Dissertation

Lignes de Faille de Nancy Huston

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En 1880 Emile Zola explicitant le courant naturaliste écrivait dans Le

Roman expérimental : « Sans me risquer à formuler des lois, j’estime que
la question d’hérédité a une grande importance dans les manifestations
intellectuelles et passionnelles de l’homme ». En quoi le roman de Nancy
Huston Lignes de faille publié en 2006 soit plus d’un siècle après celui
d’Emile Zola se rapproche ou s’éloigne de ce courant littéraire ? Nous
montrerons d’abord l’importance de l’héritage familial dans ce roman qui
porte sur quatre générations d’une même famille, nous démonteront
ensuite que les protagonistes de ce roman ne sont pas uniquement
déterminés par l’hérédité et sont en réalité des êtres complexes.

Dans Lignes de faille chaque personnage principal du roman est le

descendant du personnage suivant, cet agencement particulier des
chapitres qui adopte une structure chronologique inverse pousse le
lecteur à s’interroger sur les origines, les secrets et les troubles qui
affectent cette famille. Le personnage de sol fait office d’entrée en
matière, cet enfant instable psychologiquement malgré la présence
quotidienne de ses parents pousse le lecteur à se demander si le passé
familial n’est pas en cause et quels troubles ou secrets en sont hérités. On
entrevoie lors de l’histoire de Randall que cette haine que voue Sol aux
Irakiens résulte du chagrin causé par Nouzha, cette dernière refusant de
revoir Randall après les conséquences tragiques de la guerre du Liban.
Le personnage de Sadie, enfant élevée sans amour par ses grands-parents
adoptifs voue une admiration inconditionnelle à sa mère pourtant
absente. elle se forgera une carapace une fois adulte pour cacher son
extrême sensibilité. En cela l’hérédité forge le caractère des individus.
Sadie même si elle souhaiterai être une mère présente à l’opposé de sa
propre mère ne peut se soustraire à l’influence du passé familial qui la
pousse à abandonner régulièrement sa famille pour mener des recherches
sur ses origines. En cela l’hérédité conditionne les actions des
personnages. Malgré des traits de caractères opposé les différents
personnages partages quelque chose de bien plus fort et de hautement
symbolique : les grains de beauté.

Si ils sont le symbole d’une lignée les grains de beauté n’ont pas la même
signification pour chacun des personnages du roman. Si Randall qui
nomme le sien « Atalef » le perçoit comme un conseillé bienveillant, Sol
quant à lui entretien un sentiment négatif à l’égard du sien situé sur son
visage. Il est pleinement d’accord avec la décision de Tess sa mère de se
faire opérer. Toutefois il n’est pas simple de se défaire des traces du
passé et les complications de l’opération sont dramatiques, les suites
opératoires sont lourdes, Sol doit subir une greffe de peau et garde une
cicatrice importante sur la tempe. Sadie considère le sien comme
l’« Ennemi » elle tient secrète son existence en raison du sentiment de
honte quelle éprouve, elle considère cette tâche ressemble à de la saleté.
Alors qu’elle est encore enfant elle lui attribue tous ses malheurs,
l’abandon par son père Mortimer, l’absence de sa mère et la rigueur de
son éducation prodiguée par ses grands-parents. Kristina/Erra quant à elle
est fortement attachée au sien, cet attachement remonte à son enfance
avec Janek, son grain de beauté lui donne confiance en elle et joue un
rôle important dans sa vie à un moment précis. Il permet à Mlle Mulyk de
reconnaître Kristina, enfant d’origine Ukrainienne enlevée à sa famille
pour y être élevée en Allemagne. La présence des grains de beauté exerce
ainsi un rôle prépondérant sur la psychologie des personnages, grains de
beautés qui sont eux même un héritage familial. Les personnages sont
ainsi conscients de l’influence que le passé familial exerce sur eux
comme nous le montre Sol cherchant à expliquer le sens du mot
congénital au lecteur. Malgré l’influence de l’héritage familial sur les
individus ceux-ci ne sont pas simplement le produit de la génération
précédente, en effet chacun des personnages à sa volonté propre et lutte
pour prendre en main son destin.

Les personnages du roman sont des êtres complexes et non pas de

simples produits des générations précédentes. Au déterminisme s’oppose
ainsi le libre arbitre des personnages, l’exemple de Kristina est assez
parlant, enfant enlevée très jeune à sa famille biologique puis adoptée par
la suite ; elle grandit dans une Allemagne tourmentée par la Seconde
Guerre Mondiale. Elle lutte de toutes ses forces pour se préserver dans ce
monde hostile, quand sa sœur adoptive Greta lui apprend ses origines le
personnage de Kristina est effondrée, son affinité avec son frère adoptif
Janek lui-même enfant déraciné d’origine polonaise l’aide à surmonter sa
tristesse. Il résulte que dans une pareille situation Kristina aurait dû
devenir une adulte perturbée et malheureuse, or il n’en est rien. Kristina
sait s’affranchir de son passé douloureux et devenir par la suite une
adulte tout à fait équilibrée, son don d’artiste l’érige d’autant plus en
exemple pour le reste de la famille et montre bien qu’il est possible de
rompre avec le destin. L’origine de ce don soulève d’ailleurs des
interrogations pour elle-même comme pour le lecteur, sa voix lui vient-
elle de ses parents Ukrainiens ou est-ce un don tout à fait personnel ? La
réponse ne sera jamais apportée dans le roman, Kristina ne retrouvant pas
sa famille pour des raisons politiques. Après la défaite de l’Allemagne
Mlle Mulyk qui agit pour les américains ne souhaitant pas envoyée la
jeune Kristina dans un pays aux mains des Soviétiques. Il apparaît alors
que dans Lignes de faille le thème des transmissions entre les générations
est omniprésent.

La question des transmissions entre les générations est abordée dans ce

roman de manière symbolique. Le lecteur est amené à travers les
chapitres à rencontrer deux objets : la poupée et l’ours mécanique. La
poupée de Greta la sœur d’Erra est le premier objet, sujet de discorde
entre les deux sœurs adoptives dès la fin du premier chapitre. Cet objet
nous montre comment des années après les événements un traumatisme
dû à l’enfance persiste. En effet Kristina apprend sa condition d’enfant
adoptée par Greta, elle le fait pour la faire souffrir après s’être aperçue
que Kristina jouait secrètement avec sa poupée. Par ailleurs Kristina
estime que cette poupée aurait dû lui être offerte plutôt qu’a sa sœur, au-
delà de ce simple conflit d’enfants à propos d’un jouet on nous montre
que la transmission dans certains cas se fait mal. En effet la poupée
promise par Greta « comme un souvenir de la famille » à Kristina le jour
de son départ ne lui sera jamais cédée, Greta la garde et lorsque Kristina
ouvre sa valise dans le centre d’accueil ou elle réside avec Janek elle s’en
aperçoit et s’en trouve profondément affectée. Ainsi la situation de la fin
du premier chapitre ou Greta et Erra se querelles comme des enfants pour
la poupée prend tout son sens, la blessure du passée est toujours aussi
vive qu’au premier jour. L’ours Marvin détenu par Randall symbolise
quant à lui les secrets de famille, il dit lui-même qu’il aime
particulièrement cet ours en raison de son aspect usé, il est donc
pleinement conscient du passé de cet ours. Cet ours est reçu par Kristina
comme cadeau de noël, elle n’aime pas ce jouet mais le conserve malgré
tout et le transmet ainsi à son petit-fils. Randall prétend détruire l’ours
pour le soulager de sa souffrance, mais en réalité il évacue ainsi une
partie de sa tristesse causée par l’accident de sa mère Sadie. Les chansons
et histoires drôles de famille sont également transmisses de génération en
génération et symbolises les côtés positifs du passé et les joies de la
famille.

L’hérédité n’est ainsi par le seul vecteur de construction des individus,

ceux-ci même si ils sont influencés par leur héritage familial ne sont pas
le simple produit des générations précédentes. Les règles strictes du
courant naturaliste qui enferment les personnages dans des règles
simplistes de cause à effet ne peuvent donc pas s’appliquer au roman de
Nancy Huston qui même si il souligne l’importance de l’hérédité et de
l’environnement social pour les individus est avant tout un roman de la
transmission et du libre arbitre. Libre arbitre que les personnages utilisent
pour se soustraire à leur destin tragique lorsqu’ils en ont la capacité. Les
personnages d’Erra et de Randall qui entretiennent un sentiment positif
avec leur grain de beauté illustrent bien ce libre arbitre alors que Sadie et
Sol qui n’acceptent pas cette marque symbolique de leurs origines
semblent malgré eux marqués par leur passé familial.