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Communication et langages

Le pouvoir du journalisme
Antoine Spire

Résumé
Après son étude sur l'édition de livres, parue dans le numéro 52 de notre revue, Antoine Spire se penche sur celle de la presse
et plus particulièrement sur la situation de journaliste dans les nations occidentales. Après le point de vue du patron de presse
libéral de P.A. Chevalier dans le présent numéro, voici celui du sociologue — marqué par l'influence marxiste — qui nous
montre comment et pourquoi le pouvoir de ce journaliste est bien moindre qu'on ne le croit, au sein d'un milieu professionnel
plein de servitudes et de contradictions.

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Spire Antoine. Le pouvoir du journalisme. In: Communication et langages, n°55, 1er trimestre 1983. pp. 110-122.

doi : 10.3406/colan.1983.1558

http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1983_num_55_1_1558

Document généré le 23/09/2015


LE POUVOIR

DU

JOURNALISME

par Antoine Spire

Après son étude sur l'édition de livres, parue dans le numéro 52 de notre
revue, Antoine Spire se penche sur celle de la presse et plus
particulièrement sur la situation de journaliste dans les nations occidentales. Après le
point de vue du patron de presse libéral de P.A. Chevalier dans le présent
numéro, voici celui du sociologue — marqué par l'influence marxiste — qui
nous montre comment et pourquoi le pouvoir de ce journaliste est bien
moindre qu'on ne le croit, au sein d'un milieu professionnel plein de
servitudes et de contradictions.

Y A-T-IL REELLEMENT UN POUVOIR DE L'INFORMATION ?


L'efficacté de la presse
suppose qu'elle s'appuie sur d'autres pouvoirs
Faisons d'abord une mise au point : la presse ne constitue pas
un pouvoir en soi... Elle n'est que rebond d'un pouvoir extérieur
à elle. Elle renforce, elle structure, elle démultiplie l'efficacité
d'un pouvoir déjà existant... Mais C3 pouvoir ne réside pas on
elle.
Pourquoi la presse américaine a-t-elle joué un rôle décisif dans
l'affaire du Watergate et pas la presse française dans l'affaire
Ben Barka ou Bokassa ? Pourtant, dans les deux cas, il s'est
trouvé des journaux — le Washington Post .ici, l'Express, le
Nouvel Observateur et le Monde là — pour poursuivre l'enquête
jusqu'au bout. Mais, aux Etats-Unis, la presse a pu s'adosser à
"§"
£ un pouvoir
dit, ce n'estjudiciaire
pas le Washington
indépendant,
Post
pasqui
en est
France.
venu Autrement
à bout de
£> Nixon... C'est 'la justice — en tant que pouvoir autonome —
c? relayée par le Washington Post.
^ C'est d'ailleurs ce qui explique que le prétendu pouvoir de
« la presse soit souvent sans rapport avec l'ampleur réelle de
§ sa diffusion. Ainsi, durant l'affaire Dreyfus, la presse dreyfu-
« sarde — l'Aurore, la Petite République — ne représenta que
*5 10 % des tirages... le gros des journaux dits « populaires » était
| antidreyfusard. Mais la minorité journalistique s'appuya sur un
| pouvoir considérable à l'époque, le pouvoir universitaire, qui,
o lui-même, finit par faire plier le pouvoir tout court. On voit ici
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l'immense importance d'un relais dans la réalité de la société


pour que la presse exerce effectivement un pouvoir. On peut
même aller plus loin et admettre que seul le réel constitue un
pouvoir... le pouvoir des « faits » dirait un positiviste... Ce qu'on
appelle « l'objectivité » et qui n'est qu'una tentative d'approche
du réel ne consiste-t-il pas à. mobiliser à son profit le pouvoir
du « fait »? Le journal étant un sujet, il démultiplie le pouvoir
de l'objet qu'il capte : tel est le sens de ce qu'on appelle
souvent abusivement « objectivité ». On a dit la même chose
différemment quand on a proclamé que «-la. vérité était
révolutionnaire ».
D'où souvent le rôle considérable du journal qui dévoile ce
que le reste de la presse dissimule... même si son tirage reste
très faible. Mais ce n'est pas son pouvoir qui s'exprime alors,
c'est le pouvoir des faits qu'il véhicule. Le Monde a, c'est vrai,
malgré une diffusion deux fois moindre, un « pouvoir » beaucoup
plus considérable qu'Ouest-France. Mais c'est qu'il bénéficie
de l'imprimatur moral et intellectuel d'un nombre
impressionnant de pouvoirs particuliers et cohérents... Ce so^t ces
pouvoirs-là qui lui ont conféré 'l'image du journal « sérieux » qui
est la source de sa propre influence. On lui a donné le statut
d'une « institution » !

Le pouvoir de la presse dépend en grande partie


de l'expérience vécue par son lecteur
II y a d'ailleurs une limite, non au pouvoir de la presse qui est,
on l'a vu, en partie illusoire, mais à l'influence des pouvoirs
dont la presse est l'expression, le reflet ou le relais : c'est le
rapport direct que l'individu noue avec les choses.
Logiquement, en effet, 80 % des Français auraient dû, aux
dernières élections, voter en faveur de la majorité, puisque tel était
le conseil pressant que leur donnait une presse représentant
plus de 80 % des tirages (sans parler de la radio et de la
télévision)... Si, en définitive, le résultat s'est presque équilibré,
c'est qu'un correctif est intervenu. Et ce correctif c'est
l'expérience que chacun fait de sa propre réalité. Quand la ménagère
va au marché et constate que les prix ont augmenté de « tant »,
elle confectionne en cela son propre journal dont le pouvoir
est directement l'expression de l'évolution de son pouvoir
d'achat à elle. Quand l'ouvrier licencié se retrouve victime
d'une gestion à laquelle il n'a jamais été associé, il
confectionne, par là même, son propre journal dont le pouvoir est
directement l'expression de la découverte de son manque de
pouvoir de décision. Et c'est pourquoi la véritable Influence de
la presse s'exerce bien plutôt dans le domaine de l'idéologie...
car de cela on ne peut faire directement l'expérience. En
diffusant des idées, des certitudes intellectuelles ou des mythes,
les pouvoirs que la presse exprime savent donc que c'est la
seule possibilité qu'ils ont de récupérer et de modifier en
Le pouvoir du journalisme

amont l'expérience que les citoyens font en aval du processus


informatif. Or l'efficacité des décisions suppose un contrôle
relatif du débat idéologique. Que les citoyens ne croient pas
aux informations qu'on !eur donne n'est pas très grave, du
moment qu'ils enregistrent les explications qu'on leur suggère.
Les critères de J 'information : le bruit immédiat
moins important que la fonction symbolique
La seconde question posée à propos du pouvoir de
l'information est celle des critères de l'information. Qu'est-ce qui décide
par exemple de l'importance d'un événement? Sur le moment
c'est tout simplement le bruit qu'il fait ; mais, après coup, avec
le recul, son poids spécifique est tributaire non de son intérêt
immédiat, mais de sa descendance ou plus exactement de la
façon dont a été gérée sa fonction «symbolique». Nous
reviendrons sur la conception de .l'événement qui préside à
l'activité des principales rédactions de la presse nationale. Mais
ici, insicons sur cet aspect du choix de la perspective: la
bataille de Valmy, . quelle que soit la minceur des effectifs
engagés et le peu d'ampleur des combats, fut un événement
/'mmense, alors que la contre-offensive des Ardennes en 1944,
malgré les masses humaines en présence, ne constituait qu'une
péripél.e...
Il peut arriver que l'intérêt immédiat d'un événement coïncide
avec ce que sera sa fonction « symbolique » : ainsi Stalingrad.
Il peut arriver aussi soit que cette fonction « symbolique » se
soit greffée sur tin événement sans intérêt immédiat (Appel du
18 juin 40), soit qu'un événement d'un grand intérêt immédiat,
par exemple la victoire du général Moreau à Hohenlinden, n'ait
finalement eu aucune « fonction symbolique ». Et le « sens » de
l'Histoire ici. n'explique pas iout: que Giraud ait finalement
surclassé De Gaulle et personne n'évoquerait plus l'Appel du
18 juin.
...Que Moreau et non Bonaparte ait, le 18 brumaire, fourni le
« sabre » que réclamait Siéyès, et la bataille de Hohenlinden
serait plus célèbre que celle d'Austerlitz. En admettant qu'il
fût dans « la nature des choses » qu'un libérateur incarnât en
£ "940 et 1941 la résistance de la France occupée, ou qu'un milï-
"§■ .aire victorieux confisquât la 'Révolution française à son profit,
g5 il n'était point fatal que l'un fut De Gaulle et l'autre Napoléon.
c Autrement dit, pour qu'un événement devienne historique, il
^ faut qu'un hasard en fasse l'instrument de la nécessité. Et
« encore, ce hasard-là n'est-il pas exempt de tout déterminisme
§ (il y avait des raisons objectives, ne serait-ce que d'ordre psy-
| chologique pour que ce fût Bonaparte — et non Moreau — ou
"5 . Bernadotte). Et cette nécessité est, olle, à la merci d'une
| . contre-performance de celui ou de ceux dont elle porte le des-
| tin (et si Bonaparte avait chuté à Marengo ?). Cette remarque
u n'est d'ailleurs elle-même que partielle car dans la part de
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déterminisme' qui explique une volonté, il y a encore du hasard,


et dans la part de destin que véhicule la logique des choses,
il y a encore de la nécessité. Autant dire que l'informateur —
fût-il analyste ou commentateur de l'instant — n'est jamais en
mesure de savoir s'il réagit à une histoire ou à l'Histoire..
Quelque chose se déroule devant lui, dont il saisit l'effet, non
les effets, dont il ne saurait dire s'il s'agit de quelque chose
qui passe ou de quelque chose qui se forme.
Tout le problème de l'analyse journalistique est qu'elle se
veut positiviste par nature. Elle raisonne à partir de
l'apparence ; même si l'idéologie qui sous-tend le regard de
l'informateur, irrigue cette apparence-là. Plus exactement, le discours
journalistique est devenu lui-même discours sur un discours.
Nous reviendrons sur cette évolution capitale: le «dire» est
\a matière première de la recherche, à la rigueur la « façon de
dire », parfois même « la façon de ne pas dire ».
On voit ici que le poids des mots, le poids des apparences
altère considérablement toute communication journalistique.
Mais il nous faut situer le pouvoir supposé ou réel du
journaliste à l'intérieur de ce que Régis Debray1 appelle le « cycle
des media ».
Poids politique du pouvoir symbolique
et contrepoids symbolique du pouvoir politique ?
«Les institutions politiques auraient 'toujours eu besoin de la
chose écrite pour se légitimer et donc de ceux qui font
profession de la pratique de l'écriture pour asseoir leur pouvoir ».
Ainsi, selon Régis Debray, la pratique journalistique
participerait de la violence des rapports sociaux. En France, H y aurait,
selon >ui, rapport constant et inversé entre le poids
symbolique du pouvoir politique et le poids politique de ce pouvoir
symbolique qu'est l'écriture. Bien sûr, il est difficilement
contestable que les intellectuels, comme la pensée, comme l'écriture
sont issus et s'expriment dans un donné social précis ; mais
ne sont-ils qu'au service du pouvoir politique ?
N'y a-t-il pas des écrits qui, d'une certaine façon, ont pris de
l'avance sur leor époque et indiqué des perspectives politiques
qui n'étaient pas faites pour plaire aux pouvoirs en place ?
Pensons aux philosophes du xvin* siècle, annonciateurs en
ligne indirecte certes, mais annonciateurs tout de même, de
la Révolution française. Pensons à Marx et Engels, annonciateurs
du socialisme malgré tous les aléas de réalisation que le monde
a connus. D'ailleurs, à la lecture de ce livre de Régis Debray,
une question ne cesse de nous poursuivre. Au service de quel
pouvoir politique écrit Régis Debray, et trahit-il les siens ? Ne
lui en déplaise, nous répondrons que sa verve critique n'est
au service d'aucun pouvoir et qu'elle stimule plutôt le lecteur
à penser la réalité dans son caractère contradictoire.

1. Le pouvoir intellectuel en France (Editions Ramsav).


Le pouvoir du journalisme

L'illusion du pouvoir journalistique ou du pouvoir imaginé <


Si c'est avec un souffle assez extraordinaire que Régis Debray
nous décrit les modes et les contre-modes de ce « tout Paris »
qui fait l'opinion par média interposés, ne faut-il pas
s'interroger sur la nature du pouvoir dont dispose effectivement cette
petite minorité? Peut-on parler de pouvoir parce que l'on a la
possibilité d'écrire chaque jour une centaine de lignes dans
le journal, de parler au mieux chaque jour cinq petites
minutes à la radio ou d'apparaître fugitivement sur le petit
écran ? Non pas qu'il faille souhaiter que cette petite caste que
stigmatise Debray se voit encore élargir ses privilèges, mais
bien plutôt ne faut-il pas constater que si « ces gens » jouissent
d'un statut enviable ils ne disposent que partiellement de ce
que l'on appelle le pouvoir. Ou plutôt, s'ils disposent d'un
pouvoir, c'est de pouvoir symbolique qu'il faut parler : on les
envie, en leur attribue un rôle que bien souvent ils n'ont pas.
Nous aurons d'ailleurs l'occasion de revenir sur cette réflexion
concernant le pouvoir de l'information. Disposer du pouvoir
n'est-ce pas avoir la possibilité d'intervenir concrètement sur
le réel ? Un chef d'entreprise exerce réellement un pouvoir dans
la mesure où les conditions de travail et le temps contraint
passé dans la production par ses salariés dépend en grande
partie de ses initiatives. Constatons que c'est loin d'être le cas
lorsqu'il s'agit du journaliste ou de l'éditorialiste. Il parle, il
écrit, on l'écoute ou en ne l'écoute pas, on le lit ou on ne le
lit pas et son pouvoir de contrainte est d'abord fantasmatique
avant d'être réel. Bien sûr, l'homme est un animal dont la
caractéristique essentielle est de se projeter dans l'imaginaire.
Pouvoir s'adresser à son imaginaire c'est donc quelque part toucher
quelque chose de fondamental dans la mesure où cette parole-là
porte plutôt qu'une autre, elle est déjà pression, choix,
orientation de l'idéologie de celui dont la liberté s'arrête à la
possibilité de fermer le bouton. Mais cette possibilité justement
nous conduit à ranger plutôt le pouvoir du journaliste comme
pouvoir imaginaire, pouvoir symbolique que comme pouvoir réel.
^ Debray en tout cas, en ne se posant pas cette question, suppose
^g. qu'information sur la réalité et réalité sont du même ordre et
§, en cela il amalgame deux phénomènes qui ne sont pas de la
g, même essence.
J Les approximations du contenu du message médiatique
£ renvoient à la superficialité de l'existence
c de ceux qui en font le contenu
'•g Bien sûr, la vie de ces hommes qui composent la H.l.2 est trop
•| souvent faite d'insignifiance, de relations que l'on entretient et
| dont le nombre mesure J'influence dont on peut disposer, de
^
og à2.
copinages
Paris.
Haute Intelligentsia
avec qui: selon
déjeuners
Régis Debray,
et pots
quelques
ont centaines
toujoursde un
personnes
objet
Mass media 115

précis. Passant sur la petite haine, on déjeune, on dîne avec


celui que la veille on décrivait comme le dernier des
imbéciles, on intrigue pour écrire dans ce journal dont on disait la
médiocrité, ou pour dire un mot dans cette émission que la
veille on disait superficielle. Là où Régis Debray est le plus
inoisif, et sans doute le plus intéressant, c'est lorsqu'il
s'interroge sur les raisons de cette course aux média que pratiquent
aujourd'hui nombre d'intellectuels. Pourquoi cet appétit à vou-,
loir sa photo dans le journal, son nom en bonne place, son
article dans Le Monde, s'écouter à la radio, intervenir dans
telle émission à la mode, etc. ? Fuite de soi-même, recherche
angoissée de soi, recherche d'une sécurité qui, le plus souvent,
ne s'avoue pas à elle-même. D'une certaine façon, il s'agit là
d'une course éperdue : en cherchant son nom dans le journal,
on se cherche soi-même sans jamais se trouver...
Le scoop indéologique, le hit parade des idées remplace la
réflexion théorique. Les média recherchent avec application
le faux nouveau pour pouvoir le promouvoir au détriment de
toute élaboration sérieuse. La perte du sens réel se
manifesterait par le fait que le journalisme lui-même ne serait plus
qu'une suite d'opinions personnelles concoctées à domicile loin
des événements quotidiens que plus personne ne va observer
sur le tas. De journal à journal, on communique, on se
téléphone dans la seule mesure où l'on se situe au même niveau
hiérarchique. Leroy appelle Perdriel, July ou Laurens et
réciproquement. Ce petit monde a ses lois et même si la politique
oppose, la solidarité professionnelle a ses exigences et
rapproche.
LE JOURNALISTE CONFRONTE AU POUVOIR
Remettre l'enquête sur le terrain aux postes de commande
Régis Debray a à peu près écrit que l'activité de journaliste
représente le sommet de la fonction intellectuelle parce qu'elle
s'élève de l'abstraction qu'elle est censée connaître, au concret
qu'elle découvre, de l'indéterminé au singulier, du creux au
plein. C'est là une vision un peu idéale. On peut en effet rêver
d'un journaliste d'abord confronté aux faits, refusant
approximation, a priori et généralisation rhétorique. C'est un peu ce
rôle d'hygiène concrète que le journalisme a joué dans la
pratique de Marx, Engels, Lénine. Rosa Luxembourg, Trotsky,
Gramsci, etc. Leur réflexion théorique fut en prise directe sur
leur temps, sur les événements de leur temps grâce au
journalisme.. Mais chez eux, comme chez n'importe quel praticien
de ce métier aujourd'hui, se mêlaient indistinctement
événements rapportés et généralisations idéologiques fichées en
plein cœur de ces événements. Le réel existe en dehors de
ce qu'en pensent les journalistes, de ce qu'on leur demande
d'en penser. Et c'est la rencontre du réel et de son reflet
journalistique qui se pénètre d'idéologie sous la domination de
ceux qui président aux destinées de l'organe de presse auquel
Le pouvoir du journalisme

appartient le journaliste. On pourrait imaginer simplement que


la déontologie du métier consiste à dire « je vous rapporte ce
que j'ai vu et entendu, faites-en ce que vous voulez ». En fait,
qu'a-t-on vu, qu'a-t-on entendu ? Comment s'opère la rencontre
entre le fait et l'idéologie du journaliste ? Constatons tout
d'abord que, trop souvent, le journaliste est en service
commandé sous la domination du groups politique ou financier à qui
appartient son journal. Combien de. directions d'organes de
presse tiennent implicitement, mais tiennent quand même ce
langage : « allez voir et entendre sur place l'exactitude de nos
analyses ou de nos opinions et rapportez-nous la preuve que
ncus ne nous sommes pas trompés. »
La démarche du journaliste à l'inverse ne devrait pas être
deductive. Elle devrait partir du terrain des faits et non pas de
celui des analyses abstraites. C'est en cela qu'on peut parler
du caractère subversif d'un certain journalisme, surtout si le
talent s'ajoute à l'observation des faits et tend à les rendre à
la fois plus clairs, plus troublants et plus complexes. Bien sûr,
comment parler de cette observation de façon détachée ?
Chaque individu projette son idéologie en observant, choisit
les détails significatifs pour lui et organise son propos en
fonction de ses présupposés.
Ce qui importe, ce n'est donc pas de fantasmer un journaliste
objectif imperméable à toute idéologie, observant les faits
comme un entomologiste, mais bien plutôt de penser qu'il est
possible qu'un journaliste accepte de laisser remettre en
question quelques-uns de ses présupposés après le simple examen
des faits. Comment peut-il le faire si les consignes de sa
direction sont à ce point imperatives que toute remise en cause
serait appréciée comme la désertion d'un combat auquel il doit
absolument participer ?
Le rapport quotidien avec la réalité entre souvent
en contradiction avec les instructions de la direction
Cela explique certainement en partie le fait que le journaliste
est particulièrement exposé: ses crises sent fréquentes et
les ruptures de contrat font partie de l'ordinaire. On parle même
parfois de la valse permanente de la profession. En effet, à
£ moins d'être en osmose totale et inconditionnelle avec les
"ïo idées du propriétaire du groupe qui commandite le journal, à
|» moins d'être totalement indifférent à ce qui ressort de l'éthique
g* professionnelle, le journaliste est un empêcheur de penser en
■2 rond parce que de son activité découle le témoignage sur la
« réalité et non sur les idées que l'on en a. Par-delà l'idéologie
§ individuelle, il y a là une contradiction qui nous semble être
'■§ au principe de cette profession. On ne peut vivre au contact
■5 du monde journalistique sans constater cette atmosphère d'ins-
| tabilité permanente qui se traduit souvent par un persiflage et
| un cynisme qui font partie de la toile de fond des salles de
o rédaction. Les exigences des directions sont intériorisées car
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quelque part on sait que l'affrontement direct ne pourrait se


résoudre que dans la démission. De compromis en compromis,
en tente de faire bonne figure, semblant faire siennes les
exigences venues d'en haut. Lorsque le décalage est trop grand,
la crise éclate bien sûr, vite balayée par des analyses
psychologiques qui viennent rassurer le milieu et faire obstacle à
l'abord en profondeur de cette question fondamentale que
constitue la confrontation entre le journaliste et un pouvoir qui,
relevant d'une institution, accepte difficilement de voir remis
en cause tel ou tel dogme fondateur. Bien plus, c'est toute la
perspective de la profession qui, souvent, fait problème : d'un
côté ceux qui savent, qui ont un message à transmettre, un
produit à vendre, de l'autre ceux qui doivent subir et lire,
écouter ou voir ce produit qui leur est destiné, ce message
concocté pour eux. L'idée monarchique selon laquelle il y aurait
ainsi les informateurs de droit divin et les informés à qui on
distille l'information au compte-gouttes selon la place qu'ils
occupent dans l'échelle sociale d'une hiérarchie politique est
plus répandue qu'on ne le pense. Elle en appelle à des
phénomènes de croyance et nen de compréhension. Elle fortifie la
parole; le culte du chef. Elle privilégie la raison d'Etat, la raison
d'entreprise, voire la raison de parti par rapport à la raison
humaine. Elle réclame l'aveuglement et non la lucidité. Nous
savons ce qu'il leur faut. C'est cette information qu'ils
attendent. Voilà le sujet que nos lecteurs ou nos auditeurs nous
veulent voir aborder. À partir d'une idée toute faite, de
l'aspiration des lecteurs, à partir des stéréotypes qu'on imagine être
le mode de pensée de l'auditeur moyen, on construit l'actualité
plus qu'on informe des développements de l'actualité. Quels
organes de presse échappent aujourd'hui à cette conception ?
Une logique médiatique qui dépasse les oppositions politiques
D~une certaine façon, l'engin est capricieux et nous verrons
qu'il constitue parfois une sorte de boomerang qu'on est loin
heureusement de savoir totalement maîtriser. L'éthique
professionnelle synthétise une série d'exigences qui, ne sont pas
l'apanage d'une catégorie bien précis© de journalistes. Cette
éthique, mais aussi des contradictions qui traversent une
profession en mutation, un statut de témoin du vécu, prédispose
ces hommes qui font la presse à être tiraillés entre les
exigences du pouvoir et celles de leur profession, entre la réalité
qu'ils constatent et l'idée qu'ils en ont ou que l'on voudrait
qu'ils en aient. On croit souvent le pluralisme réalisé lorsque
l'on rassemble des points de vue opposés autour d'un miefo.
Face à face, débats contradictoires. entre leaders politiques ne
sont souvent que des « trompe-oreilles », de fausses
oppositions préservant une logique institutionnelle au service de tous
les pouvoirs en place. La démocratisation de l'information ne
nous semble pas relever seulement d'un changement du pou-
• voir d'Etat, d'un changement de direction, mais bien plutôt d'un
libre dialogue où les «informés» seront appelés- eux aussi à
Le pouvoir du journalisme

jouer le rôle d'informateurs. Une transformation du rapport


entre le pouvoir et l'information suppose la mise sur pied de
contre-pouvoirs qui doivent pouvoir s'exercer quelle que soit
l'origine idéologique de celui qui informe. Une certaine gauche
a trop longtemps cru, croit encore, que si Marchais ou
Mitterrand remplacent Barre ou Giscard, on aurait enfin l'information
de rêve. Illusion ! L'idéologie ne passe pas que dans le contenu
de ce qui se dit dans les journaux ou dans les débats
radiodiffusés. Elle passe aussi dans la programmation, dans les choix
préalables, dans les dosages, dans les équilibres d'émissions,
dans la publicité, dans les films, dans les créations, dans les
mots, dans les images, dans les signes. Bien plus, elle passe
dans leur montage et leurs mécanimes. La structure de
l'information importe plus que son contenu. Cela explique sans doute
pourquoi le fait de donner, un peu plus la parole à un leader
qu'à un autre n'est pas d'une influence considérable sur
l'opinion du spectateur. Dans un livre qui a fait date : La télévision
fait-elle l'élection ?,Jay G. Blumler, Roland Cayrol, Gabriel Tho-
veron3 avaient montré qu'il fallait cesser de considérer le public
des campagnes électorales comme une simple cible pour les
spécialistes de la propagande et du marketing politiques. La
télévision, selon eux, avait surtout déstabilisé les électorats,
non pas en jouant un rôle direct, mais en amplifiant un certain
nombre de phénomènes répondant aux besoins d'élargissement
de la gamme des moyens d'information d'un électorat aux
préférences moins nettement fixées. Qu'il nous soit seulement
permis ici de constater que le journaliste n'est pas au service
d'une cause idéologique, mais inséré . dans une structure qui
fige les mythes, impose le culte du vedettariat de la
personnalisation et de la délégation de paroles et de pouvoir.

Les media sont le reflet actif du pouvoir et du contre-pouvoir


La presse est surtout un miroir, le miroir d'une situatfon sociale
donnée, passant à travers le prisme d'une hiérarchie et d'une
structure organisatoire qui vient aggraver encore les difficultés
à constituer une instance autonome. Toutes les structures de
la société — et pas seulement le pouvoir politique — mais
aussi le patronat, l'église, les syndicats, les partis, sont autant
^ de pouvoirs disposant d'informations originales dont ils sont
2 les maîtres. Ils les donnent, ils les dissimulent, ils les dis-
H tillent selon les circontance's et leur bon vouloir. L'information
§ vient donc faire le récit des décisions du et des pouvoirs, mais
II
" elle informés
Les ne raconte
seront
jamais
tenus
l'histoire
en tutelle
des décisions.
tant qu'ils ne connaîtront
.2 pas les chemins des idées, des opinions, des décisions, des
S actions, tant qu'ils ne se reconnaîtront pas dans l'information
| qu'on leur donne, tant qu'ils ne se sentiront pas investis d'un
S 3. La télévision fait-elle l'élection ? Une analyse comparative : France, Grande-
§ Bretagne, Belgique (Presses de la fondation nationale des Sciences politiques
O 1978).
Mass media 119

rôle qui leur permettrait de passer du statut de spectateur à


celui d'acteur. Le jour de cette transformation on ne « donnera »
plus d'informations, mais on en « échangera » Et n'allons pas
croire que cet Eden utopique serait déjà incarné aux U.S.A. Si
l'information ne s'y exerce pas exactement comme en France,
la règle du secret est fondamentalement la même. Elle y est
seulement moins visible. En effet, la centralisation du pouvoir
est moins poussée et on peut parler d'une pluralité d'instances
relativement autonomes (militaire, politique, fédérale, nationale,
etc.) d'où des contradictions et des fuites. Sans doute faut-il
ajouter que les journalistes américains maîtrisent mieux
l'information que les Français, ils ne se trompent guère dans le
choix des révélations qu'il faut faire, des vérités qu'il faut dire
et celles qu'il faut à tout prix occulter. Si la censure en France
est brutale et maladroite, aux Etats-Unis, elle sait s'exercer
insidieusement. Laissant toujours le damier mot à l'establishe-
ment, là-bas comme ici. Autant dire qu'aux U.S.A., l'information
est aussi plus un instrument de. pouvoir que le fruit d'une
dialectique de pouvoirs et de contre-pouvoirs. Pour un Watergate
réussi, combien de faits importants dissimulés, de secrets
gardés, d'informations réservées à une élite ?..
Car si pouvoirs et contre-pouvoirs tentent de s'emparer des
tribunes, si les media reflètent ce jeucomplexedes institutions,
c'est toujours sous la domination du pouvoir, mais en
respectant soigneusement ce jeu institutionnel. La hiérarchie qui,
progressivement, s'est installée dans tous les media en témoigne.
L'édiorialiste porte-parole du pouvoir qui finance compte
infiniment plus que le journaliste qui enquête.
L'institution sait, l'éditorialiste explique ce que sait l'institution
et le journaliste n'a plus qu'à enquêter
pour confirmer les explications
Les prétendus pouvoirs du journaliste sont de savoir, mais qui
sait vraiment, si ce ne sont les pouvoirs, les entreprises, les
partis. C'est à eux qu'appartiennent le journal et donc la
possibilité de décider comment on va user de ce savoir. Si un bon
journaliste doit savoir expliquer, décoder la réalité, s'il doit
savoir habilement choisir et donc décider les choix les plus
importants, les décisions essentielles lui échappent. Comment
expliquer autrement la place prise dans les journaux, à la radio
ou à la télévision par les éditorialistes ? Reflétant l'orientation
de la direction de l'organe de presse, l'éditorialiste tranche,
juge plus qu'il n'explique ou décode. Dans la hiérarchie
professionnelle, on lui donne la. primeur: ce qu'il faut dire du vécu
compte plus que le vécu lui-même. Pourtant, toutes les enquêtes
montrent que la chose intéresse plus que le jugement porté
sur la chose. Peu importe, les éditorialistes font des livres avec
leurs éditoriaux, tandis que les reporters voient leurs
reportages cantonnés dans les rubriques secondaires du journal.
Régis Debray a raison de souligner que : « si l'on se retourne
Le pouvoir du journalisme

vers les hiérarchies intellectuelles du terroir, on s'apercevra


du peu de considération dont jouissent en général ceux qui
ont affaire avec le réel, et, dans les media en particulier, les
enquêteurs et les reporters. La base du journalisme, c'est la lie
des media. En France, la chose elle-même n'est jamais à
l'honneur. Le caractère français, encore aujourd'hui, reste plus
enclin à juger qu'à regarder et accorde plus de prix à
l'appréciation moralisante qu'à l'analyse concrète. C'est pourquoi au
sommet cje notre hiérarchie journalistique, à la place des publi-
cistes du xix* est venue spontanément se loger la figure de
l'éditorialiste, le moraliste de l'actualité dont chacun admet
que la fonction ne soit pas d'éclairer les lecteurs sur les tenants
et aboutissants d'une situation, mais sur la position qu'il choisit
personnellement d'adopter, par rapport à on ne saura jamais
exactement quoi. »
Dans un journal d'opinion, l'éditorial incarne la ligne, ce que l'on
doit penser de tel ou tel événement, indépendamment parfois
du réel. Mais dans un journal d'information, si la ligne est plus
confuse, l'éditorial joue aussi ce rôle de norme, ce rôle de
pensée obligée, ce rôle d'indicateur, cette sécurité pour que
le lecteur sache ce qu'il doit croire. Débraya tort de penser
que cette pratique condamne à mort le journalisme. Elle est
sûrement dépassée, mais un autre journalisme est possible.
En tout cas nécessaire. La désuétude dans laquelle tombe
aujourd'hui la presse d'opinion tend à démontrer que le public
aspire à autre chose. Les fabricants d'éditoriaux feraient bien
d'en prendre conscience. Ils sont plus nombreux qu'on ne
l'imagine ceux qui souhaitent lire ou entendre des journalistes
libres.
Quelle que soit l'opinion qu'on peut avoir quant à l'orientation
politique du journal Le Monde, il faut bien constater que son
succès est fait de cette exigence d'informer qui manque à tant
de media. Non pas que Le Monde soit neutre ou innocent, mais
au centimètre carré, c'est incontestablement lui qui, dans ce
pays, donne le plus grand nombre d'informations. Il sait aussi
laisser des plumes libres s'exprimer parfois contradictoirement
et ce mélange d'informations et d'opinions pluralistes constitue
^ un journal que \e lecteur a envie d'acheter.
> Un lecteur qui exige de l'information
», et des opinions contradictoires
g> A l'exigence du journaliste, devrait répondre l'exigence du
lee's teur — le recul brechtien est ici aussi indispensable — sauf à
■S prendre Hersant, les journalistes, les partis, pour des dieux ou
§ des prophètes. Cette lecture critique faciliterait le travail du
"•§ journaliste. Trop souvent, à l'heure de la mise en forme de
•5 l'article, l'idée de déplaire aux supérieurs, le risque pris à ne
| pas causer de tout, à négliger quelque chose, à ne pas passer
S à la postérité, l'idée de commettre une erreur bloquent toute
o liberté et tout plaisir d'écriture. Du même coup, tout plaisir de
Mass media 121

lecture pour le public. Attendre du journaliste la Vérité, la


neutralité, c'est contribuer à le contraindre à être un journaliste
qui s'autocensuirè, un journaliste mutilé. Les méfaits-de
l'autocensure sont bien plus redoutables que ceux de la censure. Ils
s'installent dans les structures de pensée qui deviennent de
plus en plus difficile à évacuer.
L'intrusion du « je » dans la presse politique n'est pas seule-
me.nt une manifestation d'indépendance du journaliste, mais
l'expression d'un besoin du lecteur : Qu'as-tu vu ? Qu'as-tu
entendu ? Qu'en penses-tu ? Voilà les interrogations que l'on
trouve de plus en plus souvent dans les courriers de lecteurs.
Le journaliste-témoin sommé d'être à l'écoute de ce « on »
indéfini et de parler pour lui en utilisant ce « nous »
irresponsable et introuvable, devient un journaliste du passé. II y a plus
de courage que de narcissisme comme journaliste à dire « je »
au lieu de « on » ou « nous ». Plus de modestie aussi. Plus de
respect du lecteur avec qui il établit un rapport direct,
responsable, vulnérable. Il ne dissimule plus ses propres limites, il
est moins entraîné à écrire ce qu'il ne pense pas. Il devient
plus exigeant avec lui-même, plus attentif au lecteur qui sait
nommément à qui demander des comptes ! Cela dit, trop de
journalistes se croient irresponsables alors qu'ils sont aussi
d'un certain point de vue interchangeables. Quant on a vu sa
prose servir sur le marché à emballer une botte de poireaux,
on est un jour ou l'autre appelé à méditer utilement sur le
statut ambigu et le fameux pouvoir du journaliste.
Le journaliste voudrait sacraliser sa production pour asseoir
son pouvoir ou plutôt l'image qu'il donne. I! a pourtant plus à
gagner en s'appuyant sur l'appétit culturel de son lecteur qu'en
cherchant à immortaliser ses jugements quotidiens.
La vie dans un journal se passe en dévorant les jours et les
semaines. On vit un jour ou une semaine d'avance, selon que
l'on fabrique un quotidien ou un hebdomadaire. Au moment où
le journal est censé intéresser le lecteur, le journaliste est
déjà passé au suivant après avoir oublié le précédent. Quand
on le lit, le journaliste est déjà en train d'écrire autre chose
qu'il considère comme essentiel. C'est une sorte de fuite en
avant dans une permanence de l'éphémère. Croyant plonger
dans le fleuve de la vie, le journaliste ne peut qu'en restituer
une goutte, bientôt évaporée au profit de la suivante. Cette
combinaison de pratiques qui tente toujours de dominer le
temps, provoque parfois l'émergence d'une violente nostalgie
d'éternité dont Jean Daniel a si bien su parler. C'est sans
doute ce qui explique que quelques journalistes aiment mettre
en livre leur production d'éditoriaux. Ils règlent ainsi à peu^de
frais d'imagination et de nouvelles paniques devant la feuille
blanche leur nostalgie d'éternité. Ce destin banal et banalisé
du journal est symbolique. Il y a là toute l'ambiguïté d'un produit,
jugé indispensable et inutile, voire nuisible. Contradictoire cette
Le pouvoir du journalisme

réaction pourtant fort répandue de ceux qui sacralisent en qu'ils


ont lu dans le journal ou vu à la télévision et qui prsnnent
cependant tous les journalistes pour des menteurs. Doute et
crédulité vont de pair, et derrière cette apparence
contradictoire, l'esprit critique progresse plus qu'on ne le pense et le
besoin de comprendre l'emporte sur le besoin de croire. On
enterre un peu trop vite les besoins grandissants de
connaissance, de réflexion, de communication, sous prétexte que la
crise aggrave tout alors qu'elle approfondit plutôt toutes les
contradictions. On a longtemps raconté que les Français
lisaient de moins en moins ; aujourd'hui, on sait que la lecture
ne recule pas. Métro, boulot, dodo, c'est vite dit et faux si
l'on veut bien prendre son temps. La simple observation des
luttes sociales d'aujourd'hui prouve qu'elles requièrent une
intelligence et une disponibilité culturelles qu'il faudra bien un
jour analyser sérieusement. Il faut parfois plus de culture pour
conduire une grève que. pour visiter un musée, la pratique
permet à des hommes et à des femmes de trouver dans les
journaux tels qu'ils sont faits des éléments d'information qui
leur permettent parfois de comprendre en profondeur la
réalité, puisqu'ils participent vraiment à sa transformation.
Aujourd'hui, quand on achète un journal, on sait ce qui s'est passé
la veille. On l'a appris le soir en dînant, le matin en se rasant
ou en préparant les enfants. Cela n'empêche pas la quasi-
totalité des journaux écrits de céder à l'ivresse nerveuse de
l'urgence provoquée par l'événement et de faire comme s'ils
allaient arriver les premiers. Quand un quotidien titre « Sartre
est mort », il réagit avec plusieurs dizaines d'années de retard.
Les lecteurs savent que Sartre est mort, ce qu'ils veulent
savoir, c'est qui est mort, le besoin d'excitation à propos de
l'événement brûlant est retombé. Ce que le lecteur désire,
c'est aussi réfléchir, faire la pause. II n'a plus besoin d'une
information qui le surprenne, mais d'une information qui lui
apprenne. Cette habitude du lecteur, ce besoin du
consommateur de l'information commence à être pris en compte, à être
réfléchi par ceux qui « font » les media. C'est dans cette voie
qu'il faut avancer pour que la presse écrite ou parlée reflète
mieux la réalité sans imposer un pouvoir vide de caricatures.
£ Où trouver ailleurs que chez le lecteur le contre-pouvoir indis-
»" pensable pour remettre en cause l'autorité de ceux qui créent
g5 les informations ? C'est dans ce jeu de pouvoir et de contre-
c? pouvoir que journalistes et directeurs de presse trouveront le
^ chemin vers une presse qui reflète mieux la réalité pour
's pondre au véritable besoin du public. Bien sûr cela suppose
§ que grandisse encore cet appétit culturel du public. Donc une
« politique de formation qui nous sort de l'instance médiatique
•5 elle-même. La solution des conflits de pouvoir internes aux,
| media n'est-elle pas en dehors des media dans cette société
| civile qu'ils.ont mission de faire parler ?
o Antoine Spire

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