cruz n'offre aucune exploi
CHAPITRE VIII. 217

tation métallique qui soit de quelque importance. Les


mines de Zomelahuacan près de Jalacingo , sont pres

que abandonnées .

X. INTENDANCE DE SAN LUIS POTOSI .

POPULATION ( EN 1803 ) 334,900 .

ÉTENDUE DE LA Surface en lieues carrées , 27,821 .

HABITANS PAR LIEUE CARRÉE , 12 .

Cette intendance comprend toute la partie nord-est


de la Nouvelle-Espagne. Comme elle touche à des pays
déserts ou habités par des Indiens indépendans et no
mades , on peut dire que ses limites septentrionales
ne sont presque pas déterminées. Le terrein monta

gneux appelé le Bolson de Mapimi , embrasse plus de


3000 lieues carrées ; c'est de- là que sortent les Apa
ches , qui attaquent les colons de Cohahuila et de la

Nouvelle-Biscaye . Enclavé dans ces deux provinces ,


limité au nord par le grand Rio del Norte , le Bolson
de Mapimi est considéré tantôt comme un pays non
conquis par les Espagnols , tantôt comme faisant par
tie de l'intendance de Durango . J'ai tracé les limites
de Cohahuila et de Texas , près de l'embouchure du
Rio Puerco , et vers les sources du Rio de San Saba ,
telles que je les ai trouvées indiquées dans les cartes
spéciales conservées dans les archives de la vice -royauté,
et dressécs par des ingénieurs au service du roi d'Es
pagne. Mais comment déterminer des limites territo
218 LIVRE III,

riales dans des savanes immenses où les métairies

sont éloignées les unes des autres de 15 à 20 lieues ,


où l'on ne trouve presque aucune trace de défriche
ment ou de culture !

L'intendance de San Luis Potosi comprend des


parties très hétérogènes , et dont les différentes déno
minations ont donné lieu à beaucoup de méprises
géographiques. Elle est composée de provinces dont les
unes appartiennent aux Provincias internas , les au
tres au royaume de la Nouvelle- Espagne proprement
dit. De ces premières , il y en a deux qui dépendent
immédiatement du commandement des Provincias in
ternas ; les deux autres sont considérées comme Pro
vincias internas del Vireynato. Voici le tableau de
ces divisions compliquées et peu naturelles .
L'intendant de San Luis Potosi gouverne :

A) Dans le Mexique proprement dit:


La Province de San Luis , qui s'étend de
puis le Rio de Panuco jusqu'au Rio de Santan
der , et qui comprend les mines importantes de
Charcas , Potosi , Ramos et Catorce.

B) Dans les provinces internas del Vireynato :


1) Le nouveau royaume de Léon .
2) La colonie du Nouveau- Santander.
C) Dans les Provincias internas de la coman
dancia general oriental.
1) La province de Cohahuila .
2) La province de Texas.
CHAPITRE VIII. 219
Il résulte de ce que nous avons dit plus haut , sur
les derniers changemens qui ont eu lieu dans l'orga
nisation de la comandancia general de Chihuahua,
que l'intendance de San Luis renferme aujourd'hui ,
outre la province de Potosi , tout ce que l'on dési
gne sous la dénomination de Provincias internas
orientales. Un seul intendant est par conséquent à la

tête d'une administration qui embrasse plus de ter


rain sur le globe que toute l'Espagne européenne. Mais
aussi ce pays immense , doué par la nature des pro
ductions les plus précieuses , situé sous un beau ciel
dans la zone tempérée , vers le bord du tropique , est
pour sa plus grande partie , un désert sauvage et en
core plus dépeuplé que les gouvernemens de la Rus
sie asiatique ! Sa position sur les limites orientales de
la Nouvelle -Espagne , la proximité des États-Unis , la
fréquence des communications avec les colons de la

Louisiane , et un grand nombre de circonstances que


je n'entreprendrai pas de développer ici , favoriseront
probablement bientôt les progrès de la civilisation et
de la prospérité des citoyens dans ces vastes et fertiles
régions.
L'intendance de San Luis comprend près de 230
lieues de côte , étendue égale à celle qu'il y a depuis
Gènes jusqu'à Reggio en Calabre. Mais à l'exception
de quelques petits bâtimens qui viennent des Antilles
charger des viandes , soit à la barre de Tampico près
de Panuco , soit au mouillage du Nouveau- Santander ,
toute cette côte est sans commerce et sans vie . La par
220 LIVRE III ,

tie qui s'étend depuis l'embouchure de la grande ri


vière del Norte jusqu'au Rio Sabina , est presque encore
inconnue. Elle n'a jamais été examinée par des navi
gateurs. Il serait cependant très important de décou
vrir un bon port dans cette extrémité boréale du golfe
du Mexique. Malheureusement les côtes orientales de la
Nouvelle- Espagne offrent partout les mêmes obstacles ,
un manque de fond pour les vaisseaux qui tirent plus de
38 décimètres d'eau , des barres à l'embouchure des
rivières , des langues de terres et de longs îlots , dont
la direction est parallèle à celle du continent , et qui
défendent l'entrée du bassin intérieur. Le littoral des

provinces de Santander et de Texas , depuis les 21


jusqu'aux 29 degrés de latitude , est singulièrement
festonné, et présente une suite de bassins intérieurs

qui ont 4 à 5 lieues de large , et 40 à 50 de long. On


leur donne le nom de lagunas , ou lacs salés. Quelques
uns ( par exemple la laguna de Tamiagua ) sont de
vrais impasses. D'autres , comme la laguna Madre et
celle de San Bernardo , communiquent par plusieurs
canaux avec l'Océan. Les derniers favorisent le cabo

tage , les barques côtières s'y trouvant à l'abri des


lames de la mer. Il serait intéressant pour la géolo

gie d'examiner sur les lieux , si des courans ont formé


ces lagunes , en pénétrant par des irruptions fort avant
dans les terres , ou si ces îlots longs et étroits ran
gés parallèlement à la côte , sont des barres qui se sont
élevées peu à peu au-dessus du niveau moyen des eaux.

De toute l'intendance de San Luis Potosi , il n'y a


CHAPITRE VIII. 221

que la partie qui avoisine la province de Zacatecas ,


et dans laquelle se trouvent les riches mines de Char
cas , de Guadalcazar et de Catorce , qui soit un pays
froid et montagneux. L'évéché de Monterey , qui porte
le titre pompeux de Nouveau royaume de Leon , Co
hahuila , Santander et Texas , sont des régions très
basses ; elles présentent peu de mouvement de terrain ,
et le sol y est couvert de formations secondaires et d'al
luvions. Leur climat est assez inégal , excessivement
chaud en été , et d'une fraîcheur extraordinaire en
hiver, lorsque les vents du nord chassent des colonnes
d'air froid du Canada vers la zone torride.

Depuis la cession de la Louisiane aux États -Unis ,


les limites entre la province de Texas et le comté de
Natchitoches ( comté qui fait partie intégrante de la

confédération des républiques américaines ) sont de


venues l'objet d'une discussion politique aussi longue
qu'infructueuse. Plusieurs membres du congrès de
Washington ont pensé qu'on pouvait étendre le terri

toire de la Louisiane jusqu'à la rive gauche du Rio


bravo del Norte. Selon eux , « tout le pays que les
<< Mexicains appellent la province de Texas , apparte
<< nait anciennement à la Louisiane ; or les États-Unis
<< doivent posséder cette dernière province dans toute
« l'étendue des droits avec lesquels elle a été possédée par
<< la France avant sa cession à l'Espagne ; et ni les nou
« velles dénominations introduites par les vice-rois
«< du Mexique , ni le mouvement de la population de
<< Texas vers l'est , ne peuvent déroger aux titres lé
222 LIVRE III ,

" gitimes du congrès. » Pendant le cours de ces dé

bats , le gouvernement américain n'a pas manqué de


citer souvent l'établissement qu'un Français , M. de
Lasale, avait formé vers l'année 1685 , près de la baie
de Saint- Bernard , et sans avoir paru empiéter sur
les droits de la couronne d'Espagne .
Mais en examinant attentivement la carte générale

que j'ai donnée du Mexique et des pays qui en sont


limitrophes à l'est , on verra qu'il y a bien loin encore
de la baie de Saint-Bernard à l'embouchure du Rio
P
del Norte : aussi les Mexicains allèguent , et avec rai
son , en leur faveur , que la population espagnole de
Texas est très ancienne , qu'elle est venue dès les pre
miers temps de la conquête , par Linares , Revilla et
Camargo , de l'intérieur de la Nouvelle-Espagne , et
que M. de Lasale , en débarquant à l'ouest du Missis

sipi , dont il avait manqué l'embouchure , trouva déjà


des Espagnols parmi les sauvages qu'il essaya de com
battre. Dans le moment actuel , l'intendant de San Luis
Potosi regarde comme la limite orientale de la pro
vince de Texas , et par conséquent de toute son inten
dance , le Rio Mermentas ou Mexicana , qui débouche
dans le golfe du Mexique , à l'est du Rio de la Sabina.
Il est utile de faire remarquer ici que cette dispute sur
les véritables confins de la Nouvelle-Espagne ne devien
dra importante que lorsque des terrains défrichés par
des colons de la Louisiane , toucheront immédiate
ment à des terrains habités par des colons mexicains ;
lorsqu'un village de la province de Texas sera cons
CHAPITRE VIII. 223

truit près d'un village du comté des Opeloussas . Le


fort Clayborne , situé près de l'ancienne mission es
pagnole des Adayes ( Adaes ou Adaisses ) , sur la Ri
vière- Rouge , est l'établissement de la Louisiane qui
aujourd'hui se rapproche le plus des postes militaires

(presidios ) de la province de Texas ; et cependant il


y a encore près de 68 lieues du Presidio de Nacog
doch au fort Clayborne. De vastes steppes couvertes de
graminées servent de bornes communes au territoire
de la confédération américaine , et au territoire mexi
cain. Tout le pays à l'ouest du Mississipi , depuis la
Rivière des bœufs jusqu'au Rio Colorado de Texas , est
inhabité. Ces steppes , en partie marécageuses , offrent
des obstacles faciles à vaincre . On peut les considérer
comme un bras de mer qui sépare des côtes voisines ,
mais que l'industrie de nouveaux colons ne tardera pas à
franchir. Aux États-Unis les provinces atlantiques ont
vu refluer leur population d'abord vers l'Ohio et le
Tenessée , puis vers la Louisiane. Une partie de cette
population mobile se portera plus loin vers l'ouest.
Le nom seul du territoire mexicain fera naître l'idée
de la proximité des mines . Sur les bords du Rio Mer

mentas , le colon américain croira déjà toucher un sol


qui recèle des richesses métalliques. Cette erreur ré
pandue parmi le bas peuple , occasionnera de nouvelles
émigrations , et l'on n'apprendra que très tard que
les fameuses mines de Catorce , qui sont les mines les
plus rapprochés de la Louisiane , en sont encore éloi
gnées de près de 300 lieues.
224 LIVRE III ,

Plusieurs de mes amis mexicains ont suivi le chemin

de terre de la Nouvelle- Orléans à la capitale de la


Nouvelle-Espagne. Cette route , frayée par les habi
tans de la Louisiane , qui viennent acheter des che
vaux dans les Provincias internas , est de plus de 540
lieues ; sa longueur est par conséquent presque égale à
la distance qu'il y a de Madrid à Varsovie ; on dit cette
route très pénible à cause du manque d'eau et d'habi
tations , mais il s'en faut de beaucoup qu'elle offre les
mêmes difficultés naturelles que l'on a à surmonter
dans les sentiers tracés sur le dos des Cordillères de

puis Santa-Fe de la Nouvelle-Grenade jusqu'à Quito ,


ou de Quito au Cusco . C'est aussi par cette route de
Texas qu'un voyageur intrépide , M. Pagès , capitaine
de vaisseau au service de France , est venu en 1767 ,

de la Louisiane à Acapulco . Les détails qu'il donne sur


l'intendance de San Luis Potosi , et sur le chemin de
Queretaro à Acapulco , chemin que j'ai fait trente ans
après lui , annoncent un esprit juste et animé de l'amour
de la vérité ; mais ce voyageur est malheureusement si
peu correct dans l'orthographe des noms mexicains
et espagnols, qu'on a de la peine à reconnaître dans ses
descriptions les endroits par lesquels il a passé * . La
route qui mène de la Louisiane à Mexico ne présente
que très peu d'obstacles jusqu'au Rio del Norte , et ce
n'est que depuis le Saltillo que l'on commence à mon

* M Pagès nomme Loredo, la Rheda ; le fort de la Bahia del Espiritu


Santo , Labadia ; Orquoquissas , Acoquissa ; Saltillo, le Sartille ; Coha
huila, Cuwilla.
CHAPITRE VIII. 225

ter vers le plateau d'Anahuac. La pente de la Cor


dillère y est peu rapide en considérant les progrès
de la civilisation dans le Nouveau-Continent , on peut
espérer que les communications de terre deviendront
peu-à-peu très fréquentes entre les États - Unis et la
Nouvelle-Espagne . Des voitures publiques rouleront
un jour depuis Philadelphie et Washington jusqu'à
Mexico et Acapulco . "
Les trois comtés de l'état de la Louisiane ou de la

Nouvelle-Orléans , qui se rapprochent le plus du pays


désert considéré comme la limite orientale de la pro

vince de Texas , sont , en comptant du sud au nord ,


le comté des Attacappas , celui des Opeloussas et celui
de Natchitoches. Les dernicrs établissemens de la

Louisiane sont placés sur un méridien qui est 25 lieues


à l'est de l'embouchure du Rio de Mermentas . Le

bourg le plus septentrional est le fort Clayborne de


Natchitoches , sept lieues à l'est du vieil emplacement
de la mission des Adayes. Au nord-ouest de Clayborne
se trouve le lac espagnol , au milieu duquel s'élève un
grand rocher couvert de stalactites : en suivant depuis
ce lac au sud-sud-est , on rencontre , aux extrémités
de ce beau pays défriché par des colons d'origine fran
çaise , d'abord le petit village de S.-Landry , trois lieues
au nord des sources du Rio Mermentas ; puis l'habi
tation de S. - Martin , et enfin la Nouvelle- Ibérie , sur

# Ceci
avait été écrit en 1803 : aujourd'hui ( août 1825 ) les légis
lateurs des États-Unis s'occupent très sérieusement de l'établisse
ment d'une grande route de Philadelphie à Mexico. E-R .
II. 15
226 LIVRE III,

la rivière Teche , près du canal Boutet , qui conduit


au lac du Tase. Comme il n'y a aucun établissement
mexicain au-delà de la rive orientale du Rio Sabina , il
en résulte que le pays inhabité qui sépare les villages

de la Louisiane des missions de Texas , est de plus

de 1500 lieues carrées. La partie la plus méridionale


de ces prairies , entre la baie de Carcusiu et celle de

la Sabine , n'offre que des marais impraticables. Aussi


le chemin qui mène de la Louisiane à Mexico va plus
me
au nord , et suit la parallèle du 32 degré. De Natchez
les voyageurs se dirigent au nord du lac Cataouillou ,
sur le fort Clayborne de Natchitoches ; delà ils pas
sent par l'ancien emplacement des Adayes à Chichi et
à la fontaine du père Gama. Un ingénieur habile ,
M. Lafond , dont la carte jette beaucoup de jour sur
ces contrées , observe qu'à huit lieues au nord du poste
de Chichi , s'élèvent des collines riches en charbon de
terre, et qui font entendre au loin un bruit souterrain
semblable à des coups de canons. Ce phénomène cu
rieux annoncerait -il un dégagement d'hydrogène , ef
fet d'une couche de houille enflammée ? Depuis les

Adayes , la route de Mexico va par San Antonio de


Bejar , Loredo ( sur les bords du Rio grande del Norte ),
Saltillo , Charcas , San Luis Potosi et Queretaro à la
capitale de la Nouvelle-Espagne. Il faut deux mois et
demi pour parcourir cette vaste étendue de pays dans
laquelle , depuis la rive gauche du Rio grande del Norte
jusqu'à Natchitoches , on couche presque toujours à
la belle étoile.
CHAPITRE VIII. 227

Les endroits les plus remarquables de l'intendance


de San Luis sont :

SAN LUIS POTOSI , résidence de l'intendant , située sur


la pente orientale du plateau d'Anahuac , à l'ouest
des sources du Rio de Panuco . La population habi
tuelle de cette ville est de 12,000 âmes .

NUEVO SANTANDER , capitale de la province de ce nom.


La barre de Santander ne permet pas l'entrée à des
bâtimens qui tirent plus de huit à dix palmes d'eau.
Le village de Sotto la Marina , à l'est de Santan
der , pourrait devenir très intéressant pour le com
merce de cette côte , si l'on parvenait à curer le
port. Aujourd'hui la province de Santander est tel

lement déserte , que l'on y a vendu en 1802 des ter


rains fertiles de 10 à 12 lieues carrées pour 2 à 3
francs.

CHARCAS , OU SANTA - MARIA de las Charcas , bour


gade très considérable , siège d'une Diputacion de
Minas.
CATORCE, ou la PURISSIMA CONCEPCION de Alamos de
Catorce , une des mines les plus riches de la Nou
velle- Espagne. Le Réal de Catorce n'existe cepen
dant que depuis l'année 1773 , où don Sebastian
Coronado et don Bernabe Antonio de Zepeda décou
vrirent ces filons célèbres qui produisent annuelle
ment pour la valeur de plus de 18 à 20 millions de
francs.

MONTEREY , siège d'un évêché , dans le petit royaume


de Léon .
15.
228 LIVRE III ,

LINARES , dans ce même royaume , entre le Rio Tigre


et le grand Rio Bravo del Norte.
MONCLOVA, poste militaire (presidio ) , capitale de la
province de Cohahuila , résidence d'un gouverneur .
SAN ANTONIO DE BEJAR , capitale de la province de
Texas entre le Rio de los Nogales , et le Rio de San
Antonio .

XI. INTENDANCE DE DURANGO.

POPULATION (EN 1803) 159,700.

Étendue de la surface en lieues carrées , 16,873 .

HABITANS PAR LIEUE CARRÉE , 10 .

Cette intendance , plus connue sous le nom de la


Nouvelle-Biscaye , appartient , comme la Sonora et le
Nuevo-Mexico ( qu'il nous reste à décrire ) , aux Pro
vincias internas occidentales . Elle occupe une étendue
de terrain plus considérable que les trois royaumes
réunis de la Grande-Bretagne , et cependant sa po

pulation totale excède à peine celles des deux villes


de Birmingham et de Manchester , prises ensemble. Sa
longueur du sud au nord , depuis les célèbres mines de
Guarisamey jusqu'aux montagnes de Carcay , situées
au nord-ouest du Presidio de Yanos, est de 232 lieues.
Sa largeur est très inégale , et près du Parral à peine
de 58 lieues.

La province de Durango ou de Nueva-Biscaya con


CHAPITRE VII. 229

fine , au sud , à la Nueva- Galicia , c'est-à-dire aux


deux intendances de Zacatecas et de Guadalaxara ;

au sud-est , à une petite partie de l'intendance de


San Luis Potosi ; à l'ouest , à celle de la Sonora.
Mais au nord , et surtout à l'est , sur une lisière de
plus de 200 lieues , elle est limitrophe d'un pays in
culte , habité par des Indiens guerriers et indépen
dans. Les Acoclames , les Cocoyames et les Apaches

Mescaleros et Faraones occupent le Bolson de Ma


pimi , les montagnes de Chanate et celles de los Orga
nos " sur la rive gauche du Rio grande del Norte. Les

Apaches Mimbreños se tiennent plus à l'ouest dans


les ravins sauvages de la Sierra de Acha. Les Cu
manches et les tribus nombreuses des Chichimeques ,

que les Espagnols comprennent sous le nom vague


de Mecos , inquiètent les habitans de la Nouvelle- Bis

caye , et les forcent à ne voyager que bien armés et en


caravane. Les postes militaires (presidios) dont on a
garni les vastes frontières des Provincias internas ,
sont trop éloignés les uns des autres pour pouvoir
empêcher les incursions de ces sauvages , qui , sem
blables aux Bédouins du désert , connaissent toutes
les ruses de la petite guerre. Les Indiens Cumanches ,
ennemis mortels des Apaches , dont plusieurs hordes
vivent en paix avec les colons espagnols , sont les plus
redoutables aux habitans de la Nouvelle - Biscaye et
du Nouveau-Mexique. Comme les Patagons du dé
troit de Magellan , ils ont appris à dompter les che
vaux devenus sauvages dans ces régions depuis l'arri
230 LIVRE III ,

vée des Européens. Des voyageurs instruits assurent


que les Arabes ne sont pas des cavaliers plus agiles et
plus lestes que les Indiens Cumanches. Aussi depuis

des siècles , ces derniers parcourent-ils des plaines qui ,


entrecoupées de montagnes , leur offrent la facilité
de se mettre en embuscade pour surprendre les pas
sans. Les Cumanches , comme presque tous les sau
vages errans dans les savanes , ignorent leur patrie
primitive. Ils ont des tentes de cuir de bufle , dont ils
ne chargent pas leurs chevaux , mais de grands chiens
qui accompagnent la tribu errante . Cette circonstance

déjà citée dans le Journal manuscrit du voyage de


l'évêque Tamaron * , est très remarquable ; elle rappelle
des habitudes analogues parmi plusieurs peuplades de
l'Asie boréale. Les Cumanches se font d'autant plus
craindre par les Espagnols, qu'ils tuent tous les prison

niers adultes , et ne laissent vivre que les enfans, qu'ils


élèvent avec soin pour s'en servir comme d'esclaves.
Le nombre des Indiens guerriers et sauvages ( In
dios bravos ) qui infestent les frontières de la Nou
velle-Biscaye , a un peu diminué depuis la fin du der
nier siècle. Ils tentent moins souvent de pénétrer
dans l'intérieur du pays habité pour piller et pour
détruire les villages espagnols . Cependant leur achar
nement contre les blancs est resté constamment le
même ; il est l'effet d'une guerre d'extermination en

treprise par une politique barbare , et soutenue avec

* Diario de la visita diocesana del Ilustrisimo Señor Tamaron , obispo


de Durango, hecha en 1759y 1760 ( manuscrit) .
"

CHAPITRE VIII. 231

plus de courage que de succès. Les Indiens se sont

concentrés vers le nord dans le Moqui et dans les


montagnes de Nabajoa , où ils ont reconquis un ter
rain considérable sur les habitans du Nouveau-Mexi

que. Cet état de choses a eu des suites funestes qui se


feront sentir pendant des siècles , et qui sont bien
dignes d'être examinées. Ces guerres ont , sinon dé

truit , du moins éloigné l'espoir d'amener ces hordes


sauvages à la vie sociale par la voie de la douceur.
L'esprit de vengeance et une haine invétérée ont élevé
une barrière presque insurmontable entre les Indiens.
et les blancs. Beaucoup de tribus d'Apaches , de Mo
quis et de Yutas , désignés sous la dénomination d'In
diens de paix (Indios de paz) sont fixées au sol ,
réunissent leurs cabanes , et cultivent du maïs . Ils
auraient moins d'éloignement peut-être à se réunir

aux colons espagnols , si parmi ceux-ci ils trouvaient


des Indiens mexicains. L'analogie de mœurs et d'ha
bitudes , la ressemblance qui existe non dans les sons ,
mais dans le mécanisme et dans la structure générale

des langues américaines , peuvent devenir des liens


puissans entre des peuples d'une même origine. Une
sage législation parviendrait peut-être à effacer le sou
venir de ces temps barbares où , dans les Provincias
internas , un caporal ou un sergent faisait avec ses.
braves la chasse des Indiens , comme on fait une bat

tue de bêtes fauves . Il est probable que l'homme à teint


cuivré se résoudrait plutôt à vivre dans un village ha
bité par des individus de sa race , qu'à se réunir aux
232 LIVRE III ,

blancs qui le maîtrisent avec hauteur . Mais nous avons

vu plus haut , dans le sixième chapitre , que malheu


reusement , dans la Nouvelle-Biscaye comme dans le
Nouveau-Mexique , il n'y a presque pas d'Indiens cul
tivateurs de race aztèque. Dans la première de ces
provinces il n'existe pas un seul individu tributaire ;
tous les habitans sont blancs , ou du moins se consi
dèrent comme tels . Tous croient avoir le droit de pla
cer le titre de Don devant leur nom de baptême , ne
fussent-ils que ce que , dans les îles françaises , par

un raffinement d'aristocratie qui enrichit les langues ,

on nommait de petits blancs ou des messieurs pas


sables.

Cette lutte contre les indigènes qui a duré pen


dant des siècles ; la nécessité dans laquelle se trouve
le colon retiré dans une ferme isolée , ou voyageant

par des déserts arides , de veiller sans cesse à sa propre

sûreté , de défendre son troupeau , ses foyers , sa femme ,


ses enfans même contre les incursions des Indiens

nomades ; en un mot , cet état de nature conservé au


milieu des apparences d'une ancienne civilisation ,
donne au caractère des habitans du nord de la Nou

velle-Espagne une énergie , j'ose dire , une trempe par


ticulière. A ces causes se joignent sans doute la nature
du climat qui est tempéré , un air éminemment sa
lubre , la nécessité du travail dans un sol moins riche

et moins fertile, le manque total d'Indiens et d'esclaves


que les blancs pourraient employer pour se livrer im
punément à l'oisiveté et à la paresse . Dans les Provin
CHAPITRE VIII. 233

cias internas , le développement des forces physiques


est favorisé par une vie singulièrement active , et qui
se passe en grande partie à cheval. Il l'est surtout par

les soins qu'exigent les nombreux troupeaux de bêtes


à cornes , qui , presque sauvages , errent dans les sa

vanes. A cette forcé d'un corps sain et robuste se


joignent la force de l'âme et une heureuse disposition
des facultés intellectuelles . Ceux qui dirigent les éta
blissemens d'éducation dans la ville de Mexico , ont

observé depuis long - temps que les jeunes gens qui


se sont distingués par des progrès rapides dans les
sciences exactes , étaient en grande partie originaires
des provinces les plus septentrionales de la Nouvelle
Espagne .
L'intendance de Durango occupe l'extrémité sep

tentrionale du grand plateau d'Anahuac , qui s'abaisse


au nord-est vers les bords du Rio Grande del Norte.

Les environs de la ville de Durango ont cependant


encore , d'après les mesures barométriques de Don Juan
Jose de Oteyza , plus de 2000 mètres de hauteur au
dessus du niveau de l'Océan . Le sol paraît même con
server cette grande élévation jusque vers Chihuahua ;
car c'est la chaîne centrale de la Sierra Madre , qui
(comme nous l'avons indiqué dans le tableau physique
général du pays * ) près de San Jose del Parral , se di
rige au nord-nord-ouest vers la Sierra Verde et la Sierra
de las Grullas.

* Plus haut , tome premier , dans le troisième chapitre , pag. 267 .


234 LIVRE III ,

On compte dans la Nueva-Biscaya une cité ou ciu


dad ( Durango ) , six villas ( Chihuahua , San Juan
del Rio , Nombre de Dios , Papasquiaro , Saltillo et
Mapimis ) , 199 villages ou pueblos , 75 paroisses ou
paroquias , 152 fermes ou haciendas , 37 missions et
400 cabanes ou ranchos.

Les endroits les plus remarquables y sont :


DURANGO ou Guadiana , résidence d'un intendant et
d'un évêque , dans la partie la plus méridionale de
la Nouvelle-Biscaye , à 170 lieues de distance , en
ligne droite , de la ville de Mexico ; à 298 lieues
de distance de la ville de Santa- Fe . La hauteur de

la ville est de 2087 " . Il y tombe souvent de la neige ,


et le thermomètre ( sous les 24° 25′ de latitude ) y
descend jusqu'à 8° au-dessous du point de la congéla
tion. Entre la capitale , les habitations del Ojo et del
Chorro , et la petite ville de Nombre de Dios , s'élève ,
au milieu d'un plateau très uni , un groupe de ro
chers couverts de scories, appelé la Breña. Ce groupe
de forme grotesque , qui a du nord au sud 12 lieues
de long , et de l'est à l'ouest 6 lieues de large , mérite
particulièrement de fixer l'attention des minéralo
gistes. Les rochers qui constituent la Breña sont
d'amygdaloïde basaltique , et paraissent soulevés par
le feu volcanique. M. Oteyza a examiné les mon
tagnes voisines , et surtout celle du Frayle , près de
l'Hacienda de l'Ojo . Il a trouvé sur sa cime un cra
tère de près de 100 mètres de circonférence et de
CHAPITRE VIII. 235

plus de 30 mètres de profondeur perpendiculaire.


C'est aussi dans les environs de Durango que se

trouve , isolée dans la plaine , cette énorme masse


de fer malléable et de nickel , qui dans sa compo

sition est identique avec l'aérolithe tombé en 1751


à Hraschina , près d'Agram en Hongrie. Le savant
directeur du tribunal de Mineria de Mexico , don

Fausto d'Elhuyar , m'en a communiqué des échan


tillons que j'ai déposés dans différens cabinets d'Eu

rope , et dont MM . Vauquelin et Klaproth ont


publié l'analyse. On assure que cette masse de Du
rango pèse près de 1900 myriagrammes, ce qui est
400 de plus que l'aérolithe découvert à Olumpa
dans le Tucuman , par M. Rubin de Celis . Un mi
néralogiste distingué, M. Frédéric Sonnenschmidt * ,
qui a parcouru une beaucoup plus grande partie
du Mexique que moi , a aussi reconnu en 1792 ,
dans l'intérieur de la ville de Zacatecas , une masse

de fer malléable d'un poids de 97 myriagrammes.


Il l'a trouvée dans ses caractères extérieurs et phy
siques entièrement analogue au fer malléable décrit
par le célèbre Pallas. La population de Durango
est de 12,000 .

CHIHUAHUA , résidence du capitaine-général des Pro


vincias internas , entourée de mines considérables ,
à l'est du grand Real de Santa Rosa de Cosiqui
riachi. Population de 11,600.

* Gazeta de Mexico , tom. V, pag. 59.


236 LIVRE III ,

SAN JUAN DEL RIO , au sud-ouest du lac de Parras.


Il ne faut pas confondre cette ville avec l'endroit
qui porte le même nom dans l'intendance de Mexi

co , et qui est situé à l'est de Queretaro. Population


de 10,200 .

NOMBRE DE Dros , ville considérable sur le chemin


des fameuses mines de Sombrerete à Durango. Po
pulation de 6800 .
PAPASQUIARO , petite ville , au sud du Rio de Nasas.
Population de 5600 .
SALTILLO , sur les confins de la province de Cohahuila
et du petit royaume de Léon . Cette ville est en
tourée de plaines arides , dans lesquelles le voyageur
souffre beaucoup du manque de sources. Le pla
teau sur lequel le Saltillo est situé , descend vers
Monclova , le Rio del Norte et la province de
Texas , où , au lieu du blé d'Europe , on ne trouve
que des champs couverts de cactus . Population
de 6000.

MAPIMIS , avec un poste militaire (presidio ) à l'est du


Cerro de la Cadena, sur la lisière du terrain inculte

appelé Bolson de Mapimi . Population de 2400 .


PARRAS , près d'un lac de ce nom , à l'ouest du Saltillo.
Une espèce de vigne trouvée sauvage dans ce beau
site , lui a fait donner , par les Espagnols , le nom de
Parrás. Les conquérans y ont transplanté la Vitis
vinifera de l'Ancien - Continent , et cette nouvelle
branche d'industrie y a très bien réussi , malgré la
haine que les monopolistes de Cadix ont jurée depuis
CHAPITRE VIII. 237

des siècles à la culture de l'olivier, de la vigne et du


mûrier dans les provinces de l'Amérique espagnole.
SAN PEDRO DE BATOPILAS ; jadis très célèbre par la

grande richesse de ses mines à l'ouest du Rio de

Conchos . Population de 8000 .


SAN JOSE DEL PARRAL , résidence d'une Diputacion
de Minas. Le nom de ce Real dérive , comme celui
de la ville de Parras , du grand nombre de ceps de

vigne sauvage qui couvraient la campagne, lors de la


première arrivée des Espagnols . Population de 5000 .
SANTA ROSA DE COSIQUIRIACHI , entouré de mines
d'argent , au pied de la Sierra de los Metates. J'ai
vu un mémoire très récent de l'intendant de Du

rango dans lequel la population de ce Réal était


portée à 10,700.
GUARISAMEY , mines très anciennes sur le chemin de

Durango à Copala. Population de 3800.

XII. INTENDANCE DE LA SONORA .

POPULATION ( EN 1803 ) 121,400 .

ÉTENDUE DE LA SURFACE EN LIEUES CARRÉES , 19,143.

HABITANS PAR LIEUE CARRÉE , 6.

Cette intendance qui est encore plus dépeuplée que


celle de Durango , s'étend le long du golfe de Ca
lifornie , appelé aussi la mer de Cortez. Son littoral a
plus de 280 lieues de longueur depuis la grande baie
238 LIVRE III ,

de Bayona , ou le Rio del Rosario , jusque vers l'em


bouchure du Rio Colorado , jadis nommé Rio de
Balzas , sur les bords duquel , au seizième siècle , les
moines missionnaires , Pedro Nadal et Marcos de Niza ,
firent des observations astronomiques . La largeur de

l'intendance est peu uniforme. Depuis le tropique du


Cancer jusque vers les 27 degrés de latitude , cette
largeur excède à peine 50 lieues , mais plus au nord ,
vers le Rio Gila , elle augmente si considérable
ment que sur le parallèle d'Arispe elle est de plus de
128 lieues.

L'intendance de la Sonora occupe une étendue de


terrain montueux qui a plus de surface que la moitié de
la France. Mais sa population absolue n'arrive pas au
quart de celle des départemens les plus peuplés de ce
royaume. L'intendant qui réside dans la ville d'Arispe ,
est chargé , comme celui de San Luis Potosi , de l'ad
ministration de plusieurs provinces qui ont conservé
les noms particuliers qu'ils avaient avant la réunion .
L'intendance de la Sonora comprend par conséquent

les trois provinces de Cinaloa ou Sinaloa , d'Ostimury


et de la Sonora proprement dite. La première s'étend
depuis le Rio del Rosario jusqu'au Rio del Fuerte , la

seconde , depuis cette dernière rivière jusqu'à celle de


Mayo ; la province de la Sonora , que d'anciennes cartes
désignent aussi sous le nom de la Nouvelle-Navarre ,
occupe toute l'extrémité septentrionale de cette inten
dance. Le petit district d'Ostimury est regardé aujour
d'hui comme enclavé dans la province de Cinaloa.
CHAPITRE VIII. 239

L'intendance de la Sonora confine à l'ouest à la mer ;


au sud , à celle de Guadalaxara ; à l'est , à une partie
très inculte de la Nouvelle-Biscaye. Ses limites au nord
sont peu déterminées. Les villages de la Pimeria Alta
sont séparés des rives du Rio Gila par une région
habitée par des Indiens indépendans , et dont ni les
soldats stationnés dans les presidios , ni les moines
postés dans les missions voisines n'ont réussi jusqu'à

présent à faire la conquête.
Les trois rivières les plus considérables de la Sonora
sont celles de Culiacan , de Mayo et de Yaqui ou de
Sonora. C'est à l'embouchure du Rio Mayo , au port

de Guitivis , appelé aussi Santa-Cruz de Mayo , que


s'embarque pour la Californie le courrier chargé des
dépêches du gouvernement et de la correspondance
du public. Ce courrier va à cheval de Guatimala à la
ville de Mexico , et delà par Guadalaxara et le Rosa
rio à Guitivis. Après avoir traversé dans une lancha
la mer de Cortez , il débarque au village de Loreto
dans la Vieille- Californie. Depuis ce village les lettres
sont envoyées de mission en mission jusqu'à Monterey,
et au port de San Francisco , situé dans la Nouvelle
Californie , sous les 37° 48 ′ de latitude boréale. Elles
parcourent sur cette route de postes plus de 920 lieues ,

Aller à la conquista , conquérir ( conquistar ) sont les termes tech


niques , dont les missionnaires se servent en Amérique pour désigner
qu'ils ont planté des croix autour desquelles les Indiens ont construit
quelques cabanes ; mais , par malheur pour les indigènes , les mots de
conquérir et de civiliser ne sont pas synonymes .
240 LIVRE III ,

c'est-à-dire une distance qui égale celle qu'il y a de


Lisbonne à Cherson . La rivière de Yaqui ou Sonora
a un cours d'une longueur considérable. Elle prend
sa source à la pente occidentale de la Sierra Madre ,
dont la crête peu élevée passe entre Arispe et le Pre
sidio de Fronteras . Près de son embouchure est situé

le petit port de Guaymas.


La partie la plus septentrionale de l'intendance de
la Sonora porte le nom de la Pimeria , à cause d'une
tribu nombreuse d'Indiens Pimas qui l'habitent. Ces
Indiens , pour la plus grande partie , vivent sous la do
mination des moines missionnaires , et suivent le rite
catholique. On distingue la Pimeria alta de la Pimeria
baxa. La dernière renferme le Presidio de Buenavista.

La première s'étend depuis le poste militaire (presidio)


de Ternate jusque vers le Rio Gila. Ce terrein mon
tueux de la Pimeria alta est le Choco de l'Amérique

septentrionale . Tous les ravins , et même des plaines


y contiennent de l'or de lavage disséminé dans des
terrains d'alluvion . On y a trouvé des pepites d'or pur
d'un poids de deux à trois kilogrammes. Mais ces lava
deros sont faiblement exploitées à cause des incursions
fréquentes des Indiens indépendans ; et surtout à cause
de la cherté des vivres qu'il faut transporter de très

loin dans ce pays inculte. Plus au nord , sur la rive


droite du Rio de la Ascencion , vivent des Indiens très
belliqueux , les Seris , auxquels plusieurs savans mexi
cains attribuent une origine asiatique , à cause de l'a
nalogie qu'offre leur nom avec celui des Seri , placés
CHAPITRE VIII. 241

par les géographes anciens au pied des montagnes


d'Ottorocorras , à l'est de la Scythia extra Imaum .
Il n'existe jusqu'ici aucune communication perma
nente entre la Sonora , le Nouveau-Mexique et la Nou
velle-Californie , quoique la cour de Madrid ait sou
vent ordonné que l'on formât des presidios et des mis
sions entre le Rio Gila et le Rio Colorado. L'extrava

gante expédition militaire de Don Joseph Galvez n'a


point servi à étendre d'une manière stable les limites
septentrionales de l'intendance de la Sonora. Deux
moines courageux et entreprenans , les pères Garcès et
Font , sont cependant parvenus , par terre , sans pas
ser la mer de Cortez , et sans toucher la péninsule de
l'ancienne Californie , en traversant des pays habités
par des Indiens indépendans , depuis les missions de
la Pimeria alta jusqu'à Monterey , et jusqu'au port de
San Francisco . Cette entreprise hardie sur laquelle le
collège de la Propagande à Queretaro a publié une
notice très intéressante , a aussi fourni de nouveaux

renseignemens sur les ruines de la Casa grande que


les historiens mexicains * regardent comme la demeure
des Aztèques , arrivés au Rio Gila vers la fin du dou
zième siècle.

Le père Francisco Garcès , accompagné du père


✰✰
Font " qui était chargé de faire les observations de

Clavigero , I , p. 159.
**
* Chronica serifica de el Colegio de propaganda fede de Queretaro, por
Fray Domingo Arricivita. Mexico , 1792 , tom. II , pag. 396 , 426
et 462. Cette chronique qui forme un gros volume in-folio de 600
II. 16
I

242 LIVRE III ,

latitude , partit du Presidio d'Horcasitas le 20 avril


1773. Après onze jours de chemin il arriva dans une

belle et vaste plaine à une lieue de distance de la rive


méridionale du Rio Gila. Il y reconnut les ruines d'une
ancienne ville aztèque , au milieu desquelles s'élève
l'édifice qu'on appelle la Casa grande . Ces ruines oc
cupent un terrain de près d'une lieue carrée. La grande
maison est exactement orientée d'après les quatre
points cardinaux , ayant du nord au sud 136 mètres
de long , et de l'est à l'ouest 84 mètres de large. Elle
est construite en torchis ( tapia ) . Les pisés sont d'une
grandeur inégale , mais symétriquement placés. Les
murs ont 12 décimètres d'épaisseur . On reconnaît
que cet édifice avait trois étages et une terrasse. L'es
calier était extérieur et probablement de bois. Ce
même genre de construction se trouve encore dans

tous les villages des Indiens indépendans du Moqui


à l'ouest du Nouveau-Mexique. On reconnaît dans la
Casa grande cinq pièces, dont chacune a 8,3 de long ,
3,3 de large et 3,5 de haut. Une muraille inter
rompue par de grosses tours ceint l'édifice principal ,
et paraît lui avoir servi de défense. Le père Garcès dé
couvrit les vestiges d'un canal artificiel qui conduisait

pages , mériterait bien qu'on en fit un extrait. Elle contient des no


tions géographiques très exactes sur les tribus indiennes qui habitent
la Californie , la Sonora , le Moqui , Nabajoa et les rives de Rio-Gila.
Je n'ai pas pu apprendre de quels instrumens astronomiques le
père Font s'est servi dans les excursions qu'il fit au Rio Colorado ,
depuis 1771 jusqu'en 1776. Je crains que ce ne soit d'un anneau
solaire.
CHAPITRE VIII. 243

les eaux du Rio Gila à la ville. Toute la plaine envi


ronnante est couverte de cruches et de pots de terre
cassés , joliment peints en blanc , en rouge et en bleu.
On trouve aussi parmi ces débris de faïence mexicaine
des pièces d'obsidienne ( itztli ) , phénomène assez cu
rieux , parce qu'il prouve que les Aztèques avaient
passé par quelque contrée septentrionale inconnue

qui recèle cette substance volcanique , et que ce n'est


pas l'abondance d'obsidienne que renferme la Nou
velle-Espagne qui a fait naître l'idée des rasoirs et
des armes d'itztli . Il ne faut d'ailleurs pas confondre
les ruines de cette ville du Gila , centre d'une ancienne
civilisation des peuples américains , avec les Casas
grandes de la Nouvelle-Biscaye , situées entre le presi
dio de Yanos et celui de San Buenaventura. Ces der

nières sont désignées par les indigènes comme la troi


sième demeure des Aztèques , dans la supposition très
vague que la nation aztèque , dans sa migration depuis
Aztlan jusqu'à Tula et la vallée de Tenochtitlan , fit
trois stations ; la première près du lac de Teguyo ( au
sud de la ville fabuleuse de Quivira , le Dorado mexi
cain ! ) ; la seconde au Rio Gila , et la troisième aux
environs de Yanos.

Les Indiens qui vivent dans les plaines voisines


des Casas grandes du Rio Gila , et qui n'ont jamais
eu la moindre communication avec les habitans de la
Sonora , ne méritent aucunement le nom d'Indios bra
vos. Leur culture sociale contraste singulièrement avec

l'état des sauvages qui errent sur les rives du Mis


16.
244 LIVRE JII ,

souri et en d'autres parties du Canada . Les pères


Garcès et Font trouvèrent les Indiens au sud de la

rivière de Gila , vêtus , cultivateurs paisibles , réunis


au nombre de deux ou trois mille dans des villages
qu'ils appellent Uturicut et Sutaquisan. Ils virent des
champs semés en maïs , en coton et en calebasses. Les
missionnaires , pour tenter la conversion de ces Indiens ,
leur montraient un grand tableau peint sur une pièce
de toile de coton , et représentant un pécheur con
damné aux flammes de l'enfer. Ce tableau fit tellement
peur aux Indiens qu'ils prièrent le père Garcès de ne
plus le dérouler , et de ne plus leur parler de ce qu'il
croyait devoir leur arriver quand ils seraient morts.
Ces indigènes sont d'un caractère doux et loyal. Le
pere Font leur fit expliquer par ses interprètes , la
sûreté qui régnait dans les missions chrétiennes où un
alcalde indien administrait la justice . Le chef d'Utu
ricut lui répondit : « Cet ordre de choses peut être
« nécessaire pour vous autres. Nous ne volons pas ,
<< nous disputons rarement , donc à quoi bon un al
«< calde parmi nous? » La civilisation que l'on trouve

chez les indigènes , lorsqu'on se rapproche de la côte


nord-ouest de l'Amérique , depuis les 33° jusqu'aux
54° de latitude , est un phénomène bien frappant , et
qui ne laisse pas de jeter quelque jour sur l'histoire
des premières migrations des peuples mexicains.
On compte dans la province de la Sonora une cité

( ciudad) celle d'Arispe ; deux villes ( villas ) savoir :


Sonora et Hostimuri; 46 villages (pueblos) , 15 paroisses
CHAPITRE VIII. 245

(parroquias ) 43 missions , 20 métairies (haciendas) ,


et 25 fermes ( ranchos ).
La province de Cinaloa renferme 5 villes'(Culiacan ,
Cinaloa , el Rosario , el Fuerte , et los Alamos) , 92 vil
lages ; 30 paroisses , 14 haciendas et 450 ranchos.
En 1793 , le nombre d'Indiens tributaires était dans
la province de la Sonora , seulement de 251 , tandis
que dans la province de Cinaloa il montait à 1851 .
Aussi la dernière de ces provinces est-elle plus an
ciennement peuplée que la première.

Les endroits les plus remarquables de l'intendance


de la Sonora sont :

ARISPE , résidence de l'intendant , au sud et à l'ouest


des presidios de Bacuachi et de Bavispe. Des per
sonnes qui ont accompagné M. Galvez dans son
expédition de la Sonora , assurent que la mission
d'Ures près de Pitic , aurait été plus propre qu'A
rispe pour devenir la capitale de l'intendance. Po

pulation 7600.
SONORA , au sud d'Arispe , au nord -est du presidio
d'Horcasitas. Population 6400.

HOSTIMURI , petite ville très peuplée , environnée de


mines considérables.

CULIACAN , célèbre dans l'histoire mexicaine sous le


nom d'Hueicolhuacan . On estime la population à
10,800.
CINALOA, appelé aussi la villa de San Felipe y San-.
246 LIVRE III ,

tiago , à l'est du port de Sainte-Marie d'Aome.


Population 9500 .
EL ROSARIO , près des riches mines de Copala, Popu
lation 5600.

VILLA DEL FUERTE , ou Montesclaros , au nord de Ci


naloa . Population 7900 .
LOS ALAMOS , entre le Rio del Fuerte et le Rio Mayo ,
résidence d'une Diputacion de Mineria. Popula
tion 7900.

XIII. LA PROVINCE DU NUEVO MEXICO.

POPULATION ( EN 1803 ) 40,200 .

Étendue de la SURFACE EN LIEUES CARRÉES 5709.

HABITANS PAR LIEUE CARRÉE 7 .

Plusieurs géographes paraissent confondre le Nou


veau-Mexique avec les Provincias internas : ils en

parlent comme d'un pays riche en mines , et d'une vaste


étendue. L'auteur célèbre de l'Histoire philosophique

des établissemens européens dans les deux Indes a


contribué à propager cette erreur . Ce qu'il appelle
l'empire du Nouveau-Mexique n'est qu'un rivage ha
bité par de pauvres colons. C'est un terrain fertile ,

mais dépeuplé , dépourvu , à ce que l'on croit jusqu'ici ,


de toutes richesses métalliques , et qui s'étend le long
du Rio del Norte , depuis les 31 ° jusqu'aux 38º de la
titude boréale. Cette province a du sud au nord 175
lieues de longueur , et de l'est à l'ouest 30 à 50 lieues
de largeur. Son étendue territoriale est par conséquent
CHAPITRE VIII. 247

bien moindre que des personnes peu instruites en ma


tières géographiques , ne la supposent dans le pays
même. La vanité nationale se plaît même à agrandir

les espaces , à reculer , sinon dans la réalité , du moins


dans l'imagination , les limites du pays occupé par les
Espagnols. Dans des mémoires qui m'ont été fournis
sur la position des mines mexicaines , on évalue l'éloi
gnement d'Arispe au Rosario , à 300 lieues marines ,
d'Arispe à Copala , à 400 , sans compter que toute
l'intendance de Sonora n'en a pas 280 en longueur.

Par la même cause , et surtout pour se concilier la fa


veur de la cour , les conquistadores , les moines mis
sionnaires et les premiers colons ont donné de grands
noms à de petites choses. Nous avons décrit plus haut
un royaume , celui de Léon , dont toute la population
n'égale pas le nombre des moines franciscains en Es
pagne. Quelques cabanes réunies prennent souvent le
titre pompeux de villes. Une croix plantée dans les
forêts de la Guyane figure sur les cartes des missions
envoyées à Madrid et à Rome , comme un village ha
bité par des Indiens. Ce n'est qu'après avoir vécu

long-temps dans les colonies espagnoles , après avoir


reconnu de près ces fictions de royaumes , de villes et
de villages , que le voyageur se forme une échelle pro
pre à réduire les objets à leur juste valeur.
Les conquérans espagnols , peu d'années après la
destruction de l'empire aztèque , firent des établisse
mens stables dans le nord d'Anahuac. La ville de Du

rango fut fondée sous l'administration du second vice


248 LIVRE III ,

roi de la Nouvelle - Espagne , Velasco el Primero ,


l'année 1559. C'était alors un poste militaire contre
les incursions des Indiens Chichimèques . Vers la fin
du seizième siècle le vice-roi comte de Monterey en
voya le valeureux Juan de Onate au Nouveau-Mexi
que. C'est ce général , qui , après avoir chassé les tri
bus d'indigènes nomades , peupla les rives du grand
Rio del Norte.

Depuis la ville de Chihuahua on peut aller en voi


ture jusqu'à Santa-Fe du Nouveau-Mexique. On s'y
sert communément d'une sorte de calèche que les Ca
talans appelle volantes. Le chemin est beau et uni ; il
longe la rive orientale du Grandfleuve ( Rio Grande)
que l'on traverse au Passo del Norte. Les bords du

fleuve sont très pittoresques ; il sont ornés de beaux


peupliers et d'autres arbres de la zone tempérée.
Il est assez frappant de voir qu'après deux siècles de
colonisation , la province du Nouveau- Mexique ne soit
point encore contiguë à l'intendance de la Nouvelle
Biscaye. Un désert dans lequel les voyageurs sont quel

quefois attaqués par les Indiens Cumanches , sépare


les deux provinces. Il se prolonge depuis le Passo del
Norte vers la ville d'Albuquerque. Avant l'année 1680,
époque à laquelle il y eut une révolte générale des In
diens du Nouveau-Mexique , cette étendue de terrain
inculte et inhabité était cependant moins considérable
qu'elle ne l'est aujourd'hui. Il existait alors trois vil
lages , San Pascual , Semillete , et Socorro , qui étaient
situés entre le marais du Muerto et la ville de Santa
I

CHAPITRE VIII. 249

Fe. L'évêque Tamaron en vit encore les ruines en 1760.


1
Il trouva dans des champs des abricotiers devenus sau
vages , et indiquant l'ancienne culture de ce pays. Les
deux points les plus dangereux pour les voyageurs
sont le défilé du Robledo , à l'ouest du Rio del Norte ,
vis -à-vis la Sierra de Doña Ana , et le désert du Muerto .
.
Beaucoup de blancs y'ont été assassinés par les Indiens 4
nomades. *

Le désert du Muerto est une plaine de trente lieues


de long sans eau. En général tout ce pays est d'une
sécheresse effrayante. Car les montagnes de los Man
sos , situées à l'est du chemin qui mène de Durango à
Santa-Fe , ne donnent pas naissance à un seul ruisseau.
Malgré la douceur du climat , et les progrès de l'in
dustrie , une grande partie de ce pays , de même que
la Vieille-Californie , et plusieurs districts de la Nou
velle-Biscaye et de l'intendance de Guadalaxara , ne
seront jamais susceptibles de renfermer une popula
tion considérable .

Le Nouveau-Mexique , quoique placé sous la même


latitude que la Syrie et la Perse centrale , a un climat

éminemment froid. Il y gèle au milieu du mois de mai .


Près de Santa- Fe , et un peu plus au nord ( sous le
parallèle de la Morée ) le Rio del Norte se couvre

quelquefois plusieurs années de suite de glaces si
épaisses qu'on le passe à cheval et en voiture. Nous

ne connaissons pas la hauteur du sol de la province 1

*
Entre le Missouri et l'Arkansas ; on ne peut cultiver l'indigo et le
coton que jusqu'à 36° lat. , le sucre sous 37 (Long , Expedit. II. 348).
250 LIVRE III ,

du Nouveau - Mexique. Mais je doute que sous le


trente-septième degré de latitude , le lit du fleuve ait
plus de 700 ou 800 mètres d'élévation au-dessus du

niveau de l'Océan. Les montagnes qui bordent la


vallée du Rio del Norte , même celles au pied des
quelles est situé le village de Taos , perdent leur neige
déjà vers le commencement du mois de juin.
Le GrandFleuve du Nord, comme nous l'avons fait
remarquer plus haut , prend sa source dans la Sierra

Verde, qui est un point de partage entre les affluens


du golfe du Mexique et ceux de la Mer du Sud. Il a
ses crues périodiques (crecientes) comme l'Orénoque ,
le Mississipi , et un grand nombre de rivières des deux
Continens. Les eaux du Rio del Norte augmentent
depuis le mois d'avril. Leur crue est au maximum au
commencement de mai . Elles baissent surtout depuis
la fin du mois de juin . Ce n'est qu'à l'époque des sé
cheresses de l'été , et quand la force du courant est

très petite , que les habitans passent le fleuve à gué ,


montés sur des chevaux d'une taille extraordinaire.

Au Pérou ces chevaux sont appelés cavallos chimba


dores. Plusieurs personnes y montent à-la-fois , et si
le cheval prend pied de temps en temps en nageant ,
on appelle ce mode de passer le fleuve , pasar el rio
a volapiè.
Les eaux du Rio del Norte , comme celles de l'Oré
noque et de toutes les grandes rivières de l'Amérique
méridionale , sont extrêmement troubles . Dans la
Nouvelle -Biscaye on regarde comme la cause de ce
CHAPITRE VIII . 251

phénomène une petite rivière appelée Rio Puerco


(
fleuve sale) , et dont l'embouchure est au sud de la
ville d'Albuquerque , près de Valencia . M. Tamaron a
observé cependant que les eaux sont troubles bien au
dessus de Santa -Fe et de la ville de Taos . Les habi
tans du Passo del Norte ont conservé la mémoire d'un

événement très extraordinaire qui eut lieu l'année


1752. Il virent tout d'un coup rester à sec tout le lit
de la rivière , trente licues au-dessus , et plus de vingt
lieues au-dessous du Passo : l'eau du fleuve se préci

pita dans une crevasse nouvellement formée , et ne


ressortit de terre que près du Presidio de San Eleaza
rio . Cette perte du Rio del Norte dura assez long
temps. Les belles campagnes qui entourent le Passo
et qui sont traversées par de petits canaux d'irriga
tion , restèrent sans arrosement ; les habitans creusè
rent des puits dans le sable , dont le lit de la rivière est
comblé. Enfin , après plusieurs semaines , on vit l'eau
reprendre son ancien cours , sans doute parce que
la crevasse et les conduits souterrains s'étaient bou

chés. Le phénomène que je viens de citer a quelque


analogie avec un fait que les Indiens de la province
de Jaen de Bracamorros m'ont rapporté pendant mon
séjour à Tomependa. C'est au commencement du dix

huitième siècle que les habitans du village de Puyaya


virent avec effroi se dessécher presque entièrement ,
et pendant plusieurs heures , le lit du fleuve des Ama

zones. Près de la cataracte ( Pongo ) de Rentema une


partie des rochers de grès s'étaient écroulés par l'effet
252 LIVRE III ,

d'un tremblement de terre , et les eaux du Maragnon


furent retenues dans leur cours jusqu'à ce qu'elles
eussent pu franchir la digue qui s'était formée. Dans
la partie septentrionale du Nouveau-Mexique , près
de Taos , et au nord de cette ville , naissent des rivières
dont les eaux se mêlent à celle du Mississipi . Le Rio
Pecos est probablement identique avec la rivière rouge
de Natchitoches , et le Rio Napestla est peut-être le
même fleuve qui plus à l'est prend le nom d'Arkansas.
Les colons de cette province , connus par la grande
énergie de leur caractère , vivent dans un état de
guerre perpétuelle avec les Indiens voisins. C'est à
cause du manque de sûreté qu'offre la vie des champs ,

que les villes sont plus peuplées qu'on ne devrait s'y


attendre dans un pays aussi désert. La situation des
habitans du Nouveau -Mexique ressemble , sous plu
sieurs rapports , à celle des peuples d'Europe au
moyen âge. Aussi long-temps que l'isolement expose

l'homme à des dangers personnels , aucun équilibre


ne peut s'établir entre la population des villes et celle
de la campagne .

Il s'en faut de beaucoup cependant que ces Indiens


qui vivent en inimitié avec les colons espagnols ,
soient tous également barbares. Ceux de l'est sont
nomades et guerriers . S'ils font le commerce avec les
blancs , c'est souvent sans se voir , et d'après des prin
cipes dont on retrouve des traces chez plusieurs peuples
de l'Afrique. Les sauvages , dans leurs excursions au

nord du Bolzon de Mapimi , plantent le long du che


CHAPITRE VIII. 253

min qui mène de Chihuahua à Santa-Fe , de petites


croix auxquelles ils suspendent une poche de cuir avec
un peu de viande de cerf. Au pied de la croix se trouve
étendue une peau de buffle. L'Indien indique par ces
signes qu'il veut établir un commerce d'échange avec
ceux qui adorent la croix . Il offre au voyageur chré

tien une peau pour avoir des comestibles dont il ne


fixe pas la quantité. Les soldats des presidios qui en

tendent le langage hieroglyphique des Indiens pren


nent la peau de buffle , et laissent au pied de la croix
de la viande salée * . Voilà un système de commerce
qui indique un mélange extraordinaire de bonne foi
et de méfiance.
Avec les Indiens nomades et méfians qui errent
dans les savanes à l'est du Nouveau- Mexique , con
trastent ceux que l'on trouve à l'ouest du Rio del

Norte , entre les fleuves Gila et Colorado. Le père


Garcès est un des derniers missionnaires qui , en 1773,
ont visité le pays des Moqui , traversé par le Rio de
Yaquesila. Il fut étonné d'y trouver une ville in
dienne avec deux grandes places , des maisons à plu
sieurs étages , et des rues bien alignées et parallèles
les unes aux autres. Le peuple s'y assemblait tous les
soirs sur les terrasses qui forment les toits des mai
sons. La construction des édifices du Moqui est la
même que celle des Casas grandes , aux bords du
Rio Gila , dont nous avons parlé plus haut. Les In

* Diario del Illmo Señor Tamaron (manuscrit ).


254 LIVRE III ,

diens qui habitent la partie septentrionale du Nou


veau-Mexique donnent aussi une hauteur considé

rable à leurs maisons pour découvrir l'approche de


leurs ennemis. Tout paraît annoncer dans ces contrées
des traces de la culture des anciens Mexicains . Les
traditions indiennes nous apprennent même que ,

vingt lieues au nord du Moqui , près de l'embouchure


du Rio Zaguananas , les rives du Nabajoa étaient
la première demeure des Aztèques , après leur sortie
d'Aztlan . En considérant la civilisation qui existe sur
plusieurs points de la côte nord-ouest de l'Amérique,
au Moqui et sur les bords du Gila , on serait tenté de
croire ( et j'ose le répéter ici ) que , lors de la migra
tion des Toltèques , des Acolhues et des Aztèques ,
plusieurs tribus se sont séparées de la grande masse
du peuple pour se fixer dans ces contrées boréales.
Cependant la langue que parlent les Indiens du Mo
qui , les Yabipais , qui portent de longues barbes ,
et ceux qui habitent les plaines voisines du Rio Co
lorado , diffère * essentiellement de la langue mexi
caine .

Au dix-septième siècle , plusieurs missionnaires de

l'ordre de Saint- François s'étaient établis parmi les


Indiens du Moqui et de Nabajoa . Ils furent massa
crés dans la grande révolte des Indiens , qui eut lieu
en 1680. J'ai vu sur des cartes manuscrites , dressées

* Voyez le témoignage de plusieurs moines missionnaires , qui


étaient très versés dans la connaissance de la langue aztèque. ( Chro
nica serafica del colegio de Queretaro , p. 408. )
CHAPITRE VIII. 255

avant cette époque , le nom de la Provincia del


Moqui.
La province du Nouveau -Mexique a trois villas
( Santa-Fe , Santa-Cruz de la Cañada y Taos , Albu
querque y Alameda ) , 26 pueblos ou villages , 3 par
roquias ou paroisses , 19 missions et aucune ferme
(rancho ) isolée.
SANTA- FE , capitale , à l'est du Gran Rio del Norte.
Population 36oo.
ALBUQUERQUE , vis-à-vis du village d'Atrisco , à l'ouest

de la Sierra obscura . Population 6000.


TAOS , que les anciennes cartes plaçaient de 62 lieues
trop au nord sous les 40 degrés de latitude. Popu
lation 8900 .

PASSO DEL NORTE , presidio , ou poste militaire sur


la rive droite du Rio del Norte , séparé de la ville
de Santa-Fe par un pays inculte de plus de 60 lieues
de long . Il ne faut point confondre cette bourgade ,
que quelques cartes manuscrites conservées dans
les archives de Mexico , considèrent comme dépen
dante de la Nouvelle-Biscaye , avec le Presidio del
Norte , ou de las Juntas , placé plus au sud à l'em
bouchure du Rio Conchos . C'est au Passo del Norte

que s'arrêtent les voyageurs pour réunir les provi


sions nécessaires , avant de continuer leur route
jusqu'à Santa-Fe . Les environs du Passo sont un
pays délicieux qui ressemble aux plus belles parties
de l'Andalousie. Les champs sont cultivés en maïs
et en froment. Les vignobles produisent des vins
256 LIVRE III,

liquoreux et excellens que l'on préfère même aux


vins de Parras , de la Nouvelle - Biscaye. Les jar
dins renferment en abondance tous les arbres frui

tiers de l'Europe , des figuiers , des pêchers , des


pommiers et des poiriers. Comme le pays est très
sec, un canal d'irrigation conduit les eaux du Rio
del Norte au Passo . Les habitans du Presidio ont

beaucoup de peine à conserver le batardeau qui


force les eaux des fleuves , lorsqu'elles sont très
basses , d'entrer dans le local ( Azequia ) . Pendant
les grandes crues du Rio del Norte la force du
courant détruit ce batardeau presque tous les ans ,
aux mois de mai et de juin. La manière de rétablir
et de renforcer la digue est assez ingénieuse. Les
habitans forment des paniers de pieux réunis par
des branches d'arbres et remplis de terre et de
pierres. Ces gabions ( cestones ) sont abandonnés à
la force du courant , qui , dans son remous , les

dépose au point où le canal se sépare de la ri


vière.

XIV. PROVINCE DE LA VIEILLE CALIFORNIE.

POPULATION ( EN 1803 ) 9000.

ÉTENDUE DE LA surface en lieues CARRÉES , 7295 .

HABITANS PAR LIEUE CARRÉE " 1.

L'histoire de la géographie offre plusieurs exemples


de pays dont la position a été connue aux premiers
CHAPITRE VIII . 257

navigateurs , et que l'on a regardés long-temps comme


n'ayant été découverts qu'à des époques très récentes .
Telles sont les îles Sandwich , la côte occidentale de
la nouvelle-Hollande , les grandes Cyclades , nommées
jadis , par Quiros , l'archipel del Espíritu Santo , la
terre des Arsacides , vue par Mendaña , et surtout les
côtes de la Californie. Ce dernier pays avait été re

connu comme une péninsule , avant l'année 1541 ;


et cependant cent soixante ans plus tard on attribuait
au père Kühn ( Kino ) le mérite d'avoir prouvé le
premier que la Californie n'était pas une île , mais
qu'elle tenait au continent du Mexique.
Cortez , après avoir étonné le monde par ses exploits
sur la terre-ferme , déploya une énergie de caractère
non moins admirable dans ses entreprises maritimes.
Inquiet , ambitieux , tourmenté de l'idée de voir le
pays que son courage avait conquis , administré tan

tôt par un corregidor de Tolède , tantôt par un pré


sident de l'audience , ou par un évêque de Saint- Do
mingue * , il se livra tout entier aux expéditions de
'découvertes dans la Mer du Sud. Il paraissait ou
blier que les ennemis puissans qu'il avait à la cour lui

avaient été suscités par la grandeur et la rapidité de


ses succès , et il se flattait de les forcer au silence
par l'éclat de la nouvelle carrière qui s'ouvrait à son
activité. D'un autre côté , le gouvernement qui se mé

* Le corregidor Luis Ponce de Léon; le président Nuño de Guzman,


et l'évêque Sébastian Ramirez de Fuenleal.
II. 17
258 LIVRE III,

fiait d'un homme aussi extraordinaire , l'encouragea

dans son dessein de parcourir l'Océan. Croyant , de


puis la prise de Mexico , n'avoir plus besoin du talent
militaire de Cortez , l'empereur était content de le voir
lancé dans des entreprises hasardeuses . Il desirait sur
tout éloigner le héros du théâtre sur lequel avaient
brillé son courage et son audace .
Déjà en 1523 , Charles-Quint , dans une lettre
datée de Valladolid ", avait recommandé à Cortez de
chercher sur les côtes orientales et occidentales de la

Nouvelle-Espagne le secret d'un détroit (el secreto del


estrecho), qui raccourcirait de deux tiers la navigation
de Cadix aux Indes orientales , appelées alors le pays

des épiceries. Cortez , dans sa réponse à l'empereur,


parle avec le plus grand enthousiasme de la proba
bilité de cette découverte « qui ( ajoute- t-il ) rendra
« Votre Majesté maîtresse de tant de royaumes qu'elle
« pourra se regarder comme le monarque du monde
<< entier * ». C'est dans le cours d'une de ces naviga

tions entreprises aux frais particuliers de Cortez , que


les côtes de la Californie furent découvertes par Her

nando de Grixalva au mois de février 1534 ** . Son pilote

·
Cartas de Cortez , p. 374 , 382 , 385.
** J'ai trouvé dans un manuscrit conservé dans les archives de la
vice-royauté de Mexico, que la Californie avait été découverte en 1526.
J'ignore sur quoi se fonde cette assertion. Cortez , dans ses lettres
à l'empereur, écrites jusqu'en 1524 , parle souvent des perles qu'on
trouve près des îles de la Mer du Sud; cependant les extraits que l'au
teur de la Relacion del Viage al Estrecho de Fuca (p. VII-XXII ) a faits
CHAPITRE VIII. 259

Fortun Ximenez fut tué par les Californiens , dans la


baie de Santa-Cruz , appelée dans la suite le port de
la Paz , ou du marquis del Valle . Mécontent de la
lenteur et du peu de succès des découvertes dans la
Mer du Sud , Cortez s'embarqua lui -même , en 1535 ,

avec 400 Espagnols , et avec trois cents nègres es


claves , au port de Chiametlan ( Chametla ). Il longea
les deux côtes du golfe que l'on désigna dès-lors par
le nom de la mer de Cortez , et que l'historien Go
mara , en 1557 , compara très judicieusement à la mer
Adriatique. C'est pendant son séjour à la baie de
Santa-Cruz que parvint à Cortez la nouvelle affli
geante que le premier vice-roi venait d'arriver à la

Nouvelle- Espagne. Ce grand conquérant poursuivit


sans relâche ses découvertes en Californie , lorsque le
bruit de sa mort se répandit à Mexico . Son épouse ,
Juana de Zuñiga , équipa deux vaisseaux et une cara
velle pour approfondir la vérité de cette nouvelle alar

mante. Cortez , après avoir couru mille dangers ,


mouilla heureusement au port d'Acapulco . Il fit pour
suivre, et toujours à ses frais, par Francisco de Ulloa,
la carrière qu'il venait d'ouvrir si glorieusement. Ul
loa , dans le cours d'une navigation de deux ans , re
connut les côtes du golfe de Californie jusque vers
l'embouchure du Rio Colorado.

des manuscrits précieux conservés à l'Académie d'histoire de Ma


drid, paraissent prouver que la Californie n'a pas même été vue dans
l'expédition de Diego Hurtado de Mendoza , en 1532.
17.
260 LIVRE III,

La carte que le pilote Castillo construisit à Mexico


en 1541 , et que nous avons citée plusieurs fois ,
représente la direction des côtes de la presqu'île de
Californie , telle à-peu-près que nous la connaissons
aujourd'hui . Malgré ces progrès de la géographie ,
dus au génie et à l'activité de Cortez , plusieurs écri
vains , sous le faible règne du roi Charles II , com
mencèrent à regarder la Californie comme un archi

pel de grandes îles , appelées Islas Carolinas. La


pêche des perles n'y attirait que de temps en temps
quelques bâtimens expédiés des ports de Xalisco ,
d'Acapulco ou de Chacala ; et lorsque trois jésuites ,
les pères Kühn , Salvatierra et Ugarte , visitèrent
dans le plus grand détail , depuis l'année 1701 jus
qu'en 1721 , les côtes qui environnent la mer de
Cortez ( mar roxo ó vermejo ) , on crut en Europe

avoir appris pour la première fois que la Californie


est une péninsule.
Moins un pays est connu , moins il est rapproché
des colonies européennes les mieux peuplées , et plus
facilement il acquiert une réputation de grandes ri
chesses métalliques. L'imagination des hommes se
plaît aux récits des merveilles que la crédulité et la
ruse des premiers voyageurs ont su répandre d'un ton
mystérieux. A Cumana et à Caraccas , on s'extasie
sur les richesses des pays situés entre l'Orénoque et le
Rio Negro ; à Santa- Fe on entend vanter sans cesse
les missions des Andaquies ; à Quito , les provinces de
Macas et de Maynas. La presqu'île de la Californie a
CHAPITRE VIII. 261
1
été pendant long -temps le Dorado de la Nouvelle
Espagne. Un pays riche en perles doit , selon la lo
gique du peuple , produire en abondance de l'or, des
diamans et d'autres pierres précieuses . Un moine
voyageur, Fray Marcos de Nizza , exalta la tête des
Mexicains par les nouvelles fabuleuses qu'il donna de

la beauté du pays situé au nord du golfe de Califor


nie , de la magnificence de la ville de Cibola *, de son
immense population , de sa police et de la civilisation
de ses habitans. Cortez et le vice-roi Mendoza se dis

putèrent d'avance la conquête de ce Tombouctou mexi


cain. Les établissemens que les jésuites firent dans la
Vieille-Californie , depuis l'année 1683 , donnèrent
occasion de reconnaître la grande aridité de ce pays

* L'ancienne carte manuscrite de Castillo place la ville fabuleuse


de Cibola ou Cibora , sous le 37º de latitude. Mais , en réduisant sa
position à celle de l'embouchure du Rio Colorado , on est tenté de
croire que les ruines des Casas grandes du Gila , dont il a été question
dans la description de l'intendance de la Sonora , pourraient avoir
donné occasion aux contes débités par le bon père Marcos de Nizza.
Cependant la grande civilisation que ce religieux assure avoir trouvée
parmi les habitans de ces contrées septentrionales , me paraît un fait
assez important , et qui se lie à ce que nous avons exposé en parlant
des Indiens du Rio Gila et du Moqui. Les auteurs du seizième siècle
plaçaient un second Dorado au nord de Cibora , sous le 41° degré de
latitude. C'est là que se trouvait , selon eux , le royaume de Tatarrax
et une immense ville , appelée Quivira, sur les bords du lac de Te
guayo , assez près du Rio del Aguilar. Cette tradition , si elle se fonde
sur l'assertion des Indiens d'Anahuac , est assez remarquable ; car les
bords du lac de Teguayo , qui est peut-être identique avec le lac de
Timpanogos , sont indiqués , par les historiens aztèques , comme la
patrie des Mexicains.
262 LIVRE III ,

et l'extrême difficulté de le cultiver. Le peu de succès


qu'eurent les mines que l'on exploita à Sainte-Anne ,
au nord du cap Pulmo , diminuèrent l'enthousiasme
avec lequel on avait préconisé les richesses métalliques
de la presqu'île. Mais la malveillance et la haine qu'on
portait aux jésuites firent naître le soupçon que cet
Ordre cachait aux yeux du gouvernement les trésors
que renfermait une terre si anciennement vantée. Ces
considérations déterminèrent le Visitador Don Jose

de Galvez , que son esprit chevaleresque avait engagé


dans une expédition contre les Indiens de la Sonora ,
à passer en Californie : il y trouva des montagnes
nues , sans terre végétale et sans eaux : des raquettes
et des mimoses arborescentes naissaient dans les fentes
des rochers. Rien n'annonçait l'or et l'argent que l'on
accusait les jésuites d'avoir tiré du sein de la terre. Mais
partout on reconnut les traces de leur activité, de leur
industrie et du zèle louable avec lequel ils avaient tra
vaillé à cultiver un pays désert et aride. C'est dans le
cours de cette expédition de Californie que le Visi
tador Galvez fut accompagné d'un homme aussi re
marquable par son talent que par les grandes vicis
situdes qu'il a éprouvées dans sa fortune , le chevalier
d'Asanza fit les fonctions de secrétaire auprès de
M. Galvez. Il énonça avec franchise ce que les opé
rations de la petite armée prouvaient bien mieux en
core que les médecins de Pitic ; il osa dire que le Vi
sitador avait l'esprit aliéné. M. d'Asanza fut arrêté et
enfermé pendant cinq mois dans une prison , dans
CHAPITRE VIII. 263

le village de Tepozotlan, où, trente après, il fit son en


trée solennelle comme vice-roi de la Nouvelle-Espagne.
La presqu'île de Californie qui , sur une étendue de
terrain égale à celle de l'Angleterre , n'a pas la popu
lation des petites villes d'Ipswich ou de Deptford , est
placée sous le même parallèle que le Bengale et les
îles Canaries. Le ciel y est constamment serein , d'un
bleu foncé et sans nuages : si ces derniers paraissent
momentanément au coucher du soleil , c'est en brillant
des plus belles nuances de violet , de pourpre et de
vert. Toutes les personnes qui ont séjourné en Cali
fornie , ( et j'en ai vu plusieurs dans la Nouvelle- Es
pagne ) , ont conservé le souvenir de la beauté extraor
dinaire de ce phénomène qui tient à un état particu
lier de la vapeur vésiculaire , et à la pureté de l'air
dans ces climats. Un astronome ne trouverait pas un
séjour plus délicieux que celui de Cumana , de Coro ,
de Pampatar à l'île de la Marguerite , et des côtes de la
Californie. Mais malheureusement dans cette péninsule

le ciel est plus beau que la terre. Un sol poudreux et


aride comme le sol de la Provence , nourrit à peine
quelques plantes.
Le centre de la presqu'île est traversé par une chaîne
de montagnes , dont la plus élevée , le Cerro de la Gi
ganta, a quatorze ou quinze cents mètres d'élévation ,
et paraît d'origine volcanique. Cette Cordillère est
habitée par des animaux , qui par leur forme et leurs
mœurs , se rapprochent du mouflon ( ovis ammon ) de
la Sardaigne , et que le père Consag n'a fait connaître
264 LIVRE III ,

qu'imparfaitement . Les Espagnols les appellent des


brebis sauvages ( carneros cimarones ) . Ils sautent
comme le bouquetin , la tête en bas. Leurs cornes
sont recourbées sur elles-mêmes en spirale. Selon les
observations de M. Costanzo * ,.cet animal diffère es
sentiellement des chèvres sauvages , qui sont blanc
cendré , d'une taille beaucoup plus grande , et propres
à la Nouvelle- Californie , surtout à la Sierra de Santa
Lucia , près de Monterey. Aussi ces chèvres qui ap
partiennent peut-être au genre des antilopes , sont
désignées dans le pays par le nom de Berendos. Elles
ont , comme les chamois , des cornes recourbées en
arrière.

Au pied des montagnes de la Californie on ne voit


que des sables , ou une couche pierreuse sur laquelle
s'élèvent des cactus cylindriques ( Organos del Tunal
à des hauteurs extraordinaires. On y découvre très peu

de sources , et , par une fatalité bien grande , on re


marque que là où les sources jaillissent , le rocher est
nu , tandis qu'il n'y a pas d'eau dans les endroits où le
rocher est couvert de terre végétale . Partout où les
sources et la terre se trouvent ensemble , la fertilité
du sol est immense. C'est dans ces points peu nom

* Journal d'un voyage à l'ancienne Californie et au port de San


Diego , rédigé en 1769 ( Manuscrit ). Ce journal intéressant avait déja
été imprimé à Mexico , lorsque , par un ordre du ministre , tous les
exemplaires en furent confisqués. Il est à desirer pour les progrès de
la zoologie , que l'on parvienne bientôt à connaître , par le soin des
voyageurs , les vrais caractères spécifiques qui distinguent les Carneros
cimarones de la Vieille- Californie des Berendos de Monterey.
CHAPITRE VIII. 265

breux , mais favorisés par la nature , que les jésuites


ont établi leurs premières missions. Le maïs , le ja
tropha et le dioscorea y végètent vigoureusement. La
vigne y donne un raisin excellent , et dont le vin res
semble à celui des îles Canaries. Mais en général la
Vieille-Californie , à cause de la nature aride de son
sol , et du manque d'eau et de terre végétale que l'on
observe dans l'intérieur du pays , ne sera jamais propre

à entretenir une grande population , non plus que la


partie la plus septentrionale de la Sonora , qui est
presque également sèche et sablonneuse.

De toutes les productions naturelles de la Cali


fornie , les perles sont celles qui depuis le seizième
siècle ont le plus engagé les navigateurs à visiter la
côte de ce pays désert . Elles abondent surtout dans
la partie méridionale de la presqu'île . Depuis que la

pêche des perles a cessé près de l'île de la Margue


rite, en face de la côte d'Araya , les golfes de Panama et
de Californie sont , dans les colonies espagnoles , les
seuls parages qui fournissent des perles au commerce
d'Europe . Celles de Californie ont une eau très belle ;
elles sont grandes , mais souvent d'une figure irrégu
lière et peu agréable à l'œil . La coquille qui produit
la perle se trouve surtout dans la baie de Ceralvo et
autour des îles de Santa Cruz et de San Jose. Les

perles les plus précieuses que possède la cour d'Es


pagne , ont été trouvées en 1615 et en 1665 dans les

expéditions de Juan Yturbi et de Bernal de Piñadero .


Pendant le séjour que fit en Californie le Visitador
266 LIVRE III ,

Galvez , en 1768 et 1769 , un simple soldat du presidio


de Loreto , Juan Ocio , s'enrichit en peu de temps par

la pêche des perles sur les côtes de Ceralvo. Depuis


cette époque , le nombre des perles de Californie qui
viennent annuellement dans le commerce , est réduit
presque à rien. Les Indiens et les nègres qui s'adon
nent au pénible métier de plongeurs , sont si mal payés
par les blancs , que la pêche est regardée comme aban
donnée. Cette branche d'industrie languit par les

mêmes causes qui , dans l'Amérique méridionale , ren


chérissent les peaux de vigogne , le caoutchouc , et
même l'écorce febrifuge du quinquina.

Quoique Hernan Cortez , dans ses expéditions de


Californie , cût dépensé de son patrimoine plus de
deux cent mille ducats , et que Sébastien Viscaino ,
qui mérite d'être placé au premier rang des navigateurs
de son siècle , eût pris formellement possession de la
presqu'île , ce ne fut qu'en 1642 que les jésuites par
vinrent à y former des établissemens stables . Jaloux de
leur pouvoir , ils luttèrent avec succès contre les efforts
des moines de St. - François , qui cherchaient de temps
en temps à s'introduire chez les Indiens. Ils eurent

des ennemis plus difficiles à combattre , les soldats des


postes militaires ; car , aux extrémités des possessions
espagnoles du Nouveau-Continent , sur les limites de
la civilisation européenne , les pouvoirs législatif et
exécutif se trouvent distribués d'une manière bien
étrange. Le pauvre Indien n'y connaît d'autre maître
qu'un caporal , ou un missionnaire.
CHAPITRE VIII. 267

En Californie les jésuites remportèrent une victoire


complète sur les militaires postés dans les presidios. La
cour décida , par une cédule royale , que tous , même
le capitaine du détachement de Loreto , seraient sous
les ordres du père président des missions. Les voyages
intéressans de trois jésuites , Eusebe Kühn , Maria
Salvatierra , et Juan Ugarte firent connaître la situa

tion physique du pays. Le village de Loreto avait déjà


été fondé sous le nom de Presidio de San Dionisio , en

1697. Sous le règne de Philippe V, surtout depuis


l'année 1744 , les établissemens espagnols en Cali
fornie devinrent très considérables. Les pères jésuites
y déployèrent cette industrie commerciale et cette

activité auxquelles ils ont dû tant de succès , et qui les


ont exposés à tant de calomnies dans les deux Indes.

En très peu d'années ils construisirent seize villages


dans l'intérieur de la presqu'île. Depuis leur expulsion ,
en 1767 , l'administration de la Californie a été con
fiée aux moines des couvens de Saint- Dominique de la
ville de Mexico. Il paraît que ceux-ci ont été moins
heureux dans les établissemens de la Vieille -Califor
nie que les Franciscains ne l'ont été sur les côtes de
la Nouvelle-Californie.
Les naturels de la péninsule qui ne vivent point
dans les missions , sont peut-être de tous les sauvages
ceux qui sont le plus près de l'état qu'on est convenu
de nommer l'état de nature. Ils passent des journées
entières couchés sur le ventre , étendus dans le sable
lorsqu'il est échauffé par la réverbération des rayons
268 LIVRE III,

solaires . Ils ont , de même que plusieurs tribus que


nous avons vues à l'Orénoque , les vêtemens en hor
reur. Un singe habillé , dit le père Venegas , paraît
moins risible au peuple , en Europe , qu'un homme
vêtu ne le paraît aux Indiens de la Californie. Mal

gré cet état de stupidité apparente , les premiers


missionnaires distinguèrent différentes sectes reli
gieuses parmi les indigènes . Trois divinités qui se fai
saient une guerre d'extermination , étaient des objets
de terreur chez trois peuplades Californiennes. Les
Pericues craignaient la puissance de Niparaya , les
Menquis et les Vehities celle de Wactupuran et de
Sumongo . Je dis que ces hordes redoutaient , non
qu'elles adoraient des êtres invisibles ; car le culte de
l'homme sauvage
n'est qu'un saisissement de crainte :
c'est le sentiment d'une horreur secrète et religieuse.

D'après les renseignemens que j'ai obtenus des


moines qui gouvernent aujourd'hui les deux Cali
fornies , la population de la Vieille - Californie a tel
lement diminué depuis trente ans , qu'il n'y existe plus
que quatre à cinq mille naturels cultivateurs (Indios
reducidos ) dans les villages des missions. Le nombre
de ces missions est aussi réduit à seize. Celles de San

tiago et de Guadalupe sont restées désertes faute


d'habitans. La petite-vérole , et un autre mal que les

peuples d'Europe ont voulu se persuader avoir reçu


de ce même continent auquel ils l'ont porté les pre

miers , et qui exerce d'horribles ravages dans les îles


de la Mer du Sud , sont cités comme les causes prin
CHAPITRE VIII . 269
cipales de cette dépopulation de la Californie . Il est
à supposer qu'il y en a d'autres qui tiennent aux ins
titutions politiques mêmes ; et il serait temps que le
gouvernement mexicain s'occupât sérieusement de le
ver les entraves qui s'opposent au bien-être des habi
tans de la presqu'île. Le nombre des sauvages y est
à peine de quatre mille. On observe que ceux qui
habitent le nord de la Californie sont un peu plus
civilisés et plus doux que les naturels de la partie
australe.

Les villages principaux de cette province sont :


LORETO , presidio et chef-lieu de toutes les missions
de la Vieille-Californie , fondé à la fin du dix
septième siècle par l'astronome d'Ingolstadt , le père
Kühn .

SANTA ANA, mission et Real de minas , célèbre par


les observations astronomiques de Velasquez .
SAN JOSEPH, mission dans laquelle périt l'abbé Chappe ,
victime de son zèle et de son dévoûment pour les
sciences . ⭑

* Des personnes qui ont séjourné long-temps en Californie , m'ont


assuré que la Noticia du père Venegas, contre laquelle des ennemis de
l'ordre supprimé , et même le cardinal Lorenzana , ont élevé des
doutes , est très exacte. ( Cartas de Cortez , p. 327. ) Il existe encore
dans les archives de Mexico les manuscrits suivans, dont le père Barcos,
dans sa Storia di California , imprimée à Rome , ne s'est pas servi : 1 )
Chronica historica de la provincia de Mechoacan con varios mapas de la
California. 2) Cartas originales del Padre Juan Maria de Salvatierra.
3) Diario del Capitan Juan Mateo Mangi que accompañó á los padres
apostolicos Kinoy Kappus.
270 LIVRE III,

XV. PROVINCE

DE LA NOUVELLE - CALIFORNIE .

POPULATION ( EN 1803 ) 15,600.

ÉTENDUE DE LA SURFACE EN Lieues carrées. 2,125 .

HABITANS PAR lieue carrée 7 .

La partie des côtes du Grand Océan , qui s'étend


depuis l'isthme de la Vieille-Californie , ou depuis
la baie de Todos los Santos ( au sud du port de San
Diego ) jusqu'au cap Mendocino , porte sur les cartes
espagnoles , le nom de Nouvelle- Californie ( Nueva
California) . C'est une étendue de terrain longue et
étroite , sur laquelle , depuis quarante ans , le gouver
nement mexicain a établi des missions et des postes
militaires. Aucun village , aucune métairie ne se trou
vent au nord du port de Saint-François , qui est éloi
gné du cap Mendocino de plus de 78 lieues. La pro
vince de la Nouvelle- Californie , dans son état actuel ,
n'a que 197 lieues de long sur 9 à 10 de large. La
ville de Mexico se trouve en ligne droite à la même
distance de Philadelphie que de Monterey , qui est le
chef-lieu des missions de la Nouvelle-Californie , et

dont la latitude , à quatre minutes près , est celle de


Cadix.
Nous avons cité plus haut les voyages de plusieurs

religieux qui , au commencement du dernier siècle , en


passant par terre de la presqu'île de la Vieille Cali
CHAPITRE VIII. 271

fornie à la Sonora , ont fait à pied le tour de la mer


de Cortez. Du temps de l'expédition de M. Galvez ,
des détachemens militaires sont venus de Loreto au

port de San Diego . La poste aux lettres va encore


aujourd'hui de ce port le long de la côte nord-ouest ,
jusqu'à San Francisco . Ce dernier établissement , le
plus septentrional de toutes les possessions espagnoles
du Nouveau-Continent , est presque sous le même pa

rallèle * que la petite ville de Taos du Nouveau- Mexi


que. Il n'en est éloigné que de 300 lieues , et quoique
le père Escalante , dans ses excursions apostoliques ,
faites en 1777 , se soit avancé jusque sur la rive oc
cidentale du fleuve Zaguananas , vers les montagnes

de los Guacaros , aucun voyageur n'est venu jusqu'ici


du Nouveau-Mexique à la côte de la Nouvelle -Cali
fornie. Ce fait doit frapper ceux qui connaissent , par
l'histoire de la conquête de l'Amérique , l'esprit d'en
treprise et le courage admirable dont les Espagnols
furent animés au seizième siècle. Hernan Cortez dé

barqua la première fois sur les côtes du Mexique à la


plage de Chalchiuhcuecan , en 1519 , et quatre ans
plus tard il fit déjà construire des vaisseaux sur les
côtes de la Mer du Sud , à Zacatula et à Tehuantepec .

En 1537 Alvar Nuñez Cabeza de Vaca , parut avec


deux de ses compagnons , excédé de fatigue , nu , meur
tri de blessures , sur les côtes de Culiacan , qui sont
opposées à la péninsule de la Californie. Il avait dé

*Voyez le premier chapitre de cet ouvrage.


272 LIVRE III ,

barqué avec PanfiloNarvaez dans la Floride , et après


deux ans de courses , après avoir traversé toute la
Louisiane et la partie septentrionale du Mexique , il
parvint au bord du grand Océan dans la Sonora. Cette
distance , parcourue par Nuñez , est presque aussi
grande que celle qu'offre la route suivie par le capi
taine Lewis , depuis les rives du Mississipi jusqu'à
Noutka et à l'embouchure du fleuve Colombia .

En considérant les voyages hardis des premiers con


quérans espagnols au Mexique , au Pérou et sur la
rivière des Amazones , on est étonné de voir. que de

puis deux siècles cette même nation n'a pas su trouver


un chemin de terre dans la Nouvelle- Espagne , depuis
Taos jusqu'au port de Monterey ; dans la Nouvelle

Grenade , depuis Santa - Fe jusqu'à Carthagène , ou de


Quito à Panama ; dans la Guyane , depuis l'Esmeralda
jusqu'à Saint-Thomas de l'Angostura !
A l'exemple des cartes anglaises , plusieurs géogra
phes donnent à la Nouvelle - Californie le nom de
Nouvelle-Albion . Cette dénomination se fonde sur l'o

pinion peu exacte que le navigateur Drake , en 1578 ,


a découvert le premier la côte nord-ouest de l'Amé
rique , comprise entre les 38 et 48° de latitude . Le
célèbre voyage de Sébastien Vizcaino est sans doute
de vingt-quatre ans postérieur aux découvertes de

* Ce voyage admirable du capitaine Lewis a été entrepris sous les


auspices de M. Jefferson , qui , par ce service important rendu aux
sciences , a ajouté de nouveaux motifs à la reconnaissance que lui
doivent les savans de toutes les nations.
CHAPITRE VIII. 273

François Drake. Mais Knox * , et d'autres historiens


paraissent oublier que Cabrillo avait déjà examiné en
1542 les côtes de la Nouvelle - Californie , jusqu'au
parallèle de 43°, terme de sa navigation ; ainsi qu'il ré
sulte de la comparaison des anciennes observations de
latitude avec celles que l'on a faites de nos jours . D'a

près des données historiques certaines la dénomination


de Nouvelle- Albion devrait être restreinte à la partie
de la côte qui s'étend depuis les 43°, jusqu'aux 48 °, ou
du Cap blanc de Martin de Aguilar à l'Entrée de Juan
de Fuca **. D'ailleurs depuis les missions des prêtres
catholiques jusqu'à celles des prêtres grecs , c'est-à-dire
depuis le village espagnol de San Francisco , dans la
Nouvelle - Californie , jusqu'aux établissemens russes
sur la rivière de Cook , à la baie du prince Guillaume ,
et aux îles de Kodiac, et d'Unalaska , il y a plus de
mille lieues de côtes habitées par des hommes libres ,
et peuplées d'une grande quantité de loutres et de
phoques ! Par conséquent les discussions sur l'étendue
de la Nouvelle -Albion de Drake , et sur les soi -disans
droits que les peuples européens croient acquérir en
plantant de petites croix , en laissant des inscriptions
attachées aux troncs des arbres , ou en enterrant des
bouteilles , peuvent être considérées comme oiseuses .
Quoique tout le littoral de la Nouvelle-Californie

* Knox's Collection ofVoyages , tom. III , p . 18.


⭑⭑ Voyez les savantes recherches dans l'Introduction du Viage de
las Goletas Sutily Mexicana , 1802 , p. xxxiv, XXXVI , LVII.
II. 18
LIVRE III,
274

eût été reconnu avec beaucoup de soin par le grand


navigateur Sébastien Vizcaino ( comme le prouvent

les plans qu'il dressa lui-même en 1602 ) , ce beau


pays ne fut cependant occupé par les Espagnols que
cent soixante-sept ans plus tard. La cour de Madrid
craignant que d'autres puissances maritimes de l'Eu
rope ne formassent sur la côte nord-ouest de l'Amé

rique , des établissemens qui pourraient devenir dan


gereux aux anciennes colonies espagnoles , donna
ordre au vice-roi , chevalier de Croix , et au Visitador
Galvez de fonder des missions et des presides dans les
ports de San Diego et de Monterey. Pour cet effet
deux paquebots sortirent du port de San Blas , et
mouillèrent à San Diego au mois d'avril 1763. Une
autre expédition arriva par terre par la Vieille-Cali
fornie. Depuis Vizcaino aucun Européen n'avait dé
barqué sur ces côtes éloignées . Les Indiens parurent
étonnés de voir des hommes vêtus , quoiqu'ils sus
sent que plus à l'est vivaient des peuples dont la cou
leur n'était pas cuivrée. On trouva même entre leurs
mains quelques pièces d'argent , qui sans doute leur
étaient venues du Nouveau-Mexique. Les premiers
colons espagnols souffrirent beaucoup par la disette
de vivres et par une maladie épidémique , qui fut la
suite des mauvais alimens , des fatigues et du manque

d'abri presque tous tombèrent malades , et huit in


dividus seuls restèrent sur pied. Parmi ces derniers
se trouvaient deux hommes respectables , un religieux
connu par ses voyages , Fray Junipero Serra , et le
CHAPITRE VIII. 275

chef des ingénieurs , M. Costanzo , dont nous avons


eu souvent occasion de parler avec éloge dans le cou
rant de cet ouvrage. Ils étaient occupés de creuser
avec leurs mains les fosses qui devaient recevoir les
cadavres de leurs compagnons. L'expédition de terre
ne porta que très tard des secours à cette malheu
reuse colonie naissante. Les Indiens , en annonçant

l'arrivée des Espagnols se mirent sur des tonneaux , les


bras en l'air , pour faire comprendre qu'ils avaient vu
les blancs à cheval.
Autant le sol de la Vieille- Californie est aride et
pierreux , autant celui de la Nouvelle est arrosé et
fertile. C'est un des pays les plus pittoresques que l'on
puisse voir. Le climat y est beaucoup plus doux qu'à
égale latitude sur les côtes orientales du Nouveau
Continent. Le ciel est brumeux , mais les brouillards
fréquens qui rendent difficile l'attérage sur les côtes
de Monterey et de San Francisco , donnent de la vi
gueur à la végétation , et fertilisent le sol qui est cou
vert d'un terreau noir et spongieux . On cultive dans
les dix-huit missions qui existent aujourd'hui dans la
Nouvelle-Californie , du froment , du maïs et des ha
ricots (frisoles ) en abondance. L'orge , les fèves , les
lentilles et les pois chiches ou garbanzos , viennent
très bien dans la plus grande partie de la province ,
au milieu des champs. Comme les trente-six religieux
de Saint-François qui gouvernent ces missions sont
tous Européens , ils ont introduit avec un soin parti
culier , dans les jardins des Indiens , la plupart des lé
18.
276 LIVRE III ,

gumes et des arbres fruitiers qui se cultivent en Es


pagne. Les premiers colons arrivés en 1769 , trouvè
rent déjà dans l'intérieur du pays des ceps de vigne
sauvage , qui donnaient des grappes de raisin assez
grandes , mais très aigres. C'était peut- être une de ces
espèces nombreuses de Vitis , propres au Canada , à
la Louisiane et à la Nouvelle-Biscaye , et que les bo
tanistes ne connaissent encore qu'imparfaitement . Les
missionnaires ont introduit en Californie la vigne (Vi
tis vinifera ) dont les Grecs et les Romains ont ré
pandu la culture dans toute l'Europe , et qui est cer
tainement étrangère au Nouveau - Continent. On fait
de bon vin dans les villages de San Diego , San Juan
Capistrano , San Gabriel , San Buenaventura , Santa
Barbara , San Luis Obispo , Santa Clara et San Jose ;
par conséquent tout le long de la côte au sud et au
nord de Monterey jusqu'au-delà des 37 ° de latitude.
L'olivier d'Europe se cultive avec succès près du canal
de Santa Barbara , surtout près de San Diego , où
l'on fait une huile qui est aussi bonne que celle de la
vallée de Mexico , ou que les huiles de l'Andalousie.
Les vents très froids qui soufflent impétueusement du
nord et du nord-ouest , empêchent quelquefois les
fruits de mûrir le long de la côte. Aussi le petit vil
lage de Santa Clara , situé à neuf lieues de distance
de Santa Cruz , et abrité par une chaîne de montagnes ,
a des vergers mieux plantés , et des récoltes de fruits

plus abondantes que le preside de Monterey. Dans ce


dernier endroit les religieux montrent aux voyageurs
CHAPITRE VIII. 277

avec satisfaction plusieurs végétaux utiles , venus des


graines que M. Thouin avait confiées au malheureux
Lapérouse.
De toutes les missions de la Nouvelle- Espagne 2
celles de la côte du nord-ouest offrent les progrès de
civilisation les plus rapides et les plus marquans . Le

public ayant lu avec intérêt les détails que Lapérouse ,


Vancouver , et récemment encore deux navigateurs
espagnols , MM . de Galiano et Valdès * , ont publiés
sur l'état de ces régions lointaines , j'ai tâché de me
procurer pendant mon séjour à Mexico , les tableaux
statistiques formés en 1802 sur les lieux mêmes ( à
San Carlos de Monterey ) , par le président actuel des
missions de la Nouvelle- Californie , le père Firmin
Lasuen ** . Il résulte de la comparaison que j'ai faite
des pièces officielles conservées dans les archives de
l'archevêché de Mexico , qu'en 1776 il n'y avait que
huit villages , et en 1790 , onze ; tandis que leur nombre
en 1802 s'élevait à dix-huit. La population de la Nou
velle- Californie , en ne comptant que les Indiens qui ,
fixés au sol , ont commencé à s'adonner à la culture
des champs , était :

en 1790 , de 7,748 âmes.


en 1801 , de 13,668 .
en 1802 , de 15,562 .

Viage de la Sutil, p. 167.


** Voyez l'extrait que j'ai donné de ces tableaux dans la note D à la
fin de cet ouvrage .
278 LIVRE III ,

Le nombre des habitans a donc doublé en douze ans.

Depuis la fondation de ces missions , ou depuis 1769 jus


qu'en 1802 , il y a eu , selon les registres des paroisses ,
en tout 33,717 baptêmes , 8,009 mariages , et 16,984
morts. Il ne faut pas vouloir déduire de ces données la
proportion qui existe entre les naissances et les décès ,
parce que, dans le nombre des baptêmes , les Indiens
adultes (los neofitos ) sont confondus avec les enfans.
L'évaluation des produits du sol , ou l'estimation
des récoltes fournit aussi des preuves convainquantes
de l'accroissement d'industrie et de prospérité qu'offre

la Nouvelle-Californie. En 1791 , d'après les tableaux


publiés par M. de Galiano , les Indiens ne semèrent

dans toute la province que 874 fanegas de froment ,


qui donnèrent une récolte de 15,197fanegas. En 1802
la culture avait doublé , car la quantité de froment semé
fut de 2089 fanegas : et la récolte de 33,576fanegas.
Le tableau suivant indique le nombre des bestiaux
qui existaient en 1802 .
BOEUFS. BREBIS. COCHONS. CHEVAUX. MULETS
67,782. 107,172. I 1,040. I 2,187. 877.
11
L'année 1791 on ne comptait encore dans tous les
villages indiens que 24,958 têtes de gros bétail (ga
nado mayor ).

Ces progrès de l'agriculture , ces conquêtes paisi


bles de l'industrie sont d'autant plus intéressans que
les naturels de cette côte , bien différens de ceux de
Noutka et de la baie de Norfolk , n'étaient encore, il

y a trente ans , qu'un peuple nomade , vivant de la


CHAPITRE VIII. 279

pêche et de la chasse , et ne cultivant aucune sorte de


végétaux. Les Indiens de la baie de San Francisco
étaient alors aussi misérables que le sont les habitans de
l'île de Diemen . Ce n'est que dans le canal de Santa Bar
bara qu'on trouvait en 1769 les indigènes un peu plus
avancés dans la culture. Ils construisaient de grandes
maisons de forme pyramidale , et rapprochées les unes
des autres. Bons et hospitaliers , ils offraient aux Espa
gnols des vases artistement tissés de tiges de joncs. Ces
paniers , dont M. Bonpland possède plusieurs dans ses
collections , sont enduits en dedans d'une couche d'as
phalte très mince , ce qui les rend impénétrables à l'eau
et aux liqueurs fermentées qu'ils peuvent contenir.
La partie septentrionale de la Nouvelle - Californie
est habitée par les deux nations des Rumsen et Esce

len *. Elles parlent des langues entièrement différentes ,


et elles forment la population du preside et du village
de Monterey. Dans la baie de San Francisco on dis
tingue les tribus des Matalans , Salsen et Quirotes ,
dont les langues dérivent d'une souche commune. Plu
sieurs voyageurs que j'ai entendu parler de l'analogie
de la langue mexicaine ou aztèque , avec les idiomes
que l'on trouve sur la côte du nord-ouest du Nou
veau-Continent , m'ont paru exagérer la ressemblance
que présentent ces langues américaines. En examinant
avec soin des vocabulaires formés à Noutka et à Mon

*
Manuscrit du P. Lasuen. M. de Galiano les nomme Rumsien et
Eslen.
280 LIVRE III ,

terey, j'ai été frappé de l'homotonie et des désinences

mexicaines de plusieurs mots , comme , par exemple ,


dans la langue des Noutkiens : apquixitl ( embrasser ) ,
temextixitl ( baiser ) , cocotl ( loutre ) , hitltzill ( soupi
rer ) , tzitzimitz (terre) , inicoatzimit (nom d'un mois).
Cependant , en général , les langues de la Nouvelle
Californie et de l'île de Quadra , diffèrent essentielle
ment de l'aztèque , comme on le verra dans les nom
bres cardinaux que je réunis dans le tableau suivant :

LANGUE LANGUE LANGUE


MEXICAIN. RUMSEX.
ESCELEN. DE NOUTKA.

1. Ce. Pek. Enjala. Sahuac.


2. Ome. Ulhai. Ultis. Atla.
3. Jei. Julep. Kappes. Catza.
4. Nahui. Jamajus. Ultizim. Nu.
5. Macuilli. Pamajala. Haliizu. Sutcha.
6. Chicuace. Pegualanai. Halishakem. Nupu.
7. Chicome. Julajualanai.Kapkamaisha- Atlipu.
kem .
8. Chicuei. Julepjualanai. Ultumaishakem. Atlcual.
9. Chiucnahui. Jamajusjuala- Pakke. Tzahuacuatl.
nai.
10. Matlactli. Tomoila. Tamchaigt. Ayo.

Les mots noutkiens sont tirés d'un manuscrit de

M. Moziño et non du vocabulaire de Cook , dans le


quel ayo est confondu avec haecoo , nu avec mo , etc.
Le père Lasuen observa que sur les côtes de la Nou
velle-Californie , sur une étendue de 180 lieues , de
San Diego à San Francisco , on entend parler dix-sept
langues qui ne peuvent guère être considérées comme
des dialectes d'un petit nombre de langues-mères. Cette
CHAPITRE VIII. 281

assertion ne doit pas étonner ceux qui connaissent les


recherches curieuses que MM . Jefferson , Volney , Bar
ton , Hervas , Guillaume de Humboldt , Vater et Fré
déric Schlegel * ont faites sur les langues américaines.
La population de la Nouvelle-Californie aurait

augmenté beaucoup plus rapidement encore , si les


lois d'après lesquelles les presides espagnols sont gou
vernés depuis des siècles , n'étaient pas diamétrale
ment opposées aux vrais intérêts de la métropole et
des colonies. D'après ces lois il n'est point permis aux
soldats stationnés à Monterey , de vivre hors de leurs
casernes , et de se fixer comme colons . Les moines sont
généralement contraires à cet établissement des co

lons de la caste des blancs , parce que ces derniers ,


comme gens qui raisonnent ( gente de razon ** ) , ne se
laissent pas assujétir à une obéissance aussi aveugle
que les Indiens. « Il est bien affligeant , dit un navi
', que les militai
(( gateur espagnol instruit et éclairé ***,

<< res qui passent une vie pénible et laborieuse , ne


«
« puissent pas dans leur vieillesse se fixer dans le

Voyez l'ouvrage classique de M. Schlegel , sur la langue , la phi


Josophie et la poésie des Hindous, dans lequel on trouve de grandes
vues sur le mécanisme , j'ose dire sur l'organisation des langues dans
les deux continens.
✰✰
Dans les villages indiens , on distingue les naturels de la gente de
razon. Les blancs , les mulâtres , les nègres, toutes les castes non in
diennes , sont désignés par le nom de gens doués de raison , expression
humiliante pour les indigènes , et dont l'origine remonte à des siècles
de barbarie.
*** Journal de Don Dionisio Galiano.
282 LIVRE III ,

<< pays , et s'adonner à l'agriculture . Cette défense de


« construire des maisons dans les environs du presi
« dio , est contraire à tout ce que dicte une saine
(( politique. Si l'on permettait aux blancs de s'occuper

« de la culture du sol , et de l'éducation des bestiaux ,


«< si les militaires , en établissant leurs femmes et leurs
« enfans dans des fermes isolées , pouvaient se prépa
<< rer un asile contre l'indigence à laquelle ils ne sont
« que trop souvent exposés dans leur vieillesse , la Nou
« velle-Californie deviendrait en peu de temps une co

«< lonie florissante , une relâche infiniment utile pour


les navigateurs espagnols qui font le commerce entre
« le Pérou , le Mexique et les îles Philippines
levant les entraves que nous venons d'indiquer , les
îles Malouines , les missions du Rio Negro et les côtes
de San Francisco et de Monterey , se peupleraient
d'un grand nombre de blancs . Mais quel contraste
frappant entre les principes de colonisation suivis par
les Espagnols , et ceux par lesquels la Grande-Bre
tagne a créé en peu d'années des villages sur la côte
orientale de la Nouvelle-Hollande.
Les Indiens Rumsen et Escelen partagent avec les

peuples de la race aztèque , et avec plusieurs tribus


de l'Asie septentrionale , le goût prononcé pour les
bains chauds. Les Temazcalli que l'on trouve encore
à Mexico , et dont l'abbé Clavigero a donné une fi
gure exacte * sont de vrais bains de vapeurs . L'Indien

*
Clavigero , II , p. 214 .
CHAPITRE VIII. 283

aztèque reste étendu dans un four chaud , dont le


pavé est constamment arrosé avec de l'eau. Les na
turels de la Nouvelle -Californie , au contraire , pren

nent le bain que le célèbre Franklin recommandait


jadis sous le nom de bain d'air chaud. Aussi trouve
t-on dans les missions , auprès de chaque cabane , un
petit édifice vouté en forme de temazcalli. En reve
nant de leur travail , les Indiens entrent dans le four
dans lequel , peu de momens avant , le feu a été éteint.
Ils y restent pendant un quart-d'heure , et lorsqu'ils

se sentent tout trempés de sueur , ils se jettent dans


l'eau froide d'un ruisseau voisin , ou bien ils se vau

trent dans le sable. Ce passage rapide du chaud au


froid , cette suppression subite de la transpiration cu
tanée que l'Européen redouterait avec raison , cause
des sensations agréables à l'homme sauvage , qui jouit
de tout ce qui le saisit ou l'excite fortement , de tout
ce qui réagit avec violence sur son système nerveux .
Les Indiens qui habitent les villages de la Nou
velle - Californie s'occupent depuis quelques années
à tisser des étoffes grossières de laine , ( frisadas ) .
Mais leur occupation principale , celle dont le pro
duit pourrait devenir une branche de commerce im
portante, est la préparation des cuirs de cerfs . Je
vais consigner ici ce que j'ai pu recueillir dans les
journaux manuscrits du colonel Costanzo , sur les
animaux qui habitent les montagnes entre San Diego
et Monterey , et sur l'adresse particulière avec laquelle
les Indiens savent prendre les cerfs.
284 LIVRE III ,

Dans la Cordillère peu élevée qui longe la côte ,


de même que dans les savanes qui l'avoisinent , on
ne trouve ni bufle ni élan . Sur la crête des monta

gnes qui se couvrent de neige au mois de novembre ,


paissent seuls les berendos à petites cornes de cha
mois , dont nous avons parlé plus haut . Mais toutes
les forêts , toutes les plaines couvertes de graminées
sont remplies de troupeaux de cerfs à taille gigantes
que , à bois rond et extrêmement grand. On en voit
souvent quarante ou cinquante à- la -fois ; ils sont
d'une couleur brune , unie et sans tache. Leur bois ,
dont les empaumures ne sont pas aplaties , ont près
de quinze décimètres ( quatre pieds et demi ) de long.
Tous les voyageurs assurent que ce grand cerf de la
Nouvelle - Californie est un des plus beaux animaux
de l'Amérique espagnole. Il diffère probablement du
Wewakish de M. Hearne , ou de l'Elk des habitans
des États -Unis , dont les naturalistes ont fait mal -à
propos les deux espèces de Cervus canadensis et de C.
strongyloceros . Ces cerfs de la Nouvelle - Californie,
que l'on ne trouve pas dans l'ancienne , avaient déjà

frappé le navigateur Sébastien Vizcayno , quand il re


lâcha au port de Monterey , le 15 décembre 1602. Il
assure « en avoir vu dont les bois avaient trois mètres

* Il règne encore beaucoup d'incertitude sur les caractères spéci


fiques qui distinguent les grands et les petits cerfs (venados) du Nou
veau-Continent. Voyez les recherches intéressantes de M. Cuvier,
contenues dans son mémoire sur les os fossiles des ruminans. Annales.
du Museum , année VI , pag. 353.
CHAPITRE VIII. 285

<<« (près de neuf pieds ) de longueur ». Ces venados

courent avec une rapidité extraordinaire , en jetant


le col en arrière , et en appuyant leur bois sur le dos.
Les chevaux de la Nouvelle-Biscaye réputés excellens
coureurs , sont incapables de les suivre de près. Ils ne
les égalent dans la course qu'au moment où l'animal ,
qui ne boit que très rarement , vient d'étancher sa
soif. C'est alors que , trop lourd pour déployer toute
l'énergie de ses forces musculaires , il est atteint faci
lement. Le cavalier qui le poursuit l'abat en lui jet
tant un lacs , comme on fait , dans toutes les colonies
espagnoles, avec les chevaux et les bœufs sauvages.
Les Indiens usent d'un autre artifice très ingénieux
pour s'approcher des cerfs et pour les tuer. Ils coupent
la tête à un venado , dont les bois sont très longs ; ils
en vident le col et le placent sur leur propre tête. Mas
qués de cette manière , mais en même temps armés
d'arcs et de flèches , ils se cachent dans un bocage ou
dans l'herbe haute et touffue. En imitant les mouve

mens du cerf qui paît , ils attirent le troupeau qui se


laisse tromper par la ruse de l'homme. M. Costanzo a
vu cette chasse exraordinaire sur les côtes du canal

de Santa Barbara ; les officiers embarqués dans les


goëlettes Sutil et Mexicana l'ont observée vingt-quatre
ans plus tard , dans les savanes qui environnent Mon
terey * . Les énormes bois de cerfs que Montezuma
montrait comme des objets de curiosité aux compa

·
Viage a Fuca , page 164.
286 LIVRE III ,

gnons de Cortez , provenaient peut-être des venados


de la Nouvelle- Californie. J'en ai vu deux , trouvés
dans l'ancien monument de Xochicalco , et que l'on
conserve dans le palais du vice-roi . Malgré le peu de
communication intérieure qui existait au quinzième
.
⚫ siècle dans le royaume d'Anahuac , il ne serait pas ex
traordinaire que ces bois de cerfs fussent venus , de

mains en mains , depuis les 35° jusqu'aux 20º de lati


tude , de même que nous trouvons les beaux jades né
phritiques du Brésil (piedras de Mahagua ) chez les
Caribes qui avoisinent les bouches de l'Orénoque .
Les établissemens russes et espagnols étant jusqu'ici
les seules colonies européennes qui existent sur la côte
du nord-ouest de l'Amérique, je crois qu'il sera utile
de faire l'énumération de toutes les missions de la
Nouvelle - Californie , qui ont été fondées jusqu'au
commencement de l'année 1803. Cette notice détail

lée devient surtout intéressante à une époque où les


habitans des États-Unis manifestent le desir d'un mou

vement vers l'ouest , vers ces côtes du grand Océan ,


qui , opposées à la Chine , abondent en belles four
rures de loutres marines.
Les missions de la Nouvelle- Californie suivent du
sud au nord dans l'ordre dans lequel nous les indi
quons ici.

SAN DIEGO , village fondé en 1769 , à quinze lieues


de distance de la mission la plus septentrionale de
la Vieille - Californie . Population , en 1802 , de
1,560 .
CHAPITRE VIII. 287

SAN LUIS REY DE FRANCIA , village fondé en 1798.


Population , 600 .
SAN JUAN CAPISTRANO , village fondé en 1776. Popu
lation , 1,000 .
SAN GABRIEL , village fondé en 1771. Population ,
1,050 ..
SAN FERNANDO , village fondé en 1797. Popula
tion , 600.
SAN BUENAVENTURA , village fondé en 1782. Popu
lation , 950.
SANTA BARBARA , village fondé en 1786. Population ,
1,100 .
LA PURISSIMA CONCEPCION , village fondé en 1787 .
Population , 1,000 .
SAN LUIS OBISPO , village fondé en 1772. Popula
tion , 700 .

SAN MIGUEL , village fondé en 1797. Population ,


600.

SOLEDAD , village fondé en 1791. Population , 570.


SAN ANTONIO DE PADUA , village fondé en 1771. Po

pulation , 1,050.
SAN CARLOS DE MONTEREY , capitale de la Nouvelle
Californie , fondée en 1770 au pied de la Cor
dillère de Santa- Lucia , qui est couverte de chênes ,
de pins (foliis ternis ) et de rosiers . Le village est
éloigné de deux lieues du Presidio qui porte le même
nom . Il paraît que Cabrillo avait déjà reconnu la
baie de Monterey , le 15 novembre 1542 , et , qu'à
cause des beaux pins dont sont couronnées les mon
288 LIVRE III ,

tagnes voisines , il la nomma la Bahia de los Pinos.

Son nom actuel lui fut donné , soixante ans plus


tard , par Vizcaino , en honneur du vice-roi de
Mexico , Gaspard de Zuñiga , comte de Monterey ,
homme actif auquel on doit l'entreprise de grandes
expéditions maritimes , et qui engagea Juan de
Oñate à la conquête du Nouveau - Mexique. Les
côtes voisines de San Carlos produisent le fameux
ormier de Monterey , qui , recherché par les habi
tans de Noutka , est employé dans le commerce des
fourrures de loutres. La Population du village
de San Carlos est de 700 .
SAN JUAN BAUPTISTA , village fondé en 1797. Popu
lation , 960.

SANTA CRUZ , village fondé en 1794. Population , 440.


SANTA CLARA , village fondé en 1777. Populat. 1300.
SAN JOSE , village fondé en 1797. Population , 630.
SAN FRANCISCO , village fondé en 1776 , avec un beau
port. Les géographes confondent souvent ce port
avec le Port de Drake, qui est plus au nord , sous
les 38° 10' de latitude , et que les Espagnols ap

pellent le Puerto de Bodega. Population de San


Francisco , 820 .
On ignore le nombre des blancs , métis et mu
lâtres qui vivent dans la Nouvelle- Californie , soit

dans les presides , soit au service des religieux de


Saint-François . Je crois que leur nombre s'élève à plus
de 1300 ; car , dans les deux années 1801 et 1802 ,
il y eut dans la caste des blancs et des sang-mélé
CHAPITRE VIII . 289

35 mariages , 182 baptêmes et 82 décès . Ce n'est que


sur cette partie de la population que le gouvernement

pourrait compter pour la défense des côtes , au cas


d'une attaque militaire qui serait tentée par quelque
puissance maritime de l'Europe !

Population totale de la Nouvelle- Espagne en 1823.

Indigènes ou Indiens 3,700,000


Blancs. • 1,230,000
Nègres , Africains . 10,000
Castes de sang-mêlé. • 1,860,000

Total. 6,800,000

Ces nombres ne sont que le résultat d'un calcul


par approximation. Les élémens sur lesquels il repose
ont été examinés plus haut à la fin du quatrième
chapitre.

II. 19
290 LIVRE III ,

PAYS SITUÉS AU NORD-OUEST DU MEXIQUE .

APRÈS avoir tracé le tableau des provinces qui com


posent le vaste empire du Mexique , il nous reste à
jeter un coup - d'œil rapide sur les côtes du grand
Océan , qui , depuis le port de San Francisco et depuis
le cap Mendocino , s'étendent jusqu'aux établissemens
russes fondés dans la baie du prince Guillaume ( Prince
William's Sound).
Ces côtes , dès la fin du seizième siècle , ont été vi
sitées par des navigateurs espagnols . Mais ce n'est

que depuis l'année 1774 que les vice-rois de la Nou


velle-Espagne les ont fait examiner avec soin . De nom
breuses expéditions de découvertes faites depuis les
ports d'Acapulco , de San Blas et de Monterey, se
sont suivies jusqu'en 1792. La colonie que les Espa

gnols ont tenté de former à Noutka , a fixé pendant


quelque temps l'attention de toutes les puissances
maritimes de l'Europe. Quelques hangars construits
sur la plage , un misérable bastion défendu par des
pierriers , quelques choux plantés dans un enclos , ont
manqué d'exciter une guerre sanglante entre l'Es
pagne et l'Angleterre , et ce n'est que par la destruc
tion de l'établissement fondé à l'île de Quadra et de
Vancouver, que le Tays ou prince de Noutka , Ma
CHAPITRE VIII. 291
cuina " a conservé son indépendance. Depuis l'an

née 1786 , plusieurs nations de l'Europe ont fréquenté


ces parages pour y faire le commerce des fourrures
de loutres marines . Mais leur concurrence a eu des

suites désavantageuses pour eux-mêmes et pour les


naturels du pays. Le prix des fourrures , en renché
rissant sur les côtes de l'Amérique , a énormément
baissé à la Chine. La corruption des mœurs a aug

menté parmi les Indiens ; en suivant la même poli


tique qui a ensanglanté les côtes africaines , les Euro
péens ont cherché à tirer parti de la discorde des
Tays. Plusieurs matelots , et les plus débauchés , ont
déserté leurs vaisseaux pour s'établir parmi les natu
rels du pays. A Noutka , comme aux îles Sandwich ,
on observe déjà un mélange affreux de la barbarie
primitive avec les vices de l'Europe policée. Il est dif
ficile de croire que ces maux réels aient été compen
sés par quelques espèces de légumes de l'ancien con
tinent , que les voyageurs ont transplantées dans ces

régions fertiles , et qui figurent dans la liste des bien


faits dont les Éuropéens se vantent d'avoir comblé les
habitans des îles du Grand Océan .

Au seizième siècle , à cette époque glorieuse où la


nation espagnole , favorisée par une réunion de cir
constances extraordinaires , déploya librement les res
sources de son génie , et la force de son caractère , le

problème d'un passage au nord-ouest , celui d'un


chemin direct aux Grandes Indes , occupa l'esprit des
Castillans avec la même ardeur avec laquelle d'autres
19.
292 LIVRE III ,

nations s'y sont livrées depuis trente à quarante ans.


Nous ne citons point les voyages apocryphes de Fer
rer Maldonado , de Juan de Fuca et de Bartolome
Fonte , auxquels , pendant long-temps , on n'a donné
que trop d'importance. La plupart des impostures
débitées sous le nom de ces trois navigateurs , ont été
détruites par les recherches pénibles et les savantes

discussions de plusieurs officiers de la marine espa


gnole * . Au lieu d'alléguer des noms presque fabuleux

et de nous perdre dans l'incertitude des hypothèses ,


nous nous contenterons d'indiquer ce qui est incon
testablement prouvé par des documens historiques. Les
notices suivantes qui sont tirées en partie des mémoires
manuscrits de Don Antonio Bonilla et de M. Casa
sola , conservés dans les archives de la vice-royauté
de Mexico , présentent des faits dont le rapprochement
pourra fixer l'attention des lecteurs . Déployant , pour
ainsi dire , le tableau varié de l'activité nationale , tan
tôt réveillée , tantôt assoupie , ces notices offriront de
l'intérêt à ceux même qui ne croient pas qu'un pays
habité par des hommes libres appartient à la nation

européenne qui l'a vu la première.


Les noms de Cabrillo et de Gali ne sont point deve

* Mémoire de Don Ciriaco Cevallos . Recherches faites dans les archives


de Séville ,par Don Augustin Cean. Introduction historique au voyage de
Galiano et Valdes , p. 49-56 et p. 76-83. Malgré toutes mes re
cherches , je n'ai pas pu découvrir dans la Nouvelle- Espagne un
seul document dans lequel le pilote Fuca ou l'amiral Fonte fussent
nommés.
CHAPITRE VIII. 293

nus aussi célèbres que ceux de Fuca et de Fonte . La


vérité dans le récit d'un navigateur modeste n'a ni le
charme ni le pouvoir qui accompagnent l'illusion . Juan
Rodriguez Cabrillo visita les côtes de la Nouvelle

Californie jusqu'aux 37° 10', ou jusqu'à la Punta del


Año Nuevo , au nord de Monterey. Il périt * , le 3 jan
vier 1543 , à l'île de San Bernardo , près du canal de
Santa Barbara ; mais son pilote , Bartolome Ferrelo
continua ses découvertes au nord jusqu'aux 43° de
latitude , où il vit les côtes du cap Blanc , que Van
couver appelle le cap Orford.
Francisco Gali , dans son voyage de Macao à Aca
pulco , découvrit en 1582 la côte du nord-ouest de
l'Amérique **, sous les 57° 30'. Il admira, ainsi que tous
ceux qui , après lui ont visité la Nouvelle - Cor
nouaille , la beauté de ces montagnes colossales dont
la cime est couverte de neiges éternelles , tandis que
leur pied est orné d'une belle végétation. En corri
geant *** les anciennes observations par les nouvelles

* Suivant le manuscrit conservé dans l'Archivo general de Indias


à Madrid.
** L'auteur de l'Essai politique adopte l'opinion émise dans l'Intro
duction historique du voyage des Goletas Sutil et Mexicana, et dans la
traduction française de la Relation de Linschot ; mais M. Eyriès , dans
une savante biographie de Francisco Gali , rappelle que ce navigateur
n'a probablement vu que les côtes de San Francisco et de Monterey,
puisque Hakluyt et l'édition originale de Linschot n'indiquent au lieu
de 57°; que la latitude de 37° . E.-R.
*** Ces corrections ont déjà été appliquées dans cet ouvrage, par
tout où l'on cite les latitudes auxquelles les anciens navigateurs se
sont élevés. Viage de la Sutil , p. xxxi.
294 LIVRE III,

dans des endroits dont l'identité est reconnue , on trouve

que Gali côtoya une partie de l'Archipel du prince de


Galles ou de celui du roi George . Sir Francis Drake ,
en 1578 , n'était parvenu que jusqu'aux 48 ° de lati
tude au nord du cap Grenville , dans la Nouvelle
Géorgie.
Des deux expéditions que Sébastien Vizcayno en
treprit en 1596 et 1602 , la dernière seule fut dirigée
aux côtes de la Nouvelle-Californie. Trente-deux cartes

rédigées à Mexico par le cosmographe Henry Marti


nez ', prouvent que Vizcayno releva ces côtés avec

plus de soin et plus d'intelligence que jamais pilote


ne l'avait fait avant lui . Les maladies de son équi
page, le manque de vivres et la rigueur extrême de la

saison , l'empêchèrent cependant de s'élever au- delà


du cap Saint-Sébastien , situé sous les 42 ° de latitude ,
un peu au nord de la baie de la Trinité. Un seul bâti

ment de l'expédition de Vizcayno , la frégate comman


dée par Antonio Florez , dépassa le cap Mendocino.

Elle parvint sous les 43° de latitude , à l'embouchure

d'une rivière , que Cabrillo paraît déjà avoir reconnue


en 1543 , et que l'enseigne Martin de Aguilar crut
être l'extrémité occidentale du détroit d'Anian ** . Il ne
faut pas confondre cette entrée ou rivière d'Aguilar,

* Le même dont nous avons parlé plus haut (p. 105) , en traçant
l'histoire du Desague Real de Huehuetoca.
**
' Le détroit d'Anian , que plusieurs géographes confondent avec
le détroit de Behring , désignait au seizième siècle le détroit de
Hudson. Il prit son nom d'un des deux frères embarqués sur le vais
CHAPITRE VIII. 295
que l'on n'a pu retrouver de nos temps , avec l'embou

chure du Rio Colombia ( lat . 46° 15′) , qui est devenue


célèbre par les voyages de Vancouver , de Gray et du
capitaine Lewis .
Avec Gali et Vizcayno finit l'époque brillante des
découvertes que les Espagnols ont faites anciennement
sur la côte du nord- ouest de l'Amérique. L'histoire
des navigations exécutées dans le courant du dix-sep
tième siècle , et dans la première moitié du dix-hui
tième , ne présente aucune expédition dirigée des côtes
du Mexique vers ce littoral immense , qui se prolonge
depuis le cap Mendocino jusqu'aux confins de l'Asie
orientale. Au lieu du pavillon espagnol , on ne vit
flotter dans ces parages que le pavillon russe , arboré

en 1741 sur les vaisseaux que commandaient deux


intrépides navigateurs , Behring et Tschiricow.

Enfin après une interruption de près de cent


soixante-dix ans , la cour de Madrid fixa de nouveau ses
regards sur les côtes du grand Océan . Mais ce n'était
pas le desir seul de faire des découvertes utiles aux
sciences qui réveilla le gouvernement de sa léthargie ;
c'était plutôt l'inquiétude d'être attaqué dans ses pos
sessions les plus septentrionales de la Nouvelle-Espa
gne ; c'était la crainte de voir naître des établissemens
européens rapprochés de ceux de la Californie. De

toutes les expéditions espagnoles , entreprises depuis.

seau de Gaspard de Cortereal. Voyez les recherches savantes que


M. de Fleurieu a consignées dans l'Introduction historique du
Foyage de Marchand , tom. I , p. 5 .
296 LIVRE III,

l'année 1774 jusqu'en 1792 , il n'y a que les deux der


nières qui aient porté le vrai caractère d'expéditions
de découvertes . Elles ont été commandées par des offi
ciers dont les travaux annoncent des connaissances

étendues dans l'astronomie nautique. Les noms d'A


lexandre Malaspina , de Galiano , Espinosa , Valdès et
Vernaci , tiendront à jamais une place honorable dans
la liste des navigateurs instruits et intrépides aux
quels nous devons des notions exactes sur la côte du
nord-ouest du nouveau continent. Si leurs prédéces
seurs n'ont pu donner la même perfection à leurs opé
rations, c'est que , partant des ports de San Blas ou

de Monterey , ils se sont trouvés dépourvus d'instru


mens et d'autres moyens que fournit l'Europe civilisée.
La première expédition importante qui fut faite de
puis le voyage de Vizcayno , est celle de Juan Perez ,

qui commandait la corvette Santiago. Comme ni


Cook , ni Barrington , ni M. de Fleurieu ne parais
sent avoir eu connaissance de ce voyage important ,

je consignerai ici plusieurs faits , tirés d'un journal


manuscrit , que je dois aux bontés de M. Don Guil
lelmo Aguirre , membre de l'audience de Mexico .
Perez et son pilote , Estevan Jose Martinez , sor
tirent du port de San Blas le 24 janvier 1774. Ils
avaient l'ordre de reconnaître toute la côte depuis

* Ce journal a été tenu par deux religieux , Fray Juan Crespi et


Fray Tomas de la Peña , embarqués sur la corvette Santiago. On
peut compléter par ces détails ce qui a été publié dans le Voyage de
la Sutil , p. XCII.
CHAPITRE VIII. 297

le port de Saint-Charles de Monterey jusqu'aux 60°


de latitude. Ayant touché à Monterey, ils mirent de
nouveau à la voile le 7 juin . Ils découvrirent le 20
juillet l'île de la Marguerite ( qui est la pointe nord
ouest de l'île de la reine Charlotte ) , et le détroit * qui
sépare cette île de celle du prince de Galles . Le 9 août
ils mouillèrent les premiers de tous les navigateurs
européens , dans la rade de Noutka , qu'ils appelèrent
le port de San Lorenzo , et que l'illustre Cook , quatre
ans plus tard , nomma King George's Sound. Ils
firent un commerce d'échange avec les Indiens , parmi
lesquels ils virent du fer et du cuivre. Ils leur don
nèrent des haches et des couteaux pour acquérir

des peaux et des fourrures de loutres . Perez ne put


point aller à terre ; le mauvais temps et une mer grosse
et clapoteuse l'en empêchèrent. Sa chaloupe manqua
même de se perdre en essayant d'attérer. La corvette
fut obligée de couper ses cables et d'abandonner ses
ancres pour gagner le large. Les indigènes volèrent
plusieurs objets appartenant à M. Perez et à son équi
page ; et cette circonstance , rapportée dans le journal
du père Crespi , sert à résoudre le fameux problême des
cuillers d'argent , et de fabrique européenne , que le
capitaine Cook y trouva en 1778 , entre les mains des
Indiens de Noutka. La corvette Santiago retourna à
Monterey le 27 août 1774 , après avoir fait une cam
pagne de huit mois.

* La Entrada de Perez , des cartes espagnoles.


298 LIVRE III ,

L'année suivante , une seconde expédition sortit de


San Blas , sous les ordres de Don Bruno Heceta , Don

Juan de Ayala, et Don Juan de la Bodega y Quadra.


Ce voyage qui a singulièrement avancé la découverte

du nord-ouest , est connu par le journal du pilote


Maurelle , publié par M. Barrington , et joint aux in
structions que reçut l'infortuné Lapérouse. Quadra
découvrit l'embouchure du Rio Colombia , qui fut

appelée entrée de Heceta , le pic de San Jacinto


( Mount Edgecumbe ) près de la baie de Norfolk et le
beau port de Bucareli ( lat. 55° 24′ ) , que , par les re
cherches de Vancouver , nous savons appartenir à
la côte occidentale de la Grande île de l'Archipel
du prince de Galles . Ce port est environné de sept vol
cans , dont les cimes couvertes de neiges perpétuelles
jettent des flammes et des cendres . M. Quadray trouva
un grand nombre de chiens dont les Indiens se ser
vaient pour la chasse. Je possède deux petites cartes *

assez curieuses , gravées en 1788 à la ville de Mexico ,


et qui présentent le gisement des côtes depuis les 17°

*
Cartageografica de la costa occidental de la California situada alNorte
de la linea sobre el mar Asiatico que se descubrió en los años de 1769 r
1775 por el Teniente de Navio , Don Juan Francisco de Bodega y Quadra
y por el Alferez de Fragata , Don Jose Cañizares , desde los 17 hasta los
58 grados. Sur cette carte la côte paraît presque sans entrées et
sans îles. On y remarque l'Ensenada de Ezeta (Rio Colombia ) et
l'entrée de Juan Perez ; mais pas le nom du port de San Lorenzo
(Noutka ) , vu par le même Perez en 1774. — Plan del gran puerto
de san Francisco descubierto por Don Jose de Cañizares en el mar
Asiatico. Vancouver distingue les ports de Saint-François , de Sir
CHAPITRE VIII. 299

jusqu'aux 58° de latitude , tel qu'il avait été reconnu


dans l'expédition de Quadra.
La cour de Madrid ordonna en 1776 au vice-roi
du Mexique de préparer une nouvelle expédition pour
reconnaître les côtes de l'Amérique jusqu'aux 70° de
latitude boréale. On construisit à cet effet à Guayaquil
deux corvettes , la Princessa et la Favorita ; mais

cette construction éprouva tant de retard , que l'ex


pédition , commandée par Quadra et don Ignacio
Arteaga , ne put mettre à la voile au port de San
Blas que le 11 février 1779. Pendant cet intervalle
Cook avoit visité ces mêmes côtes. Quadra et le pilote
don Francisco Maurelle reconnurent avec soin le
port de Bucareli , le mont Saint- Élie , l'île de la Mag
dalena , appelée par Vancouver l'île Hinchinbrook
( lat. 60° 25′ ) , située à l'entrée de la baie du prince
Guillaume, et l'île de Regla , qui est une des îles sté
riles dans la rivière de Cook. L'expédition retourna à
San Blas , le 21 novembre 1779. Je trouve dans un
manuscrit que je me suis procuré à Mexico , que les
roches schisteuses qui avoisinent le port de Bucareli
dans l'île du prince de Galles , contiennent des filons
métallifères.

La guerre mémorable qui donna la liberté à une


grande partie de l'Amérique septentrionale , empê

Francis Drake et de Bodega , comme trois ports différens. M. de


Fleurieu les regarde comme identiques. Voyage de Marchand, vol. I ,
p. 54. Quadra croit , comme nous l'avons observé plus haut , que
Drake mouilla au port de la Bodega.
300 LIVRE III ,

cha les vice-rois du Mexique de poursuivre les entre


prises de découvertes au nord du cap Mendocino. La
cour de Madrid ordonna de suspendre les expéditions
aussi long-temps que dureraient les hostilités qui
avaient éclaté entre l'Espagne et l'Angleterre . Cette
interruption se prolongea même long-temps après la
paix de Versailles ; et ce n'est qu'en 1788 que deux

bâtimens espagnols , la frégate la Princessa et le pa


quebot San Carlos , commandés par Don Esteban
Martinez et Don Gonzalo Lopez de Haro , sortirent
du port de San Blas dans le dessein d'examiner la po
sition et l'état des établissemens russes sur la côte du

nord-ouest de l'Amérique. L'existence de ces établis


semens , dont on ne paraît avoir eu connaissance à
Madrid que depuis la publication du troisième voyage
de l'illustre Cook, inquiétait vivement le gouverne

ment espagnol . Il vit avec peine que le commerce des


pelleteries attirait des vaisseaux anglais , français et
américains , sur une côte qui , avant le retour du lieu
tenant King à Londres , avait été aussi peu fréquen

tée par les Européens que la Terre de Nuyts ou celle


d'Endracht dans la Nouvelle-Hollande.

L'expédition de Martinez et de Haro dura depuis


le 8 mars jusqu'au 5 décembre 1788. Ces navigateurs
firent directement route de San Blas à l'entrée du

Prince Guillaume , que les Russes appellent le golfe


Tschugatskaja. Ils visitèrent la rivière de Cook , les
îles Kichtak ( Kodiak ) , Schumagin , Unimak et Una
laschka ( Onalaska ) . Ils furent traités très amicale
CHAPITRE VIII. 301

ment dans les différentes factoreries russes qu'ils trou


vèrent établies dans la rivière de Cook et à Unalas

chka , et ils eurent même communication de plusieurs


cartes que les Russes avaient dressées de ces parages.
J'ai trouvé dans les archives de la vice- royauté de
Mexico , un gros volume in -folio , portant le titre de
Reconocimiento de los quatro establecimientos Rus
sos al Norte de la California , hecho en 1788. Le
précis historique du voyage de Martinez , que pré
sente ce manuscrit , ne fournit cependant que très
peu de données sur les colonies russes dans le nou
veau continent. Aucun homme de l'équipage ne pos
sédant un mot de la langue russe , on ne put se faire
entendre que par des signes. On avait oublié , en en
treprenant cette expédition lointaine , de faire venir
un interprète d'Europe. Le mal qui en résultait était
sans remède. D'ailleurs , M. Martinez aurait eu autant
de peine à trouver un Russe dans toute l'étendue de

l'Amérique espagnole , qu'en avait eu sir George


Staunton pour découvrir un Chinois en Angleterre et
en France.

Depuis les voyages de Cook , Dixon , Portlock ,


Mears et Duncan , les Européens commencèrent à con
sidérer le port de Noutka comme le marché principal "

des pelleteries de la côte nord-ouest de l'Amérique.


Cette considération engagea la cour de Madrid à faire ,
en 1789 , ce qu'elle aurait exécuté plus facilement

quinze ans plus tôt , immédiatement après le voyage de


Juan Perez. M. Martinez, qui venait de visiter les
302 LIVRE III ,

factoreries russes , reçut l'ordre de faire un établisse


ment stable à Noutka , et d'examiner avec soin la
partie de la côte qui est comprise entre les 50° et
les 55º de latitude , et que le capitaine Cook n'avait pas
pu relever dans le cours de sa navigation .
Le port de Noutka se trouve sur la côte orientale
d'une île qui , d'après la reconnaissance faite en 1791 ,
par MM. Espinosa et Cevallos , a vingt milles ma
rins de largeur , et qui est séparée par le canal de Ta
sis de la grande île , appelée aujourd'hui l'Ile de Qua
dra et de Vancouver. Il est par conséquent aussi faux
d'avancer que le port de Noutka , désigné par les in

digènes sous le nom de Yucuatl , appartient à la


grande île de Quadra , qu'il est peu exact de dire que
le cap de Horn est l'extrémité de la Terre- de -feu . Nous
ignorons par quel malentendu l'illustre Cook a con
verti le nom de Yucuatl dans celui de Noutka , ce der
nier mot étant inconnu aux naturels du pays , et n'of

frant même aucune analogie avec les mots de leur


langue , sinon avec celui de Noutchi qui signifie mon
tagne.

* Mémoire de Don Francisco Moziño. L'auteur estimable était un des


botanistes de l'expédition de M. Sesse , et séjourna à Noutka avec
M. Quadra , en 1792. Cherchant à me procurer le plus de renseigne
mens possible sur la côte du nord-ouest de l'Amérique septentrio
nale , je fis en 1803 des extraits du manuscrit de M. Moziño , que je
devais à l'amitié du professeur Cervantes , directeur du jardin bo
tanique à Mexico. J'ai vu depuis que le même Mémoire a fourni
des matériaux au savant rédacteur du Viage de la Sutil , p. 123.
Malgré les renseignemens exacts que l'on doit aux navigateurs an
CHAPITRE VIII. 303

Don Esteban Martinez , commandant la frégate la

Princessa et le paquebot San Carlos , mouilla dans le


port de Noutka le 5 mai 1789. Il fut reçu avec beau
coup d'amitié par le chef Macuina , qui se souvenait
très bien de l'avoir vu avec M. Perez , en 1774 , et qui

montra même les belles coquilles de Monterey dont


on lui avait fait présent à cette époque . Macuina , le
Tays de l'île de Yucuatl , a un pouvoir absolu ; c'est
le Montezuma de ces contrées , et son nom est devenu
célèbre parmi toutes les nations qui font le commerce
des pelleteries de loutres marines. J'ignore si Macuina
vit encore ; mais nous sûmes à Mexico , à la fin de

glais et français , il serait encore très intéressant de publier les ob


servations que M. Moziño a faites sur les mœurs des indigènes de
Noutka. Ces observations embrassent un grand nombre d'objets
curieux , savoir : la réunion du pouvoir civil et sacerdotal dans la
personne des princes ou Tays ; la lutte qui existe entre le bor et
le mauvais principe qui gouvernent le monde , entre Quautz et
Matlox ; l'origine de l'espèce humaine , à une époque où les cerfs
étaient sans bois , les oiseaux sans ailes et les chiens sans queue ;
l'Eve des Noutkiens qui vivait solitairement dans un bosquet fleuri
de Yucuatl , lorsque le dieu Quautz la visita dans une belle pirogue
de cuivre ; l'éducation du premier homme, qui, à mesure qu'il grandit,
passa d'une petite coquille à une autre plus grande ; la généalogie de
la noblesse de Noutka , qui descend du fils aîné de cet homme élevé
dans une coquille , tandis que le peuple ( qui , même dans l'autre
monde, a un paradis à part , appelé Pinpula) n'ose faire remonter son
origine qu'à des cadets de famille ; le système calendaire des Nout
kiens , qui repose sur un commencement de l'année au solstice d'été ,
sur une division de l'année en quatorze mois de vingt jours , et sur
un grand nombre de jours intercalaires qui s'ajoutent à la fin de
plusieurs mois , etc. , etc.
304 LIVRE III ,

l'année 1803 , par des lettres de Monterey , que plus


jaloux de son indépendance que le roi des îles Sand
wich , qui s'est déclaré vassal de l'Angleterre , il cher
chait à acquérir des armes à feu et de la poudre pour
se défendre contre les insultes auxquelles il était sou
vent exposé de la part des navigateurs européens.
Le port de Santa- Cruz de Noutka ( appelé Puerto
de San Lorenzo par Perez , et Friendly-cove par
Cook ) a sept ou huit brasses de fond. Il est presque
fermé au sud-est par des ilots , sur l'un desquels Mar
tinez établit la batterie de San Miguel . Les montagnes ,

dans l'intérieur de l'île , paraissent composées de thons


chiefer et d'autres roches primitives . M. Moziño y dé
couvrit des filons de cuivre et de plomb sulfurés. A
un quart de lieue du port , près d'un lac , il crut re
connaître , dans une amygdaloïde poreuse , les effets

du feu volcanique. Le climat de Noutka est si doux

que sous une latitude plus septentrionale que celle de


Québec et de Paris , les plus petites rivières ne gèlent
pas avant le mois de janvier. Ce phénomène curieux
confirme les observations de Mackenzie * , qui assure
que la côte du nord-ouest du nouveau continent a une

* Voyage de Mackenzie , traduitpar Castera , vol. III, p. 339. Les In


diens qui avoisinent la côte du nord-ouest , ont même cru observer
que , d'année en année , les hivers y deviennent plus doux. Cette
douceur du climat paraît être l'effet des vents d'ouest qui passent au
dessus d'une étendue de mer considérable. M. Mackenzie croit d'ail
leurs , comme moi , que le changement de climat , observé dans toute
l'Amérique septentrionale , ne peut pas être attribué à de petites
causes locales , par exemple à la destruction des forêts.
CHAPITRE VIII. 305

température beaucoup plus élevée que les côtes orien


tales de l'Amérique et de l'Asie , situées sous les mê
mes parallèles . Les habitans de Noutka , comme ceux
de la côte septentrionale de la Norwège , ne connais

sent presque pas le bruit du tonnerre. Les explosions


électriques y sont infiniment rares. Les collines sont
couvertes de pins , de chènes , de cyprès , et de belles
touffes de rosiers , de vaccinium et d'andromèdes. Le

joli arbuste qui porte le nom de Linné n'a été décou


vert par les jardiniers de l'expédition de Vancouver ,
que dans les latitudes plus élevées. John Mears , et sur
tout un officier espagnol , Don Pedro Alberni , ont
réussi à Noutka , dans la culture de tous les légumes
d'Europe : le maïs et le froment n'y donnèrent cepen
dant jamais de graines mûres . Une trop grande force
de végétation paraissait être la cause de ce phénomène.
On a observé parmi les oiseaux de l'île de Quadra et
de Vancouver , de vrais colibris. Ce fait , important

pour la géographie des animaux , doit frapper ceux


qui ignorent que M. Mackenzie a vu des colibris aux
sources de la Rivière de la Paix , sous les 54° 24′ de la
titude , et que M. Galiano en vit à-peu-près sous le
même parallèle austral dans le détroit de Magellan ! *
Martinez ne poussa pas ses recherches au- delà des
50º de latitude. Deux mois après son entrée au port
de Noutka , il vit arriver un vaisseau anglais , l'Argo
naute , commandé par James Colnet , connu par ses

* Vol. II, p. 338.


II. 20
306 LIVRE III ,

observations faites aux îles Galapagos . Colnet mani


festa au navigateur espagnol l'ordre que son gouver
nement lui avait donné , d'établir une factorerie à

Noutka , d'y construire une frégate et une goëlette , et


d'empêcher toute autre nation européenne de prendre
part au commerce des pelleteries * . Martinez répliqua
en vain que long- temps avant Cook, Juan Perez avait
mouillé dans ces parages. La dispute qui s'éleva entre
les commandans de l'Argonaute et de la Princessa ,
manqua de causer une rupture entre les cours de
Londres et de Madrid . Martinez , pour faire valoir la
priorité de ses droits , employa un moyen violent et
peu légitime ; il arrêta M. Colnet , et l'envoya par San
Blas à la ville de Mexico . Le véritable propriétaire du
terrain de Noutka , le Tays Macuina , se déclara pru
demment pour le parti vainqueur ; mais le vice-roi qui
crut devoir hâter le rappel de Martinez , expédia , au
commencement de l'année 1790 , trois autres bâtimens
armés vers la côte nord-ouest de l'Amérique.
Don Francisco Elisa et Don Salvador Fidalgo ,
frère de l'astronome qui a relevé les côtes de l'Amérique
méridionale , depuis la Bouche du Dragon jusqu'à
Portobelo , commandèrent cette nouvelle expédition.
M. Fidalgo visita l'entrée de Cook et la baie du Prince

Guillaume ; il compléta la reconnaissance de ces pa

* Il s'était formé en Angleterre , dès l'année 1785, une compagnie


de Noutka , sous le nom the King George's Sound Company ; on avait
même le projet de former à Noutka une colonie anglaise semblable
à celle de la Nouvelle-Hollande.
CHAPITRE VIII. 307

rages , que l'intrépide Vancouver a examinés plus tard .


′ de latitude , à l'extrémité septentrio
Sous les 60° 54
nale de Prince William's Sound, M. Fidalgo fut té
moin d'un phénomène probablement volcanique , et
des plus extraordinaires . Les indigènes le conduisirent
dans une plaine couverte de neige , où il vit de grandes
masses de glace et de pierre s'élancer à des hauteurs
prodigieuses , et avec un fracas épouvantable. Don
Francisco Elisa resta à Noutka pour agrandir et pour
fortifier l'établissement que Martinez avait fondé l'an
née précédente. On ignorait encore dans cette partie
du monde , que , par un traité signé à l'Escurial , le
28 octobre 1790 , l'Espagne s'était désistée de ses pré
tentions sur Noutka et sur le canal de Cox , en faveur
de la cour de Londres . Aussi la frégate Dedalus , qui
porta l'ordre à Vancouver de veiller sur l'exécution de
ce traité , n'arriva au port de Noutka qu'au mois
d'août de l'année 1792 , à une époque où Fidalgo
était occupé à former un second établissement espa
gnol au sud-est de l'île de Quadra , sur le continent
même , au port de Nuñez Gaona , ou Quinicamet ,
situé sous les 48°20' de latitude , à l'entrée de Juan de
Fuca.

L'expédition du capitaine Elisa fut suivie de deux


autres , qui , pour l'importance des travaux astrono

miques auxquels elles ont donné lieu , pour l'excel


lence des instrumens dont elles étaient munies , peu

vent être comparées aux expéditions de Cook , de La


Pérouse et de Vancouver . Je parle du voyage de
20.
308 LIVRE HII ,

que firent
l'illustre Malaspina , en 1791 , et de celui
Galiano et Valdes , en 1792.

Les opérations exécutées par Malaspina , et par les


officiers qui travaillaient sous ses ordres , embrassent
une étendue de côte immense depuis l'embouchure du
Rio de la Plata jusqu'à l'Entrée du prince Guillaume.
Mais cet habile navigateur est devenu encore plus cé
lèbre par ses malheurs que par ses découvertes . Après
avoir parcouru les deux hémisphères , après avoir
échappé à tous les dangers d'une mer orageuse , il en

a trouvé de plus grands dans une cour dont la faveur


lui est devenue funeste. Victime d'une intrigue poli
tique , il a gémi pendant six ans dans un cachot. Le
gouvernement français a obtenu sa liberté. Alexandre

Malaspina est retourné dans sa patrie. C'est là , sur les


bords de l'Arno , qu'il jouit dans la solitude , des pro
fondes impressions que laissent dans une âme sensible
et éprouvée par le malheur , la contemplation de la
nature , et l'étude de l'homme sous les climats divers.

Les travaux de Malaspina sont restés ensevelis dans


les archives , non parce que le gouvernement redoutait
de voir révéler des secrets qu'il pouvait croire utile de
cacher , mais parce que le nom de cet intrépide navi
gateur devait être livré à un oubli éternel. Heureuse
ment la direction des travaux hydrographiques (Depo

sito hidrografico de Madrid * ) a fait jouir le public


des principaux résultats qu'ont fournis les observa

* Ce dépôt a été établi par un ordre royal , le 6 août 1797.


CHAPITRE VIII. 30g

tions astronomiques faites pendant le cours de l'expé


dition de Malaspina. Les cartes marines qui ont paru
à Madrid depuis l'année 1799 , se fondent en grande
partie sur ces résultats importans ; mais , au lieu du
nom du chef, on y trouve seulement celui des cor
vettes , la Descubierta et la Atrevida , que Malaspina
a commandées.

Son expédition * , qui était partie de Cadix le 30 juil


let 1789 , n'arriva au port d'Acapulco que le 2 fé
vrier 1791. A cette époque la cour de Madrid fixa
de nouveau son attention sur un objet qui avait été
débattu au commencement du dix -septième siècle , sur

le soi-disant détroit par lequel Lorenzo Ferrer Mal


donado prétendait avoir passé , en 1588 , des côtes du
Labrador au Grand Océan . Un mémoire que M. Buache
venait de lire à l'Académie des sciences , avait fait re
naître l'espoir de l'existence de ce passage. Les cor

vettes la Descubierta et l'Atrevida reçurent l'ordre de


s'élever à de hautes latitudes sur la côte nord- ouest de

l'Amérique , et d'examiner toutes les passes et entrées


qui interrompaient la continuité du littoral entre les
58º et 60º de latitude. Malaspina , accompagné des
botanistes Hænke et Née , mit à la voile à Acapulco ,

le 1er mai de l'année 1791. Après trois semaines de na


vigation il attérit sur le cap de Saint- Bartholomé , qui

Extrait d'unjournal tenu à bord de la Atrevida, manuscrit conservé


dans les archives de Mexico. Viage de la Sutil, p. cx -cxx . M. Ma
laspina , avant l'expédition entreprise en 1789 , avait déjà fait le tour
du globe dans la frégate l'Astrée , destinée pour Manille.
310, LIVRE III ,

avait déjà été reconnu en 1775 par Quadra , en 1778 ,


par Cook , et en 1786 , par Dixon. Il releva la côte

depuis la montagne de San Jacinto , près du cap


Edgecumbe ( Cabo Engano , lat. 57 ° 1′30″ ) jusqu'à
l'île Montagu , vis-à - vis l'Entrée du Prince Guillaume.
Pendant le cours de cette expédition , la longueur du
pendule , l'inclinaison et la déclinaison magnétiques
furent déterminées sur plusieurs points de la côte. On
mesura avec beaucoup de soin l'élévation des mon
tagnes de Saint-Elie et du Beau-Temps , ( Cerro de
Buen Tiempo , ou Mount Fairweather ) , qui sont
les cimes principales de la Cordillère du Nouveau
Norfolk. La connaissance de leur hauteur * , et celle
de leur position , peuvent être d'un grand secours aux
navigateurs lorsque , pendant des semaines entières ,
le mauvais temps les empêche d'observer le soleil ; car
à la vue de ces pics , à 80 ou 100 milles de distance ,
ils peuvent fixer le lieu de leurs vaisseaux par de
simples relèvemens , et par des angles de hauteur.

Après avoir cherché inutilement le détroit indiqué


dans la Relation du voyage apocryphe de Maldonado ,
après avoir séjourné au port de Mulgrave , dans la
baie de Behring ( lat . 59° 34′20 ″ ) , Alexandre Mala

* L'expédition de Malaspina trouva la hauteur du mont Saint-Elis


de 5441 mètres ( 6507,6 vares ) , celle de Mount Fairweather , de
4489 mètres (5368,3 vares) ; par conséquent l'élévation de la première
de ces deux montagnes se rapproche de celle du Cotopaxi ; l'éléva -
tion de la seconde égale presque celle du Mont-Rose . Voyez plus haut
t. 1 , p. 266 , et ma Géographie des Plantes , p . 153.
CHAPITRE VIII. 311

spina fit route vers le sud . Il mouilla au port de Noutka


le 13 août , sonda les canaux qui entourent l'île de
Yucuatl , et détermina , par des observations purement
célestes , les positions de Noutka , de Monterey , de
l'île de la Guadeloupe , sur laquelle le galion des Phi
lippines ( la Nao de China ) a coutume d'attérir , et
du cap San Lucas. La corvette la Atrevida entra à
Acapulco , la corvette la Descubierta à San Blas , au
mois d'octobre de l'année 1791 .

Une campagne de cinq mois n'était pas suffisante


sans doute pour reconnaître et pour relever une côte

étendue , avec ce soin minutieux que nous admirons


dans le Voyage de Vancouver , qui a duré trois ans.
Cependant l'expédition de Malaspina a un mérite par
ticulier , qui consiste , non-seulement dans le nombre
des observations astronomiques , mais surtout dans la
méthode judicieuse qui a été employée pour parvenir
à des résultats certains . On a fixé d'une manière ab

solue la longitude et la latitude de quatre points de


la côte , du cap San Lucas , de Monterey , de Noutka
et du port Mulgrave. Les points intermédiaires ont

été rapportés à ces points fixes par le moyen de quatre


montres marines d'Arnold. Cette méthode , employée
par les officiers embarqués dans les corvettes de Ma
laspina , MM. Espinosa , Cevallos et Vernaci , est bien
préférable aux corrections partielles que l'on se per
met de faire aux longitudes chronométriques par les
résultats de distances lunaires .

A peine Alexandre Malaspina fut- il de retour sur


312 LIVRE III ,

les côtes du Mexique , que mécontent de n'avoir pas


vu d'assez près la côte qui s'étend depuis l'île de
Noutka jusqu'au cap Mendocino , il engagea le vice
roi , comte de Revillagigedo , à préparer une nou
velle expédition de découvertes vers la côte du nord
ouest ·de l'Amérique. Le vice-roi , doué d'un esprit
actif et entreprenant , céda d'autant plus facilement à
ce desir , que de nouveaux renseignemens donnés par
des officiers stationnés à Noutka , semblaient rendre
probable l'existence d'un canal dont on attribuait la
découverte au pilote grec Juan de Fuca , depuis la
fin du seizième siècle. En effet , Martinez , en 1774 ,
avait reconnu une entrée très large sous les 48°20'
de latitude. Le pilote de la goëlette Gertrudis , l'en
seigne Don Manuel Quimper , qui commandait la
bélandre la Princesse Royale , et , en 1791 , le capi
taine Elisa , avaient visité successivement cette entrée;
ils y avaient même découvert des ports sûrs et spa

cieux. C'était pour achever cette reconnaissance , que


sortirent d'Acapulco , le 8 mars 1792 , les goëlettes
Sutil et Mexicana , commandées par Don Dionisio
Galiano , et Don Cayetano Valdès .
Ces astronomes habiles et expérimentés , accompa

gnés de MM . Salamanca et Vernaci , firent le tour de


la grande île qui porte aujourd'hui le nom de Quadra
et Vancouver , et ils employèrent quatre mois à cette
navigation pénible et dangereuse. Après avoir passé
le détroit de Fuca et celui de Haro , ils rencontrèrent
dans le canal du Rosario , appelé par les Anglais le
CHAPITRE `VIII . 313

golfe de Géorgie , les navigateurs anglais Vancouver


et Broughton , occupés des mêmes recherches qui
étaient le but de leur voyage. Les deux expéditions se
communiquèrent sans réserve les résultats de leurs tra

vaux ; elles s'entr'aidèrent mutuellement dans leurs opé


rations , et il subsista entre elles , jusqu'au moment de
leur séparation, une bonne intelligence et une harmonie
parfaite , dont les astronomes , à une autre époque ,
n'avaient pas donné l'exemple sur le dos des Cordillères.
Galiano et Valdès , dans leur retour de Noutka à
Monterey, reconnurent de nouveau l'entrée de la As
cencion , que Don Bruno Eceta avait découverte le
17 août 1775 , et que l'habile navigateur américain
M. Gray , avait nommée la rivière de Colombia , d'après
le nom du sloop qu'il commandait. Cette reconnais

sance était d'autant plus importante , que Vancouver ,


qui avait déjà suivi cette côte de très près , n'avait pu
apercevoir aucune entrée depuis les 45° de latitude

jusqu'au canal de Fuca , et que ce savant navigateur


doutait même alors de l'existence du Rio de Colom
bia ou de l'Entrada de Eceta.

* J'ai déjà parlé plus haut ( t. 1 , p. 206 ) de la facilité qu'auraient les


Européens de fonder une colonie sur les rives fertiles du fleuve Co
lombia, et des doutes qu'on a élevés contre l'identité de ce fleuve et
du Tacoutché-Tessé , ou Orégan de Mackenzie ; j'ignore si cet orégan
ou Oregon entre dans un des grands lacs salés que , d'après les rensei
gnemens donnés par le père Escalante , j'ai figurés sur ma carte du
Mexique, sous les 39º et 41º de latitude. Je ne décide pas si l'Orégan ,
semblable à plusieurs grandes rivières de l'Amérique méridionale , se
fraye un passage à travers une chaîne de montagnes élevées , et si
314 LIVRE III ,

Dès l'année 1797 , le gouvernement espagnol or


donna que les cartes dressées dans le cours de l'expé
dition de MM. Galiano et Valdès fussent publiées ,
«< afin qu'elles pussent être entre les mains du public
« avant celles de Vancouver. » Cette publication n'a
eu lieu cependant qu'en 1802 , et les géographes jouis
sent aujourd'hui de l'avantage de pouvoir comparer
les cartes de Vancouver , celles des navigateurs espa

gnols, rédigées par le Deposito hidrografico de Madrid,


et la carte russe , publiée à Pétersbourg en 1802 ,au dé
pôt des cartes de l'empereur. Cettecomparaison est d'au
tant plus nécessaire que les mêmes caps , les mêmes
passes et les mêmes îlots portent souvent trois et quatre
noms différens , et que la synonymie géographique est
devenue par-là aussi confuse que l'est , par une cause
analogue , la synonymie des plantes cryptogames .

son embouchure se trouve dans une des anses peu connues qui exis
tent entre le port de la Bodega et le cap Orford ; mais j'aurais desiré
qu'un géographe , d'ailleurs savant et judicieux , n'eût pas tenté de
reconnaître le nom d'Orégan dans celui d'Origen , qu'il croit dési
gner un fleuve sur la carte du Mexique publiée par don Antonio
Alzate ( Géographie mathématique, physique et politique , vol. XV, p. 116
et 117. ) Il a confondu le mot espagnol origen , source ou principe
d'une chose , avec le mot indien Origan. La carte d'Alzate ne marque
que le Rio Colorado qui reçoit les eaux du Rio Gila. Près de la jonc
tion , on lit les mots suivans : « Rio Colorado , ó del Norte , cuyo ori
gen se ignora , dont on ignore l'origine. » La négligence avec laquelle
ces mots espagnols sont divisés ( on a gravé Nortecuio et Seignora }
est sans doute la cause d'une méprise aussi extraordinaire.
Sur le vrai cours du Tacoutché-Tessé ou Rivière de Fraser , Voyez
la note que M. de Humboldt a ajoutée à cette seconde édition , t. r,
p . 208. E.-R.
CHAPITRE VIII. 315

A la même époque à laquelle les goëlettes Sutil et


Mexicana étaient occupées à examiner dans le plus
grand détail le littoral contenu entre les parallèles
de 45° et 51º, le vice-roi comte de Revillagigedo des
tina une autre expédition pour des latitudes plus éle
vées. On avait cherché inutilement l'embouchure de

la rivière de Martin de Aguilar , dans les environs du


cap Orford et du cap Gregory. Alexandre Malaspina ,
au lieu du fameux canal de Maldonado , n'avait
trouvé que des culs - de-sac ou des impasses. Galiano

et Valdès s'étaient assurés que l'entrée de Fuca n'é


tait qu'un bras de mer qui sépare une île de plus de
1700 lieues carrées * , celle de Quadra et Vancouver
de la côte montueuse de la Nouvelle- Géorgie. Il res
tait encore des doutes sur l'existence du détroit dont
la découverte a été attribuée à l'amiral Fuentes ou

Fonte, et que l'on supposait se trouver sous les 53° de


latitude. Cook avait regretté de n'avoir pu examiner

cette partie du continent de la Nouvelle-Hanovre , et


les assertions d'un habile navigateur , du capitaine

Colnet , rendaient probable que la continuité de la


côte était interrompue dans ces parages. Ce fut pour
résoudre un problème aussi important que le vice- roi
de la Nouvelle- Espagne donna ordre au lieutenant de
vaisseau Don Jacinto Caamaño , commandant la fré

* L'étendue de l'ile de Quadra et Vancouver, calculée d'après les


cartes de Vancouver, est de 1730 lieues carrées , de 25 au degré sexa
gésimal. C'est l'ile la plus grande que l'on trouve sur ces côtes occi
dentales de l'Amérique .
316 LIVRE III ,

gate l'Aranzazu , d'examiner avec le plus grand soin le


littoral qui s'étend depuis les 51 ° jusqu'aux 56' de lati
tude boréale . M. Caamaño , que j'ai eu le plaisir de
voir souvent à Mexico , mit à la voile au port de San
Blas , le 20 mars 1792 ; il fit une campagne de six
mois. Il reconnut scrupuleusement la partie septen
trionale de l'île de la reine Charlotte , la côte australe
de l'île du prince de Galles , qu'il appela Isla de Ulloa,
les îles de Revillagigedo , de Banks ( ou de la Cala
midad) et d'Aristizabal , et la grande entrée (Inlet) de
Moñino , qui a son embouchure vis-à-vis de l'Archi
pel de Pitt. Le nombre considérable de dénominations
espagnoles que Vancouver a conservé dans ses cartes
prouve que les expéditions dont nous venons de donner
le précis , n'ont pas peu contribué à faire connaître une
côte qui depuis les 45° de latitude jusqu'au cap Dou
glas , à l'est de l'entrée de Cook , se trouve aujourd'hui
plus exactement relevée que la plupart des côtes de
l'Europe.
Je me suis borné à réunir à la fin de ce chapitre
toutes les notices que j'ai pu me procurer sur les
voyages que les Espagnols ont faits depuis l'année
1543 jusqu'à nos jours , vers les côtes occidentales
de la Nouvelle - Espagne , au nord de la Nouvelle
Californie. La réunion de ces matériaux m'a paru né

cessaire dans un ouvrage qui embrasse tout ce qui a


rapport aux relations politiques et commerciales du
Mexique.
Les géographes qui se hâtent de partager le monde
CHAPITRE VIII. 317

pour faciliter l'étude de leur science , distinguent sur


la côte nord-ouest une partie anglaise , une partie es
pagnole et neutre et une partie russe . Ces divisions
ont été faites sans consulter les chefs des diverses tribus

qui habitent ces contrées ! Si les cérémonies puériles


que les Européens nomment des prises de possession ,
si les observations astronomiques faites sur une côte
récemment découverte , pouvaient donner des droits de
propriété , cette portion du Nouveau -Continent serait

singulièrement morcelée , et répartie entre les Espa


gnols , les Anglais , les Russes , les Français et les Améri
cains des États-Unis. Un même îlot tomberait quelque
fois en partage à deux ou trois nations à-la-fois , parce
que chacune pourrait prouver en avoir découvert un
cap différent. La grande sinuosité que forme la côte
entre les parallèles de 55° et de 60°, embrasse des dé
couvertes faites successivement par Gali , Behring et
Tschirikow, Quadra , Cook , Lapérouse , Malaspina et
Vancouver !
Aucune nation européenne n'a formé jusqu'ici un
établissement stable sur l'immense étendue de côtes

qui se prolonge depuis le cap Mendocino jusqu'aux


59° de latitude. Au-delà de cette limite commencent
les factoreries russes , dont la plupart sont éparses et
éloignées les unes des autres , comme les factoreries
que les nations européennes ont établies depuis trois
siècles sur les côtes d'Afrique. La plupart de ces petites.
colonies russes ne communiquent ensemble que par
mer, et les nouvelles dénominations d'Amérique russe
318 . LIVRE III,

oude Possessions russes dans le Nouveau- Continent,


ne doivent pas nous porter à croire que la côte du
Bassin de Behring, la presqu'île Alaska, ou le pays des
Tschugatschi , sont devenues des provinces russes ,
dans le sens que l'on donne à ce mot , en parlant des
provinces espagnoles de la Sonora ou de la Nouvelle
Biscaye.
La côte occidentale de l'Amérique présente l'exemple
unique d'un littoral de 1900 lieues de longueur, habité
par un même peuple européen . Les Espagnols , comme
nous l'avons indiqué au commencement de cet ou
vrage , ont formé des établissemens depuis le fort
Maullin au Chili jusqu'à Saint-François , dans la Nou
velle-Californie. Au nord du parallèle de 38 ° suivent
des tribus d'Indiens indépendans. Il est probable que

ces tribus seront subjuguées peu -à- peu par les colons
russes , qui , depuis la fin du dernier siècle , de l'extré
mité orientale de l'Asie ont passé au continent de
l'Amérique. Les progrès de ces Russes-Sibériens vers
le sud doivent naturellement être plus rapides que

ceux que font les Espagnols mexicains vers le nord.


Un peuple chasseur accoutumé à vivre sous un
ciel brumeux , dans un climat excessivement froid ,
trouve agréable la température qui règne sur la côte
de la Nouvelle-Cornouaille. Cette même côte au con

traire paraît un pays inhabitable , une région polaire ,


aux colons qui viennent d'un climat tempéré , des

* Voyez plus haut , t. 1, p. 190.


CHAPITRE VIII. 319

plaines fertiles et délicieuses de la Sonora et de la


Nouvelle- Californie.
Le gouvernement espagnol, depuis 1788, a marqué
de l'inquiétude sur l'apparition des Russes sur les côtes
du nord-ouest du nouveau continent.Considérant toute

nation européenne comme un voisin dangereux,il a fait


explorer la situation des factoreries russes . La crainte
a cessé dès que l'on a su à Madrid que ces factoreries
ne s'étendaient pas vers l'est au-delà de l'Entrée de
Cook. Lorsqu'en 1799 l'empereur Paul déclara la
guerre à l'Espagne , on s'occupa pendant quelque temps
au Mexique , du projet hardi de préparer, dans les
ports de San Blas et de Monterey, une expédition ma
ritime contre les colonies russes en Amérique . Si ce
projet avait été exécuté , on aurait vu aux prises deux
nations qui , occupant les extrémités opposées de l'Eu
rope , se trouvent rapprochées dans l'autre hémis
phère , sur les limites orientales et occidentales de leurs
vastes empires.
L'intervalle qui sépare ces limites devient progres
sivement plus petit ; et il est de l'intérêt politique de
la Nouvelle -Espagne , de connaître exactement le pa

rallèle jusqu'auquel la nation russe est déjà avancée


à l'est et au sud. Un manuscrit qui existe aux archives
de la vice-royauté à Mexico , et que j'ai cité plus haut ,
ne m'a donné que des notions vagues et incomplètes. Il
décrit l'état des établissemens russes tels qu'ils étaient il
ya vingt ans. M. Malte-Brun , dans sa Géographie uni
verselle , a donné une description très intéressante de
320 LIVRE III ,

la côte du nord-ouest de l'Amérique. Il a fait connaître


le premier la relation du voyage de Billings * , publiée
par M. Sarytschew , et qui est préférable à celle de
M. Sauer. Je me flatte de pouvoir donner, d'après des
renseignemens très récens, et tirés d'une pièceofficielle**,
la position des factoreries russes , qui , pour la plupart ,
ne sont que des réunions de hangars et de cabanes ,
mais qui servent d'entrepôts pour le commerce des four
rures.
Sur la côte la plus rapprochée de l'Asie , le long
du canal de Behring , on trouve depuis les 67° jus
qu'aux 64° 10' de latitude , sous les parallèles de la La
ponie et de l'Islande , un grand nombre de cabanes ,
fréquentées par les chasseurs sibériens . Les principaux
postes , en les comptant du nord au sud sont : Kigil
tach , Leglelachtok , Tuguten , Netschich , Tchine

Account ofthe geographical and astronomical expedition undertaken


forexploring the coast of the Icy sea , the land of the Tshutski and the
islands between Asia and America, under the command ofcaptain Billings,
betweentheyears 1785 and 1794. By Martin Sauer, secretary to theexpe
dition. - Putetchestwie flota-kapitana Sarytschewa po severowostochno
tschastisibiri, ledowitawa mora , i wostochnogo okeana , 1804 .
** Carte des découvertesfaites successivementpar des navigateurs russes
dans l'Océan pacifique et dans la mer Glaciale , corrigée d'après les obser
vations astronomiques les plus récentes de plusieurs navigateurs étrangers ,
gravée au dépôt des cartes de Sa Majesté l'Empereur de toutes les Rus
sies, en 1802. Cette belle carte, que je dois à l'obligeante bontéde M. de
m.
St. Aignan,a 1,™.231 de long, et o,m.722 de large, et embrasse l'étendue
de côtes et de mers comprise entre les 40° et 72º de latitude, et les 125°
et 224° de longitude occidentale de Paris. Les noms sont écrits en
caractères russes.
CHAPITRE VIII. 321

griun , Chibalech , Topar, Pintepata , Agulichan ,


Chavani et Nugran près du cap Rodni (cap du Pa
rent ) . Ces habitations des naturels de l'Amérique russe
ne sont éloignés que de trente à quarante lieues * des

*Comme il est plus que probable que des peuplades asiatiques et


américaines ont passé l'Océan , il est curieux d'examiner la largeur
du bras de mer qui sépare les deux continens sous les 65°50' de la
titude boréale. D'après les découvertes les plus récentes , faites par
des navigateurs russes , l'Amérique est plus que partout ailleurs rap
prochée de la Sibérie sur une ligne qui traverse le détroit de Behring
dans une direction du sud-est au nord-ouest , du cap du Prince de
Galles au cap Tschoukotskoy. La distance de ces deux caps est de 44'en
arc , ou de 18 lieues de 25 au degré. L'île d'Imaglin se trouve
presque au milieu du canal ; elle est d'un cinquième plus rapprochée
du cap d'Asie. Il paroît d'ailleurs que , pour concevoir comment des
tribus asiatiques fixées sur le plateau de la Tartarie chinoise ont pu
passer de l'ancien au nouveau continent , on n'a pas besoin de re
courir à une transmigration faite à des latitudes aussi élevées. Une
chaîne d'ilots voisins les uns des autres , se prolonge de la Corée et
du Japon au cap méridional de la presqu'île de Kamtschatka , entre
les 33 et les 51º de latitude. La grande île de Tchoka , réunie au
continent par un immense banc de sable ( sous les 52º de latitude )
facilite la communication entre les bouches de l'Amour et les îles
Kuriles. Un autre archipel d'ilots , que ferme au sud le grand bassin
de Behring , s'avance depuis la presqu'île Alaska , 400 lieues vers
l'ouest. La plus occidentale des îles Aleutiennes n'est éloignée de la
côte orientale du Kamtschatka que de 144 lieues , et cette distance
est encore divisée en deux parties presque égales par les îles Behring
et Mednoi( situées sous les 55º de latitude. Cet exposé rapide prouve
suffisamment que des tribus asiatiques ont pu parvenir d'îlot en îlot
d'un continent à l'autre sans s'élever, sur le continent de l'Asie , au-delà
du parallèle des 55°º , sans tourner la mer d'Ochotsh à l'ouest , et sans
faire aularge un trajet de plus de vingt-quatre ou de trente-six heu
res. Les vents nord - ouest , qui , pendant une grande partie de
II. 21
322 LIVRE III ,

huttes des Tchoutskis de l'Asie russe. Le détroit de


Behring qui les sépare , est rempli d'îlots déserts dont
le plus septentrional s'appelle Imaglin . L'extrémité
nord-est de l'Asie forme une presqu'île qui ne tient
à la grande masse du continent que par un isthme
étroit entre les deux golfes Mitschigmen et Kaltschin .
La côte asiatique qui borde le détroit de Behring est
habitée par un grand nombre de mammifères cétacés.
C'est sur cette côte que les Tchoutskis , qui vivent dans
une guerre continuelle avec les Américains , ont des
habitations réunies ; leurs petits villages s'appellent Nu
kan , Tugulan et Tschigin.
En suivant la côte du continent de l'Amérique ,

depuis le cap Rodni , et l'entrée de Norton , jusqu'au


cap Malowodnoy ( cap à peu d'eau ) on ne trouve
aucun établissement russe ; mais les naturels ont un
grand nombre de cabanes réunies sur le littoral qui
s'étend entre les 63°20′ , et 60°5′ de latitude. Les plus
septentrionales de leurs habitations sont Agibaniach
et Chalmiagmi , les plus méridionales Kuynegach et
Kuymin.
La baie de Bristol , au nord de la presqu'île Alaska
(ou Aliaska) est appelée par les Russes le golfe Ka

l'année , soufflent dans ces parages , favorisent la navigation d'Asie


en Amérique entre les 50° et 60° de latitude. Il ne s'agit point dans
cette note d'établir de nouvelles hypothèses historiques , ou de dis
cuter celles que l'on a rebattues depuis quarante ans ; on se contente
d'avoir présenté des notions exactes sur la proximité des deux con
tinens.
CHAPITRE VIII. 323

mischezkaja. Ils ne conservent en général sur leurs


cartes aucun des noms anglais imposés par le capi
taine Cook et par Vancouver au nord des 55° de la
titude. Ils préfèrent même ne pas donner de noms aux

deux grandes îles dans lesquelles se trouvent le pic


Trubizin (Mount Edgecumbe , de Vancouver ; Cerro
de San Jacintho , de Quadra ) et le cap Tschiricof
cap San Bartholomé) , plutôt que d'adopter les dé
nominations d'Archipel du roi George et Archipel
du prince de Galles.
La côte qui s'étend depuis le golfe Kamischezkaja
jusqu'au Nouveau-Cornouaille , est habitée par cinq
peuplades qui forment autant de grandes divisions
territoriales dans les colonies de la Russie américaine.

Leurs noms sont : Koniagi, Kenayzi , Tschugatschi,


Ugalachmiuti et Koliugi.
A la division Koniagi appartient la partie la plus
septentrionale de l'Alaska , et l'île de Kightar, que
les Russes appellent vulgairement Kightak , quoique
dans la langue des naturels le mot Kightak ne dé
signe en général qu'une île . Un grand lac intérieur
de plus de 26 lieues de long et 12 de large , commu
nique par la rivière d'Igtschiagik avec la baie de Bris

tol. Il y a deux forts et plusieurs factoreries sur l'île


Kodiak ( Kadiak ) et les petites îles adjacentes. Les
forts établis par Schelikoff portent le nom de Karluk et
des trois sanctificateurs. M. Malte - Brun rapporte
que d'après les dernières nouvelles l'archipel Kightak
était destiné à renfermer le chef-lieu de tous les éta
21.
324 LIVRE III,

blissemens russes . Sarytschew assure qu'il existe à l'île


d'Umanak ( Umnak ) un évêque et un monastère
russes. J'ignore si on les a établis autre part , car la
carte publiée en 1802 n'indique aucune factorerie
ni à Umnak , ni à Unimak , ni à Unalaschka. J'ai lu
cependant à Mexico , dans le journal manuscrit du
voyage de Martinez , que les Espagnols trouvèrent en
1788 à l'île de Unalaschka plusieurs maisons russes et
une centaine de petites embarcations. Les naturels de
la péninsule Alaska se nomment eux-mêmes les hom
mes de l'Orient ( Kagataya-Koung'ns ).
Les Kenayzi habitent la côte occidentale de l'en
trée de Cook ou du golfe Kenayskaja. La factorerie
Rada visitée par Vancouver , y est située sous les
61 °8′ . Le gouverneur de l'Ile de Kodiak , le Grec Iva
nitsch Delareff, assura à M. Sauer , que malgré la ru
desse du climat , le blé viendrait bien sur les bords de
la rivière de Cook. Il avait introduit la culture des

choux et de la pomme de terre dans les jardins formés


à Kodiak.

Les Tschugatschi occupent le pays qui s'étend de


puis l'extrémité septentrionale de l'entrée de Cook jus
qu'à l'est de la baie du prince Guillaume ( golfe Tschu
gatskaja ). Il y a dans ce district plusieurs factoreries
et trois petites forteresses : le fort d'Alexandre , cons
truit près du port Chatham, et les forts des îles Tuk

( I. Green de Vancouver ) et Tchalcha ( I.Hinchin


brook ).

Les Ugalachmiuti s'étendent depuis le golfe du


CHAPITRE VIII. 325

prince Guillaume jusqu'à la baie de Jakutat , que


Vancouver appelle la baie de Behring * . Près du cap
Suckling ( cap Élie des Russes ) se trouve la factorerie
de Saint- Simon. Il paraît que la chaîne centrale des
Cordillères du Nouveau-Norfolk est considérablement

éloignée de la côte depuis le Pic de Saint-Élie , car les


naturels ont appris à M. Barrow , qui a remonté le
fleuve Mednaja ( rivière de cuivre ) à une distance de
cinq cents werst ( 120 lieues ) , qu'il n'atteindrait la
haute chaîne des montagnes qu'à deux journées de
chemin au nord.

Les Koliugi habitent le pays montueux du Nou


veau - Norfolk , et la partie septentrionale du Nouveau
Cornouaille. Les Russes marquent sur leurs cartes la
baie Burrough (lat. 55° 50′ ) en face de l'île Revillagi
gedo de Vancouver ( Isla de Gravina des cartes espa
gnoles ) comme la limite la plus australe et la plus
orientale de l'étendue de pays dont ils réclament la
propriété aussi la grande île de l'archipel du roi
George paraît- elle avoir été examinée avec plus de
soin , et dans un plus grand détail , par les naviga
teurs russes que par Vancouver. Il est aisé de s'en

* Il ne faut pas confondre la baie de Behring de Vancouver, située


au pied de la montagne S.-Elie , avec la baie de Behring des cartes
espagnoles,qui se trouve près de la montagne de Fair-weather (Nevado
de Buentempo). Sans une connaissance exacte de la synonymie géo
graphique , les ouvrages espagnols , anglais , russes et français qui
traitent de la côte du nord-ouest de l'Amérique , deviennent presque
inintelligibles , et ce n'est que par une comparaison minutieuse de
cartes que cette synonymie peut être fixée.
326 LIVRE III ,

convaincre , en comparant attentivement la côte occi


dentale de cette île , surtout les environs du cap Tru

bizin (cap Edgecumbe) et du port de l'archange Saint


Michel , dans la baie Sitka ( Norfolk Sound des Anglais ,
baie de Tchinkitané de Marchand ) , sur la carte pu
bliée à Pétersbourg , au dépôt impérial , en 1802 , et
sur les cartes de Vancouver. L'établissement russe le

plus méridional de ce district des Koliugi est une


petite forteresse ( crepost ) construite dans la baie

de Jakutat , au pied de la Cordillère qui réunit le


mont du Beau-Temps au mont Saint -Élie , près du
port Mulgrave , par les 59°27′ de latitude. La proxi
mité des montagnes couvertes de neiges éternelles ,
et la grandeur du continent depuis les 58º de la
titude , donnent à cette côte du Nouveau-Norfolk et
au pays des Ugalachmiuti un climat excessivement
froid et contraire au développement des productions
végétales.
Lorsque les chaloupes de l'expédition de Malaspina
pénétrèrent dans l'intérieur de la baie de Jakutat jus
qu'au port de Desengaño , elles trouvèrent au mois
de juillet , sous les 59° 59' de latitude , l'extrémité
septentrionale du port couverte d'une masse solide de

glaces. On pourrait croire que cette masse appartenait


à un glacier , qui aboutit à de hautes Alpes mari
times ; mais Mackenzie rapporte que visitant 250
lieues à l'est , sous les 61 ° de latitude , les bords du

* Fancouver, t. V, p. 67.
CHAPITRE VIII. 327

lac des Esclaves , il trouva tout ce lac gelé au mois de


juin . En général , la différence de température que
l'on observe sur les côtes orientales et occidentales du
Nouveau-Continent , et dont nous avons parlé plus

haut , ne paraît être bien sensible qu'au sud du paral


lèle de 53° qui passe par la Nouvelle-Hanovre , et par
la grande île de la Reine Charlotte.
Il y a à-peu-près la même distance absolue de Pé

tersbourg à la factorerie russe la plus orientale sur le


continent de l'Amérique , que de Madrid au port de
San Francisco , dans la Nouvelle- Californie. La lar
geur de l'empire russe embrasse , sous les 60º de lati

tude , une étendue de pays de presque 2400 lieues ;


cependant le petit fort de la baie de Jakutat est encore
éloigné de plus de six cents lieues des limites septen
trionales des possessions mexicaines . Les naturels de

ces régions septentrionales ont été pendant long
temps cruellement vexés par les chasseurs sibé
riens des femmes , des enfans furent retenus comme
ôtages dans les factoreries russes . Les instructions
données au capitaine Billings par l'impératrice Cathe
rine , et rédigées par l'illustre Pallas , respirent la phi
lanthropie et une noble sensibilité. Le gouvernement
actuel s'est occupé sérieusement à diminuer les abus
et à réprimer les vexations ; mais il est difficile d'em

Des notions plus récentes sur l'état de l'Amérique Russe se trou


vent réunies dans Hassel, Vollst. Handbuck der Erdbeschreibung , 1822.
B. 16, p . 548-578.
328 LIVRE III ,

pêcher le mal aux extrémités d'un vaste empire , et


l'Américain se ressent à chaque instant de l'éloigne

ment de la capitale.

RECTIFICATIONS ET NOTES supplémentaires du tabLEAU


STATISTIQUE DE LA NOUVELLE- ESPAGNE.

Les dénombremens faits du temps du comte de Revillagi


gedo sont restés jusqu'ici les seules bases des calculs tentés ,
à diverses époques , pour évaluer la population du Mexique.
Je crois avoir justifié les changemens que j'ai fait subir aux
résultats primitifs , pour les réduire à l'époque de 1803
(Voyez tom. 1 , pag. 302 et suiv. ) Il est plus que probable
que la Confédération des Etats Mexicains renferme aujour
d'hui , pour le moins , 6,800,000 âmes , dont 3,700,000 Indiens
de race pure , 1,230,000 blancs , 1,860,000 hommes de races
mixtes , et 10,000 nègres ; mais il serait imprudent d'évaluer
l'accroissement de chaque Etat ( appelé anciennement Inten
dance ) et de chaque capitale d'un Etat. « La première base
d'un bon gouvernement , dit le ministre de l'intérieur , M. Ala
man , est une statistique ou connaissance exacte des res
sources de l'Etat : aussi , dès les premiers jours de notre indé
pendance , la Junte provisoire ordonna aux députations pro
vinciales et aux Ayuntamientos (conseils municipaux) de réu
nir les matériaux qui pourraient servir pour un travail général.
Plusieurs députations répartirent , en effet , parmi les muni
cipalités , des tableaux qui renfermaient les questions les plus
importantes. Malgré ces efforts , malgré l'ordre du 1er avril
1822 , rien , presque rien n'a été obtenu. La seule province
dont on assure que la statistique a été rédigée officiellement,
est la province de Valladolid ; cependant le congrès n'a pas
encore reçu l'état de la population de Valladolid , et aucun
CHAPITRE VIII. 329
progrès n'a été fait jusqu'ici dans une matière si intimement
liée à la répartition des impôts , à la juste distribution des
droits de représentation nationale , à la connaissance de nos
moyens et de nos forces. » ( Lucas Alaman , Secretario de Es
tado y del Despacho de Relaciones interiores , en el Informe
al Congreso del 8 de nov. 1823 , p . 22 ) . Voici quelques rectifica
tions isolées que j'ai puisées , en grande partie , dans des ren
seignemens qui m'ont été envoyés du Mexique :
Ville de Mexico. La population , que l'on croyait, en 1803 , 1

de 140,000 âmes ( voy. ci-dessus , p . 78 ) , a été trouvée , en


1820 , de 168,846 , dont 92,838 femmes et 76,008 hommes.
La prépondérance des femmes , que l'on observe dans tous
les dénombremens des grandes villes du Mexique et des Etats
Unis Morse , Modern Geography, p. 619 ) , s'est donc con
servée , quoique de nouvelles recherches faites au Mexique
aient confirmé le principe général qu'à Mexico et à Bombay
( Trans. ofthe Phil. Society ofBombay, vol. I , p . 25 ) , comme
dans les régions les plus froides , en Sibérie et en Laponie , il
nait plus de garçons que de filles . Ce qui a été avancé plus
haut ( t. I , p . 455, ) d'après M. Peuchet , sur les modifications
qu'éprouve le rapport des naissances mâles et femelles dans les
départemens méridionaux de la France vient d'être réfuté par
le relevé des naissances dans trente départemens de 1817 à
1822 ( Annuaire du Bureau des longitudes , pour 1825, p . 98).
Ce n'est que dans les naissances des enfans naturels , que les
naissances des filles se rapprochent plus de celles des garçons.
Dans les naissances légitimes , le rapport est ; dans les nais
sances des enfans naturels , il est 20 à 19. La ville de Mexico
est encore aujourd'hui la plus populeuse de toutes les capitales
du Nouveau-Continent. Rio- Janeiro a 135,000 habitans , dont
105,000 nègres ; la Havane 130,000 ; New-York 140,000 ;
Philadelphie 115,000 ; Bahia 100,000 .
La Puebla de los Angeles. Je doute que la population ait
augmenté autant que le prétendent quelques voyageurs mo
330 LIVRE III ,

dernes , qui l'élèvent à go,000. Le dénombrement de 1820 ne


donna que 60,000.
Guadalaxara , dont la population avait déjà été évaluée
trop bas en 1803 , est aujourd'hui , après Mexico , la seconde
ville de la Confédération. On lui donne soixante à soixante
dix mille âmes.
Guanaxuato. D'après le dénombrement fait en mai 1822 ,
il ne resterait , dans la ville , que 15,379 âmes , dans les mines
voisines et les faubourgs , 20,354 ; total 35,733 , ou moins que
la moitié de la population de 1805 ( voy. ci-dessus p. 162 ).
Depuis que les exploitations métalliques ont repris une grande
activité , le nombre des habitans augmente de nouveau ( Sol
ó Gazetade Mexico , 1825 , n . 597 , p. 954 et Notes on Mexico ,
1824 , p. 162. )
Oaxaca. Quoique le tableau statistique de l'intendance
d'Oaxaca m'ait été envoyé comme formé d'après l'ordre émané
de la députation provinciale , en date du 27 septembre 1820 ,
je ne doute pas qu'il ne soit entièrement fondé sur les dénom
bremens faits , en 1793 , sous l'administration du comte de Re
villagigedo. Ce dénombrement donnait 411,366 , et comment
croire qu'une province , qui a joui pendant vingt- sept an
nées de la paix la plus profonde , et qui offre une population
indienne robuste et laborieuse , n'aurait augmenté que de
9000 âmes depuis 1793 jusqu'en 1822 ? J'avais déjà trouvé ,
pendant mon séjour à Mexico , dans les archives de la vice
royauté , quelques états de population , que les intendans da
taient du commencement du dix- neuvième siècle , et qui
étaient , à un seul individu près , identiques avec les listes for
mées en 1793. Il est plus commode de copier un ancien tableau
que d'entreprendre un nouveau recensement. Les 420,973 âmes
que présente la Estadistica general de la Intendenciay del Cor
regimiento de Oaxaca , que nous consignons ici , ne sont pro
bablement qu'une de ces variantes dont se trouvent chargées
les nombreuses copies du censo general du comte de Revilla
CHAPITRE VIII. 331

gigedo . Ce qui paraît confirmer cette supposition , c'est la cir


constance remarquable qu'à la réunion du premier congrès
mexicain , on a fixé officiellement le nombre des députés
d'Oaxaca, en supposant une population de 600,000 âmes (t. I ,
p. 319 ) . Or, les élections ne se seraient certainement pas faites
d'après une telle supposition , si l'on avait cru qu'en 1820 ,
le nombre des habitans n'était encore que de 420,973. L'Esta
distica general fait juger de la population et de la culture rela
tives des différentes subdelegaciones , en énonçant , pour cha
cune d'elles , le nombre des paroisses , des fermes et des villages.
VILLES ET PARTIDOS DU CORREGI
MIENTO DE OAXACA. PAROISSES. FERMES. VILLAGES. POPULATION.
Ciudad de Oaxaca. 1. 15624.
Barrio de las Muertas 2. 1. 418.
de Talatlaco. 6. 4. 952.
Partido de Ejutla. . 1. 10. 3. 4697.
de Zauchila. 1. 1. 6. 5172.
de Yxtlan. 1. 5. 1462.
de Sosola. 1. 6. 686.
de Atatlahuca. 2. 5. 1296.
de Colotepeque. 11. 1. 328.
de Ocotlan. 1. 13. 9468.
de Ayoguesco. 3. 2. 13. 6263.
de Talistaca. 2. 2. 5. 5676.

Total du Corregimiento de Oaxaca... 18. 30. 62. 52042.


|

SUBDELEGACIONES.
Villa alta.. 20. 110. 39404.
Marquezado. • 5. 15. 45. 21087.
Miahuatlan. 6. 10. 49. 18450 .
Muamelula. • · 1. 22. 13. 4276.
Tentitlan del Valle. 3. 8. 23 . 12862.
Quiechapa.. 9. 15. 39. 15749.
Muapiapam. 15. 13. 79. 33765.
Yxtepexe.. 2. 11. 9. 4871 .

A reporter.. 79. 124. 429. 202506 .


332 LIVRE III ,
SUBDELEGACIONES. PAROISSES. FERMES. VILLAGES. POPULATION.
Report.. . 79. 124. 429. 202506.
Nochistlan. 6. 1. 29. 10039.
Huizo. 2. 9. 13. 8211.
Zimatlan.. 5. 29. 46. 12792.
Teococuilco. • 5. 4. 31. 11077.
Teposcolula. • 17. 13. 147. 55697.
Tentila. 7. 13. 35. 23353.
Tehuantepeque. 6. 171. 28. 24922.
Tentitlan del Camino. 5. 7. 37. 20509.
Tustlahuaca. 6. 6. 26. 8171.
Chontales. 4. 9. 31. 5344.
Iamiltepeque. 9. 44. 56. 37721.
Villa de Xalapa del Estado.. 1. 7. 1. 631.

Total de la province d'Oaxaca. .... 152. 437. 909. 420973.


San Blas. On voit , par le rapport que le ministre de la ma
rine a fait récemment au Congrès ( 16 décembre 1824 ) , qu'on
s'occupe sérieusement de la translation des établissemens mili
taires de San Blas à Acapulco . On se plaint du mauvais état de
l'estero ( rade ) de S. Blas , où , à peine trois ou quatre bâti
mens , qui tirent dix à quatorze pieds d'eau , peuvent stationner
à-la-fois , tandis que l'excessive insalubrité du climat inter
rompt les travaux de carenage et de construction pendant la
moitié de l'année. D'un autre côté , le superbe port d'Acapulco
manque , comme nous l'avons exposé plus haut ( t . I , p . 238 ) ,
des bois nécessaires pour les chantiers , et le Gouvernement fait
consulter dans ce moment si le port de Manzanillo( entre Zaca
tula et le cap Corrientes ) , plus rapproché des forêts , ne de
vrait pas être préféré à Acapulco. Quant au port de San Blas ,
dont la position est très importante pour la marine marchande,
on lui laissera les droits de puerto habilitado.
D'après un relevé officiel , on comptait , en 1810 , dans toute
l'étendue de la Nouvelle-Espagne , 1073 paroisses , 157 mis
sions , 264 couvens , 4682 villages , 3749 fermes ( haciendas de
campo ) , 6684 métairies ( ranchos ou haciendas menores ) ,
CHAPITRE VIII. 333

1195 vacheries et bergeries ( estancias ou haciendas de cria


de ganados). Voyez Miscellanea , nº 200 , p . 6. La répartition
des paroisses ( curatos ) de la Nouvelle-Espagne , entre les dio
cèses des neuf évêques , était , d'après le travail de don Fer
nando Navarro y Noriega , en 1813 , comme il suit :

DIOCESES. PAROISSES.

Mexico. 244.
Puebla. 241.
Valladolid. 116.
Оахаса . . 140.
Guadalaxara. 120.
Yucatan. 85.
Durango. 46.
Monterey.. 51.
Sonora.. · 30.

Total.. 1073.

Le nombre des ecclésiastiques qui desservent ces 1073 pa


roisses n'était, d'après une note officielle que je possède, en 1822,
que de 2300. Le nombre des missions s'élevait , en 1813 , d'a
près ces mêmes documens , dans les diocèses de Mexico à 18 , de
Valladolid à 5 , de Durango à 45 , de Monterey à 18 , de So
nora à 66. Total 157 .

I. Missiones del Arzobispado de Mexico.

Custodia del Salvador de Tampico, - à la charge des Fran


ciscains de la provincia del Santo Evangelio.

II. Missiones del Obispado de Valladolid.

Custodia de Santa Catalina Martir de Rioverde , — à la


charge des franciscains de la provincia de los Santos Apostolos
de Mechoacan .
334 LIVRE III ,

III. Missiones del Obispado de Durango.

a) Custodia de la Conversion de San Pablo de Nuevo Mexico,


à la charge des religieux de la provincia del Santo Evangelio.
b) Custodia del Passo del Norte.
c) Custodia de la Taraumara Alta , à la charge du Colegio
apostolico de N. S. de Guadalupe de Zacatecas.
d) custodia del Parral , — à la charge des franciscains de la
provincia de Zacatecas.

IV. Missiones del Obispado de Monterey.

a) Missiones de Gualapuiser, dans le Nuevo Reyno de Leon,


--- à la charge des religieux de la provincia de Zacatecas.

b) Missiones de Cohahuila , ―――――- à la charge du Colegio apos


tolico de Pachuca.

c) Missiones de Texas , ______ à la charge du Colegio apostolico


de Zacatecas.

V. Missiones del Obispado de la Sonora.

a) Missiones de Sonora et Arispe , —- à la charge du Co


legio apostolico de la Santa Cruz de Queretaro.
b) Missiones de la Antigua ou Baxa California , — à la charge
de la province de Santiago del Orden de Predicadores.
c) Missiones de la Nueva ou Alta California , - à la charge
du Colegio apostolico de San Fernando de Mexico.
Dans le rapport que le ministre secrétaire d'Etat du dépar
tement ecclésiastique a fait au Congrès mexicain en 1824 , on
trouve le tableau suivant, qui fait connaître les Colegios de Pro
CHAPITRE VIII. 335

paganda Fide et le nombre des religieux et des missions ap


partenans à ces cinq établissemens.
COLLÉGES. RELIGIEUX. MISSIONS. ] PROVINCES .

Santa Cruz de Queretaro. 66 9.. Sonora.


San Fernando de Mexico. 77 20.. Alta California.
San Francisco de Pachuca. 45 9.: Nuevo Santander
San Josè de Gracia de et Cohahuila.
Orizava. · 47
Ntra. Sra. de Guadalupe
de Zacatecas. 94 22.. Taraumara et
Texas.
Total. 329. 60..

Les dix missions de Cohahuila et de Texas ont été récem


ment sécularisées : les religieux sont devenus des curés de pa
roisses. On va faire le même changement dans les missions de
la Sierra Gorda ; mais , depuis que la révolution a ouvert , à la
jeunesse mexicaine , des moyens si variés d'employer leurs ta
lens , le nombre des ecclésiastiques diminue de jour en jour.
« Les deux Californies , dit le ministre de l'intérieur, M. Ala
man , dans son excellent rapport au Congrès , en 1823 , méri
tent d'être considérées sous un autre point de vue politique
qu'on ne l'a fait jusqu'ici. Le vaste commerce , dont ces pro
vinces devront un jour être le centre par le nombre et la ri
chesse de leurs productions agricoles , les moyens qu'elles peu
vent fournir pour l'entretien d'une marine nationale , l'ardeur
avec laquelle elles sont convoitées par quelques puissances de
l'Europe , doivent fixer l'attention du gouvernement mexicain.
Si le régime des missions peut être considéré comme le plus pro
pre pour tirer de la barbarie des sauvages qui errent dans les
bois sans aucune idée de religion et de culture intellectuelles ,
il ne faut point oublier que ce régime ne peut servir qu'à poser
les premières bases de la société , sans conduire les hommes à
un perfectionnement ultérieur. Il faut attacher les Indiens au
sol , en les faisant propriétaires indépendans , en leur distri
buant des terres ; il faut peupler les Californies. Les trente-six
religieux fernandistes , qui ont la charge des missions de la Alta
336 LIVRE III,

California , ne jouissent , par an , que d'une rente ( Sinodo ) de


400 piastres, qui a été assez mal payée dans ces derniers temps.
Dans la Baxa California , la rente des missionnaires n'est que
de 350 piastres. » Le nombre des religieux a diminué sensi
blement depuis que j'ai quitté le Mexique. Voici l'état des
treize provinces , publié par le ministre des cultes.

RELIGIEUX DES CINQ ORDRES. -- 1822.

PROVINCES. POSITION. COUVENS. RELIGIEUX. CAPITAUX ÉVALUIS


EN PLASTRES.

I. DOMINICOS.
Santiago de Predicadores Mexico. 10 130 144074
San Miguel y Santos Angeles. Puebla. 6 55 10900
San Hipólito Martir... Oaxada. 6 52 81687

II. FRANCISCANOS.
2010

Santo Evangelio. Mexico. 310 148531


San Diego. Idem. 14 232 32990
San Pedro y San Pablo de Mi
choacan. ... 9 Queretaro. 15 133 411985
San Francisco los Zacatecas. Potosi. 11 157 235615
Santiago Xalisco. . . . Guadalaxara . 7 133
San Jose de Campeche. Mérida 4 79 61562

III. AUGUSTINOS.
San Nicolas de Michoan. Salamanca. 11 87 562563
Dulce nombre de Jesus.. Mexico. 134 216532

IV. CARMELITAS.
San Alverto . Idem. 15 243 919709

V. MERCEDARIOS.
S. Pedro Nolasco de la Visitacion. Idem 19 186 224430

Total. 13. 149 1931 3050578


CHAPITRE VIII. 337

Ces capitaux de plus de trois millions de piastres , appar


tenant aux couvens d'hommes , ont été prêtés à l'Etat avant
l'établissement du gouvernement républicain. Le nombre des
couvens de femmes ne s'élève , dans tout le Mexique, qu'à 57 ,
dont 5 de la Concepcion , à Mexico , Puebla , Merida , San Mi
guel el Grande et Oaxaca.
4 de Santa Clara , à Mexico , Puebla , Atlixco et Queretaro .
2 de l'Encarnacion , à Mexico et Chiapa.
1 de Santa Rosa Maria , à Puebla.
4 de Santa Catalina, à Mexico, Puebla, Oaxaca et Valladolid .
5 de SantaTeresa,à Mexico, Queretaro, Puebla et Guadalaxara,
I de Nuestra Señora de Soledad, à Puebla.
2 de Jesus Maria , à Mexico et Guadalaxara.
2 de Santa Iñes, à Mexico et Puebla.
1 de Santa Isabel , à Mexico.
1 de Regina , à Mexico .
1 de San Jose de Gracia , à Mexico.
1 de San Juan de la Penitencia , à Mexico.
1 de Santa Brigida , à Mexico.
2 de la Balvanera, à Mexico.
1 de la Santissima Trinidad , à Puebla.
1 de la Enseñanza , à Mexico.
4 de la Enseñanza de Indias, à Mexico, Guadalaxara , Aguas
Calientes et Irapuato .
1 de San Lorenzo , à Mexico .
2 de San Geronimo , à Mexico et Puebla.
3 de Santa Monica , à Puebla , Oaxaca et Guadalaxara.
1 de Santa Maria de Gracia , à Guadalaxara.
1 de Nazarenas , à Celaya.
1 de Capuchinas , à Mexico.
10 de Capuchinas de Indias , à Mexico, Oaxaca , Villa de Gua
dalupe , Queretaro , Villa de Lagos , Valladolid , Guada
laxara , Salvatierra et Puebla.
Le ministre des cultes ne connaissait les capitaux que de
11. 22
338 LIVRE III ,

vingt de ces couvens ; le nombre des religieuses que dans trente.


Les capitaux (capitales impuestos) s'élevaient à 5,200,000 pias
tres ; le nombre des religieuses était de 962. Il paraîtrait , d'a
près ce relevé , que la population des couvens de femmes dif
fère peu de celle des couvens d'hommes , et que le nombre
total des moines et des nonnes est à-peu- près de 3800. J'a
vais évalué ce nombre en 1803 , à quatre ou cinq mille. Le
clergé mexicain , en y comprenant même les donados et legos,
ne s'élève aujourd'hui probablement pas à 8000 individus , c'est
à-dire à 1 - au plus à 1 sur mille de population , tandis que
l'Espagne en compte encore plus de dix à douze sur mille.
D'après une note officielle , renfermant le dénombrement fait
en 1786 , il y avait , en Espagne , à cette époque , sur une po
pulation évaluée à 10,409,877 âmes , dans les couvens d'hom
mes , 57,533 individus ( savoir 37,520 religieux profès , 7862
frères laïcs , 4225 donados ) ; dans les couvens de femmes ,
33,630 individus ; et du clergé séculier , 86,546. Ces nombres
diffèrent un peu de ceux qu'ont publiés M. de Bourgoing et
le comte Alexandre de Laborde, Le Portugal comptait ( 1822 ),
[
sur une population de 3,173,000 , près de 27,000 ecclésias
tiques séculiers et réguliers des deux sexes , c'est-à-dire neuf
sur mille de population totale..
La province de Chiapa a été séparée récemment du territoire
de Guatimala et annexée à la confédération mexicaine. La partie
froide et tempérée comprend les environs de Ciudad Real,Chia
pa , Tuxtla et Ocosocontla ; la partie chaude comprend le lit
toral de Tonalà et Maquilapa sur l'Océan pacifique. C'est dans
cette dernière région que se cultive le bel indigo qui dans le
commerce prend le nom d'indigo de Guatimala. Ciudad-Real ,
la capitale de Chiapa , a 8000 habitans ; Tuxtla , où se fait un
commerce très actif de cacao et de tabac , a presque la même
population.
Limites vers le nord-est. Les limites entre la confédération
mexicaine et les Etats-Unis sont restées indécises , malgré
CHAPITRE VIII. 339
l'art. 4 du traité de Washington , du 22, février 1819. La po
pulation des Etats-Unis n'avance d'ailleurs que très lentement
à l'ouest des montagnes d'Ozark et du Haut- Missouri , vers le
Passo del Norte et vers Taos du Nouveau-Mexique : car toute
la contrée comprise entre les montagnes Rocheuses et les
Ozark Mountains , jusqu'au méridien du Council Bluff ( lat.
41 °25' , long 98°3' ) est , d'après les notions très précises données.
par le major Long (Exped. , t. II , p. 361 et 388 ) , peu propre
à la culture à cause du manque de bois et de l'eau. Le Grand
Désert ( Nuttal's Travels , p. 120 ) s'étend à l'est des pics gra
nitiques des Montagnes Rocheuses (Spanish Pic , Jame's Pic et
Long's Pic ) , entre les rivières Canadienne , d'Arkansa et de
Padouca , depuis les 36° aux 41 ° de latitude. Cette bande de
terrains arides forme une limite difficile à franchir entre les
Etats protestans des Etats- Unis et les Etats catholiques de la
Confédération Mexicaine. Au sud des montagnes d'Ozark ,
entre le Texas et la Louisiane , entre San Antonio de Bejar
et Natchitotches , le contact sera plus immédiat , et la nature
fertile du sol ne s'oppose pas à une fusion complète.
Avant que l'on eût acquis des notions plus exactes sur les
progrès de la société et sur la civilisation du Mexique , on
s'est plu souvent à comparer la population relative de ce vaste
pays à celle de l'Asie russe. Les données suivantes , tirées de
documens officiels , récemment publiés ( Petersburger Zeit
schrift , 1823 , Junius , p . 294 ) , prouvent combien ces com
paraisons sont vagues et erronées . L'Asie russe , en prenant
pour limite occidentale le Kara , les Monts Oural et le laik ,
a 465,600 lieues carrées marines (de 20 au degré) , et au plus
deux millions d'habitans . Sa surface est par conséquent sex
tuple de celle• du Mexique , et sa population relative vingt
deux fois plus petite. Le gouvernement sibérien le plus popu
leux , celui de Tobolsk , n'a que 570,500 habitans , tandis que
le seul Etat de Mexico ( l'ancienne intendance ) en a 1,777,000.
L'accroissement de la population en Sibérie est cependant très
22 .
340 LIVRE III ,

rapide dans les provinces occidentales , par exemple , dans le


gouvernement de Tobolsk où les naissances sont aux décès
comme 20 : 11. Ce même rapport est , dans les parties aus
trales (Gouvernemens de Tomsk et Ieniseisk) , comme 26 : 11 ;
dans les parties orientales ( Gouvernemens d'Irskutsk et de la
kutsk) , comme 8 : 5. Lesvilles les plus populeuses de l'Asie russe
sont aujourd'hui Tobolsk , avec 16,700 hab.; Irrutsk , avec
11,100 hab.; Tjumen , avec 9900 hab. ; Tomsk, avec 9700 hab.
La Confédération mexicaine a une capitale de 168,000 habit.
et cinq villes de plus de 40,000 habitans! Dans la Russie asia
tique , les indigènes , appelés jadis officiellement Felltribut
pflichtige ( sujets au tribut des peaux ) et aujourd'hui , d'une
manière plus bizarre encore , Fremdstämmige (de race étran
gère ) , sont aux Russes dans le rapport de 1 : 23. Au
Mexique, les indigènes de race pure sont aux autres classes, soit
d'origine espagnole , soit de castes mixtes , dans le rapport
de 1 : 0,8.
Comme , dans toutes les matières d'économie politique , les
la
données numériques ne deviennent instructives que par
comparaison avec des faits analogues , j'ai examiné avec soin
ce que , dans l'état actuel des deux continens , on peut consi
dérer comme une population relative petite ou très médiocre
en Europe , et comme une population relative très grande en
Amérique. Je n'ai choisi des exemples que parmi des pro
vinces qui ont au-delà de 600 lieues marines carrées de sur
face continue , pour exclure les accumulations accidentelles
de population , que l'on trouve autour des grandes villes , par
exemple, sur les côtes du Brésil , dans la vallée de Mexico , sur
les plateaux du Bogota et du Couzco , ou dans l'Archipel deş
Petites Antilles (la Barbade , la Martinique, S. Thomas), dont
la population relative est de 3000 à 4700 habitans par lieue
earrée marine , et égale , par conséquent , à celles des parties.
les plus fertiles de la Hollande , de la France et de la Lom
bardie. (Relat. hist. , t. III . chap. 26 , p. 95. )
CHAPITRE VIII. 341

MINIMA DE LA POPULATION MAXIMA DE LA POPULATION


RELATIVE D'europe. RELATIVE D'AMÉRIQUE.
Par 1. c.
Les quatre gouvernemens Partie centrale des Etats ou an
les moins peuplés de la Rus - ciennes intendances de Mexico
sie européenne : et Puebla. 1300
Parl.. Dans les Etats- Unis , le Massa
Archangel. 10 chusets mais n'ayant que 522
Olonez 42 lieues carrées de surface. . . . 900
Wologda et Atras Etats de Massachusets , Rhode
khan. 52 Island et Connecticut, ensemble.. 840
Finlande. 106 Toute l'intendance de la Pue
La province la moins bla. 540
peuplée de l'Espagne , Toute l'intendance de Mexico. 460
celle du Cuenca. 311 Ces deux états ) ci - devant
Le duché de Lune intendances ) de Puebla , et de
bourg ( à cause des Mexico , ont ensemble près du
bruyères). 550 tiers de l'étendue de la France
Le département de la et assez de population (en 1823 ,
France continentale , le près de 2,800,000 ) pour que les
moins peuplé ( Hautes grandes villes de Mexico et de
Alpes ). 758 la Puebla ne puissent influer
Départemens de la sensiblement sur les populations
France médiocrement relatives.
peuplés ( ceux de la Partie septentrionale de la
Creuze , du Var et de province de Caracas en Colombie
l'Aude . ) . 1300 ( sans les Llanos ). . . 208

En donnant plus haut ( page 152 ) une description suc


cincte de la pyramide de Cholula telle qu'elle s'était con
servée en 1803 , j'ai comparé sa construction à celle des
pyramides à étages de Sakhara , d'après les notions bien in
complètes que nous avons jusqu'ici sur ce dernier groupe. Il
existe au S. E. du village de Sakhara , une pyramide à cinq
étages et en pierre appelée vulgairement Moustabet al Fa
raoun. Près de Dahchour , on trouve trois pyramides à cinq
étages , construites en briques , qui renferment de la paille
hachée. La grande pyramide de Sakhara , appelée Harem al
Kebyreh a six cent dix-huit pieds de base et trois cent seize pieds
de haut. ( Description de l'Egypte. Antiquités , t. II , p. 4 et 6. )
342 LIVRE III ,

On ne saurait assez recommander aux voyageurs qui parcou


rent l'Egypte, d'étudier ces monumens pyramidaux de Sakhara,
Dahchour et Abousyr , dont le nombre s'élève à dix -neuf, et
qui offrent des constructions d'autant plus dignes d'attention ,
qu'ils ont de grandes analogies avec les pyramides mexicaines.
On voit même encore dans le groupe de Gizeh , près de la
quatrième pyramide , un édifice à quatre étages divisés en
degrés. ( L. C,, t. V, pl. 26 , nº 14. )
M, Bullock , dont les entreprises bien dignes d'éloges ont
récemment fixé l'intérêt des savans d'Europe sur les antiquités
américaines , observe avec raison que le trait que je donne ,
dans mes Vues des Cordillères , pl. 7 , de l'église à deux tours
couronnant la pyramide de Cholula , n'est pas exact. ( Six
months resid. , p. 115. ) Je n'avais fait le croquis de cette
planche que pour me rappeler toutes les circonstances d'une
mesure trigonométrique , de sorte que les contours des cyprès
et de l'église n'étaient que vaguement indiqués.
L'étude des anciens monumens mexicains , si intimement
liée à celle de la première civilisation humaine , tirera des
secours importans de l'examen plus circonstancié des monu
mens de Guatimala. C'est dans ce dernier pays que se trou
vent les restes les plus surprenans de la sculpture toultèque
et aztèque , comme le prouve l'ouvrage du capitaine don
Antonio del Rio , publié à Londres , en 1822 , sous le titre de
Description of the Ruins of an ancient city discovered near
Palenque. Cette croix , ornée • de fleurs , à laquelle on pré
sente un enfant , pl . 8 , est presqu'identique avec un autre
relief du Palenque , dont je possède le dessin , et dans lequel
on croit voir une véritable Adoration de la Croix. Sont-ce
là les croix dont les premiers conquistadores avaient parlé ,
et qu'il ne faut pas confondre avec celles qui indiquent les
traces (le chemin ) du soleil dans les équinoxes , dans les sol
stices et dans le passage par le zénith ( Voyez mes Vues des
Cordillères , pl. 37, n° 8. ) Si la juste proportion des figures
CHAPITRE VIII. 343

humaines au Palenque contraste singulièrement avec les fi


gures trappnes et incorrectes des peintures trouvées au Mexi
que , l'analogie du style n'en est pas moins frappante pour
cela dans les access
cessoires , par exemple , dans les énormes nez
aquilains ( Vue des Cordillères , pl, 15 , 27 et 37 ) , dans ces
barres perpendiculaires , accompagnées de gros points ( ron
delles) et placées près de la tête d'un animal (pl. 45 ) . Un Per
san très instruit, auquel j'ai montré cette dernière planche , qui
représente le manuscrit précieux conservé à la bibliothèque
de Dresde, crut y reconnaître, au premier abord , les figures de
géomancie asiatique , alem al raml (Wilkins , Persian Dict. ,
1806 , vol. I , p. 482) ; cependant il ne reste aucun doute sur
l'origine mexicaine du manuscrit de Dresde et l'on retrouve
les traces de ce même raml parmi les bas-reliefs des ruines du
Palenque de Guatimala , qui sont de construction toultèque.
Très récemment encore,on m'a fait voir un autre tableau géo
mancique, acheté à Madrid , presque identique avec celui de
Dresde , et tracé sur du papier d'Agave americana , comme le
sont la plupart des livres historiques, rituels ou astrologiques
des anciens Mexicains. Les ruines les plus célèbres , conservées
dans le Guatimala , sont 1 ) celles de l'ancienne Ciudad del
Palenque ou de Colhuacan ( province des Tzendales , ancienne
intendance de Chiapa ) , près de Santo Domingo del Palenque ,
dont nous avons parlé plus haut ; 2 ) celles de Tulha , près
Ocosingo ; 3) celles de Copan , vulgairement appelées le Circus
maximus , avec des pyramides et des statues d'hommes , re
marquables par leur vêtement , qu'on croiroit du moyen âge ;
4 ) celles de la caverne de Tibulca avec des colonnes munies
de chapitaux ; 5) celles d'Utatlan , près Santa Cruz del Quiche
( province de Sololá ) , avec un palais toultèque , d'une gran
deur énorme ; 6) celles de l'ile de Peten , province de Chiapa
(Iuarros , Compendio de la historia de Guatemala, t. I, p . 15 ,
33, 44, 67.) Je regrette toujours de n'avoir pu me procurer
jusqu'ici le Preambulo de las Constituciones diocesanas de l'é
344 LIVRE III ,

vêque de Chiapa , Francisco Nuñez de la Vega , pour vérifier


ce que ce prélat avance sur le Votan ou Wodan des Chiapa
nais , qui a donné son nom à un jour d'une petite période ,
comme Budha et Odin l'ont donné au Boud- var et Wodans
dag. ( Voyez mes Vues des Cordilières et Monumens des peu
ples indigènes de l'Amérique , édit. in- 8 . , t. I , p . 386 ; t. II,
p. 356. )
Volcans de Mexico. J'ai déjà rappelé , dans la première
édition de cet ouvrage ( édit . in-4 , t. I , p . 80 ) que , par un
temps calme , les habitans de Mexico et de Xalapa ne voient
jamais sortir de la fumée des cratères du Popocatepetl et du Pic
d'Orizaba ; ce n'est qu'à l'époque des grandes éruptions , comme
dans celle de l'année 1540 (Gomara, Historia de Mexico, 1553 ,
fol. xxxviii ) , qu'on a aperçu , des bords même du lac de Tez
cuco , les jets de flammes et de cendres du Popocatepetl. Si ces
grandes éruptions , visibles de loin, sont aussi rares au Mexique
que dans les Andes de Quito , il n'en est pas moins sûr « que
le cratère du Popocatepetl est constamment enflammé , et que,
jetant de la fumée et des cendres , il s'ouvre au milieu des
neiges éternelles » . (Voy. tom. 1 , pag. 166 et plus haut , pag. 55.)
Je vais consigner ici l'extrait de mon Journal de Tetimpa (près
de San Nicolas de los Ranchos , du 24 janvier 1804 , jour où
j'ai tenté une mesure trigonométrique du Popocatepetl) : «On
parvient assez facilement jusqu'à la limite des neiges depuis le
sud , en prenant par Guautla de las Hamilpas , surtout par
San Pedro Lliyapa , où l'on trouve moins de sables mobiles
de pierre-ponce , et plus de rochers solides. Le Popocatepetl a
constamment moins de neige vers le sud et le sud-est , où la
montagne reçoit des courans d'air chaud , qui remontent de
Tochimilco et d'Atlixco de las tierras templadas y calientes ,
que vers le nord , où elle est refroidie par les neiges de la Sierra
Itztaccihuatl. Les indigènes assurent qu'on sent l'odeur des
vapeurs sulfureuses du cratère avant d'arriver à la limite des
neiges éternelles. On voit très distinctement par la lunette que
CHAPITRE VIII. 345

le cratère est incliné vers le sud-est , de sorte que , dans la ville


de Mexico on distingue mal son ouverture. La bouche du vol
can est environnée d'une circonvallation de cendres et de neige.
Cette dernière , d'un aspect grisâtre , paraît mouillée par les
vapeurs sulfureuses , et congelées , dans quelques parties , sous
la forme de glace. Le Popocatepetl sert de pronostic aux agri
culteurs des environs. Lorsqu'au coucher du soleil , une fumée
noire sort du cratère , et qu'elle se condense en nuages épais ,
inclinés vers le nord , les Indiens s'attendent à la pluie. Si la
fumée incline vers le sud , il y aura du froid et de la gelée. Le
vent s'annonce par une colonne droite de fumée. Deux à trois
heures avant que la tempête se fasse sentir dans la plaine de
Tetimpa , on voit des jets de pierre-ponce sortir par bouffées
du cratère. Ces ponces roulent comme du sable sur la pente du
Volcan , couverte de couches épaisses de neige. Le tremble
ment de terre et la grande tempête du 13 janvier 1804 furent
précédés de ces éruptions de cendres et de fumée. Les secousses
que l'on éprouvait à Mexico étaient assez vives. Les Indiens
nous assurent que la fumée ne se voit pas le matin , mais géné
ralement entre quatre et six heures du soir , surtout au mo
ment du coucher du soleil. Cela ne tiendrait-il pas à des causes
optiques? Les éjections de cendres et de fumée sont les plus
fréquentes et les plus considérables au mois de mai , où toute
la cime du Volcan paraît quelquefois réfléter une lumière jau
nâtre , qui est due sans doute aux vapeurs sulfureuses. De
nuit , on n'a jamais vu de feu dans ces derniers temps. Au
moment où nous arrivâmes à San Nicolas de los Ranchos ,
une colonne de fumée assez épaisse sortit de la bouche du
Volcan vers les cinq heures et demie du soir. M. Bonpland
crut distinguer un jet de cendres qui se dirigeait vers le
sud-est. »>
Je crois donner plus d'intérêt à ces notes supplémentaires de
la Statistique du Mexique , en les terminant par une description
des ports sur les côtes orientales et occidentales , qui a été
346 LIVRE III ,

rédigée en 1824 sur les lieux mêmes par un voyageur doué


d'une grande sagacité et très capable d'aprécier les avantages
des rapports commerciaux entre l'Europe et la Confédération
des États Mexicains.
« Pueblo Viejo, généralement connu sous le nom de Tampico,
est situé sur le bord de la grande lagune de ce nom, et bâti sur
le penchant d'une colline , qui , en été , augmente , par la ré
verbération des rayons du soleil , la chaleur naturelle au cli
mat. Au revers de cette hauteur et à peu de distance vers le
sud , se trouve la Laguna de Tamiagua , qui communique avec
celle de Tampico , par des estères qui aboutissent à la rivière
de Panuco. Cette lagune est navigable pour les pirogues , et
facilite les communications avec Tuspan . Pueblo Viejo compte
à-peu-près 2000 habitans, dont la majeure partie sont In
diens ; les maisons , à l'exception de huit ou dix en pierres,
sont construites en bois, et couvertes de feuilles de palmiers :
ce sont pour la plupart des cabanes ouvertes à tout vent. »
« La Laguna de Tampico communique à la rivière de Panuco
par plusieurs branches ou bayaux qui forment au point du con
fluent, de petits ilots, et qui sont navigables pour des pirogues.
Sur les bords d'une de ces branches se trouve une hauteur qui
domine à-la-fois la barre et la ville , ainsi que tous les envi
rons. On appelle cet endroit la Mira , et l'on y a établi une
vigie. Les différens bayaux débouquent dans la Rivière de
Panuco , en face de Tampico de Tamaulipas , où la rivière
prend l'aspect d'une vaste et superbe baie , et où se trouve le
mouillage des navires qui ont passé la barre. >>
Il arrive quelquefois que , par de forts coups de vent du
N. O, ou de l'O. qui repoussent l'Océan loin des côtes , les
eaux de la Laguna de Tampico se retirent presque totalement ,
au point que la putréfaction d'une multitude de poissons restés
à sec, infecte l'air, et rend le séjour de Pueblo Viejo désagréable
et malsain. L'insalubrité de la ville tient malheureusement
aussi à d'autres causes plus générales ; car, outre le vomito ,
CHAPITRE VIII. 347

auquel les étrangers et les habitans de l'intérieur qui vien


'nent à Pueblo Viejo pendant l'été sont également sujets , la
presque totalité des habitans sont attaqués , jusqu'à une époque
très avancée dans l'automne, de fièvres intermittentes (Tercia
nas et Frios). Il en résulte que , pendant l'été , il ne se fait pas
d'affaires ; les marchands de l'intérieur ne descendent pas du
plateau. Il n'y apresque pas d'arrivages, et les personnées aisées
cherchent à Altamira , qui n'est éloigné que de douze lieues ,
un refuge contre les maladies . »
"« Tampico de Tamaulipas , lieu très habité autrefois , n'offre
presqu'aucun vestige des habitations de son ancienne popula
tion , qui l'a abandonné pour s'établir à Pueblo Viejo ; mais
les communications plus faciles à l'intérieur et plusieurs autres
circonstances contribueront à favoriser le rétablissement de
Tampico de Tamaulipas. La rivière de Panuco forme la limite
naturelle des anciennes provinces de Vera -Cruz et du Nuevo
Santander. Pueblo Viejo se trouve à peu de distance ( un mille
et demi ) de la rivière et communique avec la rive droite ,
qui correspond à Vera-Cruz , tandis que Tampico de Tamau
lipas se trouve situé sur la rive gauche , qui correspond au
Nuevo-Santander. La douane de Pueblo Viejo , qui dépend
de Vera-Cruz , prétend au droit exclusif sur les importations
qui se font par ce point de la côte. Le gouvernement du
Nuevo-Santander s'y oppose ; il objecte que l'état de Vera
Cruz tire assez d'avantages des douanes du midi, tandis que le
Nuevo-Santander n'a aucune autre ressource pour faire face
à ses dépenses. Une douane a été établie à Tampico de Ta
maulipas , où l'on construit beaucoup de maisons et où le com
merce et la population de Pueblo Viejo passeront sous peu. »
« La rivière de Panuco , que l'on remonte à une distance
de cinq milles , pour arriver au mouillage , a presque le tiers
de la largeur du Mississipi , et n'offre aucun danger au-dedans
de la barre. On trouve partout de cinq à dix brasses de fond.
Les bâtimens qui échouent sur les bords de la rivière par suite
348 LIVRE III,

de quelque accident, ne touchent que sur la vase , et ne cou


rent aucun danger , la force des courans ne passant jamais
trois à quatre nœuds. Les terres que parcourt la rivière de
Panuco , à l'exception des hauteurs de la Mira et de Tam
pico , sont basses et marécageuses. La barre de la rivière
offre comme celles de toutes les rivières du golfe du Mexi
que, sans en excepter la barre du Mississipi , un grand ob
stacle à la navigation . Les barres de Panuco et d'Alvarado
sont sujettes à un refoulement extraordinaire des eaux de la
rivière contre les eaux de l'Océan , et ce qui en augmente le
danger, c'est que , bien que leur fond soit de sable , leurs bords
sont garnis de rescifs. On peut admettre en général qu'un bâ
timent ne doit pas caler plus de huit pieds d'eau pour passer
la barre de Panuco ou Tampico. J'en ai vu entrer qui tiraient
dix pieds , mais d'autres bâtimens aussi étaient retardés dans
leur départ quoiqu'ils ne calassent que six pieds d'eau seulement.
Il n'y a rien de périodique dans ces variations ; car elles dé
pendent autant de l'influence des vents et de la mer que des
pluies qui , augmentant la force du courant, enlèvent les sables
qui obstruent le passage, et creusent par intervalles, mais pour
très peu de temps , un canal plus profond. »
« Les bâtimens qui calent au-dessus de huit pieds d'eau
restent mouillés en rade à une distance de deux à trois milles
de la barre de Panuco par douze brasses. Cette rade n'offre
aucune protection contre les vents de N.O. , lesquels , depuis
octobre jusqu'en mars , soufflent avec impétuosité , et il faut
profiter des intervalles qui sont souvent très courts pour dé
charger les marchandises par le moyen de chaloupes (alèges)
qui transportent les cargaisons à Pueblo Viejo. Les coups
de vent du N. O. , quoique très violens , ne sont cependant pas
dangereux , lorsqu'on a soin de se tenir toujours préparé à le
ver les ancres , pour ne pas être obligé de couper les cables :
les vents qui dominent alors dans ces parages éloignent les
embarcations de la côte. »
CHAPITRE VIII. 349

« Les bâtimens qui arrivent sur la rade de Tampico font un


signal pour que le pilote leur désigne un mouillage con
venable dans la rade, ou les fasse entrer. S'ils s'approchent de
la rade pendant la nuit , ils trouvent assez généralement des
vigies ou des feux près de la barre , qui servent de points de
reconnaissance. »>
« A la barre et sur la rive droite du fleuve s'élève un
vieux fort , où l'on fait des signaux. La distance de la barre ,
au mouillage de Tampico de Tamaulipas , est de cinq milles ,
et , de ce mouillage à Pueblo Viejo , il y a un mille et demi.
Toute cette côte , comme celle de Vera-Cruz , est formée de
sables mouvans, rejetés par la mer et amoncelés par les vents
qui en forment des hauteurs assez élevées, que l'on appelle me
ganos ( dunes ). >>
« La rivière de Panuco est navigable jusqu'au-dessus de la
ville de ce nom qui se trouve située à dix ou douze lieues de
Pueblo Viejo : il y a des bâtimens qui la remontent , pour
charger du bois jaune ou de la viande salée ( tasajo ).
Quoique la rivière ou plutôt un de ses affluens ( Rio Moc
tezuma) prenne sa source dans les montagnes voisines de
Mexico , elle n'est d'aucune utilité pour le transport des mar
chandises destinées pour cette capitale. Le Rio Panuco même
vient de l'ouest , de San Luis Potosi , et là où il est navigable ,
même pour des pirogues , il s'éloigne plutôt qu'il ne s'approche
de la route directe. »
་་ Tuspan. Ce petit port , situé entre Tampico et Vera - Cruz ,
n'est pas fréquenté par les bâtimens étrangers , parce qu'il n'est
presque pas habité , et parce que les communications avec l'in
térieur sont plus faciles par l'un et l'autre des deux ports
voisins. Il paraît que la barre du Rio Tuspan s'est approfondie
tout-à -coup l'année dernière , et qu'il s'est ouvert un canal de
dix-huit palmes de profondeur. On ignore si ce canal s'est
conservé , mais il est à présumer que la mer n'aura pas tardé
de détruire ce que les courans ont produit accidentellement. »
350 LIVRE III,

« Soto la Marina , situé sur la rivière de Santander , au nord


de Tampico , présente les mêmes obstacles aux gros bâtimens
qui sont obligés de mouiller à une certaine distance au large,
et la même sécurité aux petits navires , qui trouvent un bon
port , après avoir franchi la barre. Les deux barres de Tam
pico et de Soto la Marina n'ont rien qui les distingue en ce
qui concerne la navigation côtière : la description de l'une
peut donner une idée assez précise de l'autre. >»
« Guasacualcos ou Huasacualco . La barre de cette rivière est
située dans la partie sud du golfe du Mexique , à environ trente
lieues vers l'E. S. E. d'Alvarado , et à trente-cinq lieues en
viron à l'O. S. O. de la barre de Tabasco. C'est le meilleur
port qu'offrent les rivières qui débouchent dans le golfe du
Mexique , sans en excepter le Mississipi ; car Pensacola est,
comme l'on sait , situé dans une véritable baie. Des frégates
peuvent entrer en tout temps à Guasacualcos puisqu'il y a
constamment dix-huit à vingt pieds d'eau à la barre. La ri
vière est superbe et n'offre aucun danger pour la navigation.
Ou y trouve un fond de vase , des terres basses et maréca
geuses. Les bâtimens peuvent remonter à dix- huit lieues ;
mais ils s'arrêtent au Passo de la Fabrica , qui est à huit lieues
de la barre , et leur cargaison , si elle est destinée pour l'inté
rieur , se transporte avec des pirogues jusqu'au Passo de la
Puerta, quinze lieues plus haut, où cette rivière cesse d'être na
vigable pour les pirogues. »
« Le port important de Guasacualcos , qui offre les commu

nications les plus faciles avec une partie de la province de
Chiapa , avec celle d'Oaxaca , et la partie Est de la province
de Vera-Cruz , n'est cependant pas habité. Il est situé dans
un affreux désert , où les animaux sauvages du Mexique
se sont réfugiés parce que l'homme y trouble rarement leur

• Comparez les observations très judicieuses de M. Robert Birks Pitman dans son Saccinet
View on the means of uniting the Atlantie and Pacific Oceans . 1825 , p. 67-91.
CHAPITRE VIII. 351

tranquillité. La position de Guasacualcos est d'autant plus


avantageuse , surtout sous le rapport de la marine , qu'elle réu
nit à un excellent port la facilité de se procurer les meilleurs
bois de construction. Elle a déjà fixé l'attention du Gouverne
ment qui a accueilli les rapports de Don Tadeo Ortis ; ce ci
toyen s'est généreusement dévoué depuis deux ans à sonder la
rivière et à reconnaître le pays qu'elle parcourt dans l'inten
tion de déterminer le Gouvernement à y former une colonie.
La cabane de Don Tadeo est située près du Passo de la Fabrica
sur un terrain élevé , formé de plusieurs monticules , qui sont
les seules terres hautes que l'on rencontre depuis la barre et
qui semblent offrir, quant aux localités , tous les élémens né
cessaires pour la formation d'une petite ville. Il sera plus facile
d'en éloigner les jaguars et autres bêtes sauvages que les mos
quitos dont ce pays est infesté . >>
« Ce qu'on appelle communément la Fabrica est une mau
vaise mâsure couverte en palmiers, qui sert de lazareth aux pas
sagers et d'abri aux marchandises. A une demi-lieue plus haut,
on trouve la ferme ou le Rancho de Tlacosulpan, où il y a des
pirogues qui servent à la navigation des rivières voisines. A
l'exception de la cabane de Don Tadeo Ortis , c'est jusqu'ici
le seul lieu habité sur la rivière de Guasacualcos. Un fort situé
à la barre défend l'entrée de la rivière.
« Le Rio Uspanapa se jette dans le Guasacualcos , à une
demi-lieue au- dessous du Passo de la Fabrica. Cette rivière ,
comme celle de Guasacualcos a , au moins , la moitié ou les
deux tiers de la largeur du Mississipi . On assure qu'on peut
remonter l'Uspanapa pendant une quinzaine de lieues , pour
aller vers Tabasco. »
« Les endroits habités les plus voisins de Guasacualcos sont ,
vers l'ouest , sur le chemin de Acayucan , qui se trouve à une
distance de quinze lieues , les villages de Chinameca, Cosolea
caque , Jaltipa et Soconusco peuplés d'Indiens très industrieux,
qui fabriquent toute espèce de tissus de coton , de toiles et de
352 LIVRE III ,

cordages en Pita ( Agave ) à l'instar de celles de Campêche ,


dont ils font un grand commerce. »>
« Villa Hermosa de Tabasco. Cette ville , improprement ap
pelée Villa Hermosa est bâtie sur la rive gauche de la rivière
de Tabasco ou de Guichula , à vingt- quatre lieues au-dessus
de son embouchure , et est le siège du gouvernement de l'état
de Tabasco , dont la population entière n'est que de 75,000
habitans , et dont la principale occupation est la culture du
cacao , production indigène de cette province , et d'une ex
cellente qualité. »
« Villa Hermosa renferme près de 5000 habitans : il y a
beaucoup de maisons en pierres , mais le plus grand nombre
est en bambous et en feuilles de palmiers. Sa position com
mande le commerce des provinces de Chiapa ( réunies à la
fédération mexicaine ) et de Guatimala. Malgré son éloigne
ment, elle a même des rapports avec la province d'Oaxaca pour
le commerce du cacao et pour une partie de l'exportation de
ses autres produits. Ces diverses communications ont lieu tantôt
par la rivière de Tabasco , qui est navigable pour des pirogues
jusqu'à Quichula , à soixante-quinze ou quatre- vingts lieues
au-dessus de Villa Hermosa , mais qui offre des dangers très
grands , parce que dans la plus grande partie de son cours elle
est renfermée entre les montagnes et qu'elle ressemble plutôt
à un torrent qu'à une rivière paisible . Le premier voyageur
français qui l'ait remontée périt à son retour ; les montagnes
voisines sont tellement escarpées que les mulets , malgré leur
dextérité , ne sont d'aucune utilité pour le transport des mar
chandises que l'on fait uniquement à dos d'Indiens. ›>>
« La rivière de Tabasco a près de Villa Hermosa à-peu-près
les deux tiers de la largeur du Mississipi. Son embouchure offre
deux branches : l'une vers le N.O. , et l'autre vers le N. E. La
première est la plus profonde et a douze à quatorze palmes ,
qui correspondent à dix ou onze pieds français ; la seconde n'a
que sept pieds de fond et sert d'entrée aux petits bâtimens seu
CHAPITRE VIII. 353

lement. Les embarcations qui arrivent peuvent entrer lorsque


les Nortes soufflent avec le plus de violence par la bouche du
nord-ouest . Si le vent est à l'E. ou au N. E. , ils doivent éviter
de tomber sous le vent et serrer la côte de Campêche. Lorsque
le bâtiment ne tire pas plus de sept pieds , il peut entrer avec
ces mêmes vents par la petite passe ; mais , s'il en tire davan
tage , il cotoiera le long de l'île qui ferme les deux branches ,
et , après avoir doublé la pointe , il mouillera en-dedans à la
barre même , sans le moindre danger. S'il veut passer plus loin,
il fera porter une amarre pour se remorquer , jusqu'au fort
où il mouillera de nouveau . Jusqu'à la moitié de la distance
où se trouve Villa Hermosa on peut remonter la rivière avec
quelque vent que ce soit de la partie du N. , parce que son
cours N. E. est assez direct jusque-là ; mais plus loin la rivière
fait beaucoup de détours et l'on remonte alors un courant
assez fort , soit à la remorque , en portant des amarres à terre ,
soit en amarrant à un arbre , comme cela se pratique sur le
Mississipi , dans les endroits où les vents sont contraires. On
trouve le fort d'Escobas huit lieues avant d'arriver à la ville.
La rivière a partout un fond de vase. Selon la crue des eaux ,
elle a de cinq à six brasses en face de Villa Hermosa , et plus
bas jusqu'à dix ou quinze. Le fort construit à la barre porte
le nom de San-Fernando. A une lieue plus haut se trouve le
village du même nom , qui offre un très bon mouillage. »
« La sonde s'étend sur la côte de Tabasco , presqu'aussi
loin que sur celle de Campêche. Les navires destinés pour
l'un ou l'autre de ces points trouvent un mouillage à l'abri des
vents soit au sud, soit sous le vent des petites îles situées à vingt
six ou trente lieues de distance des côtes , par exemple , près
des Arcas. Le fond est de sable. Si les bâtimens ne peuvent
rester sur leurs ancres , ils se tiendront sous voile à l'abri des
mêmes îles. >>
« Alvarado , douze lieues au S. E. de Vera-Cruz , est un en
droit à-peu-près semblable à Pueblo Viejo de Tampico : il
II. 23
354 LIVRE III ,

compte cependant un nombre plus considérable de maisons en


briques qui ont été bâties en majeure partie depuis que le com
merce de Vera- Cruz est venu s'y établir. Avant cette époque ,
Alvarado n'était qu'un triste village , et aujourd'hui même sa
malpropreté , ses humbles chaumières et les troupeaux d'ânes
qui parcourent les rues , font un contraste sensible avec l'im
portance commerciale que ce point a acquise. Environ trois
mille habitans , y compris un grand nombre d'étrangers , sont
logés dans un espace très resserré. Les logemens sont d'un prix
excessif, parce que tous ceux qui sont un peu spacieux ser
vent de magasins pour les marchandises. Malgré l'espoir qu'ont
les négocians de reprendre bientôt leurs logemens à Vera
Cruz , on a fait beaucoup de constructions. »
« La ville d'Alvarado est bâtie sur la rive gauche de la rivière
du même nom et à un mille et demi environ de sa barre , en
tourée de collines de sable que les plus anciens habitans se
rappellent avoir vu souvent changer de forme et de place.
En 1824 , les maladies ne commencèrent à s'y manifester qu'au
mois d'août. Avant cette époque, il n'y avait pas un seul malade
parmi les étrangers ; mais , quoique le vomito negro fit des ra
vages plus tard, on peut croire que l'air est un peu moins mal
sain à Alvarado qu'à la Havane et à Vera- Cruz. On n'y re
trouve pas non plus les fièvres intermittentes de Tampico. »
« Le Riò Alvarado , depuis son embouchure ou sa barre jus
qu'à la ville , a un peu moins d'un demi-mille de large. Plus
haut , il s'élargit par le confluent de plusieurs rivières et
forme une baie spacieuse qui a deux milles de large sur cinq
ou six de ng. Les terres de la rive gauche , où se trouve
bâtie la ville , sont couvertes , ainsi qu'il a été observé plus
haut , de meganos ; mais dans le fond de la baie il y a de
bonnes terres au- dessous de la couche de sables. De grands
arbres et d'excellens légumes prouvent que les habitans , s'ils
étaient moins paresseux , pourraient embellir les environs
d'Alvarado . »
« La rive droite est une plaine basse et marécageuse , cou
CHAPITRE VIII. 355

verte de forêts noyées pendant la saison des pluies. C'est


cette plaine immense , qui s'étend jusqu'aux montagnes
d'Oaxaca , à une distance de trente lieues , que sillonnent , en
tous sens , de belles rivières qui naissent dans la Sierra , et
qui viennent se réunir près d'Alvarado. Leurs bords , toujours
plus élevés que les terres voisines , sont les seuls endroits ha
bitables. Ces terres renferment d'immenses lagunes constam
ment couvertes d'oiseaux aquatiques. >>
« Les rivières qui se réunissent près de la baie d'Alvarado
sont navigables pour des goëlettes jusqu'à quinze à vingt lieues
de distance , où elles commencent à parcourir des terres plus
élevées, appelées Llanos. Ce sont des savanes qui s'étendentjus
qu'aux montagnes , et où les bestiaux chassés par les inonda
tions qui durent tout l'été , vont se réfugier. Le courant acquiert
une grande force pendant la saison des pluies ; mais les eaux
baissent dans la saison des sécheresses , à un tel point que les
rivières ne sont navigables dès-lors que pour des pirogues ,
qui les remontent jusqu'à une distance de trente-cinq à qua
rante-cinq lieues d'Alvarado. C'est ainsi que la Rivière de
San-Juan est navigable jusqu'au Passo de ce nom " à huit
lieues de Acayucan , sur la route de Guasacualcos ; celle de
Tesechoacain , jusqu'à Playa -Vicenti , au pied des montagnes
d'Oaxaca ; celle de Cosamaluapa , jusqu'au Santuario , près
des mêmes montagnes ; celle de Tuxtla , jusqu'à la petite ville
de ce nom, située sur la pente des montagnes de San-Martin ,
qui sont les seules que l'on trouve sur les côtes de Mexique ,
et qui s'étendent entre Guasacualcos et Alvarado. Au milieu de
ce désert on trouve des endroits très considérables , comme
Tlacotalpain à huit lieues , Cosamaluapa à vingt , Tesechoa
cain à vingt-cinq , Acayucan à quarante-cinq lieues d'Alva
rado. Les deux premiers et le dernier de ces endroits sont très
bien bâtis et comptent une grande quantité de maisons en
briques. Leur population blanche est composée d'hommes que ,
par leur civilisation , on ne supposerait pas élevés dans ces
23.
356 LIVRE III ,

régions désertes. Les Indiens agriculteurs,qui sont les plus nom


breux, sont honnêtes, industrieux, et hospitaliers. Leur caractère
contraste singulièrement avec celui de la classe de paysans
appelés ici Jaruchos ou Vaqueros , en grande partie gens de
couleur , dont la principale occupation est l'éducation des
bestiaux. Leur insensibilité , leur orgueil et leur mauvaise foi
ne sont égalées que par leur paresse. Les femmes des Yuaji
ros Jaruchos sont actives et laborieuses. Livrées , comme les
Indiens , à l'industrie , à l'agriculture et à des occupations
plus douces , elles sont honnètes et d'un caractère très af
fable. Les Jaruchos , passent leur vie à cheval , soit pour se
promener , soit pour poursuivre et lacer avec une grande
adresse les taureaux sauvages, qui errent dans les Llanos. C'est
ainsi que les mœurs paisibles des Indiens mexicains méridio
naux, qui vivent de l'agriculture et des produits de leur indus
trie, contrastent avec le caractère farouche et indomptable des
Indiens du nord , qui ne se nourrissent que du produit de leur
chasse, et ne se plaisent qu'aux combats. »
« La barre d'Alvarado est , après celles de Guasacualcos
et du Mississipi , la plus profonde du golfe de Mexique :
elle peut admettre des bâtimens qui tirent dix , douze , et
même quatorze pieds d'eau ; ces derniers sont cependant
exposés à être retardés , pour entrer ou pour sortir , dans l'at
tente d'une marée qui leur permette le passage. >»
<< Les frégates et les bâtimens qui calent plus de quatorze pieds
d'eau , et ceux qui , avec cette calaison , ne peuvent pas ou ne
veulent pas entrer en rivière , restent mouillés à un , deux ,
et même trois milles en rade : ils déchargent et chargent ,
comme à Tampico , par le moyen d'allèges. La barre est plus
dangereuse encore que celle de Tampico pour les petites em
barcations , surtout si elles sont chargées , et l'on expose sa vie,
en cherchant à la traverser pendant qu'il vente très fort. Il faut
profiter du calme du matin , soit pour se rendre à terre , soit
pour décharger les marchandises. La mer se brise avec vio
CHAPITRE VIII. 357

lence sur les rescifs qui bordent la barre. Après le passage il


n'y a plus de danger et l'on trouve assez de fond pour jeter
l'ancre . »
« Les navires peuvent mouiller en face et très près d'Alva
rado. Les plus grands déchargent par le moyen de pirogues ;
d'autres viennent à une petite jetée ( muelle ) que l'on a cons
truite récemment , et qui s'avance assez dans la rivière , pour
permettre aux bâtimens d'y décharger très commodément ;
d'autres enfin s'approchent des bords de la rivière , pour dé
charger par le moyen d'un pont. Les pilotes sont très atten
tifs aux signaux qu'on leur fait dans la rade. Cette rade est ,
par sa position, plus dangereusc, pendant un fort coup de vent,
que celle de Tampico. Dans cette dernière rade , les coups
de vent du N.O. repoussent les bâtimens de la côte et leur lais
sent parcourir tout le golfe ; même à Vera-Cruz , les bâtimens ont
derrière eux une certaine distance à franchir : mais comme la
rade d'Alvarado se trouve tout-à-fait dans le fond du golfe , les
embarcations sont poussées par les vents N. O. vers la côte. Il
n'y a que le golfe de Gusacualcos qui soit un peu plus au sud
qu'Alvarado. Nous insistons sur ces circonstances , pour prouver
que la rade de ce dernier port peut devenir dangereuse dans
un fort coup de vent, quoiqu'elle ne le soit pas dans un temps
ordinaire , et qu'il convient ici, bien plus encore qu'à Tampico ,
d'être toujours préparé pour se mettre au large. La barre d'Al
varado est défendue par une batterie . »
a Laguna de Terminos.Cette grande lagune est située à quinze
lieues environ de la barre de Tabasco vers l'Est, et à vingt- cinq
ou trente de Campêche vers le S. S. O. Elle a quinze lieues
de long sur dix de large et elle communique à la fois , par
plusieurs passes , à la mer et à la rivière de Tabasco.
On remonte avec des pirogues la rivière de la Palizada pour
entrer dans des bayaux qui aboutissent au Rio de Tabasco. Les
deux iles principales de la Laguna de Terminos sont celles de
Laguna et de Puerto Real : elle renferment deux villages du
358 LIVRE III ,

même nom , dont les habitans s'occupent principalement du


commerce du bois de teinture. La grande passe a douze à treize
pieds d'eau, et comme le fond est de vase , les bâtimens peuvent
sortir avec six pouces dans la vase sans aucun danger . Partant de
Laguna , où se trouve le mouillage , on se dirige droit à l'est
pour rencontrer la grande terre , et jusqu'à trouver fond de
vase ; ensuite on gagne vers le nord , pour s'éloigner de la
grande terre , parce que les barres de la Laguna s'étendent à
peu-près trente- quatre milles vers le nord. A mesure qu'on
avance vers l'ouest, on sonde continuellement, et toutes les fois
que l'on trouve moins de trois brasses , fond de sable , on re
vient vers l'est. On vire au contraire de nouveau vers l'ouest ,
aussitôt que l'on découvre un fond de cailloux. On doit avoir

soin de se tenir dans la vase qui marque infailliblement la


vraie passe. La passe de Puerto-Real n'a que huit palmes
d'eau qui correspondent à cinq pieds et demi ; il ne faudrait
pas se hasarder d'entrer par un vent nord , quoiqu'il soit
vent arrière , parce que la mer est très grosse daus ces pa
rages. »
" Tehuantepeque situé sur l'isthme de ce nom , à cinq lieues
de distance de la côte de l'Océan pacifique , et à vingt- huit ou
trente lieues du Passo de la Puerta, premier point de navigation
de la rivière de Guasacualcos qui se décharge dans l'Atlantique.
La population de Tehuantepeque est de 14,000 habitans. Elle se
compose d'un nombre considérable de familles blanches très
respectables : cependant la grande masse de la population est
Indienne. Les habitans sont des plus actifs de la Nouvelle-Es
pagne et plus laborieux qu'on ne devrait s'y attendre dans un
pays connu pour être des plus chauds de l'Amérique. La rivière
de Tehuantepeque traverse la ville qui est appuyée contre des
collines . Ce sont les seules que l'on trouve à plusieurs lieues de
distance , car toute la campagne voisine forme une vaste plaine
sablonneuse , quoique fertilisée par des ruisseaux et des arro
sages . La ville se compose de cinq ou six différens quartiers qui
CHAPITRE VIII. 359
resemblent à autant de villages séparés les uns des autres , par
de petites élévations du terrain, de sorte que l'on ne peut décou
vrir à-la-fois, d'aucun point de vue, l'ensemble de la ville. Plu
sieurs rues qu'habite la population blanche sont bâties en pierres ;
les églises et les édifices publics sont d'une bonne construc
tion , tandis que les quartiers Indiens sont bâtis en bambous et
en feuilles de palmiers. Les habitans en général ont une douceur
de mœurs et une affabilité bien dignes d'éloges. Il fait telle
ment chaud à Tehuantepeque que, même avant le jour, la messe
est célébrée sous un treillage appuyé contre l'église. Les vents
du nord les plus forts n'annoncent ni pluie , ni fraicheur. Mal
gré les marais et les lagunes dont cet endroit est entouré et
malgré l'excessive chaleur qu'on y éprouve , le climat est très
sain. Les habitans ne sont incommodés par aucune espèce d'in
sectes venimeux, pas même par les mosquitos. Il serait difficile
d'admettre que le manque d'étrangers soit la seule cause de

cette salubrité, car il est hors de doute que Tehuantepeque est


un endroit sain même pour les habitans du plateau du Mexique.
On y voit affluer un grand nombre d'Indiens habitués au cli
mat tempéré des montagnes. Ils n'y contractent pas les mala
dies qui les font périr sur la côte du nord- est et à Acapulco . »>
« Les habitans de ce district s'occupent de la culture de la
cochenille , mais plus particulièrement encore de celle de l'in
digo. On y fait aussi un grand commerce de sel et de poisson
sec. La pèche des perles, si célèbre autrefois, a été abandonnée.
Les Indiens ne recherchent qu'un coquillage qui donne une
couleur pourpre assez solide dont ils teignent le coton. Ils font
toute espèce de tissus en soie du pays. »
« Le point de la côte le plus rapproché de Tehuantepeque
s'appelle le Morro on y a placé une vigie. Pour aller au
Morro , on traverse la rivière et l'on passe par la Ha
cienda de San Diego communément appelée Soleta , qui se
trouve à une distance de trois lieues dans un pays sablonneux ,
mais rempli d'eaux stagnantes. De San Diego au Morro il n'y
360 LIVRE III ,

a qu'une lieue : le chemin serpente entre des monticules de sable


et de petits rochers.On peut aussi aller au Morro par le village In
dien deVilotepeque, éloigné de quatre lieues de Tehuantepeque ,
en se tenant du côté de la rive gauche du fleuve : dans cet es
pace la terre est très fangeusc. Le Morro forme une des som
mités d'une petite montagne dont l'élévation est triple de
celle du Morro de la Havane. La baie est ouverte vers le sud et
peut à peine donner quelqu'abri aux bâtimens. >>
« On ne parvient à décharger des marchandises dans la baie
du Morro que par le moyen des canots : car il n'y a ni
allèges , ni pirogues sur la côte. Il faudrait profiter du calme du
matin , et mettre les marchandises à terre très près du Morro,
où la mer brise moins pendant qu'il y a du vent , et fort peu
pendant le calme. »
« Il est extrêmement rare que des bâtimens se soient présentés
sur cette côte et aient envoyé des embarcations à terre , dans
la baie du Morro , pour faire des vivres. Récemment des
bergers ont découvert , sur le bord de la Mer du Sud , et
presqu'enfouies dans les sables , d'énormes pièces de bois fer
rées, qui attirèrent leur attention par la valeur qu'a le fer dans
ce pays. Les débris provenaient sans doute du naufrage de
quelque bâtiment à une époque très reculée. »
« La côte O. du Morro est bordée de montagnes ; on en dis
tingue cinq,'en y comprenant celle du Morro même : elles sont
éloignées les unes des autres de trois jusqu'à six milles . Dans des
enfoncemens, ou baies ouvertes en forme de croissans, on trouve
des lagunes séparées de la mer par des plages étroites. Celle qui
est située entre la deuxième et la troisième de ces pointes ro
cheuses offre beaucoup de sel que la mer y dépose. On y récolte
quarante mille charges à 400 liv. chacune. Cette quantité suffit
pour la consommation de la province d'Oaxaca pendant quatre
ou cinq années : le sel se fait au profit du Gouvernement. »
« La côte E. du Morro présente une série nombreuse de la
gunes que l'on distingue du sommet du Cerro de San Fran
CHAPITRE VIII . 361

cisco. Cette montagne se trouve environ trente- cinq lieues


à l'est de Tehuantepeque , sur le chemin de Ciudad-Real. La
lagune la plus rapprochée du Morro est celle de San Mateo :
elle en est à une lieue et demie de distance, ayant, pour le moins,
sept lieues de long sur trois de profondeur. Cette lagune est
partagée presqu'en deux , par une langue de terre très étroite,
à l'extrémité de laquelle est placé le village de San Mateo. Plus
loin, à une distance de huit lieues du Morro et sur le bord de la
même lagune, est situé le village de San Francisco . Sa barre ne
donne passage qu'à de petits bâtimens de pêcheurs. D
«Quant àla rivière de Tehuantepeque même, elle se perd dans
la plaine qui environne le Morro. Les eaux arrivent , il est
vrai , jusqu'à la plage de la petite baie du Morro ; mais là elles
sont mortes et ressemblent à une lagune parsemée d'îlots. Les
troncs d'arbres que l'on trouve aux endroits où aboutit la
rivière , font présumer que , lors de la crue des eaux , celles
ci s'ouvrent un passage à travers la plage et forment une barre
qui , dans aucune saison , n'est rendue navigable. Cette plage ,
qui n'a que cinquante pas de largeur , sépare le Rio de
Tehuantepeque de la Mer du Sud. Les eaux de la rivière et
celles de la mer se trouvent à-peu- près au même niveau. Dans
cet endroit la rivière est si peu profonde qu'on la traverse à
pied, pour aller chasser sur les îlots , qui sont remplis de gibier.
Souvent on est forcé d'entrer dans l'eau jusqu'aux aisselles '
et l'on risque à- la-fois de s'enfoncer dans la vase et d'être
dévoré par les caymans. A Tehuantepeque même , la rivière est
assez rapide. Pendant la saison des pluies , elle forme un torrent
qui arrête souvent les voyageurs : ce n'est que pendant les temps
secs qu'on peut y naviguer en sûreté avec des pirogues , depuis
les bords de la mer jusqu'à la ville. Nous sommes entrés dans
ces détails sur la baie de Tehuantepeque, pour indiquer les ob
stacles qu'on aura à vaincre , lorsqu'en effectuant un jour le
canal de Guasacualcos , on voudra creuser un port sur les
côtes de l'Océan Pacifique . »
362 LIVRE III,

Dans le tableau que je viens de donner des ports du Mexique,


j'ai retranché tout ce qui a rapport à la rade de la Vera-Cruz,
amplement décrite dans les chapitres vIII ( t. 11 , p. 209-215 )
et x11. Le tableau peut servir à rectifier ce qui été avancé
plus haut sur les communications entre les deux mers au moyen
d'un canal océanique ( t. 1, p. 209-237 ) . Nous venons de voir
que, dans l'isthme du Rio Huasacualco, il ne suffirait pas d'ou
vrir le canal et de canaliser les rivières : il faudrait aussi créer
un port dans la baie de Tehuantepeque , cette baie étant aussi
peu abordable pour de grandes embarcations que le golfe de
Panama. Il résulte d'ailleurs de nouvelles informations que j'ai
prises au Mexique (été 1825) , qu'aucune mesure n'a été faite
depuis mon retour en Europe, pour constater la hauteur des
sources des rivières d'Huasacualco et de Chimalapa au- dessus
du niveau de la mer; mais une note dont je dois la commu
nication à la bienveillance du célèbre géographe et navi
gateur Don Felipe Bauza , a confirmé les soupçons énoncés.
plus haut ( t. 1 , pag. 215 ) sur la grande élévation du lac de
Nicaragua. Par ordre de la Cour de Madrid , adressé au
capitaine-général de Guatimala , Don Matis de Galvez , un
nivellement a été fait depuis le golfe du Papagayo sur les côtes
de la Mer du Sud jusqu'à la Laguna de Nicaragua. L'ingénieur
Don Manuel Galisteo trouva par trois cent trente-six stations
de montée et trois cent trente- neuf stations de descente ( ascen
sos : 604 pieds 8 pouces 8 lignes mesure de Castille ; descen
sos : 470 pieds 1 pouce 7 lignes ) que la surface du lac est
élevée de 134 pieds 7 pouces 1 ligne au-dessus du niveau de
la Mer du Sud. Or , ce lac a 88 pieds 6 pouces de profondeur,
de sorte que son fond est encore 46 pies castellanos plus
haut que le niveau de l'Océan. Le Rio Panaloya par lequel
le lac de Léon communique avec le lac de Nicaragua offre un
barrage ( salto ) de 25 à 30 varas ( d'après M. Ciscar 1 vara
castellana a 3 pies de Burgos = 0429 ) . Cette opération
ne marque pas la direction et les points extrêmes de la ligne
CHAPITRE VIII. 363

de nivellement. Le but de l'opération ayant été la simple dé


termination de la hauteur du lac de Nicaragua , il ne me pa
raît pas prouvé jusqu'ici que l'arrête de partage entre le lac
et l'Océan Pacifique ait partout la grande élévation de quatre
vingt-cinq toises , et qu'il n'existe pas entre Realexo et Léon ,
entre le golfe du Papagayo ou celui de Nicoya et le lac de
Nicaragua, quelque dépression du sol ou quelque vallée trans
versale propre à recevoir les eaux d'un canal de grande na
vigation ( Relat. hist., t . 111 , p. 320 ) . Dans la reconnaissance
faite par le commandant du Château d'Omoa , Don Jgnacio
Maestre et par les ingénieurs Don Joaquim Ysasy et Don Jose
Maria Alexandro , il fut constaté que le lac de Nicaragua n'a
aucune communication naturelle avec la Mer du Sud ; on ob
serva en même temps « que le terrain montueux ( aspero y
montuoso) entre la Villa de Granada et le port de la Culebra ,
rend , sur ce point , toute communication par des canaux très
difficile , sinon impossible. » Comme ces objets occupent vi
vement l'attention des gouvernemens libres de l'Amérique et
de plusieurs grandes maisons de commerce en Angleterre et
aux Etats-Unis , on peut se flatter que sous peu on possédera
des nivellemens exécutés dans le but de tracer des canaux de
petite ou de grande navigation. C'est de la réunion d'un grand
nombre d'élémens (de la hauteur absolue du point de partage ,
de la largeur du terrain à franchir, de la nature du sol , de la
canalisation des rivières , de la quantité d'eau nécessaire pour
une navigation intérieure non interrompue , de la salubrité
du climat et de l'état des ports aux deux extrémités de la ligne
navigable) que dépend la solution d'un problème qui se lie aux
plus grands intérêts de la civilisation humaine.
Une nouvelle route de commerce ayant été ouverte entre la
capitale du Mexique et Pueblo Viejo de Tampico , je consi
gnerai ici quelques notions précises sur la direction de cette
route et les distances partielles :
364 LIVRE III,

CHEMIN DE PUEBLO-VIEJO A MEXICO..

Pueblo-Viejo de Tampico.
Rancho de Arroyo del Monte.
de la Tortuga.
de la Ese.
de Vichin * 15 lieues de muletiers.
de Buena Vista.
del Rio de Chicallan.
de los Alacranes.
de San Rafael.
del Pabellon.
de los Paderones * 16 lieues.
de los Huevos.
Pueblo de Tantoyuca. Jusque-là tout le pays est en savan
nes bordées de collines peu élevées et couvertes de palmiers.
Au sud du grand village ( pueblo ) de Tantoyuca , se sépare
le chemin de la Cañada. Ce chemin va à l'est par la ferme
(hacienda) de Flores et la cabane ( rancho ) de Tecolulo. On
passe la petite rivière de la Cañada soixante-seize fois selon le
rapport des muletiers (Notes on Mexico, p. 228 ) . Le chemin de
la Cañada et celui de la Sierra se réunissent de nouveau près du
village de Tlacolula , de sorte que dans ce dernier chemin on
ne parcourt que la partie la plus australe de la Cañada jus
qu'au Cerro de Pinolco .
Rio de Tecolulo.
Rancho de Uatipan * 12 lieues. C'est ici que l'on entre dans
les hautes montagnes appelées vulgairement Sierra-Madre ou
Serrania-Grande.
Pueblo de Atlapezco.
de Yagualica. Position militaire très forte sur une
montagne à l'est du chemin.
Pueblo de Soquitipan. Dans une vallée au bord d'une ri
CHAPITRE VIII. 365

vière; à une lieue de distance se trouvent les eaux chaudes


d'Atempa.
Yatipan* 11 lieues. Ce village est placé sur un plateau très
élevé. Les Indiens y ont des temascales ou bains de vapeurs.
Cerro de Guayatlapa.
Pueblo de Tlacolula. Ici on entre dans le chemin de la Ca
ñada.
Cerro del Pinolco.
Pueblo de Bemuchco , sur le sommet de la montagne de
Pinolco.
Pueblo de Matlatengo * 10 lieues.
de Teniztengo.
de Zaquatlipan. Ce village est entouré d'abrico
tiers , de poiriers et d'autres arbres fruitiers.
Pueblo de San Bernardo.
Rio Oquilcalco.
Hacienda de Rio Grande * 12 lieues.
Villa de Atotonilco el Grande.
Pueblo de Umitlan.
Villa de Real del Monte.
Rancho de Azoliatla.
Venta de Jaguy de Teyes * 18 lieues.
Village de San Mateo.
de San Mateo el Chico.
de Sta Anita.
de Tecama.
de Ozumbillo.
de Chuconautla.
de San Cristobal.
de Tepetlaque.
de Campedrito.
de N. S. de la Guadalupe.
Ville de Mexico * 17 lieues.
Somme des lieues d'après le compte des muletiers , 111 .
366 LIVRE III ,

On fait ce voyage en sept jours et demi , sans changer de


mulets et en employant une partie de la nuit à prendre quelque
repos dans les stations marquées d'un astérisque. Les chiffres
indiquent en lieues de pays ( d'après le calcul des muletiers )
la distance d'une de ces huit stations à l'autre. La distance de
1
Mexico à Pueblo Viejo de Tampico est en ligne droite d'après
ma Carte générale de la Nouvelle - Espagne ( 1804 ) , que M.
Bauza va bientôt remplacer par une autre beaucoup plus
exacte , de soixante lieues marines ( à 2854 toises ) ; en ajou
tant un quart pour les sinuosités des chemins , on trouve que
chacune des 111 lieues de muletiers est égale à 1928 toises. Par
l'évaluation des lieues dans la route de Mexico à Acapulco nous
avions trouvé 1725 toises. Pour aller avec quelque commodité
avec des mulets de charge de Pueblo Viejo à Mexico , il
faut employer dix à douze jours. Le chemin de la capitale à
Vera-Cruz n'est en ligne droite que de plus court.

Ily aen ligne droite : avec les détours :

de Mexico à Acapulco 152,000 toises. 190,000 toises.


à Vera-Cruz 157,000 217,000
àTampico 171,000 214,000

Dans ce tableau , les détours sont encore comptés à de la


distance directe (voy. plus haut t. 1 , p. 53 et Arago dans l'An
nuaire du Bureau des longitudes, 1825, p. 126) ; seulement dans
la route de Mexico à Vera- Cruz , on suppose que le voyageur se
dirige sur la Puebla , Perote et Xalapa , non sur Orizaba et Cor
dova. En montant de Tampico au plateau du Mexique, on longe
très long-temps la pente orientale de la Cordillère , et l'on reste
presque la moitié du chemin , jusqu'aux montagnes d'Uatipan
et deYagualica , dans la région chaude. Au contraire en descen
dant de Mexico à Vera-Cruz, on suit une ligne qui est à-peu-près
perpendiculaire à l'axe de la grande Cordillère d'Anahuac et
l'on est exposé pendant du chemin à la température froide
CHAPITRE VIII. 367
du plateau. La nouvelle route de Tampico offre aux muletiers
la facilité de se procurer facilement des fourrages pour les bêtes
de somine : elle est tellement directe , qu'en distance itinéraire ,
c'est-à- dire en la comparant aux détours de la route de Vera
Cruz par la Puebla (ville située 12' au sud de Vera - Cruz ) elle est
la plus courte de toutes les routes qui conduisent vers les côtes
orientales, à l'exception de celle que l'on suit de Mexico à la barre
de Tuspan.
368 LIVRE IV ,

LIVRE IV .

ÉTAT DE L'AGRICULTURE DE LA NOUVELLE-Espagne .


MINES MÉTALLIQUES.

CHAPITRE IX .

PRODUCTIONS VÉGÉTALES DU TERRITOIRE MEXICAIN. -


PROGRES DE LA CULTURE DU SOL. ------- INFLUENCE des
MINES SUR LE DÉFRICHEMENT. - PLANTES QUI SERVENT
A LA NOURRIture de l'homme.

Nous venons de parcourir l'immense étendue de


terrain que l'on comprend sous la dénomination de

Royaume de la Nouvelle - Espagne. Nous avons dé

crit rapidement les limites de chaque province , l'as


pect physique du pays , sa température , sa fertilité

naturelle et les progrès d'une population naissante. Il


est temps de nous occuper plus spécialement de l'état
de l'agriculture et de la richesse territoriale.

Comme le Mexique s'étend depuis le seizième jus


qu'au trente-septième degré de latitude , il offre , par sa
position géographique , toutes les modifications de cli
CHAPITRE IX . 369

mat , que l'on trouverait , en se transportant des rives


du Sénégal en Espagne , ou des côtes du Malabar aux
steppes de la grande Bucharie. Cette variété de cli

mats augmente encore par la constitution géologique


du pays , par la masse et la forme extraordinaire des
montagnes mexicaines , dont le tableau a été tracé

dans le troisième chapitre. Sur le dos et sur la pente


des Cordillères la température de chaque plateau est
différente , selon qu'il est plus ou moins élevé. Ce ne
sont pas des pics isolés dont les sommets , rapprochés
de la limite des neiges perpétuelles , se couvrent de
pins et de chênes : ce sont des provinces entières qui
produisent spontanément des plantes alpines sur les
plateaux les plus élevés et le cultivateur , habitant de
la zone torride , y perd souvent l'espérance des moissons
par l'effet des gelées , ou par d'abondantes chutes de
neige. Telle est l'admirable distribution de la chaleur
sur le globe , que dans l'Océan aérien on rencontre des
couches plus froides à mesure que l'on s'élève , tandis
que dans la profondeur des mers la température di
minue à mesure que l'on s'éloigne de la surface des
eaux . Dans les deux élémens , une même latitude
réunit , pour ainsi dire , tous les climats. A des dis

tances inégales de la surface de l'Océan , mais dans le


même plan vertical , on trouve des couches d'air et
des couches d'eau de la même température. Il en ré
sulte que sous les tropiques , sur la pente des Cor
dillères , et dans l'abîme de l'Océan , les plantes de la
Laponie , comme les animaux marins voisins du pôle ,
II. 24
370 LIVRE IV ,

trouvent le degré de chaleur nécessaire au développe


ment de leurs organes .

D'après cet ordre de choses établi par la nature ,


on conçoit que dans un pays montueux et étendu
comme le Mexique , la variété des productions indi
gènes doit être immense , et qu'il existe à peine une
plante sur le reste du globe qui ne serait susceptible
d'être cultivée dans quelque partie de la Nouvelle-Es
pagne. Malgré les recherches pénibles de trois bota
nistes distingués , MM . Sessé, Mociño et Cervantes ,
chargés par la cour d'examiner les richesses végétales
du Mexique , il s'en faut de beaucoup que l'on puisse
se flatter de connaître toutes les plantes qui se trouvent
ou éparses sur des cimes isolées , ou pressées les unes
contre les autres dans de vastes forêts au pied des
Cordillères . Si l'on découvre encore journellement de

nouvelles espèces herbacées sur le plateau central ,


même dans le voisinage de la ville de Mexico , que de
plantes arborescentes ne se seront pas dérobées aux yeux
des botanistes dans cette région humide et chaude qui
s'étend le long des côtes orientales , depuis la pro
vince de Tabasco et les rives fertiles du Guasacualco

jusqu'à Tecolula et Papantla ; le long des côtes occi


dentales depuis le port de San Blas et la Sonora jus
qu'aux plaines de Tehuantepec dans la province
d'Oaxaca? Jusqu'ici aucune espèce de quinquina (Cin
chona ) , pas même du groupe qui a les étamines
plus longues que la corolle , et qui forme le genre
Exostema , n'a été reconnue dans la partie équinoxiale
CHAPITRE IX . 371

de la Nouvelle-Espagne . Il est probable cependant que


cette découverte précieuse sera faite un jour sur la
pente des Cordillères , où abondent les fougères en

arbre , et où commence la région des véritables
quinquina fébrifuges à étamines très courtes , et à
corolles velues.

* Voyez ma Géographie des plantes , p. 61-66 , et un mémoire que


j'ai publié en allemand , contenant des observations physiques
sur les diverses espèces de Cinchona qui croissent dans les deux
continens (Mémoires de la Société d'histoire naturelle de Berlin , 1807 ,
n. 1 et 2 ). On croit au Mexique que le Portlandia mexicana , dé
couvert par M. Sessé, pourrait remplacer le quinquina de Loxa,
comme le font jusqu'à un certain point le Portlandia hexandra ( Cou
tarea Aublet ) à Cayenne , le Bonplandia trifoliata Willd. ou le Cus
paré , au bord de l'Orénoque , et le Switenia febrifuga Roxb. aux
grandes Indes. Il est à desirer que l'on examine aussi les vertus médi
cinales du Pinkneya pubens de Michaux ( Mussaenda bracteolata
Bartram ) qui croît dans la Géorgie , et qui a tant d'analogie avec les
Cinchona . En jetant les yeux sur la propriété des genres Portlandia ,
Coutarea et Bonplandia , ou sur l'affinité naturelle que présente le
véritable Cinchona épineux et rampant découvert à Guayaquil par
M. Tafalla , avec les genres Pæderia et Danais , on reconnaît que le
principe fébrifuge du quinquina réside dans beaucoup de rubiacées.
C'est ainsi que le caoutchouc n'est pas seulement extrait de l'Hevea ,
mais aussi de l'Urceola elastica , du Commiphora madagascarensis ,
et d'un grand nombre d'autres plantes de la famille des euphorbes ,
des orties (Ficus , Cecropia ) , des cucurbitacées (Carica) , et des cam
panulacées ( Lobelia ) . M. Auguste de St.-Hilaire a fait connaître ré
cemment ( 1824) une Apocynée , le Strychnos pseudoquina du Brésil ,
qui agit dans les fièvres intermittentes comme le vrai Cinchona , quoi
qu'il ne renferme ni brucine , ni quinine. (Ce Mémoire de M. de Hum
boldt sur les quinquina des deux continens a été traduit et enrichi de
notes très instructives par M. Lambert. (Voyez Illustration ofthegenus
Cinchona , 1821, p. 2-59, et Humboldt , Relat. Hist. t. 1 , p . 367.)
24.
372 LIVRE IV ,

Nous ne nous proposons point ici de décrire l'in


nombrable variété de végétaux dont la nature a en
richi la vaste étendue de la Nouvelle -Espagne , et dont
les propriétés utiles seront mieux connues à mesure
que la civilisation fera des progrès dans ce pays. Nous
ne parlerons pas des divers genres de culture qu'un
gouvernement éclairé pourrait introduire avec succès.

Nous nous bornerons à examiner les productions in


digènes qui fournissent en ce moment des objets d'ex
portation , et qui forment la base principale de l'agri
culture mexicaine.

Sous les tropiques , surtout aux Indes occidentales


qui sont devenues le centre de l'activité commerciale
des Européens , le mot agriculture est pris dans un sens
bien différent de celui qu'on lui donne vulgairement
en Europe. Lorsqu'à la Jamaïque ou à l'île de Cuba on
entend parler de l'état florissant de l'agriculture , cette
expression offre à l'imagination , non l'idée de récoltes
qui servent à la nourriture de l'homme , mais l'idée
de terrains qui produisent des objets d'échange au
commerce, et des matières brutes à l'industrie mauu

facturière. Quelque riche et fertile que soit la cam


pagne , par exemple la vallée des Guines , au sud
est de la Havane , un des sites les plus délicieux du
Nouveau-Monde , on n'y voit que des plaines plan
tées en canne à sucre et en café; mais ces plaines
sont arrosées de la sueur des esclaves africains ! La vie

des champs perd ses attraits lorsqu'elle est inséparable


de l'aspect du malheur de notre espèce.
CHAPITRE IX . 373

Dans l'intérieur du Mexique , le mot agriculture


rappelle des idées moins pénibles et moins attristantes.
Le cultivateur indien y est pauvre , mais il est libre.
Son état est bien préférable à celui des paysans dans
une grande partie de l'Europe septentrionale. Il n'y a ni
corvées , ni servage dans la Nouvelle- Espagne. Le
nombre des esclaves y est presque nul . Le sucre ,
pour la plus grande partie , est produit par des mains
libres. Les objets principaux de l'agriculture n'y sont
pas de ces productions auxquelles le luxe des Euro
péens a assigné une valeur variable et arbitraire. Ce
sont des céréales , des racines nourrissantes , et l'agave
qui est la vigne des indigènes. La vue des champs
rappelle au voyageur que le sol y nourrit celui qui le
cultive , et que la véritable prospérité du peuple mexi
cain ne dépend ni des chances du ccmmerce extérieur ,
ni de la politique inquiète de l'Europe .
Ceux qui ne connaissent l'intérieur des colonies
espagnoles que par les notions vagues et incertaines

publiées jusqu'à ce jour , auront de la peine à se per


suader que les sources principales de la richesse du
Mexique ne sont pas les mines , mais une agriculture
qui a été sensiblement améliorée depuis la fin du der
nier siècle. Sans réfléchir à l'immense étendue du pays,
et surtout au grand nombre de provinces qui paraissent
entièrement dépourvues de métaux précieux , on s'imą
gine communément que toute l'activité de la popula
tion mexicaine est dirigée vers l'exploitation des mines.
L'agriculture a fait sans doute des progrès très considé
374 LIVRE IV ,

rables dans la capitania general de Caraccas , dans le


royaume de Guatimala , dans l'île de Cuba , et partout
où les montagnes sont censées pauvres en productions
du règne minéral : mais on a eu tort d'en conclure que
c'est aux travaux des mines qu'il faut attribuer le peu de
soin donné à la culture du sol dans d'autres parties des
colonies espagnoles . Ce raisonnement serait juste peut
être lorsqu'on ne l'applique qu'à de petites portions de
terrains. Dans les provinces du Choco et d'Antioquia ,
et sur les côtes de Barbacoas , les habitans aiment
mieux chercher de l'or de lavage , dans les ruisseaux et
les ravins , que de défricher une terre vierge et fertile.
Au commencement de la conquête , les Espagnols qui
abandonnaient la péninsule ou l'archipel des Canaries

pour s'établir au Pérou et au Mexique , n'avaient d'autre


intérêt que celui de découvrir des métaux précieux.
« Auri rabida sitis a cultura Hispanos divertit , » dit
un écrivain de ce temps , Pierre Martyr d'Anghiera ,
dans son ouvrage sur la découverte du Yucatan et la
colonisation des Antilles . Mais ce raisonnement ne

peut aujourd'hui servir à expliquer pourquoi dans des


pays qui ont trois ou quatre fois plus d'étendue que la

France , l'agriculture est dans un état de langueur. Les


mêmes causes physiques et morales qui entravent tous
les progrès de l'industrie nationale dans les colonies
espagnoles , ont été contraires à l'amélioration de la

.
De insulis nuper repertis et de moribus incolarum earum.
Grynæi Novus Orbis , 1555 , p. 511.
CHAPITRE IX . 375
culture du sol. Il n'est pas douteux que si l'on perfec

tionne les institutions sociales , les contrées les plus


riches en productions minérales seront tout aussi bien ,
et peut-être mieux cultivées que celles qui paraissent
dépourvues de métaux . C'est un desir naturel à l'homme
de ramener tout à des causes d'une simplicité appa
rente , et ce desir a introduit dans les ouvrages d'éco
nomie politique une manière de raisonner qui se per
pétue parce qu'elle flatte la paresse d'esprit de la mul
titude. La dépopulation de l'Amérique espagnole, l'état
d'abandon dans lequel s'y trouvent les terres les plus
fertiles , le manque d'industrie manufacturière , sont
attribués aux richesses métalliques , à l'abondance de
l'or et de l'argent ; comme, d'après cette même logique ,
tous les maux de l'Espagne dérivent ou de la décou
verte de l'Amérique , ou de la vie nomade des méri
nos , ou de l'intolérance religieuse du clergé!
On n'observe guère que l'agriculture soit plus né
gligée au Pérou qu'elle ne l'est dans la province de
Cumana ou à la Guyane , dans lesquelles cependant
il n'existe aucune mine en exploitation . Au Mexique
les champs les mieux cultivés , ceux qui rappellent à
l'esprit des voyageurs les plus belles campagnes de la

France, sont les plaines qui s'étendent depuis Salamanca


jusque vers Silao , Guanaxuato , et la Villa de Leon ,
et qui entourent les mines les plus riches du monde
connu. Partout où des filons métalliques ont été dé
couverts dans les parties les plus incultes des Cordil
lères , sur des plateaux isolés et déserts , l'exploitation
376 LIVRE IV ,

des mines , bien loin d'entraver la culture du sol , l'a

singulièrement favorisée. Les voyages sur le dos des


Andes ou dans la partie montueuse du Mexique , of
frent les exemples les plus frappans de cette influence
bienfaisante des mines sur l'agriculture. Sans les éta
blissemens formés pour l'exploitation des filons , que
de sites seraient restés déserts , que de terrains non
défrichés dans les quatre intendances de Guanaxuato ,
de Zacatecas , de San Luis Potosi et de Durango , en
tre les parallèles de 21 et de 25 degrés , où se trouvent
réunies les richesses métalliques les plus considérables
de la Nouvelle -Espagne ! La fondation d'une ville suit
immédiatement la découverte d'une mine considéra

ble. Si la ville est placée sur le flanc aride ou sur la


crête des Cordillères , les nouveaux colons ne peuvent
tirer que de loin ce qu'il faut pour leur subsistance ,
et pour la nourriture du grand nombre de bestiaux
employés dans l'épuisement des eaux , dans le tirage
et l'amalgamation du minerai. Bientôt le besoin ré
veille l'industrie. On commence à labourer le sol dans

les ravins et sur les pentes des montagnes voisines ,


partout où le roc est couvert de terreau. Des fermes

s'établissent dans le voisinage de la mine. La cherté


des vivres , le prix considérable auquel la concurrence
des acheteurs maintient tous les produits de l'agricul
ture , dédommagent le cultivateur des privations aux
quelles l'expose la vie pénible des montagnes . C'est
ainsi que par le seul espoir du gain , par les motifs
d'intérêt mutuel qui sont les liens puissans de la so
CHAPITRE IX . 377

ciété , et sans que le gouvernement se mêle de la colo


nisation , une mine qui paraissait d'abord isolée au
milieu de montagnes désertes et sauvages , se rat
tache en peu de temps aux terres anciennement la
bourées.

Il y a plus encore , cette influence des mines sur le

défrichement progressif du pays est plus durable qu'elles


ne le sont elles-mêmes. Lorsque les filons sont épuisés
et qu'on abandonne les travaux souterrains , la popu
lation du canton diminue sans doute , parce que les

mineurs vont chercher fortune ailleurs , mais le colon


est retenu par l'attachement qu'il a pris pour le sol
qui l'a vu naître , et que ses pères ont défriché de
leurs mains . Plus le site de la ferme est isolé et plus
il a d'attrait pour l'habitant des montagnes. Au com
mencement de la civilisation , comme vers son déclin ,

l'homme paraît se repentir de la gêne qu'il s'est im


posée en entrant dans la société. Il aime la solitude

parce qu'elle le rend à son antique liberté. Cette ten


dance morale , ce desir de l'isolement se manifestent
surtout parmi les indigènes de la race cuivrée, qu'une
longue et triste expérience a dégoûtés de la vie so
ciale , et particulièrement du voisinage des blancs.
Semblables aux Arcadiens , les peuples de la race
aztèque aiment à habiter les cimes et le flanc des

montagnes les plus escarpées. Ce trait particulier de


leurs mœurs contribue singulièrement à étendre la
population dans la région montagneuse du Mexique.
Qu'il est intéressant pour le voyageur de suivre ces
378 LIVRE IV ,

conquêtes paisibles de l'agriculture , de contempler ces


nombreuses cabanes indiennes qui sont éparses dans
les ravins les plus sauvages , ces langues de terre cul
tivées , qui s'avancent dans un pays désert , entre des
bancs de rocher nus et arides !

Les plantes qui sont l'objet de la culture dans ces ré


gions élevées et solitaires , diffèrent essentiellement de
celles que l'on cultive sur les plateaux
moins élevés ,
sur la pente et au pied des Cordillères. Je pourrais
traiter de l'agriculture de la Nouvelle-Espagne en sui
vant les grandes divisions que j'ai exposées plus haut
en ébauchant le tableau physique du territoire mexi
cain. Je pourrais suivre les lignes de culture , qui sont
tracées sur mes profils géologiques , et dont les hau
teurs ont été indiquées en partie dans le troisième cha
pitre de cet ouvrage * . Mais il faut observer que ces
lignes de culture , comme celles des neiges perpé
tuelles à laquelle elles sont parallèles , s'abaissent vers
le nord, et que les mêmes céréales qui , sous la latitude
des villes d'Oaxaca et de Mexico , ne végètent abon
damment qu'à la hauteur de quinze ou seize cents mè
tres , se trouvent dans les Provincias internas , sous la
zone tempérée , dans les plaines les moins élevées. La
hauteur du sol que requièrent les divers genres de cul
ture , dépend en général de la distance au pôle et à la
surface de l'Océan ; mais la flexibilité d'organisation
est telle dans les plantes cultivées , qu'aidées par le

* Voyez t. 1 , p. 273 et dans ce vol. p. 199.


CHAPITRE IX. 379

soin de l'homme , elles franchissent souvent les limites.


que le physicien a osé leur assigner.
Sous l'équateur , les phénomènes météorologiques ,
comme ceux de la géographie des plantes et des ani
maux , sont assujétis à des lois immuables et faciles à
reconnaître. Le climat n'y est modifié que par la hau
teur du lieu , et la température y est presque con
stante , malgré la différence des saisons. En s'éloignant
de l'équateur, surtout entre le quinzième degré et le
tropique , le climat dépend d'un plus grand nombre de
circonstances locales ; il varie à la même hauteur ab
solue , et sous la même latitude géographique . Cette in
fluence des localités , dont l'étude est si importante
pour le cultivateur , se manifeste bien plus encore dans
l'hémisphère boréal que dans l'hémisphère austral. La
grande largeur du Nouveau- Continent , la proximité
du Canada , les vents qui soufflent du nord , et d'au
tres causes qui ont été développées plus haut , donnent
à la région équinoxiale du Mexique et de l'île de Cuba ,
un caractère particulier. On dirait que dans ces régions ,
la zone tempérée , celle des climats variables , s'élargit
vers le sud et dépasse le tropique du Cancer. Il suffit de
rappeler ici que dans les environs de la Havane ( lat.

23°8′ ) , à la petite hauteur de 80 mètres au-dessus du


niveau de l'Océan , on a vu descendre le thermomètre
jusqu'au point de la congélation * , et qu'il a tombé de

M. Robredo a vu de la glace formée dans une auge de bois , au


mois de janvier , au village d'Ubajay, quinze mille au sud-ouest de la
Havane , à 74 mètres d'élévation absolue. J'ai vu le 4 janvier 1801 , le
380 LIVRE IV ,
·
la neige près de Valladolid ( lat . 19°42′) à 1900 mètres
de hauteur absolue , tandis que sous l'équateur on
n'observe ce dernier phénomène qu'à des élévations
deux fois plus grandes.
Ces considérations nous prouvent que vers le tro
pique , là où la zone torride s'approche de la zone tem
pérée ( je me sers de ces noms impropres consacrés
par l'usage ) , les plantes cultivées ne sont pas assujé
ties à des hauteurs fixes et invariables . On pourrait
être tenté de les distribuer d'après la température

moyenne des lieux dans lesquels elles végètent. On


observe à la vérité qu'en Europe le minimum de la
température moyenne qu'exige une bonne culture est
pour la canne à sucre , de 19° à 20° ; pour le cafier ,

de 18° ; pour l'oranger , de 17 ° ; pour l'olivier , de 13º,5


à 14°; pour la vigne donnant du vin potable, de 10° à 11 °
centigrades. Cette échelle thermométrique d'agricul
ture est assez exacte lorsqu'on n'embrasse les phéno
mènes que
dans leur plus grande généralité. Mais des
exceptions nombreuses se présentent , si l'on considère
des pays dont la chaleur moyenne de l'année est la
même , tandis que les températures moyennes des mois
different beaucoup les unes des autres. C'est , comme

matin à 8 heures , à Rio Blanco , le thermomètre centigrade à 7º,5


au-dessus de zéro. Pendant la nuit un malheureux nègre était mort
de froid dans une prison . Cependant les températures moyennes des
mois de décembre et de janvier sont dans les plaines de l'île de Cuba
de 17 et 18° cent. Toutes ces déterminations ont été faites aves
d'excellens thermomètres de Nairne.
CHAPITRE IX . 381

l'a très bien prouvé M. Decandolle * , la répartition


inégale de la chaleur entre les différentes saisons de
l'année qui influe principalement sur le genre de cul
ture qui convient à telle ou telle latitude . Plusieurs
plantes annuelles , surtout les graminées à semences
farineuses , sont assez indifférentes aux rigueurs de
l'hiver ** ; mais , semblables aux arbres fruitiers et à la
vigne , elles ont besoin d'une chaleur considérable pen
dant l'été. Dans une partie du Maryland , et surtout en
Virginie, la température moyenne de l'année est égale,
peut-être même supérieure , à celle de la Lombardie ;
et cependant les frimats de l'hiver ne permettent guère
d'y cultiver les mêmes végétaux dont sont ornées les
plaines du Milanais. Dans la région équinoxiale du
Pérou ou du Mexique , le seigle , et bien moins encore
le froment , ne viennent point à maturité dans les pla
teaux de 3500 ou de 4000 mètres d'élévation, quoique
la chaleur moyenne de ces contrées alpines soit au
dessus de celle des parties de la Norwège et de la Si
bérie , dans lesquelles les céréales sont cultivées avec
succès . Mais , pendant une trentaine de jours , l'obli
quité de la sphère ou la courte durée des nuits rendent
très considérables les chaleurs estivales dans les pays
les plus voisins du pôle , tandis que sous les tropiques ,
sur le plateau des Codillères à la hauteur du Canigou ,


Florefrançaise, troisième édition , t. 2 , p. 10.
** On assure qu'à Umea , en Westro-Botnie (lat. 63 °49' ) , les ex
trêmes du thermomètre centigrade étaient en 1801 , en été + 35°, en
hiver - 45 °,7 . M. Acerbi se plaint beaucoup des grandes chaleurs
de l'été dans la partie la plus septentrionale de la Laponie.
382 LIVRE IV ,

la température moyenne du jour ne s'élève presque


jamais au-dessus de dix ou douze degrés centigrades .
Pour ne pas mêler des idées théoriques et peu sus
ceptibles d'une exactitude rigoureuse , à l'énoncé des
faits certains , nous ne diviserons les plantes cultivées
dans la Nouvelle- Espagne ni d'après la hauteur du sol
sur lequel elles végètent le plus abondamment , ni
d'après les degrés de température moyenne qu'elles
paraissent exiger pour leur développement : nous les
rangerons plutôt d'après l'utilité qu'elles offrent à la so
ciété. Nous commencerons par les végétaux qui font la
base principale de la nourriture du peuple mexicain ,
puis nous traiterons de la culture des plantes qui pré
sentent des matériaux à l'industrie manufacturière.
Nous terminerons ces recherches en décrivant les pro

ductions végétales qui sont l'objet d'un commerce im


portant avec la métropole.
Ce que les graminées céréales , le froment , l'orge et
le seigle sont pour l'Asie occidentale et pour l'Europe ,
ce que les nombreuses variétés de riz sont pour les

pays situés au- delà de l'Indus , surtout pour le Ben


gale et la Chine , le Bananier l'est pour une grande
partie des habitans de l'Amérique équinoxiale Dans
les deux continens , dans les îles que renferme l'im
mense étendue des mers équinoxiales , partout où la
chaleur moyenne de l'année excède vingt-quatre de
grés centigrades , le fruit du bananier est un objet de
culture du plus grand intérêt pour la subsistance de
l'homme. Le célèbre voyageur , George Forster, et
CHAPITRE IX . 383

d'autres naturalistes après lui , ont prétendu que cette

plante précieuse n'existait point en Amérique avant


l'arrivée des Espagnols , mais qu'elle y avait été por
tée des îles Canaries au commencement du seizième

siècle. En effet Oviedo , qui , dans son Histoire natu


relle des Indes , distingue avec soin les végétaux in
digènes de ceux qui y ont été introduits , dit positive
ment que les premiers bananiers ont été plantés en
1516 , à l'île de Saint-Domingue , par un religieux
de l'Ordre des frères prêcheurs , Thomas de Berlangas * .
Il assure avoir vu lui-même le Musa cultivé en Espa
gne, près de la ville d'Armeria en Grenade , et dans le
couvent des Franciscains , à l'île de la Gran Cana
ria , où Berlangas avait pris les drageons qui furent
transportés à Hispaniola , et delà successivement aux
autres îles et à la terre ferme. On pourrait rappor

ter à l'appui de l'opinion de M. Forster , que dans


les premières relations des voyages de Colomb, d'A
lonzo Negro , de Pinzon , de Vespucci ** et de Cortez,
il est souvent question du maïs , du papayer ,. du Ja

tropha manihot et de l'agave , mais jamais du bana


nier. Cependant le silence de ces premiers voyageurs
ne prouve que le peu d'attention qu'ils portaient aux

De plantis esculentis commentatio botanica , 1786 , p. 28. Histoire na


turelle et générale des Iles et terres fermes de la grande mer océane, 1556 ,
P. 112-114.
**
Christophori Columbi navigatio. De gentibus ab Alonzo reper
tis. De navigatione Pinzoni socii admirantis. Navigatio Alberici Ves
putii. Voyez Grynæi novus orbis , 1555 , p. 64,84,85 , 87 , 211.
384 LIVRE IV ,

productions naturelles du sol de l'Amérique. Her


nandez qui , outre les plantes médicinales , décrit un
grand nombre d'autres végétaux mexicains , ne fait
pas mention du Musa. Or ce botaniste vivait un demi

siècle après Oviedo , et ceux qui regardent le Musa


comme étranger au Nouveau - Continent , ne mettent
sa culture ne fût très commune au
pas en doute que
Mexique , vers la fin du seizième siècle , à une épo
que à laquelle une foule de végétaux moins utiles à
l'homme y avaient déjà été portés de l'Espagne , des
îles Canaries et du Pérou. Le silence des auteurs n'est

donc pas toujours une preuve suffisante en faveur de


l'opinion de M. Forster.
Il en est peut-être de la véritable patrie des bana
niers comme de celle des poiriers et des cerisiers . Le
merisier (Prunus avium ) , par exemple , est indigène
en Allemagne et en France ; il existe dans nos forêts
de toute antiquité , comme le chêne rouvré et le til
leul , tandis que d'autres espèces de cerisiers que l'on
regarde comme des variétés devenues constantes , et
dont les fruits sont plus savoureux que ceux du me
risier , nous sont venues , par les Romains , de l'Asie
mincure * , et particulièrement du royaume du Pont.
De même on cultive sous le nom de bananiers dans

les régions équinoxiales , et jusqu'au parallèle de 33

Desfontaines, Histoire des arbres et arbrisseaux quipeuvent étre cul


tivés sur le sol de la France , 1809 , tom. II , p. 208 , ouvrage qui con
tient de savantes et curieuses recherches sur la patrie des végétaux
utiles , et sur l'époque de leur première culture en Europe.
CHAPITRE IX . 385

ou 34 degrés , un grand nombre de plantes qui dif

fèrent essentiellement par la forme de leurs fruits ,


et qui constituent peut-être de véritables espèces . Si
c'est une opinion peu prouvée jusqu'à ce jour , que
tous les poiriers cultivés descendent du poirier sau
vage comme d'une souche commune , il sera plus per
mis encore de douter que le grand nombre de variétés
constantes du bananier descend du Musa troglody
tarum cultivé aux îles Moluques , qui , lui-même ,
d'après Gærtner , n'est peut- être pas un Musa, mais
une espèce du genre Ravenala d'Adanson .

On ne connaît point aux colonies espagnoles tous


les Musa ou Pisang décrits par Rumphius et Rheede.
On y distingue cependant trois variétés , que les bota
nistes n'ont encore que très imparfaitement détermi
nées , le vrai Platano ou Arton ( Musa paradisiaca
Lin ? ) , le Camburi ( M. sapientum Lin ? ) , et le Do
minico ( M. regia Rumph ? ) . J'ai vu cultiver au Pé
rou une quatrième variété d'un goût très exquis , le
Meiya de la Mer du Sud , qu'au marché de Lima on
appelle Platano de Taïti , parce que la frégate Aguila
en a porté les premiers pieds de l'île d'Otahiti . Or
c'est une tradition constante au Mexique et sur toute

la terre ferme de l'Amérique méridionale , que le Pla


tano arton et le Dominico y étaient cultivés long
temps avant l'arrivée des Espagnols , mais qu'une va
riété du Camburi ( le Guineo ) comme son nom même
le prouve , est venue des côtes d'Afrique. L'auteur qui

a marqué avec le plus de soins les différentes époques


II. 25
386 LIVRE IV ,

auxquelles l'agriculture américaine s'est enrichie de


productions étrangères , le Péruvien Garcilasso de la

Vega , dit expressément que du temps des Incas le


maïs , le quinoa , les pommes de terre , et , dans les ré
gions chaudes et tempérées , les bananes faisaient la
base de la nourriture des naturels. Il décrit le Musa
des vallées des Andes, il distingue même l'espèce plus

rare à petit fruit sucré et aromatique , le Dominico ,


de la banane commune ou Arton . Le père Acosta **
affirme aussi , quoique moins positivement , que le
Musa était cultivé par les Américains avant l'arrivée
des Espagnols. La banane , dit-il , est un fruit que l'on

trouve dans toutes les Indes , quoiqu'il y ait des gens

qui prétendent qu'il est originaire d'Ethiopie , et qu'il


est venu de là en Amérique. Sur les rives de l'Oréno
que , du Cassiquiare ou du Beni , entre les montagnes
de l'Esmeralda et les sources du fleuve Carony , au
milieu des forêts les plus épaisses , presque partout où
l'on découvre des peuplades indiennes qui n'ont pas
eu des relations avec les établissemens européens , on

* Comentarios Reales de los Incas , vol. 1 , p. 282. La petite banane


musquée, le Dominico , dont le fruit m'a paru le plus savoureux dans
la province de Jean de Bracamoros sur les rives de l'Amazone et du
Chamaya, paraît identique avec le Musa maculata de Jacquin ( Hor
tus Schoenbrunnensis , tab. 446 ) , et avec le Musa regia de Rumphius.
La dernière espèce n'est peut-être elle-même qu'une variété du Musa
mensaria. Il existe , et ce fait est très curieux , dans les forêts d'Am
boine , un bananier sauvage dont le fruit est sans graines , le Pisang
jacki. (Rumph. v , p. 138.)
**
Historia natural de Indias , 1608 , p. 250.
CHAPITRE IX. 387

rencontre des plantations de manioc et de bananiers .

Le père Thomas de Berlangas ne pouvait trans


porter des îles Canaries à S. Domingue d'autre espèce
de Musa que celle que l'on y cultive , qui est le Cam
buri ( caule nigrescente striato , fructu minore ovato
elongato ) , et non le Platano arton ou zapalote des
Mexicains ( caule albo-virescente lævi , fructu longiore
apicem versus subarcuato acute trigono ). Il n'y a que
la première de ces deux espèces qui vienne dans les
climats tempérés , aux îles Canaries , à Tunis , à Alger,
et sur la côte de Malaga. Aussi dans la vallée de Ca
racas , placée sous les 10°30' de latitude , mais à 900
mètres de hauteur absolue , on ne trouve que le Cam
buri et le Dominico ( caule albo-virescente , fructu mi
nimo obsolete trigono ) , et non le Platano arton dont
les fruits ne mûrissent que sous l'influence d'une tempé
rature très élevée. D'après ces preuves nombreuses il
paraît peu douteux que le bananier dont plusieurs voya
geurs prétendent avoir trouvé quelques pieds à l'état
sauvage à Amboine, à Gilolo et aux îles Marianes, n'ait
été cultivé en Amérique long-temps avant l'arrivée
des Européens . Ces derniers n'ont fait qu'augmenter le
nombre des variétés cultivées . Toutefois on ne doit pas

s'étonner de voir qu'il n'existait pas de Musa à l'île de


S. Domingue avant l'année 1516. Semblables à certains
animaux , les sauvages ne tirent le plus souvent leur
nourriture que d'une seule espèce de plante. Les forêts

de la Guyane offrent de nombreux exemples de tribus


dont les plantations (conucos) renferment du manihot ,
25.
388 LIVRE IV ,

des Arum ou des Dioscorea , et pas un pied de ba


naniers.

Malgré la grande étendue du plateau mexicain , et


la hauteur des montagnes qui avoisinent les côtes ,
l'espace dont la température est favorable à la culture
du Musa est de plus de 50,000 lieues carrées , et ha
bité à - peu - près par un million et demi d'habitans.
Dans les vallées chaudes et humides de l'intendance

de Vera-Cruz , au pied de la Cordillère d'Orizaba , le


fruit du Platano arton excède quelquefois trois dé
cimètres , le plus souvent vingt à vingt-deux centimètres
(7 à 8 pouces) de longueur. Dans ces régions fertiles ,
surtout dans les environs d'Acapulco , de San Blas ,
et du Rio Guasacualco , un régime de bananes con
tient 160 à 180 fruits , et pèse 30 à 40 kilogrammes .
Je doute qu'il existe une autre plante sur le globe ,
qui , sur un petit espace de terrain , puisse produire
une masse de substance nourrissante aussi considérable.

Huit ou neuf mois après que le drageon est planté, le


bananier commence à développer son régime. Le fruit
peut être cueilli le dixième ou onzième mois. Lorsqu'on
coupe la tige on trouve constamment parmi les nom
breux jets qui ont poussé des racines , un rejeton
(pimpollo ) qui, ayant deux tiers de la hauteur de la
plante mère , porte du fruit trois mois plus tard. C'est
ainsi qu'une plantation de Musa , que dans les colo
nies espagnoles l'on appelle Platanar ( bananerie ) ,
se perpétue sans que l'homme y mette d'autre soin que
de couper les tiges dont le fruit a mûri , et de donner
CHAPITRE IX. 389

à la terre , une ou deux fois par an , un léger labour


en piochant autour des racines. Un terrain de cent
mètres carrés de surface peut renfermer au moins
trente à quarante pieds de bananiers. Dans l'espace
d'un an ce même terrain , en ne comptant le poids
d'un régime que de quinze à vingt kilogrammes ,
donne plus de deux mille kilogrammes , ou quatre
mille livres en poids , de substance nourrissante. Quelle
différence entre ce produit et celui des graminées cé
réales dans les parties les plus fertiles de l'Europe !
Le froment , en le supposant semé et non planté d'après
la méthode chinoise , et en calculant sur la base d'une
récolte décuple , ne produit sur un terrain de cent
mètres carrés que quinze kilogrammes , ou trente livres
pesant de grains. En France , par exemple , le demi
hectare ou l'arpent légal de 1344 toises carrées , est
ensemencé à la volée , en terres excellentes , avec 160
livres de grains , en terres médiocres ou mauvaises
avec 200 ou 220 livres. Le produit varie de 1000 à
2500 livres l'arpent. La pomme de terre , d'après
M. Tessier , donne en Europe sur cent mètres carrés
de terre bien cultivée et bien fumée , une récolte de

45 kilogrammes , ou de 90 livres de racines. On en


compte quatre à six mille livres par arpent légal. Le
produit des bananes est par consequent à celui du fro
ment comme 133 : 1 , à celui des pommes de terre
comme 44 : 1.
Les personnes qui en Europe ont goûté des bananes
mûries dans les serres , ont de la peine à concevoir qu'un
390 LIVRE IV,

fruit qui, par sa grande douceur, ressemble un peu àune


figue sèche , puisse être une des bases principales de la
nourriture pour quelques millions d'hommes qui habi
tent les deux Indes. On oublie aisément que , dans

l'acte de la végétation, les mêmes élémens , selon qu'ils


se combinent ou se séparent , forment des mélanges
chimiques très différens. En effet reconnaîtrait - on
dans le mucilage laiteux que renferment les graines
des graminées avant que l'épi mûrisse , ce périsperme
farineux des céréales , qui nourrit la plupart des peu
ples de la zone tempérée? Dans le Musa, la formation de
la matière amylacée précède l'époque de la maturité. Il
faut bien distinguer entre le fruit du bananier cueilli

vert et celui qu'on laisse jaunir sur le pédoncule. Dans


le second le sucre est tout formé ; il s'y trouve mêlé à la
pulpe , et en telle abondance que , si la canne à sucre
n'était pas cultivée dans la région des bananiers , on

pourrait , du fruit de ce dernier , extraire le sucre avec


plus de profit qu'on ne le fait en Europe des bette
raves et du raisin. La banane cueillie verte contient

le même principe nourrissant que l'on observe dans


le blé , le riz , les racines tubéreuses et le sagou , savoir

la fécule amylacée unie à une très petite portion de


gluten végétal. En pétrissant sous l'eau de la farine de
bananes séchées au soleil, je n'ai pu obtenir que quelques
atômes de cette masse ductile et visqueuse qui réside
en abondance dans le périsperme , et surtout dans
l'embryon des céréales. Si d'un côté le gluten qui
a tant d'analogie avec les matières animales , et qui
CHAPITRE IX . 391

se boursouffle par la chaleur , est d'une grande utilité


pour la confection du pain ; de l'autre , sa présence
n'est pas indispensable pour rendre une racine ou un
fruit nourrissant. M. Proust a reconnu du gluten dans
les fèves , les pommes et les coings ; il n'en a pas dé
couvert dans la farine des pommes de terre. Les
gommes, par exemple celle du Mimosa nilotica (Acacia

vera Willd. ) , dont se nourrissent plusieurs peuplades


africaines pendant leur passage par le désert , prouvent
qu'une substance végétale peut être un aliment nu
tritif, sans contenir ni gluten , ni matière amylacée.
Il serait difficile de décrire les nombreuses prépa
rations par lesquelles les Américains rendent le fruit
du Musa , soit avant soit après sa maturité, un mets
sain et agréable. J'ai vu souvent , en remontant les
rivières , que les naturels exposés à de longues fa
tigues font un dîner complet avec une très petite
portion de manioc et trois bananes ( Platano arton )
de la grande espèce. Du temps d'Alexandre , si toute
fois l'on doit en croire les anciens , les philosophes

de l'Indoustan étaient plus sobres encore. « Arbori


« nomen palo pomo arience , quo sapientes Indorum
« vivunt. Fructus admirabilis sucei dulcedine ut uno

« quaternos satiet . » ( Plin . XII . 12. ) . Én général ,


dans les pays chauds , le peuple regarde les sub
stances sucrées non - seulement comme un mets qui

rassasie pour le moment , mais comme vraiment nu


tritives . J'ai observé souvent que sur les côtes de Ca
raccas les muletiers qui conduisaient nos bagages ,
392 LIVRE IV ,

préféraient pour leur dîner le sucre brut ( papelon )


à la viande fraîche.

# Les physiologistes n'ont point encore déterminé


avec précision ce qui caractérise une substance émi
nemment nourrissante. Calmer l'appétit en stimulant
les nerfs du système gastrique , ou fournir au corpss des

matières qui peuvent s'assimiler facilement , sont des


modes d'actions très différens. Le tabac , les feuilles
de l'Erythroxylon cocca mêlées à la chaux vive, l'opium,
dont les natifs du Bengale se sont souvent servis avec
succès pendant des mois entiers , dans des temps de
disette , apaisent la violence de la faim ; mais ces sub
stances agissent bien autrement que le pain de fro
ment , la racine de Jatropha , la gomme arabique , le
lichen d'Islande , ou la chair de poisson pourri , qui est

la nourriture principale de plusieurs tribus de nègres


africains. Il ne paraît pas douteux qu'à volume égal les
matières sur-azotées ou animales nourrissent mieux que

les matières végétales ; il paraît que parmi ces dernières


le gluten est plus nourrissant que l'amidon , et l'ami
don plus que le mucilage ; mais il faut bien se garder
d'attribuer à ces principes isolés ce qui , dans l'action
de l'aliment sur le corps vivant , dépend du mélange
varié de l'hydrogène , du carbone et de l'oxigène. C'est
ainsi qu'une matière devient éminemment nourrissante
si elle renferme, comme la fève du cacoyer ( Theobroma

cacao ) outre la matière amylacée , un principe aro


matique qui excite et fortifie le système nerveux.
Ces considérations , auxquelles nous ne pouvons
CHAPITRE IX . 393

donner plus de développement ici , serviront à ré


pandre quelque jour sur les comparaisons que nous
avons faites plus haut des produits de différentes cul
tures. Si l'on récolte sur le même espace de terrain , en
poids , trois fois autant de pommes de terre que de
froment , il ne faut pas en conclure que la culture des
plantes tubéreuses peut , à surface égale , nourrir trois
fois autant d'individus que la culture des céréales * .
La pomme de terre est réduite au quart de son poids
étant séchée à une douce chaleur , et l'amidon sec
qu'on séparerait de 2400 kilogrammes récoltés sur un
demi-hectare de terrain , égalerait à peine la quantité
de celui que peuvent fournir 800 kilogrammes de fro

« On plante les bananiers dans l'île de Cuba , ordinairement


à quatre varas en carré ( 1 vara =-ot, 43 ) : quelques colons les
rapprochent davantage, mais ils produisent alors beaucoup moins.
Chaque touffe se compose de quatre à cinq pieds , qui se renou
vellent des racines ; mais on ne doit compter que sur trois régimes de
bananes par an pour chaque touffe , parce qu'il y en a toujours qui
périssent avant que le fruit soit à maturité ou qui éprouvent d'autres
accidens. On peut compter vingt - cinq à trente bananes de la
longue espèce par régime et cinquante à soixante -dix de la petite
espèce. Un homme de travail et de bon appétit , n'ayant aucune
autre nourriture , aurait besoin de douze bananes de la grosse espèce
ou de trente de la petite , car on estime que cinq de ces dernières
égalent en quantité de matière nourrissante deux des premières. Il
résulte de cette évaluation la consommation d'un demi- régime par
jour ; soixante et quelques touffes plantées à la distance de quatre
vares en carré suffiraient à-peu-près pour l'existence d'un homme. »
( Lettre d'un ancien colon sur l'agriculture des Autilles , manuscrit ;
Catineau La Roche, Notice sur la Guyanefrançaise et la Colonie du Mana,
1822 , p. 5. — Humboldt , Relat, hist. t. II , p . 614-619 )
394 LIVRE IV ,

ment. Il en est de même du fruit du bananier , qui,


avant sa maturité , même à l'état dans lequel il est
très farineux , contient beaucoup plus d'eau et de
pulpe sucrée que les semences des graminées . Nous
avons vu que la même étendue de terrain peut , sous
un climat favorable , produire 106000 kilogrammes
de bananes , 2400 kilogrammes de racines tubéreuses ,
et 800 kilogrammes de froment. Ces quantités ne sont
pas proportionnelles au nombre d'individus qui pour
raient se nourrir par ces différentes cultures sur le
même terrain. Le mucilage aqueux que contient la
banane ou la racine tubéreuse du Solanum , a sans

doute des propriétés nutritives. La pulpe farineuse ,


telle que la nature la présente , offre sans doute plus
d'aliment que l'amidon , qui en est séparé par l'art.

Mais les poids seuls n'indiquent pas les quantités ab


solues de matière nutritive ; et pour faire sentir com

bien , sur le même espace de terrain , la culture du


Musa fournit plus d'aliment à l'homme que la culture
du froment , on devrait calculer plutôt d'après la
masse de substance végétale nécessaire pour rassa
sier un individu adulte . On trouve d'après ce dernier
principe , et ce fait est très curieux , que dans un pays
éminemment fertile un demi-hectare ou un arpent lé

gal cultivé en bananes de la grande espèce ( Platano


arton ) , peut nourrir plus de cinquante individus ;
tandis qu'en Europe le même arpent ne donnerait
par an, en supposant le huitième grain , que 576 ki
logrammes de farine de froment , quantité qui n'est
CHAPITRE IX. 395
pas suffisante pour la subsistance de deux individus *.

Aussi rien ne frappe plus l'Européen récemment ar


rivé dans la zone torride , que l'extrême petitesse des
terrains cultivés autour d'une cabane qui renferme
une famille nombreuse d'indigènes .
Le fruit mûr du Musa , lorsqu'il est exposé au so
leil , se conserve comme nos figues. La peau devient

noire , et prend une odeur particulière qui ressemble


à celle du jambon fumé. Dans cet état le fruit s'ap
pelle Platano passado , et devient un objet de com
merce dans la province de Michuacan . Cette banane
sèche est un aliment d'un goût agréable et très sain .
Mais les Européens nouvellement débarqués regar
dent comme très indigeste le fruit du Platano arton
mûr et fraîchement cueilli . Cete opinion est très an
cienne, car Pline rapporte qu'Alexandre ordonna à
ses soldats de ne pas toucher aux bananes qui crois
sent sur les bords de l'Hyphase. On extrait de la fa
rine du Musa , en coupant le fruit vert en tranches ,
en le séchant au soleil sur des glacis , et en le pilant.
lorsqu'il est devenu friable. Cette farine moins usitée

au Mexique qu'aux îles **, peut servir aux mêmes


usages que les farines de riz ou de maïs.

* On a calculé sur les principes suivans : Cent kilogrammes de


froment donnent soixante- douze kilogrammes de farine , et seize ki
logrammes de farine se convertissent en vingt-un kilogrammes de
pain. La nourriture d'un individu est comptée en raison de 547 ki
logrammes de pain par an.
**
Voyez l'intéressant Mémoire de M. de Tussac dans sa Flore des
Antilles , p. 60. (Paris , F. Scholl. )
396 LIVRE IV ,

La facilité avec laquelle le bananier renaît de ses


racines lui donne un avantage extraordinaire sur les
arbres fruitiers , même sur l'arbre à pain , qui , pendant
huit mois de l'année , est chargé de fruits farineux.
Lorsque des peuplades se font la guerre, et qu'elles
détruisent les arbres , ce malheur se fait sentir pen
dant long-temps . Une plantation de bananes se re
nouvelle par des drageons dans l'espace de peu de
mois.

On entend souvent répéter dans les colonies espa


gnoles que les habitans de la région chaude ( tierra
caliente ) ne pourront sortir de l'état d'apathie dans
lequel ils sont plongés depuis des siècles , que lors
qu'une cédule royale ordonnera la destruction des

bananiers (platanares ). Le remède est violent , et


ceux qui le proposent avec tant de chaleur , ne dé
ployent généralement pas plus d'activité que le bas
peuple qu'ils veulent forcer au travail , en augmen
tant la masse de ses besoins. Il faut espérer que l'im
dustrie fera des progrès parmi les Mexicains , sans
qu'on emploie des moyens de destruction . En consi
dérant d'ailleurs la facilité avec laquelle l'homme se
nourrit dans un climat où croissent les bananiers , on

ne doit pas s'étonner que dans la région équinoxiale


du Nouveau-Continent la civilisation ait commencé
dans les montagnes , sur un sol moins fertile , sous un
ciel moins favorable au dévéloppement des êtres or
ganisés , là où le besoin éveille l'industrie . Au pied
de la Cordillère , dans les vallées humides des inten
CHAPITRE IX . 397

dances de Vera-Cruz , de Valladolid ou de Guada

laxara , un homme qui emploie seulement deux jours


de la semaine à un travail peu pénible , peut fournir
de la subsistance à une famille entière. Et tel est ce

pendant l'amour du sol natal que l'habitant des mon


tagnes auquel la gelée d'une nuit ravit souvent tout l'es
poir de la récolte, refuse de descendre dans des plaines
fertiles , mais dépeuplées , où la nature étale en vain
ses bienfaits et ses richesses . *

Depuis que la première édition de cet ouvrage a été publiée , de


nouveaux doutes se sont élevés sur l'origine américaine des bananiers ,
que cultivent les Indiens sauvages de l'Orénoque et du Cassiquiare. Il
est de mon devoir de les signaler ici. L'illustre auteur des Observations
systematical and geographical on the Herbarium collected on the banks of
the Congo ( 1818 , p. 51 ) , M. Robert Brown , tout en rappelant que
Margraf et Piso ( Hist. Nat. du Brésil , p. 554 ) regardaient les bana
niers du Brésil comme introduits de la côte d'Afrique , pose en prin
cipe général que dans les cas douteux on peut admettre avec quelque
probabilité qu'une ' espèce cultivée est étrangère au pays dans lequel
aucune autre espèce du même genre ne se trouve indigène. D'après
ce principe qui paraît très fondé , les différentes variétés de bananes
cultivées en Amérique , appartiendraient originairement à l'Asie ; ce
continent offrant déjà cinq espèces distinctes du genre Musa , qui
croissent spontanément , tandis que l'Amérique n'en a pas une seule.
Toutes les variétés de Musa qui servent à la nourriture de l'homme
et dont seize sont cultivées dans le seul Archipel Indien ( Crawfurd,
Hist. ofthe Indian Archipelago , t. 1 , p . 410-413) , descendent , d'après
M. Brown , du Musa sapientum indigène en Asie et y portant des
graines non abortives (Roxburgh Corom, tab. 275 ). D'un autre côté je
pourrais citer en faveur de mon opinion qui est partagée par Robert
son, et contre celle de MM. Robert Brown et Devaux (Journal de Bota
nique, vol. iv, p. 4) , que , dans l'hémisphère austral , les Puris assurent
avoir cultivé, sur les rives du Prato, long -temps avant leurs communi
LIVRE IV,
398
La même région dans laquelle le bananier est cul
tivé , produit aussi la plante précieuse dont la racine
offre la farine de manioc ou magnoc. Le fruit vert du
Musa se mange cuit ou rôti , comme le fruit de l'arbre

à pain, ou comme la racine tubéreuse de la pomme


de terre. La farine du manioc et celle du maïs au con

traire sont converties en pain ; elles fournissent aux


habitans des pays chauds ce que les colons espagnols
appellent pan de tierra caliente. Le maïs , comme
nous le verrons bientôt , présente le grand avantage de
pouvoir être cultivé sous les tropiques , depuis le ni
veau de l'Océan jusqu'à des élévations qui égalent
celles des plus hautes cimes des Pyrénées. Il jouit de
cette flexibilité d'organisation extraordinaire qui ca
ractérise les végétaux de la famille des graminées ; il la
possède même dans un plus haut degré que les céréales
de l'Ancien-Continent , qui souffrent sous un ciel

cations avec les Portugais, une petite espèce de banane (Caldcleugh,Tra


vels in South America, 1825 , t. 1 , p. 23) et que l'on trouve dans les lan
gues américaines des mots non importés pour distinguer le fruit du Musa,
par ex. paruru en tamanaque ; arata en maypure ( Humboldt , Rel.
hist., t. 1 , p. 104-587. t. 1 , p. 355-367. Leopold von Buch Physic. ,
Beschreibungder Can. Inselm, 1825 , p. 124). Je pense aussi que le mot
pala dont Pline se sert pour désigner le Musa ( en arabe Mouz) est
dû à un de ces mal-entendus qui , encore de nos jours , sont si fré
quents parmi les voyageurs et qu'il dérive du sauscrit phalam qui si
gnifie fruit en général. Le mot pisang introduit dans la langue alle
mande , est malay (Crawfurd, t. 11 , p. 158 ) : banane vient sans doute
de barana-busa, qui d'après Amaracosha est synonyme en sanscrit de
radala , rambha et mocha , mots qui tous signifient Musa ( Ainslie ,
Materia medica ofHindostan , 1813 , p . 234 ).
CHAPITRE IX. 399

brûlant , tandis que le maïs végète vigoureusement


dans les pays les plus chauds de la terre. La plante
dont la racine donne la fécule nourrissante du manioc,

est désignée d'après un mot tiré de la langue d'Haïty,


ou de l'île de Saint-Domingue , sous le nom de Juca.
Elle vient difficilement hors de la zone torride ; dans

la partie montagneuse du Mexique , sa culture ne


s'élève généralement pas au-dessus de la hauteur
absolue de six ou huit cents mètres . Elle est surpassée

de beaucoup par celle du Camburi ou Bananier des


Canaries , plante qui se rapproche davantage du
plateau central des Cordillères.
Les Mexicains , comme les naturels de toute l'Amé
rique équinoxiale, cultivent depuis la plus haute an
tiquité deux espèces de Juca , que les botanistes , dans
leur inventaire des species , ont réunies sous le nom
de Jatropha manihot. On distingue dans la colonie es
pagnole la Juca douce (dulce) de la Juca âcre ou amère
(amarga). La racine de la première , qui à Cayenne
porte le nom de Camagnoc , peut être mangée sans
danger , tandis que celle de l'autre est un poison
assez actif. Les deux peuvent servir à faire du pain ;
cependant on n'emploie généralement à cet usage que
la racine de la Juca amère , dont le suc vénéneux est
séparé soigneusement de la fécule avant de faire le
pain de manioc , appelé Cazavi ou Cassave. Cette sé
paration s'opère en comprimant la racine rapée dans
le Cibucan , qui est une espèce de sac allongé. Il pa
raît , d'après un passage d'Oviedo (lib . VII , c. 2. ) ,
400 LIVRE IV ,

que la Juca dulce qu'il appelle boniata , et qui est le


huacamote des Mexicains , ne se trouvait pas origi
nairement dans les îles Antilles , et qu'elle y a été
transplantée du continent voisin. « Le boniata , dit
« Oviedo , est semblable à celui de la terre ferme ; il
« n'est point vénéncux , et peut être mangé avec son
(( jus , soit cru , soit cuit ou rôti ». Les naturels sé

parent avec soin dans leurs champs ( conucos ) les deux


espèces de Jatropha.
Il est très remarquable que des plantes dont les pro
priétés chimiques sont si différentes , soient si diffi
ciles à distinguer par leurs caractères extérieurs. Brown,
dans son Histoire naturelle de la Jamaïque , a cru

trouver ces caractères dans la découpure des feuilles.


Il nomme la Juca douce sweet cassava, Jatropha fo
liis palmatis lobis incertis , et la Juca amère ou âcre ,
common cassava , Jatropha foliis palmatis pentadac
tylibus . Mais ayant examiné beaucoup de plantations
de manihot, j'ai vu que les deux espèces de Jatropha ,
comme toutes les plantes cultivées à feuilles lobées ou
palmées , varient prodigieusement dans leur aspect.
J'ai observé que les naturels distinguaient le manioc
doux du manioc vénéneux , moins par la plus grande
blancheur de la tige , et la couleur rougeâtre des

feuilles , que par le goût de la racine qui n'est point.


acre ou amer. Il en est du Jatropha cultivé comme de
l'oranger à fruit doux , que les botanistes ne savent

* Hist. ofJamaica , p. 349 et 350. Voyez aussi Acosta , lib. 4 , c. 17.


CHAPITRE IX . 401

pas distinguer de l'oranger à fruit amer, et qui ce


pendant , d'après les belles expériences de M. Galesio ,
est une espèce primitive qui se propage de graine
comme l'oranger amer. Quelques naturalistes , à
l'exemple du docteur Wright de la Jamaïque , ont
pris la Juca dulce pour le vrai Jatropha janipha de
Linné , ou le Janipha frutescens de Lōffling * . Mais
cette dernière espèce qui est le Jatropha carthagi
nensis de Jacquin , en diffère essentiellement par la
forme des feuilles ( lobis utrinque sinuatis ) qui res
semblent à celles du Papayer. Je doute fort que le

Janipha puisse se transformer par la culture en Ja


tropha manihot. Il paraît tout aussi peu probable
que la Juca douce soit un jatropha vénéneux , qui
par les soins de l'homme , ou par l'effet d'une longue
culture, ait perdu peu-à - peu l'âcreté de ses sucs : car le
Juca amarga des champs américains est resté le même

depuis des siècles , quoiqu'il soit planté et soigné


comme le Juca dulce . Rien n'est plus mystérieux que
cette différence d'organisation intérieure dans des végé
taux cultivés dont les formes extérieures sont presque
les mêmes .

Raynal ** croit que le manioc a été transporté


d'Afrique en Amérique pour servir à la nourriture
des nègres : il ajoute que, si toutefois le manioc existait
sur la Terre Ferme avant l'arrivée des Espagnols ,

* Reza til Spanska Länderna , 1758 , p. 309.


** Histoire philosophique, t. 3 , p. 212-214 .
11. 26
402 LIVRE IV ,

les naturels des Antilles ne le connaissaient pas du


temps de Colomb. Je crains que cet auteur célèbre ,
qui décrit d'ailleurs assez exactement les objets d'his
toire naturelle, n'ait confondu le manioc avec les igna
mes, c'est-à-dire le Jatropha avec une espèce de Dios
corea. Par quelle autorité peut-on prouver que le

manioc ait été cultivé en Guinée depuis les temps les


plus reculés ? Plusieurs voyageurs ont aussi prétendu
que le maïs était sauvage dans cette partie de l'Afrique ,
et cependant il est bien certain qu'il y a été trans
porté par les Portugais au seizième siècle. Rien n'est

plus difficile à résoudre que le problème de la mi


gration des plantes utiles à l'homme , surtout depuis
que les communications sont devenues si fréquentes
entre les divers continens. Fernandez de Oviedo ,

qui avait passé à l'île d'Hispaniola ou Saint- Do


mingue , dès l'année 1513 , et résidé , pendant
plus de vingt ans , dans les parties continentales.
du Nouveau Monde . parle du manioc comme

d'une culture très ancienne , et propre à l'Amé

rique. Si les nègres esclaves avaient porté le manioc


avec eux " Oviedo aurait vu de ses yeux le com

mencement de cette branche importante de l'agri


culture des tropiques. Il aurait cité l'époque à la
quelle on planta les premiers pieds de manioc ,
comme il rapporte dans le plus grand détail la
première introduction de la canne à sucre , du ba
nanier des Canaries , de l'olivier et du dattier. Ame
rigo Vespucci rapporte , dans sa lettre adressée
CHAPITRE IX. 403

au duc de Lorraine * , qu'il vit faire du pain de


manioc sur la côte de Paria , en 1497. « Les na
« tifs , dit ce voyageur, d'ailleurs peu exact dans son

<«< récit , ne connaissent pas notre blé et nos grains


< farineux ; ils tirent leur subsistance principale d'une
<
«
<< racine qu'ils réduisent en farine, et qu'ils appellentles
<«< uns iucha, d'autres chambi, d'autres igname. » Il est
facile de reconnaître le mot de iucca dans celui de iu

cha. Quant au mot igname , il désigne aujourd'hui la


racine du Dioscorea alata , que Colomb * décrit sous
le nom d'ages , et dont nous parlerons plus bas . Les
naturels de la Guyane espagnole qui ne reconnaissent
pas la domination des Européens, cultivent aussi le ma
nioc de toute antiquité. Manquant de vivres en passant
la seconde fois les rapidesde l'Orénoque , lors de notre
retour du Rio Negro , nous nous adressâmes à la
tribu des Indiens Piraoas qui vivent à l'est de May
purès , pour nous fournir du pain de Jatropha. Il ne
peut rester aucun doute sur la question de savoir si
le manioc est une plante dont la culture est plus an
cienne que l'arrivée des Européens et des Africains
en Amérique.
Le pain de manioc est très nourrissant , peut-être
à cause du sucre qu'il contient , et d'une matière vis
queuse qui réunit les molécules farineuses de la cas
save. On assure que cette matière a quelque analogie

Grynæus , p. 215.
** Ibidem , p. 66.
26.
404 LIVRE IV ,

avec le caoutchouc , qui est commun dans toutes les


plantes du groupe des Tithymaloïdes . On donne à la

cassave une forme circulaire . Les disques qu'on ap


pelle turtas ou xauxau dans l'ancienne langue d'Haïty,
ont un diamètre de cinq à six décimètres sur trois
millimètres d'épaisseur . Les naturels qui sont bien
plus sobres que les blancs , mangent généralement

moins d'un demi-kilogramme de manioc par jour. Le


manque de gluten mêlé à la matière amylacée , et le
peu d'épaisseur du pain , le rendent très cassant et
difficile à transporter. Cet inconvénient se fait surtout
sentir dans de longues navigations. La fécule du
manioc rapée , séchée et boucannée est presque
inaltérable. Les insectes et les vers ne l'attaquent pas ,

et tous les voyageurs connaissent dans l'Amérique


équinoxiale les avantages du couaque.
Ce n'est pas seulement la fécule du Juca amarga
qui sert de nourriture aux Indiens ; ils emploient aussi
le suc exprimé de la racine , qui , dans son état na
turel , est un poison actif. Ce suc se décompose par
le feu . Tenu long-temps en ébullition , il perd ses
propriétés vénéneuses à mesure qu'on l'écume. On
l'emploie sans danger comme sauce , et moi-même
j'ai pris souvent de ce suc brunâtre qui ressemble à
un bouillon très nourrissant. A Cayenne * on l'épaissit
pour en faire le cabiou , qui est analogue au souy
qu'on apporte de la Chine , et qui sert pour assaison

Aublet, Hist. des Plantes de la Guyanefrançaise , t. 2,p. 72.


CHAPITRE IX . 405

ner les mets. Il arrive de temps en temps des acci


dens très graves si le jus exprimé n'a pas été exposé
assez long-temps à la chaleur. C'est un fait très connu
aux îles , que jadis un grand nombre des naturels
d'Haïty se sont tués volontairement par le suc non
bouilli de la racine du Juca amarga . Oviedo rapporte

comme témoin oculaire , que ces malheureux , qui ,


comme plusieurs tribus africaines , préféraient la mort
à un travail forcé , se réunissaient par cinquantaines
pour avaler ensemble le jus vénéneux du Jatropha.
Ce mépris extraordinaire de la vie caractérise l'homme
sauvage dans les parties les plus éloignées du globe.
En réfléchissant sur la réunion de circonstances

accidentelles qui ont pu déterminer les peuples à se


livrer à tel ou tel genre de culture , on est étonné de
voir les Américains , au milieu d'une nature si riche ,
chercher, dans la racine vénéneuse d'une euphorbe
( tithymaloïde ) , cette même substance amylacée que
d'autres peuples ont trouvée dans la famille des gra
minées , dans celles des bananiers , des asperges (Dios
corea alata ) , des aroïdes ( Arum macrorrhizon . Dra

contium polyphyllum ) des solanées , des lizerons (Con


volvulus batatas , C. chrysorhizus ) , des narcisses
( Tacca pinnatifida ), des polygonées ( P. fagopyrum) ,
des orties (Artocarpus ) , des légumineuses et des fou
gères arborescentes (Cycas circinnalis) . On se demande

comment le sauvage qui découvrit le Jatropha ma


nihot, ne rejeta pas une racine dont une triste expé
rience devait lui indiquer les propriétés vénéneuses ,
406 LIVRE IV ,

avant qu'il pût en reconnaître les propriétés nutri


tives ? Mais peut-être la culture du Juca dulce , dont le
suc n'est pas nuisible , a -t-elle précédé celle du Juca
amarga , dont on retire aujourd'hui le manioc. Peut

être aussi le même peuple qui le premier eut le cou


rage de se nourrir de la racine du Jatropha manihot ,

avait-il auparavant cultivé les plantes analogues aux


Arum et aux Dracontium , dont le suc est âcre sans
être vénéneux . Il était aisé de remarquer que la fécule
extraite de la racine d'une aroïde est d'un goût d'au
tant plus agréable qu'on la lave plus soigneusement
pour la priver de son suc laiteux. Cette observation

très simple devait conduire naturellement à l'idée


d'exprimer les fécules et de les préparer de la même
manière que le manioc . On conçoit qu'un peuple qui

savait dulcifier les racines d'une aroïde , pouvait en


treprendre de se nourrir d'une plante du groupe des
euphorbes. Le passage est facile , quoique le danger
aille toujours en augmentant. En effet les naturels
des îles de la Société et des Moluques qui ne con
naissent pas le Jatropha manihot , cultivent l'Arum
macrorrhizon et le Tacca pinnatifida. La racine de
cette dernière plante nécessite les mêmes précautions
que le manioc , et cependant le pain de tacca rivalise,
au marché de Banda , avec le pain du sagoutier.
La culture du manioc nécessite plus de soin que
celle des bananiers ; elle ressemble à celle des pommes

de terre , et la récolte ne se fait que sept à neuf mois


après que les boutures ont été mises en terre. Un
CHAPITRE IX. 407

peuple qui sait planter le Jatropha , a déjà fait un


certain pas vers la civilisation . Il y a même des va
riétés de manioc , par exemple celles qu'à Cayenne on
appelle manioc bois blanc , et manioc mai-pourri
rouge, dont les racines ne peuvent être arrachées
qu'au bout de quinze mois. Le sauvage de la Nou
velle-Zélande n'aurait sans doute pas la patience d'at
tendre une récolte si tardive.

Des plantations de Jatropha manihot se trouvent


aujourd'hui le long des côtes , depuis l'embouchure
de la rivière de Guasacualco jusqu'au nord de Santan
der, et depuis Tehuantepec jusqu'à San Blas et Si
naloa , dans les régions basses et chaudes des inten
dances de Vera-Cruz , d'Oaxaca , de Puebla , de
Mexico, de Valladolid et de Guadalaxara. Un botaniste
judicieux qui n'a pas dédaigné , dans ses voyages , de

s'occuper de l'agriculture des tropiques , M. Aublet ,


dit avec raison « que le manioc est une des plus belles
<< et utiles productions du sol américain , et qu'avec
«< cette plante l'habitant de la zone torride pourrait
« se passer du riz et de toutes sortes de fromens ,
<< ainsi que de toutes les racines et fruits qui servent

« à nourrir l'espèce humaine . »


Le maïs occupe la même région que le bananier et
le manioc ; mais sa culture est encore plus importante
et surtout plus étendue que celle des deux plantes
que nous venons de décrire. En montant vers le pla
teau central , on rencontre des champs de maïs de
puis les côtes jusqu'à la vallée de Toluca qui a
408 LIVRE IV ,

2800 mètres d'élevation au-dessus du niveau de


l'Océan. L'année où manque la récolte du maïs est

une année de famine et de misère pour les habitans


du Mexique.
Il n'est plus douteux parmi les botanistes que le

maïs ou blé turc est un véritable blé américain , et


que c'est le Nouveau Continent qui l'a donné à l'An
cien. Il paraît aussi que la culture de cette plante a
précédé de beaucoup en Espagne celle des pommes de
terre. Oviedo , dont le premier essai sur l'histoire
naturelle des Indes fut imprimé à Tolède en 1525 ,
dit avoir vu du maïs cultivé en Andalousie et près de
la chapelle d'Atocha , dans les environs de Madrid.
Cette assertion est d'autant plus remarquable qu'un

passage d'Hernandez ( L. 7, chap. 40 ) , pourrait faire


croire que le maïs était encore inconnu en Espagne

du temps de Philippe II , vers la fin du seizième siècle.


Lors de la découverte de l'Amérique par les Euro
péens , le Zea maïs ( en langue aztèque tlaolli , en haï
tien mahiz, en quichua cara), était déjà cultivé depuis
la partie la plus méridionale du Chili jusqu'en Pen
sylvanie. D'après une tradition des peuples aztèques ,
ce sont les Toultèques qui , au septième siècle de
notre ère, ont introduit au Mexique la culture du maïs,du
coton et du piment. Il se pourrait cependant que ces
différentes branches d'agriculture aient existé avant les

*
* Rerum medicarum Nova Hispaniæ Thesaurus , 1651 , lib. 7 , c. 40 ,
P. 247.
CHAPITRE IX . 409
Toultèques, et que cette nation dont tous les historiens
ont célébré la grande civilisation n'eût fait que les
étendre avec succès. Hernandez nous apprend que

les Otomites mêmes , qui n'étaient qu'un peuple no

made et barbare , plantaient du maïs . La culture de


cette graminée s'étendait par conséquent jusqu'au
delà du Rio grande de Santiago , appelé jadis Tolo
lotlan. *

* M. Robert Brown , dont le nom est une si grande autorité dans


toutes les questions de géographie et d'histoire des plantes , regarde
aussi le maïs , le manioc , le capsicum et le tabac comme des plantes
d'une origine américaine ( Botany of Congo , page 50 ) , tandis que
M. Crawfurd, dans son excellent ouvrage sur l'Archipel de l'Inde
(tome 1, page 366), pense que le maïs, qui porte une dénomination non
importée, celle dejagang en malay , et de javanala en sanscrit (Ainslie,
Mat. med. of Hindostan , page 218 ) , a été cultivé dans cet Archipel
avant ladécouverte de l'Amérique. Des peuples de race malaye ou de la
Grande Polynesie auraient-ils porté , dans les temps les plus reculés ,
long-temps avant l'arrivée des Européens, le maïs et la banane d'Asie
en Amérique ? L'isolement botanique du genre Zea et son éloigne
ment de toutes les graminées qui croissent spontanément , sont des
faits bien remarquables. « Dans l'Asie orientale continentale , le maïs
n'a pas un nom propre ; il s'appelle en chinois yu-chu-chu , grains
de chu ou de yu ( jade ) , ou yu-my ( riz ressemblant au jade ) ; en ja
ponais , nanban-kibi, ou grains de nanban , et ordinairement froment
étranger ; en mandchou , aikha -chouchou , grains de verre colorié.
Dans legrand herbier chinois,qui porte le titre de Pen-thsao-kang-mou,
et qui fut composé vers le milieu du dix-septième siècle , il est dit
que le maïs a été importé en Chine des pays occidentaux. » ( Note ma
nuscrite de M. Klaproth ). On pourrait être frappé de voir que le
froment, un des cinq grains que les Chinois cultivèrent depuis la plus
haute antiquité , soit désigné en chinois par le nom de may-tsée ,
qui répond presque à la prononciation de maïs , mais il ne faut
410 LIVRE IV ,

Le maïs introduit dans le nord de l'Europe souffre


du froid, partout où la température moyenne n'atteint
pas sept ou huit degrés centigrades . De même sur le
dos des Cordillères , on voit le seigle et surtout l'orge
végéter vigoureusement à des hauteurs qui , à cause de
l'intempérie du climat , ne sont pas propres à la cul
ture du maïs. Mais , en revanche , ce dernier descend
jusqu'aux régions les plus chaudes de la zone torride ,
et jusque dans des plaines où l'épi du froment , de
l'orge et du seigle ne parviennent pas à se dévelop
per. Il en résulte que , sur l'échelle des différens genres
de culture , le maïs occupe aujourd'hui , dans la partie
équinoxiale du Mexique , une étendue beaucoup plus
considérable que les céréales de l'ancien continent.
Le maïs est aussi celle de toutes les graminées utiles
à l'homme dont le périsperme farineux a le plus de
volume.

On croit communément que cette plante est la seule


espèce de blé que les Américains aient connue avant l'ar
rivée des Européens. Il paraît cependant assez certain
qu'au Chili on cultivait , au quinzième siècle et bien
avant , outre le Zea maïs et le Zea curagua , deux

graminées appelées magu et tuca , dont , selon l'abbé


Molina , la première était une espèce de seigle , et la
seconde une espèce d'orge . Le pain fait de ce blé arau

pas oublier que le mot maïs est une corruption de mahiz , unique
ment usité à Haïti ou Saint-Domingue , et que sur les côtes opposées
à l'Asie , les noms de cette graminée n'ont aucune analogie avec le
radical may. Aussi en celte et livonien , maise signifie pain.
CHAPITRE IX . 411

cain était désigné sous la dénomination de covque,


mot qui a passé dans la suite au pain fait avec le blé
d'Europe * . Hernandez prétend même avoir trouvé
chez les Indiens de Mechoacan une espèce de froment **
qui , d'après sa description très succincte , se rapproche
du blé d'abondance ( Triticum compositum ) , que

l'on croit originaire d'Egypte . Malgré toutes les infor


mations que j'ai prises pendant mon séjour dans l'in
tendance de Valladolid , il m'a été impossible d'éclair
cir ce point important pour l'histoire des céréales .
Personne n'y connaît un froment propre au pays , et
je soupçonne que Hernandez a nommé Triticum mi

chuacanense, quelque variété du blé d'Europe devenu


sauvage , et croissant sur un sol très fertile.
La fécondité du tlaolli ou maïs mexicain est au

delà de tout ce que l'on peut imaginer en Europe. La


plante , favorisée par de fortes chaleurs et par beau
coup d'humidité , acquiert une hauteur de deux à trois

mètres. Dans les belles plaines qui s'étendent depuis


San Juan del Rio à Queretaro , par exemple , dans les
terres de la grande métairie de l'Esperanza , une fa
uègue de maïs en produit quelquefois huit cents. Des
terrains fertiles en donnent , année commune , trois à
quatre cents. Dans les environs de Valladolid on re
garde comme mauvaise une récolte qui ne donne que
130 ou 150 fois la semence. Là où le sol est le plus

Molina, Histoire naturelle du Chili, p. 101.


..
Hernandez, p. 7, 43. - Clavigero , 1, p. 56 , note F.
412 LIVRE IV,

stérile on compte encore soixante ou quatre-vingts


grains. On croit qu'en général le produit du maïs peut
être évalué , dans la région équinoxiale du royaume
de la Nouvelle-Espagne , à cent cinquante pour un.
La seule vallée de Toluca en récolte par an plus de
600,000 fanegas * sur une étendue de trente lieues
carrées , dont une très grande partie est cultivée en
Agave. Entre les parallèles de 18 et 22 degrés , les ge
lées et les vents froids rendent cette culture peu lu

crative sur les plateaux dont la hauteur excède trois


mille mètres. Le produit annuel du maïs dans l'in
tendance de Guadalaxara est , comme nous l'avons ob
servé plus haut , de plus de quatre-vingts millions de
kilogrammes.
Sous la zone tempérée , entre les 33 et 38 degrés
de latitude, par exemple dans la Nouvelle-Californie ,
le maïs ne produit en général , année commune , que
70 à 80 grains pour un. En comparant les mémoires
manuscrits que je possède du Père Fermin Lassuen ,
avec les tableaux statistiques publiés dans la Relation
historique du voyage de M. de Galeano , je serais
en état d'indiquer village par village les quantités de
maïs semées et récoltées. Je trouve qu'en 1791 douze
missions de la Nouvelle- Californie ** récoltèrent 7625
fanegas sur un terrain qui avait été ensemencé avec

*
Une fanega pèse quatre arrobes ou cent livres, dans quelques
provinces cent vingt livres ( 50 à 60 kilogrammes ).
** Viagé de la Sutil, p. 168.
CHAPITRE IX . 413

96. En 1801 la récolte de seize missions a été de 4661


fanègues , tandis que la quantité qu'on avait semée ne
montait qu'à 66. Il en résulte pour la première année
un produit de 79 , pour la seconde de 70 grains pour
un . En général , cette côte , comme tous les pays
froids , paraît plus propre à la culture des céréales
d'Europe . Cependant les mêmes tableaux que j'ai sous
les yeux prouvent que dans quelques parties de la
Nouvelle-Californie , par exemple dans les champs qui
appartiennent aux villages de San Buenaventura et de
Capistrano , le maïs a donné souvent de 180 à 200
fois sa semence .

Quoique l'on cultive au Mexique une grande quan


tité de blé , le maïs doit être regardé comme la nour
riture principale du peuple. Il est aussi celle de la plu
part des animaux domestiques. Le prix de cette denrée
modifie celui de toutes les autres dont il est pour ainsi
dire la mesure naturelle. Lorsque la récolte est pau
vre, soit par manque de pluie , soit par des gelées pré
coces, la disette est générale , et a les effets les plus
funestes. Les poules , les dindons et même les grands
bestiaux en souffrent également. Un voyageur qui tra
verse une province dans laquelle le maïs a gelé , ne
trouve ni œuf , ni volaille , ni pain d'arepa , ni farine
pour faire l'atole , qui est une bouillie nourrissante et
agréable. La cherté des vivres se fait surtout sentir
aux environs des mines mexicaines ; dans celles de
Guanaxuato , par exemple , où quatorze mille mulets
nécessaires aux ateliers d'amalgamation consomment
414 LIVRE IV ,

annuellement une énorme quantité de maïs. Nous


avons déjà cité plus haut l'influence que les disettes
ont eue périodiquement sur les progrès de la popu
lation de la Nouvelle-Espagne. La disette affreuse de
l'année 1784 fut l'effet d'une forte gelée qui se fit sen
tir à une époque où l'on devait le moins s'y attendre
sous la zone torride , le 28 août , et à la hauteur peu
considérable de dix-huit cents mètres au- dessus du
niveau de l'Océan.

De toutes les graminées que l'homme cultive , au


cune n'est aussi inégale dans son produit. Ce produit
dans le même terrain , selon les changemens d'humi
dité et de température moyenne de l'année , varie de
40 à 200 ou 300 grains pour un . Si la récolte est
bonne , le colon fait une fortune plus rapide avec le
maïs qu'avec le froment , et l'on peut dire que cette
culture participe aux avantages et aux désavantages
de celle de la vigne. Le prix du maïs varie de 2 livres
10 sous à 25 livres la fanègue. Le prix moyen est de
5 livres dans l'intérieur du pays ; mais le frêt l'aug
mente tellement que , pendant mon séjour dans l'in
tendance de Guanaxuato , la fanègue coûtait à Sala
manca 9 , à Queretaro 12 , et à San Luis Potosi 22 livres.

Dans un pays où il n'y a pas de magasin , et où les


naturels ne vivent qu'au jour le jour , le peuple souf
fre immensément lorsque le maïs se soutient pendant
long-temps au prix de deux piastres ou 10 livres la
fanègue alors les naturels se nourrissent de fruits
d'arbres non mûris , de baies de cactus et de racines.
CHAPITRE IX . 415
Cette mauvaise nourriture fait naître chez eux des

maladies ; et l'on observe que les disettes sont ordi


nairement accompagnées d'une grande mortalité parmi
les enfans .

Dans les régions chaudes et très humides le maïs


peut donner deux à trois récoltes par an ; mais géné
ralement on n'en fait qu'une seule . On le sème depuis
la mi-juin jusque vers la fin d'août . Entre les nom
breuses variétés de cette graminée nourrissante, il y en
a une dont l'épi mûrit deux mois après que le grain
a été semé. Cette variété précoce est très connue en
Hongrie , et M. Parmentier a essayé d'en propager la
culture en France. Les Mexicains qui habitent les côtes
de la mer du Sud en préfèrent une autre que déjà
Oviedo assure avoir vue dans la province de Nica
ragua , et qui se récolte en moins de trente à qua
rante jours. Je me souviens aussi de l'avoir observée
près de Tomependa , sur les bords de la rivière des
Amazones ; mais toutes ces variétés de maïs dont la

végétation est si rapide , paraissent avoir le grain


moins farineux , et presque aussi petit , que le Zea
curagua du Chili.
L'utilité que les Américains tirent du maïs est trop
connue pour que j'aie besoin de m'y arrêter ici. L'u
sage du riz est à peine aussi varié en Chine et aux
grandes Indes. On mange l'épi cuit dans l'eau , ou rôti.
Le grain écrasé donne un pain nourrissant ( arepa )

* Lib. 7 , c. 1 , p. 103.
416 LIVRE IV ,

quoique non fermenté et pâteux , à cause de la petite


quantité de gluten qui est mêlée à la fécule amylacée.
La farine est employée comme le gruau pour faire les
bouillies que les Mexicains appellent atole , et aux
quelles on mêle du sucre , du miel , quelquefois même
de la pomme de terre broyée. Le botaniste Hernandez *

décrit seize espèces d'atole qu'il vit faire de son


temps.
Un chimiste aurait de la peine à préparer cette in
nombrable variété de boissons spiritueuses , acides ou
sucrées que les indiens savent faire avec une adresse
particulière , en mettant en infusion le grain de mais
dans lequel la matière sucrée commence à se déve
lopper par la germination . Ces boissons que l'on dé
signe communément par le mot chicha , ressemblent
les unes à la bière , les autres au cidre. Sous le gou
vernement monastique des Incas il n'était pas permis
au Pérou de fabriquer des liqueurs enivrantes , sur
tout celle que l'on appelle vinapu et sora ** . Les des

potes mexicains s'intéressaient moins aux mœurs pu


bliques et privées ; aussi l'ivrognerie était - elle déjà
très commune parmi les Indiens du temps de la dynas
tie aztèque. Mais les Européens ont multiplié les jouis
sances du bas peuple en introduisant la culture de la
canne à sucre. Aujourd'hui chaque hauteur offre à
l'indien des boissons particulières. Les plaines voisines

* Lib.
7, c. 40 , p. 244.
**
* Garcilasso, lib. 8 , c. 9. ( T. 1 , p. 277.) Acosta , lib. 4 , c. 16 , p. 238.
CHAPITRE IX. 417

des côtes lui fournissent l'eau-de-vie de canne à su

cre ( guarapo ou aguardiente de caña ) , et la chicha


de manioc. Sur la pente des Cordillères abonde la
chicha de mais. Le plateau central est le pays des

vignes mexicaines ; c'est là que se trouvent les plan


tations d'agave , qui fournissent la boisson favorite des

naturels , le pulque de maguey. L'indien aisé ajoute


à ces productions du sol américain une liqueur qui
est plus chère et plus rare ; l'eau-de-vie de raisin
(aguardiente de Castilla ) , en partie fournie par le
commerce de l'Europe , en partie distillée dans le
pays même. Voilà de nombreuses ressources pour
un peuple qui aime les liqueurs fortes jusqu'à l'excès.
Avant l'arrivée des Européens , les Mexicains et les
Péruviens exprimaient le suc de la tige du maïs, pour en
faire du sucre. On ne se contentait pas de concentrer ce
suc par évaporation ; on savait préparer le sucre brut
en faisant refroidir le sirop épaissi . Cortez , en dé
crivant à l'empereur Charles-Quint toutes les denrées
que l'on vendait au grand marché de Tlatelolco , lors
de son entrée à Tenochtitlan , nomme expressément
le sucre mexicain . « On vend , dit-il , du miel d'abeilles
« et de la cire , du miel de tiges de maïs , qui sont
« aussi douces que les cannes à sucre , et du miel d'un

« arbuste que le peuple appelle maguay. Les naturels


<
«< font du sucre de ces plantes
< et ce sucre , ils le
< vendent aussi. » Le chaume de toutes les graminées
«
contient la matière sucrée , surtout près des nœuds.
La quantité du sucre que peut fournir le maïs dans
II. 27
418 LIVRE IV ,

la zone tempérée , paraît cependant très peu consi


dérable ; sous les tropiques , au contraire , sa tige fis
tuleuse est tellement sucrée , que j'ai vu souvent les
Indiens la sucer, comme les nègres sucent la canne à
sucre. Dans la vallée de Toluca on écrase le chaume

du maïs entre des cylindres , et on prépare de son suc


fermenté une liqueur spiritueuse appelée pulque de
mahis ou de tlaolli , liqueur qui est un objet de com
merce assez important.
Des tableaux statistiques dressés dans l'intendance
de Guadalaxara , dont la population est de plus d'un
demi-million , d'habitans , rendent probable qu'année
moyenne , la production actuelle du maïs est , dans

toute la Nouvelle-Espagne , de plus de dix-sept mil


lions de fanègues ou de plus de huit cent millions de
kilogrammes en poids. Ce grain se conserve au Mexi
que , dans les climats tempérés , pendant trois ans ,
dans la vallée de Toluca et dans tous les plateaux

dont la température moyenne est au - dessous de qua


torze degrés centigrades pendant cinq ou six ans ,
surtout si on ne coupe pas le chaume sec avant que
le grain mûr ait été un peu frappé de la gelée.
Dans les bonnes années , le royaume de la Nou
velle-Espagne produit beaucoup plus de maïs qu'il
n'en peut consommer. Comme
Comme le pays réunit , dans un
petit espace , une grande variété de climats , et que
le maïs ne réussit presque jamais à-la-fois dans la
région chaude ( tierras calientes ) , et sur le plateau
central dans les tierras frias , le transport de ce
CHAPITRE IX. 419

grain vivifie singulièrement le commerce intérieur.


Le maïs , comparé au blé d'Europe , a le désavantage
de contenir une moindre quantité de substance nour
rissante sous un volume plus grand. Cette circon
stance et la difficulté des chemins sur la pente des
montagnes s'opposent à son exportation . Elle sera
plus fréquente , lorsqu'on aura terminé la construction
de la belle chaussée qui doit mener de Vera-Cruz
à Xalapa et à Perote. En général , les îles , et sur
tout celle de Cuba , consomment une énorme quan
tité de maïs. Ces îles en manquent souvent , parce que
l'intérêt de leurs habitans est fixé presque exclusive
ment sur la culture de la canne à sucre et du café ;
quoique des agriculteurs instruits aient observé de
puis long-temps que , dans le district contenu entre
la Havane , le port de Batabano et Matanzas , des
champs cultivés en maïs , et par des mains libres ,
donnent plus de revenu net qu'une plantation de canne
à sucre ; cette dernière culture exige des avances énor
mes pour l'achat des esclaves , leur entretien et la con
struction des ateliers.
S'il est probable qu'on semait jadis au Chili , outre
le maïs , deux autres graminées à semences farineuses ,
et qui appartenaient au même genre que notre orge
et notre froment, il n'en est pas moins certain qu'avant
l'arrivée des Espagnols en Amérique , on n'y con
naissait aucune des céréales de l'ancien continent. En
supposant que les hommes sont tous descendus d'une

même souche , on pourrait être tenté d'admettre que


27.
420 LIVRE IV ,

les Américains , comme les Atlantes * , se sont séparés


du reste du genre humain , avant que le froment fût
cultivé sur le plateau central de l'Asie. Mais doit-on

se perdre dans des temps fabuleux pour expliquer


d'anciennes communications qui paraissent avoir existé
entre les deux continens ? Du temps d'Hérodote , toute
la partie septentrionale de l'Afrique n'offrait encore
d'autres peuples agriculteurs que les Egyptiens et les
Carthaginois **. Dans l'intérieur de l'Asie, les tribus de
race mongole , les Hiong-nu , les Burattes , les Kalkas
et les Sifanes , ont constamment vécu en nomades
pasteurs. Or, si ces peuples de l'Asie centrale , ou si
les Lybiens de l'Afrique avaient pu passer dans le
Nouveau-Continent , ni les uns ni les autres n'y au
raient introduit la culture des céréales . Le manque

de ces graminées ne prouve donc ni contre l'origine


asiatique des peuples américains , ni contre la possi
bilité d'une transmigration assez récente.
L'introduction du blé d'Europe ayant eu l'in

fluence la plus heureuse sur le bien-être des naturels


du Mexique , il est intéressant de rapporter à quelle
époque cette nouvelle branche d'agriculture a com
mencé. Un nègre esclave de Cortez avait trouvé trois
ou quatre grains de froment parmi le riz qui servait
de nourriture à l'armée espagnole. Ces grains furent

*
Voyez l'opinion énoncée par Diodore de Sicile. Bibl. lib. 3 , rag.
·Rhodom. 186.
** Heeren über Africa , p. 41.
CHAPITRE IX. 421

semés, à ce qu'il paraît , avant l'année 1530. La culture

du blé est , par conséquent , un peu plus ancienne au


Mexique qu'au Pérou . L'histoire nous a conservé le

nom d'une dame espagnole , Marie d'Escobar, femme


de Diego de Chaves , qui porta la première quelques
grains de froment à la ville de Lima , appelée alors
Rimac . Le produit des récoltes qu'elle obtint de ces
grains fut distribué pendant trois ans entre les nou
veaux colons , de manière que chaque fermier en reçut
vingt ou trente grains. Garcilasso se plaint déjà de
l'ingratitude de ses compatriotes , qui connaissaient
à peine le nom de Marie d'Escobar. Nous ignorons
l'époque précise à laquelle commença la culture des
céréales au Pérou , mais il est certain qu'en 1547 , on

ne connaissait point encore le pain de froment à la


ville de Couzco * . A Quito , le premier blé européen
a été semé près du couvent de Saint-François par le
père Josse Rixi , natif de Gand en Flandre. Les moines
y montrent encore avec intérêt le vase de terre dans
lequel le premier froment est venu de l'Europe , et
qu'ils regardent comme une relique précieuse ** . Que
n'a-t-on conservé partout le nom de ceux qui , au lieu
de ravager la terre , l'ont enrichie les premiers de
plantes utiles à l'homme!

Comentarios reales 1x. 24. T. 2, p. 332. « Maria de Escobar, digna


« de un gran estado llevó el trigo al Perú. Por otro tanto adoráron los
· gentiles á Ceres por Diosa , y de esta matrona no hicieron cuenta los de
"• mi tierra..
** Voyez mes Tableaux de la Nature , t. 2 , p. 166.
422 LIVRE IV ,

La région tempérée , surtout les climats où la cha


leur moyenne de l'année n'excède pas dix-huit à dix
neuf degrés centigrades , paraît le plus favorable à la
culture des céréales , en n'embrassant sous cette dé

nomination que les graminées nourrissantes connues


des anciens , savoir , le froment , l'épautre , l'orge ,
l'avoine et le seigle * . En effet , dans la partie équi
noxiale du Mexique , les céréales de l'Europe ne sont
cultivées nulle part dans des plateaux dont l'élévation
est au-dessous de huit à neuf cents mètres ; et nous
avons observé plus haut que sur la pente des Cordil

lères entre Vera-Cruz et Acapulco , on ne voit géné


ralement commencer cette culture qu'à la hauteur de
douze ou treize cents mètres . Une longue expérience
a prouvé aux habitans de Xalapa que le froment semé
autour de leur ville végète vigoureusement , mais qu'il

ne monte pas en épis. On le cultive parce que son


chaume et son feuillage succulens servent de fourrage
(zacate) aux bestiaux . Il est très certain cependant
que , dans le royaume de Guatimala , et , par consé
quent , plus près de l'équateur, le blé mûrit à des hau

teurs qui sont beaucoup moindres que celles de la


ville de Xalapa. Une exposition particulière , des vents

* Triticum (Tupes ) Spelta ( α ) Hordeum ( xpton ) Avena ( Bpwuos de


Dioscoride, et non le Boucs de Théophraste ) et Secale (tipn). Je n'exa
minerai point ici si l'avoine et le seigle ont été vraiment cultivés par
les Romains , et si Théophraste et Plire ont connu notre Secale cereale.
Comparez Dioscor. 11, 116. IV, 140 , pag. Saracen. 126 et 294 , avec
Columella 1. 10 et Theophr. vIII , 1-4 avec Plin. 11. 126.
CHAPITRE IX . 423

frais qui soufflent dans la direction du Nord , et d'autres


causes locales peuvent modifier l'influence du climat.
J'ai vu , dans la province de Caraccas , les plus belles
moissons de froment , près de la Victoria ( lat. 10 ° 13′
)
à cinq ou six cents mètres de hauteur absolue , et il
paraît que les champs de blé qui entourent les Quatro

Villas, dans l'île de Cuba ( lat . 21 ° 58′) , ont une éléva


tion encore moindre. A l'Ile- de-France (lat. 20° 10') ,
on cultive du froment sur un terrain qui est presque
au niveau de l'Océan.

Les colons européens n'ont point assez varié leurs


expériences , pour savoir quel est le minimum de hau
teur à laquelle les céréales peuvent venir dans la région
équinoxiale du Mexique. Le manque absolu de pluie
pendant les mois d'été y est d'autant plus contraire au
froment que la chaleur du climat est plus grande.

Il est vrai que la sécheresse et les chaleurs sont aussi


très considérables en Syrie et en Egypte. Mais ce der
nier pays , si riche en blé , a un climat qui diffère es

sentiellement de celui de la zone torride ; le sol y con


serve toujours un certain degré d'humidité qui est dû
aux inondations bienfaisantes du Nil. D'ailleurs les

végétaux qui appartiennent aux mêmes genres que


nos céréales , ne se trouvent sauvages que dans des
climats tempérés , et même dans ceux de l'ancien con
tinent. A l'exception de quelques arundinacées gigan
tesques qui sont des plantes sociales , les graminées
paraissent , en général , infiniment plus rares dans la
zone torride que dans la zone tempérée , où elles do
424 LIVRE IV ,

minent , pour ainsi dire , sur les autres végétaux .


Nous ne devons donc pas nous étonner que les cé
réales , malgré la grande flexibilité d'organisation
qu'on leur attribue , et qui leur est commune avec les
animaux domestiques , viennent mieux sur le plateau
central du Mexique , dans la partie montueuse où elles
trouvent le climat de Rome et de Milan , que dans les
plaines qui avoisinent l'Océan équinoxial.
Si le sol de la Nouvelle - Espagne était arrosé par
des pluies plus fréquentes , il serait l'un des terrains
les plus fertiles que les hommes aient défriché dans

les deux hémisphères. Le héros qui , au milieu d'une
guerre sanglante , eut les yeux fixés sur toutes les
branches de l'industrie nationale , Hernan Cortez
écrivait à son souverain , peu après le siège de Te
nochtitlan : << Toutes les plantes d'Espagne viennent
<< admirablement bien dans cette terre. Nous ne fe

<< rons point ici ce que nous avons fait aux îles , où
« nous avons négligé la culture et détruit les habi

<«< tans. Une triste expérience doit nous rendre plus


«< prudens. Je supplie votre majesté d'ordonner à la

« Casa de Contratacion de Seville qu'aucun bâtiment


<< ne puisse mettre à la voile pour ce pays , sans charger
<< une certaine quantité de plantes et de graines . » La
grande fertilité du sol mexicain est incontestable , mais
le manque d'eau dont nous avons parlé au troisième
chapitre diminue souvent l'abondance des récoltes.

Lettre à l'empereur Charles -Quint, datée de la grande ville de Temix


titan, le 15 octobre 1524 .
CHAPITRE IX . 425

On ne connaît que deux saisons dans la région


équinoxiale du Mexique , même jusqu'au vingt-hui
tième degré de latitude boréale ; la saison des pluies
(estacion de las aguas ) qui commence au mois de
juin ou de juillet et finit au mois de septembre ou
d'octobre , et la saison des sécheresses ( el estio ) qui
dure huit mois , depuis octobre jusqu'à la fin de mai .
Les premières pluies se font généralement sentir sur
la pente orientale de la Cordillère. La formation des
nuages et la précipitation de l'eau dissoute dans l'air

commencent sur les côtes de Vera- Cruz . Ces phéno


mènes sont accompagnés de fortes explosions élec
triques ; ils ont lieu successivement à Mexico , à Gua
dalaxara et sur les côtes occidentales. L'action chi
mique se propage de l'est à l'ouest dans la direction

des vents alisés , et les pluies tombent quinze ou vingt


jours plus tôt à Vera-Cruz que sur le plateau central.
Quelquefois on voit dans les montagnes et même au
dessous de deux mille mètres de hauteur absolue , des
pluies mêlées de grésil et de neige , dans les mois de
novembre , de décembre et de janvier ; mais ces pluies
sont très courtes : elles ne durent que quatre à cinq
jours ; et , quelque froides qu'elles soient , on les
regarde comme très utiles pour la végétation du
froment et pour les pâturages . En général , au
Mexique comme en Europe , les pluies sont plus
fréquentes dans la région montueuse , surtout dans
cette partie des Cordillères , qui s'étend depuis le Pic
d'Orizaba par Guanaxuato , Sierra de Pinos , Zacatecas
426 LIVRE IV ,

et Bolaños jusqu'aux mines de Guarisamey et du


Rosario .

La prospérité de la Nouvelle-Espagne dépend de


la proportion établie entre la durée des deux saisons

de pluie et de sécheresse. Il est très rare que l'agri


culteur ait à se plaindre d'une trop grande humidité ,
et si quelquefois le maïs et les céréales d'Europe sont
exposés à des inondations partielles dans les plateaux
dont plusieurs forment des bassins circulaires fermés

par des montagnes , le blé semé sur les pentes des


collines en végète avec d'autant plus de vigueur. De
puis le parallèle de 24° jusqu'à celui de 30 °, les pluies
sont plus rares et très courtes . Heureusement les neiges
dont l'abondance est assez considérable depuis les 26°
de latitude , suppléent à ce manque de pluie.
L'extrême sécheresse à laquelle est exposée la Nou
velle-Espagne depuis le mois de juin jusqu'au mois
de septembre , force les habitans , dans une grande
partie de ce vaste pays , à des arrosemens artificiels.
Il n'y a de riches moissons de froment qu'autant qu'on
a fait des saignées aux rivières , et qu'on a mené les
eaux de très loin par des canaux d'irrigation . Ce sys
tème de rigoles est surtout suivi dans les belles plaines
qui bordent la rivière de Santiago, appelée Rio Grande,
et dans celles que l'on trouve entre Salamanca , Ira
puato et la Villa de Léon . Des canaux d'arrosement

(acequias ) , des réservoirs d'eau (presas) et des roues


à godets ( norias ) , sont des objets de la plus grande
importance pour l'agriculture mexicaine . Semblable à
CHAPITRE IX . 427

la Perse et à la partie basse du Pérou , l'intérieur de la


Nouvelle -Espagne est infiniment productif en grami
nées nourrissantes , partout où l'industrie de l'homme
a diminué la sécheresse naturelle du sol et de l'air *.

Nulle part aussi le propriétaire d'une grande ferme


ne sent plus souvent le besoin d'employer des ingé
nieurs qui sachent niveler le terrain , et qui connais
sent les principes des constructions hydrauliques. Ce
pendant à Mexico , comme partout ailleurs , on a pré
féré les arts qui plaisent à l'imagination à ceux qui
sont indispensables aux besoins de la vie domestique.
On est parvenu à former des architectes qui jugent
savamment de la beauté et de l'ordonnance d'un édi
fice ; mais rien n'y est plus rare encore que des per

sonnes capables de construire des machines , des digues


et des canaux. Heureusement le sentiment du besoin
a excité l'industrie nationale et une certaine sagacité

propre à tous les peuples montagnards , supplée en


quelque sorte au manque d'instruction.
Dans les endroits qui ne sont pas arrosés artificiel
lement , le sol mexicain n'offre des pâturages que jus
qu'aux mois de mars et d'avril. A cette époque où
souffle fréquemment le vent du sud- ouest ( viento de
la Misteca ) , qui est sec et chaud , toute verdure dis
paraît , les graminées et les autres plantes herbacées
se sèchent peu-à -peu. Ce changement est d'autant
plus sensible que les pluies de l'année précédente ont

* Voyez plus haut , p. 47 et 141 .


428 LIVRE IV ,

été moins abondantes , et que l'été est plus chaud .


C'est alors , et surtout au mois de mai , que le fro
ment souffre beaucoup s'il n'est point arrosé artificiel
lement. La pluie ne réveille la végétation qu'au mois
de juin ; aux premières ondées , les champs se cou
vrent de verdure ; le feuillage des arbres se renouvelle ,
et l'Européen qui se rappelle sans cesse le climat de
son pays natal , se réjouit doublement de cette sai

son des pluies , parce qu'elle lui offre l'image du


printemps .

En indiquant les mois de sécheresse et de pluie ,


nous avons décrit la marche que suivent communé

ment les phénomènes météorologiques. Depuis quel


ques années cependant , ces phénomènes ont paru
dévier de la loi générale , et les exceptions ont été
malheureusement au désavantage de l'agriculture. Les

pluies sont devenues plus rares et surtout plus tar


dives. L'année où j'ai visité le volcan de Jorullo , la
saison des pluies retarda de trois mois entiers ; elle
commença au mois de septembre et ne dura que jusque
vers la mi-novembre. On observe au Mexique que le

maïs qui souffre des gelées de l'automne bien plus que


le froment , a l'avantage de se rétablir plus facilement
après de longues sécheresses. Dans l'intendance de
Valladolid , entre Salamanca et le lac de Cuizeo ,
j'ai vu des champs de maïs que l'on croyait per
dus , végéter avec une vigueur étonnante après deux
ou trois jours de pluie. La grande largeur des
feuilles contribue sans doute beaucoup à la nutri
CHAPITRE IX. 429

tion et à la force végétative de cette graminée amé


ricaine.

Dans les fermes (haciendas de trigo) dans lesquelles


le système d'irrigation est bien établi , par exemple ,
près de Léon , Silao et Irapuato , on arrose le fro
ment à deux époques , la première fois dès que la

jeune plante sort de terre au mois de janvier ; et la


seconde au commencement de mars , lorsque l'épi est
près de se développer. Quelquefois même avant de
semer, on inonde le champ entier. On observe qu'en
y laissant séjourner les eaux pendant plusieurs se
maines , le sol s'imprègne tellement d'humidité que le

froment résiste plus facilement à de longues séche


resses . On sème à la volée , au moment même où l'on
a fait écouler les eaux en ouvrant les rigoles. Cette
méthode rappelle la culture du froment dans la Basse
Egypte , et ces inondations prolongées diminuent en
même temps l'abondance des herbes parasites qui se
mêlent à la récolte en fauchant , et dont une partie
a malheureusement passé en Amérique avec le blé
d'Europe .
La richesse des récoltes est surprenante dans les
terrains cultivés avec soin , surtout dans ceux que l'on

arrose, ou qui sont ameublis par plusieurs labours.


La partie la plus fertile du plateau est celle qui s'étend
depuis Queretaro jusqu'à la ville de Léon . Ces plaines
élevées ont trente lieues de long sur huit à dix de large.
On y récolte en froment 35 à 40 fois la semence ,

plusieurs grandes fermes peuvent compter sur 50 ou


430 LIVRE IV,

60 grains. J'ai trouvé la même fertilité dans les champs


qui s'étendent depuis le village de Santiago jusqu'à
Yurirapundaro dans l'intendance de Valladolid. Dans
les environs de Puebla , Atlisco et Zelaya , dans une
grande partie des évêchés de Michoacan et de Gua
dalaxara , le produit est de 20 à 30 grains pour un.
Un champ y est considéré comme peu fertile , lors
qu'une fanègue de froment semée ne rend , année
moyenne , que seize fanègues. A Cholula , la récolte

commune est de 30 à 40 grains , mais elle excède sou


vent 70 à 80. Dans la vallée de Mexico , on compte

200 grains pour le maïs , et 18 ou 20 pour le froment.


Je fais observer que les nombres rapportés ici ont toute

l'exactitude que l'on peut desirer dans un objet aussi im


portant pour la connaissance des richesses territoriales.
Desirant vivement connaître les produits de l'agricul

ture sous les tropiques , j'ai pris tous les renseignemenș


sur les lieux mêmes ; j'ai confronté les données qui
m'ont été fournies par des colons intelligens , et qui
habitaient des provinces très éloignées les unes des
autres. J'ai porté d'autant plus de précision dans ce
travail que , né dans un pays où le blé donne à peine
le quatrième ou le cinquième grain , j'étais disposé plus
qu'aucun autre à me méfier des exagérations des agro
nomes , exagérations qui sont les mêmes au Mexique ,
en Chine , et partout où l'amour-propre des habitans
veut profiter de la crédulité des voyageurs.
Je n'ignore pas qu'à cause de la grande inégalité
avec laquelle on sème dans les différens pays , il au
CHAPITRE IX . 431

rait mieux valu comparer le produit des récoltes à


l'étendue du terrain ensemencé. Mais les mesures

agraires sont si inexactes , et il y a si peu de fermes


au Mexique dans lesquelles on connaisse avec préci
sion le nombre de toises ou de vares carrées qu'elles
embrassent , qu'il a fallu m'en tenir à la simple com
paraison du froment récolté avec le froment semé.
Les recherches auxquelles je m'étais livré pendant
mon séjour au Mexique , m'avaient donné pour ré
sultat , qu'année commune , le produit moyen de tout
le pays est de 22 à 25 grains pour un. Retourné en

Europe, j'avais formé de nouveau quelques doutes


sur la précision de ce résultat important , et j'aurais
peut-être hésité de le publier , si je n'avais pu con
sulter sur cet objet , tout récemment et à Paris même ,
une personne respectable et éclairée qui habite les
colonies espagnoles depuis trente ans , et qui s'y est
livrée avec beaucoup de succès à l'agriculture. M.
Abad, chanoine de l'église métropolitaine de Valla
dolid de Mechoacan , m'a assuré que , d'après ses cal
culs , le produit moyen du froment mexicain , loin
d'être au-dessous de vingt-deux grains , est probable
ment de 25 à 30 , ce qui , d'après les calculs de La
voisier et de Necker , excède cinq à six fois le pro
duit moyen de la France.

Près de Zelaya les agriculteurs m'ont fait voir la


différence énorme de produit qu'il y a entre les terres
arrosées artificiellement et celles qui ne le sont pas .
Les premières qui reçoivent les eaux du Rio Grande ,
432 LIVRE IV ,

distribuées par des saignées dans plusieurs étangs ,


donnent 40 à 50 fois le grain semé , tandis que les

champs qui ne jouissent pas du bienfait de l'irrigation


n'en rendent que quinze ou vingt. On a ici le même
défaut dont les agronomes se plaignent dans presque

toutes les parties de l'Europe , celui d'employer trop


de semaille , de sorte que le grain se perd et s'étouffe.
Sans cet usage, le produit des récoltes paraîtrait plus
grand encore que nous ne venons de l'indiquer.
Il sera utile de consigner ici une observation * faite
près de Zelaya par une personne digne de confiance et
très accoutumée à des recherches de ce genre. M. Abad
prit au hasard dans une belle pièce de blé de plusieurs
arpens d'étendue , quarante plantes de froment ( Triti
cum hybernum ) . Il plongea les racines dans l'eau pour
les dépouiller de toute terre , et il trouva que chaque
graine avait donné naissance à quarante , soixante ,
et même à soixante-dix tiges. Les épis étaient pres
que tous également bien garnis. On compta le nom
bre des grains qu'ils contenaient , et on trouva que
ce nombre excédait souvent cent , et même cent vingt.

Le terme moyen parut de quatre-vingt-dix. Quelques


épis contenaient jusqu'à cent soixante grains. Voilà
sans doute un exemple de fertilité bien frappant ! On
remarque en général que le froment talle énormé
ment dans les champs mexicains , qu'un seul grain y

* Sobre lafertilidad de las tierras en la Nueva- España , por Don Ma


nuel Abad y Queipo, depuis évêque de Mechoacan. (Note manuscrite ré
digée en 1808.)
CHAPITRE IX . 433

pousse un grand nombre de chaumes , et que chaque


plante a des racines extrêmement longues et touffues.
Les colons espagnols appellent cet effet de la vigueur
de la végétation , el macollar del trigo..
Au nord de ce district éminemment fertile de Ze

laya , Salamanca et Léon , le pays est d'une aridité


extrême , sans rivières , sans sources , et offrant sur de
vastes étendues des croûtes d'argile endurcie (tepetate )
que les cultivateurs appellent des terrains durs et
froids, et à travers lesquels les racines des plantes
herbacées pénètrent difficilement. Ces couches d'ar
gile que j'ai aussi retrouvées dans le royaume de Quito ,
ressemblent de loin à des bancs de rochers dénués de

toute végétation . Elles appartiennent à la formation


trappéenne , et accompagnent constamment , sur le
dos des Andes du Pérou et du Mexique , les basaltes ,

les grunstein , les amygdaloïdes et les porphyres am


phiboliques. Dans d'autres parties de la Nouvelle
Espagne au contraire , dans la belle vallée de Santiago ,
et au sud de la ville de Valladolid , les basaltes et les
amygdaloïdes décomposés ont formé par suite des
siècles un terreau noir et très productif; aussi les
champs fertiles qui entourent l'Alberca de Santiago
rappellent-ils les terrains basaltiques du Mittelgebirge
de la Bohême.

Nous avons décrit plus haut *, en traitant de la statis


tique particulière des provinces , les déserts sans eaux

*
Chap. 8 , p. 249.
II. 28
434 LIVRE IV ,

qui séparent la Nouvelle-Biscaye du Nouveau-Mexi

que. Tout le plateau qui s'étend depuis Sombrerete


au Saltillo , et de là vers la Punta de Lampazos , est une
plaine nue et aride dans laquelle ne végètent que des
cactus et d'autres plantes épineuses. Il n'y a aucun
vestige de culture , si ce n'est sur quelques points , où ,
comme autour de la ville du Saltillo , l'industrie de
l'homme a réuni un peu d'eau pour arroser les champs.
Nous avons également tracé le tableau de la Vieille

Californie dont le sol est un roc dénué à-la-fois de
terreau et de sources. Toutes ces considérations s'ac
cordent à prouver ce que nous avons avancé dans le
livre précédent , qu'à cause de son extrême sécheresse
une partie considérable de la Nouvelle- Espagne située
au nord du Tropique , n'est pas susceptible d'une
grande population . Aussi quel contraste frappant entre
la physionomie de deux pays voisins , entre le Mexique
et les Etats-Unis de l'Amérique septentrionale ! Dans
ces derniers le sol n'est qu'une vaste forêt sillonnée
par un grand nombre de rivières qui débouchent dans
des golfes spacieux . Le Mexique au contraire offre à
l'est et à l'ouest un littoral boisé , et dans son centre
un massif énorme de montagnes colossales , sur le dos
desquelles se prolongent des plaines dépourvues d'ar
bres, et d'autant plus arides , que la température de
l'air ambiant y est augmentée par la réverbération
des rayons solaires. Dans le nord de la Nouvelle-Es


Chap. 8, p. 264.
CHAPITRE IX. 435

pagne , comme au Thibet , en Perse , et dans toutes

les régions montueuses , une partie du pays ne sera


rendue propre à la culture des céréales que lorsqu'une
population concentrée et parvenue à un haut degré de
civilisation aura vaincu les obstacles que la nature
oppose aux progrès de l'économie rurale. Mais cette

aridité , nous le répétons ici , n'est pas générale ; elle


est compensée par l'extrême fertilité que l'on observe
dans les contrées méridionales , même dans cette partie
des Provincias internas qui avoisinent les rivières ,
dans les bassins du Rio del Norte , du Gila , de l'Hia

qui , du Mayo , du Culiacan , du Rio del Rosario , du


Rio de Conchos , du Rio de Santander , du Tigre , et
des nombreux torrens de la province de Texas.
Dans l'extrémité la plus septentrionale du royaume ,
sur les côtes de la Nouvelle-Californie , le produit du
froment est de 16 à 17 grains pour un , en prenant le
terme moyen entre les récoltes de dix-huit villages
pendant deux ans. Je crois que les agronomes verront
avec intérêt le détail de ces récoltes dans un pays si
tué sous le même parallèle qu'Alger , Tunis et la Pa
lestine , entre les 32°39 ' et 37°48′ de latitude.

28
436 LIVRE IV ,

NOMS 1791. 1802. RÉCOLTE


FANÈGUES DE FANÈGUES DE CONSIDÉRÉE COMME MEL
DES VILLAGES TIPLE DU GRAIN SENÉ,
FROMENT. FROMENT.
de la
NOUVELLE-CALIFORNIE. SEME. RÉCOLTE. SEME. RÉCOLTE. 1791. 1802.

SAN DIEGO. 60 3021 50 3/10


SAN LUIS REY DE FRANCIA. 100 1200 12
SAN JUAN CAPISTRANO . 80 1586 103 2908 19 8/10 28 2/10)
SAN GABRIEL. 178 3700 282 3800 20 7/10 13 4/10
SAN FERNANDO. 100 2800 28
SAN BUENAVENTURA. 44 259 3500 5 8/10 36 4/10
SANTA BARBARA. 65 1500 113 2876 23 25 4/10
LA PURISSIMA CONCEPCION. 76 800 96 3500 10 5/10 36 4/10
SAN LUIS OBISPO. • 86 1078 161 4000 12 5/10 25 4/10
SAN MIGUEL. 70 1600 22 8/10
SOLEDAD. 78 500 6 4/10
SAN ANTONIO de Padua. 90 952 139 1200 10 5/10 8 7/10
SAN CARLOS.. 71 221 60 240 3 1/10 4
SAN JUAN BAuptista. 52 1200 23 1/10
SANTA CRUZ.. 60 550 9 1/10
SANTA CLARA. 64 1400 129 2000 21 8/10 15 5,10
SAN JOSE. 84 1200 14 3/10
SAN FRANCISCO. 60 680 233 2322 11 3/10 9 9/10

874 15197 4/10 17 2/10


1956 35396 17 4/10

Il paraît que la partie la plus septentrionale de


cette côte est moins favorable à la culture du froment

que celle qui s'étend depuis San Diego jusqu'à San Mi


guel. D'ailleurs dans des terrains récemment défrichés
le produit du sol est plus inégal que dans des pays
anciennement cultivés , quoiqu'on n'observe dans au
cune partie de la Nouvelle-Espagne cette diminution
progressive de fertilité qui afflige les nouveaux colons
partout où l'on a abattu les forêts pour les convertir
en terres labourables .
Les personnes qui ont réfléchi sérieusement sur les
CHAPITRE IX. 437
richesses du sol mexicain , savent que, par le moyen

d'une culture plus soignée , et sans supposer des tra


vaux extraordinaires pour l'irrigation des champs , la
portion de terrain déjà défrichée pourrait fournir de
la subsistance pour une population huit ou dix fois
plus nombreuse. Si les plaines fertiles d'Atlixco , de
Cholula et de Puebla ne produisent pas des récoltes
plus abondantes , la cause principale doit en être
cherchée dans le manque de consommateurs , et dans
les entraves que les inégalités du sol opposent au com
merce intérieur des grains , surtout à leur transport
vers les côtes qui sont baignées par la mer des An
tilles. Nous reviendrons plus bas sur cet objet inté
ressant , en traitant de l'exportation de la Vera-Cruz .

Quelle est actuellement la récolte en grain dans


toute la Nouvelle - Espagne ? On sent combien ce
problême doit être difficile à résoudre dans un pays
où le gouvernement , depuis la mort du comte de
Revillagigedo , a si peu favorisé les recherches sta
tistiques. En France même les estimations de Ques
nay , Lavoisier et Arthur Young varient de quarante
cinq et cinquante jusqu'à soixante - quinze millions
de setiers , à 117 kilogrammes pesant. Je n'ai pas
de données positives sur les quantités de seigle et
d'orges récoltées au Mexique , mais je crois pouvoir
calculer approximativement la production moyenne
en froment. En Europe l'estimation la plus sûre est
celle qui se fonde sur la consommation évaluée de
chaque individu . C'est le moyen employé avec succès
438 LIVRE IV ,

par MM. Lavoisier et Arnould . Mais cette méthode


ne peut être suivie , lorsqu'il s'agit d'une population
composée d'élémens très hétérogènes . L'Indien et le
Métis , habitans de la campagne , ne se nourrissent
que de pain de maïs et de manioc. Les blancs créoles

qui vivent dans les grandes villes , consomment bien


plus de pain de froment que ceux qui séjournent ha
bituellement dans les fermes. La capitale , qui compte

plus de 33,000 Indiens , exige annuellement près de


dix-neuf millions de kilogrammes de farine. Cette con
sommation est presque la même que celle des villes

d'Europe également peuplées , et si , d'après cette base ,


on voulait calculer la consommation de tout le royaume

de la Nouvelle- Espagne , on parviendrait à un résultat


qui serait plus de cinq fois trop grand .
D'après ces considérations je préfère la méthode
qui se fonde sur des estimations partielles. La quan
tité de froment récolté en 1802 , dans l'intendance de
Guadalaxara , était , selon le tableau statistique que l'in
tendant de cette province a communiqué à la Chambre
de commerce de Vera- Cruz , de 43,000 cargas , ou de
6,450,000 kilogrammes. Or , la population de l'inten
dance de Guadalaxara est à-peu-près un neuvième de la
population totale. Il y a dans cette partie du Mexique
un grand nombre d'Indiens qui mangent du pain de
maïs , et l'on y compte peu de villes populeuses ha
bitées par des blancs aisés. D'après l'analogie de cette

récolte partielle , la récolte générale de la Nouvelle- Es


pagne ne serait que de 59 millions de kilogrammes.
CHAPITRE IX . 439

Mais en ajoutant 36 millions de kilogrammes à cause


de l'influence bienfaisante qu'a la consommation des

villes de Mexico , Puebla et Guanaxuato , sur la cul
ture des districts circonvoisins , et à cause des Provin
cias internas dont les habitans vivent presque exclu
sivement de pain de froment , on trouve pour tout le

royaume près de dix millions de myriagrammes , ou


plus de 800,000 setiers. Cette estimation donne un
résultat trop faible , parce que dans le calcul que nous
venons de présenter on n'a pas séparé convenable
ment les provinces septentrionales de la région équi
noxiale. Cette séparation est cependant dictée par la

nature de la population même.


Dans les Provincias internas le plus grand nombre

* Chap. 8 , p. 87 et 158. J'ai formé , d'après des matériaux exacts


que je possède , le tableau suivant dans lequel la consommation en
farine est comparée avec le nombre des habitans.

VILLES. CONSOMMATION POPULATION.


DE FARINE.

MEXICO. · 19,100,000 kilogr. 150,000


PUEBLA. 7,790,000 67,300
LA HAVANE. 5,230,000 130,000
PARIS. 111,300,000 714,000

La consommation de Paris est évaluée d'après des renseignemens


communiqués , en 1825 , par M. le comte de Chabrol. Voy. aussi
Peuchet , Statistique élémentaire de la France , p. 372. Le bas peuple ,
à la Havane, mange beaucoup de cassave et d'arepa. La consommation
annuelle de la Havane est , en prenant le terme moyen de quatre
ans , de 427,018 arrohes, ou de 58,899 barriles. (Papel periodico dela
Havana , 1801 , n. 12 , p. 46. )
440 LIVRE IV ,

des habitans sont blancs , ou réputés tels ; on en


compte 400,000. En supposant leur consommation
en froment proportionnelle à celle de la ville de Pue
bla , on la trouve de 6 millions de myriagrammes. On
peut admettre , en calculant d'après la récolte annuelle
de l'intendance de Guadalaxara , que dans les régions
méridionales de la Nouvelle-Espagne, dont la popu
lation mixte est évaluée à 5,437,000, la consommation
de froment dans les campagnes , est de 5,800,000
myriagrammes. En ajoutant 3,600,000 myriagrammes
pour la consommation des grandes villes intérieures ,
de Mexico , Puebla et Guanaxuato , on trouve pour
la consommation totale de la Nouvelle - Espagne
au-delà de quinze millions de myriagrammes , ou
1,280,000 setiers de 240 livres pesant.

On pourrait être étonné de trouver , d'après ce


calcul, que les Provincias internas dont la popula
tion n'est qu'un quatorzième de la population totale,
consomment plus que le tiers de la récolte du Mexique.
Mais il ne faut pas oublier que dans ces provinces
septentrionales le nombre des blancs est à la masse
totale des Espagnols ( créoles et européens ) comme
1 à 3 , et que c'est principalement cette caste qui con
somme les farines de froment. Des 800,000 blancs
qui habitent la région équinoxiale de la Nouvelle-Es
pagne, près de 150,000 vivent sous un climat exces
sivement chaud dans les plaines voisines des côtes , et
se nourrissent de manioc et de bananes. * Ces résultats,

* Voyez plus haut , p. 388.


CHAPITRE IX. 441

je le répète , ne sont que de simples approximations ;


mais il m'a paru d'autant plus intéressant de les pu
blier , que déjà pendant mon séjour à Mexico , ils ont
fixé l'attention du gouvernement . On est sûr d'exci
ter l'esprit de recherches , lorsqu'on avance un fait
qui intéresse la nation entière , et sur lequel on n'a
point encore hasardé de calculs.

En France la récolte totale en grains , c'est -à -dire


en froment , en seigle et en orge , était , selon Lavoi
sier , avant la révolution , et par conséquent à une
époque où la population du royaume montait à 25
millions d'habitans , de 58 millions de setiers , ou de
6786 millions de kilogrammes . Or , d'après les auteurs
de la feuille du cultivateur , le froment récolté est
en France à toute la masse des grains comme 5 : 17.
Il en résulte que le produit en froment seul était ,
avant 1789 , de 17 millions de setiers , ce qui est , en
s'arrêtant aux quantités absolues , et sans considérer
les populations des deux empires , à-peu- près treize
fois plus que le froment récolté au Mexique. Cette
comparaison s'accorde assez bien avec les bases de
mon estimation antérieure. Car le nombre d'habitans

de la Nouvelle-Espagne , qui se nourrissent habituel


lement de pain de froment , n'excède pas 1,300,000 ;
et il est de plus connu , que les Français consomment
plus de pain que les peuples de race espagnole , sur
tout ceux qui habitent l'Amérique.
Mais à cause de l'extrême fertilité du sol , les quinze
millions de myriagrammes de froment que produit ac
442 LIVRE IV ,

tuellement la Nouvelle- Espagne , sont récoltés sur une


étendue de terrain quatre à cinq fois plus petite que
celle que la même récolte exigerait en France. On doit

s'attendre, il est vrai , à mesure que la population mexi


caine fera des progrès , à voir diminuer cette fertilité
que l'on peut appeler moyenne , et qui indique les

vingt-quatre grains pour un comme le produit total


des récoltes . Partout les hommes commencent par cul
tiver les terres les moins arides , et le produit moyen
doit diminuer naturellement lorsque l'agriculture em·
brasse une plus grande étendue , et par conséquent
une plus grande variété de terrains. Mais dans un

vaste empire comme le Mexique , cet effet ne se ma


nifeste que très tard , et l'industrie des habitans aug

mente avec la population et avec le nombre des besoins .


Nous allons réunir dans un même tableau les con

naissances que nous avons acquises sur le produit


moyen des céréales dans les deux continens. Il ne s'a

git ici ni des exemples d'une fertilité extraordinaire


observée dans une petite étendue de terrain , ni du
blé planté selon la pratique des Chinois . Le produit
serait à-peu-près le même sous toutes les zones , si , en
choisissant le terrain , on cultivait les céréales avec le
même soin qu'on donne aux plantes potagères. Mais
en traitant de l'agriculture en général , il ne peut être
question que de grands résultats , de calculs dans les

quels la récolte totale d'un pays est regardée comme mul


tiple de la quantité de froment semé. On trouve que
ce multiple, que l'on peut regarder comme un des pre
CHAPITRE IX . 443

miers élémens de la prospérité des peuples , varie de


la manière suivante :

5 à 6 grains pour un , en France , d'après Lavoisier


et Necker. On évalue , d'après M. Peu
chet , que 4,400,000 arpens semés en
froment , donnent annuellement 5280
millions de livres pesant , ce qui fait
1173 kilogrammes par hectare. C'est
aussi le produit moyen dans le nord de
l'Allemagne , en Pologne , et , selon

M. Rühs , en Suède . En France on


compte dans quelques districts éminem

ment fertiles des départemens de l'Es


caut et du Nord 15 pour un , dans les
bonnes terres de Picardie et de l'Ile

de-France 8 à 10 pour un , et dans les


terres les moins fertiles 4 à 5 grains. *

8 à 10 grains pour un , en Hongrie , en Croatie et en


Esclavonie , d'après les recherches de
M. Swartner.

12 grains pour un , dans le royaume de la Plata,


surtout dans les environs de Monte

video , d'après Don Félix Azara . Près


de la ville de Buenos-Ayres on compte

jusqu'à 16 grains. Dans le Paraguay ,


la culture des céréales ne s'étend pas au

* Peuchet , statistique, p. 290.


444 LIVRE IV ,

nord , vers l'équateur , au-delà du pa


rallèle de 24 degrés . *

17 grains pour un dans la partie septentrionale


du Mexique , et à la même distance de

l'équateur que le Paraguay et Buenos


Ayres.
24 grains pour un dans la région équinoxiale du
Mexique, à deux ou trois mille mètres
de hauteur au - dessus du niveau de

l'Océan . On y compte 5000 kilogrammes


par hectare. Dans la province de Pasto,
que j'ai traversée au mois de novem
bre 1801 , et qui fait partie du royaume
de Santa-Fé , les plateaux de la Vega de
San Lorenzo , Pansitara et Almaguer**
produisent communément 25 , dans des
années très fertiles 35 , dans des années
froides et sèches 12 grains pour un.

Au Pérou , dans la belle plaine de Caxa


marca ✰✰✰ 9 arrosée par les rivières de
Mascon et Utusco , et célèbres par la

défaite de l'Inca Atahualpa , le froment


donne 18 à 20 grains .
Les farines mexicaines entrent en concurrence , au
marché de la Havane , avec les farines des États-Unis.

* Voyage d'Azara , t. 1 , p. 140.


** Lat. 1°54' bor. Hauteur absolue , 2300 mètres.
*** Lat. 7°8′ aust. Hauteur absolue , 2860 mètres. Voyez mon Re
cueil d'observations astronomiques , vol. I , p. 316.
CHAPITRE IX . 445

Quand le chemin que l'on construit depuis le plateau


de Perote jusqu'à Vera -Cruz sera entièrement achevé,
le blé de la Nouvelle - Espagne sera exporté pour
Bordeaux , Hambourg et Bremen. Les Mexicains au

ront alors un double avantage sur les habitans des


États-Unis , celui d'une plus grande fertilité du ter
roir, et celui d'un main- d'œuvre moins chère. Il se
rait bien intéressant sous ce rapport du pouvoir

comparer ici le produit moyen des différentes pro


vinces de la confédération américaine avec les résul
tats que nous avons obtenus pour le Mexique. Mais
la fertilité du sol , et l'industrie des habitans , varient
si fort de province à province , qu'il est difficile de
trouver le terme moyen qui correspond à la récolte
totale. Quelle différence entre la belle culture des en
virons de Lancaster et de plusieurs parties de la Nou
velle-Angleterre, et celle de la Caroline septentrionale !
« Un fermier anglais , dit l'immortel Washington dans
<< une de ses lettres à Arthur Young , doit avoir une
«< opinion extrêmement désavantageuse ( a horrid

« idea ) de l'état de notre agriculture , ou de la nature


« de notre sol , s'il apprend qu'un acre ne produit
<
«< chez nous que huit ou dix bushels. Mais il ne doit
« pas oublier que dans tous les pays où les terres
<< sont à bon marché , et où la main-d'œuvre est
« chère , on aime mieux cultiver beaucoup que cul

« tiver bien. On n'y fait généralement que gratter

48 Much ground has been scratched over , and none cultivated as


446 LIVRE IV ,

<
«< laterre , au lieude labourer avec soin. »> D'après les re
cherches récentes de M. Blodget , que l'on peut regarder
comme assez exactes , on trouve les résultats suivans :
Dans les provinces atlantiques à
l'est des montagnes Alleghanys, PAR ACRE. PAR HECTARE.
En terres riches. 32 bushels 2372 kilogr.
En terres médiocres. 9 667
Dans le territoire de l'ouest entre
les Alleghanys et le Mississipi,
En terres riches, 40 2965
En terres médiocres. 25 1853

On voit par ces données que , dans les intendances


mexicaines de Puebla et de Guanaxuato , où règne ,

sur le dos des Cordillères , le climat de Rome et de


Naples , le terroir est plus riche et plus productif que
dans les parties les plus fertiles des Etats- Unis.
Comme , depuis la mort du général Washington ,
les progrès de l'agriculture ont été très considérables
dans la région de l'ouest , surtout dans le Kentucky,
le Tennessée et la Louisiane , je crois que l'on peut
regarder 13 à 14 bushels comme le terme moyen des
récoltes actuelles , ce qui ne fait cependant encore que

1,000 kilogrammes par hectare , ou moins de quatre


grains pour un. En Angleterre , on évalue communé

ment la récolte en froment de 19 à 20 bushels par


acre , ce qui donne 1,450 kilogrammes par hectare.
Cette comparaison , nous le répétons ici , n'an
nonce pas une plus grande fertilité du sol de la

<< it ought to have been ». Cette lettre intéressante a été publiée dans
le Statistical Manuel for the United States , 1806 , p. 96. Un acre a 4029
mètres carrés. Un bushel de froment pèse 30 kilogrammes.
CHAPITRE IX . 447

Grande-Bretagne. Loin de nous donner une idée ef


frayante de la stérilité des provinces atlantiques des
Etats-Unis , elle prouve seulement que , partout où

le colon est maître d'une vaste étendue de terrain ,


l'art de cultiver le sol ne se perfectionne qu'avec une
extrême lenteur. Aussi les mémoires de la société

d'agriculture de Philadelphie offrent différens exem


ples de récoltes qui ont excédé 38 à 40 bushels par
acre , chaque fois qu'en Pensylvanie les champs ont
été labourés avec les mêmes soins qu'en Irlande et
en Flandre . *

* En France , d'après M. Tessier , dont les ouvrages ont tant con


tribué aux progrès de l'agriculture , l'arpent légal ou royal des eaux et
forêts ( demi-hectare ) , à 1344 toises carrées , est ensemencé à la
volée en bonnes terres , avec 160 livres de grains de froment ; en
terres médiocres de 200 à 220. Le produit est sur un sol très fertile ,
par arpent légal , de 2400 à 2500 livres ; dans un sol médiocre de
1100 à 1200 livres ; dans un mauvais sol de 900 à 1000 livres. Le
produit moyen en France s'élève par arpent à 1000 livres pesant. La
pomme de terre , en terre ameublée et fumée , rend par arpent légal
à 5107 mètres carrés , en produit moyen , 3000 livres pesant de ra
cines ; en excellentes terres , 5000 à 6000. D'après M. Dandolo la
même pertica donne , en Lombardie , 208 livres de froment et 1800
livres de pommes de terre. (Bibliothèque universelle, 1807. Août, p. 189.)
Aux Etats-Unis , en Pensylvanie , on sème aujourd'hui , d'après M.
Albert Gallatin , 1 ou 1 et demi boisseau par acre, et l'on récolte un
produit moyen de 16 boisseaux de froment , rarement au-dessous
de 12 , et dans les terrains extrêmement fertiles , 25 à 28 boisseaux.
La récolte que j'ai vue dans les vallées d'Aragua ( république
de Colombia ) , était de 3200 livres de froment par arpent légal
ou des eaux et forêts de France , quantité qui équivaut à 44 bois
seaux anglais par acre anglais. ( Relation historique , tome 11, page
53. )
I

448 LIVRE IV ,

Après avoir comparé le produit moyen des terres


au Mexique , à Buenos-Ayres , aux Etats-Unis et en

France , jetons un coup-d'œil rapide sur le prix de la


journée dans ces différens pays. Au Mexique , on la
compte de deux reales de plata ( de 26 sols ) dans les
régions froides , et de deux réaux et demi ( de 32 sols )
dans les régions chaudes , où l'on manque de bras et
où les habitans sont en général très paresseux . Ce prix
de la main-d'œuvre doit paraître assez modique , lors
qu'on considère la richesse métallique du pays , et
la quantité d'argent qui est constamment en cir
culation . Aux États-Unis , où les blancs ont repoussé
la population indienne au-delà de l'Ohio et du Mis
sissipi , la journée est de 3 fr. 10 s . à 4 fr. En
France , on peut l'évaluer de 30 à 40 sols , et au
Bengale , d'après M. Titzing , à 6 sols . Aussi , malgré
l'énorme différence du fret , le sucre des Grandes Indes
est à meilleur marché à Philadelphie que celui de la
Jamaïque. Il résulte de ces données , qu'actuellement
le prix de la journée au Mexique est au prix de la
journée
en France == 5 : 6.
aux Etats -Unis = 5 12 .

au Bengale =5 : I.

Le prix moyen du froment est , dans la Nouvelle


Espagne , de quatre à cinq piastres , ou de 20 à 25 fr.
la charge ( carga) , qui pèse 150 kilogrammes. C'est
le prix auquel on achète dans les campagnes , chez le
fermier même. A Paris , depuis plusieurs années ,
CHAPITRE IX . 449

150 kilogrammes de froment coûtent 30 francs. A la


ville de Mexico la cherté du transport renchérit telle
ment le blé, que le prix ordinaire y est de 9 à 10 piastres
la charge. Les extrêmes , aux époques de la plus grande
ou de la moindre fertilité , y sont 8 et 14 piastres. Il
est facile de prévoir que le prix du blé mexicain bais
sera considérablement lorsque les chemins seront con

struits sur la pente des Cordillères , et qu'une plus


grande liberté de commerce favorisera les progrès de
l'agriculture.
Le froment mexicain est de la meilleure qualité ;
on peut le comparer au plus beau blé d'Andalousie :
il est supérieur à celui de Montevideo , qui , selon
M. Azara, a le grain moitié plus petit que le blé d'Es
pagne. Au Mexique , le grain est très gros , très blanc
et très nourrissant , surtout dans les fermes où l'ar
rosage est employé. On observe que le froment des
montagnes ( trigo de sierra ) , c'est-à-dire celui qui
croît à de très grandes hauteurs sur le dos des Cor
dillères , a le grain couvert d'une pellicule plus épaisse ,
tandis que le blé des régions tempérées abonde en
matière glutineuse. La qualité des farines dépend
principalement de la proportion qui existe entre le

gluten et l'amidon , et il paraît naturel que , sous un


climat qui favorise la végétation des graminées , l'em
bryon et le réseau celluleux * de l'albumen , que les

* Mirbel, sur la germination des graminées. Annales du Muséum


d'Hist. nat. vol. 13 , p. 147.
II. 29
450 LIVRE IV ,

physiologistes regardent comme le siège principal du


gluten , deviennent plus volumineux .
Au Mexique, le blé se conserve difficilement au - delà

de deux ou trois ans , surtout dans les climats tempé


rés , et l'on n'a point assez réfléchi sur les causes de ce
phénomène. Il serait prudent d'établir des magasins
dans les parties les plus froides du pays . On trouve ,
d'ailleurs , un préjugé établi dans plusieurs ports de
l'Amérique espagnole , celui que les farines des Cordil
lères se conservent moins long-temps que les farines
des Etats-Unis. La cause de ce préjugé , qui a été sur
tout très nuisible à l'agriculture de la Nouvelle - Gre
nade , est facile à deviner. Les négocians qui habitent
les côtes opposées aux îles Antilles , et qui se trouvent
gênés par des prohibitions de commerce , ceux de
Carthagène , par exemple, ont un grand intérêt d'en
tretenir des liaisons avec les Etats-Unis . Les doua
niers sont assez indulgens pour prendre quelquefois
un bâtiment de Philadelphie pour un bâtiment de
l'île de Cuba .

Le seigle et surtout l'orge résistent mieux au froid


que le froment . On les cultive sur les plateaux les plus
élevés. L'orge donne encore des récoltes abondantes
à des hauteurs où le thermomètre se soutient rarement

de jour au-delà de quatorze degrés . Dans la Nouvelle


Californie , en prenant le terme moyen des récoltes de
treize villages , l'orge a produit, en 1791 , vingt-quatre ;
en 1802 , dix-huit grains pour un.
L'avoine est très peu cultivée au Mexique. On la
CHAPITRE IX . 451

voit même assez rarement en Espagne , où les chevaux


sont nourris avec de l'orge , comme du temps des Grecs
et des Romains . Le seigle et l'orge sont rarement atta
qués d'une maladie que les Mexicains appellent cha
quistle, et qui détruit souvent les plus belles récoltes de
froment , lorsque le printemps et le commencement de
l'été ont été très chauds , et que les orages sont fré
quens. On croit communément que cette maladie du
grain est causée par de petits insectes qui remplissent
l'intérieur du chaume , et qui empêchent le suc nourri
cier de monter jusqu'à l'épi.
Une plante à racine nourrissante , qui appartient
originairement à l'Amérique , la pomme de terre ( So
lanum tuberosum ) , paraît avoir été introduite au
Mexique , à- peu- près à la même époque que les cé
réales de l'ancien continent. Je ne déciderai point la

question si les papas ( c'est l'ancien nom péruvien


sous lequel les pommes de terre sont aujourd'hui con
nues dans toutes les colonies espagnoles ) sont venues
au Mexique conjointement avec le Schinus molle * du
Pérou , et , par conséquent , par la voie de la Mer du
Sud ; ou si les premiers conquérans les ont apportées
des montagnes de la Nouvelle-Grenade. Quoi qu'il en
soit , il est certain qu'on ne les connaissait pas du temps
de Montezuma , et ce fait est d'autant plus important ,
qu'il est un de ceux dans lesquels l'histoire des migra
tions d'une plante se lie à l'histoire des migrations des
peuples.
·
Hernandez, lib. 3 , c. 15 , p. 54.
29.
452 LIVRE IV ,

La prédilection qu'ont certaines tribus pour la cul


ture de certaines plantes indique le plus souvent , soit
une identité de race , soit d'anciennes communications
entre des hommes qui vivent sous des climats divers.
Sous ce rapport, les végétaux , comme les langues et les
traits de la physionomie des nations , peuvent devenir
des monumens historiques. Ce ne sont pas seulement
les peuples pasteurs , ou ceux qui vivent uniquement
de la chasse, qui, poussés par un esprit inquiet et guer
rier, entreprennent de longs voyages . Les hordes d'ori
gine germanique , cet essaim de peuples, qui , de l'inté
rieur de l'Asie , se porta sur les rives du Borysthène et
du Danube , les sauvages de la Guyane nous offrent
de nombreux exemples de tribus qui , se fixant pour
quelques années , défrichent de petites étendues de
terrain , y sèment les grains qu'elles ont récoltés , et
abandonnent ces cultures à peine ébauchées, dès qu'une
mauvaise année ou quelqu'autre accident les dégoûte
du site récemment occupé. C'est ainsi que des peuples

de race mongole se sont portés depuis le mur qui sé


pare la Chine de la Tartarie jusqu'au centre de l'Eu
rope; c'est ainsi que , du nord de la Californie et des

bords du fleuve Gila , des peuples américains ont re


flué jusque dans l'hémisphère austral . Partout nous
voyons des torrens de hordes errantes et belliqueuses
se frayer un chemin au milieu de peuples paisibles et
agriculteurs. Immobiles comme le rivage , ces derniers
réunissent et conservent avec 1 soin les plantes nour
rissantes et les animaux domestiques qui ont accom
1
CHAPITRE IX . 453

pagné les tribus nomades dans leurs courses loin


taines. Souvent la culture d'un petit nombre de vé
gétaux , de même que des mots étrangers mêlés à des
langues d'une origine différente , sert à désigner la
route par laquelle une nation a passé d'une extrémité
du continent à l'autre.

Ces considérations auxquelles j'ai donné plus de


développement dans mon Essai sur la Géographie
des Plantes , suffisent pour prouver combien il est
important pour l'histoire de notre espèce , de con
naître avec précision jusqu'où s'étendait primitive
ment le domaine de certains végétaux avant que l'es

prit de colonisation des Européens fût parvenu à réunir


les climats les plus éloignés. Si les céréales , si le riz *
des Grandes-Indes étaient inconnus aux premiers ha
bitans de l'Amérique , en revanche le maïs , la pomme
de terre et le quinoa , ne se trouvaient cultivés ni dans
l'Asie orientale , ni dans les îles de la Mer du Sud . Le
maïs ** a été introduit au Japon par les Chinois , qui ,
selon l'assertion de quelques auteurs , doivent l'avoir
connu depuis les temps les plus reculés . Cette asser
tion , si elle était fondée , jetterait du jour sur les an

* Qu'est-ce que le riz sauvage dont parle M. Mackenzie , graminée


qui ne croît pas au-delà des 50 " de latitude , et dont les naturels du
Canada se nourrissent pendant l'hiver Voyage de Mackenzie , 1 ,
P. 156.
**
Thunberg, Flora Japonica , p. 37. Le maïs s'appelle en japonais
Sjo Kuso, et Too Kibbi, Le mot kuso indique une plante herbacée , et le
mot too annonce une production exotique.
454 LIVRE IV ,

ciennes communications que l'on suppose avoir existé


entre les habitans des deux continens . Mais où sont

les monumens qui attestent que le maïs ait été cultivé


en Asie avant le seizième siècle ? D'après les recher
ches savantes du père Gaubil * , il paraît même douteux
que , mille ans plus tôt , les Chinois eussent visité les

côtes occidentales de l'Amérique , comme un historien


justement célèbre , M. de Guignes , l'avait avancé. Nous
persistons à croire que le maïs n'a point été transplanté
du plateau de la Tartarie à celui du Mexique , et qu'il
est tout aussi peu probable qu'avant la découverte
de l'Amérique par les Européens , cette graminée
précieuse ait été portée du Nouveau-Continent en
Asie.

La pomme de terre nous présente un autre problème


très curieux , si on l'envisage sous un rapport histo
rique. Il paraît certain , comme nous l'avons rapporté
plus haut , que cette plante , dont la culture a eu la
plus grande influence sur les progrès de la population
en Europe , n'était pas connue au Mexique avant l'ar
rivée des Espagnols . Elle fut cultivée à cette époque
au Chili , au Pérou , à Quito , dans le royaume de la
Nouvelle -Grenade , sur toute la Cordillère des Andes,
depuis les 40° de latitude australe jusque vers les 50°
de latitude boréale. Les botanistes supposent qu'elle

croît spontanément dans la partie montueuse du Pé

* Manuscrits astronomiques des pères jésuites , conservés dans les


archives du bureau des longitudes , à Paris.
CHAPITRE IX . 455

rou. D'un autre côté , les savans qui ont fait des re
cherches sur l'introduction des pommes de terre en

Europe , assurent qu'elle fut aussi trouvée en Virginie


par les premiers colons que Sir Walter Raleigh y en

voya en 1584. Or , comment concevoir qu'une plante


qu'on dit appartenir originairement à l'hémisphère
austral, se trouvait cultivée au pied des monts Allégha

nys , tandis qu'on ne la connaissait point au Mexique


et dans les régions montueuses et tempérées des îles
Antilles ? Est-il probable que des tribus péruviennes
aient pénétré vers le nord jusqu'aux rives du Ra
pahannoc , en Virginie , ou les pommes de terre sont
elles venues du nord au sud comme les peuples qui ,
depuis le septième siècle , ont paru successivement sur
le plateau d'Anahuac ? Dans l'une et l'autre de ces
hypothèses , comment cette culture ne s'est-elle pas
introduite ou conservée au Mexique ? Voilà des ques
tions peu agitées jusqu'ici , et cependant bien dignes

de fixer l'attention du physicien . Embrassant d'un


coup-d'œil l'influence de l'homme sur la nature et la

réaction du monde physique sur l'homme , on croit


lire , dans la distribution des végétaux , l'histoire des
premières migrations de notre espèce.
Je ferai observer d'abord que la pomme de terre ne
me paraît pas indigène au Pérou, et qu'elle ne se trouve
nulle part sauvage dans la partie des Cordillères qui est
située sous les tropiques . Nous avons , M .. Bonpland et
moi , herborisé sur le dos et sur la pente des Andes , de
puis les 5º nord jusqu'aux 12º sud ; nous avons pris
456 LIVRE IV,

des informations chez des personnes qui ont examiné


cette chaîne de montagnes colossales jusqu'à la Paz
et à Oruro, et nous sommes sûrs que, dans cette vaste
étendue de terrain , il ne végète spontanément aucune
espèce de solanée à racines nourrissantes. Il est vrai
qu'il y a des endroits peu accessibles et très froids
que les naturels appellent Paramos de las Papas
(plateaux déserts des pommes de terre ) ; mais ces dé
nominations , dont il est difficile de deviner l'origine,
n'indiquent guère que ces grandes hauteurs produisent
la plante dont elles portent le nom .
En passant plus au sud , au-delà du tropique , on
la trouve , selon Molina * , dans toutes les campagnes
du Chili. Les naturels y distinguent la pomme de terre
sauvage dont les tubercules sont petits et un peu
amers , de celle qui y est cultivée depuis une longue
série de siècles . La première de ces plantes porte le
On
nom de maglia , et la seconde celui de pogny.
cultive aussi au Chili une autre espèce de solanum
qui appartient au même groupe à feuilles pennées et
non épineuses , et qui a la racine très douce et d'une

forme cylindrique. C'est le Solanum cari qui est en


core inconnu , non -seulement en Europe , mais même
à Quito et au Mexique.
On pourrait demander si ces plantes utiles à
l'homme sont vraiment originaires du Chili , ou si par
l'effet d'une longue culture elles y sont devenues

* Hist. nat. du Chili , p. 102.


CHAPITRE IX . 457

sauvages. La même question a été faite aux voyageurs


qui ont trouvé les céréales croissant spontanément
dans les montagnes de l'Inde et du Caucase. MM. Ruiz

et Pavon , dont l'autorité est d'un grand poids , disent


avoir trouvé la pomme de terre dans les terrains cul
tivés , in cultis , et non dans les forêts et sur le dos
des montagnes. Mais on doit observer que chez nous
le Solanum et les différentes espèces de blé ne se pro
pagent pas d'elles - mêmes d'une manière durable ,

lorsque les oiseaux , en transportent les graines dans


les prairies et dans les bois. Partout où ces plantes
paraissent devenir sauvages sous nos yeux , loin de se

multiplier comme l'Erigeron canadense , l'Oenothera


biennis , et d'autres colons du règne végétal , elles dis
paraissent dans un court espace de temps. Le maglia
du Chili , le blé des rives du Terek * et le froment de
montagnes (Hill-wheat ) du Boutan que M. Banks **
vient de faire connaître, seraient-ils le type primitifdu
Solanum et des céréales cultivées ?
Il est probable que des montagnes du Chili la cul

ture des pommes de terre a avancé peu-à - peu vers le


nord par le Pérou et le royaume de Quito jusqu'au
plateau de Bogota , l'ancien Cundinamarca . C'est là

aussi la marche qu'ont tenue les Incas dans la suite


de leurs conquêtes . On' conçoit aisément pourquoi
long-temps avant l'arrivée de Manco Capac , dans ces

⭑ Marschall de Biberstein , sur les bords occid. de la Mer Caspienne,

1798 , p. 65 et 105.
食食 Bibl. brit. 1809
, n. 322 , p. 86.
458 LIVRE IV ,

temps reculés où la province du Collao et les plaines


de Tiahuanacu étaient le centre de la première civi
lisation des hommes * , les migrations des peuples de
l'Amérique méridionale devaient plutôt se faire du
Sud au Nord que dans une direction opposée. Par
tout , dans les deux hémisphères , les peuples monta
gnards ont manifesté le desir de se rapprocher de l'é
quateur , ou du moins de la zone torride qui , à de
grandes hauteurs , offre la douceur du climat et les

autres avantages de la zone tempérée. En longeant


les Cordillères soit depuis les bords du Gila jusqu'au
centre du Mexique , soit depuis le Chili jusqu'aux
belles vallées de Quito , les indigènes trouvèrent aux
mêmes élévations , et sans descendre vers les plaines ,
une végétation plus vigoureuse , des gelées moins pré
coces , des neiges moins abondantes. Les plaines de
Tiahuanacu (lat. 17° 10' sud ) couvertes de ruines d'une
grandeur imposante , les bords du lac de Chucuito ,
bassin qui ressemble à une petite mer intérieure , sont
l'Himalaga et le Thibet de l'Amérique méridionale.C'est
là que les hommes gouvernés par des lois, et réunis

sur un sol peu fertile , se sont adonnés les premiers à


l'agriculture. C'est de ce plateau remarquable , situé
entre les villes de Cuzco et la Paz , que sont descen
dus des peuples nombreux et puissans qui ont porté
leurs armes , leur langue et leurs arts jusque dans
l'hémisphère boréal.

*
Pedro Cicca de Leon , c. 105.- Garcilasso , 3 , 1.
CHAPITRE IX . 459

Les végétaux qui étaient l'objet de l'agriculture des


Andes, ont reflué vers le Nord , de deux manières ,
ou par les conquêtes des Incas , qui étaient suivies de
l'établissement de quelques colonies péruviennes dans
le pays occupé , ou par les communications lentes ,
mais paisibles , qui ont toujours lieu entre des peu
ples voisins. Les souverains de Cuzco ne poussèrent
pas leurs conquêtes au- delà de la rivière de Mayo
(lat. 1 °34' bor. ) qui coule au nord de la ville de Pasto .
Les pommes de terre que les Espagnols trouvèrent
cultivées chez les peuples Muyscas , dans le royaume

du Zaque de Bogota ( lat. 4º -6° bor. ) ne peuvent


donc y être venues du Pérou que par l'effet de ces
rapports qui s'établissent , peu-à- peu , même entre des
peuples montagnards séparés les uns des autres par
des déserts couverts de neige , ou par des vallées qu'on

ne peut franchir. Les Cordillères , après avoir conservé


une hauteur imposante depuis le Chili jusqu'à la pro
vince d'Antioquia , s'abaissent tout d'un coup vers les
sources du grand Rio Atracto. Le Choco et le Darien
ne présentent qu'un groupe de collines qui dans l'isthme
de Panama a seulement quelques centaines de toises
de hauteur. La culture de la pomme de terre ne réussit
bien entre les tropiques que sur des plateaux très
élevés , dans un climat froid et brumeux . L'Indien des
pays chauds préfère le maïs , le manioc et la banane.
En outre le Choco , le Darien et l'Isthme couvert d'é
paisses forêts, ont été habités depuis des siècles par des

hordes de sauvages et de chasseurs , ennemis de toute


460 LIVRE IV ,

culture. Il ne faut donc pas s'étonner que la réunion

de ces causes ait empêché la pomme de terre de pé


nétrer jusqu'au Mexique.
Nous ne connaissons pas un seul fait par lequel
l'histoire de l'Amérique méridionale soit liée à celle de
l'Amérique septentrionale. Dans la Nouvelle-Espagne,
comme nous l'avons déjà observé plusieurs fois , le
mouvement des peuples s'est porté du Nord au Sud.
On croit reconnaître une grande analogie de mœurs
et de civilisation entre les Toultèques , qu'une peste

paraît avoir chassés du plateau d'Anahuac , au milieu


du douzième siècle , et les Péruviens gouvernés par
Manco-Capac. Il se peut que des peuples sortis d'Az
tlan se soient avancés jusqu'au-delà de l'Isthme ou du
golfe de Panama . Mais il est peu probable que par
des migrations du Sud vers le Nord , les productions
du Pérou , de Quito et de la Nouvelle- Grenade , aient
jamais passé au Mexique et au Canada.
Il résulte de toutes ces considérations que , si les
colons envoyés par Raleigh ont effectivement trouvé
des pommes de terre parmi les Indiens de Virginie , il

est difficile de se refuser à l'idée que cette plante n'ait


été originairement sauvage dans quelque contrée de
l'hémisphère boréal , comme elle l'était au Chili. Les
recherches intéressantes faites par MM. Beckmann

* J'ai discuté cette hypothèse curieuse du chevalier Boturini dans


mon Mémoire sur les premiers habitans de l'Amérique. ( Ueber die
Urvölker. ) Neue Berlin, Monatschrift , 1806 , p. 205.
CHAPITRE IX . 461

Banks et Dryander * prouvent que des vaisseaux qui


revenaient de la baie d'Albemarle en 1586 , portèrent

les premières pommes de terre en Irlande , et que Tho


mas Harriot, plus célèbre comme mathématicien que
comme navigateur , décrivit cette racine nourrissante

sous le nom d'openawk. Gérard , dans son Herbal pu


blié en 1597 , la nomme patate de Virginie , ou no
rembega. On pourrait être tenté de croire que les co

lons anglais l'avaient reçue de l'Amérique espagnole .


Leur établissement existait depuis le mois de juillet ·
de l'année 1584. Les navigateurs de ce temps , pour
attérir sur les côtes de l'Amérique septentrionale , ne
faisaient point route directe vers l'ouest ; ils étaient
encore dans l'usage de suivre le chemin indiqué par
Colomb , et de profiter des vents alisés de la zone tor
ride. Ce trajet facilitait les communications avec les îles
Antilles, qui étaient le centre du commerce espagnol.
Sir Francis Drake , qui venait de parcourir ces mêmes
îles et les côtes de la Terre ferme , avait touché à
Roanoke en Virginie. Il paraît donc assez naturel

de supposer que les Anglais eux - mêmes avaient porté

* Beckmanns Grundsätze der teutschen Landwirthschaft, 1806 , p. 289.


Sir Joseph Banks , an attempt to ascertain the time of the introduction of
potatoes , 1808. La pomme de terre est cultivée en grand dans le Lan
cashire , depuis 1684 ; en Saxe , depuis 1717 ; en Ecosse , depuis
1728 ; en Prusse , depuis 1738.
** Roanoke et Albemarle , où Amidas et Barlow avaient fait leur
premier établissement , appartiennent aujourd'hui à l'état de la Ca
roline septentrionale. Sur la colonie de Raleigh , consultez Marshall's
Life ofWashington , vol. 1 , p. 12.
462 LIVRE IV ,

les patates de l'Amérique méridionale ou du Mexique


en Virginie. Lorsqu'elles furent envoyées de Virginie
en Angleterre , elles étaient déjà communes en Es
pagne et en Italie. Il ne faudrait donc pas s'étonner
qu'une production qui avait passé d'un continent à
l'autre , ait pu parvenir en Amérique des colonies es
pagnoles aux colonies anglaises . Le nom seul sous
lequel Harriot décrit la pomme de terre semblerait
favorable à l'hypothèse d'une origine virginienne. Les
sauvages auraient-ils eu un mot pour une plante
étrangère , et Harriot n'aurait- il pas connu le nom

de Papas ?
Les cultures qui appartiennent à la partie la plus
élevée et la plus froide des Andes et des Cordillères
mexicaines , sont celles de la pomme de terre , du Tro

pæolum tuberosum * et du Chenopodium quinoa, dont


la graine est un aliment aussi agréable que sain. Dans
la Nouvelle- Espagne la première de ces cultures est
d'autant plus importante et d'autant plus étendue
qu'elle ne demande pas un sol très humide. Les Mexi
cains , comme les Péruviens , savent conserver les
pommes de terre pendant des années entières , en les
exposant à la gelée , et en les séchant au soleil. La

racine durcie et privée de son eau , s'appelle chunu,


d'après un mot de la langue quichua . Il serait sans

* Cette espèce de capucine voisine du Tropæolum peregrinum ,


est cultivée dans les provinces de Popayan et de Pasto sur des pla
teaux de trois mille mètres de hauteur absolue.
CHAPITRE IX . 463
·
doute très utile d'imiter cette préparation en Eu
rope, où un commencement de germination fait
perdre souvent les provisions d'hiver. Mais il serait
plus important encore de se procurer la graine de
pommes de terre cultivées à Quito et sur le plateau de
Santa-Fe. J'en ai vu d'une forme sphérique , de plus
de trois décimètres ( douze à treize pouces ) de dia

mètre , et d'un goût beaucoup meilleur que celles de


notre continent . On sait que certaines plantes herba
cées qu'on a pendant long-temps multipliées de ra
cines , finissent par dégénérer , surtout lorsqu'on a la
mauvaise habitude de couper ces racines en plusieurs

pièces . L'expérience a prouvé dans quelques parties


de l'Allemagne , que les pommes de terre provenues
de graines sont , de toutes , les plus savoureuses. On
parviendrait à améliorer l'espèce , en faisant recueillir
1
la graine dans son pays natal , et en choisissant sur
la Cordillère des Andes même , les variétés les plus re
commandables par le volume et la saveur de leurs

racines. Nous possédons depuis long-temps en Europe


une patate que les agronomes connaissent sous le nom
de patate rouge de Bedfordshire , et dont les tuber
cules pèsent au-delà d'un kilogramme ; mais cette va
riété ( conglomerated potatoe ) est d'un goût fade , et
ne sert presque qu'à la nourriture des bestiaux , tandis
que la papa de Bogota , qui contient moins d'eau ,

est très farineuse , légèrement sucrée , et d'une saveur


infiniment agréable .

Parmi le grand nombre de productions utiles que


464 LIVRE IV ,

les migrations des peuples et les navigations lointaines


nous ont fait connaître , aucune plante , depuis la dé
couverte des céréales , c'est-à -dire depuis un temps
immémorial , n'a exercé une influence aussi marquante
sur le bien-être des hommes , que la pomme de terre * .

Depuis la publication de la première édition de mon ouvrage,


l'opinion d'après laquelle le Solanum tuberosum n'est considéré que
comme une plante introduite en Virginie , est devenue beaucoup plus
générale. On assure que long-temps avant Drake , un marchand
d'esclaves, John Hawkins, avait, en 1545 , porté , des côtes de la Non
velle-Grenade, cette précieuse production en Irlande. Gerard la culti
vale premier en Angleterre, l'ayant reçue de sir Francis Drake même.
La culture passa en Belgique en 1590 ; mais en Irlande elle fut négligée
jusqu'à ce que Raleigh y introduisit de nouveau la pomme de terre au
commencement du dix-septième siècle , en la portant de Virginie.
Putsche und Bertuch , Monographie der Kartoffeln , 1822. J'ai examiné
le livre très rare , portant pour titre : General HistoryofVirginia , New
England and the Summer Isles , from 1584 to 1626 , by Capt. John Smith,
governor in these countries and admiral ofNew-England (London 1632);
mais dans la partie qui contient ( page 9 ) les observations de Thomas
Harriot , a learned mathematician , je n'ai pu trouver la description de
la pomme de terre. C'est dès le milieu du seizième siècle que
cette racine fut introduite aux îles Bermudes , non de la Virginie ,
mais d'Europe. Les dénominations de Norembega et d'Openawk
( voyez plus haut , page 461 ) données au Solanum tuberosum par
les premiers écrivains anglais , ne sont , d'ailleurs , pas des noms
de plantes indigènes elles doivent leur origine , à ce que je
crois , à un de ces malentendus si communs parmi les voyageurs
qui ignorent la langue du pays. Je viens de découvrir que Norem
bega est l'ancien nom de la Nouvelle-Angleterre. ( Smith , general
Hist. , page 203 ). Le mot Openawk , dérive peut-être du nom des
Indiens Lenni-lenaps , avec lesquels les premiers colons eurent
de fréquentes relations , et que par corruption ils appelaient Ope
nagi, et Apenagi au lieu de Wapanachki ( Transactions of the Hist.
Committee ofthe American philos. Society. 1819 , tome 1 , page 25. (Les
CHAPITRE IX. 465

Cette culture , d'après les calculs de Sir John Sinclair,


peut nourrir neuf individus par acre de 5368 mètres
carrés. Elle est devenue commune dans la Nouvelle

Zélande *, au Japon , à l'île de Java , dans le Boutan


et au Bengale , où , selon le témoignage de M. Bockford,
les patates sont regardées comme plus utiles que l'ar

bre à pain introduit à Madras. Leur culture s'étend


1
depuis l'extrémité de l'Afrique jusqu'au Labrador ,
+
en Islande et en Laponie. C'est un spectacle intéres
sant que de voir une plante descendue des monta
gnes placées sous l'équateur , s'avancer vers le pôle ,
et résister plus que les graminées céréales , à tous les
frimats du Nord.
Nous venons d'examiner successivement les pro

ductions végétales qui sont la base de la nourriture


du peuple mexicain , la banane , le manioc , le maïs
et les céréales. Nous avons tâché de répandre quel

navigateurs qui ont porté la plante en Angleterre , lui auraient-ils


donné le nom du pays et des habitans du pays dans lequel la culture
avait été essayée par les colons ? M. Bonpland et moi nous n'avons
jamais trouvé le Solanum tuberosum à l'état sauvage dans aucune
partie de l'Amérique : mais MM. Caldcleugh et Baldwin ont récem
ment fait cette découverte importante , l'un au Chili , l'autre près
de Montevideo et Maldonado ; c'est peut-être le Solanum Conmer
sonii de M. Dunal ; mais M. Lambert regarde cette espèce comme
une simple variété de la pomme de terre commune. ( Journal of
Science Arts , N° 19 et 28. Sabine dans les Trans . of the Horticultur.
Society, vol. 5 , tome 11 , page 137. Long. Exped. , tome 1 , page 94 .
Lambert, On the native country ofthe Potatoe, dans son grand ouvrage
sur les Pins , p. 41.)

John Savage, Account ofNew Zealand. 1807 , p. 18.
II. 39
466 LIVRE IV ,

qu'intérêt sur cet objet en comparant l'agriculture


des régions équinoxiales avec celle des climats tem
pérés de l'Europe , et en liant l'histoire de la migra
tion des végétaux aux évènemens qui ont fait refluer
le genre humain d'une partie du globe vers l'autre.

Sans entrer dans des détails botaniques , qui seraient


étrangers au but principal de cet ouvrage , nous ter
minerons ce chapitre en indiquant succinctement les
autres plantes alimentaires qui se cultivent au Mexique.
Un grand nombre de ces plantes a été introduit
depuis le seizième siècle. Les habitans de l'Europe
occidentale ont déposé en Amérique ce qu'ils avaient
reçu depuis deux mille ans , par leurs communica
tions avec les Grecs et les Romains , par l'irruption
des hordes de l'Asie centrale , par les conquêtes des
Arabes , par les croisades et par les navigations des
Portugais. Tous ces trésors végétaux , accumulés dans
une extrémité de l'ancien continent par le mouve

ment constant des peuples vers l'ouest , conservés sous


l'influence heureuse d'une civilisation toujours crois
sante , sont devenus presque à-la-fois l'héritage du
Mexique et du Pérou. Plus tard nous les voyons aug
mentés des productions de l'Amérique, passer plus loin
encore aux îles de la Mer du Sud, à ces établissemens
qu'un peuple puissant vient de former sur les côtes
de la Nouvelle-Hollande. C'est ainsi qu'un petit coin
de la terre , s'il devient le domaine des colons européens,
et s'il présente , comme dans la partie montagneuse de
l'Amérique équinoxiale , une grande variété de climats
CHAPITRE IX . 467

superposés par étages , atteste la prodigieuse activité


que le genre hnmain a déployée depuis des siècles.
Une colonie réunit dans un espace étroit ce que les

peuples, dans leurs longues migrations, ont découvert


de plus précieux sur la surface du globe.
L'Amérique est extrêmement riche en végétaux à
racines nourrissantes. Après le manioc et les papas ,
ou pommes de terre , il n'y en a pas de plus utiles pour
la subsistance du peuple que l'oca ( Oxalis tuberosa ) ,
la batate et l'igname. La première de ces productions
ne vient que dans les pays froids et tempérés , sur la

cime et la pente des Cordillères ; les deux autres ap


partiennent à la région chaude du Mexique. Les his
toriens espagnols qui ont décrit la découverte de
l'Amérique , confondent * les mots d'axes et de ba
tates , quoique l'un désigne une plante du groupe des
asperges , et l'autre un convolvulus.

L'igname ou Dioscorea alata , comme le bananier,


paraît propre à toute la région équinoxiale du globe.
La relation du voyage d'Aloysio Cadamusto ** , nous
apprend que cette racine était connue des Arabes . Son

nom américain peut même jeter quelque jour sur un

* Gomara libro III , c. 21.


** Cadamusti Navigatio ad terras incognitas ( Grynaus Orb. Nov.,
pages 47 , 67 , 215. Herera Dec. I , libro IV, c. 7. ) Cadamusto dési
gne le fameux amiral Cabral par ces mots : « Petrus quidam Aliares
ac Abrilus Fidalcus D» Le Yam amer (Dioscorea) a été trouvé sauvage
sur les rives du Congo par l'infortuné capitaine Tuckey ( Brown ,
Botany ofCongo , p. 54. )
30.
468 LIVRE IV ,

fait très important pour l'histoire des découvertes


géographiques , et qui ne paraît pas avoir fixé jus
qu'ici l'attention des savans. Cadamusto rapporte que
le roi de Portugal avait envoyé , en l'année 1500 ,
une flotte de douze vaisseaux autour du cap de Bonne
Espérance , à Calecut , sous les ordres de Pedro Al

varez Cabral. Cet amiral , après avoir vu les îles du


cap Vert , découvrit une grande terre inconnue , qu'il
prit pour un continent. Il y trouva des hommes nus ,
bruns , peints en rouge , à cheveux très longs , s'arra
chant la barbe , se perçant le menton , couchant dans
des hamacs , et ignorant entièrement l'usage des mé
taux. A ces traits on reconnaît facilement les indigènes
de l'Amérique . Cabral aborda à la côte du Brésil (Terre
de Sainte-Croix , ou Insula Psittacorum ) . Il y trouva
cultivé une espèce de millet ( du maïs ) , et une racine
dont on fait du pain , et qui porte le nom d'igname.
Vespucci , trois ans avant Cabral , avait entendu pro
noncer ce même mot par les habitans de la côte de
Paria. Le nom haïtien du Dioscorea alata est axes ou

ajes. C'est sous cette dénomination que Colomb décrit


l'igname dans la relation de son premier voyage; c'est

celle aussi qu'elle avait du temps de Garcilasso, d'Acosta


et d'Oviedo *, qui ont très bien indiqué les caractères
par lesquels les axes se distinguent des batates.
Les premières racines du Dioscorea ont été trans


Christophori Columbi navigatio , c. 89. Comentarios Reales , tome 1 ,
p. 278. Historia natural de Indias , p. 242. Oviedo , libro VII , c. 3.
CHAPITRE IX. 469

portées en Portugal , en 1596 , de-la petite île de Saint


Thomas, qui est située près des côtes d'Afrique, presque
sous l'équateur *. Un vaisseau qui conduisait des es
claves à Lisbonne avait embarqué ces ignames pour

servir de nourriture aux nègres pendant la traversée.


Par des circonstances semblables , plusieurs plantes
alimentaires de la Guinée ont été introduites aux Indes
occidentales. On les a propagées avec soin pour four
nir aux esclaves la nourriture à laquelle ils sont ac
coutumés dans leur pays natal. On observe que la
mélancolie de ces êtres infortunés diminue sensible
ment lorsque , débarqués dans une terre nouvelle , ils
*
reconnaissent les plantes qui ont entouré leur berceau.
Dans les régions chaudes des colonies espagnoles ,
les habitans distinguent l'axe des ñamos de Guinea .
Ces derniers sont venus des côtes d'Afrique aux îles
Antilles , et le nom d'igname y a prévalu peu-à-peu
sur celui d'axe. Ces deux plantes ne sont peut-être que
des variétés du Dioscorea alata , quoique Brown ait
cherché à les élever au rang d'espèces , oubliant que la

forme des feuilles des ignames change singulièrement


par la culture . Nous n'avons nulle part trouvé la plante
que Linné appelle Dioscorea sativa ** ; elle n'existe pas

* Clusii rariorum plantarum hist,, lib. IV, p. 77.


** Thunbergassure cependant l'avoirvue cultivée au Japon. Il existe
une grande confusion dans le genre Dioscorea , et il serait à desirer
qu'on en fit une monographie. Nous avons rapporté plusieurs espèces
nouvelles qui se trouvent en partie décrites dans le Species plantarum,
publié par M. Willdenow , tome iv , partie 1 , p. 794-796.
470 LIVRE IV ,

non plus dans les îles de la Mer du Sud , où la racine


du Dioscorea alata, mêlée au blanc de la noix de cocos,

et à la pulpe de la banane , est le mets favori du peuple


taïtien. La racine de l'igname acquiert un volume
énorme , lorsqu'elle se trouve dans un terrain fertile.
Dans les vallées d'Aragua , à l'ouest de Caracas , on en
a vu qui pesaient de 25 à 30 kilogrammes.
Les batates sont désignées au Pérou sous le nom
d'apichu, au Mexique sous celui de camotes , nom qui
est une corruption du mot aztèque cacamotic * . On
en cultive plusieurs variétés à racines blanches et
jaunes ; celles de Queretaro , qui croissent dans un
climat analogue à celui de l'Andalousie , sont les plus
recherchées. Je doute que les batates aient jamais été
trouvées sauvages par les navigateurs espagnols ,
quoique Clusius l'ait avancé. J'ai vu cultivé dans les

colonies , outre le Convolvulus batatas , le C. plata


nifolius de Vahl , et j'incline à croire que ces deux
plantes, l'Umara de Tahiti ( C. chrysorrizus de Solan
der **), et le C. edulis de Thunberg , que les Portugais
ont introduit au Japon , sont des variétés devenues
constantes , et qu'elles descendent d'une même espèce.
Il serait intéressant de savoir si les batates cultivées
au Pérou , et celles que Cook a trouvées dans l'île de

Pâques , sont les mêmes ; car la position de cette île ,

* Le cacamotic-ilanoquiloni ou caxtlatlapan, figuré dans Hernandez ,


c. 54 , paraît être le Convolvulus Jalapa.
** Forster, plantæ esculentæ , p. 56.
CHAPITRE IX . 471

et les monumens qui s'y trouvent , ont fait soup


çonner à plusieurs savans qu'il a pu exister d'anciens
rapports entre les Péruviens et les habitans de la térre
découverte par Roggeween .
Gomara raconte que Colomb , après son retour en
Espagne , lorsqu'il parut la première fois devant la
reine Isabelle , lui offrit des grains de maïs, des racines
d'ignames et des batates. Aussi la culture de ces der
nières était-elle déjà commune dans la partie méridio
nale de l'Espagne , vers le milieu du seizième siècle.
En 1591 , on en vendit même au marché , à Londres * .
On croit communément que le célèbre Drake ou Sir
John Hawkins les ont fait connaître en Angleterre ,
où on leurattribua pendant long-temps ces propriétés
mystérieuses pour lesquelles les Grecs recommandaient
les ognons de Mégare. La culture des batates réussit
très bien dans le midi de la France. Elle a besoin de

moins de chaleur que l'igname , qui , d'ailleurs , à cause


de l'énorme masse de matière nourrissante que four
nissent ses racines , serait de beaucoup préférable à la
batate et même à la pomme de terre, si elle pouvait être
cultivée avec succès dans les pays dont la température
moyenne est au- dessous de 18° centesimaux .

Il faut encore compter , parmi les plantes utiles


propres au Mexique , le cacomite ou l'oceloxochitl ,
espèce de Tigridia , dont la racine donnait une farine
nourrissante aux habitans de la vallée de Mexico ; les

* Clusius , 111 , c. 51.


472 LIVRE IV ,

nombreuses variétés de pommes d'amour, ou Tomat!


( Solanum lycopersicum ) , que l'on semait jadis entre
mêlées au maïs ; la pistache de terre , ou mani*( Ara
chis hypogea ) , dont le fruit se cache dans la terre , et
qui paraît avoir existé en Afrique et en Asie , surtout
en Cochinchine **, long-temps avant la découverte de
l'Amérique ; enfin les différentes espèces de piment
( Capsicum baccatum , C. annuum , et C. frutescens ) ,
que les Mexicains appellent chilli , et les Péruviens
uchu , et dont le fruit est aussi nécessaire aux indi

gènes , que le sel l'est aux blancs . Les Espagnols


nomment le piment chile ou axi ( ahi). Le premier
mot dérive de quauh-chili , le second est un mot haï
tien qu'il ne faut pas confondre avec axe , qui , comme
nous l'avons observé plus haut, désigne l'igname ouyam
des Anglais ( Dioscorea alata ) .
Je ne me souviens pas d'avoir vu cultiver, dans au
cune partie des colonies espagnoles , les topinambours
ou truffes du Canada des Français ( Helianthus tube
rosus), qui , d'après M. Correa, ne se trouvent pas même
au Brésil, quoique, dans tous nos ouvrages de botanique,
on les dise originaires du pays des Brésiliens Topinam
bas. Le chamalitl, ou soleil à grandes fleurs (Helianthus

* Le mot de mani , comme la plupart de ceux que les colons espa


gnols donnent aux plantes cultivées , est tiré de la langue d'Haïti ,
qui est aujourd'hui une langue morte. Au Pérou l'Arachis s'appela
inchic. M. Brown croit aussi l'Arachis commune aux deux continens.
(Congo , p. 54.)
**
Loureiro , Flora Cochinchinensis , p. 522.
CHAPITRE IX. 473

annuus ) est venu du Pérou à la Nouvelle- Espagne. On


le semait jadis dans plusieurs parties de l'Amérique espa
gnole, non-seulement pour tirer de l'huile de ses graines,
mais pour les rôtir et en faire un pain très nourrissant.
Le riz ( Oryza sativa) était inconnu aux peuples du
Nouveau Continent , comme aux habitans des îles de la

Mer du Sud. Chaque fois que les premiers historiens se


servent de l'expression petit riz du Pérou (arroz peque
ño), ils veulent désigner le Chenopodium quinoa , que
j'ai trouvétrès communau Pérou et dans la belle vallée

de Bogota. La culture du riz , que les Arabes ont in


troduite en Europe * , et les Espagnols en Amérique ,
est de peu d'importance dans la Nouvelle-Espagne. La

grande sécheresse qui règne dans l'intérieur du pays


paraît s'opposer à ce genre de culture. On n'est pas
d'accord à Mexico , sur l'utilité que l'on pourrait tirer
de l'introduction du riz de montagne, qui est commun
en Chine et au Japon , et que connaissent tous les
Espagnols qui ont habité les îles Philippines. Il est
certain que ce riz de montagne , tant vanté dans ces
derniers temps , ne vient que sur la pente de collines

qui sont arrosées ou par des torrens naturels , ou par


des canaux d'irrigation ** creusés à de grandes hauteurs .

* Les Grecs connaissaient le riz sans le cultiver. Aristobule chez


Strabon . lib. XV, p. Casaub. 1014. --- Theophr. lib. IV, c. 5. -
Dioscor. lib. II, c. 116 , p. Sarac. 127.
** Crescit oryza Japonica in collibus et montibus artificio singulari.
Thunberg, Flora Japon. , page 147. M. Titzing qui a vécu long-temps
au Japon , assure aussi que le riz de montagne , près de Nangasacki ,
LIVRE IV ,
474

Sur les côtes du Mexique , surtout au sud-est de Vera


Cruz , dans les terrains fertiles et marécageux situés
entre les embouchures des rivières d'Alvarado et de

Goasacualco , la culture du riz commun pourra un

jour devenir aussi importante qu'elle l'est depuis long


temps pour la province de Guayaquil , pour la Loui
siane et pour la partie méridionale des Etats - Unis .
Il serait d'autant plus à desirer qu'on s'adonnât
avec ardeur à cette branche d'agriculture , que de
grandes sécheresses et des gelées précoces font sou
vent manquer les récoltes du blé et du maïs dans la

région montueuse , et que le peuple mexicain souffre


périodiquement des suites funestes d'une famine gé
nérale. Le riz contient beaucoup de substance ali
mentaire dans un très petit volume. Au Bengale , où
l'on en achète quarante kilogrammes pour 3 fr. , la
consommation d'une famille de cinq individus consiste
journellement en quatre kilogrammes de riz , deux de
pois et deux onces de sel *. La frugalité de l'indigène
aztèque est presque aussi grande que celle de l'Hin
dou ; et l'on éviterait les disettes fréquentes au Mexi
que, en multipliant les objets de culture, et en dirigeant
l'industrie sur des productions végétales plus faciles
à conserver et à transporter que le maïs et les racines

est arrosé, mais qu'il exige moins d'eau que le riz des plaines.M. Craw
furd nous apprend, au contraire , qu'à Java , le mountain ou dry land
rice est cultivé sans aucune espèce d'irrigation. ( Hist. of the Ind. Ar
chipelago, t. I , p. 361. )
* B
Bockford's Indian Recreations. Calcutta , 1807 , p. 18.
CHAPITRE IX . 475

farineuses. En outre , et je l'avance sans toucher au


fameux problème de la population de la Chine , il ne
paraît pas douteux qu'un terrain cultivé en riz nourrit
un plus grand nombre de familles que la même éten
due cultivée en froment . A la Louisiane, dans le bassin
du Mississipi * , on compte qu'un arpent de terre
produit communément en riz 18 barils , en froment
et en avoine 8 , en maïs 20 , et en pommes de terre 26.
En Virginie on compte , d'après M. Blodget, qu'un ar
pent (acre)rend 20 à 30 bushels de riz ; tandis que le
froment n'en donne que 15 à 16. Je n'ignore pas qu'en
Europe , les rizières sont regardées comme très nuisibles
à la santé des habitans ; mais une longue expérience
faite dans l'Asie orientale semble prouver que leur effet

n'est pas le même sous tous les climats. Quoi qu'il en


soit , on ne doit pas craindre que l'irrigation des ri
zières puisse ajouter à l'insalubrité d'un pays qui est
déjà rempli de marécages et de paletuviers (Rhizophora
mangle ) , et qui forme un véritable Delta entre les ri- .
vières d'Alvarado , de Suan Juan et de Goasacualco.
Les Mexicains possèdent aujourd'hui toutes les
plantes potagères et tous les arbres fruitiers de l'Eu

rope. Il n'est pas facile d'indiquer lesquelles de ces


premières existaient au Nouveau-Continent avant
l'arrivée des Espagnols. Cette même incertitude règne
parmi les botanistes sur les espèces de navets , de sa

* Note manuscrite sur la valeur des terres dans la Louisiane , qui m'a
été communiquée par le général Wilkinson.
476 LIVRE IV ,

lades et de choux , qui étaient cultivés par les Grecs


et les Romains . Nous savons avec certitude que les
Américains connaissaient de tout temps les ognons

( en mexicain xonacatl) , les haricots ( en mexicain


ayacotli, en péruvien ou en langue quichua, purutu ) ,
les calebasses ( en péruvien capallu ) , et quelques va
rietés de pois-chiches (Cicer , Lin . ) . Cortès *, en par
lant des comestibles quise vendaient journellement au
marché de l'ancien Tenochtitlan , dit expressément
qu'on y trouvait toute espèce de légume , particuliè
rement des ognons , des porreaux , de l'ail , du cresson

alénois et du cresson de fontaine ( mastuerzo y berro),


de la bourache , de l'oseille et des cardons ( cardo y
tagarninas ) . Il paraît qu'aucune espèce de choux ou
de navets ( Brassica et Raphanus ) n'était cultivée en
Amérique , quoique les indigènes aimassent beaucoup
les herbes cuites. Ils mêlaient ensemble toutes sortes
de feuilles et même de fleurs , et ce mets s'appelait
iraca. Il paraît que les Mexicains n'ont pas eu origi
nairement des pois , et ce fait est d'autant plus re
marquable , que l'on croit notre Pisum sativum sau

vage sur la côte nord-ouest de l'Amérique. **


Lorenzana , p. 103. Garcilasso , p. 278 et 336. Acosta , p. 245.
Les ognons étaient inconnus au Pérou , et les chocos de l'Amérique
n'étaient pas des garvanzos ( Cicer arietinum ). J'ignorè si les fameux
frisolitos de Vera- Cruz , qui sont devenus un objet d'exportation
descendent d'un Phaseolus d'Espagne , ou s'ils sont une variété de
l'ayacotli mexicain.
** Aux Iles de la Reine Charlotte , et dans la baie de Norfolk ou
CHAPITRE IX. 477

En général , si l'on jette les yeux sur les plantes po


tagères des Aztèques , et sur le grand nombre de ra
cines farineuses et sucrées qu'on cultivait au Mexique
et au Pérou , on voit que l'Amérique n'était pas , à

beaucoup près , si pauvre en plantes alimentaires.


que , par des idées systématiques , l'ont avancé des

savans , qui ne connaissent le Nouveau Continent que


d'après les ouvrages d'Herera et de Solis . Le degré de
civilisation d'un peuple n'est dans aucun rapport avec
la variété des productions , qui sont l'objet de son
agriculture ou de son jardinage. Cette variété est plus
ou moins grande , selon que les communications entre
des régions éloignées ont été fréquentes , ou que des
nations séparées du reste du genre humain dans des
temps très reculés , se sont trouvées par leur situation
locale dans un isolement parfait . Il ne faut pas s'éton

ner de ne point rencontrer chez les Mexicains , au


seizième siècle , les richesses végétales que nos jardins
d'Europe renferment aujourd'hui. Les Grecs et les
Romains même ne connaissaient ni les épinards , ni les
choux-fleurs , ni les scorzonères , ni les artichauds , ni
un grand nombre d'autres légumes.
Le plateau central de la Nouvelle-Espagne produit
avec la plus grande abondance des cerises , des prunes ,

Tchinkitané. Voyage de Marchand , tome 1 , pages 226 et 360. Ces


pois n'y auraient-ils pas été semés par quelque navigateur européen ?
Nous savons que depuis peu les choux sont devenus sauvages à la
Nouvelle-Zélande.
478 LIVRE IV ,

des pêches , des abricots , des figues , des raisins , des


melons, des pommes et des poires. Dans les environs
de Mexico , les villages de San Augustin de las Cuevas

et de Tacubaya , le fameux jardin du couvent des


Carmes , à San Angel , et celui de la famille de Fa
goaga , à Tanepantla , donnent aux mois de juin , de
juillet et d'août , une innombrable quantité de fruits ,
et la plupart d'un goût exquis , quoique les arbres
soient en général assez mal soignés. Le voyageur est
frappé de voir au Mexique , comme au Pérou et dans
la Nouvelle-Grenade , les tables de l'habitant aisé
chargées à -la-fois des fruits de l'Europe tempérée ,
d'ananas * , de grenadilles ( différentes espèces de Passi
flora et Tacsonia ) de sapotes , de de mameis
mameis ,, de goyaves ,
d'anones , de chilimoyes , et d'autres productions pré
cieuses de la zone torride . Cette variété de fruits se

trouve presque dans tout le pays , depuis Guatimala


jusqu'à la Nouvelle-Californie.
En étudiant l'histoire de la conquête, on admire l'ac
tivité extraordinaire avec laquelle les Espagnols du sei

* Les Espagnols , dans leurs premières navigations , avaient cou


tume d'embarquer des ananas , qui , lorsque la traversée était courte
pouvaient encore offrir un mets agréable en Espagne. On en présenta
à l'empereur Charles-Quint , qui trouva le fruit très beau , mais ne
voulut pas en goûter. Nous avons trouvé l'ananas sauvage,et du goût
le plus exquis, au pied de la grande montague de Duida, sur les bords
de l'Alto Orinoco. Souvent , les graines ne sont pas toutes avortées.
Déjà , en 1594 l'ananas fut cultivé en Chine , où il était venu du
Pérou. Kircher, China illustrata , p. 188.

1
I
CHAPITRE IX . 479

zième siècle ont répandu la culture des végétaux eu


ropéens sur le dos des Cordillères , d'une extrémité du
continent à l'autre. Les ecclésiastiques et surtout les re→
ligieux missionnaires , ont contribué à ces progrès ra
pides de l'industrie. Les jardins des couvens et des curés
ont été autant de pépinières d'où sont sortis les végé
taux utiles récemment acclimatés. Les conquistadores
mêmes , que l'on ne doit pas regarder tous comme des

guerriers barbares , s'adonnaient dans leur vieillesse à


4
la vie des champs . Ces hommes simples, entourés d'In
diens dont ils ignoraient la langue , cultivaient de pré
férence, comme pour se consoler de leur isolement, les
plantes qui leur rappelaient le sol de l'Estramadoure
et des Castilles. L'époque à laquelle un fruit d'Europe
mûrissait pour la première fois , était signalée par une
fête de famille. On ne saurait lire sans intérêt ce que
l'inca Garcilasso rapporte sur la manière de vivre de
ces premiers colons. Il raconte avec une naïveté tou
chante , comment son père , le valeureux Andrès de la
Vega, réunissait ses vieux compagnons d'armes , pour
partager avec eux trois asperges , les premières qui fus
sent venues sur le plateau du Couzco .
Avant l'arrivée des Espagnols , le Mexique et les
Cordillères de l'Amérique méridionale produisaient
plusieurs fruits qui ont une grande analogie avec ceux
des climats tempérés de l'ancien continent . La physio
nomie des végétaux offre des traits de ressemblance
partout où la température et l'humidité sont les
mêmes. La partie montueuse de l'Amérique équi
480 LIVRE IV ,

noxiale a des cerisiers ( capuli ) , des noyers , des

pommiers , des mûriers , des fraisiers , des Rubus , et


des groseillers qui lui sont propres , et que je ferai
connaître dans la partie botanique de mon Voyage
aux régions équinoxiales . Cortès raconte avoir vu ,
lors de son arrivée à Mexico , outre les cerises indi
gènes qui sont assez acides , des prunes , ciruelas. Il

ajoute qu'elles ressemblaient entièrement à celles d'Es

pagne. Je doute de l'existence de ces prunes mexi


caines , quoique l'abbé Clavigero en fasse aussi men
tion. Peut-être les premiers Espagnols prenaient-ils le
fruit du Spondias , qui est un drupa ovoïde , pour des
prunes d'Europe.
Quoique les côtes occidentales de la Nouvelle- Es
pagne soient baignées par le Grand Océan , et quoique
Mendaña , Gaetano , Quiros , et d'autres navigateurs
espagnols aient été les premiers à visiter les îles situées
entre l'Amérique et l'Asie , les productions les plus
utiles de ces contrées , l'arbre à pain , le lin de la Nou
velle-Zélande ( Phormium tenax ) et la canne à sucre

Un botaniste célèbre, M. Kunth, a décrit ces espèces dans les Nova


Genera et Spec. Plant. æquin. Orbis novi , sous les noms de Mespilus
rubescens ( Moran au Mexique ) , M. stipulosa ( Chillo près Quito ),
Cerasus salicifolius (Nouv. Grenade), Morus celtidifolia et M. coryli
folia (Mexique), Ribes multiflorum, R. affine , R. microphyllum et R.
jorullense (Mexique ), R. frigidum (Quito) Rubus floribundus (Loxa),
R. bogotensis, R. glabratus et R. nubigena (Andes de la Nouvelle-Gre
nade ). Le fraisier que nous avons trouvé sauvage au passage de la
Cordillère de Quindiu , est le vrai Fragaria vesca.
CHAPITRE IX . 481

d'Otahiti sont restés inconnus aux habitans du Mexi

que. Ces végétaux , après avoir presque fait le tour du


globe , leur arriveront peu-à-peu des îles Antilles.
Déposés par le capitaine Bligh à la Jamaïque , ils se
sont propagés rapidement à l'île de Cuba , à la Trinité,
et sur la côte de Caracas. L'arbre à pain ( Artocarpus

incisa) dont j'ai vu des plantations considérables dans


la Guyane espagnole , végéterait avec vigueur sur les
côtes humides et chaudes de Tabasco , de Tustla et de
San Blas. Il est peu probable cependant que cette
culture puisse jamais faire abandonner aux naturels
celle des bananiers , qui , sur la même étendue de
terrain fournissent plus de substance nourrissante. Il
est vrai que l'Artocarpus , pendant huit mois de l'an
née , est continuellement chargé de fruits , et que trois
arbres suffisent pour nourrir un individu adulte *.
Mais aussi un arpent ou un demi-hectare de terrain
ne peut contenir que trente- cinq à quarante arbres à
pain ** : car ils sont moins chargés de fruits , lorsqu'on
les plante trop près les uns des autres , et que leurs
et que
racines se rencontrent .

L'extrême lenteur avec laquelle se fait le trajet des


îles Philippines et des Mariannes à Acapulco , la néces
sité dans laquelle se trouvent les galions de Manille de
s'élever à de grandes latitudes , pour prendre les vents

·
Georg. Forster vom Brodbaume , 1784. S. 23.
**
Comparez ce qui a été dit plus haut du produit des bananes , du
froment et des pommes de terre , pages 388 et suivantes.
II. 31
482 LIVRE IV ,

nord-ouest , rendent très difficile l'introduction des


végétaux de l'Asie orientale. Aussi ne trouve-t-on ,
sur les côtes occidentales du Mexique , aucune plante
de la Chine ou des îles Philippines , si ce n'est le

Triphasia aurantiola (Limonia trifoliata), arbrisseau


élégant dont on confit les fruits , et qui d'après Lou
reiro est identique avec le Citrus trifoliata , ou Kara
tats-banna de Kämpfer. Quant aux orangers et aux
citronniers , qui , dans l'Europe australe, supportent ,

sans en souffrir , un froid de cinq à six degrés au


dessous de zéro , on les cultive aujourd'hui dans toute
la Nouvelle-Espagne , même sur le plateau central.
On a souvent agité la question si ces arbres ont existé
dans les colonies espagnoles avant la découverte de
l'Amérique , ou si les Européens les ont portés des
îles Canaries , de l'île Saint-Thomas ou des côtes
d'Afrique. Il est certain qu'un oranger à fruit petit et
amer, et un citronnier très épineux , donnant un fruit
vert , rond, à écorce singulièrement huileuse , ayant
à peine la grosseur d'une noix , est sauvage dans l'île
de Cuba et sur les côtes de la Terre ferme. Mais ,

malgré toutes mes recherches , je n'en ai jamais


trouvé un seul pied dans l'intérieur des forêts de la
Guyane , entre l'Orénoque , le Cassiquiare et les
frontières du Brésil . Peut - être le citronnier à petit
fruit vert ( Limoncito verde ) était-il anciennement
cultivé par les naturels , et peut - être n'est-il de
venu sauvage que là où la population , et par con
séquent l'étendue des terrains cultivés , étaient le plus
CHAPITRE IX. 483

considérables . J'incline à croire que seulement le ci


tronnier à grand fruit jaune (Limon sutil) , et l'oranger
à fruit doux ont été introduits par les Portugais et les
Espagnols * . Sur les rives de l'Orénoque , nous n'en
avons vu que là où les jésuites avaient établi leurs
missions. L'oranger, lors de la découverte de l'Amé
rique , n'existait même en Europe que depuis peu de
siècles. S'il y avait eu d'anciennes communications
entre le Nouveau Continent et les îles de la Mer du

Sud , le véritable Citrus aurantium aurait pu arriver


au Pérou ou au Mexique par la voie de l'Ouest ; car
cet arbre a été trouvé par M. Forster aux îles Hé
brides , où Quiros l'avait vu long-temps avant lui. **
La grande analogie qu'offre le climat du plateau
de la Nouvelle- Espagne avec celui de l'Italie , de la
Grèce et de la France méridionale , devrait inviter
les Mexicains à la culture de l'olivier. Cette culture
a été tentée avec succès dès le commencement de .

la conquête , mais le gouvernement , par une poli


tique injuste , loin de la favoriser , a cherché plu
tôt à l'empêcher indirectement . Il n'existe pas de
prohibition formelle ; mais les colons n'ont pas ha

Oviedo; lib. VIII, c. 1.


** Plantæ esculentæ Insularum australium , p. 35. L'oranger commun
des îles du Grand Océan est le Citrus decumana. Le manguier ( Gar
cinia mangostana ) , dont les innombrables variétés sont cultivées avec
tant de soin aux Grandes Indes et dans l'Archipel des mers d'Asie
est très répandu depuis dix ans dans les îles Antilles. Il n'existait pas
encore de mon temps au Mexique.
31.
484 LIVRE IV ,

sardé de s'adonner à une branche de l'industrie na

tionale , qui aurait bientôt excité la jalousie de la


métropole. La cour de Madrid a généralement vu d'un
mauvais œil la culture de l'olivier , du mûrier , du
chanvre , du lin et de la vigne dans le Nouveau Con
tinent. Si , au Chili et au Pérou , elle a toléré le com
merce des vins et des huiles indigènes , ce n'est que
parce que ces colonies , situées au-delà du cap de

Horn , sont souvent mal approvisionnées par l'Eu


rope , et qu'on craint l'effet de mesures vexatoires

dans des provinces aussi éloignées. Le système de


prohibition le plus odieux a été suivi avec ténacité
dans toutes les colonies dont les côtes sont baignées
par l'Océan Atlantique. Le vice-roi , pendant mon
séjour à Mexico , reçut l'ordre de la cour de faire ar
racher les vignes ( arancar las cepas ) dans les pro
vinces septentrionales du Mexique , parce que le
commerce de Cadix se plaignait d'une diminution
dans la consommation des vins d'Espagne. Heureuse
ment cet ordre , comme beaucoup d'autres donnés par
les ministres , ne fut point exécuté. On sentit que ,
malgré l'extrême patience du peuple mexicain , il pou
vait être dangereux de le réduire au désespoir, en
dévastant ses propriétés , et en le forçant d'acheter
aux monopolistes de l'Europe , ce que la nature bien
faisante produit sur le sol mexicain.
L'olivier n'est pas encore très commun dans la
Nouvelle-Espagne ; il en existe cependant une plan
tation très belle, appartenant à l'archevêque de Mexico.
CHAPITRE IX . 485

Elle est située à Tacubaya , à deux lieues au sud-est de


la capitale. Cet olivar del Arzobispo produit annuelle
ment 200 arrobes ( à -peu-près 2500 kilogrammes )
d'huile d'une très bonne qualité. On cultive aussi beau
coup d'oliviers autour de Tacubaya , dans le Hacienda
de los Morales , près Chapaltepec , à Tuyagualco , près
du lac de Chalco et dans le district de Celaya. Nous
avons déjà parlé plus haut ( p . 276 ) de l'olivier cultivé
par les missionnaires dans la Nouvelle-Californie,surtout
près du village de San Diego. Le Mexicain , occupé lí
brement de la culture de son sol, pourra se passer, avec
le temps , de l'huile , du vin , du chanvre et du lin de

l'Europe. L'olivier d'Andalousie, introduit par Cortès ,


souffre quelquefois du froid sur le plateau central ;
car les gelées , sans être fortes , y sont fréquentes et très

prolongées . Il serait peut-être utile de planter au Mexi
que l'olivier de Corse , qui , plus qu'aucun autre , ré
siste à l'intempérie du climat.
En terminant la liste des plantes alimentaires , nous

jetterons un coup-d'œil rapide sur les végétaux qui


fournissent des boissons au peuple mexicain , Nous
verrons que , sous ce rapport , l'histoire de l'agricul
ture aztèque offre un trait d'autant plus curieux qu'on.
ne trouve rien d'analogue chez d'autres nations beau
coup plus avancées dans la civilisation que les an
ciens habitans d'Anahuac.

A peine existe-t-il une tribu de sauvages sur le

globe , qui ne sache préparer quelque boisson tirée du


règne végétal. Les hordes misérables qui errent dans
486 LIVRE IV ,

les forêts de la Guyane , font, avec différens fruits de


palmiers , des émulsions aussi agréables que l'orgeat
que l'on prépare en Europe. Les habitans de l'île de
Pâques , relégués sur un amas de rochers arides et

sans sources , boivent , outre l'eau de mer, le jus expri


mé de la canne à sucre. La plupart des peuples civili
sés tirent leurs boissons des mêmes plantes qui font
la base de leur nourriture , et dont les racines ou les
semences contiennent le principe sucré uni à la sub
stance amylacée. Dans l'Asie australe et orientale ,

c'est le riz ; en Afrique , c'est la racine des ignames et


de quelques arums ; dans le nord de l'Europe , ce sont
les céréales qui fournissent des liqueurs fermentées.
Il existe peu de peuples qui cultivent de certaines
plantes simplement dans le but d'en faire des boissons.
L'ancien continent ne nous offre des plantations de
vignes qu'à l'ouest de l'Indus . Dans les beaux temps
de la Grèce , cette culture était même restreinte aux
pays situés entre l'Oxus et l'Euphrate, à l'Asie mineure
et à l'Europe occidentale. Sur le reste du globe , la
nature produit des espèces de Vitis sauvages ; mais nulle
autre part l'homme n'a tenté de les réunir autour delui
pour les améliorer par la culture.

Le Nouveau Continent nous présente l'exemple


d'un peuple qui ne retirait pas seulement des boissons

de la substance amylacée et sucrée * du maïs , du ma


nioc et des bananes , ou de la pulpe de quelques

* Voyez ci-dessus , p. 417.


CHAPITRE IX . 487

espèces de Mimosa , mais qui cultivait aussi tout exprès

une plante de la famille des Bromeliacées , pour en con


vertir le suc en une liqueur spiritueuse . Sur le plateau
intérieur , dans l'intendance de la Puebla et dans celle

de Mexico , on parcourt de grandes étendues de pays où


l'œil ne repose que sur des champs plantés en pittes
ou maguey. Cette plante à feuilles coriaces et épineu
ses, est devenue sauvage conjointement avec le Cactus
Opuntia depuis le seizième siècle , dans toute l'Europe
australe , aux îles Canaries et sur les côtes d'Afrique ;
elle donne un caractère particulier au paysage mexi
cain. Le voyayeur est frappé du contraste de formes
végétales qu'offre un champ de blé , une plantation
d'Agave , ou un groupe de bananiers , dont les feuilles
lustrées sont constamment d'un vert tendre et délicat.

Sous toutes les zones, l'homme , en multipliant certaines


productions végétales , modifie à son gré l'aspect du
pays soumis à la culture!
Il existe , dans les colonies espagnoles , plusieurs
espèces de maguey qui méritent d'être examinées avec
soin , et dont quelques-unes , à cause de la division de
leur corolle , de la longueur des étamines , et de la
forme de leur stigmate , paraissent appartenir à des
genres différens. Les maguey ou metl , que l'on cultive
au Mexique , sont de nombreuses variétés de l'Agave
americana, devenu si commun dans nos jardins , à
fleurs jaunes , fasciculées et droites , à étamines deux
fois plus longues que les découpures de la corolle. Il

ne faut pas confondre ce metl avec le maguey de


488 LIVRE IV ,

Cocui * ( floribus ex albo virentibus, longè paniculatis ,

pendulis , staminibus corolla duplo brevioribus ) ou


avec l'Agave cubensis Jaq. que M. Lamarck a appelé A.
mexicana, et que quelques botanistes , j'ignore pour
quoi , ont cru être l'objet principal de la culture des
Mexicains .

Les plantations du maguey de pulque s'étendent


aussi loin que la langue aztèque. Les peuples de race

Otomite , Totonaque et Mistèque ne sont pas adonnés


à l'octli que les Espagnols appellent pulque. Sur le
plateau central on trouve à peine le maguey cultivé
au nord de Salamanca . Les plus belles cultures que j'ai
eu occasion de voir, sont dans la vallée de Toluca `et
dans les plaines de Cholula . Les pieds d'agave y sont
plantés par rangée , à quinze décimètres de distance
les uns des autres . Les plantes ne commencent à don
ner le suc que l'on designe par le nom de miel, à cause
du principe sucré dont il abonde , que lorsque la
hampe est sur le point de se développer. C'est pour
cela qu'il est du plus grand intérêt pour le cultivateur
de connaître exactement l'époque de la floraison .
Sa proximité s'annonce par la direction des feuilles
radicales que l'Indien observe avec beaucoup d'atten

tion . Ces feuilles qui jusque-là étaient penchées vers

* Dans les provinces de Caracas et de Cumana on distingue le ma


guey de cocuyza du maguey de cocuy; le premier est l'Agave ameri
cana , le second le Yucca acaulis à port d'Agave. J'ai vu de ce dernier
des hampes chargées de fleurs , de 12 à 14 mètres de hauteur (Voyez
nos Nov. Gen. et Spec. T. 1, p. 289 , 297. )
CHAPITRE IX . 489

la terre s'élèvent , tout d'un coup , elles tendent à se


rapprocher comme pour couvrir la hampe qui est
prête à se former. Le faisceau des feuilles centrales
( el corazon) devient en même temps d'un vert plus
clair, et s'allonge sensiblement. Les indigènes m'ont
assuré qu'il est difficile de se tromper sur ces signes ,
mais qu'il y en a d'autres non moins importans qu'on
ne peut rendre avec précision , parce qu'ils appar
tiennent simplement au port de la plante. Le cultiva
teur parcourt journellement ses plantations d'agave ,
pour marquer les pieds qui s'approchent de la floraison.

S'il lui reste quelque doute, il s'adresse aux experts du


village , à de vieux Indiens , qui , à cause d'une longue
expérience , ont le jugement ou plutôt le tact plus sûr.
Près de Cholula , et entre Toluca et Cacanumacan ,
un maguey de huit ans donne déjà des signes du dé
veloppement de sa hampe. C'est le moment où com
mence la récolte du suc dont on fait le pulque. On
coupe le corazon, ou le faisceau des feuilles centrales,

on élargit insensiblement la plaie , et on la couvre par


les feuilles latérales qu'on relève , en les rapprochant et
en les liant aux extrémités . C'est dans cette plaie que

les vaisseaux paraissent déposer tout le suc qui devait


former la hampe colossale chargée de fleurs. C'est une
véritable source végétale, qui coule pendant deux ou trois
mois, et à laquelle l'Indien puise trois fois par jour. On
peut juger du mouvement plus ou moins lent de la
sève par la quantité de miel que l'on tire du maguey

à différentes époques du jour. Communément un pied


490 LIVRE IV ,

donne, en vingt-quatre heures,quatre décimètres cubes,


ou 200 pouces cubes qui égalent huit quartillos. De
cette quantité totale on obtient trois quartillos au
lever du soleil , deux à midi , et encore trois à six heures
du soir. Une plante très vigoureuse fournit quelque
fois jusqu'à 15 quartillos , ou 375 pouces cubes par
jour, pendant quatre à cinq mois , ce qui fait le vo
lume énorme de plus de 1100 décimètres cubes . Cette
abondance de suc , produit par un maguey qui a à
peine un mètre et demi de haut , est d'autant plus
étonnante , que les plantations d'agave se trouvent
dans les terrains les plus arides , souvent sur des
bancs de rochers à peine couverts de terre végétale.
La valeur d'un pied de maguey , qui est près de sa
floraison, est à Pachuca de 5 piastres, ou de 25 francs.
Dans un terrain ingrat l'Indien ne compte que 150 bou
teilles par maguey, et 10 à 12 sous la valeur du pulque,

fourni dans un jour. Le produit est inégal comme


celui de la vigne , qui est tantôt plus , tantôt moins
chargée de grappes. J'ai cité plus haut , au sixième
chapitre , l'exemple d'une Indienne de Cholula , qui
laissait à ses enfans des plantations de maguey , que
l'on estimait à 70 ou 80,000 piastres.
La culture de l'agave a des avantages réels sur la
culture du maïs , du blé et des pommes de terre. Cette
plante à feuilles roides et charnues ne craint ni la
sécheresse , ni la grêle , ni l'excès du froid qui règne
en hiver sur les hautes Cordillères du Mexique. La
tige périt après la floraison . Si on lui a ôté le faisceau

1
CHAPITRE IX. 491

des feuilles centrales , elle sèche après que le suc que

la nature paraissait avoir destiné à l'accroissement de


la hampe , est entièrement épuisé. Une infinité de
drageons naissent alors de la racine du pied qui vient
de périr ; car il n'y a pas de plante qui se multiplie
plus facilement. Un arpent de terrain renferme douze
à treize cents pieds de maguey. Si le champ est d'an
cienne culture , on peut estimer qu'annuellement un
douzième ou un quatorzième de ces plantes donne du
miel. Un propriétaire qui plante 30 à 40,000 maguey,
est sûr de fonder la richesse de ses enfans ; mais il faut
de la patience et du courage pour s'adonner à une
culture qui ne commence à devenir lucrative que dans
l'espace de quinze ans. Dans un bon terrain , l'agave
entre en floraison après cinq ans ; dans un terrain très
maigre , on ne peut s'attendre à la récolte qu'au bout
de dix-huit ans. Quoique la rapidité de la végétation
soit du plus grand intérêt pour les cultivateurs mexi
cains , ils ne tentent cependant pas d'accélérer artifi
ciellement le développement de la hampe , en mutilant
les racines ou en les arrosant avec de l'eau chaude.

On a reconnu que , par ces moyens , qui affaiblissent


la plante , on diminue sensiblement l'affluence du suc 1

vers le centre. Un pied de maguey est perdu , si ,


trompé par de fausses apparences , l'Indien fait la plaie
long-temps avant l'époque à laquelle les fleurs se se
raient développées naturellement .
Le miel ou suc de l'agave est d'un aigre- doux assez
agréable. Il fermente facilement à cause du sucre et
492 LIVRE IV ,

du mucilage qu'il contient. Pour accélérer cette fer

mentation , on y ajoute cependant un peu de pulque


vieux et acide. L'opération se termine dans l'espace
de trois ou quatre jours. La boisson vineuse qui res
semble au cidre a une odeur de viande pourrie , exces
sivement désagréable. Les Européens qui sont parve
nus à vaincre le dégoût qu'inspire cette odeur fétide ,
préfèrent le pulque à toute autre boisson. Ils le regar
dent comme stomachique , fortifiant , et surtout comme
très nourrissant. On le recommande aux personnes

trop maigres. J'ai vu des blancs , qui , comme les In


diens mexicains , s'abstenaient totalement de l'eau , de
la bière et du vin , pour ne boire d'autre liquide que
le suc de l'agave. Les connaisseurs parlent avec en
thousiasme du pulque qu'on prépare au village d'Ho
cotitlan , situé au nord de la ville de Toluca , au pied
d'une montagne presque aussi élevée que le Nevado

de ce nom . Ils assurent que l'excellente qualité de ce


pulque ne dépend pas seulement de l'art avec lequel
la boisson est préparée , mais aussi d'un goût du terroir
que prend le suc , selon les champs dans lesquels la
plante est cultivée. Il y a près d'Hocotitlan des planta
tions de maguey ( haciendas de pulque) qui rappor
tent annuellement plus de 40,000 livres de rente. Les
habitans du pays
pays sont très partagés dans leurs opinions
sur la véritable cause de l'odeur fétide que répand le
pulque. On assure généralement que cette odeur qui
est analogue à celle des matières animales est due aux
outres dans lesquelles on renferme le suc frais de l'agave,
CHAPITRE IX . 493

mais plusieurs personnes instruites prétendent que le


pulque préparé dans des pots a la même odeur, et que ,
si on ne la trouve pas dans celui de Toluca , c'est que
le grand froid du plateau y modifie la marche de la
fermentation . Je n'ai eu connaissance de cette dernière

opinion qu'à l'époque de mon départ de Mexico ; de


sorte que je dois regretter de n'avoir pu éclaircir, par
des expériences directes , ce point curieux de la chimie
végétale. Peut-être cette odeur provient-elle de la dé
composition d'une matière végéto-animale , analogue
au gluten , contenue dans le suc de l'agave.
La culture du maguey est un objet si important
pour le fisc , que les droits d'entrée , payés dans les
trois villes de Mexico , Toluca et Puebla , montèrent .
en 1793 , à la somme de 817,739 piastres. Les frais
de perception étaient alors de 56,608 piastres ; de
sorte que le gouvernement tira du suc d'agave un profit
net de 761,131 piastres , ou de plus de 3,800,000 francs.
Le desir d'augmenter les revenus de la couronne a
fait , dans ces derniers temps , surcharger la fabrica
tion du pulque d'une manière aussi vexatoire qu'in
considérée. Il est temps que l'on change de système à
cet égard. Sans cela , il est à présumer que cette cul
ture , une des plus anciennes et des plus lucratives ,
déclinera insensiblement malgré la prédilection déci
dée qu'a le peuple pour le suc fermenté du maguey.
On retire du pulque , par distillation , une eau
de-vic très enivrante , qu'on appelle mexical , ou
aguardiente de maguey. On m'a assuré que la
LIVRE IV,
494
plante que l'on cultive pour en distiller le suc diffère
essentiellement du maguey commun , ou maguey de
pulque. Elle m'a paru plus petite , et à feuilles moins

glauques. Ne l'ayant pas vue en fleur , je ne puis juger


de la différence des deux espèces. La canne à sucre
présente aussi une variété particulière à tige violette ,
qui est venue des côtes d'Afrique ( Caña de Guinea ) ,
" dans la province de Caraccas , on préfère ,
pour la fabrication du rhum , à la canne à sucre

d'Otahiti. Le gouvernement espagnol , et surtout la


Real Hacienda , sévit depuis long-temps contre le
mexical, qui est sévèrement prohibé , parce que son
usage nuit au commerce des eaux-de-vie d'Espagne.
On fabrique cependant une énorme quantité de cette
eau-de-vie de maguey dans les intendances de Valla
dolid , de Mexico et de Durango , surtout dans le nou
veau royaume de Léon . On peut juger de la valeur de
ce trafic illicite , en considérant la disproportion qui
règne entre la population du Mexique et l'importation
des eaux-de-vie d'Europe , qui se fait annuellement
par la Vera-Cruz. Toute cette importation ne s'élève
qu'à 32,000 barrils ! Dans quelques parties du royaume,
par exemple dans les Provincias internas , et dans le
district de Tuxpan , appartenant à l'intendance de Gua
dalaxara , on a commencé , depuis quelque temps , à
permettre la vente publique du mexical , en chargeant
cette liqueur d'un léger impôt. Cette mesure , qu'on
devrait rendre générale , a été profitable au fisc , en
même temps qu'elle a fait cesser les plaintes des habitans.
CHAPITRE IX . 495

Mais le maguey n'est pas seulement la vigne des


peuples aztèques , il peut aussi remplacer le chanvre
de l'Asie et le roseau à papier ( Cyperus papyrus ) des
Egyptiens. Le papier sur lequel les anciens Mexicains .
peignaient leurs figures hiéroglyphiques était fait des
fibres des feuilles d'agave , macérées dans de l'eau , et
collées par couches , comme les fibres du Cyperus de
l'Egypte et du mûrier ( Broussonetia ) des îles de la mer
du Sud. J'ai rapporté plusieurs fragmens de manus
crits aztèques écrits sur du papier de maguey, et d'une
épaisseur si différente , que les uns ressemblent au
carton , et les autres au papier chinois . Ces fragmens
sont d'autant plus intéressans que les seuls hiérogly
phes qui existent à Vienne , à Rome et à Velletri "
sont écrits sur des peaux de cerfs mexicains. Le fil
que l'on retire des feuilles du maguey est connu en

Europe sous le nom de fil de pite ; et les physiciens


le préfèrent à tout autre , parce qu'il est moins sujet à
se tordre. Il résiste moins cependant que celui que l'on

prépare avec les fibres du Phormium. Le suc ( xugo


de cocuyza ) que donne l'agave , lorsqu'il est encore
éloigné de l'époque de sa floraison est très âcre , et
employé avec succès comme caustique , pour nettoyer
les plaies. Les épines qui terminent les feuilles ser
vaient jadis , comme celles des cactus , d'épingles et de
cloux aux Indiens. Les prêtres mexicains s'en per
çaient les bras et la poitrine dans des actes d'expia

*Voyez chap. VI , T. I , p. 373.


LIVRE IV ,
496
tion analogues à ceux des Buddhistes de l'Indostan.

On peut conclure de tout ce que nous venons de


rapporter sur l'usage des différentes parties du ma

guey , qu'après le maïs et la pomme de terre , cette


plante est la plus utile de toutes les productions que
la nature a accordées aux peuples montagnards de
l'Amérique équinoxiale.
Quand les entraves que le gouvernement a misesjus
qu'ici à plusieurs branches de l'industrie nationale
seront écartées , quand l'agriculture mexicaine ne sera
plus enchaînée par un système d'administration qui
appauvrit les colonies sans enrichir la métropole , les
plantations de maguey seront peu-à- peu remplacées
par des vignobles. La culture de la vigne augmentera
surtout avec le nombre des blancs qui consomment
une grande quantité de vins d'Espagne , de France ,
de Madère et des îles Canaries. Mais , dans l'état actuel
des choses , la vigne ne peut presque pas être comptée
parmi les richesses territoriales du Mexique , tant la
récolte en est peu considérable. Le raisin de la meil
leure qualité est celui de Zapotitlan , dans l'intendance
d'Oaxaca. Il y a aussi des vignobles près de Dolores
et San Luis de la Paz , au nord de Guanaxuato , et
dans les Provincias internas , près de Parras et du
Passo del Norte. Le vin du Passo est très estimé ,
surtout celui des terres du marquis de San Miguel. Il
se conserve pendant un grand nombre d'années , quoi
qu'il soit préparé avec peu de soin. On se plaint dans
le pays de ce que le moût récolté sur le plateau fer
CHAPITRE IX . 497
mente difficilement . On a la coutume d'ajouter , au suc
du raisin , de l'arope , c'est-à -dire une petite quantité
de vin auquel on a mêlé du sucre , et qui , par le

moyen de la cuisson , a été réduit en sirop . Ce pro


cédé donne aux vins mexicains un petit goût de moût
qu'ils perdraient , si l'on étudiait davantage l'art de
faire le vin. Lorsque , par la suite des siècles , le Nou
veau Continent , jaloux de son indépendance , voudrait
se passer des productions de l'ancien , les parties mon
tueuses et tempérées du Mexique , de Guatimala , de
la Nouvelle-Grenade et de Caracas , pourraient fournir
du vin à toute l'Amérique septentrionale . Elles devien
draient , pour cette dernière , ce que la France , l'Italie
et l'Espagne sont depuis long-temps pour le nord de
l'Europe !

PIN DU TOME SECOND.

II. 32
TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES DANS CE VOLUME.

Pages.
LIVRE III. Statistique particulière des intendances qui com
posent le royaume de la Nouvelle-Espagne. - Leur étendue
territoriale et leur population .

CHAP. VIII. - De la Division politique du territoire mexicain et


du Rapport de la population des intendances à leur étendue
territoriale. — Villes principales . ib.

Analyse statistique du royaume de la Nouvelle-Espagne. . 15


I. Intendance de Mexico. · 27
II. Intendance de Puebla. · • 148
III. Intendance de Guanaxuato. 160
IV. Intendance de Valladolid. 164
V. Intendance de Guadalaxara . 178
VI. Intendance de Zacatecas 182
VII. Intendance d'Oaxaca . . 184
VIII . Intendance de Merida. 192
IX. Intendance de Vera- Cruz. . 198
X. Intendance de San Luis Potosi. 217
XI. Intendance de Durango. 228
XII. Intendance de la Sonora. . 237
XIII. Province du Nuevo Mexico. . 246
XIV. Province de la Vieille- Californie. 256
XV. Provincede la Nouvelle-Californie 270
Pays situés au nord-ouest du Mexique. 290
500 TABLE DES MATIÈRES.
Pages
Rectifications et notes supplémentaires du tableau statistique de
la Nouvelle-Espagne. · - 328
Chemin de Pueblo Viejo à Mexico. . 364

LIVRE IV. - Etat de l'agriculture de la Nouvelle-Espagne. —


Mines métalliques. 368

CHAP. IX. -Productions végétales du territoire mexicain. ·-


Progrès de la culture du sol. - Influence des mines sur le
défrichement.— Plantes quiservent à la nourriture de l'homme. ib.

FIN DE LA TABLE DU TOME SECOND.

*
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