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sans la religion ?
Le défi des ancrages au Québec
Page laissée blanche intentionnellement
La nation
sans la religion ?
Le défi des ancrages au Québec
Sous la direction de
Louis-André Richard
ISBN 978-2-7637-8848-7
Avant-propos.................................................................... 1
Louis-André Richard
Nation et raccommodement désirable.............................. 5
Louis-André Richard
La brutalité du changement.......................................... 7
La douceur derrière les changements............................. 14
Vers une culture du raccommodement désirable........... 20
L’idée de nation. Entrevue avec Pierre Manent................. 31
Louis-André Richard
La nation québécoise, le creuset méconnu........................ 63
Denis Vaugeois
Perte de mémoire, perte d’identité................................ 65
Canadiens, Canadiens français, puis Québécois............ 66
Le Québec, un creuset méconnu................................... 70
L’état de la question (à partir des débuts)....................... 70
L’apport amérindien................................................. 72
L’origine véritable des pionniers................................ 77
Le piège des patronymes........................................... 78
Une immigration méconnue : les captifs................... 80
Un bloc homogène et assimilateur............................ 83
L’assimilation des personnes et l’approbation
des traditions............................................................ 87
Quelques observations à partir du présent................ 89
Conclusion................................................................... 93
VIII La nation sans la religion ?
Louis-André Richard
L
’idée d’entreprendre une réflexion sur le délicat pro-
blème de l’identité, de la communauté politique et
des accommodements nécessaires à la bonne marche
de la vie en société m’est venue à l’occasion d’un débat télé-
visé sur la question entre le maire de Saguenay et un anima-
teur de radio de Québec. Le premier avait présenté un mé-
moire à la Commission de consultation sur les pratiques
d’accommodements reliées aux différences culturelles
(commission Bouchard-Taylor), au nom de la ville de
Saguenay, où il défendait le catholicisme et sa place dans
l’espace public. Le second critiquait la position du maire en
invoquant avec véhémence la séparation du religieux et du
politique. Curieusement, ce soir-là, l’élément le plus sur-
prenant de la discussion avait peu à voir avec le contenu des
idées défendues. Le sujet grave et complexe, le format com-
primé de l’émission et le peu de temps alloué à la défense
des points de vue livraient une vue superficielle et un peu
caricaturale des positions de chacun. Non, le plus étonnant
ce soir-là résidait dans la façon de fonder les positions.
Monsieur le maire soutenait que le mémoire déposé
était l’expression de l’opinion d’une majorité de ses conci-
1
2 La nation sans la religion ?
*
Ce livre est une contribution à l’effort de réflexion
nécessaire pour définir l’identité et pour essayer de com-
prendre le problème des accommodements. C’est aussi
l’occasion de jeter un regard critique sur notre exercice de la
démocratie, sur les servitudes sournoises qui le menacent
constamment. « La démocratie ne va pas de soi et il faut se
battre pour elle tous les jours, sinon nous risquons de la
perdre » dit Paul Auster. Tous les auteurs impliqués dans
l’élaboration de cet ouvrage sont convaincus de cela. Nous
sommes aussi persuadés des vertus du dialogue, d’un
échange fondé sur la recherche du vrai en vue d’une
meilleure compréhension de ce que nous sommes comme
individu et comme citoyen.
Nation
et raccommodement désirable
Louis-André Richard
L
e Québec est moderne et il est libre. La Révolution
tranquille a opéré la formidable transition entre l’an-
cien et le nouveau. On dit formidable en tablant sur
les significations vieille et neuve. La première inspire la
crainte (formidare, craindre, redouter) ; la seconde, tournée
vers l’avenir, est pleine de promesses (fabuleux, fantastique
et sensationnel). L’évolution des significations du mot a té-
moigné d’une rupture avec un passé jugé oppressant. Dans
les esprits, il s’agissait d’en finir avec « la Grande Noirceur »
selon l’expression consacrée. Du coup, la révolution pro-
pulsait l’avènement d’une société ouverte, renouvelée et li-
bérée, où nous devenions « maîtres chez nous » et dont le
mot de Charles de Gaulle : « Vive le Québec libre ! » a ex-
primé brillamment l’état d’âme du moment et l’ampleur
des espoirs portés par les Québécois. Précisons qu’il s’agit
d’un phénomène universel allant bien au-delà des considé-
rations politiques partisanes. Ce vent de liberté est celui de
la modernité, son souffle affecte tout le monde. Il a été le
moteur de l’élan indépendantiste, mais aussi celui de l’idée
d’un fédéralisme renouvelé. Il est porteur de la nécessité du
changement peu importe la manière dont ce changement
s’exprime.
5
6 Louis-André Richard
La brutalité du changement
Par définition, toute révolution est brutale, parce
qu’elle est brusque. Mais habituellement les transforma-
tions engendrées sont intégrées plutôt lentement et c’est
seulement après plusieurs générations que les habitudes
changent vraiment. Le génie de Napoléon a peut-être été
de saisir cela. Il a discerné, au-delà de la soudaineté de la
proclamation des valeurs de liberté, d’égalité et de frater-
nité, la fidélité du peuple français à l’âme monarchique, sa
sensibilité à l’aristocratie et son aptitude à substituer un
empereur à un roi. Le passage de l’ancien au moderne s’est
opéré lentement et les traces de l’Ancien Régime ne sont
pas toutes effacées. Nietzsche, traduisant la sensibilité de
Beethoven face à ce phénomène, écrivait : « Beethoven est
8 Louis-André Richard
l’intermède entre une vieille âme mûre qui n’en finit pas de
se désagréger et une âme à venir encore verte qui n’en finit
pas d’arriver ; sa musique est teintée de ce demi-jour de dis-
parition éternelle et d’éternelle espérance extravagante, la
même lumière qui baigna l’Europe lorsqu’elle rêva avec
Rousseau, dansa autour de l’arbre de la liberté de la
Révolution et finalement tomba presque en adoration
devant Napoléon2. » La lenteur du tempo est une caractéris-
tique décisive du formidable mouvement amorcé par la
Révolution française.
Chez nous cependant, il ne semble pas en être ainsi.
Sur le plan des mœurs, on constate une mutation spectacu-
laire s’étalant sur une période d’à peine une quinzaine d’an-
nées. Bien entendu, on dira que les choses se préparaient de
plus longue date, c’est-à-dire à partir de la fin de la Seconde
Guerre mondiale, mais le fait est que cette transformation
des âmes a affecté les mœurs soudainement et de manière
générale. Du jour au lendemain, la société québécoise
tourne le dos à l’art de vivre découlant du catholicisme et
adopte le style de vie moderne. Dix ans à peine séparait
l’accueil triomphal du cardinal Léger comme pasteur et
prince3 de l’Église de Montréal et le premier vrai succès
populaire d’édition que furent Les insolences du frère Untel
dénonçant le caractère sclérosé de la religiosité québécoise.
11. On me reprochera de passer sous silence tous les grands penseurs pos-
térieurs à Machiavel, qui ont façonné la mentalité de notre contempo-
ranéité. On pensera surtout à Rousseau. Le penseur genevois est sûre-
ment responsable au premier chef du déferlement de douceur
caractéristique de la position moderne. Outre le cadre de ce travail
dont le but n’implique pas une analyse serrée et systématique de l’évo-
lution des idées modernes, mon intention est d’attirer l’attention sur
l’idée que la pensée de Machiavel est tout entière le berceau du devenir
de la modernité. Plus précisément, elle contient en germe la douceur
de Rousseau et la fureur de Nietzsche. Elle explique la possibilité
d’une tranquille brutalité.
18 Louis-André Richard
Louis-André Richard
31
32 Louis-André Richard
qui voulaient plutôt rester dans leur pays que partir ailleurs
et qui avaient un certain attachement à leur communauté
nationale. En France, par exemple, au moment des débats
sur Maastricht4, lors des référendums européens, on sentait
très puissamment la différence et le mépris de classe de ceux
qui comprenaient le monde nouveau pour ceux qui étaient
prisonniers du monde ancien, incompétents et en proie à
des passions sinistres. Je pense qu’aujourd’hui, la crise
aidant, nous allons revenir vers une idée plus équilibrée des
conditions de l’ordre humain, si je puis dire, et nous allons
nous rendre compte que les nations jouent un rôle irrem-
plaçable pour la vie commune.
Le problème va être de se demander quelles nations
nous allons ré-habiter puisque nous avions envisagé de les
quitter. En effet, la perspective qui était présentée comme
irrésistible, c’était qu’on supposait que, bientôt ou un peu
plus tard, on allait s’endormir Français, Allemand, Italien et
se réveiller Européen. Maintenant on n’y croit plus, car on
sait que nous sommes destinés à demeurer Français, Italiens
ou Allemands, du moins à vue humaine. Vient donc la
nécessité de repenser la nation parce que précisément la
perspective n’est plus celle de son effacement irrésistible,
mais celle de sa durée continuelle. Alors, comme au
XIXe siècle, mais sur des bases nouvelles, il va y avoir une
réflexion sur la nation, un parcours historique refait, à nou-
veaux frais, sur les histoires nationales. Déjà, on voit bien
comment les nations refont ce parcours. Par exemple, les
Anglais sont obligés de repenser des choses qui paraissaient
réglées depuis longtemps, depuis au moins 1707 avec la
question de la différence entre l’Écosse, l’Angleterre et le
Pierre Manent :
Il me semble, pour le peu que je sais sur le
Québec, que l’Église catholique a joué un rôle social et
politique démesuré en raison des circonstances.
Page laissée blanche intentionnellement
La nation québécoise,
le creuset méconnu
Denis Vaugeois
L
e Québec est une extrémité de continent. Géographi-
quement, il débouche sur l’extérieur. Politiquement, il
a été enclavé. Totalement et minutieusement.
Historiquement, il appartient à l’Amérique du Nord.
On ne peut comprendre le Québec sans référence histo
rique. On ne peut comprendre la présence de la langue
française sans le rappel de cette « grande aventure » qui fut
celle des Français en Amérique du Nord, depuis l’Acadie
jusqu’à l’embouchure du fleuve Columbia, depuis la baie
d’Hudson jusqu’au golfe du Mexique.
En 1492, deux vieux mondes entrent en contact. De
vieilles civilisations aussi. Les Amériques ont alors une
population égale à celle de l’Europe. C’est de cette rencon-
tre que sortira un vrai nouveau monde.
Après avoir pris pied dans la partie la plus inhospita-
lière de l’Amérique du Nord, avec un siècle de retard sur les
Espagnols et à peu près en même temps que les Anglais, les
Français établissent des alliances précieuses avec les Indiens
et se lancent dans de vastes explorations. Ils vont nommer
et cartographier l’Amérique du Nord.
63
64 Denis Vaugeois
L’apport amérindien
Avant tout, et avant tous les autres, il y a les autoch-
tones. Au début de la Nouvelle-France, ils vivent générale-
ment en dehors des établissements français, mais les
Français les fréquentent continuellement. Les jeunes
Amérindiennes sont accueillantes. « Avant le mariage, écrit
Hubert Charbonneau, la liberté sexuelle est totale », tandis
que les femmes d’origine européenne sont peu nombreuses.
Le recensement de 1666 donnait 719 célibataires masculins
(entre 16 et 40 ans) pour 45 filles célibataires. Et les
Français, comme le souligne le jésuite Charlevoix en mars
1721, ont un faible pour « les Sauvagesses » (V : 210).
La nation québécoise, le creuset méconnu 73
Les Allemands
Le temps joue pour les Canadiens. Je n’insisterai pas
sur les 1 000 ou 1 500 Allemands qui se marient avec des
Canadiennes au lendemain de la guerre de l’Indépendance
américaine. Les travaux de Jean-Pierre Wilhelmy à ce sujet
sont bien connus. Grâce à lui, nous savons mieux ce qu’ils
sont devenus. À côté des Glackmeyer, des Hoffmann, des
Wagner et des Wilhelmy, il y a des Besré, des Grothé, des
La nation québécoise, le creuset méconnu 85
Conclusion
« Celle ou celui qui habite le Québec et qui s’y trouve
bien ! » Voilà à peu près la réponse qui était venue à l’esprit
de René Lévesque. Il n’aimait pas beaucoup la question :
« Qui sont les Québécois ? », mais il jugea que sa réponse
était appropriée. Il la répéta souvent. Et on la répéta pour
lui.
Tourmenté par les excès possibles du nationalisme,
affolé par tout ce qui pouvait ressembler ou conduire à du
racisme, il lui répugnait par-dessus tout d’adopter ou de
cautionner une approche ethnique.
Qu’est-ce qu’un Québécois ? Lévesque évitait toute
référence aux origines et avait finalement adopté une appro-
che territoriale. Bien involontairement, il tournait ainsi le
dos à l’histoire, seul fondement véritable de son projet d’af-
firmation. Habiter le Québec, ce n’est pas seulement résider
sur ce territoire, c’est surtout partager le quotidien d’une
société bien réelle que l’histoire a façonnée.
Il avait hésité à accepter les termes « Parti québécois »
et aurait préféré des mots plus descriptifs. Il aimait sans
doute la formule « Mouvement souveraineté-association ».
Il était conscient que le choix du mot « québécois » consa-
crait une rupture avec le passé, avec le Canada français. Ce
n’est pas par hasard qu’il accordera autant d’attention au
Secrétariat des peuples francophones. Il avait vécu doulou-
reusement le schisme que déclencheront les États généraux
du Canada français à la fin des années 1960.
Les « Français habitués » au Canada étaient devenus
tout naturellement des Canadiens. Mes parents utilisaient
encore ce simple mot. Pour eux, le terme « Canadien » dési-
gnait une personne qui parlait français et était catholique.
Arrivés dans les années 1960, les Juifs sépharades, franco-
phones originaires d’Afrique du Nord, étaient qualifiés de
94 Denis Vaugeois
L
’islam émerge en tant qu’héritage spirituel et culturel
considérable dans la culture québécoise. Il s’ajoute
aux autres héritages religieux bibliques se rapportant à
la famille abrahamique et à ceux des patrimoines des pre-
mières nations, ainsi qu’à d’autres non bibliques, tels l’hin-
douisme, le bouddhisme et le sikhisme.
Se poser la question sur les liens réels et souhaités ou
projetés entre l’islam et la nation québécoise mérite des
remarques préliminaires.
Premièrement : le terme islam a plusieurs usages ; s’il
signifie la Foi en un Dieu unique, c’est aussi et principale-
ment un ensemble de pratiques cultuelles, des coutumes et
des us. D’un autre côté, il y a un islam idéal et idéalisé, où
le concept de la Umma (communauté musulmane prise
dans son ensemble et où pratiquement tout musulman fait
partie de la Umma) fonde la relation entre les musulmans
et les non-musulmans; il y a enfin un autre islam, pluriel et
vécu selon des foyers culturels aux traditions diverses et des
pluralités linguistiques et ethniques. Le tout est réparti sur
les 57 pays de l’Organisation de la conférence islami-
que (OCI), aux régimes politiques multiples et divergents
97
98 Sami Aoun
9. On cite ici Tariq Ramadan, car il est considéré comme une référence
de plusieurs intellectuels et activistes musulmans au Québec, comme
Présence musulmane.
La nation québécoise et l’Islam 119
11. Voir son article : « Une majorité trop minoritaire ? », dans Le Devoir
(opinions), 12 juin 2008.
La nation québécoise et l’Islam 125
Conclusion
En guise de conclusion, il est permis de voir dans le
débat intermusulman ou interquébécois des indices d’un
débat plus large. L’islam est toujours en phase d’arrimage
avec la pression lui venant de la sécularisation, de la capita-
lisation, de la modernisation. Ses réponses sont multiples et
parfois cacophoniques. Aucun groupe réussit à avoir le
monopole de l’interprétation sur l’adoption des idéaux de
la modernité. Du côté de l’Occident libéral, et de ses foyers
divers en Europe et en Amérique du Nord, le Québec lui
aussi tente un accommodement qui préserve ses valeurs
communes par des concessions et des adaptations qui susci-
tent le débat. Il est bien évident que les deux référentiels,
l’idéal libéral et l’idéal islamique, ont leurs propres forces
d’attraction. C’est pour quoi la réflexion n’est pas décisive.
L’embarras de tous est manifeste.
Au-delà des perceptions fantasmagoriques d’un islam
virtuel ou d’une laïcité imposée, il y a place pour une
réflexion islamo-laïque sur la discrimination, l’exagération
des différences identitaires, la marginalisation de certaines
catégories sociales (femmes, homosexuels, etc.). L’appel à
mettre fin à l’hostilité et au rejet mutuel entre islam et laï-
cité au profit d’une réflexion conjointe pourrait amener à
mettre fin à la tension sentie au Québec actuellement. La
laïcité pourrait aussi être un pare-choc permettant d’éviter
les dérives de la religion vers le fanatisme, ou de l’instru-
mentalisation de la religion à des fins de violence et autres.
En d’autres mots, confiner la religion musulmane
dans l’espace privé dans un État québécois non religieux ou
areligieux, sans toutefois être anti-religieux, serait, pour le
moins, salutaire pour la spiritualité musulmane elle-même.
Le cas échéant, les musulmans aideront sans aucun doute
au renforcement de l’État québécois. Cela fera échec aux
appréhensions, qui circulent dans certains milieux, que les
La nation québécoise et l’Islam 129
L
’Église catholique a été intimement liée à l’identité
québécoise pour la majeure partie de nos quatre cents
ans d’histoire. Il est évident que cela n’est plus le cas
aujourd’hui, alors que nos institutions ont été résolument
laïcisées dans un contexte pluraliste, tout particulièrement
en matière de religion, tandis que la pratique religieuse s’est
réduite comme peau de chagrin au cours des quelque trente
dernières années. Faut-il en conclure que les Québécois ont
effacé toute trace du christianisme de leur identité ? Trois
cent soixante-dix années d’histoire sont-elles devenues ob-
solètes et sans rapport avec notre culture contemporaine ?
Pour répondre à cette question, il importe de poser le re-
gard sur le rôle joué par l’Église au cours de l’histoire du
Québec, de comprendre les mutations culturelles qui ont
suivi la Deuxième Guerre mondiale, notamment au mo-
ment de la Révolution tranquille des années 1960, pour
ensuite examiner ce que nous avons gardé de notre héritage
chrétien et de quelle façon l’Église peut demeurer présente
et agissante dans le Québec d’aujourd’hui et de demain.
131
132 Louis Balthazar
La fondation du Canada
Le Canada est fondé, de toute évidence, sous des
auspices religieux. La mission de Champlain est autorisée
par le royaume très catholique de France. Il est vrai qu’en
1608 le roi de France, Henri IV, est un protestant converti
qui a institué la tolérance religieuse par l’édit de Nantes.
Sans doute quelques Huguenots ont-ils participé à la fon-
dation de la Nouvelle-France, mais leur présence a été bien-
tôt occultée. Il est significatif, par exemple, que le protes-
tant Dugua de Mons n’ait pas accompagné Champlain au
moment de son installation à Québec. Par la suite, le rôle
prééminent de Mgr de Laval, des Jésuites, des Récollets ainsi
que des religieuses comme Marie de l’Incarnation et
Catherine de Saint-Augustin, atteste de la forte présence de
l’Église dès les origines. Quand Montréal est fondée en
1642, elle se présente sous le nom de Ville-Marie, comme
un véritable projet religieux. La Nouvelle-France se veut un
prolongement des institutions monarchiques et catholiques
de la métropole française. Il est vrai que la colonie se donne
assez tôt le nom de Canada pour prendre ses distances par
rapport à la France, en raison du contexte totalement diffé-
rent du Nouveau Monde. Il n’empêche que la structure de
la petite société canadienne est imprégnée par une idéologie
tout européenne et un catholicisme plus fervent et plus
solide encore que celui de la France.
Contrairement à ce qui se passait dans les colonies
britanniques, le long des côtes de l’Atlantique, la colonisa-
tion française n’a pas constitué une véritable rupture. Chez
les colons de Nouvelle-Angleterre, en effet, la ferveur reli-
gieuse de l’entreprise s’exprimait en porte-à-faux par rap-
port à l’Église d’Angleterre. L’épopée du Mayflower, deve-
nue un mythe fondateur, se traduit comme un exil, comme
La nation québécoise et l’Église catholique 133
Absence de parasitisme
Si les Canadiens se sont distingués de la France, ce
n’est certes pas par opposition à l’Église de France. Bien au
contraire, on pourrait dire que les colons ont prolongé la
culture religieuse de la métropole en l’intensifiant et en la
purifiant. En raison des circonstances difficiles de la coloni-
sation, il n’y a pas eu de place au Canada pour le parasi-
tisme qui sévissait en Europe. On trouve fort peu de nobles
oisifs et désœuvrés au Canada et les bénéfices ecclésiasti-
ques arbitraires sont absents de la colonie. Cette dernière
est donc dépourvue des objets de scandale qui allaient en
France provoquer la Révolution. Dans l’ensemble, et cela
demeurera vrai jusqu’au XXe siècle, les membres du clergé
et des communautés religieuses ont fait preuve d’une
grande fidélité à leurs engagements. La structure de l’Église
n’en est pas moins demeurée fortement hiérarchique et les
clercs n’ont pas manqué de se prévaloir de leur autorité,
souvent de façon abusive.
Le grand rejet
Pourtant la Révolution tranquille a donné lieu à une
déchristianisation progressive du Québec. Les Québécois
ont peu à peu abandonné la pratique religieuse et l’intérêt
pour les institutions ecclésiastiques. Il y a lieu de se
140 Louis Balthazar
4. Voir à ce sujet Louis Hartz et al., Les enfants de l’Europe, Paris, Seuil,
1968 et André J. Bélanger, L’apolitisme des idéologies québécoises,
Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1974.
142 Louis Balthazar
Un patrimoine remarquable
L’Église a aussi laissé au Québec un patrimoine
remarquable. La plupart de nos monuments sont marqués
du sceau de la foi catholique. D’abord les sanctuaires et les
lieux de culte dont plusieurs méritent d’être préservés à
jamais en vertu de leur qualité architecturale et patrimo-
niale, puis nombre d’édifices cléricaux ou religieux. Pensons
seulement au magnifique ensemble architectural du sémi-
naire de Québec qui constitue un joyau dans la capitale et
sans doute le plus imposant héritage historique du Québec
toujours inscrit dans les vieilles pierres. Même la topony-
mie de nos villes et villages, sans doute excessivement inon-
dée d’une litanie peu imaginative, témoigne de la prédomi-
nance du catholicisme dans notre histoire. On aura beau
modifier quelques appellations redondantes de saints, il en
restera toujours plusieurs, comme c’est d’ailleurs le cas en
France, pour rappeler les dévotions de nos ancêtres.
Il importe, à cet égard, que nos enfants soient ins-
truits de la signification de ce patrimoine religieux, sans
que cela constitue le moins du monde quelque endoctrine-
ment que ce soit. Même dans une société désormais plura-
liste, laïque et ouverte aux autres religions, ce patrimoine
peut être décrit, préservé et célébré sans porter atteinte à
150 Louis Balthazar
régies par l’État. Mais elle ne devrait pas empêcher les reli-
gions de se manifester en public dans la mesure, bien
entendu, où elles ne nuisent pas à l’ordre social et respec-
tent les libertés de tous. Pourquoi d’ailleurs les citoyens
auraient-ils le droit de parler de tout et de rien sur la place
publique, de porter toutes sortes de signes distinctifs de
leurs affiliations sans que ce droit soit étendu aux associa-
tions de nature religieuse ? À cet égard, les manifestations et
les signes des catholiques ont leur place au Québec aussi
bien, et sans doute davantage en raison de leur histoire, que
ceux de toutes les religions qui sont pratiquées ici.
J
’avancerai ici deux idées centrales. La première est qu’il
faut voir le multiculturalisme pour ce qu’il est vrai-
ment : une idéologie au service d’un projet politique,
dont on saisit habituellement mal la nature radicale et auto-
ritaire, et dont il faut savoir démonter le modus operandi.
La seconde est que, dans sa version canadienne, qui
est particulièrement extrême et dont on veut souvent nous
faire croire qu’elle est la meilleure ou même la seule façon
adéquate de gérer la diversité culturelle, le multicultura-
lisme est funeste si l’on se soucie de l’intégration réussie des
nouveaux arrivants, de la cohésion sociale et de l’identité
nationale du Québec.
Je donne ici du mot idéologie la définition proposée
par Guy Rocher :
un système d’idées et de jugements, explicite et généra-
lement organisé, qui sert à décrire, expliquer, interpréter
ou justifier la situation d’un groupe ou d’une collectivité
et qui, s’inspirant généralement de valeurs, propose une
orientation précise à l’action historique de ce groupe ou
de cette collectivité1.
1. G. Rocher, Introduction à la sociologie générale, tome 1 : L’action sociale,
Paris, Seuil, 1970, p. 127.
155
156 Joseph Facal
6. S. Huntington, Who are we ?, New York, Simon and Schuster, 2004.
7. G. Leroux, Éthique, culture religieuse, dialogue. Arguments pour un
programme, Montréal, Fides, 2007, p. 45-46.
L’idéologie multiculturaliste contre la nation québécoise 163
15. C’est l’historien Éric Bédard qui, le premier, attira mon attention sur
cette notalité messianique du discours trudeauiste, qu’on retrouve
aujourd’hui dans le discours multiculturaliste.
16. P.E. Trudeau, « Des révisions se feront, mais l’unité du Canada ne sera
pas rompue », Le Devoir, 23 février 1977. Le titre est de la rédaction
du journal.
17. Idem, « Allocution lors de la cérémonie de proclamation », 17 avril
1982, cité par A. Burelle, Pierre Elliott Trudeau. L’intellectuel et le poli-
tique, Montréal, Fides, 2005, p. 51.
168 Joseph Facal
18. Dans cette section, je reprends des pans importants de points de vue
que j’ai exposés dans de nombreux courts textes d’opinion parus sous
forme de chroniques hebdomadaires dans le Journal de Montréal tout
au long des années 2007 et 2008. On retrouvera ceux-ci sur le site
Internet Canoë et dans mon blogue dont l’adresse est http ://www.
josephfacal.org/.
170 Joseph Facal
20. Cité par T.-I. Saulnier dans « Un devoir à refaire », L’Action nationale,
septembre 2008, p. 80.
L’idéologie multiculturaliste contre la nation québécoise 173
L
a liberté de religion est un des aspects essentiels de la
liberté de conscience, qui est le fait de toute personne
et la pierre angulaire des droits humains. C’est ce que
je voudrais explorer succinctement dans les lignes qui
suivent.
Rappels
Selon Dante, « le plus grand don que Dieu dans sa
largesse fit en créant, le plus conforme à sa bonté, celui
auquel il accorde le plus de prix, fut la liberté de la volonté :
les créatures intelligentes, toutes et elles seules, en furent et
en sont dotées1. » La liberté, en bref, résumerait l’essentiel
en ce qui nous concerne, ses deux composantes principales
étant l’intelligence et la volonté, toutes deux immenses,
comme nous le révèle d’ailleurs l’expérience interne de pen-
ser et de vouloir.
187
188 Thomas De Koninck
9. Ibid., p. 98 ; Aldous Huxley, Ends and Means, London, Chatto &
Windus, 1937, p. 217 sq. ; John Henry Newman, The Idea of a
University (ed. I. T. Ker), Oxford, 1976, p. 272-273.
194 Thomas De Koninck
Le bien commun
L’idée plus que jamais réaliste, en pareil contexte, est
dès lors celle du bien commun et le meilleur moyen d’assu-
rer ce dernier demeure la démocratie véritable. Les travaux
14. Cf. Yves Charles Zarka, L’autre voie de la subjectivité, Paris, Beauchesne,
2000, p. 28, 88, 93, 106.
202 Thomas De Koninck
15. Voir, par exemple, Amartya Sen, Development as Freedom, New York,
Alfred A. Knopf, 1999, spécialement les chapitres 6, « The Importance
of Democracy », p. 146-159, et 10, « Culture and Human Rights », p.
227-248. Cf., en outre, Christine M. Koggel, Perspectives on Equality.
Constructing a Relational Theory, New York, Rowman & Littlefield
Publishers, Inc., 1998 ; et Christine Koggel (ed.), Moral Issues in
Global Perspective, Peterborough, Broadview Press, 1999.
La liberté de conscience et le bien commun 203
17. Nul n’a mieux articulé ces liens que George Steiner, à notre connais-
sance ; voir entre autres Dans le château de Barbe-Bleue. Notes pour une
redéfinition de la culture [1971], trad. Lucienne Lotringer, Paris,
Gallimard, coll. « Folio », 1986.
La liberté de conscience et le bien commun 205
20. Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleur, dans À la recherche du
temps perdu, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1987, vol. 1,
p. 539.
21. Fernand Dumont, L’avenir de la mémoire, Québec, Nuit Blanche
Éditeur, 1995, p. 49.