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Maîtriser l’énergie
dans les pays émergents
et en développement
chef de projet énergie
à l’Agence française
de développement
GRAND ANGLE
La combinaison de plusieurs leviers d’action Les potentiels d’économies d’énergie sont
s’avère beaucoup plus efficace que l’utilisa- significatifs mais diffus. La combinaison d’in-
tion d’un seul : outils législatifs et réglemen- terventions sur le bâti et sur les équipements
taires coercitifs comme incitatifs, instruments permet d’économiser jusqu’à 30 à 40% d’éner-
tarifaires, incitations fiscales, crédits bonifiés, gie, pour des surcoûts à l’investissement sou-
campagnes de communication et autres aides vent inférieurs à 5 %. Ces opérations s’avèrent
à la décision du consommateur pour lui per- ainsi très rentables, même si encore trop rare-
mettre de « passer à l’action », constitution de ment mises en œuvre.
réseaux techniques. Nombre de ces leviers Les modalités d’application doivent être diver-
font défaut dans la majorité des PED. sifiées – en distinguant le neuf et l’ancien, le
Bien identifiés, les projets de maîtrise de l’éner- résidentiel et le tertiaire, le collectif et l’indi-
gie sont économiquement rentables, non seu- viduel. Chacun nécessite des financements
lement sur leur durée de vie, mais parfois dans adaptés et articulés sur une régulation inci-
un délai court. Ils se heurtent cependant à plu- tative à définir avec les acteurs concernés :
sieurs obstacles tels que leur caractère sou- promoteurs et entreprises de la construction,
vent considéré comme non prioritaire, l’iner- banques de l’habitat, crédits dédiés à la construc-
tie des comportements, le montant limité des tion performante, sociétés de services énergé-
investissements (de ce fait peu attrayants pour tiques («ESCO» ou Energy Services Companies
les banques), ou la multiplicité des acteurs à en anglais).
convaincre. Sans soutien public, au Sud comme
au Nord, les investissements de maîtrise de
l’énergie se concrétisent difficilement. Des programmes pour
Réduire l’intensité énergétique
améliorer l’habitat
dans l’industrie Les premiers programmes pilotes ont été lancés
Le secteur industriel absorbe entre 30 et 50 % à la fin des années quatre-vingt-dix, notamment
de l’énergie primaire dans les pays émergents, en Chine, en Tunisie et au Liban avec l’appui
mais très peu de ces pays se sont dotés de poli- du FFEM (Fonds français pour l’environnement
mondial). En tirant parti de cette expérience,
tiques industrielles d’efficacité énergétique. La
l’AFD (Agence française de développement)
sensibilité à l’énergie de ce secteur évolue et les instruit des lignes de crédit ciblées sur le
banques de développement soutiennent main- logement économique efficace, les prêts étant
tenant des lignes de crédit dédiées à l’effica- accordés en contrepartie d’améliorations des
cité énergétique, qui mobilisent des banques performances énergétiques. Elle examine
locales. Depuis 2003, une dizaine de finance- également des mécanismes pour financer
ments de ce type a été engagée dans des pays la réhabilitation thermique du parc existant,
avec l’objectif de mobiliser les propriétaires
comme la Turquie, la Tunisie ou la Chine. Les
et les professionnels du bâtiment sur des Les transports
pays du Sud gagneraient cependant à s’enga- réalisations à échelle significative.
ger de manière volontariste sur des stratégies dépendent à
qui ont fait leur preuve au Nord, comme la négo- 95 % du pétrole
ciation d’accords volontaires avec les entrepri-
ses grosses consommatrices d’énergie ou de Une mobilité sobre en CO2
plans d’action définis par branches industriel- Si la part des transports dans le bilan éner-
les. La mobilisation d’aides à la décision ciblées gétique des pays émergents est moindre que
sur les PMI donne également de bons résul- dans les pays de l’OCDE, elle croît exponen-
tats, comme le montre l’exemple de l’Inde. tiellement. Au niveau mondial, le secteur
dépend à 95 % du pétrole et en consomme
Bâtiments économes en énergie 60 %, générant 14 % des émissions de gaz à
La consommation dans les bâtiments, qui effet de serre. La maîtrise de l’énergie dans
représente souvent plus de 30 % des bilans les transports constitue ainsi un défi considé-
énergétiques finaux, est en forte croissance rable au cours de ces prochaines années, et
dans les PED, avec notamment la diffusion implique d’actionner des leviers tant techno-
d’équipements électroménagers et des clima- logiques que méthodologiques et organisa-
tiseurs bon marché, qui entraînent une augmen- tionnels, ces derniers visant à limiter les acti-
tation sensible des demandes de pointe. vités de transports. ®
GRAND ANGLE
rement à une croyance répandue, il n’y a pas
globalement pénurie de biomasse.
Des partenariats public-privé
Dans les PED, la biomasse mérite un traite-
pour l’électrification ment à part du fait de son caractère stratégi-
Si les risques financiers restent du ressort que. Elle reste en effet le principal combusti-
d’entités publiques, les risques commerciaux ble pour la majorité des familles. Elle constitue
et d’exploitation doivent être assumés par les un capital unique de « carbone vert » à déve-
opérateurs. Des modes de gestion de proximité lopper et à valoriser. Elle offre enfin de nom-
et le prépaiement ont été testés avec succès breuses opportunités de création de valeur et
dans plusieurs pays. Une expérience probante
de production locale d’énergie au bénéfice des
a été conduite par l’Office national de
l’électricité (ONE) au Maroc avec l’appui de populations rurales.
différentes banques de développement,
à travers le PERG qui a permis de porter
l’accès à l’électricité de 18 % en 1995 à 96 %
en 2007. Si le réseau interconnecté reste le Imagination et volontarisme
principal vecteur d’électrification, il est complété
Une stratégie volontariste en matière d’énergie
par une solution décentralisée, grâce à laquelle
domestique doit porter sur tous les maillons
400 000 personnes bénéficient de systèmes
de la filière : la production de biomasse, sa
photovoltaïques (soit 10 % des villages
transformation et sa distribution ainsi que son
marocains) et qui fait l’objet d’une délégation
usage final.
à des opérateurs privés. Cette électrification
Les impacts peuvent être importants : par
multidesserte se développe maintenant dans
exemple, un foyer amélioré dont le coût est
plusieurs pays d’Afrique, au Sénégal en
estimé à 5 USD permet de réduire de 20 % la
particulier.
consommation de bois de chauffe. Ces stratégies
ont fait leur preuve dans plusieurs pays
d’Afrique de l’Ouest (Niger, Mali, Burkina Faso,
en fait l’une des principales causes de mor- Sénégal).
talité, juste derrière les maladies liées à la
qualité de l’eau. Faute d’être traitée comme
une filière à part entière et de manière dura- La maîtrise de l’énergie domestique
ble, son utilisation contribue à la déforesta- La biomasse traditionnelle représente encore
tion et elle se raréfie dans les pays du Sud. 60 à 90 % des bilans énergétiques en Afrique
Lorsqu’elle est exploitée de manière raisonnée, subsaharienne, et près de 30% au Maghreb. La
la biomasse constitue un stock circulant et FAO évalue à 2,4 milliards le nombre de per-
nous savons la concentrer, la liquéfier ou la sonnes qui en dépendent. 75 % des ménages
gazéifier, pour la transformer en combusti- l’utilisent en Inde. La surexploitation fores-
ble, en carburant ou en électricité 1. Trois kilos tière dans certaines régions atteint des seuils
de biomasse sèche (bois ou autre) se substi- critiques, dans la périphérie des capitales sahé- La biomasse
tuent à un kilo de pétrole. En outre, contrai- liennes par exemple. traditionnelle
Avec l’urbanisation, est l’énergie
les pratiques issues du pauvre
du monde rural tra-
ditionnel ont subi des
mutations profondes.
+ Sobre La première fut le
© AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT (AFD)
passage au charbon
+ Efficace de bois moins encom-
brant et plus prati-
que que le bois, mais
ses filières tradition-
+ Accessible nelles consomment
et amélioré
deux fois plus de
matière ligneuse que
le bois de feu utilisé
®
0 2,000 4,000 6,000 8,000 10,000 12,000 14,000 2,000 kWh/hab/year
directement.
vente d’électricité ou de
carburant et mérite d’être
soutenue dans les zones Groupe Huile Produits agricoles
où la biomasse est dis- électrogène
ponible (sous forme de
résidus agro-industriels
par exemple) ou aména- Unité Production
Électricité d’estérification maraîchère
geable (zones de friches Biodiesel Culture de rente
en particulier).
La bioénergie recouvre
un large spectre d’applications et de filières. industrielle de petite taille (<10 MW), produite
Deux catégories de projets à forts impacts à partir des résidus (bois, balles de riz, tiges
locaux méritent d’être signalées : le biocar- de coton, fientes de poulets), différentes filiè-
burant paysannal, à partir de plantations éner- res pouvant être utilisées selon les puissances
gétiques (telles que le jatropha) associées à (petite centrale de combustion intégrée, grou-
des unités locales de production d’huile ou de pes gazogènes, turbine Rankine). La bioéner-
biodiesel intégrées dans des schémas d’élec- gie permet alors d’alimenter les agro-indus-
trification villageoise ; la bioélectricité agro- tries et de renforcer l’électrification locale
autour.
Les bioénergies orientées sur le développe-
La surex-
ment local 2 génèrent ainsi de l’énergie et de
ploitation
forestière dans Perspectives pour la valeur au bénéfice des agriculteurs et des
les négociations sur le climat populations locales. Elles s’inscrivent à la croi-
certaines sée d’axes prioritaires dans les PED : accès à
régions atteint La maîtrise de l’énergie s’impose à toutes les l’énergie, développement des zones rurales 3,
des seuils économies mais selon des modalités de mise en économie d’énergie fossile et lutte contre le
œuvre qui diffèrent selon les pays. Elle offre un changement climatique. I
critiques champ d’application sur lequel pays du Nord et
du Sud pourraient trouver un terrain d’entente,
lorsqu’ils négocient les mesures à prendre pour
stopper la détérioration du climat. Si tous les 1. La méthanisation, qui permet de valoriser
pays arrivent à la table des négociations avec des énergétiquement les déchets humides ou les effluents,
plans concrets de maîtrise de l’énergie à court est particulièrement appropriée dans les pays
tropicaux. Largement diffusée en zones rurales
(2010-2015) et à moyen termes (2015-2020) et si
pour des usages domestiques en Chine du Sud ou
les parties acceptent d’échanger sur au Viêtnam, elle est aussi bien adaptée pour traiter
l’articulation de ces plans en approfondissant les ordures ménagères et les boues d’épuration.
chacun des secteurs concernés, les négociations
2. Les filières industrielles de biocarburant destinées
sur le climat prendront une tout autre tournure.
à l’export soulèvent par contre davantage d’interro-
On évitera de nombreux faux débats et il est gations liées aux conflits possibles sur l’usage des
probable qu’on fera apparaître que la mise en sols (agriculture, forêt) et de l’eau, et nécessitent
œuvre et le financement de ces plans sont d’effectuer un bilan environnemental détaillé.
possibles, au bénéfice à court terme des pays du
3. Cf . «La capacité de la biomasse énergie à satisfaire
Nord et du Sud et du climat à plus long terme.
les besoins en énergie de l’agriculture», Jean Lucas,
Liaison Énergie Francophonie, n° 33, 1996.