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CM.HLB.

Caravelle
n° 83, p. 11-42, Toulouse, 2004

Genndn Puig, Ricardo Vigon et


Henri Langlois,
pionniers de la Cinemateca de Cuba
PAR

Emmanuel VINCENOT
Université de Versailles St Quentin en Yvelines

Pour qui souhaite obtenir des informations au sujet de la


Cinémathèque de Cuba, le site Internet http://www.cubacine.cu, portail
officiel du cinéma cubain, propose la synthèse historique suivante :
La Cinemateca de Cuba naci6 bajo los auspicios del lnscituto Cubano de
Arte e lndustria Cinematografièos (ICAIC), y desde enconces se ha
mantenido como un archivo estable. Es miembro de la Federaci6n
lnternacional de Archivos de Filmes (FIAF) de [sùj 1961, y de la
Coordinadora Latinoamericana de Archivos de Imagenes en
Movimiento (CLAIM). Es la unica verdadera cinemateca en las islas
caribeiias y una de las que mayor patrimonio fllmico conserva en nucstra
:irea geografica.
Bien qu'elle soit claire, cette présentation n'en est pas moins erronée
et constitue un parfait exemple de cc que Juan Antonio Garda Borrero
appelle l'« icaicentrismo ». En effet, même si la Cinémathèque de Cuba
celle qu' on la connaît actuellement fut bien créée en 1961 à l'initiative
d'Alfredo Guevara et de I'ICAIC, cette création était en fait une
renaissance et s'inscrivait dans le prolongement de l'action de deux
pionniers oubliés : German Puig et Ricardo Vig6n. Comme nous allons
le voir, ces deux jeunes gens, unis par une amitié romantique et habités
par la fièvre de la cinéphilie, furent à la source de la floraison des cin é-
clubs avant la Révolution et fondèrent en 1951, avec l'aide décisive
d'Henri Langlois, la première Cinémathèque de Cuba.
12 CM.HL.B. Caravelle

Synthèse historiographique

Avant d'étudier concrètement dans quelles conditions German Puig


et Ricardo Vig6n travaillèrent avec Henri Langlois et comment les liens
qui unissaient ces trois hommes ont débouché sur un épisode méconnu
des relations franco-cubaines, il nous semble nécessaire de revenir sur la
façon dont les historiens du cinéma cubain et les différents témoins de
l'époque ont évoqué leur travail. La confusion la plus grande règne
autour cette question et seule la consultation des archives personnelles de
German Puig, qui vit aujourd'hui à Barcelone, nous a permis de prendre
toute la mesure des erreurs et des lacunes qui affectent les textes publiés
jusqu'à présent.
Une des positions les plus extrémistes a consisté à taire l'existence de
la première Cinémathèque de Cuba afin de faire vivre le mythe selon
lequel l'histoire du cinéma cubain avait débuté avec la création de
l'ICAIC en 1959. C'est ainsi qu'en 1963 la revue Cine Cubano ne
consacre pas une ligne aux efforts de German Puig et Ricardo Vig6n dans
l'article qu'elle consacre à l'institution dont Héctor Garda Mesa est alors
le directeur. Le texte débute de la manière suivante :
La Cinemateca de Cuba fue creada, como un departamento cultural del
ICAIC, a mediados de 1961, con el prop6sito de adquirir, conservar, y
en la mcdida de Io posible cxhibir, todo material intcrcsante al
conocimiento y estudio del cine (films, literatura, equipos, etc.), con
especiaJ atenci6n de cuanto se refiere al cine nacional. Ese mismo afio fue
admitida como «Miembro Provisional» de la Federaci6n Internacional de
los Archives de Films (FIAF), cuyo Secretario reside en Paris.!
Mario Roddguez Alemin n'évoque pas plus le travail de Puig et
Vig6n dans son article intitulé « Bosquejo hist6rico del cine cubano »2,
publié dans le même numéro. C'est le même silence que l'on constate
vingt ans plus tard chez José Antonio Gonzilez, auteur d'une synthèse
historique particulièrement dogmatique, « Apuntes para la historia de un
cine sin historia »3, qui insiste par contre sur l'importance de Nuestro
Ticmpo, société culturelle qui fut associée pendant un temps à la
Cinemateca de Cuba. L'historien rend également hommage à José
Manuel Valdés Rodriguez, professeur de l'Université de La Havane qui
développa les études cinématographiques dans son pays et organisa dès
1942 des cours d'été qui rencontrèrent un vif succès et permirent de
former toute une génération de cinéphiles, parmi lesquels Germân Puig
et Ricardo Vig6n.
Michael Chanan insiste lui aussi sur l'œuvre pionnière de Nuestro
Tiempo et de Valdés Rodrfguez, mais il évoque pour sa part l'existence

1 Cine Cubano, n° 23-24-25, p. 58.


2 Ibid. p. 25-34.
3 Cine Cubano, n° 104, p. 37-45.
PIONNIERS DE lA ONtMATHtQUE DE CUBA 13

d'une Cinémathèque à Cuba avant la Révolurion. Néanmoins, il le fait


avec tellement de discrétion et de manière si peu détaillée que le lecteur
ne peut s'en satisfaire. Voici ce qu'on peut lire dans son ouvrage The
Cuban Image, publié en 1985:
During the 50s, [Carlos] Franqui had been prominent in the aficionado
film movemenc. He belonged to a group chat included German Puig, the
future !CAIC cameraman Ram6n Suarez. and the writers Edmundo
Desnoes and Guillermo Cabrera Infante, which revived the Cinemateca ;
and he had made, together wich Puig, a short publicity film ( Carta de
una madre, 'Letter to a mother'). Puig and Desnoes made a short which
was produced and edited by Suarez.4
Le nom du groupe dont parle Chanan n'est pas précisé; le texte
mentionne la Cinémathèque comme si elle avait déjà été évoquée
précédemment, ce qui n'est pas le cas; le titre du court métrage réalisé
par Puig et Desnoes n'est pas cité (il s'agit de Sarna, 1952); quant à
Ricardo Vigon et Henri Langlois, leur action n'est pas mentionnée. Ce
passage soulève donc plus de questions qu'il n'apporte de réponses, et
laisse tout un pan de l'histoire du cinéma prérévolutionnaire dans le flou.
En 1981, !'Américaine Julianne Burton publie pour sa part un long
arcicle nercement plus riche en informations. Même si ces dernières sont
généralement fausses, le cexre qu'elle rédige pour l'ouvrage collectif dirigé
par Guy Hennebelle et Alfonso Gumucio-Dagr6n, Les cinémas de
l'Amérique latine, consacre un paragraphe à la Cinemateca de Cuba tout
en évoquant Nuestra Tiempo et José Manuel Valdés Rodrfguez. Julianne
Burton commence par affirmer que Valdés Rodrîguez a dirigé la
Cinémathèque, ce qui est erroné, puis ajoute :
La cinémathèque de Cuba était alors dirigée par Guillermo Cabrera
Infante, plus connu pour son roman Tres Tristes Tigres [ ... ]. La
« Cinemateca 1>, qui n'existait que depuis 1956, comptait aussi parmi ses
membres deux personnes qui joueront un rôle constructif dans la vie
culturelle post-révolurionnaire: !'écrivain Edmundo Desnoes et le
cinéaste Tomas GutiérrezAlea.5
Le nom de German Puig a disparu, celui de Ricardo Vig6n est
toujours absent, de même que celui de Langlois, ec surcout l'historienne
fournit deux informations inexactes: Cabrera Infante n'a jamais dirigé la
Cinémathèque (même s'il fut gratifié du titre honorifique de « director »)
ec celle-ci n'a pas été créée en 1956. Par contre, Burton mentionne la

4 Michael Chanan, The Cuban Image, BFI Publishing, Londres, 1985, p. 92. The Cuban
Image, qui a connu une large diffusion à partir de 1984, année de sa première
publication, a été réédité en 2004 sous le titre de Cuban cinema ; le passage que nous
venons de citer est repris sans ajout d'informations nouvelles.
5 Julianne Burton, «Cuba» [Trad: Anne Pargoud et Catherine Ruda} dans Guy
Hennebelle et Alfonso Gumucio-Dagr6n [coord.], Le1 cinémas de l'Amérique latine, Ed.
Lherminier, Paris, 1981, p. 263-624.
14 CM.H.LB. Caravelle

pamctpation de Gutiérrez Alea, qui fut effectivement, comme nous


allons le voir, un membre actif de l'institution.
Augusto Martînez Torres et Manuel Pérez Estremera, dans leur livre
Nuevo Cine Latinoamericano, évoquent eux aussi l'existence du groupe de
cinéphiles désigné par Chanan et Burton, et ce dès 1973 :
Por los afios cincuenta, un grupo formado por Edmundo Desnocs,
Ram6n F. Suarez, Guillermo Cabrera Infante, German Puig, Carlos
Franqui y Néstor Almendros crean la Cinemateca de Cuba, que proyecta
un ciclo compuesto por algunas de las pelfculas mas importantes de la
historia del cinc, y rcaliza los cortometrajes Carta a una madre, EL guante,
Pintura, Ham/et, en los cuales colaboran unos y otros.6
Ricardo Vigôn et Henri Langlois ne sont toujours pas mentionnés, et
la création de la Cinémathèque est présentée comme un acte collectif, ce
qui là encore est inexact, mais le texte a le mérite d'évoquer les activités
de l'institution dirigée par German Puig.
Toutes ces approximations et ces omissions sont d'autant plus
surprenantes que, dès 1966, l'historien cubain Arturo Agramonte avait
tracé à grands traits l'histoire de la Cinémathèque:
Iniciada en 1948 como el primer Cine Club que funcion6 en La Habana,
la cinernateca de Cuba, ya con una perspectiva mas amplia en sus
funciones, se convierte en una institucion con rodas las caracter1sticas
inhercmes a la misma, pero sin los recursos econ6micos necesarios para
su buena marcha.
De allf que con gran pesar vicran desapareccr valiosas adquisiciones como
M, EL sombrero de paja de !talia y ocras por carecer de lugar apropiado
donde conservarlas.
Auspiciada por la Cinemateca Francesa, y con la colaboraci6n de la
primera directiva de la Sociedad « Nuestro Tiempo » y el apoyo de la
Direccion de Cultura, la Cinemateca de Cuba exhibi6 en menos de un
afio de labor cominuada los films mas representativos de la historia del
cine [.. .).
En 1955, la Cinemateca de Cuba volvi6 a reanudar sus accividades, pero
las mismas no fueron muy duraderas. La direcciva escaba integrada por:
Presidenre, German Puig Paredes; primer vice, Roberto J. Branly
Deyrnier; segundo vice, Adriân Garda Hernandez; direccor, Guillermo
Cabrera Infance; vicedireccor, Néstor Almendros Cuyas; tesorero, Rine R.
Leal Pére'l; vicecesorero, Plâcido Gom:âlez Gomez; secretario, Julio Matas
Graupera; vicesecretario, Jaime Soriano Gelardino; vocales: Marîa L6pez
Salas, Paulino Villanueva, Rodolfo Santovenia y Emilio Guede.7
Si Agramonte est en mesure de fournir ces informations, c'est en
partie parce qu'il a lui-même participé aux activités de la Cinémathèque,

6 Augusto Marcinez Torres er Manuel Pérez Esrrcmera, Nuevo Cine Latinoamericano, Ed.
Anagrama, Barcelone, 1973, p. 133.
7 Arruro Agramonre, Cronologia セl@ cine cubano, Ed. ICAIC, La Havane, 1966, p. 86-87.
PIONNIERS DE LA ONtMATHtQUE DE CUBA 15

assurant la projection de certains films8. Même si l'historien ne


mentionne toujours pas le rôle de Ricardo Vig6n et n'explique pas
les conditions exactes de la création de l'organisme, il livre la chronologie
la plus précise ainsi que la liste de noms la plus complète. A un autre
endroit, il évoque même Henri Langlois, mais l'associe à José Manuel
Valdés Rodriguez :
El profesor José Manuel Valdés Rodriguez fue invitado al Festival de
Cannes y aprovech6 la ocasi6n para visitar al Ministro de Relaciones
Exteriores francés, quien don6 a la Universidad de La Habana diez
pelkulas, entre ellas Balzac, Paris 1948 y El Correo de Lyon. A través del
Depanamenco de Cultura del Ministerio de Relaciones Extcriores, se
rclacion6 con el sefior Henry Langlois, logrando de su entrevista cl envfo
de programas a Cuba.9
Agramonte évoque immédiatement après le conflit qui opposa José
Manuel Valdés Rodrfguez et la toute jeune Cinémathèque de Cuba, et
souligne les limites de sa connaissance historique :
El primer programa de la Cinematcca Francesa que se proyect6 en Cuba
procedia de México, donde habia un Cine Club. Sin embargo,
inexplicablemente, dichos programas se facilicaron a la Cinemateca de
Cuba, de reciente formaci6n. Esto provoc6 una protesta del
Departamento de Cincmatografia de la Universidad de La Habana a
través de su director, el profesor José Manuel Valdés Rodrfguez.10
L'intérêt de ce passage est qu'il rend discrètement compte des conflits
qui secouèrent dans les années 50 le petit monde des ciné-clubs et des
sociétés culcurelles. Mais il se garde bien d'entrer dans la polémique, car
ces sujets d'apparence anodine ont eu en réalité des répercussions
profondes après la Révolution, la victoire de Castro ayant signé l'heure
des règlements de comptes. Discrètement, Agramonte signale un nœud
historique, un de ces moments où les lignes de fracture se sont dessinées
entre les différents acteurs de la vie culturelle ; comme nous le verrons
plus tard, Valdés Rodriguez ne pardonnera jamais à ses anciens étudiants,
German Puig et Ricardo Vigon, d'avoir créé la Cinémathèque avant lui
et d'avoir réussi à devenir les interlocuteurs privilégiés d'Henri Langlois.
Malheureusement, le livre d'Agramonte connut pendant assez
longtemps une diffusion très limitée, l'ICAIC ayanc rapidement retiré de
la circulation la majeure partie des exemplairesll, et les données
historiques que contient !'ouvrage ne purent pas être convenablement

8 Cf lettre à German Puig du 7 juin 1999: «Yo no cenia nive! escolar elevado pero
simpatizaba con Uds y pagaba con esfuerzo mi cuoca de asociado. Las pocas veces que yo
concurrl a las exhibicioncs Io hicc coma proyeccionisra sin cobrar un cenravo».
9 Arturo Agramonte, op. cit., p. 86.
10 Ibid. p. 87. Nous soulignons.
11 Entretien avec Arturo Agramonce en février 200 l.
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.
16 CMHL.B. Carave& '

reprises et exploitées. Il faudra ainsi attendre 1997 avant qu'une nouvelle


publication nous renseigne en détail sur la création et l'histoire de la
première Cinemateca de Cuba. Eulalia Marfa Douglas évoqu e ainsi dans
La timda rugra à la fois le Ciné-Club de La Havane et la cinémathèque :
[Marzo de 1948:] se funda el Cine Club de la Habana, que en 1951 se
incegra a la Sociedad Cultural Nuestro Tiempo y que posteriormente
tomara el nombre de Cinemateca de Cuba.12
Avec habileté, l'historienne pose les bases d'un discours historique
qui, tout en ayant l'apparence de la neutralité, obéit en fait à des intérêts
supérieurs et reste fidèle à une ligne officielle qui fait de Nuestro Tiempo
le pivot de la vie culturelle avant la Révolution. Maria Eulalia Douglas ne
parle ni de Puig ni de Vig6n et relie immédiatement le Ciné-Club de La
Havane à Nuestro Tiempo, alors que les deux organismes ne seront
associés que brièvement et de manière conflictuelle. Il s'agit de faire
croire que le Ciné Club a reconnu «l'autorité» de Nuestro Tiempo dès
la création de ce dernier, quand en réalité German Puig et Ricardo Vig6n
one toujours cherché à être indépendants.
Quand, ensuite, Marfa Eulalia Douglas dit que le C iné-Club a pris le
n om de Cinemateca de Cuba, elle prépare la suite de son récit, qui vise à
dénier le statut de Cinémathèque à l'organisme créé par German Puig en
195 1. Voici en effet comment l'historienne présente les faits :
[Noviembre de 1951 :] El Cine Club de La Habana cambia su nombre
para Cinemateca de Cuba y continua integrado a la sociedad Nuestro
Tiempo. A fines de este afio, debido a una crisis econ6mica que atraviesa
Nuestro Tiempo, la Cincmateca se independiza. En 1953 suspende sus
actividades y las reanuda en 1955.
Por carecer de sede propia, de dep6sitos para las pellculas y de archivos de
documentaci6n, esta cinematcca funcion6 como un cine-club, no
pudicndo alcanzar durance su cxistencia el estatus de cinemateca.13
Douglas reprend ensuite la liste des membres de la direction de
l'organisme, celle qu'elle apparaît dans l'ouvrage d'Arturo Agramonte (et
qui correspond à l'année 1955). Le texte tend à expliquer que la
Cinemateca de Cuba n'était pas une vraie cinémathèque, et affirme
même qu'elle n'en avait pas le statut, ce qui est juridiquement erroné. En
fait, l'historienne cherche à minimiser l'importance historique de l'action
de German Puig pour mieux défendre la légitimité de l'actuelle
Cinémathèque de Cuba (dont elle est par ailleurs l'employée). Pour la
même raison, son texte fait passer la Cinemateca pour une branche de
Nuestro Tiempo, ce qui, là encore, est inexact. Douglas poursuit
quelques pages plus loin :

12 Maria Eulalia Douglas, La tienda negra, EL cine m Cuba {1897-1990], Ed. Cinemaceca
de Cuba, p. 123.
13 /bid. p. 129.
PIONNIERS DE lA ÜNÉMATHÈQUE DE CUBA 17

[Mayo de 1956:] La Cinemateca de Cuba interrumpe sus ex.hibiciones


dcbido a diferencias de criterio entre los miembros de la Junta Directiva.
Poco después, al reorganizarse la d,irecciva, en la que permanecen algunos
miembros de la anterior, reanudan sus ex.hibiciones en la sociedad
Lyceum Lawn Tennis Club.14
Comme Agramonte, Douglas reste très évasive quand elle évoque les
désaccords et les conflits qui secouèrent les milieux culturels à l'époque
prérévolutionnaire. Les « diferencias de criterio » dont elle parle se sont
en fait traduites par de violentes disputes entre German Puig, accusé de
maintenir la Cinémathèque en dehors de la lutte politique, et d'autres
membres de l'organisme, comme Cabrera Infante ou Gutiérrez Alea, qui
souhaitaient affronter le régime de Batista. Cabrera Infante porta même
l'affaire dans les colonnes de Carte/es, revue où il exerçait la critique
cinématographique sous le pseudonyme de G. Cain. C'est à ce moment
que le sort de Germân Puig fut scellé, et qu'il se retrouva seul face aux
membres de N uestro Tiempo. Ces derniers le laissèrent ensuite de côté,
de même que Ricardo Vig6n, quand ils accédèrent au pouvoir culturel
après 1959.
Maria Eulalia Douglas finit par évoquer brièvement la dissolution de
la Cinémathèque de Cuba, en décembre 1956 :
[Diciembre de 1956:] La Cinemateca de Cuba suspende definitivamente
sus actividades. Al disolverse, devuelve al Museo de Arre Moderno de
Nueva York los filmes que recibi6 en préstamo.15
La lecture des principaux textes consacrés au cinéma cubain nous
montre donc que la question de la Cinémathèque de Cuba a bénéficié
d'un traitement très lacunaire de la part des historiens, qui ont soit passé
sous silence son existence, soit cherché à minimiser son importance et à
en faire un appendice de Nuestro Tiempo. Même les ouvrages les plus
riches en informations (celui d'Agramonte et de Marîa Eulalia Douglas)
comportent de nombreuses omissions et inexactitudes et accordent
toujours beaucoup plus d'attention aux activités de Nuestro Tiempo,
dont on sait que les membres finirent par fonder l'ICAlC. Le discours
historique dominant cherche en fait à nier le caractère pionnier de
l'action de German Puig et Ricardo Vig6n, et va même jusqu'à faire
disparaître presque complètement le nom de ce dernier. Pourtant, en
1963, Guillermo Cabrera Infante pouvait encore lui consacrer deux
pages de la préface de son recueil de critiques, Un oficio del siglo XX, et
écrire:

14 Ibid. p. 141.
15 Ibid. p. 144.
18 CM.HL.B. Caravelle

Todo Io que sé de cine [ ... ) se Io debo a tres personas: Ricardo Vig6n,


German Puig y Néstor Almendros. Pongo a Vig6n en primer lugar [ ... ]
porque CS a él a quien debo mas.16
Pour quelles raisons les fondateurs de la Cinémathèque de Cuba et
premiers compagnons de route de Cabrera Infance ont-ils fini par
disparaîrre de l'histoire officielle du cinéma cubain ? C'est à cette
question que nous allons tenter de répondre dans les pages qui suivent.

Premiers pas : la création du Ciné-Club de La Havane

German Puig et Ricardo Vig6n se sont rencontrés le 1er décembre


1946, lors d'un concert. Ce sont alors deux adolescents d'origine
modeste, qui vivent leurs premiers émois artistiques et qui nouent très
vite une amicié indéfectible. Au cours des mois suivants, au début de
l'année 1947, ils se mettent à fréquenter les salles de concert et de
cinéma, et s'enthousiasment pour les oeuvres qu'ils découvrent,
notamment Odd Man Out [Carol Reed, 1947], qui les fait littéralement
pleurer d 'émotion. Très vite, ils décident de s'inscrire aux cours que
propose José Manuel Valdés Rodriguez à l'Université de La Havane, et
c'est ainsi qu'ils participent durant les mois de juillet et août 1948 à la
formation intitulée «El cine: industria y arte de nuestro tiempo», où sont
projetés et écudiés une dizaine de classiques tels que !van le Terrible
[Sergueï Eisenstein, 1945], La belle et fa bête Uean Cocteau, 1946] ou
Henri V[Laurence Olivier, 1944]. German Puig a en effet obtenu une
bourse financée par Kodak après avoir rédigé une critique de Captain
from Castile [Henry King, 1947].
Même si le projet de créer un ciné-club ne se concrétise que quelques
mois après ce cours d 'été, il était en fait déjà en gestation au mois de mai,
comme nous avons pu le constater à la lecture de plusieurs lettres de
Ricardo Vig6n. Depuis le mois de mars, Puig et Vig6n organisaient des
projections de films français et américains dans des salles privées, après
avoir obtenu des copies auprès des distributeurs, dont les locaux se
trouvaient alors dans le quartier dit de La Corea.
Du 7 mai au 5 juin 1948, German Puig se rend à New York, où il
travaille comme vendeur de hor-dogs dans la journée et fréquente les
musées durant ses heures de liberté, et les deux jeunes gens s'écrivent
presque tous les jours. Le 23 mai, Ricardo Vigôn raconte une entrevue
qu'il a eue avec Valdés Rodriguez, et le portrait qu'il en fait n'est pas
flatteur :
El sabado pot la tarde fui a ver a Valdés Rodriguez, desolador German,
terrible, Io esperé largo rato fui [sic.] a las seis y media y lleg6 a las siete y

16 Guillermo Cabrera Infante, Un oficio Ml sigûi XX. Ed. R, La Havane, 1963, p. 29.
PIONNIERS DE LA ÜNÉMATHÈQUE DE CUBA 19

media, le di [sic.] tu direcci6n y hablé de muy pocas cosas con él. Poco
antes de irme me decidi y le hablé de la pr6xima clase. Pero me dijo que
estaba muy ocupado, que no podia ser ahora y que esper:iramos a que tu
[sic.] llegaras. Yo le expliqué que era necesario, para mantener el
ambiente, continuar regularmente. Pero me dijo que Io pensarla, tu sabes
una resistencia pasiva. Que [sic.] mal [sic.] esta eso de V. R., se ve que no
tiene imerés no le gusta haberse creado ese compromiso, le resulta mucho
mas c6modo sus articulos. Ademas su curso.17
Ricardo Vig6n fait ici allusion à la participation de Valdés Roddguez
aux projections organisées par les deux jeunes gens, et qui constituaient
l'embryon de Ciné-Club qu'ils souhaitaient créer. L'universitaire avait
dans un premier temps accepté d'animer des débats après les films, mais
son enthousiasme était visiblement vite retombé. Comme nous le verrons
plus tard, les relations entre Puig, Vigan et Valdés Rodriguez
deviendront vite conflictuelles et la déception des deux étudiants sera
d'autant plus grande qu'ils avaient d'abord pensé associer l'enseignant à
leur projet.
Le 25 mai, Ricardo Vig6n rédige une nouvelle lettre, où il explique en
détail la façon dont pourrait fonctionner le Ciné-Club :
German estoy decidido a formar el Club, para los primeros dias del mes
que viene. Mira a ver si te gusta el plan.
Cuarro funcioncs al mes. Cada socio tendra derecho a asistir a dos
funciones ; en cada funciones [sic.] asisriran 50 socios o sea que los l OO
disfrutaran de las dos funciones mensuales y sera una entrada mensual de
100 pesos, pues cada socio pagara un peso mensual. Nunca faltara gente,
pues si no hay gente que se comprometan a pagar todos los meses un
peso fijo, sin embargo, si [sic.] iran un dia u otro y siempre estara llena la
funciôn, alquilaremos sillas y con los 1OO dôlares podremos alquilar
cualquier pelfcula, ademas obtendremos presrigio y las compaiifas
facilitarân muchas pelfculas nuevas. Pondremos /vdn el Terrible, La Bella
y la Bestia, Las Puertas de la Noche, antes o después de V. Roddguez.
Aramis me ayudara en todo después de las elecciones, sé que serâ un
formidable cerebro organizador.18
Alors que les séances organisées jusque-là par Puig et Vigan ont été
des expériences isolées, il s'agit à présent de donner un cadre légal et une
structure au projet, d'en faire un authentique Ciné-Club. Le 27 mai,
Vig6n évoque à nouveau la question :
Tengo que empezar a recolectar los futuros socios del CLUB, hablaré con
Jorge Le6n, Leonor, Raul, etc, etc .. ... Quiero que cuando vuelvas te
encuentres con nuescro flamante Club, como [sic.] le pondremos? Pro-
Arte Cinematografico? Me parece acertado, ademas y no es por vanidad,
el nombre le daria cierta concinuaci6n con Pro-Arte Musical, hacen falta

17 Lettre de Ricardo Vigon à German Puig, 23 mai 1948.


18 Lettre de Ricardo Vigon à German Puig, 25 mai 1948.
1
20 C.M.HL.B. Caravelle .

,
varios Pro-Artes. Si has pensado ocro dfmelo, de rodos modos sera una
elecci6n democracica.19
,,.
セ H@
セ L@
Contrairement à ce qu'espère Ricardo Vigon à ce moment-là, le Ciné-
セ[
Club ne pourra être constitué en tant que tel avant le retour de Puig à La ,. N@
:;;

Havane, début juin, et ce n'est qu'en mai 1949 que les statuts seront
déposés. Les documents officiels porteront t rois signatures : celles de
German Puig, de Ricardo Vig6n et d'une de leurs amies, Victoria
Gonzalez. Les fondateurs de l'association déclarent alors poursuivre les
objecàfs suivants :
Propulsar la difusi6n de la cinematografia artisrica en Cuba con fines de
alta cultura exhibiendo las cintas de mayor dignificaci6n en el avance de
la cinemarograffa universal y con las utilidades que producen clichas
exhibiciones, la creaci6n de una biblioteca cinemarogr:ifica, asi como la
adquisici6n de cintas y aparatos cinematograficos en general, ya sean
alquilados o comprados, pudiendo obcenerse por todos los medios llcitos
al efecto para los fines de la sociedad, hacienda posible de esta manera la
realizaci6n de films artîsticos dentro de la sociedad, elevando con ello
nuestro nive! cultural.20
Comme on peut le voir, l'idée de créer une cinémathèque était déjà
sous-jacente, de même que celle de réaliser des films. Le Ciné-Club
réunie vite de nombreux jeunes curieux et enthousiastes, dont certains
allaient connaître de remarquables carrières artistiques : Néstor
Almendros, Guillermo Cabrera Infante, T ornas Gutiérrez Alea, Ramon
Suarez, entre autres. Les séances de projection se multiplient, rencontrant
un succès grandissant, et Valdés Roddguez finit par devenir extrêmement
jaloux, à tel point que l'universitaire fait jouer ses relations auprès de
l'ARTIC (Asociacion de Redactores Teatrales y Cinematograficos) pour
qu'aucune publicité ne soit faite au Ciné-Club dans la presse et pour
empêcher ses organisateurs de louer des salles de cinéma. Si la première
manœuvre s'avère payante, le Ciné-Club parvient néanmoins à trouver
des locaux pour ses projections (il doit pour cela fréquemment changer
d'adresse, et occupe des lieux aussi divers que la salle Royal News ou
l'Inscituto de Prevision y Reformas Sociales). Mais le conflit le plus
violent n'a pas encore éclaté, et c'est en 1951 que l'inimitié entre Puig,
Vigon ec Valdés Rodr1guez dégénère en guerre ouverte.

La création de la Cinemateca de Cuba et l'affaire Langlois


Tout commence par le voyage à Paris qu'effectue German Puig en
octobre 1950. Alors que Gutiérrez Alea a déjà filmé quelques courts

19 Lettre de Ricardo Vigan à German Puig, 27 mai 1948.


20 Extrait des statuts du Ciné-Club de La Havane.
PIONNIERS DE LA onセmathNᅨque@ DE CUBA 21

métrages (soit tout seul - El Fakir [1947], La Caperucita Roja (1947] -


soit avec Néstor Almendros - Una confasion cotidiana [1950] - ), Puig n'a
encore rien réalisé (il tournera Sarna en 1952 dans la maison de Wifredo
Lam). Par contre, il est le premier à partir en Europe pour entamer des
études cinématographiques. Raul Roa, alors Directeur de la Culture au
sein du Ministère cubain de !'Education, lui accorde la bourse qu'il a
sollicitée au mois de septembre 1950, lui permettant de quitter son poste
de maître d'internat dans un lycée de La Havane tout en conservant son
salaire pendant un an. Puig embarque pour la France le 13 octobre et
atteint Le Havre onze jours plus tard. Amoureux de la culture et du
cinéma français, il souhaite étudier à !'IDHEC et non dans une école de
cinéma américaine, comme cela aurait été plus simple et moins coûteux.
Mais au moment de son départ, il ignore que l'école vient de fermer
exceptionnellement ses portes et n'accueillera aucun étudiant en 1950-
1951. La lettre qui l' en informe arrive au domicile de sa mère alors que
son bateau fait route pour Le Havre. A son arrivée à Paris, Puig s'installe
à la Cité Universitaire et cherche à mettre à profit malgré tout son séjour
en France. Début janvier, il demande ainsi à rencontrer Henri Langlois,
le directeur de la Cinémathèque Française. Celui-ci est en déplacement,
mais il lui adresse un courrier le 18 janvier pour lui fixer un rendez-vous
à son retour à Paris, la semaine suivante. La première rencontre entre les
deux hommes sera brève mais décisive.
Puig souhaitait solliciter le prêt de certains films pour le Ciné-Club de
La Havane, mais Langlois lui apprit qu'un de ses compatriotes était venu
le voir le mois précédent pour le même motif. Son nom: Valdés
Rodrfguez. Puig lui expliqua aussitôt en quoi consistaient les activités de
celui-ci dans le domaine cinématographique, mais ne sachant pas quelles
relations son ancien professeur avait nouées avec le directeur de la
Cinémathèque, il n'évoqua pas les tensions qui existaient autour du
Ciné-Club. Langlois se serait alors exclamé, levant l'index vers le ciel :
« Vous me cachez quelque chose!» Impressionné par l'intuition de son
interlocuteur, Puig exposa donc en détail le conflit qui l'opposait au
professeur de l'Université de La Havane et la jalousie que celui-ci
nourrissait à l'égard de son Ciné-Club. Langlois prit immédiatement sa
décision et déclara : « Les films sont à vous ». La réunion était terminée,
elle n'avait duré que cinq minutes. Bien entendu, Valdés Rodrfguez prit
très mal la décision de Langlois, et accusa Puig et les autres membres du
Ciné-Club d 'avoir monté un complot contre lui. En réalité, Langlois
avait trouvé Rodriguez très antipathique et s'était cout de suite pris
d'amitié pour German Puig, dont l'enthousiasme et l'idéalisme lui
rappelaient son propre parcours (Langlois avait fondé la Cinémathèque
Française en 1936 avec un autre« illuminé» du cinéma, Georges Franju,
de même que Puig et Vig6n venaient de créer leur Ciné-Club sur la base
d'une même amitié et d'une même passion). Une lettre de Gutiérrez
22 CM.HL.B. Caravelle

Alea, datée du 30 mars 1951, nous apporte un éclairage inédit sur la


question:
1
[.. . ) Néstor me escribi6 desde México diciéndome que habla visto una 1
i
carta que la Cinematheque [sic.] le habla enviado al Cine-Club de "
/:
México dondc les deda que tenfan dos peticiones de pelkulas desde la
Habana: una de « un personaje oficial muy desagradable » (sic. en el
original), (ya puedes suponer quien [sic.] es, y ocra de unos muchachos
j6venes, y que prefedan enviarselas [sic.] a estos ultimos. (los muchachos
j6venes supongo que debemos ser nosorros). Con estos anrecedentes
resulta desconcertante el anuncio del viejo V. R.21
Dès le mois de février 1951, Puig se mit en contact avec
l'ambassadeur de Cuba à Paris, Héctor de Ayala, et Raul Roa, à La
Havane, pour organiser l'envoi des bobines de films que la
Cinémathèque Française acceptait de prêter, mais de son côté Valdés
Rodrfguez manoeuvrait pour récupérer les films à leur arrivée à Cuba. La
lecture de l'abondante correspondance entre Puig et les membres du
Ciné-Club à La Havane, parmi lesquels Gutiérrez Alea, nous montre que
les programmes de cinéma français furent l'objet d'une lutte intense ec un
enjeu de pouvoir à La Havane. Valdés Rodrfguez chercha à
impressionner les jeunes responsables du Ciné-Club en multipliant les
effets d'annonce et, dès le mois de mars 1951 , il prétendit être en mesure
de projeter des films envoyés par la Cinémathèque. Voici en effet ce
qu'écrit Gutiérrez Alea:
Querido amigo:
Una carta muy apresurada para datte una mala noticia. Se trata de las
pcllculas de la Cinemacheque [sic.], las cuales Valdés Rodrfguez anunci6
que pondrfa en la Universidad, pues las habla conseguido a través del
C6nsul francés. Esto sucedi6 ayer, y no sabemos qué pensar niqué hacer,
pues no cenemos ninguna comunicaci6n oficial de Henri Langlois
concediéndonos clichas pelfculas. La noticia como veras, es desalenradora.
Qué crees tû que se pucda hacer? No podrias conseguir con M. Langlois
que nos mandara una comunicaci6n oficial de la Cinematheque [sic.]
para presentarla ante la Legaci6n de Francia donde nos indique como
destinatarios de clichas pelfculas?22
En fait, à ce moment-là, Valdés Rodriguez n 'est pas encore à même
de projeter les films qu'il annonce, mais au mois de mai, ses manoeuvres
finissent par s'avérer payantes, et il réussit à se faire remettre un lot de
films initialement destinés au Ciné-Club. Le 27 mai 1951, Gutiérrez
Alea écrit:

21 Leme de Tomas Gutiérrez Alea a German Puig, 30 mars 1951.


22 Ibid.
PIONNIERS DE LA ÜNËMATHt.QUE DE CUBA 23

Querido amigo:
Aquf estamos desesperados por saber de ci y de codo el problema de la
Cinemathequc [sic.]. Hoy (ahora son las 8 de la mafiana) me he
levantado, y Io primera que he visco en el peri6dico es un anuncio del
Cine de Arte de la Universidad, de Valdes [sic.] Rodrfguez: «El Cine de
Arce de la Universidad se complace en anunciar su nueva serie de
Clasicos del Cine Galo [ ... ].» No sé d6nde las habra conscguido, pero
creo que nos esta tomando la ddantera. [... ].
No voy a echar la carta hasta pasado mafiana para poder decirte con
scguridad si el programa que presenrara V R es el mismo de la
Cioematheque [sic.] u otro. De codas maneras, debes enviarnos noticias
de Io que haces en ese sentido.23
Après avoir assisté à la projection, Gutiérrez Alea poursuit :
Efectivamente, las pelîculas que puso VR en la Universidad son las de la
Cinematheque [sic.], y las consigui6 por mediaci6n del Embajador de
Francia: Monsieur Beauvergais, y vinieron a través del Ministerio de
Relaciones Exteriores de Francia, los Affaires Etrangères. Sc vé [sic.] que
VR tiene mucha palanca con M. Bcauvcrgais, Io cual hizo posible la
realizaci6n de sus maquiavélicos prop6sitos de usurpaci6n. Corno ves
estamos jodidos. Por Io menos supongo que algo habeas aprendido de
esras cosas: TODO HAY QUE HACERLO CON PAPELES [... ).
Comme on peut le constater, la lutte fut âpre pour s'assurer le
contrôle des füms venus de Paris, et ce n'est qu'à partir du mois d'août
que Puig trouva le moyen d'expédier les bobines sans qu'elles finissent
dans les mains de Valdés Rodriguez. En fait, les responsables du Ciné-
Club dépendaient de Germân Puig pour l'envoi des films de la
Cinémathèque Française et dans un premier temps ils rejetèrent sur lui la
responsabilité des premiers échecs, avant de finir par admettre qu'eux-
mêmes avaient manqué d'efficacité à La Havane.
Le problème des papiers et des documents officiels revient de manière
lancinante dans la correspondance qu'échangent Puig et les membres du
Ciné-Club, qui communiquent lentement et difficilement. Gutiérrez
Alea et Cabrera Infante n'imaginent pas le travail considérable que Puig
réalise à Paris tandis que, de son côté, Puig ne comprend pas pourquoi
certains envois ne parviennent pas à leurs destinataires ni pourquoi ses
amis tardent autant à créer légalement la Cinemateca. Cette question est
cruciale pour lui, car il ne peut expédier des films régulièrement et en
toute sécurité que si le Ciné-Club se transforme effectivement en
cinémathèque. L'institution dirigée par Langlois ne pouvait en effet
échanger de films qu'avec des organismes similaires. Puig invita donc ses
amis restés à Cuba à déposer de nouveaux statuts, copiés suc ceux de la
Cinémathèque Française. Le nom même de la nouvelle institution serait
le reflet de son modèle: d'abord baptisée« Cinemateca Cubana » (et non

23 Lettre de T omis Gutiérrez Alea à German Puig, 27 mai I 951.


24 CM.HL.B.. Caravelk

pas« Filmoteca Cubana »),elle finit par devenir« Cinemateca de Cuba».


En relançant l'institution en 1961, l'ICAIC conserva involontairement la
trace de l'origine française du projet.
Comme nous l'a expliqué German Puig, ce fut en effet Langlois qui
lui suggéra de créer une cinémathèque à Cuba, sur le modèle de celle qui
existait à Paris. La lenteur des communications entre Paris et La Havane
retarda cependant la mise en place de cet organisme, d'autant plus que les
membres du Ciné-Club étaient tous bénévoles et étaient accaparés par
d 'autres activités ou effectuaient des séjours à l'étranger. Gutiérrez Alea
terminait ainsi ses études de droit, Cabrera Infante se lançait dans le
journalisme, Néstor Almendros se trouvait au Mexique, tandis que Puig
multipliait les expériences et les formations cinématographiques. Au
cours du premier semestre de l'année 1951, il suivie les cours de l'institue
de Filmologie de l'Université de Paris, où enseignait notamment Georges
Sadoul, et il effectua par ailleurs un stage sur le tournage de L'auberge
rouge, de Claude Autant-Lara, en qualité de troisième assistant.
Au mois de juillet (du 12 au 17 exactement), Langlois l'invita à
participer au congrès de la FIAF (Fédération Internationale des Archives
du FiJm), qui se déroulait à Cambridge. Puig assista aux travaux en
qualité d'observateur représentant la Cinémathèque de Cuba, qui
accédait pour la première fois à une reconnaissance officielle cc
internationale. Puis la jeune institution adhéra à la FIAF, et German
Puig insista à nouveau auprès de Cabrera Infante, Almendros et
Gutiérrez Alea afin qu'ils effectuent les démarches légales permettant de
créer la Cinemaceca. De leur côté, les membres du Ciné-Club attendaient
que Puig rédige des statues. Voici ce qu' écrie Gutiérrez Alea le 16
aoO.t 1951:
En primer lugar, no cengo que decirte Io muy agradccidos que estamos
todos de ti. Eso ya tu Io sabes. Y para los que no Io saben, Io diremos el
dfa de la primera funci6n .
En cuanco al problema que no podemos cobrar la entrada, creemos que
Io podemos resolver hacicndo socios exclusivos del Cine-Club (que
después que eu envies los escarucos sera la Cinemaceca Cubana) a $0.80
mcnsual, aparte de los socios de NUESTRO TIEMPO. [... ]
Te diré que ya escamos inscritos con unos estatutos provisionales y con el
nombre de CINEMATECA CUBANA, pero que aparecemos ante el
publico como Cine-Club de la Habana, hasta que eu digas que podemos
hablar de nuestras intenciones de crear una cinemateca. [ ... )
Si no nos envlan rcgularmente los programas que diccs que ya nos tienen
scparados, no cenemos qué ofrecerle a nuestros asociados, y ya te puedes
imaginar Io que sucedera. Sobre todo por el hecho de que no solamente
VR es nuescro enemigo: cencmos muchos ocros encmigos, que antes cran
nuestros amigos y que ahora s6lo esperan la oportunidad de acacarnos.
Escoy hablando en gcneral de la Sociedad Nuestro Tiempo, que es a
quicn le dirigcn sus acaques, no solo al Cine·Club. [... ]
PIONNIERS DE LA onエmathセque@ DE CUBA 25

Por Io tanto, German, casi puedo decirte que en tus manos esta gran
parte de Io que puede ser nuestro triunfo o fracaso. Quiero que sientas
plenamence esta responsabilidad.24
Les propos de Gutiérrez Alea nous permettent de constater avec
quelle intensité le monde de la cinéphilie vivait ses luttes intestines, mais
ils soulignent également l'importance du rôle de Puig dans ces conflits :
sa présence et son action aux côtés de Langlois le rendaient en effet
incontournable, et nombreux étaient alors ceux qui enviaient sa position.
Cette jalousie débouchera sur deux arritudes : certains, comme Valdés
Rodrfguez, essayeront de détruire son travail ; d'autres tenteront plus
subtilement de le déposséder de son projet. C'est le cas en particulier des
responsables de Nuesrro Tiempo, cette société cult urelle créée en janvier
S 1, peu après l'arrivée en France de German Puig, cc à laquelle ont
immédiatement adhéré Cabrera Infante, Almendros et Gutiérrez Alea.
Une grande confusion s'installe dès le début encre les activités du Ciné-
Club cc de Nuestro Tiempo, puis entre celles de la Cinemareca de Cuba
et de Nuescro Tiempo. Comme les responsables du C iné-Club sont
également m embres de Nuescro Ticmpo, ils décident d'associer les deux
organismes sans prendre la peine de consulter Puig, qui est pou rtant le
Président et le fondateur du Ciné-Club. Ils chercheron t également à
placer la Cinemaceca de Cuba sous la tutelle de Nuestro Tiempo, là
encore sans l'accord de Puig, qui demandera depuis Paris que la
Cinemateca, qu'il préside et qu'il a créée, reste indépendance. Ce point
précis débouchera sur une crise ouverte entre Puig ec Alfredo Guevara,
membre influent de Nuestro Tiempo et futur directeur de l'ICAJC.
Début août 1951, Langlois envoie les premiers films spécifiquement
destinés au Ciné-Club, mais en raison de l'inefficacité de l'administration
cubai ne, le paquet mettra plusieurs semaines à parvenir à ses
descinacaires. Les films finiront malgré tour par être projetés en public au
mois de septembre et, à partir de ce moment-là, la Cinémathèque de
Cuba parviendra à organiser, dans différents lieux, de nombreux cycles
consacrés aux classiques du septième art, qui renconcreront un succès
croissant jusqu'à ce que les activités de l'organisme s'interrompent en
novembre 1952.
Le 13 octobre 1951, Puig envoie une lettre à Gutiérrez Alea pour faire
le point avec lui sur la création de la Cinemaceca, qui n'est toujours pas
réglée. À cerce date, les relations encre les deux jeunes gens se sont
tendues: Gutiérrez Alea attendait de Puig qu'il l'aide à s'inscrire à
!'IDHEC et à organiser son voyage en France, et lui reprochait de ne pas
s'occuper assez de lui. Puig, pour sa part, estimait lui avoir envoyé les
informations nécessaires ec se montrait agacé par l'incapacité de Gutiérrez
Alea à se prendre en charge. Voici les instructions q ui lui adresse (comme
il utilise une machine à écrire française, tous les accents manquent) :

24 Lertre de T omis Gutiérrez Alea à German Puig, 16 août 1951.


26 C.M.HL.B. Caravelle

Ahora, hablemos de la CINEMATECA CUBANA. He recibido tus


cartas y el programa. Langlois Io ha visto y esta muy contento y ha
pasado por alro todas las demoras de las cuales no nos responsabiliza
[ ... ]. Lo urgente segun el es constituir la Cinemateca Cubana de acuerdo
con los rcglamentos que envie con el segundo programa, constituir la
directiva que la encabezaran un presidente o representante oficial, que en
este caso debo ser yo para los efectos de la FIAF [... ] y tambien de un
director o secretario general [aqul Langlois] que se ocupara de la
direccion de la Cinemateca. Si tu te quedas no veo a nadie mejor para
ello, si te vas habda que tenerse mucho cuidado a quien se le confia. Te
dire que estoy un poco disgustado contigo por cl hecho de que nunca me
has hablado de quiencs estan trabajando contigo.25
Puig poursuit un peu plus loin :
Una vez constituida la Cinemateca tirar copia de los reglamentos y la
directiva en mimeografo y enviarme varias copias para mi, la Cinemateca
y para la FIAF; si no es asi Langlois me ha dicho que no puede justificar
ante dicha Federacion de Archivos de Films la ayuda que nos presta. Esta
muy bien el que le hayas escrico; por ocra parte ce dire que una vez
constituida la Cinemateca queda automaticamente separada de Nuestro
Tiempo clicha union resulta problematica.
La dernière phrase ne pouvait être plus claire, mais ce n'est qu'au
retour de Puig à Cuba, en mai 1952, que la séparation entre N uestro
Tiempo et la Cinemateca sera effective. Puig affrontera Alfredo Guevara
au cours d'une violente discussion, et les deux hommes entretiendront
par la suite une inimidé profonde. Leur opposition dépassait le simple
problème juridique (celle de l'indépendance de la Cinémathèque) pour
revêtir une dimension plus idéologique : alors que Guevara était
communiste et souhaitait mettre l'art au service de la politique, Puig
défendait l'autonomie de la sphère artistique et ne voulait en aucun cas
instrumentaliser la cinémathèque. Ricardo Vigôn fut l'un des seuls à
défendre la position de Puig, ec cous deux furent interdits d'ICAIC par
Guevara.
A la fin du mois d'octobre 1951, Gutiérrez Alea partit finalement
pour l'Italie, au Centro Sperimentale di Cinematografta de Rome, où il
rejoignit Julio Garda Espinosa. Il y resta jusqu'en 1953 (Ricardo Vig6n,
pour sa part, s'était rendu à Paris vers la fin août, et Puig l'avait aussitôt
présenté à Langlois, qui l'avait engagé à la Cinémathèque Française) . En
l'absence de Gutiérrez Alea, Néstor Almendros prit le relais à La Havane,
réceptionnant les films que Puig et Langlois envoyaient maintenant
régulièrement. Même si la question des statuts de la Cinemateca n'était
toujours pas réglée, le directeur de la Cinémathèque Française continuait
d'apporter tout son soutien à l'initiative de Puig, et se montrait ravi
d'aider à la diffusion de la cinéphilie de la culture française.

25 Leme de German Puig à T ornas Guciérrez Alea, 13 octobre 1951.


PIONNIERS DE LA onヲmathセque@ DE CUBA 27

La première lettre qu'écrit Almendros le 2 novembre 1951 souligne à


nouveau l'importance du travail de Puig à Paris, et permet également de
comprendre pourquoi Nuestro Tiempo tenait autant à s'emparer du
Ciné-Club:
La ayuda tuya al « Cine Club » (ahora Cinemateca Cubana) ha sido
fundamental, sin ella no hubieramos [sic.] podido escapar de una muerte
segura en manos de los distribuidores, de la incomprensi6n y de ciertas
personas que tu [sic.] conoces. A « Nuestro Tiempo., cambién la ha
salvado. Con la cnfermedad de Harold la sociedad se quedo [sic.]
priccicamente sin cabeza y todo pareda se iba a desmoronar. T odo el
mundo se iba por su lado y nadie querfa trabajar. Hace unos tres meses
que Nuestro Tiempo ha existido solamente gracias al cine club, ya que no
ha habido ocro acco en todo este ciempo. [...]
Donde Nuescro Tiempo esta ceniendo casi un éxico « Delirance ,, es en las
funciones del cine club.26
Comme on peut le voir, la popularité des séances de cinéma
organisées autour des films de la Cinémathèque Française permettait de
faire vivre Nuestro Tiempo, et augmentait son influence et son
rayonnement. Conçue initialement comme une association étrangère au
débat politique, cette société culturelle étaie rapidement devenue un sous-
marin du parti communiste - ce qui poussa certains membres à partir :
Guillermo Cabrera Infante quitta ainsi la direction de Nuestro Tiempo
dès 1951 - et cherchait à occuper une position dominante dans la sphère
intellectuelle et culturelle. Dans le cadre de cette stratégie, il était
important de contrôler les activités liées au cinéma, nettement plus
populaires et fédératrices que celles liées à la musique classique ou au
théâtre.
Almendros évoque ensuite la jalousie de Valdés Rodrîguez, qui
continue d'agir pour saper le travail du Ciné-Club:
Tal ha sido el éxito que, segiln parece, V.R. esta [sic.] muriéndose de
rabia. Hemos sabido que habla como nunca pestes de nosocros y que esta
[sic.] haciendo rodo Io posible para hundirnos. Practicamentc esta [sic.]
coaccionando a los cdticos para que no nos publiquen notas de prcnsa y
su « campafia » en este segundo programa esci tcniendo éxico aunque no
rodo el que él quisiera. Sin embargo, hay que andarse con cuidado, es un
cipo temible.
Almendros évoque également la transformation du Ciné-Club en
Cinémathèque :
Entre mi marna y yo hemos traducido los estatutos de la Cinemaceca
Cubana y solo falta hacerle algunas modificaciones para que se legalice y
cambiemos oficialmente nuescro nombre por el de Cinemateca Cubana.
[ ... ] .

26 Lertre de Nésror Almendros à German Puig, 2 novembre 1951.


28 C.M.HLB. Caravelle

Antes de salir Tit6n tuvimos una pequena reuni6n los del cine club para
ver qué reformas se hadan con su salida y principalmente c6mo se iban a
distribuir los cargos. Ya de acuerdo con los cstatutos de la Cinemateca las
« decciones ,. qucdaron como sigue. Prcsidente: German Puig, Vice:
Guillermito, Secretario: Juan Blanco, Vice: Rine, Tcsorero: Branly,
Propaganda: Lisandro Otero y por ultimo a ml me dieron un cargo con
un tftulo un poco raro: Director. Yo desde luego no tengo las cualidades
de director de Tit6n, ni la capacidad de comemporizar con la gente, ya Io
recuerdas, pcro haré todo lo posible para hacerlo ahora, con la
experiencia, mejor que antes.
La correspondance entre Almendros et Puig nous indique que les
problèmes de transport et de réception des films de la Cinémathèque
Française continuèrent à se poser après le départ de Gutiérrez Alea, et il
arrivait que certains envois, qui devaient avoir une périodicité mensuelle,
se perdent momentanément (le seul · motif de satisfaction était que les
paquets ne tombaient plus entre les mains de Valdés Rodrfguez). Les
responsables du Ciné-Club devaient alors chercher des films de
remplacement auprès des distributeurs locaux, mais ceux-ci n'attiraient
jamais autant de monde que les œuvres prêtées par la C inémathèque
Française.
En décembre 1951 ou janvier 1952 (nous n'avons pas réussi à situer
la date avec précision), après plusieurs altercations, une rencontre a lieu
encre Valdés Rodrfguez et la direction de la Cinemaceca (qui n 'avait
toujours pas réglé la question de son changement de statuts). Peu de
temps après, Cabrera Infante écrit à German Puig pour lui résumer la
réunion, évoquant dans sa lettre les griefs exprimés par l'universitaire à
l'encontre de ses anciens étudiants. Il explique également que Valdés
Rodrfguez a montré des lettres échangées avec Langlois et ne comprend
pas pourquoi le directeur de la Cinémathèque Française a préféré
collaborer avec un groupe de jeunes inconnus plutôt qu'avec l'Université
de La Havane. Comme Valdés Rodrîguez ne peut imaginer que Langlois
l'ait trouvé détestable, il pense que les responsables du Ciné-Club l'ont
monté contre lui, et il les accuse même d'avoir volé le fichier des
membres de son propre Ciné-Club. Cabrera Infante conclut en affirmant
que la réunion n'a pas permis de désamorcer le conflit, et que tout le
monde est resté sur ses positions. Le dégoût que lui inspire Valdés
Rodrfguez est aussi fort que celui que peut exprimer Gutiérrez Alea dans
ses lettres.
Pendant ce temps, German Puig cherche à poursuivre son séjour à
Paris, mais la bourse de !'Unesco qu'il pensait pouvoir obtenir lui
échappe finalement, et il doit demander à sa mère de lui envoyer un peu
d'argent pour tenir encore quelques mois. Après avoir renoncé à s'inscrire
à l'IDHEC, qui a rouvert ses portes en septembre 1951, il envisage
pendant un temps d'aller au Centro Sperimentale de Rome, mais faute
de moyens financiers, il abandonne l'idée (il semble que ce soit Gutiérrez
PIONNIERS DE LA onjZNmathセque@ DE CUBA 29

Alea qui ait hérité de la place que le directeur de l'école, Mario Verdone,
avaic dans un premier temps réservée à Puig après avoir fair sa
connaissance à la Cinémathèque Française). German Puig se résout donc
à rentrer à Cuba à la fin avril 1952. En attendant, il continue à travailler
aux côtés de Ricardo Vig6n à la Cinémathèque Française (laquelle ne le
paye pas ou peu) et cherche sans succès à se faire embaucher comme
assistant sur le tournage de quelques films. Depuis Paris, il continue à se
préoccuper du devenir de la Cinemateca de Cuba, comme nous le
montre une lettre écrite à Néstor Almendros le 16 février 1952 (comme
il utilise toujours une machine à écrire française, il omet à nouveau tous
les accents) :
Supongo sabras que espero ira Cuba en Mayo o Julio y antes departir
[sic.] necesico dejar adarcccr aqul una serie de cosas. Parecc scr que las
cosas no van todo Io bien que dcbicran. Por Io que veo no han adoptado
el nombre de Cinemateca, Io cual les dije hace meses era urgentisimo e
imprescindible para obtener la ayuda de aqui. Si esto no se ha hecho ni se
han presentado los papelcs para legalizarnos, puedc facilmente ocasionar
la suspension de envio de los programas, pues legalmente Langlois no
puede ayudar a un Cine Club, tal vez se fuera codo al diablo. Hace ya
siete meses del congreso de la FIAF ante la cual eramos Cinemateca.
Quiero que ustedes comprendan que lo que estoy haciendo aqui es tratar
de construir la Cinemateca Cubana y es necesario que ustedes alla hagan
el maximo o nunca se llegara a nada. Por ejemplo te escribi una va que
era necesario conseguir viejas peliculas cubanas o noticiarios y que
averiguaras sobre los cartones que se hacen en Oriente para enviarlos aca.
Ni tan siquiera me mencionaste el asunto en tu carta. Hay que tratar de
obtener donaciones de ese cipo.27
Cette lettre met en évidence les difficultés qu'éprouvait Puig à
orienter et contrôler la Cinemateca depuis Paris, et c'est donc avec un
certain soulagement qu'il rentre à La Havane, le Ier mai 1952. Il sait
qu'il peut compter sur Ricardo Vig6n, resté auprès de Langlois, pour
poursuivre l'envoi de films à sa place. Mais ce texte montre également
que Puig, contrairement à ce qu'ont pu écrire par la suite ses détracteurs,
ne concevait pas la Cinemateca de Cuba comme un Ciné-Club amélioré,
mais comptait bel et bien en faire un instrument de préservation du
patrimoine filmique, national et international, ce que stipulaient
d'ailleurs les statuts de l'organisme.
Almendros, qui semble avoir tenu compte des remontrances de Puig,
lui répondit quelques jours plus tard :
Voy demis de una pista de films mudos cubanos. En esta semana se
resolverâ. Guillermico esta encargado de ver a Santos y Artigas para lo
mismo. No se [sic. ] si habrâ hecho algo. Comprenderas que no puedo

27 Lettre de Germân Puig à Néstor Almendros, 16 février 1952. C'est Germân Puig qui
souligne.
30 CM.H.L.B. Caravelle

estar al tanto de todo: tengo también ocras cosas ademas de la


Cinemateca.28
Les propos d'Almendros soulignent les limites de l'action des
membres de la Cinemateca : leur investissement était bénévole, et ne
pouvait se faire que sur le temps libre que leur laissaient leurs études ou
leur travail. Par ailleurs, un problème essentiel se posait à eux: celui du
stockage des filins. Même s'ils avaient réussi à retrouver des films cubains
et à tirer des copies des films que leur envoyait la Cinémathèque
Française (ce qu'ils tentèrent de faire dès qu'ils le purent), ils n'auraient
pas eu de locaux où les entreposer (contrairement à Valdés Rodrfguez,
qui disposait de quelques étagères à l'Université).
Le 1er mai 1952, German Puig rentra à Cuba et tenta aussitôt de
trouver une solution à ce problème, sans succès malheureusement. Par
ailleurs, il s'occupa de déposer définitivement les statuts de la Cinemateca
(un document officiel atteste que la démarche eut lieu le 23 juin 1952).
Ce texte, que nous avons pu consulter, exposait le mode de
fonctionnement de l'association et l'article n°2 en particulier fixait ses
objectifs. Le premier d'entre eux était le suivant:
a) conservar roda clase de documentos (fotografias, artfculos, revistas,
libros, manuscritos, peri6dicos, programas, partituras musicales, material
de publicidad, guiones, textos impresos, manuscricos o daccilografiados,
maqueras de decoraci6n, dibujos, trajes, recuerdos) que hayan
pertenecido a la cinemacografia y films positivos y negativos que le sean
confiados en dep6sito, prestados, dados y que puedan adquirirse.
L'association cherchait donc avant tout à conserver des films et des
documents liés au cinéma, même si d'autres articles prévoyaient
également de favoriser la diffusion du savoir cinématographique et
d'organiser des projections. II s'agissait bel et bien, dans l'esprit de son
fondateur, de créer à Cuba une authentique cinémathèque, et non de
perpétuer le Ciné-Club créé en 1948.
Afin de marquer l'indépendance de la Cinemaceca, Puig sépara ses
activités de celles de Nuestro Tiempo dès son retour, n'hésitant pas,
comme nous l'avons expliqué, à se mettre à dos Alfredo Guevara. Puis il
chercha à installer la bibliothèque de la Cinemateca dans les locaux du
Colegio de Arquitectos, qui servaient déjà depuis plusieurs mois à
projeter les films. La coopération dura quelques mois, puis la Cinemateca
dut chercher un nouvel endroit où organiser ses séances, mais trouva à
chaque fois porte close. Sans aucun soutien, sans moyens financiers et
subissant une situation politique défavorable (Batista venait de s'emparer
du pouvoir par un coup d'Etat), l'organisme finit par cesser ses activités,
alors même que son succès auprès du public ne se démentait pas. On
peut imaginer que les agissements incessants de Valdés Rodriguez ne

28 Lettre de Néstor Almendros à German Puig, fin février 1952.


PIONNIERS DE lA onセmath￈que@ DE CUBA 31

furent pas étrangers à cet arrêt. Voici en effet ce qu'écrivait Germân Puig
à Ricardo Vig6n le 15 août 1952:
Ricardo:
Estas lineas para explicarre el asunto V. R.-Cinemateca-Artic.
Después de varios intentos, hoy en casa de E. H. Alonso nos reunimos
con V. R ..
La Arcic nos cerr6 la prensa hace ya dias y V. R. nos acusa de llamarle
ladr6n, no teniendo otras pruebas que los comentarios de algunos de sus
allegados. El Sr. Alonso estima que las pelkulas debieron ser entregadas a
la Universidad por ser este organismo nuestro maximo centro docente,
etc.etc. que es una manera sutil de ponernos frente a la Universidad pues
ya tu sabras Io que les importa a éstos la docencia, la decencia y todos
esos conceptos que tan libremente usan. Y nos acus6 incluyéndote a ri de
querer perjudicarlo.
La Arric estima que roda la divulgaci6n cultura [sic.] de tipo
cinemarogrâfico debe ser ofrecida por la U niversidad y no nos confiere
«estabilidad» suficiente para que ofrezcamos nosotros esos programas. Se
nos acusa de haber rratado con Langlois la obtenci6n de los programas
«por medio no muy recomendables [sic.)» . Nos acusan de difamarlo, etc
[... ].
Suit une information étonnante :
Piensan querellarse contra M. Langlois y difamarlo; aquî han dicho que
es un irresponsable que no tiene suficiente moral para ocupar el cargo
que ocupa. Nosorros no queremos escribirle a M. Langlois informindole
sobre estas cosas pues nos parece mejor que ru, que estas cerca de ellos, se
Io informes personalmente. E. H. Alonso es el Presidente de la
A.R.T.l.C. {Asociaci6n de redactores teatrales cinemarograficos).
De por mcdio estaran probablemence El Sr. Embajador de Francia, El
Miniscerio de relacioncs exteriorcs y en caso de fracasar sus gestiones nos
han dicho que apelaran en una campafia difamatoria por medio de la
prensa francesa.
Face à la tournure délirante que prenaient les événements, Puig ne
pouvait que conclure en ces termes :
El problema es en sîntesis: forz.arnos a ccderles las pelîculas. Tu sabes que
no hemos tenido crîcica y que ninguno de csos sefiores amantes del cine
ha pasado un solo dîa a ver los programas de la Cincmatcca. El caso es
acabar con nosotros por codos los medios.
Mais le danger ne venaic pas simplemem de l'extérieur: au sein même
de la Cinemateca, certains critiquaient le travail de son fondateur. C'est
ainsi que, lors d'un séjour à Venise, en septembre 1952, Gutiérrez Alea
explique à Ricardo Vig6n que German Puig n'est pas la personne la plus
indiquée pour diriger l'organisme. Vig6n résume ainsi la discussion qu'il
a eue avec Gutiérrez Alea et Garda Espinosa :
32 CM.H.L.B. Caravelle

Tic6n ha enrolado [a Julio Garda Espinosa] en sus asuncos, y forman una


unidad de pensamiento y perspeccivas. [... ) Tit6n y Julio estaban de
acuerdo en que tu no estabas capacitado para manejar los asuntos del
Cine-Club y hasca me preguncaron quiénes estaban trabajando alla en el
Cine-Club y siguen con las ideas eternas de la dependencia de los
periodistas, les afect6 mucho la historia de la A.R.T.l.C. Ademas
inmediatamente me dijeron Io que te habla predicho en la carra anterior
y opinaron que tu no hablas hecho nada en Paris y que para tener una
verdadera personalidad cinematografica habla que hacer una escuela. Me
trataron de empujar la idea de que ellos hoy en dîa tienen cal
personalidad. [... ).
Frente a la cuesti6n de si eras o no el que debias esrar frence a los asuncos
de la Cinemateca, les dije que tu eras la unica persona que de vida cstaba
comprometida con ella no s61o en pasado y prcscnte sino también en
futuro y que todos los logros de ella (la Cinemateca) estaban basados en
tu labor. Te diré que esto los call6 definicivamente.29
Comme on peut le voir, German Puig ne pouvait compter réellement
que sur l'amitié de Ricardo Vig6n et, la jalousie des uns se combinant
aux ambitions des autres, la structure qu'il avait créée finit logiquement
par cesser de fonctionner. La Cinemateca projeta son dernier film le 2
novembre 1952. Il s'agissait de La Passion de jeanne d'Arc, de Dreyer, et
cette séance fut celle qui réunit le plus de spectateurs depuis la création
de l'organisme.

L'éphémère renaissance de la Cinemateca de Cuba

Même si les conditions exactes de la dissolution momentanée de la


Cinemateca restent floues (German Puig ne se souvient plus des détails,
et il semble par ailleurs que la période ait été pour lui compliquée d'un
point de vue personnel), une chose est certaine : jamais le soutien de
Langlois et de la Cinémathèque Française ne furent remis en question.
C'est ce que l'on constate à la lecture des lettres de Ricardo Vig6n,
notamment dans celle qu'il adresse le 27 avril 1953 à Adoraci6n, la
femme de Germân Puig :
Una cosa fundamenral es que no me informas de si la Cinemateca exisre
o no (segun carra de Alejo, German dice que no anda bien por falca de
films, pero ésta no es la raz6n pues basta con pedirmelas para que yo haga
rodas las gestioncs), Langlois y Meerson siempre me preguncan por ella y
yo he tenido que decirles [... ] que al parecer ésta ha dejado de existir.
[... ] Ellos le cienen un gran carifi.o a German y siempre insiscen
preguntandome por él.30

29 Lettre de Ricardo Vig6n a German Puig, 11 septembre 1952.


30 Lettre de Ricardo Vig6n a Adoraci6n Gonzilez de Chavez, 27 avril 1953.
PIONNIERS DE U ONf.MATHt.QUE DE CUBA 33

Langlois continuait par ailleurs à correspondre avec Puig, lui


conseillant en particulier de ne pas perdre contact avec la FIAF.
De 1952 à 1955, les membres de la Cinemateca continuent de se
fréquenter, mais les relations se sont distendues et chacun suit sa
trajectoire personnelle : Cabrera Infante entame une carrière de
journaliste, Gutiérrez Alea, revenu d'Italie, est accaparé par Nuestro
Tiempo, Néstor Almendros est à New York et German Puig a trouvé un
travail de rédacteur-concepteur dans une agence publicitaire. En 1955,
Puig parvient d'ailleurs à tourner un court métrage pour la sécurité
routière, parrainé par Esso et intitulé Carta de una madre (le film
rencontre un tel succès que la direction de la compagnie pétrolière lui
écrit pour lui faire part de sa satisfaction). Un an auparavant, il avait
fondé avec Carlos Franqui une petite société de production de courts
métrages.
En octobre 1955 (du 6 au 19 exactement), Puig effectue un voyage à
New York en compagnie de Adrian Garda Hernândez et il profite de son
séjour pour se rendre au MoMa, où il prend contact avec le responsable
des archives filmiques. Il souhaite en effet relancer la Cinemateca et les
collections du musée new-yorkais l'intéressent. Peu de temps auparavant,
Guillermo Cabrera Infante, également de passage aux Etats-Unis, a réussi
de manière totalement exceptionnelle à convaincre le musée de prêter ses
films à la Cinemareca. Avec l'appui de l'lnstituto Nacional de Cultura,
dirigé par Guillermo de Zéndegui, qui accepte d'accueillir les projections
de l'association au Palacio de Bellas Arces, Puig est en mesure de relancer
la Cinemateca et il organise un nouveau cycle intitulé « Los clasicos del
Museo de Arce de Nueva York». La première séance a lieu le 3 décembre
1955 et la dernière le 26 mai 1956 (un deuxième cycle débutera le 24
août, puis s'interrompra brutalement).
Cette renaissance de la cinémathèque cubaine entraîne de nouvelles
attaques de Valdés Rodriguez. Cinq ans après avoir réclamé le monopole
de l'exploitation des films envoyés par la Cinémathèque Française, le
professeur de l'Université de La Havane prétend détenir l'exclusivité de la
diffusion de ceux du MoMa. Mais une responsable du musée écrit à
German Puig pour le rassurer :
Mr. Adams relis us that Senor Rodrigez [sic.] has claimed chat 'he was the
only man in Cuba who was permitted co import Museum films, thac we
had given him an exclusive license to do so.' This is, of course, manifesdy
impossible: we never gram exclusive licenses to anyone to renc films in a
given area. [.. . ]
Please do not hesitate to wrire if we can help in any way.31
Valdés Rodriguez sera cependant moins nuisible que la première fois,
et il semble que sa tentat ive de destabilisation de la Cinemateca n'ait pas

31 Lettre de Margareca A.kermark (MoMa, Circulation Direccor) à German Puig, 25


octobre 1955.
34 C.M.H.L.B. Caravelle

connu de suite. La crise viendra en fait de l'intérieur, une violente


dispute éclatant entre les membres de la direction au beau milieu du
cycle (c'est-à-dire au cours du premier semestre 1956, à une date que
nous n'avons pas réussi à déterminer avec précision) . Alors que l'Instituto
Nacional de Cultura, devant le succès remporté par les projections de la
Cinemateca, s'apprêtait à apporter un soutien plus conséquent à
l'association en lui fournissant enfin les locaux dont elle avait besoin pour
conserver ses films, une partie de ses responsables décida de réaliser un
acre de protestation contre le régime de Batista. German Puig résume
l'incident de la façon suivante:
En medio del ciclo, que durô del 3 de diciembre de 1955 al 26 de mayo
de 1956, parce de la direcciva, en nombre de una « coma de conciencia
polftica '" decidiô interrumpir el ciclo de Bellas Arces secuescrando una
de las peliculas a punto de exhibirse. Yo no entendla esa actitud. Siempre
he sido apolfrico. [... ]
No recuerdo de qué pelîcula del ciclo se trataba, pero logré rescacarla
antes de que Guillermo Cabrera Infante y Adrian Garcia Hernândez se
hicieran con ella. Me encreviscé con Guillermo de Zéndegui y Io puse al
canto de los aconcecimicncos, ratificandole mi respeto al compromiso
contrafdo y mi decisiôn de llevar a cérmino la proyecci6n de codas las
pelfculas del ciclo. [... ]
Al finalizar el ciclo y a causa de este conflicco, Zéndegui me recir6 su
apoyo y quedé solo con Julio Matas, excelente compafiero, y Rodolfo
Sancovenia, amigo exœpcionaJ.32
Puig raconte ensuite, désabusé, la fin de cette cinémathèque pour
laquelle il s'était tant battu :
Al perder el apoyo del Inscicuco Nacional de Culcura y el local de Bellas
Arces se reprodujo la menescerosa busqueda de locales del pasado. Lleg6 a
mis ofdos que los desertores ((cômo llamarlos?) no encontraron otro
medio de ejercer su milicancia que repetir las « hazafias » de Valdés
Rodrfguez para que no consiguiéramos locales. Eso se me dijo y nunca
pude comprobarlo, pero volvimos a arroscrar las mismas dificultades de
antafio hasca que el Lyceum Lawn Tennis Club nos prest6 su local.
Durance tres semanas Guillermo Cabrera Infante sosruvo en Carte/es una
polémica, si mal no recuerdo con Julio Matas, en la que afirm6 cosas
como éstas : «La Cinemateca exhibida sus films en una instituci6n
femenina» y «Puede que triunfe, los films se Io merecen. Puede que
fracase, ese sefior (se referfa a mf) se Io merece.,,33
L'implosion de la Cinemateca scella les retrouvailles momentanées de
Cabrera Infante et Nuestro Tiempo, certains membres de la société
culturelle, dont Gutiérrez Alea, ayant participé au sabordage. De manière
ironique, les deux tendances idéologiques que chacun représentait

32 German Puig, rexre inédit.


33 Jbid.
PIONNIERS DE lA ÜNËMATHtQUE DE CUBA 35

allaient s'affronter quelques années plus tard lors de l'affaire P.M., et


Guevara aurait alors raison de Cabrera Infante.

Retour à Paris

Très affecté par le conflit et la disparition de la Cinemateca, German


Puig se retourna vers Langlois, dont il ne doutait pas de l'amitié. En
décembre 1956, il lui écrit ainsi pour lui expliquer la situation, et lui fait
part de son désir de retourner à Paris, pour travailler à la Cinémathèque
Française (la lettre, rédigée en français, comporte quelques fautes que
nous avons conservées) :
Mon cher Henri,
J'ai vu hier soir Carlos Figueredo, il m'a longuement parlé de toi, de ta
petite feuille remplie de commissions dont la derniere etait « de novuelles
de German Puig 11. Je me sens un peu coupable de ne t'en donner plus
souvent moi-même, mais je n'aime pas a me plaindre et ma lutte a eté
terrible et pire que sterile. Presque tout le monde esc contre moi a cause
de leurs interets pas du cout purs [... ]. La Cinemaceca de Cuba est
mourante sans avoir connu la vie qu'elle meritait.
Une vague d'envie m'a entouré pendant longtemps sans que je me
rendasse compte et a abouti avec notre depart de l'Institut de Culture
forcé par cercains membres de notre ex-directive: Guillermo Cabrera
Infante, Roberto Branly, Jaime Soriano, Paul Villanueva tous conscients
que c'etait le premier pas a la liquidation de la Cinemateca de Cuba,
comme on a pu constater plus tard. Enfin correspondance violée et volée
par Cabrera Infante qui s'est erige en mon pire ennemi et en etanc
critique lui aussi a adopté la meme position de ce degoutant personnage
qui est Valdes Rodriguez. C'est trop long douloureux et desagreable a
raconter en detailles par lettre.
Carlos m'a dit qu'il a travaillé avec toi, que eu le donnait de quoi vivre, et
qu'en partant tu l'as demandé s'il pouvait ce laisser quelq'un a sa place. Et
bien, SI CETTE PLACE EST OUVERTE POUR MOI JE SUIS PRET
A PARTIR TOUT DE SUITE. J'ai la profonde certitude que ma seule
possibilité de regagner ma vie et ma creation est en France, et en France
pres de toi. Je suis sur que de la bas je ferais beaucoup plus pour le
Cinema a Cuba qu'en restant ici.34
Langlois accepte bien entendu de l'aider mais le met en garde contre
les difficultés qu'il va rencontrer: la Cinémathèque Française n'a pas
d'argent et ne peut lui fournir qu'un maigre poste de stagiaire. Malgré
rout, Puig est bien décidé à quitter Cuba, et il n'hésire pas à abandonner
e pendant quelques mois sa femme et son fils ranc il est nécessaire pour lui
à ce momenc-là de fuir l'atmosphère étouffante qui règne à La Havane.
Le 8 mai 1957, il embarque pour la France, qu'il atteint le 27 mat

34 Lettre de German Puig à Henri Langlois, 29 décembre 1956.


36 CM.HL.B. Caravelle

suivant. Une fois à Paris, il commence par travailler à la Cinémathèque


Française pendant quelques mois, mais sa paye est tellement misérable
qu'il demande et obtient une bourse d'études du gouvernement français,
qui lui permet de suivre les cours du centre audiovisuel de l'E.N.S. de
Saint-Cloud. Il en sort diplômé au mois de juin 1958 et multiplie les
voyages entre la France et l'Espagne, à la recherche de travail dans le
secteur de la publicité. Insensible à ses problèmes financiers, Langlois lui
reprochera d'avoir quiné la Cinémathèque Française au bout de quelques
mois, mais n'en continuera pas moins à lui témoigner son amitié. C'est
alors que survient la Révolu tion cubaine : les anciens amis de German
Puig accèdent à de nouvelles responsabilités.

Projets avortés

Quand Castro arrive au pouvoir, Alfredo Guevara entreprend de


centraliser les activités cinématographiques et de les placer sous son
contrôle. En mars 1959, il crée l'ICAIC et fait appel aux anciens
membres de Nuestro Tiempo pour constituer le noyau dur de
l'organisme. Gutiérrez Alea et Cabrera Infante épaulent ainsi Guevara
durant les premiers mois, puis Cabrera Infante q uitte l'Institut comme il
avait déjà quitté Nuestro Tiempo peu de temps après sa création. Il a
compris que l'ouverture d'esprit de Guevara n'est qu'une façade et qu'en
réalité l'orientation idéologique de l'ICAIC a déjà été fixée. Cabrera
Infante pense pouvoir faire exister un discours plus libéral dans le
magazine Lunes de Revo/ucion mais, en 1961, la censure de P.M. et les
paroles de Castro aux intellectuels lui démontrent qu'il se trompe.
L'ICAIC se présente au départ com me un organisme ouvert et
tolérant : Guevara organise une grande réunion pour inviter quiconque
s'intéresse au cinéma à rejoindre l'Institut, et sonne le rappel de ses
connaissances. C'est ainsi qu'il débauche Gutiérrez Alea de la Dirccci6n
Nacional de Culcura del Ejércico Rebelde, organisme créé par Camilo
Cienfuegos dès les premiers jours de la Révolution, et le jeune cinéaste
prend lui-même contact avec Rarn6n Suarez, qui vie alors en Suède, pour
le convaincre de venir participer à la Révolution (Suarez exigera plus tard
de Gutiérrez Alea qu'il l'aide à quitter Cuba). Néstor Almendros, qui
était à New York, retourne à La Havane à l'automne 1959, tandis que
Ricardo Vig6n, qui se trouvait pour sa part au Mexique, revient au
printemps. Puig préfère quant à lui rester à Paris et cherche à agir pour le
cinéma cubain depuis la France.
Ricardo Vig6n et German Puig se heurteront cous deux à l'hostilité de
Guevara, et aucun des projets qu'ils défendront ne sera retenu. Ricardo
Vig6n se verra même interdire purement et simplement l'accès à
l'ICAIC.
PIONNIERS DE LA onセmathエque@ DE CUBA 37

Vig6n rentre à La Havane peu après la création de l'ICAIC, au mois


de juin 1959, et cherche aussitôt à relancer la Cinemateca. De son côté,
Puig travaille sur un projet de Centre Audiovisuel, sorte d'école de
cinéma financée par la France et qui devait être créée à La Havane. Le 22
juin 1959, Vig6n écrit à son ami pour l'inciter à revenir à Cuba et sa
lettre, comme les suivantes, nous montrent sous un jour inédit une
période cruciale de la vie culturelle cubaine contemporaine :
Debes regresar en estos momentos aunque después te vuelvas a ir, tu
sabes que ahora no te sera diffcil hacerlo si ves que no te conviene
quedarte.
Yo trato de resuscitar la Cinemaceca, por supuesto que cuento contigo y
asî Io he hecho consta.r en el Memorandum que presenté al Instituto de
Cine y que presentaré también en el Bellas Actes. Me parece muy
interesante Io del cenrro audiovisual. Guevara es Director del lnstituto y
Titôn tiene el segundo cargo en imponancia, Guillermo mas o menos
como Tit6n. Los dos primeros, por supuesto, no te aceptan y Guillermito
tengo la impresi6n que si. Trabaja.ré en Revoluci6n escribiendo tres veces
por semana. De todos modos daré la bacalla. Hay dinero para hacer cine.
Estoy seguro que aqu! tû y sobre codo si te apareces con Io del centro
audiovisual triunfaras a pesar de ellos. Ayer vi un documentai de Tic6n
con guiôn de J. G. Espinosa, malîsimo, hecho a base de clichés mal
ensemblados. A!go absurdo. Lucha por venir German, no te dejes
acomplejar.
Le jugement que Vîg6n porte sur le travail de Gutiérrez Alea est sans
appel, et il n'hésitera pas à le formuler devant Guevara lorsque les
relations deviendront ouvertement conflictuelles entre les deux hommes
(Vig6n en viendra même à gifler le directeur de -l'ICAIC en public). La
lettre de Vig6n nous révèle par ailleurs que le projet visant à faire revivre
la Cinemaceca fut présenté de manière officielle. On imagine sans peine
que les raisons du refus devaient tout à des conflits de personnes puisque
la Cinemateca fut finalement relancée en 1961, quelques mois après la
disparition de Vig6n. Ce dernier ne frappa pas uniquement à la porte de
l'ICAlC, mais se tourna également vers d'autres institutions culturelles,
comme nous l'apprend une lettre datée du 6 juillet 1959:
German,
ya han pasado 3 semanas de estar aquî. Mis impresiones han carnbiado.
Pero antes de hablar de m{ te <liré Io tuyo.
Creo que no debes venir sino ceniendo algo de concreco. Lo de la Unesco
me parece muy bien. Debes entonces hacer todas las gestiones para esco y
no dejarce caer. Por qué no escribes al ministro de Educaci6n Armando
Hart? El es amigo de Titôn pero nunca tuvo nada que ver con nosotros
[ ... ].
Ayer vi a Maritza Alonso quien se ocupa en Bellas Arces de Cine, Radio y
Televisi6n. También de forograffa (nueva creaciôn en cuanto a
departamento). Es con dia con quien tenga que ponerme de acuerdo
para Io de la cinemateca. Ya presenté el memorandum. Esta de acuerdo
38 CM.HL.B. Caravelk

para que tu seas el enlace con la cinemateca en Francia y se te pagarfa


algo: ella es persona diffcil, pues acomplejada. T eme que yo quiera
apoderarme de un cargo que le pertenece, asf que yo serfa colaborador
solamente. No importa. Por qué no hablas con Langlois y le explicas la
nueva situaci6n? Temo que alguien le escriba antes. Dile que soy yo
quien se ocupa de esto. Por mi parte le escribiré. (... ]
Ricardo Vig6n poursuit en expliquant quel sort lui réserve Guevara :
No vengas con las manos vadas. Hay quien me aconsej6 que no ligara mi
nombre al tuyo, pues me perjudicaria con los demas, yo creo que es
cietto, pero no tengo ninglin interés en estar bien con cierca gente.
Guevara no me tiene voluntad (automâticamente), y trata de dejarme
fuera. Hasca ahora Io logra. T rataré de ingresar en el sindicato y Io haré
con la ayuda de Guevara, a ver si se niega. He pensado (ahora) conseguir
una bcca para estudiar en la IDHEC, ni sé si convendrfa mas, me
repugna un poco la perspectiva de luchar con esta gente. Pero en Cuba
habrâ industria de cine y me nicgo a pensar que se me excluya. Si me voy,
ellos se qucdacin duefios del rerreno, cofio, csto me da rabia [...].
La persona que mas câlidamente me ayuda es Lezama Lima, es
verdaderamence alguien excepcional.
On appréciera la lucidité avec laquelle Vig6n observe la situation et
entrevoie l'avenir: l'ICAIC est déjà en train de devenir une chasse gardée
pour anciens membres de Nuestro Tiempo et coutes les initiatives qui
viennent concurrencer le monopole que cherche à créer Guevara sont
aussitôt écarcées, surtout quand elles sont le fait d'individus qui refusent
d'instrumentaliser le cinéma pour en faire une arme politique. Ricardo
Vig6n en fait très vice l'expérience. La situation se dégrade en effet
rapidement et le 30 juillet le bilan qu'il tire est encore plus sombre que
dans sa lettre précédente : .
Entre Guevara y yo habla una especie de statu quo hasta ahora
mantenido. La realidad era que no me quiere en el Instituto [... ] Tit6n
por su parte muy negativo y sin mover el dedito para ayudarme. Hubo
dos o tres débiles acciones para colocarme ailleurs [sic.], por ejemplo la
cinemateca en Bellas Artes. Esto de la cinemaceca si se hace sera gracias a
mis carreras.
Vig6n explique ensuite que, lors d'une réunion avec Guevara, il a
exprimé tout le mal qu'il pensait du film de Gutiérrez Alea, Esta tierra
nuestra [1959):
Todo el mundo salvo Guillermito que puso reservas elogi6 el film,
considerado casi siempre obra maestra. Bien, el otro dia en casa de
Franqui le dije a Guevara delante de todos que Esta tierra nuestra era una
mierda y ademas la demostraci6n edatante [sic.] de la mediocridad de
Tit6n y Cfa. Y que ellos no cran los unicos que pod!an hacer cine.
Guevara me pidi6 que Io demostrara. Yo contesté qué c6mo si ellos
poseîan el instituto, el dinero, los aparatos, etc.
PIONNIERS DE LA onエmathセque@ DE CUBA 39

Vig6n cerne justement le problème que pose la centralisation absolue


des moyens de production cinématographique qu'a commencé à mettre
en place Guevara, et comprend que sa situation est maintenant
totalement compromise :
Ahora tengo a Guevara de enemigo mortal declarado, a Tit6n por
supuesto y a Espinosa ni se diga. Guillermito no me defendi6 aunque
campoco me atac6 abiertamente. Dijo que él opinaba que yo estaba en
una posici6n anacr6nica, que Guevara posefa la actitud mas pclctica en
relaci6n con el cine y que él es la persona indicada para administrar el
lnstituto. [... ] De Guillermito tengo sospechas. El no esta con los otros
dos, pero no se atreve a estar de mi parte porque yo no le sirvo de nada y
serla comarse todo el riesgo, y él no es un individuo que tome riesgos.
Seul Carlos Franqui, qui ne partage pas le sectarisme de Guevara,
accepte de faire travailler Vigon :
El asunto ahora es que Franqui me ha prometido que si yo presento un
buen plan para filmar, él me apoya. Franqui es el mas fuerte. [... ]
T engo el plan de realizar un documentai sobre la ciénaga de Zapata con
gui6n de Retamar, Fayad y Oraa. Una rrilogfa, episodios como en Paisa.
Ahora viene el « clou » de mi carta. German, ven, es neccsario que
vengas. Yo planteé a Franqui, y a Guillermo que tu rienes que estar aquî.
Yo solo soy muy débil. Pero comigo aquf, es distinto.
Pour Germân Puig, la tentation de rentrer à Cuba est forte, mais le
panorama que lui dresse son ami le dissuade de faire le voyage. Vig6n,
comprenant ses réticences, change de ton dans les lettres suivantes, et lui
explique que la Révolution lui offre malgré cout de nouvelles
perspectives, et que les querelles de personnes ne doivent pas l'effrayer.
Pourtant, sa propre situation montre bien à quel point l'hostilité à
Guevara peut être fatale à coute carrière dans le domaine
cinématographique ou culturel, et Puig préfère donc rester en Europe, où
il a trouvé du travail. Une autre raison l'incite à la prudence: son projet
de Centre Audiovisuel reste lettre morte et personne à Cuba ne prend la
peine de lui répondre. Méfiant, Puig n'a pas transmis direcrement le
projet à l'ICAIC, où il se doute que Guevara le mettra directement à la
poubelle, mais l'a adressé à Raymundo Lazo, Ambassadeur de Cuba. à
!'Unesco. Le mémorandum q u'il a rédigé résume les démarches qu'il a
effectuées auprès des autorités françaises et montre que le projet
bénéficiait d' un large soutien à Paris:
MEMORANDUM
De German Puig Paredcs, Experto Audio-Visual
Al Dr. Raymundo Law, Embajador de Cuba ante la UNESCO.
ASUNTO. Creaci6n en Cuba de un Centro Audio-Visual,
eventualmente anexo a la Cinemateca de Cuba.
POSIBILIDADES DE CREACION DE DICHO ORGANISMO
40 CMHL.B. Caravelle

A través de la ayuda ofrecida por cl Dr. Lefranc, mi director de estudios,


director del Centro Audio-Visual de Saint-Cloud (maximo organismo
audio-visual en Francia) con quien crabajarfa en comun y que
supervisarfa su creaci6n. El Dr. Lcfranc se cnconcrara el mes pr6ximo en
Ciudad México, asistiendo a un Seminario de Educadores Audio-
Visuales.
Mdiance [sic.] el apoyo del Miniscerio de Relaciones Exceriores, (M,
Michel M . De Beauvais, M. Gaussen) con donaci6n de macerial audio-
visual: vistas fijas, films, y eventualmentc equipo cstando ascgurada la
donaci6n de grabadoras magnécicas, para la ensefianza del francés
elemental y de idiomas extranjeros, asi como la presencia en Cuba de un
Experto Audio-Visual para la utilizaci6n de dicho medio; a cuenta del
cicado Miniscerio.
Ademâs, evencual donaci6n bibbliografica [sic.] y de publicaciones
peri6dicas especializadas por parte del Dr. Mauei del Centro de
Documencaci6n.
Me parece también oportuno sefialar que el Sub-Director del Centro
Audio-Visual de Saint-Cloud, Sr. Max Egly me ha manifescado su interés
en ir a Cuba a organizar personalmente dicho Cencro en el caso de ser
solicicada su presencia alla. Toda la ayuda expuesta serfa obtenible desde
el momento de la fundaci6n de un Centro Audio-Visual en Cuba. La
anexi6n de la Cinemateca de Cuba, fun dada por mi en 19 51 y
actualmence representada en Cuba por el Sr. Ricardo Vig6n, aportada el
apoyo de Federaci6n Internacional de Archivos Fflmicos, a cuyo
Congreso Anual que se celebrarâ el pr6xirno 20 de septiembre en
Estocolmo estoy invitado esperando obtener ail! la mayor ayuda posible
para Cuba.
Faute de réponse de la parc des autorités cubaines (on ne sait
aujourd'hui si le document fut seulement lu par les personnes
concernées), German Puig ne se rendit pas au congrès de la FIAF et se
résigna à voir son projet s'éteindre. Même s'il y avait quelque chose
d'anachronique à vouloir construire avec l'aide de la France un centre
audiovisuel clé en main à un momerie où Cuba cherchait à s'émanciper
de la tutelle étrangère, la démarche de Puig n'en n'était pas moins
cohérence par rapport à son parcours personnel et témoignait d'un
attachement indéfectible à la cause du cinéma dans son pays.
Début 1960, tous les espoirs de voir revivre la Cinemateca
s'envolèrent définitivement lorsque disparut Ricardo Vig6n, des suites
d'une maladie intestinale dont il souffrait depuis l'enfance. Puig vécut
douloureusement la nouvelle et la more de Vig6n accrue son sentiment
de solitude dans le nouveau panorama de la vie culturelle cubaine. Une
des rares personnes avec lesquelles il resta en contact fut Néstor
Almendros, et dans une lettre qu'il lui adressa de Barcelone le 26 octobre
1960, il tirait ainsi le triste bilan des mois écoulés :
PIONNIERS DE 1A ÜNtMATHtQUE DE CUBA 41

Querido Nestor,
eu carta Ueg6 hace un par de dias y me produjo verdadera alegria, aparte
de mi familia no recibo noticia alguna de mis compatriotas dcspués de la
muerce de Ricardo que cra la unica persona con quien mantenla una
relaci6n viva a pesar de la distancia. Tu carta adcmas de hacerme saber de
tus cosas me confirma cuanto csperaba de la sicuaci6n del cine en Cuba
estando en el Insàtuto Alfredo Guevara. Yo hc deseado en mas de una
ocasi6n regtesar a Cuba, pero la triste experiencia de Ricardo que luch6
por mi regreso y ahora la tuya me hacen seguir considerando que debo
esperar un poco. Adoraci6n me ha dicho que en mas de una ocasi6n tu
hablaste en el Instituto de ml, pero sé de sobra que ello era
completamence inutil, ya que Tit6n y Alfredo pasaron por Paris, cl
primero me dio exquisitas ・カ。ウゥセ@ cuando le mostré mi deseo de volver,
al segundo, que se Uev6 en cse viaje a Eduardo Manet, ni le vL Considero
que la experiencia cubana cs de una importancia que tal vcz supere
cuanto podamos imaginar, pero aunque sienta el dcseo de regrcsar, no
puedo permicirme cse lujo no haciéndose Publicidad en Cuba (que no
me interesa volver a hacer} y estando Guevarita en cl lnstituto. Yo creo
que deblan tratar de hacerlo saltar y publicar en Revoluci6n un buen
articulo con tu caso, el de Guillermito y el de Ricardo. Su actitud cs
completamente antirevolucionaria, y por no apoyar a Ricardo y por ende
a m{ no exiscen codavfa en Cuba ni una Cinemaceca, ni un Centro Audio
Visual.
Puig crut à tort que Guevara ne resterait pas longtemps à la tête de
l'ICAIC, et surestima les forces de Franqui et de Lunes de Revoluci6n,
pensant qu'ils pourraient s'opposer à Guevara avec succès. En 1961, avec
l'affaire P.M., ce fut au contraire Guevara qui fit tomber la tendance
libérale incarnée par Franqui, les frères Cabrera Infante, Almendros et
Giménez Leal (qui tous finiraient en exil). Les noms de Vig6n et de Puig
disparurent progressivement des manuels de cinéma cubain, les
vainqueurs veillant, comme on le sait, à (ré)écrire !'Histoire.

Conclusion

Comme nous espérons l'avoir .mis en évidence, le travail que


réalisèrent German Puig et Ricardo Vig6n en faveur de la culture
cinématographique à Cuba ouvrit des perspectives nouvelles et permit
d'éduquer de nombreux spectateurs. Leur engagement se heurta
malheureusement au manque de soutien des autorités du temps de
Batista et à l'hostilité tenace de Guevara après la Révolution. Leur
conception libre de l'engagement artistique et leur idéalisme sans doute
excessif les rendit par ailleurs vulnérables aux attaques de ceux qui
voyaient dans la culture des enjeux de pouvoir avant tout autre chose.
Peut-être est-ce pour toutes ces raisons qu'ils vécurent de manière aussi
intense leur francophilie, finissant par se sentir plus à leur aise aux côtés
42 CM.HL.B. Caravelle

d ' Henri Langlois q ue dans les cercles de La Havane. Comme l'écrivit


Langlois à Puig le 14 mars 1957 :
Je sais que vous êtes poète, que vous ave-L besoin d 'air, et le peu qu'il en
reste en France est cout de même de l'air.
Il ne nous appartient pas aujourd' hui de dire si le refus d 'Alfredo
Guevara de relancer la Cinemateca (comme le projetait Ricardo Vig6n)
et de créer le Centre Audiovisuel (comme le proposait Puig), était justifié
ou simplement compréhensible. Par contre, il nous semble désormais
impossible d'ignorer l'œuvre p ionnière de ces deux jeunes gens dont le
seul crime fut de vouloir faire souffier sur La Havane u n peu de l'air de
Paris.

RÉSUMf- Cet article explore les conditions concrètes de la création et de la


disparition de la premièce Cinemaceca de Cuba et cherche à mettre en évidence
le rôle primordial de deux figures volonrairemenr oubliées d e l'histoire du
cinéma cubain : German Puig et Ricardo Vig6n. Il souligne également l'aide
décisive que leur apporta H enri Langlois et révèle l'existence, immédiatement
après la Révolution de 1959, d'un projet de centre audiovisuel à La Havane,
soutenu par les aucoricés françaises de l'époque.

RESUMEN- Este artfculo explora las condiciones concretas de la creaci6n y la


desaparici6n de la primera Cinemateca de Cuba y crata de poner de manifiesco el
pape! primordial de dos figuras intencionadamente olvidadas de la hiscoria del
cine cubano: German Puig y Ricardo Vig6n. lgualmence subraya la ayuda
decisiva que les brind6 H enri Langlois y revda la exiscencia, inmediacamente ..
después de la Revoluci6n de 1959, de un proyecto d e centro audiovisual en La
Habana, apoyado por las aucoridades francesas del momcnco.

ABSTRACT- This article explores the concrece conditions of the creatîon and
disappearance of che firsc Cincmateca de Cuba and cries to bring co che fore the
essential parc played by cwo purposely forgotten figures of the hiscory of Cuban
cinema: German Puig and Ricardo Vig6n. le also underlincs the decisive help
givcn co them by Henri Langlois and reveals the existence, jusc after che 1959
Revolution, of a projecc of an audiovisual centre in La Habana, which was
supporced ac the time by the French authoricies.

MOTS-CLÉS: Cuba, Cinéma, Cinemateca de Cuba, Cinémathèque Française,


relations franco-cubaines.

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