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HISTOIRE DU PEUPLE MACÉDONIEN

Lorsque les Slaves commencèrent, au VIe et VIIe siècle, à peupler en masse le territoire de la
Macédoine, ils étaient certainement loin de penser qu’en s’y fixant-ils laisseraient à leurs descendants une
terre que les siècles arroseraient du sang, un carrefour de civilisations, de peuples et de religions. Bien des
envahisseurs allaient s’y succéder, livrant sur ce morceau de terre des combats aussi longs que violents.
C’est précisément à cette place importante, centrale, sur la péninsule balkanique que la Macédoine doit
son histoire, une histoire implacable et cruelle, mais intraitable et tenace comme le Macédonien lui-
même. La terre macédonienne fut balayée par tous ces maux, soit que les combats se déroulaient dans les
Balkans, soit qu’ils ne faisaient que s’y entremêler pour embraser de bien plus vastes espaces. Ces
guerres, ces tempêtes et ces dévastations plongèrent la Macédoine dans une stagnation générale. De
longues périodes durant, le peuple macédonien fut frustré de ses droits élémentaires: lorsque la
Macédoine tomba sous la domination de l’Empire bulgare, lorsqu’elle eut à endurer l’esclavage de
Byzance au Moyen Age, puis celui de l’Empire ottoman, avant d’être partagée - proie longtemps guettée -
entre la Serbie, la Grèce et la Bulgarie.
La Macédoine occupe une position géographique très importante. Sa superficie totale est d’environ
68.000 kilomètres carrés. Ses frontières ethniques historiques suivent à l’est la vallée de la Mesta et les
contreforts occidentaux du Rhodope; au sud, elles descendent jusqu’au bassin de la Mesta, la côte de la
mer Egée, le mont Athos, Salonique et la Bistrica; à l’ouest, elles longent le massif montagneux du Pinde
et du Gramos, et celui de la Jablanica et du Korab; au nord, elles passent par les monts Šar et Kozjak; à
l’est, enfin, par les Osogovske Planine et la Rila. Mais cette Macédoine est divisée depuis plus d’un demi-
siècle par des frontières artificielles, de sorte que la République socialiste de Macédoine ne couvre
actuellement que 26.500 kilomètres carrés, tandis que son territoire en Grèce est connu sous le nom de
Macédoine Egée et celui qui se trouve en Bulgarie, sous le nom de Macédoine Pirine.
Le territoire peuplé par les Slaves macédoniens coïncide pour ainsi dire en tous points avec celui
de la Macédoine antique de Philippe II et d’Alexandre le Grand. Sur son déclin, en l’an 148 avant J.-C.,
cet Etat macédonien tomba sous la domination des Romains, qui dura jusqu’à l’effondrement de leur
empire en 478 et la restauration de Byzance.
Les premiers Slaves arrivèrent dans la région dès le Ve siècle. Plus tard, au cours des VI e et VIIe
siècles, ils se succédèrent en vagues irrésistibles, ne cachant pas leur intention de s’installer sur les bords
des rivières et des lacs, dans les plaines fertiles, sur les versants des riches montagnes et les côtes de la
mer Egée. Les tribus des Slaves macédoniens comprenaient notamment les Dragovites, les Rihninites et
les Sagoudites qui poussèrent leurs incursions le plus loin - jusqu’aux rivages de la mer Egée. Elles
avaient pour voisins - au nord, les Brsiaques et les Véléguésites, dans la pittoresque vallée de la Struma -
les Stroumianes, et à l’est - les Smolianes.
Ayant découvert les richesses et les beautés de ces contrées, les Slaves macédoniens luttèrent
farouchement pour les garder. Ils menèrent ainsi de violents combats contre les autochtones (Illyriens et
Thraces) qu’ils cherchaient à assimiler, et contre tous ceux qui tentaient de les asservir. Ils donnèrent
aussi l’assaut à Salonique, important centre stratégique, militaire et commerçant de Byzance. Leurs
attaques échouèrent, mais ils vinrent s’installer dans les environs et même dans la ville qu’ils
slovénisèrent. Ce caractère, Salonique allait le conserver jusqu’à nos jours.
Ces luttes incessantes enrichirent l’expérience guerrière des Slaves macédoniens qui formèrent de
grandes alliances tribales. Ce furent au début les « sklavini », des communautés souples et mobiles, très
efficaces pour faire face aux armées bien plus nombreuses de Byzance.
Foncièrement paisibles et industrieux, ces hommes s’adonnaient, les combats terminés, à la
culture de la terre, à la chasse et à la pêche, ainsi qu’à divers métiers: fabrication d’armes, d’outils et de
bijoux. Certains de ces métiers traditionnels chez les Slaves macédoniens se transformeront plus tard en
activités artistiques d’une valeur exceptionnelle: travail des métaux, orfèvrerie, tissage, travail du cuir.
Les Bulgares, Huns d’origine qui devaient être slovénisés par la suite, n’eurent longtemps aucun
contact avec les Slaves macédoniens. Mais, possédant une organisation militaire perfectionnée, ils
devinrent rapidement une force armée qui multiplia les succès contre l’Empire de Byzance. Au fil de ces
combats, la Macédoine fut dominée tantôt par les uns et tantôt par les autres. Mais cette soumission ne fut
jamais ni assurée ni définitive. Les Slaves macédoniens ne cessèrent de lutter pour se libérer et former
leur propre Etat. Toutefois, ils ne purent réaliser leur rêve parce qu’ils durent toujours combattre in
ennemi plus fort qu’eux. Sous le règne de Boris Ier, les Bulgares s’emparèrent de la Macédoine, et
lorsqu’en 864 ils signèrent la paix avec Byzance, le territoire macédonien fut rattaché durant une longue
période au Grand empire bulgare. Une partie en revint cependant à Byzance.
Au contact de Byzance, les Slaves macédoniens embrassèrent peu à peu le christianisme qui allait
gagner progressivement tous les autres Slaves du sud. Ayant fait du christianisme leur religion et leur
vision du monde, les Macédoniens développèrent leur culture qui connut un essor particulier à l’époque
des débuts de la littérature slave. Les premiers livres liturgiques furent traduits dans la langue des Slaves
macédoniens, et contribuèrent à l’épanouissement de leur littérature et leur culture.
La domination des Bulgares, qui se traduisait par une féroce exploitation féodale sous forme de
dîmes (céréales, miel, vin, lait, etc.), et de corvées (construction de forteresses, de routes, etc.), désintégra
l’autonomie tribale macédonienne.
La biographie du grand esprit macédonien Clément d’Ohrid révèle que, dès cette époque, les
princes levaient des impôts parmi les populations locales. L’Eglise, qui était devenue le feudataire
suprême, y ajoutait les siens. Au lendemain de la conversion au christianisme, lorsque le peuple
macédonien commença à développer sa culture slave, on vit se manifester des mécontentements et des
résistances qui annonçaient la naissance du mouvement bogomile.
Les Bogomiles qui prêchaient que nul n’avait le droit de régner sur son prochain, sur ses égaux,
étaient en quelque sorte la négation de l’ordre social existant alors en Macédoine. Leur enseignement qui
se répandit bientôt dans les Balkans et même en Europe, jusqu’aux côtes de l’Angleterre, procédait
d’idéaux proches à tous les hommes. Pour eux, tous les hommes étaient frères; c’est l’amour qui devait
les inspirer et les guider; quant au pouvoir, il n’était qu’une mystification inventée par les forts. Ils
renonçaient à toutes les jouissances et à toutes les richesses d’ici-bas. La guerre n’était légitime que si un
peuple était asservi et si ses terres étaient menacées par les envahisseurs. La violence leur était étrangère.
L’auteur de cet enseignement, le pope Bogomile était originaire d’un village situé au pied du mont
Babuna, et qui en porte encore le nom. Mais les Bogomiles sont également connus sous le nom de
« Babounes ». Il est intéressant de constater que Bogomile disait que Jésus-Christ n’était qu’un homme
abstrait. Selon lui, le corps du Christ était de nature divine et à l’abri de tous les maux humains.
Contraire à celui de l’Eglise officielle bulgare, cet enseignement fut impitoyablement persécuté.
Quant aux Bogomiles, ils étaient livrés au bûcher. Malgré une répression aussi cruelle, les idées du
mouvement bogomile qui se répandit de la terre macédonienne, firent jaillir en Europe médiévale et
dogmatique d’alors, les premières étincelles de la Renaissance, avant Luther, avant la Réforme.
Auparavant, les frères saloniciens, Cyrille et Méthode, avaient brisé à leur manière l’idéologie
dogmatique trilingue et donné droit de cité à la langue slave, ce qui avait été aussi une sorte de flambeau
de la Renaissance.
C’est également pendant cette période de subordination de la Macédoine à la Bulgarie que l’on vit
se manifester une autre forme de résistance. Aidé par les Bogomiles, Samuil forma un Etat qui devait être
le premier et l’unique empire de toute l’histoire du peuple macédonien.
La tyrannie exercée des féodaux donnèrent lieu à des révoltes de plus fréquentes. Les fils du
prince Nicolas - David, Moïse, Aaron et Samuil (Samuel) régnèrent à quatre. Les deux plus âgés ayant
rapidement trouvé la mort, les deux autres ne purent s’entendre. Samuil sortir vainqueur de ces démêlés
sanglants.
En fort peu de temps, ses légions s’emparèrent d’une grande partie des Balkans et lui permirent de
fonder un des plus puissants empires du sud-est de l’Europe, qui couvrait toute la Macédoine, la
Thessalie, l’Epire, l’Albanie, la Duklja, le Zahumlje, la Raška, la Bosnie, le Srem et le nord de la
Bulgarie. Mordant sur l’Empire byzantin, il s’étendait à l’ouest jusqu’à Zadar, sur la côte adriatique.
A l’apogée de sa puissance, Samuil fut aidé par Rome à se faire couronner empereur. Les Romains
avaient en effet intérêt à soutenir le monarque macédonien dans sa lutte contre la domination byzantine.
Mais saigné par ses nombreuses campagnes et conquêtes, l’Etat macédonien commença à perdre haleine.
Byzance en profita pour renforcer ses pressions. C’est en 1014 que Samuil livra, sur les versants de la
Belasica, bataille la plus sanglante et la plus tragique de son règne. Plus puissant, l’empereur d’Orient
Basile II infligea une défaite catastrophique à son adversaire, victime d’une trahison. Assoiffé de
vengeance et voulant humilier le vaincu, le souverain byzantin ordonna de faire crever les yeux à tous les
prisonniers des armées de Samuil. Néanmoins, on laissa un oeil à un soldat sur cent, pour qu’il pût guider
ses compagnons mutilés. L’interminable cortège de ces quatorze mille guerriers, fiers et indomptés,
traversa la Macédoine, arrachant partout des cris de douleur. Lorsqu’il vit leurs visages meurtris,
l’empereur, qui avait pourtant vécu bien des atrocités, fut si bouleversé qu’il mourut deux jours plus tard
d’une crise cardiaque.
L’essor que les Slaves macédoniens avaient connu sous Samuil fut brutalement brisé. Quelques
années plus tard, en 1018, toute la Macédoine était aux mains de Byzance. Le courage et la clairvoyance
de Gavril Radomir, qui avait succédé à son père l’empereur Samuil, ne furent d’aucun secours. Radomir
fut assassiné par son cousin Ivan Vladislav qui allait connaître le même sort que l’empire. Celui-ci
s’effondra et disparut dans le tourbillon des événements historiques. Les Slaves macédoniens avaient
perdu leur Etat dont ils avaient tellement besoin pour consacrer leur individualité.
Mais, mû par son esprit toujours en éveil, le peuple macédonien qui avait déjà subi tant de
souffrances et d’épreuves, ne se résigna pas à une destinée contraire. De révolte en insurrection, il
manifesta son indomptable volonté de vivre libre en combattant pour les idéaux humains les plus nobles.
Dès l’an 1040, Petar Deljan, fils d’un premier mariage de Gavril Radomir avec la fille du roi de Hongrie,
organisa un soulèvement avec l’aide de la Hongrie et libéra Skopje. L’insurrection ayant gagné en
ampleur, Deljan projeta de s’emparer de Salonique où se trouvait l’empereur Michel IV, malade. Mais, au
lieu de conquérir la ville d’où le monarque s’était enfui, Deljan perdit la vue dans un combat. Privé de son
chef, le soulèvement auquel participaient les Bulgares, les Serbes et les autres ethnies, se termina dès
1041. La nouvelle insurrection qui éclata en 1072, fut encore plus massive. L’armée de Gjorgi Vojteh
battit les cohortes byzantines, et les unités macédoniennes commencèrent à accumuler les victoires. Ce
n’est qu’après une année de violents engagements que l’empereur Michel VI Doukas parvint à les
maîtriser. Les révoltes, les émeutes et les insurrections de plus ou moins longue durée et aux succès plus
ou moins éphémères, furent un phénomène pour ainsi dire permanent dans la Macédoine asservie.
Aucune ne devait cependant donner de résultats tant soit peu importants.
Tandis que Byzance déclinait, le voisin du nord de la Macédoine - la Serbie ne cessait de se
renforcer. Sous le règne du roi Milutin, vers la fin du XIIIe siècle, la plus grande partie de la Macédoine
changea de maître et tomba sous la domination des Serbes. Et lorsque Dušan ( Etienne le Grand) se fit
couronner empereur, Skopje devint sa capitale. Après la mort de Dušan, en 1355, l’empire serbe se
désintégra sous la pression des grands seigneurs féodaux. Uroš, le fils de Dušan, n’était empereur que
formellement. Sur le territoire de la Macédoine, le pouvoir était exercé, entre autres, par le comte Vukašin
(Volkašin) et son frère Uglješa. Vukašin (Volkašin) prit même le titre de roi, et son frère celui de despote.
Faible, exsangue, écartelée par les luttes intestines, Byzance laissa peu à peu les hordes turques
pénétrer dans les Balkans où elles ne rencontrèrent guère de résistance de la part des petits Etats
incapables de s’unir pour faire face au danger. Cédant aux exhortations de son frère Uglješa, dont le
territoire était exposé aux incursions incessantes des Turcs, Vukašin (Volkašin) alla à leur rencontre avec
son armée dans laquelle servaient de nombreux Macédoniens. La bataille eut lieu en 1371 sur la rivière
Marica. Ce fut une défaite pour Vukašin qui y trouva la mort. Les hordes ottomanes déferlèrent sur les
Balkans. La Macédoine sombra dans l’esclavage turc qui devait durer près de cinq siècles, jusqu’en 1912.
Le fils de Vukašin (Volkašin), Marko conserva le titre de roi, mais il fut contraint de reconnaître
l’autorité turque. Vassal dans la région de Prilep, il payait tribut et fournissait une aide militaire à ses
suzerains, contrairement dont sa personne a été auréolée dans les contes populaires des Macédoniens
aussi bien que des autres peuples yougoslaves. Dans la riche imagination du peuple et dans la tradition,
Marko Krale deviendra un personnage légendaire, un héros sans pareil. Or, il fut tué en 1395, luttant du
côté des Turcs contre les armées valaques.
De tous les asservissements qui s’étaient abattus sur le peuple macédonien, l’esclavage turc était le
plus intolérable, non seulement par sa brutalité, mais aussi par les conséquences qu’il allait avoir. Pour
renforcer leur emprise sur ces régions, les Osmanlis y faisaient venir de nouvelles populations tout en
islamisant les autochtones, surtout en Macédoine occidentale. Ils se faisaient verser également un « tribut
de sang »; ils emmenaient les enfants macédoniens en Asie mineure où l’on en faisait des soldats qui
revenaient ensuite dévaster leur propre terre natale. C’étaient les trop célèbres janissaires. Les femmes et
les jeunes filles de Macédoine emplissaient les harems de leurs maîtres turcs. Ces Macédoniens islamisés,
qui existent encore, sont connus sous le nom de torbeši. Ils ont malgré tout conservé leur langue
maternelle, ainsi que les coutumes et les traditions de leur peuple d’origine.
On comprend que, dans ces conditions, les Macédoniens durent lutter pour leur survie. Ils firent
des miracles de fermeté d’âme et d’esprit de résistance pour préserver leur individualité et éviter
l’anéantissement. Ils parvinrent à sauvegarder leurs caractéristiques ethniques dans le tourbillon des
siècles. Bien plus, ils les accentuèrent, refusant de céder aux envahisseurs, même au prix des plus grands
sacrifices. Dans des conditions d’existence intolérables, les générations successives déclenchèrent des
émeutes et des insurrections sans cesse renouvelées. Les haïdouks qui prenaient au début le maquis pour
des raisons personnelles, pour se venger d’une vingtaine de combattants ou même davantage, avaient à
leur tête des voïvodes. A leur apparition, l’ennemi était saisi d’épouvante. Armés de poignards et de
haches, de sabres et d’épées, de fourches, de fusils et de pistolets sur lesquels ils prêtaient serment au
peuple, jurant de servir sa cause, ces combattants intrépides entretenaient l’espoir et la flamme de la
liberté sous les sombres cieux de la Macédoine.
Les montagnes regorgeaient de haïdouks, de vengeurs. Les histoires contant les hauts faits de ces
premiers libérateurs se transmettaient de génération en génération. Le peuple les louait dans ses chants.
C’est ainsi qu’en 1564, par exemple, les paysans de Mariovo et de Prilep organisèrent une jacquerie dans
le vain espoir de secouer le joug turc. Mais les émeutes de ce genre avaient un caractère essentiellement
local. Malgré les échecs et les défaites, le peuple macédonien ne devait jamais déposer les armes.
L’insurrection de Karpoš, dont le nom a été emprunté à celui de son chef Karpoš (Karopoš), le « roi de
Kumanovo », sembla devoir offrir aux Macédoniens leur véritable chance de succès. La guerre
austroturque battait son plein et les armées autrichiennes étaient aux portes de Skopje. C’est alors (1689)
que Karpoš entraîna le peuple dans la lutte, avec la promesse d’une vie enfin libre. Les insurgés
s’emparèrent de Kriva Palanka et de Kumanovo. Mais ces succès n’allaient pas durer longtemps. Bien
que soutenu par les Autrichiens, le soulèvement échoua. Karpoš fut pris et empalé près du pont de Pierre
à Skopje. Son corps percé de lances fut jeté dans le Vardar. Sa mort héroïque le fit entrer dans la légende.
La vaillance et le sacrifice de Karpoš et des autres haïdouks et combattants, hommes et femmes, furent
pour le peuple un exemple, l’incitant à persévérer dans la lutte pour la liberté. La poésie populaire a su
leur attribuer une place de choix.
Dans le long enchaînement de combats et d’événements historiques, le soulèvement de Kresna
compte, à juste titre, parmi les plus significatifs. Il fut déclenché en 1878 dans le village de Kresna par
une attaque contre la garnison turque, pour prendre par la suite une grande ampleur. D’après le cachet de
son état-major, il se déroula sous le nom de « soulèvement macédonien ». D’autres intérêts, ceux de la
Bulgarie et des grandes puissances en particulier, étant entrés dans le jeu, des discordes éclatèrent entre
les chefs. Les Turcs purent dès lors l’étouffer beaucoup plus facilement. Mais il n’en fut pas moins le
prélude à un soulèvement beaucoup plus important beaucoup plus important: l’Insurrection d’Ilinden.
L’empire turc, encore militairement puissant, fut secoué dans le courant du XIX e siècle par des
crises économiques, des frictions politiques et des troubles intérieurs. Dans la Macédoine de cette époque,
on assistait à un développement très rapide des villes. Le commerce et les métiers étaient en plein essor;
la jeune bourgeoisie se consolidait. Le port de Salonique gagnait en importance. Le Vardar était une voie
fluviale tout indiquée pour l’acheminement des marchandises vers le sud. L’économie de la Macédoine se
renforçait. Les réformes accomplies en Turquie favorisaient, de leur côté, les échanges commerciaux.
Mais le progrès économique de la Macédoine attirait les regards envieux des lorsque l’empire ottoman se
serait effondré et lorsque les Macédoniens se seraient délivrés des Turcs. Au fil des années, ces
convoitises ces convoitises seront de plus en plus démesurées. On avait mis au point toute une stratégie
pour s’approprier le territoire macédonien. L’influence grecque deviendra bientôt prédominante. Utilisant
les églises et les églises et les écoles, les Bulgares ne cessaient de renforcer leur propagande, tandis que
les intérêts serbes se ménageaient d’importants points d’appui.
Malgré les pressions intérieures et extérieures, l’aspiration du peuple macédonien à la libération
nationale prenait une forme de plus en plus nette et organisée. Elle allait se manifester avec une vigueur
particulière, au siècle dernier, dans le mouvement du Renouveau. Sur le plan politique, on avait abouti à
l’idée d’une Macédoine autonome, d’abord dans le cadre de la Turquie et plus tard sous la forme d’un
Etat macédonien indépendant. Les forces révolutionnaires macédoniennes dont la montée fut
particulièrement puissante dans les dernières décennies du XIXe siècle, étaient parfaitement conscientes
des dangers qui venaient à la fois de la domination turque et des convoitises extérieures. Aussi formèrent-
elles leur organisation, la VMRO (Organisation révolutionnaire macédonienne intérieure), en 1893 à
Salonique. Celle-ci allait imprimer une intense impulsion aux combats révolutionnaires et conférer un
caractère spécifique à la lutte du peuple macédonien.
Plusieurs grands révolutionnaires marquèrent les débuts de l’Organisation: Dame Gruev, Hristo
Tatarchev, Petar Pop Arsov, Anton Dimitrov, Hristo Bostandgiev et Ivan Hadgi Nikolov. A cette époque,
l’activité politique purement macédonienne étant devenue une nécessité de plus en plus pressante, ils
déclenchèrent une lutte révolutionnaire organisée avec l’aide de leurs amis en Macédoine, dont le nombre
ne cessait de croître. Salonique, qui était une sorte de capitale macédonienne, se prêtait le mieux au
développement de cette activité, parce qui la ville était le lieu de rencontre des révolutionnaires venus de
toutes les régions de la Macédoine. Le Comité central, qui dirigeait l’organisation révolutionnaire secrète
de l’intérieur, avait à sa tête un président - Christo Tatarchev et un secrétaire - Dame Gruev. Elle étendit
rapidement son champ d’action, et des comités révolutionnaires se formèrent dans toute la Macédoine. Le
légendaire révolutionnaire macédonien Goce Delchev (1872 - 1903) adhéra à l’Organisation en automne
1894. Le mouvement révolutionnaire connut alors un caractère plus massif. Mais les milieux de la cour de
Sofia, qui avaient compris la portée de la vague révolutionnaire soulevée par la VMRO, cherchèrent à la
faire servir à leurs desseins grands bulgares. N’y ayant pas réussi, ils organisèrent un Comité suprême
(Vrhovni komitet) pro bulgare dont les adhérents sont connus dans l’histoire macédonienne sous le nom
de vrhovistes ou traîtres à l’œuvre de libération du peuple macédonien.
L’Insurrection d’Ililnden (2 août 1903), qui marqua l’apogée des activités de la VMRO, est sans
conteste une des pages les plus glorieuses de la vie du peuple macédonien. La République de Kruševo,
formée dans le feu des combats, fut le point culminant de l’insurrection. Bien que mal préparée et
prématurée, elle permit néanmoins au peuple macédonien de manifester une fois de plus son désir et sa
volonté de vivre libre. La République de Kruševo, qui devait être étendue à toute la Macédoine, résista
pendant douze journées légendaires, à tous les assauts des garnisons turques.
Dans son célèbre Manifeste, sublimation de la philosophie politique macédonienne d’alors, la
République de Kruševo s’adressa à toutes les nationalités de Macédoine, y compris les Turcs, parce que
les révolutionnaires macédoniens savaient parfaitement que tout le mal, toutes les injustices venaient du
système ottoman. Le Manifeste dont la portée révolutionnaire débordait le cadre des Balkans, commençait
par ces mots: « Venez à nous, frères musulmans, pour combattre ensemble vos ennemis et les nôtres.
Ralliez - vous à l’étendard de la Macédoine autonome ». L’idéologue et le premier président de la
République de Kruševo fut Nikola Karev (1877 - 1905) qui tint haut le drapeau de la justice et de l’équité
si indispensables à son pays.
De Kruševo, l’insurrection gagna les régions de Lerin, de Kostur, d’Ohrid et de Bitola. Plus
nombreuses et mieux équipées, les armées turques qui avaient reçu des renforts, parvinrent à étouffer la
puissante explosion de colère populaire. Les derniers combats furent aussi les plus sanglants. Les
populations furent soumises à des représailles impitoyables. Le Voïvode Pitu Guli et sa compagnie se
firent tuer jusqu’au dernier dans le célèbre engagement de Mechkin Kamen près de Kruševo, donnant un
admirable exemple de courage dans un combat plus qu’inégal.
Ce glorieux soulèvement qui eut une fin aussi tragique, devait être le préambule d’épreuves encore
plus pénibles pour le peuple macédonien. C’est ainsi qu’au cours des Guerres balkaniques (1912 - 1913),
les espoirs des Macédoniens furent une fois de plus trompés, et leur libération n’ait être qu’une illusion
perdue. De nombreux détachements de volontaires macédoniens participèrent aux combats pour chasser
les Osmanlis des Balkans, luttant aux côtés des armées alliées de la Bulgarie, de la Serbie et de la Grèce.
Mais c’est alors que les Macédoniens vécurent leur plus grande déception et leur plus effroyable tragédie.
L’esclavage turc fut en effet partagé entre les trois pays vainqueurs. Une véritable guerre de rapine! La
Macédoine n’avait pu faire entendre sa voix. Il ne lui restait plus qu’à reprendre les armes que ses fils
avaient à peine déposées.
Ecartelé, morcelé, le peuple macédonien engagea une nouvelle lutte encore plus inexorable pour
se maintenir et survivre. Les nouveaux asservisseurs se montrèrent impitoyables dans leurs efforts pour
« fondre » les Macédoniens et les amener à renoncer à leur individualité nationale, à devenir des
Bulgares, des Grecs ou des Serbes. Ce cruel partage allait être sanctionné par le Traité de Versailles de
1919. Les Etats européens avaient fait preuve d’une indifférence coupable envers les droits d’un petit
peuple dont la voix était étouffée par ses nouveaux gouvernants. Mais la conscience de l’Europe ne devait
pas rester muette grâce à Henri Barbusse, Romain Roland et bien d’autres encore, qui eurent le courage
de dire la vérité sur la Macédoine et son peuple. Ils continuaient ainsi la tradition du grand homme d’Etat
britannique William E. Gladstone, qui avait lancé la devise: « La Macédoine aux Macédoniens, comme la
Bulgarie aux Bulgares et la Serbie aux Serbes ».
Pendant l’entre - deux - guerres, les Macédoniens furent terrorisés, déplacés, emprisonnés,
persécutés et réduits à l’ignorance, dans le but de les faire renoncer à leur nom, à leur individualité
nationale, tandis que leurs terres étaient colonisées, peuplées par d’autres groupes ethniques. Jusqu’en
1941, inébranlables dans leur stoïcisme, ils exprimèrent leur foi irréductible en un avenir meilleur à
l’occasion de luttes, de manifestations et de grèves les plus diverses.
La tempête de la Seconde guerre mondiale dévasta une fois encore la terre de Macédoniens. La
carte des Balkans fut retaillée. Aidée par les armées hitlériennes, la Bulgarie occupa la Macédoine du
Vardar. Symbole de l’empire, le lion bulgare s’était emparé d’une proie précieuse. Signé en 1878 par la
Russie avec la Turquie vaincue, le Traité de San Stefano qui allait devenir par la suite, des décennies
durant, une des plus grandes mystifications de la politique nationale bulgare, semblait être passé dans les
faits. Le rêve de la grande Bulgarie de San Stefano paraissait s’être réalisé. Mais ce n’était qu’une
apparence, une fiction, car les peuples yougoslaves avaient déjà engagé le combat décisif, fermement
résolus à décider désormais souverainement de leur sort. Dans cette volonté commune et cette action
entreprise à l’appel du Parti communiste de Yougoslavie et de son leader Josip Broz Tito, le peuple
macédonien se ressaisit, retrouvant toute son énergie et tous ses moyens, sans frontières et sans partages.
Il réapparaissait sur la scène, uni dans une lutte à la vie et à la mort.
Au cours de l’été et de l’automne 1914, des combats éclatèrent dans toute la Macédoine. De la mer
Egée au Kozjak, de Pirin à la Šar Planina, les Macédoniens avaient repris conscience de leur force.
L’ennemi était aux abois. Les partisans sillonnaient la Macédoine et les engagements se faisaient aussi
fréquents que violents. Loin d’être anéantis par les expéditions punitives, les détachements de partisans
devenaient toujours plus nombreux. Les premières victimes trouvèrent une mort héroïque dans les
combats ou les prisons bulgares: Kuzman Josofovski - Pitu, Strašo Pindzur, Cvetan Dimov, Mirche Acev,
Stiv Naumov, et bien d’autres héros nationaux, connus et inconnus.
Aux côtes des anciens, de ceux d’Ilinden, les nouveaux combattants luttaient contre l’ennemi,
écrivant les pages glorieuses de l’histoire macédonienne moderne. Pour la première fois, les Macédoniens
créaient et agrandissaient sans cesse leur territoire enfin libéré. Et, pendant que l’odeur de poudre flottait
encore dans l’air, ils avaient conquis, avec les autres nations et nationalités de Yougoslavie, leurs droits
de peuple libre et égal en droits. D’abord à Jajce, le 29 novembre 1943, puis au monastère de Prohor
Pchinski, le 2 août 1944, lorsqu’il commença à définir souverainement les éléments fondamentaux de son
futur Etat. Mais ce n’est que dans la partie de la Yougoslavie, qu’il allait réaliser son droit de nation
autonome possédant son histoire, sa langue et sa culture; en Grèce, ce droit ne lui était pas reconnu, tandis
qu’en Bulgarie cela devait dépendre des aléas de la politique courante. C’est ainsi que les Macédoniens de
la Macédoine Pirine se virent reconnaître leurs droits nationaux: Des écoles, des bibliothèques, des
théâtres macédoniens y furent ouverts. Mais, plus tard, tout cela devait être fermé, étouffé, et ces derniers
temps les Macédoniens de cette partie de la Macédoine sont présentés comme étant de Bulgares, par les
autorités bulgares officielles uniquement cela va sans dire.
Dans le cadre de la Fédération yougoslave, la République de Macédoine a tracelet grandes lignes
de son essor, de son progrès, dans les conditions des rapports socialistes démocratiques. Ce droit de
posséder son propre Etat, que le peuple macédonien a réalisé en commun avec les autres nationalités de
Macédoine, qu’il a atteint à son plein épanouissement social. Exception faite de l’époque de l’empereur
Samuil, depuis l’arrivée des Slaves dans les Balkans, leur propre Etat qui leur offre la possibilité de
réaliser leur idéal séculaire et de se rapprocher de la lumière.

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