Vous êtes sur la page 1sur 54

AUTOMNE - HIVER 2017

méta-media
#1 4
C a h i e r d e t e n d an ce s mé d ias d e Fr a nc e Té l é v i s i o ns

éric scherer

Les GAFA,
seuls maîtres de notre avenir ?

Admettre Ouvrir Prendre


le changement les boîtes noires ses responsabilités

m e ta - m e dia.fr
Les GAFA,
seuls maîtres de notre avenir ?
éric scherer
.6 .16
OUVERTURE
ADMETTRE
LE CHANGEMENT

.66 .86
.48
La loi du choix. p. 18

Le désenchantement de l’internet : la LA TRAQUE


fin du fantasme de l’agora 2.0 ? p. 20 DES NOUVEAUX
Scénario catastrophe pour les médias
USAGES
d’informations : la faute à leurs
PRENDRE
dirigeants. p. 22 SES RESPONSABILITÉS Indicateurs d’usage. p. 88

Noyés dans l’élite déconnectée, les Médias US : le print à la peine, la tv


journalistes doivent retrouver le lien Médias : 10 stratégies pour résister aux câblée à la fête grâce à Trump. p. 90
avec la population. p. 26 OUVRIR GAFA. p. 68
Médias traditionnels et numériques :
Les médias sont-ils voués à devenir LES BOÎTES NOIRES Nouveaux outils, GAFA, algorithmes: portrait de famille recomposée. p. 94
des marques blanches, les agences quel futur pour le journalisme. p. 72
de presse des GAFA ? p. 28 Réseaux sociaux, désormais portes
Des universitaires trompent l’algorithme L’open source, une alternative aux d’entrée de l’info. p. 96
Google Newsgeist ou le Bilderberg de de Facebook : voilà ce qu’ils ont GAFA ? p. 75
l’info. p. 32 découvert. p. 50 Les usages des 10-13 ans,
Dans la course à l’IA, les médias de ces clandestins du web social. p. 98
Facebook a versé des millions aux Transparence et redevabilité des nouveau en première ligne. p. 78
médias français : la stratégie « VIP- systèmes algorithmiques p. 53 Etude : 50% de la vidéo sera mobile
VRP » et ses effets. p. 35 GAFA : des empires fissurés ? p. 80 d’ici 2020. p. 100
La stratégie des réseaux sociaux
Médias - GAFA, it’s complicated - pour combattre les fake news est-elle « Homo deus - une brève histoire
Rêves communautaires et modèles efficace ? p. 54 de l’avenir » : magistrale synthèse du
économiques. p.40 monde qui vient. p. 83
A la rentrée, l’info en ligne se met au
Social TV : et si on s’était planté depuis bio. p. 56
le début ? p. 46
Temps de cerveau (vraiment)
disponible. p. 58

De l’incitation douce à la manipulation


insidieuse : les designers, architectes
invisibles de nos vies connectées. p. 60

L’avenir de la confiance en ligne. p. 62 LIVRES


Données personnelles : Home Sweet RECOMMANDÉS
Google Home. p. 64

102
OU-
VER-
LAISSER LES GAFA SEULS
MAÎTRES DE NOTRE AVENIR ?
HUM... COMMENT DIRE ?
Et si les GAFA n’étaient pas la solu- empires de la technologie inquiètent ; nos informations les plus secrètes, et
tion, mais désormais plutôt le pro- le temps n’est plus pour la classe po- qui sont en passe de créer et maîtriser
blème ? EN LIGNE, ET DE PLUS EN litique, même américaine, à se faire les outils de l’intelligence artificielle, en
PLUS DANS LE MONDE photographier benoitement à Moun- passe peut-être un jour de surpasser
EN GALOPINS, AU DÉBUT, RÉEL tain View ou Menlo Park près d’un l’humaine, et changer radicalement le
ILS AMUSAIENT ; EN baby-foot pour épater ses adminis- marché de l’emploi.
BARBARES, ENSUITE, Un monde « offline » où leurs actions trés. Bruxelles montre les dents, mul- Champions de l’optimisation et des
ILS ÉTONNAIENT ; EN sont désormais décriées de part et tiplie les enquêtes, impose de lourdes paradis fiscaux, ces géants, pourtant
MONSTRES, AUJOURD’HUI, d’autre de l’Atlantique : vecteurs de amendes ; les dirigeants des Gafa sont si riches et si rentables, sont aussi ac-
ILS EFFRAIENT. radicalisation, de propagande, de convoqués et auditionnés au Congrès cusés de ne pas prendre part au bien
racisme et de haine, y compris lors américain. Certains se demandent commun des sociétés par l’impôt et de
Et demain ? Demain, quand, omnipo- d’élections démocratiques, fortunes même s’il faut les boycotter. ne pas savoir faire face à leurs nou-
tents, sans contre-pouvoir, sans cadre bâties sur la vente de nos agissements velles responsabilités sociales.
éthique, plus puissants que des Etats, enregistrés chaque seconde pendant Ce ne sont pas là que des manœuvres
ils seront les seuls à posséder et maî- des années sans consentement éclai- corporatistes pour protéger les « incu- Pas facile d’appliquer l’anti-trust quand
triser les bases des infrastructures du ré, acteurs d’une société de surveil- mbents » et un vieux monde incapable les prix de leurs services restent bas
21ème siècle, c’est-à-dire les données lance, moteurs du renforcement des de se transformer : il faut y voir aussi ou gratuits, et de plus en plus addictifs.
accumulées de milliards de personnes, inégalités et de division de la société, une certaine objection de conscience Nous ne sommes pas dans les Telcos,
les machines, les plateformes logi- siphonage des revenus des créateurs numérique, et surtout des tentatives ennemis plus faciles et, en général,
cielles, les intelligences et les compé- et des médias avec prise de contrôle honnêtes pour rester au contact des haïs. Ici, l’opinion publique tend à peine
tences pour en profiter, mais aussi la de leur distribution, captation tou- leaders du nouveau monde numé- l’oreille à cette nouvelle colonisation
richesse … jours plus grande de notre attention, rique et ne pas les laisser seuls dans la numérique. Les GAFA restent immen-
sources de pollution mentale et d’ad- construction de notre avenir. sément populaires en simplifiant la vie
Ces plateformes réussiront-elles à im- diction, invasion de notre domicile, … du consommateur qui continue d’utili-
poser leur vision du monde ? A rester Sans compter des situations de mono- L’incapacité des GAFA à empêcher la ser massivement leurs services et ap-
cachées derrière des buzzwords, des poles sur la publicité et le commerce manipulation de l’opinion et leur sourde pareils et de remplir leurs comptes en
avocats et des lobbyistes ? Ou est-ce en ligne  ; le tout sur fond du culte du oreille à admettre leur implication dans banque. Demain il préfèrera sûrement
déjà trop tard pour renverser la ten- secret, de boîtes noires opaques, et de la désinformation, leur rôle dans la des- être soigné par eux !
dance et les ré-ancrer vers un bien montagnes de cash. truction d’emplois liée à l’essor de l’au-
commun décidé plus largement ? tomatisation, leur défiance envers les Mais de qui parle-t-on ? Derrière
Avec enfin le sentiment que ça va trop institutions, leur intrusion dans nos vies l’acronyme, il faut, en fait, voir une quin-
Aujourd’hui, intimement imbriquées vite, que personne ne comprend vrai- privées, sonnent le glas du laisser-faire zaine de sociétés : les firmes améri-
dans nos vies quotidiennes, ces ment comment marchent ces plate- vis-à-vis d’un problème devenu dé- caines Google, Amazon, Facebook,
firmes technologiques – déjà hégé- formes créées par une poignée d’in- sormais structurel. Car nos vies sont Apple, Microsoft, mais aussi Netflix,
moniques sur l’avenir de la culture et génieurs et d’informaticiens qui ne devenues quasi indissociables d’eux Airbnb, Tesla, Uber ; les chinoises
l’information -- trustent aussi les tout semblent plus maîtriser l’ensemble. au fur et à mesure de leur extension Tencent, Baidu, Alibaba, Xiaomi,
premiers rangs des dirigeants les plus inexorable à de nouveaux marchés et Huawei ; j’ajouterais bien la japonaise
influents du monde et des groupes de leur emprise – sans concurrents -- Softbank, le coréen Samsung, et les
les plus riches et les plus puissants. TROP GRANDS, TROP sur nos sociétés. russes Yandex et Vkontakte.
Gigantesques, les nouveaux maîtres PUISSANTS, TROP
du monde continuent chaque jour de NÉGLIGENTS, TROP Les outils traditionnels de régulation Avec plus de 540.000 employés
grandir en contrôlant les plateformes LONGTEMPS ? TOUS LES (taxes, anti-trust, …) semblent bien Amazon a désormais la taille d’un pe-
qui risquent de dominer nos sociétés EMPIRES ONT UNE FIN : À inadaptés pour maîtriser cette nou- tit pays ! En trois mois, elle a ajouté
dans les années à venir. QUAND CELUI DES GAFA ? velle puissance concentrée entre les 160.000 personnes à ses effectifs et
mains de quelques-uns. Semblant doublé de taille en un peu plus d’un an.
Le vent tourne en ce moment contre intouchables, ils utilisent leur fortune Au rythme de +30% par an, elle em-
la Silicon Valley : conséquence de leur à renforcer leur influence. Pas facile ploiera plus d’un million de personnes
puissance accrue au fil des années, les d’aller titiller ceux qui jonglent avec d’ici trois ans. Le groupe vend plus

8 9
de 350 millions de produits différents Dominant la nouvelle « économie Google (75.000 employés) et Face- CES MACHINES À CASH de disruption, de plateformes, d’expo- réseaux et le ciblage font le travail. L’in-
en concurrence directe avec plus de de l’attention », les réseaux sociaux book (20.000), se sont donc incroya- DEVIENNENT AUSSI UNE nentiel ou de passage à l’échelle ? Et dustrie des travailleurs du clic pourrait
130 grandes firmes. Aux Etats-Unis, donnent l’air du tempset définissent la blement enrichis à partir des contenus MENACE POUR L’ÉCONOMIE ce n’est plus si cool désormais de tra- bien devenir l’outil de propagande le
Amazon est devenu non seulement le nouvelle culture populaire, en décidant créés par d’autres, en sachant surtout DU WEB ET SONT EN TRAIN vailler pour Facebook ou Uber ! plus efficace de notre histoire. La dé-
principal magasin en ligne, mais aussi eux-mêmes ce que nous devons lire distribuer ceux que les gens aiment. DE TUER LES START-UPS. mocratie semble être ainsi à la merci
un intermédiaire crucial de la culture et et regarder, quand, et comment, avec, Sans respecter aucun standard jour- de quiconque possède des données
du divertissement (livres, vidéos, …), de il faut le reconnaître, une capacité de nalistique, ces groupes sont devenus Forts d’années de maîtrise des don- DÉMOCRATIES et un peu d’argent. Ajoutez quelques
l’alimentation (Whole Foods) et depuis prédiction et de manipulation assez les points d’entrée quasi-automatiques nées sur les comportements du public, « TROLLÉES » : DES compétences techniques, de l’humour,
peu un majordome domestique, via ses époustouflante. vers les médias, des kiosques mon- Google et Facebook, qui offrent les PLATEFORMES CHAMPS DE de l’outrage et de la provocation. Ça
nouvelles bornes intelligentes (Echo, diaux de l’information, où tout produc- solutions de ciblages des consom- BATAILLE fonctionne !
Alexa…). Facebook compte deux mil- Google et Facebook ont désormais teur de contenu doit désormais passer mateurs les plus performantes, sont
liards d’utilisateurs actifs, soit bientôt une influence sur plus de 70% du tra- pour profiter un tant soit peu de la pub désormais en position de duopole sur Mais c’est surtout du côté de leur nou- A l’insu du plus grand nombre, une pro-
un tiers de la population mondiale, fic Internet et la majorité du trafic des en ligne. la pub en ligne, loin devant toutes les velle et vaste influence politique, lié à pagande multiforme personnalisée en
mais aussi un milliard sur WhatsApp et sites d’infos dépend de ces deux plate- autres régies publicitaires mondiales. leur fonctionnement, et d’accusations temps réel a bouleversé l’élection pré-
800 millions sur Instagram ! formes (search et trafic social). Des A tel point que Google, après avoir pris de menaces sur les démocraties que sidentielle américaine (40% de la po-
tests effectués récemment dans six de haut les éditeurs pendant des an- Accusés d’abuser de leur position do- les plateformes, sourdes et incapables pulation exposée) et le référendum sur
Les progressions spectaculaires de pays par Facebook ont montré com- nées, s’apprête à leur lâcher du lest, minante, ils verrouillent agressivement, de s’autoréguler, ont refusé de voir ve- le Brexit, via des publicités politiques
leurs revenus et profits se font chaque ment un coup de tournevis dans l’algo- c’est-à-dire des sous ! Mais le secteur grâce à leur puissance financière et nir monter cet automne les critiques ciblées, notamment sur Facebook ;
trimestre à deux chiffres (et même d’un rithme pouvait priver des sites d’infos de la musique attend toujours une juste technologique, leur avance par des et l’hostilité croissantes d’Etats qui se des photos truquées et des rumeurs
tiers pour Amazon!) : Apple a engrangé des trois quarts de leur trafic. rémunération de YouTube, bien plus pratiques jugées souvent anti-concur- sentent impuissants. colportées par les réseaux sociaux ont
11 milliards de dollars de bénéfice Résultat : Facebook, meilleur moteur radin qu’Apple, Spotify ou Deezer ; et rentielles. Derrière un buzzword et Les réseaux sociaux, où s’informent aussi alimenté les tensions en Inde, au
net au 3e trimestre 2017 et Facebook de ciblage, et Google, meilleur moteur surtout le fossé technologique entre des slogans hippies (don’t be evil, do jusqu’à 60% des Américains, n’ont non Soudan ou en Birmanie, ou encore aux
5 milliards ! Il s’agit bien de profit dégagé de recherche, ont pris le contrôle de la médias historiques et les GAFA ne se the right thing, connect the world, …), seulement pas su éviter les abus et la Philippines, en Allemagne, Espagne,
en 3 mois ! Leurs cours de bourse distribution des créateurs et des mé- réduit pas. Au contraire ! ils pratiquent la forme la plus brutale manipulation de leurs utilisateurs, mais mais aussi en France pendant la cam-
continuent de s’envoler (en hausse de dias d’information. du capitalisme moderne, empêchant ont, en plus, sur-joué leur instrumenta- pagne présidentielle.
30 à plus de 50% en un an !) portant Aujourd’hui, ils veulent tous aller encore notamment la redistribution des effets lisation, et cherché, selon des experts,
leur valorisation à des centaines de plus loin dans les secteurs culturels en bénéfiques de l’économie numérique à dissimuler l’ampleur de l’infiltration de Nous allons tous désormais chercher
milliards de dollars chacune. Près de MAIS ILS EN REFUSENT investissant des milliards de dollars (effets de réseau, …). la propagande sur leur plateforme. Il a les réponses à nos questions dans
3.500 milliards de dollars pour les TOUJOURS LES dans les séries, le cinéma, la télévision, fallu pour cela les révélations de la presse, Google, nouveau détenteur de la vérité,
5  GAFAM. ! Dans le même temps, la RESPONSABILITÉS : TROP les jeux vidéo, l’e-sport, et bien sûr tou- Désormais en position de force, ils des universitaires et de think-tanks. mais sur mobiles, ce sont Facebook et
1ère firme Chinoise, Alibaba, accélérait 20E SIÈCLE ! jours la musique. rachètent des sociétés à tour de bras WhatsApp qui sont souvent devenues
et voyait ses revenus bondir de plus de et empêchent l’arrivée de nouveaux Avec la volonté évidente de déstabili- les principales sources d’informations
60% ! Car Google, Facebook, Twitter ou Lin- entrants, parfois en copiant purement ser les sociétés démocratiques, des dans certains pays, devenant de facto
kedIn se présentent comme des plate- et simplement leurs produits. Même Etats, des groupes, des intérêts, sont l’agora, où s’entremêlent faits, rumeurs,
formes technologiques neutres, des Snapchat a du mal face à Facebook. à la manœuvre sur leurs plateformes, infos bidons dans un déluge de bruit,
MONOPOLES, DUOPOLES, hébergeurs, qui ne prennent pas de A tel point, que l’âge d’or des start-ups avec des milliers d’experts actifs, qui d’un vacarme assourdissant où sont
POSITIONS DOMINANTES décisions éditoriales, ne produisent pourraient bien toucher à sa fin d’autant tentent de contrôler ou de retourner privilégiées les émotions, et où s’entre-
pas de contenus elles-mêmes, et que la nouvelle vague technologique les opinions, chez eux ou à l‘étranger, mêlent vérité et propagande en ligne.
Google, qui va doubler de taille en n’emploient pas de journalistes. Elles qui émerge (intelligence artificielle, d’accroître les divisions, à la faveur de
France, contrôle 90% du search en estiment donc, contre toute évidence, voitures autonomes, réalités altérées, bulles d’informations polarisées, de La vérité, ainsi malmenée, y est de plus
Occident, Facebook (et ses filiales ne pouvoir être donc assimilées à des crypto-monnaies virtuelles, ...) favorise chambres d’écho, d’opinions unilaté- en plus difficile à discerner. D’autant
Instagram, WhatsApp et Messenger) médias, refusant d’en assumer les de- les grosses firmes qui possèdent déjà rales ultra-partisanes, favorisées par que les frontières classiques entre
80%  du trafic social mobile, Amazon voirs. Or non seulement, elles diffusent les données et la puissance informa- les algorithmes des géants du web qui information et commerce s’y effacent
45% du commerce en ligne, Microsoft les contenus, qui informent bien ou mal tique. Devinez qui ! renforcent nos convictions. dangereusement sous la pression du
80% des ordinateurs ! Netflix repré- les citoyens, mais elles vivent—gras- clickbait. A l’inverse de la télévision,
sente 90% de la consommation de vi- sement on l’a vu —de la pub qui y est En contrecoup, ils provoquent même Avec les réseaux sociaux, nul besoin des radios et des journaux, les GAFA
déo à la demande aux Etats-Unis. associée. un rejet du lexique à la mode il y a peu : d’un émetteur unique ou d’un seul mes- ne sont pas soumis aux règles en ma-
qui veut encore parler, sans grimacer, sage de propagande. La multitude, les tière de publicité électorale.

10 11
Twitter, qui a véhiculé des armées de tion de nos données très personnelles, D’ailleurs nombreuses sont les anec- massifs. Tous y multiplient les dépôts chaine grande révolution technologique. grandement facilité l’accès à l’informa-
bots qui ont pu déstabiliser l’opinion, dont la valeur est désormais cruciale, -- dotes dans la Silicon Valley montrant de brevets et les expérimentations en Autre avantage déterminant : ils pos- tion, à la connaissance, à la culture, et
vient de décider de ne plus diffuser de et que l’on doit donner aujourd’hui gra- comment les patrons de la tech em- attendant une adoption grand public sèdent désormais le plus grand ont accru les moyens de communiquer
publicités émanant de médias financés tuitement et sans conditions (CGU) -- pêchent leurs propres enfants d’y qui devrait passer d’abord par le mo- nombre d’ordinateurs capables de trai- tout en permettant à un nombre infini-
par le Kremlin, comme Sputnik et Rus- préoccupent de plus en plus. D’autant avoir accès ! Même le créateur du bile, avant sa disparition et son rempla- ter ces données. Le risque est donc de ment plus important de voix de se faire
sia Today, avec qui, pourtant, elle avait qu’elles ne sont jamais réciproques. bouton « Like » sur Facebook a instal- cement par une informatique ambiante voir une nouvelle petite élite dirigeante entendre. C’est précieux et sans équi-
préparé de minutieuses campagnes Avant d’entrer dans les locaux de ces lé un contrôle parental sur son dernier (où la reconnaissance faciale de Face- posséder et maîtriser, hors contrôle, valent depuis la démocratisation de la
d’action. Les GAFA servant désormais jeunes firmes au fonctionnement obs- iPhone pour s’empêcher de téléchar- book est déjà meilleure que celle du les infrastructures de base de notre lecture sous Gutenberg.
de consultants numériques pour des cur, il vous faudra d’ailleurs toujours ger des applis ! L’ancien co-fondateur FBI) qui signera la fin de tout jardin se- époque.
campagnes politiques ciblées grâce à signer un document légal (NDA /non de Facebook, Sean Parker, regrette cret et de nos vies privées. Grâce à leur agilité, leur créativité et
leurs données ! disclosure agreement) vous faisant même d’avoir aidé à construire un Enfin n’est-il pas problématique à leur maîtrise des environnements nu-
jurer que vous ne raconterez rien. La monstre qui abuse de la vulnérabilité La conquête de l’espace domestique terme à voir de telles entreprises accu- mériques, ils ont permis l’apparition de
A cela s’ajoute le cyber-harcèlement, confiance règne ! de ses utilisateurs. est également en cours, au travers muler un tel niveau de richesses - dont services performants et peu onéreux,
parfois l’incitation à la haine et le com- des box TV, haut-parleurs intelligents elles ne font rien si ce n’est racheter tout en brisant l’ordre établi, mettant fin
plotisme de trolls submergeant l’utilisa- et autres écrans connectés, et de l’ar- tout concurrent qui pourrait les détrô- à de nombreuses prébendes du passé.
teur qui, en toute impunité, peut devenir DROGUE NUMÉRIQUE : LE FUTUR AUSSI ! LES mada de caméras, microphones et ner - au point de devenir plus puissants Traquant l’inefficacité des vieux bas-
la cible de menaces, voire de campagne PERSUASION, ADDICTION PROCHAINES ÉTAPES serrures connectées destinées à nous que les Etats et de pouvoir s’offrir les tions, ils ont montré aux Anciens l’im-
de lynchage. Et les enfants ne sont pas ET MANIPULATION DE DE CETTE DOMINATION rassurer – et nous espionner. meilleurs avocats pour défendre leurs portance de l’innovation et de la prise
épargnés, notamment sur YouTube. L’ATTENTION SE DESSINENT SOUS causes ? de risque.
NOS YEUX. ET LÀ AUSSI : Et bientôt la santé ! Amazon, qui veut
L’ironie c’est que ces plateformes Dans un tel contexte, l’effet de l’utilisa- « WINNER TAKES ALL ! », déjà les clés de chez vous, s’intéresse Ils ont suscité de nouveaux usages
(Facebook et Apple en tête), dirigées tion de leurs services sur nos compor- AVEC … LES MÊMES ! désormais aussi au marché des mé- et redonné beaucoup de pouvoir au
par des libertariens pas toujours à tements, est d’autant plus probléma- dicaments. Google entend séduire les public, et donc fait la démonstration
l’aise avec la démocratie représen- tique, quand on sait par exemple que A commencer par le divertissement, grandes villes pour les aider à extraire de l’importance de le connaître et de
tative, sont les premières à censurer les millenials touchent leur mobile plus les séries, les films, le sport, où cha- les données des habitants et leur offrir converser avec lui, ce que les médias
des contenus à l’aune de critères arbi- de 2.500 fois par jour ! cun d’entre eux investit déjà des mil- des services plus pertinents. traditionnels négligent trop souvent,
traires, et souvent discutables (nudité liards de dollars, notamment dans la voire même prennent de haut. Ils les
par exemple), en ayant comme unique Très comparables aux machines vidéo. Après Netflix et Amazon, You- Et bien sûr et surtout autour du po- ont aussi forcés à fabriquer du contenu
modèle les valeurs de la côte ouest à sous, les réseaux sociaux nous Tube a ainsi pris possession du télé- tentiel de l’intelligence artificielle (IA), de meilleure qualité.
américaine (on se rappelle encore la rendent accros aux rafraîchissements viseur où son visionnage a bondi de grand défi de notre époque.
photo de la petite fille brûlée au napalm imprévisibles, intermittents, de conte- 70% en un an. La médecine et l’allongement de la vie
retirée par Facebook). nus plaisants, et aux shoots narcis- Quasi seuls maîtres à bord pour ex- attendent également de grandes avan-
siques de dopamine provoqués par Mais ce sont désormais vers les ploiter les avantages de l’IA, les GAFA cées des nouvelles technologies. Ce
Elles sont évidemment aussi les pre- l’approbation recherchée des tiers, via nouvelles formes de loisirs qu’il faut et leurs homologues chinois alignent n’est pas négligeable.
mières à nous suivre partout, enregis- les « Like », RT et notes. regarder. L’e-sport, pierre angulaire tous leurs efforts pour tout faire dans
trant chaque fait et geste de nos vies d’une culture contemporaine interac- les années à venir pour mettre de l’IA Mais nous ne sommes pas comme au
en ligne qui n’ont, semble-t-il, plus de La captologie et l’hyper connexion tive avec bientôt 500 millions de fans, partout. Y compris pour saigner à coup 19ème ou au 20ème siècle en train de
secrets pour elles. Plus inquiétant  : compulsive règnent en maître puisque est devenu un des terrains de jeu fa- de salaires mirobolants les universités passer d’un monde stable à un autre.
grâce à elles, les marques elles- les GAFA doivent, pour gagner plus voris des géants du web américains des meilleurs de leurs chercheurs. Nous sommes dans une dynamique
mêmes peuvent désormais aussi nous d’argent, nous enserrer le plus long- et chinois : Amazon possède Twitch, fluide sans boussole où croît l’angoisse
traquer. Et Facebook, qui peut déjà voir temps possible dans leur toile. Des Facebook a lancé Gameroo, Goo- Car leur puissance est assise sur leur DÉMOCRATISATION DE face à la technologie et où l’homme
quels sites vous consultez ailleurs, en milliers de designers y œuvrent acti- gle YouTube Gaming et Tencent Riot/ énorme avance prise dans le domaine LA PRISE DE PAROLE doit mieux comprendre ce qu’elle peut
est même à réussir à identifier toutes vement. Cet abus manifeste de notre League of Legends. clé de la collecte et du traitement des PUBLIQUE ET BEAUCOUP faire et ne pas faire.
les personnes que vous avez pu ren- attention favorise la manipulation, et données personnelles, nouvel actif D’AUTRES BONNES CHOSES
contrer ! détériore – nous le voyons tous-- notre Le secteur des réalités altérées et clé du siècle, qui leur permet d’être
capacité de concentration, même si des médias immersifs (réalité vir- beaucoup plus performant soutenus Evidemment, pas question pour
Cette surveillance croissante et cette quelques gros malins veulent faire tuelle, réalité augmentée) est égale- par le machine learning et le deep lear- nous de revenir en 1992.
perte de contrôle et d’info sur la ges- croire avoir maîtrisé le multitasking. ment la cible de leurs investissements ning pour alimenter l’essor de cette pro- Sans aucun doute, les GAFA nous ont

12 13
QUELLES SOLUTIONS ? Comment alors créer une gouver- miques, en tous cas de les forcer à les numérique, celui-ci s’est déjà méta- comptes d’un business basé sur la s’attaquaient enfin concrètement aux
QUELS CONTRE- nance démocratique des ressources concevoir responsables « by design ». morphosé) surveillance. grands problèmes sociaux de l’heure
POUVOIRS ? technologiques ? Notamment en Eu- La transparence accrue aussi sur les avec leurs énormes ressources finan-
rope, où on ne compte plus un seul émetteurs d’information pour renforcer Les réguler comme des services pu- Le désenchantement vis-à-vis de la cières et leurs vastes compétences
Que faire alors pour recréer les condi- groupe dans les 20 premières firmes la confiance, comme une labellisation ef- blics pour qu’elles se comportent dans fin de l’agora 2.0 est perceptible. Pire : technologiques ? Comme la mise à
tions de la confiance numérique à l’ère internet et technologiques mondiales ficace des infos bidons identifiées. l’intérêt du public ? Créer des com- certains craignent déjà de le voir dis- niveau d’une éducation enfin adaptée
des plateformes ? (contre 5 en l’an 2000 !). Surtout, quand muns numériques plus pertinents dans paraître corps et bien, remplacé par à l’époque, la réduction des inégalités,
promettant de faire la police eux- ce nouveau monde pour le monde de des expériences virtuelles propres à le sauvetage des systèmes de santé, la
Nous le disons depuis 2014 : très rares mêmes en toute opacité, les GAFA, qui D’AUTRES SONT PLUS la culture ? chaque plateforme (e-commerce, inte- régulation des flux migratoires, l’aide
sont les rédactions équipées pour aller évidemment privilégient profits et ac- RADICALES. ractions sociales en réalités altérées, aux sans-abri, l’optimisation des ser-
regarder sous le capot des GAFA. Seuls tionnaires, tentent de résister à de nou- Nommer, comme le Danemark cette …) dans un Trinet (Google, Facebook, vices publics, la réinvention des solida-
quelques universitaires commencent velles lois plus contraignantes, qu’ils Londres songe ainsi à modifier leur année, un ambassadeur numérique Amazon). rités, ou même la lutte contre le chan-
à s’y aventurer. Il faut des logiciels, des jugent – avec arrogance et non sans statut légal pour les classer enfin en pour négocier avec eux ? gement climatique, …
algorithmes, des experts des données raison – toujours aussi dépassées. Le éditeurs, avec les responsabilités as- Faudra-t-il passer par un exercice
pour tenter d’y voir plus clair dans ces système peut-il encore s’auto-réfor- sociées. Berlin impose depuis peu de Créer une agence européenne pour la « Vérité et Réconciliation », à la sud-afri- Mais aujourd’hui elles semblent préfé-
asymétries informationnelles. Il faut aider mer comme le pense Elon Musk, no- lourdes amendes sur les discours at- confiance dans l’économie numérique, caine, pour se reconnecter avec ces rer vendre des mots clés à Carrefour,
les start-ups qui travaillent dans la géné- tamment dans le domaine de l’IA ? tisant la haine. Bruxelles voudrait aus- comme le souhaite la France ? plateformes ? nos préférences à Toyota et notre fil
ration automatique de données (et non si légiférer pour mieux contrôler les d’actualité à Poutine !
sur celles des utilisateurs), et les équipes contenus. Les plateformes affirment Du côté des médias traditionnels, dont Les acteurs d’Internet étaient pourtant
qui développent des algorithmes ca- DES PISTES SONT, EN TOUS qu’il serait trop cher de faire la police la crédibilité est certes aussi dévalo- censés éliminer les corps intermé- Ne nous reste-t-il alors plus qu’à
pables d’auditer d’autres algorithmes. CAS, ENTREVUES. des contenus, mais ils le font déjà si ef- risée, notamment suite à leur manque diaires sclérosés(maisons de disques, supprimer les applis Facebook et
ficacement pour la nudité ! de stratégie, on sait qu’il est devenu studios de cinéma, télés, …). Ils l’ont fait, Twitter de notre mobile et à défendre
Encourager aussi davantage l’open Elles passent évidemment par la re- critique de pouvoir exiger de ces plate- mais … en prenant leur place ! Sans notre liberté d’attention aussi
source et les systèmes décentralisés prise à ces nouveaux monopoles natu- Pour mettre fin à l’autre grande asy- formes plus de données, davantage rétablir la confiance et en rajoutant du chèrement que la liberté d’expression ?
(blockchain, pair à pair,…) comme une ré- rels, de la possession et du contrôle de métrie (celle de leur position concur- de monétisation et de tout faire pour bruit et des problèmes. Ne laissons
ponse à leur hégémonie et la recherche nos données, nouveaux actifs clés de rentielle) faut-il, comme nombreux sont enrayer ensemble le phénomène délé- pas tous seuls les ingénieurs, desi-
sur le rétro-design de l’attention. l’époque. En créant peut-être des tiers ceux qui le réclament, les morceler, tère des fake news. gners et community managers aux Éric Scherer
de confiance pour nos données, en ré- les forcer à vendre certaines activi- commandes  ! Les données ne sont Directeur de l’Innovation,
Les géants du web ont toujours agi gulant et sécurisant leur partage et leur tés, mieux contrôler leurs futures ac- Un coup de main beaucoup plus pas neutres : il y a des humains derrière de la Prospective et du MédiaLab
plus vite que les cadres législatifs circulation, ou même en considérant la quisitions et les contraindre à moins convaincant serait aussi bienvenu le code ! 12 novembre 2017
– mieux vaut s’excuser que de deman- donnée comme du ressort du domaine valoriser le clickbait, voire à réorien- dans l’indispensable éducation du pu-
der la permission –, se moquant même public ou de la propriété individuelle, dis- ter leur modèle d’affaires ? Le rejet blic aux médias destinée à susciter
de leur archaïsme et profitant sans ponible alors via une licence. croissant de la pub peut-il favoriser la davantage son esprit critique, pour l’in- Si on voit bien ce que les GAFA ap-
vergogne de l’inefficacité des outils Un premier pas sera fait en Europe avec fin du tout gratuit, peut-être le péché former sur les dangers de la désinfor- portent à chaque individu, il est plus
juridiques à répondre à leur complexi- la GDPR, qui bouleversera profondé- originel d’Internet ? mation, pour lui apprendre à mieux s’in- difficile de discerner leurs apports po-
té comme à leur perpétuelle rapidité ment le paysage de la publicité program- former et à reconnaître la propagande, sitifs aux sociétés et la manière dont on
d’évolution, mais aussi de l’incompé- matique, aujourd’hui manne des Gafa. D’autres formes de « guérilla numé- comme à mieux se comporter sur les pourrait les ramener au bien commun.
tence numérique des classes diri- rique » peuvent-elles apparaître, par réseaux sociaux. Un bien commun intégré, enchassé («
geantes politiques. Mais aussi par rendre des comptes exemple en abreuvant les plateformes embedded ») dans leur action. Faudra-
pour mettre fin à l’incroyable asy- de fausses données personnelles et Le web n’est en tous cas plus du t-il attendre de voir Mark Zuckerberg à
Ces dernières, de plus en plus inca- métrie dans la surveillance : les for- en cherchant à perturber leurs algo- tout le même qu’à ses débuts, il y a la Maison Blanche ?
pables de donner une vision probante cer à être plus ouverts, moins secrets rithmes ? Ou faudra-t-il revenir sur plus de 20 ans : un espace libre, ou-
de l’avenir ou même seulement de ré- (vous me traquez, je vous traque !), plus l’anonymat ? vert et décentralisé de publication et Rêvons un peu ! Et d’abord à un vrai
pondre aux défis actuels, notamment concurrentiels (en ne confiant pas toutes de consommation multilatérale d’in- débat avec eux sur ce bien commun
de l’innovation technologique, sous- ses données à une seule plateforme). Travailler vite à un nouveau droit de la formations. Il est clairement dominé et leurs responsabilités éthiques en-
traitent des champs entiers des af- Plus encore qu’un devoir de loyauté, concurrence plus adapté et réactif ? par une poignée de géants où se sont vers une société dont ils savent et
faires publiques aux GAFA, qui, eux, ont leur imposer – ô naïveté ! -- une certaine (actuellement le temps de constater concentrés richesse et pouvoir, et qui possèdent déjà beaucoup. Et si – sans
une vraie idée de notre futur. transparence des systèmes algorith- une position dominante sur un marché ont beaucoup de mal à rendre des privatiser l’action publique - ces géants

14 15
AD -
MET LE CHANGEMENT
LA LOI
DU
CHOIX
poussée peut vous envoyer durablement débat sur la régulation du numérique. comme le dégroupage, l’interconnexion
dans une direction. Enfin, on réalise que Comment empêcher la propagation des et l’accès aux ressources rares, on a su
le corps humain n’est absolument pas fake news ? Comment éviter les cyber-at- accompagner des entrepreneurs et des
adapté à l’apesanteur, qui cause de très taques géantes ? Faut-il réguler l’intelli- projets industriels souhaitant développer
graves dérèglements du système san- gence artificielle ? Ces débats sont évi- des alternatives aux acteurs en place.
guin et de la structure osseuse, pouvant demment utiles. Mais qu’en serait-il dans Bien sûr, le numérique est une infrastruc-
conduire à la mort. un marché concurrentiel, par nature plus ture virtuelle qui appelle des réponses
propice à l’autorégulation ? Comment adaptées, mais le cœur du problème est
Même chose pour les grandes plate- serait protégée la vie privée si elle deve- le même : lutter contre l’accaparement de
formes. Au départ, c’est magnifiquement nait un facteur de concurrence entre les ces effets de réseau par une poignée de
Par Sébastien Soriano | Président de l’ARCEP* simple. Pas besoin de comparer, peser, acteurs ? Quels seraient les risques de géants qui empêchent le fonctionnement
changer : il n’y a pas d’alternative réelle sécurité sur des infrastructures plus dis- normal de la concurrence. Alors à quand
UNE CHOSE NE LASSE PAS DE FASCINER loi du choix fonctionnant pour ! Surtout que le service correspondant a tribuées ? Il est normal que notre attention un « livre vert de la libéralisation des plate-
LE CHOIX : « LOI DE DANS NOS COMPORTEMENTS NUMÉRIQUES : l’ensemble de l’économie. Puis en général apporté une petite révolution se porte sur les symptômes, mais cela ne formes numériques » comme il y en eut un
LA GRAVITÉ » ÉCONO- NOTRE RENONCEMENT À CHOISIR. vient une phase étrange où lors de son lancement : comment fai- doit pas nous faire oublier les causes sur les télécoms trente ans plus tôt ?
MIQUE ET SOCIALE certaines grandes plateformes sait-on avant, sans Google ou Amazon ? profondes de ces dysfonctionnements,
– pas toutes heureusement – Puis à la longue, on essaie de vivre avec parmi lesquelles l’absence de concur- Aujourd’hui, le seul choix réel qui existe
Dans le monde physique, nous faisons il pas le meilleur argument pour défendre semblent sortir du système, s’arracher à cette absence de choix, on tente de ré- rence réelle figure à mon sens en très vis-à-vis des plateformes numériques,
les magasins, comparons les prix, la qua- le modèle de la démocratie de marché ? la loi du choix, tel un astéroïde atteignant sister : les acteurs économiques qui uti- bonne place. c’est la déconnexion. Est-ce le numé-
lité, l’ergonomie, pesons les avantages et la vitesse de libération qui lui permet de lisent ces plateformes pour accéder aux rique que nous voulons : à prendre ou à
inconvénients de telle ou telle marque... s’arracher à la gravité d’un astre et de vi- utilisateurs réalisent leur dépendance, et laisser ? Nul ne devrait échapper à la loi
Nous nous laissons aussi séduire par LES PLATEFORMES NUMÉ- siter les confins de l’univers. tentent de s’organiser ; les pouvoirs pu- RETOUR SUR TERRE : LES du choix. Mesurons-en la gravité.
une publicité, une devanture de magasin, RIQUES EN APESANTEUR blics constatent des trous dans leurs ré- JOIES DE LA GRAVITÉ
certains par l’envie de distinction… Par- Il demeure bien une variété de façade : glementations, et essaient de combler les
fois nous donnons la préférence à des Le développement du numérique a d’ail- on peut choisir DuckDuckGo plutôt que plus manifestes, etc. Entendons-nous bien, les autorités pu- *Autorité de régulation des communications
enjeux éthiques, de nature sociale ou en- leurs encore décuplé notre capacité de Google, ou Mastodon plutôt que Twitter. bliques qui sont chargées de promou- électroniques et des postes
vironnementale. Tous ces paramètres de choix. L’e-commerce a créé un « deu- Mais les consommateurs vous le diront Enfin, ce qui nous guette demain, dans voir la concurrence en Europe ne sont
consommation sont soumis à un principe xième monde » à côté des magasins phy- tous : « ça n’a rien à voir ». Je ne m’attar- un monde sans choix, c’est une atrophie pas en cause, au contraire. La com-
implacable : la loi du choix. siques, augmenté par l’effet de longue derai pas ici sur les raisons qui expliquent systémique majeure de notre économie. missaire européenne à la concurrence,
traîne. La publicité s’infiltre dans tous cette situation: c’est la notion d’effet de Car derrière la loi du choix se cache la Margrethe Vestager, se montre résolue
Rares sont les domaines de notre vie les recoins de notre attention. Les plate- réseau qui est massivement à l’œuvre, loi de la concurrence, fonction consubs- à condamner les abus de position do-
de consommateur ou d’usager qui formes permettent à des petits acteurs principe récursif par lequel le service qui tantielle à l’économie de marché et à sa « minante des grandes plateformes et les
échappent à la loi du choix. Il y a bien les (commerçants, chauffeurs, livreurs, etc.), a le plus d’utilisateurs offre le meilleur main invisible ». Sans concurrence, moins pratiques fiscales déloyales de certains
services publics, mais ceux-ci relèvent parfois auto-entrepreneurs, de rentrer service et est donc le plus attractif et ain- d’incitation, et donc moins d’efficacité pays. En France, l’Autorité de la concur-
en dernier ressort du personnel politique, beaucoup plus facilement sur les mar- si de suite. Ce constat est désormais bien productive et allocative. Et en bon fran- rence a pris une décision importante sur
que nous choisissons à travers nos élec- chés. Le modèle collaboratif offre aux connu et largement partagé. Ce sont les çais ? Cela veut dire : (i) des services et Booking avec ses homologues italien et
tions. Et dans les collectivités locales, les utilisateurs la possibilité de s’organiser conséquences qui m’intéressent ici. produits qui ne servent pas assez l’intérêt suédois. S’il faut saluer cette mobilisa-
services publics locaux restent en outre entre eux et de se passer des échanges de leurs utilisateurs et (ii) des facteurs de tion, il reste que le droit de la concurrence
soumis à la pression de l’attractivité des marchands traditionnels. Les systèmes production – capital et travail – mal em- ne condamne que les comportements
territoires pour les ménages et les entre- de notation permettent de hiérarchi- « T’ES UN MARCHÉ ET T’AS ployés, créant rentes et chômage. Cela extrêmes et n’interdit pas la domination
prises. Même les industries de réseaux ser les options, nous faisant gagner un PAS DE CONCURRENCE ? NON ne vous rappelle rien ? D’autant que les économique en elle-même. Au mieux les
– électricité, télécoms, etc. – qui sont temps précieux pour exercer notre choix MAIS ALLÔ QUOI ! » plateformes numériques ne sont pas autorités de concurrence peuvent-elles
pourtant des monopoles naturels, ont été sur une sélection plus pertinente. juste un secteur économique sur le dys- faire en sorte que les géants en place
soumises à cet inexorable commande- S’abstraire de la loi du choix, c’est un fonctionnement duquel on pourrait jeter « n’en rajoutent pas ».
ment. Mais qu’en est-il du numérique lui- peu comme s’abstraire de la gravité. Au un voile pudique ; elles sont l’équivalent
même  ? Je veux dire, de quelle variété début, l’apesanteur c’est amusant. Cela des infrastructures de transport, d’éner- Pour agir de manière proactive sur les
Nos choix expriment nos attentes, et en disposons-nous pour choisir entre ces ouvre des perspectives inattendues et gie et de communication du XXIe  siècle, structures de marché – pour « créer » de
ce sens orientent les marchés. Le choix plateformes qui organisent et simplifient spectaculaires, un sentiment de liberté sur lesquelles toute l’économie et la la concurrence en somme –, il faut des
est devenu un droit évident, corollaire ces choix et relations ? La réponse est primaire et profond. Puis vient le moment société numérique – c’est-à-dire toute « armes non conventionnelles ». C’est
implicite de la société de consommation, nettement plus contrastée. Pour sim- de l’adaptation : pas si facile de se mou- l’économie et la société – se construit. toute l’expérience acquise en Europe de
véritable « loi de la gravité » économique plifier, le consommateur a en général le voir, de manger, de boire, de ranger des l’ouverture à la concurrence des marchés
et sociale. Au fond, le cliché des files d’at- choix « au début », lorsque les services objets, bref d’avoir une vie normale. Pas Un signe qui ne trompe pas : presque des télécoms, de l’énergie et plus récem-
tente des pays du bloc communiste n’est- numériques eux-mêmes obéissent à la si facile non plus de résister ; la moindre chaque jour, on voit fleurir un nouveau ment du ferroviaire : avec des instruments

18 19
LE
DESENCHAN-
TEMENT
DE L’INTERNET :
LA FIN DU FANTASME DE L’AGORA 2.0 ? Exemple avec la plateforme collaborative l’activité politique (la déclinaison numé- médias. Ne pas laisser leurs citoyens dé-
Wikipédia, où les espaces de conflictua- rique des campagnes électorales, par munis face à la multitude de contenus qui
lité sont organisés et les guerres d’édition exemple). Mais n’oublions pas le revers défilent sous leurs yeux. Leur apprendre
strictement encadrées. Une véritable de la médaille : au vu de son influence à s’informer, à vérifier leurs sources.
institutionnalisation de la gestion du considérable sur le débat public, le Et, surtout, leur montrer que les algo-
Par Alexandra Yeh | France Télévisions, conflit qui vise à produire le consensus, contrôle des ressources technolo- rithmes ne sont pas neutres.
Direction de l’Innovation et qui s’explique aussi par l’existence d’un giques est lui-même un enjeu éminem-
but commun (rédiger des articles) qui ment politique ! Ne pas oublier non plus que les plate-
Le chercheur dresse le constat UN SIÈCLE APRÈS SA CONSÉCRATION PAR Romain Badouard estime tou- rend les contributeurs plus enclins à faire formes, comme toute entreprise, dé-
d’une désillusion quant au MAX WEBER, LE CONCEPT DE DÉSENCHAN- tefois qu’ « il ne faut pas jeter des compromis. fendent avant tout leur propre profit. Et
potentiel démocratique de TEMENT DU MONDE REVIENT AUJOURD’HUI l’internet avec l’eau du bain. » FAUT-IL POLITISER DAVAN- que, contrairement à ce que voudraient
l’internet, fantasmé à ses dé- SOUS LA PLUME DE ROMAIN BADOUARD, RE- Pour lui, « l’internet a été un ou- Ce n’est pas le cas sur les réseaux so- TAGE LA QUESTION DES nous faire croire Mark Zuckerberg et
buts comme un outil d’éman- VISITÉ À LA SAUCE 2017 POUR DEVENIR LE til de démocratisation inégalé en ciaux, où les espaces de commen- CHOIX TECHNOLOGIQUES ? ses grands discours sur le rôle social de
cipation de la société civile… « DÉSENCHANTEMENT DE L’INTERNET ». termes de liberté de parole et taires et d’échanges entre internautes Facebook, les réseaux sociaux ne sont
avant de prendre, au tournant d’autonomisation de la société », prennent bien souvent des allures de Reconnaître l’influence politique de la pas au service de l’intérêt général.
des années 2010 avec l’affaire et il considère que c’est surtout champs de bataille où les trolls s’en technologie, c’est aussi reconnaître
Snowden, les contours d’un spectre que dans les médias traditionnels, aux plateformes de prendre leurs res- donnent à cœur joie. Une brutalisation la nécessité d’une gouvernance dé- Alors, l’internet est-il vraiment propice au
menaçant, symbole de la surveillance soumis au filtre des gatekeepers que ponsabilités dans l’organisation du débat des débats qui a poussé les plateformes, mocratique des ressources techno- débat public ? Sommes-nous condam-
généralisée, de la propagande indus- sont les éditeurs, journalistes et autres public. au fil des années, à modifier leurs algo- logiques. Car rien ne nous garantit nés à passer nos vies connectées en-
trielle et d’une brutalisation du débat édiles de la société civile. rithmes pour préserver le bon fonction- que Facebook, Twitter et consorts fermés dans nos bulles de filtres, ou au
public. nement des espaces de discussion. C’est continueront à s’autoréguler et à faire contraire, engagés dans des dialogues
L’avènement de l’internet et, avec lui, des LE DESIGN DES PLATE- ainsi que Facebook et YouTube placent en sorte de maintenir des espaces de de sourds, des discussions sans fin avec
Venu présenter son dernier ouvrage réseaux sociaux a donné une tout autre FORMES : UN RÔLE ÉMINEM- désormais les commentaires les plus débats ouverts et respectueux. On l’a vu des internautes avec qui nous ne tombe-
au Tank, Romain Badouard est revenu ampleur au débat public, chaque citoyen MENT POLITIQUE likés en tête des posts pour favoriser à maintes reprises, les grandes plate- rons jamais d’accord ?
sur ce glissement sémantique, de l’in- ayant désormais la capacité de s’expri- une régulation collective des échanges. formes de la Silicon Valley n’hésitent pas Ce ne sont peut-être pas les bonnes
ternet comme utopie d’une agora 2.0 mer et, surtout, d’être entendu par tous. Une prise de responsabilités qui passe, Citons également l’annonce récente de à changer arbitrairement leurs règles et questions à poser finalement. Car les
au mythe d’un espace anarchique où Une libération du discours qui a per- selon le chercheur, par une réflexion sur l’extension des tweets à 280 carac- leurs algorithmes si cela les arrange. jeunes générations, celles qui sont nées
les opinions les plus extrêmes s’expri- mis de démocratiser la prise de parole le design des réseaux sociaux sur les- tères, qui pourrait aider Twitter à faire ou- dans le monde connecté et qui auront ap-
ment sans contrôle. publique, mais qui a aussi ouvert la voie quels nous passons l’essentiel de nos blier son image « d’usine à punchlines » On ne peut donc décemment pas se per- pris à débattre sur ces plateformes, vont
aux opinions les plus radicales, voire les vies connectées. À la croisée des che- et aller dans le sens d’un apaisement des mettre de les laisser décider, en toute intégrer une culture du débat très diffé-
plus violentes. L’internet est ainsi devenu mins entre enjeux technologiques et débats en permettant aux internautes de opacité, de la façon de gérer l’espace rente de celle de leurs aînés. La ques-
UN ESPACE DE DÉBAT PUBLIC un révélateur de phénomènes sociaux, démocratiques, le design des plate- poster des propos plus nuancés. public connecté. C’est une question tion n’est donc pas de savoir si l’internet
DÉBARRASSÉ DES GATEKEE- l’un des plus notoires étant celui des fake formes joue un rôle éminemment po- inédite dans notre histoire qui se pose est l’espace le plus propice au débat,
PERS news. Nous l’avons souvent répété sur ce litique dans l’organisation du débat Des changements de design qui ne sont aujourd’hui : comment organiser le dé- mais comment éduquer les citoyens à uti-
blog : les rumeurs et les fausses infor- public. La manière dont les algorithmes donc pas anodins, et qui exercent une vé- bat public à l’échelle de l’internet (et liser les plateformes de manière éclairée.
L’internet n’a pas seulement révolutionné mations ne sont pas nées avec le web, ordonnent les contenus, ou dont les es- ritable influence sur le déroulement des donc, en d’autres termes, à l’échelle du
la communication et la circulation des in- mais elles ont pris une ampleur inédite paces d’échanges entre utilisateurs sont échanges sur les réseaux sociaux. Car monde) ? Y a-t-il un besoin d’intervention N’attendons donc pas que les GAFAs
formations : il a aussi transformé l’organi- avec lui, en termes de vitesse de pro- gérés, traduisent en effet une certaine on a généralement tendance à ne voir des pouvoirs publics ? Ce qui est sûr, c’est changent leurs algorithmes ou leur
sation du débat public dans nos sociétés. pagation comme de pouvoir d’influence façon de concevoir la société et les rap- qu’une facette de la relation entre techno- qu’à défaut d’encadrer les plateformes, design pour éviter les fake news et les
Le temps semble bien lointain désormais sur l’opinion publique. ports sociaux. logie et politique : celle des ressources les gouvernements doivent avant tout trolls : apprenons aux internautes à
où la prise de parole n’était possible technologiques en tant qu’outils de s’emparer du sujet de l’éducation aux s’informer et à débattre !

20 21
SCÉNARIO
CATAS-
TROPHE
POUR LES MÉDIAS D’INFORMATIONS :
LA FAUTE À LEURS DIRIGEANTS Quand bien puissant instrument de re-

même les Ainsi la startup


chinoise Megvil Inc, et
portage. C’est aussi une
plateforme de distribution.
Par Eric Scherer et Hervé Brusini |
France Télévisions usages de son logiciel Face++,
qui fête son premier
Les médias développent un
business model capable de

« Je suis très inquiète. Plus


MédiaLab de l’Information
L’INFORMATION l’IA sont anniversaire. Ce re-
doutable instrument
faire vivre cette technique
pour produire de l’infor-
VISUELLE
encore sur l’avenir du jour-
nalisme que sur l’arsenal nu-
NOUS N’AVONS JAMAIS RATÉ LA KEYNOTE AN-
NUELLE D’AMY WEBB, FEU D’ARTIFICE DES encore parvient à détailler
les silhouettes, les vi-
mation. Les développeurs
arrêtent de mettre de la

doivent-ils s’interroger limités


cléaire nord-coréen ! Car nous DERNIÈRES TENDANCES TECHNOS MÉDIAS « Pourquoi les journalistes sages. Ou détecter un partialité dans le code. Tout
sommes entrés cette année ET VRAIS COUPS D’AVANCE OFFERTS AUX sur faciès dans un pay- ce que nous pouvons voir
dans une nouvelle ère techno- JOURNALISTES DANS LEUR MUTATION NUMÉ- ce point ? » interroge la jeune sage et l’attribuer à peut faire l’objet d’une re-
logique, celle de l’intelligence RIQUE. MAIS LA 10E ÉDITION, PRÉSENTÉE EN femme. Et de répondre en ex- une personne. Face++ cherche. Nous comprenons
artificielle, qui va fondamenta- OCTOBRE À WASHINGTON PAR LA PROF/FU- plorant nombre de situations est déployé en Chine, et 800 millions tion, sans plus attendre. » Lunettes ca- alors mieux le monde et prenons de
lement transformer le journa- TURISTE, A LITTÉRALEMENT GLACÉ L’ÉNORME déjà contemporaines dont nous de citoyens l’emploient à travers des méras hyper miniaturisées, commande meilleures décisions.
lisme et donner tout le contrôle SALLE BONDÉE DE LA CONFÉRENCE DE L’ON- n’avons peut-être pas encore centaines de milliers d’applications. de tous types de communications, son • Le deuxième scénario pré-
de la distribution de l’informa- LINE NEWS ASSOCIATION. mesuré les conséquences. Là encore, ce n’est pas un fantasme ou images, au bout des doigts, tous ces senté par l’experte se veut pragma-
tion à une poignée* de géants de science-fiction, mais bien une réa- dispositifs de réalité augmentée sont tique : les médias n’ont pas su se doter
du web américains et chinois. » Le constat est connu. Le proces- lité. Gare au piéton qui traverse quand sur le point de débouler dans nos vies d’un modèle d’affaires. La distribution
la fin de la domination des smartphones sus de l’intelligence artificielle consiste ou là il ne faut pas. L’app Jaywalker le quotidiennes. devient de plus en plus diffuse, s’épar-
« Or les responsables des rédactions et qui nous amènera d’ici dix ans à une in- à sans cesse apprendre aux machines. repère et publie son visage à la une du D’ailleurs cette informatique visuelle ne pille et ne peut plus être à la portée
des médias, ajoute-t-elle, ne voient pas formatique ambiante où les décisions C’est comme cela pour la reconnais- site spécialisé dans la mise au ban des va pas cesser de se perfectionner. Elle de ceux qui font l’information. Certains
plus loin que le bout de leur nez et sont des machines seront beaucoup plus ra- sance des personnes, des objets, des Pékinois désobéissants. La honte ver- apprend comme nous de ses erreurs. médias doivent même sortir de l’activité
en train de rater les grands enjeux qui pides que celles des humains, où les in- lieux, et dans toutes les situations pos- sion numérique, en somme. Comment par exemple distinguer un qui était la leur. Les pratiques cognitives
surgissent. Ils parlent de l’avenir, mais terfaces seront vocales, où les contenus sibles. Exemple : l’analyse spectros- panda d’un gibbon, quand des pixels partiales finissent par l’emporter. Nous
ne font rien. Ils sont scotchés au pré- seront décentralisés, avec beaucoup de copique de notre nourriture, via notre Amy Webb veut nous alerter en don- malvenus viennent polluer l’image ? La continuons à enseigner les stéréotypes
sent. Et pourtant ce sont eux qui sont réalité hybride, de nouveaux types de portable, qui n’est plus un fantasme de nant d’autres exemples de cette utili- question se pose, insiste Amy Webb, aux machines. L’apparition de la discri-
en charge du futur du journalisme. » search et de terminaux. savant fou. Cette fois, bien plus haut que sation de l’IA. Grâce à la technologie car « des acteurs mal intentionnés mination numérique se confirme et se
le contenu de nos assiettes, dans les dix nouvelle, la sexualité de chacun se peuvent toujours introduire des in- répand. Les géants du web promettent
Alors que le cycle de l’info n’a jamais « Les journalistes doivent comprendre ans à venir, des satellites cubes (Cube- portera en quelque sorte au milieu du formations contraires pour créer la d’améliorer les algorithmes mais seuls
été aussi rapide et la défiance envers la ce qu’est l’intelligence artificielle et son Sats) seront lancés par milliers. Moins visage. Là encore, le logiciel VGG-Face confusion ». de petits changements sont mis en
presse jamais aussi grande, 69% des impact potentiel pour l’avenir de l’in- chers que les engins spatiaux actuels, de l’université de Stanford – nourri par œuvre.
rédactions ne surveillent pas la manière fo. Et il est vital que les dirigeants s’y ils seront capables de photographier quelques 70 000 photos – se prétend Nous voilà donc mis en garde. Un ap- • Enfin, il y a la noirceur du
dont les tendances émergentes impac- mettent. » chaque centimètre de notre planète capable de définir ce que sont nos in- pel à la prise de conscience d’autant dernier scénario évoqué par la spé-
teront l’info d’ici cinq à dix ans, selon un en temps réel. Autrement dit, sur terre clinations sexuelles. plus important que trois scénarios pour cialiste qui peu à peu jette l’effroi au fil
sondage réalisé cet été par Ipsos et pré- L’experte du Future Today Institute en- comme au ciel, des instruments très 2027 se présentent, affirme Amy Webb, de son discours : le scénario catas-
senté par Amy Webb. trevoit une dizaine de tendances qui se puissants pourront être utilisés par les Autre domaine mis en exergue par la renvoyant aux journalistes la maî- trophe. Là, l’informatique visuelle s’im-
partagent dans 3 grands groupes de journalistes dans la prochaine décennie. jeune femme, au discours décidément trise de leur avenir. pose. Les médias ne se sont pas dotés
« Les fake news vous inquiètent ? Vous technologies. Elle y ajoute des scéna- Aux mains des pros de l’info, certes. Mais sombre : la réalité augmentée. « Elle est de business models capables d’affron-
n’avez encore rien vu ! » rios pour 2027. Souvent très inquié- aussi capables de se mettre à la disposi- maintenant partout, dit-elle. Les médias • Le premier est optimiste  : ter cette situation. Ils perdent des an-
2018, assure-t-elle, marquera le début de tants. tion des puissants. devraient lui accorder toute leur atten- l’informatique visuelle devient bien un nonceurs publicitaires et doivent par-

22 23
tager le marché du visuel avec d’autres vel univers à zéro interface utilisateur ! pidité est de plus en plus incompatible fondés sur les sentiments et l’émotion
plateformes. Des regroupements mas- Les journalistes savent authentifier les avec la qualité et la fiabilité de l’info. deviennent la norme. Les médias d’info
sifs ont lieu, le chômage frappe les jour- vidéos avant de les utiliser. Facebook Au moment où Twitter est devenu s’effondrent. Parallèlement, les plate-
nalistes. Les graffiti numériques sont Google et Twitter développent des l’agence de presse mondiale du XXIe formes de distribution ne parviennent
partout, de même que nombres d’élé- outils de vérification, réduisent ou éli- siècle, où Facebook vaut un demi-tril- pas à faire face à un système mon-
ments faits pour créer de la confusion. minent les fake news. Les citoyens sont lion de dollars, on peut s’attendre à dial d’Internet morcelé et deviennent
Il est de plus en plus difficile de détecter bien informés. voir les gouvernements et les États à vulnérables aux attaques. De vastes
les fake news. Les machines, nourries • Scénario pragmatique : les enfin réguler les géants du web. Avec campagnes de désinformation se dé-
d’horribles stéréotypes, prennent des médias développent bien des compé- le risque d’un morcellement d’Internet veloppent. La démocratie s’écroule.
décisions qui impactent nos vies. tences autour d’Alexa mais sans bu- (Splinternets) par zone géographique,
siness model ni stratégie pour la voix. voire par pays, et donc des pratiques => Probabilité pour Amy Webb : scé-
=> Quel scénario trouve grâce aux Rapidement, le zéro UI se généralise journalistiques qui risquent d’être diffé- nario optimiste 0% de chances. Et
yeux d’Amy Webb ? Devinez. 0 % pour et devient grand public, et les médias rentes d’une zone à l’autre. 50% pour les deux autres !
l’optimiste. 70% pour le pragmatique. commencent à perdre. Vaste conso-
Et 30% pour le catastrophique. lidation dans les médias à prévoir. Dans ce contexte morcelé, la sécurisa- Elle est d’ailleurs tellement inquiète
De leur côté, les 9 géants du web se tion par la blockchain (qui sert déjà à de qu’elle a décidé de mettre toute sa re-
moquent des partenariats avec les mé- nombreuses autres industries) pourrait cherche en open source à la disposi-
LA VOIX dias. Les fake news prolifèrent. Les re- s’avérer un bon moyen de traçabilité et tion de tous.
porters se font avoir. La confiance dans d’authentification de l’information.
Là aussi, pourquoi les journalistes les journalistes s’érode. Nous sommes Il reste peu de temps pour changer
devraient-ils s’y intéresser ? moins bien informés. Troubles sociaux • Scénario optimiste : les le cours de l’histoire. Mais c’est pos-
En raison des énormes progrès ré- à venir. médias d’information s’allient et mettent sible, assure-t-elle. Cela dépend de
cents en reconnaissance du langage • Scénario catastrophe : le paquet sur la vérification et une trans- nous !
par les machines, ce qui va pousser les médias n’ont finalement jamais pu parence radicale. Ils regagnent des
chacun de nous à parler prochaine- sortir un modèle pour l’univers zéro parts de marché, les citoyens paient
ment à nos terminaux. UI. Ils n’ont plus de sources raison- l’accès à l’info de qualité, le secteur est
nables de revenus. Nombreuses fer- rentable. La fragmentation de l’Internet
Avec tout de suite des risques impor- metures et journalistes au chômage. est évitée. Le fameux cycle de l’info ra-
tants puisque des machines sont déjà Parallèlement, les infos bidon leurrent lentit à un rythme vivable. Les consom-
capables d’imiter la voix (Lyrebird). les dirigeants politiques mondiaux. La mateurs sont moins exposés aux fake
Souci pour les rédactions… confusion s’installe, les émeutes et la news. L’humanité est mieux informée.
violence se développent. Nous finis- • Scénario pragmatique  :
Surtout si vous combinez cela aux sons dans une cyber-guerre ou un accélération du cycle de l’info. Les
risques de la reconnaissance visuelle, conflit nucléaire. journalistes passent autant de temps
qui permet déjà de générer des ob- à corriger les faits qu’à faire leur métier
jets, voire de courtes vidéos, à partir => Les probabilités d’Amy Webb : 0% de reporter. L’ensemble de la confiance
d’images fixes. Ou pire, de mettre dans pour le scénario optimiste, 80% pour dans les médias se réduit. Des Inter-
la bouche d’un sujet filmé des propos... le pragmatique et 20% pour le catas- net régionaux surgissent. Google et
qu’il n’a jamais tenus. trophique. Facebook dépensent des centaines
de millions de dollars à développer
• Scénario optimiste : les des systèmes locaux. Des erreurs sont
médias d’informations font des in- L’ACCÈS commises. Le phénomène des fake
terfaces vocales la première priorité news s’amplifie.
dans tous leurs départements. Les di- L’avenir de l’accès à de l’information • Scénario catastrophe : les
rigeants commencent à travailler sur de qualité est évidemment devenu un médias cèdent du terrain à des startups
de nouveaux modèles d’affaires et les sujet crucial. qui publient de l’info à haute fréquence.
testent. Les médias profitent de ce nou- Notamment dans un contexte où la ra- Des articles générés par ordinateurs et

24 25
NOYES DANS
L’ELITE
DECONNECTEE,
LES JOURNALISTES DOIVENT RETROUVER
LE LIEN AVEC LA POPULATION
Par Barbara Chazelle | France Télévisions,
MédiaLab de l’Information

Le numérique oblige à la PROFONDÉMENT TOURNÉ VERS L’HUMAIN, soins de ceux qui ne le sont
responsabilité, d’abord des JON SNOW, LE JOURNALISTE BRITANNIQUE pas. » ceux des médias traditionnels. Selon vernementales.
journalistes, mais aussi VEDETTE DE CHANNEL 4 NEWS, A FAIT ACTE le présentateur, Facebook devrait La profession ne doit rien considérer
des grandes plateformes « Nous pouvons accuser les prévoir une « compensation qui comme acquis et continuer de se battre
DE CONTRITION EN AOÛT DERNIER À ÉDIM-
– notamment Facebook et classes politiques pour les financerait l’information de haute pour sauver la liberté de la presse.
BOURG POUR SA PROFESSION EN L’EXHOR-
Google – et des gouverne- échecs, et nous le faisons. qualité » plutôt que de vouloir « in-
TANT À RECONNAÎTRE SA SITUATION D’ÉLITE
ments, a résumé Jon Snow Mais nous sommes coupables venter et établir un journalisme
lors de la fameuse keynote DÉCONNECTÉE, À RETROUVER UN LIEN AVEC d’eux », déclara Snow. de quantité » comme le déclare LE PIRE ET LE MEILLEUR
d’ouverture de l’International L’ENSEMBLE DE LA POPULATION, À REMÉ- Le journaliste a encouragé son Zuckerberg dans son manifesto, car MOMENT
TV Festival annuel. DIER À L’EXCLUSION, LA DÉCONNEXION ET auditoire à rechercher la di- celui-ci existe déjà mais a été décimé
L’ALIÉNATION. versité dans les rédactions, par le duopole Facebook/Google. Jon Snow a conclu le discours Mac-
Pour lui, « à l’âge où tout le mais aussi à s’engager dans Taggart en présentant deux scenarii :
monde est un éditeur, le jour- une communauté plus large, « Maintenant nous devons tous tra- • soit nous rentrons dans un
nalisme broadcast de service public « chronique de la mort », preuve selon le une « voie fertile pour découvrir des vies vailler ensemble et trouver d’autres cercle vicieux où des sources d’in-
est plus vital que jamais; l’humanité a présentateur du JT de la déconnexion et des problématiques » qu’il n’aurait moyens de le porter, avant qu’il ne formation toujours plus extrêmes et
besoin de faire coïncider la croissance complète de la profession avec la sinon pas l’opportunité de découvrir. soit trop tard » a exhorté Snow tout partisanes prendraient de l’ampleur
spectaculaire des médias sociaux avec population. en déclarant que Facebook, Google dans les fils d’actualité, au détriment
une renaissance de la mobilité au sein et les autres devraient payer plus de l’info locale mais aussi, à terme,
même de la société ». À l’heure des chambres d’écho sur les DEMANDER DES COMPTES de taxes. nationale,
médias sociaux, jamais la confiance À FACEBOOK ET GOOGLE • soit nous faisons un réel
n’a été plus cruciale : les journalistes « Facebook se régale de nos pro- effort pour «créer une société aussi
RETROUVER UNE doivent la regagner et la protéger à « Mark Zuckerberg dit se soucier de duits mais ne paie rien pour eux. concernée par ce qu’elle lit et re-
CONNEXION AVEC LE tout prix. l’info. Mais est-ce vraiment le cas ? Ne Cela ne peut pas durer : les gou- garde que par ce qu’elle mange.»
PUBLIC se préoccupe-t-il pas plutôt de garder vernements, l’Union européenne
des gens sur Facebook ? » et d’autres doivent s’efforcer de « C’est le pire et le meilleur moment
« L’explosion des médias numériques PRENDRE SES les faire payer. » pour être sur le pont… il a encore
n’a ni comblé le vide laissé par la déci- RESPONSABILITÉS Jon Snow déplora que le même algo- tout le potentiel pour prouver être
mation de la presse locale, ni connecté rithme permettant de prioriser nombre l’Âge d’or. Saisissons-le ! »
plus efficacement les journalistes avec Avant toute chose, pour que le change- d’excellents articles ait aussi pu ré- SE BATTRE POUR LA
les laissés-pour-compte, les désavan- ment soit possible, il faut savoir s’exa- pandre des fake news à grande échelle : LIBERTÉ DE LA PRESSE
tagés, les exclus. Jamais nous n’avons miner soi-même et prendre ses res- « Facebook a le devoir moral de prio-
été plus accessibles au public et en ponsabilités. riser la véracité à la viralité. C’est fon- Jon Snow s’est montré particulièrement
même temps plus déconnectés de la damental pour notre démocratie. » soucieux des projets de loi visant à
vie d’autrui », a regretté Snow. « Nous devons accepter que nous accroître les capacités de surveil-
tous dans cette pièce faisons partie de Si le reach des vidéos Facebook dé- lance des autorités : après l’accès aux
Et de prendre l’exemple du Brexit que les l’élite, par définition. Je crois que nous passe celui des audiences broadcast, conversations privées sans supervision
médias, instituts de sondage et autres avons, par la nature de notre business, il reste pour le moins incertain et peut judiciaire (Snoopers Charter), il pourrait
experts n’ont pas vu venir, y compris une obligation d’être au courant de, chuter considérablement si l’algorithme être question en Grande-Bretagne d’in-
lui-même. De même, personne n’avait d’être connecté avec, de comprendre de la plateforme est modifié. De plus, les culper les journalistes et leurs sources
vu le blog de la tour Grenfell, véritable les vies, les préoccupations, les be- revenus générés sont loin de remplacer qui feraient fuiter des informations gou-

26 27
LES
MEDIAS
SONT-ILS VOUÉS À DEVENIR
DES MARQUES BLANCHES,
LES AGENCES DE PRESSE DES GAFA ?
Par Nicolas Becquet | Journaliste à l’Écho

La percée des plateformes S’IL NE FALLAIT RETENIR QU’UN SEUL EN- Pour beaucoup de médias, En quelques années, une entreprise ment ralliés à l’engouement planétaire les marques de presse en valeur et les
numériques et sociales a en SEIGNEMENT, APRÈS SEPT ANNÉES D’EX- Facebook a supplanté Google américaine a mis sur pied un système pour les réseaux sociaux. Un virage articles payants ne devraient pas chan-
effet accéléré ces deux phé- PÉRIMENTATIONS MULTIMÉDIAS ET D’UNE comme source de trafic. Mais si médiatique autonome et planétaire d’autant plus brutal que la prise de ger fondamentalement les habitudes
nomènes, alors qu’historique- PATIENTE OBSERVATION DU PAYSAGE MÉDIA- Google impose des standards dont elle change à loisir les règles du conscience a été tardive. des utilisateurs.
ment la presse s’est bâtie au TIQUE, JE NE CITERAIS PAS LES DISRUPTIONS d’écriture, de mise en page et jeu pour l’ensemble des médias. Au fil du temps, en nourrissant des
gré des combats idéologiques, TECHNOLOGIQUES EN ELLES-MÊMES, MAIS de référencement, Facebook Aujourd’hui, la majorité des rédactions plateformes sociales insatiables
politiques et culturels qui ont CE QU’ELLES ONT RÉVÉLÉ DE LA PRESSE : UN va un cran plus loin en agissant En définissant des canevas et des produit, par exemple, des vidéos courtes, avec des contenus conditionnés in-
animé la société. Que sont PRODIGIEUX ESSOUFFLEMENT ÉDITORIAL ET comme un média. modes de consultation applicables muettes et agrémentées de textes colo- dustriellement, les médias sont in-
devenues ces identités édito- UNE DÉCONNEXION CROISSANTE AVEC SON à l’échelle mondiale, Facebook a lo- rés parce que 85% des utilisateurs de sidieusement devenus des marques
riales fortes, novatrices voire LECTORAT. Non content de fournir des outils giquement contribué à une uniformi- Facebook ne cliquent pas sur les vidéos blanches. Cerise sur le gâteau tant
militantes ? de publication, de partage com- sation sans précédent des informa- de leur timeline et les regardent sans le convoité, les revenus publicitaires es-
munautaire, de référencement, tions et des formats publiés sur les son. Bref, tout le monde ou presque fait pérés restent plus que jamais dans le
Depuis la fin des années variées), a durablement abîmé les de monétisation et une audience réseaux sociaux. de l’AJ+ ou du NowThisNews (avec plus giron de… Facebook.
quatre-vingt-dix, à la faveur de la pro- marques de presse, déboussolé les de près de deux milliards de personnes, ou moins de réussite).
fonde dépression que traversent les journalistes et dilué l’identité de nom- Facebook assume désormais son statut Ce qui était un temps perçu comme un LA MARQUE BLANCHE À DE
médias, ces orientations tranchées et breuses rédactions. de média. espace de liberté permettant de re- Un élan positif qui démontre que les ré- L’AVENIR
assumées se sont progressivement nouer un contact plus direct avec l’au- dactions ont compris qu’elles devaient
réduites à de fragiles aspérités, pour Une rédaction en chef hybride a vu le dience s’est finalement transformé en sortir de leur pré carré et explorer de Les médias semblent lentement se
finalement être gommées, dommage UNE INQUIÉTANTE jour, mi-humaine, mi-algorithmique. prison dorée. Un risque souligné dès nouveaux territoires. Un réflexe de sur- transformer en agences de presse
collatéral de la « guerre numérique de UNIFORMISATION Elle pèse aujourd’hui de tout son poids 2012 par Dominique Wolton, dans son vie qui traduit aussi l’espoir de capter chargés d’alimenter en contenus des
l’attention ». à travers une foule d’initiatives disper- essai intitulé Informer n’est pas commu- une part du gâteau de l’audience « of- réseaux sociaux devenus médias. Ce
Au-delà des considérations stratégiques sées : des canevas prêts à l’emploi (Ins- niquer : ferte » par Facebook. Mais finalement, faisant, ils acceptent de se muer en
Etranglés économiquement, beau- et commerciales des entreprises de tant Articles), des formats contraignants « Alors même que, pendant des siècles, un sursaut contraint et forcé qui s’ex- marques blanches aptes à répondre
coup d’entre eux ont pensé avoir trou- presse, il est frappant d’observer à quel (la lecture automatique des vidéos sans l’émancipation a consisté à nous af- prime dans un corset formel et éditorial aux exigences multiples et propres à
vé les conditions de leur survie dans point la prédominance des «  plate- le son), des primes de visibilité attribuées franchir de toutes les dépendances sans précédent. chaque plateforme.
les fausses promesses de l’audience formes sociales » et de l’Internet à certains types de contenus (posts des (religieuses, politiques…) et que les
de masse et du modèle de la gratuité. mobile a parallèlement entraîné une amis proches vs médias, live vs texte + techniques de communication y ont Le filon d’une audience de masse « Google rédacteur en chef » n’était
La stratégie du grand écart éditorial uniformisation des formats et des ap- photo…), le filtrage des messages se- contribué, c’est au moment où l’individu potentiellement monétisable a finalement qu’un timide avant-goût
(s’adresser à un public toujours plus proches journalistiques. lon les pays, la censure d’images ou de est libre, indépendant de toute autorité, fait naître la fièvre de l’or chez les de ce qui arrive aujourd’hui.
large aux exigences toujours plus textes, etc. qu’il s’assujettit, volontairement cette éditeurs. Et c’est à peine remis de
fois, aux techniques qui lui ont permis de leur coup de chaud qu’ils prennent L’exemple de Snapchat est particu-
se libérer. Les « servitudes volontaires » conscience que leurs contenus sont lièrement édifiant. Pour créer la ru-
sont innombrables. » désormais noyés dans des timelines brique Discover de son application,
saturées et que la plupart des lecteurs le réseau social pour ados est par-
à qui ils s’adressent reste souvent in- venu à convaincre de prestigieuses
SERVITUDES NUMÉRIQUES différents à la source de l’information rédactions de dédier entre dix et
VOLONTAIRES (56% selon une récente étude). quinze journalistes à la production
de contenus premium ad hoc. Une
Après une courte période d’hésitation, Les nouvelles initiatives de Facebook prouesse époustouflante quand
les médias d’information se sont finale- et de Google pour mettre davantage on connaît l’état des finances de la

28 29
presse et l’absence de retour sur les timelines de contenus Il faut visiblement préserver
investissement. interchangeables. Avec des à tout prix ce qui existe et
contenus toujours plus li- satisfaire les annonceurs
Sur Instagram, on fait défiler à loi- quides, assurer une bonne pour des tarifs toujours
sir, d’un simple geste, des images de visibilité de la continuité plus bas. La nostalgie de
photographes de renom, de stars, de éditoriale de son média est l’âge d’or des grands ti-
marques, d’inconnus ou d’agences de devenu très compliqué. Une rages est ravivée par la
presse. Une consommation globale logique soulignée par Nikos nouvelle poule aux œufs
et indifférenciée qui se prolonge tant Smyrnaios (université de d’or : « les jeunes ». On se
que l’œil s’amuse. Les audiences sont Toulouse) lors de sa présen- berce de l’illusion qu’être
faibles, le travail d’animation chrono- tation à Obsweben janvier présent sur Snapchat et
phage et le retour sur investissement 2017: « L’oligopole de l’inter- Whatsapp permettra de re-
quasi nul. Pourtant, le coût de la visi- net contre l’autonomie jour- nouveler son lectorat, tout
bilité ne cesse d’augmenter, car nous nalistique ». en continuant à faire de
sommes passés du recyclage des l’info comme on l’a toujours
contenus à une production dédiée. produite. Un leurre, évidem-
LE GRAAL DE ment.
Plus généralement, ce double phéno- L’ÉDITORIAL
mène de production de contenus sur thématiques ultra spécialisées ou gie pour rester à la page, le constat Pour traverser cette tempête, savoir
mesure combinée à un effacement La bouffée d’air offerte par les au- de journalisme, ces médias ont tous est sans appel : la désaffection est qui l’on est et quelle vision du journa-
des marques et des identités édito- diences massives atteintes en ligne ces fait des choix forts et les brandissent toujours là. lisme on défend sont des conditions
riales est promis à un bel avenir. Qu’il dernières années ne saurait pourtant comme des étendards pour séduire Une désaffection qui ne se traduit indispensables à la survie d’une
s’agisse des contraintes liées aux sys- faire oublier l’agonie structurelle de la le public. certes pas dans les chiffres de consul- presse ambitieuse et singulière.
tèmes d’exploitation (iOS, Android, Win- presse. Il serait par ailleurs illusoire tation ¬– elle ne cesse de progres- Quand ces conditions sont réunies, il
dows…), aux supports (smartphones, de croire que les médias disposent De leur côté, les médias traditionnels ser – mais dans l’absence d’évolution est alors possible de jouer le jeu des
wearables, objets connectés…), aux d’une part réservée du gâteau numé- ne font qu’essayer de les singer, sur significative des ventes à l’unité et à plateformes sans se trahir et sans
kiosques en tout genre (Newsstand de rique de l’audience. Enfin, si la moné- leur terrain, en vain et tout en s’écartant l’abonnement. L’acte d’achat reste un ruiner sa crédibilité auprès de son au-
Google, Apple News, Instant Articles de tisation des contenus reste un enjeu dangereusement de leurs fondements indicateur et un miroir sans conces- dience.
Facebook, SFR Presse…), en passant capital, c’est bien l’inadéquation entre éditoriaux. « Faire » du Buzzfeed, de sion : le lecteur est-il prêt à dépenser
par les réseaux sociaux, les chatbots l’offre éditoriale et les attentes réelles l’AJ+, du Mediapart ou du Vice News de l’argent pour le service que je lui
et bientôt la généralisation de l’intelli- (ou supposées) de l’audience qui reste n’est évidemment pas une solution propose ?
gence artificielle, l’information est pro- le problème le plus aigu. pérenne. Etudier leurs recettes, oui. EN BREF
mise à un morcellement toujours plus Les copier sur le plan éditorial, non. Globalement, il y a eu des change-
grand. Sur cet aspect, les stratégies des nou- Cela n’a aucun sens et ne rendra pas ments, des ajustements dans les ré- Il y a urgence. Les projets les plus
veaux médias qui se sont développés leur identité aux « vieux médias », bien dactions, mais personne n’a remis en innovants et intéressants se déve-
La « liquidité » de l’information est en ligne sont riches d’enseignements. au contraire. cause le modèle de la presse tradition- loppent désormais hors des rédac-
devenue un enjeu majeur. Les mé- Si le ciblage des publics et la maîtrise nelle, son périmètre et ses fondements. tions, en périphérie, à la frontière
dias, soucieux de rester dans la course, des données d’audience leur ont ra- Les éditeurs manquent d’argent, du journalisme ou dans des médias
atomisent toujours plus leurs contenus pidement permis de s’imposer dans mais rares sont ceux qui ont pris la qui font le choix des niches, du
pour satisfaire les exigences techniques l’écosystème numérique, c’est bien LE CHANGEMENT, C’EST décision de changer radicalement contretemps. Bref, il est temps de
et éditoriales des plateformes et des leur identité éditoriale forte qui leur a POUR QUAND ? d’échelle, de faire moins et mieux, de desserrer l’étau, redéfinir nos mis-
canaux de distribution. Ils utilisent éga- permis de rentrer durablement dans changer les modes d’organisation sions et ensuite de redistribuer les
lement les mêmes sources et outils de les usages des internautes. Après avoir coupé dans les effectifs, pour soutenir des projets éditoriaux priorités et les moyens au sein des
production, notamment pour la vidéo. intensifié le marketing, tenté de séduire véritablement novateurs. rédactions.
Buzzfeed, AJ+, Melty, Kombini, Vi- une audience toujours plus large, après
En résulte une uniformisation des for- ceNews, Brut, Vox, Politico… Qu’il avoir suivi à la lettre les exigences des
mats à l’échelle planétaire qui sature s’agisse de divertissement pur, de plateformes, investi dans la technolo-

30 31
GOOGLE
NEWSGEIST
OU LE BILDERBERG DE L’INFO RÔLE DES PLATEFORMES :
LE « PRIME TIME », C’EST
nétisation et réglez ce problème des
fake news ! »
pour vérifier des fake news. Mais ils
s’attendent à une nouvelle bataille entre
DÉSORMAIS LE « FACEBOOK éditeurs et broadcasters. Et tentent de
TIME » ! définir des standards communs face aux
Par Éric Scherer | France Télévisions MONÉTISATION : APRÈS LA plateformes qui risquent une nouvelle
Directeur du MédiaLab de l’Information Constat généralisé d’une perte de PUB ? fois de dicter leur loi. Là encore, ils ré-
contrôle de la distribution de l’info. clament déjà de l’aide sur les données,
LE NEWSGEIST À COPENHAGUE EN JUIN Les « news junkies » sont devenus Comment produire ces choses la monétisation, leur mise en avant et la
Avec deux règles simples : DERNIER, C’ÉTAIT UN PEU LE BILDERBERG ferment le soir ! « Avec Snapchat, des « platforms junkies » ! L’addiction importantes que sont les news mais personnalisation.
agenda libre fixé sur place par les DE L’INFO ! DEUX CENTS DIRIGEANTS EURO- nous sommes littéralement au à Facebook est réelle et plus seulement que personne ne veut payer ?
participants (« unconference  ») PÉENS ET NORD-AMÉRICAINS DE MÉDIAS EN lit avec eux ! » À rapprocher donc le fait des ados. Y compris pour le live. « Car à chaque fois qu’on arrive sur un
et application de la règle dite LIGNE, TÊTES CHERCHEUSES NUMÉRIQUES, de la relation de leurs parents sur Si à Helsinki, il y a deux ans, tous se de- truc nouveau, on gagne encore moins
de «  Chatham House » (les UNIVERSITAIRES, PATRONS DE STARTUPS, le divan avec la TV ! D’ailleurs les jeunes, en parlant de mandaient comment « puber le mobile », que la dernière fois. »
échanges peuvent être rendus RÉUNIS DE MANIÈRE INFORMELLE PAR GOO- Facebook, parlent d’une plateforme à Copenhague, le sujet, pour financer le
publics mais sans être attribués). GLE POUR PLANCHER, ÉCHANGER, COGITER, Le bon positionnement d’un mé- média, jamais d’un média social. journalisme, était bien sûr l’abonnement.
PROPOSER DES PISTES AFIN DE CONTRI- dia d’info n’est pas d’être de leur Voire même toujours : comment faire INNOVATION ? NON ! R&D !
Autant vous dire que vous BUER À PRÉSERVER UN JOURNALISME DE âge ou à leur niveau, mais plutôt Aujourd’hui, le « prime time » c’est le payer Google et Facebook pour l’info.
connaissez déjà les thèmes QUALITÉ. de « jouer le rôle du grand-frère « Facebook time », entre 21h00 et Consensus sur l’absence de Big Bang,
évoqués au bord de la Baltique : ou de la grande-sœur ». Celui ou 23h00 ! Alors que Google est plutôt Conscient de la difficulté des paywalls ou d’étincelle à attendre.
fake news, confiance, rôle celle qui a un peu plus d’expé- utilisé en début de journée. par titres, chacun tente de tourner dans
des plateformes, monétisation, data l’audience, et de la stimulation de l’esprit rience et en qui le jeune a confiance. Les tous les sens l’idée – jamais concrétisée L’innovation dans l’info sera surtout
& personnalisation, chute de la pub, critique des lecteurs/télénautes, des axes jeunes sont surpris du dialogue qui peut Les experts notent aussi que « partager – d’un Spotify ou d’un Netflix de l’info. adjacente, par petits pas de côté. On
Millennials, nouveaux formats, VR, bots, essentiels de leurs activités. Impossible s’instaurer avec le grand média, sont sou- ne veut pas dire lire ». Pire : il n’y aurait Mais personne n’a les mêmes intérêts, préfère parler de R&D.
IA, etc. de laisser les GAFA devenir les arbitres de vent flattés d’être pris au sérieux. même aucune corrélation ! Le médium surtout les géants comme le New York
Comme il fallait choisir à chaque heure la vérité ou de compter sur les États pour est donc bien le message ! Times, le Washington Post ou CNN. Pas d’objectif Lune donc, mais plutôt la
entre 8 groupes de travail différents, diffi- en faire une priorité à l’école. Souvent ils aimeraient que « quelqu’un recherche de « mettre des roulettes à
cile d’avoir une vue d’ensemble. arrête le monde une demi-heure pour Tous travaillent avec Facebook mais tous des valises ». Ce n’est pas une révolu-
Certains envisagent même d’ouvrir les pouvoir faire face ! » Ils ont donc besoin s’interrogent : VR/AR tion, mais ça change aussi tout !
Mais voici ce que j’en ai retenu : carnets de notes des reporters (open note de temps et de conseils pour se forger « Faut-il privilégier le corner dans le grand
book policy), voire d’encourager le public une opinion, mieux détecter le b/s, alors magasin ou privilégier notre boutique ? » Personne n’a encore « craqué » le code Et toujours beaucoup de plaintes sur la
à les aider dans leur mission de collecte. que Facebook et les algos des réseaux « Sommes-nous en train de creuser notre de la réussite de la VR ou de l’AR. Mais lenteur des changements culturels et
FAKE NEWS / DÉFIANCE : sociaux favorisent l’hystérie. tombe ou d’assurer notre survie ? » chacun voit tous les GAFA y investir des d’état d’esprit au sein même des médias
LA LITTÉRATIE MÉDIA Mais pour l’instant tous notent que ce milliards et sent bien qu’il s’agit-là d’un traditionnels.
PLÉBISCITÉE MILLENNIALS : POUR NE PAS Ils sont aussi parfois en colère contre la méta-diffuseur d’infos gagne beaucoup tout nouveau média à part entière. Plus
LES PERDRE, ÊTRE AU LIT classe politique et les médias, notamment d’argent, pas le producteur. immersif et plus interactif que le web. 25 ans après l’arrivée du web, c’est
Toujours beaucoup d’inquiétude, des AVEC EUX ! sur l’absence d’action sur le climat. Plus empathique aussi. même ça le plus inquiétant !
deux côtés de l’Atlantique. Et Facebook est-il devenu une
Constat d’une audience mal desservie Ils ont également été croqués : frimeurs prison ? Le gardien d’un web fermé ? Mais sa grammaire reste encore à écrire.
La piste de l’éducation du public aux mais pas désintéressée. Bien au mais pas rebelles, ils se moquent de la On sent bien que tout le monde n’est pas
médias et à l’info (media or news litteracy) contraire ! protection de leur vie privée en ligne, tra- traité de la même manière. Certains édi-
a été largement plébiscitée. De grosses vaillent la moitié du temps depuis chez teurs ou diffuseurs ont entamé de vraies INTERFACES VOCALES
initiatives (au moins 3 !) sont dans les Constat aussi que si d’un côté les eux, pas motivés par l’argent, peu loyaux discussions de partage de revenus -----------
tuyaux aux États-Unis et en Europe, formats rapides ne sont pas forcément avec l’employeur, ne téléphonent plus ja- (abonnements, mid-roll dans le live…). Chacun sent bien aussi l’arrivée des Disclosure : Google a fourni l’encadre-
venant surtout du champ universitaire. à la hauteur des enjeux, il est par mais, temps de réponse ultrarapide, sont Comme chez Google, la nomination speakers intelligents à la Echo d’Ama- ment de la réunion organisée dans un
Éducation du public, et en particulier des ailleurs indispensable de trouver une en permanence en conversation, surtout récente d’anciens dirigeants de rédac- zon ou Google Assistant. Les éditeurs centre de conférences à une centaine
plus jeunes. nouvelle syntaxe de l’info. via WhatsApp, aiment faire partie d’une tri- tions pour conseiller Facebook dans ses aimeraient – au moins une fois – ne pas de kilomètres au nord de Copenhague, et
bu, savent gérer les trolls, etc… relations avec les médias devrait aider. se faire avoir comme avec le web, le mo- le catering. Les participants, dont France
Dans ce contexte de défiance, voire de Beaucoup d’initiatives donc, via Snapchat bile, la tablette ou les réseaux sociaux ! Télévisions, ont payé leur transport et
campagnes de désinformation, l’idée est qui permet d’être au plus près de cette au- Attention aussi à ne pas faire de tous les D’ailleurs la demande des médias à Ils y travaillent déjà quasiment tous, no- leur hébergement. Il s’agissait du 3e
de convaincre les médias à faire de leur dience. Car c’est la première appli que les jeunes des nerds ou des geeks, notam- Facebook est assez simple : «  Don- tamment sur les moyens de redonner Newsgeist européen après Helsinki en
transparence, de la conversation avec jeunes ouvrent le matin et la dernière qu’ils ment dans les classes défavorisées. nez-nous plus de données, plus de mo- un coup de jeune aux podcasts. Voire 2015 et Bilbao en 2016.

32 33
FACEBOOK
A VERSÉ DES MILLIONS
AUX MÉDIAS FRANÇAIS : LA STRATÉGIE
VIP-VRP ET SES EFFETS

Par Nicolas Becquet | Journaliste à l’Écho


Article publié par
Facebook a gagné. Les médias The European Journalism Observatory parvenu à convaincre autant
français sont bel et bien devenus de médias économiquement à
dépendants. Triplement dépen- ON SAIT DEPUIS 2016 QUE FACEBOOK RÉMU- bout de souffle de travailler pour
dants, en fait : élargissement gra- NÈRE TANT DES PERSONNALITÉS QUE DES sa plateforme ? Zoom sur une
tuit de l’audience, utilisation des MÉDIAS POUR PRODUIRE DES CONTENUS SUR redoutable stratégie qui met à
outils de production et de diffu- SON RÉSEAU SOCIAL. CETTE STRATÉGIE EST l’épreuve l’agilité des rédactions.

IL N’Y A PAS DE
sion et acquisition de revenus DÉSORMAIS AUSSI À L’ŒUVRE AUPRÈS DES
complémentaires. L’écosystème MÉDIAS FRANÇAIS (TF1, LE FIGARO, LE PARI-
de publication du réseau social SIEN, LE MONDE, ETC.) POUR LA PRODUCTION LA STRATÉGIE DES VIP
est devenu un outil vital pour le DE VIDÉOS, RÉVÈLE L’ENQUÊTE DE NICOLAS – VRP
secteur médiatique. BECQUET. CES PARTENARIATS PEUVENT RE-
PRÉSENTER JUSQU’À 200 000  € MENSUELS Fin octobre, Facebook a don-

PRÉCURSEURS,
De l’innocente et ludique chasse PAR TITRE. UNE PRATIQUE QUI POSE LA QUES- né un coup de semonce à ceux
aux likes des débuts, à la pro- TION DE LA DÉPENDANCE DES RÉDACTIONS qui pensaient avoir trouvé une
duction sur mesure et rémuné- ET OUVRE LA VOIE À UN SYSTÈME À DEUX voie directe et gratuite vers une
rée de formats vidéo aujourd’hui, VITESSES PÉNALISANT LES PETITS MÉDIAS. audience captive de masse. En
le dealer d’audience a bien fait FACEBOOK ASSUME, MAIS MINIMISE L’IMPOR- testant la possibilité de créer

IL N’Y A QUE DES


son travail. Dose après dose, les TANCE DE CE TYPE DE PARTENARIAT. un newsfeed séparé pour les
éditeurs ont scellé un pacte ta- publications non sponsorisées
cite avec la plateforme, un pacte l’intention de faire éclater cette bulle en- des pages professionnelles (en
aux allures de mariage de raison. Il faut chantée en faisant passer à la caisse marge du newsfeed classique dédié aux
dire que le trousseau de la mariée est ses consommateurs les plus accros aux posts des proches, aux contenus spon-

RETARDATAIRES.
bien garni avec ses deux milliards d’uti- likes et au trafic généré sur leur site via sorisés et aux publicités), Facebook a
lisateurs. Le marié désœuvré ne pouvait le réseau social. Dans les rédactions, on clairement lancé un avertissement aux
espérer mieux. travaille quotidiennement à la production marques, entreprises, institutions, ONG
de contenus conçus pour la plateforme et médias en quête de visibilité : rien n’est
Asphyxiés financièrement et désertés de Mark Zuckerberg. gratuit.
par leur lectorat historique, les médias
traditionnels ont en effet trouvé dans l’au- Quelles sont les implications d’une Cette stratégie intervient alors que les
Jean Cocteau dience apportée par Facebook un ballon
d’oxygène inespéré. À force de shoots
telle servitude volontaire pour le fonc-
tionnement quotidien des rédactions,
éditeurs n’ont jamais autant travaillé pour
le réseau social et jamais autant créé de
aux statistiques flatteuses, les éditeurs grandes ou petites ? Quelles sont les contenus sur mesure venant alimenter
se sont convaincus de leur succès natu- conséquences sur le travail des équipes les timelines des utilisateurs.
rel auprès d’une audience manifestement chargées « d’alimenter » Facebook, no- Les volumes d’audience en jeu n’ex-
ultra réceptive à leurs contenus : l’eldora- tamment en vidéos et en lives ? Et sur- pliquent pas à eux seuls cette productivi-
do providentiel des internautes. tout, comment le réseau social est-il té spontanée et inégalée. À partir de juin
2016, plusieurs grands médias
Mais la descente est déjà en américains ont été rémunérés
vue. Facebook a visiblement pour inonder les newsfeeds de

34 35
contenus originaux et servir de labora- DES MILLIONS D’EUROS Il faut dire que la chaîne a tout intérêt à minimise l’importance : « Voir les colla- dance aux « actionnaires milliardaires » division que Facebook et son autoplay
toire technique et publicitaire à Face- VERSÉS AUX PRINCIPAUX garder de bonnes relations avec son borations de Facebook uniquement à ou de la proximité avec le pouvoir po- instantané. »
book. MÉDIAS FRANÇAIS mécène. Selon un salarié, l’argent de travers des partenariats rémunérés est litique, la dépendance à Facebook ne
Facebook versé sur la période aurait réducteur. Notre rôle au quotidien est de semble pas émouvoir outre mesure. Au Michaël Szadkowski, rédacteur en
En effet, pour donner envie aux médias, Cette stratégie s’est avérée très effi- financé les deux tiers de la rédaction travailler conjointement avec les médias contraire, les partenariats sont vécus chef du site et des réseaux sociaux
Mark Zuckerberg a mis en place un vé- cace puisque la renommée des mé- web. au développement d’outils destinés à comme de belles opportunités pour du Monde, explique n’avoir fait au-
ritable réseau de représentants VRP dias enrôlés, combinée à un puissant enrichir leur expérience sur Facebook. expérimenter et se rapprocher de l’au- cune concession éditoriale et gardé
capables de faire la démonstration de soutien des algorithmes, a contribué à Mais les contributions financières de Cela passe par beaucoup d’échanges dience. un contrôle total sur le contenu, une
l’incroyable efficacité des nouveaux for- imposer de nouveaux formats en moins Facebook ne s’arrêtent pas là. Il a par- et des phases de tests durant lesquels il condition sine qua non du partenariat.
mats mis sur le marché. d’un an et à l’échelle mondiale. Allé- ticipé au financement d’un studio flam- a pu nous arriver d’indemniser nos par- À L’Obs, Aurélien Viers, responsable du « L’argent versé n’a pas fondamentale-
chés par la masse de clics, les éditeurs bant neuf pour que la chaîne puisse tenaires. Les médias prennent du temps pôle visuel, est très enthousiaste : « Ce ment changé notre façon de travailler.
Le New York Times, CNN, le Huffing- du monde entier se sont lancés dans réaliser des Facebook Live lors de la pour utiliser nos nouveaux produits et partenariat nous permet d’aller plus loin La production de vidéos était déjà une
ton Post, Buzzfeed, Vox, Mashable ou l’aventure… couronnant de ce fait la campagne présidentielle. Une dépen- partager leurs retours avec nous et dans nos expérimentations sans bou- priorité pour nous, avec une équipe de
encore Condé Nast… le fondateur de stratégie de Facebook. dance financière qui s’ajoute à celle du il nous semble donc normal qu’ils ob- leverser notre organisation. Grâce aux quinze personnes dédiées. On poste
Facebook a rassemblé des représen- trafic généré sur le site, via le réseau tiennent une compensation pour cela. outils fournis, nous avons pu créer des plus de contenus qu’avant sur la plate-
tants VIP dans sa « dream team ». Un système spécifique aux États-Unis ? social, qui représente entre 30 et 40% Cela s’inscrit toujours dans un cadre formats vidéo originaux qui connaissent forme, c’est sûr, mais je préfère que
Pas du tout. En Europe, les grands mé- des visites. temporaire, le temps de l’expérimenta- de beaux succès en ligne. La pratique Facebook fasse vivre les médias plutôt
dias français participent par exemple à tion », explique Edouard Braud, le di- régulière du ‘Live social’, depuis le ter- qu’il se mette à créer et à imposer ses
cette manœuvre de séduction à grande RTL a également bénéficié des euros recteur des partenariats médias pour rain, a instauré une nouvelle relation propres contenus. Facebook a changé
échelle. de Facebook pour son studio dédié l’Europe du Sud. avec l’audience, plus spontanée et plus de dimension, ses dirigeants ont com-
aux lives, au même titre qu’Europe 1 dynamique. On peut dire que Facebook pris qu’on ne pouvait plus demander aux
TF1, Le Figaro, Le Parisien ou les titres pour installer une Facebook Room et condense tous les nouveaux défis liés médias de produire gratuitement des
du groupe Le Monde font également un Story Studio Instagram dans le bus UN SYSTÈME GAGNANT- à la vidéo, en termes de storytelling, de contenus et de la valeur, pour ensuite
Modèles de réussite sur le marché di- partie des éditeurs qui touchent de qui a sillonné la France pendant la cam- GAGNANT ? créativité et de capacité à se démarquer les monétiser auprès des annonceurs. »
gital, ces médias portent une solide ré- l’argent pour produire des contenus pagne électorale. dans un environnement très concurren- Un constat valable pour les seuls parte-
putation. Ils sont capables de produire vidéo pour Facebook. Et les sommes Après des débuts laborieux, une com- tiel. » naires et pour une durée limitée.
à grande échelle et leurs contenus sont donnent le tournis, entre 100 000 et Enfin, la firme de Menlo Park apporte munication maladroite et des cahiers
lus dans le monde entier. 200 000 € par mois sur des périodes un soutien aux médias sous la forme de des charges trop contraignants, Face- Mais en coulisses, dans les médias par- Guillaume Lacroix, cofondateur de
renouvelables de six mois, d’après les conseils techniques pour exploiter au book a massivement investi dans ses tenaires, les dents grincent, notamment Brut, un média vidéo présent unique-
Pour les convaincre, Facebook a dû se diverses sources interrogées. mieux l’algorithme chargé de hiérarchi- relations avec les médias à partir de du côté des régies publicitaires et des ment sur les réseaux sociaux, ne tarit
montrer très persuasif. Selon un docu- ser les publications et comprendre les 2010. Désormais, la Media Partnership services commerciaux impliqués dans pas d’éloges sur sa collaboration avec
ment révélé par le Wall Street Journal Sachant que la plupart des médias cités subtilités des statistiques d’audience, Team multiplie les initiatives comme une lutte acharnée et vaine contre leur Facebook. Il s’agit d’un « partenariat
en juin 2016, Mark Zuckerberg a ainsi (liste non exhaustive) ont déjà reconduit notamment avec la mise à disposition le Facebook Journalism Project ou le principal concurrent, l’ogre Facebook. de travail » qui ne comporte aucun vo-
fait un chèque de 50 millions de dollars une fois leur partenariat, on parle ici de de CrowdTangle, une solution proprié- Listening Tour, débuté en juin 2017 dans « Devant les ‘valises de billets’ apportés let financier. « Facebook nous donne
répartis en 140 contrats de partenariats millions d’euros distribués aux médias taire d’analyse du trafic. les rédactions. par Facebook, les régies n’ont pas leur beaucoup de conseils utiles pour faire
avec des médias et des célébrités, dont hexagonaux par Facebook. mot à dire, explique un journaliste en décoller l’engagement sur nos vidéos.
17 de plus d’un million de dollars (près Du côté de Facebook, on assume ces Alors que la sphère médiatique off. Et lorsque Facebook teste ses nou- Il nous informe également sur les for-
de 3 millions pour le New York Times et Il va sans dire que dans les rédactions contributions financières, mais on en s’alarme régulièrement de la dépen- veaux formats publicitaires mid-roll sur mats en vogue dans le monde entier.
Buzzfeed, 2,5 millions pour CNN). Une contactées, on est peu disert sur les nos propres productions, l’exaspération En septembre, nous avons par exemple
goutte d’eau comparée aux 10 milliards détails de ces accords confidentiels. est à son comble. » été invités à Dublin pour participer à une
de dollars de recettes trimestrielles Mais si les conditions varient d’un mé- L’efficacité de la plateforme désespère conférence où étaient réunis 35 médias
de Facebook, soit 47% de plus qu’au dia à l’autre, le principe reste le même : les éditeurs englués dans des straté- nés en ligne. Les échanges ont été très
même trimestre de l’année précédente. en échange de l’argent versé, chaque gies (trop) complexes de rétention de enrichissants. Enfin, Facebook met à
média s’engage à produire un volume l’audience, comme l’explique ce cadre notre disposition CrowdTangle, un outil
Le deal est simple : en échange d’une précis de vidéos et/ou de lives sur une en charge du numérique : « Quand un très performant qui permet d’analyser
certaine somme, le partenaire doit pro- période donnée, d’après les informa- internaute, avant de pouvoir finalement l’engagement de l’audience sur les ré-
duire massivement des contenus à haute tions que nous avons pu récolter. regarder une vidéo sur un site, doit cli- seaux sociaux. Si on devait payer pour
valeur ajoutée sur la plateforme : vidéos, À LCI par exemple, la rédaction doit quer sur un lien, attendre de longues l’utiliser, pas sûr qu’on pourrait se le per-
Facebook Live, reportages à 360°, Ins- produire 14 heures de direct par mois et secondes le chargement de la page mettre. »
tant Articles… Les grands médias amé- chaque live doit durer entre 6 et 20 mi- puis fermer une ou deux fenêtres de
ricains ont donc été rémunérés pour nutes – un timing précis qu’il vaut mieux pub pour finalement devoir patienter de- Comme pour Le Monde et L’Obs, Brut
inonder les newsfeeds de contenus origi- respecter car les contrôles sont stricts, vant une publicité de trente secondes, le perçoit la collaboration avec Facebook
naux et ainsi convaincre l’ensemble des explique-t-on en interne. constat est sans appel, on ne peut pas comme un véritable avantage concur-
éditeurs d’en faire autant. rivaliser. On ne joue pas dans la même rentiel et croit à la pérennité de son

36 37
modèle : « Cela ne nous fait pas peur social, les petits médias s’essoufflent à sans le son. Le mois suivant, il faut n’ont pas de grandes conséquences, l’uniformisation des formats à l’échelle
d’être Facebook dépendant, pas plus force de vouloir tirer profit de l’audience produire des séquences d’une minute mais lorsqu’une stratégie vidéo est éva- mondiale et surtout, elle influence et
qu’un producteur qui travaille avec une et des redoutables outils mis à dispo- trente minimum, sans quoi l’algorithme luée sur la base de quelques milliers de rythme le quotidien et l’organisation des
chaîne de télévision. Par ailleurs, il ne sition. pourrait bouder nos contenus. Trente clics, alors dans ce cas, les implications rédactions.
nous donne pas d’argent et pourtant petites secondes de plus qui imposent peuvent être sérieuses.
Brut sera rentable en 2018 ; c’est qu’il Résultat, un écosystème à deux vi- de repenser les formats et réorganiser • Le chantage au reach et Le paysage médiatique français
existe bien un business model sur les tesses s’est progressivement mis en sa chaîne de production. la tentation du boost. La présence de s’alarme régulièrement du manque
réseaux sociaux. » place, doublé d’une stratégie kamikaze • Le paradoxe de l’engage- tous les acteurs sur la plateforme en- d’indépendance des médias face aux
des médias, dont la production vidéo ment. Par expérience, les contenus gendre une course à l’attention inédite actionnaires-industriels-milliardaires.
Edouard Braud l’affirme, Facebook fait est un exemple éclairant. Passage en vidéo postés sur Facebook sont ceux qui aboutit à une saturation des time- Pourtant, ces mêmes médias per-
tout pour donner le maximum d’auto- revue des raisons pour lesquelles la qui apportent le moins de trafic sur les lines et à une baisse de la visibilité des mettent l’instauration progressive d’une
nomie aux médias : «Tous nos produits plupart des médias n’ont que peu d’in- sites. Ils suscitent un fort engagement, contenus, intelligemment orchestrée menace tout aussi toxique pour l’avenir
sont faits de telle sorte qu’ils ne créent térêts à se lancer dans la production de mais sont consultés exclusivement par Facebook. Une chute importante de des médias et de la démocratie, celle
pas de dépendance. Nous les conce- vidéos sociales : dans le newsfeed, et peu sur les sites. la portée des publications peut contri- du soft power, de l’argent et de l’éco-
vons pour qu’ils enrichissent l’expé- Pourtant, les médias redoublent d’ef- buer à déstabiliser les fragiles business système des GAFA.
rience des médias et les aident à créer • La production de vidéos forts pour produire des vidéos natives modèles des médias. Et la tentation de
de la valeur grâce à Facebook. Cela est complexe, chronophage et coû- et non rentables. Enfin, comme sur You- payer pour maintenir sa popularité, gé-
peut se faire à la fois au sein de notre teuse, surtout pour les titres de presse Tube, l’actualité est loin de faire partie néreusement offerte par la plateforme,
environnement mais également en de- écrite dont ce n’est pas le métier. Mettre des contenus les plus consultés sur n’est plus une exception dans les ré-
hors. C’est pourquoi nous développons en place un workflow spécifique et for- Facebook. dactions. Les contenus sponsorisés
notamment des outils qui permettent de mer ou embaucher des journalistes • La supercherie des don- se multiplient et les médias se transfor-
générer de la valeur dans les environne- capables de tourner et de monter des nées d’audience. Comprendre et ana- ment en clients de la régie publicitaire
ments propriétaires des médias comme vidéos sociales représentent un coût lyser les chiffres d’engagement fournis de Facebook.
sur Instant Articles avec les modules considérable. Dans le domaine, la ren- par le réseau social demande de la
d’abonnement aux newsletters, de télé- tabilité reste souvent un concept. patience et des compétences solides. Facebook a gagné. Les nombreux pa-
chargement d’applications… » • La professionnalisation Des chiffres dont la fiabilité est sujette radoxes évoqués ci-dessus en sont
fulgurante des contenus. Les vidéos à caution. En 2016, Facebook a ad- les meilleures preuves. La servitude
postées sur le réseau social res- mis avoir surévalué les statistiques de volontaire dont font preuve les mé-
UN MIROIR AUX ALOUETTES semblent de plus en plus à des pro- consultation des vidéos de 60 à 80%, dias peut être analysée au prisme de
ET UN DANGER POUR LES ductions télévisuelles, ce qui tend à et ce, pendant deux ans ! Une « erreur leur situation financière, mais difficile
« PETITS MÉDIAS » disqualifier les médias incapables de technique » a été invoquée. Une excuse de dire quelles en seront les consé-
suivre les standards de qualité en vi- grossière qui pourrait faire sourire si quences à long terme. Des sacrifices
En dehors des médias partenaires, gueur. Aujourd’hui, la majorité des lives elle n’avait pas un impact énorme sur nécessaires sur l’autel de la transition
rares sont les rédactions disposant des Facebook est réalisée avec plusieurs les investissements publicitaires et numérique ? Peut-être, mais attention,
ressources et de la flexibilité néces- caméras, à l’aide d’une régie. sur les moyens mis à disposition par la dépendance n’est pas seulement fi-
saires pour faire face aux exigences de • La versatilité des formats les médias pour produire des vidéos. nancière, elle est également technique
Facebook. En l’absence d’incitation fi- recommandés. Pendant 6 mois, Face- Quand on culmine à plusieurs cen- pour l’accès aux outils de production et
nancière ou de revenus récompensant book nous incite à produire des vidéos taines de milliers voire des millions de de diffusion de l’information, elle pèse
les contenus produits pour le réseau de moins d’une minute consultables vues par vidéo, les marges d’erreur aussi sur les contenus et contribue à

38 39
MEDIAS - GAFA
IT’S
COMPLICATED
RÊVES COMMUNAUTAIRES créer des formats verticaux. Les perfor- les médias arrivent aussi à capter un nou- sateurs, les fidéliser en créant des

ET MODÈLES ÉCONOMIQUES
mances de ses partenaires sont scru- veau public en proposant des contenus interfaces et des fonctionnalités ad-
tées de près afin de déterminer ceux qui de qualité, à l’instar du journal Le Monde, dictives tout en recueillant leurs don-
attirent le plus les utilisateurs du service, dont le patron Louis Dreyfus déclare que nées, et enfin monétiser le tout grâce
et Snap n’hésite pas à les remplacer en les 2,7 millions de Snapchatteurs men- à la publicité. Depuis que les médias
cas de résultats décevants. suels ne viennent pas pour « du LOL et ont peu à peu pris la place des étu-
Par Kati Bremme | France Télévisions des chats » mais « que l’audience jeune diants de Harvard dans les serveurs
Direction de l’Innovation DES NOUVEAUX FORMATS QUI s’intéresse à l’actu sérieuse exprimée de Facebook, ils sont en constant
DEMANDENT DES INVESTISSEMENTS dans de nouveaux langages ». bras de fer avec le géant de la Silicon
Bien sûr, avec 60% des Améri- SERAIT-CE LA FIN D’UNE HISTOIRE D’AMOUR de 44 milliards, la génération LOURDS AUX MÉDIAS Pour aider les éditeurs et annonceurs à Valley, l’un de leurs plus grands pro-
cains qui s’informent sur les ré- QUI AURAIT DURÉ À PEINE ONZE ANS ? LES Z séduit naturellement l’in- mieux qualifier leur audience, Snapchat blèmes étant le manque de transpa-
seaux sociaux et ⅓ de l’activité DÉBUTS ÉTAIENT POURTANT IDYLLIQUES : dustrie. Snapchat génère un Des équipes dédiées de 6 à 10 per- vient même d’ajouter un pixel pour rence des algorithmes et la marge
en ligne consacrée à la consom- FACE À DES MÉDIAS EN MANQUE DE RENOU- engagement beaucoup plus fort sonnes, de nouveaux métiers – comme suivre les conversions et permettre limitée de revenus générés.
mation de vidéos notamment VELLEMENT ET AUX REVENUS PUBLICITAIRES que d’autres services, grâce à les « motion designers », spécialisés dans la segmentation d’audiences on-site.
sur les réseaux sociaux (80% EN CHUTE LIBRE SUR LES INTERFACES HIS- son ergonomie qui incite dès le graphisme et la vidéo d’animation –, un A l’instar de Facebook, la plateforme INSTANT ARTICLES – PALLIER LA
en 2019, selon Cisco), la ques- TORIQUES (LE PAPIER, PUIS L’ÉCRAN), LES l’ouverture de l’application à la storytelling rythmé et visuel : Snapchat autorisera le retargeting et la création FAIBLE PRODUCTION DE CONTENUS
tion n’est pas de boycotter le PLATEFORMES, AVEC LEURS FONCTIONNALI- création et au partage de snaps exige un budget et une énergie considé- d’audiences de type « lookalike ». Autant PAR LES UTILISATEURS
duopole Facebook/Google, ni TÉS NOUVELLES ET LEUR PUBLIC JEUNE, SI- et de stories. Démographique- rables pour livrer ces nouveaux formats d’évolutions qui prouvent la volonté bien
plus largement les GAFA. Mais GNAIENT LA PROMESSE D’UN RENOUVELLE- ment singulière et particulière- verticaux de qualité. Une En 2015, la très sérieuse
après le sursaut de terreur d’oc- MENT SALUTAIRE. POURTANT AUJOURD’HUI, ment fidèle, son audience mérite tâche d’autant plus ardue université de Princeton
tobre, quand Facebook a testé LA RELATION ENTRE MÉDIAS ET GAFA d’être protégée, notamment des que la plateforme évolue avait prédit une perte de
un double fil d’actualité séparant SEMBLE DÉJÀ GRIPPÉE. annonceurs. Le prochain toilet- très vite, bien plus vite que 80% des utilisateurs de
posts d’amis d’un côté et posts tage de la plateforme, qui vise à les médias dont la capacité Facebook d’ici à 2017.
d’éditeurs de l’autre, le temps est rendre son interface plus acces- d’adaptation laisse encore Raté : en deux ans, la
venu de prendre du recul et d’analyser déo, info, jeux, messagerie instantanée…) sible aux non initiés, risque d’ailleurs de à désirer. Tout le monde plateforme a vu son
les différentes possibilités qui s’offrent Pour cela, ils ont besoin d’être alimentés faire fuir les habitués de Snapchat. n’est pas BuzzFeed, le nombre d’utilisateurs aug-
aux médias. De demander plus de trans- en contenus, en usant de stratégies en média star de l’ère numé- menter de façon exponen-
parence, en gardant en tête l’importance disruption complète avec le business as DISCOVER ET LA PUBLICITÉ CRÉATIVE rique qui arrive à délivrer tielle. Une santé au beau
de ne pas tout miser sur le même cheval, usual des médias traditionnels. SUR SNAPCHAT des contenus adaptés à 20 fixe dont Facebook a d’ail-
et de ne pas se rendre complètement plateformes différentes. leurs profité pour lancer
dépendant de ses partenaires – la dé- Petit tour d’horizon des modèles écono- En attendant, Discover, la partie réser- une nouvelle fonctionna-
pendance n’étant jamais une bonne base miques avec un focus sur 4 plateformes : vée aux médias lancée en 2015, gé- QUEL RETOUR SUR lité, les Instant Articles.
pour une relation. Après avoir contribué à Snapchat, Facebook, Apple et Google. nère l’essentiel des revenus (43 %) de INVESTISSEMENT ? ancrée de Snap de rester leader sur la Présentés aux éditeurs comme un
la (fausse) idée que le journalisme, et les Snapchat. En France, le nombre de lec- cible des jeunes ! cadeau qui améliore l’expérience
contenus, doivent être gratuits, les plate- teurs actifs mensuels a dépassé les 10 Même si les médias traditionnels sont en utilisateur sur mobile, ils ont bien sûr
formes s’ouvrent aujourd’hui peu à peu 1. SNAPCHAT ET LES millions depuis septembre. Des chiffres concurrence directe avec des influen- pour but de remédier à la pénurie de
pour mieux répondre aux besoins écono- JEUNES, SAINT-GRAAL DE LA excellents qui ont poussé Snapchat à dif- ceurs de plus en plus convoités par les 2. FACEBOOK INSTANT contenus, et d’alimenter le fonds de
miques des médias et des annonceurs. PUBLICITÉ fuser, depuis 2016, de la publicité dans les annonceurs, l’affaire semble rentable. ARTICLES, VIDÉOS, PUB ET formats propriétaires de la plateforme,
stories. Pour chouchouter son audience Fondé sur un modèle de partage de re- LE PAYWALL en les hébergeant et en les contrôlant.
Mais les GAFA ne sont pas des entre- UNE AUDIENCE JEUNE PRÉCIEUSE professionnelle de l’image, la plateforme cettes 50/50 entre la plateforme et les Les débuts furent compliqués, avec des
prises charitables. Lorsqu’ils proposent sélectionne soigneusement les agences éditeurs, Snap représente déjà un si- CAPTER - FIDÉLISER - RÉCOLTER éditeurs et annonceurs sceptiques leur
un produit aux médias, c’est dans un but Toucher ceux qui forment le monde de avec lesquelles elle travaille et innove en xième des recettes publicitaires médias DES DONNÉES - REVENDRE reprochant des possibilités limitées de
précis, avec toujours le même objectif demain reste la priorité numéro un des proposant des formats créatifs tels que de Vice France, et près de 18% du chiffre tracking d’audience, un choix de gaba-
principal : garder l’attention du public le annonceurs, et un objectif important pour des filtres sponsorisés. Elle donne même d’affaires digital de Cosmopolitan, selon Copié de toutes parts, le modèle stra- rits publicitaires restreint et un partage
plus longtemps possible en couvrant l’in- rajeunir l’image vieillissante de certains un coup de main aux annonceurs en pro- Les Echos. Non seulement les revenus tégique de Facebook est simple et des recettes déséquilibré avec la régie
tégralité de ses envies (consommation vi- médias. Avec un potentiel de dépenses posant son outil Snap Publisher pour publicitaires sont au rendez-vous, mais gagnant : attirer un maximum d’utili- publicitaire de Facebook. Les Instant

40 41
Articles ne permettaient pas non plus les Zuckerberg a annoncé qu’il allait inves- MAIS DE FAIBLES REVENUS UN PARTAGE DE REVENUS SUR LES
paywalls, pourtant l’un des modèles éco- tir 1 milliard de dollars en 2018 pour la PUBLICITAIRES ABONNEMENTS
nomiques essentiels pour la survie des productions de contenus originaux à
médias sur le numérique. destination de sa nouvelle plateforme Malgré les fortes audiences, les édi- Début octobre, Google a fait un pas
Watch. teurs, ici encore, se plaignent des vers les éditeurs, en annonçant la fin
NOUVEL ENJEU DE L’ENGAGEMENT : faibles revenus publicitaires et du peu du déréférencement des contenus
LA VIDÉO UNE CAROTTE POUR INCITER LES de partage des données sur le public, payants dans le search classique. En
ÉDITEURS À REVENIR SUR LES ce qui ne s’arrange pas depuis que la contrepartie, Richard Gingras, respon-
Sur le déclin, et avec l’essor fulgurant INSTANT ARTICLES : FREEMIUM ET « défense de la vie privée » est devenu sable des actualités de Google, a expli-
de la vidéo, les Instant Articles ont été PAYWALL le nouveau cheval de bataille d’Apple qué en octobre au Financial Times que
quelque peu remisés au second plan. (pour avoir l’exclusivité des data à ex- le groupe « souhaite prélever une part
La vidéo génère en effet 1200% de Depuis juillet 2017, Facebook teste les Ins- ploiter). Tout ce que l’on sait est que des revenus sur les nouveaux abon-
partages de plus sur les réseaux so- tant Articles pour les médias freemium  / l’audience semble être plus âgée nements générés grâce à ses don-
ciaux par rapport aux contenus images paywall, avec des clients importants que sur les autres plateformes. Mais nées ». Le montant se situerait toutefois
et textes réunis. Pour capitaliser sur comme Bild, The Economist, La Repubbli- il est difficile de programmer des cam- en dessous des 30% d’AdSense.
ce nouveau format star, Facebook a ca, Der Spiegel, The Washington Post et pagnes pertinentes sans connaître sa
donc forcé les médias à s’adapter et à Le Parisien. Deux modèles possibles  : cible. STAMP, LE NOUVEAU CONCURRENT
produire des formats ad hoc : courts, des abonnements sur une période don- DE DISCOVER
avec des surtitres (85% des vidéos née ou un accès à une quantité donnée
étant vues sans le son sur Facebook), d’articles, avec toujours 100% du prix 4. GOOGLE, LA VITESSE Google s’apprête par ailleurs à concur-
avec un montage bien différent du for- de l’abonnement récupéré par le média. SUPÉRIEURE rencer Discover. Son nouvel outil Goo-
mat classique des bandes-annonces Facebook affirme par ailleurs reverser l’in- gle Stamp (Stories et AMP) est en
ou des sujets JT pour la TV. Mais tout tégralité des revenus publicitaires aux édi- pêche pas Apple News de revendiquer sont favorisés : le premier éditeur qui UN CHARGEMENT DE PAGE RAPIDE, cours d’élaboration avec un certain
n’est pas rose pour Facebook : après teurs qui gèrent eux-mêmes la publicité. Il plus de 70 millions d’utilisateurs. Et selon publie une information aura plus de PRESQUE TROP nombre de médias partenaires (CNN,
avoir été accusé de gonfler les chiffres se réserve en revanche une commission le Reuters Digital News Report, un utili- chances d’être sélectionné. Mashable, Vox Media…), qui sont par
de la pub en 2016, côté publicité vidéo, de 30% sur les publicités gérées par sa sateur d’iPhone sur 5 au Royaume-Uni Quand Snapchat, Facebook et Apple ailleurs rémunérés directement pour
les premiers retours des éditeurs sur régie qui, elle, bénéficie des données des considère Apple News comme sa princi- poussent les éditeurs à céder leurs les développements et tests engagés,
le mid-roll sont mitigés et dénoncent, utilisateurs et peut donc mieux cibler les pale source d’information. UN MODÈLE PAYANT POUR LES contenus aux plateformes pour les là où le modèle de Snap repose sur
encore une fois, le manque de rému- publicités. La fonctionnalité est d’abord ÉDITEURS héberger et distribuer, Google leur un partage de revenus. Avantage de
nération de ce format par rapport aux lancée sur Android, faute d’accord trouvé UNE AUDIENCE IMPORTANTE propose juste, avec AMP, une version Google face à la startup Snapchat : les
investissements exigés. Mais la firme avec Apple : même les géants entre eux Un modèle intéressant pour les édi- de langage HTML allégée, permettant contenus « Google Stamp » pourraient
de Menlo Park a un autre tour dans son sont dépendants des décisions arbitraires Tout ce que l’on sait est que l’audience teurs est la forte mise en avant de ainsi un affichage rapide des pages être référencés en haut des pages de
sac : la rémunération directe de certains de leurs collègues ! est importante : iOS étant installé sur contenus avec paywall, à l’instar web tout en maintenant le contenu chez résultats sur son moteur de recherche.
médias pour les inciter à fabriquer du 23 % des smartphones en France, du Telegraph, qui promeut sur Apple son propriétaire. Le code est même Ils pourraient également être intégrés
contenu, révélée par Nicolas Becquet soit 9,3 millions d’utilisateurs (source News ses contenus premium avec tellement optimisé que des annon- sur les sites web et applications des
pour l’European Journalism Observa- 3. APPLE NEWS, L’OPACITÉ : ComScore MobiLens), la consultante abonnement (sans toutefois commu- ceurs considèrent que les pages se éditeurs.
tory dans un article figurant également Virgine Clève, qui étudie Apple News niquer sur ses chiffres). Les revenus chargent trop vite pour avoir le temps
dans ce cahier. Il s’agirait de 100  000 LE MYSTÈRE APPLE NEWS depuis plus d’un an, estime « qu’il sont partagés avec les éditeurs, et de consommer la pub.
et 200 000 euros par mois sur des pé- contribue de 5 à 25 % au trafic mobile le widget leur permet d’ajouter leur 5. LES ENJEUX DE LA
riodes renouvelables de six mois, en Lancée la même année que Discovery total de certains éditeurs ». Une dis- contenu simplement via un flux RSS UN MODÈLE PUBLICITAIRE PUBLICITÉ DIGITALE
somme des millions d’euros distribués et Instant Articles, Apple News est peut parition soudaine de leurs contenus de ou bien de l’intégrer davantage au SURVEILLÉ
aux médias hexagonaux. Facebook est être le format le plus mystérieux pour les cette vitrine peut donc signifier des va- service avec l’implémentation d’un REPRENDRE LE CONTRÔLE DE LA
même à l’origine de nouveaux studios éditeurs. « News » communique encore riations de plusieurs millions de visites code spécifique. Naturellement, Apple Comme pour Instant Articles, l’éditeur, PUB PROGRAMMATIQUE
pour certaines chaînes, une dépen- moins que ses concurrents sur la nature d’un mois à l’autre. En France, 8 médias avait privilégié sa propre régie (aban- via ses propres ad-servers, perçoit
dance qui s’ajoute à celle générée par de son algorithme, et cela ne s’arrange concentrent presque toute la visibilité donnée depuis) pour la diffusion des 100% des revenus. Mais comme De plus en plus d’annonceurs, et même
le trafic depuis les réseaux sociaux. pas depuis janvier 2017 : le widget n’a dans Apple News. publicités... alors même qu’il empêche Facebook, Google veut limiter l’af- récemment des éditeurs, réclament
plus de représentant officiel en France, le fonctionnement des modèles éco- fichage publicitaire. Les interstitiels plus de transparence et de contrôle
Ces faits vont ainsi à l’encontre de et les éditeurs présents sur la page – ac- Les 4 places sont chères : la sélection nomiques fondés sur la publicité dans sont refusés et seuls les formats clas- de la chaîne de diffusion des publicités
l’idée reçue selon laquelle Facebook cessible en balayant l’écran d’un iPhone géolocalisée est rafraîchie toutes les 15 son écosystème technologique, en siques sont acceptés. Un peu à l’instar programmatiques. Danny Spears, res-
ne serait pas prêt à financer des conte- vers la gauche – sont peu bavards sur minutes et les articles n’y figurent pas admettant des bloqueurs de publicité de Snapchat, Google veut contrôler la ponsable programmatique au Guardian,
nus. Rappelons que par ailleurs, Mark le succès de leurs contenus. Cela n’em- plus de sept jours. Et les contenus frais dans son navigateur Safari. qualité des publicités affichées. appelait en octobre à arrêter la « rou-

42 43
lette russe » de la diffusion non contrôlée ports (support centric). Mais nous pour- poussés, comme CrowdTangle, pour

MOVE FAST AND


de pubs et des investissements dans des rions passer à une mesure centrée sur le démystifier leurs propres algorithmes.
inventaires opaques sur des marchés contenu (content centric) et déportali- D’autres, comme Google avec son fonds
secondaires, qui ont mené à l’affichage sée », rapporte Estelle Duval, directrice DNI, se présentent en partenaires de l’in-
sur des sites comme Breitbart ou encore du département Internet de Médiamé- novation. Il ne s’agit donc pas pour les
à des fraudes qui réduisent leur ROI de trie. L’institut publie d’ailleurs depuis juin médias de faire naïvement un pacte

BREAK THINGS (...)


façon considérable. Au Digiday’s Publi- 2017 les audiences des Instant Articles avec le diable, mais bien de garder le
shing Summit Europe, les éditeurs eu- et d’AMP. Julien Rosanvallon, directeur contrôle de la diffusion de leurs conte-
ropéens ont reconnu que « Facebook a du département Internet de Médiamé- nus et des données de leur audience,
été un désastre pour [eux] ». De plus en trie, ajoute que toutes les plateformes sur de signer des partenariats intelligents,
plus, ils s’associent pour faire face au lesquelles il y a du contenu pourraient à en maintenant pour les plus grands

THE IDEA IS THAT


duopole Google/Facebook qui mono- terme être comprises dans la mesure quelques plateformes propriétaires
polise 20% des revenus publicitaires d’audience. capables de garantir aux annonceurs
mondiaux (radio, TV, presse, numérique, des environnements dépourvus de
affichage, cinéma…). Les médias fran- contenus problématiques, dans un
çais s’allient via Gravity, à l’exception du 6. LA RÉCONCILIATION ? contexte où les grandes plateformes
Monde et du Figaro qui font front de leur peinent encore à assurer leur propre

IF YOU NEVER
côté avec Skyline. Le message est fort : Les fiches de paye des médias seront-elles autocontrôle. Comme on l’expliquait en
les marques veulent se réapproprier bientôt signées Facebook, Google et Cie ? introduction, il faut éviter de mettre tous
le contrôle de leurs campagnes publi- Ne voyons pas tout en noir. ses œufs dans le même panier, continuer
citaires numériques et face à Google à affirmer une stratégie et une ligne édito-
et Facebook, les rivalités historiques Exigeantes car elles challengent les mé- riale claires, se diversifier et surtout res-

BREAK ANYTHING,
s’estompent. Côté agences, certaines dias et les agences de publicité sur les ter vigilant. Décidément, it’s complicated.
proposent des AdGreements pour ga- temps de chargement, les formats inno-
rantir la qualité et l’efficacité des publici- vants ou encore le taux d’engagement de
tés diffusées. leurs contenus, les plateformes ont aussi
un avantage : elles impulsent de la créa-

YOU’RE PROBABLY
Matthieu Le Cann, directeur général tivité et forcent les éditeurs à se concen-
d’Advideum, résume en une phrase le trer sur l’expérience utilisateur. Le besoin
casse-tête des revenus publicitaires sur constant d’adaptation aux nouveaux
les réseaux sociaux : « Nous voulons ré- usages peut aussi aider les médias tra-
soudre l’équation du moment que tout édi- ditionnels à revoir leur organisation, leurs

NOT MOVING FAST


teur vit : la diffusion des contenus sur leur processus de fabrication, et enfin à de-
site est monétisée avec une valeur élevée venir plus agiles pour expérimenter de
mais génère peu d’audience, alors que la nouveaux langages et rajeunir leur public.
diffusion sur les réseaux sociaux génère
une audience importante mais une moné- Pour les éditeurs de presse, cette com-
tisation nulle. » pétition est une réaffirmation de la va-

ENOUGH.
leur ajoutée que procurent les contenus
CENTRER LA MESURE D’AUDIENCE professionnels et labélisés. Les GAFA
SUR LE CONTENU ont besoin de la présence des mé-
dias comme produit d’appel et gage
Pour les médias (notamment d’informa- de qualité, a fortiori après la crise des
tion) souhaitant distribuer leurs contenus fake news. Ils font aujourd’hui quelques
sous forme native sur les réseaux so- efforts dans la recherche de modèles
ciaux, l’un des freins était aussi la perte
d’audience de leurs pages. Médiamétrie
économiques viables pour les éditeurs :
la logique du partage de revenus pro- Mark Zuckerberg
et l’ACPM se sont finalement adaptés à
ces nouveaux usages : « Jusqu’à présent,
gresse et devient substantielle dans l’or-
ganisation des médias. Certains GAFA 2012
Médiamétrie mesure l’audience des sup- proposent même des outils d’analyse

44 45
SOCIAL
TV :
ET SI ON S’ÉTAIT PLANTÉ DEPUIS LE DÉBUT ?
Twitch ? Cette plateforme rachetée à côté du player de direct pendant tout
Par Benjamin Thereaux | Réalisateur de social en 2014 par Amazon – pour près d’un Roland-Garros et le Tour de France.
live streaming et ancien consultant Social TV milliard de dollars – invite les joueurs Nous nous relayions tout l’après-mi-
chez France Télévisions Éditions numériques du monde entier à streamer leur par- di pour l’alimenter de pronostics, de
Et si la bonne équation n’était Mais une raison plus importante tie de jeu vidéo. Les twitchers réalisent quiz, de sondages et de bons tweets,
pas de chercher à inclure le LA TV SOCIALE PARTAIT D’UN CONSTAT IRRÉ- encore est peut-être que ces leur diffusion en s’incrustant en web- l’utilisateur pouvant gagner des points,
social dans les émissions en FUTABLE : LA MAJORITÉ DES TÉLÉSPECTA- téléspectateurs munis d’un cam au-dessus des images du jeu, et passer des niveaux et gagner des lots.
direct, mais bien de fabriquer TEURS REGARDE SON POSTE DE TÉLÉVISION smartphone étaient déjà plus on peut les entendre commenter. Cent Sur le principe d’Accropolis, cette ga-
de la télévision pour les mé- AVEC UN SMARTPHONE DANS LES MAINS. intéressés par leurs sms, leurs millions d’utilisateurs mensuels y mification serait probablement à com-
dias sociaux ? Avec l’explosion QUE FAIRE ALORS DE CE 2ND ÉCRAN QUI DIS- mails, leur Facebook, leur Ins- passent en moyenne 106 minutes par pléter aujourd’hui avec un présentateur
des diffusions en direct via TRAIT DU 1ER ? COMMENT MONÉTISER CET tagram, leur Snapchat, que par jour, les 3/4 d’entre eux ont entre 18 dédié au jeu, en interaction totale avec
Facebook Live, Twitch ou en- USAGE ? MALGRÉ DE NOMBREUSES INITIA- le programme. Et puisqu’il leur et 49 ans. Un module de chat se trouve les connectés et au commentaire spor- Après avoir travaillé essentiellement à
core Periscope, on peut légiti- TIVES DES CHAÎNES ET DE QUELQUES PRO- sert à s’en évader, ils ne sont à côté du player, la communauté ne se tif sur les images. l’affichage de tweets sur les émissions
mement se poser la question. DUCTEURS, LE CONCEPT DE SOCIAL TV S’EST pas du tout intéressés pour re- gêne pas pour l’utiliser et le twitcher en- du groupe TF1 et Canal, une startup
BEL ET BIEN ESSOUFFLÉ. prendre le fil du programme en tretient grâce à cela une vraie relation 3. FACEBOOK LIVE, LA française nommée CliClic.tv se dé-
Alors amusons-nous à re- acceptant les « call to action à de proximité avec ses viewers. Il remer- SOCIAL TV PAR EXCELLENCE marque en proposant à des chaînes
mettre les choses dans ture de vos rêves, et en un clic sur le 2nd nous rejoindre sur telle url », à cie chaque nouveau follower, et encore et des annonceurs des Facebook
l’ordre : appelons TV Social ce qui était vous pouvez déjà commander votre test télécharger telle application ou à voir les plus chaque donateur. Live originaux. Parfois, il n’y a d’ailleurs
la Social TV, et voyons ce que l’on pro- drive près de chez vous. La télé pour photos des coulisses depuis telle page même pas de caméra, c’est une page
duit aujourd’hui sur les pure players du convaincre, le mobile pour transfor- Facebook. Le média Accropolis a détourné le web dynamique qui est jouée dans le
live streaming. mer. Qui dit mieux ? On y a cru. Beau- principe original de la plateforme Twit- live, reprenant les commentaires, ré-
coup. Et pourtant, trop rares sont les Pourtant, avant que les chaînes et pro- ch et organise des live par-dessus ponses, votes des internautes. Un des
audiences 2nd écran qui ont décollé. ducteurs tâchent de créer ex nihilo ces des séances parlementaires. Comme meilleurs exemples en date est l’opé-
1. RETOUR SUR UNE FAUSSE Alors plus personne n’y a cru. nouveaux usages couplés du smart- si je regardais France 3 le mercredi ration avec Primark, où les connectés
BONNE IDÉE phone avec leurs programmes, les té- après-midi mais avec un présentateur étaient invités à trouver le prix exact
Sans prétendre détenir la raison de ces léspectateurs s’étaient déjà transformés web auquel je m’identifierais, et mon fil de la collection de vêtements présen-
Dans un vrai esprit d’innovation, les échecs, on peut évoquer le fait que trop en vrais télénautes en se retrouvant na- Twitter constamment branché, le tout Dans la galaxie des Facebook Live, tée afin de la gagner. Si le principe de
chaînes ont expérimenté des dispositifs peu de producteurs ont fabriqué leurs turellement et avec passion sur Twitter. dans une expérience utilisateur unifiée. SuperDeluxe est un ovni. Jouant la la page web trouve ses limites, on
numériques et tenté de ne pas voir, dans émissions de direct avec la sérieuse Les hashtags des émissions devenaient Une manière pour les chaînes de pro- carte de l’humour souvent décalé, cette pourrait imaginer que mieux produit
ce comportement « multitask » des télés- intention d’y inclure des feedbacks alors des forums éphémères en 140 poser une expérience broadcast diffé- chaîne Facebook lancée par le groupe et présenté sur un plateau, ce format
pectateurs connectés, une menace mais du second écran. La 1re application The caractères. Que dit ce comportement rente, en touchant potentiellement des américain Turner Broadcasting est un pourrait réinventer le télé-achat.
une opportunité. On a ainsi fabriqué des Voice promettait aux télénautes de de- qui n’a été dicté par personne ? Que la audiences plus jeunes ou plus connec- défricheur des formats les plus inte-
applis de second écran dédiées à être venir le 5e coach et de voter pendant les conversation, que la joute verbale, que tées. ractifs qui soient. Les live, souvent ap- Bref, on a essayé de faire rentrer le
utilisé par le spectateur en même temps éliminatoires. Sur des émissions enre- le bon mot qui amuse, qui éclaire ou En 2014, nous avions fabriqué pour pelés « viewer’s choice » approchent social dans la télé, et c’est l’inverse
que la diffusion des programmes. Des gistrées. Cherchez l’erreur ! L’app vivait qui fait grincer fait partie intégrante de francetvsport un module de jeu qui vivait souvent le million de vues. Les utili- qui s’est passé. La Social TV doit être
équipes éditoriales se chargeant d’en- de son côté et l’émission du sien sans l’expérience communautaire recher- sateurs sont invités à voter pour les une expérience utilisateur unifiée où
richir, tant bien que mal, les émissions jamais se croiser. chée par une poignée non négligeable ingrédients que l’on va mettre dans l’on trouve sur un même écran le pro-
avec du contenu encyclopédique ( « en de téléspectateurs. Autrement dit, on cette soupe avant de la faire boire au gramme en live, la possibilité d’intera-
savoir plus », « aller plus loin »…), des mé- Par ailleurs, il est possible qu’à vouloir s’est toujours plus amusé à regarder la stagiaire ou pour choisir avec quoi gir via un vote ou un commentaire, et
caniques d’engagements (votes, son- bien faire, les éditeurs aient trop pushé télé à plusieurs que tout seul. nous allons masser cette personne. où l’on ressent la présence des autres
dages, questions…), de jeu (quiz, niveaux, de contenus additionnels en parallèle Envoyez un selfie et notre caricatu- viewers. Ceci n’est possible qu’à tra-
badges…) ou des fonctionnalités de du programme, alors qu’une bonne par- riste vous dessine en live, citez-nous vers un device connecté, pas un télé-
découpe d’extraits vidéo, d’éditions de tie méritait d’être consommée après la 2. L’ARRIVÉE DES PURES un thème et nos stand-uppers tâche- viseur passif. Et les plateformes so-
GIF… Le Saint Graal publicitaire étant de diffusion, créant une expérience double PLAYERS DU LIVE STREAMING ront de vous faire rire avec, dessinez ciales donnent aujourd’hui tous les
constituer une audience suffisante sur le écran trop lourde cognitivement. Par A TOUT CHANGÉ avec notre artiste, quelles lettres al- outils pour fabriquer ce nouvel objet
mobile pendant le show pour aussi syn- exemple, peut-on décemment demander lons-nous tatouer sur ce cobaye, etc. audiovisuel. À vous de jouer !
chroniser les pages de pub. Le 1er écran à quelqu’un de lire une vidéo sonore sur Abandonnons la petite lucarne, pas-
vous aguiche en 16/9e sur la nouvelle voi- sa tablette lorsqu’il a déjà sa TV allumée ? sons sur Internet. Connaissez-vous

46 47
OU
-VRIR LES BOÎTES
NOIRES

& POST-VÉRITÉ :
DÉMOCRATIES
À L’ÉPREUVE
DES
UNIVERSI-
TAIRES
TROMPENT L’ALGORITHME DE FACEBOOK :
VOILÀ CE QU’ILS ONT DÉCOUVERT
Nathalie Pignard-Cheynel | Professeure
en journalisme numérique
Académie du journalisme et des médias,
université de Neuchâtel

PLUS DE 2 MILLIARDS D’INTERNAUTES DANS


Le moindre battement d’aile du LE MONDE SONT ACTIFS SUR FACEBOOK ; qu’est-ce qui conditionne le choix çois Fillon voient essentiellement Le avaient été limités aux huit comptes de indispensable de créer une prise de
papillon Facebook peut avoir PRÈS DE LA MOITIÉ DES AMÉRICAINS Y ONT par l’algorithme de Facebook de Figaro et Valeurs actuelles envahir leur l’expérience, mais se retrouvaient ré- conscience pour un usage éclairé de
des incidences capitales sur RECOURS POUR S’INFORMER ; UNE PRA- tel contenu plutôt que tel autre ? mur, alors que ce sont plutôt Libération gulièrement en premières places des ces plateformes, et d’engager les jour-
des médias de plus en plus TIQUE QUI GÉNÈRE PRÈS DE 40% DU TRAFIC Comment se constitue une bulle et Mediapart pour Benoît Hamon, Les newsfeeds. Ce constat est un avant- nalistes de demain à s’interroger sur
sous dépendance. Au cœur des DES SITES D’INFORMATION (SELON PARSE. de filtre ? Combien de temps cela Échos et BFM pour Emmanuel Macron goût de ce qui semble se préparer l’impact de ces algorithmes.
préoccupations et des inquié- LY). CES TROIS CHIFFRES MONTRENT À prend-il ? et Fdesouche ou Boulevard Voltaire chez Facebook et qui vise à renforcer Car lorsque la plateforme – qui se
tudes  : le Newsfeed Ranking QUEL POINT FACEBOOK EST DEVENU EN pour Marine Le Pen. la dimension « réseau social » au dé- veut un simple intermédiaire tech-
Algorithm qui régit l’affichage QUELQUES ANNÉES UN ACTEUR INCON- Quelques semaines plus tard, Si l’effet d’entonnoir est rapide, il est triment de la fonction médiatique de la nique – se mue en média, sélection-
de nos fils d’actualité. Un mys- TOURNABLE DE NOTRE QUOTIDIEN NUMÉ- les résultats sont sans appel : aussi assez sommaire. Ce ne sont pas plateforme. nant et hiérarchisant des contenus,
térieux algorithme qui fait et dé- RIQUE MAIS SURTOUT D’UN ÉCOSYSTÈME il est élémentaire d’influencer tant les idées qui guident les choix de il devient essentiel de questionner
fait les succès des contenus, et INFORMATIONNEL EN PLEINE MUTATION. l’algorithme de Facebook, les l’algorithme que les comptes de médias les choix opérés. Ne pas oublier que
pousse journalistes et médias à effets sont très rapides mais en qui y sont associés. Plus j’interagis avec UNE EXISTENCE VIRTUELLE chaque geste sur Facebook est inter-
s’adapter en permanence à ses actions précises (partages, like, com- revanche, son fonctionnement telle page (like, commentaire, partage), prété par un programme dont le but
exigences et caprices. mentaires) et d’observer en retour ses demeure assez fruste. plus ses futurs posts me seront propo- Dernier enseignement : il est très ultime est de générer des revenus pu-
effets sur le fil d’actualité. À l’aube de sés. Nos étudiants ont donc été déçus simple, non seulement de créer un faux blicitaires à partir de l’« engagement »
Voilà pour le constat. En tant qu’école l’année 2017, notre « laboratoire » était tout quand, soutiens de Benoît Hamon, ils compte, mais de le faire exister dans de ses usagers. Rappeler que non, un
de journalisme, il nous fallait aller plus trouvé : l’élection présidentielle française. UN RÉSEAU SOCIAL EN TANT ont fait des « grrrrrr » rageurs sur les l’espace semi-public que représente algorithme n’est pas neutre.
loin. Non seulement sensibiliser nos étu- Pendant six semaines, nos étudiants se QU’ŒILLÈRES POLITIQUES posts de Valeurs actuelles ; une action Facebook. A travers leur personnage,
diants, futurs journalistes, à cette boîte sont donc glissés dans la peau de militants interprétée par l’algorithme comme une nos étudiants ont ainsi partagé, com- A l’issue de ces six semaines, nos étu-
noire. Mais plus encore, leur faire « expé- à travers 8 profils créés pour l’occasion. Premier enseignement, l’enfermement marque d’intérêt qui a engendré une menté, et même débattu avec des diants en journalisme ont ainsi renforcé
rimenter ». Chacun était associé à une personnalité thématique voire médiatique se construit exposition plus forte à ces contenus usagers sans que leur identité ne soit leurs connaissances du fonctionne-
politique dont il devait partager les idées et très rapidement. En quelques jours, les sur leur profil. questionnée ou remise en cause. Une ment de l’algorithme de Facebook, mais
Pas simple d’ouvrir le capot de Facebook relayer l’action et la campagne : Emmanuel flux des comptes créés n’accueillaient facilité qui les a déconcertés et les a ils ont surtout « vécu » son action et l’ont
sans connaissances informatiques ou Macron, François Fillon, Benoît Hamon et plus que des contenus d’actualité poli- conduits à porter un regard plus fin sur décortiqué d’un œil critique et expert.
techniques particulières. Afin de prendre Marine Le Pen. Et pour favoriser la com- tique, occultant les médias spécialisés LE FAMILIER PLUTÔT QUE cette industrie du fake. Car l’un des enjeux était bien là : trans-
la mesure des effets de l’algorithme, parabilité, tous les profils se sont abonnés en sport, mode, culture ou divertisse- L’AVÉRÉ former une pratique quotidienne,
nous avons donc entraîné nos étu- à une liste commune de 50 pages de mé- ment. Au bout d’une dizaine de jours, Reconnaissons-le, ces résultats ne sont intégrée et aussi évidente que l’utili-
diants en première année de master dias. Liste volontairement diversifiée qui l’algorithme s’était polarisé pour chaque Deuxième enseignement, le moindre pas inédits. Ils confirment largement sation de Facebook en un question-
Journalisme dans un jeu de rôle inédit. faisait se côtoyer des médias mainstream profil sur 5 à 10 médias sur les 50 consti- post provenant d’un compte « ami » d’autres études déjà menées et valident nement et passer d’un usage récréa-
À travers de faux comptes, leur mis- et d’autres spécialisés, engagés politique- tuant les abonnements. Exit la diversité, est survalorisé par rapport à ceux des les préconisations des spécialistes ès tif à un usage raisonné.
sion était de «  nourrir » quotidienne- ment, ou même faiseurs de buzz voire de bienvenue dans la bulle filtrante. Logique- pages, notamment de médias. Dans le réseaux sociaux. Mais notre objectif était
ment l’algorithme de Facebook par des fake news. Le questionnement était simple : ment, les comptes en phase avec Fran- cas de l’expérimentation, les « amis » ailleurs : souligner à quel point il est

50 51
TRANSPA-
RENCE
ET REDEVABILITÉ*
IF YOU’RE NOT DES SYSTÈMES ALGORITHMIQUES

PAYING FOR
Nozha Boujemaa | Directrice de recherche
chez INRIA

L’ASYMÉTRIE LES DONNÉES SONT PARTOUT : DANS LES PISTES POUR


INFORMATIONNELLE CONSTRUIRE LA

SOMETHING,
SPHÈRES INDUSTRIELLES, PERSONNELLES,
REND LE OU DANS LES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES. CONFIANCE
FONCTIONNEMENT MAIS CE QU’ON SOULIGNE BEAUCOUP MOINS,
DES PLATEFORMES C’EST L’OMNIPRÉSENCE DES ALGORITHMES Pour installer la confiance, il est
OPAQUES QUI LES ANALYSENT ET QUI LEUR DONNENT essentiel de réduire cette asy-
DU SENS. QUAND ON SE POSE LA QUESTION métrie informationnelle entre

YOU’RE NOT
De nombreuses plateformes DE LA GOUVERNANCE DES ALGORITHMES OU les producteurs des services nu-
numériques proposent des DU DROIT SOUPLE POUR L’INTELLIGENCE AR- mériques et les consommateurs,
services en ligne comme la re- TIFICIELLE, IL EST ESSENTIEL DE PRENDRE qu’ils soient citoyens (il peut
cherche d’information ou la EN COMPTE CETTE DUALITÉ DES DONNÉES s’agir des libertés individuelles
recommandation de biens et ET DES ALGORITHMES** : ILS SONT LES DEUX et des droits civiques) ou pro-

THE CUSTOMER;
de services. Quelles sont les FACES DE LA MÊME PIÈCE. fessionnels : industriels (il peut
garanties d’impartialité de ces s’agir de concurrence déloyale
réponses ? Sur quel corpus ou d’abus de position domi-
la requête a-t-elle été lancée, ou la re- Dans un autre contexte, quand une ap- nante) ou services de l’Etat (il peut s’agir
commandation calculée ? Les contenus plication nous demande notre consente- de souveraineté). Pour promouvoir la

YOU’RE THE
suggérés sont-ils personnalisés pour ment pour partager ou non nos données confiance, il est essentiel de rendre ces
le « consommateur », ou proposés pour personnelles, quelle garantie avons-nous services numériques plus transparents
écouler les stocks du vendeur ? Ces re- de la prise en compte effective de notre et intelligibles.
commandations risquent-elles d’enfer- réponse ? Quand on procède en ligne
mer le consommateur dans des bulles à l’achat d’un billet d’avion ou à une ré- Construire des systèmes algorithmiques

PRODUCT
filtrantes pouvant causer des effets de servation d’hôtel, il arrive d’observer une auditables par construction et ca-
bord, comme la discrimination ? Dans variation des prix au moment de l’acte pables de rendre compte de leur com-
le cas des industries culturelles, les mo- d’achat. Est-ce du yield management de portement est un défi pour la recherche,
teurs de recommandations deviennent la part du vendeur, ou est-ce une discri- mais représente un avantage compétitif
« prescripteurs » et représentent un ca- mination des prix en fonction de critères pour l’économie des services numé-
nal important pour la consommation des inconnus ? On peut encore citer de nom- riques pilotés par la donnée.

BEING SOLD.
contenus en ligne, en prenant presque la breux exemples de la vie quotidienne où
place des lignes éditoriales. La question l’on ne maîtrise pas, en réalité, ce qui
de l’impartialité se pose également de se passe de l’autre côté du miroir. C’est
cette façon. Pour certaines plateformes, ce qu’on appelle l’asymétrie informa- * Accountability
il peut même s’agir d’abus de position tionnelle, qui rend ces services numé- ** Cette dualité constitue les systèmes algo-
dominante et de concurrence déloyale. riques opaques et incompréhensibles. rithmiques.

Commentaire de blue_beetle
sur MetaFilter, 2010

52 53
LA
STRATEGIE
DES RÉSEAUX SOCIAUX POUR COMBATTRE
LES FAKE NEWS EST-ELLE EFFICACE ?
Par Lorraine Poupon | France Télévisions
MédiaLab de l’information

Pour une entreprise comme LES RÉSEAUX SOCIAUX ONT ÉTÉ POINTÉS à Facebook. Celle-ci, en tant
Facebook, le défi du retour de DU DOIGT COMME VÉHICULES DE PROPAGA- que plateforme, a peu à peu
la confiance et de la restaura- TION MASSIVE DE FAKE NEWS AUSSI BIEN supplanté les grands médias
tion de son image est crucial. PENDANT LES ÉLECTIONS QUE LORS DU dans l’esprit de ses utilisa-
Au-delà des supposées ambi- PASSAGE DE L’OURAGAN IRMA. ILS SE DE- teurs comme étant la source
tions politiques de Mark Zuc- VAIENT DONC DE RÉAGIR. MAIS AU-DELÀ DES de l’info.
kerberg, le réseau social est COMMUNIQUÉS DE PRESSE OU DES EFFETS
fondé sur l’échange et le par- D’ANNONCE, LEUR STRATÉGIE DE LUTTE EST- Le résultat de cette mesure est
tage. Une certaine atmosphère ELLE RÉELLEMENT EFFICACE À L’ÈRE DE LA positif bien que lui aussi limité. La
doit donc être préservée. Plus POST-VÉRITÉ ? UNE ÉTUDE MENÉE À YALE A confiance dans les informations
encore dans le contexte actuel CHERCHÉ À LE DÉTERMINER. relayées est plus grande lors-
où passivité est synonyme de qu’elles sont identifiées, même si
complicité. Ne pas réagir au- elles se révèlent fausses.
rait été indéfendable. pagation des fake une fois dénoncés, les
effets restent limités. Mais la défiance à l’égard des médias
Plusieurs mesures ont ainsi été prises : traditionnels est telle que l’effet peut
changement dans son algorithme pour La question de l’application à grande aussi être pervers. Certains, à l’image
détecter et isoler les news présumées échelle de cette méthode se pose. En des supporters de Trump, accordent une
fausses, ou encore sanctions écono- effet, quels que soient l’énergie ou les plus grande confiance aux « infos » par-
miques en privant les auteurs de revenus moyens mobilisés, les fake news créées tagées par leur famille ou leurs proches
publicitaires. ou relayées de manière automatisée par qu’à celles d’un média national reconnu,
des bots, le tout à bas coût, dépasseront identifié et objectivement fiable.
Dans le cadre de leur étude, les cher- toujours un contrôle humain et manuel.
cheurs de Yale se sont concentrés sur Le constat est plutôt accablant. Les ré-
l’impact effectif ou non de deux d’entre Et quand bien même ce système devien- ponses apportées sont loin d’être suf-
elles : la possibilité pour un tiers de dé- drait la référence, cela ne se ferait pas fisantes ou même réellement efficaces.
noncer une news comme étant fausse sans poser son lot de difficultés. Une fake Certains vont même jusqu’à se poser la
et l’affichage du logo de l’éditeur de qui ne porterait pas la fameuse mention question de l’intérêt réel qu’aurait Face-
l’article dans le feed pour une suppo- tout simplement parce qu’elle n’aurait book a totalement stopper la propagation
sée meilleure identification de la source. pas encore été passée en revue semble- de fake news.
rait être validée comme étant vraie et véri-
fiée ! Cet outil rencontre sa limite dans D’autres solutions doivent être trouvées.
“DISPUTED BY 3RD PARTY l’exigence d’exhaustivité de l’analyse Le Newsfeed de Facebook pourrait
FACT-CHECKERS” des nouvelles relayées qu’il réclame. être une manière de reprendre un cer-
tain contrôle dans la sélection édito-
Cette nouvelle fonctionnalité fait appa- riale. Alors, satisfaite la presse ? Rien
raître la mention « contestée par un CNN VS BREITBART NEWS ? n’est moins sûr, quand on sait à quel point
tiers » quand l’article a été remis en le rapport de forces avec les plate-
cause par une source d’information Pour ce qui est de la facilité d’identifi- formes est déjà déséquilibré.
fiable. Si l’étude révèle que cette mesure cation d’un titre grâce à son logo, elle
a effectivement permis de réduire la pro- répond à une critique récurrente faite

54 55
A
LA
RENTREE,
L’INFO EN LIGNE SE MET AU BIO

Par Clara Schmelck | Journaliste à Inté grales |


Philosophe des médias et chroniqueuse radio

CONTENU CERTIFIÉ LE « DETOX », « LA TRAÇABILITÉ » ET LA QUALI- Les applis mobiles sont accu- domino que provoquerait la fuite des 2018 : beaucoup de documentaires et Toutes ces recettes de communication
TÉ : TROIS TENDANCES DU MARCHÉ ALIMEN- sées de vendre à l’insu des in- données personnelles du héros du film. du cinéma d’auteur (avec des cycles mises en place par les médias et les
Les fake news sont aux médias TAIRE BIO QUE L’ON RETROUVE AUSSI DANS ternautes les données qu’elles Clouzot, Spielberg et Melville). Bruno GAFA permettront-elles de gagner la
ce que sont les pesticides aux L’INFORMATION EN LIGNE EN CETTE RENTRÉE récoltent de leur part. Une QUALITÉ DES CONTENUS Patino, le directeur des programmes, confiance des citoyens ? En attendant,
fruits. Elles font gonfler les au- 2017. PREUVE QUE LES INTERNAUTES SE cinquantaine d’applications a promis de proposer une «  télévision la tendance au « bio » dans l’info en
diences, mais empoisonnent DEMANDENT NON SEULEMENT CE QU’IL Y A françaises, dont Le Figaro ou La qualité, le goût : autre axe de com- ni assourdissante ni stroboscopique» ligne ramène la presse à un produit
les contenus. DANS LEUR ASSIETTE, MAIS AUSSI DANS LEUR L’Équipe, fournissent à une munication convergeant entre l’alimen- qui « échappe aux standards et aux for- de grande consommation comme les
SMARTPHONE. entreprise tierce les données tation « alternative » et les médias en matages » et produit parfois « quelques autres, et sans doute même comme
L’info sera-t-elle bientôt à son de localisation de 10 millions ligne, dont la TV délinéarisée. De la V.O, ovnis que nous revendiquons ». Exac- celui qui comprend le plus de malfa-
tour labellisée, à l’instar d’un pro- de Français, toutes les trois des émissions de qualité, expurgées tement comme l’agriculture biologique çons…
duit ou d’un ouvrage soumis à une norme • Transparence : disponibilité et minutes, à des fins publicitaires, rap- d’infotainement. Lors de sa conférence promet de se différencier des pro-
ISO ? En juin 2017, l’ONG Reporters sans validité des informations sur le modèle porte une enquête de Numerama. La de rentrée, la chaîne européenne ARTE ductions de masse avec des produits
frontières discutait avec plusieurs ac- commercial, la propriété des bénéfi- startup Teemo développe un SDK (sof- a fait savoir qu’elle cultivait des pro- frais.
teurs du secteur, dont des syndicats de ciaires et le contrôle externe. tware development kit) publicitaire pour grammes de qualité. Au menu de 2017-
journalistes, autour de l’éventuelle mise À son tour, Facebook, nid à fake news, de grandes applications populaires. Ce
en place d’un label anti-fakenews. La vient de déclarer l’interdiction de publi- SDK est un logiciel dans le logiciel qui va,
création d’un label « journalisme » ou cité dans les pages renvoyant vers de en se masquant derrière l’appli éditeur,
« presse » pourrait indiquer aux lecteurs fausses informations : accéder à vos données de localisation
qu’ils se trouvent en présence d’un site afin de les envoyer, toutes les 3 minutes,
ou d’un média qui répond aux critères de « Si des pages partagent de façon ré- à Teemo, explique Numerama.
qualité du journalisme : vérification de l’in- pétée des articles considérés comme
fo, recoupements, correction, édition. de fausses infos, ces pages ne seront Certains médias anticipent une défiance
plus autorisées à faire de la publicité croissance des internautes, et veulent
À la suite d’une demande et après avoir sur Facebook », spécifie un billet posté leur garantir une gestion transparente
passé une procédure normalisée selon sur le blog de l’entreprise. de leurs données personnelles.
des critères transparents, une station de
diffusion, un journal ou un portail web se- Dans un film diffusé en août 2017 sur l’en-
rait classé et approuvé comme « TJ » ou TRAÇABILITÉ DES DONNÉES semble des chaînes du groupe France
rejeté. La note de travail de RSF esquisse Télévisions et bientôt visible sur france.
trois critères : La traçabilité est une autre préoccupation tv, France Télévisions et Publicis Conseil
• Responsabilisation  : l’exis- du secteur alimentaire. Dans la presse en communiquent sur la protection des don-
tence et l’exécution des mécanismes de ligne, la question se pose en sens inverse : nées des utilisateurs de la nouvelle plate-
plainte et de correction ; quel est le trajet des données produites forme france.tv à travers la mise en scène
• Conformité : l’existence et l’ap- par les internautes et récoltées par les de l’inscription à la plateforme de replay
plication de normes professionnelles et sites et applications notamment via les et de vidéos à la demande. Le court mé-
éthiques ; cookies de traçage  ? trage dépeint avec humour et ironie l’effet

56 57
TEMPS
DE
CERVEAU
(VRAIMENT) DISPONIBLE
Par Lorraine Poupon | France Télévisions
MédiaLab de l’information

Une nouvelle difficulté s’ajoute ON NOUS AURAIT DONC MENTI. VOS AMIS Et pourtant, cette méthode est naute, au-delà des commentaires ou ces seules variables. Si l’on considère
au secteur, déjà sinistré, des mé- SURDIPLÔMÉS NE LIRAIENT PAS DANS LEUR appliquée de manière indiffé- partages de l’article, est mesuré à l’aide que le devoir d’information consiste à
dias. Entre 1990 et 2016, 60% INTÉGRALITÉ TOUS LES ARTICLES QU’ILS PAR- renciée tant aux sites de e-com- des mouvements du curseur ou du défi- mettre en lumière des sujets ignorés du
des emplois de la presse écrite TAGENT SUR FACEBOOK. MALGRÉ CE QU’ILS merce qu’aux versions web de lement de la page. grand public, il faut rester lucide face
ont disparu. Et ce n’est pas le VEULENT LAISSER CROIRE, LES INTERNAUTES journaux, comme s’ils offraient à cette pression du résultat. Le risque
passage au digital qui permet de PRÉFÉRERAIENT LE FORMAT DÉPÊCHE AFP le même type de contenu ou Le Financial Times est un des premiers de l’autocensure est grand, avec pour
compenser la perte en revenus OU BREAKING NEWS DE BFM TV À UN REPOR- ciblaient le même profil d’inter- titres à avoir offert ce mode de calcul conséquence d’occulter purement et
publicitaires, quand ceux-ci sont TAGE FOUILLÉ DU MONDE DIPLOMATIQUE. DE naute. des coûts. The Economist a pris sa simplement des sujets de peur qu’ils
monopolisés par le duo Face- FAIT, NOTRE CAPACITÉ DE CONCENTRATION ET suite en 2015 avec le Wall Street Jour- ne trouvent pas de lecteurs. Enfin, si
book – Google. Au troisième NOTRE ATTENTION SONT LIMITÉES. ET CETTE nal, mais ils restent pionniers. Par leur l’ambition affichée est de faire corres-
trimestre 2016, ils ont ainsi bé- RARETÉ LEUR CONFÈRE UNE VALEUR (MONÉ- ÉLÉMENT taille et leurs spécificités (un conte- pondre sujets populaires avec succès
néficié à eux seuls de plus de TAIRE !) CONSIDÉRABLE POUR LES MÉDIAS EN DÉCLENCHEUR, nu de qualité, un lectorat engagé et publicitaire, a fortiori dans un contexte
95% de la croissance de ces LIGNE COMME POUR LES ANNONCEURS. DANS PÉRIPÉTIES, prisé des annonceurs), l’expérience, de crise, la frontière entre logique bu-
revenus tirés de la publicité. SON RAPPORT, BRENT MERRITT, DE L’UNIVER- RÉSOLUTION ? aussi concluante soit-elle, n’est pro- siness et définition de la ligne édito-
L’état des lieux est alarmant et SITÉ GEORGE WASHINGTON, INVITE À S’Y INTÉ- bablement pas généralisable à des riale semble de plus en plus ténue ;
il n’est pas sûr que les solutions RESSER DE PLUS PRÈS. Le mode de sélection des don- publications plus confidentielles. un autre écueil à éviter.
choisies soient adaptées. nées à prendre en compte est Mais elle arrive à une heure où toute
donc perfectible. S’il ne s’agit raison d’être optimiste pour le secteur
calcul est le résultat d’une simple habi- pas de renoncer à toutes les données est la bienvenue.
ONE-SIZE-FITS-ALL tude et d’une domination historique de mesurant les volumes, Brent Merritt re-
Google Analytics et d’Adobe Omniture. commande dans son rapport d’enrichir
Jusqu’ici, le calcul des revenus publi- Leaders du marché, c’étaient à l’époque la grille d’analyse à l’aide d’autres don- TOO BIG TO CHANGE ?
citaires était essentiellement fondé sur les seules données dont ces outils d’ana- nées, fondées sur l’attention des lec-
les volumes de clics (cost per click), lyse disposaient. Elles ont ensuite été teurs. Du point de vue des annonceurs, Si les lacunes du système actuel sont
de vues (cost per view) ou de visites adoptées par tous. cela leur permettrait d’optimiser leurs de plus en plus criantes, force est de
uniques sur une page (cost per mille). investissements et de maximiser l’impact constater néanmoins quelques réti-
Mais sont-ils représentatifs de l’attitude Ce modèle est néanmoins fragile. Quand de leurs campagnes. Du côté des titres cences face aux évolutions possibles
des internautes sur une page web ? Pas on sait que 56% du trafic web est impu- de presse, cela leur permettrait de savoir et même recommandées. Un change-
vraiment. table aux bots et que 54% des encarts ce qui intéresse en premier lieu leurs lec- ment doit s’opérer dans les mentali-
publicitaires achetés sont en fait invi- teurs. tés, tant du côté des annonceurs que
Rares sont les lecteurs qui lisent ef- sibles pour l’internaute, ces (trop) rares de la presse. Le succès d’un papier ne
fectivement un article de bout en bout. investissements faits par les annonceurs Cette solution était impossible à mettre serait plus fondé surtout sur les clics et
Ce n’est pas un hasard si l’édition US de sur les journaux en ligne plutôt que sur en place au début de la monétisation les vues, mais bien sur l’engagement
Slate affiche le temps de lecture estimé Google ou Facebook ne sont même pas des contenus sur internet, mais la donne réel du lecteur, à savoir, et avec humilité,
pour un article. Chaque seconde compte, assurés d’être rentabilisés. Face à la change. Chartbeat permet ainsi aux jour- le simple fait qu’il l’ait lu jusqu’au bout.
l’information doit être délivrée rapide- fraude, le système de la publicité digitale nalistes de suivre en temps réel, depuis
ment à un lecteur qui se lasse très vite. est un château de cartes qui menace sé- un tableau de bord, l’attitude des lecteurs Reste à garder en tête que le travail de
Ce choix des volumes comme base de rieusement de s’écrouler. face à un article. L’engagement de l’inter- journaliste ne doit pas être guidé par

58 59
DE
L’INCITATION
DOUCE rien inventé : s’inspirant des travaux de
Richard Thaler et Cass Sunstein, pères
de la théorie du nudge, ils ont compris
qu’en manipulant l’architecture des
choix dans leurs menus et en « gami-
diction aux réseaux sociaux quand ils
sont conçus précisément pour pirater
nos cerveaux et nous rendre accros ?
Quelle place les sciences de la per-
suasion laissent-elles réellement à
Et en effet, les designers semblent bien
être les seuls à même de réinjecter un
peu d’éthique dans les GAFA. Avec des
utilisateurs ignorant bien souvent tout ou
presque du fonctionnement des plate-

À LA MANIPULATION INSIDIEUSE : fiant » leurs interfaces, ils pouvaient inci-


ter les utilisateurs à passer toujours plus
notre libre-arbitre ? N’est-ce pas aux
plateformes elles-mêmes de se confor-
formes, et une législation perpétuelle-
ment en retard face à des usages chan-

LES DESIGNERS, ARCHITECTES INVISIBLES


de temps en ligne. Le soft power plutôt mer à une morale, une éthique, des va- geant à toute vitesse, une transformation
que la coercition : la Silicon Valley a tout leurs ? top-down, qui viendrait des concepteurs
compris à la manipulation des masses ! des produits, pourrait être salutaire.

DE NOS VIES CONNECTÉES « Don’t be evil », a longtemps scandé le


slogan de Google… avant de se trans-
Aux designers donc de prendre leurs
responsabilités, de questionner leurs
VERS UNE DÉONTOLOGIE former en un plus pragmatique « Do the pratiques et les valeurs qui les guident
DU DESIGN ? right thing ». Signe annonciateur d’un dans la conception de nos interfaces
Par Alexandra Yeh | France Télévisions abandon de valeurs morales, devenues numériques.
Direction de l’Innovation Sauf que de l’incitation douce à la ma- trop encombrantes pour le géant des
nipulation insidieuse, il n’y a qu’un moteurs de recherche ? Impossible à D’autant que l’on sait que la frontière
C’EST DEVENU L’UN DES MARRONNIERS FA- pas. Un pas que certains anciens desi- dire. Mais bonne nouvelle : si les entre- entre monde virtuel et monde physique
Comme le régime, la décon- VORIS DES JOURNALISTES EN MANQUE D’INS- Kahneman sur les biais cognitifs gners de la Valley, aujourd’hui repentis, prises ne s’engagent pas elles-mêmes va continuer de se brouiller pour que, de
nexion ne serait donc qu’une PIRATION : IMPOSSIBLE DE RATER, CHAQUE qui court-circuitent notre cer- estiment avoir allégre- plus en plus, le numérique
question de volonté ? C’est ANNÉE, L’INDISPENSABLE PAPIER SUR LA DIGI- veau et limitent notre rationalité, ment franchi. De plus devienne un phénomène
oublier qu’à des milliers de kilo- TAL DETOX, PASSAGE OBLIGÉ DE L’ÉTÉ POUR les concepteurs de nos réseaux en plus de voix s’élèvent diffus. L’internet ambiant
mètres d’ici, dans les très secrets – SELON LES ÉLÉMENTS DE LANGAGE EN VI- sociaux connaissent tout de nos ces derniers temps est en train de devenir
bureaux californiens des géants GUEUR – « S’ÉLOIGNER DES ÉCRANS » ET « SE faiblesses psychologiques et contre ce kidnapping de une réalité, les écrans
du numérique, une armée de RECONNECTER AVEC LA NATURE ». LES RE- savent les exploiter pour créer notre attention. Parmi disparaissent : notre nou-
designers ne travaille justement PORTERS LES PLUS TÉMÉRAIRES PARTIS EN une véritable dépendance à eux, Tristan Harris, an- velle interface, c’est nous-
qu’à une chose : concevoir des IMMERSION LOIN DE TOUT RÉSEAU 4G RACON- leurs produits. Pire : c’est une cien de Google dont le mêmes ! Aujourd’hui la
plateformes qui monopolisent TERONT AVEC FORCE DÉTAILS LES BIENFAITS dépendance volontaire, et même manifeste « Comment la voix, demain notre corps
le maximum de notre attention DE CETTE MISE AU VERT. APRÈS L’INJONCTION consentie – ce n’est pas Face- technologie pirate votre tout entier avec la réalité
et provoquent des comporte- AU RÉGIME ESTIVAL, L’INJONCTION À LA DÉCON- book qui nous oblige à nous esprit » a fait grand bruit virtuelle sociale. Et avec la
ments d’addiction. Alors certes, NEXION : LES SUJETS CHANGENT, LES DIKTATS connecter cinquante fois par jour, il y a quelques mois, en disparition des interfaces
il ne tient qu’à nous de nous dé- RESTENT. AVEC, TOUJOURS, UNE DIMENSION mais bien nous qui en ressentons détaillant par le menu physiques, l’influence
connecter. Mais c’est aussi aux CULPABILISANTE ET UN REPROCHE IMPLI- le besoin impérieux ! les nombreux ressorts des plateformes numé-
concepteurs de nos interfaces CITE : SI VOUS PASSEZ TROP DE TEMPS SUR LES utilisés par les GAFA riques deviendra de plus
de nous aider à reprendre la main RÉSEAUX SOCIAUX, C’EST DE VOTRE FAUTE. Pour nous pousser à revenir en- pour rendre leurs plate- en plus pernicieuse, car
sur nos usages. core et toujours, inlassablement, formes addictives. De- comment questionner
sur leurs plateformes, Facebook, puis, Harris a créé son ce qui fait partie inté-
core moins le parcours utilisateur que les Twitter et consorts ne se sont pas conten- collectif Time Well Spent, qui milite pour à adopter un comportement éthique, grante de notre quotidien… au point
DES LIGNES DE CODE POUR ingénieurs de la Silicon Valley imaginent tés de concevoir des produits répondant à une consommation raisonnable – et sur- ce sont les designers qui prennent qu’on ne le voit même plus ? Les GAFA
COURT-CIRCUITER NOS pour nous. Même pas caché, leur but est un besoin du marché : ils les ont pensés de tout raisonnée – des réseaux sociaux. conscience de leur pouvoir. Véritables façonnent aujourd’hui nos comporte-
CERVEAUX pleinement assumé : nous faire passer manière à nous inciter, dans leurs méca- architectes invisibles de notre monde ments en ligne : transformeront-ils
le plus de temps possible dans leurs nismes même, à adopter des comporte- De plus en plus, les consciences connecté, ils sont de plus en plus demain notre langage (nous com-
« All code is political », assénait récem- applications pour capter le maximum ments compulsifs. Scroll infini, autoplay, s’éveillent et certains n’hésitent pas à nombreux à se mobiliser pour mettre mencerons tous nos phrases par « OK,
ment le journaliste David Cohn en réponse de notre attention – chèrement revendue « pull to refresh », stimuli (like, retweets, ériger cette « pollution mentale par le leurs compétences au service du bien Google  »), voire notre pensée (pen-
au New York Times qui se demandait ensuite aux annonceurs. partages...), autant de dispositifs qui font numérique » en un véritable problème commun. Un mouvement qui, en France, sons à Neuralink, le projet d’interface
« comment réparer Facebook ». Derrière des réseaux sociaux de véritables ma- de santé publique. Mais alors, à qui la a déjà donné lieu à la première ren- cerveau-machine d’Elon Musk) ? Tristan
la formule accrocheuse, une réalité : tout Pour cela, les designers des plateformes chines à monopoliser notre esprit. Un de- faute ? On évoquait plus haut les injonc- contre « Ethics by design », pour inviter Harris dénonçait le piratage de notre es-
est calculé, rien n’est dû au hasard sur les ont leurs recettes. Élèves assidus des sign de l’attention théorisé et enseigné à tions à la digital détox et leur dimension designers et chercheurs à « envisager prit par la technologie. Réagissons donc
plateformes sociales ; ni la couleur des cours d’économie comportementale et la très sérieuse université Stanford sous culpabilisante : mais sommes-nous la construction des produits numé- avant qu’elle ne pirate aussi notre corps.
interfaces, ni la forme des boutons, en- dignes héritiers des travaux de Daniel le nom de captologie. Car les GAFA n’ont vraiment responsables de notre ad- riques sous un angle éthique ».

60 61
L’AVENIR
DE LA CONFIANCE EN LIGNE
Par Lorraine Poupon | France Télévisions
MédiaLab de l’information

LE PARADOXE EST CRIANT : JAMAIS NOUS


N’AVONS ÉTÉ SI CONSCIENTS DES RISQUES
LIÉS À NOTRE PRÉSENCE SUR INTERNET ET
POURTANT JAMAIS NOUS N’EN AVONS ÉTÉ SI
DÉPENDANTS. ET SI L’ON DOIT RETENIR UNE
L’enjeu de la confiance est loin CHOSE DE L’ÉTUDE CONDUITE PAR LE PEW RE- ceux qui suscitent la méfiance. « confiance par défaut » : l’usage d’Inter- DANS L’OMBRE DU DOUTE
d’être anodin à l’ère de la dé- SEARCH CENTER, C’EST QUE QUELLE QUE SOIT Encore peu connues du grand net continuera d’augmenter sans que la
matérialisation et de la numéri- L’ÉVOLUTION DE NOTRE CONFIANCE EN LIGNE public, elles pourraient se géné- confiance ne progresse pour 28% des Pas une semaine ne se passe sans l’an-
sation. Lorsqu’elle est acquise, AU COURS DE LA PROCHAINE DÉCENNIE, ELLE raliser ; si toutefois les premiers sondés. Le bras de fer entre les GAFA et nonce d’une nouvelle cyber-attaque,
elle permet de faire société, par- NE SERA PAS NÉCESSAIREMENT CORRÉLÉE À exemples à succès font leurs les défenseurs des droits individuels face par un groupe de hackers anonymes
ticipe au bien-être, à la stabilité NOTRE USAGE EFFECTIF DU WEB. preuves, car ils constitueront aux abus de ces géants du web continue- contre une agence gouvernementale ou
politique et au développement pour les novices un cas d’école. rait. C’est le scénario de la résignation même d’un État dans les affaires d’un
économique. À l’inverse, la ques- La possibilité de la désinter- où, bien que conscients des risques, les autre. Pour les sondés restants (24%),
tion posée par le Pew Research Center personnelles avec leurs propres codes. médiation reste toutefois menacée du internautes resteraient passifs et choi- ce climat est la nouvelle norme et va
arrive à un moment où les institutions tra- Plus encore, pour les jeunes généra- simple fait qu’elle n’est pas dans l’intérêt siraient la praticité et le confort que leur même aller en s’empirant.
ditionnelles, gouvernements, médias ou tions qui n’auront pas connu de monde des GAFA. offrent ces outils en ligne. Et que celui qui
système financier et bancaire, s’isolent déconnecté, leur familiarité avec le Internet n’a pas été créé avec cette ques-
progressivement du corps citoyen par web assure leur confiance. tion de la sécurité en tête et a pris une
une fracture qui semble de plus en plus tournure inattendue pour ses créateurs.
irréductible. L’ère du temps est au re- Les États doivent rattraper leur retard et Les intérêts économiques des géants
nouveau et le rôle que jouera internet même anticiper sur le progrès technolo- du web continueraient ainsi à s’opposer
dans notre quotidien va aller grandis- gique en alignant leur législation sur l’en- aux droits individuels. Ces derniers se-
sant. Cela, aucun des experts interrogés jeu de la protection des données. raient même voués à perdre cette partie
ne le nie. Toutefois, trois tendances se de bras de fer, le monopole des GAFA
distinguent dans l’issue possible. S’ils sont optimistes, ceux qui croient en ce qui concerne la concentration des
en l’augmentation de la confiance sont données permettant la surveillance de
néanmoins lucides : la vigilance reste masse au nom de la raison d’État.
EN DEHORS DU WEB, POINT nécessaire et il n’est pas question de
DE SALUT faire preuve de naïveté face aux enjeux Si l’optimisme est la voie choisie par la
et aux risques inhérents à une présence majorité des sondés, on peut toutefois se
Pour 48% des personnes interrogées, accrue sur le net. L’éducation sur ces demander si ces derniers sont représen-
c’est cette voie qui sera empruntée : la questions reste un défi, pour être tatifs de l’attitude qu’adoptera l’ensemble
confiance va progresser, parallèle- conscient des risques au-delà des des internautes. Conscients des en-
ment donc, à la dépendance à l’égard avantages et avoir un usage raisonné jeux, des risques mais aussi et surtout
d’Internet. Cela sera le fait d’un effet de des outils à disposition. des promesses qu’offre une société
rattrapage aussi bien technologique que nouvelle et connectée, ils connaissent
légal et institutionnel. Le cryptage des et même établissent ses règles renou-
données va se généraliser. Avec les sys- « DIY WORLD » velées. Dès lors, leur optimisme n’est-
tèmes de vérification de l’identité, l’exis- il pas résigné plutôt qu’éclairé ?
tence en ligne sera plus sécurisée. Les « blockchains » ont, à cet égard, un
grand rôle à jouer. Ces bases de don-
Et cela dépasse la seule nécessité. Si nées cryptées intègrent un historique
effectivement, certains services ne des transactions visible par chacun des n’a jamais coché la case « J’ai lu et j’ac-
seront bientôt plus disponibles qu’en utilisateurs d’un réseau prédéfini. Elles INTERNAUTES RÉSIGNÉS, LA cepte les termes et conditions » sans les
ligne et qu’il sera donc impossible sont inaccessibles pour tout individu CONFIANCE PAR DÉFAUT avoir effectivement consultés leur jette la
d’utiliser une porte dérobée, Internet a extérieur. Elles permettent aux inter- première pierre !
donné naissance à de nouvelles commu- nautes de prendre leur indépendance La deuxième tendance développée par le
nautés et à de nouvelles relations inter- vis-à-vis des intermédiaires qui sont Pew Research Center est le temps de la

62 63
DONNEES
PERSON-
NELLES JAMAIS JUSQU’À
PRÉSENT UNE
HOME SWEET GOOGLE HOME

Par Lorraine Poupon | France Télévisions


POIGNÉE DE GENS ET
D’ENTREPRISES N’ONT
MédiaLab de l’information

PLUS PERSONNE NE S’ÉTONNE DE VOIR UN


L’OREILLE DE GOOGLE BOUT DE SCOTCH POSÉ SUR LA WEBCAM UNE INTELLIGENCE

FAÇONNÉ CE QUE
À DOMICILE D’UN ORDINATEUR POUR SE PROTÉGER DES ARTIFICIELLE ENCORE
COUPS D’ŒIL INDISCRETS EN PROVENANCE TRÈS LIMITÉE
C’est que le Google Home a des DIRECTE DE LA SILICON VALLEY. PARANOÏA ?
atouts considérables. Il jouit d’une NON, SIMPLE PRÉCAUTION VOUS DIRA-T-ON. Si malgré cela on accepte de

PENSENT ET RESSENTENT
réputation qui s’est construite MAIS ALORS, POURQUOI INTRODUIRE L’AS- passer le cap, il faut s’attendre
depuis sa sortie sur le marché SISTANT VOCAL MADE IN MOUNTAIN VIEW AU à quelques surprises quand les
américain, en octobre 2016. Le CŒUR DE SON FOYER ? algorithmes rencontrent leurs
logiciel, désormais adapté aux propres limites. Il est encore dif-

UN MILLIARD DE
spécificités culturelles et linguis- ficile d’enchaîner des questions
tiques françaises, est prêt à répondre à la depuis un gestionnaire d’historique. Et en contexte ou de comparer des don-
moindre de vos questions, de la plus terre- d’ajouter que si l’écoute est continue, les nées. C’est probablement là que réside
à-terre à la plus complexe. Du moins, sur données ne sont transmises que lorsque la plus grande marge de progression

PERSONNES CHAQUE
le papier. Recettes, flashes info, agenda la demande commence par la formule dé- de l’appareil. Il faudra attendre quelques
interactif, musique ou mobilier connecté : sormais magique « OK Google ». Heureux mois pour voir si les utilisateurs français
toutes ces informations sont à portée de ceux qui croient sans avoir vu ? trouvent un réel intérêt à ce service que
voix. C’est ce qui ressort de la majorité certains considèrent comme un gadget.

JOUR PAR LES CHOIX


des tests produits publiés depuis sa sor- Inviter le Google Home à pénétrer chez
tie  : les micros de l’appareil sont très soi revient donc à accepter un énième mi- Et si vous hésitez encore entre Google
performants. Et c’est là où le bât blesse. cro dans son domicile, une oreille qui, et Home et Echo, la version Amazon de l’as-
c’est de notoriété publique, a tendance à sistant à domicile, l’agence numérique

QU’ILS FONT DEPUIS


Si elles paraissent relativement infor- traîner là où on l’attend le moins. Certaines Stone a effectué un test comparatif pour
melles grâce à « l’intelligence artificielle » marques comme Burger King ou Amazon savoir lequel des deux était le plus per-
de Google formatée pour le langage na- ont même pris le parti d’en jouer en acti- formant. Le premier a répondu correc-
turel, l’intégralité des interactions avec vant le micro dans leurs campagnes télé- tement à 89,5% des questions face à

LEURS ÉCRANS.
votre assistant est enregistrée. Le géant visées. 86,9% pour son concurrent. Alors entre
du web plaide la transparence en expli- la peste le choléra en matière protection
quant qu’elles sont toutes accessibles de la vie privée, on vous laisse choisir !

Tristan Harris | Ex Google engineer


« Brain Hacking »

64
PREND
-DRE
SES
RESPONSABILITÉS

& POST-VÉRITÉ :
DÉMOCRATIES
À L’ÉPREUVE
MEDIAS :
10
STRATEGIES
POUR RÉSISTER AUX GAFA
Par Barbara Chazelle | France Télévisions
MédiaLab de l’Information

LES GAFA DÉVELOPPENT AUJOURD’HUI


DES STRATÉGIES POUR PROFITER DES
Mais cela sera insuffisant pour QUELQUE 200 MILLIARDS DE DOLLARS QUE L’innovation technologique est 2. ÊTRE « SOCIAL » 3. INVESTIR DANS LA 4. … ET PROPOSER DES
résister aux voraces géants. PÈSE LE MARCHÉ TV AU NIVEAU MONDIAL. évidemment essentielle. Mais CRÉATION ORIGINALE, OFFRES PREMIUM OTT
Aux États-Unis (qui ont toujours COMME LE RAPPELAIT GUILLAUME POSCH toujours au service des conte- La présence des médias traditionnels SURTOUT DANS LES SÉRIES Internet a fait exploser les frontières
trois à cinq ans d’avance sur les (CO-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE RTL GROUP) nus, qui restent le cœur de mé- sur les réseaux sociaux rajeunit leur « Le problème pour une chaîne li- de l’audiovisuel et aujourd’hui tout
marchés européens), la durée QUI INTERVENAIT AU COLLOQUE NPA/LE tier des médias. audience, mais offre aussi de multi- néaire comme Canal, c’est qu’elle doit le monde peut mettre un contenu en
d’écoute média progresse sur FIGARO CETTE SEMAINE À PARIS, LA TÉ- ples contacts quotidiens. Les médias investir dans le cinéma et le sport. Il ligne… et toucher des revenus en
tous les supports, sauf sur le LÉVISION LINÉAIRE PRÉSENTE ENCORE « Notre cœur de métier c’est doivent s’adapter à ce nouveau mode lui faudrait quasiment doubler l’in- contournant les intermédiaires tradi-
poste de télévision non connecté. QUELQUES INTÉRÊTS POUR UN GROUPE le contenu et non la tech. Mais de consommation en « snacking », vestissement pour ajouter une offre tionnels.
MÉDIA : LES CONTENUS GRATUITS GÉ- nous devons être des spécia- par petites doses mais tout au long de de séries en OTT », a déclaré Hervé
NÈRENT UNE FORTE ADHÉSION DE L’AU- listes en agrégation de tech- la journée. Cela permet de tisser une Payan (CEO, HBO Europe). Selon Valéry Gerfaud, (directeur des in-
DIENCE («  NOTHING BEAT FREE »), LES nologies. La GAFA pillent nos relation plus intime avec ses publics, Or aujourd’hui, l’attractivité des offres novations technologiques numériques,
PROGRAMMES SPORTIFS ET LES DIRECTS contenus, on ne va pas se gê- voire chaque utilisateur, pour qui sait premium se mesure au volume de sé- M6), l’OTT présente deux enjeux ma-
ÉVÈNEMENTIELS FÉDÈRENT TOUJOURS, ner pour leur piquer leurs tech- exploiter ses données. ries. jeurs :
AINSI QUE LA DIMENSION NATIONALE VOIRE nologies ! » a déclaré Bernard Selon Patrick Walker (directeur des En Scandinavie, où 7 à 8 millions de • l’amélioration de l’expé-
RÉGIONALE DE CERTAINS PROGRAMMES. Marchand (Rossel) partenariats médias EMEA chez Face- foyers (sur 11 millions) ont souscrit à une rience utilisateur, pas assez fluide sur
book), la vidéo représentera 75% du offre SVOD, Netflix et HBO proposent à les box opérateurs et lente à faire évo-
Concernant les contenus d’in- trafic de Facebook dans 5 ans. Mais eux deux près de 100 nouvelles saisons luer,
« Nos concurrents sont globaux, qu’ils pro- 1. EXPÉRIMENTER DE formations, le PDG de l’AFP, Emma- que toucheront les éditeurs ? Difficile à chaque année. Soit 2 nouvelles séries • l’accès aux données utilisa-
posent une offre linéaire ou non linéaire », NOUVEAUX FORMATS nuel Hoog, tire la sonnette d’alarme. dire… Seuls ceux qui auront atteint une par semaine ! « En France, il n’y a pas teurs, jalousement gardé par les FAI.
a déclaré Guillaume de Posch. Mieux vaut Les rédactions ont été paupérisées : masse et un reach suffisants pourront d’offre ! » a conclu Hervé Payan.
éviter de se rassurer avec les seules au- Aujourd’hui, les contenus ne se can- les journalistes ont été reportés sur monétiser convenablement leur offre. « On développera moins d’offres OTT
diences Médiamétrie, et plutôt s’attaquer tonnent plus aux traditionnels longs le live mais les titres d’analyse dimi- Certains s’impatientent déjà... si on peut accéder aux données opé-
aux multiples fronts de l’accélération nu- formats de 30 ou 60 minutes. Le numé- nuent dans le monde. Le paysage de la rateurs de consommation TV. (…)
mérique. rique permet une plus grande souplesse production d’information est « émietté et Le sujet de la data remet du piment
et la créativité explose dans les « short boursouflé » : dans les discussions éditeurs-opéra-
forms ». « Il y a de plus en plus de producteurs et teurs ! », a-t-il déclaré.
de moins en moins de cartes de presse,
RTL Group, qui se revendique leader de plus en plus de contenus mais d’une
mondial en agrégation de chaînes You- extrême redondance. À l’échelle mon- 5. INVENTER DES MODELES
Tube, estime à 42 000 le nombre de diale, sur une journée, seule 40% de HYBRIDES
créateurs de contenus au sein de son l’offre est originale. »
MCN, dont certains influenceurs font D’un point de vue business, l’ouverture
exploser les compteurs de vues comme du marché n’a pas que des mauvais cô-
Zoella , Fernanfloo ou El Rubius (respec- tés. Les producteurs ont accès à de
tivement 12, 24 et 26 millions d’abonnés). nouveaux acheteurs. RTL Group s’est

68 69
ainsi félicité d’avoir pu vendre sa série PROGRAMMATIQUE « Le global est une évidence mais le régulièrement pour intégrer de nouvelles « Il n’y a aucune raison de n’avoir que
American Gods, produite par Fremantle- local persiste. Le mode de distribution plateformes OTT (Molotov en septembre deux blocs, les GAFA d’un côté et les
Media, à la chaîne américaine Starz et à « Le futur de la TV sera en partie en n’est pas si global que ça, cela concerne dernier, MyCanal prochainement). Chinois de l’autre. Mais en France, il y
Amazon Prime Video. vente directe » selon Guillaume de uniquement les pays matures. » a un vide total sur un « soft power » à
Selon Guillaume de Posch, « il faut da- Posch qui conseille aux médias d’être Pour la SVOD, Médiamétrie espère pro- la française », qui ne doit d’ailleurs pas
vantage de modèles hybrides » et l’offre plus « mad men » dans leur relation aux Pour la musique, « 60% des produits poser un outil d’ici à la fin d’année, à venir uniquement des pouvoirs publics, a
6Play mélangera bientôt gratuit et payant. annonceurs et plus « math men » dans consommés sont locaux dans le monde. l’instar de Nielsen aux États-Unis depuis déploré Emmanuel Hoog.
De même pour la production, il est urgent l’exploitation des données. Pour cela, Selon les cultures et les pays, cela peut octobre.
de se tourner vers des modèles de fi- RTL Group a acquis il y a quelques mois être plus important encore, comme en
nancements alternatifs. À l’heure des 100% du capital de la plateforme de vidéo France ou au Japon. » Quant aux jeux, 10. VALORISER LES TALENTS
plateformes mondiales, la coproduction programmatique SpotX, et détient égale- l’offre est certes mondiale mais les ...ET LA RÉGULATION
internationale est une option sérieuse à ment Smartclip depuis 2016. deals sont locaux, passés avec les tel- Dernière stratégie, loin d’être anecdo-
considérer. L’utilisation de la donnée doit néanmoins cos nationaux, et certaines fonctionnali- Quant à la régulation, les médias at- tique, celle de la valorisation des talents.
être réfléchie. Bernard Marchant (admi- tés sont adaptées pour mieux coller à la tendent que la puissance étatique se ré- Une véritable guerre sévit : il est de plus
nistrateur délégué du groupe Rossel) culture des utilisateurs selon les pays. veille. en plus difficile d’attirer ou de garder
6. NE PAS METTRE SES ŒUFS préconise à l’industrie médias de « tra- « Il est très important d’avoir des les jeunes talentueux maîtrisant les
DANS LE MÊME PANIER vailler sur un modèle de contextualisa- centres de production dans différents « L’État n’aurait bientôt plus d’argent à nouvelles technologies dans l’industrie
tion de la pub plutôt que sur le retarge- pays, pas uniquement où l’on a des nous donner. On attend de lui qu’il soit des médias. Il est important de leur offrir
Pour survivre, une stratégie de diversifi- ting » appliqué par les GAFA qui est très avantages fiscaux », a-t-il insisté. un régulateur, notamment en termes de la mobilité en interne, au niveau natio-
cation est essentielle. désagréable pour nos lecteurs. « Pour être mondial, il ne faut pas faire de politique fiscale, et non des aides nal et international, et de savoir les écou-
« Un modèle économique unique n’est un produit aseptisé mais assumer ses directes, ce qui est sain pour notre ac- ter et leur confier des responsabilités.
pas suffisant » pour RTL Group qui bases, sa différence », a assuré Gé- tivité de médias d’information. Au nord À bon entendeur…
souhaite aller vers le « Total Video » en 8. ADOPTER LA GLOBAL rald-Brice Viret (EVP Canal+) pour qui de l’Europe, l’État ne donne pas d’aide
multipliant les joint-ventures, les achats ATTITUDE la french touch est un réel argument de mais il est le premier annonceur, ce qui
d’actifs, les achats organiques (comme vente à l’international. est un partenariat beaucoup plus dyna-
Golden Moustach) et les achats d’outils L’offre de chaînes a explosé en quinze mique », selon Bernard Marchant.
publicitaires. ans, avec des concurrents non plus na- Quant à la monétisation, chaque marché Eric Peters (conseiller à la Commission
La billeterie d’évènements, le développe- tionaux mais globaux. développe sa stratégie. « Il commence à y européenne) estime que l’Europe peut
ment de solutions marketing innovantes avoir des demandes pour des campagnes jouer un rôle important si elle est unie au-
et natives (sans implication des équipes Néanmoins, une « stratégie 100% inter- de publicité mondiales, mais très peu en- tour de valeurs communes, notamment
éditoriales) ou encore l’offre formation nationale de contenus serait une fausse core car la stratégie des annonceurs sur la création de standards en matière
(MOOC) sont autant de pistes à explorer. bonne idée » selon Arnaud Métral (ma- reste locale », selon Arnaud Métral. de protection de la vie personnelle ou en-
naging director, Webedia). Les éditeurs core de neutralité du net. L’Europe doit :
doivent s’adapter aux sensibilités locales
avec une approche technologique com- 9. MODERNISER LES • réussir son passage à la 5G
mune aux différents marchés. « Il est pos- INDICATEURS... (il manque encore 150 milliards d’euros !)
sible de réaliser des économies d’échelle pour pouvoir construire et proposer des
sur la plateforme de distribution  », a-t-il Pour avancer dans la bonne direction, produits numériques à forte valeur ajou-
précisé. l’industrie audiovisuelle en particulier doit tée,
pouvoir y voir clair. Or les indicateurs • assurer que les règles et les
Même constat dans l’industrie musicale fournis par Médiamétrie sont désor- contraintes soient les mêmes pour tous
ou celle du jeu vidéo, représentée lors mais insuffisants pour appréhender les acteurs,
du colloque par Stéphane Roussel (COO les évolutions du marché de la vidéo. • se préparer aux échanges de
Vivendi / CEO Gameloft) : Sans parler des usages des 10-13 ans, données et à leur utilisation.
quasiment intraçables.
Selon Julien Rosanvallon (Médiamétrie),
7. DÉVELOPPER LE la mesure d’audience TV 4-écrans évolue

70 71
NOUVEAUX
OUTILS
GAFA, ALGORITHMES:
QUEL FUTUR POUR LE JOURNALISME?
Par Éric Scherer et Barbara Chazelle |
France Télévisions
MédiaLab de l’Information
Dans un monde de plus en plus Article publié par 1. LE DÉFI ÉDITORIAL : consiste à trouver l’équilibre entre la faut au contraire apprendre à travailler 3. LE DÉFI DE L’INNOVATION :
technologique, complexe, chan- The European Journalism Observatory (RÉ)AFFIRMER UNE programmation éditoriale, la recom- en bonne intelligence avec les plate- OSER SE REMETTRE EN
geant, chaotique, le futur de l’in- IDENTITÉ ÉDITORIALE mandation sociale et la recommanda- formes, nouer des partenariats, discu- QUESTION
formation passe désormais par INNOVER POUR FAIRE FACE À LA COMPLEXI- tion algorithmique, car la personna- ter, savoir dire non aussi.
de nouveaux formats narratifs TÉ, OSER TIRER PARTI DES NOUVELLES A trop vouloir s’adapter aux lisation ne doit pas se faire au prix de Les revenus publicitaires numériques Contrairement aux idées reçues, l’inno-
visuels, par le design de services TECHNOLOGIES ET DE LA MULTIPLICATION contraintes éditoriales imposées la découvrabilité, de plus en plus com- sont désormais supérieurs à ceux de la vation est davantage un enjeu humain
– et pas seulement de contenus DES ACTEURS, REPENSER LA MONÉTISATION par Google et Facebook notam- plexe dans un monde de profusion. pub TV : c’est un bon signe. Ceux issus que technologique. Un mécanisme clé
– enfin conformes aux besoins DE L’INFORMATION, TOUT EN COMPOSANT ment, nous en avons perdu notre des plateformes sont néanmoins en- du numérique revient à casser les si-
d’une société en pleine mutation. AVEC LES GÉANTS DU NUMÉRIQUE, VOILÀ CE identité éditoriale. À quelques Par ailleurs, la création de bases de core faibles ; mais n’oublions pas que los, travailler de manière collaborative
QUE PRÉCONISE ÉRIC SCHERER, QUI S’EST exceptions près (émanant sou- données de contenus d’information est celles-ci sont encore jeunes, 10 ans et miser sur l’intelligence collective.
Dans cette transition, les journa- EXPRIMÉ À METZ, LE 20 OCTOBRE 2017, DANS vent des pure players), nous pro- une brique essentielle pour l’automati- tout au plus. (Voir graphique) Les journalistes vont devoir apprendre
listes doivent – s’ils veulent conti- LE CADRE DE L’ÉVÈNEMENT INAUGURAL DU duisons des contenus trop peu sation de la production. Les journalistes à travailler avec les autres métiers,
nuer d’avoir un impact sur une RÉSEAU ARPPEJ. différenciés pour être identifiés sont déjà assistés par de nouveaux ou- Autre tendance encourageante, les édi- des designers, des développeurs, des
société de plus en plus défiante et toucher les communautés dé- tils dopés aux algorithmes, à tous les teurs semblent avoir trouvé le courage spécialistes de l’analyse sémantique…
envers les médias – accepter sormais connectées. stades de la fabrication de l’informa- de s’affirmer. Côté régies, on a vu il y a et passer « en mode projet ». Cela im-
des modifications profondes de leur ma- de la vérité, indépendance, transparence tion : de la vérification des contenus à la quelques mois des rapprochements plique de revoir certaines méthodes de
nière de raconter et de faire comprendre et respect de la vie privée sont plus que Avec la montée en puissance des médias rédaction, en passant par la hiérarchi- (Skyline et Gravity) témoignant d’une travail, de trouver les bons outils, de ne
le monde, afin de mieux éclairer la démo- jamais nécessaires pour regagner la de précision, les médias traditionnels ne sation de l’information. volonté de reprendre le contrôle de la pas avoir peur de tester et d’échouer.
cratie, voire de l’inspirer. confiance des citoyens. peuvent plus se contenter d’envoyer le pub. Exemple marquant supplémen-
même contenu à tous : notre audience Enfin, les machines doivent être vues taire, le retrait d’Instant Articles de nom- Pour rester compétitifs, les médias
Ils doivent non seulement utiliser bien À l’heure du mobile, de la vidéo, des nouvelles est beaucoup plus fragmentée selon ses comme des aides au journalisme, pas breux éditeurs insatisfaits de la diffusion doivent plus que jamais se tourner vers
plus énergiquement les outils numé- plateformes internet, des algorithmes, des centres d’intérêts, ses critères géogra- des remplaçants ! Elles viennent en de leurs contenus. En conséquence, l’extérieur, collaborer avec des startups
riques et les nouvelles technologies, réalités altérées, des fake news, de l’intelli- phiques, son âge ou encore sa profes- complément de la force de travail hu- Facebook a soudain fait preuve de plus agiles qu’eux, mais aussi des uni-
mais aussi accepter de repenser la ma- gence artificielle, les médias d’information ont sion. Chaque plateforme exige donc un maine, pour effectuer des tâches qui créativité et a proposé un modèle basé versités et peut-être même d’autres
nière dont ils conçoivent leur rôle, de à relever trois défis majeurs : format, une forme narrative, un ton dif- n’étaient pas prises en charge par les sur l’abonnement. Tout reste à faire, médias.
partager leur mission, de collaborer dans férent et parfois même une technologie rédactions. Les robots permettront de mais ce cas a le mérite de mettre en lu-
des processus qui font leur preuve dans • affirmer une identité éditoriale, spécifique. Dans tous les cas, les outils libérer du temps de travail aux journa- mière les effets positifs d’une démarche Le sujet des boîtes noires algorith-
le monde des startups. • inventer de nouveaux modèles doivent rester au service de la narration listes pour des tâches plus qualifiées à volontariste. miques pourrait bien être un terrain
d’affaires, et non l’inverse ! haute valeur ajoutée. d’entente entre ces différents acteurs.
• oser innover. Enfin, rien n’empêche les médias d’in- Les médias et les journalistes sont les
CHANGER POUR Les médias doivent aus- nover par eux-mêmes en matière de partenaires légitimes des universités
PERSISTER si apprendre à exploiter 2. LE DÉFI DE LA monétisation, à l’instar de Blendle, pour les aider à travailler sur l’intero-
les données pour mieux MONÉTISATION : l’iTunes de la presse, ou de De Corres- pérabilité des modèles de machine
Les outils changent, pour connaître et adresser TRAVAILLER EN BONNE pondent, plateforme « d’auteurs » sans learning, soutenir les initiatives de nos
s’adapter aux usages et aux leurs publics, ce qui ne INTELLIGENCE AVEC LES publicité. La sélection des projets de la gouvernants face aux GAFA et affirmer
nouvelles techniques de pro- manquera pas d’avoir un PLATEFORMES Google Digital News Initiative devrait la nécessité de plus de transparence
duction, mais les fondamentaux impact sur les audiences être particulièrement inspirante, car l’un en informant et sensibilisant aussi le
restent les mêmes ; recherche et les revenus. Le défi La plateformisation de notre économie des critères principaux, cette année, public à ces questions.
ne fait que commencer, et la straté- est l’innovation en termes de modèle « It was the best of times, it was the
gie de la ligne Maginot face aux GAFA d’affaires. worst of times. »
(Google, Apple, Facebook, Amazon)
nous semble être utopique. Il nous

72 73
L’OPEN
SOURCE,
UNE ALTERNATIVE AUX GAFA ?
Par Nathalie Pignard-Cheynel | Professeure
en journalisme numérique
Académie du journalisme et des médias,
Jamais l’époque n’a été aussi difficile université de Neuchâtel
pour les journalistes.
Difficile, car ils sont chamboulés par Parmi les pistes évoquées, DEPUIS QUELQUES MOIS, LE MONDE JOURNA- Les GAFA n’y sont pas étrangers,
une société, qui, plus avide de tech- celle de l’open source, avec LISTICO-MÉDIATIQUE DÉCOUVRE AVEC EFFROI loin de là. Drainant l’essentiel de
nologies, a modifié sa manière de s’in- des outils spécifiquement L’EMPRISE, CONSTRUITE PROGRESSIVEMENT, l’audience des sites d’informa-
former, et leur fait moins confiance. Ils pensés pour les rédactions et DES GAFA SUR LA DIFFUSION DE L’INFORMA- tion, ils sont une pièce centrale
sont aussi souvent déstabilisés par les développés en leur sein ou à TION ET SA MONÉTISATION. VICTIMES PLUS OU de l’équation numérique. Selon
géants du web qui sont venus s’interca- travers des collaborations (in- MOINS CONSENTANTES, PARFOIS ACTEURS À Parse.ly, Facebook et Goo-
ler entre eux et leur audience en colpor- ter-médias, avec des startups, PART ENTIÈRE DU SYSTÈME (VOIR L’ENQUÊTE gle représentent à eux deux
tant infos vraies et infos bidons. voire la recherche académique). DE NICOLAS BECQUET DANS CE CAHIER), LES près de 80% du trafic externe
Cette piste prometteuse né- MÉDIAS FONT DORÉNAVANT PARTIE DE CET des sites d’information ; sans
Mais aussi enthousiasmante et inédite : cessite toutefois un préalable  : ÉCOSYSTÈME PILOTÉ PAR LES GÉANTS DU NU- compter la part grandissante
jamais comme aujourd’hui, un journa- accepter de saisir à bras-le- MÉRIQUE. ET SONT SOUMIS À DES RÈGLES QUI d’AppleNews dans les au-
liste n’a été en mesure de converser corps la question technique, CADRENT, INFLUENCENT MAIS ÉGALEMENT diences mobiles.
directement avec la société ; et sur- et surtout questionner la dé- CONTRAIGNENT LEUR ACTIVITÉ. APRÈS LE
tout, associé à une poignée de déve- pendance dont font preuve CONSTAT ET LA PRISE DE CONSCIENCE, VIENT Cette dépendance trouve ses
loppeurs, n’a été en mesure de bâtir nombre de médias à son égard. LE TEMPS DE LA RECHERCHE D’ALTERNATIVES. origines dans une soumission
son propre média d’information aussi Cela ne va pas de soi : davantage L’IDÉE N’EST PAS DE FAIRE DU JOUR AU LEN- à des exigences d’ordre tech-
facilement. À condition d’avoir la bonne présenté comme une activité in- DEMAIN SANS LES INFOMÉDIAIRES MAIS DE nique, qui se muent insidieu-
idée et un vrai penchant pour les nou- tellectuelle, le métier de journa- DESSERRER L’EMPRISE, DE RETROUVER DES sement en préconisations
veaux outils numériques. liste est peu pensé dans sa ma- MARGES DE MANŒUVRE, ET D’INVENTER DES éditoriales, voire marketing.
térialité technique, réduite dans MODÈLES TECHNIQUES PROPRES. Guillaume Sire a bien montré
l’imaginaire collectif à un calepin comment Google a progressive-
et un stylo. Souvent mise à dis- ment façonné un type de titraille
tance, la technique est donc peu valori- sur les sites d’information, conduisant à
sée voire mésestimée, à l’image des jour- une standardisation extrême de l’écri-
nalistes web qui, malgré (ou à cause de) PENSER (LA DÉPENDANCE À) ture. Cette codification, dictée par les lo-
leurs agilités numériques, sont souvent LA TECHNIQUE giques de SEO, s’est rapidement accom-
considérés comme les parents pauvres pagnée de choix éditoriaux – nombreux
du journalisme. La question de l’indépendance est sou- sont les sites qui ont fait évoluer leur offre
vent avancée comme un enjeu central du numérique en visant prioritairement un
Pourtant, interroger le rapport à la tech- journalisme : indépendance vis-à-vis des « bon » référencement chez Google) – et
nique, sa place et ses effets ne signifie actionnaires, des sources, des commu- d’organisations spécifiques au sein des
pas tomber dans une fascination ou un nicants, etc. Plus rarement pose-t-on la rédactions – comme le recrutement de
déterminisme, honnis tant des journa- question de l’indépendance technique. spécialistes en référencement. La même
listes que des académiques. Il s’agit plu- Cela devient pourtant une problématique partie se joue quelques années plus tard
tôt de considérer la technique comme cruciale dans une société et une pro- avec Facebook. Pour obtenir les faveurs
une construction sociale, intrinsèque- fession immergées dans le numérique, de l’algorithme, il faut se soumettre à ses
ment liée aux dimensions politiques, où les technologies, omniprésentes, in- exigences techniques : adopter certains
économiques et éthiques qui façonnent vestissent la production, la diffusion et formats (si possible natifs de Facebook
également la pratique journalistique. l’usage de l’information. comme le live, la vidéo ou les Instant Ar-

74 75
ticles), ce qui transforme progressive- ambitions économiques des GAFA) té via des plateformes comme Github. dise Papers. De telles synergies visent parce que l’outil utilisé (souvent en ligne
ment l’offre éditoriale pour la faire coller peuvent, à bien des égards, être rap- En Suisse, c’est le cas du Temps qui a à réfléchir collectivement sur des pro- et doublé d’un service d’hébergement)
à ces « recommandations ». prochées de l’idéal journalistique : mis en place depuis quelques années blématiques contemporaines du journa- a disparu, est devenu payant, etc. Sans
le service de l’intérêt général, la parti- une « toolbox » constituée d’outils et lisme (les fake news, le lien avec le public, compter les problèmes que pose ce type
Pour certains médias qui ont fait le cipation au dynamisme démocratique, de canevas éditoriaux créés sur me- etc.) et d’essayer d’y apporter des ré- de solution externalisée pour la compta-
choix radical d’une existence exclusi- une visée sociétale. La nécessité d’une sure pour les formats numériques les ponses à travers des outils libres. Citons bilisation de l’audience, ou même la com-
vement réduite à ces plateformes, l’en- collaboration entre les sciences infor- plus utilisés (long form, timeline, dia- par exemple le Coral Project qui regroupe patibilité technique avec le CMS utilisé
jeu est encore plus grand. Chez Brut, matiques et le journalisme s’inscrit, elle, porama, etc.). Une méthode qui per- différents médias (dont le Washington par le média.
MinuteBuzz ou Kapaw, pas de site dans la figure du journaliste hacker née met de s’affranchir des contraintes Post et le New York Times), des univer-
web. Ces pure players ont abandonné aux USA dans les années 1980 ou plus et ressources techniques liées à la sités et la fondation Mozilla. L’ambition L’open source peut donc être envisa-
toute velléité de présence en propre anciennement encore dans la tradition création systématique de nouveaux est de mener une réflexion et d’appor- gé comme un contre-modèle, voire un
sur le net et ne vivent qu’à travers les du « computer-assisted reporting  » formats. Même logique pour la NZZ, ter des réponses concrètes à la crise acte de résistance à l’encontre des
différentes plateformes pour lesquelles (apparue dans les années 1950 et sou- toujours en Suisse mais côté aléma- de confiance envers les journalistes, et tout-puissants GAFA. Gageons qu’il
ils produisent à chaque fois des conte- vent présentée comme prémice du da- nique, qui développe une boite à outils de favoriser échange et participation soit également un catalyseur d’in-
nus sur mesure. tajournalisme). de storytelling. avec les lecteurs. Une interface de com- novations en poussant les médias à
• Dans une perspective plus mentaires entièrement personnalisable s’interroger sur la technique, à se sai-
Ajoutons au tableau que la plupart de L’open source fait donc sens mais le intégrée, certains médias tendent à (baptisée « Ask ») est ainsi en cours de sir pleinement de son potentiel et à le
ces plateformes et les algorithmes qui chemin est encore long. Au quotidien, implémenter de manière systématique test sur le site du Washington Post. faire en intégrant dans la réflexion les
les régissent sont des systèmes pro- nombre de journalistes utilisent (par- des outils open source, au niveau premiers acteurs concernés, les jour-
priétaires et verrouillés sur eux-mêmes fois sans le savoir) des solutions ou même de leur workflow et de la ges- nalistes.
(plus encore dans leurs versions mo- logiciels libres. De Wordpress à Time- tion de leurs contenus. L’un des prin- L’OUTIL AU SERVICE
biles), mettant à mal tous les idéaux qui line JS en passant par des logiciels de cipaux acteurs de ce type de solution DE L’ÉDITORIAL
ont contribués à la naissance d’Internet cartes et de visualisation de données, est SourceFabric, dont les outils sont
puis du web. le net regorge d’outils qui connaissent expérimentés au Zeit Online mais aussi Au-delà des visées politiques et éthiques
du succès auprès des journalistes. au sein de l’Australian Associated Press portées par le logiciel libre, son intégra-
Certaines technologies sont même (notamment Superdesk, une « salle de tion par les médias a d’autres vertus :
QUAND L’OPEN SOURCE développées en libre par les GAFA, rédaction virtuelle »). La particularité • il conduit souvent, par sa plas-
RENCONTRE LE comme l’AMP de Google ou le système est que ces outils ont été pensés pour ticité et sa nature évolutive, à renver-
JOURNALISME d’exploitation Android. des rédactions, à partir d’une identifi- ser la perspective qui l’associe aux
cation des usages et des attentes des usages. L’outil est pensé au service de
Dans ce contexte d’emprise grandis- Plus rares sont les rédactions qui dé- journalistes (et non des services infor- l’éditorial et de la pratique journalistique. Il
sante des GAFA sur l’écosystème in- veloppent un projet structuré autour matiques ou des gestionnaires). devient un facilitateur voire une source
formationnel, les regards se tournent du libre. Le mouvement s’amorce tou- • A un niveau encore plus d’enrichissement et non une contrainte
vers l’open source comme possible tefois en s’appuyant sur quelques cas macro, d’ambitieux projets voient le comme c’est encore trop souvent le cas ;
contre-modèle. qui font figure d’exemples. Ils peuvent jour sur la base de coopérations entre • l’open source offre également
être classés en trois catégories : différents acteurs, parfois à un ni- une réponse à un enjeu central de l’ère
Il faut dire que les valeurs portées • Des médias développent en veau international, sorte de pendant numérique : la pérennité des contenus.
par le mouvement du libre depuis interne des outils open source puis les technique aux investigations à grande Combien de journalistes ont vu leurs pro-
les années 1970 (et dévoyées par les laissent à disposition de la communau- échelle comme les Panama ou Para- ductions disparaître du jour au lendemain

76 77
DANS
LA
COURSE Cerdan, la responsable du projet. Même
logique chez Nice Matin et Tibot, son
« bébé robot expert de l’info locale », avec
une vraie personnalité et un certain sens
nage des contenus, mais aussi les émo-
tions qu’ils provoquent chez les specta-
teurs… Et certains s’en font une spécialité,
comme la startup RealEyes et sa techno-

À L’IA, LES MÉDIAS de l’humour, ou encore chez la startup


Jam, dont le chatbot s’efforce de créer
logie de tracking émotionnel par webcam.

DE NOUVEAU EN PREMIÈRE LIGNE


« une relation avec les jeunes fondée sur
la confiance et la bienveillance », comme ALORS, L’IA VA-T-ELLE
l’explique sa CEO (« Chief Emoji Officer » !) VRAIMENT AUGMENTER LES
Marjolaine Grondin. MÉDIAS ?
Par Alexandra Yeh | France Télévisions
Direction de l’Innovation Et à ceux qui craignent que l’intelli- Il semblerait bien que oui, d’autant qu’elle
gence artificielle ne les remplace, ras- touche tous les acteurs de la chaîne de
Alors qu’aujourd’hui l’IA com- PRENEZ DEUX REPRÉSENTANTS DE MULTINA- dans le décorticage des 2,6 surez-vous  : pour l’heure, la machine a valeur ; des journalistes au public en pas-
prend et prédit nos compor- TIONALES AMÉRICAINES, DEUX CRÉATEURS terabytes d’emails et de docu- encore besoin de l’homme. Car l’IA ne sant par les annonceurs. Mais comme
tements, les médias sont de DE STARTUPS ET DEUX JOURNALISTES, MET- ments saisis par les journalistes. crée rien ex nihilo, elle a besoin d’être toute technologie, elle est à manier avec
nouveau en première ligne pour TEZ-LES AUTOUR D’UNE TABLE ET ATTENDEZ : nourrie de données pour apprendre, et précaution : l’élection américaine a déjà
essuyer les plâtres de cette IL EST FORT PROBABLE QU’ILS SE METTENT pas n’importe lesquelles : des données montré que la curation algorithmique sur
nouvelle révolution. Car les ma- DÉSORMAIS À PARLER D’IA, CAR C’EST LE SU- L’IA, THÉRAPIE qui soient pertinentes par rapport à son les réseaux sociaux avait créé une bulle
chines voient, lisent, entendent JET INCONTOURNABLE DU MOMENT. LA TABLE DE COUPLE POUR contexte d’utilisation. Une leçon que Nice de filtres particulièrement tenace, qui a
et reconnaissent leur environ- RONDE ORGANISÉE EN JUIN À PARIS PAR LE LES MÉDIAS ET LEUR Matin a apprise sur le tas, en observant empêché nombre d’observateurs de voir
nement… autant de missions qui GESTE N’A PAS DÉROGÉ À LA RÈGLE, ET A VU PUBLIC ? les réactions de son chatbot parfois lé- venir la victoire de Donald Trump. Nous
sont aussi celles des médias. UN PANEL PASSIONNÉ ÉCHANGER AUTOUR gèrement à côté de la plaque, comme devrons redoubler d’attention aussi quant
DE LA DATA, DES CHATBOTS ET DES ALGO- Mais le traitement de quantités l’explique son responsable digital Damien à la protection de nos données person-
Et dans un contexte de profond RITHMES. massives de données n’est pas Allemand : nelles, de plus en plus convoitées par les
désamour du public, l’IA pour- le seul avantage de l’intelligence entreprises de la tech.
rait bien être la planche de salut artificielle pour les médias. Dans « On avait prévu toutes les réponses de Mais l’intelligence artificielle, si elle est uti-
pour restaurer la confiance entre les mé- déjà devenue indispensable. Et cela est les salles de rédaction, l’IA est aussi ap- notre chatbot, mais pas le comportement lisée… intelligemment, constitue avant tout
dias et les citoyens. Autant dire qu’il nous d’autant plus vrai, souligne le président préciée pour son interface conversa- des humains, qui écrivent souvent… n’im- une triple opportunité pour les médias,
faut dès maintenant apprendre à travail- d’IBM France Nicolas Sekkaki, que nous tionnelle qui permet de développer une porte comment ! Au début, si vous écriviez comme le résume Anne Bioulac, du cabi-
ler avec elle. n’avons plus affaire à de la donnée struc- relation plus intime avec les lecteurs. ‘salut sava’ par exemple, Tibot ne compre- net Roland Berger :
turée (c’est-à-dire déjà découpée dans nait pas et était tout simplement incapable • Une opportunité de se différen-
un format prédéfini, dans un formulaire C’est le cas à L’Obs où les équipes des de répondre. D’ailleurs, il comprenait le mot cier : en repérant des sujets de niche peu
DES MÉDIAS DOPÉS À L’IA par exemple), mais à de la donnée non nouvelles écritures, dédiées à la re- ‘salut’ dans le sens ‘au revoir’ ! » Eh oui, il exploités, et en identifiant plus finement
structurée, bien plus complexe à ex- cherche de formats innovants, ont dé- faut tout apprendre aux IA, y compris les centres d’intérêt de notre public ;
Une chose est sûre : nous avons intérêt ploiter. veloppé deux chatbots qui racontent la les fautes d’orthographe, l’argot et les • Une opportunité d’endiguer
à apprendre vite, car la machine ne nous politique autrement. L’idée ? « Utiliser multiples sens des mots ! la désinformation : en détectant les pho-
attendra pas. Devant la croissance expo- Et pas besoin de chercher bien loin en Messenger comme une plateforme de tomontages, en modérant les commen-
nentielle de la donnée, l’intelligence artifi- quoi l’IA peut servir les médias : on pense diffusion pour des sujets éditoriaux Car aujourd’hui, nous ne sommes plus à taires, en automatisant le fact-checking;
cielle, seule technologie capable de trai- bien sûr à l’affaire des Panama Papers, spécifiques, feuilletonnés, avec un ton l’ère du mot-clé : notre nouvelle inter- • Une opportunité de mainte-
ter nos milliers de milliards d’octets, est où la machine s’est révélée essentielle plus conversationnel », explique Audrey face, c’est le langage naturel. Les IA nir l’attention du public : en générant des
les plus performantes comme Watson résumés pour remédier au phénomène
– l’intelligence d’IBM – sont capables de « TL;DR » ou encore en ajustant le conte-
comprendre un discours, la personnalité nu au format le plus pertinent selon le
de celui qui le prononce et les émotions contexte de consommation.
qu’il transmet. L’intelligence émotion-
nelle est d’ailleurs le nouveau terrain de
jeu des chercheurs en IA, car désormais __________
on ne traque plus seulement les clics, les (*Full disclosure : table ronde animée par Eric Scherer,
like et les durées de lecture ou de vision- vice-président du GESTE)

78 79
GAFA :
DES EMPIRES FISSURÉS ?
Partie III

Par Clara Schmelck | Journaliste à Intégrales


Philosophe des médias et chroniqueuse radio
Ainsi, au troisième trimestre listes d’être « objectifs » sur les français chaque jour, soit 16 millions de légitimité ne tardera pas à être interro- tentes et une perte de 443 millions de
2017, le nombre d’utilisateurs UN EMPIRE EST UNE ENTITÉ POLITIQUE SOU- réseaux sociaux peut desser- personnes », estime Béatrice Lhospitalier gée dans sa dimension philosophique. dollars. La plate-forme annonce un de-
quotidiens de Twitter a aug-men- VERAINE, CONQUÉRANTE, QUI EXERCE UNE vir les médias dans la mesure du groupe Les Echos, alors que Google sign totalement refait de son appli pour
té de 14% en moyenne ; l’EBITDA DOMINATION INTERNATIONALE DE NATURE où une expression écrite im- en touche 60% et Facebook 70%. décembre et des modifica-tions de son
de l’entreprise a crû de 207 mil- À TRANSFORMER STRUCTURELLEMENT SES personnelle, sobre à l’excès, LE REFUS DE PRENDRE DES algorithme de recommandations person-
lions de dollars et le nombre de VASSAUX. PAR TRANSPOSITION, IL EST PER- renvoie à cette impression que RESPONSABILITÉS nalisées.
vidéos vues sur la plateforme a MIS DE DIRE DES GAFA QU’ILS CONSTITUENT les journalistes, producteurs L’INCAPACITÉ À S’ADAPTER
été multiplié par deux en un an, UN ARCHIPEL D’EMPIRES. CE SYSTÈME PAR- de contenus, ne sont que des AUX CULTURES LOCALES Les sites sociaux, qui n’assument au- Mais, si Facebook devient une banque
selon Damien Viel, directeur gé- FAITEMENT INTÉGRÉ NE PARAÎT PAS DEVOIR utilisateurs de plateformes so- cune responsabilité éditoriale, ont pour et Snap remplace le téléviseur dans les
néral de Twitter France. S’ÉCROULER DE SITÔT DU FAIT QUE LES GAFA ciales parmi d’autres. L’empire instaure un rapport de forces, prin-cipe la libre circulation de conte- maisons de retraite, l’identité propre de
FORMENT UN OLIGOPOLE DES INFOMÉDIAIRES mais ces forces doivent aussi mettre nus sur les plateformes ouvertes à tous chaque plateforme, fondement du suc-
Malgré ces signes de stabilité – LE PROCESSUS D’INFOMÉDIATION COMBINE Pour contrebalancer le poids les formes, épouser les cultures lo- publics et non régulées. L’application cès de chacune d’entre elles, perd iné-
et d’expansion, les GAFA se fis- DES MILLIERS DE PARTIES DONT CERTAINES prépondérant des GAFA dans cales et non chercher à les absor-ber. YouTubeKids laisse ainsi passer des luctablement en lisibilité.
surent : leur rapport aux clients PEUVENT ÊTRE ALGORITHMIQUES ET FAIRE l’économie des mé-dias, la ri- Les Romains n’ont pas proscrit les di- contenus violents. Dérangeant, quand Dans le même temps, l’identité des plate-
conquis se détériore, l’identité USAGE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE. ET poste s’organise. En France, une vinités des Gaulois mais ont cherché à on sait qu’en France, les enfants âgés formes en tant que plateformes neutres
qui a contribué à façonner leur LES GAFA CONTINUENT DE CROÎTRE. vingtaine de groupes, médias, établir des correspondances entre dieux de 1 à 6 ans passent quelque 4 heures de partage de contenus est mise à mal
hégémonie écono-mique et régies publici-taires, groupes gaulois et dieux romains. On retrouve ain- 37 sur le web par semaine, principale- depuis qu’a été révélé par le Congrès
culturelle perd en lisibilité, et des de e-commerce, ont donné le si des repré-sentations de dieux romains ment devant des vidéos, selon une en- américain le rôle de l’agence Internet
puissances concurrentes se sont bâties l’Économie et des Finances Bruno Le coup d’envoi à une initiative publicitaire accoutrés de costumes gaulois, comme quête Ipsos pour Bayard-Milan et Disney Research Agency dans l’influence
en les imitant. Maire, le projet de taxation des GAFA sur commune : Gravity. Sur cette plateforme le Mercure de Le-zoux, une statue retrou- Hachette Presse (mars 2017). Quant au russe sur la présidentielle américaine.
leur chiffre d’affaires généré dans chaque d’achat publicitaire, tous les partenaires vée dans le Puy de Dôme. serpent de mer des fakenews, YouTube,
L’ABSENCE DE pays européen, et non plus uniquement mettent en commun leurs audiences et Twitter ou Facebook, en dépit des ad-
CONSIDÉRATION DES sur leurs bénéfices, ne convainc pas leurs datas en vue de gagner en per- Sur le plan culturel, Facebook a imposé monestations des gou-vernements eu- LA CONCURRENCE D’AUTRES
INTÉRÊTS DE SES VASSAUX l’Irlande, qui a même refusé l’an dernier formance dans la pu-blicité « program- sans nuances le modèle typiquement ropéens, ne semblent pas chercher à PUISSANCES
d’encaisser une amende de 13 milliards matique » (publicités dont la vente est amé-ricain de la « communauté » de per- agir dans le sens d’une plus grande lutte
En décembre 1931, la création du Com- d’euros que la Commission européenne effectuée automatiquement à l’aide sonnes qui se « socialisent » en « likant » contre ces fake, qui possèdent un haut Durant vingt ans, l’internet était un lac
monwealth, qui marqua une prise en voulait imposer à Google, cela pour gar- d’algorithmes et de systèmes d’en- toutes les anecdotes et confidences ou- potentiel à clics. américain sur lequel le monde entier na-
consi-dération de l’intérêt économique der à tout prix le siège européen du géant chères). La plateforme sera en self-ser- vertes de leurs « amis », individus qui ne vi-guait. Mais cela pourrait vite changer,
des colonies, dominions et comptoirs à Dublin. vice janvier prochain. « Les membres de sont souvent que des connaissances. Un car les quatre firmes américaines qui
de la Couronne britannique, avait pour Gravity touchent 44% des internautes système de relations humaines dont la UNE IDENTITÉ MOINS FORTE for-ment l’archipel des GAFA ont toutes
but d’unifier et de pacifier l’Empire bri- À l’échelle des rédactions, les journa- désormais leur réplique chinoise : le
tannique. Car lorsque les périphéries se listes ont de plus en plus l’impression Monétisation, diversification, inno- moteur de recherche Baidu (Google), le
sentent lésées, le risque de soulèvement que les newsrooms travaillent gratui- vation technologique avec l’IA : les site de vente en ligne Alibaba (Amazon),
est réel. tement pour Facebook. « Le marché plateformes sociales savent qu’elles la mes-sagerie Tencent (Facebook) et le
mondial de l’information s’est émietté et doivent se renouveler pour assurer fabricant de mobiles Xiaomi (Apple) sont
Les géants américains membres de la « paupérisé. On constate une redondance leur pérennité. chaque jours fréquentés par plus de 500
bande des quatre » ont recours à l’opti- de l’info : sur une journée, seule 40% de Twitter donne désormais la possibilité millions d’internautes. Le chiffre d’affaires
misation fiscale en ne déclarant pas leur l’offre est originale. Beaucoup de live de tweeter en 280 caractères au lieu de de Tencent s’élevait à 22,9 milliards de
chiffre d’affaires dans les pays de leurs mais de moins en moins d’analyse  », a 140, et a livré une version payante avec dollars en 2016. À titre de comparaison,
utilisateurs, mais, légalement, dans un dé-ploré Emmanuel Hoog, président de une fonction de sponsoring automatique le CA de Facebook, la même année, était
pays tiers très accommodant en matière l’AFP, à l’occasion du colloque NPA le du compte et des tweets. de 27,6 milliards de dollars.
de taux d’imposition. Cela a pour consé- 07 novembre 2017. Et les GAFA sont en Facebook a lancé le paiement en ligne
quence un manque à gagner dans les partie responsables de ce phénomène. via Messenger. Messenger a d’abord été Des fissures, certes, mais toutefois
budgets de ces différents pays, ce qui à Récemment, le New York Times a publié un ser-vice, puis une app, et désormais pas de quoi titrer « GAFA, bientôt la
terme, fragilise leur économie. une note de déontologie à l’attention c’est une plateforme à part entière. Com- fin  » : lorsque Facebook constate
de ses journalistes en leur de-mandant ment situer Messenger dans son rap- que les jeunes quittent le réseau, le
D’après Ouest France, Google et Face- « neutralité, objectivité et d’adopter un port avec son entité mère, Facebook ? voilà qui rachète Instagram, tant et
book auraient évité entre 2013 et 2015 langage châtié » quand ces derniers Snapchat a publié ce mercredi ses ré- si bien que la concentration s’accé-
de payer 5,4 milliards d’euros au sein émettent des tweets depuis leur compte sultats du troisième trimestre, marqués lère. Au-trement dit, tous les chemins
de l’UE. Porté par le ministre français de nominatif. Or, demander aux journa- par un chiffre d’affaires inférieur aux at- mènent à Facebook.

80 80 81
HOMO
DEUS
UNE BRÈVE HISTOIRE DE L’AVENIR :
MAGISTRALE SYNTHÈSE DU MONDE QUI VIENT
Par Éric Scherer | France Télévisions
Directeur du MédiaLab de l’Information

Il nous facilite toutefois la tâche ÉPOUSTOUFLANT ! VERTIGINEUX ! SOUVENT, DU- Pour lui, « le dernier espoir des
dans les tout derniers para- RANT LA LECTURE, LES ADJECTIFS VIENNENT démocraties libérales, actuel-
graphes d’un livre de près de 500 AUX LÈVRES DE L’ADMIRATEUR, AVIDE DE lement en crise, réside dans le
pages : PROSPECTIVE, QUI SOULIGNE ET ANNOTE projet européen. S’il échoue,
FURIEUSEMENT HOMO DEUS. UNE BRÈVE HIS- ce sera comme l’effondrement

BE NICE TO NERDS.
À quelques mois, conclut- TOIRE DE L’AVENIR (ALBIN MICHEL, 2017). des systèmes communistes. Et
il, nos principaux problèmes DIFFICILE DE RÉSUMER LE SECOND OPUS cette fois nous n’en avons pas
concernent « les troubles au DU PROFESSEUR YUVAL NOAH HARARI, d’autre en vue. »
Moyen Orient, la crise des réfu- APRÈS SON BEST-SELLER SAPIENS (ALBIN
giés en Europe et le ralentisse- MICHEL, 2015). VISIONNAIRE SANS ÊTRE PRO-
L’EXPLOSION INÉDITE

YOU MAY END UP


ment de l’économie chinoise (…) PHÉTIQUE, L’HISTORIEN ISRAÉLIEN PRODUIT
En termes de décennies : le ré- UNE MAGISTRALE SYNTHÈSE DE CE QUI EST DES INÉGALITÉS
chauffement climatique, l’inégalité EN TRAIN DE NAÎTRE SOUS NOS YEUX. CELLE
croissante et les problèmes du DU MONDE QUI VIENT, DOMINÉ PAR LES POU- « Le XXIe siècle sera dominé
marché du travail. » VOIRS INÉDITS DE LA BIOTECHNOLOGIE ET par les biotechnologies et les
DES ALGORITHMES INFORMATIQUES. algorithmes qui vont créer la

WORKING
« Mais si nous prenons encore société la plus inégalitaire de
plus de recul, tous les autres l’histoire de l’humanité, pré-
problèmes et évolutions sont éclipsés vers les algorithmes et les Big Data (…) vient Harari. Car ceux qui les maîtrise-
par trois processus liés les uns aux qui pourrait conduire à une dictature ront auront le pouvoir. Un pouvoir bien
autres : numérique », a-t-il expliqué en septembre plus vaste que jadis, car il portera non

FOR THEM.
1 • La science converge vers un dernier à Paris au collège des Bernardins, seulement sur des machines ou des
dogme universel, suivant lequel les or- après avoir été reçu à l’Élysée par Emma- usines, mais aussi sur le corps, le cer-
ganismes sont des algorithmes et la vie nuel Macron. veau et l’esprit, les grands produits du
se réduit au traitement des données. XXIe siècle », qui pourront d’ailleurs être
2 • L’intelligence est dissociée de la « Les principales décisions écono- augmentés.
conscience. miques, celles des gros investisse-
3 • Des algorithmes non conscients, ments de milliards de dollars, rappelle- « La plupart des pays seront largués
Bill Gates mais fort intelligents, pourraient bien-
tôt nous connaître mieux que nous-
t-il, sont déjà prises par des algorithmes
sur les marchés boursiers. Et les enti-
et n’auront aucune chance de combler
leur retard. Le fossé sera plus grand
mêmes. » tés qui décident aujourd’hui qui est un que pendant les époques du colonia-
terroriste, comme à la NSA ou au Mos- lisme et de l’impérialisme. »
En d’autres termes : sad, sont aussi des algorithmes ».
« L’économie reposera sur des gens
« Quand le génie génétique et l’intelli- sophistiqués (indispensables et indé-
VERS UNE DICTATURE gence artificielle révèleront tout leur chiffrables) et des technologies au-
NUMÉRIQUE potentiel, le libéralisme, la démocratie, tonomes. » C’est-à-dire des robots. Et
et le libre marché pourraient bien de- attention, ajoute Harari, à ne pas faire l’er-
« En politique par exemple, il existe un venir aussi obsolètes que les silex, les reur de comparer les performances d’un
vrai danger de transfert de l’autorité cassettes, l’islam et le communisme », homme à un robot. Car l’homme ne sera
des électeurs et de la classe politique écrit-il. pas face à une machine, mais face à un

83
réseau réactualisé en temps réel ! « Au Moyen Âge, le principal actif • Une élite pri- « Qu’adviendra-t-il On l’a vu : Harari décrète la fin de l’hu- « L’examen critique du dogme da-
était la terre, puis ce furent les ma- vilégiée d’humains le jour où nous com- manisme de Hume ou de Voltaire qui taïste ne sera probablement pas
« Une des plus grandes menaces chines et les usines, aujourd’hui ce augmentés va s’im- prendrons que les défendaient l’idée que « Dieu est un seulement le plus grand défi scien-
du XXIe siècle sera la montée d’une sont les données. Donc la question poser au système choix des clients produit de l’imagination humaine. Le tifique du XXIe siècle ; ce sera aussi
classe de gens inutiles. Non pas cruciale est la suivante : qui pos- qui ne pourra ni les et des électeurs ne dataïsme retourne aujourd’hui cette le projet politique et économique le
exploités comme jadis, mais inu- sède les données ? Aujourd’hui, comprendre ni les sont jamais libres, arme contre eux et leur répond : ‘Oui, plus urgent à mener. »
tiles aux milliardaires de la Silicon elles sont la propriété d’une pe- gérer. et où nous dispose- Dieu est un produit de l’imagination
Valley (…) Ils ne pourront même tite élite formée d’une poignée de rons de la techno- humaine, mais celle-ci, quant à elle, « Écoutez vos sentiments ! » recom-
pas faire grève. Qu’allons-nous firmes et d’entités gouvernemen- La fin du libre arbitre : logie pour calculer, n’est que le produit d’algorithmes mandait l’humanisme.
faire d’eux ? (...) Que faire des sur- tales. Nous n’avons même pas le concevoir ou déjouer biochimiques’. Car le dataïsme fait « Écoutez les algorithmes », recom-
numéraires ? Ce pourrait bien être contrôle de nos propres données. Pour Harari, « les leurs sentiments ? Si valoir que ce sont exactement les mande le dataïsme.
la question économique la plus im- Nous sommes en train de céder le sciences de la vie l’univers entier est mêmes lois mathématiques qui
portante du XXIe siècle (...) Ce sera pouvoir à ces nouveaux posses- sapent le libéralisme arrimé à l’expérience s’appliquent aux algorithmes bio-
encore plus dramatique dans les seurs d’actifs en échange de ser- en soutenant que humaine, qu’advien- chimiques et électroniques. Ce fai- IMPOSSIBLE DE FREINER !
pays pauvres. » vices de messagerie et de vidéos l’individu libre n’est dra-t-il lorsque celle- sant, il fait tomber la barrière entre
de chats. Il faut donc en réguler la qu’une fiction concoctée par un ci ne sera qu’un produit modelable animaux et machines. » En débutant son ouvrage, Harari re-
D’autant que « la médecine ne va propriété. » assemblage d’algorithmes bio- de plus, dont l’essence ne suffira connaissait qu’aujourd’hui « personne
plus se consacrer à soigner les chimiques. (…) Le moi unique et plus à le distinguer de n’importe quel Et le plus frappant est que, selon Hara- ne sait où sont les freins ! »
malades, mais à améliorer les Attention, avertit-il encore ! « L’es- authentique est aussi réel que article de supermarché ? » ri, c’est la biologie et non l’informatique
bien-portants ». Et à produire des sor de l’intelligence artificielle ne l’âme éternelle, le Père Noël ou le qui sera la discipline-clé du dataïsme. « Certains experts suivent ce qui se
super-humains. Notamment pour correspond pas à un moment cri- lapin de Pâques. » Les humains n’étant plus finalement passe dans un domaine comme l’in-
rester dans la course face à l’essor tique, ou à l’arrivée d’un nouveau que des algorithmes biochimiques, il Une des caractéristiques de cette telligence artificielle, les nanotech-
rapide de l’intelligence artificielle. point d’équilibre, mais ressem- « La technologie du XXIe siècle, peut, deviendra aussi possible de les hac- croyance à venir est qu’elle « ren- nologies et le ‘Big Data’ ou la géné-
blera à une cascade de change- elle, permettre à des algorithmes ker. Alors, « la plus grande menace verse la pyramide traditionnelle du tique, mais personne n’est expert
« Les élites vont-elles alors s’in- ments incessants. » (...) « Et dire extérieurs de ‘pirater l’humanité’ viendra des hackers qui hackeront savoir » : « Jusqu’ici les données en tout. Personne n’est capable de
téresser à la santé et au bien-être qu’aujourd’hui, on ne sait même et de me connaître bien mieux que des humains, et non des machines ». étaient perçues comme la première relier tous les points et d’avoir une
des masses ? Pas sûr », répond le pas quoi enseigner aux enfants en je ne me connais. À compter de ce étape d’une longue chaîne intellec- vue d’ensemble. Les différents do-
professeur. Jusqu’ici, elles y avaient maternelle ! » jour, la croyance en l’individualisme tuelle. Les hommes étaient censés maines s’influencent mutuellement
intérêt (guerre, usines, champs) s’effondrera et l’autorité sera trans- UNE NOUVELLE distiller les données en information, avec une telle complexité que même
mais demain, avec les robots, « les férée des individus aux algorithmes TECHNO-RELIGION : LE les informations en connaissance, et les meilleurs esprits ne sauraient de-
humains perdront leur valeur éco- LA FIN DE L’HUMANISME en réseau. Les êtres humains ces- DATAÏSME, QUI REPOSE la connaissance en sagesse. » Mais viner en quoi les percées de l’intelli-
nomique et les guerres ne se fe- seront de se voir comme des êtres SUR LA LIBERTÉ DE désormais les hommes n’ont plus gence artificielle pourraient avoir un
ront plus avec des soldats ». Ce qui impressionne le plus, c’est autonomes qui mènent leur vie à L’INFORMATION la capacité suffisante de traitement impact sur les nanotechnologies et
lorsque Harari entrevoit la fin de leur guise pour s’habituer à se voir des flux immenses de données qu’ils inversement. Personne ne peut assi-
l’humanisme, du système démo- comme un assemblage de méca- L’historien parie sur l’apparition de doivent sous-traiter aux Big Data et miler toutes les découvertes scien-
QUE PEUT-ON ALORS cratique libéral, et, ce qui choque nismes biochimiques, constam- techno-religions, post-humanistes, aux algorithmes informatiques. tifiques les plus récentes, personne
FAIRE ? COMMENCER le plus, de notre libre arbitre. ment surveillé et guidé par des croyant en l’immortalité et aux pa- ne peut prédire de quoi l’économie
PAR RÉGULER LA algorithmes électroniques. Pour radis virtuels et qui seront essen- La beauté et la force des données, sera faite dans dix ans, et personne
PROPRIÉTÉ DES Il voit trois menaces pour le libéra- que ceci se produise, nul besoin tiellement de deux ordres : «  le c’est aussi qu’elles constituent « un n’a la moindre idée de ce vers quoi
DONNÉES lisme, qui domine le monde depuis d’un algorithme extérieur qui me techno-humanisme d’une part et la langage commun, qui construit des nous nous dirigeons avec tant de
trois siècles : connaisse parfaitement et ne fasse religion des données d’autre part ». ponts par-delà les frontières uni- hâte. Personne ne comprenant plus
Attention, dit-il ! « Nous n’avons que • Les hommes perdront jamais d’erreur ; il suffit que l’algo- La première croyant essentiellement versitaires et permet aux intuitions le système, nul ne peut l’arrêter. »
quelques années ou quelques dé- toute valeur économique, car l’in- rithme me connaisse mieux que je dans un homme augmenté, homme- de passer facilement les frontières
cennies avant que les réseaux et telligence va être dissociée de la ne me connais et commette moins dieu, qui lancera une nouvelle révolu- des disciplines. Musicologues, éco- À lire ! Et à suivre !
les algorithmes prennent le pou- conscience. d’erreurs que moi. Il sera alors tion cognitive « avec le concours du nomistes et spécialistes de biologie
voir. » • Ils perdront leur autori- sensé de confier toujours plus mes génie génétique, des nanotechnolo- cellulaire peuvent enfin se com-
té individuelle pour être gérés par décisions et choix de vie à cet algo- gies et des interfaces cerveau-ordi- prendre. »
des algorithmes extérieurs. rithme. » nateur ».

84 85
LA
TRA- DES
DESNOUVEAUX
NOUVEAUX
USAGES
USAGES
INDICATEURS
D’USAGE
TV/VIDÉO PLATEFORMES RESEAUX SOCIAUX / TWITTER, juillet 2017 PUBLICITE MOBILE
MESSAGERIES • 330 millions d’utilisateurs actifs
Advanced Television, septembre YouTube, octobre 2017 mensuels. Pew Research center, juillet 2017 Comscore, août 2017
2017 • 1,5 milliard d’utilisateurs actifs SNP TV • 20 millions sont des faux • Dans la presse print, les es- • Temps quotidien connecté sur
• 61% des Américains regardent mensuels. • En 2016, 87% des Français sont comptes sur le réseau. paces publicitaires représentaient un écran mobile :
la TV en OTT. • 4 milliards de vues par jour, dont des internautes. • 21,8 millions sont français avec 50 milliards de dollars en 2005 et • 4h48 au Brésil
• Les jeunes Américains utilisent 25% via mobile. • Chez les 12 ans et plus, ils sont 4,27 millions actifs quotidiennement. sont descendus à 18 milliards en • 2h37 aux États-Unis
désormais majoritairement le strea- • 300 heures de vidéos postées 74% à se connecter quotidienne- • 80% des utilisateurs y accèdent 2016. • 1h32 en France
ming, à hauteur de 61%. chaque minute en 2015. ment. par mobile. • Le digital représente 29% des
• Les Français passent désor- • 1 milliard d’heures de vidéos • Parmi ces internautes, 81% • 44% des utilisateurs n’ont en rentrées publicitaires des quotidiens Google, juillet 2017
mais, en moyenne, 47,4 minutes par regardées chaque jour. sont inscrits sur au moins un réseau fait… jamais tweeté ! papier en 2016 contre 17% en 2011. • Dans le monde, 5 milliards
jour devant des vidéos. social. • 500 millions de tweets sont • 54% des encarts publicitaires de personnes ont désormais une
NETFLIX, octobre 2017 envoyés chaque jour. achetés sont en fait invisibles pour connexion mobile.
Limelight Networks, septembre • Le service représente 40% du Sandvine, juillet 2017 • 170 minutes : c’est le temps l’internaute. • 20% des recherches sur mobile
2017 visionnage OTT aux États-Unis (plus • Les 10 premiers réseaux so- moyen passé chaque mois sur Twitter. se font par assistant vocal.
• En France, la consommation qu’Amazon, Hulu et YouTube réunis). ciaux dans le monde (en nombre Reuters Institute, juillet 2017
de vidéos en ligne a progressé de • Les abonnés étrangers sont d’inscrits) : INSTAGRAM, octobre 2017 • L’utilisation des bloqueurs de Sandvine, juillet 2017
20% en 2017. plus nombreux que les abonnés - Facebook : 2 milliards • 500 millions d’utilisateurs quo- publicité plafonne à 24% et ne s’est • Répartition du trafic Internet via
• Les vues de vidéos sur mobile américains. - Instagram : 800 millions tidiens (2,9 fois plus que Snapchat !) pas répandue à plus de 7% sur les mobile aux États-Unis :
ont augmenté de 35%. • 30% des Hollandais en sont - Qzone : 653 millions • 95 millions de photos et vidéos smartphones. • YouTube : 20,9%
• Les Français passent désor- clients. - Tumblr : 555 millions postées chaque jour. • Les jeunes les utilisent néan- • Facebook : 14%
mais, en moyenne, 47,4 minutes par • En France, Netflix contrôle 63% - Twitter : 330 millions • 150 millions d’utilisateurs moins deux fois plus que les autres • nstagram : 6,7%
jour devant des vidéos. du marché de la SVoD avec 1,5 mil- - Baidu Tieba : 300 millions postent quotidiennement une story. classes d’âge. • Snapchat : 5,2%
lion d’abonnés. - Sina Weibo : 222 millions • Les moins de 25 ans y passent • 43% des utilisateurs d’adbloc- • Netflix : 3,1%
SNP TV, 2016 - Snapchat : 178 millions (par jour) 32 minutes par jour en moyenne. kers acceptent de les désactiver
• 75,3% des Français regardent AMAZON PRIME, septembre 2017 - Pinterest : 150 millions • Le temps passé à y regarder pour des sites spécifiques.
quotidiennement la TV. • Le service compte maintenant - LinkedIn : 106 millions des vidéos a progressé de 80% en
• La durée moyenne de vision- 85 millions de clients aux États-Unis, un an.
nage est de 3h43 quotidiennes. soit une progression de 35% en un Pew Research Center, septembre
• 97% des internautes regardent an. 2017
tous les jours des vidéos, tous sup- • Les réseaux sociaux sont de- SNAPCHAT, novembre 2017
ports confondus. SPOTIFY, août 2017 venus la source d’information prin- • 178 millions d’utilisateurs quo-
• 15% du temps vidéo sur Inter- • Hausse de 50% des revenus cipale pour 67% des utilisateurs tidiens actifs, dont 77 millions aux
net est consacré au visionnage de en un an. américains. États-Unis et 57 millions en Europe.
contenus TV en direct. • Le service compte désormais • 50% le font via Facebook seul. • 3,5 milliards de snaps sont
60 millions d’utilisateurs face aux • Chez les 18-34 ans, ils sont créés chaque jour.
30 millions d’Apple Music et aux 6,9 même la principale source d’accès • Les utilisateurs passent en
millions de Deezer. à l’information, à hauteur de 33%. moyenne 30 minutes chaque jour
sur la plateforme.
• L’app est ouverte en moyenne
FACEBOOK, juillet 2017 18 fois par jour.
• 2 milliards d’utilisateurs dont
22 millions en France. WHATSAPP, juillet 2017
• 1,3 milliard d’utilisateurs sont • 1 milliard d’utilisateurs quotidiens.
actifs quotidiennement et passent
en moyenne entre 35 et 50 minutes
par jour sur la plateforme.

88 89
MEDIAS
US :
LE PRINT À LA PEINE,
LA TV CÂBLÉE À LA FÊTE GRÂCE À TRUMP
Par Gautier Roos | France Télévisions
Direction de la Prospective

De précieuses informations qui UN ÉTAT DES LIEUX EXHAUSTIF DES MÉDIAS


nous renseignent à la fois sur D’INFO AUX ETATS-UNIS : LE PEW RESEARCH Autre enseignement important
la consommation information- CENTER A PUBLIÉ LA PREMIÈRE PARTIE DE à relever dans cette minutieuse
nelle des foyers américains SON RAPPORT ANNUEL TRÈS ATTENDU SUR étude : les quotidiens font le
et sur le modèle économique LES GRANDES TENDANCES À L’ŒUVRE DANS choix de dépendre de moins
d’éditeurs en quête de salut. LE MONDE DE L’INFO. en moins des annonceurs, et
Le document dessine des ten- voient leurs revenus liés à la pu-
dances de fond et souligne les blicité plonger depuis 2010.
priorités des médias d’info, condamnés à prend en effet pas en compte les récents (Voir Graphique 3)
se réinventer sur le web sans pour au- succès numériques du New York Times,
tant négliger l’héritage, souvent presti- du Washington Post et du Wall Street Un changement de cap qui s’est opéré très
gieux, du print. Journal, ces titres n’ayant pas reporté ex- rapidement : d’un montant global avoisinant
haustivement le nombre de leurs abon- les 50 milliards de dollars en 2005, la pu-
En s’inscrivant sur le temps long – les nés en ligne à l’AAM (Alliance for Audited blicité ne pèse plus que 18 milliards dans
graphiques comparent les évolutions Media). S’ils l’avaient fait, le Pew estime l’ensemble des recettes en 2016. Cela
depuis les années 1960 –, le rapport, qui que la baisse de circulation n’aurait pas reste plus que le niveau, assez stable, des
sera par ailleurs alimenté régulièrement excédé -4%. revenus générés par la diffusion (10 mil-
durant l’année, dévoile ainsi les grandes liards de dollars). Et cela veut surtout dire
stratégies éditoriales des principaux Reste que pour les éditions du lundi au que le basculement vers un modèle par
acteurs de l’info outre-Atlantique. vendredi, il s’agit de la 28e année consé- abonnement (« subscription-first model »)
cutive de baisse. Autre exemple parlant : faisant fi de la publicité, s’il s’avère peut-être
Le premier enseignement qu’on peut en un quart de siècle, le nombre de quo- viable pour quelques éditeurs trustant le
en tirer est que, malgré un marché qui tidiens vendus en semaine a connu une haut du pavé, ne permet pour l’instant pas
s’oriente de plus en plus vers un modèle baisse supérieure à 40%. Presque un de compenser les pertes publicitaires à
par abonnement, l’année fut loin d’être changement de civilisation ! l’échelle nationale.
bonne pour les quotidiens : la diffusion
et les revenus de la presse quotidienne S’agissant du nombre de visiteurs Le document pointe par ailleurs que le
ont baissé de concert. (Voir Graphique 1) uniques mensuels pour les 50 quotidiens digital représente 29% des rentrées
en ligne les plus fréquentés, les chiffres publicitaires des journaux quotidiens
Le déclin entamé dans les années 1990 sont dans la continuité des années précé- en 2016, une progression qui paraît bien
se poursuit en ce qui concerne la vente dentes : fin 2016, ce nombre s’élevait à 11,7 maigre puisque le chiffre avoisinait déjà
des quotidiens américains, comme millions en moyenne. Une hausse de 21% les 17% en 2011…
le montre ce graphique qui a l’avantage sur l’année (Voir Graphique 2), ce qui sou-
de combiner les données sur le print et ligne le virage numérique réussi par bon
le digital. On observe une baisse inquié- nombre d’éditeurs, qui semblent avoir trou-
tante, quoique prévisible, de 8% entre vé la formule pour assurer la fréquentation
2015 et 2016. Sans grande surprise, c’est (à défaut d’une monétisation satisfaisante).
principalement dans le print que cette Sur ce même échantillon de médias, notre
dégringolade s’exprime (-10%), là où durée moyenne de visite diminue elle sen-
la fréquentation en ligne est un peu plus siblement (nous y consacrons en moyenne
compliquée à évaluer. Le graphique ne un peu moins de 2 minutes 30 secondes).

90 91
NEWS ORGANIZATIONS
SHARE INFORMATION
La structure économique des entreprises tra-
duit bien évidemment les difficultés relatives à
l’industrie des journaux américains. En 2015,
l’effectif des rédactions (reporters et rédac-

THAT IS TRUE AND


teurs) s’est réduit à 41 400 personnes, soit
4% de moins que l’année précédente, et sur-
tout 37% de moins qu’en 2004, où il était de
65 440 ! (Voir Graphique 4)

Pour la télévision câblée en revanche, les


résultats sont inespérés, l’élection de Trump
ayant confirmé la place de choix qu’occupe ce
HOPEFULLY ENGAGING.
TECHNOLOGY
média au sein des moyens d’informations des
Américains. Sur CNN, Fox News et MSNBC, la
moyenne du nombre de spectateurs réunis
devant leur poste en prime time a brutale-

COMPANIES LIKE
ment augmenté (Voir Graphique 5), s’établis-
sant à 4,8 millions : une hausse de 55% par
rapport à 2015 ! En journée, c’est-à-dire avant
18 heures, la progression se fait elle aussi sen-

GOOGLE AND FACEBOOK


tir, bien que moins impressionnante (+36%).

Un paradigme nouveau (ou un revival, on ne


sait plus trop), dans lequel c’est désormais la

ENABLE THE SHARING


télévision qui embauche et élargit la taille
de ses rédactions : les trois plus importantes
chaînes câblées ont ainsi vu leurs dépenses
consacrées à cet effet grimper de 9% sur l’an-

OF INFORMATION THAT
née.

Des chiffres surprenants qui confirment en tout


cas une chose : Donald Trump reste le meilleur

IS ENGAGING AND
allié des chaînes de TV, poursuivant – sans for-
cément le vouloir – l’empire bâti il y a des dé-
cennies. Mais qu’en sera-t-il l’an prochain, une
fois le soufflé présidentiel retombé ?

HOPEFULLY TRUE.
Adrienne Lafrance | Editor
The Atlantic

92 93
MEDIAS
TRADITIONNELS ET NUMÉRIQUES :
PORTRAIT DE FAMILLE RECOMPOSÉE
Par Lorraine Poupon | France Télévisions
MédiaLab de l’Information
L’ÈRE DU SOUPÇON soupçonnés d’être une des application dont ce n’est pas la fonction 54% des interrogés, l’accès massif
DANS UN CONTEXTE DE CRISE DE causes de la crise économique principale. (Voir Graphique 3) et gratuit aux nouvelles en ligne est
Jamais le lien entre le contexte CONFIANCE, SOUPÇONNÉS D’ÊTRE POR- que traverse le secteur en ne suffisant ?
politique et la suspicion de TEURS D’UN MESSAGE ORIENTÉ ET BIAISÉ, le soutenant pas suffisamment. Mais contrairement à l’opinion
corruption et de conflit d’intérêt LES MÉDIAS SEMBLENT ÊTRE DEVENUS LEUR (Voir Graphique 2) communément répandue, l’intervention Quant aux vidéos, on les préfère
à l’égard des médias ne semble PROPRE SUJET DE PRÉDILECTION EN 2017. des algorithmes dans le tri et la courtes, inférieures à 1 minute 30. La
avoir été aussi fort. Les, fake ENTRE OPPORTUNITÉ DE DÉVELOPPEMENT De nouveaux modèles émergent, diffusion d’informations n’est pas possibilité même de la monétisation
news sont sur toutes les DE NOUVEAUX MODÈLES ET MENAÇANTE s’adaptant à des pratiques cultu- forcément synonyme de contenu d’un contenu respectant cette exi-
lèvres, mais leur définition REMISE EN CAUSE D’ANCIENS, LE RAPPORT relles où la consommation de univoque et orienté et peut au contraire gence de durée, notamment par une
est à géométrie variable. ANNUEL DU REUTERS INSTITUTE, AVEC SES l’information selon le modèle tra- pousser les internautes vers un régime publicité plus courte que le contenu
De la nouvelle simplement 70 000 PERSONNES INTERROGÉES DANS ditionnel est plus ou moins ancrée. média plus diversifié. lui-même, est donc remise en cause, et
surprenante ou dérangeante, à UNE TRENTAINE DE PAYS, DRESSE UN BILAN ce d’autant plus compte tenu du large
l’information biaisée voire créée CONTRASTÉ ET ÉLOIGNÉ DU CHAMP DE BA- En Asie et en Amérique latine, les Ce n’est plus le cas lorsque l’utilisateur recours aux bloqueurs de publicité.
de toutes pièces dans le but de TAILLE HABITUELLEMENT DÉCRIT. applications de chat sont ainsi effectue lui-même la recherche et sélec-
servir un discours orienté, elles des sources privilégiées au point tionne « son » média. L’exemple de Twit- Perçus comme une menace majeure
ont considérablement influencé la façon Ces deux supports semblent néanmoins d’y devenir majoritaires. Elles permettent ter est représentatif : on aura tendance à lors de leur diffusion, l’utilisation de
de s’informer. Le fossé entre la confiance voués à cohabiter. En effet, à l’exception de limiter le partage de nouvelles suivre des politiciens en accord avec ses ces bloqueurs plafonne à 24% et
accordée aux médias en général et à des cas américain et britannique, cet aux seuls contacts sélectionnés, propres opinions et donc à être exposé à ne s’est pas répandue à plus de 7%
ceux effectivement choisis et consultés usage spécifique des réseaux sociaux avec l’assurance du respect de la des points de vue plus uniformes. sur les smartphones. Les jeunes
par l’utilisateur est grand. L’émergence comme source d’information plafonne, vie privée, à l’abri des représailles les utilisent néanmoins deux fois
de Breitbart News, le succès de Fox voire diminue. La cause peut en être une des gouvernements notamment. Avec L’accès direct aux articles depuis plus que les autres classes d’âge.
News malgré les critiques, sont le résultat saturation du marché ou encore, pour WhatsApp et Messenger, Facebook le fil d’actualité pose toutefois le Toutefois, 43% de l’ensemble de
de cette polarisation. Facebook, le changement d’algorithme domine largement cette nouvelle problème de l’identification des titres leurs utilisateurs acceptent de les
qui a eu lieu en 2016. pratique. et groupes de presse. Les utilisateurs désactiver pour des sites spécifiques,
ont en effet tendance à occulter la preuve qu’il est possible de continuer à
DE LA RÉSISTANCE AU TOUT- Il est néanmoins trop tôt pour enterrer Ce sont d’ailleurs les applications qui source de l’information qu’ils lisent, et miser sur la publicité comme source de
DIGITAL la presse écrite, annoncée comme centralisent à la fois leur propre fonction si la plupart d’entre eux se souviennent financement stable – à condition, bien
condamnée depuis déjà quelques et la valeur ajoutée que constitue l’ac- avoir trouvé une info « sur Facebook » sûr, que l’utilisateur juge le contenu
L’évolution de fond que connaît le secteur années. Les Etats-Unis donnent des cès à l’actualité qui connaissent la plus ou « sur Twitter », ils sont aussi de plus digne de cet effort.
s’institutionnalise avec le déclin de la raisons d’être optimiste quand, malgré forte croissance. La section Discover sur en plus nombreux à être incapables de
presse écrite, qui se poursuit, et la montée une crise de confiance et des attaques Snapchat permet ainsi aux médias de citer le média dont émane le contenu Dès lors, quel modèle privilégier ?
en puissance des réseaux sociaux, répétées, abonnements et dons faits toucher un public plus jeune qui leur est qu’ils consomment. Le rapport n’apporte pas de réponse
qui se confirme. 50% des utilisateurs à la presse y ont augmenté de 16%. d’habitude difficilement accessible. Pour ce qui est des supports utilisés, définitive tant les situations varient
s’en servent ainsi comme source C’est le fait de lecteurs du courant libéral leur diversité diminue à mesure que le en fonction du contexte politique
d’information principale aux Etats-Unis. mais également des 18-34 ans, souvent smartphone prend le pas sur la tablette des différents pays ou des habitudes
Au sein d’un ensemble MR. ROBOT ? et l’ordinateur, et ce même à domicile. culturelles dans les modes de
plus diversifié Pour près d’un quart des jeunes de consommation de l’information. Le
incluant les médias 32% des utilisateurs pays d’Amérique latine et d’Asie, il est bilan de l’année 2017 donne néanmoins
traditionnels en recul, préfèrent l’accès même le support unique d’accès à l’in- des raisons d’être optimiste. Le profil
ils se légitiment. Chez direct aux nouvelles formation. dressé de la génération des 18-34
les 18-34 ans, ils intégrées parmi ans, qui se distingue de la précédente
sont même la source les posts de leurs Si les utilisateurs continuent de sans rejeter en bloc les médias
principale (33%) contacts dans leur privilégier un format rédigé à hauteur traditionnels, laisse présager une
d’accès à l’information. fil d’actualité ou de 71%, format lui aussi préféré par les évolution structurelle ne conduisant
(Voir Graphique 1) sur le menu d’une jeunes, la réticence à payer pour des pas nécessairement à l’effondrement
news en ligne est généralisée. 84% ne du secteur.
l’ont pas fait l’an passé. Pourquoi fournir
cet effort supplémentaire quand, pour

94 95
RESEAUX
SOCIAUX
DÉSORMAIS PORTES D’ENTRÉE DE L’INFO
Par Barbara Chazelle | France Télévisions
MédiaLab de l’Information

DEUX TIERS DES AMÉRICAINS (67%) FACEBOOK, LES MÉDIAS TRADITIONNELS


S’INFORMENT DÉSORMAIS VIA LES YOUTUBE ET NE SONT PAS TOTALEMENT
PLATEFORMES SOCIALES, DONT 20% TWITTER PREMIÈRES DÉLAISSÉS
FRÉQUEMMENT, SELON LE NOUVEAU RAPPORT PLATEFORMES
DU PEW RESEARCH CENTER* SUR L’USAGE SOCIALES D’INFO Selon le rapport, les consommateurs
DES RÉSEAUX SOCIAUX DANS L’ACCÈS À d’actualité sur les réseaux sociaux
L’INFORMATION. ET PRÈS DE LA MOITIÉ LE FONT Parmi les plateformes, on ap- n’abandonnent pas pour autant les
SUR LE SEUL FACEBOOK. prend sans surprise que près de médias traditionnels et les utilisent en
FACEBOOK, YOUTUBE ET TWITTER SONT DÉSOR- la moitié (45%) des Américains complément. Mais l’on constate des dif-
MAIS LES PLATEFORMES PRIVILÉGIÉES POUR adultes s’informent aujourd’hui férences entre les utilisateurs des diffé-
S’INFORMER, ET SNAPCHAT MONTRE UNE PRO- sur Facebook. YouTube arrive rents réseaux. Ceux qui s’informent sur
GRESSION IMPORTANTE SUR L’ANNÉE. en deuxième position du classe- Facebook sont par exemple plus enclins
ment alors même que le réseau à s’informer via les chaînes de télévision
PROGRÈS SUR LES PLUS DE ne s’est jamais (pas encore ?) locales que les utilisateurs de YouTube,
50 ANS, LES MOINS ÉDUQUÉS positionné activement sur le créneau Snapchat ou Twitter.
ET LES MINORITÉS de l’info : 18% des Américains accèdent
à l’actualité sur la plateforme vidéo, 11% * Etude menée en août 2017 sur 4971 adultes
Deux tiers des Américains interrogés seulement de la population s’informe américains.
en août 2017 déclarent donc s’infor- via Twitter, 7% via Instagram, 5% via ** Pour cette étude, sont considérées comme
mer, du moins en partie, via les médias Snapchat. (Voir Graphique 2) « moins éduquées » les personnes n’ayant pas
sociaux ; un chiffre en légère augmen- de Bachelor (en deçà de BAC+3)
tation par rapport à 2016 (62%). Pour Néanmoins, en proportion, Twitter re-
la première fois, plus de la moitié (55%) passe en tête : avec 74% des twittos
des Américains sondés de 50 ans et qui l’utilisent pour s’informer (52% en
plus consomment de l’information via les 2013, 59% en 2016), le site de microblo-
plateformes sociales, soit 10 points de gging tend à se spécialiser, d’autant que
plus en un an. ce chiffre est en progression de 15% par
rapport à 2016. Facebook n’est pas loin
Augmentation aussi sur les populations derrière, à 68%. Si les utilisateurs de
minoritaires : 74% des non-Blancs font Snapchat ne sont que 29% à s’y informer,
désormais usage des plateformes pour l’application se fait remarquer par une
s’informer (64% en 2016). Le rapport progression de 12% de cet usage. Autre
précise que « cette croissance implique fait marquant, l’institut a intégré cette an-
que les non-Blancs sont désormais plus née WhatsApp dont le taux d’accès à l’in-
enclins que les Blancs » à s’informer de fo est déjà de 23%. (Voir Graphique 3)
cette manière.
L’étude montre que les internautes
Pour la population moins éduquée**, on tendent au multi-usage : 26% des
est passé de 60% à 69% entre 2016 et sondés utilisent désormais plusieurs
2017. La tendance s’inverse avec les réseaux sociaux pour s’informer (15%
personnes qui ont au moins un diplôme en 2013). Cette tendance est particuliè-
universitaire, chez qui l’usage des mé- rement forte pour les utilisateurs d’Ins-
dias sociaux tend à décliner légèrement. tagram, Snapchat et WhatsApp.
(Voir Graphique 1)

96 97
LES
USAGES
DES 10-13 ANS,
CES CLANDESTINS DU WEB SOCIAL
Par Barbara Chazelle | France Télévisions
MédiaLab de l’Information

Très influente bien que clan- BIEN QUE LEUR PRÉSENCE Y SOIT ILLÉGALE, Quant à Twitter, son usage • Ice Bucket Challenge : • Prank : le YouTuber fait croire un L’étude montre que les collégiens sont
destine, cette « génération NUL N’IGNORE QUE LES MOINS DE 13 ANS est stable avec moins de 30% se faire arroser d’eau glacée mensonge à un proche et filme sa réac- réfractaires à la publicité – 22% d’entre
tête baissée » fascine par ses ONT INVESTI LES RÉSEAUX SOCIAUX EN TRI- de collégiens d’inscrits. Perçu • Water Yoga Challenge : tion. eux utilisent un adblocker – mais
usages des plateformes, que CHANT SUR LEUR ÂGE POUR S’INSCRIRE : LES comme un vecteur d’expres- réaliser des poses de yoga avec de • Chit Chat : le principe est d’avoir aussi qu’ils distinguent mal les posts
l’agence Heaven décrypte 7-12 ANS PASSENT 6 HEURES ET 10 MINUTES sion critique mais également l’eau dans la bouche une conversation avec son audience. sponsorisés sur les réseaux sociaux
dans son deuxième baromètre CONNECTÉS CHAQUE SEMAINE, SOIT 30 MI- d’humour, le réseau bénéficie • Cinnamon Challenge : Mais le YouTuber étant seul face camé- (« il n’y a pas de pub sur Instagram » !) :
« Born Social »*. NUTES DE PLUS QU’EN 2016 ET 45 MINUTES DE de la promotion qu’en font les manger de la cannelle en poudre ra, le Chit Chat est plutôt un monologue cela pose question sur l’éthique à avoir
PLUS QU’EN 2015, SELON IPSOS. émissions télé : les moins de • Jelly Belly Challenge : jeu à d’un YouTuber sur un épisode de sa vie envers ce public encore peu aguerri
13 ans préfèrent alors utiliser deux. Les joueurs mangent un bonbon ou sur ce qu’il pense d’un sujet. aux mécanismes du marketing.
QUI SONT LES le compte des parents pour ré- de la même couleur mais l’un d’eux tom- • GRWM : le format «Get Ready With
CLANDESTINS DES RÉSEAUX ludique entre amis. La pratique du test de pondre aux sondages auxquels ils sont bera sur une saveur répugnante. Par Me» (prépare-toi avec moi) est souvent
SOCIAUX ? l’amitié par les « fichas » qui consiste à sollicités plutôt que de s’inscrire. exemple, pour le bonbon orange, c’est associé au Chit Chat car il permet de
envoyer des photos de soi peu flatteuses soit pêche, soit vomi. mettre un peu d’action dans la vidéo.
L’inscription sur les réseaux sociaux et éprouver ainsi la loyauté de ses amis • ASMR (Autonomous Sensory
est déjà majoritaire dès la classe de 5e (qui doivent garder le silence sur ces YOUTUBE, Parmi les autres for- Meridian Response) : l’idée est de
(62,3%) et incontournable à la fin du col- dossiers compromettants) est assez ré- LA TÉLÉ DES mats populaires : créer des stimuli auditifs qui facilitent
lège, à 85,4% d’inscrits. pandue. JEUNES • Meet-up  : une ren- la relaxation en murmurant mais aussi
Instagram est la plateforme généra- contre IRL entre le tapotant, caressant, mettant en mou-
Heaven note une stagnation du taux liste des moins de 13 ans : publication Étudiée à part des YouTuber et sa com- vement toutes sortes de matières.
d’inscription entre 2016/2017, peut-être de photos bien sûr, et communication de réseaux sociaux par munauté. Les jeux de rôle sont souvent utilisés
le signe que l’âge d’une certaine autono- faits marquants (anniversaire, sortie entre Heaven, la plateforme • Tag : liste de ques- pour mettre en scène ces stimuli. Par
mie numérique ne peut baisser indéfini- amis), mais aussi messagerie directe et vidéo de Google est tions ou de défis aux- exemple, une séance de maquillage ou
ment. communication en groupe (échange de plébiscitée par les quels les YouTubers jouer un vendeur dans une boutique.
Les filles sont plus précoces : elles devoirs). collégiens. C’est tout se soumettent, en solo • Unboxing : le YouTuber déballe un
sont 67,9% âgées de 13 ans ou moins à simplement leur télé, ou à plusieurs. Par colis reçu par une marque et en com-
utiliser les réseaux sociaux contre 56,6% Pas étonnant donc que ces jeunes ne celle avec laquelle ils exemple, le Boyfriend mente le contenu.
pour les garçons. (Voir Graphique 1) voient plus trop l’intérêt d’être sur Face- ont grandi via la ta- Tag ou Tag Dessin. • Empties : présentation d’une série
book qui fédère moins de la moitié des blette des parents. • Ask : même prin- de produits que le YouTuber a consom-
moins de 13 ans (47,6%) et tend à la cipe que le Tag, mais mé jusqu’au bout.
SNAPCHAT ET INSTAGRAM baisse avec une forte décroissance du Les YouTubers ont dé- c’est le public qui est à
EN TÊTE, RÉSEAUX taux d’inscription en classe de 6e (42,6% veloppé de nombreux l’origine des questions.
D’APPRENTISSAGE LUDIQUE vs. 26,6 d’inscrits soit formats qui fédèrent • Room Tour : le LE RAPPORT AUX MARQUES
DES RELATIONS SOCIALES –16 points en un an). Le signe de la mon- les pré-ados, à l’instar YouTuber présente sa
EN LIGNE tée en puissance des « Facebook Ne- des Challenges, qui chambre et raconte Les 10-13 ans sont bien conscients que
vers » ? comme leur nom l’in- des anecdotes sur les YouTubers se font payer (en argent
Le trio de tête des réseaux sur lesquels dique, consistent à re- les objets qui la com- ou nature) pour présenter des produits,
les collégiens sont le plus présents n’a Musical.ly, une application particuliè- lever un défi au regard posent. mais loin de les rebuter, cela renforce
pas changé par rapport à 2016. rement technique permettant de parta- de toute la commu- • Haul : présenter au contraire leur fascination envers
(Voir Graphique 2) ger des vidéos autour du chant et de la nauté. Parmi les plus ses achats, son panier ceux qui ont réussi à se faire remar-
danse, entre directement à la 4e position connus : de course vegan ou ses quer par une marque... avec l’espoir
Snapchat reste plébiscité à 76,7% (+3 cette année avec près de 30% d’inscrits, fournitures scolaires. de devenir riches !
points vs 2016) pour la communication dont 80% sont des filles.

98 99
50 %
DE LA
VIDEO
SERA MOBILE D’ICI 2020
Par Alexandra Yeh | France Télévisions
Direction de l’Innovation

MOBILE + VOD : LES D’ICI TROIS ANS, LA MOITIÉ DE NOTRE TV : parmi les 20 000 répondants À QUOI RESSEMBLERA LA versel. Car au-delà de la nécessaire * Étude menée auprès de 20 000 internautes
NOUVEAUX STANDARDS CONSOMMATION DE TÉLÉVISION ET DE VIDÉO à l’enquête, seuls 6% affirment CONSO VIDÉO DANS CINQ adaptation des médias à la transfor- âgés de 16 à 69 ans, issus de 13 pays d’Eu-
DE LA CONSOMMATION SE FERA SUR DES TERMINAUX MOBILES. C’EST qu’ils n’utiliseront probablement ANS mation des usages, c’est bel et bien le rope, d’Amérique du Nord et d’Asie.
VIDÉO CE QU’AFFIRME LA 8E ÉDITION DE L’ÉTUDE plus leur poste de télévision défi de la découvrabilité qu’il leur faudra
ERICSSON CONSUMERLAB TV & MEDIA*, DONT dans 5 ans. Interrogés sur l’évolution de leurs relever dans les années à venir. Et cela
Ceux qui s’intéressent à l’évolu- LES CONCLUSIONS SONT SANS APPEL  : LE usages dans les cinq ans à venir, 30% passe par une meilleure indexation des
tion des usages et des pratiques POSTE DE TÉLÉVISION TRADITIONNEL VA des répondants pensent qu’ils consom- contenus et une amélioration des re-
de consommation des médias CONTINUER DE PERDRE DU TERRAIN DANS LA RÉALITÉ meront de plus en plus de vidéo en réa- commandations personnalisées.
le savent : le smartphone est LES ANNÉES À VENIR, AU PROFIT NOTAMMENT VIRTUELLE POUR lité virtuelle. 29% se voient également À bon entendeur !
bel et bien en train de détrôner DU SMARTPHONE QUI VA CONFIRMER SA REFAIRE DE LA VIDÉO adopter les interfaces vocales et
la télévision. On l’annonce de- PLACE DE PREMIER ÉCRAN. UNE EXPÉRIENCE utiliser leur voix pour piloter leurs ap-
puis quelques années déjà et COLLECTIVE pareils. Des tendances très tournées
Ericsson le confirme. 70% des sur la technologie qui se distinguent de
répondants à l’étude affirment en effet leur temps de visionnage sur la VOD – un Autre chiffre clé annoncé dans cette l’évolution des cinq dernières années,
consommer des contenus TV et vidéo temps qui a doublé depuis 2010. Cette étude : celui des usages de la réalité vir- où ce sont surtout les usages qui ont
sur leur smartphone – soit deux fois plus tendance devrait s’accélérer selon Erics- tuelle, qui devrait séduire un internaute changé avec la montée en puissance
qu’en 2012 –, qui représente déjà 20% son qui prédit que la vidéo à la demande sur trois d’ici 2020 selon les projections. des contenus HD, la généralisation du
du temps total consacré au visionnage représentera près de 50% du temps Un chiffre vraisemblable… à condition binge watching et la diversification des
de TV et de vidéos. Une progression total passé à consommer de la vidéo que la VR sociale se développe ! Car plateformes utilisées pour visionner
fulgurante de la consommation mobile, d’ici 2020. c’est l’un des moteurs essentiels pour des contenus TV et vidéo.
encore plus marquée si l’on considère conquérir les spectateurs et s’imposer
tous les terminaux mobiles (smartphone, Chez les spectateurs les plus âgés, la dans leurs pratiques de consommation Le nombre moyen de services VOD uti-
desktop, tablette) : tous devices confon- télévision linéaire fait de la résistance média : leur permettre de partager des lisés par chaque internaute a d’ailleurs
dus, les projections affirment que 50% puisque les 60-69 ans passent encore expériences en visionnant des contenus connu une augmentation conséquente,
de la consommation vidéo sera mobile 80% de leur temps de visionnage de- à plusieurs. Trop isolante pour le moment, de 1,6 service par personne en 2013
en 2020, soit une augmentation de… vant le traditionnel téléviseur, un chiffre la VR a pourtant un véritable potentiel à 3,8 services en 2017. Ce qui pose
80% en dix ans ! stable depuis 2013. Il ne faudrait d’ailleurs pour relancer la dimension sociale de une nouvelle fois la question de la dé-
pas signer trop vite l’arrêt de mort de la la télévision et en refaire une expé- couvrabilité des contenus, de plus en
Cette transformation des rience collective (comme plus complexe dans ce contexte de su-
terminaux utilisés s’ac- à l’âge d’or, désormais rabondance de l’offre.
compagne d’une évolution bien lointain, de la télé-
des contenus visionnés. vision, où les familles se Désormais, les internautes passent
La vidéo à la demande retrouvaient dans le salon près d’une heure par jour à chercher du
gagne de plus en plus de pour visionner leurs pro- contenu (+13% en un an). Pas étonnant,
terrain, notamment chez grammes). dans ces conditions, que 70% d’entre
les 16-19 ans, qui passent eux affirment qu’ils aimeraient pouvoir
déjà plus de la moitié de recourir à un moteur de recherche uni-

100 101
LI-
VRES
RECOMMANDÉS RECOMMANDÉS
RECOMMANDÉS
104 105
POUR AFFRONTER UNE TEMPÊTE
IL FAUT UNE CARTE ET UN GOUVERNAIL,
PAS SEULEMENT UNE ANCRE
Yuval Harari

Edité par la Direction de l’Information


Directeur de la publication : Delphine Ernotte-Cunci
Directeur de l’Information : Yannick Letranchant
Directeur de la collection : Éric Scherer
Ont aussi collaboré à ce numéro : Barbara Chazelle (responsable d’édition), Nicolas Becquet,
Nozha Boujemaa, Kati Bremme, Hervé Brusini, Nathalie Pignard-Cheynel, Lorraine Poupon,
Gautier Roos, Clara Schmelck, Sébastien Soriano, Benjamin Thereaux, Alexandra Yeh
Secrétariat de rédaction : Pierre-André Orillard
Conception et réalisation : Maëva Da Silva
Illustration de couverture : Jean-Christophe Defline
Impression : Cap impression

Vous aimerez peut-être aussi