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Etats-Unis, Chine et le Covid : Le réveil des

vieux démons
Par Ahmed FAOUZI | Edition N°:5803 Le 14/07/2020 | Partager 

Ahmed Faouzi est chercheur en relations internationales, docteur en Coopération internationale et


Développement de l’Université Paris VII Jussieu et de Sorbonne Paris I  

Les Etats-Unis et la Chine livrent ces dernières années un duel qui risque d’être
tragique pour la paix dans le monde. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale,
les alliés et les pays vainqueurs, dont l’ex-Union soviétique, ont bâti un ordre
mondial basé d’abord sur les institutions des Nations unies, pour d’une part gérer
les crises politiques, et ensuite sur celles de Bretton Woods pour réguler l’économie
mondiale. Ce monde que l’on croyait durable commence à s’essouffler pour laisser
la place à une nouvelle ère dont les contours commencent à peine à se dessiner.

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Depuis cette date, le monde a trouvé un modus vivendi établissant un équilibre


entre l’Occident d’une part et les pays socialistes du bloc de l’Est de l’autre.
L’effondrement du mur de Berlin en 1989, et la réunification de l’Allemagne ont mis
fin à la guerre froide entre les deux blocs, et annoncé l’avènement d’un
néolibéralisme qui, à son tour, s’essoufflera à partir de 2008 avec la crise financière.
Entre-temps, alors que l’Occident faisait face aux effets pervers de la
mondialisation (conflits, guerres, migration, terrorisme..), la Chine traçait son
chemin pour devenir la deuxième puissance économique mondiale derrière les
Etats-Unis.

L’élection de Donald Trump a soudainement érigé le protectionnisme comme


doctrine pénalisant aussi bien ses alliés européens que la Chine devenue, à ses
yeux, un réel et dangereux concurrent. En adoptant le slogan «America First», le
président américain a traduit dans les faits et à sa manière, la perte de confiance
dans le libéralisme que professe son propre pays à l’échelle de la planète. Ces
déclarations d’intention se sont traduites, en outre, par les dénonciations
successives des accords commerciaux avec l’Europe, de l’accord nucléaire avec
l’Iran, et de l’accord de Paris sur le climat, pour ne citer que ceux-là.
C’est dans ce contexte de grands bouleversements qu’apparut la pandémie Covid-
19 d’abord en Chine puis, par la suite, sur le reste du monde, paralysant ainsi le
commerce international et les relations entre les Etats. Cette crise a mis face à face,
et comme jamais auparavant, les Etats-Unis et la Chine, deux superpuissances dont
tout sépare. Cette dernière, longtemps humiliée par l’Occident jusqu’au
déclenchement de la révolution communiste menée de main de fer par Mao
Tsétoung, a pris sa revanche en rénovant son système éducatif et son appareil
productif devenant ainsi la deuxième puissance économique mondiale derrière les
Etats-Unis. Contrairement à Washington, impliquée dans plusieurs conflits à travers
le monde, Pékin avance ses pions et concentre tous ses efforts pour acquérir des
parts de marché à l’international.

Le déclenchement de la pandémie Covid-19 est venu mettre en doute la capacité de


la Chine à venir à bout de cette maladie malgré les mesures drastiques pour en
contenir la progression. En dépit de ces efforts, les conséquences sur l’économie du
pays sont déjà visibles: fermeture d’usines, augmentation du chômage, baisse de la
consommation et des exportations. Durant les trois premiers mois de 2020, la
croissance chinoise a baissé de 6,8% par rapport à la même période de 2019. Les
partenaires de la Chine, pour leur part, commencent à envisager de rapatrier une
partie de leurs investissements en dehors de Chine pour mieux sécuriser leurs
approvisionnements notamment au niveau des industries liées à la santé.

Au niveau de sa gestion diplomatique et communicationnelle de la crise Covid, la


Chine n’a pas enregistré pour ainsi dire une totale réussite. Longtemps accusée
d’avoir caché l’étendue de la pandémie, Pékin n’a trouvé d’appui pour la soutenir
que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en la personne de son directeur
général, l’Ethiopien Tedros Adhanom qui a succédé à la Chinoise Margaret Chan qui
a dirigé cette organisation durant une dizaine d’années.

L’actuel directeur général de l’OMS a occupé chez lui en Ethiopie les postes de
ministre de la Santé puis des Affaires étrangères, postes durant lesquels il a su tisser
des relations étroites avec les responsables chinois. C’est en raison de ces liens qu’il
a été accusé par les Etats-Unis de connivence avec Pékin et d’être le porte-parole
de la Chine au sein de l’OMS. Il doit, il est vrai, son poste au  soutien actif, voire le
parrainage de la Chine. Lors de la déclaration de sa candidature, le 24 mai 2016, en
marge de la 69e assemblée de l’OMS, l’Ethiopie et la Chine ont fait cause commune
à côté d’autres pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya et l’Algérie.

A plusieurs reprises, on a reproché au directeur général de l’OMS sa gestion de la


crise et le retard pris pour déclarer la pandémie ainsi que sa connivence avec les
autorités chinoises pour minimiser la responsabilité de ces dernières sur l’étendue
de la contamination. Tout en niant cette proximité avec la Chine, le directeur
général ne s’est pas empêché, lors de sa visite à Pékin les 26 et 27 janvier 2020, de
féliciter le président chinois Xi Jinping pour «sa transparence et son sens politique».
Rien que ça! De retour à Genève, il est interrogé par la presse sur son soutien
aveugle à la Chine alors que la pandémie progresse, il persiste en réitérant «qu’il
louerait encore et encore (les Chinois) car les actions de la Chine ont vraiment aidé
à réduire la propagation de l’épidémie à d’autres pays». Ce qui s’est avéré faux par
la suite.
Du côté chinois, on ne cache pas sa satisfaction quant à la gestion de cette crise par
le directeur général de l’OMS. Le ministre chinois des Affaires étrangères Zhao
Lijian  n’hésite pas à déclarer le 9 avril 2020 que Tedros «a activement rempli ses
tâches et imposé une méthode impartiale scientifique et objective» pour gérer cette
crise. On ne peut pas être plus clair.

                                                                                     
Une diplomatie pas toujours lisible

L’Ethiopien Tedros Adhanom, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS),


est accusé par Washington et plusieurs capitales occidentales d’être en connivence avec Pékin. Il
lui est reproché d’avoir cherché à minimiser la responsabilité des autorités chinoises dans
l’expansion de la pandémie du Covid-19 au reste du monde (Ph. AFP)

En dehors de l’OMS (organisation mondiale de la santé), la diplomatie chinoise a eu


beaucoup de mal à mener une politique cohérente. Lors du sommet sur le Covid 
tenu à Bruxelles le 4 mai 2020 -réunion qui a rassemblé 50 chefs d’Etat et ministres-
la Chine s’est faite représentée à un faible niveau par son ambassadeur auprès de
l’UE.  Celui-ci a annoncé que son pays allait allouer une somme de 260 millions
d’euros au Fonds d’aide à la recherche contre le Covid et une donation à l’OMS de
50 millions de dollars, au moment où des pays comme l’Allemagne qui a octroyé
une enveloppe de 525 millions de dollars ou la France qui s’est engagée pour 500
millions sans compter le 1,2 milliard d’euros versés à l’Agence française de
développement (AFD)  pour lutter contre la pandémie à l’échelle internationale.
                                                                                     
Six enseignements pour les relations internationales

Donald Trump et Xi Jinping, chef d’Etat chinois au dernier sommet du G20 à Osaka.
L’administration Trump accuse ouvertement la Chine d’avoir caché le départ de la pandémie. La
confrontation entre les deux premières puissances mondiales est désormais multiforme (Ph.
AFP)

Tout d’abord, le Covid est venu rappeler à l’humanité la fragilité du système


économique néolibéral instauré depuis la chute du mur de Berlin et le besoin vital
et urgent à inventer un nouveau multilatéralisme à visage humain inclusif et
solidaire.
Deuxièmement, cette pandémie a paradoxalement rétabli le rôle régalien des Etats
comme premier rempart à la globalisation sauvage qui creuse les disparités entre
les pays et les nations. Ceci a été constaté au sein de l’Union européenne qui a
rétabli les frontières pour protéger ses populations.
Troisièmement, l’effet induit de ces réactions a été l’exacerbation des
nationalismes et l’adoption d’un protectionnisme à outrance. Des prémices de ces
tendances sont apparues bien avant la pandémie en Europe et aux Etats-Unis où les
idées d’extrême droite se banalisent de plus en plus dans les campagnes
électorales. Ces tendances peuvent constituer de nouvelles sources d’instabilité
pour la communauté internationale.
Quatrième constat, la Chine est venue confirmer sa place dans l’échiquier
international comme acteur important et incontournable des relations
internationales. Les Etats-Unis, qui s’enferment de plus en plus sur eux-mêmes,
n’ont plus le choix que de négocier pour instaurer une nouvelle ère de prospérité et
de paix pour l’humanité. La Chine n’est certes pas encore le centre de gravité du
monde mais elle est en passe de le devenir.
La dualité Etats-Unis/Chine risque d’être paralysante bien au-delà de ces deux
puissances si un modus vivendi n’est pas trouvé au risque de voir hypothéquée la
paix internationale. Seul un multilatéralisme multipolaire peut apporter les
réponses auxquelles  l’humanité aspire. De même, la facture à payer pour les pays
en développement doit être âprement négociée pour que les grandes puissances
économiques prennent leurs responsabilités afin de réduire les inégalités accrues
suite à cette pandémie entre le nord et le sud.
Enfin, la dé-globalisation, telle que prônée par certains, ne peut être une option
viable en raison de l’imbrication de l’économie mondiale car jamais l’humanité n’a
été aussi connectée, humainement et économiquement qu’aujourd’hui. Face aux
menaces globales, seule une coopération internationale basée sur les principes,
toujours d’actualité, de la Charte des Nations unies est à même d’apporter la paix et
la prospérité à tous les peuples.

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