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S'il n'est pas difficile de trouver des présentations générales de ce qu'on appelle
maintenant le paradigme marxiste (ou marxien), il est plus malaisé de rendre
compte de la spécificité de cette approche en criminologie. Non seulement les
groupes de chercheurs sont-ils disséminés dans l'espace en poursuivant des projets
de recherches diversifiés, mais surtout cette approche marxiste a dû être élaborée à
partir d'indications très lacunaires de la part de Marx, qui n'a pas traité de façon
explicite des problèmes de la justice pénale. Or ce processus d'élaboration a subi
une évolution qui nous paraît problématique, puisqu'elle a été bien davantage
déterminée par une volonté de répondre à des objections que par
l'approfondissement des propriétés de son objet. On sait que le projet de constituer
une criminologie radicale s'est d'abord heurté à l'intransigeance de certains
défenseurs de l'orthodoxie marxiste, comme Mugford, Hirst et plusieurs autres.
Ceux-ci soutenaient qu'une élucidation marxiste de la déviance passait de façon
nécessaire par la dissolution de la criminologie, comme discipline autonome, au sein
d'une économie politique structurée par les positions du Capital de Marx. La
criminologie marxiste a toutefois évolué à l'inverse de ce qui était alors réclamé.
Bien loin, maintenant, de prétendre abolir la criminologie traditionnelle, l'économie
politique de la déviance s'affirme compatible avec elle et ne répugnerait pas à en
constituer le complément heuristique. Le marxisme fournit une base théorique
systématique sur laquelle interroger les arrangements structurels sociaux, et
l'hypothèse selon laquelle le pouvoir économique se traduit en pouvoir politique
explique en grande partie la déresponsabilisation générale de la majorité qui vit
dans l'État moderne et les limites du discours politique. Par conséquent, que ce soit
directement ou indirectement, il informe une grande partie de la recherche sur les
phénomènes sociaux non seulement en criminologie, mais aussi en sémiotique et
dans les autres disciplines qui explorent les relations structurelles de pouvoir, de
savoir, de sens et d'intérêts positionnels au sein de la société. De nombreux
criminologues conviennent que pour qu'une société fonctionne efficacement,
l'ordre social est nécessaire et que la conformité est induite par un processus de
socialisation.
La lecture de cet extrait, nous pouvons tout de suite voir dans le courant marxiste
une volonté de normalisation du crime. Car pour les marxistes, la criminologie,
comme toutes les sciences humaines, doit œuvrer pour plus de justice sociale et se
positionner du coté des opprimés. Les sociétés capitalistes sont basées
fondamentalement sur des formes compétitives de l'interaction sociale et
économique et sur des inégalités substantielles dans l'attribution des ressources
sociales. Sans ces inégalités il serait difficile de motiver les travailleurs à entrer en
compétition pour améliorer leur revenu et leur statut par un travail aliénant. Par
conséquent, dans « Le Capital » (1867) , Karl Marx souligne que les relations de
production capitalistes créent une société particulièrement criminogène :
engendrant une criminalité de besoin et une criminalité d’exploitation et de profit
commise par la bourgeoisie.
Soutenir que le capitalisme est responsable des crimes commis en société peut
paraitre saugrenu , compte tenu de l’universalité du phénomène criminel ayant
existé depuis la nuit des temps et non pas seulement depuis l’avènement de la
Révolution Industrielle (malgré certaines évolutions dans le temps et l’espace : la
démographie, l’urbanisation, le développement économique sont autant de facteurs
conditionnant la hausse de la criminalité).
Dans une lignée également très socialiste, Emile Durkheim soutient quant à lui que
le crime est « nécessaire » et qu’il s’agirait d’un « phénomène de sociologie
normale ». Le sociologue français ajoute qu’accroitre la répression lorsque la
criminalité augmente est une grave erreur politique. Nous pouvons également voir
en cette vision une apologie du crime à bannir.
Dans un article de Dario Melossi paru en 1976 sur la question pénale dans Le
Capital , l’auteur y indiquait au passage une raison théorique fondamentale au
manque d’intérêt apparent du marxisme pour la question criminelle : le fait qu’en
prenant possession d’un nouveau domaine de réflexion, en l’occurrence la
criminologie, le marxisme le détruit en tant que tel en lui substituant ses propres
problèmes et concepts.