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système de répression
Un rapport de l’organisation Human Rights Watch détaille le « manuel » utilisé au
Maroc pour jeter le discrédit et la peur sur les voix discordantes. Au menu : procès
inéquitables, surveillance et harcèlement en ligne.
S
on cas est emblématique. Omar Radi, journaliste marocain qui avait dénoncé
la corruption, a été déclaré coupable d’espionnage, mais aussi de viol et
d’attentat à la pudeur en 2021 et 2022. « Tu nies les calomnies et les
accusations absurdes, une par une… Tu te défends contre les coups bas, l’un après
l’autre… Mais à la fin, d’une manière ou d’une autre, ils t’auront », disait-il à
Human Rights Watch (HRW) avant son arrestation. Aujourd’hui, l’organisation de
défense des droits humains publie un rapport qui fait la lumière sur le système de
répression au Maroc, un « manuel des techniques de répression ».
« Ce qui semble à première vue des cas banals d’application de la loi, ou des actes
épars de harcèlement et de diffamation médiatique, s’avère, lorsqu’on les considère
dans leur ensemble, constituer un véritable “manuel” de techniques visant à écraser
toute opposition au Maroc », déplore Lama Fakih, directrice de la division Moyen-
Orient et Afrique du Nord de HRW. « Ces mesures visent à préserver l’image de
pays “
modéré
” et respectueux des droits que le Maroc cherche à se donner, alors
qu’il devient de plus en plus répressif », juge le rapport. « Les autorités tablent sur
deux éléments : les chancelleries occidentales, d’où émane habituellement la
pression, qui se contentent d’un discours prémâché ; la presse internationale qui
reste à la surface des affaires », dénonce le porte-parole Ahmed Benchemsi.
À lire aussi
Au Maroc, la répression contre les voix libres s’aggrave
(https://www.lesoir.be/384846/article/2021-07-19/au-maroc-la-repression-
contre-les-voix-libres-saggrave)
1 La justice
Dans les procédures judiciaires contre les dissidents marocains, plusieurs
« détails » troublent. Omar Radi a été incarcéré plus d’un an en détention
provisoire, « sans aucune justification ». Comme le journaliste, Soulaiman
Raissouni, il « n’a eu accès à son dossier qu’après le début de leurs procès », pointe
le rapport. « Les tribunaux ont également fréquemment refusé de convoquer les
témoins requis par la défense, sans fournir de justifications raisonnables pour leur
refus. Le tribunal de première instance de Casablanca a ainsi rejeté un témoin clé
dans l’affaire d’espionnage de Radi, arguant que l’entendre aurait “[inutilement]
prolongé le procès”
» A l’autre opposé, Human Rights Watch rapporte le cas d’Afaf
Bernani. La journaliste a été forcée de témoigner contre son supérieur hiérarchique
dans une affaire de crime sexuel, puis a été condamnée pour avoir « diffamé la
police ». Elle est désormais en exil.
2 La surveillance
Dans le scandale Pegasus (https://www.lesoir.be/339077/sections/le-projet-
pegasus), dévoilé par Forbidden Stories notamment dans Le Soir, le Maroc a été
particulièrement visé. Le royaume chérifien est accusé d’avoir utilisé le logiciel
espion de la firme israélienne NSO pour surveiller ses dissidents, des journalistes
mais aussi des dirigeants étrangers, dont Emmanuel Macron.
HRW rappelle dans son rapport que les smartphones d’au moins cinq journalistes
et activistes marocains ainsi que ceux de plusieurs défenseurs des droits humains et
avocats ont été infectés. Le Maroc, qui a toujours nié, avait porté plainte pour
diffamation, mais la justice française a jugé la plainte irrecevable. Rabat a fait
appel.
3 Le harcèlement et la diffamation
En 2020, une centaine de journalistes marocains ont signé un « Manifeste contre
les médias de diffamation » : « À chaque fois que les autorités ont poursuivi une
voix critique, certains sites et journaux se sont empressés d’écrire des articles
diffamatoires sans aucune éthique professionnelle, voire enfreignant les lois
organisant la presse au Maroc. » Human Rights Watch désigne les médias en ligne
Chouf TV, Barlamane et Le360, que l’organisation décrit comme « pro-Makhzen »,
terme qui désigne les hommes et femmes proches du pouvoir marocain. Le360 a
réfuté les accusations, les deux autres n’ont pas réagi. « Aucun média n’ose couvrir
de cette manière les personnalités puissantes du Makhzen. Seuls les opposants et
ceux qui gravitent dans leur orbite sont ainsi pris pour cibles », continue le rapport.
Des relevés bancaires, des informations privées ou encore des allégations ayant
trait à la sexualité sont publiés contre les dissidents marocains.
Le journaliste Hicham Mansouri, réfugié en France après avoir été condamné pour
adultère au Maroc, disait il y a deux ans : « Il y a un climat d’inquisition. Ils
connaissent tous nos défauts, toutes nos faiblesses. Ils nous connaissent mieux que
nous nous connaissons nous-mêmes. Le but est que chacun de nous finisse par se
considérer comme une cible potentielle. Sexe, drogue, alcool… s’ils ne trouvent
rien, ils fabriqueront des accusations. »