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3. LA THÉORIE ÉCONOMIQUE : UN MONUMENT EN PÉRIL ?

Jean Cartelier

Hermann | « Cahiers d'économie politique »

2020/1 n° 77 | pages 51 à 72
ISSN 0154-8344
ISBN 9791037003027
DOI 10.3917/cep1.077.0051
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-economie-politique-2020-1-page-51.htm
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3. La théorie économique :
un monument en péril ?

Jean Cartelier 1

Résumé
La théorie économique n’a plus les faveurs des économistes académiques et
autres. Les raisons de ce discrédit sont multiples mais elles concernent prin-
cipalement le rétrécissement du domaine couvert en raison d’une exigence
croissante de cohérence et la volonté de tester empiriquement certaines hypo-
thèses fondamentales qui efface la frontière traditionnelle entre les disciplines.
Le développement des techniques quantitatives de traitement des données et
la nature des questions posées font que maints travaux empiriques relèvent
autant de l’économie que de la sociologie.
Ce déclin de la théorie économique concerne principalement le paradigme
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dominant qui a donné aux économistes à la fois le type de problèmes à
résoudre (existence et optimalité des équilibres) et les outils pour le faire
(modèles mathématiques associant comportements rationnels et conditions
d’équilibre). Il concerne peu le paradigme dominé, que Schumpeter appelle
analyse monétaire qu’il oppose à la théorie de la valeur. Illustré par Steuart au
xviiie siècle et Keynes au xxe, il se caractérise par d’autres questions (viabilité
plutôt qu’équilibre) et d’autres représentations de l’économie (matrices de
paiements plutôt que matrices de demandes excédentaires).

Economic Theory : A Monument in Danger ?


Economic theory is has lost most of its attractiveness amongst academic
economists. Multiple reasons may explain that discredit but two seem of special
interest: most severe requirements about logical consistency and questions
to be solved have contributed to shrink the field of economic theory while a
strong desire to confront assumptions with reality have blurred the frontier
between economics and social sciences. The remarkable development of
quantitative techniques (big data) and the type of questions on the agenda
have made empirical economics and empirical sociology almost impossible
to distinguish.
The neglect of economic theory is more evident for the dominant paradigm
than for the dominate one, called monetary analysis by Schumpeter who

1. Université Paris Nanterre, EconomiX.

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opposed it to real or value analysis. Illustrated by Steuart in 18th century and


Keynes in the 20th century, monetary analysis deals with different questions
(viability rather than equilibrium) and resorts to different tools (payment
matrices rather than excess demands).

Mots-clés
Théorie, postulats, empirisme, analyse monétaire.

Keywords
Theory, assumptions, empirism, monetary analysis.

JEL Classification : A10, A11, A12, B10, B20.


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La pensée économique occupe une place prépondérante dans


les justifications que nous nous donnons de nos opinions et de nos
actions 2. En cela nous sommes en accord avec le long mouvement
philosophique et idéologique qui a conduit l’Occident à écarter la
morale et la religion au profit d’une légitimation des intérêts propres
de chacun comme motif d’agir, d’autant plus que l’intérêt général est
susceptible d’en résulter. Bien des économistes ont soutenu, en effet,
que la recherche par chacun de son avantage personnel, à l’exclusion
de toute autre préoccupation, est bénéfique à l’ensemble de la société.
De la Fable des abeilles de Mandeville au premier théorème de bien-être
de la théorie de l’équilibre général concurrentiel, divers raisonnements
ont étayé cet argument bienvenu.
Mais l’accord de la pensée économique avec l’amour-propre des
individus procède aussi et surtout de son association historique avec le
développement considérable de la production et de la consommation
de biens matériels et immatériels depuis plus de quatre siècles. De la
contemplation du monde et de la recherche du salut de nos âmes nous
sommes passés progressivement à la transformation de la nature et à
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la gestion des richesses en résultant. Ce mouvement s’est accompagné
d’un essor considérable du savoir économique sous toutes ses formes :
comptabilité et pratiques commerciales, politiques économiques et
financières, gestion des finances publiques, statistiques et modèles
empiriques, modèles théoriques de l’ensemble des relations écono-
miques et sociales, etc.
Au sein de ce savoir, la théorie économique occupe une place ambiguë.
Elle est difficile à définir avec précision – peut-on l’identifier à l’analyse
économique selon Schumpeter ? – incertaine par son statut – est-il
raisonnable de la considérer comme une science, par analogie aux
sciences de la nature ? – floue par son domaine – a-t-elle un domaine
spécifique qui la distingue des autres « sciences sociales » ? Aujourd’hui
la théorie économique ne se perçoit pas clairement en tant que telle
au sein d’un savoir économique multiforme.

2. Je tiens à remercier chaleureusement deux rapporteurs anonymes pour leur lecture


soigneuse d’une première version et pour leurs remarques qui m’ont permis de préciser
certains points importants. Ils ne sont évidemment pas responsables de l’usage que j’en ai fait.

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1. La théorie économique : une définition heuristique

Il n’y a sans doute pas de « bonne » définition de la théorie écono-


mique car chacune ne paraîtra appropriée qu’aux yeux de son auteur
et arbitraire à ceux d’autrui. En dépit de cette indétermination, une
piste peut être proposée dont l’intérêt ne peut être jugé qu’à l’aune
des propositions qu’elle permet d’étayer. Dans le présent texte, la
théorie économique sera entendue comme la partie rationnelle de la
pensée économique soumise à un contrôle strict de cohérence logique. Le
lecteur notera que ni la pertinence, ni la vérification empirique, ni le
caractère scientifique (falsifiabilité des propositions, par exemple), ni
l’utilité sociale, etc. n’entrent pour quelque chose dans cette définition.
Que la théorie économique puisse être cohérente et non pertinente se
produit lorsque, en dépit de sa rigueur, elle ne répond pas aux questions
auxquelles elle est censée répondre (par exemple si l’économie qu’elle
décrit ne correspond pas aux critères unanimement acceptés pour une
économie de marché). Que la théorie économique, dans le sens ainsi
entendu, ne satisfasse pas au critère de falsifiabilité en fait une non-
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science mais pas un non-savoir. Telle quelle, la définition adoptée ne
conduit ni à la défendre ni à la critiquer. Elle n’acquiert aucune préé-
minence de droit sur le savoir empirique nourri de la « connaissance
du terrain » et guidé par l’intuition résultant d’une longue pratique.
Elle n’est pas pour autant invalidée par rapport au savoir empirique
car sa cohérence logique la rend légitime pour proposer un mode de
représentation de la réalité.
En rappelant que « la réalité n’existe pas en tant que concept indé-
pendant de son image ou de la théorie qui la représente » (Hawking),
on peut soutenir que la théorie économique, telle qu’elle vient d’être
définie, est la condition d’intelligibilité de toute assertion ou proposi-
tion concernant le « réel économique ». S’assurer que l’on dispose d’une
théorie cohérente qui donne un sens à nos interrogations empiriques
semble une exigence intellectuelle minimale. Il n’est pas assuré que
cette exigence soit satisfaite aujourd’hui.

2. La théorie économique : les deux théories de la valeur

Retenir le critère de cohérence interne – non-contradiction entre


les hypothèses et les propositions – conduit à limiter drastiquement

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3. La théorie économique : un monument en péril ? 55

le nombre de théories économiques proprement dites. En fait, deux


théories économiques à vocation générale 3 relevant de l’approche de
la valeur passent le test : la théorie de l’équilibre général entendue au
sens large et la théorie classique des prix de production sont les seules
dont il est possible de vérifier la cohérence existant entre les hypothèses
et le système d’équations déterminant les prix.
La théorie de l’équilibre général concurrentiel a longtemps été le
parangon de la théorie économique. La formulation rigoureuse qu’en
ont donnée Kenneth Arrow, Gérard Debreu et Frank Hahn, pour
s’en tenir à quelques auteurs marquants, en a permis la discussion
et a orienté sa critique et son évolution. Bien qu’elle ne soit plus
aujourd’hui le cadre de la majeure partie des travaux contemporains,
cette théorie a produit les deux théorèmes fondamentaux – existence
et Pareto-optimalité de l’équilibre général concurrentiel – qui consti-
tuent encore la référence implicite ou explicite des travaux théoriques
actuels. La théorie des jeux, qui est aujourd’hui le langage formel de
la théorie économique académique, a enrichi les résultats mais en a
repris l’inspiration.
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Cette théorie académique se trouve être aujourd’hui diversifiée
à l’extrême selon les domaines et selon les types de modèles utilisés.
Demeure cependant une méthode générale qui lui confère une unité.
Dans la quasi-totalité des cas, les actions désirées par les individus
sont établies comme résultant d’une maximisation d’une fonction-
objectif (utilité, profit, etc.) sous des contraintes résultant des règles
du jeu (contraintes budgétaires, d’information, etc.) tandis que des
conditions de faisabilité et de compatibilité mutuelle de ces actions
individuelles doivent être satisfaites. Cette démarche permet de déter-
miner rigoureusement les situations sociales concevables (équilibres de
Nash ou autres) et d’étudier leurs propriétés (en termes de bien-être
ou de statique comparative).
Si on considère l’ambition des théoriciens d’un passé pas si lointain
qui était de rendre compte de la façon dont les lois du marché réglaient
la marche de l’économie, il faut bien avouer que la portée de la théorie
s’est trouvée très limitée en raison même des résultats négatifs établis par
certains théoriciens travaillant selon ce paradigme – c’est notamment
le cas pour ce qui concerne la stabilité globale de l’équilibre général

3. La vocation générale est soulignée pour écarter maintes théories particulières dont
la plupart d’ailleurs relèvent de l’un ou l’autre de ces paradigmes.

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concurrentiel, échec qui a été à l’origine de certaines évolutions impor-


tantes (succès de l’hypothèse d’anticipations rationnelles ou étude de
la coordination des anticipations par exemple). Elle s’est elle-même
limitée de façon plus générale en raison de sa méthode qui lui interdit
d’évoquer les situations hors-équilibre 4, ce qui est fâcheux pour l’étude
d’économies décentralisées. C’est l’exemple évoqué plus haut d’une
théorie cohérente mais non pertinente.
La théorie des prix de production, à laquelle sont attachés les noms de
Ricardo, Torrens, pour les Classiques anglais, Dmitriev et Bortkiewiecz
et surtout Piero Sraffa pour la période moderne, passe également le
test de cohérence interne même si, comme la théorie de l’équilibre
général, elle souffre de la même limitation concernant la stabilité
globale de l’équilibre.
En revanche, ne passent les tests de cohérence interne ni la théorie
de Marx ni les autres pensées critiques inspirées plus ou moins de Marx
ou de divers courants institutionnalistes. Cela ne signifie pas qu’elles ne
soient pas d’un grand intérêt mais seulement qu’elles n’ont pas encore
abouti à des ensembles de résultats rigoureusement démontrés. Leurs
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propositions peuvent être jugées pertinentes et significatives mais, à
défaut d’une possibilité de contrôle de leur cohérence interne, ne font
pas partie de la théorie économique, au sens entendu ici. Une telle
situation n’est évidemment pas définitive. Rien n’interdit d’entre-
prendre les efforts nécessaires pour changer cette situation, mais il ne
semble pas que les économistes marxistes ou keynésiens (c’est-à-dire
se proclamant tels) soient très intéressés par cette démarche. Il faut
le regretter.
Cette limitation du nombre de théories économiques (indue pense-
ront bien des économistes en délicatesse avec la pensée académique)
a néanmoins l’intérêt de faire apparaître que la théorie économique
ainsi comprise n’est en aucune façon une « physique de la société »
mais une philosophie sociale rationnelle. Il apparaît vain de disserter
sur sa scientificité 5 mais indispensable de s’interroger sur ce qu’elle
apporte en tant que telle.

4. La quasi-totalité des modèles comporte des conditions d’équilibre qui sont indispen-
sables à leur résolution (l’exception notable est la théorie des jeux stratégiques de marché
qui remplace les conditions d’équilibre par la règle de Shapley-Shubik)
5. Les hypothèses fondamentales qui en constituent le socle de même que les résultats
les plus fondamentaux ne peuvent être confrontés aux observations empiriques. Il n’y a
aucun sens à vérifier expérimentalement que l’équilibre général concurrentiel existe et est

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3. La théorie économique et l’approche par la valeur

La théorie économique, dans ses deux différentes versions, a été et


demeure profondément marquée par une problématique de la valeur.
Cette façon d’appréhender l’activité économique est caractérisée par
un double trait :
– l’invalidation des grandeurs nominales – les « apparences » – au
profit des « grandeurs réelles » – « l’essence » de l’activité économique ;
– l’attention portée aux individus plutôt qu’au Prince, ce dernier
apparaissant sous la forme d’un cadre juridique (respect de la propriété
et de la vie des individus) n’ayant qu’un rôle permissif mais non actif.
Adam Smith est le responsable de cette « grande bifurcation ».
Wealth of Nations a mis un terme à l’orientation ancienne qu’avait
magnifiée James Steuart neuf ans plus tôt avec son Inquiry into the
Principles of Political Economy.
Privés volontairement de toute référence aux grandeurs monétaires
(les seules observables dans le monde réel), les théoriciens se donnent
pour tâche de produire eux-mêmes les grandeurs qu’ils estiment signi-
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ficatives : c’est l’objet des théories de la valeur. Les deux versions de
la théorie économique ainsi définie y pourvoient et offrent plusieurs
modèles de détermination de prix ; ces prix sont toujours des valeurs
relatives. Certains théoriciens ont jugé souhaitable voire nécessaire
d’intégrer la monnaie à ces modèles. La question de la neutralité de
la monnaie est l’enjeu principal de cet exercice car de lui dépend le
bien-fondé de l’acte inaugural de l’approche de la valeur : écarter les
grandeurs monétaires.
D’avoir réussi à construire les grandeurs économiques au sein même
d’une théorie cohérente allant au-delà des apparences a convaincu les
théoriciens qu’ils faisaient bien œuvre scientifique – il n’y a de science
que du caché disait Bachelard – et d’avoir mis de côté le Prince pour
mettre en scène des individus autonomes motivés par leur amour-
propre leur a fait croire qu’ils élaboraient une « physique sociale ».
La certitude du bien-fondé de l’aspiration à la science peut expliquer

optimal ou que les espaces de préférence sont convexes. De même, pour ce qui concerne
la théorie des prix de production, il est évident que la notion de branche est une pure
abstraction dont le sens s’épuise en ce qu’elle permet la solution du modèle déterminant
les prix et le taux de profit. Il n’y a aucune autre raison pour que le nombre de branches
soit supposé égal au nombre de produits. Au besoin, on justifiera cette égalité en invoquant
un processus mythique de choix des techniques.

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pourquoi les économistes théoriciens se soucient rarement du rapport


que leur discipline entretient avec les philosophies sociales utilitaristes
qui ont accom­pagné le développement économique de l’Europe occi-
dentale et de l’Occident en général. Cette conviction a coupé la théorie
économique de la philosophie sociale et politique 6.
À quoi peut bien servir la définition particulière de la théorie
économique qui vient d’être proposée ? La réponse à cette question est
multiple. Outre qu’une définition précise est utile pour s’orienter au sein
de la diversité considérable du savoir économique, elle permet d’analyser
une tendance forte se manifestant aussi bien dans le monde académique
que dans le grand public, à savoir le déclin de la théorie économique au
profit des travaux empiriques et de l’expertise. Si l’on accepte l’opinion
exprimée plus haut selon laquelle la théorie économique relève d’une
philosophe sociale rationnelle, la disparition annoncée de la théorie
économique équivaut à celle d’une réflexion philosophique contrôlée
sur nos sociétés. Faut-il le déplorer, faut-il s’en réjouir ? Il faut plutôt
tenter d’en comprendre le sens.
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4. La théorie économique de la valeur est en voie
de disparition ?

Les limites de la présente communication rendent inévitables les


propositions trop schématiques. Un tel risque peut être assumé au béné-
fice d’une ouverture possible à un débat difficile à engager sans cela. De
façon trop brutale donc, on peut suggérer que la théorie économique,
dans ses deux versions, est menacée d’extinction en raison de deux
grandes tendances, l’une intérieure, l’autre extérieure à la discipline.
De l’intérieur, la théorie économique voit son domaine dramati-
quement restreint par l’exigence même de rigueur et de cohérence et
sa validité menacée par un intense travail de vérification empirique de
ses hypothèses. De l’extérieur, la théorie économique voit sa spécificité
menacée en raison même de l’impérialisme qu’elle exerce sur l’ensemble
des « sciences sociales ». Voyons ces points (trop) succinctement.

6. Un symptôme de cette coupure est observable dans le récent (et très remarquable)
livre de Christian Laval L’homme économique, dans lequel l’auteur propose une analyse
pénétrante des diverses philosophies utilitaristes sans qu’aucun grand théoricien économique
de la valeur n’y soit mentionné sinon en passant.

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La perte de légitimité de la théorie économique semble pouvoir être


rattachée à une volonté persistante d’en faire une science. C’est ainsi
que la volonté assumée de démonstration des assertions, qui implique
une vérification exigeante de la cohérence logique, a conduit les théo-
riciens économiques à restreindre considérablement leur domaine de
validité. A été ainsi éliminée la question longtemps fondamentale de la
discipline, celle de la capacité d’une économie d’échanges généralisés
à s’autoréguler. De Smith à Kenneth Arrow en passant par Sismondi,
Malthus, Ricardo, Marx et tant d’autres, un enjeu majeur de la théorie
économique fut de déterminer si les crises périodiques observables
n’étaient que des épisodes transitoires d’une évolution globalement
stable de l’économie ou, au contraire, le symptôme d’une instabilité
fondamentale devant fatalement conduire à l’effondrement du système
économique. La recherche rigoureuse d’une démonstration de la
stabilité globale de l’équilibre général concurrentiel s’est conclue par
des résultats négatifs : il est impossible de prouver la stabilité globale
(Sonnenschein 1972, Debreu 1974) et il ressort que la dite « loi de
l’offre et de la demande » n’est pas un algorithme efficace pour résoudre
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les équations de l’équilibre général (Saari & Simon 1978). La théorie
économique académique voit son domaine rétréci aux théorèmes d’exis-
tence sans explicitation des mécanismes de coordination, ni même de
description des situations de déséquilibres. Plus précisément encore,
la seule lecture théoriquement possible des situations empiriquement
observées est au travers des lunettes de l’équilibre…
De même, pour des raisons cette fois de complexité, les théori-
ciens ont renoncé aux analyses d’équilibre général dans beaucoup de
domaines et se sont rabattus sur des modèles d’équilibre partiel. La
théorie des contrats est devenue progressivement le cadre majoritaire
des travaux théoriques. Par ailleurs, en raison des difficultés d’agré-
gation des comportements d’agents hétérogènes, la macroéconomie
s’est réduite le plus souvent aux modèles DSGE à agent représentatif.
Comprenons bien. Il ne s’agit pas de dire que l’on peut faire mieux
ou autrement – ce qui est toujours possible en tablant sur l’ingéniosité
des économistes présents et à venir – mais de souligner simplement
combien la volonté de rigueur associée au statut scientifique recherché a
conduit progressivement à rétrécir le domaine de validité des propositions
de la théorie économique (Benetti & Cartelier 1995).
Dans le même sens, le désir non moins assumé de vérification
empirique de ces mêmes assertions ou de leurs implications a beaucoup

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affaibli, à tort ou à raison, la crédibilité des hypothèses de base. C’est


notamment le cas de celles concernant la rationalité des individus.
Les travaux de psychologie et d’économie expérimentale ont mis à
mal l’hypothèse de la rationalité des agents économiques. Plutôt que
d’en conclure à l’ineptie des modèles de la théorie économique fonda-
mentale, il convient d’observer la situation paradoxale créée par cette
remise en cause. D’un certain côté on est tenté de vouloir substituer
aux hypothèses traditionnelles sur le comportement des individus
des hypothèses plus « raisonnables » relatives à la rationalité située ou
à celle de la « rationalité limitée ou procédurale ». D’un autre côté, il
est bien clair que toute prétention à la science, c’est-à-dire à la mise en
évidence d’explications causales, requiert que les individus ne soient pas
supposés avoir un comportement arbitraire et totalement imprévisible.
Quelles que soient ces hypothèses, il est fort douteux qu’elles aient une
validité universelle, ce qui réduit drastiquement le domaine de validité
de la théorie économique fondamentale. Plus question d’énoncer des
théorèmes généraux servant de référence et balisant un vaste champ de
recherche. Ce scrupule, par ailleurs bien légitime, oriente la réflexion
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théorique vers ce que Jérôme Gautié (2007) appelle « une théorie
générale des comportements et des interactions sociales », qui serait une
sociologie générale au sein de laquelle la théorie économique perdrait
là encore son identité.
Un aspect paradoxal de cette perte est qu’elle s’accompagne de la
domination sans cesse plus affirmée dans les « sciences sociales » de
l’individualisme méthodologique, avec les deux composantes principales
que cette méthode comporte en économie : d’une part, la rationalité
des comportements individuels, et, d’autre part, l’équilibre comme mode
de coordination des actions qui en résultent, la première ayant fait l’objet
de davantage de travaux et de discussions que la seconde. Si un des
résultats de cette domination est le recul des contestations venant
tant de courants théoriques alternatifs (pensée économique classique
ou keynésienne), un autre est l’extension de cette méthode à d’autres
« sciences sociales », faisant perdre à la théorie économique une de ses
spécificités les plus notables.
Un exemple intéressant des conséquences sur la théorie économique
de l’exigence associée à l’individualisme méthodologique est donné
par l’évolution de la théorie de la monnaie. Pendant longtemps, les
tentatives dites « d’intégration de la monnaie à la théorie de la valeur »
suivaient la voie ouverte par Walras et considéraient que la monnaie

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était spécifiquement un intermédiaire dans l’échange et que le problème


était de démontrer qu’elle avait un prix positif à l’équilibre. À partir des
années 1970, cela ne suffisait plus ; il était devenu impératif de donner
des fondements micro-économiques à l’existence de la monnaie, ce qui
consiste à expliciter les conditions sous lesquelles la monnaie est bien
la technique de transaction choisie de préférence à toutes les autres et
non un présupposé arbitraire. Que cette exigence soit ou non justifiée
importe peu ici. Le résultat est que, selon Wallace lui-même, auteur
ayant beaucoup contribué à cette orientation, la théorie monétaire est
écartelée entre deux types de modèles différents : d’une part ceux dans
lesquels il est possible de démontrer que la monnaie est essentielle –
ils satisfont l’exigence de micro-fondation mais ne peuvent servir à
éclairer les politiques monétaires – d’autre part ceux qui présentent
un intérêt pour l’étude de la politique monétaire mais qui ne sont pas
théoriquement bien fondés.
La volonté de rapprocher ces deux familles de modèles conduit à des
impasses rendues manifestes par le caractère exorbitant des hypothèses
nécessaires pour ce faire (exemple des modèles Lagos-Wright requérant
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absolument une hypothèse de linéarité soit des fonctions d’utilité soit
des fonctions de coût). Bien que nombre de théoriciens engagés dans
ce domaine travaillent au sein de diverses banques centrales, il existe un
fossé abyssal entre les modèles théoriques et la pratique des politiques
monétaires non conventionnelles de type quantitative easing (QE).
Le domaine de la théorie proprement dite de la monnaie se trouve
ainsi réduit à une question de principe du type « genèse logique de la
monnaie » et n’englobe pas la politique monétaire qui relève, quant
à elle, de modèles empiriques plus ou moins sophistiqués mais sans
fondements théoriques précis (la formule de Taylor en est l’exemple
le plus connu).
L’individualisme méthodologique, souverain en économie, a étendu
son domaine aux disciplines voisines que sont la sociologie (voir
Handbook 2013), la psychologie sociale et l’anthropologie. Associé à
l’approche du choix rationnel, il a suffisamment triomphé pour ne plus
avoir besoin de s’affirmer explicitement contre d’autres paradigmes
presque totalement discrédités dans le monde académique de l’éco-
nomie. Mais il a également tant pénétré les domaines voisins qu’un
doute est permis concernant la spécificité de la théorie économique
au regard des autres disciplines sociales !

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62 La théorie économique est-elle utile ?

Cette interrogation devient d’autant plus pertinente que, par ailleurs,


la discussion, voire la contestation, de l’hypothèse de rationalité s’est
appuyée sur de nombreuses réflexions et analyses venant de ces autres
disciplines sociales concernées par l’individualisme méthodologique.
Est-ce cette incertitude sur l’existence d’un domaine propre à la
théorie économique qui explique la préférence marquée pour les travaux
empiriques, dont on peut se convaincre à la lecture des sommaires des
grandes revues anglo-saxonnes, celles qui donnent le ton en la matière ?
Est-ce l’apparition de techniques statistiques puissantes (dans les
années 1970 il s’agissait de l’analyse des données, aujourd’hui des big
data analysis) qui justifie cette tendance et donne l’illusion à certains
que la théorie, qui requiert l’élaboration de modèles abstraits à partir
d’hypothèses incertaines, peut être aisément remplacée par une exploi-
tation intelligente et systématique des nombreuses banques de données
disponibles ? Toujours est-il que ces recherches empiriques prospèrent.
Jérôme Gautié parle même en 2007 d’« impérialisme empirique ». Le
problème est qu’elles répondent souvent plus à des questions de fait
(par exemple, l’étendue de telle ou telle discrimination à l’embauche,
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le niveau comparé des salaires selon la branche ou le type d’entreprise,
quand ce n’est pas les déterminants de la criminalité ou le choix des
prénoms) qu’à des questions de théorie économique proprement dites.
Ces questions de fait, de plus en plus prisées, peuvent légitimement
être revendiquées par les psychologues, sociologues et autres anthro-
pologues comme appartenant à leurs domaines propres. Elles peuvent
l’être d’autant plus que le regain de l’attitude positiviste, qui voit
dans l’induction et l’observation des faits la caractéristique même de
la connaissance scientifique, concourt avec l’extension du paradigme
du choix rationnel aux sciences sociales en général et à la sociologie en
particulier à l’effacement des frontières entre les disciplines sociales.
Enfin, mais il est sans doute encore trop tôt pour s’en faire une
idée précise, l’avènement des données massives (big data) pourrait
s’accompagner d’une transformation radicale de la notion même de
sujet, notion centrale dans une discipline étroitement associée à l’indi-
vidualisme méthodologique. On peut en effet se demander quel lien un
sujet représenté par une constellation de corrélations les plus diverses
saisies dans les domaines les plus variés peut-il entretenir avec le sujet de
la théorie économique. C’est potentiellement à une disparition même
du sujet qui peut advenir si l’on rappelle que l’obtention et l’usage de
ces données s’inscrit dans une « gouvernementalité algorithmique »

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3. La théorie économique : un monument en péril ? 63

(Rouvroy & Berns 2013) se situant à l’opposé de la représentation


de la société proposée par la théorie économique. Du même coup,
l’argument intéressant qui voudrait que, en dépit de son haut niveau
d’abstraction, la théorie économique académique ait une pertinence
sociale telle que les sujets réels se conformeraient de plus en plus à
l’image qu’elle en donne, serait battu en brèche par l’exacerbation de
la préférence pour l’empirie ; la gouvernementalité numérique permise
par les données massives créerait par elle-même un sujet se réduisant à
un objet de manipulations, loin de l’individu souverain issu du mythe
du « contrat social ».
L’observation des tendances de la discipline comme l’avènement des
données sociales massives tend à rendre obsolète la réflexion théorique
ambitionnant de découvrir derrière les apparences ce qui est véritable-
ment à l’œuvre dans ce que l’on appelle les relations économiques. Il n’y
a rien derrière les données, telle serait la tendance implicite des travaux
actuels. Cette tendance s’affirme dans l’enseignement et notamment
dans le fameux manuel L’économie du xxie siècle œuvre collective d’un
très grand nombre de jeunes économistes de tendances différentes.
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Comme le notent Florence Jany-Catrice et André Orléan (2018), la
rupture avec les présentations abstraites et formelles, l’abandon des
propositions sans contenu empirique et l’approche « résolution de
problèmes concrets » plutôt que « philosophie sociale » n’empêchent
pas le recours aux schémas explicatifs traditionnels, recours effectif qui
contraste avec la disqualification revendiquée de la théorie.
Contre ce mouvement d’abandon du monument historique en péril,
il faut privilégier non sa restauration mais la reprise de ses fondations.
Il faut simplement admettre que la théorie économique ne remplit
pas les mêmes conditions que les sciences de la nature, qu’elle est une
forme particulière de philosophie sociale dont on peut attendre une
représentation intellectuelle cohérente mais non une connaissance scienti-
fique. Il s’agit, en effet, d’abandonner la prétention à rendre compte des
comportements des individus, préoccupation fondamentalement liée
au souci normatif des théoriciens de la valeur, et d’expliciter plutôt les
règles du jeu sous-jacent à ce que nous appelons « relations économiques ».
Renoncer à une approche par la valeur n’est pas renoncer à la théorie
économique. Les théories de la valeur ne sont pas l’alpha et l’oméga de
la pensée économique rationnelle. Une autre tradition, plus ancienne
que celle de la valeur, reconnue par Schumpeter dans son History of
economic analysis sous l’appellation d’analyse monétaire, est toujours

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64 La théorie économique est-elle utile ?

vivante même si elle est peu reconnue par les instances académiques.
Pour des raisons qui deviendront sans doute claires plus loin, sa relation
aux études empiriques comme son rapport aux autres « sciences sociales »
sont différents de la théorie économique académique. Les arguments
qui valent contre l’une ne valent pas nécessairement contre l’autre.

5. Une théorie économique alternative

Il a été noté plus haut comment Adam Smith avait contribué de façon
décisive à orienter la réflexion vers la théorie de la valeur contre James
Steuart et un certain nombre d’auteurs antérieurs baptisés mercantilistes
pour la circonstance. Ces derniers travaillaient selon une autre approche
que Schumpeter appelle analyse monétaire. De nombreux auteurs,
plus ou moins bien compris, ont œuvré selon cette logique (Quesnay,
Wicksell, Schumpeter, Hawtrey, Keynes pour ne nommer que les plus
éminents), logique qui n’a pas disparu aujourd’hui (voir Ulgen 2013).
Il n’est évidemment pas question de développer longuement dans
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le cadre de cet article les traits essentiels d’une telle approche. Une
présentation quasi-axiomatique de l’analyse monétaire a été tentée
dans un ouvrage récent (Cartelier 2018). Un des objectifs qui y est
poursuivi est de montrer que l’analyse monétaire, parce qu’elle pose
des questions différentes et a des ambitions autres que l’analyse réelle,
ne tombe pas sous le coup des remarques présentées plus haut. La
volonté de réhabiliter une tradition ancienne peut surprendre en raison
du mode de pensée imposé depuis des siècles par les théories de la
valeur. Le discours théorique ainsi produit est cependant contrôlable
et peut être discuté utilement. Bref, l’analyse monétaire peut devenir
une théorie économique au sens adopté dans cette contribution. Les
quelques indications sommaires ci-dessous n’ont d’autre objectif que
d’en donner un aperçu.
À la différence de la théorie issue de l’équilibre général néoclassique,
le domaine de l’économie n’y est pas défini par un espace des biens
et un comportement rationnel – ce qui justifie que les économistes
académiques revendiquent parfois l’entièreté de la société comme étant
potentiellement leur domaine. Dans l’analyse monétaire, l’économie
est définie de façon radicalement différente.
Au sein de l’ensemble des obligations les plus diverses que les
individus ont vis-à-vis les uns des autres, certaines s’en distinguent en

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3. La théorie économique : un monument en péril ? 65

étant quantitatives et libellées en unités de compte ; ce sont les dettes.


Ces dettes consistent en obligation de payer à une certaine date et à un
certain individu un montant déterminé d’unités de compte. Les dettes
et leur règlement par des paiements forment le domaine propre de la
théorie économique selon l’analyse monétaire. Ces dettes peuvent avoir
des origines très diverses : commerciale, morale, pénale, etc. Le fait
qu’elles doivent être réglées en monnaie les fait appartenir au champ
commun des relations économiques.
La définition adoptée dans l’analyse monétaire n’est pas si restrictive
qu’il y paraît. La théorie moderne de la valeur porte sur les actions
humaines concernant les biens et services (postulat d’un espace des biens
donné a priori), l’analyse monétaire porte sur les actions humaines
concernant la monnaie. Cette dernière trouve difficilement place
dans la théorie de la valeur si bien que d’un point de vue théorique,
l’approche de la valeur est moins large qu’on le pense. Par ailleurs, les
biens et services, définis à partir des flux de paiement, trouvent une
place dans le discours de l’analyse monétaire ; ils ne sont pas postulés
mais construits à partir des flux de paiement.
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Ce qui est en jeu avec la définition du domaine économique, au-delà
de la pertinence de la théorie qui en découle, est son rôle dans la façon
dont les sujets se représentent socialement. Quelles sont les fictions
autour desquelles se forment les images que les sujets se font d’eux-
mêmes ? Un des aspects de cette interrogation est la place qu’occupe
le savoir économique dans les autres savoirs sur les sociétés.
L’élaboration d’un discours théorique cohérent sur cette base prend
appui sur un ensemble de postulats qu’il est intéressant de mettre en
regard de ceux de la théorie de l’équilibre général concurrentiel. C’est
ce qui est fait dans le tableau suivant.

L’avantage décisif que l’approche monétaire possède sur l’approche


réelle est la diversité des relations économiques qu’elle permet de décrire.

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66 LA THÉORIE ÉCONOMIQUE EST-ELLE UTILE ?

Alors que la théorie académique est limitée à l’échange volontaire qui,


en dépit des divers amendements qu’on peut lui apporter, implique
une homogénéité des conditions des divers agents économiques, l’ana-
lyse monétaire permet de mettre en évidence la pluralité des relations
économiques. Cette pluralité se montre dans les formes diverses de la
circulation des moyens de paiements.
Un clivage majeur est celui de l’accès à l’émission des moyens
de paiement : soit direct – les individus sont dits actifs car ils ont la
possibilité de prendre une initiative – soit indirect – les individus sont
dits non-actifs car ils dépendent d’une façon ou d’une autre des actifs
pour exister économiquement.
Deux modalités générales de cette dépendance peuvent être distin-
guées : l’une, dite domestique, n’est pas orientée vers le marché (les actifs
se subordonnent les non-actifs pour des activités privées), l’autre, dite
salariale, est orientée vers le marché (les actifs se subordonnent les non-
actifs en les associant à leurs initiatives marchandes). En y ajoutant les
relations entre actifs, qui sont marchandes, cela détermine trois grands
types de relations économiques : marchand, domestique et salarial.
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Trois formes de circulation monétaire sont responsables de ces
trois sortes de relations. Deux d’entre elles sont indiquées ci-dessous.

La première montre des individus actifs (représentés par des hexa-


gones) ayant des relations directes avec la Banque. Ces individus ont des
relations de paiement figurant leur activité économique tournée vers le
marché. Ils ont une même condition et ont des relations marchandes
(équivalence). La seconde fait place, en outre, à des individus non-
actifs (représentés par des points noirs). Ils n’accèdent aux moyens de
paiement que par l’intermédiaire des individus actifs qui les associent
à leur propre activité marchande au sein de leurs entreprises (ovales).

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3. La théorie économique : un monument en péril ? 67

Les uns deviennent des entrepreneurs, les autres des salariés. Leur
relation (figurée par les flèches au sein des entreprises) est une relation
salariale. Cette relation est hiérarchique et n’est pas marchande. Elle
n’est pas une relation d’équivalence.
La capacité à montrer que la relation salariale est qualitativement
distincte de la relation marchande (échange volontaire dans la théorie
académique) permet de justifier la conjecture de Keynes à propos du
chômage involontaire en concurrence parfaite avec prix et salaire
flexibles (Cartelier 2016).
Ce résultat est obtenu par Keynes dans la Théorie générale en demeu-
rant au sein de la « citadelle » en refusant ce qu’il appelle le « second
postulat classique » qui est ce qui permet de distinguer les salariés des
entrepreneurs et de contourner la loi de Walras au profit d’une loi de
Walras restreinte.
L’analyse monétaire offre un cadre plus complet et, ce qui ne gâte
rien, conforme à l’affirmation faite par Keynes au chapitre 4, selon
laquelle les seules grandeurs utilisées dans sa General Theory sont moné-
taires ou, pour ce qui concerne les unités d’emploi, des quotients de
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grandeurs monétaires. Ainsi est rétablie la critique la plus fondamen-
tale que Keynes adresse à la « citadelle », à savoir la non-pertinence du
premier théorème du bien-être (critique passée largement inaperçue
de beaucoup de keynésiens convaincus).
Un point encore plus essentiel, concerne une vaste et fondamentale
question ne figurant plus aujourd’hui sur l’agenda des théoriciens
mais qui l’a été longtemps (jusqu’au début des années 1970) : il s’agit
de la propriété autorégulatrice attribuée au marché comme forme de
coordination des individus.
Cette question a été posée de deux façons différentes. La plus connue
et la plus explorée est celle de la dynamique des prix. Sous le nom de
« gravitation des prix de marché autour des prix naturels », elle a été un
thème majeur de la théorie classique. Dans la théorie moderne, cette
recherche s’est faite sous le nom de « stabilité globale de l’équilibre
général concurrentiel ». On connaît les résultats négatifs obtenus dans
les années 1970 par les théoriciens actifs dans ces deux versions de la
théorie de la valeur. Une autre façon, moins familière mais sans doute
plus fondamentale, est celle qu’expose Marx avec la thèse du « double
caractère du travail contenu dans la marchandise », thème présent
également chez Walras avec l’idée du passage des grandeurs subjectives
et absolues aux grandeurs objectives et relatives. Il s’agit d’élucider le

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68 LA THÉORIE ÉCONOMIQUE EST-ELLE UTILE ?

hiatus existant entre le caractère privé des décisions individuelles et le


caractère social ou public du résultat de la coordination de ces décisions
par le marché. Marx nomme cette question : la « possibilité formelle
des crises ». Cette autre façon de poser le problème de la coordination
par le marché n’a pas davantage reçu de réponse satisfaisante.
En termes analytiques, la question est la suivante : est-il possible, et
si oui comment, de déterminer des prix et des allocations de marché
en dehors de l’équilibre ? L’analyse monétaire permet de répondre
positivement à cette interrogation alors que les théories de la valeur
l’interdisent en raison de l’omniprésence de conditions d’équilibre dans
les modèles de détermination des prix et des allocations de marché.
Résumons l’argument par les deux matrices de paiement successives.
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La première retrace les paiements volontaires résultant des décisions
décentralisées des individus. Rien n’autorise à penser que la somme de
chaque ligne doive être égale à celle de la colonne correspondante. La
contrainte monétaire de solvabilité impose pourtant que cette égalité
soit constatée. Des paiements contraints y pourvoiront. Ils se lisent
dans la seconde matrice. La coordination a posteriori, typique d’une
économie décentralisée, se lit dans la coexistence de paiements volon-
taires (travaux concrets de Marx) et de paiements contraints (résolution
de la crise par l’imposition de la sanction sociale : travail abstrait) 7.
Il reste à se demander si l’élucidation du hiatus permet de résoudre
la question de la stabilité globale. La réponse est négative pour des
raisons formelles analogues à celles qui sont responsables de l’échec des
théories de la valeur. En revanche, ce qui est permis (et recommandé)
est de changer la forme de la question et, par conséquent, la forme
de la réponse.

7. Cette résolution de la crise apparaît dans la théorie mainstream sous la forme d’une
trace ou « cicatrice » laissée par un processus virtuel d’ajustement instantané et sans coût.

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3. La théorie économique : un monument en péril ? 69

Au lieu de s’interroger sur la tendance des prix à converger asympto-


tiquement vers un équilibre, on se demande : quelles sont les conditions
de viabilité de l’économie ? Ce qui revient à se demander quelle est
l’extension du domaine de la résolution de la crise.
La réponse à cette question est à rechercher dans la théorie mathé-
matique de la viabilité 8. Sommairement, le principe en est le suivant :
1. On définit un ensemble contraint K pour les variables caracté-
risant l’économie, domaine dans lequel l’économie est réputée viable ;
soit x ≤ x ≤ –x cet ensemble.
2. Un modèle dynamique avec contrôles (variables susceptibles d’être
modifiées de façon discrétionnaire) est élaboré ; soit x’(t) = F(x(t), u(t))
où u(t) est la valeur des contrôles à l’instant (t) ; des contraintes sur les
contrôles sont posées (de vitesse c ≤ u’(t) ≤ –c ou de valeur : u ≤ u(t) ≤ u.

3. On cherche s’il existe un sous-ensemble de K tel que de chaque
point de ce sous-ensemble part au moins une trajectoire demeurant
dans K pour tout t > 0, compte tenu des contraintes sur les contrôles ;
le plus grand de ces sous-ensembles est appelé noyau de viabilité ; ce
noyau est une mesure possible de l’instabilité d’une économie.
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La différence d’inspiration avec la dynamique à la Lyapunov est
notable : on ne cherche plus les propriétés asymptotiques du modèle
en fonction de la régulation choisie (du type « loi de l’offre et de la
demande ») mais de la possibilité de maintenir l’économie sur une
trajectoire soutenable. Insistons, il s’agit seulement de rechercher
une possibilité – conforme à la philosophie sociale de Steuart ou de
Keynes – et non de démontrer un principe absolu de stabilité globale
– conforme à la philosophie sociale libérale.
L’invalidation de la monnaie et l’attention prêtée aux individus
plutôt qu’au Prince – les deux critiques fondamentales que Smith
adresse aux « mercantilistes » et à Steuart – ont représenté une véri-
table rupture avec une vision de la société dans laquelle le politique
et l’économique ne se distinguaient pas vraiment. Ce n’est qu’à partir
de Hobbes, en effet, et du mythe du contrat social qu’il a été possible
d’éliminer un principe supérieur de souveraineté et de soutenir que la
société ne se soutient que des individus qui la composent. Deux formes
de société sont alors concevables, l’une dans laquelle les individus sont
des citoyens, l’autre dans laquelle les individus sont des marchands.

8. Voir Jean-Pierre Aubin et al. (2011)

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70 La théorie économique est-elle utile ?

La première est politique ; les types de gouvernement sont le sujet


principal de leur étude. La seconde est commerciale ou économique ;
la formation et la distribution des richesses sont au centre de l’analyse.
Distincte du politique, cette dernière est supposée avoir son mode de
régulation propre, indépendant de toute action discrétionnaire.
Au contraire, dans la tradition de l’analyse monétaire, le politique
et l’économique ne sont pas vraiment distingués en raison du principe
de souveraineté lié à la monnaie. La régulation de cette économie ne
peut donc pas être conçue sur un mode automatique.
Pour conclure, il convient d’évoquer brièvement en quoi le chan-
gement de paradigme modifie, là aussi radicalement, les rapports entre
théorie économique et autres disciplines sociales.

6. Théorie économique et sciences sociales

La multiplicité des « sciences sociales » suscite des attitudes diverses.


Au risque d’être schématique, on peut en distinguer trois.
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La première consiste à demeurer dans un champ disciplinaire et
à se conformer aux modes de connaissance qui le caractérisent. Ce
faisant on s’assure que la connaissance ainsi acquise est contrôlable,
car fidèle à des traditions éprouvées, et on espère qu’elle est pertinente.
Cette pratique est sans doute dominante, ne serait-ce qu’en raison des
contraintes académiques.
Une deuxième attitude affirme une volonté de pluridisciplinarité.
Elle est assez répandue chez les économistes français en délicatesse
avec le mainstream. Recourir à la sociologie, la psychologie sociale ou
l’anthropologie fait espérer pouvoir s’affranchir du cadre jugé étroit
de la « science économique ». Une position extrême est de s’attacher à
bâtir une « science sociale » totale. La difficulté est, bien entendu, qu’il
n’y a aucune raison pour que des concepts et des catégories issus des
différentes disciplines puissent coexister voire se fondre au sein d’un
discours unique. La pluridisciplinarité aboutit le plus souvent à des
vues plus compréhensives et plus suggestives que les seules propositions
économiques – sur la monnaie, l’État, etc. – mais qui ne sont pas de
nature à être démontrées.
Une troisième position, plutôt marginale mais qui est celle adoptée
ici, repose sur la double constatation (i) que la pluralité des « sciences
sociales » est un fait (ii) que ce fait est jugé caractéristique des sociétés

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3. La théorie économique : un monument en péril ? 71

modernes. Il convient donc de prendre cette multiplicité plus comme


une question à élucider qu’un moyen de le faire. Cette attitude est
en accord avec la définition stricte du domaine économique de l’ana-
lyse monétaire et ne serait pas compatible avec la définition large et
incertaine associée à la théorie de la valeur. Définir l’économie de
façon substantielle (production, répartition, et circulation des biens
et services) ou de façon formelle (l’ensemble des comportements
rationnels) présente deux défauts : (i) on manque ainsi la spécificité
du discours économique qui est de procéder avec des concepts quan-
titatifs (monnaie ou valeur) (ii) les frontières avec les autres disciplines
deviennent incertaines 9 ce qui, s’agissant de pluridisciplinarité n’est
pas heureux et conduirait à des énoncés flous et mal définis.
Bref, raisonner à partir d’une version « analyse monétaire » de la
théorie économique permet d’obtenir des résultats inaccessibles aux
théories de la valeur et autorise un regard sur la société qui tienne
compte de sa complexité (au sens de Luhmann) et de l’existence d’une
pluralité de « sciences sociales ».
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Bibliographie

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Debreu, Gérard, (1974), « Excess demand functions », Journal of Mathematical
Economics, vol. 1, p. 15-21.

9. Ainsi, des psychologues ont reçu le prix Nobel d’économie ; les sociologues pourraient
de leur côté se réclamer d’une « science économique » qui se réduirait à répondre à des
questions purement empiriques au moyen de techniques quantitatives sophistiquées, etc.

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72 La théorie économique est-elle utile ?

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© Hermann | Téléchargé le 13/08/2022 sur www.cairn.info via CNRST Rabat (IP: 196.200.131.104)

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