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Leprette Jacques. Le Conseil de sécurité et la Résolution 377 A (1950). In: Annuaire français de droit international, volume 34,
1988. pp. 424-435;
doi : https://doi.org/10.3406/afdi.1988.2847
https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1988_num_34_1_2847
ORGANISATIONS INTERNATIONALES
UNIVERSELLES
Jacques LEPRETTE
se trouve en cause, que les mécanismes créés par la Charte ne se trouvent pas
réduits à l'impuissance du seul fait de la carence du Conseil de sécurité (genèse et
portée de la résolution 377/A du 3 novembre 1950).
Nous traiterons, dans une seconde partie, de l'évolution de la pratique du
Conseil sur ce point, notamment à l'occasion du débat engagé au Conseil en janvier
1980, en raison de l'entrée des troupes soviétiques en Afghanistan.
(1) Patrick Daillier et Alain Pellet, Droit International public, LGDJ 1987 page 860.
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Les Nations Unies se trouvaient, cinq ans après leur création, devant une
situation de fait qui appelait plusieurs remarques fondamentales.
L'article 12 de la Charte dispose que :
«Tant que le Conseil de sécurité remplit, à l'égard d'un différend ou d'une situation
quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la présente Charte, l'Assemblée
générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à
moins que le Conseil de sécurité ne le lui demande».
Cet article doit être interprété à la lumière de plusieurs autres dispositions
de la Charte.
L'article 11, tout d'abord, qui définit les compétences de l'Assemblée générale
sur les questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité
internationales, ainsi que les limites de ces compétences.
L'article 24 paragraphe 1 , en second lieu :
«Afin d'assurer l'action rapide et efficace de l'Organisation, ses membres
confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la
sécurité internationales et reconnaissent qu'en s'acquittant des devoirs que lui impose
cette responsabilité le Conseil de Sécurité agit en leur nom».
En troisième lieu, l'article 27 paragraphe 3 de la Charte, qui fixe les modalités
de l'adoption des décisions sur toutes les questions autres que de procédure.
Bien que la Charte n'ait pas institué de hiérarchie entre les organes principaux
des Nations Unies, on considère généralement que l'article 12 paragraphe 1 établit
la prééminence du Conseil sur l'Assemblée générale dans le domaine de la paix et
de la sécurité internationales(2). Encore faut-il être précis. Cette disposition
n'emporte aucune restriction quant au «fond» des compétences de l'Assemblée. Elle
lui interdit seulement de présenter des recommandations sur un différend ou une
situation tant que le Conseil remplit à leur égard «les fonctions qui lui sont
attribuées par la présente Charte», «à moins que le Conseil de sécurité ne le lui
demande».
Le Conseil, quant à lui, peut à tout moment exercer la plénitude de ses
compétences dans le domaine de la paix et de la sécurité. Voilà la différence. Elle
est importante. Elle suggère bien un décalage de niveau ou d'autorité. Elle précise
aussi que l'Assemblée ne serait habilitée qu'à présenter des recommandations,
alors que le Conseil, s'il peut aussi formuler des recommandations, a le pouvoir
dans ce domaine de prendre des décisions.
Des différences d'interprétation existent quant au sens du mot
recommandation. Le Conseil, dans les premières années, s'est montré peu désireux de
«demander» à l'Assemblée de faire une recommandation sur une question dont il était
lui-même saisi. En 1947, à propos des incidents survenus à la frontière grecque, il
(2) lire J.P. Cot et A. Pellet - Commentaire de la Charte, article 12, page 300 à 305 par Ph. Manin.
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a préféré rayer de son ordre du jour la question, ce qui laissait le champ libre à
l'Assemblée, plutôt que de s'exposer à l'adoption, par lui et par l'Assemblée, de
recommandations qui auraient pu être divergentes.
Au cours de l'été 1950, une situation différente de celle que les auteurs de la
Charte avaient imaginée se crée. Tandis que les opérations militaires se
poursuivent en Corée, le commandement des Forces des Nations Unies se trouve entravé
dans son exercice et, pour une part, dans sa légitimité par les blocages opérés par
l'Union Soviétique au Conseil de Sécurité.
C'est alors que le Secrétaire d'Etat américain, Dean Acheson, suscite à
l'Assemblée une initiative visant à contourner l'obstacle existant au Conseil. En
adoptant le 3 novembre 1950 la résolution 377 «Uniting for Peace» l'Assemblée se
substituait, en quelque sorte, au Conseil défaillant.
(3) Voir J.P. Cot et A. Pellet, la Charte des Nations Unies -Commentaire - art. 24 par R. Degni-Se-
gui— p. 458 et suivantes.
(4) Voir Michel Virally, L'Organisation mondiale, p. 465, 1972.
(5) Voir R. Pinto, Le droit des relations internationales, Payot, Paris 1972 - p. 303.
(6) J.F. Guilhaudis, Considérations sur la pratique de l'«Union pour le maintien de la paix», AFDI
1981 -p. 382-398.
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(7) La rédaction de ce considérant est très significative : «Consciente des buts et principes de la
Charte et de la responsabilité qui incombe à l'Assemblée générale aux termes des dispositions pertinentes
de la Charte et de la résolution 377 A (V) de l'Assemblée en date du 3/11/50».
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concession faite par le Conseil à l'Assemblée ! Quel bizarre abandon des privilèges
à lui conférés par la Charte !
Il est difficile de comprendre pourquoi de 1950 à 1980 le Conseil a cru devoir
se référer à la 377/A pour décider de convoquer l'Assemblée en session
extraordinaire d'urgence. Ce serait-il agi d'une sorte de complaisance révérentielle à l'égard
d'une initiative américaine à l'époque (les premières fois en 1956) où les Etats-Unis
dominaient encore, quant à l'influence, les Nations Unies ? La France et le
Royaume-Uni (Suez) ne se seraient pas senti le coeur de protester contre cette
référence ; l'Union soviétique quelques jours après (Hongrie) était à son tour mal
placée pour donner des leçons de droit. Les résolutions du Conseil n° 119 et 120
n'ont pas d'autre explication. Par la suite, à la seule exception de l'épisode de 1958
(Liban), le Conseil se serait laissé entraîner par les précédents, sans trop y porter
attention(8).
La France ayant été appelée, par le jeu de l'ordre alphabétique, à présider le
Conseil de sécurité en janvier 1 980, au moment où les troupes soviétiques venaient
d'entrer en Afghanistan, estima que la circonstance devait être utilisée pour créer
un précédent en sens inverse et arrêter le glissement auquel le Conseil de sécurité
s'était laissé aller au cours des 25 dernières années.
Un des moyens symboliques d'y contribuer pouvait être de faire adopter par
le Conseil un texte ne comportant aucune référence à la résolution «Union pour le
maintien de la paix», ni dans les discours, ni dans la résolution.
Je voudrais, dans la 2e partie de mon exposé, évoquer les tenants et
aboutissants de cette initiative.
de siéger en permanence (art. 28), il lui faudrait un Président dès le 1er janvier
1980 :1a France.
Depuis le 25 décembre d'ailleurs, la Mission permanente de la France était en
état d'alerte. Mes collaborateurs révisaient tous les cas de figure des crises graves
du passé, celles principalement où les membres permanents avaient été sur le
devant de la scène. Les demandes de convocation du Conseil sur la question de
l'entrée en Afghanistan des troupes soviétiques commençaient à affluer. On
pouvait se douter que le représentant de Moscou tenterait de faire échec à une
convocation du Conseil. Mais de quelle façon ? Toutes les exceptions de procédure
avaient été soigneusement passées en revue. Des exercices de simulation avaient
été imaginés pour tenter d'anticiper sur la réalité du lendemain.
Rien ne se passe au Conseil le 1er janvier ; mais dès le 2, les interventions
téléphoniques se multiplient. Dans la journée le Représentant du Royaume-Uni
réunit quelques occidentaux. L'Egypte, la Chine, le Pakistan, les Philippines et
Singapour expriment leurs préoccupations. Une liste de pays disposés à saisir le
Conseil de sécurité commence à circuler. Le 3 janvier, à midi, cette liste compte
plus de 25 signatures ; à 15 h. il y en a 32. L'Ambassadeur de l'Union Soviétique
demande à être reçu par le Président dans l'après-midi. L'entretien est fixé à 18 h.
Voilà comment prend corps, dans une situation dramatique, la convocation du
Conseil de sécurité.
Dans la soirée du 3 janvier, 43 Etats signent une lettre priant le Président de
convoquer d'urgence le Conseil «aux fins d'examiner la situation en Afghanistan
et ses conséquences pour la paix et la sécurité internationales». D'autres signatures
suivront, venant de tous les horizons géographiques et politiques, à l'exception des
Etats socialistes. Dans un télégramme du 3 janvier le Ministre des Affaires
étrangères d'Afghanistan, M.M. Dost, s'oppose, de Kaboul, à une éventuelle
réunion du Conseil qui «constituerait une intervention dans les affaires intérieures
de son pays».
Ce n'est pas le lieu de décrire ici ce que furent les journées des 4 au 6 janvier,
mais il était évident que le débat s'achèverait par un vote négatif de l'Union
soviétique sur le projet de résolution préparé par le Bangladesh et co-parrainé par
les Philippines, la Tunisie, la Jamaïque et la Zambie(9).
J'ajoute que le Président ne fit rien pour abréger les interventions devant le
Conseil pendant ces 4 jours. D'abord pour qu'il fût bien clair que tous les pays
avaient eu l'occasion de s'exprimer, ensuite pour laisser à l'Assemblée générale,
qui avait repris ses consultations sur le siège «réservé» à l'Amérique Latine, la
possibilité de se prononcer avant que le Conseil ne fût conduit à voter sur la
question afghane(lO).
Cette course contre la montre aboutit le 7 janvier. La Colombie et Cuba s'étant
retirés, le Mexique fut élu sans difficulté. Je fis passer un message à son
représentant pour l'inviter de façon pressante à occuper son siège sans délai, ce qu'il fit.
Le projet soumis au Conseil par le Bangladesh, la Jamaïque, le Niger, les
Philippines, la Tunisie et la Zambie dans l'après-midi du 7 janvier fut rejeté en
raison du vote négatif de l'Union Soviétique.
(9) S/13729.
(1 0) Afin d'éviter que le Conseil ne fut amené à se prononcer, pour la première fois dans son histoire,
dans une composition ne répondant pas aux dispositions de l'article 23 de la Charte.
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importance décisive, car celui-ci doit s'entretenir aussitôt après avec les membres
non-alignés du Conseil dans une salle proche.
Le Président ne cache rien des raisons de sa tentative. Il sait parfaitement
qu'elle échouerait si les non-alignés lui prêtaient des arrières pensées ou si sa
démarche n'était pas comprise. L'Ambassadeur des Philippines, très bon profes-
sionel avec qui j'étais lié d'amitié depuis longtemps, comprend mes raisons. Deux
objections se présentent cependant à son esprit : 1 - Les non-alignés sont plutôt
favorables à un accroissement des pouvoirs de l'Assemblée. Ne serait-ce pas aller
à contre-courant que de faire disparaître pour la première fois depuis 1960 (20 ans)
la référence à la résolution Acheson dans une décision du Conseil ?
J'observe que le précédent de la guerre de Corée n'a pas laisé de si bons
souvenirs qu'il faille, de façon presque fétichiste, continuer de se référer à cette
opération. Au surplus, le Conseil n'entend nullement réduire le rôle l'Assemblée ;
il en appelle à elle tout au contraire, mais de son propre chef, en demandeur dans
son rôle qui ne doit pas, aux termes de la Charte, être un rôle subalterne ou
subsidiaire. Mon collègue m'écoute en silence.
Mais il y a une deuxième objection : le texte du projet (avec sa référence à la
377/A) a été approuvé par Manille, de même que le discours qu'il est prêt à
prononcer dans l'après-midi et qui comporte référence à la résolution «Union pour
le maintien de la paix». Avec le décalage horaire, il lui semble presqu'impossible
de joindre ses autorités et de les convaincre avant la fin de la journée. Mais il
m'assure de sa coopération «dans la mesure du possible».
Dans les minutes qui suivent le Président s'entretient avec le Conseiller
juridique de l'Organisation et le rallie à son point de vue.
Il juge qu'il n'est pas nécessaire d'approcher le Représentant soviétique, se
souvenant qu'en 1958 la délégation soviétique, dans l'affaire du Liban, avait
présenté un projet de convocation d'urgence de l'Assemblée qui se gardait (à la
différence d'un projet américain) de toute référence à la 377VA.
Avant la fin de la matinée, l'Ambassadeur de Philippines revient au bureau
du Président pour lui annoncer que les non-alignés ont accepté que soit biffée, dans
le texte, la mention de la 377/A.
Deux personnalités demeurent à convaincre : l'Ambassadeur des Etats-Unis
et le Ministre des Affaires étrangères du Mexique, M. Castaneda, qui siège
personnellement au Conseil.
Le premier se déclare prêt à sacrifier la référence, mais affirme que le mexicain
tiendra absolument à son maintien. La discussion s'engage donc avec M. J.
Castaneda qui, dans un premier temps, considère que l'absence de mention explicite ne
changerait rien d'un point de vue juridique, car selon lui, seule la résolution 377,
et non pas la Charte, offre une base «légale» à la convocation de l'Assemblée
générale pour des crises de cet ordre. Le Ministre mexicain des Affaires étrangères,
lui-même juriste eminent (et c'est la raison pour laquelle son témoignage avait une
si grande valeur), finit par accepter que disparaisse du texte toute référence à la
résolution «Union pour le maintien de la paix»(14). Pendant ce temps, la plupart
de mes collègues prennent sur eux d'éliminer la même référence du texte de leurs
discours déjà rédigés.
La France voulut aller plus loin et «tirer les conséquences» du vote du 9 janvier
1980 (résolution 462). En 1981, sa délégation à l'Assemblée proposa au «Comité
spécial de la Charte des Nations Unies et du raffermissement du rôle de
l'Organisation» que soit supprimée, dans le règlement intérieur de l'Assemblée, toute
mention de la résolution 377/A dans les articles 8 et 9 du règlement et que, dans
l'article 19, elle soit remplacée expressément par une référence à l'article 11
paragraphe 2 de la Charte. Cette initiative n'a jusqu'ici pas abouti. Elle n'était pas
dirigée contre l'Assemblée, mais visait à redresser une situation devenue confuse
juridiquement plus de trente ans après la guerre de Corée. Elle répondait au souci
de «permettre à l'Assemblée d'exercer pleinement les fonctions décrites au
paragraphe 2 de l'article 11 de la Charte et de préserver l'entière liberté de son droit
de discussion»(16).
Mais il existe à l'Assemblée un courant peu disposé à remettre en cause
l'initiative de 1950. Cette tendance, présente également au sein du Comité spécial
de la Charte, préconise tout à la fois un amoindrissement de l'exercice du veto au
Conseil ainsi qu'un «renforcement du rôle de l'Assemblée générale dans le domaine
du maintien de la paix et de la sécurité internationales en faisant plein usage des
dispositions des articles 10, 11, 13 et 14 ainsi que des résolutions pertinentes de
l'Assemblée générale»(17).
(15) Curieusement certains auteurs, sur la foi d'une information incomplète, continuent d'écrire que
la résolution 211IA a été utilisée par le Conseil de Sécurité dans l'affaire d'Afghanistan, ou bien que
l'Assemblée Générale a été convoquée sur la base de la résolution 377/ 'A à l'occasion de l'affaire afghane,
ou bien encore qu'en deux ans, du 9 janvier 1980 au 28 janvier 1982, elle a été employée quatre fois. Ces
formules ne correspondent pas à la réalité.
(16) Rapport du Comité spécial : A/38/33 page 30. Voir également : J.P. Cot et A. Pellet,
Commentaire de la Charte, Art. 11 § 2 et 3 p. 282 Hervé Cassan.
(17) Voir le document présenté au Comité spécial de la Charte par l'Algérie, Chypre, le Congo,
l'Egypte, le Ghana, la Tunisie, la Yougoslavie, etc.. A/AG.182/WG/46 rev. 2 II A, 2, II A, texte dans A/35/33.
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