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Le siège de la

Direction générale
de la sécurité
extérieure (DGSE),
boulevard Mortier,
à Paris. Le cœur
du renseignement

MARTIN BUREAU/AFP
français et
des opérations
clandestines menées
à l’étranger.

LA VRAIE VIE « Le Bureau des légendes », la série télévisée de Canal+, donne une image plutôt
réaliste des agents de la DGSE. Mais le vrai travail de fourmi des professionnels

DES ESPIONS
24 LE FIGARO MAGAZINE - 4 AOÛT 2017
du renseignement est plus rude et moins romanesque. Enquête sur la réalité
d’un vieux métier en plein bouleversement technologique. PAR VINCENT NOUZILLE

4 AOÛT 2017 - LE FIGARO MAGAZINE 25


L
Dans une des salles de crise de la DGSE, des agents
surveillent 24 heures sur 24 tout ce qui se passe
dans le monde. Avec un mot d’ordre : l’anticipation.
Lorsqu’une crise survient (guerre, prise d’otages,
attentat), tout le monde est sur le pont, avec des
moyens techniques ultramodernes.
es personnages et les situations de cette série
étant purement fictifs, toute ressemblance avec
des personnes ou des situations existantes ne
saurait être que fortuite. » Cette
formule légale est habituelle
pour toute œuvre de fiction.
Mais pour Le Bureau des légen-
des, la création originale de
Canal + qui connaît un vif succès mondial (lire l’encadré p. 36),
elle s’applique avec une certaine ironie. Car ses concepteurs,
le réalisateur Eric Rochant et son associé producteur Alex
Berger, ont tout fait pour que leur série d’espionnage, dont les
héros sont des agents de la Direction générale de la sécurité
extérieure (DGSE), les services secrets extérieurs français,
reflète au mieux le quotidien des agents de renseignement.
« Nous voulions montrer comment des gens ordinaires font un
métier difficile, puisqu’ils doivent mentir en respectant une sorte
de code d’honneur », explique Alex Berger.

MARTIN BUREAU/AFP
Avant le lancement de sa série en 2015, Eric Rochant, réalisa- JEAN-PIERRE REY

teur de films de référence sur le monde de l’espionnage,


comme Les Patriotes et Möbius, a été reçu avec bienveillance
par le directeur général, le diplomate Bernard Bajolet, qui
vient de quitter ses fonctions (lire l’encadré pp. 28-29). Puis le
cinéaste a passé un « grand oral » devant tous les directeurs
décors du Bureau des légendes sont, en effet, saisissants de
vérité (lire les détails du vrai et du faux de la série p. 32 à p. 36), DES RÈGLES TRÈS expertise de long terme », comme l’a rappelé le directeur géné-
ral Bernard Bajolet dans la Revue défense nationale, début 2014.
de la « Boîte » - c’est ainsi que ses agents la surnomment - qui de la couleur des murs du siège de la DGSE aux cartes de la Mission complexe : les services français ont bien vu venir la
ont soutenu le projet à l’unanimité. L’utilisation du logo de la
DGSE a été autorisé, tout comme des tournages extérieurs
Syrie en guerre. Présentées en avant-première à quelque
300 agents et cadres de la DGSE dans un amphithéâtre du
CONTRAIGNANTES chute du mur de Berlin, la guerre d’Irak de 2003 ou la poussée
djihadiste au Mali début 2013, mais ils ont moins bien anticipé
devant le siège, boulevard Mortier, dans le XXe arrondisse-
ment. L’équipe en charge de la série et la DGSE ont eu des
boulevard Mortier, les trois saisons déjà diffusées ont
d’ailleurs toutes été accueillies par une ovation. « Chaque ET DES MISSIONS les révolutions arabes de 2011, l’émergence de Daech en 2014
ou les attentats terroristes de 2015. Le renseignement n’est
échanges ponctuels, que ce soit sur l’organisation de la fois, c’est un grand moment d’émotion pour moi », confie Alex pas une science exacte, car il repose souvent sur des sources
maison, les profils des agents, ou la situation de certaines
régions du monde, qui donnent le cadre des aventures des
Berger.
Pour la DGSE, Le Bureau des légendes constitue une opération
HORS NORMES humaines. Dans le monde entier, plusieurs centaines
d’agents de la DGSE, officiellement installés dans les ambas-
héros, sans dévoiler de secrets d’Etat ni de modes opératoires. de communication réussie. Après des décennies de réputation sades de France sous la couverture de diplomates, collectent,
« Nous nous voyons deux ou trois fois par an pour vérifier la mitigée et de méfiance de l’exécutif à son égard, la Boîte a « Nous faisons un boulot exceptionnel, mais c’est un travail rude, en effet, des renseignements auprès d’honorables correspon-
plausibilité de quelques points, mais nous gardons notre liberté regagné des galons et s’est professionnalisée. Aujourd’hui, elle compartimenté, minutieux, contraignant, parfois très adminis- dants (des personnes volontaires) ou manipulent des sources
créatrice, sans faire relire nos scénarios, ni employer des emploie 6 500 agents - dont 63 % de civils et 25 % de femmes - tratif ou très technique. Nous sommes au service du pays tout en afin qu’elles livrent quelques secrets. « Durant un séjour de
consultants de la DGSE », insiste Camille de Castelnau, adjointe et continue d’embaucher à tour de bras : près de 600 arrivées étant contraints au secret, ce qui est parfois difficile à supporter », deux à trois ans dans un pays, si on a recruté une ou deux sources,
d’Eric Rochant pour l’écriture. sont prévues d’ici à fin 2019. « Nous recrutons des profils très raconte un ancien cadre de la Direction du renseignement. ce n’est déjà pas mal », se souvient Guy, qui fut notamment en
qualifiés : par exemple, des ingénieurs et des linguistes, dans des « Le fait de ne pas pouvoir communiquer avec nos proches poste au Moyen-Orient dans les années 2000.
Le résultat est donc bien une fiction : l’histoire d’un agent secteurs concurrentiels, confirme son porte-parole. Il y a une pendant nos missions et de ne rien pouvoir dire à notre retour est
français, surnommé « Malotru », joué par Mathieu Kassovitz, appétence croissante des jeunes pour le renseignement et la DGSE lourd », ajoute un ancien officier du Service action (SA), le bras Patience et précaution sont les maîtres mots des agents
de retour de mission clandestine à Damas durant six ans, qui est attractive. Mais nous devons expliquer toujours mieux nos armé de la DGSE, chargé des opérations clandestines les plus envoyés sur le terrain. Auparavant, ces recrues ont été formées
trahit la DGSE pour sauver son amoureuse syrienne avec l’aide métiers et nos missions. C’est pourquoi nous assumons une offensives à l’étranger. Au sein du SA, selon plusieurs sources aux mesures de sécurité, aux changements d’apparence, aux
de la CIA est peu probable. L’accumulation d’événements qui certaine ouverture. » La série télévisée de Canal+ est tombée à concordantes, le taux de divorces aurait dépassé les 90 % à rendez-vous secrets et à l’art de nouer des contacts et de
rythment le récit n’a pas grand-chose à voir avec le tempo réel point nommé pour conforter cette politique. « Une fiction, certaines époques… recruter des sources. Certains se déplacent pour des missions
du monde du renseignement. « De plus, les personnages de la c’est un vecteur puissant d’image », dit-on boulevard Mortier, La première mission de la DGSE, la collecte de renseigne- ponctuelles, avec une légende, c’est-à-dire une identité
série font plusieurs métiers en un, notamment du renseignement et où l’on se félicite que la DGSE soit présentée « sans caricature » ments, relève, en réalité, d’un véritable travail de fourmi. Au fictive, qu’ils ont travaillée durant plusieurs mois afin de la
des opérations, ce qui n’est pas possible », note un initié. Mais, dans Le Bureau des légendes. « Certains agents nous ont assuré sein de la Direction du renseignement, près de 1 500 agents rendre crédible avant de partir. Une tâche difficile, car il n’est
globalement, le ton est juste. « Les personnages sont bien que leurs enfants découvraient leur univers de travail grâce à trient et analysent des informations confidentielles recueillies pas facile de mentir en permanence et de passer inaperçu. « A
campés, et l’ambiance à la DGSE très bien restituée », estime nous », explique Alex Berger. Plus surprenant : désormais, partout dans le monde. Ils rédigent près de 7 000 notes la fin des années 1970, nos instructeurs nous disaient de nous
Yvonnick Denoël, historien du renseignement et coauteur de presque toutes les recrues récentes de la DGSE connaissent Le chaque année, dont l’essentiel est distribué dans les princi- laisser pousser les cheveux et de porter des jeans troués parce que
Comment devient-on espion ? (Nouveau Monde Editions). Bureau des légendes. Parmi ces espions en herbe, plusieurs ont paux centres du pouvoir, de Matignon à l’Elysée, en passant c’était la mode, se souvient François Waroux, ex-officier
« C’est de loin la série française d’espionnage la plus réaliste et la dit avoir été motivés en visionnant la série ! par les ministères de la Défense et de l’Intérieur. Le but officiel traitant de la DGSE, auteur d’un livre de souvenirs au titre
plus réussie », renchérit Eric Denécé, directeur du Centre Mais gare ! Car le vrai quotidien des espions est moins est de « réduire l’incertitude », autrement dit « éviter à notre explicite : James Bond n’existe pas (Mareuil Editions). Il faut
français de recherches sur le renseignement (CF2R). Les flamboyant qu’une fiction, aussi bien renseignée soit-elle. pays toute surprise stratégique, fournir à nos autorités une avoir un vrai dédoublement de la personnalité, ce qui crée un ­

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­ certain stress, surtout quand on traverse les frontières. l’essentiel de leur temps sur leurs ordinateurs à éplucher,
Officiellement, je devais aller aux Etats-Unis comme profession- disséquer, vérifier tous les renseignements qui leur parvien-
nel du tourisme. Je passais donc du temps à visiter les centres de nent, y compris ceux fournis par la direction technique ou
loisirs de Floride. En réalité, je rencontrais clandestinement des par des services étrangers. Ils doivent en établir la fiabilité,
sources qui me procuraient des renseignements technologiques. » selon le degré de crédibilité des sources, et les mettre en pers-
Mais l’agent ignorait comment les informations recueillies pective. « Cela s’apparente à une vie de métro-boulot-dodo,
étaient ensuite analysées, et à qui elles étaient transmises. Car comme beaucoup de fonctionnaires d’administrations centrales »,
tout est compartimenté à la DGSE selon le principe du « droit s’amuse un habitué du boulevard Mortier. Mais ce travail
d’en connaître » : nul n’est censé en savoir plus que ce que sa minutieux et casanier n’est pas forcément éternel. « Nous les
mission lui impose. « On ne connaît qu’une partie du tout. C’est formons à toutes les techniques de renseignement, car ils vont avoir
une règle de protection intangible », répète-t-on au siège de la des carrières évolutives qui peuvent les conduire à des affectations
maison. à l’étranger », explique le porte-parole de la DGSE.
A l’étranger, la solitude est souvent le prix à payer de ce Ces dernières années, la Boîte a recruté en masse des
cloisonnement. « Sur le terrain, on est seul, livré à soi-même, analystes et des linguistes, par les voies classiques des
c’est pour cela que la sélection est importante, car les tentations concours administratifs, dans le vivier des armées, ainsi
existent », raconte Patrick, ancien responsable du Service que dans le monde civil, via des contrats de trois ans, renouve-
missions, qui témoigne dans le livre de Jean-Christophe lables une fois. Des diplômés issus des masters de relations
Notin Les Guerriers de l’ombre (Tallandier) et le film documen- internationales de type Sciences-Po, des géographes et des

PATRICK TOURNEBOEUF/TENDANCE FLOUE


6 500 personnes
taire du même nom, réalisé par Frédéric Schoendoerffer polyglottes parlant le farsi, le pachtoun, les dialectes
travaillent à la « Boîte »,
et diffusé en juin sur Canal+. Plusieurs agents ont, par dont une bonne partie
syro-libanais, le chinois ou le russe sont particulièrement
exemple, été confrontés à des cas de conscience concernant au siège, dans l’ancienne recherchés. Après une sélection sévère, les impétrants
des liaisons nouées durant leur séjour, qui pouvaient affec- caserne du boulevard doivent se plier à des contraintes strictes : une enquête de
ter leur sécurité ou accroître une forme de schizophrénie. Mortier. 600 recrutements sécurité sur eux et leurs proches, une interdiction de
Généralement, la DGSE n’apprécie guère ce genre de situa- sont prévus d’ici à fin 2019. mentionner leur appartenance à la DGSE et leur travail, une
tion ! La cinquantaine bien tassée, le regard toujours présence discrète sur les réseaux sociaux, des déplacements
aux aguets, Hervé, qui a longtemps été clandestin en à l’étranger soumis à autorisation. « Ils font des choses hors
Afrique pour la Direction du renseignement, confirme cet culièrement marqué les esprits. « Nous ne laissons pas tomber refus [de leur part], même pour les missions les plus dangereuses normes qui impliquent des règles de clandestinité auxquelles ils
isolement ressenti loin de Paris. « Il y avait parfois de l’adré- les nôtres, explique un ancien cadre du SA. Pendant plus de ou les plus délicates, a rapporté Bernard Bajolet dans une doivent se soumettre », dit-on boulevard Mortier. Tous
naline intense, provoquée par une manipulation réussie ou un trois ans, des centaines de personnes ont travaillé dans l’ombre interview à Politique internationale, fin 2016. Dès qu’il y a une travaillent dans l’ombre, sur des sujets géopolitiques
renseignement obtenu. Mais je me sentais souvent perdu, sans tous les jours pour essayer de le sauver. » En vain : le raid pour crise, tous les personnels sont sur le pont, la nuit, le week-end, passionnants, mais sans reconnaissance visible. Avec des
contact avec la Boîte, sans garde-fous. C’était très usant, au tenter de récupérer Denis Allex en Somalie a mal tourné en avant même qu’on le leur demande. » salaires bruts proposés d’au moins 35 000 euros par an, la
point que je me posais parfois des questions sur le sens de mes janvier 2013, provoquant le décès de l’otage DGSE paie correctement ses contractuels débutants, tout
missions et même sur ma vraie identité. Il a fallu que je m’endur- et de deux autres militaires du Service action. La DGSE a été La plupart des experts du renseignement ne sont pas exposés en ayant du mal à retenir les plus expérimentés. « Beaucoup
cisse progressivement. » Dans Le Bureau des légendes, une durement éprouvée ces dernières années, avec huit morts directement. Beaucoup d’analystes, par exemple, restent ne restent que quelques années à la DGSE. Je me suis fait une
jeune sismologue qui opère pour la DGSE se retrouve en mission en Libye et à Malte durant la seule année 2016. essentiellement parisiens. Spécialistes de tel ou tel pays, belle carte de visite et je gagne désormais mieux ma vie dans le
emprisonnée en Iran et doit se débrouiller par elle-même Les risques pris par ses agents sont parfois colossaux, sans expert dans un domaine particulier (la prolifération privé », raconte Marc, 37 ans, ex-analyste devenu cadre
pour se tirer d’affaire. Hervé a enduré cette situation, qui que cela freine leur engagement. « Je n’ai jamais essuyé de nucléaire, la piraterie maritime ou la cyberguerre), ils passent dans le secteur de l’intelligence économique. ­
exige du sang-froid et une solide endurance. « J’ai été arrêté
en passant une frontière, interrogé longuement et tabassé.

DGSE : NOUVEAU PATRON, NOUVEAU DISPOSITIF


J’ai réussi à m’évader, mais il m’a fallu plusieurs mois pour
rejoindre la France. Quand je suis arrivé à Paris, tout le monde,

L
à la Boîte, me croyait disparu. »
’arrivée d’Emmanuel Bajolet a poursuivi la moder- connaît par cœur les arcanes du
Généralement, la DGSE intercède de manière plus active pour Macron à l’Elysée a nisation de la DGSE et relancé la Moyen-Orient. Mais il se mon-
récupérer ses agents s’ils sont en captivité à l’étranger, coïncidé avec la fin du collecte du renseignement trera sans doute plus prudent
comme ce fut le cas pour les faux époux Turenge, arrêtés en mandat de Bernard humain. Il n’a pas hésité à assu- que son prédécesseur. Et il devra
1985 en Nouvelle-Zélande après l’affaire du Rainbow Bajolet, âgé de 67 ans. A la tête mer des opérations clandestines surtout, désormais, rendre
Warrior, un navire de Greenpeace saboté par la DGSE. A la de la DGSE depuis avril 2013, violentes, jusqu’à des exécutions compte directement de ses
fin des années 1980, un agent emprisonné dans un pays de ce diplomate de carrière, habitué ciblées, avec l’aval du président activités au patron de nouveau
la Corne de l’Afrique, alors qu’il œuvrait pour la DGSE avec des pays difficiles comme François Hollande, qui a lui- Centre national du contre-
le Mossad afin d’exfiltrer des juifs du Soudan vers Israël, a pu l’Algérie, l’Irak et l’Afghanistan, a même confirmé publiquement terrorisme de l’Elysée, le préfet
être libéré suite à un accord négocié au sommet entre Etats. mené la « Boîte » tambour avoir approuvé certaines de ces Pierre de Bousquet de Florian,
En 2002, le ministère de la Défense est aussi intervenu battant en période de crises, du actions. Nommé le 22 juin, son qui est aussi le coordon-nateur
directement auprès du procureur de Catalogne pour se Sahel à l’Irak, et d’attentats en successeur choisi par l’Elysée, national du renseigne-ment. Un
porter garant de deux agents « Alpha », la petite cellule France, vécus comme des Bernard Emié, 58 ans, est double poste straté-gique, voulu
ultrasecrète des tueurs de la DGSE, qui avaient été interpel- « échecs » par le service. également un diplomate par Emmanuel Macron, pour
lés par hasard par des policiers espagnols près de Barcelone Cultivant une relation personnelle expérimenté. Ancien conseiller mieux piloter l’en-semble des
ÉRIC DESSONS/JDD/SIPA

avec des armes de guerre. avec le président de la diplomatique adjoint de Jacques services de rensei-gnement et de

RYAD KRAMDI/AFP
La détention très éprouvante d’un autre agent, connu sous République, parfois au détriment Chirac, ex-ambassadeur en l’antiter-rorisme, qui souffrent, de
Bernard Bernard
son identité fictive de Denis Allex, enlevé en Somalie en de son autorité de tutelle du Emié.
Jordanie, au Liban, en Turquie, longue date, de lacunes en
Bajolet.
juillet 2009 par le groupe djihadiste des Shebabs, a parti- ministère de la Défense, Bernard au Royaume-Uni et à Alger, il matière de coordination. V. N.

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Des agents de
la Direction du
renseignement
en mission clandestine
au Sahel. Ils restent

JEAN-PIERRE REY
en contact permanent
avec le quartier
général parisien.

HUIT AGENTS
DE LA DGSE
SONT MORTS EN
MISSION EN 2016
beaucoup de jeunes ingénieurs comme moi, pour des experts des
réseaux ou des mathématiciens, car les projets sont motivants »,
explique Germain, 35 ans, spécialiste des télécoms qui a passé
trois ans à la Boîte.
Même s’ils officient souvent en équipe avec des analystes, la
MAXPPP

plupart de ces experts, soumis aux mêmes normes de sécurité


L’assassinat en janvier 2013 de l’agent surnommé Denis que l’ensemble du personnel, effectuent un travail cloisonné,
Allex, enlevé en Somalie, a traumatisé la DGSE. assez peu nomade et hyperpointu. « C’est un job de geek, avec
des missions très techniques », confirme Yvonnick Denoël.
­ Les sédentaires sont également légion au sein de la Pour preuve : les 48 stages offerts en 2017 à des brillants
Direction technique (DT), où officient plus de 2 000 agents. diplômés en fin d’études portent sur des sujets abscons,
Longtemps en retard sur ses homologues étrangers comme la comme le développement d’outils de gestion des bases de
NSA américaine ou le GCHQ britannique, la DT de la DGSE est données, la conception d’algorithmes pour l’analyse de
montée en puissance de manière spectaculaire ces dernières graphes ou la détection des vulnérabilités des codes. Derrière
années. Véritable forteresse tenue par des ingénieurs, comme ces intitulés hermétiques, il s’agit parfois d’aider la DGSE à
le centralien Bernard Barbier, expert en cryptographie, mener une cyberguerre offensive, autrement dit à pirater des
patron de la DT de 2006 à 2014, elle a bénéficié d’investisse- technologies existantes. Ainsi propose-t-elle des stages
ments massifs. Ses stations d’écoutes hertziennes, réparties visant à extraire des informations cachées grâce au « dévelop-
sous plusieurs latitudes, ont été complétées par d’impres- pement d’un logiciel permettant la recherche et la détection de
sionnants outils de captation des flux internet, une zones fantômes dans des fichiers de différents formats » ou à « la
plateforme de cryptanalyse et de déchiffrement, des satellites récupération de données sur différents supports numériques : clés
délivrant des images haute définition, des superordinateurs USB, smartphones, cartes mémoire, disques SSD… ». La DGSE
traitant des milliards de métadonnées. La DGSE contrôle précise, dans ce dernier cas, que le stagiaire devra « rechercher
aujourd’hui un dispositif dernier cri de surveillance - images, des vulnérabilités pour contourner les protections afin d’accéder
sons, textes -, mutualisé avec les autres services de rensei- aux données »… Un vrai espionnage virtuel sans quitter
gnement français. « Travailler à la DT, c’est un must pour les bureaux. Avis aux candidats ! ■ VINCENT NOUZILLE

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“LE BUREAU DES LÉGENDES”,
LE VRAI ET LE FAUX
La série télévisée de Canal+ a obtenu l’aval de la DGSE. Elle est assez proche de la vérité sur de
nombreux points. Mais pas sur tout. Revue de détail.

DES BUREAUX SOUS LES TOITS

L U T T LA SÉRIE
P I Elle montre des bureaux mansardés situés au dernier
VRA étage du siège de la DGSE, qui est installée boulevard
Mortier, dans le XX e arrondissement de Paris. Des
agents y travaillent sur des ordinateurs sécurisés, dans
des bureaux où tout doit être rangé dans des armoires,
le soir. Ils se réunissent dans un bureau de verre installé
au centre de ce petit service.

LA RÉALITÉ
La salle de verre et les fenêtres en œil-de-bœuf sont pure-
ment imaginaires. Mais le chef décorateur du Bureau des
légendes a pu visiter les locaux de la DGSE (sans prendre
de photos) installés dans l’ancienne caserne Mortier, et
reproduire de mémoire beaucoup de détails. L’ensemble
est plutôt réaliste : ordinateurs, cartes aux murs, armoires
XAVIER LAHACHE/CANAL+

coffrées, broyeurs de papiers, dédales de couloirs, salon


des visiteurs, et même la cantine maison. « Les décors
de la série sont plus luxueux que les vrais bureaux »,
s’amuse un initié.

LA DGSE CONTRÔLE UNE OPÉRATION DU MOSSAD

L U T T LA SÉRIE
P X
Oron, un agent du Mossad, recrute une sismologue française

FAU (Marina Loiseau, jouée par Sara Giraudeau) afin qu’elle mène
discrètement une intrusion informatique visant à retarder le
programme nucléaire iranien. Mais la sismologue travaille en
fait pour la DGSE, qui contrôle de facto cette opération des
services secrets israéliens.

LA RÉALITÉ
Le Mossad aurait bien retardé le programme nucléaire iranien
à la fin des années 2000 grâce à un virus informatique baptisé
Stuxnet. Conçu probablement avec les services américains, ce
JESSICA FORDE/TOP THE OLIGARCHS PRODUCTIONS/CANAL+

virus a ralenti de manière discrète le rythme des centrifu-


geuses de la centrale de Natanz, freinant les projets iraniens
d’enrichissement d’uranium de plusieurs années. Mais la
DGSE n’a pas supervisé ce piratage. A l’inverse, le Mossad est
plutôt réputé pour son art de la manipulation détournée des
sources, voire de services étrangers. Une enquête judiciaire,
révélée par Le Monde en mars, est d’ailleurs en cours à Paris
suite à des soupçons d’infiltration de la DGSI par les services
israéliens lors d’une opération menée conjointement pour
surveiller les armes chimiques détenues par la Syrie.

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UN INFORMATICIEN À TOUT FAIRE POUR AIDER LES OPÉRATIONS

L U T T LA SÉRIE
P X Un jeune informaticien très débrouillard, Sylvain
FAU Ellenstein (interprété par Jules Sagot), fournit une aide
opérationnelle pour fabriquer les légendes, repérer
des communications, pirater des ordinateurs, suivre
en direct des itinéraires, réparer ou démonter des
téléphones. Il est même capable de fournir un échan-
tillon de poison mortel à un directeur qui part en Syrie.
Il travaille dans un atelier, véritable fourre-tout et
concentré de technologies. Cet atelier est un clin d’oeil
du cinéaste Eric à l’antre de « Q », le Mr Gadget des

XAVIER LAHACHE/CANAL+
James Bond, incarné par un jeune génie informatique
dans « Skyfall » (2012).

LA RÉALITÉ
Un seul homme, aussi doué soit-il, ne peut concentrer
tout ce travail à la DGSE et assumer des tâches aussi
variées. La Direction technique qui est notamment en
charge des interceptions et du recueil de métadonnées,
emploie à elle seule plus de 2 000 agents, dont une
majorité d’as de l’informatique et de la sécurité des
réseaux. En son sein, il existe un Service technique
d’appui (STA), avec plus de 400 experts chargés
de mettre au point des technologies adaptées aux
opérations clandestines, y compris le piratage de
téléphones, des caméras et des armes miniatures. On
y trouve aussi des spécialistes des faux papiers, des
serruriers, des costumiers et des maroquiniers. Car,
pour partir en mission à l’étranger, un agent doit
CANAL +

bénéficier de la compétence de tous ces métiers.

LES LÉGENDES : DES IDENTITÉS FICTIVES

L U T T LA SÉRIE
P I Un service, baptisé Le Bureau des légendes, prépare les
VRA missions des agents clandestins envoyés à l’étranger avec
des identités fictives appelées « légendes », afin de repérer
des sources potentielles pour la Direction du renseigne-
ment. Interprété par Mathieu Kassovitz, Guillaume
Debailly, alias « Malotru » au sein de la DGSE, a ainsi
travaillé six ans comme clandestin en Syrie sous l’identité
fictive de Paul Lefebvre, professeur de français.

LA RÉALITÉ
Des agents partent effectivement sous légende à l’étranger,
JESSICA FORDE/TOP THE OLIGARCHS PRODUCTIONS/CANAL+

que ce soit par la Direction du renseignement, ou par la


Direction des opérations de la DGSE, qui supervise le Service
missions et le Service action. Ces légendes sont minutieuse-
ment préparées dans chaque service pour pouvoir être
crédibles. « Connaître votre légende sur le bout des doigts
peut vous sauver la vie », raconte Jean-Marc Gadoullet,
ancien officier du Service action, dans son livre Agent secret
(Robert Laffont). Celui-ci a utilisé quatre identités fictives
durant ses quinze ans de mission : journaliste, écrivain,
homme d’affaires et officier de la marine marchande.

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UNE SALLE DE CRISE ACTIVE 24 HEURES SUR 24

L U T T LA SÉRIE
P I Pour gérer les crises, notamment la mystérieuse dispa-
VRA rition d’un agent à Alger, la localisation d’un dangereux
djihadiste ayant rallié l’Etat islamique ou la prise d’un
agent en otage, les responsables de la DGSE se réunis-
sent dans une salle de crise, avec des horloges, des
cartes, des écrans de télévision, des ordinateurs et des
retransmissions de communications interceptées.
PHOTOS JESSICA FORDE / TOP THE OLIGARCHS PRODUCTIONS / CANAL+

LA RÉALITÉ
Une salle de crise, appelée Centre de veille opérationnel
(CVO), existe réellement boulevard Mortier. La pièce
principale, plus grande que dans la série, surveille tout
ce qui se passe dans le monde, 24 heures sur 24, comme
une tour de contrôle. S’y ajoutent plusieurs plus petites
salles annexes, affectées à la gestion de crises particu-
lières, comme les prises d’otages ou l’évolution de la
situation syro-irakienne. En janvier 2013, le raid avorté
en Somalie pour tenter de sauver un agent de la DGSE
retenu en otage a été suivi en direct dans ces salles.

UNE TAUPE RECRUTÉE À LA TÊTE DE L’ÉTAT ISLAMIQUE


T T LA SÉRIE
PLU UX La DGSE tente de recruter un des dirigeants de l’Etat
FA islamique, un Irakien qui a déjà été en contact avec les
services français. Cette défection est combinée avec des
négociations pour la libération d’un otage.

LA RÉALITÉ
La DGSE bénéficie de sources humaines en Irak et en Syrie.
Mais exfiltrer un haut responsable de Daech tout en libérant
un otage relève d’une gageure. Cependant, rien n’est
impossible : au printemps 2003, en pleine guerre d’Irak, le
général Philippe Rondot avait négocié la défection du
général irakien Tahir Haboush, chef des services secrets de
Saddam Hussein.

UN SUCCÈS PLANÉTAIRE
J
e reviens d’Asie, où nous avons fait d’écriture et de tournage, nous essayons
plusieurs avant-premières à Hongkong, de faire évoluer le système de production
Bangkok et Séoul. Chaque fois, français », plaide Alex Berger, dont la société
l’accueil est formidable. » Alex Berger, TOP The Oligarchs Productions est installée
coproducteur du Bureau des légendes avec à Saint-Denis, au cœur de la Cité du cinéma.
le réalisateur Eric Rochant, est un homme Intéressés, les Américains ont acheté le droit
heureux. Avec sa troisième saison très réussie de faire un remake du Bureau des légendes, la chaîne américaine HBO. Et travaillent
– d’un coût de 17,1 millions d’euros – la série avec la CIA comme toile de fond, prétitré d’arrache-pied sur la saison 4 du Bureau
originale commandée par Canal+ s’est imposée The Department. des légendes, en cours d’écriture pour Canal+.
comme une référence, déjà vendue dans plus Alex Berger et Eric Rochant prendront de courtes Un indice sur le scénario : Mathieu Kassovitz,
de 70 pays, un record pour une série tournée vacances cet été : ils cogitent sur plusieurs alias « Malotru », devrait se retrouver dans
en français. « Avec un style réaliste, une patte autres projets, viennent de terminer un épisode- des pays de l’Est, notamment en contact
créatrice et des méthodes très rigoureuses pilote d’une série sur les oligarques russes pour avec les services secrets russes. V. N.

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