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XVIII

Le cahier aux rubans fanés.

Bréhat, 3 juillet 1914.


‘l .
Jérôme, mon amour adoré, je veux mou- - l

rir. Je ne veux plus supporter l'affreux


tourment d’aimer et de ne plus être aimée.
Jérôme, j’ai trop souffert, j’ai trop pleuré. . 3 :

Je suis morte déjà. Ton amour, c’était ma


vie. Tumeretireston amour. Ma vie s’en va.
Il y a des mois que dure cette torture, que
je perds chaque jour le goût de vivre. Qu’est-
ce que la vie sans l’amour ? Tu ne m’aimes
plus! Combien de fois me suis-je répété ces
mots affreux : Il ne m’aime plus. Il ne
m'aimera phts. Alors, mourir vite..,.

r
Il
Si Ht 1
h - 204 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES...

Tu ne sais pas, Jérôme, mon Jérôme à


moi, monamour, combien je t’ai aimé! Non,
iîiwï! tu ne le sais pas, sinon tu ne pourrais pas

y® i me faire souffrir ainsi. Tes yeux retrouve­


raient un peu de douceur quand ils se
posent sur mes yeux tristes. Il n’y a plus
de flamme dans mes yeux parce qu’ils ne
reflètent plus ton amour. Mes yeux que
tu aimais ont perdu leur beauté. Sans toi,
Jérôme, ma vie n’est plus rien. Je n’existe

!
I que pour t’aimer.

Tout cela que j’écris aujourd’hui comme


une pauvre folle, j’ai voulu te le dire. J’ai
voulu essayer dé'te toucher en te montrant
h'ii la profondeur de mon mal. Oh l ta réponse,

h Jérôme !

i faF
« Sois donc moins sentimentale, m’as-
tu dit. L’amour n’est pas toute la vie.
Tout s’atténue, la passion surtout. On ne
s’aime pas au bout de dix ans de liaison
comme au premier jour. Voyons, sois moins

H . sentimentale ! »

F
i ■
i
i
-
LE CAHIER AUX RUBANS FANÉS 205
i
Je ne peux pas, Jérôme ! L’amour, !
c’est ma vie. Je ne suis qu’une femme créée
pour aimer sans doute. Je ne sais pas. Tu
me reproches d’être trop sentimentale. Oh !
Jérôme, c’est si bon d’aimer ! C’est si bon
de s’oublier dans un autre au point de
iaire passer son bonheur à lui avant son 1
propre bonheur.

Tu ne m’aimes plus, tu ne m’aimes plus ! 3


Ah! tous mes souvenirs d’amour, nos
beaux souvenirs, tes serments, tes promes­
ses ! Une femme a passé. C’est celle-là
que tu aimes aujourd'hui. Pourquoi cette
femme? Que te donne-t-elle que je ne te
donne?
Et moi qui ai saccagé ma vie par amour
pour toi, qui ai tout laissé: mari, foyer,
et qui souffre tant d'avoir fait cela ! J’ai ■ !

voulu me consoler dans ton amour. Et,


en effet, ton amour m’a consolée de tout.
Oh! tu ne sais pas quelle est la force de
mon amour pour toi ! -■ j-
i
i
l,!jl ■

ilI 206 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES...


/
Vois-tu, nous les femmes, nous vivons
Wi.li pour l'amour. Moi j’ai voulu l’amour
plus que les autres, parce que tout enfant>
Wl pauvre câline orpheline, je n’avais déjà
pas ma part de tendresse.

Tu ne me connais pas, Jérôme. Nous


avons vécu ensemble près l’un de l’autre,
mais tu n’as jamais bien lu en moi.
Que suis-je, en effet, près de toi, Jérôme
de Tyane, mon grand poète ? Une simple
femme qui t’adore.

il Je n’ai pas de talent, je n’ai pas de


dons. Je ne sais que t’aimer, que vivre pour
toi, de toi, de ton rayonnement, fière de ton
œuvre que je suis arrivée, à force d’amour,
à pénétrer, à comprendre. J’ai pleuré de
hit bonheur pour un de tes livres que tu m’as


a.
■ ; à
dédié au premier temps de notre amour.
Te souviens-tu, Jérôme, de ce que tu m’as

I; dit un jour :
« Quand les femmes sont très femme
comme toi, elles arrivent par leur seule

l
R

LE CAHIER AUX RUBAXS FIXÉS 207

sensibilité à rejoindre l’intelligence des


hommes. »
Hélas ! hélas ! on a beau tout sentir et
presque tout comprendre, on n’est jamais
qu’une femme !

Jérôme, je meurs de n’étre plus aimée.


Ah! pourquoi sommes-nous venus dans
celle Bretagne tragique? Je suis là seule,
à la fenêtre de cette chambre d’auberge,
en face de la mer qui attire les désespérés,
tandis que tu es là-bas sur la rive, près
d’Elle, ma rivale, que tu aimes... Je ne
peux plus écrire...
Quand je serai morte, Jérôme, tu te
pencheras sur mon souvenir. En appre-
. nant que je suis morte désespérée de n’étre
plus aimée, tu souffriras. Tu souffriras I:
à ton tour. Le remords t’étreindra. Ta dou­
leur sera ma revanche. Oui, Jérôme, j’aime i! -=
la vie, j’aime le plaisir. Je suis jolie, mon
corps est beau, fait pour les caresses. Et
quand tu liras ces lignes, ce corps chaud,
i

I! T
1 J !
: -i
ht -'i[ • 208 CES CHOSES QUI SEHONT VIEILLES...
l mi. vibrant, sera un cadavre glacé déjà en
u i ü! pourriture. A cause de toi ! A cause de toi,
' ‘ '! Jérôme !
j J B:
Je ne veux pas relire les dernières
lignes que j'ai écrites hier. J'ai voulu
les effacer. Mais Jérôme est rentré le soir,
l’air si las, si indifférent. Il m’a dit :
4 Tu as encore pleuré. C’est insuppor­
table. Je ne peux donc plus aller me pro­
V- mener à Paimpol sans être exposé à te
retrouver avec cette figure de carême ! La
vie n’est plus possible !...»
Oui, la vie n’est plus possible, mais
B il y a la mort. Alors je n’ai rien effacé.
Je suis seule aujourd’hui. Jérôme est
5
1,1 ; à Tréguier avec elle. Deux amoureux
serrés tendrement dans une auto : Jérôme"
et Marie ! Elle est jolie. Un grand voile
brun entoure son chapeau. Elle sourit.
Elle est heureuse. L’autre jour elle est

h venue ici. Elle a voulu me voir, elle a voulu


connaître celle qui gêne, son bonheur.

1
h! ■
j
B"”
LE CAHIER AUX RUBANS FANÉS 209 .

Comment peut-on édifier son bonheur


I
sur le malheur d'une autre?
Je suis plus -jolie qu’elle. Mais elle est
jeune. Elle est artiste. Musicienne. Comme
elle doit le charmer ! Ah! malgré son art,
elle ne comprend pas mieux que moi la
musique des vers de mon poète. Je suis
jalouse, jalouse ! Je souffre.

Seule aujourd’hui encore ! Où sont-ils,


mon Dieu, où sont-ils ? Jérôme, s’habillant, -
cachait son visage rayonnant. Ses yeux
étaient pleins de mensonge, tandis qu’il
m'exposait l'emploi de sa journée. En l’em­
brassant, j’ai mis ma main sur ses pau­
pières pour ne pas voir son regard men­
teur.
Je pleure, je pleure. Mon cœur se brise. ;:
Ils sont ensemble. Ils parlent de leurs
. projets, de leur avenir et aussi de moi, la
gêneuse. Jérôme n’a pas encore le courage
de m annoncer son abandon.
Oh! cette lettre que fiai lue! Cette lettre
14

'•'"•TM
V'Ï!
210 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES...
’J 1 qui ne me laisse plus de doute. La mère
ri ! de Jérôme approuve cette union. Marie
14 !
J .f: ! ./
Saverne est riche. Ah! Mme de Tyane
est une mère bien française !
Cette lettre que j’ai trouvée dans la
poche du veston de Jérôme était-elle ou­
bliée là par hasard, ou bien Jérôme a-t-il !
espéré que je la lirais et qu’ainsi la situa­ ■

tion se dénouerait ? A-t-il escompté que je


provoquerais l’explication entre nous deux,

' fer dont il a peur ?

il Je n’ai rien dit. Je me tairai jusqu’à


la fin. Il est rentré ce matin après trois
jours d’absence. Et c’est moi qui trem­
blais qu'il ne parlât. Dans ma toilette du

If- matin, je m’étais faite aussi belle que


possible. Il a passé distraitement sa main
dans mes cheveux étalés sur mon dos. Il
n’a. vu ni le peignoir de soie japonaise
d’un rose si doux, ni mon sourire...

-H Si j’essayais de ne plus paraître triste P

=h Encore un effort pour le reconquérir.

■ù8Hïir~rri
LE CAHIER AUX RUBANS FANÉS 211

Il y a, ici, dans cet hôtel, un Parisien


qui s’est un peu lié avec nous. Il multiplie
envers moi les amabilités, lorsque nous
prenons tous trois le café sur la terrasse.
Son manège, il y a quelques mois encore,
eût agacé Jérôme. Mais Jérôme est
aveuglé par la vision qu’il porte en lui.
Il ne voit rien. Il n’a même plus de
jalousie !...

Notre nouvel ami, le banquier Muret,


a entrepris de nous apprendre à nager.
Jérôme ne l'a pas vu ce matin me prendre
dans ses bras sur la vague et se pencher
en me disant:
— Ne soyez pas triste ainsi. Pourqtioi
y a-t-il tant de mélancolie dans vos beaux ~
yeux? Vous êtes belle tout entière.
Il me serrait contre lui. A ce moment,
sur la plage, Jérôme regardait au loin
la côte de Paimpol. Et j’ai senti en moi
un tel désespoir que j’ai brusquement
lâché la main de Muret. Je me jetai dans
i
•! 1 •
H'Sl’ J
!t L 212 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES...

la vague montante. L’autre m’a rattrapée

I®;
W II ii
violemment. « Pas de ça, pas de ça, vous
êtes jolie ! » Mais j’ai compris combien
il était facile de se laisser emporter par
la mer. C’est jacile, c’est facile... '
On ne doit pas souffrir beaucoup, ni
longtemps.
Mon Dieu, pardonnez-moi !

10 juillet.
M. Muret nous quitte ce soir. J’ai évité
jilj 7 depuis deux jours de le rencontrer seul. I

En nous disant adieu, il m’a recommandé

b d’être prudente au bain. Je l’ai remercié


de ses leçons.
Il ‘juillet.
Jérôme est parti ce matin. Il va parcou­
rir la côte jusqu’à Brest. « Je reviendrai
| peut-être te reprendre ici, m’a-t-il dit, ou
u|.‘ bien je rentrerai directement à Paris.
Je t’écrirai. »
Mon Dieu! mon Dieu ! que va-t-il m'é-,
crire ! J’ai peur de cette lettre...
=>!' I
i
U
J-
1 114

il | 214 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES...

Sous ma fenêtre deux clients de l’hôtel


parlent de la guerre. « La guerre n'est pas
!>;J| possible», a dit l'un. — «Personne n’y
| P croit », a répondu l’autre.

J’ai reçu ce matin le dernier baiser de


Jérôme. Pauvre Jérôme! Il n’a pas le
courage de m’abandonner. Il ne m'aime
plus, mais trop de souvenirs nous lient.
C’est toute sa jeunesse qui s’appelle Pas- I
caline. Hélas ! la vie pour lui maintenant
s’appelle Marie !
fc Pitoyable baiser. Je ne reverrai pas
m'! Jérôme. Plus jamais. Jamais plus...
J'écris dans l'encadrement de la fenê­

!î tre, face à la mer. Je suis comme le con­


damné à mort qui attend sa sentence.

llh ■ Ma sentence à moi, c’est une lettre de


Jérôme.
jp i Une lettre qui ne me parviendra

ir '! pas. Une lettre que je ne lirai pas. Je


n’attendrai pas la sentence pour mou­
rir...

Kl
LE CAHIER AUX RUBANS FANÉS 215

Il paraît que les condamnés à mort em­


ploient presque toujours leurs derniers
jours à écrire le récit de leur vie...

12 •juillet.
... Lorsque j’évoque mon enfance, je
revois une horloge, une haute horloge de
cuisine au cadran fleuri et au balancier
de cuivre qui passe et repasse dans le
ventre de l’horloge. Devant, il y a une
petite fille au visage barbouillé par les
larmes, et aussi par la poussière de charbon.
— Apprends ton horloge, dit une voix
méchante à la petite fille. Quand tu sau­
ras toutes les heures tu seras pardon -
née...
La petite fille regarde le cadran d’un
regard désespéré. Toutes les heures! Et
c’est jeudi, un beau jeudi de vacance qui
invite à la promenade.
— Quelle heure est-il? demande la voix
méchante.
Les deux aiguilles barrent le cadran
/
il
|-
216 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES...

comme la ligne de l’équateur sur l’hémi-

I sphère dans la géographie.


— Neuf heures et quart, répond étour­

h1.;- diment la petite fille qui en ce moment


contemple un rayon de soleil où la pous­
sière s’irise.
— Bougre de bête ! C’est trois heures
moins le quart. Tune sais même pas quand
c’est l’après-midi.
— Et toi, tu es une malhonnête ! Et
■î r i si tu m’insultes je le dirai à papa.
kj — Et si je te donne une gifle, est-ce
Jd ■ que tu le diras aussi?
b;
r-
— Oui, je le dirai, vilaine 'Prussienne !
!
— Tiens !

I • Oh! que ça fait mal une gifle sur la


■joue et sur le cœur ! Jamais la petite fille

b

ne clamera trop sa douleur et sa rancune.


— Papa, papa ! Georgelte m'a battue.
— Crie toujours ! le docteur est allé

ïr - voir un malade à Chazelles. Quand il re­


viendra ce soir, je lui dirai que tu as
encore été méchante. r

!
LE CAHIER AUX RUBANS FANÉS ■2.17

Mon Dieu ! mon Dieu! faudra-t-il après


avoir été battue par sa bonne allemande
être grondée par ce papa charmant tou­
jours absent? Oh! vilaine Georgette qui
ressemble à la chatte jaune, pelotonnée
sur le coin du fourneau ! Vilaine qui a
injustement privé la petite fille de sa pro­
menade parce qu’elle guette le passage de
son amoureux. Enfin, le commis épicier
est apparu. Georgette a souri en agitant
le rideau.
— Maintenant je te pardonne, dit-elle,
nous allons sortir. ■ '
Mais la promenade à cette heure tar­
dive n'a plus de charme.
C’est cela, mon enfance, et c’est ceci en­
core :
Une amie de ma maman morte estyenue
ce matin avec un carton plein de rubans
colorés, satinés, sur lesquels il y a des
fleurs, des oiseaux. Tous ces bouts de
- rubans qui proviennent des fabriques de
mon oncle stéphanois vont devenir des
!J
-i I -
218 CES CHOSES QU II SERONT VIEILLES.,

H
U<I
4 i I I
robes de poupée sous les doigts de Mne Thé­
rèse qui a de si tendres yeux et qui parle
doucement de son amie :
— Elle était jolie, ta maman. Elle. te
berçait dans ses bras en chantant. Elle
t’aimait tant, ta maman !
— Ne partez pas, mademoiselle Thé­
rèse ! Restez pour me dépendre contre
Georgette. Je veux qu’on m’aime comme
maman.
Et Mne Thérèse, ses tendres yeux pleins

if ' de larmes, doit décrocher l’un après l’autre


les doigts de la petite fille qui s’agrippent

ps à sa jupe à tournure. Enfin Aflle Thé­


rèse a obtenu le départ de la Gretchen.

I Cette Georgette est une gourgandine,


a-t-elle dit. En fait d’allemand elle enseigne
à Pascaline le mauvais patois des Juifs
de Silésie. Il faut la renvoyer, docteur.
- H ■ >■ Pensez au chagrin qu’aurait la pauvre
Marguerite si elle voyait sa petite maltrai­
tée par cette Allemande.
Georgette est partie / Je ne verrai plus

I
Ih
Xkv-
LE CAHIER AUX RUBANS FANÉS 219

I son visage bovin, ses yeux d’un bleu im­


placable qui ne prenaient d’expression
que dans la méchanceté. Une auvergnate
l'a remplacée. J’ai gardé le souvenir de la
belle fille qui ne devait pas tarder à deve­
nir la reine de la maison et la maîtresse
de mon père. Mais sa figure avenante
m’avait d'abord plu. Déjà j’implorais sa
tendresse. - r
— Tu m’aimeras... Mariette? lui dis-je.
Un rire niais me répondit. Elle écarta
mes bras qui pressaient ses genoux et
secoua sa jupe.
— Tu me chiffonnes, me répondit-elle.
Devant mon père, elle protesta de son /
dévouement, de son affection pour moi.
Mais c’était fini. Je n’y croyais plus.
J’avais six ans. v-
Et mon enfance, c’est encore ceci:
J’ai écouté derrière la porte. Ma tante
Mathilde dit à mon père :
— C’est honteux de voir une enfant
aussi mal elevée ! Cette petite pousse
flæ(1 220 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES...

comme les airelles. Une telle situation


ne -peut durer. Tu couches avec ta domes­
îi ' | tique. Et cette traînée ne s'occupe de ton
enfant que pour la maltraiter.
— Tu exagères, murmure faiblement
mon père.
— Je n’exagère pas, riposte ma tante
d'une voix véhémente. Je ne fugc pas
ta conduite. Elle est ridicule ! Est-ce une
vie d’être toujours seul enfermé dans sa
; pi bibliothèque à lire ou à s’abrutir sur un
dî< échiquier, et à se piquer à la morphine?
i hi. —■ Pardon, il y a aussi mon métier.
/ Et je t’assure que je le jais avec cons­

. ij>Mn JJ
cience.. ..
— Bref, interrompt ma tante, je n’ou-
■ blie pas que Marguerite, en mourant,

li m’a confié son enfant. Je viens la cher­

I cher. Elle sera élevée avec ma fille à la,


campagne.
Oh ! Joie ! La campagne ! Le grand
o ■z
= y
jardin! Et Annie ma petite cousine qui
est si gaie et a de si beaux jouets !

li :
LE CAHIER AUX RUBANS FANÉS 22 T
-
— Alors, tu ne regretteras pas ta mai­

I
son, ton papa?
Je suis maintenant sur les genoux de
mon père. C’est la première fois que je
vois mon père s’attendrir. Est-ce que mon
papa m’aime ?
1
Je me suis demandé pendant toute mon
enfance si mon papa m’aimait.
Comment ai-je pu me rappeler aussi
nettement mon enfance ? Je n’y pensais
jamais. J’avais de l'antipathie pour mes
premières années et pour ma ville noire.
J’ai longtemps considéré que ma vie ne
prenait un peu d’intérêt que lorsque je
quittai Firminy. Et pourtant quelle dé­
ception m'attendait! Annie, la gentille
Annie si gaie, comme elle m’a peu donné
de tendresse ! Tante Mathilde, comme elle
me faisait peur toujours! Et«Mademoiselle »
l’institutrice circonspecte, préoccupée de
ne pas marquer un attachement particulier
à l’orpheline!
Cependant j’ai été chérie au couvent

• \

II! > I
R.
I

Ià!• 222 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES...

l|il ilV par une religieuse aux doux yeux, très


blanche et très jolie. Mais elle m’-aimait
en Dieu, ainsi qu’elle me le dit un soir
; r ;v i que nous nous promenions sous le cloî­
tre, moi suspendue à son bras dans la
pénombre. Je voyais son regard qui bril­
lait sous le bandeau des Visitandines ;
sa 'joue lisse m’attirait; j’y posai mes
lèvres. Mon Dieu ! j’avais quinze ans !
f: |: Elle se méprit sur ce baiser. Quelle confes­
i
Ni :
sion dut-elle faire le soir dans la salle
capitulaire? Je ne me promenai jamais
plus avec la religieuse aux yeux doux.
L Tous les bras retomberont-ils ainsi tou­
jours? Je veux qu’on m’aime. Je veux,
h comme Annie, connaître la chaude étreinte

JIRi !iLl• ' de deux bras resserrés sur moi en forme


de nid.
Dans le salon aux tentures de reps, je me
1H
aS/j; revois adolescente, studieuse, assise en face
d’un monsieur correct. Mon professeur

Hh M. Raoul Delvère me dicte un cours de


morale civique. Que c’est ennuyeux la

Ij
h
I
r.M(
liii|
y Wh 224 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES...

! O morale civique ! Une invention de la Troi­


1i 1 i sième République. Les devoirs envers l’Etat !

«P Et comme tout cela est déroutant ! Mon


père et mon oncle Langeac disent à tous
les repas de famille que la République
anticléricale conduit la France à sa perte.
Ils n’ont pas confiance dans les fonds
russes, et, à chaque chute de ministère,
— et, Dieu, s'il y en a, des chutes de mi­
nistères ! — ils annoncent un changement
b de régime. La grand’mère d’Annie, qui
P' est très pieuse, a pleuré en apprenant que

O:
h l’on profétait la séparation de 1‘ Eglise et
de l’Etat. Le jour où les sœurs de la rue
Saint-Roch furent expulsées, le dîner à
H
ü- 1.
la maison s'acheva en orage.
Où est la vérité? M. Delvère commente
il i l’Histoire. Il exalte la Révolution. Et moi
à qui l’on a dit, au couvent, que l’exécution
de Louis 1 XVI et de Marie-Antoinette
d'i 1 \ était un double crime, j’apprends avec
effarement que la reine martyre aurait
3 : jl !
trahi la France tout comme un vulgaire
I
!

i
-
LE CAHIER AUX RUBANS FANÉS 235

Dreyfus. Mais M. Delvère parle avec tant


d’éloquence et il est si élégant qu’il faut
bien le croire un peu. Il m’a conduite
au succès des examens par le chemin fleuri
de son beau langage, sans jamais se douter
du mal qu'il m’avait fait en détruisant
mes premières certitudes.
Trois jours après que j’eus passé
mon brevet, M. Delvère, en redingote et
cravate blanche, vint demander ma main.
Mon père, appelé pour la circonstance,
arriva à Saint-Etienne, à l’heure du thé,
et engagea avec le professeur une conver­
sation qui dévia presque tout de suite sur
l’Affaire Dreyfus. Lorsque je pénétrai
dans le salon, mandée par ma tante, ce-
fut pour entendre deux voix colères échan­
ger des injures.
— Oui, Monsieur, disait mon père,
ce Dreyfus est un traître. Drumont a rai­
son, ettouslesantidreyfusards ont raison. Ce
Juif sans patrie devait nous trahir. Voyez-
vous, Monsieur, onnimprovisepassapatrie.

■î
II
M
H 1 •<
226 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES...

— Là où l’on est né, là est la ■patrie,


] ii ■ ripostait M. Delvère.

hIî
— Non, Monsieur, là où nos aïeux
sont nés !
p i : — Ah! Ah! La Terre et les Morts!
ricanait Delvère.
— Parfaitement ! La Terre et les Morts,
criait mon père. Mais, brisons là, Mon­
sieur.
Je me glissai dans la serre qui pro­
longeait le salon et allai pleurer dans ma
> ! chambre.
— Tu ne t’étais pas toquée de ce franc-
maçon? me demanda mon père inquiet
!■'
de me trouver en larmes.
— Non, répondis-fe. D’ailleurs, puis­

bJ - ,
qu’il ne m’aime pas, moi non plus je ne
l’aime pas.
I Plus tard, je sus que M. Delvère avait
protesté de son sentiment profond pour
}
moi. Il était sûr de me rendre heureuse,
' i
mais il avait tout compromis en ajou­
tant : « Mademoiselle Pascaline est intel-
I - 1
!
L
I
I
l ,!
LF. CAHIER AUX RUBANS FANÉS 227

ligente, je Vamènerai -peu à peu aux idées


modernes. »
J’oubliai vite Raoul Delvère. J'appris
à peindre à l’aquarelle et à monter à che­
val. Je vivais maintenant près de mon père,
dans ma ville noire.

... Frais souvenirs de ma jeunesse qui


m’ont fait, un instant, oublier ma peine...

Mon Dieu ! ai-je assez rêvé d’amour


pendant cette année ! Ma vie .n’était qu’une
attente de l’amour. La lecture des romans
m entretenait dans cette attente.
Hélas ! l’amour vint sous la forme, sans
séduction, du député Farjolies. Un matin
je vis la figure renfrognée de Mariette
s’éclairer en me regardant. Elle était déjà
dans le secret avant moi. A midi, je sus
que Henri Farjolles me demandait en ma­
riage. Mon père me fit valoir les avantages
de cette union. Il me dépeignit mon pré­
tendant.

)I
I: :•
>
■’i

11
228 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES...

— Mais il est vieux ! dis-je en apprenant • 'I


Ij qu’il avait trente-six ans. Il est laid,
pensai-je encore, désenchantée.
lj i — C’est un homme intelligent, cla­
mait ma tante. Et riche ! Un bon cœur.
Il t’aime, tu seras heureuse.
Je n’avais retenu que ces mots : Il t’aime.
Et deux mois après, j'épousai Henri
Farjolles, député d’Yssingeaux. J'avais
dix-huit ans.
Sans doute il y a plusieurs jaçons
;;
d'aimer. Des compliments, des cadeaux,

I jf (i !!
’ » îI
une tendresse sans complication, un désir
dépourvu de fougue, mon mari a donné

(U h tout cela à l’« enfant Câline », ainsi qu’il


m appelait. Mais sa vraie passion était

I
•- ■ •

la politique. J’eus dans la petite ville céve­


nole une maison qui datait de la Restau­
ration et un parterre de roses dans un vieux
jardin.
Paris ! Je viens avec mon mari habi­
| ter Paris ! J’ai un appartement rue de
Babylone et un mobilier modem’style.

LH
i i <
LE CAHIER AUX RUBANS FANÉS 229

Que c’est donc charmant de découvrir


Paris ! La joie de se sentir une ■jolie fem­
me admirée, d’entrer dans un restau­
rant luxueux, en corsage décolleté sous
un grand chapeau, tandis que des tzi­
ganes jouent des valses. Pendant cinq
ans je n’ai vécu ainsi que pour le plai­
sir, allant d'un thé à un dîner, d’un dîner ■f

à un bal.
C'est alors que je rencontrai, chez la 'I
duchesse de V..., Jérôme de Tyane, le
15 juin 1907. Ce jour-là, la réunion litté­ I
raire avait pris des allures de garden-
party.
... Je ferme les yeux. Je revois le jar­
din, je sens le parfum du cytise qui m’om­
brageait. Appuyé contre une rocaille qui
formait, avec son fond de charmille, le
décor d’une scène rustique, Jérôme de
Tyane, l’air très jeune et timide, disait
un de ses poèmes. J’entends encore sa
voix...”Je ressens l’émotion qui me sur-- E
prit. A un moment, Jérôme s'arrêta et son -
i■
I
?■ L 230 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES... \

gI - regard, attiré -par ma robe blanche, la cou­

I
ronne de roses rouges qui ornait mon cha­
peau, se posa sur mon visage. Ah ! cc
fut bien le coup de foudre! Je crus dé­
faillir. Jérôme m'a dit qu’il me trouva, à
cette minute, extrêmement jolie. Pendant
quelques secondes, il perdit la mémoire.
Il ne pensait plus à son poème... L’audi­
toire, mettant son silence sur le compte de
la timidité, l’applaudit, et moi-même, j’ap­
plaudis avec élan.
Quelques minutes après il était près de
’p moi. La vieille duchesse me le présentait.
/ J’apprenais qu’il était forézien.
— Je connais bien le nom de voire
.4 famille, lui dis-jé.
- Et moi, me répondit-il, sur un ton

J gamin, je n’ignore pas le nom de mon


député.
Quand nous nous séparâmes après le
goûter, Jérôme me dit en guise d’adieu :
— Je n’a.i jamais rien vu d’aussi joli
de ma vie qu’une jeune femme brune
I

•!

P- U—
LE CAHIER AUX RUBANS FANÉS 231

vêtue de blanc, sous un cytise en fleur.


Je rentrai chez moi à pied, heureuse,
légère. Que la vie était belle !
— Mais il faut l’inviter, ce jeune de
Tyane, puisqu’il a du talent, me dit mon
mari, pendant le dîner.
Je ne répondis pas, je ne pouvais pro­
noncer le nom de Jérôme sans un tremble-
ment intérieur. Un autre que Henri
eût deviné mon trouble. Mais lui, dans cet
instant, ne pensait qu’au rapport qu’il
devait lire le lendemain à la Chambre.
Il était loin de la poésie et du poète.
Ah! oui, Jérôme de Tyane était un
fantaisiste ! Quel convive amusant ! Quel
esprit! Tout en lui était charmant. Il
avait une façon paradoxale de traiter
la politique qui déconcertait le député.
Mais bientôt lui-même ne put se passer
du poète.
Doux souvenirs de ce bel été, de ■ nos
' fiançailles passionnées. En août, mon mari
s’en alla présider des comices. Moi, j’allai
|| ■

232 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES...


‘a ■

iI
U i
dans la forêt de Compiègne. Jérôme vint
m'y rejoindre. Franc-port ! les randonnées
à bicyclette, les robes claires et les voiles
qui flottaient sur les chapeaux. Et, un soir
de clair de lune, dans les rochers du mont
Saint-Marc, le premier baiser de Jérôme !...
Mon Dieu ! Ils ont existé ces jours,
ces nuits où nous ne vivions que pour notre
amour! Je revois la femme que j’étais
alors, l’air très jeune et s’appliquant à le
paraître plus encore, parée à souhait, des
* yeux rayonnants. Savoureuse ! disait Jé­
V. - rôme.

H i
s
Des jours de bonheur, des nuits d'amour !
Torturée, humiliée de plaisir !...■ Heureuse
Pascaline !... A cause de ces souvenirs,
je ne regrette rien. Peu importe les larmes
qui ont. suivi, les angoisses, les jugements
sévères, la demi-pauvreté que j’ai connue
à cause de lui. J’aimais, j’étais aimée !
Quand je pense à ce temps, il me sem­
ble que j'étais portée par mon bonheur,
j’allais comme soulevée à la rencontre

S —
r

LE CAHIER AUX RUBANS FANÉS 233

des bonnes choses de la vie. Avec lui j’ai


découvert l’art, la poésie qui ont enchanté
mes jours. C’est pourquoi aujourd’hui,
meurtrie par lui, mon cœur douloureux
continue de battre pour lui. En mou­
rant, Câline est encore sa chose, le reflet
câlin de lui-même. rt
Oui, Jérôme, je jus ta compagne effa­
cée, celle qui fait la vie douce, qui rend
le travail aisé, qui comprend le rêve. Celle
qui a voulu ne t’attacher par aucune
autre chaîne que celle de son amour. Ah !
je le connaissais bien ce goût de l'aventure
que tu portes en toi et qui t'eût fait tout
i
briser aux heures de frénétique indépen­
dance ! ' " ' ’
Je t’ai fait le don complet de moi-même.
Je n’ai pas vu l’avenir. Je n’ai pas cru
qu’un jour tu pourrais te lasser d’être
$
aimé.

Hélas / quand l'amour s’èn va, l'amour

r
3
Hî-
' Il 234 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES...

va si vite ! Il n’est pas de charme qui ne


s’épuise, dit-on. Pourtant, moi, je l’aime
£ .V1 " comme au premier jour, avec plus de force
encore. J’aime tout en lui, son visage qui
pour moi est le seul beau visage, sa beauté
que je préfère à toutes les autres beautés.
J'aime sa façon d’être, sa démarche, ses
gestes. Sa pensée me ravit. Je sais que tout '
ce qu’il va dire plaira à ma pensée. Il
exprime toutes choses avec le trait vif ou
poétique qui atteint immédiatement ma
H-, sensibilité. Ma pensée s’incline toujours
! i‘ devant la sienne. Je le comprends entière­
il ment, et, plus encore que mon cerveau,
c’est mon cœur aimant qui le comprend.
! Et pourtant, pourtant, malgré cette cor­
respondance étroite, absolue, il ne m'aime
L plus ! Qu’est-ce donc que l’amour, alors,

I mon Dieu?

w Je sais pourquoi il ne m'aime plus.


Mon cœur en a trouvé la raison.
Jérôme a trente-çinq ans, cet âge où
?

L
K
U
Z.£ CAHIER AUX RUBANS FANÉS 235

. l'homme est homme et voit sa première


jeunesse s’en aller. Il est en pleine force,
il est celui qui parcourt maintenant le
chemin qu’il a choisi, et s’affirme quelqu’un.
Cependant, voici qu’il jette un regard
derrière lui; là, il y a les jeunes gens à
qui sourient naturellement les jeunes filles.
Iln’est déjàplus de ceux-là. Il est un homme.
Et il voudrait être encore ce jeune homme
plein d’illusions et d’enthousiasme. Il
voudrait retenir la vie ! A h ! que l’illu­
sion au moins demeure. Il la cherche dans
tous les yeux.
Les miens, certes, la reflètent. Pour
moi, il a toujours ses beaux vingt-cinq . I
ans. Il est tel qu’au premier jour où je
l’ai connu. Je ne vois pas ses rides fines,
non plus que la petite mèche de cheveux
blancs qui pousse près de ses tempes. Ou
plutôt, si, je les vois, mais je les aime. Sa
maturité même le pare à mes yeux. Il le -
sait; il est sûr de mes yeux. Il en est. trop
sûr ; il est trop habitué à mon regard épris.
ri
E
236 CES CHOSES QUI SERONT- VIEILLES...

Il lui faut d’autres preuves, d’autres yeux... f


Un jour, une femme est venue. Elle
> n v '■ est la jeunesse, l’imprévu, l’aventure ! Elle
s'avance glorieuse parce qu'elle a vingt ans.
Jérôme est attiré par ce clair matin. Lui
qui a déjà fait avec moi le tour des choses
de la vie, il rêve de recommencer avec ce
petit être tout neuf... Il l’aime! Il croit
l’aimer!
Kj ... Je les vois partir la main dans la
‘H main. Il se penche sur elle. Il rit de l'en­

Hj : tendre rire de tant de découvertes...

k' Ih.
i :
Vivre ? Vieillir ? Pourquoi, mon Dieu ?
L'amour m’a empêchée de préparer ma
vieillesse. Tenter de «refaire ma vie»,
comme ils disent. A quoi bon ! C’est
l’échec d’avance. Aucun homme ne peut
i ■ désormais me charmer. Chercher dans les
yeux d'un autre le reflet de ses yeux à

III
lui, guetter un geste qui me rappelle ses
gestes, une façon d’être où retrouver
un souvenir. Etre sans cesse déçue.

h
v|i
lu
■ LE CAHIER AUX RUBANS FANÉS 237-

Oh ! cet homme qui remplacerait mon


bien-aimé, comme je le déteste d’avance !
Continuer la vie solitaire avec le tenail­ J
lant regret? Se sentir peu à peu gagnée
par Vamertume. Attendre en vain l’apai­
sement jusqu’à la mort...
Il est tellement plus doux de mourir !

Mon Dieu, soyez-moi compatissant! Ce


fut toujours une chose si difficile que d'être :
une femme!...
14 juillet 1914.
Sur la mer, dans l’encadrement de ma
fenêtre, il y a une barque à la voile gon­
flée par le vent. Elle glisse. Elle aborde.
Des gens en descendent. Ils chantent. /•
J'entends leur chant:
C'est la lutte finale.
Groupons-nous et demain f
L’Internationale
Sera le genre humain* ■
f
(

Souvenir de ces matins de dimanche


où les bateaux parisiens promenaient des
' !
I

1
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I I .

i. ; 238 CES CHOSES QUI SERONT VIEILLES...


f
I- I ouvriers dans la direction de Suresnes.
De ma fenêtre du quai de Bourbon, j’en­
tendais ce même chant de Z’Intematio-
nale s'élever sur la Seine. Dans la -pièce
voisine, Jérôme écrivait !...

Ils sont attablés sur la terrasse, les


i
chanteurs de Z’Internationale. Ils parlent
de la guerre. Encore !
S’il y avait la guerre ! Quelle bouche­
rie ! » a dit l’un d’eux.
Mpn Dieu, s’il y avait la guerre, Jé­

ih
Hi "
rôme qui aime tant la vie, Jérôme, mon
Jérôme devrait-il mourir? Mourir, Jé­
hil -'i'i, b ;
• !
rôme. Détruits, ce corps, ce visage adorés.
Mon Dieu, mon Dieu, prenez ma pauvre
ï'i'i >-
ï P ! vie en holocauste, conservez ce génie épa­

|j ' noui. Ma vie pour la sienne, mon Dieu !

Dimanche, 15 juillet.
■P i'i -
il • ! C’est aujourd’hui dimanche. Il fait très

11 beau, très chaud. Les cloches sonnent.

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240 CF. S CHOSES QUI SERONT VIEILLES...

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1/ V i
Je vais aller dans l’église prier. Pour la
dernière fois, je vais vous prier, mon
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r
Dieu !
VV •' !' ■ Dimanche, 2 heures.
/■il ]
C’est fini. Mon cahier est terminé.
Tout à l’heure je le fermerai par des ru­ i
bans.
Quel sera le sort de ce petit cahier? Je
l’avais écrit pour Jérôme. Et maintenant,
;, si près de la mort, j’ai compris que je ne
jii i ; • devais pas troubler d’un remords la con­
i. f i

É science de mon bien-aimé. Je ne veux pas


qu’il souffre par moi. Je ne veux pas qu’il
pleure. Plus tard, bien plus tard, s’il
revient un jour, seul et triste dans cette
île, chercher la trace de mon souvenir, alors
que ce cahier lui soit remis.
gii
Si :i Sinon, que ce 'pauvre cahier inutile ait
le destin des choses fanées. Peut-être,
:!iHj après des années de sommeil dans le tiroir

i 8:!i .
J' '
iIt
-a ■
:
<

LE CAHIER AUX RUBANS FANÉS 241 !
d’une vieille commode, -peut-être reverra-
t-il le jour !
Alors, peut-être une jemme lira ces
pages, et, ignorant mon nom oublié, pen­ i
sera seulement que celle qui les écrivit
emporte l’espoir d’être, par son Dieu,
pardonnée, — parce qu’elle a beaucoup
aimé.
Pascaline Langeac.

Ile Brêhat, 16 'juillet 1914.

16

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