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Voici 100 ans, nul n’aurait prévu les conflits et sanglantes catastrophes du xxe siècle, qui furent toutes des
conséquences des relations entre grandes puissances de l’époque. Un siècle plus tard, toute anticipation du xxie
siècle doit se méfier de la capacité de l’humanité à surprendre. Une estimation des grandes tendances du début de
notre siècle, susceptibles d’influer sur les relations entre grandes puissances, peut cependant être envisagée avec
une précision raisonnable. Quelques conclusions se dessinent déjà à partir de nos connaissances actuelles.
Nous définissons comme « grandes puissances » ce petit groupe d’États possédant des ressources et une
population telle qu’ils peuvent faire valoir leur influence à un niveau mondial, en incluant à leur nombre les États
en passe d’atteindre ce statut avec une certitude raisonnable. Il s’agit des actuels membres permanents du Conseil
de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), et des pays pouvant être candidats à un élargissement du
Conseil : la Chine, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et la Russie, ainsi que l’Afrique du Sud, l’Allemagne,
le Brésil, l’Inde et le Japon [1]. Le Brésil ou l’Afrique du Sud ne jouent certes pas dans l’immédiat un rôle fort au
niveau mondial ; c’est en revanche le cas de l’Inde. À plus long terme, un second pays africain pourrait se joindre au
groupe. De plus, certains de ces pays sont liés par des relations d’alliance ou – dans le cas de l’Union européenne
(UE) – par un système d’intégration, qui affectent leur comportement.
Ce processus est de facto irréversible et constitue la « mégatendance » qui détermine toutes les autres [2]. Dans
cette nouvelle interconnexion mondiale, le commerce international et les investissements directs à l’étranger (IDE)
croissent plus rapidement que la production, mais les inégalités internes aux pays et entre eux augmentent, même
si la pauvreté globale a pu être réduite. Les grandes puissances ne peuvent pas échapper à ce processus :
l’ouverture, la connectivité, l’interdépendance économique sont les conditions de la modernité, du développement
économique et d’un accroissement du niveau de vie, mais elles sont soumises à de nouvelles contraintes.
L’ascension de l’Asie
L’ascension de l’Asie, et en particulier de la Chine et de l’Inde, bouleverse le paysage géopolitique du xxie siècle.
L’Inde restera sans doute derrière la Chine du fait de rigidités internes (illettrisme, système des castes). La Chine,
quant à elle, devra faire face aux répercussions d’inégalités croissantes, de sa structure démographique, et de
l’absence de mécanismes démocratiques susceptibles de résoudre pacifiquement les conflits. Les deux pays les plus
peuplés du monde représentent cependant un énorme potentiel économique – sans parler des vastes réserves
monétaires chinoises. La Chine aura probablement dépassé toutes les économies sauf les États-Unis avant 2020 ;
tandis que l’Inde se positionnera devant les économies européennes [3]. La Chine remplacera alors le Japon en tête
des économies asiatiques. Même si l’espace atlantique reste la région économique la plus intégrée du monde [4],
et si les États-Unis, l’Europe et le Japon gardent le contrôle des institutions financières internationales, la
mondialisation va prendre un visage de plus en plus asiatique. La dépendance croissante de Pékin et Delhi vis-à-vis
des marchés mondiaux affectera-t-elle alors leur attitude internationale ?
Les changements démographiques affectent donc différemment les grandes puissances. Outre qu’il détourne les
énergies vers les problèmes internes, le déclin démographique réduit les ressources disponibles pour l’extérieur,
dans le domaine militaire ou pour l’aide au développement par exemple. Le ratio population active/retraités se
détériorant, la demande d’immigration devrait s’intensifier, générant de nouveaux problèmes : intégration des
populations musulmanes, relations avec les pays d’origine. Parmi les grandes puissances, les États-Unis, et sans
doute le Brésil, sont les seuls pays à avoir transformé l’immigration en atout, même si Washington doit faire face à
une critique interne croissante de l’immigration illégale.
L’immigration sera sans nul doute une question centrale du xxie siècle. Au Sud, la misère, la croissance de la
population jeune, un chômage massif, la projection constante par les médias d’images d’abondance, créent les
conditions d’une émigration soutenue. Néanmoins, si la pénurie de travailleurs et des jeunes au Nord crée une
demande d’immigration, les deux facteurs sont rarement synchronisés. Alors que les immigrants choisissent de plus
en plus des moyens illégaux pour accéder au Nord, de nombreux pays développés perçoivent une xénophobie
croissante et une résistance à l’immigration. De telles attitudes ont joué un rôle décisif dans les référendums de
2005 en France et aux Pays-Bas.
Ces nouvelles formes de violence instrumentalisent l’ouverture et la mobilité contemporaines. L’usage classique
des forces armées ne protège plus contre les vulnérabilités des sociétés ouvertes, sauf dans le cas d’États abritant
des terroristes – cependant, même dans le cas afghan, le succès n’est pas au rendez-vous. Les règles établies et les
normes internationales s’appliquent mal à ce type de conflits, où les combattants sont essentiellement des acteurs
non étatiques activant des réseaux internationaux. Puisque le terrorisme, avec ses tactiques de djihad et d’attentats
suicide, opère sans aucune contrainte, les politiques de dissuasion classiques ne lui sont pas opposables.
La réponse à de telles menaces exige un vaste spectre d’instruments, bien au-delà des alliances classiques :
coopération des services de renseignement, des polices, des agences de lutte contre la drogue ou des ministères
des Finances, traitement des racines du terrorisme par un dialogue avec l’islam modéré, etc. De telles coopérations
sont assez simples pour les puissances qui ont déjà entre elles une tradition d’action commune, par exemple les
membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), les États-Unis et l’UE ou les États-Unis et le Japon.
Après les attentats du 11 septembre, la Chine et la Russie ont affirmé rejoindre les États-Unis dans la « coalition
antiterroriste » en promettant une coopération intensive. L’intervention américaine en Irak, puis d’autres
différends, ont réduit cette coopération au minimum. Brésil et Afrique du Sud semblent être à l’écart de cette
boucle de coopération, même si cela peut changer à l’avenir.
L’actuelle érosion du système de non-prolifération est le deuxième facteur de changement, bien que les 182
adhérents du Traité de non-prolifération (TNP) acceptent formellement – pour le moment – leur statut d’États sans
armes nucléaires. Le rejet par l’Administration Bush des engagements pris par les États-Unis lors de la prolongation
sine die du TNP sape un système dont les États-Unis ont été un des principaux promoteurs. L’échec à faire
réellement renoncer la Corée du Nord à son armement nucléaire, partiellement causé par une politique à courte
vue, et l’acceptation par Washington du statut nucléaire de l’Inde, doublée d’un traité de partenariat stratégique,
complètent le tableau.
D’autres grandes puissances acquerront-elles des armes nucléaires ? Allemagne et Japon ont prouvé qu’il était
possible de devenir une grande puissance sans arme nucléaire. Leur entrée permanente dans un Conseil de
sécurité réformé serait donc un important signal renforçant la non-prolifération. Alors qu’aucun scénario plausible
n’envisage l’abandon par l’Allemagne de son statut de puissance non nucléaire, le cas du Japon est différent. Si la
Corée du Nord parvenait à avoir des armes nucléaires – et le récent accord à six n’est pas une garantie absolue
contre cette hypothèse –, le Japon subirait une pression considérable, et la question de savoir si la garantie
nucléaire américaine, ou l’impact négatif de la nucléarisation de Tokyo sur l’Asie, l’en dissuaderait reste ouverte.
Question quatrième
L'indépendance politique acquise par le Brésil, au début du xix e siècle , influe sur sa vie économique. Le roi du
Portugal, fuyant Napoléon, se réfugie à Rio en 1808 et ouvre aussitôt les ports brésiliens au commerce extérieur. Le
pacte colonial est aboli : désormais, les navires et les produits étrangers entrent librement au Brésil, en échange
d'un droit égal à 24 p. 100 de la valeur des march […] […] Lire la suite
COLONISATION
Écrit par Jean BRUHAT • 7 700 mots • 7 médias
Dans le chapitre « Problèmes et débats » : […] Plusieurs auteurs, partant de l'ouvrage que Paul Leroy-Beaulieu
publia en 1874 sous le titre De la colonisation chez les peuples modernes , ont essayé de classer les types de
colonies. C'est ainsi qu'on a distingué des colonies de commerce ou comptoirs (comme Hong Kong) ; des colonies
de plantations ou d'exploitation , destinées à fournir aux métropoles des denrées exotiques, des matières premi […]
[…] Lire la suite
CONCURRENCE, droit
Écrit par Alain BIENAYMÉ, Berthold GOLDMAN, Louis VOGEL • 12 127 mots
Dans le chapitre « Règles de fond » : […] La concurrence peut être supprimée, restreinte ou faussée par l'action
commune d'entreprises qui, tout en conservant leur indépendance juridique et économique, s'engagent les unes
envers les autres à observer dans la production, l'approvisionnement, la vente ou les prestations de services
certains comportements concertés ; elle peut l'être aussi soit par la monopolisation ou la quasi-monopolisati […]
[…] Lire la suite
Samedi 4 mars, à Bangui, la capitale de Centrafrique, des centaines de personnes se sont réunies pour manifester
leur soutien à l’invasion russe de l’Ukraine. Les manifestants se sont réunis au pied d'une statue représentant des
combattants russes qui protègent une femme et ses enfants. Inaugurée en 2021 par le président Faustin Archange
Touadéra, l’installation de cette statue a pour but de remercier les soldats russes lui étant venus en aide pour
reprendre le contrôle du pays ces dernières années. L’évènement, loin d’être anecdotique, témoigne d’une
influence russe grandissante sur le continent. À l’heure où la grande majorité de la les communauté internationale
condamne l’invasion de l’Ukraine, la position des pays africain apparaît plus ambigüe.
(Re)lire - Centrafrique : à Bangui, une centaine de manifestants soutiennent l'invasion de l'Ukraine par la Russie
Comme 21 autres pays africains, la Centrafrique n’a pas exprimé d’opinion lors du vote de l’Assemblée générale de
l’ONU visant à condamner l’invasion russe de l’Ukraine, mercredi 2 mars. Seize pays du continent se sont abstenus,
les autres étaient absents. La résolution réclame que Moscou "retire immédiatement, complètement et sans
conditions toutes ses forces militaires" d'Ukraine et "condamne la décision de la Russie d'accentuer la mise en
alerte de ses forces nucléaires". Sur les 193 membres de l'Organisation, 141 pays ont approuvé le texte "exigeant
que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l'Ukraine."
Révélatrice des divisions du continent pour de nombreux observateurs, l’abstention du Sénégal. Le président
sénégalais Macky Sall tient un double-discours. D’une part, en tant que chef d’État, il tente de ménager une opinion
publique nationale au sein de laquelle se répand un discours antifrançais et antioccidental. D’autre part, en tant
que président de l’Union Africaine (UA), il adopte un discours moins nuancé en faveur de l’Ukraine. Dans un
communiqué de presse, l’UA appelle d’ailleurs au "respect impératif de la souveraineté nationale de l’Ukraine".
Selon Michel Galy, politologue spécialiste de l'Afrique de l'Ouest interrogé par TV5MONDE, "le vote révèle un
malaise et la division d'une Afrique qui ne sait pas s'il est préférable de suivre le pays référence ou prudemment
s'abstenir tant qu'on n'a pas encore le dernier mot du conflit."
(Re)lire - Vote de la résolution de l’ONU sur l’Ukraine : une abstention des pays africains remarquée
Une seule raison ne suffit pour expliquer l’hésitation de nombreux pays. L’Afrique du Sud approuvait originellement
le texte avant de s’abstenir. Selon les Sud-Africains, la résolution ne créé pas d’environnement favorable aux
négociations et ne permet pas de rapprochement entre l’Ukraine et la Russie. Selon Francis Kpatinde, interrogé par
TV5MONDE, le pays aimerait se positionner en tant que médiateur entre l’Ukraine et la Russie. Au Maroc, l’une des
raisons invoquées pour expliquer l’abstention au vote de la résolution est l’abstention répétée des Russes
concernant les résolutions sur le Sahara occidental au Conseil de sécurité de l’ONU. Le ministère des Affaires
étrangères marocain précise aussi dans un communiqué que le pays reste fidèle au principe de la "neutralité
positive".
Les pays du continent condamnent, en règle générale, l’invasion de l’Ukraine, malgré les abstentions. L’Afrique du
Sud, qui s’est abstenue, a rappelé son inquiétude pour les civils ukrainiens. Madagascar, qui s’est aussi abstenue, a
fait de même. Pour d’autres pays, comme le Mali, prendre position était plus compliqué, le pays étant en pleine
transition. Toutefois, la majorité des pays du continent (28) s’est prononcée en faveur d’une condamnation russe.
L’influence diplomatique russe grandie sur le continent africain, tout comme son importance économique. En 2018,
les échanges commerciaux entre la Russie et le continent africain ont atteint 20 milliards de dollars, soit 17,2 % de
plus que l’année précédente.
Leq causes de la guerre entre Amérique-Afrique.
L’attaque terroriste du 11 septembre 2001 a profondément influencé l’approche du gouvernement de George W.
Bush en termes de sécurité nationale. La Maison Blanche annonçait alors une guerre mondiale contre le terrorisme
rappelant les premières phases de la guerre froide. Sur le plan intérieur, diverses initiatives furent entreprises : le
vote du Patriot Act [Loi patriotique] qui donne des pouvoirs étendus aux agences chargées d’appliquer la loi ; la
création du ministère de la Sécurité intérieure, chargé de la surveillance des frontières et de la coordination des
activités contre-terroristes sur le territoire national ; la réorganisation de la structure militaire globale de
commandement avec la création d’un Commandement du Nord responsable des activités militaires au Canada, au
Mexique et aux États-Unis (la première nomination d’un militaire à un tel poste depuis la Seconde Guerre
mondiale) ; et, suite aux pressions de l’opinion et du Congrès relatives à l’échec des services de renseignements
avant le 11 septembre, la création d’un nouveau poste au niveau du Cabinet, celui de directeur du renseignement
chargé de la coordination des quinze agences de renseignements.
Les fonctionnaires américains considèrent le continent africain comme un front de plus en plus important de cette
guerre mondiale menée contre le terrorisme. Washington est particulièrement focalisé sur l’Afrique du Nord et
l’Afrique de l’Est (dont la Corne), et ce pour deux raisons : leur proximité géographique, culturelle et religieuse avec
le Moyen-Orient (considéré comme l’épicentre d’un terrorisme international allant de la péninsule Arabique au
Pakistan) et le fait que ces régions constituent un terreau propice au développement d’autres actions terroristes
antiaméricaines. Cette réévaluation à la hausse de l’importance géopolitique de l’Afrique apparaît de façon
manifeste dans un article de Princeton N. Lyman et de J. Stephen Morrison [1] paru dans une revue de référence de
l’establishment de politique étrangère, Foreign Affairs. Tous deux sont d’accord avec l’évaluation de l’administration
selon laquelle l’absence d’une approche interventionniste active de la part des États-Unis conduirait à une
intensification des menaces terroristes en provenance d’Afrique. Cependant, la Maison Blanche manque, selon eux,
d’une approche conséquente et holistique face à ce défi majeur de politique étrangère [2]. Bien que l’on puisse et
doive discuter du degré de sérieux avec lequel l’administration Bush s’est intéressée à l’Afrique dans le cadre de sa
guerre contre le terrorisme, il est certain que cette guerre a contribué à des mesures interventionnistes agressives,
porteuses d’implications importantes pour la politique étrangère américaine envers l’Afrique.
Plusieurs initiatives régionales de sécurité démontrent l’intégration de l’Afrique dans la guerre contre le terrorisme.
La première est l’établissement, par le Pentagone, du quartier général de la Combined Joint Task Force-Horn of
Africa (CJTF-HOA) [Corps expéditionnaire conjoint]. Basée à Djibouti, elle est chargée de mener la guerre contre Al-
Qaida et ses soutiens au sein de la Grande Corne de l’Afrique (Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Kenya, Somalie, Soudan),
ainsi qu’au Yémen [3]. Les opérations terrestres sont menées par plus de 1 000 membres des Forces spéciales
américaines, basés à Camp Lemonier. Les patrouilles côtières sont assurées par le détachement spécial de la
Combined Task Force 150 américaine (CTF 150), qui comporte également des forces navales d’autres pays comme
l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni. La CJTF-HOA coordonne aussi ses opérations militaires avec la Central
Intelligence Agency (CIA), comme pour le lancement du drone Predator contre des cibles terroristes suspectes.
Dans ce cadre, un dirigeant présumé d’Al-Qaida et quatre autres individus furent tués dans leur voiture, en
novembre 1991, par un missile tiré depuis un drone.
Situé à l’entrée de la mer Rouge et séparé de la péninsule Arabique par le détroit de Bab el-Mandeb, Djibouti est la
base géographique de la CJTF-HOA. Comme en témoigne la visite du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, en
décembre 2002, le leadership de Djibouti est courtisé. Le pays peut se prévaloir d’héberger la seule base militaire
américaine officielle sur le continent et fait partie des trois pays africains désignés par Washington comme des «
États de ligne de front dans la guerre contre le terrorisme ».
Question dixième
Article
L’irruption de l’euro sur la scène internationale au 1er janvier 1999 a été considérée comme marquant l’ouverture
d’une ère nouvelle dans l’organisation des rapports monétaires et financiers internationaux, conformément aux
attentes du rapport Emerson ([1991] p. 194) qui estimait que « l’UEM pourrait, enfin, constituer un facteur
déterminant de l’instauration d’un régime monétaire multipolaire plus stable ». Monnaie de facturation et de
règlement, monnaie d’endettement et de réserve à part entière, l’euro a toutefois perdu jusqu’à 30 % de sa valeur
face au dollar depuis son lancement. Les causes immédiates susceptibles d’être invoquées quant à ce qui pourrait
ressembler à un effondrement de la monnaie unique européenne ne manquent pas. Mais, au-delà des inquiétudes
du moment, et compte tenu de l’équivalence des poids économiques des deux grandes zones émettrices, depuis
plus d’un demi-siècle pour l’une et nouvelle-ment pour l’autre, la question de la coexistence de deux centres
d’émission de liquidité internationale mérite pour le moins d’être reconsidérée d’un point de vue théorique.
L’enjeu de l’internationalisation monétaire est de taille. C’est la question de l’avènement et de la pérennité d’un
degré non négligeable de décentralisation monétaire et financière internationale, donc de coopération entre
émetteurs, qui est en cause. De fait, la croissance de la demande d’euro comme monnaie internationale ne peut
s’inscrire que dans la durée. Durant la phase de transition vers un « âge d’or » théorique du système bipolaire,
l’émission d’euros expose à un risque de déséquilibre entre les structures d’offre et de demande des deux
monnaies internationales, un risque qui se concrétise, en l’absence d’interventions des Banques centrales, par la
dépréciation du change de la monnaie « surabondante ». Mais le problème est en effet beaucoup moins d’analyser
les raisons qui font que l’euro est pour le moment faible face au dollar que de déterminer dans quelle mesure la
montée en puissance d’une seconde monnaie de réserve internationale est possible ainsi que d’analyser les
stratégies publiques qui peuvent faire en sorte que cet avènement puisse être durable.
L’étude qui suit vise à offrir quelques pistes de réflexion. Elle s’interroge notamment sur les formes de régulation de
la liquidité internationale en présence de deux zones émettrices, et ce eu égard à la reconnaissance mutuelle – ou
non – de la qualité de « bien collectif » constitué par cette liquidité globale, ce qui met directement en cause la
gestion du prix relatif de ses deux composantes (Bourguinat [1998]). Il apparaît que la forme et la répartition de la
charge de l’ajustement, en cas de déséquilibre excessif de paiements de la part de l’un des émetteurs, ne sont a
priori jamais neutres en termes de réglage de la liquidité globale. Enfin, partant d’une situation d’inégalité initiale
des deux émetteurs, l’étude montre le rôle central de l’articulation entre leurs stratégies en cas de déséquilibres
excessifs de paiements.
Afin de caractériser plus strictement l’internationalisation d’une monnaie, il convient de dépasser une définition
reposant sur son simple usage dans les transactions internationales, condition satisfaite au moins partiellement par
toute devise convertible. La spécificité d’une monnaie internationale, au sens strict retenu ici, réside dans son
utilisation par des non-résidents dans le cadre d’opérations sans liens directs avec l’économie du pays émetteur. En
se référant, d’un côté, à un pays émetteur et, de l’autre, à des utilisateurs non résidents, cette définition exclut
implicitement toute forme de monnaie émise directement par une autorité supranationale étendant son influence
sur toute l’économie mondiale ou par quelque mécanisme exogène aux décisions monétaires d’autorités nationales
ou régionales. De même, le fait qu’une même monnaie soit utilisée par les résidents de plusieurs pays au sein
d’une union monétaire ne suffit pas à en faire une monnaie internationale au sens donné ici. La monnaie, nationale
ou régionale dans son émission première, n’accède au statut international qu’à partir du moment où elle est
utilisée en dehors de sa zone d’émission.
Avant d’aller plus loin, il convient de souligner deux conséquences importantes de la définition retenue pour
qualifier l’internationalisation d’une monnaie. La première conséquence est que cette internationalisation ne se
décrète pas. Sa réalisation dépend de la volonté des non-résidents d’utiliser la monnaie en question. Ce fait suffit
sans doute à expliquer que, le plus souvent, les analyses sur les conditions d’émergence d’une monnaie
internationale se concentrent sur les déterminants de sa demande (voir, par exemple, Benassy, Italianer et Pisani-
Ferry [1993], McCauley [1997], Artus [1997a]). Dans cette optique, on a coutume de souligner qu’une monnaie
internationale doit remplir les trois fonctions d’unité de compte, de moyens de paiement et de réserve de valeur.
Ces fonctions peuvent s’entendre à la fois dans une utilisation privée et dans une utilisation publique. La seconde
conséquence invite à considérer le côté offre de l’analyse. L’internationalisation d’une monnaie exige que celle-ci
sorte de la zone économique, pays ou union monétaire, qui l’a émise. Pour qu’une monnaie devienne monnaie
internationale, il faut que la zone émettrice contracte un engagement monétaire envers le reste du monde. Par
définition, la somme des offres nettes d’actifs réels, financiers et monétaires d’un pays doit être nulle. La zone
émettrice doit réaliser une offre nette positive d’actifs monétaires. Dans cette optique, l’alimentation en liquidité
internationale dépend du solde de ce qu’il est convenu d’appeler la balance globale des paiements. A priori, celui-ci
doit être déficitaire. La question de l’origine de ce déficit, de sa répartition entre solde des opérations courantes et
solde des opérations financières est, en première analyse, secondaire. En revanche, dans un régime bipolaire, la
question de la gestion des déficits globaux des deux zones émettrices devient centrale.
Les groupes d’entreprises, plus encore que les entreprises, représentent le pouvoir économique par excellence.
Avec le développement de l’ingénierie financière, l’internationalisation des activités et la concentration des
capitaux, ils forment des ensembles dont la taille en termes d’emplois et le poids en termes économiques peuvent
atteindre des valeurs considérables. Les plus grands d’entre eux affichent un chiffre d’affaires qui dépasse le PIB de
nombreux pays. Leur puissance économique leur confère, de par leur nature, un certain pouvoir dans leur propre
sphère (en ce qui concerne par exemple la fixation des prix, la position de force dans leurs relations avec les
fournisseurs…), mais aussi, par leur objet, dans la sphère politique. C’est précisément cette capacité d’influence qui
a poussé le CRISP, dès sa création en 1958, à étudier les groupes d’entreprises en tant qu’acteur important de la
décision politique. De nombreuses publications (Courriers hebdomadaires, livres et Dossiers) ont dès lors porté sur
ce sujet. Le présent Dossier n’a d’ailleurs été possible que grâce à l’acquis accumulé par le CRISP depuis plus de 50
ans. Il constitue à l’évidence une synthèse importante des travaux réalisés jusqu’ici.
Parmi les aspects renouvelés par rapport aux travaux antérieurs figure l’analyse, dans le présent Dossier, des modes
d’intervention des autorités publiques dans la sphère économique. Quel que soit leur niveau, les pouvoirs publics
détiennent en effet dans leurs moyens d’action la capacité d’exercer une forme de pouvoir économique. Par les
capacités de régulation et d’encadrement des activités économiques qui leur sont propres, et également par leur
force productrice, les pouvoirs publics représentent pour le monde des affaires aussi bien un élément structurel
qu’un acteur incontournable.
Si les entreprises, surtout, et le pouvoir politique, dans une moindre mesure, sont incontestablement les principaux
détenteurs du pouvoir économique, ce Dossier évoque également, dans un rôle secondaire mais pas pour autant
négligeable, d’autres acteurs susceptibles de peser, avec des effets variables, sur la décision des détenteurs du
pouvoir économique. Il s’agit par exemple des syndicats, des associations de consommateurs, des médias ou des
organisations militantes internationales, qui sont, à proprement parler, moins des pouvoirs que des contre-pouvoirs
économiques. Ceux-ci constituent en effet des forces sociales dotées de la capacité de limiter et d’orienter
certaines actions des pouvoirs économiques que l’on qualifiera de primaires pour les rapprocher de leurs propres
intérêts ou des valeurs qu’ils défendent.
Signalons que les observations formulées dans ce Dossier se limitent à un cadre précis, celui de la Belgique à
l’époque actuelle. Dans certains cas toutefois, les constats ici formulés s’étendent plus largement aux sociétés
occidentales et contemporaines.
Nous tenons à remercier ici Étienne Arcq, qui a contribué à la rédaction de ce Dossier et a enrichi le texte par ses
remarques et son travail attentif de relecture.
Depuis les années 1950, le thème du pouvoir a donné lieu, dans la littérature sociologique, politologique, voire
philosophique, à de nombreux débats dans lesquels s’affrontent différentes approches sur sa conception même. Le
sociologue François Chazel rassemble bien les termes du débat qui entoure cette notion : « Le pouvoir est ainsi
conçu comme un exercice ou une capacité, il est envisagé (…) comme substance ou comme relation, il est abordé à
partir des acteurs ou au contraire à partir du système, dont il constituerait, dans cette dernière perspective, une
propriété. » [1]
Dans son sens le plus général, le pouvoir désigne la faculté de faire quelque chose. Il est ici fait référence à la
faculté d’agir propre à l’être humain. Cette définition emprunte largement le sens donné au verbe pouvoir, comme
lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il peut faire quelque chose. Qu’il en ait la capacité ou l’autorisation, le pouvoir est
toujours lié à l’action.
Le philosophe Bertrand Russell [2] propose de caractériser le pouvoir par « la production d’effets recherchés ». En
ce sens, il met l’accent sur l’aptitude à produire des résultats escomptés, et donc notamment sur le caractère
volontaire et conscient dans l’exercice du pouvoir.
Qu’est-ce que le pouvoir économique ?
À l’instar de la notion de pouvoir, la notion de pouvoir économique est assez équivoque. Partant du raisonnement
proposé par Raymond Aron [3], qualifier un pouvoir d’« économique » nécessite qu’on élucide au préalable le sens
de cet adjectif. Le qualificatif « économique » peut en effet désigner soit le fondement, soit l’objet du pouvoir. Est
économique le pouvoir dont disposent certains individus ou groupes d’individus en raison de leur situation
économique (propriété, fortune, fonction…). Mais est économique également le pouvoir qui a pour objet
d’influencer, d’encadrer, de limiter ou de contrôler le jeu des acteurs économiques.
Le pouvoir économique en tant que fondement
En tant que fondement, le pouvoir économique est de nature substantielle. Il repose essentiellement sur la
propriété et sur les ressources que son propriétaire (individu ou groupe d’individus) ou son représentant peut
mobiliser (ou démobiliser) pour produire, dans des conditions légales données, des biens et des services
échangeables sur un marché en vue d’obtenir un profit. Nous faisons ici explicitement référence aux entreprises et
aux actionnaires qui les détiennent. Le pouvoir économique ne trouve son fondement ni dans la légitimité
politique, ni dans une prérogative de droit, contrairement au pouvoir politique [4] : c’est un pouvoir de « pur fait ».
L’ampleur des ressources mobilisées ou mobilisables détermine l’étendue et la capacité de contrainte du pouvoir
économique. Ces ressources peuvent être de nature fort différente : financières (capital, investissement…),
matérielles, technologiques, humaines… Pour Jean Lhomme [5], il conviendrait d’ajouter à la liste un ensemble
d’éléments immatériels tels que la conscience de ce pouvoir ou la conscience de la cohésion entre les intérêts d’un
groupement. C’est en effet la conscience d’une certaine force qui est à la base de l’emploi des facteurs matériels en
vue des fins déterminées. D’autres éléments immatériels peuvent éventuellement renforcer le pouvoir économique
: la renommée, l’expérience, l’information, les relations…
Dans le domaine économique, les relations prennent souvent la forme d’un échange et la relation de pouvoir est
parfois occultée en raison du principe même d’une transaction apparemment équilibrée. Pourtant, la mobilisation
de ressources au sens large du terme procure à son détenteur la capacité d’imposer ou de faire prévaloir une
volonté aux acteurs susceptibles d’être affectés par les effets d’un usage alternatif de ces ressources. Autrement
dit, ces acteurs pourraient pâtir du choix du détenteur de ce pouvoir d’agir autrement s’ils ne se comportent pas
comme il l’attend ou à ses conditions. Le contrat de travail associant un salarié, obligé de travailler, à un employeur,
ayant la possibilité de choisir entre plusieurs postulants, illustre bien cette relation de pouvoir asymétrique. On
trouve par ailleurs la même asymétrie dans les relations que les entreprises entretiennent avec les fournisseurs, les
sous-traitants ou les consommateurs.
Les relations entre les entreprises et les États sont également peu équilibrées. Dans une économie ouverte et
mondialisée, où les frontières sont devenues poreuses et où les entreprises peuvent délocaliser à tout moment, ces
dernières se comportent à l’égard des États comme à l’égard de fournisseurs. Si elles sont de grande taille,
susceptibles de générer de nombreux emplois, de bénéficier à l’image de marque du pays, de garantir des
retombées indirectes, etc., elles parviennent à mettre les États en concurrence entre eux pour obtenir les
meilleures conditions d’exploitation et d’exercice de leurs activités (fiscalité, équipements high-tech, terrains
industriels ou surfaces commerciales, main-d’œuvre qualifiée spécifique et/ou bon marché, infrastructures et
réseaux de communication…). Aujourd’hui plus que jamais, alors que de nombreux pays font face à un chômage de
masse, à une croissance en berne et/ou à une expansion démographique, chaque État, voire chaque région,
redoute d’être supplanté par d’autres dans sa capacité à générer des emplois, de la richesse et plus largement de la
croissance économique.
La production marchande de l’État sous forme de prise de participation dans le capital de certaines entreprises, le
plus souvent guidée par le souci de l’intérêt général, revêt un caractère stratégique ou historique. Cette forme de
production fait de l’État un acteur économique à part entière dont le fondement est, au même titre que les
entreprises, économique. À la différence des entreprises privées, l’État peut poursuivre des objectifs qui dépassent
les logiques purement économiques. Ces objectifs sont propres aux missions qu’il se donne sciemment et peuvent
parfois paraître contradictoires. Cette contradiction apparaît par exemple de manière très caractéristique dans le
cas des entreprises publiques. En tant qu’actionnaire, l’État veille à la bonne santé financière de l’entreprise qu’il
possède, mais en tant que garant de l’intérêt collectif, il veille également à la bonne exécution des missions de
services publics (activités la plupart du temps déficitaires).
Les fonctions de redistribution, de réglementation et de régulation se traduisent par une intervention de nature
politique de l’État dans la sphère économique. Les principaux instruments à la disposition des États pour assurer
ses fonctions de redistribution sont les politiques fiscale et budgétaire. Concrètement, elles visent à corriger la
répartition spontanée des revenus et des richesses au sein de la société. Les choix politiques effectués dans ce
cadre s’imposent aux acteurs économiques privés qui, en retour, selon la capacité dont ils disposent pour imposer
leur volonté, tenteront d’infléchir les décisions politiques en vue d’en tirer les plus grands bénéfices (réduction du
taux d’imposition, subsides, incitants…). Ces instruments permettent tantôt aux États de faciliter, voire
d’encourager l’activité économique, tantôt d’atténuer les effets indésirables liés à cette activité (taxes dissuasives
en vue de limiter les effets sur la santé ou l’environnement) avec des succès divers.
La réglementation fixe les règles et les obligations que les entreprises sont tenues de respecter. Elle trace le cadre
dans lequel les activités économiques peuvent se développer et en donne les limites. Elle détermine les normes
auxquelles sont soumis les biens et les services. Parmi ces règles, certaines visent explicitement à limiter, avec des
effets variables, la portée du pouvoir économique. Il s’agit pour l’essentiel des règles de transparence et de bonne
gouvernance dans la gestion des affaires et de la politique de concurrence qui examine et sanctionne le cas échéant
les cas de concentration économique et les pratiques restrictives de concurrence (ententes, abus de position
dominante…). Ces règles ayant un impact potentiel considérable sur le fonctionnement des entreprises et sur la
définition des marchés sur lesquels celles-ci sont actives, les acteurs économiques concernés tentent par divers
moyens de faire entendre leur voix auprès du législateur. De ce fait, l’élaboration des réglementations est rarement
le fruit d’un travail indépendant et autonome des pouvoirs publics. Bien souvent au cours de cet exercice, ceux-ci
rencontrent des résistances de la part du monde économique. Selon les matières et leur complexité, les pouvoirs
publics font d’ailleurs appel, et de plus en plus souvent de manière institutionnalisée, à l’expertise de
professionnels du secteur.
Si l’intervention des autorités publiques dans la sphère économique touche aujourd’hui à de nombreux aspects du
fonctionnement des entreprises, la perception que l’on peut en avoir est probablement diluée par la diversité des
champs d’action de l’État et la complexité des structures gouvernementales (différents niveaux de pouvoir,
nombreuses institutions…). Il n’est donc pas étonnant que l’étude de l’intervention publique dans l’économie
demande, dans la suite de ce Dossier, des développements plus longs que ceux nécessaires pour rendre compte du
pouvoir économique des groupes d’entreprises.
Cette partie vise à identifier les acteurs du pouvoir économique et les modalités d’exercice de ce pouvoir, leurs
instruments (ou leurs moyens), leur processus décisionnel, leur fonctionnement… Les acteurs du pouvoir
économique entretiennent des rapports à la fois entre eux, dans leur propre sphère, et à l’extérieur de celle-ci, avec
les acteurs des autres sphères de pouvoir. Ces rapports peuvent être concurrentiels ou au contraire se traduire par
une entente ou encore par une forme de dépendance.
L’entreprise ou les entreprises qui se structurent en groupe peuvent appartenir à un individu, à des membres d’une
même famille, à des associés. Un groupe d’entreprises peut aussi être créé à partir de la mise en commun d’actifs
par des groupes existants, qui souhaitent accéder à une dimension plus importante et acquérir ainsi une part plus
grande d’un marché régional, national, continental ou du marché mondial.
L’évolution des groupes d’entreprises peut être marquée par des événements touchant la vie de ses dirigeants, par
l’évolution des relations (alliances et conflits) entre personnes, familles ou groupes associés. Elle ne se situe pas
toujours dans une perspective de parfaite rationalité : en effet, le grand nombre d’opérations de fusions et
acquisitions observé ces dernières décennies (notamment par offres publiques d’acquisition) se solde pour la
majorité d’entre elles par un appauvrissement des actionnaires.
La structuration d’entreprises en groupes s’est généralisée, même dans le cas d’entreprises de dimension modeste,
avec le recours à des sociétés de conseils fiscaux et à des partenaires bancaires. Cette structuration facilite le
recours à des capitaux extérieurs autres que le financement bancaire (« capital à risque »), dans des conditions
moins onéreuses. Les fonds investis peuvent en effet être moindres grâce à la mise en place de cascades de
participations, la limite de telles constructions résidant dans la perte éventuelle de contrôle sur l’ensemble. La
constitution de sociétés distinctes peut faire intervenir des associés différents, permettre aux différentes entités
d’être insérées dans des secteurs ou des contextes locaux différents, de constituer des « unités de profit » assorties
d’objectifs de rentabilité donnés, et permettre de relever, dans certaines limites, de commissions paritaires
différentes, aux conventions collectives de travail moins contraignantes, voire à éviter de devoir mettre en place
des délégations syndicales (obligatoires en général à partir de 50 travailleurs). Elle peut enfin avoir des motivations
fiscales et viser à l’établissement de flux financiers avantageux entre différentes sociétés du même groupe.
Ainsi, le recours à des sociétés localisées dans des paradis fiscaux s’est également généralisé. Dans ce contexte, de
nouvelles obligations ont été mises en place au niveau de l’Union européenne (mise en œuvre de la directive du 26
juin 2013 relative aux états financiers annuels et consolidés, qui doit être transposée en droit national d’ici 2015,
vote par le Parlement européen en mai 2013 d’une révision de la directive européenne sur la transparence), qui
pourraient, selon la Commission, constituer une étape vers l’obligation de suivre des règles de publication
d’informations pays par pays en matière fiscale pour les grandes entreprises et groupes non financiers, sur le
modèle des mesures adoptées dans le domaine bancaire dans le cadre des accords de Bâle III, ou au niveau de
l’OCDE. Il est, toutefois, permis de douter de l’efficacité réelle de telles mesures, la mobilisation contre la fraude
fiscale proclamée de part et d’autre de l’Atlantique ayant pour effet de déplacer les flux d’argent illicites,
notamment vers l’Asie ou certaines destinations de l’océan Indien ou des Caraïbes, telles que les Seychelles ou les
îles Vierges.
Une évolution importante est observable ces dernières décennies : les activités financières et économiques sont
fortement valorisées et l’information à leur propos est largement diffusée par-delà les frontières. Cette tendance
est le produit à la fois de la stratégie de communication des groupes eux-mêmes, de la massification de
l’actionnariat, du développement de l’espace occupé par les informations économiques et financières dans la
presse généraliste, et du développement de la presse spécialisée dans ces domaines.
Dans le même temps, la discrétion reste la règle pour les aspects essentiels de la stratégie des groupes : processus
de fabrication ou de parts de marché, stratégies de dumping social, mise en concurrence d’États pour obtenir les
meilleures conditions d’investissement, tractations autour des quotas de CO, exigence de disposer 2 de services
clés sur porte ou d’infrastructures sur mesure…
La publicité (relative à des aspects plus ou moins étendus de la vie du groupe) est le plus souvent liée au recours à
des capitaux extérieurs, les groupes, notamment familiaux, qui ne font pas d’appel public à l’épargne, cultivant
plutôt la discrétion.
Vis-à-vis de leur personnel occupé dans les différentes entités du groupe, l’appartenance de celles-ci au groupe sera
soit affichée (logo, marque, gestion uniformisée) soit laissée à l’arrière-plan.
Enfin, d’un point de vue légal, une information minimale du public relative à l’actionnariat des entreprises s’est
imposée progressivement, du moins en ce qui concerne les sociétés cotées en bourse, notamment dans le cadre de
la « loi sur la transparence » du 2 mars 1989, de l’arrêté royal du 30 janvier 2001 et de la loi du 2 août 2002 relative
à la surveillance du secteur financier et aux services financiers. Dans ce dernier arrêté royal, le contrôle d’une
entreprise est défini comme le pouvoir de droit ou de fait d’exercer une influence décisive sur la désignation de la
majorité des administrateurs ou gérants de celle-ci ou sur l’orientation de sa gestion. D’autres définitions du groupe
d’entreprises figurent dans les directives européennes, transposées en droit belge, relatives à la constitution d’un
comité européen ou d’une procédure pour l’information et la consultation des travailleurs dans les entreprises et
groupes d’entreprises de dimension communautaire, et notamment la directive 2006/43/CE du Parlement
européen et du Conseil du 17 mai 2006 concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes
consolidés. La directive européenne 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux
états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes
d’entreprises, modifiant la directive 2006/43/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant les directives
78/660/CEE et 83/349/CEE du Conseil doit encore être transposée dans le droit belge.
Dans d’autres domaines, toutefois, comme la responsabilité des groupes à l’égard de tiers (actionnaires, créanciers,
travailleurs), l’existence des groupes reste une notion de fait, le droit ne connaissant que les sociétés qui les
composent et les mandataires de celles-ci. Cet état de fait permet aux groupes d’échapper, dans une large mesure,
à toutes les tentatives de régulation des pouvoirs publics.
L’existence d’une situation de contrôle sur une entreprise est explicitée en droit belge par la loi du 17 juillet 1975
relative à la comptabilité et aux comptes annuels des entreprises, ainsi que, dans l’arrêté d’application du 8 octobre
1976, en référence à la législation européenne en la matière.
Dans la plupart des cas, le centre de décision du groupe coïncide avec la société de tête du groupe, généralement
une société à portefeuille, qui a une double fonction : celle de centre de pouvoir et celle de centre de profit.
La société de tête détient des participations dans le capital d’autres sociétés, et celles-ci peuvent à leur tour détenir
des titres d’autres sociétés. À ces titres est attaché un pouvoir de vote aux assemblées générales d’actionnaires des
sociétés.
L’arrêté royal du 6 mars 1990 étend la notion de société de tête de groupe à plusieurs sociétés en définissant le
consortium, comprenant une ou plusieurs sociétés de droit belge ou étranger, entre lesquelles il n’existe pas de lien
de filiation, mais placées sous une direction unique, par exemple en raison de contrats conclus entre celles-ci ou de
clauses statutaires, ou lorsque leurs organes d’administration sont composés en majorité des mêmes personnes.
Le droit comptable distingue différents degrés d’appartenance d’une entreprise à un groupe, qui se traduisent par
le mode de comptabilisation par chaque entreprise des titres qu’elle détient dans d’autres entreprises, et qu’elle
enregistre à l’actif de son bilan, sous la rubrique « Immobilisations financières ». Cette rubrique est subdivisée en
trois postes : les entreprises liées, les entreprises avec lesquelles il existe un lien de participation et les autres
immobilisations financières.
Dans le cas d’un contrôle majoritaire sur une entreprise (plus de 50 % du capital et/ou plus de 50 % du pouvoir de
vote), l’entreprise contrôlée est dite liée au groupe. Dans ce cas, l’influence du groupe auquel elle appartient
s’exercera toujours en dernier recours, même si l’organisation interne du groupe, la nature des activités exercées, la
rentabilité financière des différentes entreprises liées (ou filiales) peut se traduire par une plus ou moins grande
autonomie de gestion. En détenant plus de 50 % des droits de vote à l’assemblée générale des actionnaires, le
groupe possède un pouvoir ultime sur les décisions importantes de l’entreprise telles que le choix des membres du
conseil d’administration, la rentabilité attendue de l’entreprise, l’utilisation des bénéfices, le montant des
dividendes distribués, les fusions et acquisitions, les nouvelles émissions d’actions, la modification des statuts de la
société…
Les filiales communes détenues à égalité par deux groupes qui se partagent 50 % chacun du capital sont
généralement gérées par l’un d’entre eux, qui exerce dans ce cas, la plupart du temps, une influence relativement
constante.
L’influence exercée par un groupe sur une entreprise avec laquelle il existe un lien de participation (moins de 50 %
du capital, mais au moins 10 %) est plus faible. Elle dépend du pourcentage de participation et de la structure du
reste de l’actionnariat. Dans ce cas, l’influence potentielle exercée par le groupe auquel elle est affiliée se limite
généralement à une possibilité de blocage de décisions. Toutefois, en présence d’un actionnaire majoritaire, cette
influence peut être plus importante, comme dans le cas de rapports de force engendrés par des besoins en
capitaux que le groupe minoritaire peut être en mesure de fournir à l’actionnaire majoritaire. Inversement, en
l’absence d’un actionnaire majoritaire, l’influence exercée par le groupe sur sa société affiliée peut éventuellement
être mise en péril par une coalition d’intérêts minoritaires dispersés.
Les participations qui représentent moins de 10 % du capital sont classées sous la rubrique « autres
immobilisations financières » et constituent la périphérie du groupe. L’influence potentielle exercée par un groupe
sur sa périphérie est généralement négligeable ou nulle. À l’inverse, un groupe peut être très dépendant à l’égard
de rentrées financières que peut lui procurer une société importante dans laquelle il détient un intérêt minoritaire.
En outre, il convient de rappeler que c’est au niveau de la société de tête que se décide en dernière analyse la
répartition éventuelle des bénéfices, même si les cascades de participations financières se traduisent par des
niveaux intermédiaires de participation au pouvoir et de perception des bénéfices.
Enfin, certaines situations de marché peuvent rendre très dépendante à l’égard d’un groupe une entreprise avec
laquelle ce groupe n’entretient pas de liaison financière ou de personnes. Tel est ainsi le cas d’un sous-traitant qui
n’a qu’un seul donneur d’ordre, dans la mesure où ce dernier change de stratégie, ou d’un franchisé, par exemple
dans la distribution ou la restauration. Cette dépendance peut se traduire, par exemple, par des pressions sur les
prix, et donc les salaires et les conditions de travail du personnel, sans que le groupe donneur d’ordre n’assume
aucun risque dans la gestion.
Enfin, on signalera que la présence de certaines personnes au sein du conseil d’administration ou du comité de
direction d’entreprises peut déboucher dans certains cas sur des délits d’initiés, qui se traduisent par une
appropriation illégale de bénéfices liée à une connaissance d’opérations non encore annoncées, au détriment des
autres actionnaires de la société.
Le rôle que leur assignent les groupes d’entreprises est notamment de faire connaître aux pouvoirs politiques et à
l’opinion publique des positions des entreprises sur des sujets qui les concernent.
Les groupes d’entreprises ne sont pas des lobbys (ou groupes de pression). À partir d’une certaine dimension, par
leur simple capacité d’investissement et de désinvestissement, ils ont un accès direct aux ministres, commissaires
européens ou décideurs de toute nature. Mais ils peuvent être partie prenante dans la constitution de groupes de
pression, comme par exemple le groupe Altria (et sa branche Philip Morris) au sein de celui du tabac. Les groupes
d’entreprises y agissent plus ou moins directement, comme en témoignent les efforts déployés par Altria en
direction des élus européens en vue de modifier le contenu (notamment relativement à la cigarette électronique)
de la directive européenne sur les produits du tabac. Celle-ci a été adoptée dans ses grandes lignes par le
Parlement européen en octobre 2013, mais avec certains amendements retardant sa mise en œuvre, obtenus par
l’industrie du tabac. Ce cas constitue un exemple, parmi d’autres, d’interférence des groupes dans les processus de
décision politique.
La globalisation des marchés financiers incite alors les banques et les investisseurs institutionnels à développer des
stratégies globales menant au gonflement des opérations hors bilan et à la création de « départements
personnalisés » et de filiales de services divers, permettant aux groupes financiers et autres de jouer sur toute la
gamme des opportunités, y compris fiscales. Ce monde financier nouveau va peser de tout son poids sur
l’économie réelle et sur les grands groupes industriels et de services. Outre la maximisation du profit, les
entreprises se voient de plus en plus forcées de créer un maximum de valeur pour les actionnaires. De la sorte, la
pression sur les coûts s’intensifie, modifiant l’organisation et la gestion des entreprises, le fonctionnement du
marché du travail, et l’économie dans son ensemble.
La crise économique et financière de 2008 est une conséquence directe des ces bouleversements, sans que ces
derniers en soient la seule explication. Elle a mis en évidence l’interconnexion entre les groupes du secteur
bancaire et financier, la dépendance de tous les acteurs économiques (ménages, entreprises et États) à leur égard
et le poids des grands groupes du secteur dans l’économie.
Dans ce contexte, les pouvoirs publics se voient contraints d’aider un secteur « systémique », sans réelle possibilité
de contrôle ni d’orientation de ses activités. De peur de voir la situation se dégrader davantage et devant
l’incapacité de dégager un consensus leur permettant d’agir de façon univoque, les responsables politiques
infléchissent leurs décisions en faisant droit à des revendications issues du secteur bancaire et financier. C’est
particulièrement le cas en Belgique ou au niveau européen.
Si certains acteurs tirent profit de la crise ou parviennent à en minimiser les conséquences pour eux-mêmes, la
plupart des petites entreprises, notamment parce qu’elles dépendent des grands groupes, voient leurs activités
fragilisées, voire compromises. Les groupes d’entreprises, quant à eux, s’appuient sur le discours ambiant pour
procéder à des restructurations importantes, avec des conséquences économiques et sociales considérables.