MEFRA – 119/1 – 2007, p. 25-40.
Les Celtes en Pologne
Aperçu général
Tomasz B OCHNAK
INTRODUCTION
La présence des Celtes sur les territoires de la
Pologne d’aujourd’hui est un problème soulevé
depuis la fin du XIXe siècle. C’est alors que H. Se-
ger1 a établi la première classification des «anti-
quités celtiques» provenant du territoire de Silé-
sie, et W. Demetrykiewicz 2 a réuni des objets cel-
tiques de Galicie 3. Une monographie sur la culture
celtique en Silésie, élaborée par M. Jahn 4 est
d’une importance fondamentale et les constata-
tions y contenues étaient ensuite corrigées et
complétées par les chercheurs de générations sui-
vantes 5. Un ouvrage sur la colonisation celtique en
Pologne, dans l’essentiel toujours actuel, est celui
de Z. Woźniak 6. Les années suivantes, de nou-
velles découvertes se multiplient et l’état présent
de recherches sur les Celtes en Pologne diffère de
celui qui était proposé dans les publications
de l’époque 7.
Notre article est une tentative d’aperçu général
sur les plus importantes questions liées à la pré-
sence des Celtes en Pologne, prenant en considé-
ration surtout les découvertes et les constatations
récentes.
Les Celtes sont la première population venue
sur le territoire actuellement polonais qui soit rela-
tivement bien connue grâce aux sources antiques,
et qui puisse être identifiée avec une culture ar-
1. Seger 1898.
2. Demetrykiewicz 1898.
3. Le nom «Galicie» (en ukrainien «Halytschyna») provient
du nom médieval de ville de «Halicz», et non des Gaulois. Il
n’a rien de commun non plus avec la région historique de
Galice en Espagne.
4. Jahn 1931.
Tomasz Bochnak, BIBRACTE – Centre archéologique européen du Mont Beuvray, F 58370 Glux-en-Glenne.
chéologique précise. Les objets celtiques qui
passent pour les plus anciens en Pologne sont deux
fibules : la première, de type de Marzabotto de
Przemyśl et la deuxième, avec le pied en forme de
tête d’oiseau de Malerzowice Małe (fig. 2). Il est
pourtant peu probable que le début de la colonisa-
tion celtique puisse être daté avant la phase LT B1.
Vers le début de la période La Tène, la plupart
des terrains polonais était colonisée par les peuples
de culture lusacienne (provenant encore du cercle
de cultures des champs d’urnes), et par les peuples
de la culture de Poméranie qui s’était développée
à partir d’un groupe local de la culture lusacienne.
Dans la partie nord est de la Pologne, il existait
une culture de tumulus des Baltes occidentaux, et
dans le bassin de l’Oder, quelques groupes locaux
de la culture de Jastorf. Toutes ces unités cultu-
relles se caractérisaient par les traditions de la péri-
ode de Hallstatt et elles constituaient un milieu re-
lativement conservateur, plutôt fermé aux élé-
ments étrangers.
Dans les inventaires des cultures mentionnées,
on trouve parfois les importations celtiques (des fi-
bules, par exemple) ou leurs imitations, mais, à
quelques exceptions près, les populations indi-
gènes ont conservé une autonomie culturelle.
La colonisation celtique en Pologne présente
un caractère insulaire, se limitant aux enclaves si-
tuées sur les terres les plus fertiles, le plus souvent
5. Hoffman 1940; Rosen-Przeworska 1939-1945; 1946-1947;
1957; 1961; Kostrzewski 1949, 157-160; 169-172; Woźniak
1959; Potocki, Woźniak 1961; Potocki 1961; Czerska 1966;
1970; 1976.
6. Woźniak 1970.
7. Woźniak 1991; 1992; 1996; Bednarek 1996; 2005; Kosicki
1996b; Poleska 1996; 2000; 2005.
 Les Celtes en Pologne
26 Tomasz BOCHNAK

à la base de loess. On a découvert des habitats en
Basse Silésie, sur le Plateau de Głubczyce, dans le
bassin supérieur de la rivière San et dans la Petite
Pologne (Małopolska) occidentale (fig. 1).
LES CELTES EN BASSE SILÉSIE
Les plus anciennes trouvailles celtiques, datées
à la phase LT B1, ont été identifiées dans la région
de la Basse Silésie, sur un terrain de 1000 km2. La
colonisation celtique occupait les terres fertiles
sur la rive gauche de l’Oder, entre les rivières
Oława et Bystrzyca, et s’étendait au sud jusqu’au
mont Śle˛ża.
Nous connaissons plus de 30 nécropoles et
seulement quelques habitats celtiques sur ce ter-
rain. Les plus anciennes tombes, de Karncza Góra,
nr. II et de Żerniki Wielkie, nr. 8, contenaient,
entre autres, des colliers avec les extrémités en
forme de crochets et des fibules proches du type de
Duchcov ancien, mais on ne peut pas exclure que
les objets mentionnés aient été utilisés encore au
seuil de la phase LT B18. Les nécropoles de la phase
LT B1 sont constituées par des cimetières plats, de

Fig. 1 – Les Celtes et les influences celtiques en Pologne. 1 – Basse Silésie; 2 – Plateau de Głubczyce; 3 – Bassin supérieur du San; 4 – Région
de Cracovie (groupe de Tyniec); 5 – Les éléments de la culture de Pùchov; 6 – Les influences celtiques dans la région de Kouïavie. La couleur grise
marque la présence de la culture celtique.

8. Woźniak 1970, 43, 44.

.
 27

petites dimensions, contenant le plus souvent 20

tombes environ. Ce sont les nécropoles de Sobo-
cisko (Zottwitz) et de Głownin (Glofenau), étu-
diées avant la guerre 1939-45, qui sont les plus
grandes. Dans la région de la Basse Silésie, le rite
funéraire dominant était celui de l’inhuma-
tion. Sur une seule nécropole (Tyniec nad Śle˛za˛),
on a observé les tombes à l’inhumation et à l’inci-
nération (fig. 6) 9. Les morts y ont été déposés dans
la position allongée, dans les fossés situés sur l’axe
nord-sud, le plus souvent avec la tête vers le nord.
Parfois, on trouve des tombes où l’on avait déposé
le corps d’une femme et celui d’un homme (Sobo-
cisko, t. nr. 1/1955, 1a/1955, 3/1955, 3a/1955), ain-
si que des tombes avec un cercueil en bois (Sobo-
cisko t. nr. 24/1940, 1/1952; Żerniki Wielkie t. nr.
8)10. Dans les tombes masculines, on trouve de
l’armement : des épées, des pointes de lances et
des éléments de boucliers (fig. 5). Très souvent,
ces éléments apparaissent ensemble. Parmi les
trouvailles, on observe aussi les fragments de cein-
tures de fer, de parures, etc. (fibules isolées,
souvent de type de Duchcov, bracelets). Dans les
tombes féminines, on rencontre des fibules, des
colliers, des bracelets et des anneaux de cheville
(fig. 3, 4). Les bracelets ont été fabriqués en fer, en Fig. 3 – Głownin, t. no 2. Selon Hoffmann (1940).
bronze et en jais. Dans les tombes, on avait mis
aussi de la céramique; assez souvent il s’agissait
d’un récipient placé près de la tête. Dans certaines
tombes, on a retrouvé des ossements d’animaux,
principalement les mâchoires de cochons11. Le ma-
tériel daté à la phase LT B1 se laisse diviser en deux
groupes qui correspondent aux sub-phases LT B1
et LT B2. Durant la phase la plus récente (LT C1),
on observe l’apparition des tombes à l’incinéra-
tion, avec ou sans urne. Les recherches sur les

Fig. 2 – Les plus anciennes fibules de la culture de La Tène en Pologne.

1 – La fibule de Przemyśl; 2 – La fibule de Malerzowice Małe. Fig. 4 – Głownin, t. no 2 (suite). Selon Hoffmann (1940).

9. Kamiński, Kosicki 1991; Kosicki 1996. 11. Hoffman 1940; Czerska 1966; Woźniak 1970, 82, 83.
10. Czerska 1966; Woźniak 1970, 80-82.

.
 Les Celtes en Pologne
28 Tomasz BOCHNAK

vailles de monnaies celtiques en argent et en or. À

Brzezinka Średzka, on a découvert un trésor d’au
moins 30-32 pièces typiques pour le monnayage de
Boïens. Parmi les trouvailles celtiques de la Basse
Silésie, on peut montrer aussi d’autres éléments ty-
piques pour les terrains de la Bohème. Nous pen-
sons surtout aux bracelets en jais et à ceux en bron-
ze, aux segments hémisphériques, ainsi qu’aux fi-
bules avec une grande boule sur le pied. On peut
aussi observer des analogies dans les détails du rite
funéraire, c’est-à-dire dans la position du corps et
dans la composition de l’inventaire.
Une question très importante liée à la présence
des Celtes aux alentours de Wrocław se pose à
propos des statues du mont Śle˛ża15. Śle˛ża est aussi
le nom d’un massif de 718 m d’altitude, s’élevant
dans une plaine (le mont a env. 500 m d’altitude

Fig. 5 – Sobocisko, t. no 8. Selon Hoffmann (1940).

habitats du territoire en question sont beaucoup

moins développées, on a seulement fouillé par-
tiellement deux sites : Kurza˛tkowice et Rad-
łowice12. Il semble que la plupart du matériel pro-
venant des habitats en question doit être datée à la
phase LT C1. Sur le terrain de l’habitat de Rad-
łowice, on a découvert entre autres 5 tombes de
chiens à la colonne vertébrale incomplète. Dans
une des tombes mentionnées, à côté d’un chien on
a retrouvé la partie inférieure d’un récipient qui
pourrait servir de bol13. Dans l’habitat à Ku-
rza˛tkowice, on a découvert un four de potier à
deux chambres, ainsi que deux fours à chaux14. ˛za˛, t. no 1 (à l’incinération). Selon Kamin¥ ski,
Fig. 6 – Tyniec nad Śle
Nous connaissons, dans la même région, les trou- Kosicki (1991).

12. Bednarek 1993; Kosicki 1992; 1996a; Pazda 1992. 15. Korta 1988; Błażejewski 2001; Domański 2002; Woźniak
13. Bednarek 1993, 234, 235; Fig. XVII:1, 2. 2004a où la littérature antérieure.
14. Kosicki 1996a.

.
 29

relative) et qui est un élément caractéristique du

paysage, très bien visible de dizaines des kilo-
mètres. Śle˛ża était un lieu de pratiques religieuses
encore à la période de Hallstatt, quand la popula-
tion de la culture lusacienne indigène avait
construit sur ses pentes des cercles et des murs en
pierres, qui pourtant ne peuvent pas être considé-
rés comme des fortifications. Le rôle lié au culte
revenait aussi vraisemblablement aux structures
dont on a identifie des vestiges sur une pente de
Śle˛ża, près de la source dite «Saint-Jacques»16.
Autour des constructions de Śle˛ża, on a trouvé
aussi quelques tessons de la céramique celtique,
ainsi que de la céramique datée à la période des
influences romaines et quelques tessons de la cé-
ramique médiévale17. La définition précise de l’ap-
partenance culturelle des structures du mont Śle˛ża
est très difficile parce que pendant plusieurs siècles
ces constructions en pierre pouvaient être utilisées
par des populations de différentes cultures succes-
sives. Il semble que les Celtes, tout comme les po-
pulations antérieures et postérieures vivant dans
les environs de Śle˛ża, avaient adapté d’anciennes
structures, les incluant dans leur lieu de culte et
les complétant d’éléments nouveaux. Sur les
pentes de Śle˛ża et dans les environs, il y a plu-
sieurs sculptures, poteaux et blocs de pierre por-
tant des signes (le plus souvent en forme de croix Fig. 7 – Les statues du mont S¥ le
˛ża, 1 – «L’ours». 2 – «Une Femme
avec un poisson». Sans échelle. Selon Błażejewski (2001).
de St. André). La provenance du matériau et leurs
dimensions suggèrent que les sculptures en ques-
tion étaient taillées dans la proximité de Śle˛ża.
Elles peuvent être datées uniquement à partir logies avec les représentations sur les cistes restant
d’une analyse stylistique et d’éventuelles analo- en rapport avec «l’art des situles» de la période de
gies. Certaines sculptures ne trouvent pas d’analo- Hallstatt18. Comme nous l’avons mentionné, Śle˛ża
gie ni dans l’art slave, ni médiéval et elles constituait, au cours des siècles, un centre de pra-
semblent être liées à l’art celtique. Cette remarque tiques religieuses. Encore au XIe siècle ap. J.C., un
se rapporte en premier lieu aux statues appelées chroniqueur allemand, évêque Thietmar de Mer-
«ours» (fig. 7:1) et «sanglier», présentant des sebourg, porte un témoignage sur les coutumes
analogies avec des représentations de sangliers païennes, pratiquées dans ce lieu (Chronicon
connues de la Peninsule Ibérique. On ne peut pas Thietmari Merseburgensis, VII, 59). La colonisa-
exclure qu’aussi la représentation d’un person- tion celtique dans la Basse Silésie a disparu dans la
nage tenant un poisson (fig. 7 : 2) ne puisse être phase LT C1. Au début du IIe siècle av. J.C. (LT C2),
liée au monde des croyances celtiques. La chrono- sur les terrains occupés jusqu’alors par les Celtes,
logie de la colonne appelée «moine» reste une on observe la colonisation de la culture de Prze-
énigme, parce que nous ne connaissons pas de re- worsk. Il semble pourtant, que certaines traditions
présentations semblables provenant du Moyen celtiques ont perduré jusqu’au début de la période
Âge. Selon B. Gediga, cette statue trouve des ana- des influences romaines. Une des manifestations

16. Błażejewski 1994. 18. Gediga 1996.

17. Limisiewicz 1993; 1994; 1995.

.
 Les Celtes en Pologne
30 Tomasz BOCHNAK
de la tradition celtique est constituée par les
tombes à l’inhumation.
LES CELTES SUR LE PLATEAU DE GŁUBCZYCE
Une autre enclave celtique en Pologne s’était
développée, à partir du IVe siècle av. J.C., dans la
partie méridionale de la Haute Silésie, sur le Pla-
teau de Głubczyce. Les plus anciennes trouvailles,
d’ailleurs peu nombreuses, sont datées à la fin de
la phase LT B1 et il s’agit des tombes à l’incinéra-
tion. Vu les ressemblances dans la céramique, on
suppose que les Celtes seraient arrivés du territoire
de la Moravie voisine. La plus grande concentra-
tion des tombes celtiques sur le Plateau de Głub-
czyce a été découverte dans une nécropole muliti-
culturelle, utilisée pendant plusieurs siècles, à
Kietrz, qui est un cimetière comprenant plus de
Fig. 8 – Kietrz, t. no 1700. Selon Gedl (1978).
19. Gedl 1972, 106; 1978; 1991.
.
3600 tombes. Les tombes celtiques à l’inhumation
y forment un groupe séparé dans la partie oc-
cidentale de la nécropole, tandis que les tombes à
l’incinération sont partiellement dispersées entre
les tombes de la culture lusacienne provenant de
la même période19. On suppose que dans les
tombes à l’incinération étaient ensevelis les auto-
chtones qui étaient entrés dans le milieu de la
culture celtique. Les liens entre la culture lusa-
cienne et le milieu celtique peuvent être prouvés
par l’inventaire de la tombe 1680 où on a décou-
vert un récipient celtique, tourné et de la céra-
mique indigène 20. Dans plusieurs tombes, on a
identifié des ossements d’animaux et, parfois, des
noisettes. Dans les tombes masculines, on a trouvé
de l’armement : épées, pointes de lances, frag-
ments métalliques de boucliers, etc (fig. 9, 10).
Dans une des tombes, on avait déposé un chien
Fig. 9 – Kietrz, t. no 1701. Selon Gedl (1978).
20. Gedl 1972, 109, 116.

Fig. 10 – Kietrz, t. no 1701 (suite). Selon Gedl (1978).
sur un corps d’homme 21. Les tombes de Kietrz
contiennent des fibules de type de Münsingen et
les variantes plus récentes des fibules de type de
Duchcov, ainsi que des bracelets à tampons et à
globules (fig. 8). Les tombes celtiques les plus ré-
centes de Kietrz sont datées au début de la phase
LT C1 (comme t. nr. 1752, avec une fibule de La
Tène moyenne). Dans la période finale du déve-
loppement de la culture celtique au Plateau de
Głubczyce, le rite funéraire a subi des modifica-
tions, à la suite desquelles les tombes ne se laissent
plus percevoir avec des méthodes archéologiques
actuelles. L’existence de cette phase est confirmée
par les habitats, découverts par exemple à Ro-
szowicki Las 22 et à Nowa Cerekwia 23. Ce dernier
site est un des plus connus du Plateau de Głubc-
zyce. L’habitat de Nowa Cerekwia a été fondé sur
une colline très élevée, aux valeurs défensives na-
turelles, ce qui a fait que le site en question avait
été primitivement considéré comme un oppi-
21. Gedl 1972, 106.
22. Bednarek 1990; 1993a; 1994; 1996a; 2005.
23. Czerska 1976, où la littérature antérieure.
24. Filip 1956, Fig. 17.
.
31
dum 24. Les recherches archéologiques n’ont pas
pourtant confirmé la présence des fortifications
qui pourraient être datées à la période de La Tène.
L’habitat de Nowa Cerekwia se caractérise par un
plan différent par rapport aux oppida. Les maisons
rectangulaires, semi-enterrées, étaient situées au-
tour d’une place vide. L’habitat en question a
fourni un riche matériel archéologique, y compris
des traces de la production artisanale. Les trou-
vailles confirment l’existence d’un atelier de pro-
duction de la céramique, de la métallurgie de fer et
d’autres métaux. On a découvert aussi des frag-
ments de bracelets en verre et en jais, des objets
d’ambre, ainsi que quelques monnaies en argent
et en or. Environ 90% de la céramique sont
constitués par les tessons de céramique tournée,
dans la plupart des cas, graphitée. Les trouvailles
de diverses fibules typiques pour La Tène
moyenne (par exemple de type Mötschwill)
montrent que l’habitat en question a été fondé
vraisemblablement à la phase LT C1 et qu’il a été
peuplé jusqu’à la limite LT C/LT D, c’est-à-dire jus-
qu’à la fin du IIe siècle av. J.C. Selon certaines
conceptions, la disparition de la colonisation cel-
tique dans ce terrain reste en rapport avec la mi-
gration des Cymbres de la Péninsule de Jutland
vers le sud, par les territoires des Boïens et vers les
terrains peuplés par des Scordisques, ce qui est
mentionné par Strabo (Geographika VII, 2, 2,
293) 25.
LES CELTES DANS LE BASSIN SUPÈRIEUR DU SAN
Le bassin supèrieur du San est un autre terrain
occupé autrefois par les Celtes. La colonisation cel-
tique dans cette région commence au début de la
phase LT C et dure peut-être jusqu’à la phase LT
D1. La présence des éléments celtiques y est consi-
dérée comme effet des influences provenant du
bassin du haut Tisza en Slovaquie orientale et en
Ukraine Transcarpate d’aujourd’hui 26. Dans le bas-
sin du haut San, nous connaissons seulement
quelques habitats et des trouvailles sans contexte
précis (entre autres des monnaies, des fragments
de bracelets en verre, des tessons de céramique
25. Woźniak 1992, 13, 14.
26. Woźniak 1974, 149, 150; 1992, 16; 2004; Madyda-Legutko
1996, 36-41; Ginalski, Muzyczuk 1999; Ginalski, Karwowski
2002; Karwowski 2004; Przybyła 2004.
 Les Celtes en Pologne
32 Tomasz BOCHNAK
graphitée et de céramique grise). On a effectué des
recherches sur les habitats celtiques à Bachórz et à
Sanok Biała Góra, mais les fouilles n’étaient que
partielles 27. La base économique de la population
celtique dans le région mentionnée étaient assurée
par l’agriculture et l’élevage, mais il est possible,
que l’exploitation des sources salées dans la vallée
du San ait aussi joué un rôle important 28.
LES RAPPORTS ENTRE LA CULTURE CELTIQUE
ET LES CULTURES INDIGÈNES : LE GROUPE
DE TYNIEC, LA CULTURE DE PRZEWORSK
Comme nous avons admis au début de ce
texte, la population de culture celtique n’entrait
pas initialement dans les rapports intenses avec
les cultures indigènes qui, durant la phase LT B,
restent pratiquement inchangées. Dans la phase
LT C1, nous observons néanmoins quelques mo-
difications des cultures locales. À cette époque-là,
sur les vastes territoires de la Pologne, on ob-
serve l’apparition des éléments de la culture de
Jastorf, qu’il faut vraisemblablement lier avec les
Bastarnes et les Scires, connues des sources anti-
ques. Ces peuples se déplaçaient du bassin de
l’Elbe vers la Mer Noire et se sont installés entre
le Prut et le Siret. La culture Poienes˛ti Lukaševka
reste un vestige archéologique de ces migra-
tions 29. La culture de Jastorf a dû influencer les
structures sociales locales et entraîner une ouver-
ture aux éléments étrangers, surtout ceux qui
rayonnaient de la culture celtique 30. Vers la fin
de la phase LT C1, il s’était produit «la celtisa-
tion» rapide des terres polonaises, et de nou-
velles cultures, dans lesquelles les éléments cel-
tiques avaient joué un rôle important, s’étaient
manifestées. Il s’agit avant tout de la culture de
Przeworsk, appelée «culture la plus celtique de
l’Europe centrale» 31. Dans les inventaires de la-
dite culture, on relève fréquemment des objets
métalliques typiques pour la culture celtique : fi-
bules, pièces de ceinturon, épées avec leurs four-
reaux et parfois aussi des éperons. Certains de
ces objets sont des importations celtiques,
27. Parczewski 1978; Woźniak 1992; 2004; Ginalski, Muzyczuk
1999.
28. Madyda-Legutko 1996, 40, 41.
29. Babeş 1993.
30. Da˛browska 1994; Domański 1996; Grygiel 2004, où la litté-
rature antérieure.
.
d’autres sont leurs imitations, mais, à présent,
nous ne savons pas les distinguer. Le rite funé-
raire de la culture de Przeworsk a été aussi em-
prunté à la culture celtique et il trouve des ana-
logies avec les nécropoles de type Ponetovice en
Bohème 32. Les dons funéraires (armement, outils,
céramique) étaient déposés sur le bûcher et après
la crémation, ils étaient détruits avant d’être mis
dans la tombe. Ce qui est très important, c’est
que l’incinération et la destruction de l’inventaire
se sont maintenues ultérieurement sur les terres
polonaises, quand, dans la culture celtique il s’est
répandu un rite qui ne se laisse pas connaître à
l’aide des méthodes archéologiques contempo-
raines. Par conséquent, dans les tombes de la
culture de Przeworsk de la phase LT D, on dé-
couvre plusieurs importations celtiques, parfois
originales, telle une hache en forme de halle-
barde, caractéristique pour les terrains alpins 33.
Le nom des peuples habitant les terres polonaises
pendant les Ier et IIe siècles ap. J. Ch., rapporté
par les auteurs antiques, suggère aussi l’existence
des liens avec le monde celtique. Strabo (Geo-
graphika VII, 1, 3), Tacite (Germania, 43) et Pto-
lémée d’Alexandrie (Geographika hypnegesis II,
11, 10) mentionnent notamment la présence dans
le bassin de la Vistule des peuples de Lugii. L’é-
tendue du territoire occupé par les Lugii corres-
pond en principe au terrain de la culture de
Przeworsk, délimité par les archéologues 34. Aussi
bien Tacite que Ptolémée ont souligné le fait de
l’hétérogénéité des Lugii, énumérant plusieurs
groupes identifiées parmi ce peuple. Tacite utilise
même le terme de «Lugiorum nomen». L’eth-
nonyme Lugii est considéré comme un mot cel-
tique et il y a des chercheurs qui indiquent sa
parenté avec le nom Lug. Henryk Łowmiański
souligne que les noms de tribus mentionnés par
Tacite font allusion au vocabulaire celtique et
germanique. Peut-être, le nom Lugii, attribué à
un peuple qui habitait la Silésie a-t-il été donné
par la suite à tout un ensemble des peuples où
les populations non-celtiques étaient domi-
nantes 35. Dans les œuvres des auteurs postérieurs
31. Da˛browska 1988, 105.
32. Meduna 1962.
33. Bochnak 2003.
34. Godłowski 1985, 141; Kolendo 1998, 53.
35. Łowmiański 1964, 197-199.

(Cassius Dio, Historia Romana, 55 :1, 71:11; Jor-
danes, Getica, 26, 113), le nom Vandali/Vandili
(Vandales) est utilisé plus souvent et ce terme
reste aussi en rapport avec la population de la
culture de Przeworsk 36.
La population de la culture de Przeworsk était
en relation avec les Celtes, ce qui a contribué,
entre autres, à l’apparition d’un groupe mixte, ha-
bitant des terres fertiles aux alentours de Craco-
vie 37. Dans ce groupe, on peut observer la pré-
sence des éléments de la culture de Przeworsk,
dont le quota augmente dans les phases succes-
sives. En prenant en considération le caractère
syncrétique des inventaires mentionnés, on em-
ploie le nom de «groupe de Tyniec» qui provient
du premier habitat fouillé à une plus grande
échelle. Le développement du groupe de Tyniec
est précédé d’un horizon de la culture celtique
«pure» qui est daté à la phase LT B2. Parfois dans
cet horizon sont comptées aussi les tombes à l’in-
humation de Iwanowice, qui sont pourtant plus
récentes 38. Les trouvailles postérieures sont consti-
tuées uniquement par les inventaires provenant
d’habitats, on peut donc estimer que la population
du groupe de Tyniec conservait un rite funéraire
celtique. Dans les matériaux du groupe en ques-
tion, on distingue trois étapes chronologiques.
Dans la phase ancienne (jusqu’à la charnière des
IIIe/IIe siècles av. J.Ch.), nous observons surtout la
céramique de la culture celtique, graphitée entre
autres. Dans la phase suivante (IIe siècle av. J.C.),
la céramique graphitée et grise faite à l’aide d’un
tour coexistent avec des formes primitives de la
céramique de la culture de Przeworsk. Les propor-
tions de ces types de céramique changent dans les
différents sites. Dans la phase finale du groupe de
Tyniec (Ier siècle av. J.C. et le début du Ier siècle
ap. J.C.), le quota de la céramique de Przeworsk
augmente nettement, et dans la céramique de type
celtique apparaissent des formes à parois fines,
exécutées dans une argile grasse et ensuite peintes
(fig. 11). Les analyses stylistiques et les résultats de
recherches céramologiques permettent de croire
que la céramique peinte était fabriquée dans au
36. Kolendo 2003.
37. Woźniak 1990; 1992; 1996; Poleska 1996; 2000; 2005.
38. Woźniak 1991.
39. Wirska-Parachoniak 1980, 88, 96; Woźniak 1990, 30; Poles-
ka 2000, 88, 89.
40. Buratyński 1953, 111; Fig. 9; Woźniak 1990.
41. Poleska 2000.
.
33
moins trois ateliers dans la région de Cracovie 39.
La production de la céramique est attestée par les
découvertes de fours à coupole, à une ou deux
chambres, à Cracovie (site Nowa Huta Wycia˛że) et
a Podłe˛że 40. On suppose qu’un autre atelier encore
se trouvait à Cracovie (site Nowa Huta Pleszów) 41.
Sur le terrain du groupe de Tyniec, on a identifié
aussi des scories et des fours qui témoignent de
l’activité métallurgique 42. La population du groupe
en question a dû atteindre le haut niveau du déve-
loppement économique et social, vu que nous
connaissons des trouvailles de monnaies sur son
territoire. Une partie de ces pièces démontre les
liens avec le monnayage des Boïens, d’autres re-
présentent des variantes locales, appelées par
K. Castelin «le type de Cracovie» (fig. 12:1) 43.
L’existence du monnayage local est attestée aussi
par les trouvailles des moules de flans, connues
des sites de Cracovie Nowa Huta-Mogiła, de Cra-
covie Nowa Huta-Pleszów et de Zakrzów
(fig. 12: 2-4) 44. Dans un des moules de Cracovie
Nowa Huta-Mogiła, on a identifié des traces d’é-
lectrum. Nous disposons d’autres preuves de
contacts de la population du groupe de Tyniec
avec les centres celtiques du sud. Dans les inven-
taires, on trouve plusieurs fibules trouvant les
analogies dans les objets celtiques, entre autres
cette fibule de Podłe˛że, une «hybride» du type
Almgren 65 et celui de Schüsselfibel (fig. 13:1) 45.
Les fibules du type Almgren 65 ont été fabriquées
à une échelle importante à l’oppidum de Strado-
nice, où on a trouvé aussi un exemplaire très
proche de celui de Podłe˛że 46. Dans la phase la plus
récente du groupe de Tyniec, on peut remarquer
l’existence des influences venant de l’Europe du
sud et des côtes de l’Adriatique, ce qui reste en re-
lation avec le fonctionnement de la «route de
l’ambre». Les trouvailles des fibules de type Alm-
gren 18, de type Gorica, etc. sont considérées
comme preuve des contacts en question (fig. 13) 47.
Le déclin du groupe de Tyniec survient au début
de la période des influences romaines (début du Ier
siècle ap. J.C.), mais certaines traditions celtiques
ont survécu dans les environs de Cracovie tout au
42. Buratyński 1951-1952.
43. Castelin 1966, 168; 1976; Woźniak 1967, 207, 208; 1978;
1984, 30-32; Kaczanowski 1997.
44. Hachulska-Ledwos, Woźniak 1976; Woźniak 1978.
45. Woźniak 1990, 57, 58; Fig. XXX :o.
46. Břeň 1959, 207; 1964, 243; Fig. 13: 433; Woźniak 1990, 57.
47. Poleska, Toboła 1987, 21; Fig. VI:14, XVIII:1, 2.
 Les Celtes en Pologne
34 Tomasz BOCHNAK
Fig. 11 – La céramique peinte du groupe de Tyniec. Selon Poleska (2000).
long de la période de ces influences. La conserva-
tion d’un rite funéraire impossible à prouver avec
les méthodes archéologiques est considérée
comme le maintien de la tradition de La Tène. On
ne connaît qu’un seul cimetière à l’incinération
(Kryspinów près de Cracovie) et quelques sites
avec des enclos quadrangulaires au caractère sé-
pulcral, où l’on a trouvé des concentrations d’os
brûlés et un mobilier archéologique insignifiant.
Aux bords du groupe de Tyniec, on a repéré quel-
.
ques modestes nécropoles de la fin de la phase LT
D2 (sites Stradów, Gniazdowice, Wólka Stogniew-
ska). Dans la phase finale du groupe de Tyniec, on
peut observer des éléments de la culture de Pù-
chov et quelques influences daces, visibles dans les
importations de la céramique et dans la présence
de l’ornement à stylistique dace sur les produits
probablement locaux. Les influences daces pou-
vaient atteindre le groupe de Tyniec par l’intermé-
diaire de la culture de Pùchov ou bien, ce qui pa-

Fig. 12 – Le monnayage du groupe de Tyniec. 1 – Statère du type de Cracovie, trouvé à Kryspinów (photo T. Bochnak) 2, 3 – Les moules à flans de
Cracovie Nowa Huta-Mogiła, selon Hachulska-Ledwos, Woźniak (1976); 4 – Le moule à flans de Zakrzów, selon Woźniak (1978).
raît plus vraisemblable, par le centre de la culture
celtique aux environs de Zemplín en Slovaquie
orientale 48.
Les éléments de la culture de Pùchov, typique
pour la partie montagneuse de la Slovaquie, appa-
raissent aussi à la phase LT C2 i LT D1 dans la Val-
lée de Żywiec et dans la Vallée de Sa˛cz 49. La popu-
lation de la culture de Pùchov est identifiée avec
un peuple celtique des Cotini, mentionnée par Ta-
cite (Germania, 43) 50. Les habitats de la population
en question ont disparu vraisemblablement avant
le début de la phase LT D2. Les éléments de la
culture de Pùchov dans la région de Cracovie se
sont maintenus encore dans la période des in-
fluences romaines, même après la disparition du
groupe de Tyniec.
En dehors des régions présentées, on observe
des concentrations de trouvailles celtiques en
Kouïavie. Parfois, ce terrain a été considéré
comme peuplé par les Celtes 51, mais à présent on
admet qu’en Kouïavie s’était développée la
48. Woźniak 1990, 56, 76; 1996, 170; Poleska, Toboła 1988, 114;
Poleska 2000, 90.
49. Madyda-Legutko 1996, 24-35.
50. Pieta 1982, 207-217.
51. Rosen-Przeworska 1964, 34-41.
.
35
culture de Przeworsk 52. Vraisemblablement, le
terrain de la Kouïavie avait été pénétré par les
Celtes, aussi bien à cause des terres fertiles et des
voies de communication que pour des sources sa-
lées, mais on n’y a pas identifié de traces de colo-
nisation celtique. Sur le territoire en question, il
existait entre autres des ateliers où l’on produisait
des meules rotatives. On trouve aussi de la céra-
mique tournée, des monnaies celtiques et
grecques. Sur ces terrains, on a découvert des
tombes à l’inhumation : aussi bien celles dans
lesquelles le corps était posé sur un côté que
celles avec un corps couché sur le dos. En Kouïa-
vie, on a mis à jour plusieurs sites avec des
tombes de chiens 53.
On suppose que, sur les terrains polonais, les
Celtes participaient activement dans le fonc-
tionnement de la «route de l’ambre» qui menait
des côtes de la Mer Baltique vers le sud 54. L’intérêt
porté par les Celtes à ce matériau est attesté entre
autres par les stocks de l’ambre à Wrocław – Party-
52. Da˛browska 1988, 218-222.
53. Cofta Broniewska 1979; Woźniak 1970, 166; Da˛browska
1988, 218-222.
54. Wielowiejski 1996, où la littérature antérieure.
 Les Celtes en Pologne
36 Tomasz BOCHNAK
Fig. 13 – Les fibules du groupe de Tyniec. Selon Poleska (1996).
nice (Godłowski 1978) et à Staré Hradisko. Sur le
terrain polonais, on observe la concentration des
importations celtiques tout au long du passage
supposé de la «route» par la Silésie, la Pologne
centrale, la Kouïavie et l’embouchure de la Vis-
tule. De nombreuses importations celtiques et
55. Pozarzycka-Urbańska 1978; Okulicz-Kozaryn, Nowakowski
1996.
56. Kostrzewski 1919, 139; Da˛browska 1988, 114-142; Łuczkie-
wicz 1997; 2002; Bochnak, Przychodni 2002; Bochnak
.
leurs imitations ont été trouvées sur les côtes
orientales de la Mer Baltique, aux environs de Ka-
liningrad d’aujourd’hui 55. Parmi les importations
celtiques sur les terrains polonais, on peut énumé-
rer des vaisselles métalliques, un casque qui
trouve les analogies dans les trouvailles de Slové-
nie, plusieurs fourreaux d’épées (entre autres or-
nés de plaques ajourées opus interrasile) et une
cotte de mailles 56.
LE DÉCLIN DE LA COLONISATION CELTIQUE
EN POLOGNE
Comme on a admis, le déclin de la colonisa-
tion de la culture celtique «pure» en Pologne se
situe à la phase LT C (Silésie) ou au début de la
phase LT D (bassin de la rivière San). Les der-
nières traces liées avec des Celtes en Pologne
(groupe de Tyniec) s’effacent au seuil du Ier siècle
ap. J.C. Sur les terrains polonais, pour à peu près
150 ans, le savoir-faire de la production céra-
mique tournée a disparu, mais d’autres innova-
tions technologiques ont survécu jusqu’à la péri-
ode des influences romaines. Sur un vaste terri-
toire, la pratique de la mouture des grains avec
les meules rotatives s’est maintenue 57. Probable-
ment, l’extension de la culture du seigle dans la
région de la Petite Pologne à la période des in-
fluences romaines doit être considérée comme un
héritage celtique 58.
La présence des Celtes sur les terres au-
jourd’hui polonaises ainsi que les influences de la
culture celtique sont à l’origine d’un changement
radical du modèle culturel local et de l’apparition
de nouvelles cultures.
Tomasz BOCHNAK
2005, 154-164.
57. Godłowski 1960, 73.
58. Godłowski 1960, 82, 83; Lityńska-Zaja˛c 1997, 49, 66, 67.

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