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— Je reviendrai demain, avait dit Fran
çois à la servante.
Hélas ! le lendemain, le vent soufflait 1
en tempête ; la pluie faisait rage, ployant
les pommiers en fleur et faisant neiger des
pétales sur les prairies.
— Un mauvais jour pour votre bonne
amie du Rosédo ! lui dit Lavoët, gogue- ■
nard. La belle ne reçoit que par le beau
temps.
François travailla dans sa chambre,
déjeuna avec les pêcheurs, s’intéressa à la
' mésaventure de Pivpn fils, victime d’une
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là
contravention pour n’avoir pas inscrit
son nom sur son bateau- de pêche. L’in
souciant Pivon remettait toujours cette
formalité au lendemain. Tantôt il avait
i ■ bien le temps, tantôt il n’avait pas le temps.
Les jours passaient et par ce gris matin
procès-verbal lui était dressé. Il aurait à
payer une amende. Pivon ne riait plus et
ne balançait plus son grand corps noncha-
" lant, “les mains dans les poches de sa
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i Qui m’attend au pays breton.
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sidérait Pivon. Un vrai type d’autrefois,
ce Pivon, paresseux^ trop museur pour se
plier à la loi du travail. Marié à une cui
sinière de Tréguier, il professait pour i
« Mme Pivon » une admiration sans bornes.
Il détaillait ses talents culinaires, et les
autres aussi, avec une verve inépuisable. i.
— Qu’est-ce qu’elle va dire, MmePivon,
quand elle saura que je me suis laissé
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pincer !
Si tu étais comme moi, lança le
fils de Lavoët, tu n’aurais pas ce souci.
Pivon cracha une fois de plus, mais
c’était cette fois pour montrer sa supé
riorité sur le beau cocu et sa confiance en
lui-même.
** *
Le lendemain, une lettre d'Aline, la
première depuis leur séparation, remplaça
pour François le soleil qui ne reparut pas
encore. C'était une charmante lettre pleine
de tendre amour et de grâce légère. Elle
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illff 190 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES...
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original elle possédait ! Au fond, elle était
heureuse et flattée qu’il eût fui tout plai
sir pendant son absence et qu’il fût allé
vivre en moine dans ce coin perdu de la
Bretagne. Du moins était-il moine béné
dictin? C'est-à-dire travaillait-il? Puis elle
parlait d’elle-même, de ses projets, de ses
travaux. Son mari voulait désormais faire
croître chaque plante dans son pays d’ori
gine. C’est ainsi, non seulement, qu’elle
aurait en Colombie des champs de ver
;i veines et produirait avec les fleurs luxu
riantes et odorantes l'ancien baume Guérit
• J ' X Tout, mais elle aurait encore, à l'île Mau
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I■ rice, des champs bleus de pervenches ; au
Canada, des champs rouges de sangui
naires ; en Sicile, de' blanches asphodèles.
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Sur le mont Tmolus, elle cultiverait le
2 ! safran ; la myrrhe, en Arabie ; la muscade,
s dans l’archipel Indien. Elle irait en Chine
produire la soya et extraire l’-anis étoilé
de la badiane vénérée. En Orient elle
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brusque désir de partir rejoindre son
amant. Elle s’étonnait d’être ainsi domi
née par son cœur et par sa chair et faisait, i
chaque fois qu’elle était ainsi tentée, appel
à sa raison. D’ailleurs, il suffisait que
son mari reparût pour que, sous son hon
nête regard, elle retrouvât sa maîtrise.
Mais, ce matin, elle était seule au milieu
de ses labours ! Alors, afin d’échapper à
son émotion, elle monta sur l’auto-char-
J -! rue dont la silhouette se découpait sur
l’horizon très bleu et traça, pour l’émer
veillement de ses élèves, un long sillon,
rectiligne.
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J Sur le siège aérien de la machine aux
roues hautes, Aline ressentit une fois de
plus une impression joyeuse et saine. La
terre argileuse était d’une chaude couleur.
Le soc brillant la retournait sans effort.
li ' Qu’elle aimait ce labeur où elle excellait,
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