Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Direction générale
de la sécurité
extérieure (DGSE),
boulevard Mortier,
à Paris. Le cœur
du renseignement
MARTIN BUREAU/AFP
français et
des opérations
clandestines menées
à l’étranger.
LA VRAIE VIE « Le Bureau des légendes », la série télévisée de Canal+, donne une image plutôt
réaliste des agents de la DGSE. Mais le vrai travail de fourmi des professionnels
DES ESPIONS
24 LE FIGARO MAGAZINE - 4 AOÛT 2017
du renseignement est plus rude et moins romanesque. Enquête sur la réalité
d’un vieux métier en plein bouleversement technologique. PAR VINCENT NOUZILLE
MARTIN BUREAU/AFP
Avant le lancement de sa série en 2015, Eric Rochant, réalisa- JEAN-PIERRE REY
L
à la Boîte, me croyait disparu. »
’arrivée d’Emmanuel Bajolet a poursuivi la moder- connaît par cœur les arcanes du
Généralement, la DGSE intercède de manière plus active pour Macron à l’Elysée a nisation de la DGSE et relancé la Moyen-Orient. Mais il se mon-
récupérer ses agents s’ils sont en captivité à l’étranger, coïncidé avec la fin du collecte du renseignement trera sans doute plus prudent
comme ce fut le cas pour les faux époux Turenge, arrêtés en mandat de Bernard humain. Il n’a pas hésité à assu- que son prédécesseur. Et il devra
1985 en Nouvelle-Zélande après l’affaire du Rainbow Bajolet, âgé de 67 ans. A la tête mer des opérations clandestines surtout, désormais, rendre
Warrior, un navire de Greenpeace saboté par la DGSE. A la de la DGSE depuis avril 2013, violentes, jusqu’à des exécutions compte directement de ses
fin des années 1980, un agent emprisonné dans un pays de ce diplomate de carrière, habitué ciblées, avec l’aval du président activités au patron de nouveau
la Corne de l’Afrique, alors qu’il œuvrait pour la DGSE avec des pays difficiles comme François Hollande, qui a lui- Centre national du contre-
le Mossad afin d’exfiltrer des juifs du Soudan vers Israël, a pu l’Algérie, l’Irak et l’Afghanistan, a même confirmé publiquement terrorisme de l’Elysée, le préfet
être libéré suite à un accord négocié au sommet entre Etats. mené la « Boîte » tambour avoir approuvé certaines de ces Pierre de Bousquet de Florian,
En 2002, le ministère de la Défense est aussi intervenu battant en période de crises, du actions. Nommé le 22 juin, son qui est aussi le coordon-nateur
directement auprès du procureur de Catalogne pour se Sahel à l’Irak, et d’attentats en successeur choisi par l’Elysée, national du renseigne-ment. Un
porter garant de deux agents « Alpha », la petite cellule France, vécus comme des Bernard Emié, 58 ans, est double poste straté-gique, voulu
ultrasecrète des tueurs de la DGSE, qui avaient été interpel- « échecs » par le service. également un diplomate par Emmanuel Macron, pour
lés par hasard par des policiers espagnols près de Barcelone Cultivant une relation personnelle expérimenté. Ancien conseiller mieux piloter l’en-semble des
ÉRIC DESSONS/JDD/SIPA
avec des armes de guerre. avec le président de la diplomatique adjoint de Jacques services de rensei-gnement et de
RYAD KRAMDI/AFP
La détention très éprouvante d’un autre agent, connu sous République, parfois au détriment Chirac, ex-ambassadeur en l’antiter-rorisme, qui souffrent, de
Bernard Bernard
son identité fictive de Denis Allex, enlevé en Somalie en de son autorité de tutelle du Emié.
Jordanie, au Liban, en Turquie, longue date, de lacunes en
Bajolet.
juillet 2009 par le groupe djihadiste des Shebabs, a parti- ministère de la Défense, Bernard au Royaume-Uni et à Alger, il matière de coordination. V. N.
JEAN-PIERRE REY
en contact permanent
avec le quartier
général parisien.
HUIT AGENTS
DE LA DGSE
SONT MORTS EN
MISSION EN 2016
beaucoup de jeunes ingénieurs comme moi, pour des experts des
réseaux ou des mathématiciens, car les projets sont motivants »,
explique Germain, 35 ans, spécialiste des télécoms qui a passé
trois ans à la Boîte.
Même s’ils officient souvent en équipe avec des analystes, la
MAXPPP
L U T T LA SÉRIE
P I Elle montre des bureaux mansardés situés au dernier
VRA étage du siège de la DGSE, qui est installée boulevard
Mortier, dans le XX e arrondissement de Paris. Des
agents y travaillent sur des ordinateurs sécurisés, dans
des bureaux où tout doit être rangé dans des armoires,
le soir. Ils se réunissent dans un bureau de verre installé
au centre de ce petit service.
LA RÉALITÉ
La salle de verre et les fenêtres en œil-de-bœuf sont pure-
ment imaginaires. Mais le chef décorateur du Bureau des
légendes a pu visiter les locaux de la DGSE (sans prendre
de photos) installés dans l’ancienne caserne Mortier, et
reproduire de mémoire beaucoup de détails. L’ensemble
est plutôt réaliste : ordinateurs, cartes aux murs, armoires
XAVIER LAHACHE/CANAL+
L U T T LA SÉRIE
P X
Oron, un agent du Mossad, recrute une sismologue française
FAU (Marina Loiseau, jouée par Sara Giraudeau) afin qu’elle mène
discrètement une intrusion informatique visant à retarder le
programme nucléaire iranien. Mais la sismologue travaille en
fait pour la DGSE, qui contrôle de facto cette opération des
services secrets israéliens.
LA RÉALITÉ
Le Mossad aurait bien retardé le programme nucléaire iranien
à la fin des années 2000 grâce à un virus informatique baptisé
Stuxnet. Conçu probablement avec les services américains, ce
JESSICA FORDE/TOP THE OLIGARCHS PRODUCTIONS/CANAL+
L U T T LA SÉRIE
P X Un jeune informaticien très débrouillard, Sylvain
FAU Ellenstein (interprété par Jules Sagot), fournit une aide
opérationnelle pour fabriquer les légendes, repérer
des communications, pirater des ordinateurs, suivre
en direct des itinéraires, réparer ou démonter des
téléphones. Il est même capable de fournir un échan-
tillon de poison mortel à un directeur qui part en Syrie.
Il travaille dans un atelier, véritable fourre-tout et
concentré de technologies. Cet atelier est un clin d’oeil
du cinéaste Eric à l’antre de « Q », le Mr Gadget des
XAVIER LAHACHE/CANAL+
James Bond, incarné par un jeune génie informatique
dans « Skyfall » (2012).
LA RÉALITÉ
Un seul homme, aussi doué soit-il, ne peut concentrer
tout ce travail à la DGSE et assumer des tâches aussi
variées. La Direction technique qui est notamment en
charge des interceptions et du recueil de métadonnées,
emploie à elle seule plus de 2 000 agents, dont une
majorité d’as de l’informatique et de la sécurité des
réseaux. En son sein, il existe un Service technique
d’appui (STA), avec plus de 400 experts chargés
de mettre au point des technologies adaptées aux
opérations clandestines, y compris le piratage de
téléphones, des caméras et des armes miniatures. On
y trouve aussi des spécialistes des faux papiers, des
serruriers, des costumiers et des maroquiniers. Car,
pour partir en mission à l’étranger, un agent doit
CANAL +
L U T T LA SÉRIE
P I Un service, baptisé Le Bureau des légendes, prépare les
VRA missions des agents clandestins envoyés à l’étranger avec
des identités fictives appelées « légendes », afin de repérer
des sources potentielles pour la Direction du renseigne-
ment. Interprété par Mathieu Kassovitz, Guillaume
Debailly, alias « Malotru » au sein de la DGSE, a ainsi
travaillé six ans comme clandestin en Syrie sous l’identité
fictive de Paul Lefebvre, professeur de français.
LA RÉALITÉ
Des agents partent effectivement sous légende à l’étranger,
JESSICA FORDE/TOP THE OLIGARCHS PRODUCTIONS/CANAL+
L U T T LA SÉRIE
P I Pour gérer les crises, notamment la mystérieuse dispa-
VRA rition d’un agent à Alger, la localisation d’un dangereux
djihadiste ayant rallié l’Etat islamique ou la prise d’un
agent en otage, les responsables de la DGSE se réunis-
sent dans une salle de crise, avec des horloges, des
cartes, des écrans de télévision, des ordinateurs et des
retransmissions de communications interceptées.
PHOTOS JESSICA FORDE / TOP THE OLIGARCHS PRODUCTIONS / CANAL+
LA RÉALITÉ
Une salle de crise, appelée Centre de veille opérationnel
(CVO), existe réellement boulevard Mortier. La pièce
principale, plus grande que dans la série, surveille tout
ce qui se passe dans le monde, 24 heures sur 24, comme
une tour de contrôle. S’y ajoutent plusieurs plus petites
salles annexes, affectées à la gestion de crises particu-
lières, comme les prises d’otages ou l’évolution de la
situation syro-irakienne. En janvier 2013, le raid avorté
en Somalie pour tenter de sauver un agent de la DGSE
retenu en otage a été suivi en direct dans ces salles.
LA RÉALITÉ
La DGSE bénéficie de sources humaines en Irak et en Syrie.
Mais exfiltrer un haut responsable de Daech tout en libérant
un otage relève d’une gageure. Cependant, rien n’est
impossible : au printemps 2003, en pleine guerre d’Irak, le
général Philippe Rondot avait négocié la défection du
général irakien Tahir Haboush, chef des services secrets de
Saddam Hussein.
UN SUCCÈS PLANÉTAIRE
J
e reviens d’Asie, où nous avons fait d’écriture et de tournage, nous essayons
plusieurs avant-premières à Hongkong, de faire évoluer le système de production
Bangkok et Séoul. Chaque fois, français », plaide Alex Berger, dont la société
l’accueil est formidable. » Alex Berger, TOP The Oligarchs Productions est installée
coproducteur du Bureau des légendes avec à Saint-Denis, au cœur de la Cité du cinéma.
le réalisateur Eric Rochant, est un homme Intéressés, les Américains ont acheté le droit
heureux. Avec sa troisième saison très réussie de faire un remake du Bureau des légendes, la chaîne américaine HBO. Et travaillent
– d’un coût de 17,1 millions d’euros – la série avec la CIA comme toile de fond, prétitré d’arrache-pied sur la saison 4 du Bureau
originale commandée par Canal+ s’est imposée The Department. des légendes, en cours d’écriture pour Canal+.
comme une référence, déjà vendue dans plus Alex Berger et Eric Rochant prendront de courtes Un indice sur le scénario : Mathieu Kassovitz,
de 70 pays, un record pour une série tournée vacances cet été : ils cogitent sur plusieurs alias « Malotru », devrait se retrouver dans
en français. « Avec un style réaliste, une patte autres projets, viennent de terminer un épisode- des pays de l’Est, notamment en contact
créatrice et des méthodes très rigoureuses pilote d’une série sur les oligarques russes pour avec les services secrets russes. V. N.