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Tomás Bredeston

M2 - Ethnologie Générale.

Evaluation d’un article de Meike Wolf publié en 2015 dans la revue Sociologia Historica.

Si comme héritage de Michel Foucault nous parlons d’une biopolitique qui fait de l’idée d’un
corps humain et des processus de la vie l’objet d’interventions de pouvoir et de connaissance, la
microbiopolitique, telle qu’elle est développé par l’anthropologue allemande Meike Wolf, amplifie
cette prémisse mais en se focalisant sur les pratiques qui interviennent dans l’interaction entre les
hommes et les microbes, c’est-à-dire en faisant place à des nouveaux acteurs et sous de nouveaux
questionnements fondés empiriquement sur l’ethnographie et sur des diagnostiques scientifiques-
naturelles.

Dans la première partie de l’article Microbiopolitics in Cultural Anthropology and European


Ethnology: An attempt to approach to microbial contributions to knowledge production, Wolf justifie
l’importance d’un étude qui est en vrai peu exploré, sur l’interaction entre hommes et
microorganismes, en disant d’une part que le monde et le corps où nous habitons résultent de cette
relation millénaire et en affirmant que : « sans la multitude de microorganismes sur nous et dans
nous, nous ne pourrions pas exister dans notre forme actuelle ». Pour pouvoir analyser les
conséquences qui ont ces processus d’interactions sur notre compréhension des politiques du corps
et des pratiques humaines, il faut abandonner une tradition qui, d’après Wolf, on hérite de Louis
Pasteur et de la microbiologie du XIX siècle. Et c’est l’aspect critique de la microbiopolitique qui se
fait entendre ici.

A partir des standards microbiologiques et hygiéniques de Louis Pasteur qui nous ont fait penser aux
microorganismes comme des germes nocifs et donc évitables pour notre corps si on veut conserver
la santé, une série des pratiques a découlé jusqu’à nos jours, comme le lavage des mains avec des
détergents antibiotiques ou la consommation de lait pasteurisé. Le paradigme de la microbiologie
nous a aussi laissé un principe explicatif qui, retracé par Wolf dans la maladie du choléra ou du
typhus, continue à être validé sur notre conception de la grippe. Wolf explique qu’on investigue la
cause de la grippe à partir de l’entrée du virus dans le corps ; que sa thérapie est consacrée à la santé
et le corps individuelle ; et que la prévention mobilise des concepts épidémiologiques étatiques.

En se soutenant sur les travaux ethnographiques de Heather Paxson sur la production de fromage de
lait cru aux Etats Unis, Wolf interroge ces conceptions et pratiques traditionnelles en s’insérant dans
une lecture biopolitique ou microbiopolitique. Pour spécifier quelle est la perspective
microbiopolitique, Wolf souligne trois dimensions empiriques de sa démarche, applicables d’après
elle à toute enquête de terrain qui traite sur la vie d’autres « microacteurs » : l’esquisse de la
catégorie d’acteurs microbiens ; le point de vue humain et anthropocentrique qui est impliqué sur
ces acteurs, et troisièmement le développement de pratiques comme l’infection ou la vaccination,
qui viennent réguler l’interaction humaine-microbes.

A ce moment, la microbiopolitique est pour Meike Wolf une tâche culturelle. C’est-à-dire au moment
où les concepts et les pratiques qui portent sur une « correcte » relation des hommes avec des
germes influent sur les mesures de prévision et de traitement médical, là où des décisions sont prises
et où les aspects moraux gagnent en importance. C’est l’idée de Paxson que Wolf reprend ici
textuellement : “Sorting out helpful and harmful microbes is at once a cultural, scientific, and moral
enterprise”. Wolf pense, en guise d’exemple, au fait qu’il existe souvent une opposition à la
vaccination, qui généralement fait appel à des concepts de citoyen individuel, rationnel et
responsable de sa propre santé, ce que pourrais être illustré aujourd’hui, cinq ans après la parution
de l’article, dans le rejet de grandes parties des populations mondiales à être vaccinés contre le Covid
19.

Dans ce sens, Wolf nous invite à comprendre les discours autour des infections ou contagions, non
pas, selon elle nous suggère, comme des représentations sociales ou des connaissances objectives
mais comme des analyses d’idées d’altérité ou d’égalité et des implications socio-politiques, qui sont
toujours en état changeant. Meike Wolf, docteure en anthropologie culturelle de l’Université
Goethe, se sert du concept d’infection, qu’elle situe dans une courante ou « culture pasteurienne »
(à l’aide de Bruno Latour), comme un concept central où se matérialise la connexion réciproque
entre l’humain et d’autres acteurs biologiques, comme le virus de la grippe. Ce concept laisse
transparaitre, dans la lecture microbiopolitique, le présupposé d’une différenciation ontologique
entre des espèces vues comme des hôtes (hommes, plantes, animaux) et de microorganismes, en
laissent au dernière le rôle d’intruse.

A partir du cas d’une infection virale décrite par Wolf, ces frontières entre le « soi-même » et le
« non-soi-même », ne peuvent plus être différenciés aussi clairement. Une infection virale est
produite par l’arrivé d’un virus au tissu cellulaire à l’intérieur du corps, en traversant des ‘portes
d’entrée’ comme une blessure ou les muqueuses. Et une fois le virus s’est établi et reproduit dans ce
tissu, il s’attache à une des cellules et fait passer son matériel génétique à l’intérieur de la même, en
l’obligeant à produire des copies et à les libérer. Avec ce processus, Wolf veut nous montrer
comment il devient impossible de différencier clairement les structures moléculaires humaines et
non humaines.

Mais ce concept médico-biologique d’infection paraît intéresser à Wolf essentiellement pour


questionner la façon de comprendre le corps. C’est-à-dire, pour interroger quelles sont les
présupposés qui se trouvent à la base de cette conception du corps humain. Wolf dégage trois
présupposés : un corps est un individu, c’est-à-dire, il est délimité et différencié. En second lieu, le
corps possède le contrôle absolu sur ses fonctionnes corporelles, et enfin, le corps termine dans son
limite externe, représenté par l’épidermes. Wolf fait du corps, le lieu d’analyse biopolitique, en
s’appuyant dans les analyses de Donna Haraway (1993 :381) sur la dénaturalisation du corps dans les
discours sur le système immunologique : “individuals neither stop not start at the skin”. Pour cela,
bien que sans le développer et le justifier, Wolf compare la peau aux vêtements, aux cosmétiques ou
aux frontières d’une maison ou d’une ville, comme d’autres limites symboliques et perméables de ce
qui est ou n’est pas propre.

C’est donc grâce à cette idée d’un virus qui envahit un corps de l’extérieur, que Wolf critique la
supposition d’altérité ou d’autreté de virus, ce qui est l’objectif de son article et de la
microbiopolitique comme approche. Le virus met en relief ce plasticité de notre corps biologique, qui
devrait être considéré donc comme « Komposite » de diverses espèces (aussi pour Haraway,
O’Malley ou Dupré, nous signale Wolf). Les virus sont aussi importants dans l’investigation biologique
même, comme pour la biologie moléculaire qui répertorie de connaissances grâce à l’utilisation du
virus et en collaboration avec lui, ce que Wolf va démontrer en s’appuyant sur des notes
ethnographiques prises lors d’une enquête multi-sited dans des laboratoires européens. Wolf décrit
rapidement les actions d’un laboratoire que “reproduit, séquence, comptabilise, conserve, envoie,
refroidit et décompose le virus » et où la connaissance scientifique est « produite, maniée, rejetée,
modifié et légitimé ». Le laboratoire compte avec la possibilité de simuler et d’influer sur le processus
d’infection, afin d’appliquer cette connaissance à la gestion de la maladie. Dans le laboratoire, où le
virus a la permission d’y être, le virus est un acteur qui met en relation les différents tissus, appareils
et chercheurs les uns avec les autres.

Wolf fait une analogie avec le fromage de lait cru décrite par Paxson, qui est compris comme un
écosystème ou biotechnologie qui produit des formes spécifiques de régionalité, dans la mesure où,
par exemple, le rendement métabolique des bactéries du fromage est en relation avec la terre sur
laquelle les animaux paissent et sur laquelle les hommes le mangent. Ici, le virus fait partie du
contexte de production biotechnologique, où les cultures cellulaires sont transformées, les œufs de
poule sont couvés et les documents scientifiques écrites. Ce recours à l’analogie avec les résultats de
Heather Paxson (2008), mène Wolf à poser une question propre à la microbiopolitique, esquissé par
l’anthropologue américain : quel rôle jouent les virus dans les relations entre corps, maladie et
environnement ? Wolf fait recours à la variété d’opinions et au manque de consensus qu’elle entend
dans le laboratoire autour de qu’est-ce qu’un virus et comment il doit être étudié. C’est-à-dire qu’à
partir des extraits tirés des entretiens, elle fait entendre et assume chacune des points de vus, sans
donner priorité ou valeur de vérité à aucun, afin d’exposer les différentes manières de comprendre
et de « gérer » le virus influenza, et d’élargir ainsi l’analyse des relations entre corps, maladies et
environnement. Pourtant, dans sa page et demie consacré aux notes de terrain, Wolf ne spécifie pas
de quel laboratoire et de quel pays il parle. Nous connaissons son intérêt sur les questions de la
prévention et la préparation à des pandémies, dans de villes comme Londres ou Frankfort am Main,
où elle est professeure, mais il aurait été intéressant de connaître la spécificité du lieu, surtout si elle
assume les travaux de Paxson qui parle beaucoup de « localité », et qui se demande pour le cas du
fromage sur la relation spécifique entre par exemple le goût et le terroir.

Si dans les points de vue des biologistes et médecins, les virus peuvent être compris « en qualité de
germes pathogènes », ou bien ils sont compris comme ayant eu un rôle à l’origine de l’homme, c’est-
à-dire qu’ils peuvent s’intégrer au génome humain, ce que Wolf va retenir dans cette façon de
procéder et de parler c’est l’idée d’adaptation réciproque. L’idée de la collaboration entre humaines
et microbes est un fondement de la compréhension et de l’intervention dans les processus de vie.
Par exemple, le caractère pathogène du virus, c’est-à-dire la capacité pour provoquer des maladies,
n’est pas cherché dans le virus mais il peut être localisé plutôt dans les corps des organismes hôtes.
Ainsi, l’infection compris de manière linéaire, telle comme était présentée avant par Wolf, dans la
conception d’un corps de matière réceptrice, qui a juste un rôle passif, et la conception d’un virus qui
est étrangère et envahisseur, termine mise en question.

Les interventions dans la santé d’individus ou des peuples entières sont strictement en dépendance
avec la production de savoirs biomédicaux. Et cette liaison fondée sur des observations et des
entretiens menés par Wolf, permet de dévoiler un certain décalage entre l’idée, très présente dans la
médecine et la politique de la santé, d’un agent rationnel qui cherche à minimiser les risques dans la
régulation de santé au niveau local ou global, et la totale absence de cette idée dans les pratiques
microbiologiques et les conceptions qui se dévoilent au laboratoire, où l’humain n’apparait pas
comme le seul acteur qui agi dans les processus d’infection, c’est-à-dire où il n’y a pas de place à la
question d’un comportement humain correct ou incorrect.

L’observation de pratiques au laboratoire et la mise en question de présupposés qui se trouvent dans


les réponses qui donne par exemple le docteur Stoler, directeur du groupe scientifique enquêté, sont
la preuve de la focalisation que l’anthropologue fait sur la connaissance virologique autour de
microorganismes, une connaissance qui se fait, se défait, se perfectionne ou se met au rebut. La
connaissance scientifique n’est pas ni statique ni libre de contexte, insiste Wolf. « Sa souveraineté
interprétative et son influence se nourrissent plutôt d’un contexte socio-technique ».
Or, il reste voir aux lecteurs les outils d’enquête que l’auteur a mobilisé pour viser ces connaissances
scientifiques, c’est-à-dire nous voudrions entendre un peu plus sur le protocole d’entretiens menés
par Wolf, car nous voyons des extraits ou des phrases isolés, avec du sens, mais sans savoir à certains
moments à quoi ils répondent, c’est-à-dire sur quelle question ou sur quel problématique posé ces
virologues répondent. Dans ce même sens, une piste qui pourrait être suivi, et qui est à peine
mentionné dans ce que l’anthropologue nous laisse dans l’article, c’est de retracer l’aspect le plus
moral dans les discussions scientifiques autour de quelles possibilités d’intervention dans la gestion
d’une maladie sont à écarter, et comment ces décisions ou ces évaluations humaines sont justifiés.
Les notes de terrain retranscrites par l’auteur mentionnent en passant une discussion lors d’une
réunion avec toutes les groupes qui travaillent sur le virus influenza. Tout ce que nous savons ici,
possiblement par le choix de Wolf, c’est que la réunion a à voir avec des résultats et des questions
posés la semaine antérieure. Encore un autre jour, il y a eu aussi une réunion mais l’ethnologue ne
dit plus, et donc ne nous dit pas sur quoi elle a porté et s’il y a eu par exemple des prises des
décisions. Si nous allons considérer l’humain comme collaborateur et comme partie élémental de
pratiques et des connaissances, il pourrait être utile de penser l’humain dans un groupe, et plus
précisément dans une situation de réunion et de conversation, depuis laquelle ils renégocient et ils
construisent donc leurs jugements, leurs évaluations et leurs décisions.

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