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RE VUE DE L A BNF N o 

61  //  SINGERIES

Simianisation,
fantasmagorie
et imaginaire racistes
dans le cartoon
aux États-Unis
®
PIERRE CRAS

Aux États-Unis, les discours et l’iconographie hérités d’un imaginaire raciste


qui associe populations d’ascendance africaine et singes – procédé dit « de
simianisation » – ont parcouru le cinéma d’animation, relayant un ensemble de
représentations dépréciatives à l’origine bien plus ancienne qu’il n’y paraît.
Remontons à la source de cet écueil raciste qui se manifeste encore régulière-
ment au sein de la sphère publique sous diverses formes, qui partagent
cependant un substrat idéologique et historique commun.

Disney et la cristallisation des tensions raciales


À l’occasion de la mise en service de la plateforme de vidéo à la demande Disney
Plus en novembre 2019 aux États-Unis, de nouveaux encarts diffusés avant la
lecture de certains films ont fait leur apparition. Ceux-ci informent les specta-
t e u r s q u e l’œ uv r e pr é s e nt é e «  p o u r r a it cont e n i r d e s r e pr é s e nt at ion s
culturellement obsolètes 1 ». Sont notamment concernés les films Peter Pan (1953),
qui comporte une caricature d’Amérindien, ou encore Dumbo (1941), qui met en
scène un groupe de corbeaux usant du jive – l’argot des jazzmen noirs – et dont le

1  Mélodie du sud, affiche française de Boris Grinsson, 1948 (Walt Disney, 1946)
BNF, Estampes et Photographie, SNR CINE-5 (GRINSSON, Boris / 2)

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leader s’appelle Jim Crow, soit le surnom des lois établissant la ségrégation de jure
entre Blancs et Noirs dans les États du Sud à partir de 1896. L’observateur avisé
remarquera que Mélodie du Sud (1946), un des films les plus polémiques en raison de
sa représentat ion or ientée du sud des États-Un is pend a nt la pér iode de
Reconstruction (1865-1877), ne figure pas non plus au catalogue. Film empreint
d’une certaine complaisance nostalgique envers un Sud antebellum mythifié et
empli de stéréotypes noirs, Mélodie du Sud a également suscité un torrent d’indi-
gnation aux États-Unis à l’époque de sa sortie. Le contexte de la fin de la Seconde
Guerre mondiale voyait en effet une mobilisation politique accrue de la part des
vétérans africains-américains des États du Sud, qui, après avoir combattu le
nazisme sur le front européen, aspiraient à mettre fin à la ségrégation qui préva-
lait encore et les cantonnait à un statut de citoyens de seconde zone. Comme le
scandaient les manifestants devant les salles de cinéma d’Atlanta lors de la
première projection publique du film : « Nous nous sommes battus pour l’Oncle
Sam, pas pour l’Oncle Tom. »
Mélodie du Sud a divisé l’opinion publique américaine. Certains reconnaissaient
la prouesse technique qui faisait cohabiter acteurs réels et personnages animés au 2  Le Roi Louie et Baloo, l’ours, déguisé en singe pour sauver Moogly,
Le Livre de la jungle (Walt Disney, 1967)
sein d’un même espace, quand d’autres s’indignaient de la réutilisation d’éléments
authentiques issus du folklore africain-américain 2 à des fins révisionnistes. En
d’autres termes, le film a cristallisé une partie des tensions raciales qui existaient
aux États-Unis lors de sa sortie et mis en lumière la dichotomie entre des velléités performances scéniques d’artistes de jazz noirs américains – à travers la chorégra-
réfor matrices et la persistance d’archaïsmes dépréciatifs dans le cinéma phie, le système de call and response ou l’utilisation syncopée du scat – et perpétuent
américain. ainsi une longue tradition de dialogues intermédiatiques entre l’animation et le
Vingt ans plus tard, en 1967, c’est un autre long-métrage des studios Disney jazz 5 qui était à son paroxysme dans les années 1930 et 1940.
qui déclenche l’ire populaire. Basé sur l’ouvrage éponyme de l’écrivain britannique En 1967, les États-Unis sont en proie à une série de crises sociales de grande
Rudyard Kipling, publié en 1894, Le Livre de la jungle est aujourd’hui un classique de ampleur. La mobilisation de la jeunesse contre la guerre du Vietnam, les émeutes
l’animation. Premier long-métrage sorti en salles après le décès de Walt Disney, en du quartier de Watts, à Los Angeles, et les assassinats de John Kennedy (1963) et de
1966, Le Livre de la jungle est le dernier à avoir bénéficié de sa supervision en tant que Malcolm X (1965) ont traumatisé la population africaine-américaine. Les espoirs
producteur et à revenir à un mode de production plus classique, notamment d’égalité suscités par l’adoption du Civil Rights Act en 1964 ne suffisent plus à
pendant sa phase d’écriture. Le doublage des personnages se révèle plus décisif rassembler les militants sous la bannière du pacifisme de Martin Luther King Jr.,
qu’à l’accoutumée, puisque ce sont les voix/attitudes des comédiens de doublage et la jeunesse noire ne veut plus « tendre l’autre joue ». La même année, près de
qui ont influencé l’animation des personnages et non l’inverse. Ce doublage a 150 émeutes éclatent à Boston, à Chicago, à San Francisco ou à Détroit. La tension
cependant fait l’objet de critiques récurrentes, puisque le personnage du Roi Louie est palpable, et divers journaux utilisent régulièrement le champ lexical de la
– un orang-outan féru de jazz – adopte une attitude, un phrasé et une façon de guerre (« siège », « insurrection ») pour qualifier ces soulèvements. Parallèlement à
chanter et de danser qui évoquent fortement une caricature d’artistes afri- ce traitement orienté de l’information, certains officiels agonissent publiquement
cains-américains  3. Bien que les équipes mobilisées sur la production du film d’injures les manifestants et émeutiers africains-américains. Le recours à des
contestent toute association entre un personnage de singe et la culture afri- qualificatifs racistes visant à animaliser l’adversaire est alors récurrent, comme
caine-américaine, arguant notamment que le Roi Louie est doublé par le jazzman lorsque le chef de la police de Los Angeles associe les individus ayant pris part aux
italo-américain Louis Prima, l’ambiguïté de cette démarche se fait jour lorsque émeutes de Watts à des « singes dans un zoo 6 ». Il n’est pas surprenant que dans
l’on sait que le rôle devait être confié à l’origine au célèbre trompettiste noir Louis un tel climat de violence mâtiné de campagnes de dénigrement public qui mobi-
Armstrong et inspirer le personnage en retour 4. De plus, le numéro musical et la lisent une sémantique raciste l’association entre le personnage du Roi Louie et des
chanson phare du Roi Louie « I Wanna Be Like You » empruntent directement aux artistes africains-américains fasse l’objet de critiques véhémentes.

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3  Le groupe de singes
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musiciens de jazz de
Swing, Monkey, Swing!
(Charles Mintz, 1937)

4  « Curieuse progéniture
d’une Négresse de Bornéo
& d’un représentant
de l’espèce simiesque.
L’homme des bois
(gymnaste) », affiche,
Paris, Blanchard, 1896
Paris, Musée du quai Branly

Ce n’est cependant pas la première fois qu’un cartoon utilise des singes pour À travers ces mises en scène, les peuples « exotiques » étaient présentés dans
représenter des jazzmen, puisque c’est Swing, Monkey, Swing! qui en eut l’idée trente un environnement « évoquant leurs contrées, souvent dans des costumes de paco-
ans avant Disney, en 1937. Ce court-métrage de sept minutes offre une interpréta- tille et aux côtés de bêtes sauvages » (dont des singes). Elles témoignèrent d’un
tion animée de la célèbre chanson « Saint Louis Blues » ainsi que des versions succès certain, puisque plus d’un milliard de spectateurs à travers le monde
simiesques caricaturales d’illustres artistes noirs américains comme Bessie Smith, auraient assisté à ces exhibitions entre 1870 et 1940, comme le rappelle Charline
Cab Calloway ou le clarinettiste Ted Lewis. Peu d’informations relatives à la récep- Zeitoun :
tion critique de ce dessin animé nous sont parvenues, mais on peut supposer que
ces représentations sont passées relativement inaperçues, contrairement à celle « Les spectacles anthropozoologiques ont été le vecteur essentiel du pas-
du Roi Louie. Toutefois, et afin de remettre en perspective ce type d’imagerie et sage du racisme scientifique au racisme colonial vulgarisé. Pour les visi-
d’association, il convient de préciser qu’il n’est pas l’apanage des studios Disney, ni teurs, voir des populations derrière des barreaux, réels ou symboliques,
du monde du cinéma d’animation en général. suffit à expliquer la hiérarchie : on comprend tout de suite où sont censés
se situer le pouvoir et le savoir 9. »
Des spectacles anthropozoologiques au cinéma ethnographique
Depuis le xviiie siècle, des théories pseudo-scientifiques émises par des disciplines C’est toutefois par l’intermédiaire des spectacles de freak shows que la monstration
telles que la physiognomonie ou la phrénologie 7 répandent l’idée selon laquelle les raciste d’une prétendue simianisation des Noirs 10 intègre la culture populaire
Noirs feraient montre d’un développement moindre en raison de leur proximité américaine. En 1859, trois mois après la publication d’On the Origin of Species par
physique et biologique avec les singes, prenant pour « preuve » le calcul de l’angle Charles Darwin, le showman Phineas Barnum dévoile la nouvelle attraction
facial qui permet de comparer les crânes de l’Africain et de l’orang-outan 8. De vivante de son musée new-yorkais à succès : le « What-Is-It? », ou « l’homme-
telles assertions établissant une dichotomie entre Européens et populations afri- singe »  11. Supposément capturée et rapportée d’Afrique lors d’une expédition
caines qui serait biologiquement visible furent toutefois popularisées non par la scientifique et censée incarner le chaînon manquant entre peuples noirs et
diffusion de ces travaux, qui ne touchèrent finalement qu’une catégorie restreinte animaux, la créature était en réalité un Africain-Américain atteint de micro-
de la population, mais bel et bien par l’entremise de la culture de masse des xixe et céphalie dénommé William Johnson. Au début des années 1900, Congo « the Ape
xx e siècles, à commencer par les zoos humains et autres « villages » mettant en Man » est lui exhibé dans une cage aux côtés d’un chimpanzé et à la foire interna-
scène les populations colonisées. tionale de St.  Louis de 1904, le Pygmée Ota Benga est exposé selon un dispositif

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5  Martin Johnson, naturaliste et explorateur américain,


avec deux pygmées en Afrique centrale, pendant le tournage
de son film Congorilla en 1932
New York, The Granger Collection

similaire. Ce dernier sera ensuite exhibé dans une cage du zoo du Bronx qu’il
partagera toujours avec des singes à partir de 1906.
Conjointement aux spectacles anthropozoologiques qui racialisent l’altérité
noire, le cinéma d’attraction 12 se développe en Europe et aux États-Unis, brouil-
lant un peu plus la frontière entre objet à visée scientifique et produit de fiction.
Suite à l’expédition menée par le président Theodore Roosevelt au Kenya, en
République démocratique du Congo et au Soudan, la Motion Picture Patents
Company (MPPC) diffuse en 1910 le film ethnographique tiré de ce voyage sous le
titre de Roosevelt in Africa et fait des émules. Malgré le recours à des images authen-
tiques capturées par le réalisateur Cherry Kearton, la communication de la MPPC
insiste sur l’attrait exotique du métrage et corrobore par là même la vision d’un
continent dangereux, peuplé de sauvages, de singes et de monstres : « The Far 6 Tarzan et sa compagne, affiche française de Roger Soubie, 1936
(Cedric Gibbons, 1934)
Famed American Hunter, Colonel Roosevelt, amid the man-eating monsters of the Wild African BNF, Arts du spectacle, AFF-59217
Ju n g l e   1 3 .  » M a l g r é u n e d é ce p t i o n r e l a t ive du p u bl i c f a ce à l’a n n o n ce

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sensationnaliste initiale, le film est un succès et donne naissance à une pseu-


do-su ite – un fau x documenta ire tour né en Ca lifor nie – à l’initiative de
l’entrepreneur William Selig. L’engouement est tel que le cartooniste John
Randolph Bray réalise une parodie humoristique animée du film de 1910 Colonel
Heeza Liar in Africa (1913), qui sera le premier épisode d’un format sériel achevé en
1924. Mais la jungle, les singes et les sauvages (noirs) s’apprêtent à déferler sur les
écrans américains pendant une décennie et sous diverses formes.

De la jungle à la plantation : simianisation et altérisation filmiques


À partir des années 1930, l’industrie du cinéma américain florissante remplace les
spectacles vivants, dont elle s’approprie l’imagerie raciste dès lors qu’il s’agit de
montrer l’Afrique et ses habitants humains et simiesques. Le dark continent est
représenté sur les écrans américains à travers trois prismes d’observation et
genres qui codifient l’espace filmique de la jungle : les films d’horreur, les films
d’aventures et les documentaires ethnographiques 14. Les deux premiers mettent
en exergue l’aspect dangereux et spectaculaire de la jungle, tandis que les
derniers visent à documenter – non sans chercher à susciter un certain amuse-
ment paternaliste – la vie de ces « sauvages » noirs proches de la nature et si
éloignés des Européens.
Tandis que la Grande Dépression fait rage et que l’Amérique sombre dans la
crise, les films d’aventures et d’horreur qui se déroulent dans la jungle ou ont pour 7  King Kong, affiche française de Philippe Albin De Buncey (Merian C.
Cooper et Ernest B. Schoedsack, 1933)
cadre un lieu exotique comme White Zombie (1932), King Kong (1933)15 ou la série des
Tarzan (1932-1939) sont prisés du public car ils reflètent les angoisses collectives de
l’Amérique envers le monde extérieur tout en constituant une source d’évasion
peu onéreuse. Grâce aux innovations technologiques et au matériel de prises de
vues plus facilement transportable, nombre de films ethnographiques tournés en
direct de la jungle, dont ceux des époux cinéastes Osa et Martin Johnson, voient le simianisation des populations noires et de monstration du corps noir dans un
jour. Tourné en Afrique lors du troisième voyage du couple 16 au Kenya, en cadre de divertissement. Parmi les nombreux exemples de recréations stéréo-
Tanzanie et dans le bassin du Congo entre 1930 et 1931, le long-métrage Congorilla typées, nous pouvons citer Jungle Jazz (1930), dans lequel une faune composée de
(1932) est un film qui, malgré une tentative de déconstruction vis-à-vis des clichés singes joue au golf avec des crânes humains et où des dinosaures barbus coha-
afférents aux grands singes, place sur un même plan ces derniers et les peuples bitent avec une tribu cannibale. Africa Squeaks (1932) met les deux protagonistes
d’Afrique centrale (dont les Pygmées Mbuti du nord-est du Congo) par son montage Tom et Jerry aux prises avec des archétypes de sauvages dont ils ne pourront se
et sa narration et perpétue ainsi ce stéréotype. défaire qu’en se grimant le visage en noir afin de passer « inaperçus 19 ». Jungle
Le cinéma d’animation américain des années 1930 est pour sa part au cœur Jitters (1938), réalisé par Isadore Freleng, a quant à lui recours à des gags visuels
d’une circulation intermédiatique, puisqu’il combine imagerie propre aux exhibi- durant lesquels des sauvages autochtones utilisent leurs anneaux nasaux en guise
t i o n s / fi l m s e t h n o g r a p h i q u e s e t i m a g i n a i r e r a c i s t e d e s t r a v a u x de corde à sauter ou leurs fesses pour marquer le rythme de la musique intradié-
pseudo-scientifiques publiés aux États-Unis dans des revues dédiées puis repris in gétique présente lors de la scène d’exposition.
extenso par la caricature de presse, dont beaucoup d’animateurs sont issus 17. Les Dans les années 1940, l’attrait pour la jungle s’estompe, et le succès phénomé-
cartoons qui recréent une version fantasmée de l’Afrique reprennent d’ailleurs nal d’Autant en emporte le vent (1939) fait naître un ensemble de représentations
parfois jusqu’aux dispositifs narratifs propres aux films ethnographiques via le filmiques du « Dixie 20 » emplies d’une nostalgie révisionniste 21. La représentation
recours à une voix off 18. Les films d’animation de l’âge classique réutilisent égale- de la plantation comme un lieu d’altérisation et le vestige d’une époque perdue se
ment à l’env i les c l ichés de l’i mpen sé colon i a l occidenta l en ter mes de substitue à celle de la jungle exotique dans l’imaginaire filmique collectif. Le

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publics, au détour de publicités, de caricatures de presse ou lors d’événements spor-


tifs, semble néanmoins indiquer que l’altérisation politique, sociale ou culturelle
qui vise à animaliser les populations d’ascendance africaine se nourrisse
aujourd’hui encore d’une imagerie et d’un imaginaire racistes dont le cinéma (d’ani-
mation) fut l’un des intercesseurs historiques aux États-Unis et dans le monde.

1.  Marisa Iati, «  Disney Plus Warns of “Outdated Cultural Depictions” in Some Films. That’s Not Enough, Experts Say  », The
Washington Post version numérique, 14  novembre 2019.  2.  Comme en témoigne la présence du personnage d’Oncle Remus,
interprété par l’acteur James Baskett. Cette figure de patriarche traditionnellement subversive devient ici similaire à l’archétype
de l’Oncle Tom par sa volonté de soumission à un ordre racial et social établi.  3. Susan Miller et Greg Rode, « The Movie You See,
the Movie You Don’t: How Disney Do’s That Old Time Derision », dans Elizabeth Bell, Lynda Haas et Laura Sells (éd.), From Mouse
to Mermaid: The Politics of Film, Gender, and Culture, Bloomington, Indiana University Press, 1995.  4. Rob Weiner-Kendt, « Cutting
Through a Cultural Thicket », The New York Times, version numérique, article publié le 20 juin 2013.  5. Pour en savoir plus, on
consultera Daniel Goldmark, Tunes for ’Toons: Music and the Hollywood Cartoon, Los Angeles, University of California Press,
2005.  6. Eric Greene, Planet of the Apes as American Myth: Race and Politics in the Films and Television Series, Jefferson, McFarland,
1996.  7. Parmi les principaux défenseurs de ces pseudo-sciences, nous pouvons citer Jean-Baptiste Delestre, Jean-Baptiste-Félix
Descuret, Julien Le Rousseau, Johann Gaspar Spurzheim, Julien-Joseph Virey ou encore George Combe, qui se fit le relais de ces
théories dans la sphère anglophone et en particulier aux États-Unis.  8. Voir à ce sujet l’article de Silvia Sebastiani publié dans ce
numéro.  9. Charline Zeitoun, « À l’époque des zoos humains », CNRS Le Journal (édition numérique), 25 août 2015.  10. Voir Wulf
D. Hund, Wharles W. Mills et Silvia Sebastiani (éd.), Simianization: Apes, Gender, Class, and Race, Zurich, Lit, 2015.  11. Voir à ce sujet
le chapitre « The What-Is-It? » dans Randall Fuller, The Book That Changed America: How Darwin’s Theory of Evolution Ignited a Nation,
New York, Viking, 2017.  12. Théorisé par Tom Gunning et André Gaudreault, le cinéma d’attraction désigne la transition entre les
8 Habitant de « Lazytown » qui cumule toutes les caractéristiques arts scéniques et le cinématographe opérée avant son institutionnalisation, entre 1906 et 1914. Marqué par la narrativisation de
simiesques héritées d’un long continuum intermédiatique, la forme filmique, le cinéma d’attraction partage des affinités avec le music-hall, les parcs d’attractions, les expositions universelles
transnational et raciste, dans Scrub Me Mama With a Boogie Beat ou les shows pseudo-scientifiques.  13.  Ian Tyrell, Crisis of the Wasteful Nation: Empire and Conservation in Theodore Roosevelt’s
(Walter Lantz, 1941) America, Chicago, University of Chicago Press, 2015, p. 197.  14. Lisa Purse, Digital Imaging in Popular Cinema, Édimbourg, Edinburgh
University Press, 2013, p. 88.  15. L’histoire d’amour impossible entre Kong et la protagoniste Ann rappelle (de façon lointaine) les
« Monkey-Spouse Tales », une série de contes oraux publiés à partir de 1570 par l’écrivain espagnol Antonio de Torquemada et qui
mettent en scène une protagoniste généralement échouée sur une île et contrainte de donner naissance à une descendance
cinéma d’animation reprend à son compte les constructions idéologiques qui asso- hybride suite à son union forcée et contre nature avec un grand singe.  16. Voir Kelly Enright, Osa et Martin Johnson, For the Love
cient Noirs du Sud rural et sauvagerie, à l’instar du court-métrage de 1941 Scrub Me of Adventure, Guilford, Lyons Press, 2011.  17. Par exemple Winsor McCay, John Randolph Bray ou James Stuart Blackton.  18. Héritée
des « travelogues », la narration pédagogique fut utilisée dès 1897 pendant les spectacles de lanterne magique pour accompagner
Mama With a Boogie Beat, qui se déroule à Lazytown, ville fictive du sud des États- la démonstration faite au public. Voir Lina Khatlib, Storytelling in World Cinemas, vol. II, Londres, Wallflower Press, 2013.  19. Faisant
Unis. Les personnages noirs ont des proportions volontairement déformées qui ainsi écho à la pratique vaudevillesque du blackface minstrelsy, durant lequel des comédiens blancs se grimaient en caricatures de
Noirs à travers des numéros de chants, de danses et de dialogues stéréotypés.  20. Le terme « Dixie » tire son origine de la frontière
distordent les limites physiques de l’être humain et les font tendre vers celles de la
séparant États esclavagistes et libres (la Mason-Dixon line) et désigne les anciens États confédérés du Sud. Le Dixie, ou Dixieland,
bête simiesque (angle facial compris). Les cartoonistes reprennent à leur compte est une entité à la fois géographique, culturelle et civilisationnelle.  21. Rejoignant le courant de la Dunning School et le mythe de
la « Cause perdue », qui magnifient le Sud antebellum et interprètent la Reconstruction (1865-1877) à l’aune du conservatisme en
les théories physiques héritées du racisme scientifique. Les personnages ont un
associant abolition de l’esclavage, droit de vote des Noirs et décadence morale.
front atrophié qui témoignerait d’un manque d’intelligence, et leur bouche proé-
minente refléterait leurs appétits charnels débordants, qui se manifestent dans le
cadre intradiégétique du film par des danses endiablées et un débordement de
fougue des hommes à la vue de l’élégante protagoniste Nellie, une jeune femme
noire à peau claire inspirée de l’actrice africaine-américaine Lena Horne. Passées
inaperçues en 1941, les représentations caricaturales du film font l’objet d’une
plainte de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP)
en 1948 qui marque un tournant et préfigure des évolutions à venir.
Il faut donc attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les luttes des vété-
ra n s noi rs a mér ica i n s pou r l a déség régat ion des a r mées pou r que ces
représentations changent et que l’association entre Noirs et singes s’estompe
progressivement dans les cartoons, sans pour autant totalement disparaître de
l’imaginaire collectif. La résurgence récente de la simianisation dans des discours

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