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COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

INTRODUCTION

1° LES REPERES HISTORIQUES DE LA SOCIOLOGIE CRIMINELLE

La sociologie criminelle en tant que champ de recherche spécifique est


relativement récente. Comme le relève si bien Jean-Michel BESSETTE, elle ne s’est
véritablement développée qu'à partir de la seconde moitié du 19 ème siècle. La
criminalité et la personne du criminel furent de tous temps des objets
d'interrogations et de réflexions parmi les différentes collectivités humaines. Qu'il
s’agisse des systèmes diffus d'autorégulation fondés sur la coutume et la tradition
ou des systèmes à proprement parler légalistes dans lesquels certains aspects de la
vie sociale sont régis par un code juridique, toute société est productrice de normes
et de règles et voit, à un moment ou à un autre, ces règles transgressées. De ce
fait, les auteurs de ces transgressions font l'objet de réactions diverses de la part
des différents éléments qui composent le corps social, ainsi que de commentaires
et d’analyses cherchant à rendre compte de leurs conduites apparemment
extraordinaires ou aberrantes pour le sens commun1.

Nous allons, dans les développements qui suivent, faire un survol de


principaux repères historiques des théories sociologiques de la délinquance.

1.1. Première Période : Thomas MORE – Cesare BECCARIA et Adolphe


QUETELET

A propos des causes sociales du crime, nous avons en Premier lieu la thèse
du juriste et philosophe Thomas MORE (1478-1335) qui avait dénoncé l’état
misérable des classes populaires et plaidé pour un adoucissement des peines. Dans
l'utopie, il avait écrit que « le fonctionnement de la justice fait penser à ces
mauvais maîtres qui battent leurs écoliers plutôt que les instruire. Vous faites
souffrir aux voleurs des tourments affreux ne vaudrait-il pas mieux assurer
l'existence à tous les membres de la société, afin que personne ne se trouvât dans
la nécessité de voler d'abord et de périr après »2.

De son côté, Cesare BECCARIA (1738-1794), dans son Traité des délits
et des peines Paru en 1764, attire à son tour l'attention sur les causes économiques
et sociales de la criminalité et expose les traits d'une nouvelle politique criminelle,
égalitaire et cohérente.3

Adolphe QUETELET (1796-1874) met en relief une « constante relative


de la criminalité », c'est-à-dire une sorte de « taux social du crime » dans son «
Essais sur la

1 BESSETTE, J.M., op. cit., p.'2.


2 cité par BESSETTE, J.M., op. cit., p.2.
3 ldem.
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L'explication de QUETELET est que « la société renferme en elle les germes de tous
les crimes qui vont se commettre en même temps que les facilités nécessaires à
leur développement. C'est elle, en quelque sorte, qui prépare ces crimes et le
coupable n'est que l'instrument qui les exécute. Tout est donc asocial, ce qui
suppose donc un certain nombre et un certain ordre de délits qui résultent comme
conséquence nécessaire à son organisation »1. Pour lui, la délinquance se présente
comme un effet, un résultat du fonctionnement même de la société. Il faut
chercher la cause du passage à l’acte dans l’organisation sociale. Si on veut trouver
une solution à la délinquance, elle est dans la société. Il faut interférer sur le
fonctionnement de la société elle-même2.

1.2. Deuxième période : Enrico FERRI – Alexandre LACASSAGNE – Gabriel


TARDE – EMILE DURKHEIM – Karl MARX et Friedrich
ENGELS Enrico FERRI (1856-1929)

Que l'on considère comme le père fondateur de la sociologie criminelle, a


écrit dans sa « Sociologie criminelle » parue en 1881 que « tous les crimes sont la
résultante des conditions individuelles et sociales » et que « l'influence de ces
facteurs est plus ou moins grande selon les conditions sociales particulières »3.

Le Dr Alexandre LACASSAGNE (1843-1924) est le créateur des


Archives de l'anthropologie criminelle et le chef de file de l'Ecole du milieu social de
Lyon. Cette école considère le « milieu ambiant » comme le facteur criminogène
prépondérant. Pour cette école, en effet, les conditions sociales, la bonne ou la
mauvaise éducation, la bonne ou mauvaise fortune… sont là les véritables facteurs
de la criminalité4.

Pour Alexandre LACASSAGNE5, le comportement criminel résulte bien d'une


inadaptation sociale. Il met le doigt sur l’exclusion des plus faibles et des plus
malchanceux dont la société est pourtant responsable. Cette constatation permet à

1 QUETELET, A., Essais sur la physique sociale (1835), cité par TARDE, G., « La sociologie criminelle et le droit Pénal »,
in Archives de l’Anthropologie criminelle, Tome VIII, 1893, pp.513-525.
2 TARDE, G., op. cit., pp. 513-525
3 Cité par BESSETTE, J.M., op. cit., p.2.
4 CONSTANT, J., Eléments de criminologie, Liège, Imprimerie des Invalides, 1949, p.30.
5 Cité par Gabriel TARDE, op. cit., pp.513-525.
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LACASSAGNE d’être optimiste car elle permet de voir un moyen de lutte. Eradiquer
le crime doit venir d'une « initiative sociale ». Parmi les moyens possibles,
LACASSAGNE évoque la question de l'éducation : faire comprendre les règles, les
valeurs de la société pour évite leur transgression future. C’est ce qui l'amena,
anticipant en cela la notion de « société criminogène », à désigner le « milieu social
comme ferment de criminalité ». Sa théorie se résume dans deux postulats
célèbres « les sociétés n'ont que les criminels qu’elles méritent » et « le milieu
social est le bouillon de culture de la criminalité, le microbe c'est le criminel, un
élément qui n’a d'importance que le jour où il trouve le bouillon qui le fait
fermenter » et que « les sociétés n'ont que les criminels qu'elles méritent ». Il
renchérit en disant que « toute société n'a que des criminels qu'elle mérite »1.
Comme on peut le constater, LACASSAGNE a trouvé son inspiration dans la pensée
pasteurienne. Sa théorie, écrit Jean PINATEL, est à l’origine de nombreuses études,
notamment celles de RAUX sur le milieu familial des jeunes délinquants2.

Pour Gabriel TARDE (1843-1904), l’imitation tenait une place très


grande dans l'adoption des conduites humaines. Il développa une théorie
environnementaliste de la délinquance insistant sur l'importance des
comportements appris dans le processus criminel| (sa philosophie pénale date de
1890).

Il avança, dès la fin du 19ème siècle, l’idée d'une criminalité par profession –
préfigurant la notion de carrière – qu'il opposa à une criminalité d'occasion3.

Ainsi, pour Gabriel TARDE et son Ecole de l'Interpsychologie, les rapports sociaux
ne sont que des rapports interindividuels et qu'ils sont régis par ce fait social
fondamental qu'est l'imitation. De même sur le plan des rapports sociaux, c'est
encore par le jeu de l'imitation que s’organise et se développe la vie sociale. A
partir de là, écrit Raymond GASSIN, TARDE, abordant le problème de la criminalité,
son idée essentielle est que « chacun se conduit selon les coutumes acceptées par
son milieu ». Si quelqu'un vole ou tue, il ne fait qu’imiter quelqu’un d'autre. L'on
comprend que dans une telle perspective, TARDE ait particulièrement étudié les
criminels professionnels en relevant leurs traits sociologiques caractéristiques à
savoir qu'ils ont un langage (argot), des signes de compagnonnage (tatouage) et
des règles corporatives (associations de malfaiteurs). La criminalité peut donc se
manifester à l'occasion d'une profession ordinaire ou constituer une profession
organisée4. « Peut-être naît-on vicieux, écrivait-il, mais à coup sûr on devient
criminel. Le crime est un métier qui, Comme tout autre, a ses années
d’apprentissage au cours d'une enfance vagabonde et souillée, ses écoles spéciales,
son langage particulier, ses associations professionnelles, temporaires et
permanentes (Jacquerie, Camorra, Mafia, etc.), qui ressemblent beaucoup plus à
des corporations industrielles qu’à des tribus de sauvages »1.

1 BOUZAT, P. et PINATEL, J., Traité de Droit pénal de Criminologie, Tome III, La Criminologie, 2ème Edition,
Dalloz, Paris, 1970, p.86.
2 RAUX, M., « L'enfance coupable », in Archives d'anthropologie criminelle, 1890, pp. 221 à 258, à par
BOUZAT, P. et PINATEL, J', op. cit., p.86.
3 TARDE, G., cité par BESSETIE, J.M., op. cit., p.3.
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Emile DURKHEIM (1858-1917) qui peut être considéré comme le


véritable inspirateur de la sociologie criminelle moderne, en ramenant les faits
moraux à des faits sociaux, attribuait aussi aux facteurs sociaux une action
prépondérante dans la délinquance. Pour lui, le crime est un phénomène de
sociologie normale. « Il n'y a pas de sociétés connues, déclare-t-il, où, sous des
formes différentes, ne s’observe une criminalité plus ou moins développée. Il n'est
pas de peuple dont la morale ne soit pas quotidiennement violée… Nous devons
dire que le crime est nécessaire, qu'il ne peut pas ne pas être, que les conditions
fondamentales de l'organisation sociale, telles qu'elles sont connues, l'impliquent
logiquement... Par suite, il est normal ». Enfin, pourquoi s’arrêter en si bon chemin,
le crime est utile, car il contribue – directement ou indirectement – à l'évolution des
mœurs et du droit »2.

Dès la fin du 19ème siècle, Emile DURKHEIM désignait le crime comme un fait
découlant du fonctionnement régulier de la société – comme un fait normal, relatif
à la société dans laquelle il se produit – et la criminalité comme un objet
socialement construit, susceptible d’investigations méthodiquement menées 3.
Enfin, dans une perspective économique, l'Ecole socialiste fondée sur les écrits de
Karl MARX et ENGELS a ébauché l'examen des relations entre le crime et le milieu
économique et soutenu que la criminalité est « un sous-produit » du capitalisme
comme toutes les autres anomalies sociales.
Elle apparaît ainsi comme une réaction contre les injustices sociales, ce qui explique
qu'on la trouve surtout dans le prolétariat.4

1.3. L'apport des spécialistes nord-américains : SUTHERLAND - SELLIN


et COHEN, SHAW, etc.
L’étude des aspects sociologiques de la délinquance, écrit Raymond
GASSIN, est devenue par la suite en grande partie une spécialité de la criminologie
nord-américaine ; des auteurs comme SUTHERLAND, SELLIN, COHEN, etc., ont mis
l'accent sur le rôle de l’apprentissage, des conflits de culture et des sous-cultures
délinquantes dans L’étiologie de la délinquance.1

* Théorie écologique de Clifford SHAW


L’économie de la théorie écologique de Clifford SHAW se résume en ce que
« ce sont les circonstances sociales et économiques d'une zone géographique
déterminée (densité de la population, niveau économique) plutôt que la nature du
groupe intéressé qui exerce une influence décisive sur le taux de la délinquance » 2.
Cette théorie a conduit à la formulation du concept de « delinquency area », c'est-
à-dire de « zones de détérioration morale » caractérisées par des conditions
sociales et économiques particulièrement défavorables et un taux élevé de la
criminalité3.
1 GASSIN, R., op. cit., pp.32-33.
2 SHAW, C. et Me KAY, H., « Social factors in Juvenile delinquency », 1931 et « Juvenile delinquency and urban areas »,
1942, cité par Raymond GASSIN, op. cit., n°200, p. 178.
3 GASSIN, R., op. cit., n°200, p. 178.
4 Th. SELLIN, Culture conflict and crime, New York, 1938, cité par GASSIN, R., op. cit., n°204, p. 184
5 BOUZAT, P. et PINATEL, J., op. cit., n°50, p.94
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* Théorie des conflits de culture de Thorsten SELLIN

Thorsten SELLIN a souligné le rôle des conflits de culture dans la genèse de


la criminalité. Selon cet auteur, le crime résulte du choc qui se produit dans une
même société entre des normes de conduite différentes4.
Cette théorie des conflits de culture part de la constatation que le code pénal est,
dans une large mesure, l’expression des idéaux moraux et des moeurs d'une
civilisation. Or, les valeurs morales et sociales exprimées par le code pénal à un
moment donné, peuvent se heurter à des valeurs nouvelles résultant de l’évolution
historique ou bien n'être pas assimilées ou comprises par de nombreux citoyens.

On conçoit dès lors que les conflits de cultures peuvent se produire dans
différents sens. C'est ainsi que le conflit peut se situer en des lois arbitraires ou
favorisant la corruption et des individus obéissant à des conceptions morales
saines. Le conflit peut également se situer entre des lois conformes aux valeurs
socialement acceptées et des individus ayant des codes particuliers (bohémiens,
immigrants)5.

* Théorie des sous-cultures délinquantes de A.K. COHEN

Selon A.K. COHEN, le système de valeurs exprimé par les sous-cultures


criminelles s’élabore en réaction contre les valeurs de la classe moyenne, que ces
dernières leur sont étrangères, que la bravade en est le levier 1.
C'est donc un système de valeur d’inspiration hédonistique, à court terme,
favorisant les modèles de conduites non utilitaires, malveillantes et négatives en
réaction contre une culture dominante caractérisée par l'effort soutenu, la
subordination de la satisfaction immédiate aux objectifs lointains, la responsabilité
personnelle, la sociabilité, la politesse, etc. En bref, il s'agit d'une sous-culture de
violence2.

* Théorie des associations différentielles de SUTHERLAND

Le comportement criminel individuel, selon SUTHERLAND, n’est pas


héréditaire, mais appris aux contacts d’autres personnes par un processus de
communication. Il s'apprend surtout à l’intérieur d'un groupe restreint de relations
personnelles (famille, bande, rue) et dépend alors du rapport qui existe dans ce
groupe entre les interprétations défavorables au respect de la loi pénale et celles
qui sont favorables à celui-ci3.

Sur le plan collectif, SUTHERLAND situe les différences de taux de


criminalité entre les nations par les différences d'organisation sociale. Pour lui, un
taux élevé de criminalité est dû à la « désorganisation sociale ». Pour illustrer sa
pensée, SUTHERLAND soutient la criminalité élevée de sociétés occidentales et des
Etats-Unis d’Amérique a pour causes le manque d'homogénéité et de cohésion de
leurs populations dus à l'individualisme, la mobilité et les conflits de culture4.
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2° DEFINITIONS DE LA SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Lorsqu'on parcourt la littérature consacrée à cette discipline, on constate


que les auteurs donnent de celle-ci des définitions, les unes larges, les autres
étroites.

2.1. Définitions larges

Elle est donnée par le sociologue FILLIEULE dans son ouvrage « Sociologie de la
délinquance ».

FILLIEULE définit la sociologie criminelle par rapport à ses fonctions et ses


objectifs à savoir qu'elle a pour but de proposer des explications satisfaisantes des
phénomènes de délinquance dans leurs différentes manifestations. Elle étudie la
délinquance au travers de ses causes »1.

Pour Enrico FERRI qui est le Père fondateur de l'expression même de sociologie
criminelle, « la sociologie criminelle est la science des délits et des peines
renouvelée par la méthode expérimentale suivant les données de l'anthropologie et
de la statistique criminelle »2.

Il ressort de cette définition que FERRI semble assimiler la sociologie criminelle au


droit pénal (« science des délits et des peines »), qui, on le sait, est une science
normative qui définit les infractions et les peines qui y correspondent. Toutefois, il
précise dans la même définition que c'est une science « renouvelée par la méthode
expérimentale ». C'est ce recours à cette méthode expérimentale, écrit Gabriel
TARDE, qui constitue la spécificité de la sociologie criminelle par rapport au droit
pénal.

Il ressort également des définitions ci-dessus de FILLIEULE et FERRI que la


sociologie criminelle est l’étude de la délinquance au travers du délinquant lui-
même, par son observation et par la recherche des causes3.

2.2. Définitions étroites

Elles sont données, l'une par Henri LEVY-BRUHL et l'autre par Jean CARBONNIER.

Selon Henri LEVY-BRUHL, la sociologie criminelle n'est pas l’étude de la personne


du criminel (travail des médecins, des psychiatres ; de l’anthropologie criminelle ou
de la psychiatrie criminelle ou encore de la psychologie criminelle) mais « l’étude
du crime, pour en connaître, grâce au milieu social, la naissance, le développement
et le déclin »4.

1 BOUZAT, P. et PINATEL, J., op. cit., n°373, p.587.


2 GASSIN, R., op. cit., n°204, p. 185.
3 SUTHERLAND, E.H. et CRESSEY, D.R., Principes de criminologie, Edition CUJAS, Paris, 1966, pp.85-108.
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Autrement dit, pour Henri LEVY-BRUHL, l’infraction n'existe pas en soi. Ce sont des
codes sociaux, c'est la société ou la loi qu'elle dicte qui crée les infractions et donc
qui crée la délinquance. Le crime est un fait social et donc la sociologie criminelle
est l'étude des moyens que la société utilise pour prévenir et réprimer les
infractions5.

Pour Jean CARBONNIER, « la sociologie du droit pénal qui étudie le phénomène de


la répression, la réaction de la société non délinquante au délit, est quelque chose

D’essentiellement différent de la sociologie criminelle qui étudie le phénomène de la


criminalité, le passage des délinquants à l'acte1.

2.3. Distinction de la sociologie criminelle d'avec les disciplines voisines

Telle que définie ci-dessus, la sociologie criminelle doit être distinguée de


nombreuses disciplines voisines, notamment : la sociologie du droit pénal, la
sociologie pénitentiaire et la sociologie de la déviance.

* La sociologie criminelle se distingue de « sociologie du droit pénal »,


autrement appelée « sociologie pénale » en ce que celle-ci est une branche de la «
sociologie juridique » qui étudie les divers aspects de la réaction sociale contre le
crime, non en tant que normes juridique mais en tant que faits sociaux susceptibles
d'être appréhendés par les méthodes de la sociologie2.

Selon le doyen Jean CARBONNIER, la sociologie du droit pénal qui étudie le


phénomène de la répression, la réaction de la société non délinquante au délit, est
quelque chose d'essentiellement différent de la sociologie criminelle qui étudie le
phénomène de la criminalité, le passage des délinquants à l'acte.
La sociologie pénale comprend trois parties, à savoir :

- La sociologie du droit pénal proprement dit ou « juristique criminelle » selon


l'expression de LEVY-BRUHL, qui consiste dans l'étude empirique des lois pénales ;

- « La sociologie de la peine » qui, prenant les peines comme des faits sociaux,
s'interroge sur les conditions sociologiques de leur apparition et de leur
développement ainsi que sur les effets qu'elles entraînent dans la société ;

- « La sociologie du procès pénal » qui étudie comment fonctionnent les divers


organes de la justice pénale (police, parquets, juges d'instruction, juridictions de
jugement, auxiliaires de la justice pénale : avocats, experts...) et quels sont les
résultats sociologiques de leurs activités3.

1 Citépar Gabriel TARDE in La Sociologie criminelle et le droit pénal, op. cit., p.1.
2 FERRI,E., La sociologie criminelle, 1884, cité par TARDE' G' op. cit., p.1.
3 TARDE, G., op. cit.
4 LEVY-BRUHL, H., « Problèmes de la sociologie criminelle », in Revue l’année sociologique, cité par TARDE, G., op. cit,
p.2.
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• La sociologie criminelle se distingue de la « sociologie pénitentiaire » en ce


que celle-ci est une des composantes de la sociologie pénale telle que
définie ci-dessus.

• La sociologie criminelle doit être distinguée de la « sociologie de la déviance


» en ce que celle-ci est orientée essentiellement vers l'étude critique de la
réaction sociale4.
3° LE DOMAINE DE LA SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Le domaine de la sociologie criminelle apparaît comme extrêmement vaste.


Selon R. GASSIN, la sociologie criminelle s’occupe de l'étude de la criminalité dans
son ensemble, comme de l'analyse de l'influence de l’environnement familial et
social du délinquant et des relations interindividuelles qui s’établissent entre le
délinquant et son environnement. C'est la sociologie criminelle encore qui se
penche sur les problèmes du reclassement social du délinquant comme sur celui de
la prévention collective du crime1.

Pour F. GRISPIGNI (1884-1955) cité par Jean PINATEL, la sociologie criminelle doit
essentiellement étudier la criminalité en tant que phénomène social, c'est-à-dire en
tant que phénomène de masse. Dans cette perspective, elle envisagera aussi bien
les facteurs individuels que les raisons sociales de la criminalité 2.

Quant à Jean Michel BESSETTE, la sociologie criminelle s’appliquerait à l’étude des


divers aspects de la vie collective relatifs à l’établissement de règles légalement
codifiées (criminalisation primaire) et à leurs transgressions ainsi qu'aux processus
régissant les réactions sociales (criminalisation secondaire) pouvant découler de ces
transgressions : stigmatisation, étiquetage, prononcé et application des peines. Elle
étudierait les modalités d'élaboration, d’application et d’évolution des codifications
dans leurs rapports avec les structures sociales. Elle analyserait le fonctionnement
des institutions de contrôle social, police, justice, administration pénitentiaire,
éducation surveillée... Elle examinerait si se dégagent des régularités tendancielles
- statistiques - permettant de rendre compte d'une sociogenèse propre à certaines
infractions criminelles. Elle s'efforcerait également de dégager les logiques sociales
favorisant la production des délinquances et des criminalités. A travers l’étude de «
drames » criminels concrets (étude de cas, en « situation »), elle tenterait de
porter au jour les causes occasionnelles permettant d'élaborer une typologie des
faits de délinquance et de criminalité. Elle s'attacherait enfin à cerner les processus
complexes favorisant ce qu'il est convenu d'appeler les « passages à l’acte » 3.

Le champ de la sociologie criminelle, enchaîne-t-il, inclut aussi l’étude de la réaction


sociale. C'est dire qu'il faut encore prendre en compte le rôle des divers
acteurs/agents institutionnels et « entrepreneurs de morale » qui participent à
l'élaboration des règles, des codes et des représentations collectives de la déviance
et de la criminalité, à leur mise en oeuvre (représentation de la norme, du crime,
de la justice, du criminel,..'.), et

1 CARBONNIER, J., dans Sociologie juridique, cité par GASSIN, R., op. cit., n°28, p.28.
2 GASSIN, R., op. cit., n°27.
3 GASSIN, R., op. cit., n°27.
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aux opérations d’étiquetage et de stigmatisation qui feront qu'un tel sera qualifié
criminel. Outre l'institution policière, l’un des théâtres privilégiés où s'expriment ces
opérations constitutives de la réaction sociale est le tribunal. L'observation de
procès, en particulier du procès d'assises, permet de voir à l'œuvre, à travers les
actions conjuguées des divers acteurs/agents (magistrats, témoins, policiers,
experts, jurés, avocats, etc.), les multiples aspects qui composent la réaction
sociale, et contribuent à stigmatiser l’individu qualifié de criminel. Ces observations
peuvent être complétées par des biographies, des reconstitutions de « carrières »
délinquantes ou criminelles, des entretiens approfondis avec les acteurs/agents de
contrôle social que l’on vient d’évoquer, mais aussi avec d'autres intervenants du
champ criminologique (pénalistes, agents médicaux, psychiatriques, d'éducation
spécialisée, du monde pénitentiaire,...) ou d'autres institutions de travail et de
contrôle social, sans oublier les médias1.

De façon synthétique, on peut dire que la sociologie criminelle étudie l'influence du


milieu physique, démographique, économique et politique ainsi que l'action
criminogène du milieu humain (familial, scolaire, milieu du travail, de l'habitation,
des loisirs) et l'influence de l'image, de la presse et du cinéma sur le
développement de la criminalité. Elle envisage donc le crime en tant qu’événement
dans la vie en société ; elle recherche ses conditions sociales (conditions
économiques, professionnelles, culturelles, distribution par âge de la population,
etc...) et analyse aussi le conditionnement sociologique en étudiant la genèse d'un
crime isolé (par exemple : découverte de certains facteurs sociaux du milieu ayant
joué un rôle important dans le développement de la personnalité ou dans le
déclanchement de l'acte2.

Nous pouvons, en quelques mots, avec Jean CONSTANT, dire que la sociologie
criminelle étudie la criminalité en tant que phénomène social et qu'elle recherche
notamment les facteurs criminogènes ayant un caractère social : milieu urbain,
industriel ou rural, alcool, cinéma, religion, etc.3
Le champ d’études de la sociologie criminelle étant ainsi délimité, il nous faut à
présent aborder l'examen des méthodes à mettre en œuvre pour l’exploration des
nombreuses pistes de recherche qu'il recèle.

4° LES METHODES

Pour mener à bien sa tâche, écrit Raymond GASSIN, la sociologie criminelle


s'appuie sur la statistique criminelle qui renseigne sur la structure et les variations
de la criminalité dans le temps comme dans l’espace. Elle nourrit ses
développements des données de l'ethnologie, de la géographie humaine, de la
science économique et en dernier lieu de l'histoire sociale1.

1 Ibidem.
2 BOUZAT, P, et PINATEL, J., op. Cit,, n"373, p.92.
3 BESSETTE, J.M., « La sociologie criminelle », Chapitre figurant dans SOCIOLOGIE CONTEMPORAINE
(dir. J-P Durand et R. Weil), Vigot, 3e édition, 2006.
4 ldem, p.33.
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D'autre part, une approche comparative du champ d'études de la sociologie


criminelle devrait à terme favoriser les possibilités de théorisation relatives à une
problématique des modes de régulation des ensembles collectifs 2.

4.1. Les statistiques criminelles

On entend par « statistiques criminelles » le dénombrement, pour un territoire


donné et au cours d'une période déterminée, des divers faits relatifs à la criminalité
: infractions connues, condamnations prononcées, nombre de personnes détenues,
etc.3

Ce sont donc des instruments de mesure de la criminalité qui permettent d'étudier


le mouvement général de la criminalité, ses rythmes, ses variations, ses
corrélations avec ses conditions personnelles (race, âge, sexe notamment) et ses
conditions géographiques et sociales (économiques, culturelles, politiques) 4.

Pour Jean-Michel BESSETTE, l’étude statistique demeure un mode d’approche


privilégié pour la recherche en sociologie criminelle et elle permet de saisir le crime
« du dehors ».

L'analyse statistique permet de dégager une structure de la criminalité (les


fréquences relatives des différentes catégories et type de crimes), ainsi que son
évolution. Une fois mise en relief la structure de la criminalité globale, on
s’efforcera d’étudier les relations entre diverses variables sociologues et criminalité
(sexe, âge, état civil, nationalité, profession' espace urbain/rural, rythmes sociaux,
phénomènes économiques, etc.5

L'analyse statistique conduit le sociologue à porter plus particulièrement son


attention – en dehors de tout jugement de valeur – sur ce qu'il est convenu
d'appeler la criminalité légale, c'est-à-dire celle qui résulte de l’ensemble des
condamnations effectivement prononcées par les tribunaux. Car, nous dit encore
DURKHEIM, « c'est par la peine que le crime se révèle extérieurement à nous, et
c'est d'elle par conséquent, qu'il faut partir si nous voulons arriver à le comprendre
»1.

Trois niveaux différents de criminalité sont généralement appréhendés par les


statistiques criminelles, à savoir : la criminalité réelle, la criminalité apparente et la
criminalité légale.

1 GASSIN, R., op. cit., n°33, pp. 33-34.


2 BESSETTE, J.M., op. cit.
3 GASSIN, R., op. cit., n°121, p.112.
4 BOUZAT, P. et PINATEL, J., op. cit., n°15, pp.43-44.
5 BESSETTE, J.M., op. cit.
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La criminalité réelle est celle constituée de l’ensemble des infractions qui se


commettent effectivement dans une population donnée durant une période
déterminée. C’est par définition – une inconnue – puisque beaucoup d'infractions
ne sont pas découvertes, que toute infraction ne fait pas l’objet de plainte et que
toutes les plaintes ne correspondent pas forcement à des infractions. Elle demeure
donc une inconnue et il existe entre cette dernière et la criminalité connue un
écart, plus ou moins important, que l’on appelle le « chiffre noir de la criminalité »
(« darknumber » en anglais, « dunkelfeld » en allemand) ou encore « la criminalité
cachée »2.
La criminalité apparente s'entend de l'ensemble des faits de criminalité portés à la
connaissance des autorités de police (criminalité apparente policière) ou des
organes judiciaires de poursuite (criminalité apparente judiciaire) 3. Elle est qualifiée
d'apparente parce qu'elle se compose d'infractions qui n'ont pas encore été jugées
par les tribunaux. Le sociologue – qui n’a pas à jouer le rôle d'entrepreneur de
morale – écrit Jean Michel BESSETTE, ne s’appuiera qu’avec circonspection sur
cette « réalité » précaire pour conduire ses recherches. Toutefois, enchaîne-t-il, à
ce niveau de criminalité, il est loisible d'étudier certains aspects des processus
d'imposition de règles, de stigmatisation et d’étiquetage qui sont des éléments
constitutifs des divers phénomènes de déviance et de criminalité4.
Il résulte de ce qui vient d'être dit à propos de l’étude statistique que celle-ci
demeure un mode d'approche privilégié pour la recherche en sociologie criminelle.
En effet, comme le souligne si bien Jean-Michel BESSETTE, les statistiques
fournissant les chiffres de la criminalité légale demeurent un indicateur pertinent de
l’état du crime tel qu'on a pu le définir : la réaction sociale à la transgression des
règles légalement codifiées. Elles traduisent ainsi les modalités de fonctionnement
des institutions (policière, judiciaire, pénitentiaire, etc.) et sont une expression de
l'état des rapports sociaux dans une société donnée à un moment donné. En tout
état de cause, les criminels « réels » sont bien ceux qui sont retenus dans les filets
institutionnels, et il appartient au sociologue de procéder aux arbitrages théoriques
et méthodologiques (critique des sources) nécessaires à la bonne conduite
scientifique de sa recherche1.
4.2. Ethnologie
Comme il a été dit ci-dessus, la sociologie criminelle, pour mener à bien sa tâche,
nourrit ses développements de données de l’ethnologie.
Pour savoir ce qu'est l’ethnologie, il faut remonter à l’ethnographie avec laquelle
elle a des liens très étroits.
« L'ethnographie, selon LEVI-STRAUSS, consiste dans l’observation et l'analyse des
groupes humains considérés dans leur particularité... et visant à la restitution, aussi
fidèle que possible, de la vie de chacun d'eux tandis que l'ethnologie utilise de
façon comparative... les documents présentés par l'ethnographe » 2.
1 Idem.
2 BESSETTE, J.M., op. cit. ; GASSIN, R., op. cit., n°127, p.117.
3 GASSIN, R., op. cit., n°127, p.117.
4 BESSETTE, J.M., op. cit.
[12]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Pour Alain BIROU, l'ethnographie est une discipline plus ou moins scientifique qui
étudie de façon purement descriptive les cultures primitives, chacune considérée en
elle-même. Quand il y a comparaison et essai d’explication, on a affaire à
l'ethnologie3.
Quant à ce qui concerne l'ethnologie, celle-ci, selon Alain BIROU, étudie les peuples
primitifs et que l'on dit « attardés ». Elle analyse leur vie matérielle, sociale,
culturelle ainsi que leurs arts, leurs techniques, leurs moeurs, leurs croyances 4.
S’agissant de l'ethnologie criminelle qui nous intéresse, Georges KELLENS écrit que
celle-ci est « un chapitre ethnologique où s’étudient dans le temps et dans l'espace,
les langues, les mœurs, les croyances, les techniques, les arts, etc. des peuples vus
comme groupes culturels (ou ethnies), en bref tout ce qui caractérise les
ensembles humains non plus du point de vue de la constitution biologique des
hommes mais de celui de leur attitude face à l’existence, de leur comportement en
tant que groupes ou variétés de l'espèce5.
Pour sa part, Jean-Michel BESSETTE écrit à propos de l'ethnologie criminelle que
dans le cadre général de l'étude du contrôle et de la réaction sociale, l'inventaire de
l'établissement des normes, de leur mise en oeuvre, de leur transgression et des
diverses modalités de rétablissement des équilibres sociaux (systèmes de
codifications, d'inculcation, de diffusion, de régulations, de sanctions) dans les
différentes sociétés – en un mot une « ethnologie criminelle » en collaboration avec
l’anthropologie juridique – constituent des axes de recherche riches de
potentialités1.

4.3. Géographie humaine


Pour mener à bien sa tâche, la sociologie criminelle, nous l'avons dit, nourrit ses
développements des données de la « géographie humaine ».
La « géographie » est la science de la description des phénomènes physiques et
humains.
L'expression « géographie humaine » écrit Alain BIROU, a été lancée en 1927 par
J. BRUNHES dans un ouvrage en trois volumes qui portait ce titre. On peut la
définir comme « la géographie des groupements humains dans leurs rapports avec
la surface du globe : modes de répartition dans l'espace, d'implantation et
d'adaptation aux conditions naturelles, formes d’activités déployées pour tirer de la
terre ce qui est nécessaire à la subsistance du groupe (alimentation, habitat,
outillage)2.
La géographie humaine, enchaîne Alain BIROU, étudie donc les rapports entre les
hommes considérés comme agents géographiques et le cadre dans lequel ils
évoluent.
1 Idem.
2 LEVI-TRAUSS cité par Alain BIROU, Vocabulaire pratique des sciences sociales, 2ème Edition revue et augmentée, Editions Economie
et Humanisme - Les Editions ouvrières, Paris, 1968, p.129.
3 BIROU, A., op. cit., p.129.
4 Idem.
5 KELLENS, G., Eléments de criminologie, Editions Erasme, Bruylant, 1998, p. 171.
[13]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Elle est souvent confondue avec l'écologie criminelle, autrement appelée « écologie
sociale de la criminalité et de la délinquance » que l'on définit comme « la
recherche des causes sociales sous-jacentes à des phénomènes tels que la
victimisation, la délinquance, la criminalité de violence et les atteintes à la
propriété, les sentiments d'insécurité, la détérioration des relations de voisinage, le
récidivisme, en recourant aux caractéristiques tant socio-structurelles (, sexe, race,
composition de la famille) qu'écologiques (dimension, densité, encombrement) des
agrégats (quartiers, cités)3.

Les travaux de géographie criminelle de l’école allemande contemporaine sont


parmi les plus importants4. Il faut aussi signaler qu’en France, le professeur Jean
LEAUTE a réalisé des travaux importants dans ce domaine5.

Bien avant et à partir des années 30, les travaux effectués à CHICAGO par Clifford
SHAW et ses disciples ont conduit à la formulation de la théorie dite « Théorie
écologique de Clifford SHAW ». Selon cette théorie, ce sont « les circonstances
d'une zone géographique déterminée » qui exercent une influence décisive sur le
taux de la

Criminalité. Cette théorie a conduit à la formulation du concept de « delinquency


area », c'est-à-dire, de « zones de détérioration morale » caractérisées par des
conditions sociales et économiques particulièrement défavorables et un taux élevé
de criminalité1.

En République Démocratique du Congo, une recherche récente effectuée dans la


Ville de Kinshasa à partir des statistiques policières des années 2003 à 2007 et
portant sur la « Problématique de l'insécurité dans la Ville de Kinshasa » a permis
d'identifier et de circonscrire, dans chacune de vingt-quatre communes que compte
la ville de Kinshasa, les « quartiers chauds » qui constituent des « zones » ou «
sites » criminogènes à haute criminalité dans lesquels la police a enregistré le plus
grand nombre d'infractions commises avec violence.

En effet, de 2003 à 2007, la police a constaté dans l’ensemble de la ville de


Kinshasa 3.849 crimes de violence dont 2.467 ont été commis dans treize
communes et 1.382 dans le reste de onze communes, Les treize communes dans
lesquelles la police a constaté le plus grand nombre de crimes violents sont les
suivantes : Ngaliema (267 crimes), Mont-Ngafula (258), Kimbanseke (241), Masina
(231), Limete (205), Kalamu (171), Lemba (159), Matete (155), Gombe (153),
Ngiri-Ngiri (146), selembao (175), N’Djili (160) et Kinshasa (146).

Dans chacune des treize communes ci-dessus, la police a identifié et circonscrit |es
quartiers chauds qui constituent des « zones » ou « sites » criminogènes et
d'insécurité où l’on a dénombré le plus grand nombre de crimes de violence ci-
après : assassinat, meurtre, coups et blessures aggravés, vol ou vol à mains
armées, extorsion des biens, extorsion ou vol des véhicules, dissipation des
munitions de guerre et enlèvement.
[14]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Il s'agit des quartiers ci-après :

- Commune de Ngaliema : quartier Punda, quartier Fila, le Camp Luka, Zamba


Ndangi dans le quartier Sanga Mamba baptisée SARAJEVO, la contrée Nvunda
Manenga, le parage de l'Eglise Saint-Luc et l'ex-champ des tirs du Camp Badiadingi.
- Commune de Mont-Ngafula : quartier Dallas, quartier Mazamba, quartier Masanga
Mbila, quartier Maman Yemo, quartier Cogelos et le Plateau des Professeurs,
Zamba ya Biandu, Ndjili Kilamba, quartier Mashosho et quartier Kindele.

4.4. La science économique

La sociologie criminelle telle que nous l'avons vue, étudie le crime en tant que fait
social et qu'elle est donc, comme l’a bien définie Henri LEVY-BRUHL, l’étude des
moyens que la société utilise pour prévenir et réprimer les infractions.

Il va donc de soi que la sociologie criminelle, pour mener à bien sa tâche nourrisse
ses développements de données de la science économique du fait que l'ensemble
des objectifs que l'Etat poursuit devant le phénomène de la criminalité (prévention
et répression) et des moyens qu'il met en oeuvre à ces fins (peines, mesures de
sûreté, rétribution de la faute, amendement du coupable, protection de la société)
exigent la mobilisation des ressources financières considérables que l'on peut
éclater en une multitude d'estimations selon que l’on considère la charge du crime
pour les finances publiques, la charge du crime pour les entreprises et les
particuliers, la charge du crime pour la société ou son économie et le profit du
crime.

La charge du crime pour les finances publiques, c'est l'ensemble des dépenses
concernant la répression et la prévention spécifique diminuée des récupérations
diverses (travaux pénitentiaires, amendes) et augmentée du produit d'infractions
dirigées contre les finances publiques (fraudes fiscales, fraudes douanières).

La charge du crime pour les finances publiques comprend :


• La charge de la répression qui englobe les dépenses de fonctionnement de la police,
des cours et tribunaux, des parquets, des établissements pénitentiaires et du coût de
l’éducation surveillée moins les amendes et frais recouverts et le produit des travaux
pénitentiaires ;

• Le coût de la prévention qui englobe les dépenses de fonctionnement de la police et


des services ou institutions chargées de la protection judiciaire des mineurs ainsi que
les dépenses d'hébergement des handicapés sociaux para-délinquants ;
• Les infractions aux dépens des finances publiques parmi lesquelles on trouve les
diverses infractions économiques et financières, les fraudes douanières et les fraudes
fiscales ;

1 BESSETTE, J.M., op. cit.


2 BIROU, A., op. cit., p. 148.
3 BYRNE, J.M. et SAMPSON, R.J., ed. : The social ecology of crime, Springer, 1986 Cité par G. KELLENS, op. cit., p.96.

4 Cf. HEROLD, « Géographie criminelle », Rev. pol. nat., 1969, 56-65 ; STEINHILPER et SCHWIND, « L'atlas de criminalité de BOCHUM », in 31e Cours

international de criminologie précité, pp.377-396, cité par R. GASSIN, op. cit., p. p.136.
5 LEAUTE, J., « Conférence au 31 e Cours international de criminologie », Cfr pp.407-4O8, cité par R. GASSIN, op. cit., p. 736.
[15]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

- Le coût de la recherche scientifique et des études portant notamment sur le


phénomène criminel, la justice, l'appareil judiciaire et policier ainsi que sur les
établissements pénitentiaires.

4.5. Histoire sociale

Le terme d'histoire, écrit Alain BIROU, s'est appliqué d'abord à tout recueil
d'informations ou de descriptions sur un sujet quelconque (histoires naturelles).
Mais le mot, enchaîne-t-il, tend à s'appliquer surtout à la science des faits humains
du passé avec recherche critique du contexte total de temps et de lieux, les
corrélations, les cohérences possibles entre les événements. Elle porte sur les
données de fait et sur ce qui s'est réellement passé1.

Quant à l'histoire sociale, Alain BIROU écrit que celle-ci « s'applique à étudier la
vie sociale et les formes d'organisation et de rapports sociaux du passé »2.

L'intérêt porté aux rapports de l'histoire avec la politique criminelle remonte à la


plus haute antiquité. En effet, les recherches historiques et la sociologie permettent
de rendre compte de la ligne générale de l’évolution du droit pénal et partant de la
politique criminelle. L’évolution varie selon la race, la religion, la latitude, le
système social, mais on y retrouve toujours certaines constantes ; les mêmes
institutions apparaissent au cours des siècles en divers points du globe, les mêmes
phases se succèdent en fonction des progrès de la civilisation et de l’organisation
sociale ; certaines populations primitives en sont encore aujourd'hui au stade du
talion et de la lutte entre clans.

En revanche, notre justice pénale actuelle reste inspirée plus qu’on ne le croit, des
traditions de justice privée, de réactions instinctives et d’une certaine aura magique
et la politique criminelle en conséquence en porte les stigmates.

Ainsi, comme on peut le voir, la sociologie criminelle, pour mener à bien sa tâche,
nourrit ses développements de données de l'histoire sociale qui, s’il est besoin de le
rappeler, s'applique à étudier la vie sociale et les formes d’organisation et de
rapports sociaux du passé.

1 BIROU, A., op. cit., p.162.


2 Idem.
[16]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

CHAPITRE I : APPROCHE ANALYTIQUE ET DEFINITIONNELLE DU


CONCEPT DE « MILIEU »

SECTION 1 : NOTIONS SUR LE CONCEPT DE MILIEU

§1. Sens du terme « milieu »

Le mot « milieu » est, selon Romuald ZANIESWKI, la transformation de «


medius locus » point central1.

Dans le sens banal du terme, écrit Raymond GASSIN, le « milieu » désigne


le monde environnant dans lequel un individu se trouve situé. Mais deux précisions
essentielles, enchaîne-t-il, doivent être ajoutées à cette définition : 1) le milieu n'est
pas un élément statique, mais un phénomène dynamique qui est en interaction
constante avec l'individu et est modifié par son action tout autant qu'il exerce une
influence sur lui ; 2) le milieu est toujours une ambiance vécue par l'homme en
même temps qu'un fait objectif, en sorte qu'il lui donne toujours une signification
subjective2.

Dans le sens populaire, écrit Jean PINATEL, on entend généralement par «


milieu », le monde environnant, mais les spécialistes insistent, non sur l’état
statique du monde environnant, mais sur le rôle actif que le milieu joue à l'égard de
chaque être vivant, évoluant sous son influence. La sociologie contemporaine a
introduit dans sa définition du milieu un nouvel élément : le fait d’être vécu par
l'homme3. Ainsi, poursuit-il, les animaux subissent l'ambiance, sont formés par elle,
ils ne vivent pas dans le milieu4.

En écologie, le terme « milieu » indique les conditions extérieures dans


lesquelles se trouve un être vivant et qui le conditionnent. C'est en même temps le
champ d'exercice de ce vivant et le terrain auquel il doit s'adapter pour vivre5.

§2. Distinction entre le « milieu » et l’ « environnement »

Dans les pays de langue anglaise, on distingue entre « environnement » et


« milieu ». Dans cette perspective, le « milieu » exprime une situation durable et
permanente, tandis que l' « environnement » exprime plutôt un entourage instable,
passager, momentané. En France, « environnement » suggère l’idée d'un
entourage plus « concret » et plus « immédiat » que celui du « milieu » qui est
plus général1.

1 Romuald ZANIESWKI, Les théories des milieux et la pédagogie mésologique, casterman, Tournai, Bruxelles, 1952, p.21.
2 GASSIN, R., Criminologie, op.cit., n°478, p.443
3 BOUZAT, P., et PINATEL, J., Traité de Droit pénal et de Criminologie, Tome III, Criminologie par PINATEL, J., op. cit., n°25, p.60.
4 Idem.
5 BIROU, A., Vocabulaire pratique des sciences sociales, op. cit., p.212.
[17]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

§3. Le milieu criminel

A. Définition

La seule tentative systématique d’étudier le « milieu criminel », écrit Pierre


TREMBLAY, date des années 1920-19302 et on la doit à un groupe de sociologues
que l'on a par la suite identifié comme faisant partie de l'Ecole de Chicago
(DOWNES et ROCK, 1986, CHAPOULIE, 1984, SNODGRASS, 1972) 3.

Qu'est-ce qu'un milieu criminel ?

Selon Pierre TREMBLAY, le milieu criminel est défini comme l'ensemble des
interactions directes ou indirectes entre individus ayant choisi de participer de façon
relativement régulière à un ensemble variable d’activités criminelles. Il désigne
donc toujours par définition un sous-ensemble de la population des délinquants4.

Au sens où il est défini ci-dessus, le milieu criminel englobe : les bandes de


délinquants juvéniles, les bandes des enfants de la rue, le milieu de la pègre, les
réseaux de prostitution commerciale, les dancings, le monde des clochards et des
chambreurs, l'univers des agents immobiliers ou celui des communautés ethniques,
le monde des trafiquants des drogues, le monde des marchés de paris illicites
(associés à l'exploitation des appareils d'amusement de type bingo ou poker), le
monde des proxénètes et les bandes de malfaiteurs adultes caractérisées par les
règlements de compte entre bandes rivales pour la domination du « marché du
crime professionnel » et le phénomène « Kuluna » à Kinshasa5.

B. Principes d'analyse du milieu criminel

C'est à Pierre TREMBLAY que revient le mérite d'avoir défini les principes d'analyse
du milieu criminel qui donnent à ce genre d’étude sa configuration spécifique. Ils
sont selon l'intéressé au nombre de quatre, à savoir :

- analyser les pratiques criminelles ;


- comparer les structures d'opportunités criminelles ;
- reconstituer des populations complètes ;
- ancrer les structures d'opportunité criminelle.

1 PINATEL, J., in BOUZAT, P. et PINATEL, J., op. cit., n°25, p.60.


2 TREMBLAY, P., « Plaidoyer pour la sociologie criminelle », Criminologie, Vol. 22, n°2, 1989 - http:/erudit.org/iderudit/O17279 ar, 10/11/2011, 10:02.
3 DOWNES, D.M. et ROCK, P. (1986), Understanding Deviance : A guide to the sociology of Crime and Rule - Breaving : Oxford
University Press ; CHAPOULIE, J.M. (1984), Everett C. Hughes et le développement du travail de terrain en sociologie, Revue
française sociologique, 25, 582-608; SNODGRASS, J. (1972), The American Criminological Tradition : Portraits of the Man and
Ideology in a Discipline, Thèse de doctorat, University of Pennsylvania cités par Pierre TREMBLAY, op. cit.
4 TREMBLAY, P., op. cit., p.5.
5TREMBLAY, P., op. cit., p.6, cité par GASSIN, R., op. cit., n°580, 35 ; KASONGO MUIDINGE MALUILO, P.C., Prophylaxie
criminelle – Analyse des structures et situations sociales génératrices de la délinquance et des actions spécifiques de
prévention à mener, Editions KAMUIDMA, Kinshasa, juin 2010, pp. 92 et 104.
[18]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

1 ° Reconstituer des populations complètes

L'analyse du milieu criminel, écrit Pierre TREMBLAY, a généralement la


tâche de reconstituer des « populations complètes », (quoique très singularisées)
d’acteurs. Non pas un fraudeur ou un tueur ou un voleur, non pas non plus un
échantillon de fraudeurs ou de cambrioleurs, mais la population complète des
fraudeurs d'un certain genre, des tueurs d'un certain type, dans un contexte social
déterminé1.

A titre d'exemple, dans une analyse du phénomène Kuluna : cas de l’écurie


« L’Armée Rouge » de Kauka ou de l’écurie « Les Bengazi » de Barumbu, l'on ne
doit pas se contenter de se pencher sur un seul Kuluna de chacune de deux écuries
ciblées ou sur un échantillon des Kuluna desdites écuries mais sur la « population
complète » des Kuluna appartenant à l'écurie « L'Armée Rouge » de Kauka et à
l’écurie « Les Bengazi » de Barumbu2.

2° Analyser les pratiques criminelles

L'analyse du milieu criminel présuppose la reconstitution stratégique, selon


l'expression de CUSSON, des pratiques criminelles du fait que celles-ci nous font
découvrir le plus souvent, et « en prime », jusqu’à quel point et de quelle façon les
structures d'opportunités criminelles sont étroitement imbriquées les unes aux
autres et déterminent, peut-être, en dernière instance, la trajectoire des carrières
criminelles individuelles3.

En effet, comme l'a si bien souligné pour sa part Pierre TREMBLAY, il est
impossible d'entreprendre une analyse du milieu criminel sans connaître en détail la
manière dont se pratique une variété importante d'activités criminelles susceptibles
d’attirer, dans un contexte social ou urbain donné, la majeure partie de ceux qui y
participent. A titre d'exemple, dit-il, il est impossible de comprendre les braquages
de banque sans une analyse détaillée de la manière dont les braqueurs se
procurent leurs armes et une évaluation de l'ampleur et du fonctionnement du
marché noir des armes à feu de petit

Calibrent. Et parce que bon nombre de braqueurs opèrent en volant la veille


ou le jour même le véhicule dont ils se servent pour prendre la fuite, une analyse
de l'impact des vols qualifiés sur le taux de véhicules volés doit être prévue dans ce
genre de recherche1.

1 Idem, p.7.
2 KASONGO MUIDINGE MALUILO, P.C., Prophylaxie criminelle, op. cit., p.92.
3 CUSSON, M. (1986), « L'analyse stratégique et quelques développements récents en criminologie », Criminologie, 19, I , 53-72, cité par
TREMBLAY, P., op. cit., p.11.
[19]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

De même, si l’on veut entreprendre une analyse du phénomène Kuluna


dans les quartiers de l'une des communes de la Ville de Kinshasa, il faut
nécessairement connaître en détail la manière dont les Kuluna desdits quartiers se
procurent tout ce dont ils ont besoin pour perpétrer leurs forfaits à savoir les
machettes, les couteaux, les gourdins, y compris le chanvre, les drogues et les
boissons alcoolisées dont ils s'enivrent habituellement. Et puisque le phénomène
Kuluna est comme, on le sait, une forme de banditisme de jeunes sportifs
pratiquant les arts martiaux (karaté, judo, catch, boxe, etc.) qui a pris corps dans
nos municipalités, il est nécessaire également d'identifier et de localiser les
différents clubs où l'on pratique ces arts martiaux et de connaître leurs
responsables.

3° Comparer les structures d’opportunités criminelles

La comparaison des structures d'opportunités criminelles se justifient pour


deux raisons. La première raison tient de ce que la plupart de ceux qui pratiquent
le crime sur une base relativement régulière font toujours face à un éventail
d'opportunités criminelles et que le problème n'est pas tant celui de choisir entre le
crime et le non-crime mais de choisir entre diverses sortes d'activités illicites,
chacune ayant ses avantages et ses inconvénients2.

La seconde raison est que les marchés criminels et plus généralement les
structures d’opportunités criminelles sont elles-mêmes couplées et inter-reliées et
dans une large mesure interdépendante, de sorte qu'une innovation ou un
changement local peut avoir des effets indirects importants sur les conditions de
fonctionnement de l'ensemble du milieu3.

4° Ancrer les structures d'opportunité criminelle

Les analyses du milieu criminel font un usage systématique de sources


documentaires multiples. La raison d’être de ces sources documentaires n'est pas
simplement méthodologique et n’a pas pour seule fonction d’asseoir par
corroboration ou triangulation la validité des renseignements recueillis4. Comme le
soulignent, de manière générale, FELSON et COHEN, les opportunités criminelles se
nichent.

Il ne suffit pas, renchérit Jean PINATEL, de considérer l'influence du milieu


physique d'un point de vue objectif. Subjectivement, poursuit-il, le milieu physique
est vécu par l'homme et c'est, parce qu'il en est ainsi, que son influence
psychologique peut être considérable, encore qu'il soit difficile dans cette
perspective de séparer son étude de celle du milieu social1.

1 TREMBLAY, P., op. cit., p.8.


2 Idem, p.9.
3 TREMBLAY, P., op. cit., p.9.
4 Idem.
[20]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

§2. Le milieu social

1° Définition

Selon Alain BIROU, le milieu social est l'ensemble des conditions, des
situations et des circonstances du cadre social et de la vie sociale que rencontrent
les membres d'une société ou d'un groupe. C'est le contexte social, la société elle-
même, selon ses diverses dimensions, dans la mesure où ils constituent le terrain
d'adaptation de la personnalité sociale en même temps que son champ d'exercice.

En ce sens, enchaîne-t-il, le milieu est la société habituelle, comme « habitat


social » qui permet l'exercice de la vie sociale de chaque personne2.

Tel que défini ci-dessus, le milieu Social peut être considéré du point de vue
objectif d’abord en fonction des échelles (macro-milieux, micro-milieux), pour
ensuite envisager en profondeur les milieux écologique, culturel, économique3.

2° Subdivisions du milieu social

En criminologie, on fait au sein du milieu social une sous-distinction entre


d'une part, le « milieu social général » et d'autre part, le « milieu personnel ».

A. Le milieu social général

Le milieu social général est celui qui est formé par toutes les conditions
générales de la société qui produisent des circonstances communes à tous les
citoyens d'un même pays (situation politique, économique, sociale, culturelle) 4.
Pour Jean PINATEL, le milieu social général englobe toutes les circonstances
générales du monde environnant produisant des influences communes à tous les
citoyens d'un pays5.

B. Le milieu Personnel

Le milieu personnel, contrairement au milieu social général, englobe


l’entourage de l'individu produisant des influences particulières et généralement
décisives1. Dans cette perspective du milieu personnel, on peut, écrit Jean
PINATEL, se référer à la distinction faite par Etienne DE GREEFF 2 au sein de ce
milieu entre le milieu inéluctable, le milieu occasionnel, le milieu choisi ou accepté
et le milieu subi.
1 Idem.
2 BIROU,A., Vocabulaire pratique des sciences sociales, op. cit., p.212.
3 PINATEL, J., op. cit., p.61.
4 GASSIN, R., Criminologie, op. cit., p.478.
5 PINATEL, J., op. cit., p.61.
[21]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

1) Le milieu inéluctable

Sous l’expression « milieu inéluctable », on désigne le milieu dans lequel


l'individu ne peut pas ne pas vivre, d'abord du fait de sa naissance, ensuite du fait
de son environnement immédiate3. C'est donc le milieu rattaché à la famille
d'origine laquelle joue un rôle capital dans la formation de la personnalité du
délinquant.

En effet, l'enfant subit l'endroit du monde où sa famille d'origine est fixée, le


moment de l’histoire où il apparaît. La famille implique le milieu géographique et
historique, la rue ou le hameau, la maison.

Aussi, a-t-on pour habitude de distinguer deux aspects dans le lieu


inéluctable, à savoir : le milieu de la famille d'origine et le milieu que forment
l’habitat et le voisinage4.

2) Le milieu occasionnel

Sous l’expression « milieu occasionnel », l’on désigne le milieu des premiers


contacts sociaux5.

Le milieu occasionnel englobe |e milieu scolaire, le milieu d’apprentissage et


d’orientation professionnelle et le milieu du service militaire dans les pays où il est
obligatoire6.

Ces divers stades de la vie, écrit Jean PINATEL, constituent des étapes
sociales auxquelles on ne peut se soustraire en principe et au cours desquelles
certains traits psychologiques individuels se révèleront7.

Il y a lieu de noter, relève Raymond GASSIN, que ces milieux ne constituent


pas par eux-mêmes, des milieux criminogènes, bien au contraire, ils poursuivent,
du moins pour les deux premiers (milieu scolaire et milieu d'apprentissage et
d’orientation professionnelle) des buts éducatifs. Ce qui peut être criminogène en
revanche, c’est l’inadaptation de certains sujets à ces milieux et le fait qu'ils tentent
d’échapper à leur influence et de brûler les étapes conduisant à une vie
indépendante1.

1 Idem.
2 DE GREEFF, E., Introduction à la criminologie, 1ère Edition, Louvain, Ed. de l'Ecrou, 1937, pp.43-54 ; 2ème
édition (1er volume paru), Paris, PUF, 1948, pp. 83-108 cité par GASSIN, R., op. cit., p.444 et PINATEL, J.,
op. cit., p.61.
3 DE GREEFF, E., cité par GASSIN, R., op. cit., p.444.
4 PINATEL, J., op. cit., pp.61-62 ; GASSIN, R., op. cit., p.444.
5 LEAUTE, J., Criminologie et science pénitentiaire, P.U.F., 1972, pp.569-578 cité par GASSIN, R., op. cit,
p.448.
6 PINATEL, J., op. cit., p.62 ; GASSIN, R., op. cit. p.448.
7 PINATEL, J., op. cit., p.62.
[22]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Il nous faut ajouter, avec Jean CONSTANT que le milieu occasionnel est, en partie,
inéluctable, puisque le choix de l’école est fait par les parents, tandis que le choix
des amis par l'enfant est personnel2.

3) Le milieu choisi ou accepté

Le milieu choisi ou accepté est, selon Etienne DE GREEFF, le milieu dans


lequel l'individu a décidé de vivre. En principe, enchaîne-t-il, il le choisit librement
ou, tout au moins, il l'accepte en tenant compte de son expérience et de ses goûts.
Ce n'est plus le milieu familial inéluctable, mais « une expression », une collectivité
dans laquelle il décide d'entrer « pour prendre conscience de sa personnalité et
défendre ses intérêts supérieurs » 3. Lorsqu’il choisit pour son propre compte
l'homme, poursuit Etienne DE GREEFF, « accepte alors un milieu, ou bien il s'y
résigne, ou bien il choisit, mais, en fait, il tâtonnera plus ou moins pendant toute sa
vie et, toute sa vie il rêvera de conditions plus adaptées à sa personnalité » 4.

Il résulte de ce qui vient d’être dit que le sujet, adolescent ou adulte choisit
son milieu ou du moins l’accepte, en s'y résignant ou en s'y complaisant.

Le milieu choisi ou accepté comprend le foyer personnel, c’est-à-dire la


famille propre, le milieu de travail ou professionnel, l'habitat et les loisirs.

Nous examinerons dans le chapitre suivant dans quelle mesure ces divers
éléments du milieu choisi sont-ils susceptibles d'influencer l'évolution de la
personnalité du criminel ou de constituer au contraire des facteurs de résistance
intégrés dans l’évolution de cette personnalité.

4) Le milieu subi

L'expression « milieu subi » s'entend, selon Raymond GASSIN, du milieu


dans lequel se trouve plongé le délinquant lorsqu'il est arrêté, jugé et condamné,
notamment à une peine privative de liberté. Le milieu subi, c'est aussi non
seulement la prison, mais l'ensemble formé par le système de justice pénale, police
et tribunaux1.

Il s'agit donc, pour reprendre l'expression de N. JOHNSTON, L. SAVITZ et M.


WOLFANG, de « l'univers policier, judiciaire et carcéral »2.

Nous verrons plus loin que dans la formation de la personnalité du délinquant le


milieu subi avant, pendant et après le jugement joue un grand rôle.

Il ressort de ce qui vient d’être dit que le milieu subi est composé des milieux
policier, judiciaire et pénitentiaire.
1 GASSIN, R., op. cit., p.449.
2 CONSTANT, J., op. cit., p. 138.
3 DE GREEFF, E., op. cit., pp. 43 et suivant, cité par CONSTANT, J., op. cit., p.132.
4 DE GREEFF, E., op. cit., p.109 cité par PINATEL, J., op. cit., p.329.
[23]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Il convient de préciser avec Jean PINATEL que le « milieu » qui vient d’être
décrit dans les développements ci-dessus est le « milieu objectif », c’est-à-dire, le
milieu tel qu'il se présente réellement, et qu'il se distingue du « milieu subjectif »,
c’est-à-dire, celui que le sujet perçoit et se représente intimement.

SECTION 3 : LES MODIFICATIONS DU MILIEU

Les modifications du milieu sont, selon Etienne DE GREEFF, de deux types,


à savoir : les modifications réelles et les modifications fictives. Elles sont
inhérentes, les premières au « milieu objectif » et les secondes au « milieu subjectif
» tel que défini dans la section précédente in fine.

Les modifications fictives du milieu, écrit Jean PINATEL, paraphrasant


Etienne DE GREEFF, reposent sur cette idée que tout sujet adapté à un milieu
quelconque n'est qu'en apparence totalement d'accord avec lui. Une certaine
résistance existe toujours et un désaccord latent peut brusquement apparaître à
l'occasion d'un conflit. Il arrivera alors, qu'emporté par ses dispositions personnelles
ou ses mouvements affectifs, le sujet se laissera aller à exagérer le sens et la
signification de certaines manifestations de la vie sociale et imaginera illusoirement
que le milieu se modifie dans le sens que son inconscient désire. Dans ce cas, le
sujet se met à penser et à réagir par rapport au milieu non tel qu'il est, ou tel qu'il
est resté, mais tel qu’il est arrivé à se le représenter ou à le comprendre3.

Il en est ainsi lorsque des acquittements intempestifs ou inconsidérés sont


complaisamment rapportés par la presse, lorsque les récits de crime s'étalent dans
les journaux ou lorsque le cinéma présente une morale facile et légitime ainsi que
des états affectifs de tolérance et suggère une puissance, une chance et un succès
qui ne sont d’aucune créature1.

Ces modifications fictives du milieu, pour reprendre l’expression d'Etienne


DE GREEFF, vont amener le sujet à critiquer et à accuser le milieu réel dont il ne
comprendra plus les réactions. Son mode de rattachement à son milieu réel
s'atterrera et l’évolution vers le crime s’accompagnera de la recherche d’un milieu
susceptible de correspondre à chacune des étapes qu'il parcourt2.
La même observation avait déjà été faite par H. JOLY qui, à ce sujet, avait
écrit que « le vrai malfaiteur ou celui qui se dispose à l’être ne s'en va donc pas à
l’écart, ne s'enfonce dans aucune rêverie solitaire. Il cherche une certaine société,
et là est la caractéristique essentielle qui distingue le délinquant du malade ».3

Après l'analyse de différents types de milieux, il nous faut à présent passer


à l’examen de leur influence sur la formation de la personnalité du délinquant. Tel
est l'objet du chapitre suivant.

1 GASSIN,R., op. cit., n°490, p.452.


2 JOHNSTON, N., SAVITZ, L. et WOLFANG, M., in The sociology of punishment and correction, John Wiley publishers,
London & New York, 1962, cités par PINATEL, J., op. cit., p.333 - Notes infrapaginales (2).
3 PINATEL, J., op. cit., n°25, p.62.
[24]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

CHAPITRE II : L'INFLUENCE DES FACTEURS DU MILIEU SUR LA


PERSONNALITE DU DELINQUANT

Les facteurs du milieu qui influent sur la personnalité du délinquant et qui


vont faire l'objet de nos réflexions dans ce chapitre sont ceux relatifs au milieu
inéluctable, au milieu occasionnel, au milieu choisi ou accepté et au milieu subi.

Mais avant d'aborder l'examen de l’influence de ces milieux sur la formation


de la personnalité du délinquant, il nous faut dire un mot sur ce qu’est « la
personnalité » du délinquant.

SECTION 1 : NOTIONS SUR LE CONCEPT DE PERSONNALITE

Le concept de personnalité, écrit Jean PINATEL, connait aujourd’hui une


vogue extraordinaire en criminologie. Mais il s’agit d’un concept d’autant plus
difficile à saisir que chacun le considère sous son optique propre1.

Nous allons donc en premier lieu en donner la définition générale et ensuite


les diverses définitions spécifiques.

§1. Définition générale

Selon le Professeur Alex TSHIMANGA, la personnalité s’entend d'une


organisation dynamique de différents aspects de l’individu : cognitif, affectif ou
volitif (de l’ordre du vouloir), physiologique et morphologique2.

§2. Définitions spécifiques

Comme nous l’avons dit ci-dessus, le concept de personnalité est d'autant


plus difficile à saisir que chacun le considère sous son optique propre.
Autrement dit, différents auteurs, comme nous allons le voir, donnent de la
personnalité une définition qui est empreinte de l’approche propre à leur discipline
respective.

A. La conception objective de la personnalité de L’Ecole Italienne

Le terme de « personnalité » dans la tradition anthropologique de l'Ecole


Italienne est synonyme d'individualité physique et psychologique1. Cette conception
objective de la personnalité est reprise aujourd'hui en biologie avec N. PENDE et
Olof KINBERG. Selon N. PENDE, la synthèse globale de la personne, c'est le
sommet de la pyramide biotypologique dont la base est constituée par l’hérédité et
les quatre faces par la morphologie, le tempérament, le caractère et l'intelligence.
Pour Olof KINBERG, la personnalité est la somme algébrique des tendances
réactionnelles du sujet2.

1PINATEL, J., « Le diagnostic de personnalité », in Revue de science criminelle, 1952, pp. 636 à 643.
2TSHIMANGA, A., Panorama de la psychologie, Editions de la Cime des Merveilles, Centre Africain de Recherche et d’Actions
Sociales, CARAS, Kinshasa, 2002, p.203.
[25]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

B. Approche psychanalytique de la personnalité

La psychanalyse, écrit Jean PINATEL, voit essentiellement dans la «


personnalité » une organisation dynamique. Les oscillations de la vie de l’individu
entre le plaisir, le pragmatisme et le devoir sont expliquées par la lutte entre trois
instances : a) le « Ça » qui représente les forces irrationnelles et inconscientes ; b)
le « Mo » qui exprime celles dérivées de l'apprentissage ; c) le « Sur-Moi » qui rend
compte de celles d’ordre autopunitif et expiatoire. En bref, enchaîne-t-il, d'après la
doctrine psychanalytique, notre psychisme est posé d'un magma de processus
inconscients et subsidiairement d'une mince zone consciente et le « Moi » se trouve
constamment tiraillé entre le « Ça » et le « Sur-Moi »3.

Abordant dans le même sens, le Professeur Alex TSHIMANGA écrit que la


perspective psychanalytique insiste, en plus de l’élément structural (sur-moi) sur la
singularité de l'histoire vécue principalement durant la première enfance de
l'individu4.

C. Approche sociologique de la Personnalité

1° Définition

Pour les sociologues, la biologie et la psychanalyse n’apportent de lumières


que sur la fondation sur laquelle s'édifie la personnalité.
Parmi les définitions de la personnalité que donne le Vocabulaire de Philosophie de
LALANDE, on peut relever celle-ci : « Personne ne qui réalise à un haut degré les
qualités supérieures par lesquelles la personne se distingue du simple individu.

Anticriminelle sur les citoyens, il faut que ces derniers l’éprouvent comme
un « risque ». Ce risque peut être perçu de deux manières, à savoir : soit comme le
« risque objectif, réel, d'être dépisté, appréhendé et poursuivi au cas où ils auraient
commis un crime, soit comme le « risque subjectif » consistant dans les idées qu'ils
peuvent avoir sur les chances d'être pris et punis. Entre le risque objectif et le
risque subjectif, c'est le risque subjectif qui est le facteur pouvant influencer les
délinquants virtuels, le risque objectif, par contre, étant déterminé par nombre de
circonstances inconnues du sujet ou difficiles à apprécier1.

Après l'examen du complexe personnalité-situation, il nous faut passer à


l'analyse de l'influence des facteurs du milieu sur la personnalité du délinquant.

1PINATEL, J., Criminologie, Tome III du Traité de Droit Pénal et de Criminologie par Pierre BOUZAT et Jean PINATEL,
op.cit., n°27, p.63.
2 Idem.
3 Ibidem, pp.63-64.
4 TSHIMANGA, A., op. cit., p.203.
[26]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

SECTION 2 : LE COMPLEXE PERSONNALITE – SITUATION

Sous l'expression « complexe personnalité-situation », l’on sous-entend la


combinaison personnalité-situation ou l'interaction entre personnalité et situation
ou encore la totalité fonctionnelle que forment personnalité-situation pour
reprendre l'expression chère à Olof KINBERG.

Ce complexe personnalité-situation constitue la base même du passage à l'acte


criminel, car comme l'a si bien souligné Raymond GASSIN, l’acte criminel n'est pas
la résultante automatique de la mise en contact d'un certain type de personnalité et
d'un certain type de situation ; il est au contraire l’aboutissement d'un processus
d'interaction parfois fort long entre personnalité et situation précriminelle, de telle
sorte que tant que l'acte n’a pas été consommé, rien n'est encore définitivement
joué. C'est ce qui fait que toute modification soit de la personnalité, soit de la
situation, soit de l'un et de l'autre des facteurs, peut court-circuiter l'évolution vers
la perpétration de l'acte criminel4.

Il en résulte, comme on peut le voir, que le point de départ du déroulement du


passage à l'acte criminel réside dans une situation dans laquelle une personnalité
se trouve impliquée.

L’étiologie du crime ne suppose pas seulement un certain type de personnalité, elle


implique également l'existence d'une situation précriminelle. On sait en effet que
l'acte criminel constitue toujours la réponse d'un certain type de personnalité à une
situation déterminée. La connaissance de la situation criminelle est donc essentielle
à l'explication de l'acte délicieux.

Sur ce point, le grand mérite revient à olof KINBERG d'avoir mis l'accent sur
l’importance des situations pré-criminelles3. Il a montré, écrit Jean PINATEL qu'il
faut étudier les situations dans lesquelles les sujets se sont trouvés, afin de
découvrir les stimuli qui ont agi sur eux. Il a distingué dans cette perspective les «
situations spécifiques ou dangereuses », qui se caractérisent par le fait que
l’occasion n’a pas été recherchée, les « situations non spécifiques ou
amorphes » qui sont celles où l'occasion doit être recherchée et les « situations
mixtes ou intermédiaires » dans lesquelles, d'une part, l’occasion est toujours
recherchée, mais où d’autre part existe néanmoins un stimulus spécifique résultant
de la pression qu'un état de fait impose au sujet.

Toutefois, comme l'a si bien montré M.D. LAGACHE5, une situation n’existe que
parce que l'individu s'y est lui-même placé. De plus, la situation présente un double
caractère objectif et subjectif.

Le caractère objectif du complexe personnalité-situation a été mis en lumière par F.


EXNER qui a montré comment par suite des circonstances les modalités d’exécution
peuvent être facilitées. Pour sa part, E. SUTHERLAND a noté que la situation agit
au moins accessoirement par la mise à la disposition d'une opportunité pour un
acte criminel.
[27]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Envisagé du point de Vue subjectif, le complexe personnalité-situation implique une


appréciation personnelle du sujet.

Pour illustrer ce qui vient d'être dit, examinons l'influence anticriminelle que peut
avoir la menace pénale. En effet, pour que la menace pénale puisse avoir une
influence anticriminelle sur les citoyens, il faut que ces derniers l’éprouvent comme
un « risque ». Ce risque peut être perçu de deux manières, à savoir : soit comme le
« risque objectif, réel, d'être dépisté, appréhendé et poursuivi au cas où ils auraient
commis un crime, soit comme le « risque subjectif » consistant dans les idées qu'ils
peuvent avoir sur les chances d'être pris et punis. Entre le risque objectif et le
risque subjectif, c'est le risque subjectif qui est le facteur pouvant influencer les
délinquants virtuels, le risque objectif, par contre, étant déterminé par nombre de
circonstances inconnues du sujet ou difficiles à apprécier.

Après l'examen du complexe personnalité-situation, il nous faut passer à l'analyse


de l'influence des facteurs du milieu sur la personnalité du délinquant

SECTION 3 : L'INFLUENCE DES FACTEURS DU MILIEU SOCIAL SUR LA


DELINQUANCE

Le milieu social dont nous allons examiner l’influence sur la délinquance ici
est le « milieu Social personnel » qui se rapporte à l'environnement immédiat des
individus et dont l'influence est plus directe et plus décisive sur chaque individu.

Comme nous l'avons vu dans les développements précédents, le milieu social


personnel comprend : le milieu inéluctable, le milieu occasionnel, le milieu choisi ou
accepté et le milieu subi. Nous allons donc examiner l’influence criminogène de
chacun de ces milieux.

§1. L'influence des éléments du milieu inéluctable sur la délinquance

On distingue, comme nous l'avons dit dans les développements antérieurs,


deux aspects dans le milieu inéluctable, à savoir : le milieu de la famille d’origine et
le milieu que forment l'habitat et le voisinage.

Nous allons voir l'influence criminogène de chacun de ces milieux


constitutifs du milieu inéluctable.

A. La famille d'origine comme source de la délinquance

1° La famille d'origine : premier cadre de socialisation de l’enfant et


source de la délinquance juvénile

La famille d’origine a une importance capitale non seulement pour les


sources de la délinquance mais aussi comme premier cadre de développement de
l’être humain.
[28]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Elle est le premier cercle humain qui entoure tout être. C'est au sein de la
famille d'origine que s'effectue donc la première socialisation de l'enfant. Tout ce
qui y survient, écrit Denis SZABO, a donc une influence considérable à partir des
méthodes d'emmaillotage, du premier sourire de la mère, des relations avec les
parents, entre les parents jusqu'aux méthodes d'éducation disciplinaires1.

Toutefois, ce rôle socialisateur indispensable de la famille est affaibli dans la


société d’aujourd'hui pour de multiples raisons dont notamment : le manque de
temps des parents, parent unique, etc. A cela, il faut ajouter que le milieu familial
d'aujourd'hui ne donne plus à l'enfant le minimum d’affection et d'éducation qui lui
sont pourtant nécessaires pour sa bonne socialisation. Il en est ainsi dans
nombreuses hypothèses suivantes : abandon de l'enfant à sa naissance et manque
des soins appropriés (cas des bébés jetés par leurs mères et ramassés dans des
poubelles ou les caniveaux) séparation de la mère et de l’enfant à la suite d’un
événement de force majeure (cas de plusieurs enfants dont les parents ont été
massacrés dans les combats meurtriers qui ravagent l'Est du pays), absence d'un
père au moment où son autorité doit équilibrer la tendresse de la mère, dissensions
et disputes entre les parents, l'excès d'indulgence ou au contraire excès de sévérité
de la part des parents, etc.
Abondant dans le même sens, Jean CONSTANT a écrit que la délinquance juvénile
trouve également sa source dans la discipline défectueuse des parents (indulgence
excessive ou sévérité outrée), dans l'infériorité de leur niveau intellectuel ou moral
(surveillance insuffisante ou rendue impossible par l'ignorance, mauvais exemples,
ivrognerie, moralité douteuse qui incite l’enfant à la mendicité, au mensonge, etc.), ou
enfin dans leur délinquance (pères débauchés, mères dépravées, frères et sœurs
corrompus).

Par ailleurs, les études réalisées par les sociologues, dans ce domaine, nous
indiquent que la famille peut même être un milieu criminogène (ex : mauvais traitements
des enfants dans la famille). Et à ce sujet, Jean CONSTANT écrit que la désorganisation du
milieu familial (décès, séparation, divorce, illégitimité) favorise aussi, dans de larges
proportions, la délinquance des enfants. Aussi, enchaîne-t-il, peut-on souscrire au cri
d’alarme lancé par Fouillé dans son ouvrage intitulé « La France au point de vue moral »,
lorsqu'il écrit : « L'une des principales raisons du fâcheux excédent de criminalité...,
surtout chez les jeunes, c'est l'insuffisance de l’éducation dans la famille, La criminalité
infantile est, avant tout, la projection agrandie de la démoralisation paternelle et
maternelle… Si le nombre de jeunes criminels augmente, c'est que la dégénérescence
physique ou morale des parents - au moins dans une certaine classe - va elle-même en
augmentant, et chez leurs descendants s'accélère... Ce qui était vice, débauche,
alcoolisme, chez les parents, devient crime chez les enfants ».

Pour sa part, Jean PINATEL écrit que la famille d’origine joue un rôle direct dans
l’étiologie de la délinquance juvénile. C’est le plus souvent à partir d'une situation
familiale conflictuelle que surgit ra réaction délictuelle. Mais, ajoute-t-il,
indépendamment de ce rôle direct, la famille d’origine intervient dans la formation
de la personnalité du délinquant. C’est dans cette perspective que la famille
[29]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

d’origine doit être étudiée sous l’angle de son niveau socio-économique, de sa


structure, de sa composition, de sa dimension et sa valeur2.
2° Les éléments de la famille d'origine ayant un rôle direct dans
l’étiologie de la délinquance juvénile
a) Le niveau socio-économique de la famille d'origine
Une enquête faite par R.P. LAFON et Mlle MICHOUD sur les ressources
financières des familles inadaptées, a permis de mettre en évidence le niveau
socio-économique peu élevé, en règle générale, de la famille d’origine des
délinquants3. Mais, comme l’ont fait si bien remarquer J. SHANLEY et Coll., elle ne
doit pas faire oublier les nouvelles formes de la délinquance juvénile dont les
mauvais garçons de bonne famille sont les auteurs.

Il y a lieu de préciser que la pauvreté n'est plus envisagée aujourd’hui


comme une question essentiellement économique. Des travaux récents, en effet,
donnent à ce concept un caractère multidimensionnel qui fait de la pauvreté une
question sociale et politique.
Le caractère multidimensionnel de la pauvreté apparaît dans la définition
qu'en donnent Bihr et Pfeffer Korn et que reprend en substance Anne-Marie
MARCHETTI dans les pauvretés en prison. La pauvreté n'est pas réduite à une
absence de capitaux monétaires, mais est appréhendée comme une réalité
multidimensionnelle mieux tridimensionnelle qui consiste dans le défaut d’avoir, le
défaut de pouvoir et le défaut de savoir. Elle écrit en effet : « la pauvreté ne se
résume pas à une absence de capitaux monétaires, elle est, comme la richesse une
réalité multidimensionnelle, c'est-à-dire non seulement le défaut d’avoir de revenus
insuffisants, absence de réserve et de fortune mais plus fondamentalement le
défaut de pouvoir : l’absence de maîtrise sur les conditions matérielles et
institutionnelles de sa situation, la précarité (la faible capacité à faire face aux aléas
de l'existence) et la dépendance institutionnelle qui en résultent, la fragilité des
réseaux de scolarisation. La pauvreté, c’est enfin le défaut de savoir : non
seulement la disqualification scolaire, le défaut de capital scolaire et culturel mais
plus fondamentalement encore la faible capacité à symboliser le monde, à s’y
repérer et à s'y orienter de manière à pouvoir le transformer à son avantage » 1.
C'est par rapport à ces trois dimensions que l’on peut aborder la pauvreté
de la population donnée.
La pauvreté mesurée par le défaut d'avoir se traduit par l’insuffisance de
revenus et l’absence de réserve et de fortune. Le manque de revenu est un
véritable problème pour de nombreuses familles à Kinshasa comme dans le reste
du pays. « Pour pouvoir se nourrir, la population mise soit sur les légumes et les
feuilles de manioc plantés devant ou derrière la maison ou sur des espaces publics,
ce qui ne relève même pas de la cueillette propre à une économie de subsistance
soit sur la vente de tout ce qu'elle peut trouver : déchets de manioc (fufu) vendus
par les « mamans bipupula » ; déchets de braises, servant à la cuisine faute
d’accès à l'électricité, ce qui ne relève pas d'une économie de la « débrouille », soit
enfin sur la vente sur une tablette exposée devant la maison, de n'importe quoi,
des petits riens allant de quelques fruits (mangues, safous, pommes rouges, etc.) 2.
[30]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Bref, à Kinshasa, la population se débrouille pour survivre. Les hommes, les


femmes et les enfants, tout le monde se débrouille. Tous les coins de rue à
Kinshasa, sont devenus des marchés. Il y a des enfants qui fuient même l'école
pour vendre n'importe quoi : bombons, eau en sachets, arachides, cigarettes,
bics,... et si la pluie tombe et que les gens ne sortent pas, ces infortunés dorment à
jeun car, dans certaines familles pauvres, les enfants ne reçoivent pas à manger à
leur retour à la maison s'ils ne ramènent pas de l'argent dont le monta est de 250 à
500 FC pour les garçons et de 500 à 1.000 FC pour les filles.
Quant au « défaut de pouvoir », celui-ci renvoie à l’absence de maîtrise sur
les conditions matérielles et institutionnelles de sa situation, la précarité (la faible
capacité à faire face aux aléas de l'existence), la fragilité des réseaux de
scolarisation, comme cela a été dit plus haut. Les gens se trouvent dans un état de
dénuement tel qu'ils ont perdu toute maîtrise des conditions d'existence. On dirait
que les gens ne vivent plus que « par miracle ». Un exemple rapporté par Kienge
Kienge concernant les parents qui paraissent complètement désarmés. La maman
de Marianne (fille vivant au marché) qu'un OPJ interpelle au marché au sujet de sa
fille, répond à ce dernier ce qui suit : « Papa, je suis fatiguée. J'attends seulement
le jour où vous m'amènerez son cadavre pour que je l'enterre ». Aussi, l'OPJ se
demande-t-il : « maintenant le parent a renoncé à ses devoirs, moi qu’est-ce que je
ferai ? Que puis-je faire ?1

Pour ce qui est du « défaut de savoir », la pauvreté, c’est l’a dit Anne-Marie
MARCHETTI, le défaut de savoir : non seulement la disqualification scolaire, le
défaut de capital scolaire et culturel mais plus fondamentalement encore la faible
capacité à symboliser le monde, à s'y orienter de manière à pouvoir le transformer
à son avantage ».

Sur le terrain, la population subit impuissamment la dégradation rapide et


progressive du cadre de vie de par l’état de l’habitat et des routes, les difficultés
d’accès à l'eau et à l’électricité, l'ignorance de l'organisation moderne de la société
même parmi les lettrés. Comment des familles confrontées à de telles conditions de
vie ne peuvent-elles pas constituer les sources de la délinquance pour leurs enfants
?
b) Structure de la famille d'origine

A propos de la « structure » de la famille d’origine, Cesare LOMBROSO en


avait perçu son importance à partir du constat qu'il avait fait du grand nombre
d'enfants illégitimes, d'enfants orphelins ou d'enfants issus de parents vicieux parmi
les criminels. « Il est tout naturel - écrivait-il - que la mauvaise éducation, plus
encore que l'abandon ait une influence déplorable sur le crime ». Comment,
soulignait-il, « un malheureux enfant pourrait-il se défendre du mal, quand il lui est
représenté sous les couleurs les plus séduisantes et pis encore, lorsqu’il lui est
imposé d’autorité et par l'exemple de ses parents ou de ceux qui sont chargés de
l'instruire ? ». Mais, il ajoutait qu'il ne fallait pas oublier l’action « héréditaire qui ne
peut se séparer de l’éducation.
[31]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

c) La composition de la famille d'origine

Après le niveau socio-économique et la structure de la famille d’origine, c’est sa


composition qui doit retenir notre attention. De l’avis de nombreux auteurs, les
familles trop nombreuses sont criminogènes. ADLER de son côté2, a attiré
l’attention sur la nécessité d’étudier l'enfant non pas uniquement en lui-même, mais
comme élément d'une famille. Il a montré qu'il existe des enfants qui, par le rang
qu'ils occupent, sont particulièrement exposés. Tels sont :

➢ Enfant unique : exposé à devenir paresseux, anxieux, égoïste ;

➢ L'aîné, qui, enfant unique au départ, est détrôné par la naissance du second,
surtout s'il a été seul pendant trois, quatre ou cinq ans. « Pour un intervalle
moindre - écrit E. De Greeff - il n'arrive pas à considérer le nouveau venu
comme un rival dangereux ; pour un intervalle plus grand il se sent sûr de sa
place et prend une attitude de défense et de protection vis-à-vis du petit »3 ;

➢ Le cadet qui est défavorisé par vis-à-vis de l'aîné, mais favorisé et gâté à
d'autres points de vue ;

➢ Le second enfant exposé à se sentir inférieur vis-à-vis de l'aîné ;

➢ Le garçon seul parmi les filles susceptibles de devenir trop efféminé ou à


exagérer ses caractéristiques propres ;

➢ La fille seule - parmi les garçons pourra devenir « un garçon manqué » ou


exagérément féminine.

Toutefois, écrit Jean PINATEL, les données dont nous disposons ne prouvent pas
que les vices de la constellation familiale jouent toujours un rôle aussi important
que le pensait ADLER.

d) La dimension de la famille d’origine

La dimension de la cellule familiale joue un grand rôle dans la genèse de la


délinquance. Il est aussi intéressant de l'examiner.
Dans un rapport présenté au 1er Congrès International de Psychiatrie Infantile, le

Dr POSTMA a souligné l'importance de la famille dans ses rapports avec ses


ressources économiques. Il a notamment écrit : « Dans la grande famille, nous
pouvons distinguer trois périodes. Dans la première, la famille est petite, il y a
assez d'espace et de nourriture ; les parents sont jeunes et pleins de vitalité. Dans
la deuxième période, la famille est grande, pour chaque membre il n'y a que peu
d'espace et il y a manque de nourriture, la mère risque de se surmener. Dans la
troisième, la famille est de nouveau petite ; il y a de nouveau suffisamment de
nourriture et d'espace, mais les parents sont moins vigoureux. Entre ces trois
périodes, il y a transition graduelle.
[32]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Dans les grandes familles, ce sont surtout les numéros de la partie centrale des
naissances qui ont la vie la plus dure. Par les soins défectueux sous lesquels ils
grandissent, le développement de leurs facultés est entravé et leur conduite est
influencée d'une manière défavorable1(1).

Mais, les recherches ultérieures n’ont pas confirmé les observations du Dr POSTMA.
En effet, dans le domaine de la délinquance juvénile, le Dr Georges HEUYER a
trouvé que les familles nombreuses fournissent le 1/3 des délinquants juvéniles. Il
a aussi constaté que la débilité intellectuelle est plus fréquente parmi ces enfants
que parmi ceux d’autres familles...

e) La valeur de la famille d'origine

Enfin, s'agissant de la valeur de la famille d'origine, les études faites là-dessus ont
permis de constater que celle-ci (la valeur de la famille d'origine) dépend de la
façon dont elle remplit sa fonction affective, éducative et sociale3.

Concernant la valeur affective, le Pr. Dr HEUYER, a signalé, depuis longtemps,


l'importance, dans le domaine de la délinquance juvénile, de perturbations
affectives telles que : la jalousie (1,8%), le manque de tendresse (23%),
l'antipathie (20,2%), la situation inférieure (3,9%), l'excès de tendresse et la
faiblesse (13%) (cité par Jean PINATEL : op. cit., p.318). Dans une étude faite par
lui-même, Jean PINATEL avait isolé un groupe de familles (10%) dans lesquelles il
n'y a pas d'anomalies de structure, mais où les rapports affectifs intra-familiaux
sont perturbés. Il a constaté que ces perturbations proviennent de la race (1%), de
l’adoption (1%), de la légitimation (2%) et de l'ambiance domestique (6%)4. En ce
qui concerne la race, c'est la différence de nature entre les époux qu'il faut le plus
souvent incriminer. Sur le plan de l’adoption, il s'agit fréquemment d'un ménage
qui, ayant perdu son unique enfant et croyant n'avoir aucun espoir d'en avoir un
autre, choisit, en vue d'une adoption ultérieure, un bébé de 6 mois qui ressemble à
celui qui a été perdu. Puis, deux ans après la mère met au monde un autre garçon.
Devant cette situation, les parents ne peuvent adopter le mineur, mais veulent ne
faire aucune différence entre lui et leur fils. Ils se montrent très faibles du point de
vue éducatif et ont toujours peur de révéler à l'enfant sa véritable origine. Il
l'apprend d’ailleurs dès l'âge de 5 à 6 ans par les soins du voisinage. Du point de la
légitimation, il faut signaler que la situation des enfants légitimés est très
particulière, elle est caractérisée par l’absence de foyer normal jusqu’à un certain
âge. Sous la rubrique de l’ambiance domestique, on se trouve devant les situations
diverses peu propices à l'épanouissement normal de l’affectivité. Ici, la mère et la
sœur de l’enfant se querellent, crient sont désordonnées, là le père est incapable
d’assurer le pain de sa nombreuse famille, est très brutal, crie après sa femme et
bat tout le monde. La mère est incapable de tenir correctement une maison. Tous
les deux laissent vagabonder et marauder leurs enfants. Ailleurs, on souligne
l’atmosphère de totale négligence du foyer, le climat tendu dominé par la sévérité
[33]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

excessive du père ou bien c’est la mère qui commande à la maison. Partout, c'est
l'incapacité éducative.

Quant à la valeur éducative, celle-ci est perturbée lorsque l’éducation est


activement mauvaise (8,5% des cas dans la statistique de Heuyer), lorsque
l'amoralité et la délinquance sont données en exemple par les parents (amoralité :
35% - délinquance : 9,93% dans la même statistique). Mais, dans sa propre étude
déjà mentionnée, Jean PINATEL avait individualisé des familles moralement
perturbées (17%). Dans ce groupe, écrit-il, les rapports affectifs des parents et des
enfants sont satisfaisants, mais la formation morale des enfants est compromise
par le mauvais exemple des parents. Les attitudes morales défectueuses des
parents sont les conséquences de la race (4%), de la prostitution (3%), de
l'ivrognerie (5%), du comportement antisocial (3%) et de l'immigration (2%).
Concernant les conséquences de la race, Jean PINATEL note qu'il s'agit ici d'enfants
de bohémiens : promiscuité, rapines et braconnages/ laisser-aller, paresse,
négligence ; tels sont les traits saillants de l’ambiance morale dans laquelle ils se
développent, S'agissant de la prostitution, il s’agit ici de la prostitution de la mère
qui, dans les cas rencontrés, a pour corollaire l'infirmité ou la maladie du père.
Quant à l'ivrognerie, il y a dans les cas rencontrés, l’ivrognerie conjointe du père et
de la mère dans deux cas (un cas concernant deux enfants), ivrognerie du père
dans un cas, ivrognerie de la mère dans un autre cas avec également l'inconduite
de la mère. Dans le cas du comportement antisocial, il a été noté dans ce groupe la
contrebande, la participation des parents au vol, l'environnement primitif et l'âpreté
au gain. Quant aux conséquences résultant de l'immigration, il s'agit de situations
nées de l’immigration, engendrant la « débrouillardise » ou le trafic pour des motifs
de subsistance économique. Comme on peut le constater, « les conséquences de
l'indigence culturelle des parents sont, du point de vue de l’éducation morale des
enfants, tout à fait désastreuses.1

Nous en arrivons enfin à la valeur sociale dans le cas de notre analyse de la


valeur de la famille d’origine après celles de son niveau socio-économique, de sa
structure, de sa composition et de sa dimension.

A propos de la valeur sociale, Jean PINATEL a individualisé un groupe de


familles dans lesquelles une formation de groupe correcte n’a pu être assurée, alors
que les attitudes affectives et morales y sont par ailleurs satisfaisantes. Cette
carence de la famille dans l’éducation du point de vue des relations
interindividuelles se manifeste du fait du déséquilibre psychique des parents (3%).
Le social est ici commandé par le pathologique. Deux autres hypothèses doivent
être considérées dans la même perspective sociale : il s’agit de l'influence du
placement des enfants et du travail de la mère sur la formation du groupe. Le
placement des enfants constitue un facteur négatif du point de vue de la formation
de groupe, Dans sa statistique, Jean PINATEL note que le placement joue dans 5%
des cas à titre principal et 15% à titre secondaire. S’agissant du travail de la mère,
Jean PINATEL écrit qu'il est générateur d'absence de surveillance des enfants qui
sont livrés à eux-mêmes (62,5% d’après les statistiques de Heuyer). Le milieu
inéluctable est pour eux, moins la famille, que le voisinage2.
[34]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Pour illustrer ce qui vient d’être dit dans cette section consacrée au rôle de
la famille d’origine dans l'étiologie de la délinquance, nous donnons ci-après les
constatations faites par M.J.P. COGNIART à l’issue de l'examen de 93 dossiers de
jeunes prostituées, ayant passé par l'Institut Médico-légal de Lille en France3. A
l'issue de l'examen de 93 dossiers de jeunes prostituées dont question ci-dessus,
COGNIART a classé les familles des intéressées en quatre catégories ci-après :

➢ Famille disloquée :
• Famille disloquée par décès du père ou de la mère ………… 29, soit 31,18%
• Enfants naturels …………………………………………………………… 12, soit 12,90%
• Famille disloquée par séparation de fait des parents ……….. 10, soit 12,90%
• Famille disloquée par divorce ou séparation de corps ………. 7, soit 10,75%
• Foyer détruit par la mort des deux parents ……………………… 2, soit 7,52%

A noter que dans les quatre premières catégories, 25 mineures avaient chez
elles le spectacle du concubinage de leur père ou de leur mère.

➢ Famille immorale :

• Parents condamnés pour attentats aux mœurs (à noter qu'une des mineures a
été violée par son père) ....................................................... 2, soit 2,15%
• Parents de moralité douteuse ……………………………………………. 2, soit 2,15%
• Parents incitant leur fille à la prostitution ............................... 2, soit 2,15%
• Parents alcooliques invétérés …………………………………………….. 1, soit 1,07%

➢ Famille ayant donné une éducation incomplète ou nulle :

• Absence d'autorité ou de surveillance ………………………………. 11, soit 11,82%


• Désintéressement allant jusqu'à l’abandon moral ou matériel…. 3, soit 3,22%
• Parents atteints de folie (internés ou libres)……………………….... 2, soit 2,15%
• Surcharge d'enfants (10) ……………………………………………………… 1, soit
1,07%

➢ Restant

• Milieu de famille bon ………………………………………………………… 8, soit 8,06% 1

Quelle leçon peut-on tirer de ces statistiques ? En réponse à cette question, Jean
CONSTANT, résumant ces données statistiques, écrit que « beaucoup de parents
séparés de fait ou divorcés se désintéressent de leurs enfants qui sont, soit
moralement soit même matériellement, abandonnés, et deviennent des recrues
toutes désignées pour l'armée du crime ; les garçons s'adonnent au vol et les filles
vont à la prostitution.

D'autre part, dans certains foyers, les mauvais exemples des parents conduisent les
enfants au vice et à la débauche. Enfin, il arrive aussi que des enfants indignes
refusent d'assister leurs vieux parents que la misère pousse au vol. La
[35]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

désagrégation de la famille et la méconnaissance des devoirs qui découlent


naturellement des relations familiales, ainsi que le relâchement de ces relations
constituent donc des facteurs importants de criminalité2.

Actuellement, en République Démocratique du Congo, on enregistre tant de la part


des enfants que de celle des parents des nombreuses plaintes faisant état des
malaises dans les familles. En effet, un jeune homme, parlant de sa famille, a
déclaré, nous dit QUIRINI, « j'ai dû fausser mon bulletin scolaire parce que mon
papa se fâche toujours trop quand j'ai de mauvais points... », « cela ne va plus du
tout à la maison depuis que papa a pris une deuxième femme, il n'aide plus la
famille... », « à la maison, il y a trop de disputes à cause de la boisson » 1.

De leur côté, les parents totalement découragés et complètement désarmés


devant des enfants qui, en famille, sont devenus véritablement impossibles, se
plaignent en disant, écrit QUIRINI, « ils ne nous obéissent plus, ils ne respectent
plus personne, Ils ne supportent plus aucune remarque. On les voit d'ailleurs
rarement à la maison. Ils sont toujours chez les amis. Ils ne rentrent qu'à une
heure avancée de la nuit »2.

Il ressort de ces ci-dessus relevés par QUIRINI que la confiance est


totalement morte dans de nombreuses familles kinoises entre parents et enfants.
Un fossé se creuse de plus en plus entre les jeunes gens et les parents. Ses
relations se réduisent au strict de la vie courante. Ses parents, découragés, se
résignent à laisser leurs enfants partir à la dérive. Quant aux enfants, ils vont
chercher ailleurs la sécurité à laquelle ils aspirent.

C'est ce que le Professeur MASIALA ma SOLO exprime en disant que « la


plupart des enfants de la rue appelés communément chez nous à Kinshasa, «
phaseurs » ou « chégués », sont élevés dans des conditions de carence paternelle.
Parfois pour dissimuler leur pauvreté maternelle, plusieurs quittent tôt le domicile
et le regagnent lorsque tout le monde dort. Ainsi, sommes-nous confrontés à
l'absence de dialogue, à la démission et au cours de la journée de travail
prédisposant les parents à toutes sortes de tensions psychologiques. Celles-ci
peuvent générer des comportements et des attitudes d’agressivités et de fatigues
mentales. Elles détruisent la paix et la quiétude de la famille »3.

Et à propos du phénomène d'enfants de la rue, nous pouvons retenir cette


pensée de Edmondo de AMICIS qui a dit : « l'éducation d’un peuple se juge d'après
son maintien dans la rue, où tu verras la grossièreté dans la rue, tu es sûr de
trouver la grossièreté dans les maisons ».

Après avoir examiné le rôle de la famille dans la genèse de la délinquance


juvénile, il nous faut à présent passer à l'examen de celui de l'habitat et du
voisinage.
[36]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

B. L’habitat et le voisinage

1° L'habitat
a) Considérations générales

En ce qui concerne l'habitat familial, il faut considérer, son occupation, sa


tenue, sa valeur et sa nature.

L'occupation de l'habitat pose le problème de l'entassement et de ses


conséquences éventuelles d’ordre affectif et éducatif.

Sur la question de l’occupation de l'habitat, un tour d'horizon dans la ville de


Kinshasa permet de constater que l'habitat est marqué par une anarchie
architecturale, particulièrement dans ce qu’on appelait « cités indigènes » et que
les kinois eux-mêmes appelaient « mboka n'sika » traduit par « nouvelles cités ».

En effet, les maisons de fonds d'avance construites par la Colonie pour des
fonctionnaires et autres détenteurs du permis de séjour urbain ayant des familles
de moins de cinq enfants, ont subi, depuis l’accession du pays à l'indépendance,
des modifications multiformes. C'est le cas notamment à Kinshasa dans les
communes de Bandalungwa (Quartiers Mulaert, Makelele, Bisengo, Tshibangu), de
Kintambo (Quartier Babylone), de Lemba, de Matete et de Kasa-vubu (Quartier
Matonge) où des aménagements des maisons ont été faits en plus des
constructions annexes qui ont été érigées dans les parcelles de l’époque coloniale
pour y loger soit des locataires, ce qui permet d'avoir des revenus locatifs soit les
membres de la famille venus des villages à la recherche d'une vie meilleure en ville
soit les grands enfants mariés qui n'ont pas des moyens pour louer une maison
ailleurs soit enfin pour y installer une terrasse, ou une buvette afin d'y vendre la
bière, etc. Il en résulte un entassement épouvantable des personnes dans ces
parcelles et une promiscuité particulièrement nocive. C’est ça le spectacle qu'offre
l'habitat dans presque toutes les communes dans la ville de Kinshasa aujourd'hui
aux enfants des familles habitant ces maisons.

Mais, d'une manière générale et presque partout à travers le monde,


l'opinion publique désigne sans hésiter les « taudis » et « les grands ensembles »
comme les éléments d'habitat les plus dangereux.

Nous allons donc examiner l'impact de chacun de ces deux éléments d'habitat.

b) Les grands ensembles

Par « grands ensembles », il faut entendre « immeubles collectifs ». Ces


grands ensembles constituent souvent une solution au problème de logement dans
les grandes agglomérations. Nous en avons des exemples en France par exemple
avec des H.L.M. (Habitations à Loyer Modéré) dans de nombreuses villes. A
Kinshasa, il y a ce type d'immeubles collectifs dans la commune de la Gombe
(Building Royal, les Immeubles de la Sabena, les Immeubles en face du Building
Royal).
[37]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

S'agissant de l'incidence de ces grands ensembles sur la délinquance


juvénile, leur action serait particulièrement déterminante sur le plan de l'enfance
inadaptée ou délinquante mais, cela ne se vérifie qu’avec l’élévation de l'âge moyen
des enfants au-delà de huit ans.

L'idée qui est partagée par la plupart des spécialistes qui se sont penchés
sur cette question des grands ensembles est que le grand ensemble collectif en soi
n'est pas criminogène mais qu'il faut incriminer plutôt les possibilités qu'il offre de
formation d'un milieu fermé et asocial, séparé aussi bien des familles que de la vie
collective générale. C'est ce qui fait des grands ensembles des « milieux de vide
social et d'isolement social en même temps que d'entassement qui impliquent une
inadaptation sociale et notamment une criminalité accrue tant chez les adultes –
notamment chez les économiquement faibles – transplantés... de taudis ou de
bidonvilles dans ces immeubles collectifs – que chez les jeunes, souvent livrés à
eux-mêmes du matin au soir en l’absence de leurs parents occupés au travail, dans
des immeubles où la pyramide des âges est déséquilibrée, marquée par une trop
forte concentration d'enfants et d'adolescents qui ne trouvent à leur disposition
d'autres modes de réalisation de soi que la formation de « bandes de jeunes »1.

Quoiqu'il en soit, il nous faut reconnaître qu'il n’est pas possible de renoncer
à ces grands ensembles car, ils peuvent constituer une solution au problème de
logement et remplacer, particulièrement dans la ville de Kinshasa, des taudis dans
les quartiers des communes périphériques et des vieilles maisons croulantes dans
de nombreux quartiers des vieilles communes comme Kinshasa, Barumbu,
Lingwala, Kintambo, etc...

Mais, pour parer au problème que posent ces immeubles collectifs, il faut,
comme l'a dit un auteur « les exorciser » soit en évitant leur ségrégation soit en y
dirigeant l'activité des jeunes vers les voies honnêtes, en accordant une priorité à
leur équipement culturel et sportif.

Après les grands ensembles, il nous faut passer au second élément


dangereux d'habitat, à savoir « les taudis ».

c) Les taudis

i) Considérations générales

Qu'appelle-t-on taudis ? Les taudis sont des logements misérables et


insalubres. Sur la corrélation des taudis avec la délinquance, il convient de noter
que ce n'est pas ce mode d'habitat en lui-même qui contribue à former la
personnalité du jeune délinquant mais plutôt le style de vie des enfants qui y
vivent.

Il suffit de penser à la promiscuité nocive caractéristique de ce mode


d'habitat et dans laquelle vivent parents et enfants dans les taudis. Par promiscuité,
il faut entendre le voisinage fâcheux qui empêche l'intimité.
[38]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

C’est ainsi que le Dr Ed. LOCARD a pu écrire dans son livre « La défense
contre le crime » (Paris, Payot, 1951) que : « Les criminels de profession ne
fondent pas de famille. Et, cependant, c'est dès l'enfance que se recrutent les
malfaiteurs. Il n'y a à cela qu'une cause : c'est le vagabondage des enfants » 3.

Le phénomène des bandes d'enfants est traditionnel et, en soi, normal, en


tous pays et à toute époque. On connaît l'existence des teddy-boys anglais, des
holligans polonais, des vitelloni italiens, des « harstaden » en Allemagne, des «
Gangs » aux Etats-Unis d’Amérique, des « Stiliagne » en Russie4.

Le milieu naturel des enfants qui constituent des bandes est la rue. Ils
partagent, écrit J, CHAZAL, leur temps entre le cinéma, les fêtes foraines, les
piscines du quartier, les parties de ballon dans les terrains vagues. Leur conduite
est presque toujours antisociale. On chaparde. On rapine. On trafique. On
cambriole. A treize ans, on quête déjà la compagnie des filles. A seize ans, on a
l’obsession de la fille. Ce n'est pas seulement l'expression d'un besoin, c'est encore
plus, nous semble-t-il, la recherche d'un passe-temps et le souci d'une personnalité
d'homme, dans le style du quartier5.

Quel est le portrait-type du délinquant mineur en bandes ? Autrement dit,


quelles sont ses caractéristiques individuelles et sociales ?

Le portrait-type du délinquant mineur en bandes se schématise comme suit


: « extraverti, anxieux, narcissique, revendiquant et opposant ». Telles sont les
grandes caractéristiques comportementales qui illustrent l’attitude de ces jeunes en
bandes. La carence des liens maternels est importante. L'inéducation familiale et le
manque de surveillance apparaissent comme des facteurs essentiels à la genèse
des conduites répréhensibles commises en groupe.

Quelles sont les raisons qui poussent les enfants à s'associer en bandes ?

Pour expliquer le phénomène des bandes d'enfants, l'on évoque


généralement les causes classiques telles que les taudis, les grands ensembles, le
cinéma, la désintégration du foyer familial, le travail de la mère à l'extérieur, etc.

Tout cela peut, sans doute jouer mais à travers des mécanismes maté et
psychiques assez complexes et que J. CHAZAL schématise comme suit :

a) Ce sont, tout d’abord, des raisons affectives, car le potentiel affectif de la


bande est toujours élevé ; on est entre bons copains qui s'aiment bien et
acceptent de s’aider.

1 KINBERG, O., op. cit., pp. 182 à 193 cité par Jean PINATEL, op. cit., p.323.
2 PINATEL,J., op. cit., p.323.
3 Ed. LOCARD, La défense contre le crime, Paris, Payot, 1951, p.9.
4 MWANAMPUTU Empung, op. cit., p.160.
5 CHAZAL, J., Etude de criminologie juvénile, p.98, cité par Jean PINATEL : op. cit., p.323.
[39]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

b) Ce sont, ensuite, des raisons qui se rattachent à la volonté de


puissance que chaque enfant porte en lui. Chacun affirme sa puissance à
travers la bande et parle. « Ceux qui obéissent... prennent conscience d'être
les parties d'un tout. Ceux qui commandent - chefs et caïds - expriment leur
ascendant ». Aussi bien, la bande va-t-elle, d’une part, s'opposer à la
collectivité organisée et, d’autre part, s'efforcer de s’élever à la hauteur de
l'adulte.

c) Ce sont, également, des raisons instinctives. Grâce à la bande, le jeune


garçon pourra satisfaire les besoins de son âge : le besoin de jeu et
d’aventure s'y épanouit. Aussi bien, la bande sera-t-elle « fermée », soumise
à des règles et à des impératifs.

d) Ce sont, enfin, des raisons morales : la bande dissout le sentiment de


culpabilité dans une approbation collective.

Ainsi, les bandes d'enfants naissent-elles spontanément et le comportement


antisocial en résulte. « On ne se rassemble pas pour voler - dit très bien Jean
CHAZAL - on se rassemble et ensuite on vole1.

L’existence du phénomène des bandes d'enfants a suscité plusieurs


systèmes d'explications que l'on peut ramener à deux, à savoir, le système de
substitut social et le système de la dyssocialité achevée.

A propos du système de substitut social, les sociologues mettent en


évidence le fait que chaque individu a dans la société un statut et un rôle' Selon
Jean STOETZEL, le statut est « l'ensemble des comportements à quoi le sujet peut
s'attendre légitimement de la part des autres ». Son rôle est « l'ensemble des
comportements à quoi les autres s'attendent légitimement de sa part »1.

Or, on peut imaginer que des phénomènes d'inadaptation entre le statut de


principe et le comportement personnel soient susceptibles de se produire et que
ces phénomènes risquent d’être particulièrement fréquents au moment de
l'adolescence. L'adolescent « éclate » en quelque sorte dans le statut de l’enfance,
alors que le statut d'adulte ne lui est pas encore reconnu. Il se produit un décalage,
d'ailleurs nécessaire dans la mesure où il est générateur de progrès psychique et
intellectuel. Mais si cet adolescent a été l’objet d'une éducation normale,
socialisante, le décalage sera contenu dans des limites raisonnables : l'adolescent
passera régulièrement, et pour partie dans le cadre de groupes, des activités de jeu
à celles de l'adulte et acquerra la notion de responsabilité. Ses chances de
délinquance seront faibles,

1 CHAZAL, J., op. cit., p.105, cité par PINATEL (J) : op' cit., p.324.
[40]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Par contre, l'enfant qui n’a pas été éduqué normalement, pour des causes
externes ou internes qui peuvent être très variées, souffre en général d'un
déséquilibre psychique considérable. Subissant des échecs en différents domaines,
il n'a pas du tout le statut auquel il aspire, il ne se sent pas à sa place. Cette place,
il va la chercher dans la bande qui, au départ, n’a aucun but précis, qui souvent
est un rassemblement fortuit des camarades d'école, d'une rue, d'une cour
d'immeuble. Il est, en réalité, à la recherche d'une socialisation qu’il n’avait pas
encore trouvée, d'un sur-moi qui lui fait défaut.
Mais cette bande risque de se diriger rapidement vers une activité
criminelle parce que ses membres, du fait même de leur inadaptation, sont
agressifs et dissolvent ce qui leur reste de sens moral dans un sentiment
d'approbation collective, celle du groupe solidaire, qui remplace l'approbation
du milieu social.
Il faut retenir de cela, entre autres choses, que les adolescents, sauf cas
particulier, ne se réunissent pas pour avoir une activité criminelle, mais que
leur activité criminelle est la conséquence, trop fréquente, de la constitution de la
bande.

§2. L'influence criminogène des éléments du milieu occasionnel

Le milieu occasionnel est, s'il est besoin de le rappeler, le milieu des


premiers contacts sociaux. Il englobe le milieu scolaire (l'école), le milieu
professionnel et le milieu du service militaire dans les pays où il est obligatoire. On
y inclut également

A. Le milieu scolaire

L'école pourrait transmettre certaines valeurs sociales et prévenir la


criminalité. Car l'école est l'institution sociale qui exerce un des impacts les plus
forts et les plus durables sur l'enfant et l’adolescent.

En effet, le milieu scolaire représente, pour l’enfant, le premier essai


d'adaptation à un groupe social. L’échec risque donc d’avoir des conséquences très
graves. Or, en fait, l'inadaptation scolaire paraît être un fait fréquent chez les
délinquants. Plusieurs d'entre eux ont pratiqué l’école buissonnière, ou au moins se
sont signalés par leur esprit de désobéissance, de désordre, d’effronterie, etc.

Cette inadaptation scolaire peut être due au fait que l'enfant mal préparé ou non
préparé dans le milieu familial à accepter les contraintes extérieures, se heurte
brutalement, pour la première fois de sa vie, à la règle sociale. S'il est frappé de
sanctions pour sa non-soumission à la règle et son mauvais travail, il s'estimera
puni injustement, parce que toutes sanctions, même et surtout familiales, lui
apparaissent déjà comme injustes. La série d’échecs qui résultent de cette attitude
va agir comme un puissant démultiplicateur sur les germes d'inadaptation sociale
qui existent déjà dans l’enfant.
[41]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Par ailleurs, il faut bien le dire, l’école comme institution sociale, n’a pas
évolué au même rythme que les besoins qu'elle était censée satisfaire. Il en est
résulté la crise du système de l’éducation qui a éclaté presque dans tous les pays.
Conçue pour une petite élite, originaire de milieux socio-culturels et économiques
homogènes, l’école secondaire apparaît complètement inadaptée par rapport aux
exigences d'une société technologique avancée. Cette inadaptation se manifeste
pour toutes les catégories d'enfants, mais elle est particulièrement fatale en ce qui
concerne ceux qui viennent des milieux défavorisés.

En effet, on a montré que les enfants dont l’origine familiale, sociale et


ethnique était différente de celle de la majorité et qui en plus provenaient de
milieux socio-économiques lourdement handicapés, ne trouvaient dans l’école qu'un
milieu de frustration et d’échecs permanents. La réaction de ces jeunes fut l'école
buissonnière, la violence et la conviction profonde qu'ils n’ont rien a attendre d'une
société qui leur offre des moyens aussi inadéquats pour accéder à la maîtrise des
connaissances et par là du monde.

La ségrégation scolaire caractéristique dans le système d’éducation


décentralisé comme celui de la République Démocratique du Congo où l’on trouve
côte à côte.

Les écoles publiques, les écoles privées, les conventionnées catholiques,


protestantes, kimbanguistes et les écoles consulaires... consacre ce sentiment
d'exclusion et de rejet qu’éprouvent des milliers d’adolescents originaires des
ghettos ethniques des grandes villes.

Ainsi, au lieu d’être les principales institutions de civilisation, les récoles jouent un
rôle criminogène majeur, comparable à celui des taudis ou du système
économique.

B. Les pairs

L'enfant ou l’adolescent qui se sont dévalorisé par des échecs répétés


tentera de trouver une compensation en s'affiliant à un groupe délinquant.

Le relâchement du contrôle familial, la proximité des camarades dans les


grandes villes surpeuplées, les similitudes des problèmes ou les échecs éprouvés ou
encourus créent rapidement des solidarités qui se manifestent dans les bandes ou
dans les gangs d’adolescents. Rien de plus naturel que ces groupes et leur rôle
socialisateur soient des plus puissants. On note parmi les besoins qui provoquent la
création de tels groupes : le besoin de prouver sa valeur, son appartenance à un
milieu qui le reconnaît, avec les gens qui partagent les mêmes idéaux, expériences
et intérêts.

Ce milieu lui assure un appui moral et matériel vis-à-vis du monde adulte et


extérieur en général qui est perçu comme hostile. Cette bande lui assurera un
statut dans le voisinage, donnant l'impression de pouvoir, d'autorité, de prestige,
en même temps qu'une protection contre les menaces réelles ou imaginaires.
[42]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Elle (la bande) est l'incarnation de la conscience collective, source de moralité par
excellence. En effet, les sentiments de justice, d’équité dérivent de là : la bande est
le groupe de référence sur lequel les conduites seront modelées. Elle est aussi le
médium par lequel les tendances profondes se subliment et qui constitue le cadre
d'une activité symbolique, rituelle, correspondant à des besoins profondément
ancrés dans l'adolescent. (Cavan : op. cit., p.204, cité par D. SZABO, op. cit.,
p.283).

Il n'est donc pas surprenant qu'il tente de se joindre à un groupe de pairs,


au sein duquel sa valeur sera reconnue, ce qui le sécurisera et lui permettra ainsi le
passage à l'acte.

Après l'examen de l'affiliation de l'enfant ou de l'adolescent à un groupe de


pairs, nous abordons l'impact du milieu professionnel.

C. Le milieu professionnel

L’étude du milieu de travail occupe une place importante dans le


programme de prophylaxie sociale. Les conditions de la vie professionnelle peuvent
créer indirectement des circonstances favorables et incitatives à la criminalité.

En premier lieu, des éléments du milieu de travail sont susceptibles de


développer la dangerosité de certains anxieux (déficience des conditions du travail
susceptibles d'entraîner des affaires de mœurs ou de développer des sentiments
d’agressivité ; ambiance propre au milieu de travail où certains ateliers constituent
des lieux de débauche).

Deuxièmement, les caractères de la technique moderne sont susceptibles de


modifier ou d’inhiber le psychisme de l’ouvrier (travail à la chaîne, bruit - cadence
du travail).

Troisièmement, le milieu du travail révèle une allergie à l’égard de certains faits


(avortement, vol à la tire) réprimés par la société et considérés comme non
délictueux par l’ouvrier).

Quatrièmement, le milieu ouvrier a ses valeurs propres non sanctionnées par la


société (justice sociale - concubinage, sentiment d’être considéré comme un
mineur). Exemples :

• Les auteurs des avortements se recrutent notamment parmi les médecins,


les accoucheuses et les infirmières ;

• Les bijoutiers, les fripiers et les antiquaires fournissent un grand contingent à


la cohorte des receleurs ;

• Les tenanciers des cabarets et des bars interlopes sont enclins, par les
contacts qu'ils ont avec une clientèle tarée, à commettre certains délits
[43]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

déterminés : trafic de stupéfiants, débauche de mineurs, vente d’alcool et


même les empoisonnements ;

• Dans les services publics et les professions libérales, il y a prédominance des


infractions contre les mœurs et de l’escroquerie. Qu’on pense au harcèlement
sexuel dont les agents féminins sont l'objet de leurs chefs et de leurs
collègues de service et à tous les cas d'adultère qui en résultent au cas où les
pauvres agents féminins finissent par céder au harcèlement sexuel dont elles
sont l’objet pour ne pas perdre leur travail. Il va de soi que certaines d'entre
elles qui ont résisté aux assauts sexuels de leurs patrons indélicats se
retrouvent aujourd'hui au chômage avec toutes les conséquences que l’on
peut deviner si elles ont des enfants en charge et si elles sont déjà avancées
en âge.

Heureusement que le harcèlement sexuel vient d’être érigé en infraction en


même temps que plus d'une dizaine d’autres infractions de violences les par la loi
06/018 du 20 juillet 2006 modifiant et complétant le décret du 30 janvier 1940
portant code pénal congolais (in Journal officiel de le République Démocratique du
Congo, 47ème année, numéro spécial, du 05 octobre 2006, art. 174-d).

§3. L'influence criminogène des éléments du milieu choisi ou accepté

Le milieu choisi ou accepté comprend le foyer personnel, c’est-à-dire la


famille propre, le milieu de travail et les loisirs.

A. Le foyer personnel ou la famille propre


Deux aspects du foyer personnel ou de la famille propre nous intéressent. Il
s’agit d'une part, de son absence et, d'autre part, de son déséquilibre.

1° De l'absence de foyer personnel


La question que l’on se pose c'est de savoir s'il y a une corrélation entre
l'absence de foyer personnel et la criminalité.
En réponse à cette question, Raymond GASSIN écrit que l’absence de foyer
personnel semble influer sur la délinquance, du moins la délinquance grave ou
d'habitude.

Il a affirmé cela à la suite des recherches faites sur les condamnés en


France et qui ont montré que la proportion des célibataires parmi les condamnés
était supérieure à ce qu'elle est dans la population générale d’âge comparable. De
là, il a alors conclu que l'existence d'une famille constitue le plus souvent un milieu
qui détourne de la criminalité et que la présence d'enfants au foyer renforce encore
l’effet stabilisateur du mariage.

Toutefois, fait-il remarquer ce facteur n'est pas dépourvu d'équivoque, car il reste à
savoir si l'on devient criminel parce que l’on n'est pas marié ou si l'absence de
mariage et la délinquance ne sont pas plutôt les effets d'une même cause plus
profonde, à savoir l'inadaptation sociale3.
[44]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Sur la même question du célibat et de la criminalité, Jean LARGUIER pour


sa part a écrit que le mariage stabilise affectivement et que les célibataires sont
souvent plus délinquants que les hommes mariés.

Mais, a-t-il ajouté, les statistiques sont souvent trompeuses, car beaucoup
de jeunes gens, comptés comme célibataires, le sont naturellement en raison de
leur âge. Mieux vaut distinguer selon l’âge et selon le sexe.

Selon l'âge, dit-il, jusqu'à 25 ans les délinquants mariés sont plus nombreux,
peut-être en raison d'un comportement antisocial dont le mariage précoce est un
signe et que de 25 à 60 ans, les célibataires sont plus souvent délinquants2.

Selon le sexe, a-t-il enchaîné, les femmes mariées sont plus souvent
délinquantes ; mais, précise-t-il, on ne compte pas comme délinquantes les
prostituées (prostitution en elle-même licite), au moins dans certains pays
(notamment en France) ; sinon, les célibataires délinquantes seraient plus
nombreuses ; aussi la délinquance de la femme mariée s’explique parfois par des
motifs économiques (soucis dus aux enfants par exemple).

2° Du déséquilibre du foyer personnel

Le fait pour une personne d'avoir un foyer personnel ou une famille propre
ne suffit pas. Il faut encore que ce foyer personnel soit équilibré. En effet, les
conflits conjugaux, comme l'a si bien écrit Jean LEAUTE, sont générateurs de
délinquance non seulement pour les enfants, mais également pour le couple lui-
même : délinquance directe (coups et blessures, adultère lorsqu’il est pénalement
sanctionné), mais plus grave encore, délinquance indirecte en raison des
perturbations psychiques engendrées par ces conflits et des formes diverses de
délinquance sur lesquelles elles peuvent déboucher (vols, agressions sexuelles,)4.
Après le foyer personnel, nous passons au milieu de travail.

B. Le milieu du travail

Le milieu de travail a une importance primordiale dans la formation de la


personnalité criminelle. Son importance, écrit Jean PINATEL, se trouve attestée par
le fait signalé par madame G. GALY que 13,91% des voleurs déclarent avoir appris
le comportement antisocial au travail5.

Lorsqu’on parle du milieu de travail, il faut faire une distinction entre le milieu de
travail proprement dit et le milieu des affaires.

1° Le milieu de travail Proprement dit

L'influence du milieu de travail a été mise en lumière par M.J. LEROUX


dans une étude portant sur le problème « Milieu de travail - état dangereux » et
qu'il avait présentée dans une remarquable conférence faite au IIème Cours
International de Criminologie (Paris 1953). Son étude était limitée au groupe
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COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

d'hommes qui se trouvent « sous l'empire physique et morale » du machinisme


(Friedmann). Après avoir constaté que prise en elle-même, l'usine n’est un bagne,
ni une école du vice, il a mis en lumière :
• Que des éléments du milieu de travail sont susceptibles de développer la
dangerosité de certains anxieux (déficience des conditions de travail
susceptibles d'entraîner des affaires de mœurs ou susceptible de développer
des sentiments d'agressivité, ambiance propre au milieu de travail où
certains ateliers constituent des lieux de débauche) ;

• Que les caractères de la technique moderne sont susceptibles de modifier ou


d'inhiber le psychisme de l'ouvrier (travail à la chaîne-bruit-cadence de
travail) ;

• Que le milieu ouvrier révèle une allergie à l'égard de certains faits


(avortement - vol à la tire), réprimés par la société et considérés comme non
délictueux par l'ouvrier) ;

• Que le milieu ouvrier a ses valeurs propres non sanctionnées par la société
(justice sociale - concubinage - sentiment d'être considéré comme un
mineur)1.

Pour sa part, Jean LARGUIER a mis l'accent à propos de l'influence du


milieu de travail d'une part, sur les conditions de travail des temps modernes
(travail à la chaîne, cadences de travail, travail de nuit, bruit) et, d’autre part, sur la
psychologie du milieu qui, parfois, considère certains délits comme non
répréhensibles (exemples : avortement, chapardages ; cf. dans les milieux
d’affaires : la délinquance « en col blanc » (« white collar crime ») .

Raymond GASSIN, de son côté, écrit que le milieu du travail lui-même peut
être criminogène, emprunté cela de C.D. BRYANT et fait remarquer à propos du
milieu de l'usine que certains éléments du milieu de travail sont susceptibles de
modifier ou d'inhiber le psychisme de l'ouvrier et d'influencer ainsi la formation de
la personnalité du délinquant.

Après avoir analysé l'influence criminogène du milieu de travail proprement


dit, il nous faut passer à l'examen de celle du milieu d'affaires.

2° Le milieu des affaires

C'est à E.H. SUTHERLAND aux Etats-Unis d’Amérique que revient le mérite


d’avoir mis en lumière l'influence criminogène du milieu des affaires à travers la
notion de « white collar crime » qui se traduit par le « crime en col blanc » et qui
est la « criminalité des affaires ».

Il en résulte, écrit Jean PINATEL, qu'il existe une allergie du milieu des
affaires à l’égard de certains faits réprimés par la société et considérés comme non
délictueux par l'homme d’affaires.
[46]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Il est certain, enchaîne-t-il, que l'appât du gain, la vie facile et désordonnée


constituent des facteurs criminogènes3. Bien avant, Cesare LOMBROSO écrivait que
« la richesse acquise rapidement et qui n'est pas contrebalancée par une haute
idéalité religieuse, politique, etc., est nuisible au lieu d’être avantageuse 4.
Après l’analyse de l'influence criminogène du milieu de travail, il nous faut à
présent aborder celle des loisirs.

C. Les loisirs

D’après le prof. HEUYER, l'existence d’activités sociales (artistiques,


politiques, religieuses, sportives) constitue un facteur de bonne adaptation sociale.
« Le secteur des loisirs acquiert une importance de plus en plus grande et ce pour
des raisons suivantes :

• les gens ont de plus en plus de temps libres ;


• les activités de loisirs sont de plus en plus organisées (rencontres sportives,
grands concerts de musique, etc.) ;
• les moyens de communication de masse offrent des distractions qui peuvent
influencer le comportement des individus (théories de la stimulation, de
catharsis, de la désensibilisation, de l'inhibition, etc.). (AGLAIA TSITSOURA,
op. cit., p.24).

Mais les loisirs peuvent aussi être un facteur qui influence la formation de la
personnalité du délinquant. Des recherches faites sur les problèmes du loisir ont
permis de constater que parmi les valeurs adultes récidivistes, plus de la moitié
passaient leurs loisirs dans des lieux de plaisirs (café, bars, bals, maisons de jeu,
etc.) R. GASSIN, op. cit., p.452). Les criminels aiment la vie facile et c'est dans le
cadre de cette vie facile que la rencontre avec des amis eux-mêmes criminels ou
simplement immoraux va parachever l'interprétation du monde criminel et du non
criminel. Pour ne prendre que le cas du football, D. DUVAUCHELLE fait remarquer
que depuis quelques années, les matches de football sont souvent l’occasion
d'actes de déprédations et de violences. De même, les grands concerts de musique
à Kinshasa sont, on le sait, l'occasion pour certains fans de se livrer à des attentats
aux mœurs et à des actes de violence (bagarres), de s'enivrer et de consommer du
chanvre.

Certains concerts sont souvent émaillés des désordres et des bagarres entre
les fanatiques de grandes stars de la musique. Que dire des rencontres Daring
Motema Pembe et Vita Club à Kinshasa et des tensions psychologiques qui les
précèdent et des bagarres et jets de pierres qui les accompagnent lorsqu'elles se
terminent en queue de poisson ?
[47]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

§4. L'influence du milieu subi dans la formation de la personnalité du


délinquant

La question qui se pose c'est de savoir quelle est l’influence du milieu subi
par le délinquant avant, pendant et après le jugement dans la formation de la
personnalité du délinquant.

Autrement dit, dans quelle mesure la vie dans ce milieu contribue-t-elle à


renforcer la personnalité du délinquant et à conditionner sa récidive, ou au
contraire est-elle de nature à le dissuader de celle-ci comme c'est la fonction
assignée à la justice pénale1.

A. L'influence des institutions de procédure pénale sur la formation de


la personnalité criminelle

Les institutions de procédure pénale sont-elles criminogènes ? Telle est la


question qui se pose.

Jean PINATEL, dans un article sur « l'influence des institutions de procédure


pénale sur la formation de la personnalité criminelle » 2, a montré ce que celle-ci
peut devoir à l'arrestation, à l'interrogatoire, à la détention provisoire, à l'instruction
et au jugement3.

Il est certain, écrit Raymond GASSIN, que la manière dont toutes ces
opérations procédurales sont menées peut avoir des effets très différents sur la
personne poursuivie. Bien conduites, elles peuvent avoir l’effet dissuasif qui leur est
attribué idéalement par le Code de Procédure Pénale ; mal conduites, elles
peuvent, au contraire, avoir un effet de renforcement de la personnalité dans un
sens délinquant ; parfois aussi, elles ont un effet neutre4.

Autrement dit, dans quelle mesure la vie dans ce milieu contribue-t-elle à


renforcer la personnalité du délinquant et à conditionner sa récidive, ou au
contraire est-elle de nature à le dissuader de celle-ci comme c'est la fonction
assignée à la justice pénale1.

Il y a lieu de rappeler que le délinquant, auteur présumé de l'infraction qui


fait l'objet des poursuites porte plusieurs casquettes. Il est tour à tour « suspect »,
« auteur présumé de l'infraction », « inculpé », « prévenu », « accusé », «
condamné » s'il est reconnu coupable et condamné, « prisonnier » s’il est mis en
prison, « détenu », s'il est incarcéré dans une prison et tout le reste de sa vie,
même réhabilité par la justice, il est « un repris de justice » pour ses
contemporains.

Nous allons donc examiner les effets psychologiques que produisent sur le
délinquant par les actes de procédure diligentés contre lui par les différents
opérateurs judiciaires.

1° De l'arrestation de l'auteur présumé de l'infraction avant le jugement


[48]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

L'arrestation avant jugement des hommes sous poursuites judiciaires exerce


un effet perturbateur. Le détenu, en effet, est un homme qui a été abaissé par une
défaite qui a modifié sa personnalité. Car, dans la lutte que mènent tous les
malfaiteurs avec la police afin de ne pas être pris, l’individu arrêté, s’est retrouvé
dans le lot des vaincus, maladroits ou malchanceux.

A l'effet psychologique de cet échec viennent s’ajouter le choc de la


séparation familiale, la perte de prestige vis-à-vis des enfants, les dettes laissées,
l'inquiétude pour autrui, joints à l'angoisse pour soi.

De même, la privation de liberté modifie ses forces corporelles et souvent


celles de son esprit. De plus, l'homme arrêté et détenu dans une prison n'est plus
le même que ce qu'il était auparavant quand il allait commettre son infraction ou
quand il la commettait.

L'arrestation est donc un acte dynamique. Le délinquant, en règle générale,


lutte contre son arrestation et celle-ci suppose que la preuve a été faite'
pratiquement, certaines arrestations peuvent intervenir à la suite d'efforts
importants effectués par la police alors que dans d'autres il n'y a pas d'obstacles
sérieux à la manifestation de la vérité1.

Au plan psychologique, l'arrestation, écrit Jean PINATEL, constitue un


phénomène capital pour un délinquant primaire. Car avant l'arrestation, celui-ci ne
se considère pas souvent comme un délinquant. Ses autolégitimations intérieures
l'ont convaincu de la validité de sa conduite.

L’arrestation va donc constituer pour lui l’occasion d'une prise de conscience


ou d'une absence de prise de conscience qui sera singulièrement révélatrice. Elle
provoquera alors une surcharge psychologique qui marquera profondément le
délinquant et favorisera la récidive2.

2° L’interrogatoire par la police judicaire

L'article 2, alinéa 3 du Code de Procédure Pénale dispose que « l'Officier de


Police Judiciaire interroge les auteurs présumés des infractions et recueille leurs
explications ».

L'interrogatoire de l’auteur présumé de l'infraction par l'Officier de Police


Judiciaire succède donc son arrestation.

Interroger n'est pas chose facile. A propos de l'interrogatoire, F.E.


LOUWAGE a écrit : « Interroger est un art que peu d'enquêteurs possèdent ». Et il
a ajouté : « Nous ne nierons pas que dans tous les pays du monde, il se révèle de
temps à autre, à notre grand dépit, des cas où certains policiers, surtout de classe
subalterne, ont fait usage de moyens que la loi et les règles de la déontologie
policière réprouvent »1.
[49]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

Ce qui est certain, faut-il le souligner, c'est que les sévices policiers,
lorsqu’ils se produisent, ont des effets psychologiques désastreux2.

Pour sa part, Jean PINATEL a écrit que l’arrestation a donné conscience au


délinquant que, désormais, il n'était plus un homme comme les autres. Les sévices
policiers vont l’ancrer dans cette opinion et le système pénal et pénitentiaire
considéré jusqu'alors comme obstacle à éviter, va devenir un objet d'aversion et de
haine. Le fait d’avoir été battu et froissé dans sa dignité humaine va l'amener à
considérer que le système de répression emploie des méthodes semblables aux
siennes. Il en jaugera l'hypocrisie et le mensonge quand, par la suite, il se trouvera
presque toujours dans l'impossibilité de faire reconnaître ces mauvais traitements.
Le mensonge appelant le mensonge, il soutiendra que les aveux qui lui ont été
extorqués, étaient faux et cela contre toute vraisemblance 3.

3° La détention préventive

L'incarcération produit chez certains sujets un choc émotif susceptible de


jouer un rôle primordial dans les psychoses carcérales d’apparition précoce, surtout
chez les primo-délinquants.

Comme le remarque P. GISCARD, « il s’agit habituellement de prisonniers


dont le passé social avait été généralement irréprochable, mais chez lesquels une
défaillance morale passagère, entraînant avec elle le délit, a motivé l'arrestation et
l'emprisonnement. Après l'incarcération, l'inculpé, déprimé par l'entourage, est
effrayé par l’appareil de la justice et épouvanté par la crainte d'une condamnation,
condamnation d'autant plus redoutable pour lui qu'elle contrastera avec son passé
antérieur de probité qui détruira sa réputation, mettra fin à une situation de famille
jusque-là aisée et honorable. Cette crainte d'une condamnation produit un état
dépressif, une véritable anxiété de type mélancolique 4.

Toutefois, d'autres délinquants primaires moins émotifs, relève Olof


KINBERG, qui ont été surpris par une impulsion subite à commettre un acte
défendu par le code, seront souvent tellement dégoûtés par les conditions régnant
dans la prison qu’ils seront désormais plus attentifs à l’égard de leur
comportement1.
Mais le fait collectif fondamental en matière de détention préventive c'est
que la prison est, par nature, un lieu où l’on dissimule, où l’on simule et où l’on
ment2.
Au Congrès qui avait réuni en 1949, les aumôniers pénitentiaires à la
Rochelle3, la question avait été abordée sans détours et sans fard, en ces termes :
« Mensonge, hypocrisie, dissimulation » ce sont les traits dominants de toute vie
recluse. A quoi cela tient-il ?
[50]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

D'abord au fait que le détenu est soumis à un système de contrainte et de


contrôle permanents contre lequel la seule défense est l’armure des faibles : la
simulation.
De plus, le prévenu en instance de jugement se méfie de ses camarades qui sont
autant de délateurs possibles. Il jouera donc devant eux la comédie de l'innocence,
ce qui au surplus, lui sert de galop d'entraînement pour sa défense devant le juge
d'instruction.

Il ne faut pas oublier non plus que certains criminels sont accoutumés par
l’exercice de leur profession à tromper autrui. Cette habitude devient, en prison,
une seconde nature. Tout détenu grandit devant ses camarades, affiche des
relations, une situation, des bonnes fortunes qui sont très au-dessus de l’humble et
sordide réalité.

Enfin, le milieu où il vit est totalement artificiel, coupé du monde, sans


confrontation possible avec le réel. C'est un univers en soi, où le désœuvrement
facilite la rêverie, les excès d'imagination. C'est le royaume du « bobard » et du «
baratin ». Les héros en sont les « craqueurs », ceux qui racontent des « craques ».
Tout est donc faussé à la base et, l'entraînement aidant, le temps faisant son
œuvre, le prisonnier finit par être persuadé, de bonne foi, qu'il n'est pas coupable.
Il a sécrété, à force de mensonge, un moi d'emprunt, un personnage nouveau. Le
mensonge colle à son être de façon si intime qu'il n'y a plus de vérité à partir de
laquelle définir le mensonge ».
On ne saurait, écrit Jean PINATEL, mieux souligner et mettre en lumière le
vice capital de la psychologie de la vie prisonnière. Il est clair que l'habitude du
mensonge née de la contrainte, entretenue par la routine, engendre un
automatisme de ruse, d'astuce et de dissimulation vis-à-vis des autorités et du
public, qui contribue à rejeter dans le monde criminel de nombreux délinquants qui
n'en étaient pas issus originairement1.

4° De l'instruction préparatoire par l'officier du Ministère public –


Magistrat instructeur
L'instruction vient après la phase initiale de l’arrestation et de
l'incarcération. Durant cette phase de l’instruction, le délinquant cherche avant tout
à faire partager par son défenseur le système de défense qu'il a sécrété. Il existe
alors entre le délinquant et le défenseur un certain nombre de « barrages » que ce
dernier doit forcer2.
Le premier barrage est relatif au secret professionnel. Pour le criminel, «
tenir » un homme par un secret est une chose rentable. Se sentir « tenu » c'est se
sentir nu et enchaîné, à la merci du bourreau. L'idée que, par sens moral, l'on
s’abstienne d'un chantage est, pour le délinquant « étrangement déraisonnable ».
Le deuxième barrage consiste dans les bons rapports de la défense avec le
Magistrat instructeur. Le délinquant qui redoute l'Officier du Ministère public –
Magistrat instructeur « souffre comme d'une trahison du spectacle de son bourreau
présumé et de son défenseur se serrant la main, s'offrant une cigarette, se
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COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE

demandant des nouvelles ». Et à cela s'ajoute la conception que le délinquant se


fait de l'argent en général. La caution, pour certains, n'est que la corruption
déguisée du juge en cas de mise en liberté provisoire.
En réalité, l’avocat cherche, selon le Pr. Heuyer, par tous les moyens en Son
pouvoir à montrer l’innocence de son client. Il s'ensuit que si la prévention dure, si
les commissions rogatoires sont nombreuses et longues, c'est que l’officier du
Ministère public - Magistrat instructeur craint toujours qu'un détail, souvent sans
importance, négligé soit monté en épingle par l'avocat comme une faute et une
erreur de l'instruction3.

1 PINATEL, J., Traité de Droit Pénal et de Criminologie, Tome III, op. cit., p.336.
2 MELLOR, A., « La connaissance du délinquant par la défense », Conférences du 1 er Cours International de Criminologie, p. 323 à 327, cité par PINATEL, J., Traité de Droit
Pénal et de Criminologie, Tome III, op. cit., p.336.
3 HEUYER, G., « Les incidences morales et psychologiques de la détention préventive », Bulletin International de la Criminologie, 1952 (1er semestre), p. 9 à 48, cité par

PINATEL, J., Traité de Droit Pénal et de Criminologie, Tome III, op. cit., pp.336-337.

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