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INTRODUCTION
A propos des causes sociales du crime, nous avons en Premier lieu la thèse
du juriste et philosophe Thomas MORE (1478-1335) qui avait dénoncé l’état
misérable des classes populaires et plaidé pour un adoucissement des peines. Dans
l'utopie, il avait écrit que « le fonctionnement de la justice fait penser à ces
mauvais maîtres qui battent leurs écoliers plutôt que les instruire. Vous faites
souffrir aux voleurs des tourments affreux ne vaudrait-il pas mieux assurer
l'existence à tous les membres de la société, afin que personne ne se trouvât dans
la nécessité de voler d'abord et de périr après »2.
De son côté, Cesare BECCARIA (1738-1794), dans son Traité des délits
et des peines Paru en 1764, attire à son tour l'attention sur les causes économiques
et sociales de la criminalité et expose les traits d'une nouvelle politique criminelle,
égalitaire et cohérente.3
L'explication de QUETELET est que « la société renferme en elle les germes de tous
les crimes qui vont se commettre en même temps que les facilités nécessaires à
leur développement. C'est elle, en quelque sorte, qui prépare ces crimes et le
coupable n'est que l'instrument qui les exécute. Tout est donc asocial, ce qui
suppose donc un certain nombre et un certain ordre de délits qui résultent comme
conséquence nécessaire à son organisation »1. Pour lui, la délinquance se présente
comme un effet, un résultat du fonctionnement même de la société. Il faut
chercher la cause du passage à l’acte dans l’organisation sociale. Si on veut trouver
une solution à la délinquance, elle est dans la société. Il faut interférer sur le
fonctionnement de la société elle-même2.
1 QUETELET, A., Essais sur la physique sociale (1835), cité par TARDE, G., « La sociologie criminelle et le droit Pénal »,
in Archives de l’Anthropologie criminelle, Tome VIII, 1893, pp.513-525.
2 TARDE, G., op. cit., pp. 513-525
3 Cité par BESSETTE, J.M., op. cit., p.2.
4 CONSTANT, J., Eléments de criminologie, Liège, Imprimerie des Invalides, 1949, p.30.
5 Cité par Gabriel TARDE, op. cit., pp.513-525.
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COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
LACASSAGNE d’être optimiste car elle permet de voir un moyen de lutte. Eradiquer
le crime doit venir d'une « initiative sociale ». Parmi les moyens possibles,
LACASSAGNE évoque la question de l'éducation : faire comprendre les règles, les
valeurs de la société pour évite leur transgression future. C’est ce qui l'amena,
anticipant en cela la notion de « société criminogène », à désigner le « milieu social
comme ferment de criminalité ». Sa théorie se résume dans deux postulats
célèbres « les sociétés n'ont que les criminels qu’elles méritent » et « le milieu
social est le bouillon de culture de la criminalité, le microbe c'est le criminel, un
élément qui n’a d'importance que le jour où il trouve le bouillon qui le fait
fermenter » et que « les sociétés n'ont que les criminels qu'elles méritent ». Il
renchérit en disant que « toute société n'a que des criminels qu'elle mérite »1.
Comme on peut le constater, LACASSAGNE a trouvé son inspiration dans la pensée
pasteurienne. Sa théorie, écrit Jean PINATEL, est à l’origine de nombreuses études,
notamment celles de RAUX sur le milieu familial des jeunes délinquants2.
Il avança, dès la fin du 19ème siècle, l’idée d'une criminalité par profession –
préfigurant la notion de carrière – qu'il opposa à une criminalité d'occasion3.
Ainsi, pour Gabriel TARDE et son Ecole de l'Interpsychologie, les rapports sociaux
ne sont que des rapports interindividuels et qu'ils sont régis par ce fait social
fondamental qu'est l'imitation. De même sur le plan des rapports sociaux, c'est
encore par le jeu de l'imitation que s’organise et se développe la vie sociale. A
partir de là, écrit Raymond GASSIN, TARDE, abordant le problème de la criminalité,
son idée essentielle est que « chacun se conduit selon les coutumes acceptées par
son milieu ». Si quelqu'un vole ou tue, il ne fait qu’imiter quelqu’un d'autre. L'on
comprend que dans une telle perspective, TARDE ait particulièrement étudié les
criminels professionnels en relevant leurs traits sociologiques caractéristiques à
savoir qu'ils ont un langage (argot), des signes de compagnonnage (tatouage) et
des règles corporatives (associations de malfaiteurs). La criminalité peut donc se
manifester à l'occasion d'une profession ordinaire ou constituer une profession
organisée4. « Peut-être naît-on vicieux, écrivait-il, mais à coup sûr on devient
criminel. Le crime est un métier qui, Comme tout autre, a ses années
d’apprentissage au cours d'une enfance vagabonde et souillée, ses écoles spéciales,
son langage particulier, ses associations professionnelles, temporaires et
permanentes (Jacquerie, Camorra, Mafia, etc.), qui ressemblent beaucoup plus à
des corporations industrielles qu’à des tribus de sauvages »1.
1 BOUZAT, P. et PINATEL, J., Traité de Droit pénal de Criminologie, Tome III, La Criminologie, 2ème Edition,
Dalloz, Paris, 1970, p.86.
2 RAUX, M., « L'enfance coupable », in Archives d'anthropologie criminelle, 1890, pp. 221 à 258, à par
BOUZAT, P. et PINATEL, J', op. cit., p.86.
3 TARDE, G., cité par BESSETIE, J.M., op. cit., p.3.
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Dès la fin du 19ème siècle, Emile DURKHEIM désignait le crime comme un fait
découlant du fonctionnement régulier de la société – comme un fait normal, relatif
à la société dans laquelle il se produit – et la criminalité comme un objet
socialement construit, susceptible d’investigations méthodiquement menées 3.
Enfin, dans une perspective économique, l'Ecole socialiste fondée sur les écrits de
Karl MARX et ENGELS a ébauché l'examen des relations entre le crime et le milieu
économique et soutenu que la criminalité est « un sous-produit » du capitalisme
comme toutes les autres anomalies sociales.
Elle apparaît ainsi comme une réaction contre les injustices sociales, ce qui explique
qu'on la trouve surtout dans le prolétariat.4
On conçoit dès lors que les conflits de cultures peuvent se produire dans
différents sens. C'est ainsi que le conflit peut se situer en des lois arbitraires ou
favorisant la corruption et des individus obéissant à des conceptions morales
saines. Le conflit peut également se situer entre des lois conformes aux valeurs
socialement acceptées et des individus ayant des codes particuliers (bohémiens,
immigrants)5.
Elle est donnée par le sociologue FILLIEULE dans son ouvrage « Sociologie de la
délinquance ».
Pour Enrico FERRI qui est le Père fondateur de l'expression même de sociologie
criminelle, « la sociologie criminelle est la science des délits et des peines
renouvelée par la méthode expérimentale suivant les données de l'anthropologie et
de la statistique criminelle »2.
Elles sont données, l'une par Henri LEVY-BRUHL et l'autre par Jean CARBONNIER.
Autrement dit, pour Henri LEVY-BRUHL, l’infraction n'existe pas en soi. Ce sont des
codes sociaux, c'est la société ou la loi qu'elle dicte qui crée les infractions et donc
qui crée la délinquance. Le crime est un fait social et donc la sociologie criminelle
est l'étude des moyens que la société utilise pour prévenir et réprimer les
infractions5.
- « La sociologie de la peine » qui, prenant les peines comme des faits sociaux,
s'interroge sur les conditions sociologiques de leur apparition et de leur
développement ainsi que sur les effets qu'elles entraînent dans la société ;
1 Citépar Gabriel TARDE in La Sociologie criminelle et le droit pénal, op. cit., p.1.
2 FERRI,E., La sociologie criminelle, 1884, cité par TARDE' G' op. cit., p.1.
3 TARDE, G., op. cit.
4 LEVY-BRUHL, H., « Problèmes de la sociologie criminelle », in Revue l’année sociologique, cité par TARDE, G., op. cit,
p.2.
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Pour F. GRISPIGNI (1884-1955) cité par Jean PINATEL, la sociologie criminelle doit
essentiellement étudier la criminalité en tant que phénomène social, c'est-à-dire en
tant que phénomène de masse. Dans cette perspective, elle envisagera aussi bien
les facteurs individuels que les raisons sociales de la criminalité 2.
1 CARBONNIER, J., dans Sociologie juridique, cité par GASSIN, R., op. cit., n°28, p.28.
2 GASSIN, R., op. cit., n°27.
3 GASSIN, R., op. cit., n°27.
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aux opérations d’étiquetage et de stigmatisation qui feront qu'un tel sera qualifié
criminel. Outre l'institution policière, l’un des théâtres privilégiés où s'expriment ces
opérations constitutives de la réaction sociale est le tribunal. L'observation de
procès, en particulier du procès d'assises, permet de voir à l'œuvre, à travers les
actions conjuguées des divers acteurs/agents (magistrats, témoins, policiers,
experts, jurés, avocats, etc.), les multiples aspects qui composent la réaction
sociale, et contribuent à stigmatiser l’individu qualifié de criminel. Ces observations
peuvent être complétées par des biographies, des reconstitutions de « carrières »
délinquantes ou criminelles, des entretiens approfondis avec les acteurs/agents de
contrôle social que l’on vient d’évoquer, mais aussi avec d'autres intervenants du
champ criminologique (pénalistes, agents médicaux, psychiatriques, d'éducation
spécialisée, du monde pénitentiaire,...) ou d'autres institutions de travail et de
contrôle social, sans oublier les médias1.
Nous pouvons, en quelques mots, avec Jean CONSTANT, dire que la sociologie
criminelle étudie la criminalité en tant que phénomène social et qu'elle recherche
notamment les facteurs criminogènes ayant un caractère social : milieu urbain,
industriel ou rural, alcool, cinéma, religion, etc.3
Le champ d’études de la sociologie criminelle étant ainsi délimité, il nous faut à
présent aborder l'examen des méthodes à mettre en œuvre pour l’exploration des
nombreuses pistes de recherche qu'il recèle.
4° LES METHODES
1 Ibidem.
2 BOUZAT, P, et PINATEL, J., op. Cit,, n"373, p.92.
3 BESSETTE, J.M., « La sociologie criminelle », Chapitre figurant dans SOCIOLOGIE CONTEMPORAINE
(dir. J-P Durand et R. Weil), Vigot, 3e édition, 2006.
4 ldem, p.33.
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Pour Alain BIROU, l'ethnographie est une discipline plus ou moins scientifique qui
étudie de façon purement descriptive les cultures primitives, chacune considérée en
elle-même. Quand il y a comparaison et essai d’explication, on a affaire à
l'ethnologie3.
Quant à ce qui concerne l'ethnologie, celle-ci, selon Alain BIROU, étudie les peuples
primitifs et que l'on dit « attardés ». Elle analyse leur vie matérielle, sociale,
culturelle ainsi que leurs arts, leurs techniques, leurs moeurs, leurs croyances 4.
S’agissant de l'ethnologie criminelle qui nous intéresse, Georges KELLENS écrit que
celle-ci est « un chapitre ethnologique où s’étudient dans le temps et dans l'espace,
les langues, les mœurs, les croyances, les techniques, les arts, etc. des peuples vus
comme groupes culturels (ou ethnies), en bref tout ce qui caractérise les
ensembles humains non plus du point de vue de la constitution biologique des
hommes mais de celui de leur attitude face à l’existence, de leur comportement en
tant que groupes ou variétés de l'espèce5.
Pour sa part, Jean-Michel BESSETTE écrit à propos de l'ethnologie criminelle que
dans le cadre général de l'étude du contrôle et de la réaction sociale, l'inventaire de
l'établissement des normes, de leur mise en oeuvre, de leur transgression et des
diverses modalités de rétablissement des équilibres sociaux (systèmes de
codifications, d'inculcation, de diffusion, de régulations, de sanctions) dans les
différentes sociétés – en un mot une « ethnologie criminelle » en collaboration avec
l’anthropologie juridique – constituent des axes de recherche riches de
potentialités1.
Elle est souvent confondue avec l'écologie criminelle, autrement appelée « écologie
sociale de la criminalité et de la délinquance » que l'on définit comme « la
recherche des causes sociales sous-jacentes à des phénomènes tels que la
victimisation, la délinquance, la criminalité de violence et les atteintes à la
propriété, les sentiments d'insécurité, la détérioration des relations de voisinage, le
récidivisme, en recourant aux caractéristiques tant socio-structurelles (, sexe, race,
composition de la famille) qu'écologiques (dimension, densité, encombrement) des
agrégats (quartiers, cités)3.
Bien avant et à partir des années 30, les travaux effectués à CHICAGO par Clifford
SHAW et ses disciples ont conduit à la formulation de la théorie dite « Théorie
écologique de Clifford SHAW ». Selon cette théorie, ce sont « les circonstances
d'une zone géographique déterminée » qui exercent une influence décisive sur le
taux de la
Dans chacune des treize communes ci-dessus, la police a identifié et circonscrit |es
quartiers chauds qui constituent des « zones » ou « sites » criminogènes et
d'insécurité où l’on a dénombré le plus grand nombre de crimes de violence ci-
après : assassinat, meurtre, coups et blessures aggravés, vol ou vol à mains
armées, extorsion des biens, extorsion ou vol des véhicules, dissipation des
munitions de guerre et enlèvement.
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COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
La sociologie criminelle telle que nous l'avons vue, étudie le crime en tant que fait
social et qu'elle est donc, comme l’a bien définie Henri LEVY-BRUHL, l’étude des
moyens que la société utilise pour prévenir et réprimer les infractions.
Il va donc de soi que la sociologie criminelle, pour mener à bien sa tâche nourrisse
ses développements de données de la science économique du fait que l'ensemble
des objectifs que l'Etat poursuit devant le phénomène de la criminalité (prévention
et répression) et des moyens qu'il met en oeuvre à ces fins (peines, mesures de
sûreté, rétribution de la faute, amendement du coupable, protection de la société)
exigent la mobilisation des ressources financières considérables que l'on peut
éclater en une multitude d'estimations selon que l’on considère la charge du crime
pour les finances publiques, la charge du crime pour les entreprises et les
particuliers, la charge du crime pour la société ou son économie et le profit du
crime.
La charge du crime pour les finances publiques, c'est l'ensemble des dépenses
concernant la répression et la prévention spécifique diminuée des récupérations
diverses (travaux pénitentiaires, amendes) et augmentée du produit d'infractions
dirigées contre les finances publiques (fraudes fiscales, fraudes douanières).
4 Cf. HEROLD, « Géographie criminelle », Rev. pol. nat., 1969, 56-65 ; STEINHILPER et SCHWIND, « L'atlas de criminalité de BOCHUM », in 31e Cours
international de criminologie précité, pp.377-396, cité par R. GASSIN, op. cit., p. p.136.
5 LEAUTE, J., « Conférence au 31 e Cours international de criminologie », Cfr pp.407-4O8, cité par R. GASSIN, op. cit., p. 736.
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Le terme d'histoire, écrit Alain BIROU, s'est appliqué d'abord à tout recueil
d'informations ou de descriptions sur un sujet quelconque (histoires naturelles).
Mais le mot, enchaîne-t-il, tend à s'appliquer surtout à la science des faits humains
du passé avec recherche critique du contexte total de temps et de lieux, les
corrélations, les cohérences possibles entre les événements. Elle porte sur les
données de fait et sur ce qui s'est réellement passé1.
Quant à l'histoire sociale, Alain BIROU écrit que celle-ci « s'applique à étudier la
vie sociale et les formes d'organisation et de rapports sociaux du passé »2.
En revanche, notre justice pénale actuelle reste inspirée plus qu’on ne le croit, des
traditions de justice privée, de réactions instinctives et d’une certaine aura magique
et la politique criminelle en conséquence en porte les stigmates.
Ainsi, comme on peut le voir, la sociologie criminelle, pour mener à bien sa tâche,
nourrit ses développements de données de l'histoire sociale qui, s’il est besoin de le
rappeler, s'applique à étudier la vie sociale et les formes d’organisation et de
rapports sociaux du passé.
1 Romuald ZANIESWKI, Les théories des milieux et la pédagogie mésologique, casterman, Tournai, Bruxelles, 1952, p.21.
2 GASSIN, R., Criminologie, op.cit., n°478, p.443
3 BOUZAT, P., et PINATEL, J., Traité de Droit pénal et de Criminologie, Tome III, Criminologie par PINATEL, J., op. cit., n°25, p.60.
4 Idem.
5 BIROU, A., Vocabulaire pratique des sciences sociales, op. cit., p.212.
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COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
A. Définition
Selon Pierre TREMBLAY, le milieu criminel est défini comme l'ensemble des
interactions directes ou indirectes entre individus ayant choisi de participer de façon
relativement régulière à un ensemble variable d’activités criminelles. Il désigne
donc toujours par définition un sous-ensemble de la population des délinquants4.
C'est à Pierre TREMBLAY que revient le mérite d'avoir défini les principes d'analyse
du milieu criminel qui donnent à ce genre d’étude sa configuration spécifique. Ils
sont selon l'intéressé au nombre de quatre, à savoir :
En effet, comme l'a si bien souligné pour sa part Pierre TREMBLAY, il est
impossible d'entreprendre une analyse du milieu criminel sans connaître en détail la
manière dont se pratique une variété importante d'activités criminelles susceptibles
d’attirer, dans un contexte social ou urbain donné, la majeure partie de ceux qui y
participent. A titre d'exemple, dit-il, il est impossible de comprendre les braquages
de banque sans une analyse détaillée de la manière dont les braqueurs se
procurent leurs armes et une évaluation de l'ampleur et du fonctionnement du
marché noir des armes à feu de petit
1 Idem, p.7.
2 KASONGO MUIDINGE MALUILO, P.C., Prophylaxie criminelle, op. cit., p.92.
3 CUSSON, M. (1986), « L'analyse stratégique et quelques développements récents en criminologie », Criminologie, 19, I , 53-72, cité par
TREMBLAY, P., op. cit., p.11.
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COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
La seconde raison est que les marchés criminels et plus généralement les
structures d’opportunités criminelles sont elles-mêmes couplées et inter-reliées et
dans une large mesure interdépendante, de sorte qu'une innovation ou un
changement local peut avoir des effets indirects importants sur les conditions de
fonctionnement de l'ensemble du milieu3.
1° Définition
Selon Alain BIROU, le milieu social est l'ensemble des conditions, des
situations et des circonstances du cadre social et de la vie sociale que rencontrent
les membres d'une société ou d'un groupe. C'est le contexte social, la société elle-
même, selon ses diverses dimensions, dans la mesure où ils constituent le terrain
d'adaptation de la personnalité sociale en même temps que son champ d'exercice.
Tel que défini ci-dessus, le milieu Social peut être considéré du point de vue
objectif d’abord en fonction des échelles (macro-milieux, micro-milieux), pour
ensuite envisager en profondeur les milieux écologique, culturel, économique3.
Le milieu social général est celui qui est formé par toutes les conditions
générales de la société qui produisent des circonstances communes à tous les
citoyens d'un même pays (situation politique, économique, sociale, culturelle) 4.
Pour Jean PINATEL, le milieu social général englobe toutes les circonstances
générales du monde environnant produisant des influences communes à tous les
citoyens d'un pays5.
B. Le milieu Personnel
1) Le milieu inéluctable
2) Le milieu occasionnel
Ces divers stades de la vie, écrit Jean PINATEL, constituent des étapes
sociales auxquelles on ne peut se soustraire en principe et au cours desquelles
certains traits psychologiques individuels se révèleront7.
1 Idem.
2 DE GREEFF, E., Introduction à la criminologie, 1ère Edition, Louvain, Ed. de l'Ecrou, 1937, pp.43-54 ; 2ème
édition (1er volume paru), Paris, PUF, 1948, pp. 83-108 cité par GASSIN, R., op. cit., p.444 et PINATEL, J.,
op. cit., p.61.
3 DE GREEFF, E., cité par GASSIN, R., op. cit., p.444.
4 PINATEL, J., op. cit., pp.61-62 ; GASSIN, R., op. cit., p.444.
5 LEAUTE, J., Criminologie et science pénitentiaire, P.U.F., 1972, pp.569-578 cité par GASSIN, R., op. cit,
p.448.
6 PINATEL, J., op. cit., p.62 ; GASSIN, R., op. cit. p.448.
7 PINATEL, J., op. cit., p.62.
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COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
Il nous faut ajouter, avec Jean CONSTANT que le milieu occasionnel est, en partie,
inéluctable, puisque le choix de l’école est fait par les parents, tandis que le choix
des amis par l'enfant est personnel2.
Il résulte de ce qui vient d’être dit que le sujet, adolescent ou adulte choisit
son milieu ou du moins l’accepte, en s'y résignant ou en s'y complaisant.
Nous examinerons dans le chapitre suivant dans quelle mesure ces divers
éléments du milieu choisi sont-ils susceptibles d'influencer l'évolution de la
personnalité du criminel ou de constituer au contraire des facteurs de résistance
intégrés dans l’évolution de cette personnalité.
4) Le milieu subi
Il ressort de ce qui vient d’être dit que le milieu subi est composé des milieux
policier, judiciaire et pénitentiaire.
1 GASSIN, R., op. cit., p.449.
2 CONSTANT, J., op. cit., p. 138.
3 DE GREEFF, E., op. cit., pp. 43 et suivant, cité par CONSTANT, J., op. cit., p.132.
4 DE GREEFF, E., op. cit., p.109 cité par PINATEL, J., op. cit., p.329.
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COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
Il convient de préciser avec Jean PINATEL que le « milieu » qui vient d’être
décrit dans les développements ci-dessus est le « milieu objectif », c’est-à-dire, le
milieu tel qu'il se présente réellement, et qu'il se distingue du « milieu subjectif »,
c’est-à-dire, celui que le sujet perçoit et se représente intimement.
1PINATEL, J., « Le diagnostic de personnalité », in Revue de science criminelle, 1952, pp. 636 à 643.
2TSHIMANGA, A., Panorama de la psychologie, Editions de la Cime des Merveilles, Centre Africain de Recherche et d’Actions
Sociales, CARAS, Kinshasa, 2002, p.203.
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COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
1° Définition
Anticriminelle sur les citoyens, il faut que ces derniers l’éprouvent comme
un « risque ». Ce risque peut être perçu de deux manières, à savoir : soit comme le
« risque objectif, réel, d'être dépisté, appréhendé et poursuivi au cas où ils auraient
commis un crime, soit comme le « risque subjectif » consistant dans les idées qu'ils
peuvent avoir sur les chances d'être pris et punis. Entre le risque objectif et le
risque subjectif, c'est le risque subjectif qui est le facteur pouvant influencer les
délinquants virtuels, le risque objectif, par contre, étant déterminé par nombre de
circonstances inconnues du sujet ou difficiles à apprécier1.
1PINATEL, J., Criminologie, Tome III du Traité de Droit Pénal et de Criminologie par Pierre BOUZAT et Jean PINATEL,
op.cit., n°27, p.63.
2 Idem.
3 Ibidem, pp.63-64.
4 TSHIMANGA, A., op. cit., p.203.
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COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
Sur ce point, le grand mérite revient à olof KINBERG d'avoir mis l'accent sur
l’importance des situations pré-criminelles3. Il a montré, écrit Jean PINATEL qu'il
faut étudier les situations dans lesquelles les sujets se sont trouvés, afin de
découvrir les stimuli qui ont agi sur eux. Il a distingué dans cette perspective les «
situations spécifiques ou dangereuses », qui se caractérisent par le fait que
l’occasion n’a pas été recherchée, les « situations non spécifiques ou
amorphes » qui sont celles où l'occasion doit être recherchée et les « situations
mixtes ou intermédiaires » dans lesquelles, d'une part, l’occasion est toujours
recherchée, mais où d’autre part existe néanmoins un stimulus spécifique résultant
de la pression qu'un état de fait impose au sujet.
Toutefois, comme l'a si bien montré M.D. LAGACHE5, une situation n’existe que
parce que l'individu s'y est lui-même placé. De plus, la situation présente un double
caractère objectif et subjectif.
Pour illustrer ce qui vient d'être dit, examinons l'influence anticriminelle que peut
avoir la menace pénale. En effet, pour que la menace pénale puisse avoir une
influence anticriminelle sur les citoyens, il faut que ces derniers l’éprouvent comme
un « risque ». Ce risque peut être perçu de deux manières, à savoir : soit comme le
« risque objectif, réel, d'être dépisté, appréhendé et poursuivi au cas où ils auraient
commis un crime, soit comme le « risque subjectif » consistant dans les idées qu'ils
peuvent avoir sur les chances d'être pris et punis. Entre le risque objectif et le
risque subjectif, c'est le risque subjectif qui est le facteur pouvant influencer les
délinquants virtuels, le risque objectif, par contre, étant déterminé par nombre de
circonstances inconnues du sujet ou difficiles à apprécier.
Le milieu social dont nous allons examiner l’influence sur la délinquance ici
est le « milieu Social personnel » qui se rapporte à l'environnement immédiat des
individus et dont l'influence est plus directe et plus décisive sur chaque individu.
Elle est le premier cercle humain qui entoure tout être. C'est au sein de la
famille d'origine que s'effectue donc la première socialisation de l'enfant. Tout ce
qui y survient, écrit Denis SZABO, a donc une influence considérable à partir des
méthodes d'emmaillotage, du premier sourire de la mère, des relations avec les
parents, entre les parents jusqu'aux méthodes d'éducation disciplinaires1.
Par ailleurs, les études réalisées par les sociologues, dans ce domaine, nous
indiquent que la famille peut même être un milieu criminogène (ex : mauvais traitements
des enfants dans la famille). Et à ce sujet, Jean CONSTANT écrit que la désorganisation du
milieu familial (décès, séparation, divorce, illégitimité) favorise aussi, dans de larges
proportions, la délinquance des enfants. Aussi, enchaîne-t-il, peut-on souscrire au cri
d’alarme lancé par Fouillé dans son ouvrage intitulé « La France au point de vue moral »,
lorsqu'il écrit : « L'une des principales raisons du fâcheux excédent de criminalité...,
surtout chez les jeunes, c'est l'insuffisance de l’éducation dans la famille, La criminalité
infantile est, avant tout, la projection agrandie de la démoralisation paternelle et
maternelle… Si le nombre de jeunes criminels augmente, c'est que la dégénérescence
physique ou morale des parents - au moins dans une certaine classe - va elle-même en
augmentant, et chez leurs descendants s'accélère... Ce qui était vice, débauche,
alcoolisme, chez les parents, devient crime chez les enfants ».
Pour sa part, Jean PINATEL écrit que la famille d’origine joue un rôle direct dans
l’étiologie de la délinquance juvénile. C’est le plus souvent à partir d'une situation
familiale conflictuelle que surgit ra réaction délictuelle. Mais, ajoute-t-il,
indépendamment de ce rôle direct, la famille d’origine intervient dans la formation
de la personnalité du délinquant. C’est dans cette perspective que la famille
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COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
Pour ce qui est du « défaut de savoir », la pauvreté, c’est l’a dit Anne-Marie
MARCHETTI, le défaut de savoir : non seulement la disqualification scolaire, le
défaut de capital scolaire et culturel mais plus fondamentalement encore la faible
capacité à symboliser le monde, à s'y orienter de manière à pouvoir le transformer
à son avantage ».
➢ L'aîné, qui, enfant unique au départ, est détrôné par la naissance du second,
surtout s'il a été seul pendant trois, quatre ou cinq ans. « Pour un intervalle
moindre - écrit E. De Greeff - il n'arrive pas à considérer le nouveau venu
comme un rival dangereux ; pour un intervalle plus grand il se sent sûr de sa
place et prend une attitude de défense et de protection vis-à-vis du petit »3 ;
➢ Le cadet qui est défavorisé par vis-à-vis de l'aîné, mais favorisé et gâté à
d'autres points de vue ;
Toutefois, écrit Jean PINATEL, les données dont nous disposons ne prouvent pas
que les vices de la constellation familiale jouent toujours un rôle aussi important
que le pensait ADLER.
Dans les grandes familles, ce sont surtout les numéros de la partie centrale des
naissances qui ont la vie la plus dure. Par les soins défectueux sous lesquels ils
grandissent, le développement de leurs facultés est entravé et leur conduite est
influencée d'une manière défavorable1(1).
Mais, les recherches ultérieures n’ont pas confirmé les observations du Dr POSTMA.
En effet, dans le domaine de la délinquance juvénile, le Dr Georges HEUYER a
trouvé que les familles nombreuses fournissent le 1/3 des délinquants juvéniles. Il
a aussi constaté que la débilité intellectuelle est plus fréquente parmi ces enfants
que parmi ceux d’autres familles...
Enfin, s'agissant de la valeur de la famille d'origine, les études faites là-dessus ont
permis de constater que celle-ci (la valeur de la famille d'origine) dépend de la
façon dont elle remplit sa fonction affective, éducative et sociale3.
excessive du père ou bien c’est la mère qui commande à la maison. Partout, c'est
l'incapacité éducative.
Pour illustrer ce qui vient d’être dit dans cette section consacrée au rôle de
la famille d’origine dans l'étiologie de la délinquance, nous donnons ci-après les
constatations faites par M.J.P. COGNIART à l’issue de l'examen de 93 dossiers de
jeunes prostituées, ayant passé par l'Institut Médico-légal de Lille en France3. A
l'issue de l'examen de 93 dossiers de jeunes prostituées dont question ci-dessus,
COGNIART a classé les familles des intéressées en quatre catégories ci-après :
➢ Famille disloquée :
• Famille disloquée par décès du père ou de la mère ………… 29, soit 31,18%
• Enfants naturels …………………………………………………………… 12, soit 12,90%
• Famille disloquée par séparation de fait des parents ……….. 10, soit 12,90%
• Famille disloquée par divorce ou séparation de corps ………. 7, soit 10,75%
• Foyer détruit par la mort des deux parents ……………………… 2, soit 7,52%
A noter que dans les quatre premières catégories, 25 mineures avaient chez
elles le spectacle du concubinage de leur père ou de leur mère.
➢ Famille immorale :
• Parents condamnés pour attentats aux mœurs (à noter qu'une des mineures a
été violée par son père) ....................................................... 2, soit 2,15%
• Parents de moralité douteuse ……………………………………………. 2, soit 2,15%
• Parents incitant leur fille à la prostitution ............................... 2, soit 2,15%
• Parents alcooliques invétérés …………………………………………….. 1, soit 1,07%
➢ Restant
Quelle leçon peut-on tirer de ces statistiques ? En réponse à cette question, Jean
CONSTANT, résumant ces données statistiques, écrit que « beaucoup de parents
séparés de fait ou divorcés se désintéressent de leurs enfants qui sont, soit
moralement soit même matériellement, abandonnés, et deviennent des recrues
toutes désignées pour l'armée du crime ; les garçons s'adonnent au vol et les filles
vont à la prostitution.
D'autre part, dans certains foyers, les mauvais exemples des parents conduisent les
enfants au vice et à la débauche. Enfin, il arrive aussi que des enfants indignes
refusent d'assister leurs vieux parents que la misère pousse au vol. La
[35]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
B. L’habitat et le voisinage
1° L'habitat
a) Considérations générales
En effet, les maisons de fonds d'avance construites par la Colonie pour des
fonctionnaires et autres détenteurs du permis de séjour urbain ayant des familles
de moins de cinq enfants, ont subi, depuis l’accession du pays à l'indépendance,
des modifications multiformes. C'est le cas notamment à Kinshasa dans les
communes de Bandalungwa (Quartiers Mulaert, Makelele, Bisengo, Tshibangu), de
Kintambo (Quartier Babylone), de Lemba, de Matete et de Kasa-vubu (Quartier
Matonge) où des aménagements des maisons ont été faits en plus des
constructions annexes qui ont été érigées dans les parcelles de l’époque coloniale
pour y loger soit des locataires, ce qui permet d'avoir des revenus locatifs soit les
membres de la famille venus des villages à la recherche d'une vie meilleure en ville
soit les grands enfants mariés qui n'ont pas des moyens pour louer une maison
ailleurs soit enfin pour y installer une terrasse, ou une buvette afin d'y vendre la
bière, etc. Il en résulte un entassement épouvantable des personnes dans ces
parcelles et une promiscuité particulièrement nocive. C’est ça le spectacle qu'offre
l'habitat dans presque toutes les communes dans la ville de Kinshasa aujourd'hui
aux enfants des familles habitant ces maisons.
Nous allons donc examiner l'impact de chacun de ces deux éléments d'habitat.
L'idée qui est partagée par la plupart des spécialistes qui se sont penchés
sur cette question des grands ensembles est que le grand ensemble collectif en soi
n'est pas criminogène mais qu'il faut incriminer plutôt les possibilités qu'il offre de
formation d'un milieu fermé et asocial, séparé aussi bien des familles que de la vie
collective générale. C'est ce qui fait des grands ensembles des « milieux de vide
social et d'isolement social en même temps que d'entassement qui impliquent une
inadaptation sociale et notamment une criminalité accrue tant chez les adultes –
notamment chez les économiquement faibles – transplantés... de taudis ou de
bidonvilles dans ces immeubles collectifs – que chez les jeunes, souvent livrés à
eux-mêmes du matin au soir en l’absence de leurs parents occupés au travail, dans
des immeubles où la pyramide des âges est déséquilibrée, marquée par une trop
forte concentration d'enfants et d'adolescents qui ne trouvent à leur disposition
d'autres modes de réalisation de soi que la formation de « bandes de jeunes »1.
Quoiqu'il en soit, il nous faut reconnaître qu'il n’est pas possible de renoncer
à ces grands ensembles car, ils peuvent constituer une solution au problème de
logement et remplacer, particulièrement dans la ville de Kinshasa, des taudis dans
les quartiers des communes périphériques et des vieilles maisons croulantes dans
de nombreux quartiers des vieilles communes comme Kinshasa, Barumbu,
Lingwala, Kintambo, etc...
Mais, pour parer au problème que posent ces immeubles collectifs, il faut,
comme l'a dit un auteur « les exorciser » soit en évitant leur ségrégation soit en y
dirigeant l'activité des jeunes vers les voies honnêtes, en accordant une priorité à
leur équipement culturel et sportif.
c) Les taudis
i) Considérations générales
C’est ainsi que le Dr Ed. LOCARD a pu écrire dans son livre « La défense
contre le crime » (Paris, Payot, 1951) que : « Les criminels de profession ne
fondent pas de famille. Et, cependant, c'est dès l'enfance que se recrutent les
malfaiteurs. Il n'y a à cela qu'une cause : c'est le vagabondage des enfants » 3.
Le milieu naturel des enfants qui constituent des bandes est la rue. Ils
partagent, écrit J, CHAZAL, leur temps entre le cinéma, les fêtes foraines, les
piscines du quartier, les parties de ballon dans les terrains vagues. Leur conduite
est presque toujours antisociale. On chaparde. On rapine. On trafique. On
cambriole. A treize ans, on quête déjà la compagnie des filles. A seize ans, on a
l’obsession de la fille. Ce n'est pas seulement l'expression d'un besoin, c'est encore
plus, nous semble-t-il, la recherche d'un passe-temps et le souci d'une personnalité
d'homme, dans le style du quartier5.
Quelles sont les raisons qui poussent les enfants à s'associer en bandes ?
Tout cela peut, sans doute jouer mais à travers des mécanismes maté et
psychiques assez complexes et que J. CHAZAL schématise comme suit :
1 KINBERG, O., op. cit., pp. 182 à 193 cité par Jean PINATEL, op. cit., p.323.
2 PINATEL,J., op. cit., p.323.
3 Ed. LOCARD, La défense contre le crime, Paris, Payot, 1951, p.9.
4 MWANAMPUTU Empung, op. cit., p.160.
5 CHAZAL, J., Etude de criminologie juvénile, p.98, cité par Jean PINATEL : op. cit., p.323.
[39]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
1 CHAZAL, J., op. cit., p.105, cité par PINATEL (J) : op' cit., p.324.
[40]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
Par contre, l'enfant qui n’a pas été éduqué normalement, pour des causes
externes ou internes qui peuvent être très variées, souffre en général d'un
déséquilibre psychique considérable. Subissant des échecs en différents domaines,
il n'a pas du tout le statut auquel il aspire, il ne se sent pas à sa place. Cette place,
il va la chercher dans la bande qui, au départ, n’a aucun but précis, qui souvent
est un rassemblement fortuit des camarades d'école, d'une rue, d'une cour
d'immeuble. Il est, en réalité, à la recherche d'une socialisation qu’il n’avait pas
encore trouvée, d'un sur-moi qui lui fait défaut.
Mais cette bande risque de se diriger rapidement vers une activité
criminelle parce que ses membres, du fait même de leur inadaptation, sont
agressifs et dissolvent ce qui leur reste de sens moral dans un sentiment
d'approbation collective, celle du groupe solidaire, qui remplace l'approbation
du milieu social.
Il faut retenir de cela, entre autres choses, que les adolescents, sauf cas
particulier, ne se réunissent pas pour avoir une activité criminelle, mais que
leur activité criminelle est la conséquence, trop fréquente, de la constitution de la
bande.
A. Le milieu scolaire
Cette inadaptation scolaire peut être due au fait que l'enfant mal préparé ou non
préparé dans le milieu familial à accepter les contraintes extérieures, se heurte
brutalement, pour la première fois de sa vie, à la règle sociale. S'il est frappé de
sanctions pour sa non-soumission à la règle et son mauvais travail, il s'estimera
puni injustement, parce que toutes sanctions, même et surtout familiales, lui
apparaissent déjà comme injustes. La série d’échecs qui résultent de cette attitude
va agir comme un puissant démultiplicateur sur les germes d'inadaptation sociale
qui existent déjà dans l’enfant.
[41]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
Par ailleurs, il faut bien le dire, l’école comme institution sociale, n’a pas
évolué au même rythme que les besoins qu'elle était censée satisfaire. Il en est
résulté la crise du système de l’éducation qui a éclaté presque dans tous les pays.
Conçue pour une petite élite, originaire de milieux socio-culturels et économiques
homogènes, l’école secondaire apparaît complètement inadaptée par rapport aux
exigences d'une société technologique avancée. Cette inadaptation se manifeste
pour toutes les catégories d'enfants, mais elle est particulièrement fatale en ce qui
concerne ceux qui viennent des milieux défavorisés.
Ainsi, au lieu d’être les principales institutions de civilisation, les récoles jouent un
rôle criminogène majeur, comparable à celui des taudis ou du système
économique.
B. Les pairs
Elle (la bande) est l'incarnation de la conscience collective, source de moralité par
excellence. En effet, les sentiments de justice, d’équité dérivent de là : la bande est
le groupe de référence sur lequel les conduites seront modelées. Elle est aussi le
médium par lequel les tendances profondes se subliment et qui constitue le cadre
d'une activité symbolique, rituelle, correspondant à des besoins profondément
ancrés dans l'adolescent. (Cavan : op. cit., p.204, cité par D. SZABO, op. cit.,
p.283).
C. Le milieu professionnel
• Les tenanciers des cabarets et des bars interlopes sont enclins, par les
contacts qu'ils ont avec une clientèle tarée, à commettre certains délits
[43]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
Toutefois, fait-il remarquer ce facteur n'est pas dépourvu d'équivoque, car il reste à
savoir si l'on devient criminel parce que l’on n'est pas marié ou si l'absence de
mariage et la délinquance ne sont pas plutôt les effets d'une même cause plus
profonde, à savoir l'inadaptation sociale3.
[44]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
Mais, a-t-il ajouté, les statistiques sont souvent trompeuses, car beaucoup
de jeunes gens, comptés comme célibataires, le sont naturellement en raison de
leur âge. Mieux vaut distinguer selon l’âge et selon le sexe.
Selon l'âge, dit-il, jusqu'à 25 ans les délinquants mariés sont plus nombreux,
peut-être en raison d'un comportement antisocial dont le mariage précoce est un
signe et que de 25 à 60 ans, les célibataires sont plus souvent délinquants2.
Selon le sexe, a-t-il enchaîné, les femmes mariées sont plus souvent
délinquantes ; mais, précise-t-il, on ne compte pas comme délinquantes les
prostituées (prostitution en elle-même licite), au moins dans certains pays
(notamment en France) ; sinon, les célibataires délinquantes seraient plus
nombreuses ; aussi la délinquance de la femme mariée s’explique parfois par des
motifs économiques (soucis dus aux enfants par exemple).
Le fait pour une personne d'avoir un foyer personnel ou une famille propre
ne suffit pas. Il faut encore que ce foyer personnel soit équilibré. En effet, les
conflits conjugaux, comme l'a si bien écrit Jean LEAUTE, sont générateurs de
délinquance non seulement pour les enfants, mais également pour le couple lui-
même : délinquance directe (coups et blessures, adultère lorsqu’il est pénalement
sanctionné), mais plus grave encore, délinquance indirecte en raison des
perturbations psychiques engendrées par ces conflits et des formes diverses de
délinquance sur lesquelles elles peuvent déboucher (vols, agressions sexuelles,)4.
Après le foyer personnel, nous passons au milieu de travail.
B. Le milieu du travail
Lorsqu’on parle du milieu de travail, il faut faire une distinction entre le milieu de
travail proprement dit et le milieu des affaires.
• Que le milieu ouvrier a ses valeurs propres non sanctionnées par la société
(justice sociale - concubinage - sentiment d'être considéré comme un
mineur)1.
Raymond GASSIN, de son côté, écrit que le milieu du travail lui-même peut
être criminogène, emprunté cela de C.D. BRYANT et fait remarquer à propos du
milieu de l'usine que certains éléments du milieu de travail sont susceptibles de
modifier ou d'inhiber le psychisme de l'ouvrier et d'influencer ainsi la formation de
la personnalité du délinquant.
Il en résulte, écrit Jean PINATEL, qu'il existe une allergie du milieu des
affaires à l’égard de certains faits réprimés par la société et considérés comme non
délictueux par l'homme d’affaires.
[46]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
C. Les loisirs
Mais les loisirs peuvent aussi être un facteur qui influence la formation de la
personnalité du délinquant. Des recherches faites sur les problèmes du loisir ont
permis de constater que parmi les valeurs adultes récidivistes, plus de la moitié
passaient leurs loisirs dans des lieux de plaisirs (café, bars, bals, maisons de jeu,
etc.) R. GASSIN, op. cit., p.452). Les criminels aiment la vie facile et c'est dans le
cadre de cette vie facile que la rencontre avec des amis eux-mêmes criminels ou
simplement immoraux va parachever l'interprétation du monde criminel et du non
criminel. Pour ne prendre que le cas du football, D. DUVAUCHELLE fait remarquer
que depuis quelques années, les matches de football sont souvent l’occasion
d'actes de déprédations et de violences. De même, les grands concerts de musique
à Kinshasa sont, on le sait, l'occasion pour certains fans de se livrer à des attentats
aux mœurs et à des actes de violence (bagarres), de s'enivrer et de consommer du
chanvre.
Certains concerts sont souvent émaillés des désordres et des bagarres entre
les fanatiques de grandes stars de la musique. Que dire des rencontres Daring
Motema Pembe et Vita Club à Kinshasa et des tensions psychologiques qui les
précèdent et des bagarres et jets de pierres qui les accompagnent lorsqu'elles se
terminent en queue de poisson ?
[47]
COURS DE SOCIOLOGIE CRIMINELLE
La question qui se pose c'est de savoir quelle est l’influence du milieu subi
par le délinquant avant, pendant et après le jugement dans la formation de la
personnalité du délinquant.
Il est certain, écrit Raymond GASSIN, que la manière dont toutes ces
opérations procédurales sont menées peut avoir des effets très différents sur la
personne poursuivie. Bien conduites, elles peuvent avoir l’effet dissuasif qui leur est
attribué idéalement par le Code de Procédure Pénale ; mal conduites, elles
peuvent, au contraire, avoir un effet de renforcement de la personnalité dans un
sens délinquant ; parfois aussi, elles ont un effet neutre4.
Nous allons donc examiner les effets psychologiques que produisent sur le
délinquant par les actes de procédure diligentés contre lui par les différents
opérateurs judiciaires.
Ce qui est certain, faut-il le souligner, c'est que les sévices policiers,
lorsqu’ils se produisent, ont des effets psychologiques désastreux2.
3° La détention préventive
Il ne faut pas oublier non plus que certains criminels sont accoutumés par
l’exercice de leur profession à tromper autrui. Cette habitude devient, en prison,
une seconde nature. Tout détenu grandit devant ses camarades, affiche des
relations, une situation, des bonnes fortunes qui sont très au-dessus de l’humble et
sordide réalité.
1 PINATEL, J., Traité de Droit Pénal et de Criminologie, Tome III, op. cit., p.336.
2 MELLOR, A., « La connaissance du délinquant par la défense », Conférences du 1 er Cours International de Criminologie, p. 323 à 327, cité par PINATEL, J., Traité de Droit
Pénal et de Criminologie, Tome III, op. cit., p.336.
3 HEUYER, G., « Les incidences morales et psychologiques de la détention préventive », Bulletin International de la Criminologie, 1952 (1er semestre), p. 9 à 48, cité par
PINATEL, J., Traité de Droit Pénal et de Criminologie, Tome III, op. cit., pp.336-337.