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Le foulard de verre : réflexion sur l’ascension professionnelle des

femmes portants un foulard (1/2).

Par Sakina Ghani

Bruxelles, le 23 Mai 2010

Cela aurait pu être le titre d’un nouveau documentaire de Yamina BENGUIGUI.


« Préférons » la réalité à la fiction. Nadia BEN MOHAMED, chercheuse au
Groupe d’études sur l’ethnicité, le racisme, les migrations et les exclusions
(GERME) de l’Université Libre de Bruxelles, a édité un rapport en 2001 - pour le
moins effrayant - sur les femmes portant un foulard dans le marché du travail
en Belgique. Il ressort de cette étude1 deux constats alarmants : une triple
vulnérabilité et un comportement d’auto-exclusion.

Une discrimination sans nom.


Premièrement, le statut d’allochtone qu’on leur porte prime - et parfois efface - sur
leurs qualifications professionnelles. Autrement dit, l’attention portée n’est donc pas
sur la personne mais sur le foulard qu’elle porte, et c’est ce dernier qui prête à la
jeune femme une identité « étrangère ».

Deuxièmement, leur genre constitue également un élément de discrimination. Celui-


ci s’inscrit dans le contexte général de discriminations rencontrées par les femmes
sur le marché du travail. Comme le relève le récent rapport du Bureau International
du Travail, les femmes vont généralement être embauchées pour des postes «
précaires, non sécurisants et informels et ce, à compétences égales »2 comme les
emplois à mi- temps, par exemple. De plus, il va généralement être difficile pour une
femme de briguer des postes à hautes responsabilités sans faire le choix d’une vie
de famille inexistante ou limitée.

Troisièmement, le caractère islamique de leur foulard va être le catalyseur du climat


en défaveur des musulmans et des clichés sur les femmes musulmanes. Leur
démarche va porter un caractère suspicieux auprès des employeurs. C’est ici que se
révèle la puissance des campagnes islamophobes.

Seulement les refus ne diront que très rarement leur vraie nature et les raisons
seront différentes selon que l’on se situe dans le secteur public ou dans le secteur
privé. Dans le premier secteur le caractère neutre (en Belgique) ou laïc (En France)
va être mis en avant pour motiver le refus de la candidate. Dans le secteur privé, la
peur de perdre un portefeuille de clients et donc de faire baisser le chiffre d’affaires
de l’entreprise sera le premier motif avancé.

                                                                                                               
1Ben Mohammed Nadia, « Les femmes musulmanes voilés d’origine marocaine sur le marché de
l’emploi belge ». GERME-ULB. 2001
2
International Labour Office, « Women in labour markets: measuring progress and identifying
challenges”. March 2010 www.ilo.org
 
Face à ces refus systématiques et détournés les femmes musulmanes portant un
foulard vont réagir de deux manières lors des entretiens d’embauches : continuer à
arborer leur foulard ou consentir à le retirer le temps du travail. D’autres femmes
encore vont aussi choisir de ne pas travailler et de rester chez elle et de s’auto-
exclure du marché de l’emploi.

Les premières montrent le plus d’optimisme et de détermination en continuant à


envoyer des CV et à répondre à des entretiens. Elles ne sont pas nécessairement
convaincues par leurs démarches mais pour elles il n’est pas question de travailler
en laissant de côté ce foulard qu’elles ont choisi et qui fait partie d’elles.

Les secondes sont les plus pragmatiques. Pour elles il ne sera pas question de
renier quoi que ce soit mais d’appliquer une sorte de consensus entre toutes leurs
aspirations et la réalité du marché de l’emploi. « L’abandon » du foulard dans la
sphère du travail est perçu comme une sorte de manque mais qu’elles relativisent en
prenant bénéfice des autres aspects que la vie active leur apporte, comme
l’indépendance financière, par exemple.

Les dernières sont l’exemple flagrant de l’échec des politiques de scolarisation et de


promotion à l’égalité des chances dans l’emploi car malgré leurs qualifications
acquises grâce à un effort intellectuel elles restent discriminées. C’est le système lui-
même qui les confine dans leur maison en les empêchant de faire valoir leurs
compétences.

Le foulard : ce puissant fardeau ?


Bien sûr cette réflexion pose inévitablement la question de l’apparition du foulard
dans la sphère européenne du travail. Dans une modernité qui s’assume, il a été la
seule porte de sortie dans l’espace public pour beaucoup de musulmanes. Peut-on
toujours mettre en exergue ce schème de pensée dans notre société mondialisée du
21éme siècle ? La question se pose indéniablement, dès lors que la femme est une
actrice majeure de notre société. Ses droits - bien qu’étant imparfaits - sont
revendiqués et consacrés : parité politique, égalité sociale, mixité dans les lieux
publics, droit de vote, etc. Est-il toujours aussi pertinent de parler d’une stratégie
d’accès à l’espace public ?

Sur ce sujet, il est parfois frustrant d’entendre ou de lire des féministes laïques - et
parfois athées - être aussi rigoristes que certains littéralistes musulmans sur
l’implication des femmes musulmanes dans la sphère publique. Ces deux groupes
affichent, de par leur rhétorique propre, une symétrie parfaite et tellement puissante
que la voix intermédiaire apparaît comme un murmure. Cette dernière tentant de se
frayer un passage pour démontrer l’équation possible entre une foi vécue en
harmonie avec des convictions politiques laïques, et dont beaucoup de ces femmes
en sont un exemple.

Une exemplarité à demi-teinte.


Malgré toutes les faiblesses du marché du travail, certaines jeunes femmes portant
un foulard arrivent à trouver un emploi équivalent à leur niveau d’étude et à se
construire une carrière. Cependant, il arrive bien souvent que ces femmes tournent
le dos à leurs coreligionnaires qui connaissent les mêmes difficultés d’ascension
professionnelle. Souvent motivées par la peur de perdre ce statut chèrement acquis,
elles vont se constituer une nouvelle bulle sociale formée de personnes qu’elles
côtoient dans la sphère professionnelle et de quelques uns de leurs fidèles amis. Le
facteur économique interviendra également pour éloigner définitivement les relations
avec « la base ». Le caractère carriériste de certaines sera aussi déterminant dans
cette rupture. Cette attitude est souvent perçue comme un drame puisque ces
exemples de réussite apparaissent finalement comme des complices du système
discriminant.

Cependant, il existe des initiatives plus générales qui promeuvent la réussite par
l’exemplarité. Citons l’Association Belge des Professionnels Musulmans (ABPM),
présidée par Imane KARICH, qui organise annuellement le salon « Déclic : inspirer la
réussite par l’exemple ». Une journée consacrée à mettre en avant des réussites
dans des milieux aussi variés que la communication, les métiers de la bouche,
l’ingénierie, les métiers médicaux, l’enseignement ou encore le secteur social. Cette
année plus de 500 jeunes rhétoriciens (bacheliers) ont répondu présents à cette
initiative. Cet engouement démontre le nécessaire besoin d’encourager une
population désillusionnée et plus sujette aux faits de discriminations.

Islam et politique ou l’équation tronquée.


Le domaine politique n’échappe pas à ces polémiques, au contraire il en est la forme
exacerbée. Ainsi que le démontre la récente polémique belge sur la nomination par
ECOLO (parti Verts belge) d’une chercheuse bruxelloise - diplômée de l’ULB et
doctorante - au sein de l’administration du Centre pour l’égalité des chances. Le hic ?
Arborer un foulard ! Mais n’allez pas parler de discrimination non ! Les opposants à
sa nomination parlent du risque de « véhiculer une idéologie néoconservatrice et
réactionnaire ». Il est connu de tous que les obscurantistes cherchent le savoir dans
les Universités laïques et qu’ECOLO est leur base arrière... Dans le fond, le
problème de ces réactions est qu’elles consistent en une indignation face à une
réalité fantasmée par lesquelles sont disqualifiées des compétences réelles.
Autrement dit, les jeunes femmes portant un foulard ne sont pas considérées pour ce
qu’elles peuvent apporter dans leur travail mais elles sont plutôt réduites à l’image
qu’elles véhiculeraient.

La France n’est pas en reste. En témoigne le tollé provoqué par la candidature


d’Ilham MOUSSAÏD sur les listes du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) d’Olivier
BESANCENOT lors des élections régionales de 2010. Paris semble particulièrement
souffrir d’amnésie car la jeune Ilham n’aurait pas été le premier personnage politique
à afficher ses convictions religieuses en France. En effet, le premier député
musulman ne fut autre que Philippe GRENIER élu en 1896 dans la région du Jura3.
Par ailleurs, il était réputé pour ses pratiques religieuses et à cheval sur les principes
religieux. Ce qui attirait la moquerie des autres membres de la députation.
En 2009 la polémique éclatait en Belgique avec la jeune belge Mahinur ÖZDEMIR
lorsqu’elle fut élue députée du parlement bruxellois42.
Une (op)position d’autant plus aberrante que lorsque l’on se balade dans les halls
d’universités et d’écoles supérieures, force est de constater que ces femmes sont
                                                                                                               
3
Lire à ce sujet : Fernier R., « Docteur Philippe Grenier, ancien député de Pontarlier », éd. Faivre-
Verney, Pontarlier- 1955
4
Lire l’article « « L’affaire Mahinur », épilogue d’une polémique avortée » par l’auteure de cet article
sur www.gierfi.com
 
avant tout un potentiel intellectuel et économique actif.
Ne serait-il donc pas temps d’arrêter de se voiler la face pour honorer nos principes
démocratiques et donc garantir à tou(te)s une réelle égalité des chances sur base
des compétences ?

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