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Édito

Garder les pieds sur terre

À ceux qui veulent bien, quelques instants, retirer le voile


d’indifférence qui les préserve d’un accablement général
(ou peut-être de rejoindre l’action), un constat s’impose:
notre planète va… très mal… Scandale sur scandale, on assiste,
souvent impuissants, aux révélations catastrophiques qui se
succèdent chaque année: extinction massive de la biodiversité,
mers de plastique, pics de pollution alarmants… la liste est longue.
Sielles se vantent de leurs avancées en la matière, les politiques
proposent encore des solutions bien trop timides pour faire face
à notre double société de croissance (croissance économique,
avec l’augmentation de la production pour modèle, mais aussi
croissance démographique). Depuis les années 1970, plusieurs
théoriciens du design ont appelé la discipline à se réinventer
en intégrant la responsabilité écologique. C’est le cas de Victor
Tyler Spangler Papanek, qui désapprouvait le design industriel, arguant que
Passionné de surf et de Photoshop, «lorsque la conception est simplement technique, elle détruit
le graphiste retravaille ici
un cliché personnel avec l’outil
le contact avec ce qui est nécessaire aux personnes».
Superposition et le filtre Fluidité. Plus récemment, Ezio Manzini, designer et professeur à l’École
polytechnique de Milan, préconisait aussi une révolution
de la pratique: «Passer d’une culture du “faire en l’absence
de limite” à une culture du faire dans un monde limité appelle
un changement profond qui implique l’ensemble des acteurs
du système de conception, production et consommation*.»
Avec l’apparition de nouveaux lieux de pratiques (fablabs),
ou de collectifs prônant davantage d’éthique, le monde du design
objet a déjà entamé sa mutation. Le design graphique, quant à lui,
balbutie encore à trouver sa voie. Depuis les matériaux utilisés,
les questions de recyclage, de ressources locales,
de rationalisation de la production, de l’écologie appliquée
au numérique, la pratique est soumise à l’auto-questionnement
de sa (ses) nécessité(s). Pourtant, des expérimentations récentes,
et de nouveaux enseignements, émergent. Nous avons rassemblé
dans ces pages quelques-unes de ces démarches qui, sans doute,
en encourageront d’autres… Car, le designer, au cœur
des processus de production, endosse la lourde responsabilité
de son impact écologique.
PAR CAROLINE BOUIGE

* Cité par Victor Petit dans


Sciences du Design n°2, PUF
dossier

Design
& écologie 118

D e p u i s l a r e c h e r c h e , av e c l e g r o u p e p r é D o c t o r a l
D e   l ’ e n s a D - l a b m e n é p a r r o x a n e J u b e r t, J u s q u ’à s a m i s e
e n p r at i q u e , l ’a p p l i c at i o n D e l a c o n s i D é r at i o n
é c o lo g i q u e au D e s i g n ( g r a p h i q u e ) s’ i n v e n t e auJ o u r D ’ h u i .
e n c o r e i s o l é s , l e s r a r e s a u t e u r s D e c e s i n i t i at i v e s
t e n t e n t, à t r a v e r s p l u s i e u r s p i s t e s ( m at é r i a u x ,
r e c y c l a g e , t e c h n o l o g i e s , r at i o n a l i s at i o n D e l a
© STUDIO SWINE

p r o D u c t i o n , D o u b l e e m p l o i ) D ’a p p o r t e r q u e l q u e s
é l é m e n t s D e r é p o n s e . c e t t e s é l e c t i o n l e s r é u n i t.

0117
DESIGN ET ÉCOLOGIE DESIGN ET ÉCOLOGIE

Graphisme
et écoconception,
vers une perspective
soutenable
Par roxane jubert

À
l’heure où les problématiques envi- mation, le partage, etc. –, la considération S’il existe un certain nombre d’initia-
ronnementales deviennent omni- de l’écoconception et de la soutenabilité tives, de projets, de textes, de réalisations
présentes et toujours plus pres- prend un relief très particulier. Leur ou d’expériences en la matière, des pans
santes, il appartient à la communication pertinence se mesure à l’extrême impor- entiers du graphisme (pouvant relever
visuelle et à la production graphique de tance de leurs enjeux, qui relèvent tout à de la pratique, de la culture, de la péda-
contribuer à un monde en transition. la fois de problématiques environnemen- gogie, de la production, de la collection,
Certains s’y consacrent déjà. Signes, tales, matérielles, sociales, relationnelles, de la recherche, de l’histoire, de la théorie
messages, couleurs, techniques, maté- perceptives et conceptuelles. Pour mieux ou de la critique) se situent hors de toute
riaux, supports : tout invite à s’ouvrir à un situer cette pluralité des points de vue, il préoccupation de cette nature, hors de ce
design écologique et soutenable. Chacun est utile de suivre les réflexions exposées champ d’action et de réflexion. À la fin du
est concerné – créateur, producteur, pro- par Félix Guattari dans son essai Les Trois XXe siècle, dans l’épilogue des rééditions
fessionnel de différents horizons, cher- Écologies, et la façon dont il développe la de son ouvrage pionnier A History of Gra-
cheur, enseignant, récepteur et citoyen. notion d’écosophie, contre une « perspec- phic Design, Philip B. Meggs insiste sur
tive technocratique » : « seule, une articu- le fait que « les designers graphiques, en
Une conscience bienfaisante lation éthico-politique – que je nomme tant que metteurs en forme de messages
Tout comme le design d’objet, l’architec- écosophie – entre les trois registres éco- et d’images, ont l’obligation de contribuer
ture, le design d’intérieur ou le textile, la logiques, celui de l’environnement, celui de façon significative à une compréhen-
communication visuelle suppose de très des rapports sociaux et celui de la subjec- sion globale des questions environnemen-
profondes implications sur l’environne- tivité humaine, serait susceptible d’éclai- tales et sociales ». Dans le même temps, en
ment, le cadre de vie, la nature, l’humain rer convenablement ces questions ». Envi- 1997, un article de la revue Design Issues
et ses comportements. Dans un monde en sager le graphisme dans cette optique consacré à l’ecological design débute ainsi :
transition – assailli de questions concer- implique une conscience environnemen- « Le design écologique est désormais bien
nant la croissance, les ressources natu- tale, procède d’un engagement et parti- établi. Cela fait maintenant environ une
relles, la technique, l’énergie, la consom- cipe d’une vision du monde. décennie que la première vague du design

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DESIGN ET ÉCOLOGIE DESIGN ET ÉCOLOGIE

On ne dira jamais assez que, dans les problèmes Actuellement, l’expression sustainable
de pollution, le designer est plus graphic design, bien établie dans la langue
lourdement impliqué que la plupart des gens. anglaise, reste sans équivalent en français.

vert [green design] est apparue comme un tion, pollution, gaspillage, toxicité, nui- du bien-vivre et des valeurs fondamen- nous devons acheter davantage, consom- des besoins fondamentaux et priori- opérations de déversement et de déchi-
nouveau facteur important dans le design sances, etc. (à titre d’exemple, l’industrie tales. Vastes et passionnants, ces espaces mer davantage, […] rejeter davantage. […] taires, le gâchage et ses excès, la déme- quetage des livres voués au pilon (2014).
produit et le design graphique. Bien que papetière requiert une très importante de réflexion sont nourris aussi bien par On ne dira jamais assez que, dans les pro- sure, la prédation, le consommateur ver-
cela ne soit en aucun cas pleinement déve- consommation d’eau et d’énergie, et les des designers que par des chercheurs et blèmes de pollution, le designer est plus sus le citoyen, le court-termisme contre nommer le graphisme
loppé et accepté, et commence tout juste à techniques posent, entre autres, la ques- théoriciens représentant de très nom- lourdement impliqué que la plupart des la durabilité, etc. Qui plus est, tout ceci soUtenable…
être intégré à la formation en design, […] il tion de l’obsolescence et des déchets élec- breuses disciplines. En 1963-1964, le gens. […] Le design, s’il veut assumer ses est à situer dans un contexte ouvrant Dans ce vaste paysage d’écrits et de créa-
existe désormais un large consensus sur troniques). Considérée dans une perspec- manifeste britannique First Things First responsabilités écologiques et sociales l’horizon à d’autres plans essentiels, par tions visuelles soulevant mille questions
le fait que les problématiques environne- tive large, l’écoconception en appelle à de déplore un « point de saturation » face à […] doit revendiquer […] le “principe du exemple la place des femmes (si peu pré- face au monde contemporain, une place
mentales ne peuvent plus être ignorées des nombreuses notions et données, avec les- l’«  i ndustrie publicitaire  »   : «  n ous pro- moindre effort” de la nature  : […] faire sentes dans l’histoire du graphisme et de particulière revient à la communication
designers et des critiques. […] Déjà, une quelles elle entretient un lien immédiat, posons un renversement des priorités le plus avec le moins. Cela implique que la typographie), l’ouverture à la culture visuelle, de par ses attributs. Cet état de
deuxième ou troisième vague de pratiques ou qui viennent l’éclairer de l’extérieur : en faveur de formes de communication nous consommions moins, que nous fas- visuelle des autres continents, ou l’intérêt fait souligne, voire réactive, le formidable
et de critiques en matière d’écoconception communication responsable, design plus utiles et plus durables ». Le mot sions durer les choses plus longtemps, pour les pratiques amateur – le tout étant potentiel du design graphique : sa capa-
est apparue, qui poursuit une analyse plus soutenable ou éthique, design écosocial, environnement se trouve ajouté à la ver- que nous recyclions les matériaux. » de nature à déstabiliser sérieusement les cité à façonner des messages, son manie-
subtile du sens et de la méthodologie.  » durabilité, efficience, économie circu- sion revue et augmentée de ce manifeste ordres et pouvoirs établis, ainsi que les ment de plusieurs langages visuels, son
Ainsi est-il possible de considérer l’éco- laire, cycle de vie, transition énergétique, percutant, qui reparaît en couverture de Un tel faisceau d’intérêts prononcés en certitudes. Dans les années 1980 et 1990, possible rôle de conseil quant au cahier
conception comme l’un des fondamentaux résilience  –  versus surconsommation, la revue Emigre en 1999. Désormais, ce faveur de la cause environnementale ces critiques s’expriment également avec des charges, sa présence déterminante
contemporains du graphisme. pollution visuelle et informationnelle, texte (par ailleurs largement diffusé) fus- depuis plus d’un demi-siècle concerne force par des artistes dont les langages dans l’expérience visuelle quotidienne,
infobésité, etc. Ces aspects, essentiels tige « un environnement mental tellement les secteurs d’activité qui façonnent s’emparent de formes graphiques, dans etc. L’approche environnementale de ces
Il est intéressant de noter que l’histoire pour comprendre le monde d’aujourd’hui, saturé de messages commerciaux qu’il notre cadre de vie, y compris la com- des œuvres qui, par exemple, détournent dernières décennies invite le graphisme à
du graphisme, l’écodesign et l’histoire apparaissent d’autant plus complexes modifie la façon même dont les citoyens- munication visuelle. Pour cette der- l’affiche et le slogan pour propulser des tenir compte de paramètres inhabituels,
de l’environnement – autant de dimen- qu’ils font l’objet de définitions parfois consommateurs parlent, pensent, res- nière, cependant, de telles convictions messages à contre-courant des stéréo- très actuels, aptes à déplacer ses repères
sions fondamentales que l’on pour- hétérogènes, de débats et de divergences. sentent, réagissent et communiquent restent loin de correspondre à une posi- types dominants. Ainsi des formules de et ses pratiques, à étendre la nature et la
rait croire distinctes  –  se développent Ils portent des idées aussi riches que dif- entre eux. […] Des crises environnemen- tion majoritaire. Quiconque en perçoit la Barbara Kruger : Your comfort is my silence portée de ses engagements.
presque simultanément en Occident au ficilement contournables, invitant à réflé- tales, sociales et culturelles sans précé- portée et le caractère pressant entrevoit et I shop therefore I am, ou de Jenny Hol-
cours du dernier tiers du XX e siècle. Cela chir et à se projeter hors des cadres et des dent requièrent toute notre attention. » Le du même coup un changement de para- zer, telles : Protect me from what I want et Les mots, qu’ils soient en usage ou
s’est opéré de façon très significative, et repères établis. lien entre dimensions environnementale digme, de cadre de pensée et d’idéal. Bien Money creates taste. Autant de réactions manquants, constituent un indica-
n’a cessé de s’affirmer depuis lors. Ces et sociale s’est déjà trouvé affirmé dans le qu’issues de provenances très diverses, convergentes, exprimées par les canaux teur essentiel. Dans les années 1980,
réflexions croisées et ces dynamiques De mUltiples expressions titre même de l’ouvrage fondateur et anti- les réflexions vouées à ces perspectives les plus divers. Pour les années 2010, le terme design, introduit depuis peu
nouvelles permettent de mieux appré- en faveUr De l’environnement cipateur de Victor Papanek, Design pour formulent des critiques récurrentes. Se citons encore ces deux vidéos saisissantes dans la langue française, s’est trouvé
hender la communication visuelle. Cela Depuis les années 1960 (sinon avant), un monde réel. Écologie humaine et chan- trouvent souvent visés le formalisme, l’es- de Tania Mouraud  : Once upon a time, remis en question jusque dans le Jour-
concerne d’une part son potentiel, son beaucoup d’écrits interrogent le design, gement social. D’abord publié en suédois thétisation, la starisation du créateur, la consacrée à l’abattage des arbres, à leur nal officiel. Il n’y a pas de terme prédo-
rôle, sa responsabilité et ses enjeux, et la communication visuelle et la publi- en 1970, ce texte détonnant se montre publicité (Papanek y consacre des mots destruction et à la déforestation (2011- minant (sans doute est-ce un bien) pour
d’autre part ses impacts en termes envi- cité du point de vue de la durabilité, des très critique : « Les systèmes actuels […] cinglants), l’obsolescence psychologique, 2012), ainsi que Ad nauseam, un poly- qualifier ces espaces d’activité nom-
ronnementaux et visuels – surinforma- besoins réels, des priorités à (re)définir, se fondent tous sur le même postulat  : la soumission à un système au détriment ptyque montrant tout aussi crûment les més graphisme, design graphique,

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DESIGN ET ÉCOLOGIE DESIGN ET ÉCOLOGIE

L’économie visuelle et spatiale Le blanc des écrans lumineux implique


a concerné le livre imprimé dès ses débuts, une consommation d’énergie accrue
et traverse toute son histoire. du point de vue du choix chromatique.

communication visuelle, communica- (indicateurs d’impact, etc.), et nécessite trouver en ligne le Manifeste des publici- ment. D’innombrables pistes de travail etc.) – sachant que, en outre le blanc des
tion graphique, etc. Actuellement, l’ex- le recours à des compétences telles que taires éco-socio-innovants, le Manifeste et de réflexion – existantes ou à inven- écrans lumineux implique une consomma- création et recherche
pression sustainable graphic design, bien celles des ingénieurs. contre le système publicitaire (association ter – s’offrent aux praticiens, étudiants, tion d’énergie accrue du point de vue du L’École nationale supérieure des arts
établie dans la langue anglaise, reste Résistance à l’agression publicitaire), ou chercheurs, enseignants, imprimeurs, choix chromatique. décoratifs propose l’axe de recherche
sans équivalent en français. Difficile, L’article « Ecological Design: A New Cri- encore le Manifeste de la SDGQ (Société développeurs, fabricants, collectionneurs, « Écoconception, graphisme et envi-
donc, de qualifier le graphisme dédié à tique », publié en 1997 dans Design Issues, des designers graphiques du Québec). conservateurs, ainsi que tous les corps Notre époque constitue une situation ronnement visuel », au sein d’ENSAD-
l’écoconception et à la soutenabilité. retrace l’évolution intéressante des déno- Selon ce dernier, « le bon design gra- de métier susceptibles d’être concernés. exceptionnelle pour concevoir la com- Lab. L’appel à candidatures est ouvert
De telles conditions posent la question minations anglaises ad hoc  : «  l e terme phique est responsable. […] La respon- Signes, messages, couleurs, techniques, munication visuelle d’aujourd’hui et de jusqu’au 28 mai. Peuvent candidater
de sa définition (de sa redéfinition  ? ), originel “design vert“ [green design] est sabilité environnementale du designer matériaux, supports : tout invite à reconsi- demain, pour en réenvisager certains des étudiants ou des professionnels
incluant son champ d’action, ses inten- rarement utilisé aujourd’hui ; bien qu’il est immense, car elle agit comme déclen- dérer ou à aborder des aspects aussi divers aspects, en cherchant les meilleurs équi- (titulaires d’un master ou d’un équi-
tions, sa complexité, sa portée et ses ait été l’expression à la mode à la fin des cheur. Il doit limiter au maximum notre que le flux d’informations et d’images, la libres possibles entre création, intelli- valent) particulièrement intéres-
limites. Si le mot manque, les possibili- années 1980, il est déjà démodé. […] Dans impact sur la planète, en se questionnant perception et la cognition, la publicité, gence visuelle, choix des techniques et sés par ces thématiques, spécialisés
tés ne manquent pas pour désigner le gra- le champ du design, le passage de vert à sur le bien-fondé de chacun de ses gestes. la coexistence du numérique avec tout supports (dont la part et le rôle du numé- en graphisme ou relevant d’autres
phisme écoconçu : graphisme soutenable, “éco-” à soutenable représente un élar- Il faut sans cesse explorer d’autres voies autre support, les produits et matériaux rique), qualité et protection de l’envi- champs de compétences concernés
graphisme écoresponsable, écoconcep- gissement progressif de l’horizon de la graphiques, d’autres modes de produc- biosourcés, la chaîne de production gra- ronnement, contribution au cadre de par ces problématiques. Cet axe de
tion graphique, écodesign graphique, éco- théorie et de la pratique, et, jusqu’à un tion, ainsi que d’autres supports d’ex- phique, la recyclabilité et la valorisation vie et au bien-être, intérêt général, éco- recherche est ouvert à une pluralité
graphisme, graphisme écologique (sur la certain point, une perspective de plus en pression ». des déchets, la désaturation ou la sobriété, logie, et éthique de la soutenabilité. Les de vues. Il s’agit de développer un par-
base de ecological design) – sachant que plus critique concernant l’écologie et le l’économie visuelle, l’accélération et le jeunes générations, en particulier les étu- cours de recherche personnel par la
l’on peut préférer à graphisme les termes design. » Il s’agit des termes green design, Une optiqUe stimUlante ralentissement, la sensibilisation et la diants – tout comme la pédagogie – ont pratique et l’écriture, destiné à contri-
et engageante
design graphique ou communication ecodesign et sustainable design, qui se for- formation à ces sujets, etc. Tous les sup- leur rôle à jouer et peuvent apporter une buer à la communication visuelle en
visuelle. Sur un plan général, l’approche mulent aussi avec graphic design. Pour Une approche écoconsciente permet ports du graphisme peuvent être concer- contribution substantielle. Pour tous, faveur de l’environnement, à pour-
dont relève l’écoconception se trouve pré- preuve, parmi les ouvrages consacrés de se projeter dans un monde en tran- nés. Par ailleurs, certains de ces aspects cette optique procède d’une compréhen- suivre une démarche d’écoconcep-
cisée avec la norme internationale ISO/ au sujet se trouvent les titres Green Gra- sition et d’y contribuer (ne serait-ce ne sont pas nouveaux.Par exemple, l’éco- sion et d’une vision du monde (avec sa part tion ou à inventer de nouvelles voies.
TR 14062, en 2002. Cette norme « décrit phic Design (Brian Dougherty, 2008), et qu’à la manière de la légende du coli- nomie visuelle et spatiale a concerné d’utopie), incluant l’imaginaire, la poésie Les pistes possibles de travail et de
des concepts et des pratiques actuelles Sustainable Graphic Design (Wendy Jed- bri). Sources de stimulation, ces pers- le livre imprimé dès ses débuts, et tra- et le réenchantement. Évoquant un cercle réflexion, ainsi que plus d’informa-
ayant trait à l’intégration des aspects licka, 2010). Si la langue française compte pectives, loin des terrains balisés, se verse toute son histoire. Pour prendre le vertueux, l’ouvrage Sustainable Graphic tions sur ce groupe de recherche, sont
environnementaux dans la conception trop peu de publications spécifiques, il montrent aussi enrichissantes que salu- cas d’une objection concrète, très signi- Design s’ouvre sur ce mot de Gandhi, placé disponibles, en français et en anglais,
et le développement de produit ». Parmi existe néanmoins certains ouvrages édi- taires. Elles abordent des questions de ficative, formulée au cœur de la culture en exergue : « You must be the change you sur : ensadlab.fr/fr/ecoconception-
les nombreuses définitions de l’écocon- tés dans les mêmes années, aux alentours fond, notamment sur les priorités et typographique du XXe siècle, rappelons wish to see in the world »… • graphisme-environnement/
ception, celle du Journal officiel décrit la de 2010, conçus comme guides et boîtes les besoins de notre époque, tant en ce que Jan Tschichold considérait la blan-
« conception d’un produit, d’un bien ou à outils – tels Le Guide de l’éco-communi- qui concerne l’environnement que l’hu- cheur du papier des livres « extrêmement Responsable du groupe « Écocon-
d’un service, qui prend en compte, afin de cation (ADEME [Agence de l’environne- main. Il s’agit de trouver les espaces ou les désagréable pour les yeux  » , et comme ception, graphisme et environne-
les réduire, ses effets négatifs sur l’envi- ment et de la maîtrise de l’énergie], 2007) interstices où il est possible d’œuvrer et un grave problème de « santé publique ». ment visuel » : Roxane Jubert : 
ronnement au long de son cycle de vie, et Éco-conception web (Frédéric Bordage, d’agir, d’investir à dessein le potentiel et Désormais, cette question se pose aussi roxane.jubert@ensad.fr
en s’efforçant de préserver ses qualités 2012 et 2015). Se trouvent aussi, en fran- le pouvoir de la communication visuelle, pour les écrans, avec la présence du blanc
ou ses performances » – sachant que cela çais, un certain nombre de manifestes de et de refuser les écueils de la superficia- comme réglage par défaut pour de nom-
se fonde sur une approche multicritère différentes natures : tout un chacun peut lité, de la récupération ou de l’écoblanchi- breux fonds (traitement de texte, courriel,

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DESIGN ET ÉCOLOGIE DESIGN ET ÉCOLOGIE

Design graphique Écoconception


et biomatériaux et édition
Une pratique sensible, orientée vers la recherche Une approche à travers le spectre chromatique.
d’impression à moindre impact environnemental.

Cássia D’elia ViCtoria Calligaro

N É
ous vivons une époque où la sou- et de susciter plusieurs regards possibles. sur une très grande variété de supports. cocritique, eco-friendly, écopoé- d’imaginer des scénarios alternatifs et Ainsi, quels sont les différents rôles de la
tenabilité de l’existence humaine Une recherche centrée sur l’objet imprimé Il s’agit de penser aux moyens d’impres- tique, écoféminisme, écothéories, spéculatifs, avec un regard transversal couleur et du blanc pris comme « hyper-
s’avère socialement et écologique- me mène à imaginer un projet à deux voies. sion antérieurs aux encres ou au-delà du éco-extrémisme : les usages du pré- et renouvelé. objets » (c’est-à-dire comme des notions
ment incertaine. À travers une pratique La première concerne l’investigation des recours aux encres. De penser à la nature fixe éco sont aujourd’hui nombreux, tou- Le lien entre couleur et écologie édito- qui débordent leurs objets d’étude) dans
responsable et une démarche poétique, procédés techniques et des matériaux. et à l’architecture du support, aux possi- jours plus complexes et engagés. Appli- riale traverse à de nombreux moments la une écologie éditoriale ? Peut-on imagi-
comment pouvons-nous être acteurs de À travers une approche pluridisciplinaire, bilités de donner forme au message par quée au monde du livre, l’écoconception production du livre, se teintant d’enjeux ner un gris typographique écologique-
la transition d’une logique de surconsom- je fais un état des lieux des biomatériaux la matière. D’une surface vide, blanche, convoque un ensemble interdisciplinaire sociétaux ou esthétiques liés aux époques ment indexé ? Le blanc dans l’édition est-
mation et de croissance effrénée vers un destinés aux usages graphiques. Plusieurs brute ou naturelle, comment le message et protéiforme. Cette notion interroge le et aux modes de production. En contre- il réductible à un espace non-imprimé,
système soutenable ? initiatives autour des encres biosourcées s’éveille-t-il ? L’invisible peut-il se révé- design graphique et ses savoir-faire tech- point, la chaîne du livre, étonnamment non-inscrit, ou bien agit-il aussi comme
Nombreux sont les enjeux d’un graphisme et biodégradables sont en développement ler suite à un contact ? Le support peut-il niques, hérités et en devenir. Ces enjeux résiliente, a accompagné silencieusement couleur ? Peut-on attribuer un rôle à une
tourné vers un moindre impact environ- – encres végétales, micro-bactériennes ou être en lui-même la couleur ? Est-il pos- d’écoconception pour l’objet-livre se ce que nous nommons les révolutions tech- couleur dans une écoconception édito-
nemental. Notre responsabilité  sociale produites à partir d’algues – surtout dans sible d’appliquer le principe des couleurs retrouvent à de nombreuses étapes de sa niques, qui se révèlent être des processus riale  ? Dans la relation personnelle au
nous mène à une réflexion sur le redéploie- le métier du textile. Dans le domaine de structurelles (couleurs qui découlent de chaîne de production et sont aussi plus longs, chaotiques et non neutres. La cou- livre, quelles sont les implications sociolo-
ment de notre pratique et sur les moyens l’impression, les recherches sont encore l’interaction de la lumière avec des sur- anciens qu’ils n’y paraissent. Le livre, leur permet d’interroger le livre dans ses giques et ergonomiques de la perception de
à mettre en œuvre pour aller vers le réé- timides. Afin d’explorer l’usage de cer- faces structurées) dans mes dispositifs comme artefact industriel de lecture, dimensions transdisciplinaires, convo- la couleur ? Enfin, comment se construit
chelonnement de la production et la dépol- tains de ces matériaux par la création gra- graphiques ? Quelles méthodes ont déjà intègre déjà la notion de cycle de vie : il quant la cognition, l’ergonomie, la notion l’imaginaire chromatique dans le champ
lution visuelle. Il convient d’enquêter sur phique, soumis à des principes d’écono- été expérimentées ou développées ? est le sous-produit de certains déchets de perception à la fois culturelle et senso- des pratiques de l’édition de livres ? Autant
le positionnement critique et éthique des mie matérielle et gestuelle, je propose de Enfin, comment le graphisme, par une urbains ennoblis : le chiffon autrefois, le rielle, la biodiversité formelle, l’esthétique, de pistes qui interrogent les pratiques d’un
projets, en ce qui concerne la commande, réaliser, par des techniques de fabrication pratique de réduction de moyens et d’éco- papier recyclé aujourd’hui. En parallèle, la le design, ainsi que le matériau, le support, livre écoconçu comme support innovant
les méthodes, les moyens techniques et les artisanales, des dispositifs graphiques nomie visuelle, peut-il activer la percep- couleur opère comme langage et comme la technique, et l’espace numérique où se et soutenable.
matériaux employés. d’activation du sensible. tion et stimuler les sens ? Comment peut- facteur de distinction dans l’espace et déploie le texte.
L’objet de ma recherche est de mettre le La deuxième voie m’amène aux possibili- il concourir à reconnecter l’homme à la l’univers des objets. Dans cette perspective, la couleur et
graphisme en équilibre et en symbiose tés de l’impression sans couleur et de la nature, à l’aider à prendre conscience de Mon projet de recherche au sein d’EN- le blanc occupent des rôles essentiels
avec son milieu et ses destinataires. Pour couleur sans encre. Actuellement, nous son environnement et des changements SAD-Lab vise à trouver par une approche comme signe et comme espace. Ces rôles
étendre les possibilités d’articulation entre pensons l’impression comme un procédé qui l’affectent ? chromatique et colorimétrique de nou- sont notamment distinctifs et normatifs,
le design graphique, l’homme et la nature, technique de transfert d’encre vers un velles façons de pratiquer l’écoconcep- leurs usages et procédés mutent. L’étude
CássiA D’ELiA ViCtoriA CALLigAro
je souhaite explorer la dimension concrète support physique. Cela n’a pas toujours été Projet de recherche, année prédoctorale,
tion éditoriale, dans une démarche expé- de ces fonctions écologiques et écosysté- Projet de recherche, année prédoctorale,
et poétique de la matérialité et ses qualités le cas : ainsi, en Basse Mésopotamie, entre École nationale supérieure des arts rimentale et prospective. Cette entrée sur miques dans le « livre noir » (à savoir le livre École nationale supérieure des arts
métaphoriques, afin de parvenir à une sen- 3400 et 3200 avant notre ère, le premier décoratifs, Paris. ensaD-lab, groupe les enjeux de la couleur dans la chaîne produit à échelle industrielle et imprimé décoratifs, Paris. ensaD-lab, groupe
de recherche « Écoconception, graphisme de recherche « Écoconception, graphisme
sibilisation de l’homme par son environ- système d’écriture (appelé cunéiforme) se et environnement visuel », coordonné de production du livre permet d’envisa- en noir) nous renseigne sur les enjeux de et environnement visuel », coordonné
nement (incluant le registre de l’affectif ) pratiquait par incision à l’aide d’un calame par roxane jubert (voir p. 119) ger l’objet édité d’une nouvelle manière, l’écoconception éditoriale. par roxane jubert (voir p. 119)

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