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Disparition

Mort du musicien Juan José Mosalini, son dernier tango à Paris


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Le bandonéoniste argentin, arrivé en France en 1977, est mort vendredi à 78 ans. Maître du tango, il
était également pédagogue émérite, œuvrant à faire connaître son instrument dans l’Hexagone.

Le bandonéoniste Juan José Mosalini à Chicago, en 2002. (Scott Olson/AFP)


par Jacques Denis
publié le 30 mai 2022 à 17h30

Paris, seconde capitale du tango ? La question appelait réflexion selon Juan José Mosalini, qui a
tant fait pour installer cette musique durablement dans le paysage sonore du pays où il s’était
réfugié en 1977, fuyant comme beaucoup la terrible dictature argentine après avoir soutenu des
grèves et pris position. A l’époque, il a les cheveux longs et des idées plein la tête. Dès lors, il va
promener son bandonéon sur toutes les lignes de front. Du jazz qu’il a approché au contemporain
qui l’a accompagné, en leader ou en invité, Mosalini n’en connaissait pas moins tous les ressorts
du tango.

Archive
A Paris, le tango remonte aux sources
Culture
24 févr. 1995

Le natif de Buenos Aires (le 29 novembre 1943) avait de qui tenir : son grand-père jouait de
l’accordéon, son père, ébéniste et musicien, du bandonéon. A 8 ans, le petit Juan José met les
doigts sur cet autre piano à boutons, et illico s’initie aux flonflons qui font valser et pleurer, alors
qu’en ce début des années 50 l’Argentine vit le crépuscule de l’âge d’or du tango, celui des grands
orchestres. Dix ans plus tard, les temps ont changé : le tango est ringardisé au même titre que le
musette en France. Lui n’a pas changé : mieux, il est devenu un musicien professionnel, le plus
jeune de sa génération, glanant même un premier prix lors d’un concours télé. Jusqu’en 1977, il va
se perfectionner auprès des meilleurs. Leopoldo Federico, l’une des références sur l’instrument ;
Horacio Salgán, le pianiste et puits de science ; Astor Piazzolla ; des chanteurs aussi. Que des
maîtres du genre, à commencer par José Basso et Osvaldo Pugliese dont il intègre les orchestres.
Du second, il retiendra une leçon :  «Avoir un style original, ce n’est que la conséquence du
travail.»  A l’époque, Juan José Mosalini dirigeait avec Daniel Binelli Guardia Nueva, son premier
groupe dont l’ambition était de rénover le genre passé de mode.

«Un endroit pour faire aboutir ses rêves»

C’est avec tout ce bagage qu’il débarque donc en France. Pourquoi Paris ?   «Parce qu’au-delà des
stéréotypes des Lumières, Paris reçoit tout type d’expériences et de métissages. C’est une ville à la
fois très difficile et très vulnérable. On y trouve toujours un endroit pour faire aboutir ses rêves.
C’est là que j’ai pu m’émanciper et m’exprimer»,  disait-il voici vingt ans. C’est donc là qu’il
enregistrera dès 1979 son premier album en solo, le terrible  Don Bandoneón, toujours là qu’il
croisera des partenaires de tous horizons, l’aventurier de la guitare Tomás Gubitsch ou Bernard
Lubat lors d’un fameux raout à l’improviste d’Uzeste. Sans parler des amateurs de belles lettres,
tels que Horacio Ferrer ou Julio Cortázar, qui écriront pour lui.

A Paris, il va aussi créer avec le pianiste Gustavo Beytelmann et le contrebassiste Patrice Caratini
un trio qui fera date. Tous trois s’arrangent de classiques aussi bien que d’originaux.  «Stan Kenton
a bien repris un très vieux tango,  El Choclo, en big band. Moi, j’ai revisité une ballade
de  Monk»,  s’amusait-il à l’évocation de sa reprise de  Crepuscule With Nellie,  en 1990
sur Violento,  ultime volet de la trilogie de ce trio.

Corps-à-corps

Un an plus tôt, ce pédagogue émérite qui avait déjà écrit une méthode dédiée au bandonéon
venait de franchir le Rubicon, en passant de l’autre côté du périphérique. Avec Bernard Cavanna et
César Stroscio, alter ego, il crée puis dirige la chaire de bandonéon au conservatoire de
Gennevilliers (Hauts-de-Seine). L’expérience fait vite référence, et bientôt ce sont des légions de
musiciens qui passent à Gennevilliers, tant et si bien que Mosalini rebaptisera la ville «capitale
européenne du bandonéon». «Le tango va bien plus loin que ces histoires de passeport ! Pour
preuves, des Norvégiens ou des Hollandais composent des tangos comme rarement.»  Qui a
entendu le prodigieux Per Arne Glorvigen, un disciple, le sait bien.  «Plus de 40 étudiants sont
devenus professionnels, en plus de tous les excellents amateurs. C’est un honneur d’avoir permis la
présence du bandonéon dans de nombreux pays et cela a permis d’enrichir le vocabulaire du
bandonéon»,  analysait-il en 2020, à l’occasion du premier festival de tango à Gennevilliers.

Lui, entre-temps, n’aura jamais arrêté d’entretenir un corps-à-corps avec cet instrument qui
incarne l’âme du tango, en un double mouvement permanent, non paradoxal, juste équilibré entre
passé recomposé et futur du suggestif. Devoir de mémoire et droit à l’exploratoire, toute sa
discographie fut guidée par cette dualité, rare et exigeante, singulière et multiple, en solo comme
avec ce fameux grand orchestre, du genre typique, qu’il créa en 1992… Trente ans plus tard, c’est
toujours à Paris qu’il devait se produire le 20 mai lors d’un week-end dédié au nuevo tango de
Piazzolla. Las, il aura dû annuler, déjà rongé par la trop longue maladie qui l’a emporté une
semaine plus tard, à 78 ans.

Disponible dans : Mort du musicien Juan José Mosalini, son dernier tango à Paris – Libération
(liberation.fr)

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