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Laurent Touchart
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Laurent Touchart
Professeur des Universités en géographie, directeur de l’EA 1210 CEDETE
Résumé Le concept de bilan thermique d’un lac, créé au XIXe siècle, a connu l’une des
évolutions sémantiques les plus disparates de l’histoire de la limnologie. À travers
de multiples significations dérivées, il est possible de déceler une propension
récente à lui donner le sens de somme algébrique des flux énergétiques à l’interface
entre l’eau et l’air. Ainsi, par un renversement de paradigme épistémologique, le
bilan thermique n’est plus un but, mais un moyen, et la limnologie est dépossédée
de son estimation, au profit de la climatologie. On discute ici l’intérêt d’un retour
au sens initial de différence entre le nombre maximal et minimal de calories
contenues dans le plan d’eau, favorisant une démarche géographique intégratrice
et hydrosystémique. On propose aussi : (i) d’appliquer ce concept créé pour
les lacs aux étangs, qui se distinguent par leur petite taille, leur stratification
éphémère et leur capacité à déverser la totalité du volume calorifique dans le
réseau hydrographique lors des vidanges ; (ii) d’étudier les variations calorifiques
à toutes les échelles de temps, y compris instantanées ; (iii) de travailler à l’avenir à
partir de plusieurs profils thermiques. Les premiers résultats, concernant quelques
étangs limousins, montrent le bien-fondé du retour épistémologique. En effet, les
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Introduction
Le bilan thermique d’un plan d’eau est le compte des facteurs positifs et négatifs
lui amenant et lui enlevant des calories. La signification est double. Le terme
a été construit par F.-A. Forel (« balance thermique », 1880, p. 513 ; « bilan
thermique », 1895, p. 400) dans le sens du résultat chiffré de cette somme
algébrique, prenant le compte comme synonyme de total. Tout en gardant la
même signification, l’expression fut traduite en allemand en thermische Bilanz
(Forel, 1901a, p. 131 ; Wojeikow, 1903, p. 193) et surtout en Wärmebilanz
ou Wärmeinhalt par W. Halbfass (1905, 1923), puis en anglais par E. Birge et
C. Juday (1914) sous la forme de heat budget ; les Russes des décennies 1890
à 1910 entendaient de manière similaire oborot tepla (qu’ils traduisaient en
Wärmeaustausch dans leurs écrits en allemand) puis teplovoĭ balans (plus
récemment américanisé en teplovoĭ bdжet, Зdelьxteĭn, 2014), mais
insistaient déjà plus sur chaque facteur, faisant la part belle aux transferts (sous-
entendus dans oborot) de chaleur par évaporation ou encore à travers la banquise
lacustre (Voeĭkov, 1895, 1903, 1909 ; Wojeikow, 1903 ; Xostakoviqъ,
1910).
Mais, à l’échelle mondiale, c’est à partir des années 1950 que la définition
évolua vers l’action d’inventorier chacun des facteurs, le compte devenant
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1 Pelliculaire au sens où la superficie est suffisamment grande pour que le plan d’eau soit qualifié de lac,
mais où la profondeur est faible et se rapproche de celle d’un étang.
2 E.A. Birge (1915, p. 167) écrit même que « the crude heat budget [...] does not correspond to any fact
in nature ».
3 Rythme de brassage d’un plan d’eau, selon lequel la fréquence d’uniformisation thermique de la colonne
d’eau est plus courte que saisonnière (diurne dans le cas d’une polymicticité continue, de quelques
jours ou quelques semaines dans le cas d’une polymicticité discontinue).
4 La stratification inverse est la superposition de masses d’eau de densités différentes, la plus froide se
trouvant au-dessus de la plus chaude. La stratification directe est la superposition de masses d’eau de
densités différentes, la plus chaude se trouvant au-dessus de la plus froide.
5 Un lac monomictique chaud est brassé pendant une seule saison, l’hiver, et ne possède que deux états :
la stratification directe en saison chaude, l’homothermie en saison froide.
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11 Ici et dans les paragraphes suivants, « terme » est utilisé au sens d’élément dans une relation mathéma-
tique.
12 E. Birge (1915, p. 167) emploie aussi « distributed-wind income » comme synonyme de « summer
heat-income » et c’est également ce que fait P.S. Welch (1952, p. 65) en l’appelant « wind-distributed
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income (Hutchinson, 1957, p. 493 ; Cole, 1983, p. 219). Ces bilans saisonniers
sont calculés en comparant le nombre de calories contenues dans le plan d’eau
en homothermie (à sa température de densité maximum13 ) et le nombre de
calories lors du maximum estival et du minimum hivernal. De fait, seuls les lacs
dimictiques sont concernés par ces deux bilans saisonniers (Dussart, 1992). En
lac monomictique, le bilan annuel se confond avec un seul des deux apports
précédents.
A une échelle de temps plus longue, et surtout plus théorique, comme une
sorte de maximum potentiel, le seuil de température de densité maximale peut
être remplacé par celui du point de congélation, soit, pour les lacs d’eau douce,
la valeur de 4 °C remplacée par celle de 0 °C. Il s’agit d’un bilan thermique brut,
que B. Dussart (1992, p. 164) nomme « budget calorifique global » et définit
comme « la quantité de chaleur nécessaire pour faire passer cette eau de 0°C
à la température maximum annuelle à toutes les profondeurs ». Cette notion
est appelée gross heat budget par les auteurs anglo-saxons (Birge, 1915, p. 167,
Hutchinson, 1957, p. 494) ou, plus rarement crude heat budget (Birge, 1915,
p. 167).
Plusieurs autres échelles de temps sont possibles. (i) Sur le long terme, il est
réalisable de calculer un bilan thermique pluriannuel représentant le nombre de
calories contenues dans le lac au minimum minimorum hivernal14 soustrait au
nombre de calories contenues dans le lac au maximum maximorum estival. F.-A.
Forel (1895) avait déjà effectué cette opération, retranchant les deux extrêmes sur
15 ans. E.A. Birge (1915) réalisait un calcul un peu différent, présentant le plus
élevé et le moins élevé des bilans annuels. Elle est reprise par G.E. Hutchinson
(1957, p. 504) en « variations from year to year [...] of the heat budget ». Cette
dernière démarche s’apparente à la notion d’irrégularité interannuelle classique
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heat ». L’influence d’E. Birge a été telle que les auteurs anglo-saxons emploient souvent le terme
d’apport de chaleur birgéen pour qualifier ces bilans thermiques saisonniers (par exemple « birgean
winter heat income », Cole, 1983, p. 219).
13 Température à laquelle la masse volumique de l’eau est la plus élevée. Celle de l’eau distillée est de
3,94 °C (Markofsky et Harleman, 1971). Une eau plus chaude que ce seuil, mais aussi une eau plus
froide, ont une masse volumique plus faible.
14 Le minimum minimorum est la température instantanée (horaire) la plus basse, le maximum maximorum
est la température instantanée (horaire) la plus haute.
Articles Le bilan thermique des étangs • 149
15 G.E. Hutchinson (1957, p. 492) qualifie de unsound (faux, discutable, mal fondé) cette partie du
raisonnement de F.-A. Forel, fait d’autant plus marquant que l’inventeur de la limnologie est toujours
porté aux nues dans tous les écrits mondiaux depuis 120 ans. Certains résultats donnés par la méthode
de F.-A. Forel sont même dits vollkommen unverständlich (complètement incompréhensibles) par Eduard
Brückner (1909).
16 L’épilimnion est la couche d’eau superficielle peu dense située au-dessus du saut thermique, qui est la
plus chaude en stratification directe, tandis que l’hypolimnion est la couche d’eau profonde plus dense
située en dessous du saut thermique, qui est la plus froide en stratification directe.
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Fig. 1 Organigramme de l’évolution épistémologique du bilan thermique des plans d’eau © Armand Colin | Téléchargé le 24/02/2023 sur www.cairn.info (IP: 46.193.65.195)
Organization chart of the epistemological trends in the heat budget of water bodies
17 Il suffit pour s’en convaincre de lire les deux éditions du manuel d’A. Lerman : dans la première, datée
de 1978, un chapitre entier, écrit par R.A. Ragotzkie, est consacré au bilan thermique, tandis que, dans
la seconde, entièrement refondue en 1995, seules deux pages, sous l’appellation de « thermal energy »,
sont dévolues à ce sujet uniquement selon l’approche analytique (Imboden, Wüest, 1995).
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mais de bilan advectif18 pour les échanges avec les tributaires et émissaires, tout en
détaillant aussi les parties du bilan climatique, la différence entre budget et storage
pouvant aussi prendre une connotation temporelle (cf. infra). Le géographe russe
K.K. Зdelьxteĭn (2014, p. 211) indique quant à lui clairement qu’il convient
d’utiliser les unités calorifiques (le joule) pour « les échanges thermiques internes
au lac » (vnutrivodomnyĭ teploobmen) et les unités énergétiques (le watt)
pour les échanges avec l’extérieur et le bilan thermique total.
Mieux même, en restant chez les seuls auteurs de la méthode analytique, un
renversement de paradigme a conduit à ne plus étudier le bilan thermique comme
un but, mais comme un moyen, afin d’aboutir à la quantification de l’évaporation,
considérée comme l’inconnue dans l’équation poste par poste (Januario dos Reis,
Dias, 1998), ou, dit autrement son « résidu » (Gianniou, Antonopoulos, 2007)
mathématique.
Non pas par le mode de calcul, qui n’était pas exact, mais par sa conception,
nous pensons que la démarche forelienne, qui reposait sur le bilan thermique
conçu comme un but, était utile et éminemment géographique, synthétique et
intégratrice. Si on les étudie au second degré, les critiques émises par E.A. Birge
(1915) et G.E. Hutchinson (1957) peuvent être comprises comme une vaine
tentative d’employer la méthode synthétique à des fins analytiques. Pour ce faire,
il n’est pas besoin de passer par un vrai bilan thermique : la quantification de
chaque poste suffit. En effet, le problème soulevé par E.A. Birge (1915), qui était
que l’approche forelienne ne permettait pas la comparaison entre les lacs parce
que l’intégration des différences morphométriques et hydrographiques noyait
celle du climat, n’en est un que si l’on cherche à isoler justement l’influence
dudit climat. Or la taille du plan d’eau et les caractères des affluents ne sont pas
moins importants que la localisation du lac en latitude pour le géographe, lequel
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18 Advectif qualifiant la dominante horizontale des mouvements d’eau qui vont des cours d’eau affluents
vers le plan d’eau et du plan d’eau vers l’effluent, en opposition avec les échanges de chaleur à
dominante verticale qui se produisent à l’intérieur du plan d’eau entre la surface et le fond.
Articles Le bilan thermique des étangs • 153
météorologiques que limnologiques. Cela fut d’ailleurs l’une des causes d’aban-
don ou de mise en retrait de la méthode classique. Nous souhaiterions, par
l’intermédiaire de nos thermomètres enregistreurs, la remettre en avant, et égale-
ment la moderniser, dans le sens de la prise en compte d’un plus grand nombre
d’échelles de temps. La mesure en continu des températures de l’eau permet de
comparer non seulement les vrais écarts extrêmes saisonniers (au lieu d’extrêmes
supposés, guidés par les dates arbitraires de campagnes de mesures), mais aussi
d’affiner les écarts à toutes les échelles de temps, que ce soit les variations inter-
diurnes ou intradiurnes. Cela permet de répondre par de vraies mesures, et non
une équation, à la notion de heat storage de J.F.T. Saur et Anderson E.R. (1956),
désignant les variations calorifiques d’un lac à n’importe quelle échelle de temps.
Certes, d’autres chercheurs travaillent évidemment avec des enregistrements auto-
matiques de la température de l’eau (Lenters et al., 2005 ; Wang et al., 2014),
mais leur but est différent, puisqu’il s’agit de calibrer un modèle mathématique
dans une démarche de quantification analytique des différents postes.
placés en 1997 dans les ruisseaux alimentant les étangs et en 1999 à l’intérieur
des plans d’eau (Touchart, 2001).
Les thermomètres enregistreurs utilisés sont des Tinytag Data Loggers. Ce
sont des thermomètres à résistance nominale de 10 kg-ohms, à coefficient de
température négatif (NTC). Leur précision est de 0,2 °C selon le constructeur
Gemini, mais nos propres calibrations avec un thermomètre Lufft C100 à
résistance de platine en montage quatre fils, à précision au centième de degré
garantie par un certificat du service de métrologie d’Avantec, ont montré que les
instruments neufs étaient à 0,15 °C près, ceux de plusieurs années d’âge étant en
moyenne à 0,37 °C près (Touchart et Bartout, 2010). Les thermomètres sont
cadenassés tous les 20 cm jusqu’à 2 m (tranche dans laquelle les sauts thermiques
sont les plus marqués), puis tous les mètres jusqu’au fond, sur une chaîne
galvanisée en huit, dont le poids est tel qu’il assure la verticalité de l’ensemble
et sa stabilité sans avoir besoin de lui adjoindre un corps mort. En surface, une
bouée assure la flottaison.
L’ensemble a été placé en avant de la digue, au droit de la plus grande
profondeur, dans les étangs de Cieux, la Pouge et les Oussines, mais des essais
ont été effectués au centre géométrique du plan d’eau dans les étangs de Landes
et de la Chaume (tableau 1). En 2000 et 2001, nous avions placé trois chaînes de
mesures thermiques automatiques dans le petit lac de barrage de Saint-Pardoux,
dans chacun des trois bassins séparés par des détroits. Dans le lac de Grand-Lieu,
l’une de nos doctorantes avait comparé les températures issues d’une chaîne de
mesures au large et une autre sous les nénuphars littoraux (Brunaud, 2007). La
méthode est en prévision19 pour des étangs beaucoup plus petits, même en forme
simple, et non multilobée, afin de prendre en compte les écarts entre le large et
le littoral.
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19 Choffel Q., Le bilan thermique des petits plans d’eau : étangs de la région Centre et comparaisons
internationales. Univ. Orléans, thèse de doctorat en géographie inscrite en septembre 2015, sous la
direction de L. Touchart et P. Bartout.
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Tab. 1 Les caractéristiques des mesures de température dans six étangs et un lac de
barrage limousins
Temperature measurement characteristics in six ponds and a reservoir in the
Limousin
3.1 Un bilan thermique brut d’étang pouvant dépasser cinq mille calories
par centimètre carré
Dans une publication précédente (Touchart, 2007), nous avions calculé la
contenance calorifique d’un étang de 14,78 ha de superficie, 2,4 m de profondeur
maximale, 1,03 m de profondeur moyenne et 152 612 m3 de volume, celui des
Oussines situé sur le plateau de Millevaches. De façon originale, nous avions fait
une moyenne des 2 208 données horaires de la saison chaude allant du 1er juin
Articles Le bilan thermique des étangs • 157
Tab. 2 Les bilans thermiques des étangs des Oussines (2002-2003), de la Pouge (2000)
et de Cieux (2002)
Gross heat budget, summer heat income and annual heat budget of the ponds
Oussines (2002-2003), Pouge (2000) and Cieux (2002)
Pour ce qui est du bilan thermique annuel, il est égal au bilan thermique brut
pour l’étang des Oussines, car, le 31 janvier 2003, sous la glace, la température
de la colonne d’eau était à 0 °C de la surface jusqu’au fond ; l’apport hivernal
de calories est donc de 413 cal/cm2 . Cela montre une nouvelle fois l’intérêt
d’étudier un étang, car ce phénomène serait bien entendu impossible en lac du
fait des profondeurs. En revanche, nous ne pouvons calculer le bilan thermique
annuel directement pour l’étang de la Pouge, puisque notre chaîne thermistance
n’a fonctionné que d’avril à septembre. Il n’est cependant pas inintéressant de
noter que l’apport estival de chaleur calculé par rapport à nos vraies mesures,
soustrayant le maximum du 19 juin et le minimum du 14 avril, est de 3 098
cal/cm2 . Mais nous pouvons améliorer le calcul en reconstituant les valeurs de
l’étang grâce à celles effectivement mesurées dans l’émissaire sur l’ensemble de
l’année, cette démarche étant valable du fait que l’étang était en homothermie
entre le 31 janvier et le 19 avril. Le résultat est alors de 4 384 cal/cm2 entre
le maximum du 19 juin et le minimum en homothermie à 4,3 °C le 31 janvier.
En revanche, il n’y a pas d’extrapolation possible à partir des températures de
l’émissaire lors de la période de stratification inverse qui a eu lieu avant le
31 janvier.
avant de rebaisser en été, confortant les conclusions relevées par les auteurs
russes il y a plus d’un siècle dans les lacs finlandais quant aux arrivées des écarts
quotidiens les plus forts aux mi-saisons (Alьtberg, 1918). Une focale peut être
faite sur le bilan thermique diurne du 19 juin, le jour du maximum calorifique
de l’année dans les deux étangs. Dans l’étang de la Pouge, il montre un écart de
484 calories par cm2 (5271-4787), dans une forme dissymétrique dans laquelle
la montée est rapide et régulière de 9 heures (7 heures, heure solaire) jusqu’au
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4 Discussion
Fig. 3 Le bilan thermique diurne des étangs de la Pouge et des Oussines au solstice d’été.
The diurnal heat budget of the ponds of Pouge and Oussines at the summer
solstice.
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20 Le bilan thermique annuel est d’environ 30 000 à 40 000 cal/cm2 dans le Léman selon les années, si
l’on se fonde sur les chiffres de F.-A. Forel (1895), E. Hubault (1947) et B. Dussart (1992) pour une
homothermie hivernale en général de quelques dixièmes de degré au-dessus de 4 °C (si bien que le
bilan thermique annuel est presque égal à l’apport estival de chaleur). Notons, dans un autre contexte
climatique, que le bilan thermique annuel du lac de Tibériade, qui ne descend jamais en dessous de
15 °C, est déjà de 33 500 cal/cm2 (Neumann, 1953). Il serait beaucoup plus élevé pour un calcul fait à
partir d’une homothermie à 4 °C. On voit ici le rôle important des fortes températures de surfaces, qui
existent dans le lac israélo-palestinien mais n’arrivent jamais dans le Léman.
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voit apparaître l’importance du décalage sur la fin de l’été dans les deux étangs,
en lien avec les caractéristiques thermiques du climat hyperocéanique21 limousin.
Au-delà des ressemblances, on peut cependant noter que le décalage des
fortes valeurs sur août est plus net dans l’étang le plus profond, où la fin de ce
mois est même concernée. Dans l’étang de la Pouge, cela peut être formalisé
par une courbe de tendance, qui montre les hautes valeurs de la dernière décade
d’août (fig. 4). On peut émettre l’hypothèse que, l’étang de la Pouge étant
particulièrement profond, la multiplication des alternances de stratification et de
destruction de celle-ci par brassage forcé apporte la chaleur en profondeur, si bien
que toute la colonne d’eau emmagasine un grand nombre de calories. D’ailleurs,
si l’on revient aux valeurs instantanées, on peut noter le chiffre très élevé de 5 233
cal/cm2 le 25 août à 17 heures (15 heures) pour des températures respectives
de surface et de fond de 26,6 °C et 19,5 °C. Le bien-fondé méthodologique
de l’utilisation du bilan thermique synthétique apparaît dans ces hautes valeurs
durables de fin août : dans l’ordre d’importance, les facteurs radiatifs laissent
manifestement la place au fonctionnement interne du plan d’eau et sa convection
forcée.
Pour confirmer cette hypothèse des fortes valeurs liées aux brassages complets,
il est nécessaire d’étudier le comportement de la couche de fond. La figure 5
indique l’évolution de la contenance calorifique de la tranche allant de 4,5 à
6 m de profondeur, ainsi que la part de celle-ci en pourcentage de la contenance
calorifique de l’ensemble de l’étang de la Pouge.
Le volume d’eau de la tranche de fond représente 2,18 % du volume d’eau
total, si bien que, en homothermie, c’est cette valeur qui est atteinte pour le
pourcentage de calories. C’est en effet le cas au tout début de la période de mesure,
à la mi-avril. Puis la mise en place de la stratification, en augmentant la contenance
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22 Le fait est si remarquable qu’il peut être quantifié par une simple droite de régression (y = 0,0127 x
+ 50,771), où « y » est la contenance calorifique de la couche de fond de l’étang exprimée en calories
par centimètre carré et « x » est l’heure (allant de 1 pour le 13 avril à 16 heures jusqu’à 3456 pour le
4 septembre à 15 heures). Le coefficient de corrélation R2 est de 0,8712.
164 • Laurent Touchart ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 708 • 2016
Conclusion
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Université d’Orléans
10 rue de Tours
45 065 Orléans CEDEX 2
laurent.touchart@univ-orleans.fr
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