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CETTE BRUME DE LA MÉMOIRE

Anne Herschberg Pierrot


© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 18/01/2023 sur www.cairn.info via Bibliothèque nationale de France (BnF) (IP: 194.199.3.13)

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in Jacques Neefs et al., Le Bonheur de la littérature

Presses Universitaires de France | « Hors collection »

2005 | pages 331 à 336


ISBN 9782130523031
DOI 10.3917/puf.neef.2005.01.0331
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/le-bonheur-de-la-litterature---page-331.htm
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CETTE BRUME DE LA MÉMOIRE

ANNE HERSCHBERG PIERROT


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Au colloque de Cerisy à lui consacré, Barthes évoque son peu de
mémoire : « Je vis dans une sorte d’embrumement, dans l’impression
qu’il me faut sans cesse lutter avec ma mémoire, et cette brume de la
mémoire. C’est une réflexion qui pourrait avoir des suites pour
l’écriture ; l’écriture, ce serait le champ de la brume de la mémoire. »1
Le Tramway, de Claude Simon, finit par cette métaphore :
« Comme si quelque chose de plus que l’été n’en finissait pas d’agoniser
dans l’étouffante immobilité de l’air où semblait toujours flotter ce voile en sus-
pension qu’aucun souffle d’air ne chassait, s’affalant lentement, recouvrant
d’un uniforme linceul les lauriers touffus, les gazons brûlés par le soleil, les iris
fanés et le bassin d’eau croupie sous une impalpable couche de cendres,
l’impalpable et protecteur brouillard de la mémoire. »

Funèbre et protecteur, le voile de la mémoire empêche d’atteindre


jamais le passé. Dans Le Tramway, plusieurs plans de récit à divers
degrés de profondeur de mémoire se succèdent2, plans de l’enfance,
fragments d’une hospitalisation du vieil homme, souvenirs d’autres
lieux. Mais ce qui donne au livre son titre, ce sont les souvenirs
d’enfance du tramway reliant la ville à la plage – auquel on accrochait
l’été une « baladeuse ». Ces fragments d’un temps disparu, lié aux évo-
cations de la mère agonisante, de la « bonne » à la fidélité et la cruauté
proustiennes, aux rituels d’un monde bourgeois, ne peuvent être séparés
de la construction d’ensemble de l’œuvre, du va-et-vient entre différents
plans discontinus de mémoire marqués par la mort.
Cet univers d’écriture, qui a peu à voir avec celui de Roland Barthes
par Roland Barthes (noté désormais RB), le rejoint pourtant par la relation

1. Prétexte : Roland Barthes. Colloque de Cerisy, UGE, « 10/18 », 1977, p. 250.


2. Voir Joëlle Gleize, « Le Tramway, foudroyante discontinuité de la mémoire », Littéra-
tures, printemps 2002, Presses Universitaires du Mirail.
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aux brumes de la mémoire autographique, le rôle profond et insistant


de l’univers proustien dans ce jeu de la mémoire (avec une expérience
semblable de l’univers ritualisé de la bourgeoisie provinciale), et par des
éléments de référence communs, parmi lesquels le tramway et la bala-
deuse que Le Tramway évoque dans une longue phrase :
« Aucun panneau publicitaire, par contre, n’encadrait le toit de cette
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remorque appelée baladeuse attelée l’été à la motrice et qu’aux fêtes du
15 août (où pendant trois jours il allait de soi que personne de la famille (ni
aucune de ses relations – les locataires ou les possesseurs de villa rentrant alors
en ville) n’allait à la plage, traditionnellement envahie à l’occasion de ces fêtes
par le public de la plage Mondaine qui débordait alors du cadre de planches
où il était habituellement confiné) journées où dans la lumière aveuglante et
blanchâtre, comme décolorée, de l’été, on pouvait voir passer toutes les dix
minutes (la Compagnie des tramways quadruplant à cette occasion les horai-
res) les motrices qui se succédaient, traînant derrière elles ces remorques gran-
des ouvertes d’où, en même temps que les rideaux battant comme des ailes
au vent de la course, s’échappaient les hurlements ou les chants de fou-
les déjà quelque peu avinées ou simplement joyeuses [...] » (Éd. de Minuit,
p. 88-89).

La phrase continue encore pendant plusieurs lignes et elle porte le


lecteur dans le mouvement fascinant de ses digressions, éludant le réfé-
rent, évitant le pittoresque dans une recherche du temps
« La baladeuse » se retrouve dans l’univers de Roland Barthes. C’est
le titre d’un fragment de RB, qui fait partie de la remémoration du monde
de l’enfance à Bayonne, en contrepoint d’une photographie p. 20, qui
porte cette légende : « Le museau blanc du tram de mon enfance ».
De cette rêverie sur la coïncidence des lieux de mémoire chez deux
écrivains, la baladeuse va nous conduire vers l’étude plus spécifique de
quelques traits de l’écriture de soi dans RB.
RB insiste à plusieurs reprises sur les brumes de la mémoire. Ne
serait-ce que par les deux portraits photographiques qui ouvrent le livre
dans le flou du souvenir : l’image de la mère et celle de la mère avec
l’enfant dans les bras. Dans un ouvrage dont la collection voudrait qu’il
porte sur le souvenir du grand écrivain et de son œuvre, Barthes
assume dans « La coïncidence » l’écriture au présent : « Lorsque je feins
d’écrire sur ce que j’ai autrefois écrit, il se produit de la même façon un
mouvement d’abolition, non de vérité. Je ne cherche pas à mettre mon
expression présente au service de ma vérité antérieure (en régime clas-
sique, on aurait sanctifié cet effort sous le nom d’authenticité), je renonce
à la poursuite épuisante d’un ancien morceau de moi-même, je ne
cherche pas à me restaurer (comme on dit d’un monument). Je ne dis
pas : “Je vais me décrire”, mais : “J’écris un texte, et je l’appelle R. B.”
“Je me passe de l’imitation (de la description) et je me confie à la nomi-
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nation” » (p. 603). « Patch-work » réaffirme l’idée d’une écriture au pré-


sent : « Me commenter ? Quel ennui ! Je n’avais d’autre solution que de
me ré-écrire – de loin, de très loin – de maintenant : ajouter aux livres,
aux thèmes, aux souvenirs, aux textes, une autre énonciation, sans que
je sache jamais si c’est de mon passé ou de mon présent que je parle »
(p. 145). L’emploi de l’imparfait, qui n’inscrit pas la chronologie, per-
met d’évoquer les rituels du passé à l’itératif (« Quand je jouais aux bar-
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res au Luxembourg », p. 54) mais il ne marque pas forcément le passé,
il établit une distance avec ce dont il est parlé, précisément en relation
avec « il » : « Il ne cherchait pas la relation exclusive (possession,
jalousie, scènes) ; il ne cherchait pas non plus la relation généralisée,
communautaire ; ce qu’il voulait, c’était à chaque fois une relation pri-
vilégiée » (p. 69). L’imparfait instaure alors une temporalité indéter-
minée qui englobe le passé et le présent dans un habitus et marque une
distance propre à la fiction. L’imparfait accompagné de « il » permet de
mettre à distance et de montrer le sujet. Sinon, le présent, d’habitude
ou de généralité instaure une temporalité étale. Cette amnésie
recherchée – également dans « L’ordre dont je ne me souviens plus » –
ouvre sur une inscription de la mémoire élidée, dispersée, allusive. « La
baladeuse » évoque le passé :
« Autrefois un tramway blanc faisait le service de Bayonne à Biarritz ; l’été
on y attelait un wagon tout ouvert, sans coupé : la baladeuse. Grande joie, tout
le monde voulait y monter : le long d’un paysage peu chargé, on jouissait à la
fois du panorama, du mouvement de l’air. Aujourd’hui, ni la baladeuse ni le
tramway ne sont plus. Ceci n’est pas pour embellir mythiquement le passé, ni
pour dire le regret d’une jeunesse perdue, en feignant de regretter un tramway.
Ceci est pour dire que l’art de vivre n’a pas d’histoire : il n’évolue pas : le plai-
sir qui tombe, tombe à jamais, insubstituable. D’autres plaisirs viennent, qui ne
remplacent rien. Pas de progrès dans les plaisirs, rien que des mutations » (p. 54).

Mais c’est immédiatement pour insérer le souvenir dans une


morale, et dans l’histoire. D’ailleurs, Barthes supprime des détails qui
développaient le plaisir de la baladeuse, un plaisir partagé (alors que la
baladeuse dans Le Tramway est un spectacle) : « C’était – pour l’époque
le plaisir d’une automobile découverte : on allait vite (du moins le
croyait-on) ; sur sept kilomètres de villas et parfois de prés, on filait à
même le paysage, on pouvait tout voir, on avait à la fois ces trois jouis-
sances : le panorama, le mouvement, l’air. »4

3. Les pages renvoient à l’édition de Roland Barthes de 1975 aux Éd. du Seuil.
4. Les manuscrits de Roland Barthes par Roland Barthes sont conservés à l’IMEC. Je remercie
Nathalie Léger de m’avoir donné accès à ce fonds et Michel Salzedo de me permettre de
reproduire quelques citations. Ces transcriptions ne notent pas les ratures du manuscrit et
intègrent les additions. Pour une étude plus approfondie du dossier, voir mon article « Les
manuscrits de Roland Barthes par Roland Barthes. Style et genèse », Genesis, 19, 2002.
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L’énonciation de Roland Barthes est antilyrique au sens où il s’agit de


ne pas s’écrire directement, où la rhapsodie (notée dans « Patch-work »)
est à l’origine un chant à la troisième personne. L’écriture de soi ne
peut être qu’allusive, elliptique. Elle s’écrit indirectement, sans anecdote
autobiographique, dans les interstices de ce qu’on dit sur les livres de
l’écrivain, sur la pensée de l’écrivain dans ses livres. Les seuls « biogra-
phèmes » directs (c’est leur premier titre) sont les « Anamnèses », pla-
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cées à dessein, tardivement au centre du livre, écrites en italiques pour
les séparer du texte, comme pour les placer à distance de soi. Cette
énonciation qui dit le souvenir d’enfance dans sa « ténuité », Barthes la
compare à celle du haïku et l’oppose au modèle scolaire de la dictée,
qui produit des pastiches au second degré ( « Au tableau noir »,
« Odeurs » ). Il n’y a ni ironie ni effusion lyrique dans l’expression des
« Anamnèses ». Ce sont de brefs « incidents » notant l’événement quoti-
dien, quelques métonymes du souvenir. Dans un fragment abandonné,
Barthes explique pourquoi il ne peut écrire une autobiographie : « Pour
Sartre, les mots sont des lois ; son autobiographie est donc légitimement
critique. Mais si les mots sont tout de suite des plaisirs, quelle bio-
graphie pourrais-je donner de moi-même, sinon d’effusion ? » Cela ne
l’empêche pas d’inscrire des moments privés. Mais précisément, il
renonce à une anamnèse intitulée « Le trou », qui raconte un épisode
de peur enfantine marqué par l’exclusion. Sans que ce thème fournisse
un fragment autonome, il constitue un des « repères » de l’index qui
traverse, semble-t-il, la mémoire du livre. Voici ce fragment raturé par
un trait en forme de « M » :
« Le trou abandonné, en jouant, par des enfants dans les fondations argileuses
d’une maison en construction (à Marracq dans un champ, devant leur maison).
Sa mère accourut l’en sortir. Elle arriva, très grande au-dessus de lui. »
Le fragment est repris et récrit sous le titre parodique « Un souvenir
d’enfance », classé à la lettre M comme « Marrac » le quartier d’enfance
(autres titres abandonnés : « Le trou de Marrac », « L’exclusion ») :
« Lorsque j’étais enfant, nous habitions un quartier appelé Marrac ; ce
quartier était plein de maisons en construction dans les chantiers desquelles les
enfants jouaient ; de grands trous étaient creusés dans la terre glaise pour servir
de fondations aux maisons, et un jour que nous avions joué dans l’un de ces
trous, tous les gosses remontèrent, sauf moi, qui ne le pus ; du sol, d’en haut, ils
me narguaient : perdu ! seul ! regardé ! exclu ! (être exclu ce n’est pas être
dehors, c’est être seul dans le trou, enfermé à ciel ouvert : forclos) ; j’ai vu alors
accourir ma mère ; elle me tira de là et m’emporta loin des enfants, contre
eux » (p. 125).
La confrontation est très expressive. On a l’impression que le pre-
mier texte allusif, elliptique, privé, est rerédigé sous la forme d’une
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dictée expliquant les circonstances de l’incident et répondant aux


questions des différents topoi : quand, où, qui, quoi, comment. Surtout,
du sentiment intérieur de l’enfant ( « Abandonné » ) et de son point
de vue (en contre-plongée) l’on passe à l’expression d’une mémoire
collective, le récit d’un exemple de cruauté enfantine et d’exclusion.
« Exclusion » et « Marrac » sont les deux repères de ce fragment dans
l’index. La vision de l’enfant au fond du trou est bien présente
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( « d’en haut » ) mais elle n’est plus centrée sur la perception visuelle
de la mère en un gros plan ( « j’ai vu alors accourir ma mère » ).
L’effet est intéressant, car si on y regarde bien, le texte est écrit à la
première personne, alors qu’il apparaît beaucoup moins personnel que
dans son état précédent. La seule notation subjective, par contraste
avec le passé simple, est l’emploi du passé composé ( « j’ai vu ma
mère accourir » ) L’enfant est vu principalement de l’extérieur, du
point de vue distancié d’un adulte ( « tous les gosses », « ils me nar-
guaient » ), dans une rédaction bien ordonnée. L’intensité exclamative
même dit la distance par l’hyperbole. Barthes déplace l’intérêt de la
mémoire privée vers l’intérêt pour l’ethnographique5, tout en inscri-
vant probablement le souvenir de la première rédaction dont l’ellipse
figure bien un « trou » dans les anamnèses.
Mais il n’est pas sûr que pour Barthes ce soit la dimension ethno-
graphique qui donne du prix au souvenir. C’est bien plutôt l’inverse. À
la fin du bel article sur « La lumière du Sud-Ouest (repris dans Inci-
dents), Barthes répond à une objection qu’il imagine à propos de la sub-
jectivité de ces impressions :
« J’entre dans ces régions de la réalité à ma manière, c’est-à-dire avec mon
corps ; et mon corps, c’est mon enfance, telle que l’histoire l’a faite. Cette his-
toire m’a donné une jeunesse provinciale, méridionale, bourgeoise. [...] Ainsi, à
l’âge où la mémoire se forme, n’ai-je pris des “grandes réalités” que la sensation
qu’elles me procuraient : des odeurs, des fatigues, des sons de voix, des courses,
des lumières [...] Ces insignifiances sont donc comme les portes d’entrée de
cette vaste région dont s’occupent le savoir sociologique et l’analyse politique »
(Œuvres complètes, III, Paris, Le Seuil, 1995, p. 721).

Barthes montre alors la puissance du souvenir des odeurs et le lien


avec une société et un artisanat disparus. Cette mémoire du corps et
son romanesque historique apparaît dans le fragment « Odeurs », dans
« Noms propres », et en légende de la photographie de la p. 8 :

5. Voir Françoise Gaillard, « Roland Barthes : le biographique sans la biographie »,


Revue des Sciences humaines, 1991-4 ( « Le Biographique » ). Le titre du fragment évoque Freud,
et le sujet n’est pas loin du souvenir d’une chute dans un trou, raconté par C. Blondel, et cité
par Maurice Halbwachs dans son livre sur La Mémoire collective (1950 ; nouvelle édition, Paris,
Albin Michel, 1997, chap. II), bien que l’histoire et son interprétation soient différentes.
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« Bayonne, Bayonne, ville parfaite : fluviale, aérée d’entours sonores (Mou-


serolles, Marrac, Lachepaillet, Beyris), et cependant ville enfermée, ville roma-
nesque : Proust, Balzac, Plassans. Imaginaire primordiale de l’enfance : la pro-
vince comme spectacle, l’Histoire comme odeur, la bourgeoisie comme
discours. »
Le romanesque, c’est ce qui pourrait faire consister un roman, ce
qui établit aussi cette légère distance, ce léger déport empêchant
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d’identifier le sujet d’énonciation et le sujet d’énoncé, comme le narrateur
et le personnage, mais dans un roman sans personnages ( « Tout ceci
doit être considéré comme dit par un personnage de roman » ). Il se
fonde notamment sur la dénomination variable, le « il » du roman,
« je » « qui peut n’être pas moi », ou parfois R. B. – comme H. B., les
initiales pseudonymes communes à Henri Beyle et Henry Brulard, le
nom et l’un des pseudonymes.
Entre Barthes et Stendhal, il est maintes affinités, ne serait-ce que la
problématique du regard sur soi et de l’imaginaire. Dans Stendhal auto-
biographe6, Béatrice Didier rappelle cette question stendhalienne : « Quel
œil peut se voir soi-même ? », qui pourrait figurer en tête de Roland Bar-
thes par Roland Barthes7. Mais si Stendhal autobiographe a horreur du
roman8, Barthes joue de la fiction et de l’autofiction pour mettre à dis-
tance les genres (celui de la collection du Seuil et de l’autoportrait) et les
images de soi. Créer une diction de fiction (une fiction de diction), qui
n’ait jamais le dernier mot, n’est-ce pas se donner les moyens d’écrire
« dans le champ de la brume de la mémoire » ?

6. Béatrice Didier, Stendhal autobiographe, Paris, PUF, « Écrivains », 1983, p. 243.


7. Sur Barthes et Stendhal, voir Georges Kliebenstein, « Barthes avait lu Stendhal »,
L’Année Stendhal, no 4, 2000.
8. Voir dans Stendhal autobiographe le chapitre « Ne pas faire de roman ».

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