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Éditions du Moment
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Revenge Porn
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Nathalie Koah

Revenge Porn
Foot, sexe, argent :
letémoignagedel'ex deSamuel Eto'o

ÉDITIONSDU MOMENT
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MAILLOT JAUNE

Messix ans et quelques mois d’amours clandestines avec


Samuel Eto’o m’ont ouvert les portes d’une vie de confort
et de luxe. Voyages en jets, suites présidentielles, shopping
illimité… On pourra me juger futile, vénale ou cupide.
Mais ces temps de faste n’effaceront pas une enfance de
dénuement. Je suis née au Cameroun, en 1987 à la clinique
Sende de Yaoundé. Jusqu’à mes trois ans, j’ai vécu à Kribi,
une ville côtière du Sud du pays aux plages paradisiaques,
avant de revenir dans la capitale. Ma mère, Marie-Jeanne,
était femme au foyer et mon père, Félix, homme d’affaires.
Je suis l’aînée de leurs quatre enfants. Mon père était un
Bassa, une ethnie bantoue originaire d’Égypte ancienne, où
les croyances en la sorcellerie et les forces occultes restent
très fortes. Nous étions une famille modeste, comme le
Cameroun en connaît des centaines de milliers. Mais chez
nous, ce statut ne revêt pas la même réalité qu’en France:
nous avions un toit, et de quoi manger à notre faim. Rien

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de plus. Nous ne pouvions prétendre ni aux loisirs ni aux


vacances. Pas de quoi me plaindre. En Afrique, la subsis-
tancen’est paslepoint dedépart d’unevieheureuse. Elleen
est souvent l’accomplissement.
J’étais une enfant timide, réservée, et une très bonne
élève. À l’école élémentaire, j’enchaînais félicitations
et tableaux d’honneur. Le week-end, mes parents me
confiaient à ma marraine, Hélène, qui vivait dans la
banlieue de Yaoundé. C’était une très belle femme, indé-
pendante, dotée d’une personnalité forte. Un soir, alors
quejedormaischez elle, j’ai étéréveilléepar desbruitsdans
la maison. C’était la police. L’ex-compagnon d’Hélène,
un homme jaloux qu’elle venait de quitter, l’avait tuée par
balle dans son sommeil. Au Cameroun, l’indépendance
et la liberté d’esprit peuvent coûter la vie aux femmes. Ce
premier traumatisme n’en est pas vraiment un, car je n’ai
gardéquepeu desouvenirsdema marraineet decettenuit
tragique. Mais je crois avoir hérité d’une bonne partie de
son caractère. Et desennuisqui vont avec.
Je n’ai jamais vraiment su dans quelles affaires baignait
mon père. Je sais simplement qu’il avait des activités liées
aux marchés publics. Alors que je venais de fêter mes cinq
ans, il a été arrêté par la police et placé en détention. Il
est resté en prison pendant un an. Aujourd’hui encore,
j’ignorelanatureprécisedecequ’on lui areproché. Du jour

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Maillot jaune

au lendemain, nous n’avions plus assez d’argent pour nous


loger. Nous sommes partis vivre chez ma grand-mère à
Obala, un village situé à une cinquantaine de kilomètres de
Yaoundé. Ce déménagement forcé et les mois qui ont suivi
constituent une période sombre de mon enfance. Ma timi-
dité s’est transformée en une solitude noire. Je m’enfermais
desheuresdurant danslachambredemagrand-mère. Jeme
souviens des remontrances de ma mère après qu’elle m’a
surprise en train de déchirer des draps avec un couteau.
J’avais en moi une colère que personne ne s’expliquait,
et que je n’arrivais pas à extérioriser autrement que par la
violence. Un an plus tard, mon père est sorti de prison.
Il n’avait plus de travail. Nous sommes allés vivre chez un
ami de mes parents dans une grande maison d’Efoulan,
un quartier pavillonnaire plutôt chic de la capitale. Vivre au
milieu d’une famille de nouveau réunie a vite fait d’apaiser
mesangoissesnaissantes.
Malgré ses efforts, mon père n’a pas tout de suite réussi
à retrouver un emploi stable. Son oisiveté a fini par le
rendre susceptible et colérique envers ma mère. Leurs dis-
putes se faisaient chaque jour plus intenses. Mes frères et
moi étions épargnés par les cris, mais nous en étions les
témoins horrifiés. De mon côté, mon statut de sœ ur aînée
m’a rapidement transformée en garçon manqué. D’élève
studieuse et réservée, je suis devenue une redoutable

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bagarreuse de cour d’école, surtout si l’honneur de mes


petits frères était en jeu. Je ne supportais pas qu’on leur
fasse du mal. Je crois qu’au fond je craignais de les perdre.
La mort de ma marraine et l’incarcération de mon père
m’ont insufflé une peur panique de l’abandon, qui perdure
aujourd’hui. En rentrant de l’école, la teigne de récré que
j’étais se transformait en agneau. Je me souviens de ces
après-midi entières passées à aider ma mère à cuisiner, ou à
enlever les peaux mortes des pieds de mon père après sa
sieste. Je jouais à la dînette comme à la carabine avec mes
frères, que jedéguisais en fillesà l’occasion pour compenser
ma frustration de ne pas avoir de petite sœ ur. Ces instants
de complicité familiale restent parmi les plus beaux souve-
nirsdemon enfance.
Ces temps heureux n’ont pas duré. À la fin de
l’année 1996, alors que mon père commençait à retrouver
une activité stable dans la construction de routes, mes
parents ont organisé un dîner réunissant l’ensemble de ma
famille paternelle. Les nombreux frères de mon père étaient
naturellement invités, bien que ma mère n’ait pas vu leur
présence d’un très bon œ il. Mes oncles ont toujours vivoté,
et mêmesi mon pèren’était pasCrésus, il était jalousé. Mon
oncle Michel était le plus envieux, doublé d’un alcoolique
notoire. Au début du dîner, mais déjà ivre, il s’est mis en
tête de porter un toast. Après les remerciements d’usage, le

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Maillot jaune

ton a changé. «Toi, tu as une bonne étoile, alors que nous


n’avons rien », a-t il lancé à l’adresse de mon père. «Pour-
quoi n’avons-nous pas réussi dans la vie comme tu as
réussi ?Les gens du village t’en veulent. Tu ne verras pas la
nouvelle année. » Cette dernière phrase n’était pas une
menace physique directe, mais plutôt la promesse d’un sort
malveillant qui lui serait jeté. Ma mère est sortie de ses
gonds. «Comment peux-tu direça?Comment peux-tu dire
que tu vas manigancer pour que ton frère meure?» Mon
père a tenté de calmer le jeu. «Il a trop bu », a-t il simple-
ment commenté. La soirée s’est poursuivie presque comme
si derien n’était. Jeressentaislapeur et l’impuissancedema
mère. Je la partageais sans vraiment comprendre ce qui se
tramait. Quelques jours plus tard, mon père est allé rendre
visite à ses frères au village. En revenant, il nous a raconté
que personne n’avait voulu lui serrer la main, sauf un
inconnu, qui a insisté pour le saluer longuement. Une
semaine après, il a ressenti unevivedouleur au bras. Cemal
inconnu s’est bientôt généralisé. Il est décédédeux semaines
plus tard. Je n’ai jamais vraiment cru au pouvoir de la
sorcellerie mais je n’ai, à ce jour, pas d’explication plus
rationnellepour expliquer samort brutale.
La disparition de mon père nous a fait passer d’une vie
modeste à la pauvreté. Obligée de travailler dans l’urgence,
ma mère a ouvert un stand de brochettes de bœ uf dans un

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centre commercial tout en s’inscrivant à une formation


d’institutrice. Nous avons emménagé dans une chambre
de Nkolndongo, un quartier chaud de Yaoundé. Nous
dormions à quatre dans le même lit. Ma mère était alors
enceinte de ma petite sœ ur. Mes frères et moi devions
marcher une heure pour arriver à notre école. Le soir, nous
mangions les brochettes que ma mère n’avait pas écoulées.
Curieusement, même si nos conditions de vie s’étaient
dégradées, je garde un souvenir assez heureux de cette
période. Le long chemin vers l’école était prétexte à toute
sorte de jeux et de rencontres amusantes. Un pompiste
s’était pris d’affection pour nous, et nous donnait parfois
100 francs CFA (environ 15 centimes d’euro) avec lesquels
nous achetions des beignets de blé ou de maïs. Ma mère
n’avait pasassez d’argent pour payer mon concoursd’entrée
au collège, mais grâce à ma tante qui avait de l’entregent,
j’ai pu intégrer l’un des meilleurs établissements de la
ville. Cecoup depoucedu destin n’apassuffi à memotiver.
Mes résultats scolaires ont commencé à décliner. Je n’arri-
vais plus à me concentrer, je voulais faire la grande. J’avais
envie de m’occuper de la maison, de mes deux frères et de
masœ ur.
En décrochant son diplôme d’institutrice, ma mère a fait
bondir les revenus du foyer à 100 euros par mois – soit un
peu plus que les 80 euros du Smic camerounais – ce qui

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Maillot jaune

nous a permis d’emménager dans un studio, toujours à


Nkolndongo. Le souvenir de ce quartier, qui n’a pas telle-
ment changé depuis, ne m’a jamais quitté. Le paysage se
composait demaisonnettesou depetitsimmeublesdélabrés
divisés en studios. Pour rentrer chez soi, on devait passer
par le salon du voisin. Les toilettes communes trônaient au
milieu de la cour intérieure. L’après-midi, à tour de rôle,
une voisine cuisinait desbeignets deharicots rougesavec de
la bouillie – le BHB, le plat des pauvres –, et voilà tous les
enfants de l’immeuble qui rappliquaient. Ici, à part les den-
rées de base, les habitants n’ont rien. Pas même l’espoir
d’uneviemeilleure. Maisilsont lajoieau cœ ur. Lesassiettes
sont vides mais on se nourrit au rire, à la bonne humeur, à
la solidarité, comme autant de remparts contre la misère.
Plus tard, mon histoire d’amour avec Samuel m’a permis
de voyager dans les plus beaux endroits de la planète, mais
c’est à Nkolndongo que j’ai croisé les personnes les plus
heureusesdu monde.
À l’âge de quinze ans, je me suis offert une crise d’ado-
lescence en bonne et due forme. À la maison, ma mère
me confiait beaucoup de tâches ménagères, et j’avais beau
comprendre la nécessité de l’aider à tenir le foyer, cette
discipline me pesait. J’avais juste envie de sortir, de m’amu-
ser. Je traînais encore une dégaine de garçon manqué et,
sans surprise, l’une de mes activités préférées était le foot.

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Au Cameroun, leballon rond est unereligion. Unecannette


vide, trois copains, et voilà qu’un chemin de terre lambda
se transforme en stade surchauffé. À l’époque, ma grande
copine de jeu s’appelait Bout d’chou. Une fille du Sud de
mon âge, au teint foncé, et aux formes déjà généreuses.
Elle était magnifique, féminine, bien que cultivant le même
côté garçon manqué que moi. Sans être très riche, elle était
issue d’une famille plutôt aisée pour le quartier, et sa garde-
robe était bien plus fournie que la mienne. On se prêtait
nos vêtements, et si je n’avais pas grand-chose à lui pro-
poser, j’étais de mon côté ravie de pouvoir profiter de sa
penderie. Chez moi, l’achat d’un nouveau vêtement était
un événement rare. Je n’avais par exemple qu’une seule
paire de chaussures pour l’année scolaire, et il me fallait en
prendresoin.
Quand elle pouvait se le permettre, ma mère essayait
malgré tout de nous faire un petit cadeau. Je me rappelle
d’une fois où le lycée nous avait demandé d’acheter un
maillot jaune pour les cours de sport. Voyant une occasion
de me faire plaisir, ma mère m’avait offert celui des Lions
indomptables, l’équipe nationale de football du Cameroun.
J’étais folle de joie. Bien sûr, c’était une imitation de mau-
vaise qualité. Mais je m’en fichais. Je le portais pour le sport
bien sûr, et le gardais sous mes vêtements le reste de
la journée. Mes copains voyant bien que c’était une copie

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Maillot jaune

médiocre en profitaient pour se moquer de moi. Peu


importe. J’étais si fière. Fière de porter les couleurs des
Lions. Fière aussi du nom du joueur de l’équipe floqué à
l’arrière du maillot. Un détail qui avait sans doute échappé
à ma mère au moment de l’achat. C’était celui de l’étoile
montante de notre équipe nationale. Un jeune talent pro-
metteur, brillant, charismatique, dont le nom faisait déjà
rêver tout le pays. Un avant-centre comme le Cameroun
en attendait depuis le grand Roger Milla. Un garçon dont
le sourire charmeur affiché dans les journaux n’avait
pas échappé aux jeunes filles de mon âge. Un certain
Samuel Eto’o.
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II

LE DIEU DU STADE

Le lycée a vu naître la femme que je suis aujourd’hui.


J’ai commencé à me maquiller, à mettre du vernis, à
m’apprêter. Les premières bluettes de cour de récré n’ont
pas tardé. La situation financière du foyer s’améliorait, ma
mère complétant ses revenus d’institutrice en donnant des
cours du soir. L’année de mes seize ans, nous avons pu
acheter une télévision, l’une des rares du quartier, devant
laquelle s’agglutinaient nos voisins émerveillés. Les matchs
des Lions étaient toujours prétextes à de grands rassemble-
ments festifs autour du petit écran. Je n’en manquais pas
unemiette, haranguant lesjoueursdepuislecanapéfamilial,
vêtue de mon maillot fétiche. Samuel Eto’o, jeune recrue de
Majorque, était devenu le chouchou de l’équipe nationale
en participant à la victoire en 2000 de la Coupe d’Afrique
desnations, puisdécrochant lamédailled’or aux jeux olym-
piquesdeSydney.

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Mais même si le quotidien s’améliorait, nous étions loin


de l’opulence. Je poursuivais ma scolarité au lycée Général
Leclerc, le plus réputé de Yaoundé, le plus cher aussi. Ma
mère ne plaisantait pas avec les études et n’hésitait pas
à sacrifier confort et loisirs pour nous offrir la meilleure
éducation possible. Mes copains et copines de classe étaient
tousdesenfantsdericheshommesd’affaires, dehautsfonc-
tionnaires, ou de membres du gouvernement. Malgré mes
efforts, je ne pouvais pas m’aligner devant ce parterre de
vêtements de marques et de bijoux clinquants. Ce décalage
me frustrait. Ce n’était pas simplement de la jalousie, mais
un sentiment d’injustice; celui d’être différente des autres
parce que moins bien née. L’adulte que je suis devenue voit
les choses autrement, mais la jeune fille de seize ans que
j’étaissouffrait profondément decemauvaiscoup du destin.
Je n’avais pas l’argent, mais j’ai vite compris au regard
que les hommes portaient sur moi que je possédais un
autre atout pour me mettre au niveau de mes camarades:
ma beauté. En Afrique peut-être plus qu’ailleurs, donner de
l’argent ou offrir des cadeaux à sa bien-aimée est une pra-
tique courante et acceptée de tous. Il ne faut pas y voir une
version arriérée des relations homme-femme mais le poids
encore prégnant des traditions. Dans les villages, le verse-
ment d’une dot par la famille du mari à celle de son épouse
est encore très répandu. Cette coutume scelle l’alliance

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Ledieu du stade

entre les clans, mais témoigne aussi de la stabilité financière


de l’époux. La générosité des hommes envers leurs préten-
dantes est également le reflet du couple tel qu’il fonctionne
encore majoritairement dans les sociétés africaines: le mari
travaille et apporte le confort matériel, tandis que l’épouse
s’occupe du bon fonctionnement du foyer et de l’éducation
des enfants. Au stade du flirt, offrir des cadeaux à sa petite
amie s’inscrit dans une logique assez similaire, même si
l’intention est un peu différente. Il s’agit plus simplement
de faire plaisir à celle qu’on aime tout en donnant des gages
du sérieux dela relation.
À l’heure de mes premiers émois, ce genre de considéra-
tions m’importait peu. J’étais à un âge où l’attirance pour
l’autreétait laseuledonnéequi comptait. Mon premier petit
ami s’appelait Yannick. C’était un garçon du lycée. Il avait
un an de plus que moi. J’étais dingue de lui. Il venait d’une
famille aisée. Son père était directeur de la caisse de pré-
voyance sociale. Il me traitait comme une princesse, même
s’il n’avait pas suffisamment d’argent de poche pour me
combler : il me répétait à longueur de journées que j’étais
la plus belle, m’offrait parfois des chocolats, et ça me suffi-
sait. Et puis du jour au lendemain il m’a quitté pour une
autre, sans explications. J’étais dévastée. Ma peur panique
de l’abandon a refait surface. J’étais belle mais pauvre.
Aucun homme ne voudrait sérieusement d’une fille comme

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moi. Bout d’chou est venue à la maison pour me réconfor-


ter. «Tu nedevraispassortir avec cegenredegarçons. Ilsne
sont pas matures, ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils
ont. Tu es magnifique, tu peux te trouver quelqu’un déjà
installé dans la vie, quelqu’un qui saura vraiment prendre
soin de toi. » Ces paroles ont résonné en profondeur. Pour-
quoi se tourmenter ?Pourquoi laisser des hommes me faire
du mal ?Je neveux plussouffrir, jeneveux plusm’attacher.
C’est moi qui vais maîtriser le jeu. Profiter de ma beauté
pour profiter de leur argent. Et devenir la grande dame
enviable, désirable, àlaquellejeveux ressembler.
Cette volonté de m’affranchir de ma condition sociale a
entraîné une série de réactions en chaîne. Mes résultats
scolaires ont chuté au point de me faire rater l’examen
d’entrée en terminale. Je ne pensais qu’à sortir, m’amuser,
séduire. Je passais mes soirées en boîte de nuit à danser et
boire de l’alcool. J’avais encore du mal à m’imaginer sortir
avec un homme plus âgé, même si les opportunités com-
mençaient à se présenter. En attendant de franchir le pas,
je suis sortie avec un camarade de classe, Bollah, un garçon
de famille modeste comme moi. Mais, contrairement à
Yannick, il multipliait les attentions, n’hésitant pas à parta-
ger son argent de poche en deux pour mes beaux yeux. Il
m’offrait mon déjeuner, me payait le taxi pour rentrer chez
moi le soir. Mes nouvelles aspirations créaient des tensions

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avec ma mère. Je ne voulais plus rien faire à la maison.


Mes bulletins de notes catastrophiques l’inquiétaient, mais
au-delà, elle sentait bien que je tentais de m’extraire à tout
prix de mon milieu. Un soir, j’ai eu droit à un long ser-
mon. «Je me plie en quatre pour toi, mais apparemment
ça ne te suffit pas. On dirait que tu as honte de ta famille.
Quand tes amis viennent te chercher, tu ne les fais pas
rentrer à la maison. » Elle n’avait pas tort. Un soir, alors
que Bollah me ramenait chez moi, je lui avais ostensible-
ment refusé l’entrée de mon domicile. «Je n’ai pas envie
que tu t’aperçoives que mon quotidien n’est pas si rose. J’ai
peur que ça t’effraie et que tu me quittes. » Sa réponse m’a
prise de court. «Je viens du même milieu que toi. De quoi
as-tu peur ? On s’en fiche de tout ça. » Bollah et ma mère
avaient raison. Mais mon logiciel avait déjà changé. Je
voulais mener grand train, envers et contre tout.
Ma relation avec Bollah s’est poursuivie au gré de ses
attentions, toujoursplusnombreuses. À larentréedetermi-
nale, il m’a donné la moitié de l’argent que ses parents
lui avaient confié pour s’acheter des fournitures. J’ai aussi
profité des largesses d’un oncle éloigné, qui m’a acheté un
téléphone portable tout neuf, et m’a donné en plus cin-
quante ou cent euros. J’ai utilisé cet argent pour étoffer ma
garde-robe, m’acheter ma première paire de tennis neuve,
et un sac à main rutilant. En arrivant au lycée, parée de mes

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plus beaux effets, je me suis sentie au-dessus du lot, fière,


confiante. Je n’étais plus la gamine des quartiers, mais
unefemmedu monde. Jen’ai pastardéà êtresuiviepar une
petite cour d’admirateurs, à l’intérieur et à l’extérieur du
bahut. Conscient lui aussi de mon pouvoir grandissant
sur les hommes, mon cousin Dadou avait mis en place une
véritable stratégie d’extorsion pour prétendants naïfs. Il me
présentait à ses amis fortunés, nous laissait bavarder cinq
minutes, puis les prenait à part pour recueillir leurscompli-
ments sur ma plastique. Évidemment, le pigeon en profitait
pour demander mes coordonnées. «Tu veux son numéro ?
D’accord, mais ce n’est pas gratuit. » Nous nous partagions
ensuite le butin. Ce qui était d’abord un jeu est devenu une
véritable petite entreprise familiale. Inutile pour moi
d’embrasser, encore moins de coucher : la seule perspective
de pouvoir un jour me parler au téléphone suffisait à faire
passer le client à la caisse. Les prétendants se bousculaient,
dont certains affichaient une belle situation et des revenus
confortables. Lesvoir venir mechercher àlasortiedescours
avec leur grosse berline rendait mes copines de classe vertes
dejalousie. Et m’emplissait d’unefiertéinfinie.
Sans surprises, ma relation avec Bollah n’a pas survécu à
ce rôle d’appât permanent que je m’étais créé. Les sollicita-
tions ne manquaient pas, mais je n’avais ni l’envie ni le
courage, au fond, de sauter le pas vers une relation avec un

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Ledieu du stade

homme plus âgé. J’avais beau me prendre pour une grande


dame, jerestaisunelycéennededix-huit ans. Jevoulaisjuste
jouer avec la crédulité des hommes et en profiter pour me
faire plaisir. L’une de mes camarades de classe, Yolande,
n’avait pas ces réticences: elle était déjà passée à l’étape
supérieure. Nous nous sommes rapprochées au fil de
l’année scolaire. C’était sans aucun doute l’une des filles
les plus élégantes de l’établissement. Certaines de ses paires
de chaussures valaient à elles seules un mois de salaire de
ma mère. Je me prenais déjà pour une femme fatale, mais
à côté de Yolande, je passais pour une diva de carton. Elle
m’a vite remise à ma place. «Tu pourrais avoir beaucoup
plus de choses si tu sortais avec ces garçons au lieu de les
faire tourner en bourrique. Ils vont se lasser de tes
promesses, et tu n’auras bientôt plus rien. » J’en étais
consciente. Mais j’avais besoin de quelqu’un pour me faire
entrer dans la vraie cour des grands. Yolande l’a senti, et a
acceptéderemplir cettemission.
Mon initiation débute quelques jours plus tard. Yolande
m’invite à une après-midi shopping en vue de l’arrivée le
soir même d’un de ses amis, un Camerounais qui vit en
Suisse, et a flashé sur une photo de moi. Nous prévoyons
de nous retrouver en boîte plus tard dans la soirée. Après
nos emplettes au carrefour Bastos, un quartier chic de
Yaoundé, nous cherchons un bar pour papoter autour d’un

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RevengePorn

verre. Une grosse Mercedes s’arrête à notre hauteur alors


que nous nous apprêtons à traverser la rue. À son bord,
deux hommes bien mis, la trentaine, nous adressent la
parole. «Ça va les filles?Vous vous appelez comment ?» Je
reste muette, interdite. Yolande prend la situation en main
et sympathise tout naturellement avec le conducteur. Elle
m’impressionne. Je n’arrive pas à ouvrir la bouche. Mes
yeux sont fixés sur le passager, un très beau garçon, grand,
au teint clair. Les deux compères expliquent être cousins et
nous proposent de nous retrouver dans un bar du quartier
le temps de garer leur bolide. J’ai envie de m’enfuir mais
Yolande me convainc d’accepter, assurant que nous avons
du temps avant de rejoindre son ami plus tard dans la soi-
rée. En entrant dans le bar, les deux cousins sont déjà là.
Ils jouent au billard et n’ont pas l’air très habiles. On sent
qu’ils veulent nous impressionner. C’est raté. Yolande et
moi prenons une table, et commençons à nous plonger
dans la carte des cocktails. Nous n’en connaissons aucun,
et finissons par choisir un breuvage inconnu à base de lait.
La serveuse nous apporte une boisson tiède au goût amer
infect. Je lui demande des glaçons pour tenter de rafraîchir
la potion et la rendre buvable. La scène n’échappe pas aux
cousins, qui nous rejoignent hilares. Celui au teint clair dit
s’appeler Frédéric.
«Le cocktail vous plaît ?» demande-t il.

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Ledieu du stade

Je tente une moue blasée.


«Oui ça va. »
«Ah bon ? Tu es costaud. Parce que moi, je trouve ça
dégueulasse. Quand je vous ai entendues commander, je
me suis dit que vous alliez le regretter. Et je ne crois pas
m’êtretrompé. »
Frédéric est plié en deux. Son rire est communicatif.
Yolande et moi n’arrivons pas à nous retenir longtemps.
L’anecdote brise instantanément la glace. Frédéric me
demandemon âge. J’annoncevingt-troisans.
«Mais ton véritable âge, c’est quoi ?»
Je suis morte de honte. Il n’a pas cru une seconde à mon
mensonge.
«Dix-huit. »
Je suis démasquée en un clin d’œ il. Inutile de vouloir
«pipoter » davantage. Frédéric nous propose de venir dîner
chez lui. Sabonne, dit-il, s’occuperadu repas. Jecomprends
qu’il vit seul. Je me vois déjà chez lui, en épouse accomplie,
en train de m’occuper de la maisonnée pendant qu’il tra-
vaille. Jemevoisdéjà en femme. En vrai.
Ledîner est parfait, l’appartement magnifique. J’apprends
qu’il appartient à sa sœ ur, car lui vit et travaille essentielle-
ment en France. Je suis sous le charme. À vingt-neuf ans,
Frédéric a tout de l’homme posé, qui s’assume seul. Il parle
un français parfait. À la fin du repas, il propose de nous

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RevengePorn

déposer à la boîte de nuit. Je n’ai plus aucune envie de ren-


contrer l’ami suisse de Yolande. Au bout d’une heure sur
place, je rappelle Frédéric qui vient me chercher et suggère
de me déposer chez moi. Je n’ai pas envie qu’il voit la mai-
son de ma mère, mais je souhaite encore moins qu’il pense
que je le rejette. La vision de mon quartier ne paraît pas lui
déplaire. Notrehistoired’amour commence.
C’était la relation dont je rêvais. Même si Frédéric
travaille en France, il revient souvent au Cameroun. Il
m’apporte tout ce dont j’ai besoin. Il m’amène au lycée en
voiture, et vient me chercher le soir. Toutes mes copines
sont vertes. J’ai l’impression d’être une adulte. Je suis folle
amoureuse. Je le présente à ma mère et à mes frères, il
meprésenteàsasœ ur, Léonie. Unemèrecélibataireàlatête
de sa société d’événementiel et de communication. Une
femme forte, belle et autonome. Je l’admire. En l’absence
de son frère, je me rapproche beaucoup d’elle, à tel point
quej’emménage dansson appartement au bout dequelques
semaines. Frédéric n’y voit pas d’inconvénient, bien au
contraire. Nous sommes ensemble depuis trois ou quatre
mois, et déjà il répète à l’envi qu’il me demandera en
mariagelorsdeson prochain séjour àYaoundé. C’est rapide,
certes, maisl’osmoseest parfaite. Pourquoi refuser ?
Le mois de juin 2008 marque la fin de l’année scolaire.
Le bac approche alors à grands pas, mais les études ne

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Ledieu du stade

m’intéressent plus, au grand dam de ma mère. Tandis que


Frédéric passe l’essentiel de son temps en France, Léonie et
moi devenons plus complices que jamais. Elle met alors
un point final àson grand projet du moment : l’organisation
de la Nuit des stars. Ce grand gala prévoit de réunir la
crème des people d’Afrique de l’Ouest pour lever des fonds
au profit de la lutte contre le cancer. Pour cette troisième
édition, qui doit sedérouler à Abidjan, la listedesinvités est
déjà prestigieuse: le footballeur Didier Drogba, le Premier
ministre ivoirien Guillaume Soro, le chanteur congolais
Fally Ipupa. Mais Léonie voit plus loin, et veut s’offrir la
nouvelle star du foot camerounais: Samuel Eto’o. Le jeune
prodige est devenu une star du ballon rond, signant quatre
ans plus tôt un contrat de 24 millions d’euros avec le
FC Barcelone. Sa saison 2008 avec le club catalan est en
demi-teinte, l’équipe ne parvenant à décrocher aucun titre.
En revanche, il a brillé plus tôt dans l’année au côté des
Lions lors de la Coupe d’Afrique des nations. L’équipe
nationale du Cameroun termine deuxième de la compéti-
tion, Eto’o devenant au passage le meilleur buteur de
l’histoiredelaCAN avec seizebuts.
Eto’o n’est plusunestar camerounaisemaisunesuperstar
mondiale. Avec le Barça, il a déjà remporté deux champion-
nats d’Espagne et, surtout, la Ligue des champions en 2006
contre Arsenal. Tout le Cameroun l’adule, et au-delà, c’est

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l’Afrique entière qui célèbre l’avènement du prodige. Son


parcours rend le personnage encore plus attachant. Enfant
des rues, Samuel a atteint le sommet du football planétaireà
la force de son seul talent. Passé par une académie pour
sportifs de haut niveau à Douala, la deuxième ville du
Cameroun, il tentesa chanceà l’adolescencedans lescentres
de formation de grands clubs français, comme Cannes et
Saint-Étienne, maisn’est pasretenu. C’est finalement leReal
Madrid qui va flairer le bon coup, et lui offrir son premier
contrat à l’âge de quinze ans. Il faut attendre son passage
au club de Majorque, entre 2000 et 2004, pour voir éclore
le champion qu’il va devenir. Lors de sa dernière saison
avant son transfert à Barcelone, Eto’o permet à Majorque
d’atteindre les huitièmes de finale de la coupe de l’UEFA,
terminant meilleur marqueur de l’histoire du club avec
soixante-dix butsinscrits durant la saison. Depuis, et malgré
quelques pépins de santé, Eto’o est, avec son camarade du
Barça, Ronaldinho, célébré comme l’un des plus grands
avants-centresdesagénération.
Sa stature internationale rend toute tentative d’approche
difficile, même pour Léonie. Pourtant, la jeune femme ne
démarrepasdezéro. Ellepeut compter sur un réseau solide,
à commencer par le petit frère de Samuel, David, qu’elle
fréquente depuis quelques mois déjà. Mais la superstar
reste insaisissable. Nous sommes à une dizaine de jours de

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l’événement, prévu pour le 27 juin, et Léonie n’a toujours


pas réussi à caler une rencontre formelle avec celui qu’elle
entend désigner commeleparrain delasoirée. En attendant
le rendez-vous providentiel, l’organisatrice décide de se
rendre au stade pour distribuer quelques invitations de
dernière minute aux joueurs de l’équipe B des Lions
indomptables, présents ce jour-là pour une séance d’entraî-
nement. Connaissant ma passion du foot, elle me propose
de l’accompagner, ce que j’accepte. Nous entrons dans le
stadeAhmadou-Ahidjo deYaoundé, videdetout spectateur,
avant de gagner la tribune présidentielle, tout aussi déserte.
Sur la pelouse, l’équipe des cadets divisée en deux joue
contre elle-même. Rien de bien passionnant, même pour
une mordue comme moi. À mes côtés, Léonie et David,
le cadet de Samuel, observent la rencontre sans plus de pas-
sion. Le match touche à sa fin, lorsque j’aperçois Alexandre
Song surgir de nulle part et se diriger vers nous. Le milieu
défensif d’Arsenal vient tailler le bout de gras avec David
comme un vieux copain. Sa présence me surprend autant
qu’elle m’intimide. Mon cœ ur s’emballe. Des joueurs de
l’équipe A seraient-ils présents dans le stade?Je n’ose pas y
croire. David sait, forcément. Je lui pose la question sans
détour. «Oui, oui, AchilleEmanaest là. Et mon frèreaussi. »
Lesbattementsfrénétiquesdemon cœ ur setransforment
en galop. Samuel Eto’o. La star des stars. L’emblème d’un

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pays. Le héros de mon adolescence. Je n’ai pas le temps


de réaliser qu’il apparaît déjà, grimpant les escaliers dans
notre direction. Lui et ses coéquipiers ont regardé le match
quelquesmètresplusbas, danslestribunesspectateurs, hors
de notre vue. Je le dévisage comme on scrute un tableau de
maître. Il est habillé du survêtement jaune et vert des Lions.
Moins sexy tu meurs. À cet instant, je suis d’ailleurs loin de
porter sur lui le regard d’une femme séduite. Je suis juste
une gamine émerveillée par la vision d’une légende vivante.
Léonie, qui espérait secrètement croiser son chemin, sejette
sur l’occasion et lui fait signedes’approcher denous.
«Léonie?Comment vas-tu ?»
J’ai le souffle coupé. Je veux à tout prix garder mon
sang-froid. Ne surtout pas montrer que je suis en train de
défaillir. Je rassemble toutes mes forces pour contenir l’état
de surexcitation qui est le mien. Non, ne fais pas ta grou-
pie, ce serait ridicule. Je reste assise là, faussement indiffé-
rente, le regard vide, tenant le sac de Léonie en attendant
qu’elle termine sa conversation. Cinq secondes plus tard, je
l’entends m’appeler. Je me retourne. Ils sont là, à deux
mètres de moi. Léonie veut sûrement récupérer son sac
pour en sortir l’invitation destinée à Samuel. Je le lui tends
en évitant soigneusement le regard du numéro 9. Rien n’y
fait : j’aperçois sa main qui se dirige vers la mienne. Impos-
sible d’y couper. Je la lui serre en fixant mes chaussures. Je

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sens ses doigts se refermer sur les miens. J’ai envie de


courir me cacher sous un siège. Il ne veut rien lâcher, et
continue de me tenir la main comme pour me forcer
à plonger mon regard dans le sien. Mon flegme apparent
va devenir suspect. Je cède. Son visage s’illumine. Pas un
«bonjour », pas un «ça va». Juste deux mots qui résonnent
encore en moi.
«Très belle. »
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III

CHAMBRE AVEC VUE

Je mentirais si je disais que cette première rencontre


furtive m’a laissée indifférente. Aussi fugace fût-il, ce bref
échange a été d’une intensité folle. Son compliment mon-
trait qu’il avait été séduit par mon physique. Mais son
regard était bien plus explicite encore. Sur le chemin de la
voiture, le sourire de Léonie est lourd de sous-entendus. Je
commence à me demander si m’amener au stade ce jour-là
n’était pas une stratégie pour décrocher la venue du héros à
son gala. En clair, j’ai l’impression d’avoir servi d’appât
pour que Samuel daigne enfin lui parler. Cette idée ne me
plaît guère. Dans la voiture qui nousramène chez Léonie, le
frère de Samuel paraît lui aussi étrangement satisfait de cet
après-midi en apparence sans grand intérêt. Il m’interroge
l’air denepasy toucher.
«Il t’a dit quoi mon frère?
– Rien. Il m’a justedit quej’étaistrèsbelle.

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RevengePorn

– Je connais bien mon frère. Il aime les belles femmes tu


sais. Jeneseraispassurprisquetu l’intéresses. »
J’ai du mal à réprimer un rire franc. Moi, j’intéresserais
Samuel Eto’o ?La bonne blague. Je ne suis qu’une jolie fille
parmi d’autres. Lui peut avoir les plus belles femmes du
mondeen claquant desdoigts. Et puis, hormismaplastique,
je n’ai strictement rien à lui offrir. Quel intérêt de me
choisir, moi, une gamine des quartiers de Yaoundé qui
sort à peine de l’adolescence? Nous vivons dans deux
mondessi différents. Laperspectivedemeretrouver un jour
dans les bras de Samuel Eto’o me semble relever de la
science-fiction. Et quand bien même, ma relation avec
Frédéric m’apporte tout le bonheur dont je peux rêver. Je
n’ai aucuneenviedeletromper, mêmeavec lastar desstars.
Non, franchement, tout çaest ridicule.
La journée touche à sa fin. Nous rentrons tous les trois
chez Léonie. David insistepour rester dîner. J’ai ladésagréable
impression qu’il veut mecuisiner. Au milieu du repas, Léonie
reçoit un appel, et quitte la table quelques instants. À son
retour, ellemedemandedelasuivredanssachambresousun
prétextebidon. Puism’annoncedebut en blanc:
«Coucou veut ton numéro. »
Je savais que Coucou était le surnom que Léonie avait
donné à Samuel. Je n’ai jamais su d’où venait ce sobriquet
– de l’oiseau ?– mais il le détestait.

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Chambre avec vue

«Eto’o?»
Cette question de pure forme vise à me laisser deux
ou trois secondes avant une réponse qui, je le sens, aura
de lourdes conséquences. Finalement, ce micro-instant de
réflexion ne sert à rien. Tout se bouscule dans ma tête.
L’immense fierté que je ressens. L’honneur presque. Et puis
l’inconnu, la peur. De quoi ? Je ne sais pas trop. Et enfin
le visage de Frédéric, familier, protecteur, rassurant. J’ouvre
labouchemaisrien nesort. Léonieprofitedecemoment de
flottement pour m’imposer saréponse.
«Ça ira, va. On va lui donner ton numéro. Il t’appellera
pour te saluer, peut-être pour t’inviter quelque part. Tu as
ta vie, il a la sienne. Ne t’inquiète pas. C’est un homme
correct. »
Je sens mes défenses tomber. Ce qu’elle me dit n’a en
réalité aucun impact sur moi. C’est un constat tout bête qui
me fait vaciller : Léonie est la sœ ur de mon compagnon.
Pas une simple amie, mais sa sœ ur. Comment pourrait-elle
me jeter dans les bras d’un autre? Comment pourrait-elle
manigancer contre la chair de sa chair ?
Cette pensée me convainc plus que n’importe quel argu-
ment. Je n’ai aucune raison d’avoir peur et je donne mon
accord à Léonie. Je m’aperçois que c’est inutile, elle lui a
déjà donnémon numéro.
«Il t’appellera plustard dansla soirée, me dit-elle.

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– D’accord. »
Au fond de moi, je ressens une profonde excitation.
Mais je ne veux pas laisser cette sensation m’envahir. Il n’y
a rien entre Samuel Eto’o et moi. Il n’y aura jamais rien.
Et c’est tant mieux, car je suis heureuse avec mon ami. Je
me répète ces phrases en boucle pour qu’elles prennent
le dessus sur mes émois naissants.
Samuel ne m’appelle pas ce soir-là. Il attend le lende-
main. Je reçois son coup de fil – en numéro masqué – en
toute fin d’après-midi. Jesuis seulesur lebalcon de l’appar-
tement que je partage avec Léonie. Je viens tout juste de
raccrocher aprèsunelongueconversation avec Frédéric, qui
setrouve encoreen France. Bien queje n’aiepasla moindre
arrière-pensée, et sans que je ne me l’explique vraiment,
cettecoïncidencem’embarrasseun peu.
«Bonjour Nathalie, c’est Samuel. Tu vasbien ?
– Bonjour Samuel. Oui, et vous?»
Impossible de le tutoyer. Dans les églises comme dans
nos prières, on n’hésite pas à tutoyer Dieu. Mais Samuel
Eto’o ? Non. Cet excès de précaution installe une distance
qui l’embarrasse. Je consens à faire un effort.
«Ça fait quelquesminutesquej’essaiedet’appeler maistu
étaisen ligne… » glisse-t il, l’air presque soucieux.
– Oui. J’étaisavec mon copain. »

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Voilà. Les choses sont claires. Mon premier véritable


échange avec Samuel commence par une mise au point. Je
ne veux pas laisser s’installer la moindre ambiguïté. Cette
révélation m’ôte un poids du ventre. Elle n’a pas échappé à
mon correspondant.
«Tu asun copain ?me lance-t il.
– Oui, oui. Tu nesavaispas?Léonienet’a pasdit ?
– Non, ellenem’a pasdit ça, maisbon. Ça nefait rien. »
Je n’ai pas envie d’épiloguer sur ce thème. Peut-être le
sent-il ? Il prend soin de changer de sujet. La discussion
reprend sur nos occupations respectives. Mes cours au
lycée, son stage avec les Lions. On se parle comme de vieux
copains. J’avoue y prendre du plaisir. À la fin de la conver-
sation, Samuel me confirme qu’il sera le parrain de la Nuit
des stars, qui approche à grands pas, et me demande si j’ai
l’intention d’y aller. Je lui réponds que, pour l’instant,
Léonie ne m’a pas invitée, et qu’à dire vrai, je ne vois pas
ce qui justifierait la présence d’un quidam comme moi à ce
grand raout.
«Comment ? Mais non. Il faut que tu viennes»,
balaye-t il.
Sa phrase sonne comme une injonction. Je comprends
vite qu’il n’a pas l’habitude qu’on lui refuse quelque chose.
Il a le pouvoir, la célébrité, l’argent. Personne ne lui résiste,
et certainement pas les femmes qu’il convoite. Mais c’est

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aussi quelqu’un de fier. Certaines superstars sans orgueil


jouent de leur aura, ou allonge les billets pour vaincre les
résistances. Samuel est différent. Il n’achètepas.
On se quitte sans se donner de rendez-vous précis.
Ni au Cameroun, ni à la Nuit des stars, ni ailleurs. Mes
louvoiements ont dû l’inciter à la prudence. Nous avons
simplement convenu de nous revoir bientôt. De mon côté,
jesuisrassurée. Samuel s’est comportéen parfait gentleman.
Si jel’intéressevéritablement au-delàd’unerelation amicale,
il n’en a rien laissé paraître. Je commence à me demander
si David et Léonie n’ont pas pris leurs désirs pour des réali-
tés. Nulle déception dans ce constat, au contraire. Je suis
amoureuse de Frédéric, et je n’ai aucune envie de devoir
éconduireun monument delastaturedeSamuel Eto’o.
En raccrochant, je me dis qu’il y a certainement matière
à construire une ébauche d’amitié. Je me rue sur Google
pour lire tout ce qu’Internet propose sur Samuel Eto’o. Je
veux tout savoir, savie, sacarrière. Saviesentimentaleaussi.
Ce dernier point m’intrigue, sans m’obséder pour autant.
Bizarre: aucune des milliers de pages qui lui sont dédiées
ne renseigne avec précision sur sa situation sentimentale.
Marié, célibataire, divorcé?J’aperçoisça et là quelquespho-
tos et noms de femmes qui semblent avoir partagé sa vie.
Maisrien desolideou d’actuel. Dont acte.

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La Nuit des stars a lieu une dizaine de jours plus tard.


Léonie me demande officiellement de venir assister à la
soirée. J’accepte avec joie, mais Frédéric, lui, n’est pas très
«chaud » à l’idée queje m’y rende. La présence decentaines
d’hommes séduisants et endimanchés ne le rassure guère. Il
n’imagine pas que mon amour pour lui est tel que même
les avances à peine voilées de Samuel Eto’o en personne
m’indiffèrent. Je me range à sa décision, mais Léonie, ne
l’entendant pas de cette oreille, finit par convaincre son
frère du bien-fondé de ma participation. Elle lui explique
qu’elle aura sûrement besoin de mon aide pour l’organisa-
tion desfestivités.
La veille de la cérémonie, le président de la Côte d’Ivoire
Laurent Gbagbo affrèteun vol spécial pour lesorganisateurs
et les VIP de la soirée. Je suis d’autant plus excitée que je
suis entourée de membres éminents des Lions, comme
Rigobert Song et son neveu Alexandre. À bord, je m’assois
avec Léonie et David. Frédéric, qui était en France et devait
nousrejoindredirectement à Abidjan, a ratéson vol à Paris.
Impossible de trouver une nouvelle réservation avant la
soirée, tout est complet depuis des semaines. Je suis déçue,
maisjen’en laisserien paraîtrepour nepasgâcher la fête.
Sur place, Léonie a réservé des dizaines de chambres
dans deux hôtels différents: le Méridien, un établissement
très chic pour les stars, et un autre moins huppé pour la

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famille et les amis, où j’ai prévu de résider. Mais arrivée


à l’accueil, la concierge ne trouve pas ma réservation. J’en
parle à Léonie qui m’explique que je suis logée avec elle au
Sofitel. Je suis agréablement surprise. Je suppose qu’elle a
changé ses plans pour m’offrir un lot de consolation après
l’actemanquédeFrédéric.
Le séjour se passe merveilleusement. Le premier soir,
nous dînons dans un grand restaurant privatisé par Didier
Drogba. Samuel arrivelelendemain après-midi, jour du gala.
Léonie part le chercher à l’aéroport et le ramèneà son hôtel.
Elle m’a chargée de jouer les chaperons auprès des invités,
afin de s’assurer qu’ils ne manquent de rien, et qu’ils res-
pectent le planning serré de la journée. Parmi les tâches qui
me sont confiées, je dois veiller à ce que les VIP descendent
à l’heure de leur chambre pour rejoindre le convoi qui les
amènera au Palais des congrès. Je prends mon rôle très au
sérieux. À l’heure dite, tous les invités sont rassemblés dans
le hall, prêts à partir. À une exception près. Samuel Eto’o se
fait attendre. Je suis censée sonner la charge en téléphonant
directement dans sa chambre. Mais je n’ose pas. Comment
pourrais-je sermonner Dieu ? J’attrape Léonie au vol, qui
me convainc de sauter le pas. Je demande à la réception de
joindre sa chambre pour moi, mon mobile camerounais
ne fonctionnant pas à Abidjan. J’ai pris soin de répéter mon

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texte à l’avance pour paraître le moins offensant possible,


maisjenesuispastranquillepour autant.
«Allô Samuel ?C’est NathalieKoah. Voilà, je…
– Nathalie?C’est toi ?Tu tombesbien, jetecherchais.
– Pardon ?
– Oui, j’essaiedetejoindresur ton portable, maisjetombe
chaque foissur ton répondeur. »
Je me demande ce qu’il mijote. J’imagine qu’il a besoin
de quelque chose en prévision de la soirée. Un nœ ud
papillon ?Un bouton de manchette?Même si c’est pour lui
rendre service, j’avoue me sentir un peu flattée de l’intérêt
qu’il me porte.
«Oui, mon téléphone ne fonctionne pas en dehors du
Cameroun, lui dis-je.
– C’est parce qu’il faut le régler en mode “roaming” »,
glisse-t il sur un ton amusé.
Je me sens bête. Ce détail trahit ma jeunesse une fois
de plus. Je me ressaisis, n’oubliant pas l’objectif premier
de mon appel.
«Je m’en occuperai, mais en attendant, Léonie m’a
demandé de tedirequetu esdéjà un peu en retard et…
– D’accord. Monte.
– Je monte? Ou c’est toi qui descends? Parce que ton
chauffeur est là et…
– Non, non, monte. »

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Je ne comprends pas le but de la manœ uvre, mais je


n’ai pas le temps de me poser des questions. Je file vers
l’ascenseur à grandes enjambées. En sortant de la cabine, je
vois une jeune femme quitter précipitamment la chambre
de Samuel. Je la reconnais: c’est Teeyah, une chanteuse de
zouk franco-ivoirienne très populaire en Afrique franco-
phone. Je tourne le regard et j’aperçois le footballeur
quasi nu, vêtu d’un simple boxer, dans l’encadrement de la
porte. Son sourire trahit sa gêne. Il ne s’attendait pas à ce
que je monte aussi vite. En clair, il n’avait sans doute pas
prévu que j’assiste au départ précipité de son invitée. Il faut
être naïf ou stupide pour ne pas deviner ce qui vient de se
dérouler ici. Je m’approche de lui sans laisser paraître mon
embarras, maisc’est lui qui m’adressela parole.
«Ça va Nathalie?Alorsdis-moi, qu’est-cequi sepasse?
– En fait, commejetedisaisau téléphone, tu esattendu en
bas. Ceserait bien quetu t’habillesrapidement.
– OK, d’accord. Heureusement quejemesuisdéjà douché.
Jedoisdescendredanscombien detemps?
– Dansdix minutesmaximum, s’il teplaît.
– D’accord. »
Il est agité, un brin nerveux, presque essoufflé. Il reste
immobile, me fixe du regard comme s’il cherchait un pré-
texte pour me retenir. De mon côté, je n’ai aucune envie de

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Chambre avec vue

prolonger ma visite. Je dois trouver un moyen de prendre


congé sans le vexer.
«Il y a d’autres invités qui pourraient avoir besoin de moi
en bas. Jevaisredescendre, OK ?
– OK. »
En me dirigeant vers l’ascenseur, je me demande pour-
quoi il a tant insisté pour me faire monter. Ça n’a servi à
rien, si ce n’est à faire de moi un témoin forcé et gêné de
son intimité. Je trouve l’épisode un peu navrant, mais la
mission qui est la mienne me fait vite oublier l’anecdote.
Samuel apparaît finalement en smoking dans le hall de
la réception dans les délais promis. Je le fais monter dans
la voiture qui lui est dédiée, et donne le top départ au
cortège qui s’ébranle dans la nuit tombante.
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IV

LIONNE INDOMPTABLE

La Nuit des stars est une réussite. Sur la scène du Palais


descongrèsd’Abidjan, numérosd’artisteset défilésdemode
se succèdent, sous l’œ il bienveillant de Léonie. Parrains du
gala, Didier Drogba et Samuel font une brève apparition en
début et fin de cérémonie. Pendant le reste de la soirée,
l’attaquant de Barcelone et moi sommes assis à deux tables
différentes. Je repense à l’étrange épisode de l’hôtel, cette
conversation impromptue avec le grand Samuel Eto’o
habillé d’un simple boxer dans l’encadrement d’une porte.
Surréaliste. Et quel embarras! Je me surprends à sourire en
merepassant lefilm.
Samuel et moi n’avons pas de contacts durant les festi-
vités. Entre deux tours de chant, je tente d’accrocher son
regard sans y parvenir, et sans trop savoir pourquoi. Une
fois la soirée terminée, le footballeur s’éclipse. Je reste
avec Léonie et ses équipes pour débriefer le déroulement
du gala. Pendant les échanges, le téléphone de Léonie se

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met à sonner. Elle bavarde quelques secondes avec l’inter-


locuteur puis me tend l’appareil.
«Nathaliec’est Samuel. Écoute, jedoisprendreun vol pour
Barcelone. Jet’appelleplustard. D’accord ?
– D’accord. »
Encore une fois, j’ai du mal à saisir le but de notre
échange. Maisjedoisavouer quejesuisheureusequ’il pense
à moi. L’absence de contacts, même téléphoniques, depuis
la scène de l’hôtel commençait à me travailler. Avais-je
gaffé?L’intérêt qu’il semblait meporter s’était-il évaporéen
quelquesheures?Cesinterrogationsmefont réaliser l’ambi-
guïté danslaquelle jem’enfonce peu à peu. Je n’attendsrien
de cet homme et, en même temps, j’ai déjà peur qu’il
m’échappe.
Léonieet moi rentronsau Cameroun lelendemain. Nous
profitons des vacances d’été qui débutent pour passer
quelques jours chez sa mère à Douala. Je me suis inscrite
dans une auto-école de la ville avec leprojet de décrocher le
permis pour la rentrée. Mes journées sont rythmées par les
leçonsdeconduiteet lesappelsdeFrédéric, toujoursbloqué
par son travail en France. Je lui raconte la Nuit des stars,
mon rôle de nounou improvisée, les strass, les paillettes,
mon bonheur d’avoir pu approcher de près des célébrités
du sport, des médias, de la politique. Je lui répète que
j’aurais aimé qu’il soit là, près de moi. Bien sûr, je brûle

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d’envie de lui raconter ma rencontre avec Samuel Eto’o,


nos coups de fil improbables, l’anecdote de l’hôtel. Mais
je n’y arrive pas. Chaque fois que je m’apprête à évoquer
le sujet, quelque chose m’empêche de prononcer le nom de
Samuel. Ce non-dit me met à mal à l’aise. J’ai peur que ces
révélationsamènent Frédéric àavoir dessoupçonsinfondés.
J’ai surtout peur de ne pas arriver à le convaincre qu’il se
trompe. Ma conscience, jusqu’ici en paix, commence à
me tourmenter. Car au-delà du récit de nos échanges inno-
cents, comment lui expliquer que nous avons échangé nos
numéros et que j’attends un nouvel appel de lui d’un jour à
l’autre?Serais-je, au fond de moi, attirée par Samuel Eto’o ?
J’osel’envisager pour lapremièrefois.
Samuel tarde à me rappeler. Cette attente me frustre
terriblement. Ce n’est qu’après cinq jours de silence que le
coup de fil tant espéré arrive.
«Désolé dene past’avoir rappelée plus tôt, commence-t il.
Jesuisen vacancesà Miami. Avec ma famille.
– Cettedernièreprécision mefait l’effet d’un coupdemassue.
– Tu asunefamille?Tu esmarié?
– Non, non jenesuispasmarié. Maisj’ai desenfants.
– Ah bon ?Maistu n’espasmarié avec leur mère?
– Non. Maison s’en reparlera. »
Il botte en touche. Cette dérobade trahit son malaise.
J’ai envie de tout savoir tout de suite. L’inversion des rôles

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est frappante: c’est maintenant moi qui suis en demande.


Je ravale ma frustration et remets mes interrogations à
plus tard pour ne pas laisser transparaître mon trouble. Il
reprend la parole et change de discussion.
«Tu esoù là?
– À Douala, chez ma belle-mère.
– Ta belle-mère?Tu esmariée?
– Non, non, chez la mèredemon copain quoi. »
Nous partons dans un grand éclat de rire. Ce jeu du
chat et de la souris vaut tous les aveux. Nous sommes en
train de nous chercher, de nous séduire. Inutile de formali-
ser ce constat avec des mots. Au fond de nous-mêmes,
noussavons.
«Tu asdesvisaspour l’Europe?reprend-il, l’air de ne pas
y toucher.
– Non. Pourquoi ?
– Mes enfants vont poursuivre leurs vacances aux
États-Unis, mais moi je dois rentrer à Barcelone pour
reprendre les entraînements. Et je serai seul. J’aurais bien
aiméque tu viennes passer quelques jours là-bas avec moi.
C’est dommage.
– Oui, c’est bête. »
Nous raccrochons avec la promesse de nous rappeler
bientôt. Je reste un moment immobile. Sa proposition et
ma molle déclinaison pour des raisons purement adminis-

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 49/223

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tratives ne constituent pas simplement une étape de fran-


chie dans notre relation naissante. C’est sa première pierre.
Le point de départ qui scelle l’attirance mutuelle que nous
avons l’un pour l’autre. Les jours suivants confirment que
nous sommes passés du tâtonnement puéril à la parade
amoureuse. Lesappelssefont quotidiens. Il metéléphonele
matin au réveil, entre deux entraînements, le soir avant de
se coucher. Nos discussions durent des heures, et balaient
les événements de la journée passée ou à venir. Aucun mot
doux, aucune allusion, aucun sous-entendu. On parle de
tout et de rien, comme deux vieux camarades de régiment.
Seule ma relation avec Frédéric est un sujet tabou. Ce souci
mutuel de ne pas franchir la ligne rouge me permet de
garder la conscience tranquille vis à-vis de mon compa-
gnon. Mon cœ ur a déjà basculé mais ma tête refuse encore
d’affronter lavérité.
Cette apparente sérénité intérieure fait que je ne vois
pas d’inconvénients à confesser l’existence de ces appels
répétés à Léonie. Au contraire, j’y vois l’occasion de me
rassurer sur ma probité. Qu’y a-t il de mal à téléphoner à
un ami, même plusieurs fois par jour ?Elle n’y trouve rien
à redire sur le fond, mais se vexe que Samuel ne daigne
pas répondre à ses appels lorsqu’elle-même lui téléphone.
Je décide qu’il est désormais préférable que je garde nos
conversations secrètes. Les semaines passent. Les coups de

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fil se font chaque jour plus nombreux, et les sujets abordés


toujours aussi futiles. J’aime sa voix douce, son franc-
parler, son humour ravageur. Son patriotisme aussi. Il n’a
jamais oublié d’où il venait, et l’actualité du Cameroun
le passionne. Le récit de son enfance me touche. Samuel a
connu la misère dans une famille nombreuse d’un quartier
pauvre de Douala. Il me décrit ces soirs où il se couchait
sans manger, ou ces vêtements rafistolés par sa mère à
l’infini. Il a très tôt voulu devenir footballeur mais n’avait
aucune connaissance de ce milieu ou des moyens de parve-
nir à percer. Sa mère a tout fait pour l’en dissuader, allant
jusqu’à le frapper pour qu’il abandonne ses rêves de sportif
de haut niveau. Lui n’avait qu’un seul atout pour s’en
sortir, la foi absolue en son talent. Pour s’évader de ce
quotidien, il se fabriquait des ballons avec trois bouts
de ficelle, et se régalait de beignets haricots lorsqu’il restait
de la monnaie après les courses. Ces anecdotes me rap-
pellent ma propre enfance, et contribuent encore un peu à
nous rapprocher.
Notre relation reste néanmoins parfaitement chaste et
virtuelle. Sans doute un peu échaudé par ma prudence,
Samuel ne réitère pas son invitation à venir passer du
temps chez lui en Espagne. De mon côté, je suis encore
trop attachée à Frédéric pour provoquer moi-même la ren-
contre. Ce statu quo dure si longtemps que mes projets

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avec mon compagnon reprennent comme si de rien n’était.


Pendant l’été, Frédéric s’installe vivre à Londres. Il veut
que je suive une formation d’anglais de six mois au Nigeria,
un pays anglophone, avant de le rejoindre dans la capitale
britannique. Notre mariage est lui aussi toujours d’actua-
lité: il a prévu que nous nous retrouvions au Cameroun
au mois de décembre pour sa demande officielle. Frédéric
veut fonder une famille et faire de moi une femme africaine
typique qui s’occupe de la maison et des enfants. J’ai du
mal à parler de ces plans de vie à Samuel. Au mois de
septembre, alors que je prépare mes valises pour le Nigeria,
je lui dévoile au téléphone les raisons de ce départ et les
intentions qu’il cache. Je le sens blessé mais il se garde bien
de l’avouer.
J’atterris à Lagos, la capitale, le lendemain. Le choix
de cette ville n’est pas un hasard, Léonie vient de s’y établir
avec Éric, son petit ami de l’époque. Ils ont gentiment pro-
posé de m’héberger le temps de ma formation. Frédéric
a tenu à être présent pour mon installation, et doit rester
sur place une semaine. Le soir de son arrivée, mon télé-
phone sonne alors que Léonie et moi sommes en train de
préparer lerepasdanslacuisine. Lenom deSamuel s’affiche
sur l’écran. Je suis pétrifiée. D’habitude, Samuel appelle en
numéro masquémaispas cette fois. Leportable est posé sur
le plan de travail lorsque la sonnerie retentit. Frédéric est à

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deux pas, en train de regarder la télé dans le salon. Je me


précipite sur l’appareil pour l’éteindre au moment où
Léonie tourne la tête dans ma direction. J’ignore si elle a
eu le temps de voir le nom affiché sur l’écran. Sa réaction
d’indifférence me laisse croire le contraire. Je profite d’un
moment de solitude plus tard dans la soirée pour envoyer
un texto au footballeur. Je lui demande de se faire discret et
de ne pas m’appeler à l’improviste jusqu’au départ de mon
compagnon. Mon messagerestesansréponse.
La journée qui suit est pour le moins étrange. Léonie
est partie le matin pour quelques jours au Cameroun.
Frédéric, lui, est alléchez lecoiffeur dansl’après-midi. Nous
avons prévu de nous retrouver tous les deux le soir pour
aller dîner puis sortir en boîte de nuit. L’heure tourne, et à
19 heures, jen’ai toujourspasdenouvellesdelui, tandisque
son portable est sur répondeur. Il finit par décrocher après
demultiplesrelances. Son ton est glacial.
«Jesuisencorechez lecoiffeur. J’arrivebientôt à la maison
et on va discuter. »
Je suis interdite. Cette phrase est un avertissement
universel de dispute à venir. Je crains de comprendre ce
qui s’est passé. Léonie a vu le nom de Samuel sur mon
téléphone, et s’est empressée d’aller tout raconter à son
frère. Je n’arrive pas à y croire. C’est elle qui m’a jetée dans
ses bras. C’est elle qui m’a demandé de l’appeler, qui m’a

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encouragée à débuter cette fausse amitié que je redoutais.


Comment pourrait-elle me trahir après avoir provoqué
cette rencontre?Jeme rassure en merépétant qu’à ce stade,
Samuel et moi n’avonsrien fait derépréhensible. Maisjesais
qu’aussi innocente soit-elle, cette relation téléphonique est
restée cachée par ma volonté. Frédéric y verra sans doute
matièreàsoupçons. Comment lui donner tort ?
En entrant dans l’appartement, mon compagnon est
aussi froid qu’au téléphone. Son teint est rouge écarlate. Il
donne l’impression d’une cocotte-minute prête à exploser.
Je sens qu’il se fait violence pour rester calme, et me
demande sans détour :
«Tu n’asrien à medire?
– À part quetu esbien coiffé, non.
– Tu es sûre? Écoute-moi bien. Je veux être avec toi, me
marier avec toi, fonder une famille avec toi. Mais si dès à
présent tu me caches des choses, je ne crois pas que notre
couple va seconstruiresur desbasessolides.
– Jenevoispasdequoi tu parles.
– Alorsjevaismecoucher. »
Je le suis des yeux pendant qu’il quitte la pièce. Il n’a pas
un regard pour moi. Jemesensterriblement honteuse, et en
même temps, je me répète que je n’ai rien à me reprocher.
J’ai envie de lui dire la vérité mais je n’ai pas le courage. Je
me sens à la fois dévastée par mes errements, et trahie par

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celle en qui j’avais le plus confiance. Mes pensées se bous-


culent. À ce moment, Éric fait irruption dans la maison. En
désespoir decause, jelui demandes’il sait cequi aprovoqué
lacolèredeFrédéric. Lecopain deLéoniem’avouetout.
«On a appris que tu entretenais une relation avec Samuel
depuisquatremois.
– Comment ?Maisqui vousa dit ça?
– C’est Samuel qui l’a annoncé lui-mêmeà Frédéric. »
Je ne crois pas une seconde à se scénario. Pourquoi
Samuel aurait-il lui-même vendu la mèche? Je persiste à
nier. Tant que je ne saurais pas qui dit la vérité, je me tiens
à cette ligne de défense. Je tente d’appeler Samuel, mais la
liaison est mauvaise. J’ai tout juste le temps de lui dire que
l’ambiance à la maison est délétère et je file me coucher
avec l’intention de tirer les choses au clair le lendemain.
Frédéric n’est pas dans notre lit, il est allé dormir seul dans
uneautrechambre.
Je ne ferme quasiment pas l’œ il de la nuit. À mon réveil,
vers 7 heures, l’appartement est vide. Seule la nounou des
enfants d’Éric, qui fait office de femme à tout faire de la
famille, est présente. Cette dernière propose de me déposer
chez lecoiffeur. Je la remercie et lui demande si elle a croisé
Frédéric depuiscematin. Ellemerépond qu’ellel’adéposéà
l’aéroport pour un vol à destination de Yaoundé une heure
plus tôt. J’hallucine. Je lui téléphone dans la foulée, mais je

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tombe sur sa messagerie. Je suis en train de le perdre. J’ai


envie de pleurer, de le rattraper, de m’excuser. Mais je ne
veux pas me laisser déborder par mes émotions. Je dois
d’abord savoir ce qui s’est tramé dans mon dos. J’appelle
Samuel qui tombe des nues et me jure qu’il n’y est pour
rien. Je n’ai pas de raisons de mettre sa parole en doute
puisque ces révélations mettent en péril le lien ténu que
nous avons tissé. Léonie rejette elle aussi toute responsabi-
lité, mais se montre moins bienveillante, en me reprochant
denepasêtreau clair avec moi-même.
Je tentede rester calme, de ne pas me précipiter. Je décide
de prendre le temps de réfléchir, et d’aller chez le coiffeur
pour m’aérer l’esprit. Sur le chemin, Samuel me rassure par
texto, me répétant que nous n’avons aucun reproche à nous
faire. Il me conseillede nepasparler la première, et de laisser
Frédéric dérouler ce qu’il sait pour ne pas trop en dire moi-
même. Jesouris en pensant que lesavocats donnent le même
genre de conseils aux délinquants en garde à vue. Mais j’ai
bien l’intention de m’expliquer, et de m’excuser, quand bien
même Samuel et moi n’avons fait que parler. Sur le chemin
du retour, je m’apprête à contacter Frédéric pour faire
amende honorable lorsqu’un appel devance mes plans. Sur-
prise: c’est mamère!
«Frédéric est là, à la maison. J’aimerais que vous vous
parliez. »

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Je sais qu’il m’en veut. Je sais aussi que je n’ai pas joué
franc jeu. Mais la méthode me déplaît. Pourquoi aller se
réfugier chez ma mère? Pourquoi la prendre à témoin de
nos problèmes de couple?Elle marque une pause et pour-
suit. Je sais ce qu’elle va me demander. Et je n’ai pas envie
de lui mentir.
«Frédéric me dit que tu es avec Samuel Eto’o depuis
quelque temps.
– On se parleau téléphonemaman. On est justeamis. On
n’est pasensemble. Jeteprometsquec’est la vérité.
– Ce n’est pas ce que Frédéric m’a dit. Il m’a raconté que
Samuel l’avait appelépour lui annoncer quevouscouchiez
ensemble. Et qu’en plus vous ne vous protégiez pas. Il est
trèsdéçu. »
Un hoquet de dégoût me soulève l’estomac. Entendre
ma pauvre mère répéter des mensonges n’est pas le pire.
C’est le niveau de détails que Frédéric, dans son délire, a
cru bon de lui confier qui me choque. Ma mère n’ignore
pas que j’ai une vie sexuelle comme toutes les filles de mon
âge, mais dans notre culture, ce ne sont pas des choses dont
nousdiscutons. J’ai l’impression d’être mise à nue – au sens
littéral – devant elle. Malgré nos disputes passées, maman
reste mon roc. C’est la femme la plus forte du monde.
Elle a élevé seule quatre enfants à la sueur de son front. Je
veux désormais la protéger à mon tour, qu’elle puisse avoir

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la paix et se reposer sur moi si besoin. Pas l’inverse. Elle n’a


pas besoin d’être mêlée à des querelles d’amants contrariés
aux relentsgraveleux.
La compassion que je ressentais pour Frédéric dispa-
raît en un éclair. Je jure à ma mère que cette histoire n’est
qu’un tissu de mensonges et demande à parler à Frédéric.
En deux phrases, j’exprimemon profond dégoût àl’homme
que j’ai tant aimé et met fin à notre relation. À cet instant,
je ne ressens ni soulagement ni tristesse. Simplement une
boule de colère brute. J’ai besoin de parler à Samuel. Il me
dit d’arrêter de me prendre la tête, de profiter de ma jeu-
nesse, de reprendre mes études. Il me parle d’Europe, de
voyages. Jeréalisequeledestin defemmeau foyer plan-plan
que me promettait Frédéric n’était peut-être pas celui dont
je rêvais. Le quotidien que Samuel me dépeint m’attire et
m’excite. Je n’ai que dix-neuf ans et le monde à découvrir.
Tel un avant-goût de cette vie qui s’offre à moi, la superstar
me propose de rentrer au Cameroun sans attendre, tous
frais payés, en business class. J’accepte immédiatement,
comme une façon de lui montrer que le temps des hésita-
tionsest révolu.
À Yaoundé, je retrouve ma mère et mon petit frère
Teddy. Nous déménageons dans la foulée dans une petite
maison d’un quartier plus tranquille de la capitale. Samuel

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est alorsàPariset m’annoncequ’il vient au Cameroun dans


quelquesjours.
«Je suis dans une boutique Guerlain. Tu veux quelque
chose?
– Oui, du maquillage, s’il teplaît.
– Jetepassela vendeuse, dis-lui cedont tu asbesoin. »
Je commence à goûter aux plaisirs que confère le statut
de femme de footballeur. Je ne suis plus traitée en adoles-
cente, comme avec mes premiers petits amis, ni en épouse
bien rangée, comme avec Frédéric. Cette fois, je suis une
diva. Quelle femme pourrait résister ?Le soir de son arri-
vée dans la capitale, Samuel vient me chercher à la maison
dans une Mercedes classe S rutilante. Il porte une tenue
décontractée, chemise et jean, et affiche ce sourire cra-
quant qui n’appartient qu’à lui. Il me demande s’il peut
entrer saluer ma mère, mais je lui réponds qu’elle est déjà
couchée. Il descend de la voiture pour venir m’ouvrir la
portière. Suprême élégance. Je sens mes dernières défenses
tomber. Je n’essaie plus de jouer les fausses indifférentes.
Mon regard sur lui n’est plus celui d’une groupie refoulée,
mais celui d’une femme séduite. Je ne vois plus la super-
star intimidante qu’il était jadis à mes yeux mais l’homme
charmant et attentionné que je convoite.
Nous dînons au Café de Yaoundé, un restaurant chic
mais sans excès. À aucun moment la conversation ne porte

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Lionneindomptable

sur la nature de notre relation. Mais son attitude avec moi


est clairement celled’un hommequi seconsidèreen couple.
Il me donne du «ma princesse», «ma poupée». Je n’ai plus
envie lutter. J’en ai marre de tout calculer. J’ai envie de lui
dire qu’il ma conquise mais je n’y arrive pas. C’est inutile:
il comprend par mes silences gênés et mes sourires équi-
voquesqu’il agagnélapartie.
Nous retrouvons ses amis au Katios, une boîte de nuit
branchée dont il est alors le copropriétaire. Ses gardes du
corps nous précèdent et font ouvrir les portes de l’établisse-
ment devant nous. À l’intérieur, touslesregardssetournent
vers Samuel. Les femmes le dévorent des yeux. Je me sens si
fièred’êtrelà, à sescôtés. Lesvigilesnousescortent jusqu’au
carré VIP où les serveuses sont à l’écoute de nos moindres
désirs. Mais il n’est pas capricieux. Il se montre respectueux
detous. De sesamisd’enfancedésargentés qui nousaccom-
pagnent au petit personnel, chacun a droit à un petit mot,
une attention, sans une once d’arrogance. Avec moi, il se
montre d’une galanterie de tous les instants, allant jusqu’à
tirer la chaise avant que je m’assoie. L’image d’un homme
à femmes vulgaire et gâté qui circule à Yaoundé vole en
éclats. Je me sens valorisée, importante à ses yeux comme
à ceux du reste du monde. Lui, qui peut avoir les plus
belles filles en un claquement de doigts, m’a fait la cour
pendant cinq mois sans rien recevoir en retour si ce n’est

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mes atermoiements. N’est-ce pas une preuve, sinon


d’amour, au moins d’une attirance réelle et sincère qui
dépassema seuleplastique?
À la sortie, gentleman jusqu’au bout, il me propose de
me déposer chez moi.
«On sevoit demain ?demande-t il.
– Non. Je veux rester avec toi. Je ne veux pas réveiller ma
mère. Allonspasser la nuit où tu veux. »
Samuel me ramène à l’hôtel Hilton où il réside pendant
ses séjours au Cameroun. Nous montons dans sa chambre
sans un mot, le regard fou de désir. La nuit s’étend, les
ultimes confessions intimes laissent place aux plaisirs char-
nels. Alors que je m’endors dans ses bras, au petit matin,
ma dernière pensée sonne comme une promesse de bon-
heur : je suis amoureuse de Samuel Eto’o.
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UN CHÂTEAU EN ESPAGNE

Cette première nuit de novembre 2008 me donne un


sentiment de paix intérieur. Mon histoire d’amour avec
Samuel vient de débuter, mais notre complicité n’est pas
neuve. M’abandonner dans ses bras n’est pas une opportu-
nité que j’ai saisie au vol mais l’aboutissement logique d’un
lien tissé jour après jour. Je ne suis pas la fan qui atterrit
dans le lit de son idole sur un coup de chance ou de tête.
Notre relation s’est construite dans la durée, la confiance et
lerespect mutuel.
Samuel se réveille avant moi. Je l’entends fouiller dans
ses valises lorsque j’ouvre les yeux. Il vient me rejoindre et
m’embrasse. «Tiens, ma petite femme se réveille», lance-
t il tout sourire. Ses mots qui me cueillent au pied du lit
agissent comme une vague de chaleur douce. Je commande
le petit-déjeuner – les beignets haricots de notre enfance –
pendant qu’il prend sa douche. En sortant, il me rejoint à

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RevengePorn

table, et medemandecequejecomptefaireaprèsmesplans
avortésau Nigeria.
«Je ne sais pas trop. J’ai envie de reprendre mes études,
maisoù ?Il faut quejeréfléchisse.
– Réfléchis. Et tu medirascequetu veux faire. »
Il m’explique qu’il a un déjeuner professionnel et pro-
pose qu’un de ses chauffeurs me ramène chez moi. Un
dernier baiser et je quitte la suite le cœ ur ragaillardi. La
Mercedes me dépose devant la porte d’entrée de la maison.
Ma mère, qui m’observe depuis la véranda, n’en perd pas
une miette. Suite à ma rupture avec Frédéric, je lui ai avoué
mon intention de fréquenter davantage Samuel. Elle n’a pas
cherché à m’en dissuader, et a même accepté de lui parler
au téléphone deux ou trois fois. Je lui confirme avoir passé
la soirée avec lui, sans entrer dans les détails. Son silence
complice vaut approbation. Mes deux petits frères, Teddy
et Fabrice, alors adolescents, entendent notre conversation
et se ruent sur moi pour recueillir mes impressions sur leur
héros. Le plus jeune, Teddy, douze ans, le plus mordu de
foot, est lepremier à mesauter dessus.
«Il est comment ?Il est grand?
– Pastellement. En tout cas, il est pluspetit qu’à la télé.
– Et il est gentil ? Il porte quoi comme chaussures? Il
mange quoi ?Tu lui as parlé de moi ? Tu lui as dit que je
jouaisau foot ?»

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Un château en Espagne

Son délugedequestionsmefatigueautant qu’il m’amuse.


Je lui dis que nous en parlerons plus tard, et lui fais
promettre solennellement, comme à Fabrice, de ne pas
s’épancher sur notre relation auprès de ses amis. Je ne veux
pas être l’attraction du quartier. Surtout, je ne veux pas que
Samuel pense que j’utilise son nom pour me faire mousser
auprèsdemon entourage. Jeconsidèrenotreamour comme
un bien précieux, mais encore fragile. Et je tiens à tout prix
à le préserver. La peur de l’abandon, que je traîne depuis
l’enfance, nem’ajamaisquittée.
Samuel est rentré à Barcelone. Les appels et échanges de
textos reprennent de plus belle, à raison d’au moins deux
coups de fil par jour, et un SMS toutes les demi-heures.
L’attaquant du Barça dispute alors deux matchs par
semaine: le mardi ou le mercredi en Champions League, et
leweek-end en championnat national. Laveilledesmatchsà
l’extérieur, il dort à l’hôtel, et nos conversations peuvent
déborder jusqu’au milieu de la nuit. Lorsqu’il joue, nous
privilégions les SMS. Cette boulimie de communication à
tout crin n’est pas toujours très utile ni constructive, mais
elle me rassure. Samuel a déjà fait preuve de la sincérité de
ses sentiments en patientant de longues semaines avant
de faire de moi sa «petite femme» comme il dit. Mais je
reste attentive aux suites de cette idylle naissante et au
sérieux de son engagement. Je ne veux pas être une fille

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RevengePorn

parmi d’autres ou son «plan » local lorsqu’il passe au


Cameroun. Cette insécurité est aussi liée à son mode de
fonctionnement à distance. Je peux lui envoyer des textos
quand je veux, mais il ne décroche pas quand je téléphone.
C’est toujours lui qui me rappelle. Je l’interroge plusieurs
fois sur cette curieuse habitude, lui demande quelle en est
la raison. Il ne répond jamais précisément, assurant qu’il
est leplussouvent occupélorsdemesappels, et qu’il est plus
simple pour lui de procéder ainsi. Son explication tient la
route. Un homme au sommet du foot mondial n’a pas le
tempslibred’unejeunefilleoisivededix-neuf ans.
La question de mon avenir professionnel, justement,
reste en suspens. En ce début décembre, l’année scolaire est
déjà trop avancée pour que je puisse rattraper un cursus en
cours. Samuel me conseille de prendre une année sabba-
tique pour réfléchir à ce que je veux faire, et être prête
pour les inscriptions du mois de juin. Je reste à la maison,
profitant de mes deux frères, de ma petite sœ ur encore en
primaire, et de ma mère. À chaque match de Samuel, la
famille se réunit devant l’écran pour acclamer notre cham-
pion. À la fin de la rencontre, Teddy lui téléphone pour
recueillir ses impressions. Jelesentends disserter desheures
sur la majesté de telle passe décisive, ou la pertinence de tel
carton jaune. Teddy n’hésite pas à solliciter son idole sur la
meilleure façon d’intégrer un grand centre d’entraînement

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 65/223

Un château en Espagne

le plus tôt possible. Samuel l’en dissuade, et tente de le


convaincre de se concentrer d’abord sur ses études. Le
message a du mal à passer auprès de mon cadet qui voit en
Samuel un modèle à imiter, quand bien même il ne partage
passon immensetalent.
Nous avons prévu de nous revoir à Yaoundé pour les
fêtes de fin d’année. J’attends ces retrouvailles avec impa-
tience. Lejour deson arrivée, il vient mechercher chez moi
et me propose d’emblée de l’accompagner dans un institut
de beauté où il a des habitudes. On ne peut pas dire que
c’est le programme dont j’avais rêvé. Sur place, il me pré-
sente son esthéticienne attitrée, une certaine Carine qu’il
dit connaîtredepuislongtemps. Jeremarquetout desuitesa
peau parfaite alorsquela mienneporteencorelesstigmates
de la puberté. Elle est grande, plutôt bien en chair. Tout le
contraire de moi. Pendant la manucure, ils bavardent et
rigolent comme deux vieux potes de chambrée. Leur
complicité m’agace un peu mais Samuel a pris soin de me
présenter comme sa «petite femme», coupant court à tout
élan de jalousie de ma part. Une fois les soins terminés, je
m’attends à aller dîner en tête à-tête avec mon amoureux
mais ce dernier propose à ma stupéfaction que Carine se
joigne à nous, ce qu’elle accepte. Mais de quel genre de
retrouvailles s’agit-il ?Je préfère ne pas relever. Notre rela-
tion est trop fraîche et mon bonheur trop parfait pour que

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 66/223

RevengePorn

j’émette des critiques. Après tout, ma réaction est peut-être


un peu égoïste: n’a-t il pas le droit lui aussi de profiter de
sesamis?
Au restaurant, les deux compères en goguette mono-
polisent la discussion. Je les observe en train d’enchaîner
sourires complices et private jokes sans que je puisse
véritablement m’intégrer à la conversation. J’ai l’impres-
sion d’être sur la touche, mais surtout victime de mon
jeune âge et de mon inexpérience de la vie en société. Je
reste prostrée, sans oser ouvrir la bouche ou donner mon
point de vue. Après le dîner, Samuel suggère que nous
allions en boîte. À nouveau, je m’attends à ce que l’esthéti-
cienne nous abandonne mais il n’en est rien. Cette fois,
les échanges entre eux se font plus intimes. Carine raconte
sa rupture avec une autre femme, et la difficulté qu’elle a
eue à s’en remettre. J’avoue être surprise de cette confes-
sion. Lorsqu’elle part aux toilettes, je profite de son
absence pour interroger Samuel.
«Ta copine est lesbienne?
– Non, elle est bi. Et d’ailleurs elle m’a dit que tu lui
plaisais.
Sa réponse me foudroie. Je commence à comprendre
le manège autour de moi mais je ne veux pas y croire.
Essaierait-il de me jeter dans ses bras? Je tente de faire
comme si cette révélation m’indifférait. Je dois être trop

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 67/223

Un château en Espagne

fleur bleue. Ce genre de pratiques est peut-être courant


à l’âge adulte. Ne fais pas ta vierge effarouchée. Pourtant,
la perspective de me retrouver dans un lit avec cette fille
me dégoûte. Je n’ai évidemment aucun grief contre
l’homosexualité. C’est juste que les femmes ne m’attirent
pas. Au-delà, je m’attendais à une soirée romantique, et
me voilà embarquée dans un plan où il est question que je
couche avec une autre personne que l’homme que j’aime.
J’enchaîne les coupes de champagne pour me désinhiber
et cacher l’émoi que je ressens.
La suite de la soirée renforce mes doutes sur le scénario
qui se prépare. Samuel propose cette fois que Carine nous
accompagne à l’hôtel, prétextant qu’il est trop tard pour
qu’elle rentre chez elle. Il est 4 heures du matin passé. Dans
le salon de la suite, d’autres bouteilles de champagne nous
attendent. Je me dirige vers la chambre pour forcer Samuel
à venir se coucher, en vain. Il me rejoint, et me demande
ce qui ne va pas.
«Je ne sais pas. Je pensais que Carine allait partir se
coucher maiselleest encorelà.
– On s’amuse un peu, c’est tout. Elle ne va pas tarder
à partir. »
Je suis rassurée, et en même temps j’ai peur de l’avoir
offensé. Je ne vois rien de tel dans son regard, plutôt
une sorte de tendresse. Je ne suis pas prête à ce genre

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 68/223

RevengePorn

d’excentricités, et il le sent. Je regagne le salon, constatant


que les deux amis continuent de boire et de rire. Je m’en
veux d’avoir voulu casser cette complicité à cause de
mon immaturité. Tout à coup, Carine se lance dans une
danse lascive sur un morceau à la mode de Lady Ponce.
Je la regarde avec admiration. J’aimerais être comme
elle, décomplexée, désinhibée, libre. Je voudrais qu’elle
me guide, qu’elle me fasse gagner en maturité, qu’elle
m’apprennelescodes de lavied’adulte. Je lui demandeson
numéro avec l’intention de la revoir. Elleaccepte avec plai-
sir et promet d’être là pour moi quand je le souhaite.
Samuel observe la scène avec une bienveillance teintée de
malice. Après le départ de Carine, nous nous endormons
enlacéssansplusdedébats.
La suite du séjour n’est pas beaucoup plus chaleureuse.
Dès le lendemain, je ressens le besoin de l’interroger sur ses
véritables liens avec Carine. Je soupçonne une ex, peut-être
même une amante régulière. Le fait qu’elle soit si différente
de moi me terrifie. N’a-t il pas, au fond, plus d’affinités
avec une fille comme elle? Sa présence était-elle vraiment
indispensable pour notre soirée de retrouvailles? Mon
inquiétudecommenceun peu àl’énerver.
«Écoute, c’est juste une très bonne amie que je ne vois
pas souvent. J’avais simplement envie de passer du temps
avec elle. »

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 69/223

Un château en Espagne

Je ne suis pas très convaincue par sa réponse mais je


ravale ma jalousie naissante. Je ne veux pas aller au clash. Je
tente de faire bonne figure au risque de ne pas paraître très
naturelle dans mon attitude. Nous nous voyons le soir, sans
grande passion, tandis que sa journée est consacrée à de
multiples rendez-vous auxquels je ne suis pas conviée. Le
quatrièmejour, il m’annoncequ’il vafinalement passer Noël
à Dubaï avec ses enfants et me laisse un peu d’argent pour
acheter des cadeaux pour toute la famille. Je suis inquiète.
L’idyllequi se profilait est en train detourner court. Je m’en
veux d’avoir joué les saintes-nitouches le premier soir. Je le
bombarde de SMSenamourés pendant son séjour à Dubaï.
Il me répond qu’il m’aime aussi et que je lui manque. Je me
raccroche à ces paroles pour tenter de positiver. Dans le
même temps, je me rapproche de Carine comme prévu. Je
passe la voir au salon, dans son appartement, et nous allons
faire du sport en salle ensemble. J’admire son caractère
enjoué et son indépendance. J’informe Samuel de chacune
de nos rencontres. Il se montre ravi de cette bonne entente
entrenous.
À son retour à Barcelone, la litanie des appels et desSMS
reprend de plus belle. Je suis heureuse de voir que les
liensnesont pasrompus, et laflammeen apparenceintacte.
Mais j’en attends plus. J’ai envie d’effacer le souvenir mitigé
de sa venue à Yaoundé. J’aimerais qu’il m’invite à passer du

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 70/223

RevengePorn

temps avec lui en Espagne. Il me dit que son agenda ne lui


permet pas de me faire venir dans de bonnes conditions
avant l’hiver. Je compte les jours jusqu’à la délivrance:
mi-février, il m’annonceenfin quemon visa m’attend. Mon
absence totale de situation professionnelle n’a pas été un
obstacle. Samuel se vantait régulièrement de pouvoir obte-
nir un visa sur commandevia son réseau et ses amitiésdans
les ambassades et consulats du Cameroun. Force est de
constater qu’il n’a pas exagéré. La nouvelle me rend folle de
joie. Je vais revoir Samuel, et visiter l’Europe pour la pre-
mière fois! Mon vol, via Paris, est prévu pour le soir même.
Pompidou, un proche de Samuel qui fait office d’homme à
tout faire pour ses affaires camerounaises, s’occupe de la
logistique. Je bourre une valise en trois minutes, entassant
petits hauts et robes courtes, sans me rendre compte que
l’hiver européen n’a rien à voir avec celui du Cameroun. Je
grimpedans un bus direction l’aéroport mais nous sommes
rapidement englués dans les bouchons. Je commence à
paniquer. Je demande au chauffeur de s’arrêter et de me
laisser prendre ma valise qui est en soute. Il refuse. Je ne
veux rater mon vol sous aucun prétexte. Je décide d’aban-
donner mes affaires et de partir avec un sac rempli d’un
jogging et d’une paire de tongs. Sur la route, j’attrape une
moto-taxi qui me permet d’arriver à temps pour l’enregis-
trement. Mais dans quel état ! La route poussiéreuse m’a

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 71/223

Un château en Espagne

totalement défigurée. Avant d’embarquer, je troque mon


jean et mesbottessalespour mon survêt et mestongs.
Quand j’arrive à Barcelone, le lendemain matin, Samuel
m’attend sur le parking de l’aéroport dans sa Mercedes,
accompagnéd’André, l’un desesamisd’enfancedevenu son
brasdroit en Espagne. Il entrouvrelafenêtreet m’observede
latêteaux piedsavant departir dansun grand éclat derire.
«Koah ! Tu esen tongs! »
Je me sens nulle. Il m’avait prévenue qu’il allait faire
froid mais je ne pensais pas à ce point. Je suis frigorifiée, et
j’ai l’air d’un indien dans la ville. Je lui raconte ma mésa-
venture du bus. Il n’arrive plus à s’arrêter de rire.
«Si tu avaisratéton vol, on temettait danslesuivant ! »
Ce moment de complicité réchauffe instantanément
l’atmosphère, et efface d’un coup de baguette magique les
doutes et les craintes emmagasinés depuis le séjour raté
de Yaoundé. La présence d’André nous empêche de rou-
couler, mais nos regards illuminés trahissent la joie de
ces retrouvailles. La voiture s’arrête en bas de l’hôtel Arts,
un établissement Spa somptueux du bord de mer. J’en
déduis qu’il n’est pas question que j’aille chez lui. Je ravale
ma déception. Je sais qu’il vit avec ses enfants, et, au fond,
je me doute bien qu’il a une compagne officielle. Mais
nous n’avons jamais abordé le sujet. J’ai eu mille fois envie
de le questionner, sans en avoir le courage. Et ce n’est

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 72/223

RevengePorn

certainement pas maintenant, alors que ce séjour tant


attendu s’ouvre sur un fou rire, que je vais prendre le
risque de tout gâcher.
Priorité urgente: j’ai besoin d’une garde-robe adaptée
au climat européen. Samuel part s’entraîner et me laisse
l’équivalent de 1500 euros pour acheter de quoi m’habiller.
André m’accompagne faire les boutiques. J’avance dans
la ville, surexcitée par le spectacle qui s’offre à moi. Tout
m’émerveille. Les routes immaculées, ces drôles de taxis
jaune et noir qui se ressemblent tous. J’écoute fascinée les
conversationsen espagnol despassantsdont jenecomprends
pas un traître mot. Je marche avec le portableen modevidéo
pour garder une trace éternelle de ce moment magique.
Après une heure de shopping, je pénètre dans ma chambre
d’hôtel à 600 euros la nuit les bras chargés de sacs. C’est le
deuxième choc. Tout est si grand, si beau, si neuf. J’ai l’air
d’une gamine devant un pot de glace. Je m’extasie de la
moindrepoignéedeporte, du moindrebout deplacard. Face
à la baie vitrée, je répète «Nathalie à Barcelone, Nathalie à
Barcelone», comme pour me convaincre que je ne suis pas
dans un rêve. J’appelle ma mère pour lui raconter en direct
tout ce que je vois, en vrac, sans filtre, en formant le vœ u
qu’ellepuisseelleaussi un jour vivreun tel enchantement.
Je bombarde Samuel de SMS reconnaissants. Je ne réa-
lise pas encore que les dépenses qu’il a engagées pour moi

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 73/223

Un château en Espagne

représentent une broutille par rapport à l’étendue de sa


fortune. À l’époque, son salaire au Barça est de 10 millions
d’euros par an. Mais l’argent ne fait pas tout. J’ai envie de
passer du temps avec lui. Je lui demande s’il a prévu de me
rejoindre après son entraînement. Il me répond que oui, et
qu’il va venir dîner à l’hôtel. Après le repas, on se pose,
enlacés, devant la télé. Je suis si bien dans ses bras. Il est
affectueux et attentionné comme au premier jour. En fin
de soirée, il regarde sa montre et siffle la fin de la récré de la
manièrela plusinattendue qui soit.
«La mèredesenfantsva partir dîner avec desamies, il faut
quejerentre à la maison m’occuper despetits. »
Ça y est. Le mystère est enfin levé. Je m’y attendais, et
pourtant, la petite phrase me fait l’effet d’un uppercut en
pleine face. J’ai envie de lui demander son nom, savoir à
quoi elle ressemble, s’il l’aime, depuis quand, comment.
Mais une fois de plus, j’encaisse sans broncher. Je dois
réagir comme une adulte, faire semblant de m’en foutre. Je
sais que toute question nous mènera au clash. S’il avait
voulu m’en parler, s’il était à l’aise avec le sujet, nous
l’aurions évoqué depuis longtemps. Je suis la maîtresse et le
resterai. Je dois apprendre à vivre avec cette idée. Il ne
m’appartient qu’à moitié. J’ai mal, mais je me tais. La pers-
pective de le perdre est une souffrance bien plus intense
encore. J’apprendrai plus tard dans la semaine, grâce à une

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 74/223

RevengePorn

indiscrétion d’André, que son nom est Georgette. Je ne


cherche pas à en savoir plus. J’ai déjà l’impression d’en
savoir trop.
Le séjour se poursuit sur le même mode intermittent.
Nous passons ici et là une soirée ou un bout d’après-midi
ensemble. J’essaie parfois de le retenir mais sans insister.
Il me répond simplement qu’on se reverra vite. Alors je
profite de chaque instant en sachant que le temps nous est
compté. Je fais la grande fille, insensible à cette situation
qui pourtant me dévaste. Je me raccroche à ces moments
certes furtifs mais qui n’appartiennent qu’à nous. Un soir,
après que j’ai dîné seule, il vient me chercher à l’hôtel
sans me dire où nous allons. Nous arrivons bientôt en bas
d’un immeuble superbe en plein milieu d’un quartier chic.
Il m’emmène dans les étages et ouvre la porte d’un somp-
tueux appartement. Au milieu du salon trône un immense
canapé beige. J’aperçois dans une vitrine des trophées
entassés et la photo d’un enfant. Je réalise d’un coup que
je suis chez lui. Ou plutôt chez eux. L’excitation laisse place
à un sentiment de malaise. J’ai envie de chercher des yeux
des photos de sa compagne mais je me retiens. Je ne me
sens pas à ma place. Samuel, lui, paraît très détendu.
Son téléphone sonne. Il s’éloigne. Je suis sûre que c’est elle.
J’ai envie de m’enfuir, alors qu’il considère sans doute
son initiative comme une preuve d’amour. Le moindre

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 75/223

Un château en Espagne

commentaire de ma part gâcherait tout et serait vécu


comme un affront. Quelques instants plus tard, il réappa-
raît comme si de rien n’était, et m’invite à entrer dans la
chambre à coucher. Je me laisse faire, pétrifiée. J’ai peur
qu’elle débarque d’une seconde à l’autre mais l’attitude
détachée de Samuel calme mes angoisses. En entrant dans
la chambre, j’aperçois un berceau à côté du lit, ajoutant la
honte à mon embarras. Il m’embrasse. J’essaie d’oublier où
je suis. Nous passons la nuit là, sans aucune allusion au
côté malsain de la situation. Le lendemain matin, dans la
salle debain, je tombe sur une pile de sous-vêtements fémi-
nins qui sèchent dans la douche. Le meuble du lavabo est
rempli de lotions de beauté pour femme. Elle est là, partout
autour de moi. Je me trouve sale mais je lutte de toutes mes
forces contre les remords. En quittant l’appartement,
j’essaiede laver mon esprit de tout sentiment de culpabilité.
Jen’ai pasdécidéd’être là. Jevoulaisjusteêtreavec Samuel.
Malgré mes efforts, cet épisode me plombe, d’autant que
les journées suivantes ne m’incitent pas à retrouver de la
gaieté. Je passel’essentiel demon temps à fairedu shopping
escorté par André, ou enfermée dans ma chambre d’hôtel
devant des programmes télévisés en espagnol qui me
restent logiquement hermétiques. Pire, lorsque je sors, j’ai
l’impression que tout le monde me dévisage en se disant
«cette fille-là en fait trop, on voit qu’elle n’est pas d’ici ». Je

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RevengePorn

mesensétrangèreàtout ça, àcetteviedefasteet deluxe. J’ai


besoin de retrouver un environnement familier. Une après-
midi, alors que Samuel vient me rejoindre pour une pause
tendresse, jem’en ouvreàlui.
«Tu sais, quand tu n’es pas là, ce n’est pas évident pour
moi. Je suis seule la plupart du temps, et je ne parle pas
espagnol. Si j’allais par exemple à Paris, je pourrais passer
du temps avec mes cousins, et toi tu pourrais faire un saut
detempsen tempspour mevoir. »
Je crains qu’il ne me prenne pour une ingrate. Il n’aurait
sans doute pas tort. Je scrute sa réaction avec inquiétude.
«C’est une bonne idée. Mes enfants sont bientôt en
vacances et j’avais de toute façon prévu d’aller à Paris.
Jeteprendsdesbilletset tu parsdemain. »
Il nes’en rend pascompte, maismaproposition est aussi
une forme d’acceptation de ma condition d’amoureuse
clandestine. Je ne l’aurai jamais pour moi toute seule, je ne
vivrai jamaisàsescôtés. Alorsautant installer dela distance.
Rien n’est pire que de le savoir là, à quelques kilomètres
de moi, sans pouvoir profiter de lui. À Paris, je ne serai pas
esclavede cetteattentepermanente. Jepourrai avoir unevie
en dehors de Samuel Eto’o, tout en restant liée à lui. Ce
n’est pas l’histoire d’amour dont je rêvais, mais je ne perds
pasdevuel’essentiel : c’est laseulequ’il est prêt à m’offrir.
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VI

LA PASSE DE TROIS

L’excitation ressentie en arrivant à Barcelone n’est rien


face à celle qui s’empare de moi lorsque j’atterris à Paris.
Paris! Je suis à Paris! Au diable les boutiques de fringues,
le Louvre, ou Saint-Germain-des-Prés. Moi, je n’ai qu’une
obsession : voir la tour Eiffel en vrai. En préparant le voyage,
Samuel m’avait demandé où je voulais résider. Il m’avait
révélé posséder un grand appartement boulevard Suchet,
dans le très chic XVI e arrondissement, où son voisin de
palier n’était autre qu’Arthur, le producteur et animateur
de télé. La suggestion était tentante mais je voulais d’abord
m’assurer d’un détail important.
«Dechez toi, on voit la tour Eiffel ?
– Non, maischez moi, c’est chic, avait-il répondu, un brin
vexé.
– Alorsnon. Jepréfèrealler à l’hôtel. »
En réalité, cette pirouette dissimulait mal mon renonce-
ment à devenir sa compagne officielle. J’étais la maîtresse,

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 78/223

RevengePorn

je devais donc loger à l’hôtel, comme toutes les maîtresses,


et y attendre la visite impromptue et clandestine de mon
amant. Au-delà, et même si l’appartement du boulevard
Suchet était moins une demeure de famille qu’une vaste
garçonnière, je ne voulais pas revivre l’épisode de Barcelone
et sentir le fantôme de Georgette flotter autour de moi.
À cela, s’ajoutait le plaisir égoïste de résider dans un bel
établissement : le room service, le personnel au petit soin,
le confort… Je veux bien renoncer à être la «légitime»,
mais je refuse de tirer un trait sur mon statut de princesse.
Carine m’avait parlé de son séjour au Concorde Lafayette
– renommé depuis Hyatt Regency – un hôtel quatre étoiles
de la porte Maillot où elle avait posé ses valises lors d’un
passage à Paris. Elle m’avait raconté la vue incroyable sur
la tour Eiffel depuis sa fenêtre. J’avais dit à Samuel qu’à
défaut d’avoir la même chambre, je voulais la même vue. Il
avait accepté sans poser de questions.
Serge, un des «hommes» de Samuel à Paris, vient me
chercher à l’aéroport. Il est 23 heures, il fait nuit depuis
longtemps, et le trajet entre Roissy et la capitale n’a de toute
façon rien de transcendant. Mais le simple fait de me savoir
danslavillelumièresuffit àmon enchantement. En arrivant
à l’hôtel, je réalise que le standing de la chambre est loin
de celui de ma suite barcelonaise. L’essentiel est ailleurs. En
ouvrant lesrideaux, jel’aperçoisimmédiatement, grandiose,

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La passedetrois

majestueuse, rayonnante: la tour Eiffel ! Je tressaille de


bonheur. J’ai besoin delefairesavoir. Sergemetend lacarte
Sim française qu’il a pris soin d’acheter pour faciliter mon
séjour. Mon premier réflexe est d’appeler au Cameroun
pour fairedesjaloux. Macibleprioritaire: Carine.
«Tu ne devineras jamais où je suis. À la Concorde
Lafayette!
– À la Concorde?Tu veux direau Concorde?
– Oui voilà.
– Pour la frimeon repassera. »
Jenesaispasquand et comment Samuel viendramevoir.
Ses deux frères vivent dans la capitale, tout comme nombre
de ses amis. J’ai envie de passer du temps avec lui. Il me
manque. Mon séjour à Barcelone a révélé une passion
intacte. Je le revois un matin, dans notre chambre, en train
defilmer avec mon portable mon premier petit-déjeuner de
star dans un grand hôtel. Mon regard pétillant se perdait
entrelesdélicesqui s’offraient àmoi et lavueépoustouflante
sur la Méditerranée. Je ne savais plus où donner de la tête.
«Nathalie Koah à Barcelone! » se moquait-t il, singeant
mon enthousiasme. Ces moments de complicité sont rares
mais si intenses qu’ils font de moi une femme capable
d’accepter des compromis contre tous mes principes. Moi,
Koah, la femme de caractère, belle et fière, qui mène la gent

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RevengePorn

masculine par le bout du nez, me voilà dans une chambre


d’hôtel parisien à attendre que l’homme aimé daigne se
montrer. Mais ici, cette attente paraît plus facilement sup-
portable. Je parle la langue parfaitement et sans accent ou
presque. Deux membres de ma famille vivent en France,
l’un en banlieueparisienne, l’autreàNantes, unevillequeje
ne connais pas. J’appelle ce dernier, un oncle dont je suis
proche, le lendemain de mon arrivée, pour savoir comment
jepeux lui rendrevisitelejour même.
«Tu ne te rends pas compte, Nantes est à deux heures de
train deParis», s’esclaffe-t il.
Paris n’est pas la France semble-t il. Forte de ce constat,
je me ravise et décide d’aller voir un de mes cousins à
L’Haÿ-les-Roses, à une poignée de kilomètres de Paris. Je
sors à peine de l’hôtel lorsque Samuel me téléphone.
«Je suisà Paris, m’annonce-t il.
– C’est vrai ?Comment ça?
– Jesuisarrivéaujourd’hui en jet.
– Où es-tu ?
– À l’hôtel. Maistoi, tu n’y espas. »
Le ton de cette dernière phrase n’est pas des plus chaleu-
reux et refroidit instantanément mes ardeurs. Je dois vite
rattraper lecoup.
«Mais je ne savais pas que tu étais là! Je suis à quelques
centainesdemètresdu Concorde. J’arrive.

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La passedetrois

– Non, cen’est pasla peine.


– Arrête, c’est bon, j’arrivejetedis. »
Je le sens en colère, pour la première fois. Je ne vois
pas ce qu’il peut me reprocher. C’est plutôt moi qui, à cet
instant, devrais lui faire un sermon. Il vient à Paris, et ne
prend même pas la peine de me prévenir. Manifestement,
je ne fais pas partie de ses plans initiaux. J’ai l’impression
d’être une sorte de pause-café entre deux rendez-vous. Je
fais demi-tour pour le rejoindre. Il est là, dans le hall de
laréception. Son regard accusateur confirmemon jugement
sur son état d’esprit.
«Tu allaisoù ?melance-t il sansautreformedepolitesse.
– Chez un cousin.
– Alors voilà, tu es à peine arrivée, et tu es déjà en train
de te balader par-ci par-là. C’est pour ça que tu voulais
venir à Paris en fait. Tu voulais voir des gens. Tu ne peux
donc pasrester en place?»
Je rêve. Il est en train de me faire une scène de jalousie.
À moi, celle qui doit rester dans l’ombre et accepter la
présence d’une autre femme dans sa vie. Pendant qu’il
passe l’essentiel de son temps avec Georgette, je vais sim-
plement rendre visite à un cousin, mais la coupable, c’est
moi. J’ai envie de pointer du doigt cette absurdité, mais le
voir s’énerver pour la première fois me fait l’effet d’un
anesthésiant. J’essaie de calmer le jeu.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 82/223

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«Écoute, je ne savais pas que tu étais à Paris, ça change


tout bien entendu. J’irai voir mon cousin uneautrefois.
– Non, tu peux y aller. De toute façon, j’ai prévu d’aller
dîner dehors.
– D’accord. »
Ma fierté reprend le dessus. Je tourne les talons et quitte
l’hôtel sans disserter. Cette fois, c’est moi qui suis en colère.
Le procès est d’autant plus grotesque qu’il se garde bien,
lui, de me dire où il va dîner et avec qui. Je me demande si
c’est une provocation de sa part, ou le signe qu’il considère
être libre de ses faits et gestes tandis que je me dois de lui
rendre des comptes. Il me rappelle quelques heures plus
tard alors que je suis chez mon cousin, et m’annonce qu’il
rentre à Barcelone le soir même. J’ai envie de laisser éclater
ma frustration en direct, mais je ne veux pas faire de scan-
dale en public. Une fois rentrée à l’hôtel, je lui envoie un
texto pour qu’il me contacte dès son atterrissage. L’appel
qui suit est l’occasion d’enfin vider mon sac.
«Jecommenceà en avoir marre. J’ai passédeux semainesà
Barcelone où je t’ai vu à tout casser quatrefois. Et là, on a
l’occasion desevoir, maistu nemeprévienspasquetu esà
Paris, et tu reparsaussitôt. »
Il reste impassible, comme si mes remarques ne le
concernaient pas.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 83/223

La passedetrois

«Bon. Tu n’asqu’à rester encoredeux ou troisjoursà Paris


et tu reviensmevoir à Barcelone. »
Sa proposition me coupe dans mon élan. La tension
redescend d’un coup. J’accepte, un peu stupéfaite. À ce
moment de notre relation, Samuel sait qu’il me tient à
sa merci. Il comprend, à travers mes reproches, que je suis
amoureuse, et que je suis prête à tout pardonner contre un
instant passé dans ses bras. Il profite de cette faiblesse pour
mener la danse. Et y voit l’occasion de tester sans plus
attendreleslimitesdemasoumission.
Pendant les préparatifs de mon nouveau voyage à
Barcelone, lescoupsdefilsreprennent, plusapaisés. Lesdis-
cussions s’orientent peu à peu vers des échanges à caractère
sexuel. On se chauffe à distance, on fait monter le désir en
prévision de nos retrouvailles. Parfois, Samuel s’interrompt,
puisévoquesespropresexpériencessur un ton professoral.
«Tu sais, j’ai déjà fait beaucoup de choses dans ma vie
sur ce plan-là. Je suis quelqu’un qui s’ennuie très vite.
Je peux avoir toutes les filles que je veux. Mais toi, tu es
différente, jesaisquetu m’aimesvraiment. J’aimeêtreavec
toi, maisnotrerelation sera plusforteencore si tu réussisà
entrer dans mon monde. Tu deviendras alors incontour-
nabledansma vie. »
J’ai le sentiment qu’il me prépare psychologiquement à
quelque chose. Mais quoi ? Ses insinuations sonnent aussi

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 84/223

RevengePorn

comme une sorte d’appât, voire un chantage: si je veux


devenir safavorite, jedoismemontrer àlahauteur desdéfis
qu’il me lancera. Je ne pose pas davantage de questions. Je
n’ai peur derien, sinon qu’il m’abandonne. Jeserai prête.
Samuel me met en relation avec l’un de ses bras droits à
Paris, un garçon nomméSonor, qui s’occupedespréparatifs
de mon voyage. Je le rencontre à l’hôtel pour la première
fois. C’est un ami d’enfance d’Eto’o. Il a la trentaine déjà
bien tassée. C’est un grand Camerounais costaud au visage
passe-partout. Il occupait un poste de bagagiste à l’aéroport
de Douala jusqu’à ce que la carrière de Samuel explose.
Comme d’autres de ses proches, il a alors profité des lar-
gesses de son ami, désormais riche et soucieux d’offrir une
vie meilleure à ses compagnons d’infortune, pour devenir
l’un de ses hommes à tout faire. Leur job : gérer toute la
partie non sportive de sa vie afin qu’il puisse se consacrer
à 100% au football. Sonor s’occupe des hôtels et des billets
d’avions, pour lui comme pour ses invités. Il joue les
hommes de compagnie ou endosse le rôle de banquier,
distribuant argent et cadeaux au nom deson illustre patron.
Ces petites mains de l’ombre, Samuel en possède dans
chacune des villes où il réside régulièrement : Douala,
Yaoundé, Barcelone, Paris, et Majorque. Mais de tous,
c’est de Sonor dont il est le plus proche. Il ne s’agit pas
d’un simple employé, c’est son frère, son confident. Là où

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 85/223

La passedetrois

d’autres ne partagent avec la star qu’un repas de temps à


autre, Sonor a un accès total, direct, et permanent à son
boss. Il est dans tous les coups, dans toutes les combines,
partageant tous ses secrets, même les plus intimes. Son
influence est telle qu’il est l’un des rares à pouvoir maîtriser
Samuel, à calmer son caractère chaud et tempétueux. Lui,
au contraire, est un sphinx, un sage, une force tranquille.
Mais son pouvoir, réel, n’est pas illimité. S’il peut tenter de
leraisonner, il neserisquequerarement àlecontrarier.
Je quitte Paris par un vol direct accompagnée de Sonor.
Une suite avec lit à baldaquin à 500 euros la nuit m’est
réservée à l’hôtel Omm, un établissement luxueux et design
situé en centre-ville, tout près de la légendaire Casa Milà et
du Camp Nou, le stade du FC Barcelone. La «force tran-
quille» occupe une chambre au même étage. Un match a
lieu le soir même. Pour la première fois, Samuel m’invite à
y assister. Je prends ce geste comme une preuve, si ce n’est
de son amour, au moins de son attachement grandissant.
Je ne suis plus la poupée que l’on garde enfermée dans une
cagedorée. Cette marque d’affection me ragaillardit, et c’est
le cœ ur léger et les yeux pleins d’étoiles que je me rends au
stadeàpieds, toujoursen compagniedeson brasdroit.
C’est la grande époque du duo Eto’o-Messi. Les deux
attaquants squattent alorslessommets du football mondial.
Assiseau bord dela pelouse, jeretrouved’autresprochesdu

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 86/223

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numéro 9, parmi lesquels David, le cadet de Samuel. Je


profite à fond du spectacle, les yeux rivés sur mon héros.
Je ne me rappelle plus de l’affiche, mais ce soir-là, Samuel
est éblouissant. Lorsqu’il marque son premier but, une
vague d’émotion et de fierté me submerge. À l’instar du
stade tout entier, je me lève de mon siège d’un bond,
sautillant comme une puce, hurlant jusqu’à l’asphyxie.
Gourde comme je suis, j’ignore que à peine mes fesses
ont quittélesiège, il s’est referméautomatiquement. Et vou-
lant me rasseoir, je m’affale par terre provoquant l’hilarité
générale. Je suis partagée entre l’amusement et la honte. J’ai
l’impression que chaque spectateur m’observe en chucho-
tant : «Regardecettefille, ellenevajamaisau stade! » Après
quelques secondes, les rires bienveillants qui m’entourent
finissent par mecontaminer.
À la mi-temps, je suis conviée à monter jusqu’à la loge
VIP. Là, une poignée de privilégiés choisis par les joueurs
ou le staff peut profiter de rafraîchissements et d’un buffet
offert par le club. Sonor ne m’a pas suivie, mais d’autres
amis et son petit frère sont présents. Nous allons au bar
commander un verre. Je m’installe sur un tabouret collé
au comptoir. En tournant la tête, j’aperçois une femme
assise sur lecanapé voisin. Son visage ne m’est pas inconnu.
Elle porte une paire de cuissardes qui remontent jusqu’à
une jupe noire plissée, et un chemisier blanc très classe.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 87/223

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Elle est grande, avec beaucoup de prestance. Un bébé


et une fillette de trois ou quatre ans l’accompagnent. Mon
sang se fige dans mes veines. Georgette est là, à trois mètres
de moi. Je sens son regard qui me fixe. J’ai envie de courir
me cacher sous un tapis. Ses yeux continuent de cher-
cher les miens. Je dois rester naturelle, ne pas montrer la
panique qui me serre le ventre. Je me tourne vers David
pour engager une conversation sans aucun intérêt. J’ai
l’impression qu’un projecteur braque ses lumières sur moi.
Les secondes s’égrènent à la vitesse d’un escargot. Je la sens
se lever pour aller aux toilettes. Son chemisier me frôle.
Mes tempes se mettent à chauffer sous l’effet de la nervo-
sité. Reste calme. À son retour, le coup de sifflet de l’arbitre
annonçant la reprise du match retentit. Je suis la première
à me lever. En quittant la salle, je ne peux pas m’empêcher
de jeter un dernier regard dans sa direction. Elle est en
train d’enfiler un superbe manteau de fourrure avec une
grâce majestueuse. Quelle élégance, quel charisme! En
regagnant mon siège, je suis un peu KO. Davantage que
de la gêne ou de la honte, c’est de l’intimidation que j’ai
ressentie face à elle. Cette pensée me fait mal. Comment
être à la hauteur ? Je reprends mes esprits. Je ne suis pas
Georgette mais je plais à Samuel. Il doit trouver quelque
chose en moi qu’il ne trouve pas en elle. Peu importe quoi.
Je m’en contenterai.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 88/223

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À lafin dela rencontre, Sonor et moi rentronsàl’hôtel.


Samuel m’y rejoint une heure plus tard. Sa présence me
surprend. Si sa compagne officielle est à Barcelone,
pourquoi ne passe-t il pas la soirée avec elle?Il entre dans
ma chambre, et me tend un sac plastique. À l’intérieur,
jedécouvreson maillot du match encorefumant, gorgéde
sueur. Je redeviens pendant une seconde la groupie ado-
lescente que j’étais, et le remercie. Nous allons dîner dans
lequartier gay delavilleoù Messi réside. Jemerégaled’un
plateau de fruits de mer pendant que Samuel se contente,
comme souvent, d’un bon steak. De retour à l’hôtel, il
s’assoit sur mon lit, demande à Sonor de nous rejoindre,
et commande des bouteilles de champagne au room
service. Son ami et moi descendons quelques coupes,
Samuel s’abstenant, comme d’habitude, de boire de
l’alcool. Il nous observe nous enivrer, l’air satisfait. Puis
meglisseàl’oreille:
«Tu sais, j’aime bien regarder ma copine faire l’amour à
un autre homme. »
J’avais senti ce moment venir. Tous les indices étaient là.
Sonor qui me suit partout, nos discussions sibyllines sur
son goût pour l’adrénaline, sa crainte de l’ennui, son besoin
de me faire entrer dans «son monde». Pas besoin de des-
sins. Samuel a une hygiène de vie irréprochable, il ne boit

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 89/223

La passedetrois

pas, ne se drogue pas. Cette source d’extravagances qu’il


medécrivait ne pouvait venir que de sespratiques sexuelles.
J’enchaîne les coupes de champagne pour me donner du
courage. Je n’ai aucune envie de coucher avec Sonor, mais
je ne veux pas décevoir mon homme. Sa façon de m’ame-
ner à accepter ce scénario a été très habile. Il ne menaçait
pas de me quitter, pire que ça, il laissait entendre qu’il
m’aimerait moins, qu’il perdrait la flamme, que je ne serais
plus à ses yeux qu’une fille parmi d’autres. Il ne me pro-
mettait pas la haine, mais l’indifférence. Cette pensée est
une torture. Je bois sans m’interrompre. J’ai déjà vidé sept
ou huit coupes de champagne. Je n’arrive plus à analyser la
situation. Ça va se faire. Ça se passera bien. Ça passera vite.
Trou noir.
À ce jour, je n’ai toujours aucun souvenir précis de cette
nuit. Jemerappellesimplement d’uneimagedemoi en train
defairel’amour. Avec Samuel ?Avec Sonor ?Avec lesdeux ?
Jen’en saisrien. Lelendemain matin, c’est au côtédeSamuel
que je me réveille. J’ai l’impression d’avoir un marteau-
piqueur danslecrâne. Lui afficheun sourireradieux.
«Mais qu’est-ce qui t’a pris de boire comme ça? Tu vois
Sonor boire, alorstu boiscommelui ?Maislui, il tient bien
l’alcool, contrairement à toi, me lance-t il hilare.
– Qu’est-cequi s’est passéhier soir ?J’ai tout oublié.

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– Net’inquiètepas. C’était unesuper soirée. Tu étaisdéchaî-


née, on ne pouvait plus t’arrêter. J’ai un décrassage avec
l’équipetout à l’heure, jevaismepréparer.
– D’accord. Maisj’ai fait quoi exactement ?»
Sa réponse me surprend :
– «J’ai prisdesphotos. Jeteferai voir plustard. »
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VII

SUR LE BANC DE TOUCHE

Samuel parti en fin de matinée, je prépare ma valise.


Il m’a proposé de retourner à Paris faire du shopping, et
promis de venir m’y rejoindre dès le lendemain. J’ai la tête
lourde comme une pastèque. Sonor n’a pas montré le bout
de son nez depuis mon réveil. Je ne suis pas impatiente de
le voir. J’ai peur de lire sur son visage le récit de ma nuit
passée. Je le retrouve à la réception. Samuel a demandé que
nous fassions le trajet ensemble jusqu’à la capitale. Je suis
morte de honte mais j’essaye de cacher mon trouble. Plutôt
que d’aborder frontalement le sujet de mes exploits noc-
turnes, je scrute sesfaits et gestesà la recherche du moindre
indice. Peine perdue. Sonor est impassible, fidèle à lui-
même. Si une explosion atomique se produisait dans son
jardin pendant qu’il dort, Sonor serait du genre à se retour-
ner de l’autre côté en attendant que ça se passe. Moins
émotif tu meurs.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 92/223

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Dans la voiture qui nous mène à l’aéroport, je me rends


bien compte qu’il est inutile d’attendre ses confessions. Je
craque. J’ai besoin de savoir.
«Dis-moi, que s’est-il passé hier soir exactement ? Samuel
m’a justedit quej’ai fait la folle. »
L’insondable Sonor se met à sourire. Ce n’est pas fré-
quent. Et pas très rassurant.
«Alors toi, tu n’es pas banale comme fille. Je me souviens
avoir dit à Samuel : “Non mais tu as vu comment elle est
ta petite femme?” Ah non mais franchement, tu nous as
épatés. C’était vraiment unetrèsbonnesoirée. »
Cette fois, le doute n’est plus permis. Je suis au bord du
malaise. J’ai envie de disparaître de la surface de la terre.
J’espère simplement ne pas avoir dépassé certaines limites.
Jeveux bien êtreun peu délurée, maisjetiensàmerespecter,
et respecter mon corps. Le pire, c’est que Sonor continue de
tourner autour du pot. Les scénarios les plus crus restent
ouverts. Je veux connaître les détails autant que je les
redoute. J’ai couchéavec lui ?Avec eux deux ?Avec d’autres?
Je n’ose pas poser la question aussi brutalement, mais je lui
demandemalgrétout d’êtreun peu plusexplicite.
«On s’est éclatés. C’était trop bien. Pour lesdétails, Samuel
t’expliquera. »
Je vais devoir me contenter de ce récit brouillon, et du
rictussatisfait de Sonor. Je suisécœ urée, je mesenssale. J’ai

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 93/223

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besoin de meconfier. Seule Carinepeut entendre ce quej’ai


à dire. C’est une femme moderne, qui s’assume. À mon
arrivée à Paris, je lui téléphone et lui déballe tout. Elle fait
mine de ne pas s’offusquer, et m’assure que, quand bien
même j’aurais couché avec deux hommes, il n’y a rien de
déshonorant dans ce genre de pratiques. Je commence à
philosopher. Et si elle avait raison ? Et si l’amour à trois
faisait partie des choses normales de la vie? Samuel me
rejoint comme prévu en fin d’après-midi au Concorde
Lafayette. La soirée se déroule sans accrocs, sans grande
chaleur non plus. Je ne m’explique pas son détachement
apparent. Je prends l’avion pour Yaoundé le surlendemain.
À peine arrivée, Samuel me téléphone pour m’annoncer
qu’il veut rompre.
«Je ne veux plus te voir. Tu ne sais pas tenir ta langue»,
me jette-t il à la figure.
Pas besoin de m’en dire plus. Carine est allée rapporter
mes confidences à Samuel. Il est furieux, persuadé que je
vais m’épancher sur nos exploits dans tout le Cameroun.
Sa colère me dévaste. Les larmes me montent aux yeux. Je
suis en train de le perdre. Je lui jure qu’il se trompe, qu’en
me confiant à Carine, je pensais m’adresser à une grande
sœ ur. J’avais besoin d’une oreille amie, adulte, rassurante.
Personne d’autre n’en saurait rien. Je plaide ma cause. Il
faut que je l’appâte. Que je lui montre qu’il ne s’est pas

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trompé en me choisissant. Que je peux faire autant, voire


plus que ce je lui ai offert jusqu’à présent.
«Tu vois bien que je suis à l’écoute de tes désirs. Je t’en ai
apporté la preuveà Barcelone. »
Il redescend d’un tour.
«C’est vrai qu’on a passé un très bon moment. J’ai des
photostu sais. Jevaistelesenvoyer. »
Les émotions se succèdent sans me laisser le temps de
reprendremarespiration. Meslarmessèchent. Nousrestons
en ligne le temps du transfert. Les clichés s’affichent sur
mon écran de Smartphone quelques secondes plus tard.
Je me vois nue, sur le lit à baldaquin. Je reconnais mon
homme. Sonor est là aussi. Nous avons fait l’amour à trois.
Je le savais, mais j’avais besoin de le voir. Ce que je vois me
choque. Mais je ne suis plus dans le dégoût. Je pense au
sourire satisfait de Samuel à l’autre bout du fil. Pour une
raison qui m’échappe, ces images le rendent heureux. Un
bonheur pur, éclatant, contagieux.
«Tu vois, c’est ça que j’aime», reprend-il, comme s’il me
montrait un gâteau dans une vitrine de boulangerie.
J’ai envie de lui dire que moi aussi. Mais je n’y arrive
pas. Ma tête veut y croire, mais mon corps s’y refuse. Les
images que je viens de voir me hantent déjà. Je ne peux
pas non plus lui opposer une fin de non-recevoir. J’ai failli
le perdre une fois. Il peut remettre sa menace à exécution

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dans l’instant, et peut-être s’y tenir. J’essaie de la jouer fine


en entrouvrant la porte.
«Écoute, jenesuispastellement prêtepour ça tout desuite.
On verra, d’accord ?
– D’accord. »
Nous sommes au mois de juin 2009. L’année scolaire
se termine. Jusqu’en septembre, Samuel vient me rendre
visiteàYaoundéune foistouslesdeux moisenviron. Entre-
temps, nos échanges par téléphone ont repris leur rythme
de croisière. La complicité est intacte, et les allusions à ses
fantasmes sexuels excentriques inexistantes. Je profite de
ces moments d’accalmie dans notre relation pour penser à
mon futur. Je viens de passer une année sabbatique sur le
plan des études, et si Samuel subvient largement à mes
besoins, jeressensl’envied’êtreautonomesur leplan finan-
cier. Au-delà, et même si la vie de palace m’attire, je ne
veux pas me couper des réalités. Je suis issue d’une famille
où les femmes n’ont pas peur de travailler. Beaucoup
de filles de ma génération vont plus loin, et aspirent à
s’épanouir dans leur vie professionnelle. J’en fais partie.
Mais je n’ai toujours pas trouvé la voie qui me corresponde
parfaitement. En y repensant, ma rencontre avec Carine
m’a fait réaliser mon penchant naturel pour le métier
d’esthéticienne. J’ai toujours aimé m’apprêter, mais je
n’avais jamais pensé en faire mon métier. Renseignements

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pris, l’amiedeSamuel est passéepar une formation à Mons,


en Belgique. Le lieu est idéal, puisque situé à deux heures
de Milan en train, où je pourrais facilement rendre visite
à mon amoureux. Je lui soumets l’idée, qu’il approuve.
Mon inscription validée, je me mets en quête d’un visa
étudiant. Lorsqu’on vient du Cameroun et qu’on veut étu-
dier en Europe, ce document n’est pas simple à obtenir, et
mon absence de diplôme pèse lourd. L’entregent de Samuel
n’y fera rien. Au mois d’octobre, mon visa est refusé. Je
reparspour uneannéeblanche.
Mon attention est à nouveau toute entière tournée vers
mastar du ballon. J’attendsnosrencontresavec d’autant plus
d’impatiencequelequotidien m’ennuie. Lesvisitessont tou-
jours aussi espacées, mais elles restent régulières. Sa saison
s’est achevée sur un triplé historique avec le FC Barcelone:
championnat, coupe d’Espagne, Ligue des champions. Ce
palmarèsincroyablenesuffit pasàleretenir. Depuisl’arrivée
de Pep Guardiola en début de saison, l’ambiance n’est plus
au beau fixe. Le coach espagnol ne cache pas sa préférence
pour Lionel Messi, le sommet du foot mondial. Le départ
de Ronaldinho, son grand copain, l’a aussi rendu nostal-
gique. Entre eux, c’était l’amour fou. Ce sont deux grands
blagueurs, et Samuel n’aimerien tant quesepayer unebonne
tranchederire. Il mevantait souvent sacapacitéàfairelafête
jusqu’au petit matin et à êtreen formedeux heuresplustard

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pour l’entraînement. «Je n’ai jamais vu un type comme


Ronaldinho : il boit comme un trou toute la nuit, se pointe
à l’heure le lendemain, et joue comme s’il s’était couché à
20 heures la veille», s’émerveillait-il. Heureusement, il
restait Éric Abidal, son autre grand ami. Les deux compères
passaient leur temps fourrés ensemble, au resto, en boîte,
et lorsqu’ils étaient séparés, ils se téléphonaient pendant des
heures comme deux copines de lycée. Samuel n’était pas
insensible au charme de sa femme, une fille absolument
magnifique. Il m’en parlait avec tellement d’admiration que
j’avaisfini par lui faireunecrisedejalousie.
Malgrésa mésententeavec Guardiola, Samuel était prêt à
rempiler pour une saison supplémentaire. Les discussions
avec leclub étaient bien avancées, et son salairede10 millions
d’euros par an devait être revu à la hausse. Mais Guardiola
qui leconsidérait commeun hasbeen et voulait sedébarras-
ser delui amisson veto et obtenu gain decause. Samuel, très
fier, a du mal à s’épancher sur cet épisode douloureux. Peu
aprèsson limogeage, jeréussisàaborder lesujet avec lui.
«C’est dégueulasse ce qu’il t’a fait. Mais même si tu es
brillant, il y aura toujours des gens qui ne t’apprécieront
pas.
– C’est parcequejesuisnoir. Au moins, Messi est blanc. Si
j’avais été blanc, Guardiola ne m’aurait jamais traité
commeça. Jamaisil nem’aurait chassé. »

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Ultime coup du sort, alors qu’il est au sommet de son


art, le Ballon d’or lui échappe au profit de son rival Messi.
Il accuse le coup, persuadé une nouvelle fois que sa couleur
de peau porte préjudice à sa carrière européenne. Enfant
africain d’unefamillesanslesou, il alesentiment d’avoir dû
en faire dix fois plus que les autres pour arriver au même
niveau, et dedevoir continuer àlutter pour obtenir larecon-
naissance de ses pairs. Il en veut notamment aux journaux
français de ne pas le soutenir. Il en aurait la faveur, il en
est convaincu, s’il était passé par un club hexagonal. Il
cite souvent l’exemple de Didier Drogba, auquel il se sent
supérieur sur le plan sportif, mais dont il n’a pas le dixième
del’auraen France.
Son transfert forcé à l’Inter de Milan pendant l’été n’est
pas une mauvaise affaire pour autant. Il décroche un salaire
de10,5 millionsd’euros, horsprimes, faisant delui lejoueur
lemieux payéd’Italie. Il en profitepour s’offrir denouvelles
voitures de sport hors de prix, et acquiert un appartement
somptueux, via Monte Napoleone, l’équivalent des
Champs-Élysées à Milan, sur trois ou quatre niveaux. À la
rentrée, son déménagement et la reprise du championnat
dans une ligue et une équipe qu’il ne connaît pas rendent
difficile toute visite amoureuse de ma part. En revanche, il
parvient à maintenir le rythme d’une escapade à Yaoundé
tous les deux mois. Nous nous voyons à l’hôtel Hilton où il

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a désormais sa suite attitrée. Les soirées sont douces, entre


câlins et plateau-télé. Au petit matin, nous allons, au volant
de sa Bentley, chercher des beignets au sucre, un mets qu’il
adore, à la boulangerie voisine. S’il y a trop de monde
devant le commerce, Samuel reste dans la voiture. Ces pré-
cautions et sa vie de couple officielle n’entachent pas le bon
fonctionnement de notre relation. En réalité, nous évitons
le sujet «Georgette». Il prend soin de ne jamais l’évoquer
ouvertement, tout comme moi. Sa formule consacrée, s’il
n’a pas d’autre choix que de mentionner son existence, est
de dire : «la mère de mes enfants». J’y vois une acrobatie
sémantique, certes, mais aussi une profonde marque de
respect. D’ailleurs, s’il s’applique à ne jamais s’étendre sur
sa compagne officielle, il ne la dénigre pas. De mon côté,
j’accepte peu à peu cet état de choses, et j’agis comme si de
rien n’était. Dans un sens, je tiens presque à protéger leur
relation. En la détruisant, je sais que par ricochet je détrui-
rais la nôtre. J’ai aussi peur de le mettre au pied du mur en
l’obligeant à choisir l’une d’entre nous. Le risque est trop
grand. Et si, au fond, il préférait Georgette à moi ? Je n’ai
qu’une solution pour changer la donne: me rendre indis-
pensable. Le temps joue pour moi. Et, qui sait, peut-être
deviendrai-jeun jour la seulefemmedanssa vie?Cet espoir
menourrit.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 100/223

RevengePorn

Je me contente de ce statu quo jusqu’au tournant de


l’année 2010. Lorsque les périodes d’absence se prolongent,
il m’envoiedel’argent pour payer leloyer demamère, aider
mes petits frères, et m’offrir quelques vêtements et produits
de beauté. Je suis reconnaissante, mais j’ai envie de passer
du temps seul avec lui à Milan, où il a établi sa nouvelle vie,
comme pour m’assurer d’en faire partie. Il me faut attendre
lafin du moisdefévrier pour avoir son accord, et décrocher
mon visatouristique. Jerésideàl’hôtel Art, un établissement
branché à la déco contemporaine. Pas tellement mon style.
Lui est en train d’emménager dans un nouvel appartement
qu’il vient d’acheter pour labagatellede17 millionsd’euros.
Dès le début du séjour, il se montre très présent, beau-
coup plus qu’à Barcelone. Il passe me voir avant et après
les entraînements, reste pour le petit-déjeuner le matin.
Mais un souci inattendu vient parasiter ce tableau idyllique.
Contrairement à l’Espagne, les paparazzi sont partout en
Italie, et encoreplusàMilan, capitaleéconomiqueet média-
tique. Le risque d’une photo volée est grand. Les balades
main dans la main en pleine rue sont prohibées. Nous
sommes obligés d’en tenir compte, et de déployer une stra-
tégie de tous les instants. La journée, je fais les boutiques
seule sans me cacher, mais dès qu’il me rejoint le soir, il
s’engouffre en voiture dans le parking de l’hôtel, et nous en

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 101/223

Sur lebanc detouche

ressortons quelques minutes plus tard pour aller dîner en


banlieue, loin du centre-villeet descurieux.
Une après-midi, alors qu’il rentre de l’entraînement,
il m’annonce un peu froidement qu’il doit préparer sa
valise pour aller à Monaco le lendemain. Il va suivre un
stage de préparation aux futurs rencontres internationales
sous le maillot des Lions indomptables. Je suis surprise et
un peu triste de cette séparation imprévue, alors que je n’ai
jamais passé autant de temps avec lui. Il perçoit ma décep-
tion et melanced’un air détaché:
«Tu veux venir ?
– Oui !!! »
Il me répond dans un grand sourire:
«Évidemment quej’allaiste leproposer ! »
Pour une serial shoppeuse comme moi, Monaco est une
Mecque. UnesortedeDisneyland delafripeet du luxepour
grandes filles. Je n’avais pas ressenti pareille excitation
depuisParis. Avant de faire une razzia, je me doisd’être à la
hauteur du décor et des autochtones surlookées. Le matin
du départ, je me pare de mes plus beaux atours, parmi les-
quels quelques-uns des cadeaux que mon chéri vient de
m’offrir pour Noël : une paire de chaussures Yves Saint
Laurent en croco, et un téléphone portable rose estampillé
Dolce & Gabbana. Je fais une halte chez le coiffeur et dans
un salon debeautépour êtreau top du glamour, et j’attends

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 102/223

RevengePorn

sagement que Samuel vienne me chercher à l’hôtel. Les


heures passent. À 17 heures, il finit par se pointer devant
l’établissement avec sa Mercedes coupée customisée, suivie
par une deuxième voiture dans laquelle une poignée d’amis
est installée pour nous accompagner. Mon brushing fait
grise mine et mon maquillage s’est un peu affadi, mais j’ai
toujours l’air d’être pomponnée pour aller dîner chez
l’ambassadeur. Samuel, lui, est en jogging. Il me dévisage,
prêt àexploser derire:
«Koah ! Qu’est-ceque tu faishabilléecommeça?
– Bah, on va à Monaco non ?
– Oui, mais il n’empêche: depuis quand tu te fais belle
pour un trajet en voiture?Parce que Monaco est à quatre
heuresde route, on va arriver en soiréejetesignale. »
Pendant que le convoi tout entier se tient les côtes,
j’encaissecette nouvelle moquerie dont, pour unefois, je ne
mesensquepartiellement responsable. Comme d’habitude,
les rires ne tardent pas à me contaminer. L’ambiance à
bord est excellente, et le voyage un délice pour les yeux.
Nous empruntons des routes secondaires qui traversent des
petitsvillagesdebord demer pluscharmantslesunsqueles
autres. Nous arrivons en milieu de soirée à notre destina-
tion : l’hôtel Hermitage, l'un des plus beaux palaces du
Rocher, où la chambre la plus étroite coûte 600 euros la
nuit. Ici, tout n’est que yachts, parures, et voitures de sport.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 103/223

Sur lebanc detouche

Une suite est réservée pour nous deux. Le moindre détail


respireleluxeabsolu. Tout brillejusqu’à la cuvette desWC.
C’est beau. Presque trop. Lors de mes précédents voyages
dans l’ombre de Samuel, j’ai déjà éprouvé ce sentiment
désagréable de ne pas être à ma place. Mais jamais à un tel
niveau. Le hall grouille de femmes apprêtées jusqu’aux
orteils, d’hommes d’affaires endimanchés jusqu’aux ongles.
Ils ont l’air familier de ce lieu pourtant si rare et exception-
nel. Samuel se comporte comme un poisson dans l’eau. Il
fait partie du même monde qu’eux. Malgré tous ses efforts,
tous ses cadeaux magnifiques pour que je me sente à l’aise
dans cet environnement haut de gamme, j’ai l’impression
d’être une pièce rapportée. Alors que mon footballeur
s’occupe du check in, une bombe atomique fait son entrée
dans le hall. Je n’ai jamais vu une blonde aussi belle, des
yeux de biche, un corps parfait, des jambes interminables
habillées d’une jupe marron à franges et d’une paire de
bottes à talon. Je prie pour que Samuel ne la remarque pas
mais c’est peine perdue: elle s’avance tout doucement vers
la réception. J’aperçois les yeux de mon Jules s’arrêter net
sur ce spécimen rare qu’il scrute dans ses moindres détails
tandis qu’elle prend la direction des ascenseurs. Moi non
plus je ne rate pas une miette de ce spectacle. Pour se
convaincre du contraire, Samuel se tourne vers moi. Ma
minerenfrognéelui décrocheun sourirecoupable.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 104/223

RevengePorn

J’envisage cette anecdote en apparence banale comme


un mauvais présage. Quand j’arrive dans ma chambre, les
affaires de Samuel ne sont pas là. Je lui demande pourquoi.
Il me répond que le stage commence le soir même, et qu’il
va loger à l’hôtel réservé pour l’équipe nationale. Cette
révélation de dernière minute m’étonne. Il aurait pu m’en
parler plus tôt. Il m’embrasse et prend congé. Le lende-
main, je me lève de bonne heure pour aller me balader
dans les rues sinueuses du Rocher. Les amis de Samuel me
rejoignent en fin de matinée, et nous partons déjeuner dans
un restaurant situé à côté du casino. Ma star me téléphone
au milieu du repas. Il me dit qu’il sort de l’entraînement
et vient me rejoindre à l’hôtel en début d’après-midi. Je lui
fais monter des avocats à la vinaigrette, l’un de ses plats
préférés. En mangeant, il me filme avec mon téléphone à la
manière d’une interview me demandant sur un ton genti-
ment moqueur quelles sont les impressions de la «grande
Nathalie» face à la beauté de Monte Carlo. Il s’amuse de
me voir découvrir le monde et prend plaisir à partager mon
enthousiasme presque enfantin devant les merveilles qui
s’offrent à moi. Cette vidéo, que j’ai conservée jusqu’à ce
jour, reste l’un des témoignages les plus touchants de ce qui
constitue la période dorée de notre relation amoureuse. Je
me sens bien, belle, aimée. Nous parlons de l’avenir. Il me
jure que dès que j’aurai trouvé une formation, je viendrai

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 105/223

Sur lebanc detouche

m’installer près de lui, en Europe. Les voyages accumulés


depuis un an m’aideront à décrocher un visa d’étudiante
dans l’espace Schengen. Nous nous verrons plus souvent,
le week-end, parfois la semaine s’il n’a pas match. Cette
perspective me ravit. Si je prends plus de place dans sa vie,
il ne pourra plus se passer de moi. De nous. Ce sera alors à
moi de jouer. De lui prouver qu’il est temps pour notre
coupledepasser de l’ombreà la lumière.
Ces instants de bonheur simple s’interrompent brutale-
ment au troisième jour de notre périple monégasque.
Samuel m’annonce sans crier gare que je vais devoir refaire
mes valises et changer d’hôtel.
«Celui-ci est complet à compter d’aujourd’hui. Mais ce
n’est pas grave. On va te mettre ailleurs, dans un hôtel
presque aussi beau », m’annonce-t il sans ménagement.
Drôle de déconvenue. Dans quel genre d’hôtels de luxe
oublie-t on dedireàun client qu’il lui faudrapartir en plein
milieu de son séjour ? Impossible. Soit il me ment, soit il
avait prévu de m’installer ici pour me faire plaisir quelques
jours, avant de me faire déménager pour un lieu plus
modeste. Mais si tel était le plan de départ, pourquoi ne pas
mel’avoir dit à notre arrivée?Jenemeserais pasoffusquée,
loin de là. Ce rebondissement n’annonce rien de bon. C’est
surtout l’empressement avec lequel Samuel me demande
de déguerpir qui me paraît suspect. Je m’interdis une fois

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 106/223

RevengePorn

encoretout commentaire. Uneparolecontrariéedemapart


serait perçue à raison comme un caprice d’enfant gâté.
Son ami Serge, qui nous accompagne depuis le début du
voyage, s’occupe de rassembler mes affaires et me conduit à
la réception pour le check out. Il ne semble pas très à l’aise
et se confond en excuses. Bizarre. Dans la voiture qui nous
amène à l’autre hôtel, je joue les ingénues et l’interroge sur
ce déménagement express en faisant mine de ne pas en
connaîtrelaraison.
«Il nefaut pasen vouloir à Samuel, merépond-il, contrit.
Il nepouvait passavoir queGeorgetteallait venir lui rendre
visite. Ceserait bêtequevousvouscroisiez danslescouloirs
non ?»
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Date : 20/1/2016 16h11 Page 107/223

VIII

LA MAÎTRESSE TROMPÉE

La nouvelle de la présence de Georgette à Monaco me


fait l’effet d’une décharge électrique dans le cœ ur. Elle
me renvoie instantanément à ma condition de maîtresse.
Je l’avais presque oubliée, tant les derniers jours passés
ensemble m’en avaient éloignée. Je me sens d’un coup vide,
inutile. Je suis un meuble disgracieux dont on se débarrasse
en urgence avant que les invités n’arrivent. J’ai honte.
Cruelle ironie: je suis la maîtresse et je me sens trompée.
Trahie par son mensonge et sa lâcheté de ne pas m’avoir
avoué la vraie raison de mon exfiltration. Devant Serge, je
fais bonne figure. Je ne dois pas paraître choquée. Manifes-
tement, ses amis n’ont pas la même prudence que Samuel
lorsqu’il s’agit d’évoquer Georgette. Le patron ne les a sans
doute pas informés qu’il s’agissait là d’un sujet que nous
n’abordons pas, ou du moins, pas de manière explicite. Ils
pensent qu’entre nous le contrat est clair, et que j’accepte
sanssourciller macondition defemmedel’ombre. Laréalité

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 108/223

RevengePorn

n’est pas aussi simple. J’en prends conscience de la plus


désagréabledesmanières.
Je défais mes affaires dans ma nouvelle chambre lorsque
Samuel m’appelle. Pour la première fois, je n’ai pas l’inten-
tion de laisser couler. J’ai atteint la limite qu’une femme
amoureuse peut supporter. Je n’ai pas pour autant envie de
tomber danslesketch dela femmeblessée, j’ai trop de fierté
pour ça: jeveux qu’il avouelui-mêmeson erreur, son men-
songe. Qu’il se senteaussi nul que jeme sens.
«Ça va?Tu esbien installée?
– Oui. Cet hôtel n’est pas aussi beau que l’autre, mais ce
n’est pasgrave.
– Parfait. Sinon, jemedemandaisun truc: est-cequetu es
sûredevouloir venir au match ?»
Son culot m’estomaque. Il ne me prend pas pour un
meuble, il me prend pour une conne. Puisqu’il veut jouer,
on va jouer.
«Bien sûr que je veux venir. C’était le programme qu’on
avait prévu, non ? Aller tous ensemble à Monaco pour
assister à ton match. Tu te rappelles?
– Oui c’est vrai, maisjemesuisdit quetu préféreraispeut-
êtrealler fairedu shopping ou tebalader à la place.
– Écoute, laissetomber. Allez-y sansmoi.
– Maissi. Guy va venir techercher.
– Allez-y sansmoi jetedis. »

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 109/223

La maîtresse trompée

Je raccroche sans plus d’explications. Mon ton était


davantage las que colérique. J’avais envie de lui mettre son
lingesalesouslenez, maisjen’en ai paseu laforce. Un détail
m’en a empêchée: son match. Je ne veux pas être tenue
pour responsabled’unecontre-performance. Cesouci dene
pas perturber son esprit avant une rencontre restera un
réflexejusqu’au bout de notre relation. Une fâcherie, même
grave et justifiée, peut bien attendre une heure et demie
pour éclater.
Quelques minutes plus tard, son ami Guy vient sonner à
ma porte. Je l’éconduis poliment, mais fermement. À la fin
du match, Samuel est informédemon humeur massacrante
et m’appelle pour en savoir plus. Cette fois, j’exprime sans
ménagement mon courroux.
– Tu tefichesde moi ?Tu saisqueGeorgettevient et tu ne
medisrien ?Et aprèstu essaiesdemedissuader devenir au
match sousun prétextebidon ?
Il esquive, préférant me reprocher mon attitude avec
Guy.
«Il vient te chercher et tu lui claques la porte au nez. Ce
n’est pascorrect.
– Cen’est paslesujet. Jete voispeu, j’avaledes couleuvres
pour toi, jeprendssur moi à longueur dejournée. Pour une
fois que nous pouvons profiter un peu l’un de l’autre, tu
fais venir la mère de tes enfants sans rien me dire? Si ça

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 110/223

RevengePorn

doit sepasser commeça désormais, jepréfèrem’abstenir de


faireledéplacement.
– Et moi, jepréfèrenepasvenir tevoir cesoir, puisquetu es
énervée.
– Ça t’arrange bien puisque, de toute façon, c’est avec elle
quetu avaisprévu depasser la soirée, n’est-cepas?»
Nous en restons là. Nous quittons Monaco pour Milan
le soir même, lui par avion, avec Georgette, moi en voiture,
avec le reste de la bande. Je rentre à l’hôtel Art tandis que
Samuel passe la soirée chez lui avec sa compagne. Je profite
de ce moment de solitude pour réfléchir. À ses yeux, je suis
un objet qu’on sort, qu’on planque, et qu’on ressort àl’envi.
Mon propre regard sur moi-même ne me plaît guère plus.
Jesuisuneamoureusetransie prêteà touteslescompromis-
sions pour une heure aux côtés de son amant. J’appelle une
amie camerounaise pour m’épancher. Je lui annonce que
jesorsdepuisbientôt deux ansavec Samuel Eto’o. Elleest la
première, en dehors de mon cercle familial, à qui je révèle
cette liaison. Je lui raconte la folie des débuts et les doutes
d’aujourd’hui. Elle me met en garde contre les illusions que
je me fais, assure que les stars du foot comme lui changent
de copine comme de maillot. Loin de me jalouser, elle
m’incite à la méfiance, me répète que les hommes de son
rang ne s’attachent jamais vraiment aux filles comme moi.
Ces paroles ne sont pas celles que j’attendais, et pourtant,

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La maîtressetrompée

elles m’apaisent. Ça y est : j’envisage une rupture. Non


par envie profonde, mais par instinct de sauvegarde. Cette
relation est vouéeà me faire souffrir, et ce quejetraverse en
est la meilleure preuve. Pluselledurera, plus la douleur sera
grande. J’attends quelque chose qui n’arrivera pas, et que
toutes les maîtresses sont convaincues d’obtenir un jour,
prendre la place de la femme légitime. Réaliser cette évi-
dence dès maintenant permettra de m’épargner beaucoup
defrustrationset detristesse. En ai-jeseulement laforce?
Je m’endors sur ces interrogations, téléphones coupés.
Je ne les rallume que le lendemain vers 14 heures. Samuel a
essayédem’appeler pendant lanuit. Levoilàqui tentedeme
joindre à nouveau. J’essaie de faire le point en une seconde
avant dedécrocher. Sanssuccès. Mespenséess’entremêlent.
Savoix calmemeramènesur terre.
«Tout va bien ?La nuit s’est bien passée?
– Non, j’ai trèsmal dormi. Je n’aimepasce qui s’est passé
hier. Tu m’asmenti.
– C’est vrai quejenet’ai pasdit qu’ellevenait, maisjen’étais
pasau courant. Elleavait deschosesà faireici, et quand elle
m’a prévenu, j’ai été mis devant le fait accompli. Je
me suis dit qu’elle voudrait déposer ses affaires à l’hôtel
pendant le match. C’est pour ça que je t’ai fait partir de
la chambre. Jen’avaispasprévu d’y passer la nuit avecelle.
La preuve: jesuisrentrédormir à Milan lesoir même.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 112/223

RevengePorn

– Avec elle?
– Non. Jet’assure. »
Ses arguments tiennent la route. Je veux y croire. Je
constate surtout qu’il tente d’arrondir les angles, et sa
volonté de régler ce conflit qui me mine depuis la veille
me fait du bien. Elle traduit aussi son envie de me garder
auprès de lui. De ne pas rompre, comme je l’avais envi-
sagé. Je sens que je dépose les armes. Il ne me laisse pas
le temps de souffler, propose de venir me rejoindre dans la
foulée, lâche une blague et réussit à me faire rire. Mes
velléités d’émancipation s’envolent en un éclair. À son arri-
vée, je m’abandonne dans ses bras. Nous commandons des
pâtes bolognaises au room service et regardons un DVD
de Star Trek. Pendant le film, il me déshabille, et me masse
le dos. Une après-midi de couple heureux et complice
comme toutes les femmes en rêvent. En début de soirée, je
m’attends à ce qu’il me quitte d’un instant à l’autre. Ça ne
rate pas: il m’explique devoir partir pour retrouver un ami
footballeur afin de lui remettre je ne sais quel document.
Le retour à la réalité me blesse. Pas pour longtemps.
«Tu m’accompagnes?me lance-t il tout de go.
– Bien sûr. »
Il enfileunevestebleu nuit en velours, et m’aideà enfiler
un manteau chaud en soulignant «qu’il fait froid dehors».
Nous allons à la rencontre de son ami qu’il me présente

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 113/223

La maîtresse trompée

avec le sourire. Même s’il ne précise pas qui je suis à ses


yeux, cette attention me touche. Je me sens valorisée. Pen-
dant cette seconde où je serre la main de cet inconnu, je
me prends à rêver de devenir un jour la femme de Samuel
Eto’o. Cet instant change ma perception de notre relation.
Il s’est mis en couple avec Georgette il y a longtemps. Peut-
être qu’il ne l’aime plus, mais qu’il reste avec elle le temps
de s’occuper un peu de leurs deux enfants. Peut-être que
bientôt, il s’en ira. Peut-êtrequ’alors, nousseronsensemble,
pour devrai. Il faut quejesoispatiente. Cejour arrivera.
C’est avec cette sérénité retrouvée que je prends l’avion le
lendemain pour Paris. Commetoujours, un prochedeSamuel
m’accompagne pour faciliter mon séjour sur place. C’est
Serge qui s’y colle. Une série de matchs importants attend le
joueur de l’Inter en Italie, et j’ai des envies de shopping dans
lacapitalefrançaise. Mon cousin del’Haÿ-les-Rosesm’inviteà
déjeuner dès mon arrivée. Je sens uneforme d’empressement
inhabituel dans sa proposition. J’accepte, et au milieu du
repas, j’apprendslavéritableraison demavenue.
«Je pense que tu sors avec Samuel Eto’o. J’ai tort ? me
demande-t il.
– Pourquoi penses-tu ça?
– Lors de ton premier passage à Paris, tu revenais de
Barcelone, le club où il jouait à l’époque. Là, tu reviens de
Milan, le club où il joue en ce moment. Et puis j’ai

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RevengePorn

desamisà Yaoundéqui m’ont dit quela rumeur là-basest


persistante. »
Je suis coincée. Tous les indices convergent. Après tout,
je suis en famille, je n’ai pas de raison de louvoyer. J’admets
que la rumeur est fondée. Je m’attends à de chaleureuses
félicitations doublées d’un interrogatoire sur le «vrai »
Samuel, jemetrompelourdement.
«Méfie-toi, reprend-il. Samuel voit beaucoup de filles
différentes ici à Paris. L’une d’elle vit près du Fouquet’s,
à deux pas des Champs-Élysées, et vient d’accoucher d’un
filsdont tout indiquequ’il est lepère. »
Le ciel me tombe sur la tête. Je n’en crois pas un mot.
D’ailleurs, pourquoi y croire? Comment mon cousin
pourrait-il savoir ce genre de choses de source fiable?C’est
évident, il ne fait que relayer des rumeurs idiotes. Comme
toutes les célébrités, et à plus forte raison dans une petite
communauté comme celle de la diaspora camerounaise,
Samuel inspire des fantasmes plus extravagants les uns que
les autres. C’est une cible facile: il est beau, riche et voyage
sans arrêt. Mon cousin ajoute que je devrais me méfier.
J’opine sans la moindre conviction, pour ne pas le froisser.
Mais je repars l’esprit tranquille. Encore des calomnies de
cour derécré.
Je rentre au Concorde Lafayette. Je n’ai aucuneintention
de confronter Samuel aux pseudorévélations de mon

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La maîtresse trompée

cousin. S’il doit me démentir chacune des coucheries qu’on


lui prête aux quatre coins de la planète, on y passerait nos
journées. Par ailleurs, jevois mal comment il pourrait trou-
ver le temps, entre ses matchs, Georgette et leurs enfants,
et nos propres escapades, de développer d’autres relations
aussi fugaces soient-elles. Le lendemain, Samuel m’envoie
ses SMS habituels. Mes réponses sont sèches et froides. Je
me surprends moi-même. Les histoires de mon cousin me
travaillent peut-êtredavantagequejeneveux l’admettre. En
tout cas, je n’ai pas envie de me lancer dans de grandes
discussions, ou dans des échanges de textos amoureux. Je
décide de rallier le bar de l’hôtel pour surfer sur Internet
avec mon ordinateur portableet boireunePiñacolada, mon
cocktail préféré.
J’aperçois dans le salon du lobby un visage qui m’est
familier. Je le reconnais tout de suite: c’est Fally Ipupa.
Cechanteur derumbacongolaise, superstar en Afriquefran-
cophone, possède aussi un public fidèle dans l’Hexagone.
Il est considéré comme le disciple et le successeur de Koffi
Olomidé, dont Samuel et moi sommes des fans absolus.
Naturellement, j’aime aussi beaucoup la musique de Fally,
qui est parvenu à moderniser les rythmes plus traditionnels
deson mentor. Jel’avaisdéjàentraperçu àlaNuit desstarsà
Abidjan et dans quelques soirées VIP au Cameroun, sans
avoir eu l'occasion dediscuter au-delàdespolitessesd'usage.

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RevengePorn

Il est assis à quelques mètres de moi, avec une fille et


quelques amis. Nos regards se croisent. Constatant que
je suis seule à ma table, il me salue et me fait signe de le
rejoindre. Je me lève avec mon ordinateur. À cet instant,
Serge fait son entrée dans le hall. Il me regarde et tourne la
tête en fronçant les sourcils vers Fally, comprenant que je
m’apprêtaisàleretrouver. Craignant touteconclusion hâtive
et erronée, je dévie de trajectoire l’air de rien vers Serge qui,
commetoujours, s’adresseàmoi sur un ton paternel.
«Tout va bien, petitesœur ?
– Oui ça va.
– Tu es en froid avec Samuel ? Il paraît que tu ne donnes
pasbeaucoup denouvelles.
– Non, tout va bien. C’est juste qu’en ce moment, j’ai la
têteailleurs. Maisça va passer.
– C’est pour ça quetu allais rejoindre Fally?
– Mais non, je suis assise là au bar, je bois un cocktail
depuis tout à l’heure. Je t’ai vu entrer, et je me suis levée
pour venir tevoir, tout simplement.
– Ok, ok. »
Je ne suis pas très fière de mon subterfuge, mais je ne
veux pas prendre lerisque d’unecrise de jalousie injustifiée.
Fally est une célébrité presque aussi populaire que Samuel
au Cameroun et au-delà. Une discussion même amicale
entrelechanteur et moi pourrait créer destensionsinutiles.

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La maîtresse trompée

Jen’ai pasbesoin decompliquer cequi n’est déjàpassimple.


Je retourne m’asseoir à ma table sans gloire, en prenant
soin de fuir le regard de Fally pour éviter d’ajouter au
ridicule de la situation. Quelques minutes passent. Un ser-
veur vient me dire au nom de Fally qu’il aimerait que je
vienne lui parler. Je ne peux pas me défiler deux fois. La
curiosité d'échanger avec l’artiste est trop forte. Je m’assure
que Serge n’est pas dans les parages et je me lance. Le chan-
teur m’accueilleavec un sourire. Jecroisqu’il m’areconnue.
– Salut… Nathaliec’est ça?
– Oui c’est ça! Tu vasbien ?
– Oui ça va. Tu faisquoi à Paris?
– Jesuisen vacances.
– Tu veux prendreun verre?
– Non merci, jenepréfèrepas.
– Ah oui pardon, jet’ai vu avec ton copain tout à l’heure.
– Non, non, ce n’est pas mon copain. En fait c’est un ami
demon copain. »
Jel’ignoreencore, maisFally est un habituédu Concorde
Lafayette. Il enregistrealorsun nouvel album au studio dela
Grande Armée, située dans l’enceinte du Palais des congrès
voisin. Il connaît Serge de vue, et sait qu’il est l’un des
bras droits de Samuel Eto’o dans la capitale. Dans le petit
monde des Camerounais de Paris, tout se sait. Il comprend
immédiatement mes réticences: soit je suis la copine du

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 118/223

RevengePorn

footballeur, soit jesuiscelled’un desesamisparisiens. Dans


les deux cas, je ne peux pas aller prendre un verre avec lui
au vu et su de tous. Je n’ai pas pour autant envie de laisser
filer pareille occasion de partager un moment avec lui. J’ai
aussi noté ce regard hostile de Serge envers le chanteur,
comme s’il existait un passif entre les deux hommes. Je me
rappelle alors de rumeurs qui courent au Cameroun, selon
laquelle Samuel et Fally sont brouillés, mais j'en ignore la
raison. Il me faut tirer ça au clair. Je lui propose de nous
retrouver dans un café en face du Palais des congrès cinq
minutes plus tard, ou je le rejoins en ayant vérifié que la
voieest libre.
Nous papotons le temps de passer commande. Sa
présence à mes côtés m’impressionne et me rappelle ma
première rencontre avec Samuel. Je me concentre pour
paraîtreleplusnaturel possiblealorsquej’ai envied’envoyer
mille textos à mes copines pour leur raconter que je suis
assiseavec legrand Fally Ipupadont ellessont toutesamou-
reuses. Il entamelaconversation.
«Tu vienssouvent danscet hôtel ?
– Ça m’arriveoui, quand jesuisen vacancesà Paris.
– J'ai bien vu que tu n'as pas voulu t'approcher quand je
t'ai fait signe tout à l'heure. C'était drôle de te voir te
dérouter au dernier moment. Tu es la copine de Samuel
Eto’o non ?

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 119/223

La maîtresse trompée

– Pardon ?»
Il n’a pas mis longtemps à cracher sa Valda. La franchise
de sa question me désarçonne.
– Oui, c'est vrai. Jen'ai pasosévenir tevoir car jesaisqu'il
y a des tensions entre Samuel et toi. Mais je n'en connais
pasla raison. Jepensaisquevousétiez amis. Jevousai vus
discuter à la Nuit desstars.
– Oui, on se connaît depuis longtemps, je lui ai même fait
desdédicacesdansmeschansons.
– Que s’est-il passé depuis? J’ai bien vu les regards mau-
vaisqueSergeet toi avez échangéstout à l’heure.
– Samuel m’a fait un sale coup l’année dernière. Je fré-
quentais une fille, Aurélie, une métisse. Samuel l’a repérée
à la Nuit des stars, et après le gala, sa bande a mis le
grappin dessus. Ilssefréquentent toujoursaujourd’hui. Elle
descend à l’hôtel GeorgeV quand ilssevoient à Paris. Cene
sont pasdes chosesqu’on fait entre amis. Mais ce n'est pas
leplusgrave: il utiliseAuréliepour fairecirculer desragots
selon lesquels je serais un collectionneur de femmes. C'est
d'autant plus gonflé de sa part que je vois défiler dans
cet hôtel pasmal defillesqui viennent pour son bon plaisir
et quejemesuistoujoursgardédefairesavoir. »
J’ai le souffle coupé. Pourquoi me dit-il des choses
pareilles?J’imagine Serge en train de faire monter des filles
au bon vouloir du patron. Un jour moi, un jour une autre.

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RevengePorn

Je ne suis pas la maîtresse, je suis un plan parmi les plans,


un joujou, un sas de décompression temporaire. Ces pen-
sées m’écœ urent. Si mon cousin a peut-être voulu jouer les
protecteurs et fait preuve de zèle en relayant des rumeurs
infondées, le chanteur, lui, n’a aucun intérêt à me mentir.
On se connaît à peine, on ne se reverra peut-être jamais. Je
ne vois pas non plus pourquoi un artiste international de sa
trempe se fourvoierait en associant son nom à des calom-
niesdebasétage.
On ne raconte pas à une quasi-inconnue qu’on a été
trompé pour le plaisir de converser. J’ai la rage au ventre.
Samuel medégoûte. Jemedégoûte. Quelleconne. Comment
ai-je pu être aussi naïve? Comment, moi, la fille de la rue,
jepensaispouvoir conquérir touteseulelecœ ur del’homme
le plus convoité du continent africain ?J’ai envie de rentrer
chez moi. J’ai envie de tout casser. Fally et moi échangeons
nos numéros et nous nous séparons. Sur le chemin de ma
chambre, les larmes que je retenais tant bien que mal se
déversent librement. KO sur mon lit, j’écoute en boucle
le morceau Broken-Hearted Girl – la fille au cœ ur brisée –
deBeyonce.
«Je neveux pasmeséparer detoi
Jeneveux pasd’un cœur brisé
Jeneveux pasrespirer sanstoi
Jeneveux pasjouer cerôle

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La maîtresse trompée

Parfois jetedétestemais jenemeplainspas


Car j’ai peur quetu t’en ailles. »
Aucun discours ne peut traduire aussi bien ce que je
ressens à cet instant. J’aime un salaud. Mais je ne veux plus
être la fille au cœ ur brisée. Depuis deux ans, ma relation
avec Samuel n’a pas évolué d’un iota. Les moments de bon-
heur, réels, ne sont que brefs répits entre deux longues
périodes d’absence et d’incertitude. Aujourd’hui, je réalise
que mon impatience de le retrouver n’a sans doute jamais
été partagée. Pour lui, je n’étais qu’un numéro de chambre
sur une liste. Beaucoup d’hommes couchent avec une fille
un soir et coupent les ponts. Samuel est bien plus pervers.
Il vousgardedansson escarcelle. Il vousfait croirequevous
êtes différente des autres. Il y a ceux qui vous prennent et
vous jettent comme un Kleenex. Samuel considère les
femmes comme un mouchoir en tissu : il vous use et vous
réutilisejusqu’àladéchirure.
Je repense à Frédéric, mon ex. Il me manque. Je me suis
laisséembarquer dansunehistoirequi n’était paslamienne.
J’ai été éblouie par un mirage de célébrité, de paillettes et
de luxe. Frédéric était un homme simple, calme, posé. Il
m’aimait pour ce que je suis. Je repense à ma vie avec lui
lorsque Samuel m’appelle. Je ne veux plus prendre de pré-
cautions. J’ai trop mal. Je déverse un flot de colère et de
tristesseininterrompu.

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RevengePorn

«Tu t’esfoutu demoi.


– Dequoi tu parles?Tout allait bien depuisMilan. Qu’est-
cequi t’arrive?
– Arrête. Tu vois d’autres filles. Tu as un enfant, ici à
Paris. Tu fréquentes une certaine Aurélie. Je ne suis plus
dupe. Je ne veux plus être avec toi. Plus jamais. Ne
m’appelle plus. »
Je lui raccroche au nez. Il me rappelle une fois, deux
fois, trois fois. Ma seule réaction est d’augmenter le volume
de ma musique et de me plonger dedans. Mes larmes tra-
hissent moins ma haine envers lui que tous ces mois de
frustration et d’illusions perdues. On frappe à ma porte.
C’est forcément Serge qui vient faire la retape. J’ignore sa
présence et j’augmente encore un peu le volume de mon
Mac. Après quelques secondes d’attente, il entre avec un
passe fourni par la réception. C’est lui qui paye la chambre,
il peut y accéder comme il veut. Il est au téléphone et me
tend l’appareil. C’est Samuel. J’attrape le portable et le jette
au sol.
«Je ne veux pas lui parler. C’est un salopard. Fichez-moi
tous la paix. Je ne veux plus être ici. Je rentre au
Cameroun.
– Tu as parlé à Samuel d’une certaine Aurélie. C’est Fally
qui t’a raconté cette histoire? J’ai bien vu que vous vous
regardiez tout à l’heure.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 123/223

La maîtresse trompée

– Non, c’est une copine qui m’a dit ça. Tout Paris le
sait. Ça n’a rien à voir avec Fally. Laissez-le en dehors de
tout ça. »
Serge reste impassible. Il voit bien que me raisonner ne
sert à rien. Il sort comme il est entré, sans ouvrir la bouche.
Jem’endorsdansun mélangedechagrin et desoulagement.
Je prends un vol pour Yaoundé dès le lendemain, les
yeux encore rougis par ma nuit noyée dans les larmes. Ma
mère vient me chercher à l’aéroport. Mon état de fatigue et
de nervosité ne lui échappe pas. Elle me demande ce qui se
passe. Je lui explique que Samuel n’est pas le samaritain
qu’elle croit, qu’il est volage et me considère comme un
membreanonymedeson cheptel.
«Cen’est pas la version qu’il m’a donnée, réagit-elle. Il se
décarcassepour toi, et en retour, tu nefaisrien d’autresque
l’engueuler à longueur dejournée. »
Ma propre mère n’est d’aucun soutien. Je n’ai pas la
force de lui raconter toutes les horreurs que j’ai entendues
sur Samuel. Je lui indique simplement que notre histoire
est finie, et lui demande de respecter mon choix. Elle opine
sansgrande conviction.
Les jours qui suivent me replongent dans le train-train
quotidien, loin du champagne et des palaces européens.
Je passe mes journées, enfermée chez moi, mis à part une
ou deux sorties avec des amis. L’ennui cède bientôt la place

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RevengePorn

à la mélancolie. J’étais persuadée que Samuel me rappelle-


rait pour s’expliquer, pour s’excuser. Libre à moi ensuite
d’accorder du crédit ou non à ses justifications. Mais rien
ne se passe. Une semaine, puis deux, puis trois… Un mois
après ma crise de Paris, je n’ai toujours aucune nouvelle de
lui. Ai-je été trop loin, trop vite? Je n’ai même pas essayé
de vérifier si ce que Fally m’avait dit était vrai. Je me suis
laissé dominer par mes émotions, sans lui donner une
chance de se défendre. J’ai hurlé, je l’ai insulté, puis je lui
ai raccroché au nez. Je commence à culpabiliser. Plus que
son absence, c’est son silence qui me pèse. J’ai besoin d’un
mot, d’un geste, d’une preuve de vie. Après plus d’un mois
sans échanges, je craque, et lui envoie un texto d’excuses.
Si nous devons nous quitter, faisons-le avec calme et res-
pect, comme deux adultes civilisés. Pas de réponse. Un
mois s’écoule encore sans aucun signe de sa part. J’ai peur
qu’il lui soit arrivé quelque chose. C’est idiot, toute la
presse mondiale en aurait parlé. Au fond, je crains qu’il
m’ait effacé de sa vie pour de bon. Cette idée m’est insup-
portable. J’étais prête à discuter, désormais, je suis prête à
lui pardonner. Tout. Sans plus d’explications. J’ai besoin
de sa voix, son rire, son corps. Mes appels comme mes
textos se heurtent à un vide sidéral. Pardonne-moi, écoute-
moi. Il tient bon. Moi plus. Je dois trouver un moyen
d’attirer son attention. Je ne connais qu’une façon de lui

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La maîtresse trompée

faire renoncer à toutes ses résolutions. J’attrape mon télé-


phone et rédige le SMS qui mettra forcément fin à son
mutisme.
«J’ai vu un film hier soir avec deux femmes qui faisaient
l’amour avec un homme. J’ai trouvéça bien. »
Sa réponse est laconique. Je la sais lourde de sous-
entendus.
«Comment vas-tu ?»
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IX

FRAPPE CADRÉE

Je me dirige, talons hauts et tête basse, dans l’entrée


du Hilton de Yaoundé. Nous sommes en juin 2010. Cela
fait un mois que Samuel et moi avons renoué le contact.
J’ai tout fait pour provoquer cette réconciliation. Ces huit
semaines de silence m’ont fait réaliser que je ne pouvais
pas me passer de lui. Ce cauchemar interminable m’a
transformée en femme soumise. Nous avons beaucoup
parlé. J’ai fait amende honorable, me décrivant comme
une fille trop gâtée qui ne pensait qu’à elle-même. Je lui ai
promisdememettreàsaplace, d’essayer d’êtreplusmature,
de lui faire davantage plaisir. Cette nouvelle Nathalie créée
sur mesure pour ses bons soins l’enthousiasmait comme
jamais. Il m’a expliqué que sa vie de footballeur était
difficile, qu’il était obligé d’être toujours au top, de ne
commettre aucun excès. À la moindre erreur, au moindre
accident, il pouvait perdre du jour au lendemain tout ce
qu’il avait mis si longtemps à construire. Sa vie entière et

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RevengePorn

celle de son entourage reposaient sur sa seule aptitude à


bien jouer au football. Ce stress permanent méritait bien
quelques moments de détente à la hauteur de ses sacrifices.
Voilàlemessagequ’il mefallait intégrer.
«Moi, ce que j’aimerais, c’est de savoir qu’après une
journée difficile, tu m’attendes dans une chambre avec
une autre fille, développe-t il. Que lorsque j’arrive, vous
voustouchiez, et qu’on fassel’amour à trois. Si toi et moi
sommes séparés quelques jours, et qu’avant un match je
décide de passer du temps avec une autre fille à l’hôtel,
ce n’est pas grave, au contraire. J’aurai plaisir à prendre
desphotos denousdeux, à teles envoyer, et à teraconter
ce qu’on a fait. Ces expériences nous rendront encore
plus complices. On partagera tout. C’est ça que j’attends
d’unefillecommetoi. Tu esbelle, tu esintelligente. Jesais
que tu peux entrer dans mon monde. Notre relation
deviendra alors spéciale, unique. Plus rien ne pourra
nous séparer. »
Je ne l’avais jamais senti aussi proche de moi. Pour la
premièrefois, j’avaisl’impression d’entrer dansson intimité
la plus absolue, de détenir la clé de son affection, et peut-
être celle de son amour. Je devais vaincre mes réticences
naturelles à m’adonner à ces fantaisies sexuelles, et me
convaincre que j’étais capable de supporter ce type de rela-
tions ouvertes. Je me suis renseignée sur Internet en allant

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Frappecadrée

voir dessiteset forumséchangistes. Jemesuisrendu compte


que cette pratique était moins originale que je ne le pensais.
De nombreux couples paraissaient s’y adonner avec bon-
heur. J’ai fini par me persuader que la vie en Europe était
différente, que j’étais à la ramasse, et qu’il fallait que je me
metteàlapage. Nefaispastagamine. Nefaispastajalouse.
En entrant dans le hall de l’hôtel, je suis prête à devenir
la femme qu’il veut que je sois. Lui a décidé de me mettre à
l’épreuve sans tarder. J’entre dans sa suite, une cigarette à la
bouche. Je n’ai jamais fumé jusqu’alors, mais j’ai pris cette
habitudedepuisquelquesjours. Ellefait partiedel’attirail de
la nouvelle Nathalie, plus mûre, plus européenne. Samuel
me fait la réflexion, mais ne disserte pas là-dessus. L’imper-
turbable Sonor est lui aussi présent dans la chambre. Sans
la moindre gêne, Samuel commence à se déshabiller, fait
un tour danslasalledebainset en ressort nu. Il s’allongesur
moi. Sonor nous rejoint. Cette fois, je suis parfaitement
consciente de ce qui est en train de se passer. Nous faisons
l’amour touslestrois, et jen’en ratepasunemiette. Pendant
que les deux amis prennent du bon temps, je n’arrête pas
de réfléchir. Le naturel revient au galop. Cette posture
me dégoûte. Je suis un objet, un ballon que chacun se ren-
voie. J’essaie de penser à l’enfer de l’absence de Samuel,
au bonheur pur qui se lit à cet instant sur son visage. C’est
injuste: je joue un rôle, et plus je suis une autre, plus il

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RevengePorn

est lui-même. Je l’entends me donner du «ma poupée»,


«ma chérie», des motsque je n’ai plus entendus depuis nos
premiers flirts. Ces paroles douces me donnent le courage
d’aller au bout du spectacle. Je n’y mets pas le cœ ur, mais
mon corpsfait illusion.
J’ai beau me convaincre du contraire, cette nuit est une
épreuve. En rentrant chez ma mère le lendemain, la honte
reprend le dessus. Pourquoi n’est-il pas jaloux ? Pourquoi
aime-t il me voir dans les bras d’un autre?Qu’y a-t il de si
merveilleux, de si épanouissant dans ce tableau ? En pous-
sant la porte de la maison, le regard de ma mère sur moi
double l’écœ urement que je ressens. La crasse me colle à la
peau. Lesjoursqui suivent avec leretour deSamuel à Milan
sont l’occasion d’une nouvelle introspection. N’existe-t il
aucun autre moyen de le rendre heureux ? Ses textos, plus
enamourés que jamais, valent toutes les réponses. «Je
t’aime tellement », «tu es merveilleuse», «j’espère vite te
revoir ». Je suis piégée. J’ai joué son jeu, je suis entrée dans
«son monde» comme il dit. Il n’y a plus de marche arrière
possible sauf à provoquer sa colère et une inévitable rup-
ture. Cette perspective m’effraie plus que tous les plans
partouze du monde. Je ferai face. D’autres y arrivent. De
toutefaçon, jen’ai pluslechoix.
Les mois s’enchaînent, et si les SMS et les appels sont
toujours réguliers, ils sont moins fréquents, par ma faute.

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Frappecadrée

Sans doute un peu échaudée par le rôle que je m’impose, je


ne pousse pas le footballeur à la consommation. Et puis il y
a sa carrière, toujours plus prenante. Samuel a repris le
championnat italien pendant l’été. Sa saison 2009-2010 a
dépassé toutes nos espérances et bluffé la planète foot.
Pour la deuxième année d’affilée, mais sous un maillot dif-
férent, il a remporté le triplé, championnat national, coupe,
et Ligue des champions. Ce palmarès est d’autant plus
époustouflant qu’avant l’arrivéedeSamuel, leonzemilanais
avait perdu de sa superbe. Cette performance inédite le
place logiquement parmi les favoris au Ballon d’or. Là, une
nouvelle fois, c’est son ancien coéquipier du FC Barcelone
Lionel Messi qui décroche le graal. Comme l’année passée,
Samuel digère mal ce qu’il considère comme une preuve
supplémentaire de désamour – et de racisme larvé – de la
presse européenne, et française en particulier. «J’ai redressé
l’équipe et nous avons tout gagné. Je méritais ce Ballon
d’or », m’a-t il confiéau détour d’uneconversation.
De mon côté, j’essaie de me trouver une occupation
professionnelle. Être adulte, c’est aussi être autonome. Si
je gagne un salaire, même médiocre, je suis convaincue
que Samuel me respectera davantage. Je ne serai jamais
son égale en terme de revenus, mais je ne veux plus être la
fille oisive incapable de s’acheter à manger sans son aide
financière. J’entame une formation d’anglais, en attendant

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RevengePorn

qu’une opportunité digne de ce nom se présente. Remplir


mes journées me rend moins dépendante des invitations
de Samuel à venir le rejoindre en Europe. Sachant ce que
nos rendez-vous intimes me réservent désormais, je ne les
réclame plus avec autant de vigueur. Au mois de décembre,
alors qu’il rentre passer les fêtes au Cameroun comme
chaque année, je me montre disponible. Cette fois, c’est à
Douala, la ville d’où il est originaire, qu’il passe l’essentiel
de ses vacances. À mon arrivée à l’hôtel Méridien où il m’a
donnérendez-vous, jemerendscomptequ’il nousaréservé
deux chambres séparées. La mienne est au troisième étage,
sa suite est au sixième. Je l’interroge sur cette curiosité.
«C’est parce qu’Étienne est avec moi, il va dormir dans ma
chambre», balaye-t il. Étienne est son premier fils, fruit
d’une liaison précédente. Il est âgé de neuf ans. Je trouve
étrange, voireun peu malsain, delemêler àsabanded’amis,
à laquelle s’est intégrée la mère de Samuel, et au milieu de
laquelletrôneunefemmequi n’est pasGeorgette. Passons.
Le premier soir, nous faisons notre traditionnel tour
en boîte de nuit. J’y rencontre Ayden, une présentatrice de
journaux télévisés célèbre en Afrique qui fait partie du
cercle des intimes du footballeur depuis quelque temps
déjà. Elle est très belle, avec un physique peu commun dans
nos contrées. Nous nous saluons poliment. Elle me raconte
qu’elle est heureuse de pouvoir souffler, que le boulot la

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Frappecadrée

tue, qu’elle est épuisée. Sa complainte sonne faux. Elle veut


se donner de l’importance. Pfff, trop de travail, trop dur
quoi ! Son numéro m’agace. Ce n’est que le début. Je passe
la soirée à observer sans moufter la complicité évidente qui
règne entre elle et Samuel. Elle rit aux éclats au moindre
mot qui sort de sa bouche. Il est flatté. Le duo se lance dans
un zouk endiablé pendant trois morceaux. Elle se dandine
à s’en déboîter les hanches. Elle en fait trop, mais il en
redemande. Je connais le regard qu’il porte sur elle: c’est
celui qu’il portait sur moi jadis. Je ne décroche pas un mot
de la soirée, ce qui ne semble guère émouvoir Samuel. Je
contiens mes réflexes naturels de jalousie. Si l’ancienne
Nathalie aurait pété les plombs au grand jour, la nouvellese
retient de tout esclandre. À notre retour à l’hôtel au petit
matin, je monte dans ma chambre l’air indifférent. Je sens
queSamuel mesuit. Jeretrouvepeu àpeu lesourire, jusqu’à
ce qu’il m’annonce vouloir passer du temps avec sa mère
avant des’endormir.
«Avec ta mère?Maintenant ?À 5 heuresdu matin ?
– Oui. Je n’ai pas pu lui parler depuis notre départ en
boîte. Jenela voispassouvent tu sais.
– J’ai du mal à y croire. Maissi tu y tiens. »
Bien entendu, je ne suis pas dupe. C’est avec Ayden qu’il
vapasser lanuit. Ou peut-êtreavec uneautreaprèstout. Jene
disrien. Car sescoucheriesimproviséesconstituent pour moi

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RevengePorn

un test grandeur nature: jusqu’où suis-je prête à le suivre?


Jusque quand vais-je supporter d’être une pièce rapportée?
Je fais un transfert sur Georgette: c’est moi, désormais,
la femme-vitrine. Celle que l’on trimballe au gré de ses
humeurs, et que l’on plante au moment de partager un
moment d’intimité. Je fais partie du décor, je suis une jolie
armoire devant laquelle on passe sans s’arrêter. Je sens mes
récentesrésolutionsdefemmesoumiseen train desefissurer.
La deuxième journée est presque identique à la première.
Mon attitude flegmatique aussi. Au troisième jour, la vitrine
se brise. Après avoir passé une nouvelle nuit seule, je prépare
mes valises pour quitter l’hôtel. La rancœ ur secrètement
accumulée depuis des jours se déverse dans un SMSenragé:
«Tu me prends vraiment pour une idiote. Tu découches
tous les soirs sans la moindre gêne. Je sais que tu ne dors
passeul. Jesuisjeunemaispasstupide. Tu neprendsmême
plusla peinedetrouver desexcuses. Jepars.
– Tu esvraiment unepeste. Tout letempsà teplaindre. »
Saréponsem’encouragedansmadécision. Fini leflegme.
DehorslaservileNathalie. Latigressefait son grand retour.
«Si je suis une peste, toi, tu es un beau salopard. Tu
ramènes des filles à Paris, à Douala, à Yaoundé sans
doute. Je ne supporte plus d’être traitée comme une moins
querien. Jerentre chez moi.
– Ok. »

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Frappecadrée

Pendant que je boucle mes bagages, Samuel ne lâche pas


l’affaire et me bombarde de textos enragés. Je fais la morte,
et j’appelle David, le cadet de Samuel dont je m’étais rap-
prochée ces derniers temps, pour lui annoncer mon départ
et les raisons qui s’y attachent.
«Je sais bien que mon frère change de filles comme de
chemises, confesse-t il. Ce n’est pas un secret. Avant, il
essayait de trouver des stratagèmes, de vous voir séparé-
ment, mais maintenant qu’il a moins de temps, il ne
prend plus de précautions, et vous réunit dans un même
lieu. Il est comme ça. Oui, c’est un salaud. Tu n’es pas
obligée de le supporter, mais si tu veux être avec lui, tu
doisl’accepter. Lesautresl’acceptent, alorsquetoi, tu veux
vivre une histoire d’amour. Samuel n’est pas la bonne
personnepour ça. »
La justesse de son analyse me fait l’effet d’une douche
glacée après une cuite. Il a raison. Ma décision est prise: je
ne veux plus l’accepter. Je tourne les talons. Sur le chemin
de la gare routière, Sonor m’appelle et me demande de
revenir à l’hôtel discuter avec lui. Je n’en ai aucune envie,
mais la douceur et la sérénité olympienne du bras droit de
Samuel ont un effet apaisant immédiat. Je consens à venir
lui dire en face ce qui me pousse à fausser compagnie à
toute la bande. Contrairement à son patron, Sonor ne
s’énervera pas et pourra même abonder dans mon sens. J’ai

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RevengePorn

confiance en son jugement, souvent bien plus rationnel que


celui de Samuel. Je fais demi-tour pour le rejoindre. Il me
cueille à la réception et m’invite à l’accompagner jusqu’à
l’ascenseur. Nous montons au sixième étage. Je devine ce
qui se trame et lui indique qu’il n’est pas question de tenter
un rabibochage de dernière minute. Ma fureur, un temps
radoucie, se réveille pour de bon. Dans lecouloir qui jouxte
sa suite, jetraiteSamuel de touslesnoms. Sonor mesupplie
de ne pas faire de scandale en public, jure que son boss
n’est pas dans la chambre, et me convainc de le suivre à
l’intérieur pour discuter au calme. Je suis décidément bien
trop naïve: une minute plus tard, Samuel fait son entrée,
habillé d’un costard. Son élégance tranche avec son faciès
delion enragé. Je nel’ai jamaisvu dans un tel état.
«Jesuisrentrédeboîteà5heuresdu matin. J’ai desréunions
toute la journée, ça ne servait à rien que je vienne dormir
deux heures avec toi. Voilà pourquoi je ne suispasvenu te
rejoindredansta chambre. Et toi, tu netrouvesrien deplus
intelligent quedemebombarder detextosstupides?Pour qui
tu teprends?»
Son ton agressif me pétrifie. Le garçon gentil, galant,
blagueur dont je suis tombée amoureuse cache un homme
capable de colères intenses, violentes. Sonor quitte la pièce
discrètement. Son départ n’est pas fait pour me rassurer.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 137/223

Frappecadrée

Samuel enlève sa veste et me lance cette fois un regard


dedéfi.
«Maintenant, tu vasmedireen facetout cequetu m’asdit
par écrit. »
L’ambiance délétère devient stressante. Pour la première
fois depuis bientôt trois ans, Samuel me fait peur. Mon
seul réconfort face à ce déluge de haine est de me savoir du
côté de la vérité. Je me raccroche à cette conviction pour
me trouver le courage de répliquer et me lève à mon tour.
«Je n’ai pas d’explication à te donner. Je n’en ai plus.
Nousdeux c’est terminé. Tu esun salopard. Tu esun beau
parleur. Tu es un manipulateur. Tu voulais que je te dise
tout ça en face?Eh bien c’est fait. »
Dans un silence de mort, Samuel me décoche une gifle
monumentale. Je m’écroule par terre, la main posée sur ma
joue à vif. La douleur est intense. Je reste interdite, bouche
bée, comme si je découvrais le vrai visage de l’homme que
j’ai en face de moi. De quoi est-il capable?L’effroi me serre
les boyaux. Il s’avance, le doigt tendu, et les yeux gorgés
d’hémoglobine.
«À qui tu parles comme ça? À qui, hein ? Pour qui tu te
prends? Depuis que je suis avec toi, je ne me suis jamais
énervé. Tu fais toujours tes gamineries, et moi je te passe
tout. Tu teprendspour lebonhommedanscecouple?C’est
toi qui décides?»

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 138/223

RevengePorn

Je n’ose plus parler. J’ai peur qu’il me frappe à nouveau.


Mes yeux se remplissent de larmes. Je n’ai qu’un espoir :
que mon silence le ramène sur terre. Je me trompe.
«Si tu ouvres encore la bouche, je te jette du sixième. »
Jeprendssamenaceau sérieux. LeSamuel quejeconnais
ne ferait pasde mal à une mouche. Celui qui setient devant
moi est incontrôlable. J’ai envie de crier au secours. Dans
un réflexe de quasi-survie, je m’empare de mon téléphone
pendant qu’il m’injurie de plus belle, et j’appelle le dernier
numéro composé, celui de ma mère, à qui j’avais annoncé
mon retour prématuréà Yaoundé. Lorsquej’entendsdécro-
cher, jem’adresseàellebien fort :
«Maman ?»
Samuel est pris de court. Il interrompt sa litanie
d’insultes, m’arrache le téléphone des mains, et porte
l’appareil à son oreille sans me quitter des yeux. En l’espace
d’une seconde, son visage change d’expression. Le lion
enragé se mue en doux agneau. La transformation physique
est saisissante.
«Allô maman ? Quoi, tu as entendu crier ? Non, non,
ne t’inquiète pas. Nathalie fait encore des histoires. Tu
le sais, je fais tout pour elle, je lui apporte tout ce dont
elle a besoin, mais ça ne suffit jamais. Le pire c’est que
jel’aimebeaucoup, maman. Jeveux faired’elleunegrande
dame. »

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 139/223

Frappecadrée

J’entends ma mère lui demander d’essayer d’arranger


les choses comme il peut. Je suis estomaquée par la scène à
laquelle j’assiste et par le culot sans limite de Samuel.
«Tu as raison. On va se parler elle et moi. Au revoir,
maman. »
Il raccroche. L’appel de ma mère semble avoir un effet
sédatif sur son coup de sang. Je prie pour que l’accalmie
me profite. Mon vœ u semble exaucé. L’agneau prend défi-
nitivement le dessus. Samuel secoue la tête comme pour se
réveiller d’un mauvais rêve.
«Écoute, je ne suis pas ici que pour la fête. J’ai aussi
du travail. Je n’aurais pas dû m’emporter. Je n’aurais
pas dû te laisser dormir seule comme je l’ai fait. Mais
ces réunions m’ont empêché de suivre l’agenda que je
m’étaisfixé. »
Je n’en croispasun mot, maisjefaissemblant d’acquies-
cer. Ne surtout pas réveiller la bête endormie. J’abonde
dans son sens en n’ayant qu’une idée en tête: sortir d’ici le
plus vite possible. Il me laisse quitter la suite sans un mot.
Je ne me retourne pas et rejoins à petites foulées la voiture
qui m’attend. La panique qui s’est emparée de moi me
poursuit encore. Elle ne m’abandonne qu’une fois dans le
bus qui me ramène à Yaoundé. À ma mère qui s’inquiète
des suites de notre dispute, je dis que tout est arrangé, pour
couper court à la conversation. Enfermée chez moi jusqu’à

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 140/223

RevengePorn

la Saint-Sylvestre, je n’ai qu’une crainte: que Samuel tente


de me recontacter. Il n’en sera rien, jusqu’au passage du
Nouvel An. Le simple fait de voir son nom s’afficher sur
mon écran ravive le souvenir de ce huis clos infernal où j’ai
craint pour ma vie. J’ouvreson texto la bouleau ventre.
«Bonne année. »
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Date : 20/1/2016 16h11 Page 141/223

HORS- JEU VOLONTAIRE

L’année 2011 débute par de bonnes résolutions.


L’épisode de la gifle est peut-être l’électrochoc dont j’avais
besoin. Cela fait maintenant trois ans que nous sommes
amants. De passablement toxique, notre relation est deve-
nue perverse. L’irruption de la violence dans nos disputes
m’en fait prendre conscience de la manière la plus brutale
qui soit. Samuel me considère comme un objet dont il
dispose à sa guise. Il ne peut pas accepter que je contredise
satoute-puissance. Demon côté, jen’arrivepasà melibérer
de son emprise comme je le voudrais. Mes tentatives de
séparation se sont soldées par des échecs. À la moindre
main tendue, j’ai rappliqué comme un chien derrière son
maître. Je suis comme une droguée, partagée entre volonté
de me désintoxiquer, et faiblesse face à la sensation de
manque. Il me faut changer de stratégie. Si je n’arrive pas
à rompre tout net avec Samuel, je peux essayer de m’en
détacher progressivement. M’émanciper, côtoyer d’autres

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 142/223

RevengePorn

personnes, me faire de nouveaux amis. Apprendre à


combler le vide insupportable que crée son absence, et
réussir à m’en accommoder. Me dire que la vie sans lui
est possible. Pour finalement, un jour, sauter lepas.
Jereprendscontact avec Fally et avec mon ancien «beau-
frère», le mari de Léonie. Je partage avec eux mes doutes,
mes envies. Ils évitent de se prononcer sur le fond de ma
relation, préférant me conseiller de reprendre mes études.
J’y suis résolue mais l’année scolaire est encore une fois
bien trop avancée pour espérer rattraper un cursus en cours
de route. Alors, je m’amuse. J’aimeraissortir le soir avec des
amis, boire des verres, danser, mais au Cameroun, Samuel
a des yeux partout. Il apprendrait d’une manière ou d’une
autre mes escapades solitaires, s’en offusquerait, et me
demanderait delui rendredescomptes. Seul moyen d’échap-
per à ses radars: partir m’aérer à l’étranger. Je profite de
sesweek-endsdematchspour faireun saut au Nigeria, et au
Gabon, entourée de quelques amis. Samuel subvient à mes
besoins, continuant de m’envoyer chaque mois 1 million de
francs CFA, soit l’équivalent d’environ 1500 euros. Certains
me trouveront culottée de profiter de son argent malgré les
heurts, maisvu son immensefortune, c’est unegoutted’eau
par rapport àl’océan desouffrancesqu’il mefait endurer.
Les premiers temps, cette méthode «douce» d’émanci-
pation à distance fonctionne mal. Je déploie des efforts

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 143/223

Hors-jeu volontaire

surhumains pour ne plus le voir ou le contacter aussi


souvent qu’avant. De son côté, il ne se montre guère sou-
cieux de ne pas avoir de mes nouvelles pendant trois
ou quatre jours d’affilée. Il n’oublie pas le jour de mon
anniversaire, au mois de février, mais se contente de me
gratifier d’un messagepar texto sanseffusionsparticulières.
Cette apparente indifférence m’irrite. Et lorsque je trouve
enfin le courage de couper les ponts pendant une semaine,
il me suffit d’un coup de fil à ma mère pour apprendre
que Samuel l’a contactée, a fait ceci, lui a raconté cela. Je le
chassepar laporte, il revient par lafenêtre.
Au mois d’avril, je passe à la vitesse supérieure. Je décide
de passer cinq jours à Dubaï avec des amis de lycée partis
du Cameroun pour vivre en Allemagne. J’évite soigneuse-
ment deparler à Samuel deceprojet. À l’atterrissage, jevois
qu’il a tenté de me joindre. Je tente de résister à l’envie de
lui répondre. Sans succès. Je lui annonce par message où je
suis, puis je coupe mon téléphone. Je le rallume à l’hôtel et,
cettefois, j’ai droit àun appel en bonneet dueforme.
«Pourquoi tu pars comme ça sans me prévenir ? Avec
qui es-tu partie?Quel est le nom de ton hôtel ?Quel est le
numéro dela chambre?»
Je l’ai foutu en rogne. Je ne dois pas céder. Il faut que
j’arrive à lui tenir tête.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 144/223

RevengePorn

«Ce n’est pas un hôtel, c’est un appartement. Il n’y a pas


de numéro de chambre, désolée. C’est moi qui t’appellerai.
Plustard.
– Maispour qui tu teprends?Tu croisquejevaisattendre
sagement que tu sois disponible pour me téléphoner ? Qui
sont cesgens?Jeveux leursnoms, leursvisages, envoie-moi
desphotosd’eux.
– Oui, bien sûr. Je vais leur demander de poser devant
l’objectif au milieu du dîner et leur dire : “Ne vous
inquiétez pas, c’est pour mon copain”.
– Tu meprends pour un con ?Tu peux faire desphotosde
voussans lesfaireposer, nesoispasstupide.
– Toi, quand je te demande où tu es et avec qui, tu ne me
réponds pas. Eh bien avec moi, désormais, c’est pareil.
Point final. »
Çay est, laguerreest déclarée. Avec letemps, j’ai compris
que Samuel n’avait qu’un seul véritable point faible: il
déteste que la situation lui échappe. Je peux coucher avec
son meilleur ami s’il le décide, qu’il s’occupe du jour, du
lieu, et de la mise en scène. Mais partir dîner avec un ami
au restaurant sans lui en avoir parlé?Insupportable. Il doit
rester maître du jeu à tout prix. Il est le roi, nous sommes
ses sujets. Sa jalousie ne s’exprime au grand jour que s’il n’a
pas la main. Cette fois, c’est moi qui distribue les jetons.
Je vais lui distiller les infos au compte-gouttes, exploiter au

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 145/223

Hors-jeu volontaire

mieux ce début de jalousie pour lui faire sentir qu’il n’a pas
lecontrôle, quejesuislibredemesfaitset gestes. Jesensque
j’ai trouvélafaille, et jevaism’y engouffrer.
Samuel me bombarde d’appels toutes les cinq minutes.
Je n’y réponds que sporadiquement, par un bref texto du
style : «On est au resto, je te rappelle», ou «Il y a de la
musique, on ne s’entendra pas». Mes réponses évasives le
rendent fou. Un après-midi, je croise par hasard dans un
gigantesque centre commercial un Camerounais expatrié
que mon cousin m’avait présenté alors que j’étais encore
au lycée. Cyril, la trentaine bien tassée, avait flashé sur moi
lors d’un de ses séjours au pays. Ses affaires sont ici, à
Dubaï, où il vit à l’année. L’hommeest sympathique, galant,
mais ne me plaît pas physiquement. Les années n’ont
pas modifié ce premier ressenti, mais je vois là l’occasion
de tester les limites de Samuel. Je daigne répondre à l’un de
sesnombreux appelset lui décriscette rencontre fortuite en
travestissant un peu lavérité.
«C’est fou non, de le croiser comme ça, dans un centre
commercial ? C’est bizarre, je le trouve plutôt beau mec.
Mesgoûtsont dû changer depuisl’adolescence. En plus, ses
affairesmarchent bien, il a unebellevoiture. »
Ma stratégie est un succès.
«C’est sûrement un escroc, un parasite, legenredetypequi
nefait rien desa vieà part profiter desautres.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 146/223

RevengePorn

– Ça m’étonnerait. Mais je vais pouvoir le vérifier, il nous


a tousinvitésà dîner chez lui.
– Tu vasy aller ?
– Bien sûr ! Pourquoi pas?»
Il est désarçonné. La situation lui échappe totalement.
Il tente de me mettre en contact avec l’un de ses amis sur
place, me promettant qu’il va mieux s’occuper de moi, me
trouver un bel hôtel, nous faire sortir, moi et mes amis.
Il veut reprendrelecontrôle, coûtequecoûte. Jenepeux pas
faillir maintenant. Au contraire, je me demande jusqu’où je
peux aller. Mon attitude n’est pas celle d’une revancharde
blessée: je veux lui faire sentir la jalousie profonde qui m’a
si souvent assaillie. Lui faire réaliser la souffrance que j’ai
endurée, qu’elle lui torde les boyaux comme elle a tordu les
miens. Et peut-être, au fond, lui faire prendre conscience
des sentiments qu’il a pour moi. J’ai passé la seconde,
j’enclenchelatroisième.
«Tu sais, j’ai rencontré un type sympa ici, un local, un
musulman. Jecroisqu’il meplaît. »
L’histoire est bidon, mais crédible. Son attention est
totale. Je m’attends à une explosion de rage.
«C’est vrai ? Mais vas-y, fonce! Il est comment ? Couche
avec lui, fais-lui une gâterie, fais ce que tu veux, mais
surtout, prendsdesphotosdela scène, jeveux tout voir. »

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 147/223

Hors-jeu volontaire

Le sol s’effondre sous mes pieds. Je voulais l’énerver, lui


faire mal. Je n’ai réussi qu’à l’exciter. Sa réaction me coupe
la chique. Dans son délire, il m’envoie des photos de lui en
action avec des filles, et s’appuiesur sespropres expériences
pour mesuggérer desidéesdemiseen scèneet depositions.
Possédé par son vice, il ne se rend même pas compte qu’il
me montre, pour la première fois, des clichés de ses ébats
avec d’autres femmes. Je n’ignorais pas cette réalité, mais le
choc est violent. Je tente d’effacer de ma mémoire ces
images de débauche. Pendant ce temps, lui, ne s’arrête plus
debavasser.
«Tu te mets dans ce sens, comme ça le mec peut
te prendre en photo comme ça, après ça vous changez
decôté… »
Sa litanie inépuisable me blesse, mais entraîne dans le
même temps un effet secondaire inattendu. Il est à mes
pieds, soumis, à ma merci. Lesrôlessont inversés: c’est moi
qui suis toute-puissante cette fois. Cette victoire suffit à me
contenter. Mais elle a un goût amer. Deux heures plus tard,
j’annonceàSamuel quej’ai couchéavec lebel inconnu, sans
avoir réussi à immortaliser nos cabrioles. Pas le culot de
sortir l’appareil photo. Trop embarrassant, trop compliqué.
Je lui explique que c’était un coup d’un soir, qu’il n’y aura
pasdedeuxièmetour. Il est déçu maisseréjouit malgrétout
demon initiative.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 148/223

RevengePorn

«Tu as enfin compris ce que j’aime. C’est mon bonheur,


c’est mon vice. Continuons sur cette voie. Nous allons être
heureux touslesdeux. »
En rentrant au Cameroun, j’ai le sentiment d’avoir percé
définitivement le mystère Samuel Eto’o. Oui, c’est un
homme romantique, galant, drôle. Mais ses attentions ne
sont qu’un appât, un marchepied pour vous entraîner dans
ses fantasmes. Il a le vice dans la peau, mais n’en éprouve
aucune fierté. Il a fallu trois ans de louvoiement pour qu’il
s’en ouvre de manière explicite. Je le sens presque libéré,
soulagé de pouvoir désormais aborder le sujet sans détours.
Lors des conversations qui suivent, il ne s’en prive pas, et
me dresse le portrait rêvé d’une vie libertine à ses côtés.
Il a tout réussi, a de beaux enfants, une belle carrière. Mais
l’argent ne suffit pas. Il se sent seul. Ses «délires», comme
ils les appellent, voilà ce qui le rend vraiment heureux, mais
il ne peut les partager avec personne ou presque. Bien sûr,
il peut trouver facilement des femmes qui acceptent ses
exigences, et même avoir recours à des prostituées s’il le
faut. Mais ces filles de passage ne lui plaisent pas. Avec moi,
il se sent bien, en confiance. Nous sommes attachés l’un à
l’autre. Cette affection réciproque rendra plus intense
encore l’expérience du libertinage. Il me noie sous une
pluie de scénarios plus exotiques les uns que les autres.
Clubs privés, yeux bandés, mains attachés… Il me jouait

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 149/223

Hors-jeu volontaire

50 NuancesdeGrey avant l’heure. J’abondedansson sensau


téléphone, mais je n’arrive pas à m’imaginer l’accompagner
dans les folles parties fines qu’il nous promet. Dans le
même temps, je me sens privilégiée d’avoir accès à la plus
secrète intimité de son être. Si j’ignore où il me mène, je ne
veux pas briser ce lien nouveau qui nous unit. Je décide de
déployer une sorte de stratégie de l’évitement : maintenir le
contact à distance, alimenter virtuellement le foyer de son
désir, et trouver un prétexte pour ne pas laisser le champ
libreàsesprojetslibidineux s’il provoqueunerencontre.
Mon plan fonctionne. À l’été 2011, nous nous retrou-
vons quelques jours au Concorde Lafayette. Ses obsessions
ne gâchent pas nos escapades amoureuses. À l’exception
du visionnage d’un film porno mettant en scène un couple
delesbiennes, il n’est pasquestion defantaisiessexuelles. Ce
n’est pas la première fois qu’il met en sourdine ses lubies
devant moi, commes’il préférait lefantasmeàlaréalité. À la
rentrée, il quittel’Inter deMilan pour l’Anzhi Makhachkala,
un club du Daguestan, l’unedesrégionslesplusoccidentales
de Russie. L’équipe est anonyme, l’enjeu sportif nul, mais
peu importe: le numéro 9 ne supporte plus le mépris du
football européen pour son talent. Il a le sentiment d’avoir
porté son équipe à bout de bras, parvenant à remporter
un seul trophée d’ampleur – la coupe d’Italie –, sans, une
fois de plus, en récolter les fruits. Pour la troisième année

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 150/223

RevengePorn

consécutive, c’est Messi qui a décroché le Ballon d’or,


Samuel ne terminant même pas dans le trio de tête. Ce
nouvel échec qu’il considère comme un manque de recon-
naissance criant constitue le tournant de sa carrière.
«Puisque je ne peux pas être numéro un sur le plan sportif,
je vais l’être sur le plan financier », m’explique-t il. Il se
montredisponibleau plusoffrant, et c’est lepetit club russe,
dirigé par un milliardaire local, qui propose le plus gros
chèque, avec 20 millions d’euros de salaire par an. Les titres
des journaux sportifs du monde entier célébrant le «joueur
le mieux payé de tous les temps» sonnent comme une
revanche pour le petit Camerounais miséreux. Mais il
l’éloignedesesproches. Malgréun jet privémisàsadisposi-
tion par le club pour faciliter ses déplacements, ses visites
en Europe se font plus rares, tout comme nos occasions
deretrouvailles.
Je profite de cette parenthèse forcée pour me recentrer
sur moi-même. L’oisiveté et mes tourments incessants avec
Samuel m’ont fait prendre du poids. Mes journées s’étirent
entregrignotages intempestifset coma télévisuel. Jenepeux
plus végéter indéfiniment, il me faut un travail de toute
urgence. Une nouvelle compagnie aérienne, Camair-co,
vient de se lancer au Cameroun. Ils cherchent des hôtesses
d’accueil. Je postule à l’automne, forte de mes nouvelles
compétences en anglais. L’entretien se passe bien. Je suis

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 151/223

Hors-jeu volontaire

prise à l’essai pendant trois mois, comme agent d’escale à


l’aéroport deYaoundé. Letest est positif, et jesuistitularisée
à mon poste au début de l’année 2012. Salaire net : l’équi-
valent de 400 euros par mois. C’est peu, mais je m’en
accommode. L’argent n’est pas ma motivation première. Je
suisfièredemelever lematin, d’aller travailler, et derentrer
crevée le soir. Plus que tous les séjours en hôtel cinq étoiles,
mon nouveau statut desalariéemodestemedonnel’impres-
sion d’accéder enfin au monde des adultes. Ce rythme de
vie normale retrouvé m’aide à m’émanciper à la fois sur le
plan personnel et sur le plan sentimental. Je ne suis plus
dépendante des appels de Samuel. J’ai d’autres occupations
danslajournéequederester lenez colléàmon Smartphone
entre deux paquetsde chips. Le contact entre nousn’est pas
rompu, mais nos quotidiens respectifs chargés nous offrent
un bol d’air fraisnécessaire. Noséchangessefont plusrares,
mais sont aussi moins futiles. S’il n’a pas, dans un premier
temps, encouragé mon choix de travailler, ma condition de
femme active ne semble finalement pas lui déplaire. Il me
parle avec plus d’égards, plus de respect. Au fil des mois,
j’entends ici et là des bruits de couloir sur telle ou telle
liaison qu’on lui prête. Chaque fois, je ressens un petit pin-
cement au cœ ur. Mais mon esprit est vite accaparé par ma
mission du jour, mesclients, meschefs. Jen’ai plusletemps
de jouer lesdétectives, de m’apitoyer sur nous. Preuve dece

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RevengePorn

détachement progressif, jerépondsàl’invitation deFally qui


me propose en avril de venir en République démocratique
du Congo à l’occasion de la sortie de son nouvel album. J’y
passe deux jours. Je me sens plus épanouie et sereine que
jamais. Notre amitié se renforce. Un soir, après l’un de ses
concerts de promotion, nous flirtons brièvement. Cette
incartade n’aura pas de suite. Elle témoigne simplement de
mon état d’esprit du moment. Je me garde bien d’en parler
à Samuel, pour ne pas troubler cette période de quiétude
inespéréequenoustraversons. Il lesaurabien assez tôt.
Je n’ai pas encore de vacances officielles, mais j’obtiens
deux jours de repos au mois de juin, à l’occasion du jubilé
de Patrick M’Boma. L’ancien joueur des Lions, devenu
consultant pour Canal +, est une figure vénérée du football
camerounais. Samuel me prévient qu’il compte faire le
déplacement, et nous convenons de nous retrouver dans sa
suite du Hilton lors de son séjour. Je suis heureuse de le
retrouver, mais la passion n’est plus là. Tout du moins,
j’attends un geste de sa part pour raviver la flamme. À mon
arrivéeàlaréception, jecroiseAyden, lajournalisteantillaise
dont j’avais fait plus ample connaissance à Douala deux ans
plus tôt. J’ai un désagréable sentiment de déjà-vu. Elle
s’annonce à la réception. Mes vieux réflexes d’espionne se
réveillent. Ni uneni deux, jefiledansla chambrede Samuel
pour scruter un changement de comportement. Il est au

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Hors-jeu volontaire

téléphone. Étranges retrouvailles. Je l’entends converser


avec une voix féminine à qui il glisse : «Tu es déjà là?Ok
j’arrive. » Il raccroche et se tourne vers moi sans grandes
effusions. J’ai latêtequefont lesenfantsquand ilspréparent
un salecoup.
«J’ai croiséAyden en bas, lui dis-je.
– Ah oui. C’est possible, il y a beaucoup de journalistes
pour le jubilé. Dis-moi, tu m’as dit que tu voulais acheter
unevoiture non ?Tu veux laquelle?
Ce retournement acrobatique trahit son sentiment de
culpabilité. Même si la folie des débuts est loin, je me
réjouissais sincèrement de le revoir enfin seul à seul. Il va
falloir le partager. Je n’ai plus l’énergie pour lui faire une
scène. Ces derniers mois, j’ai appris à vivre sans sa présence
physique. Jepeux y arriver. Jenesuissimplement pasencore
prête à couper tous les liens. De son côté, il n’a pas changé.
Me voir après des semaines de séparation n’a pas eu l’air
de l’émouvoir plus que ça. Le soir, Samuel me dit qu’il va
dîner au restaurant avec ses amis pour parler affaires.
Quelques minutes plus tard, j’apprends par l’une de mes
taupes qu’il est en boîte avec le reste de la bande. Laquelle
ramènera-t il dans son lit ? Ça ne m’intéresse pas. Je
m’endorsseule, en pensant àlavoiturequeSamuel m’offrira
bientôt. Je n’attends plus d’excuses, ni de grand discours, ni
d’engagement de sa part. À partir de maintenant, je veux

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RevengePorn

simplement profiter de ce qu’il me donne, au sens propre


comme au figuré: des cadeaux, de l’argent, et un peu de
temps quand il le souhaite. Ma démarche peut paraître
cynique, elle n’est que le résultat d’un profond sentiment
de résignation. Il ne changera pas. Je ne le changerai pas.
Après le jubilé, Samuel rentre en Russie. Deux semaines
plustard, sur sesordres, l’un desessbiresvient mechercher
un matin pour m’emmener à la banque et me remettre
un sac rempli de billets. Je me rends avec le butin chez le
concessionnaire. Je repars au volant d’un SUV Hyundai
IX35, payé cash 40 000 euros, les cheveux aux vents et la
consciencetranquille.
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XI

AU FOND DE SES FILETS

Jenecoursplusaprèsmon princecharmant en crampons.


Samuel voulait fairedemoi uneadulte. Il y est parvenu, mais
je ne suis sans doute pascelle qu’il avait en tête. Ma priorité,
c’est mon travail. Trop de prisesde tête, trop defrustrations.
L’amoureusedépitéeest devenueune«workinggirl »pressée.
J’enchaîne les heures, parfois jusqu’au bout de la nuit, avec
l’énergie d’un Stakhanov. Je veux briller, performer. Le reste
est accessoire. Samuel et moi continuons de nous donner
desnouvellesrégulièrement, sansflammeni drame. Delui, je
n’espèreplusrien, sinon debeaux cadeaux, debeaux voyages,
et un brin de tendresse. En clair, des biens matériels et du
sexe. C’est bien suffisant pour assurer mon bien-être. Mainte-
nant j’optimise, je rentabilise. Il a fallu du temps pour queje
comprenne enfin qu’en amour, le meilleur moyen de ne pas
êtredéçueest encoredenerien attendre.
La distance et nos emplois du temps respectifs ont large-
ment contribué à mon changement d’état d’esprit. Quand

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 156/223

RevengePorn

bien même je serais toute entière dévouée à ma superstar,


nos rendez-vous ne pourraient pas dépasser une nuit tous
les deux ou trois mois. Je n’ai pas encore de congés payés,
et le week-end, Samuel est bloqué par les matchs de son
championnat. Ce n’est qu’en février 2013 que je décroche
enfin mes premières vacances officielles, qui coïncident
avec mon anniversaire, le 7 du mois. Samuel m’offre un
séjour à Paris. J’espère qu’il pourra m’y rejoindre, au
moins le temps de venir souffler les bougies avec moi.
Il décline, prétextant un stage d’entraînement avec les
Lions. J’ai beau jouer les indifférentes, je suis un peu triste:
cela fait quand même huit mois qu’on ne s’est pas vus. Au
Concorde Lafayette, je retrouve l’indéboulonnable Sonor,
qui me propose de passer mon déjeuner d’anniversaire
avec lui et quelques amis à l’Atelier, le grand restaurant de
Joël Robuchon sur les Champs-Élysées. J’accepte, mais le
cœ ur n’y est pas. J’enfile une paire de Louboutin offerte
par Samuel comme une marque de son absence.
Au milieu du repas, je sens des mains se poser sur mes
épaules. Je tourne la tête. Mon footballeur affiche ce sourire
malicieux que j’aime tant. Je suis touchée par cette arrivée
à laquelle j’étais à mille lieues de m’attendre. Après le des-
sert, direction le shopping. Je repars de l’avenue Montaigne
avec un sac Céline en python à 2700 euros, un sac Chanel
à 3 250 euros, une montre et des ballerines de la même

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Au fond desesfilets

marque, et une fourrure Burberry à 3000 euros. Sa généro-


sité sans limites m’attendrit. Il s’amuse à me regarder faire
lesessayagescommedanslacélèbrescènedePretty Woman.
La journée se termine par une soirée dans son appartement
du XVI e arrondissement. C’est un vrai palace, avec unesalle
de cinéma au milieu duquel trône une chaussure de foot
en or. L’heure avançant, la bande nous quitte petit à petit.
Seul Sonor reste avec nous. Ça recommence. Je viens de
passer une journée de rêve. Comment dire non ? Je suis
piégée. Samuel monte dans la chambre pour se changer et
nouslaisse, moi et Sonor, danslesalon. Cedernier m’enlace
lorsque son patron fait irruption. Comme toujours, Samuel
observed’abord sansbouger. Il est aux anges. Moi, jenesuis
plus choquée comme avant. Je fais le job sans dégoût mais
sans enthousiasme non plus. On m’a donné du plaisir, j’en
donneen retour. Ni plusni moins.
Nos escapades se poursuivent, toujours aussi espacées.
Paris, Majorque, où Samuel a joué et possède toujours une
superbe maison avec piscine, puis Paris à nouveau. Dans
l’intervalle, le numéro 9 a quitté Anzhi. Les rapports avec le
club se sont tendus. Même avec son immense talent, il ne
pouvait pas faire de miracles, et les résultats ne sont pas au
rendez-vous. Les Russes ne peuvent plus suivre financière-
ment et proposent à Samuel de diviser son salaire par trois,

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RevengePorn

lui offrant 7 millions d’euros par saison. Nous en parlons.


Jelui conseillederefuser :
«Tu as trois Champions League à ton actif, tu n’as plus
rien à prouver. Reviens en Europe, n’importe quel club te
proposera le même salaire et tu retrouveras un niveau de
jeu qui tecorrespond.
– Tu asraison. »
Il caresse un instant l’idée du PSG, mais il n’y connaît
personne. En revanche, son ancien entraîneur de l’Inter,
José Mourinho, vient d’être embauché par Chelsea. Samuel
reprend contact avec le «special one» et propose de le
rejoindre. Le club londonien consent à lui verser un salaire
de 8 millions d’euros. Samuel accepte sans sourciller. Il sait
qu’il n’est plus aussi en forme qu’avant, et l’admet du bout
des lèvres en privé. Il s’en veut d’être parti au Daghestan
pour le plaisir de faire le buzz, sans se rendre compte qu’il
perdrait sur le plan sportif ce qu’il ramasserait en espèces
sonnantes et trébuchantes. À ses yeux, Mourinho lui fait
même une fleur en l’intégrant dans son effectif, et Samuel
lui en sait gré. Les premiers temps s’avèrent pourtant diffi-
ciles. S’apercevant des limites physiques de l’avant-centre,
l’entraîneur portugais ne fait que rarement appel à lui, et
c’est sur lebanc detouchequ’il passel’essentiel despremiers
matchs. Être relégué au rang de figurant est un camouflet
difficile à supporter pour Samuel, d’autant que l’équipe

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Au fond desesfilets

enchaîne lesperformances. Il ronge son frein en silence: lui


seul est responsabledelabaissedeson niveau dejeu.
Cesdifficultéssportivesle rendent plusdisponibles à nos
échanges téléphoniques. Je lui parle de mon travail à l’aéro-
port qui me donne plus que jamais des envies de voyages.
Il me demande où je rêverais d’aller. Ma réponse fuse: New
York ! Mes désirs sont des ordres. Impossible pour lui de
m’accompagner, et pourtant, alorsqu’il setrouveàLondres,
il organise pour moi un séjour tous frais payés début
novembre à l’hôtel Mandarin Oriental, en plein Manhattan.
L’établissement est le plus incroyable qu’il m’ait été donné
de visiter, avec sa réception perchée au trentième étage. Ma
chambre, sans être dingue, possède une vue magique sur
Central Park. Je le noie sous une pluie de textos surexcités,
regrettant simplement de nepas l’avoir à mes côtés. Ma joie
est decourtedurée. Lelendemain demon arrivée, mon petit
frère m’appelle pour m’annoncer la mort de mon grand-
père. Je suis dévastée. Depuis le décès de mon père, il était
devenu la figure paternelle à laquelle je m’étais raccrochée.
J’ai besoin depleurer, deparler. Jesorsmon téléphonepour
informer Samuel, mais un MMS reçu au même moment
m’en empêche. Il est deRolande, l’unedemesamieshôtesse
del’air. Ellem’envoieunephoto brasdessusbrasdessousde
Samuel et Marie-Christine, une autre de nos collègues, avec
qui il avait eu une histoire d’amour il y a cinq ou six ans. Le

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cliché, daté du jour de mon arrivée aux États-Unis, consti-


tuait la photo de profil BBM nouvellement mise à jour de
notre ancienne camarade. Leur sourire complice est pour
moi un crachat à la figure. La seule épaule sur laquelle j’ai
envie d’épancher le chagrin de mon deuil est occupée par
une autre. C’est la goutte de trop. Je mets ma douleur entre
parenthèses le temps d’appeler Samuel. La photo ? Quelle
photo ?Ah oui, celle-là. Il ne sait pas. Ah si, il a croisé cette
Marie-Christine dans une gare, et cette dernière voulait un
selfiepour safille. Il sefout demoi, maislemoment est trop
mal choisi. Jeraccrochenet.
Je n’ai pas les moyens de changer moi-même mon billet,
et il est exclu queje demandequoi quecesoit àSamuel après
ce nouvel affront. Je reste à New York jusqu’à mon vol
retour, cinq jours plus tard. Je pense à mon grand-père, à
mon père, et à leur regard sur ma vie, depuis les cieux. Je les
sais heureux de me voir m’épanouir dans un travail sérieux.
Mais j’ai moins de certitude quant à ma situation sentimen-
tale. Seraient-ils fiers de me voir sans cesse malmenée par un
homme qui collectionne les femmes sous prétexte qu’il peut
tout s’offrir ?Je connais la réponse. Elle ajoute à ma douleur.
Peut-être est-ce le déclic qu’il me fallait pour mettre un
terme définitif à cette mascarade amoureuse. En rentrant
chez ma mèreàYaoundé, jedécidedesolder lescomptes. Un
appel, un seul. Ledernier.

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Au fond desesfilets

«En cinq ans, nous en sommes au même point qu’au


premier jour. Pire: nous nous voyons au débotté, et le
reste du temps, tu vois d’autres femmes à ta guise, sans
mêmeparler dela mèredetesenfants. Jesuista pute. Jene
suisplus une gamine. J’ai vingt-six ans, mais à tesyeux, je
nesuisrien d’autre qu’unepute. »
Il comprend que cette dispute ne ressemble pas aux
autres. Il tente de crier pour couvrir ma voix, sa technique
préférée quand il se sent acculé. Je fais mine de ne pas
l’entendre, et continue de déverser mon fiel. Il baisse d’un
ton et temporise.
«C’est faux. Jeteprometsquejevaisassumer notrerelation
à partir de maintenant. Tu es la seule qui connaisse toutes
les facettes de ma personnalité et qui m’accepte comme je
suis. Tu saistout demoi, et tu esencorelà.
– Si tu penses ce que tu dis, alors on ne se cache plus. À
partir d’aujourd’hui, je veux t’entendre crier sur tous les
toitsquenous sommesun couple, un vrai.
– C’est d’accord.
– Tu mens. Ou alors prouve-le dès maintenant, et laisse-
moi montrer au mondequenoussommesensemble.
– Tu peux y aller. Ici, à Londres, jenevisplusavec la mère
desenfants. Et c’est toi que jeveux. »
La rumeur de sa séparation officielle avec Georgette
courait depuis quelques temps. Je l’espérais vraie, il me le

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RevengePorn

confirme. L’information meréchauffelecœ ur. Maisl’heure


n’est plus aux belles paroles. Quelques secondes à peine
après avoir raccroché, j’ouvre mon compte Facebook. J’y
publie une sélection de photos de notre couple prises aux
quatre coins du monde ces cinq dernières années: Paris,
Milan, Barcelone, Londres… Je n’oublie aucun de nos
voyages jusqu’ici secrets. J’ajoute quelques portraits intimes
de Samuel en train de dormir, ou dans la baignoire, en
prenant soin de sélectionner des clichés où il n’apparaît
pas nu. Je clique sur «publier ». Je compte bien sur ma liste
de cinq cents amis pour que la nouvelle se transmette
comme un virus et se répande dans tout le Cameroun et
au-delà à la vitesse de la lumière. En fermant les yeux, je
repasse le film de notre histoire avec ses hauts et ses bas.
Elle n’est pas parfaite, loin de là. Mais c’est la nôtre.
Peut-être va-t elle enfin répondre à mes espoirs depuis si
longtempsenfouis?
Lanuit est courte. Dès5 heuresdu matin, mon téléphone
s’affole. Je saisis l’appareil : l’écran affiche des dizaines de
SMSet d’appelsmanqués. Laplupart proviennent du même
correspondant : Samuel. J’égrènequelquestextospour com-
prendrelaraison deson agitation.
«Mais tu es folle? Tu as mis des photos de nous sur
Facebook ?»

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Au fond desesfilets

J’ai été stupide d’y croire. Il n’est pas juste furieux : il est
complètement paniqué.
Tu m’asbien dit quetu étaisprêt à assumer notrerelation ?
À la rendre publique à la face du monde? Eh bien voilà,
j’ai appliquétesbonnes résolutionsà la lettre.
– Oui mais c’était à moi de le faire. Laisse-moi juste un
peu de temps. »
Pourquoi attendre encore, si ce n’est pour mieux sedéfi-
ler ?Baratin. Je sais désormais à quoi m’en tenir. Je lui écris
qu’il peut dormir sur ses deux oreilles, et que les photos
vont disparaître dans la minute. Au passage, je lui indique
qu’il doit désormaismeconsidérer àsesyeux commemorte
et enterrée.
«Danscecas, tu doismerendretouslescadeaux quejet’ai
offerts. Vêtements, bijoux, voiture. Tout.
– Avec plaisir. Viensteservir. »
Mon réveil brutal et la crise de nerfs qui a suivi m’ont
vidée de toutes mes forces. Je m’endors les yeux humides
sans même m’en rendre compte. À 7 heures, mon petit
frère Fabrice vient frapper à ma porte.
«C’est Serge. Il veut tevoir. »
Je pourrais écrire le scénario à l’avance. Mais même si
je ne veux plus entendre parler de son patron, je garde de
l’estime pour Serge. Les yeux et les cheveux encore englués

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RevengePorn

de larmes, je lui résume la situation pour couper court à


toute tentative de rabibochage.
«J’aime peut-être encore Samuel. Mais c’est ma tête
qui gouverne maintenant. S’il veut qu’on reste amis, qu’il
me laisse le temps de digérer ce qu’il m’a fait. Je n’ai rien
d’autreà ajouter. »
Serge m’écoute sans chercher à me relancer. Il sort son
téléphone, s’absente une minute, et revient.
«Samuel a porté plainte contre toi pour violation de la vie
privée. »
Mon premier réflexe est de rire à gorge déployée. Il faut
vraiment qu’il ait perdu les pédales pour en arriver à des
extrémités pareilles. Il a compris que je ne plaisantais pas,
et ne sait plus quoi faire pour se venger. J’ai du mal à croire
à la réalité de sa plainte. Je me dis surtout qu’aucun service
de police ou de gendarmerie ne pourra prendre cette pro-
cédure au sérieux. Serge m’assure que les forces de l’ordre
avaient l’intention de venir perquisitionner chez moi, mais
qu’il les en a empêchées. De fait, si j’ai la conscience tran-
quille, je n’ai qu’à l’accompagner à la gendarmerie pour
prouver ma bonne foi. J’y vois l’occasion de tuer dans l’œ uf
cette bouffonnerie. Je réunis mes deux téléphones et mon
ordinateur et nous prenons le chemin de la caserne du Lac.
Sur place, un officier nousaccueille. Il mesaluepoliment
et gratifie Serge d’un chaleureux «Salut, comment tu vas?»

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Au fond desesfilets

Ces deux-là ont l’air d’être copains comme cochons. Je


commence à réaliser le traquenard dans lequel je suis tom-
bée. Mais l’uniforme en impose au simple quidam que je
suis. À sa demande, je lui remets ordinateur et téléphones.
«On va simplement vérifier qu’il n’y a pas de photos
compromettantes pour les besoins de l’enquête, ce ne sera
pas long», promet-il. Faites donc, maisqu’on en finisse une
bonne fois pour toutes. Qu’ils mènent leur enquête et qu’ils
me foutent la paix. Mon grand-père doit être enterré dans
deux jours. J’ai d’autrespréoccupations.
À mon grand désespoir, le sketch n’est pas terminé. En
sortant de la gendarmerie, Serge me dit que nous devons
désormais aller voir le procureur. C’est lui qui a reçu la
plainteet dirigel’enquête. S’il faut en passer par là pour que
je rentre chez moi blanchie, qu’il en soit ainsi. Au tribunal
de première instance, le magistrat me confirme l’ouverture
des investigations. Cette fois, je craque, et m’effondre en
larmes. Je m’épanche dans son bureau : ma rupture avec
Samuel, nos crises, les photos, mon deuil… La sincérité de
madétressen’échappepasàl’hommedeloi.
«L’enquête ne sera pas longue. D’ici là, rentrez chez vous,
et occupez-vousdevotre deuil. »
Jerentrechez moi épuisée, vidée. J’ai l’impression d’avoir
joué dans un mauvais film. Tout cela ne peut pas être réel.
Mais si tel est le cas, alors je viens d’avoir la démonstration

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RevengePorn

de la puissance de Samuel. Comment un homme peut-il


mobiliser l’autorité judiciaire de toute une ville à 7 heures
du matin pour un tel Vaudeville? Je suis persuadée que la
procédure n’ira nulle part. Ma crainte est ailleurs: jusqu’où
la colère de Samuel peut-il le mener ? Quelle sera la pro-
chaine étape? Dans le secret de notre relation, je pouvais
parfois avoir le dessus sur lui. Dehors, il est invincible. Je
dois rester sur mes gardes, ne pas l’énerver plus que de rai-
son. Il est une superstar mondiale, je suis une hôtesse
d’accueil lambda. À cejeu-là, lui seul peut gagner.
À mon retour à la maison, j’évite soigneusement de faire
le récit de ma matinée à ma mère. Cette histoire la dépasse-
rait, et pourrait l’inquiéter inutilement. Fabrice, qui aassisté
à l’arrivée de Serge dans ma chambre et a vu les photos sur
mon Facebook, veut en savoir plus. Je lui explique que
Samuel fait des histoires à cause des clichés que j’ai postés,
sans m’étendre. Nous partons à Obala, le village de mon
grand-père pour assister à la veillée funèbre. Elle doit durer
deux jours. Je suis partagée entre le chagrin du deuil, et
l’incertitudedemon sort judiciaire. Au coursdelaveillée, je
n’ai aucune nouvelle de la gendarmerie ou de la justice. Le
seul moyen demecontacter est d’appeler sur mon téléphone
professionnel, le seul que les autorités aient consenti à me
laisser. Après trois jours sans nouvelles, le portable sonne
enfin. La famille au complet est réunie autour d’un dîner.

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Au fond desesfilets

C’est Serge. Voir son nom s’afficher me soulage. Je m’ima-


gine que Samuel s’est rendu compte des dégâts provoqués
par son coup de sang, qu’il culpabilise, et veut m’annoncer
lafin despoursuites. Laréalitéest tout autre.
«Tu aslenuméro deTeddy?m’interroge le bras droit.
– Pour quoi faire? Fabrice est au courant de nos pro-
blèmes, mais Teddy ne sait rien. Laissez mon petit frère en
dehorsdetout ça.
– Samuel voudrait lui parler deson foot. »
Ça m’a tout l’air d’une basse manœ uvre. Mais s’il disait
vrai ? Je ne peux pas laisser une opportunité échapper à
Teddy. La star l’appelle dans la seconde qui suit. Je garde
uneoreille sur leur échange. La conversation semble effecti-
vement tourner autour du ballon rond, des progrès de
Teddy, desrésultatsdeson club. Puismon frèretend l’appa-
reil à ma mère. Cette fois, il est bel et bien question de moi.
Je m’approche du combiné. Ma mère ouvre grand les yeux.
J’entends Samuel lui raconter que je le trompe depuis des
mois avec Fally Ipupa. D’où peut-il sortir une connerie
pareille?Il développe et annonce qu’il a eu connaissance de
nombreux échangessuspectspar SMS. Il est vrai quel’artiste
et moi, au bord du flirt il y a quelques mois, avons depuis
tissé une relation amicale très forte. Je me suis confiée à
lui sans détours, ne cachant rien de mes questionnements
et des difficultés que Samuel et moi traversions. Savoir que

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RevengePorn

j’entretiens depuis des années une amitié si intime sans


son consentement est un affront. À cela, s’ajoutent d’évi-
dentessuspicionsqueFally et moi ayonspoussénotreamitié
jusquesouslesdraps. C’est faux maisledémontrer ne serait
passimple.
Ma mère est blême.
«Samuel va t’appeler. Necriepass’il teplaît », medit-elle.
Si de banales photos de vacances m’ont conduit dans le
bureau du procureur, où cette découverte va-t elle m’emme-
ner ? En prison ? Cette hypothèse, aussi absurde soit-elle,
ne me paraît pas si farfelue. Je tremble de tout mon corps en
décrochant l’appareil.
«C’est moi le type instable? C’est moi le mec volage?
Tu as oublié de me dire que tu avais toi-même tes petits
secrets! Quetu allaisretrouver Fally dansmon dos! Et que
vousdisiez du mal demoi. »
Il me cite les conversations les unes après les autres,
datées, mot pour mot, en sélectionnant soigneusement les
plus ambigües, ou celles où je me plains de son attitude.
Dansl’uned’elles, Fally m’écrit : «Allez viens, jevaistefaire
un enfant ». Uneblaguedestinéeàmefairesourirealorsque
je traversais une énième crise avec mon footballeur. Pour
Samuel, c’est forcément du premier degré. Je plaide ma
cause, perdued’avance.

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Au fond desesfilets

«Fally et moi sommes amis. Il m’a écouté quand j’avais


besoin de me confesser. Et puis comment sais-tu tout ça?
Tu t’esprocurémesconversations?
– Bien sûr queoui. Jeconnaistout lemondeau Cameroun,
à touteslesstratesdu pouvoir. Tu voiscequejepeux faire?
Jepeux détruireta vie. Jepeux tebroyer si jeveux. »
Je suis au bord du malaise. Je cherche un endroit pour
m’asseoir. Comment peut-il être aussi menaçant en plein
milieu de mon deuil ? Son ego blessé a pris possession de
son être. Il est fou, littéralement. J’ai eu un avant-goût de
l’étendue de son pouvoir. Il ne feint pas l’influence qui est
la sienne. Il va me faire virer. Il va m’envoyer au tribunal.
Les scénarios les plus noirs défilent dans ma tête. Je n’ai
aucun moyen de lutter. Je baisse les armes.
«Les messages que tu as lus sont authentiques. Vas-y,
broie-moi. Si c’est le seul moyen de te faire sortir de ma
vie, fais-le. »
Il se calme et marque une pause. Puis reprend d’une
voix douce.
«J’ai une meilleureidée. Nousallonsnousvoir. Tu vasme
raconter ton histoire d’amour avec Fally. Et avec tous les
autres hommes avec qui tu m’as trompé. Je veux tout
savoir. Danslesmoindresdétails.
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XII

UNE ÉTRANGE MISSION

Quel genre d’hommes revanchards au discours mena-


çant choisit de vous inviter dans un hôtel cinq étoiles
en plein cœ ur des quartiers chics de Londres pour régler
ses comptes?Il faut s’appeler Samuel Eto’o pour esquisser
ce genre de plan «diabolique». Après s’être déchirés en
pleine veillée funèbre, le footballeur et moi avons convenu
de nous voir ce 29 novembre 2013 dans la capitale anglaise
pour une confrontation en face à face. Il veut recueillir le
récit de mes tromperies supposées avec Fally Ipupa, et tous
les hommes avec qui j’ai pu converser depuis cinq ans et
avec lesquels il me prête une liaison. J’ai longuement hésité.
Une seule raison m’a décidé à faire le voyage: la violence de
sacolèrecontinuedem’inquiéter. Il mefaut arriver àcalmer
ses instincts destructeurs. Obtenir des autorités camerou-
naises ma convocation au petit matin pour six ou sept
photos de vacances publiées sur Internet démontre une
capacitédenuisancesillimitée.

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RevengePorn

La réception du palace m’indique le numéro d’une


chambre réservée à mon nom. En y pénétrant, je constate
que le déclassement ne fait pas partie de son arsenal de
représailles. Sans mes téléphones, je n’ai pas d’autre choix
quedelui envoyer un e-mail pour lui annoncer mon arrivée.
Sa demeure londonienne est tout près, située juste derrière
le Ritz voisin. J’ai à peine le temps de défaire mes bagages
qu’il fait son apparition, en compagnie d’Étienne, alors âgé
de onze ans. J’avais revu le jeune garçon l’an passé, dans la
maison de son père à Majorque où il passait des vacances.
Un selfie que nous avions alors réalisé sur la plage faisait
partie de la collection de clichés que j’avais postée sur
Facebook quelques jours plus tôt. En m’apercevant, Samuel
remballe les courtoisies d’usage, et me lance d’un ton accu-
sateur en désignant son jeune fils : «Regarde. C’est lui que
tu asexposésur Internet. » L’attaqueest indigne. Étienneest
déjà courtisé depuis longtemps par lesmédias camerounais,
et son visage connu de tous. Je ne relève pas cette bassesse,
meconcentrant sur leduel àvenir.
L’adolescent quittelachambreà la demandedeson père.
Sans un mot, Samuel attrape une feuille et un stylo, me les
tend, et exige:
«Raconte tout. Souviens-toi de tout, et je te pardonne.
Quand jereviendrai du match, jelirai cequetu asécrit. »

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Uneétrangemission

Son calme olympien me glace. L’hostilité est intacte. Il


sort sans plus d’effusions. Je me retrouve seule, avec ma
feuilleet mon stylo, prêteàcoucher mesconfessionsintimes
sur papier. La situation est grotesque, mais la peur de
réveiller le monstre chasse vite le ridicule de ma posture. Il
faut que j’écrive quelque chose, n’importe quoi. La liste de
mes correspondants masculins est longue, et hormis avec
Fally, je n’ai joué la carte de la séduction avec aucun d’entre
eux. Je dois filtrer, trouver le bon dosage, ne pas en dire
trop, ni pas assez. Je saisis le stylo, et note : «Amadou, un
fonctionnaire camerounais rencontré par l’intermédiaire
du travail. Bon ami. » Je barre. Ce numéro de cirque est
absurde. Je commande un bol de porridge au room service
en continuant de tergiverser. Le voyage m’a épuisée. Je me
couche un instant, tente une sieste express, me relève, fais
les cent pas. Tout ça n’a aucun sens. En atterrissant à Lon-
dres, la fraîcheur de l’air m’avait surprise. Je décide de sus-
pendre mes aveux le temps d’aller acheter un pantalon
jogging. En vérité, touslesprétextessont bonspour retarder
lemoment dela«rédaction »…
À mon retour, la réceptionniste me reconnaît, et
m’explique que Samuel m’a cherchée partout. Mon esto-
mac se noue. Je monte dans la chambre en imaginant la
violence de sa réaction. Il est là, allongé sur le lit, jambes
croisées, habillé d’un survêtement noir et d’un débardeur

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RevengePorn

blanc. À sa vue, mon cœ ur décroche et vient s’écraser dans


mon ventre. J’ai la trouille comme jamais.
«Je suis là depuis un moment. Tu as fait ce que je t’ai
demandé?»
Son regard noir vaut avertissement. Ce n’est pas le
moment de jouer à la maligne.
«Non, j’arrive pas.
– Comment ? Toi, Nathalie, l’éloquente, l’intarissable, tu
n’aspasréussi à écrireun mot ?
– Procédons autrement. Pose-moi des questions, et je te
répondrai. »
J’essaie de reprendre la main. Je ne veux pas découvrir
mon jeu avant desavoir avec précision l’étendueet lateneur
desessoupçons. Drôled’ironie: il y acinq ans, lorsquemon
ex-petit ami de l’époque, Frédéric, avait découvert notre
correspondance secrète, c’est Samuel lui-même qui m’avait
conseillédenepasparler lapremière.
«On va faire mieux que ça, reprend-il. Tu vas tout
confesser en vidéo. Jevaistefilmer avec mon iPad pendant
que tu déroules ton récit. N’oublie rien. Ton passeport est
ici et nesortira pasdecettechambre. Dela mêmemanière,
je ne te rendrai tes téléphones qu’une fois que tu m’auras
tout raconté. »
Jusqu’ici, je pensais qu’un policier ou un magistrat
complice lui avait lu mes textos à distance. Je n’avais pas

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Uneétrangemission

imaginé qu’un officiel, quel qu’il soit, ait été suffisamment


culotté pour lui envoyer mes portables à Londres. Son
pouvoir dépasse mes pronostics les plus sombres. Il attrape
une chaise, s’assoit, et pose ses pieds sur un pouf. Le ton
de sa voix est toujours aussi serein, et rend la mise en
scène plus angoissante encore. Je ne peux plus me dérober.
Je m’installe sur le lit, prête à me livrer et à en assumer les
conséquences.
«Il y a eu Amadou, un fonctionnaire, l’ami d’unecollègue.
Nousn’avonsrien fait ensemble. J’ai aussi parléavecIdo, un
militairecamerounais. Nousavonsprisun verreunefois… »
J’égrène les noms des hommes qui ont croisé mon che-
min depuisledébut demaliaison avec Samuel. Certainsont
voulu me séduire, bien sûr, mais je n’ai pas donné suite. Et
puis quand bien même j’aurais cédé à la tentation, Samuel
est mal placé pour me faire un procès en coucheries. Mes
confessions terminées, il s’abstient de tout commentaire.
Les traits fermés de son visage indiquent que ma prestation
nelesatisfait pas.
«Je m’en fous de ces gars-là. Celui qui m’intéresse, c’est
Fally. »
Cette obsession du chanteur m’intrigue. J’y vois une
rivalité d’ego entre deux monstres sacrés dans leur disci-
pline respective. Il faut bien avouer aussi que Fally

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RevengePorn

est le seul avec qui mes échanges par textos trahissent une
certaineambiguïté.
«On a commencé à se voir un an après que notre relation
a débuté. On s’est vus à Paris et à Kinshasa. On a flirté,
c’est vrai, maisc’était un jeu deséduction. Cen’est pasallé
bien loin. »
Je vois son regard se noircir. Ses orteils craquent, sa tête
s’incline légèrement sur le côté. Je connais ses signes: ils
annoncent une montée de colère. C’est cruel, mais le spec-
tacle de sa douleur me fait du bien. Maintenant, c’est lui
qui morfle. Je rajoutedesdétails, j’en invente, pour appuyer
là où ça fait mal. Telle période où tu me croyais en voyage
avec untel, j’étais avec Fally. Tel moment où je te disais que
j’étais au travail, j’étais avec Fally. Au fond, chaque minute
de mon temps libre était tout entier consacré à Fally. À la
fin de mon exposé, c’est tout juste si Fally et moi n’avions
pas marché sur la lune.
«J’espère que tu vas me pardonner », dis-je en guise de
conclusion.
Je n’ai plus qu’à attendre le prononcé de la sentence.
Samuel coupe la caméra de son iPad. J’essaie de lire son
ressenti dans ses yeux. J’y lis une douleur intense. Après
un bref silence, il prend laparole.
«Comment tesens-tu ?
– Libéréed’un poids. »

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Uneétrangemission

Je ne l’ai jamais vu aussi mal. La seule fois où je l’ai


vu pleurer, c’était après un match raté des Lions pour la
qualification à la coupe d’Afrique des nations. Son expres-
sion de douleur est la même, mais il parvient à retenir ses
larmes. Je le vois se relever, s’asseoir, se relever à nouveau.
Il est KO. Finalement, il se sert un verre d’eau, et s’autorise
encore quelques secondes de réflexion. Voilà, mon juge est
prêt à rendre son verdict.
«Jetepensaistellement amoureuse. Jen’ai rien vu venir. Mais
moi aussi je t’ai fait du mal. J’ai fréquentéd’autres femmes.
Tu m’as interrogé à New York sur une certaine Marie-
Christine. Elle tient une agence d’hôtesses au Cameroun et
me fournit des prostituées pour mes jeux sexuels. Voilà. Je
suisdésolé. Jen’ai pasdeleçonsà tedonner. Jetepardonne.
En revanche, jene pardonne pas à Fally. Jeveux qu’il paye.
Vous allez vous revoir dans l’intimité, tu vas prendre des
photos de lui nu, et tu vas me les envoyer. Ce que j’en ferai
par la suiteneteregardepas. Aprèsquoi, toi et moi pourrons
repartir sur desbasessaines. »
Je suis abasourdie. Samuel me rend mes téléphones et
mes cartes mémoire. Mon stock de messages est intact mais
nosphotosont disparu. Son jugement est rendu, il n’y a pas
d’appel possible.
Je reste à Londres cinq jours de plus, à la demande de
Samuel. Il n’a pas voulu me rendre mon passeport. J’aurais

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RevengePorn

préféré rentrer au pays, mais je n’ai pas osé le contrarier.


Le séjour se poursuit dans une ambiance étrange faite de
rancœ ur enfouie et de complicité surjouée. Le lendemain
de mes confessions, il m’invite à le suivre au camp d’entraî-
nement de Chelsea. C’est un grand vaisseau de verre et de
bois perdu dans la nature. Pendant qu’il s’échauffe, je
déambule dans les couloirs, éblouie par les vitrines de tro-
phées et les portraits des joueurs accrochés aux murs.
Samuel me rejoint dans la salle du restaurant pour prendre
lepetit-déjeuner. J’aperçois, assiseàcôtédenous, lalégende
vivantedu foot anglaisJohn Terry. Lecapitaineet défenseur
du club londonien partage le repas avec ses deux enfants,
deux faux jumeaux desix ou sept ansdont unepetiteblonde
à queue-de-cheval jolie à croquer. Cette scène de bonheur
m’offre une pause bienvenue, à la fois tendre et émouvante,
au milieu de la crise violente que Samuel et moi traversons.
Ce dernier en profite pour me parler de ses rapports avec
Mourinho. Le climat entre les deux hommes s’est tendu,
l’attaquant se sentant délaissé et se plaignant du caractère
trop autoritaire du coach. «Il faut dire que moi aussi j’ai
une personnalité assez forte», complète-t il. J’aurais du
mal à prétendre le contraire. La semaine s’écoule, plus pai-
sible que je ne l’aurais imaginé. Sur le trajet qui m’amène
à l’aéroport, Samuel me rend mon passeport comme on
donne un bon point. «Au fait, tu en es où pour les photos

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Uneétrangemission

deFally ?» m’interroge-t il. Jepensaisquecetteidée saugre-


nue avait été lancée sous le coup de l’énervement et lui était
sortie de la tête depuis lors. Je suis prise de court. «Je les
ferai au Cameroun. Ce sera plus simple. » Ma réponse
improviséen’apasl’air delui déplaire.
À mon retour à Yaoundé, j’ai la sensation d’avoir passé
une semaine plongée dans un mauvais rêve. Mais bizarre-
ment, mes sentiments à l’égard de Samuel sont plus équi-
voques que je ne pensais. Je n’ai rien oublié de sa bruta-
lité verbale et parfois physique, et pourtant, la fin de mon
escapade londonienne a amorcé un début de normalisa-
tion dans nos rapports. Je ne suis plus amoureuse de lui,
mais jementiraissi j’affirmais ne pas ressentir une certaine
affection à son égard. Peut-être que ces derniers moments
passés sans aucune dispute m’ont simplement rappelé
nos jours heureux. Je dois aussi avouer que l’entendre
reconnaître ses torts et s’excuser m’a chamboulée. C’est si
raredesapart.
Pendant les semaines qui suivent, Samuel ne perd pas de
vue la mission qu’il m’a confiée. Il me relance fréquem-
ment sur les moyens que je compte déployer pour arriver à
ses fins. Je suis coincée: je n’ai aucune envie de mener son
projet à bien, et dans le même temps, faire la sourde oreille
m’exposerait à d’imprévisibles représailles. La seule échap-
patoire possible est de lui faire croire que j’ai la ferme

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RevengePorn

intention de remplir son objectif, d’échafauder un semblant


de stratagème, puis de lui rendre compte, faussement dépi-
tée, de mon échec final dans cette entreprise. Nous serons
quittes, et jepourrai enfin retrouver ma liberté. À l’occasion
de l’une de ses nombreuses relances, j’esquisse une ébauche
de plan : «Fally est en concert à Yaoundé, le 22 décembre.
Voilà une belle opportunité. » De fait, j’avais de toute façon
prévue de m’y rendre et d’en profiter pour voir Fally. Si des
témoins nous surprennent, Samuel aura la confirmation
que j’étais bel et bien présente au côté du chanteur, et mon
baratin n’en sera que plus crédible.
Laveilledeson arrivéeau Cameroun, Fally prend contact
avec moi, et nousconvenonsdenousretrouver directement
au Hilton le lendemain. J’enfile une belle robe bustier noire
et le rejoins dans sa chambre en début de soirée. Nous
sommes heureux de nous revoir. «Salut Cooper, comment
ça va?» me lance-t il avec son sourire le plus éclatant.
Ce surnom était né quelques mois plus tôt de ma passion
dévorante pour la Mini Cooper, dont l’un des modèles
constituait la photo de profil de ma messagerie Blackberry.
Fally avait utilisé ce gentil sobriquet dans l’une de ses chan-
sons sortie quelques mois plus tôt, Service, où il évoque en
fin de morceau «Nathalie Koah Cooper facile à garer ». Plus
tard, lors de la médiatisation de ma liaison avec Samuel,
les Camerounais utiliseront cette anecdote pour railler la

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Uneétrangemission

prétenduelégèretédemesmœ urs. En vérité, commel’expli-


citera d’ailleurs Fally dans une interview, «facile à garer »
est une expression congolaise populaire qui s’applique à
une personne facile à vivre, pas du genre encombrante. Je
l’avais pris comme tel, et le clin d’œ il m’a amusée autant
qu’il m’aflattée.
Sans plus attendre, je préviens Samuel par texto que j’ai
retrouvé l’artiste comme prévu. Le footballeur se réjouit.
«S’il faut que tu couches avec lui, n’hésite pas. » Sa perver-
sitéest intacte. Connaissant lepersonnage, jemedemandesi
c’est la perspective de voir sa vengeance accomplie ou celle
de m’imaginer dans le lit de Fally qui l’excite à ce point.
Dans tous les cas, si je n’ai aucune intention d’aller au bout
de ses folies, je ne peux pas revenir les mains vides de mon
expédition. Samuel ne me lâchera pas tant qu’il n’aura pas,
sinon la photo tant attendue, du moins une preuve de ma
bonne volonté. Il va falloir la jouer fine. Je n’ai rien avalé de
la journée. Fally me commande un hamburger à la récep-
tion. Pendant ma dégustation, il met un morceau de rumba
et se met à danser sans se départir de ce sourire accroché en
permanenceàson visage. Comment pourrais-jefairedu mal
àcet homme?J’élaboreunestratégiedu moindremal en un
battement de cil. Je dis à Fally qu’il est tard, que j’embauche
demain matin à 6 heures, et qu’il a de son côté un concert à
préparer. Il acquiesce, part se changer dans la salle de bains,

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et revient s’installer au lit en caleçon. Je m’allonge près de


lui pour lui faire un bisou, et j’en profite pour faireun selfie
denousdeux. Il seprêteau jeu avec amusement. Jereparsde
l’hôtel, fière de mon stratagème. La photo témoigne d’une
évidente proximité et nous présente ensemble sur un lit en
tenue légère. Je ne sais toujours pas ce que voudra en faire
Samuel, mais il ne pourra qu’admettre mon investissement
sincère dans la mission qu’il m’a confiée. Sur le chemin du
retour, je lui transmets le cliché par BlackBerry Messenger
avec lecommentairesuivant :
«C’est le maximum que j’ai pu faire. J’espère que ça te
conviendra. »
Sa réponse douche mes espoirs.
«Je t’avais dit que je voulais une photo de lui nu.
Complètement.
– C’est impossible. Jenepeux past’avoir ça.
– Tu nepeux pasou tu neveux pas?
– Tu vois bien que j’ai fait le job. Je suis allée le voir pour
toi. J’ai pris une photo de lui presque nu. J’ai pris des
risques. Tu n’aurasrien deplus. »
Silence. Rideau.
J’entame l’année 2014 plus sereine que jamais. Pour
moi, la page Eto’o est définitivement tournée. Sur le plan
sentimental tout du moins. En réalité, nos liens ne sont pas
complètement rompus. L’épisode malsain des photos de

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 183/223

Uneétrangemission

Fally expurgé, et nos rapports étant depuis lors pacifiés, je


m’accommode de l’idée de pouvoir faire de Samuel Eto’o
un ami. Peut-être pas celui que vous appelez le soir pour
confier vos peurs intimes et vos angoisses profondes, mais
un compagnon de jeu et de rires de circonstances. Nos
disputes à répétition et l’intensité qu’elles ont pu avoir ne
s’effaceront jamais de ma mémoire, mais le temps a fait
son œ uvre. Je suis consciente qu’il serait plus sain de cou-
per les ponts, mais je ne peux pas m’y résoudre. Comme
après chaque crise violente, Samuel se montre affable, pré-
venant, repentant. Lorsqu’au premier trimestre, il nous
prend de nous revoir quelques jours à Londres et à Paris,
il n’est plus question de Fally, de vengeances, ou de trom-
peries. Seule reste la complicité qui nous a toujours unis.
À Londres, pour mon anniversaire, il m’offre une montre
Rolex Datejust en or rose sertie de diamants. Valeur :
25 000 euros. Superbe objet, mais pas mon style. Je me
surprends à lui dire qu’elle ne me plaît pas trop, comme si
je n’avais plus besoin de faire semblant. Le lendemain,
nous nous envolons en jet pour Paris, où Frédéric Bongo,
le frère d’Ali, le président du Gabon, se marie selon les
traditions. Le vol est émaillé de fortes turbulences. Mon
footballeur est terrorisé: à chaque secousse, il m’agrippe la
main et répète en chuchotant «A djob djem, a djob djem »
qui signifie «Mon Dieu » en bassa. Cette fragilité inconnue

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 184/223

RevengePorn

m’attendrit. Avec ce nouvel équilibre, c’est tout un pan


chaotique de ma vie qui disparaît. Le reste est à l’avenant :
ma famille, mes amis, mon travail, le tableau, sans être
toujours parfait, est complet.
Du côté de la carrière de Samuel, le bilan est plus mitigé.
Le 19 janvier, il inscrit un triplé – le fameux hat-trick – lors
d’un match de championnat contre Manchester United, un
exploit qu’aucun Blues n’avait réalisé depuis soixante ans,
preuve qu’il a encore du répondant. Ses problèmes avec
Mourinho ne sont pas réglés pour autant. L’entraîneur
continue de lui mener la vie dure, en limitant son temps
de jeu au profit des jeunes talents de l’équipe. Au mois de
février, c’est le clash. Lors d’une interview télévisée, et alors
qu’il croit son micro coupé, le coach portugais ironise sur
l’âge supposé de Samuel, plus avancé que ce qu’il préten-
drait. «Il a trente-deux ans, peut-être trente-cinq, je ne
sais pas. » La boutade n’est pas du tout du goût de Samuel.
«Ce typeest un connard », commente-t il lors d’une denos
conversations. Le sujet est sensible, car la rumeur tenace.
Pour ma part, je pense avoir résolu le mystère lors d’une
de nos précédentes escapades amoureuses. À chaque hôtel
où il réside, Samuel entrepose d’énormes sommes d’argent
en liquidedanslecoffredesa chambre. Lecodequ’il choisit
est toujours le même: 1976. Son année de naissance?C’est
maconviction. Si tel est lecas, cettedatelevieillirait decinq

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 185/223

Uneétrangemission

années, puisqu’il a toujours affirmé être né en 1981. Je n’ai


jamais osé le lui demander frontalement, car la déduction
m’est toujours apparue logique, et la question beaucoup
trop tabouepour pouvoir êtreabordéecalmement.
Fin mars, Samuel m’annonce au téléphone qu’il part au
Portugal pour un stage de préparation avec les Lions
indomptables. L’ambiance au sein de l’équipe nationale
camerounaise n’est guère plus réjouissante qu’au sein du
Onze londonien. «Je n’aime pas les sorciers», me répète-
t il en boucle. «Les sorciers», c’est le surnom qu’il a donné
aux coéquipiersavec qui il nes’entend pas, àlatêtedesquels
figure Alexandre Song, son ennemi juré. Ce dernier est le
neveu deRigobert Song, monument national au Cameroun,
et ancien capitaine des Lions, qui a perdu son brassard
quelques années plus tôt au profit de Samuel. Un épisode
vécu comme une «trahison » par le clan Song. Face aux
«doyens» dont il se méfie, l’attaquant se rapproche de
Jean II Makoun et Achille Webo avec lesquels il forme le
bloc des«innocents». Lestensionsentrelesjoueursont vite
fait de rejaillir sur les résultats, l’équipe échouant à se quali-
fier deux annéesdesuitepour laCAN, en 2012 et 2013.
Consciente des instants difficiles qu’il s’apprête à traver-
ser, je lui envoie un message de soutien le premier jour de
son stage, en lui conseillant de rester avec ses amis. Je
travaille alors de nuit, de 18 heures à 1 heure du matin. Le

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lendemain, juste avant ma prise de poste, je m’enquiers par


texto de l’atmosphère au sein des Lions. «Ça va», répond
Samuel dansun messagesec qui nelui ressemblepas. Jen’ai
plus de nouvelles jusqu’au troisième jour. Lorsque j’arrive
chez moi, épuisée par ma journée à l’aéroport, Samuel
m’appelleet videson sac.
«Jesavaisqu’il y avait un complot contremoi. Un complot
auquel participeFally. »
En entendant le nom du chanteur, je comprends que
la discussion va être houleuse. Je suis loin de m’imaginer
à quel point.
«De quoi parles-tu ? Pourquoi est-il encore question de
Fally?
– Ce matin, quelqu’un est venu me raconter que Rigobert
Song avait mandaté Fally pour coucher avec toi simple-
ment pour leplaisir demefairedu mal. »
Je n’arrive pas à réprimer un rire. Dans quelle histoire
tordue tente-t il une nouvelle fois de m’embarquer ?
«ÉcouteSamuel, calme-toi, ça n’a absolument aucun sens.
– Au contraire, c’est lumineux. Ce Fally est venu empiéter
sur mon territoire. Si tu as encore un peu d’amour pour
moi, tu dois te sacrifier. Je veux que tu fasses les photos. Je
veux ma vengeance. »
Tout allait si bien depuis trois mois. En un éclair, le
Samuel que je déteste refait surface. L’homme jaloux,

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Uneétrangemission

colérique, paranoïaque, agressif, que j’avais presque fini


par occulter. Je pensais pouvoir faire de lui un ami. Ça
n’arriverapas. Il vafalloir l’effacer demavie.
«J’en ai marre de nos problèmes. Tu ne changeras jamais.
J’ai donné. Oublie-moi. »
J’espère du plus profond de mon cœ ur que cette énième
altercation est la dernière. Aussi incroyable que ça puisse
paraître, j’ai toujours de l’affection pour Samuel. Je n’ai
juste plus le courage de la porter. Pendant cinq ans, on s’est
aimés, on s’est détestés, jusqu’à s’épuiser. Notre couple
défunt méritedereposer en paix.
Une semaine passe. Mon refus semble avoir été reçu et
digéré. Du moins le croyais-je. Le jour de la fin de son stage
au côté des Lions, Samuel ressurgit dans ma vie. Voir son
nom s’afficher sur mon écran ne provoque plus chez moi
qu’un sentiment de lassitude.
«Tu aspasséunebonnejournée?
– Oui, ça va.
– Jesuisen train d’acheter une montre. J’hésite entredeux
modèles. Je vais t’envoyer des clichés de la boutique pour
quetu m’aidesà choisir. »
Son dilemme m’indiffère à un point qui m’étonne moi-
même. Bien entendu, ce n’est qu’un leurre: sa prise de
contact n’a en réalité rien à voir avec ces tergiversations
horlogères.

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«Au fait, tu aspu fairelesphotosdeFally ?»


Ce n’est plus une obsession, c’est de la monomanie.
Quand va-t il enfin cesser de revenir à la charge?
«Merde! Tu m’entends? Je n’ai pas les photos. Je ne les
aurai jamaisparce quejenelesferai jamais.
– Tu as jusqu’à la fin du mois pour les obtenir. Sinon,
commenceà courir. »
Ces menaces ne m’impressionnent plus. Je suis déjà
passée par là. J’en ai bavé, mais j’ai survécu. Il n’a qu’à
appeler ses copains des forces de l’ordre. Je connais le
chemin. J’enfonce le clou.
«Tu ferais mieux de passer à autre chose. N’insiste pas.
C’est non. »
Sa réponse n’est pas une menace. Elle est une promesse.
«Alorsobserve. »
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XIII

ARRÊTS DE JEU

Je suis prête pour mon grand rendez-vous galant. J’ai


sorti l’artillerie lourde: blazer blanc, paire de Louboutin et
pochette Dior noires. Belle gosse. Dans quelques minutes,
Samuel viendra me chercher devant l’hôtel Fouquet’s, à
deux pas des Champs-Élysées, pour m’emmener dîner. Je
mets une touche finale à mon maquillage. Notre dernière
crise autour des photos de Fally nu date du mois dernier.
Jenepouvaisplusrester seulefaceàsesmenacesrépétéeset,
pour la première fois, j’ai tout déballé à ma mère. Lestrom-
peries, lecommissariat, lesmenaces, lechantageaux photos.
Lechoc fut brutal, ellequi ignorait tout delafacesombrede
la star. Aussi désemparée que moi, ma mère s’est mise en
relation avec l’un desesamisavocatspour m’aider àtrouver
une issue. Ce dernier m’a vite fait comprendre que devant
un tribunal, et quel que soit le motif, la parole du grand
Samuel Eto’o serait difficilement remise en question par les
juges. Ma seule chance, m’a-t il expliqué, serait d’avoir des

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RevengePorn

preuves concrètes de son machiavélisme. Son conseil : ne


pasfermer laporteau footballeur, maisau contraire, encou-
rager les contacts, et enregistrer dès à présent toutes mes
conversationsavec lui et sagarderapprochée.
L’idée était brillante. Je l’ai appliquée sans tarder. Dès le
lendemain deson glaçant «Alorsobserve», Samuel adépêché
chez moi Kadji, un garçon imposant manifestement coutu-
mier des basses besognes, pour me faire la leçon. L’homme
demain ajouéfranc jeu sur lesintentionsdu patron.
«Si tu ne fais pas les photos de Fally qu’il te demande, on
va te faire des ennuis. On dira au procureur Bifouna que
tu as escroqué Samuel. Tous les deux sont amis. Il suffira
delui montrer touteslesfacturesdescadeaux qu’il t’a faits,
et l’historique des transactions bancaires entre son compte
et letien. On te demandera alorsde rendre del’argent que
tu n’aspas, et tu irasen prison. »
La menace était limpide. Je n’ai pas sourcillé. Ce que
Kadji ignorait, c’est que mon Blackberry en mode enregis-
treur n’avait raté aucun détail du scénario qu’il s’est
appliqué à me détailler. Mais aussi convaincant soit-il, ce
premier élément nesuffisait pas. Jedevaisêtreen mesurede
prouver l’existence d’une relation amoureuse entre Samuel
et moi, aujourd’hui éteinte, mais jadis bien réel, pour justi-
fier ce déluge de présents. Il me fallait donc la ressusciter,
unedernièrefois, pour assurer définitivement mesarrières.

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Arrêtsdejeu

Devant la glace de ma suite du palace parisien, je me


trouve des allures de James Bond girl. La référence est de
circonstance. Pour gagner la confiance de Samuel, j’ai pris
soin de lui faire croire que j’étais décidée à mener à bien la
tâche qu’il m’avait confiée. Dans mon sac à main, mon
Smartphone est prêt à consigner toutes les conversations
que nous aurons durant le dîner. À 20 heures, mon cavalier
gare sa Rolls Royce Phantom bleu devant l’hôtel et sort
m’ouvrir la portière. Galant comme au premier jour. En
me voyant descendre les marches de la réception, il me gra-
tified’un «wow »flatteur en guisedesalut. Il alui aussi sorti
le grand jeu, arborant un costume bleue et une chemise
blanche à rayures du plus bel effet. Sans perdre de vue
l’objectif de la soirée, je me dis qu’il n’y a rien d’étonnant à
cequecet hommeait réussi àmefairesuccomber.
Dans la voiture qui nous emmène au restaurant, mes
talents de comédienne se révèlent au grand jour. Je dévore
des yeux le salaud qui me fait vivre l’enfer depuis six mois.
Son sourireest celui despremiersémois. Jedoislepousser à
se livrer sans réserve. Le téléphone du footballeur vient cas-
ser l’harmonie de l’instant. Il affiche «Nicole», le deuxième
prénom deGeorgette.
«Je suis en train de retrouver un ami espagnol. On va
manger, et après je vais rentrer », lui dit-il, sans le
moindre embarras.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 192/223

RevengePorn

Je pouffe intérieurement. Samuel s’excuse, et pose sa


main sur ma cuisse. Il effleure au passage le sac à main
enregistreur posé entre nos deux sièges. «Pas de problème
Samuel. » Il s’attendait sans doute à un esclandre, mais ma
réaction ne paraît pas pour autant le surprendre. Il doit me
croiredansun bon jour. Ouf.
Au dîner, la conversation s’éloigne vite de nos préoc-
cupations quotidiennes pour s’arrêter sur l’état de notre
relation. Mon sac à main est posé sur le coin de la table
pour ne rien rater de nos échanges. Samuel n’y voit que
du feu, et se lance dans un monologue plein de tendresse,
du genre de ceux que j’ai bêtement espérés pendant tant
d’années.
«Il faut quej’assainissema vie. Jenepeux plusdépenser de
l’argent à tout crin pour mes amis comme je le fais. Il faut
que j’assure l’avenir de ma famille. Et si toi et moi avons
aussi un enfant, il faut quejepuisseassurer son futur dela
mêmemanière. »
Sa tirade illustre le gouffre qui s’est creusé entre nous.
Samuel n’a aucune idée de mon état d’esprit après le cau-
chemar qu’il m’a fait endurer. Comment peut-il croire que
je veuille encore de lui, ou – plus fort encore – que je sois
prête à avoir un enfant avec lui ? Cette évocation me
ramène à un souvenir douloureux. Six mois plus tôt, j’étais
tombée enceinte de Samuel. Il n’en a jamais rien su. J’avais

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 193/223

Arrêtsdejeu

arrêté la pilule, pensant que nos rapports sexuels de plus


en plus espacés rendaient cette précaution inutile. Je n’avais
pas mis longtemps à choisir d’avorter : même folle amou-
reuse, il était hors de question de faire un enfant avec un
homme qui multiplie les conquêtes. Si cette décision s’est
imposée à moi, elle n’en restait pas moins source de souf-
france et constitue alors une cicatrice encore vive. Je n’en
laisse rien paraître. Face à cette évocation soudaine d’une
paternité à venir, j’abonde dans son sens, sans en rajouter,
pour ne pas rendre la scène plus pathétique qu’elle ne
l’est. Mon seul souci, à cet instant, est que le micro de mon
Blackberry remplisse sa mission.
Nous rentrons à l’hôtel. J’ai déjà gagné la partie. Si l’on
m’accuse un jour d’avoir spolié Samuel à son insu, j’aurai
toute la panoplie d’enregistrements qui prouvera ma bonne
foi : les déclarations d’amour, les menaces, et le chantage
aux photos. En grimpant les marches de la réception, je
savoure ma victoire d’un rictus discret. Samuel est toujours
à mes côtés. Il m’apprend que l’un de ses amis parisiens,
Qualité, va nous rejoindre pour partager un verre. Je me
méfiedecerebondissement imprévu dansl’agenda denotre
soiréeromantique. Nousnousretrouvonstouslestroisdans
ma suite. Pendant que je me démaquille, je reçois le SMS
tant redouté.
«J’ai enviequemon copain teprenne. »

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 194/223

RevengePorn

Mes poils se dressent instantanément sur mes bras.


C’est une maladie. Le pire, c’est qu’une heure plus tôt, il
me faisait un récital larmoyant sur la nécessité de mettre
de l’ordre dans son existence. Rien de mieux pour se ranger
des voitures que de regarder sa future femme coucher
avec son pote! J’ai envie de crier mon dégoût mais je ne
veux pas prendre le risque de l’énerver. Je suis bien placée
pour connaître son caractère impulsif et la violence qu’il
peut entraîner. J’inspire profondément, et lui glisse d’une
voix douce:
«Il n’est pasquestion queton ami et moi fassionsquoi que
cesoit. »
Il n’insiste pas. Qualité s’en va. Je me crois sauvée, mais
cette fois, c’est Samuel qui me rejoint dans la chambre.
J’avais prévu cette éventualité, je m’y étais préparée psycho-
logiquement. Je pose incognito mon Blackberry, toujours
en marche, sur la table de chevet, en prenant soin de le
retourner pour nepasquela lumièrerougedel’enregistreur
trahisse mon rôle d’espionne au beau milieu de la nuit.
«Viensau lit », lâche-t il d’un air coquin. Pendant nosébats,
je simule à tout crin. Ne surtout pas éveiller ses soupçons:
un faux pasm’exposerait àuneexplosion derageaux consé-
quences imprévisibles. Je suis moins écœ urée que triste de
devoir en arriver là. Une fois le rapport terminé, il m’enlace
tendrement.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 195/223

Arrêtsdejeu

«Je t’aime, Nathalie. Mais sache que si tu me trompes


de nouveau, je suis capable de te faire violer, et de te
fairetuer. »
Message reçu.
Dans l’avion qui me ramène à Yaoundé, je célèbre
intérieurement le succès de mon escapade. Ses déclara-
tions d’amour sans équivoque balayeront toute accusa-
tion d’escroquerie. Bien entendu, je me garde bien de lui
révéler les coulisses de mon manège parisien. Deux jours
plus tard, je décide de mettre un point final à notre his-
toire d’amour. Plus de dernière chance, plus d’ultimatum.
Un message, un seul, pour faire table rase d’une relation
où le pire a fini par occulter le meilleur.
«Il n’y aura pasdephotosdeFally, Samuel. Si tu veux que
nous restions amis, je suis d’accord. Sinon, je romps.
Définitivement. »
Il sent ma détermination. Inutile de débattre. Ce temps-
là est révolu, pour lui comme pour moi.
«Ok. J’accepte la rupture. Mais ne crois pas que je vais en
rester là. J’ai fait detoi cequetu esdevenueaujourd’hui. Je
peux te défaire. À partir de maintenant, considère-moi
commeton ennemi. »

Son message s’accompagne de la liste des cadeaux qu’il


me faut lui rendre au plus vite. Je connais ce refrain par

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 196/223

RevengePorn

cœ ur. J’effectue une ultime sauvegarde sur carte mémoire


de nos cinq ans d’échanges tous azimuts: textos, MMS,
e-mails. Jedoispouvoir dégainer àtout moment l’historique
complet de notre liaison clandestine. Une fois cette mission
accomplie, j’efface pour de bon Samuel de ma vie numé-
rique: numéro deportablebloqué, listenoiresur WhatsApp
et autres applis de messagerie. C’est comme si je voyais
l’homme que j’ai tant aimé disparaître sous mes yeux. Cet
ultime coup de balai vient sceller symboliquement la fin
de notre union. Un bref pincement vient m’enserrer le
cœ ur. La séquence nostalgie s’arrête là. Je sais que la colère
de Samuel va bientôt s’abattre sur moi. C’est une ques-
tion d’heures, peut-être de jours. Je l’attends. Je n’ai plus
peur. Enfin.
La rumeur de la vengeance imminente du footballeur se
répand bientôt dans toute la ville. Je l’ignore superbement.
Dix jours après avoir rompu toute communication, les
foudresdivinesquelebruit delaruemeprédit m’ont encore
épargnée. Après tout, la coupe du monde de foot au Brésil
approchant à grands pas, l’attaquant a peut-être d’autres
chats à tacler. Kadji a bien tenté de me mettre quelques
coups de pression par téléphone, mais je ne prends plus la
peine de lui répondre. Pour moi, la vie reprend son cours.
Le travail, lesamis, la fête. Le 28 mai, à ma sortie du bureau
vers 23 heures, je m’autorise une soirée en boîte en compa-

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 197/223

Arrêtsdejeu

gnie de mes deux petits frères, Fabrice et Teddy. J’ai envie


de danser, de m’offrir une cuite. En entrant dans la disco-
thèque, une connaissance m’annonce que Kadji est présent
àl’intérieur et qu’il mecherche. Labelleaffaire. Qu’il vienne
donc me trouver que je puisse lui dire en face de me foutre
la paix. Je me trémousse comme jamais. L’alcool coule à
flots. Vers 4 heures du matin, la fatigue m’assaille. J’ai trop
bu. Un de mes amis me cueille au débotté alors que je
m’apprêteàpartir.
«Je te présente un copain à moi qui est commissaire. Tout
le monde ici sait que tu es menacée. Il va t’escorter jusque
chez toi pour assurer ta sécurité. »
Je ne suis pas sûre d’avoir bien compris, mais je fais un
«oui » de la tête pour approuver l’initiative. Mes frères et
moi rejoignons la voiture sur le parking. Je confie le volant
à Fabrice, consciente que je ne suis pas en état de conduire.
Nous prenons la route. Le véhicule de l’officier lance une
manœ uvre pour nous dépasser lorsqu’un taxi surgi de nulle
part vient s’intercaler entre nos deux véhicules. Fabrice est
obligé de freiner. Derrière nous, un pickup de la police fait
son apparition, nous imposant de nous arrêter. Un homme
équipé d’un talkie-walkie en descend, tape à la vitre, et me
fixe du regard.
«NathalieKoah ?Descendez du véhicule jevousprie. »

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 198/223

RevengePorn

Le moment tant redouté est arrivé. Dans un sens, je


suis soulagé de ne plus vivre avec une épée de Damoclès
au-dessus de la tête. J’espère que l’issue sera heureuse, mais
l’essentiel est de mettre un point final à cette comédie qui
n’a que trop duré. Dans la voiture qui nous conduit à cent
à l’heure au commissariat, jeremercie le ciel d’avoir pu anti-
ciper l’inévitable. J’ignore encore si mes précautions auront
l’effet escompté, mais je ne pars pas désarmée. La patrouille
qui s’est chargéedemon casignoresuperbement lesdeux ou
trois commissariats que nous croisons sur le chemin. C’est
finalement dans un poste de police situé à cinq kilomètres
du lieu de mon arrestation que nous entrons. Samuel doit
y avoir quelques amis. À cette heure avancée de la nuit, le
commissariat du 2e arrondissement est désert. Dans le hall
d’accueil, un gradédepermanence, commissaire adjoint, me
montreun papier. L’ivressem’empêchededéchiffrer correc-
tement ledocument.
«Samuel Eto’o a porté plainte contre vous pour escro-
querie», résume l’officier.
Jerissi fort queFabricesesent obligédemecalmer. Mon
hilarité est autant provoquée par l’absurdité de la situation
que par mon taux d’alcoolémie, qui m’aide, semble-t il, à
dédramatiser. Jetentedereprendre mesespritset m’adresse
àl’officier sur un ton complice.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 199/223

Arrêtsdejeu

«C’est une histoire de rupture sentimentale mal digérée.


Vousperdez votretemps. »
Contre toute attente, le policier paraît accorder du
crédit à mes paroles.
«Écoute-moi, petite sœur, ne te lance pas dans un bras
de fer avec ce monsieur. Je me fiche de ce que tu as fait ou
non. Envoie un message à ton copain pour lui dire que tu
t’excuses. Tu te rendras service. Certaines femmes passent
troisjoursici en cellulepour cegenredechoses. »
Si elle est exacte, cette information me scandalise bien
plus encore que mon propre cas. De toute façon, plutôt
mourir que d’implorer son pardon. Le commissaire adjoint
prend acte de mon refus, me retire mes téléphones, et
m’annonce que je vais être entendue par le commissaire
principal. Jelui demandeau passages’il est bien légal d’arrê-
ter un suspect à4 heuresdu matin en pleineruesanspreuve
solided’uneinfraction.
«Le procureur a signé un mandat d’arrêt autorisant
votre interpellation à toute heure et en tout lieu », me
répond le gradé, en me tendant un papier signé du
procureur Bifouna.
Tout s’éclaire. Le piège se referme peu à peu.
Le commissariat se remplit vers 7 heures. Mon audition
approche. Je fais appel à l’avocat qui m’avait conseillé
d’enregistrer mes échanges avec le footballeur et sa clique.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 200/223

RevengePorn

J’entre en sa compagnie dans le bureau du commissaire


principal. Kadji est présent, au nom du plaignant. J’ai eu le
temps de dessoûler : j’ai retrouvé la confiance qui m’avait
animée depuis mon retour de Paris. Mon interlocuteur est
un homme assez âgé, chétif, dégarni. Il affiche d’entrée une
nervosité palpable. Le gradé me dresse la liste des 200 mil-
lions de francs CFA de cadeaux que Samuel a fournie dans
sa plainte. Il s’attarde sur les 30 millions réglés en cash pour
payer ma voiture. Un véhicule qui, selon le document,
devait être utilisé par la fondation Samuel Eto’o, mais que
j’aurais détourné à mon profit. Je balaye l’accusation d’un
reversdemain.
«C’est un mensonge, tout simplement parce que je n’ai
jamais entretenu de rapports professionnels avec M. Eto’o.
Il s’agissait d’une relation exclusivement sentimentale.
C’est à ce titre que ce véhicule m’a été offert. M. Eto’o n’a
pas supporté notre rupture, et veut désormais récupérer ce
qu’il m’a offert. »
L’argument semble porter. L’officier s’empare des fac-
tures apportées par Kadji en guise de preuves, et constate
qu’elles se montent à seulement 17 millions de francs CFA.
«Il en manque beaucoup pour arriver aux 200 millions
évoqués dans la plainte. Où est le reste? demande le
policier au bras droit du footballeur.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 201/223

Arrêtsdejeu

– C’est tout ce que nous avons pu rassembler pour l’ins-


tant », répond Kadji, penaud.
La partie semble tourner à mon avantage. Je profite de
ce rebondissement inespéré pour porter l’estocade.
«Jetiensà préciser queM. Eto’o m’a demandédefairedes
photos du chanteur Fally Ipupa nu, j’ai refusé. Voilà la
raison pour laquellenous sommesréunisici. »
Kadji manque de s’étouffer devant mon culot. Le
commissaireadjoint, qui nousavait rejointsentre-temps, en
a assez entendu. Il résume la situation à l’adresse du sbire
embarrassé.
«Une rupture, et voilà qu’il vous faut tout récupérer.
Jusqu’au moindre sac à main. »
Le bras droit de Samuel s’avoue vaincu.
«Oui. Mêmelessacsà main. »
Cette fois, je sens la victoire proche. Kadji en personne
vient de reconnaître à demi-mot qu’il ne s’agit là que d’une
vengeance amoureuse de bas étage. Le commissaire se
tourne vers moi. J’attends qu’il sonne la fin de la récré.
«Eh bien Madame, remettez-leur donc les cadeaux. Sans
quoi jeserai obligédevousgarder en celluledegardeà vue
en attendant la décision du procureur.
– Trèsbien. Montrez-moi lechemin dela cellule. »
Je n’ai plus rien à perdre. Le peu de confiance qu’il me
restait dans les institutions de mon pays vient de s’envoler

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 202/223

RevengePorn

à tout jamais. Le château de cartes monté par Samuel et sa


bande s’effondre sous les yeux des policiers, mais ils n’en
tirent aucune conséquence en ma faveur. Je suis coupable,
quoi que je dise, quoi que je fasse. Il me reste mes pré-
cieux enregistrements mais il est hors de question que je
les confie à ces pantins désarticulés.
On m’amèneen cellule. Jen’ai jamaisvu un endroit aussi
sale de toute ma vie. On dirait un ancien bureau désaffecté,
au milieu duquel trône un canapé délabré. Voilà qui me
change de la vie de palace. Je passe trois jours et deux nuits
dans ce cloaque. Le comble est atteint lorsque mon avocat
tente à son tour de me faire entendre raison, et m’incite à
signer un protocole d’accord avec Samuel ouvrant la voie
à la restitution de sescadeaux. Plus on m’encourage dansce
sens, moinsjel’envisage. Cen’est pasunequestion d’argent,
c’est une question d’honneur : céder ferait de moi le joujou
deSamuel Eto’o pour toujours. Jepréfèredeloin passer cent
ansàcroupir derrièrelesbarreaux.
Dehors, mon entourage proche se mobilise. Mon ami
Amadou, avec lequel Samuel me suspectait à tort d’avoir
une liaison secrète, apprend mes mésaventures par mon
petit frère Teddy. C’est un homme influent lui aussi. En
faisant jouer sesrelations, il obtient un réexamen du dossier
par le procureur. Je connais le nom et le poste de l’interve-
nant haut placé qui a permis ce miracle mais je ne tiens pas

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 203/223

Arrêtsdejeu

à l’ébruiter. Son courage, dans un pays encore largement


minépar lacorruption desélites, pourrait lui coûter cher.
Je suis extraite de la cellule un samedi matin, après trois
jours de cauchemar. C’est Teddy qui vient m’annoncer la
nouvelle de ma libération. Le substitut du procureur est lui
aussi présent. Il m’explique que je peux rentrer chez moi,
et que je dois rester à la disposition des enquêteurs si la
suite des investigations nécessite une nouvelle convocation.
J’attends encore de connaître les raisons de ce dénouement
avant de m’en réjouir. Amadou m’attend à la sortie du
commissariat. Il m’explique les coulisses du revirement, et
me jure qu’il ne faut y voir aucun tour de passe-passe.
«La procédure était totalement illégale. C’est une affaire
civile, et non pénale. La loi ne prévoit ni mandat d’arrêt,
ni garde à vue pour ce type de cas. Mes amis ne t’ont pas
fait une fleur : ils n’ont fait qu’exiger la stricte application
dela loi. »
Je rentre chez moi sale, exténuée, mais l’esprit libéré.
Pour autant, derrière le soulagement, subsiste un arrière-
goût d’amertume. Que se serait-il passé si Amadou n’était
pas intervenu ?Quel sort réserve-t on à celles qui vivent la
mêmeinjusticequemoi maisn’ont paslesrelationsqui leur
permettent de faire valoir leurs droits?L’affaire Eto’o-Koah
cache sans doute des milliers de cas similaires aux consé-
quences sûrement bien plus dévastatrices. En m’endormant

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 204/223

RevengePorn

enfin après deux nuits blanches ou presque, je pense au


scandale quotidien vécu par ces femmes sans titres, esclaves
d’un patriarcat archaïque et de la corruption ordinaire, qui
n’ont paslachancequej’ai eue.
Une dizaine de jours passent. Je n’ai pas de nouvelles
deSamuel ou sesapôtres, mêmedemanièreindirecte. L’épi-
logue de mon arrestation a sans doute refroidi ses ardeurs,
et mis en sourdine pour un temps son sentiment de toute-
puissance. C’est devant ma télé que je m’apprête à revoir
mon ancien amant pour la première fois depuis des mois.
Après bien des péripéties, l’équipe nationale du Cameroun
s’est qualifiée pour la coupe du monde au Brésil. Mon res-
sentiment à l’égard de Samuel n’empêche pas mon souhait
de voir les Lions et son capitaine briller sur les pelouses et
porter haut noscouleurs. Lejour del’ouverturedelacompé-
tition arrive enfin. Le pays tout entier retient son souffle. Je
suis dans mon salon, suspendue à la télévision qui diffuse la
cérémonie d’ouverture, lorsqu’une amie, Pamela, m’envoie
un curieux messagepar leserviceen ligneWhatsApp.
«Tesphotossont dehors! »
Dequoi parle-t elle?Mesphotos?Jenecomprendsrien.
Pamela marque une pause le temps de rédiger un nouveau
message. Des milliers d’images se bousculent dans ma tête.
Oh mon Dieu. Oh mon Dieu.
«Desphotosdetoi nue! Partout sur Internet ! »
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XIV

L’HEURE DE LA VENGEANCE

Les messages affluent par dizaines. Je ne sais plus où


donner de la tête. Les alertes viennent de partout : SMS,
e-mails, messages instantanés. Des amis, des connaissances,
des inconnus. Tous m’informent que des photos intimes de
moi circulent comme un virus de portable en portable et
sur les réseaux sociaux. Mon corps se met à trembler. Reste
calme. Paniquer ne sert à rien. Je dois voir les clichés en
personne pour me rendre compte de l’ampleur du désastre
avant de m’apitoyer sur mon sort et d’envisager une réac-
tion. Je demande à Pamela de m’envoyer une copie de ce
qu’elleavu. Saréponsesonnecommeun mauvaisprésage.
«Je nepeux pasNathalie. C’est trop… c’est trop cru. »
Mon pouls s’accélère. Si je ne peux pas les voir, je dois
en connaître la source. Pamela est la première à m’avoir
informée. Elle doit connaître l’origine de leur publication.
«Je les ai reçues via un groupe d’amis basé à New Bell »,
me signale-t elle.

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Date : 20/1/2016 16h11 Page 206/223

RevengePorn

New Bell. Le quartier pauvre de Douala où Samuel a


grandi. Il y possède logiquement sa base de fans la plus
fidèle, la plus dévouée aussi. Je commence à envisager le
pire: acculé après l’échec de sa plainte, le footballeur a
cherché un moyen alternatif de me nuire. En fouillant
dansnoscinq annéesd’échangesincessants, il adéterrédes
photos intimes qu’il avait prises lui-même ou que j’avais
eu l’imprudence de lui envoyer et les a diffusées à ses sou-
tiens pour qu’ils les propagent à leur tour. J’ai été stupide
de penser qu’il s’avouerait vaincu. C’est mal le connaître
que d’imaginer qu’il puisse accepter un affront, quel qu’il
soit. On ne défie pas le grand Samuel Eto’o. On s’incline.
Ou l’on payecher son audace.
Cette déduction m’incite à réagir à toute vitesse. J’enfile
une veste et file chez mon avocat en courant. Je lui déballe
le peu d’informations en ma possession. Il m’indique qu’il
va se pencher sur une riposte sans trop savoir où il met les
pieds. Sur le chemin du retour, quelques imprudents ont
cru bon de me faire suivre les clichés en question. Je suis
chez moi lorsque je trouve le courage d’ouvrir les fichiers
joints à leurs messages d’alerte. Le choc est d’une violence
inouïe. Je manque de m’effondrer. Il n’y a aucune place
pour l’imagination. Tout est là. Mon corps nu, dans les
postures les plus dégradantes, et jusque dans les moindres
détails. L’une d’elle me montre en plein ébat avec un

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L’heuredela vengeance

hommeque je reconnais comme étant Sonor. Une autre est


un selfie pris devant un miroir dans le plus simple appareil.
Une autre encore, sans doute la plus choquante, me pré-
sente en train de me masturber les quatre fers en l’air. Ce
n’est pas juste de la nudité: ce sont des instantanés de ma
viesexuellejetésen pâtureau public.
Bravo. Ça y est. Il a gagné. Samuel m’a tuée. Son geste
n’est pas une simple revanche, aussi cynique et perverse
soit-elle: c’est un assassinat social. Je ne souhaiterais pas
pareilleinfamieàmon pireennemi. Il n’apashésitéàl’infli-
ger àcellequi l’a tant aimé. Jecrie, jepleure, dansun déluge
de rage et de haine mêlées. C’est trop. C’est insupportable.
C’est irréversible. Jem’écroule, inconsciente, terrasséepar le
choc. Fabrice, qui avait lui aussi été destinataire des clichés
et avait entendu mes hurlements depuis sa chambre, me
découvre au sol, inanimée, et appelle les secours. Quelques
minutes plus tard, pompiers et Samu font irruption dans le
salon, et me placent sous perfusion avant de m’évacuer
d’urgenceversl’hôpital.
Je me réveille tuyautée de partout. Les médecins
expliquent m’avoir injecté du glucose pour me remettre
sur pieds. En me rappelant la raison de mon état et de ma
présenceici, ma crise de larmesrepart deplusbelleet paraît
ne plus devoir cesser. Me voir ainsi offerte à la face du
monde n’est pas le pire. C’est lorsque je pense à mes frères,

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RevengePorn

à ma mère, mes oncles, mes cousins, à tous ceux qui me


sont cherset qui ont vu ou verront un jour ceshorreursque
je plonge dans le désespoir le plus absolu. Comment vivre
avec une pareilleabomination sur la conscience?Comment
sortir dans la rue en supportant le regard des miens, des
autres?Aucun homme ne voudra de moi. Mon employeur
va me virer, et aucune entreprise ne m’embauchera plus.
Tuez-moi. Jepréfèrecrever. Jamaisjenepourraism’en rele-
ver. Il n’y a pas, il n’y aura jamais d’issue à cette souffrance
qui mepoursuivratoujours.
Dans cette épreuve que j’estime alors insurmontable,
Fabrice est un soutien précieux. Mon jeune frère ne se voile
pas la face, admettant que c’est une épreuve terrible à tra-
verser, mais qu’au bout, le temps effacera l’affront comme
les blessures. Ses paroles me donnent le courage de résister
à l’envie d’en finir. Je trouve la force de sécher mes larmes,
en m’appuyant sur ceux que j’aime et sur ma foi en Dieu.
Après deux jours d’hospitalisation, je suis autorisée à ren-
trer chez moi. Je rallume mes téléphones et me connecte
sur Internet. Jeme suislogiquement préparée à lire lespires
horreurs sur mon compte. Je suis servie. Les commentaires
autour des photos se résument en une seule phrase : «Cette
fille est une pute». La finesse de l’analyse est éclatante. Par
un heureux hasard, la publication des clichés coïncidait
avec les premiers articles de presse sur mon incarcération

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L’heuredela vengeance

abusive. Les journaux locaux présentaient alors l’histoire


de ma détention sous un jour qui m’était favorable, racon-
tant les déboires de la maîtresse de Samuel Eto’o face au
courroux du footballeur. A contrario, ceux qui s’étaient
intéressés à ces articles voyaient dans l’apparition de ces
clichés la preuve que la superstar avait été manipulée par
une fille de mauvaise vie. Je n’étais plus une victime, mais
un bourreau. Aucun decesespritsbrillantsnes’imaginaient
que Samuel pouvait être à l’origine de leur diffusion afin,
justement, deretourner l’histoireàson avantage.
Comme souvent sur Internet, le monstre échappe rapi-
dement à son créateur. Les faux profils utilisant les photos
à des fins de détournement fleurissent. «L’inconnu de la
photo » finit même par être assimilé à un ministre en exer-
cice, ce qui donne à l’affaire une ampleur nationale!
D’autres tout aussi inspirés créent de faux profils avec
mon vrai nom, sur lesquels mon double usurpé se vante
de tout faire pour détruire la carrière en déclin du footbal-
leur. Les insultes redoublent d’intensité. Je veux parler,
expliquer, démentir. Je veux surtout que l’opinion se pose
enfin la question qu’elle devrait se poser depuis le premier
jour : exception faite des selfies, qui a pris ces photos?
La réponse coule de source: une troisième personne pré-
sente au moment de la prise mais qu’on ne voit bien sûr
pas à l’image. Ne pourrait-il pas s’agir de Samuel ?Je bous

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intérieurement, prête à convoquer une conférence de


presse mondiale s’il le faut. Malgré ma détermination,
mon avocat m’incite à rester silencieuse. Il souhaite que
je réserve mes déclarations à la justice pour ne pas mettre
en péril la procédure que nous pourrions lancer. Afin
d’éviter que la situation ne dégénère davantage, mon
conseil consent à ce que je réponde à une seule et unique
interview radiophonique. J’y livre quelques repères de mon
histoire dans les limites fixées par la loi : ma relation avec
Samuel, nos partouzes, mes tentatives de rupture, le chan-
tage des photos de Fally, mon refus d’y céder et la riposte
par mes clichés intimes diffusés sur le web que j’attribue
évidemment à Samuel. Pour convaincre mes interlocu-
teurs, j’insiste sur la présence évidente d’un «troisième
homme», et je mets en avant le préjudice inestimable que
me causent ces clichés par rapport au prétendu bénéfice
que je suis supposée pouvoir en tirer.
Mon intervention, suivie par le pays tout entier, produit
l’effet escompté. L’opinion, qui faisait bloc contre moi, se
divise. La plupart des journaux et sites web d’actu relaient
mes arguments en soulignant leur pertinence. D’autres, le
plus souvent dédiés au sport, continuent invariablement
de soutenir Samuel en criant au complot. D’autres encore,
plutôt conservateurs, s’offusquent qu’une jeune fille se
vante en public de participer à des parties fines, sans savoir

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qu’il ne s’agissait pas pour moi d’un choix assumé et réflé-


chi mais d’un geste d’amour pour mon homme. La société
camerounaise, patriarcale, voit encore assez largement
d’un mauvais œ il qu’une femme ose revendiquer sa liberté
sur le plan sexuel. Sans surprise, les amis de Samuel se
frottent les mains et m’inondent de messages revanchards
du type: «Tu as voulu jouer dans la cour des grands, tu t’es
cassé la gueule». Moins attendue, la réaction des femmes
sur les réseaux sociaux est sans doute celle qui me déçoit le
plus. Les commentaires sont pour la plupart très négatifs,
raillant ici ma légèreté, là ma soumission aveugle aux fan-
tasmesexcentriquesd’Eto’o.
Heureusement, je peux aussi compter sur quelques
soutiens. Des anonymes d’abord, qui me croisent, me
reconnaissent dans la rue et livrent des messages d’en-
couragement spontanés. Des lettres et des appels ensuite,
de personnes de mon entourage lointain ou d’anciennes
connaissances choquées par le traitement qui m’est réservé.
Fally, dont le nom est apparu à la faveur de quelques
articles malveillants, me contacte lui aussi. Je lui raconte
tout, de la rupture orageuse aux photos de lui que Samuel
m’avait commandées. Il ne se montre pas plus étonné que
ça: on lui a rapporté qu’une autre maîtresse camerounaise
du footballeur s’était vu confier la même mission quelques
mois plus tôt. Comme à son habitude, il n’a pas un mot

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plus haut que l’autre envers Samuel. Son détachement et


sa hauteur d’esprit m’impressionnent. Face à l’épreuve que
je traverse, il se montre compatissant, et m’apporte un sou-
tien réel mais discret : sa stature de personnalité publique
aurait tôt fait de relancer la machine à fantasmes autour de
mon personnage.
Dans ce flot de coups de fil ininterrompu, je reçois
l’appel inattendu d’une personnalité camerounaise de très
haut rang, dont je préfère taire le nom. Mon petit frère et
moi l’appelons«qui tu sais». Cette figure de la vie publique
du pays tient à m’assurer en personne de sa profonde
sympathie.
«Peu importe ce que vous avez fait. Je réagis en tant que
mari et père, et je ne souhaite à personne de vivre ce qui
vous arrive. Mais soyez courageuse. J’ai lu dans la presse
que vous aviez fait un séjour à l’hôpital et que vous aviez
songéà en finir. Nebaissez paslesbras. »
La bienveillance de«qui tu sais» va plusloin. Il meparle
des possibilités de contre-attaques judiciaires, et m’incite à
déposer plainte sans plus attendre. Il finit son appel en me
demandant quel serait mon vœ u le plus cher pour tenter
d’oublier l’épreuve que je traverse. Ma réponse est simple:
je ne peux plus regarder mes compatriotes dans les yeux
sans me dire qu’ils m’ont vue dans le plus simple appareil.
Je veux partir quelques jours loin du Cameroun pour pou-

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voir mebalader dans la ruel’esprit en paix. Mon bon sama-


ritain exauce mon souhait, et m’envoie l’équivalent de
30 000 euros pour m’offrir le voyage de mes rêves. Je me
pince pour y croire. Je choisis de partir pour un long
périple qui me mène à Miami, Washington et Mykonos.
Cettethérapieest un succèset mecoupedu marasmecyber-
nétique dans lequel je me noyais. Aujourd’hui encore,
j’ignore les motivations profondes de cette incroyable géné-
rosité, mais je conserverai une dette envers cet homme
jusqu’àlafin demesjours.
Ma réplique médiatique enclenchée et mes batteries
rechargées, mes choix sont limités: me morfondre ou faire
front. Passé le choc despremiers temps, la deuxième option
a mes faveurs, d’autant que le buzz hors norme engendré
par l’affaire a fini par attirer l’attention de la délégation
générale de la sûreté nationale. L’institution, au-dessus de
tout soupçon, est l’équivalent camerounais de la direction
générale de la police nationale française. Le délégué en per-
sonne me convoque un matin pour recueillir ma version de
cette curieuse histoire qui commence à agiter le landernau
dela politique. Cet hommeassez âgém’inspiretout desuite
confiance. J’exhume à cette occasion et pour la première
fois mes enregistrements clandestins. Après les avoir enten-
dus, il m’invite à rédiger une plainte nominative contre
Samuel Eto’o. Jem’exécute avec un bonheur et une sérénité

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que je n’avais pas éprouvés depuis longtemps. Cette fois, je


me sens écoutée, et j’ai le sentiment que les choses vont
enfin bouger.
L’enquête est confiée à un inspecteur qui convoque
Samuel à son retour du mondial pour une confrontation.
Le joueur fait faux bond, prétextant des réunions de débrie-
fing sur le naufrage de la sélection nationale. Il en sera de
même quelques jours plus tard à la deuxième tentative. La
procédure exige alors qu’un mandat d’amener soit rédigé
par le procureur. Lelendemain, Samuel quitteleCameroun
en rejoignant l’aéroport de Douala en taxi banalisé. Il n’y
reviendra qu’un an plus tard, en juin 2015. Entre-temps,
sa plainte initiale, celle qui m’avait valu mes trois jours
de garde à vue, avait été classée sans suite faute d’éléments.
Ma plainte auprès du délégué, elle, piétinait. Son retour au
pays a relancé nos poursuites judiciaires respectives par la
voie de citations directes croisées envoyées via nos avocats,
pour escroquerie concernant la procédure qui me vise, et
pour menaces, chantage, et déclaration mensongère pour
celle qui cible Samuel. Les deux restent aujourd’hui en
cours. J’ai, pour ma part, tenu à porter plainte également à
Paris, commelalégislation françaiselepermet pour lesdélits
commissur Internet, en m’attachant lesservicesd’un avocat
pénaliste de haut rang, M e Thibault de Montbrial, célèbre
pour avoir notamment défendu les intérêts de Nafissatou

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Diallo en France dans le combat judiciaire qui l’opposait à


DominiqueStrauss-Kahn.
Aujourd’hui, si toutes les blessures ne sont pas refer-
mées, j’ai quasiment reprisunevienormale. J’ai récemment
quitté mon emploi d’hôtesse d’accueil pour me consacrer à
ma marque de lingerie sexy, Psychee by NK, lancée au
Cameroun à l’été 2015. Je m’y investis à temps plein,
m’occupant des modèles depuis le design jusqu’à la fabrica-
tion en passant par le marketing. J’ai aussi consenti à ouvrir
une page Facebook officielle pour mettre un terme aux
nombreuses usurpations qui fleurissaient ici et là. J’y poste
principalement l’actualité de Psychee by NK, et quelques
photos personnelles prises lors de mes voyages ou instants
de loisirs. J’y suis soucieuse de ma vie privée, comme je
l’étais pendant ma relation avec Samuel. Plus d’un an après
la fin de ma liaison avec Samuel Eto’o et son épilogue qui a
bouleversé mon existence à tout jamais, je ne ressens plus
de haine vis à-vis de l’homme avec qui j’ai partagé plus de
six années de ma vie. De notre histoire, je préfère retenir
l’affection profonde et sincère, l’immense complicité, et
les fous rires interminables. Je ne lui veux sincèrement
aucun mal. Ce témoignage n’est pas celui d’une femme
voulant se venger de l’homme qui l’a tant blessée. C’est une
mise au point finale de l’actrice principale d’un feuilleton
fait d’amour, de sexe et d’argent, qui a secoué le football

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africain et mondial, et qui mérite désormais de se terminer.


C’est aussi un appel aux femmes, en Afrique et ailleurs, à ne
plus se laisser marcher sur les pieds, et à puiser le courage
nécessaire pour faire face aux hommes puissants qui, un
jour peut-être, tenteront de leur faire croire que la loi ne
s’appliquequ’aux faibles. Ilsont tort.

Nathalie Koah, décembre 2015


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REMERCIEMENTS

Je remercie avant tout Dieu de m'avoir sortie de ce cycle


toxique et de m'avoir permis d’être en paix avec l’éduca-
tion et les convictions qui m’ont été inculquées.
Je remercie ma mère Marie-Jeanne pour sa dévotion,
son amour inconditionnel et son soutien intarissable. Je
remercie mes frères Fabrice et Teddy et ma sœ ur Johanna
pour lesmêmesraisons.
Je remercie tonton Mathurin Minlo pour le père qu'il est
devenu, pour moi comme pour mes frères.
Je remercie M e Fochive pour son idée brillante qui a fait
de moi une femme libre, et mes autres avocats, qui pour-
suivent mon combat devant les tribunaux.
Je remercie ma grande famille, ma grand-mère, ma
tante, mon oncle, mes cousins et cousines.
Je remercie Amadou A. pour son aide précieuse dans ma
libération.

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Je remercie «Qui tu sais» pour m'avoir donné la force


de me battre pour la vérité.
Je remercie mes ami(e)s Huberline T., Nadia M., Guy
M., LisaT., IssaI., PamelaE., RolandeE… pour leur amitié!
Je remercie mes followers sur Instagram et Facebook
qui, pour la plupart, me soutiennent encore aujourd’hui et
le font savoir autour d’eux. Ils sont une source de motiva-
tion au quotidien.
Je remercie les médias qui ont rendu ma parole audible
et ont su résister aux campagnesde diffamation téléguidées.
Je remercie mon «grand frère» pour TOUT. C’est grâce
à toi que j'ai eu la force, non seulement d'écrire ce livre,
mais aussi de m’épanouir sur le plan professionnel.
Je remercie mes collègues de travail qui m'ont témoigné
leur sympathie.
Je remercie tous ceux qui, de près ou de loin, se soucient
de ma santé et de mon bonheur.
Samuel, je te pardonne sincèrement, mais surtout, je te
remercie. Tu as beaucoup contribué, peut-être malgré toi,
à façonner la femme que je suis devenue. Puisse Dieu apai-
ser ton cœ ur en profondeur.
Papa, grand-père, paix à vos âmes. Merci de veiller sur
moi de là où vous êtes.
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TABLE DES MATIÈRES

I. Maillot jaune. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
II. Le dieu du stade . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
III. Chambre avec vue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
IV. Lionne indomptable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
V. Un château en Espagne. . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
VI. La passe de trois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
VII. Sur le banc de touche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
VIII. La maîtresse trompée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
IX. Frappe cadrée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
X. Hors-jeu volontaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
XI. Au fond de ses filets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
XII. Une étrange mission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
XIII. Arrêts de jeu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189
XIV. L’heure de la vengeance . . . . . . . . . . . . . . . . . 205

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
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Date : 20/1/2016 16h11 Page 221/223

Dépôt légal : février 2016


ISBN : 978-2-35417-479-8
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Date : 20/1/2016 16h11 Page 222/223
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Cet ouvrage a été mis en page par IGS-CP


à L’Isle-d’Espagnac (16)

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