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CL,AUDE LÊVI-STRAUSS

OUVRAGES DU MÊME ,A.UTEUR

LA VIE T¿LMILIALE ET SOCIALE


DES INDIENS NAMBIKVARA MYTHOLOGIQUES
(Penrs, SocrÉrÉ o¡s ,tuÉnrc¿Nrsres, 1948).
LES STRUCTURES ELÉ,MENTAIRES DE LA PARENTÉ, aaaa
(Panrs, Pnrssrs UNrvensrt,q'rREs DE FnaNcn, I949.
Nouvsr,r.¡ ÉorrroN REVUE ET connrcÉr, r-l H.tn-PaRrs,

L HOMME, NT]
MouroN ør cie, 1967). 1

RACE ET TTISTOIRE
(Panrs, UNnsco, r95z).
TRISTES TROPIPUES
(Panrs, Lrsnarnrr Pr,oN, 1955..
Nouwr.¡,e ÉorrroN RErrUE ET conmcÉe, 1968).
ANTTT RO PO LOGIE S T RUCTU RALE
(Panrs, LrnnerRrn Pr-oN, r9¡8).
LE TOTÉ,MLSME AUJOURD'IIUI
(Panrs, Pnrssss uNrvERSrrArREs or Fn¿Ncn, 196z).
LA PENSÉ,E SAUVAGE
(Penrs, LtnR¡rnrn PloN, r96z).
MYTHOLOGIØUES * LE CRU ET LE CtilT
Sei 1,13'ef'
(Penrs, Lrsn,trRrr Pr,oN, 1964).
MYTT]OLOGIPUES ** DU MIEL AUX CENDRES ,'t'l
(Panrs, Lr¡narmr Pr-oN, 1967). i
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MYTTTOLOGIPUES *** L'ORIGINE DES MANIÈRES DE TABLE
(Panrs, LrsRarn¡e Pr-oN, 1968).

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EN cor-r-r¡oR¡'TroN :

GEORGES CHARBONNIER:
ENTRETIENS AVEC CLAUDE LÉVI-STRAUSS
(Panrs, Pr-oN-Jur-r,rano, r96r).
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PLON
558 L,HOMME NU

s'oppose souvent jusqu'à l'incompatibilité en tout cas, chez les Gé, les
Sahaptin et les Salish -
à l'emploi de récipients de poterie pour cuire par
ébullition, syrnboles de-ce qu'on pourrait appeler une cuisine féconde, mais
casanière. L'opposition en évoque d'autres, comme celle dégagée par
M. Dumézil (2, p. r35-t59) entre la mort héroïque, suivie de crémation du
cadawe, et la mort féconde par noyade ou suivie d'inhumation.
En même temps, donc, que nous entrevoyons un système de catégories
se prêtant à des transformations multiples et qui, dans son essence, pourrait rt
être universel (car en relèvent sans doute aussi les épreuves d'initiation ou
de passage soit par décharnement syrnbolique au moyen de scarifications,
FINALE
de flagellations ou d'insectes venimeux, soit par cuisson, cf. CC, p. 34c,3ß),
nous comprenons comment l'humble récit d'une querelle familiale, qui nous
a servi de point de départ, le contient tout entier en germe, et que le geste ( ... enfin tous les chapitres sont précédés
devenu pour nous insignifiant d'enflammer un combustible en approchant d'épigraphes étranges et mystérieuses, qui
une allumette perpétue, jusqu'au cæur de notre civilisation mécanique, une ajoutent singulièrement à l'intérêt et donnent
plus de physionomie à chaque partie de 1a
expérience qui, pour I'humanité entière jadis et de nos jours encore pour composition. r
d'ultimes témoins, fut ou reste investie d'une gravité majeure, puisqu'en ce
Victor ÏJvoo, Han d,'Island,e. Préface
geste s'arbitrent syrnboliquement les oppositions les plus lourdes de sens de la première édition.
qu'iI soit d'abord donné à l'homme de concevoir, entre le ciel et la terre dans
l'ordre physique, entre I'homme et la femme dans l'ordre naturel, entre les
alliés par mariage dans l'ordre de Ia société. Au long de ces pages, le nous dont l'auteur n'a pas voulu se départir
n'était pas seulement a de modestie r. Il traduisait aussi le souci plus profond
de ramener le sujet à ce que, dans une telle entreprise, il devait essayer
t d'être pour autant qu'il ne le soit pas toujours et partout : le lieu insubstan-
tiel offert à une pensée anonJãne afin qu'elle s'y déploie, prenne ses distances
vis-à-vis d'elle-même, retrouve et réalise ses dispositions véritables et
s'organise eu égard aux contraintes inhérentes à sa seule nature. S'il est, en
efiet, une expérience intime dont vingt années vouées à l'étude des mythes
ces tomes que les huit dernières ont pénétré celui qui
-écrit ces lignes,n'embrassant - du moi, souci majeur
elle réside en ceci que la consistance
de toute la philosophie occidentale, ne résiste pas à son application continue
au même objet qui l'envahit tout entier et f imprègne du sentiment vécu de
son irréalité. Car ce peu de réalité à quoi il ose encore prétendre est celle
d'une singularité, au sens que les astronomes donnent à ce terme : lieu d'un
espace, moment d'un temps relatifs l'un par rapport à l'autre, où. se sont
passés, se passent ou se passeront des événements dont la densité, elle aussi
relative par rapport à d'autres événements non moins réels mais plus dis-
persés, permet approximativement de le circonscrire, pour autant que ce
næud d'événements écoulés, actuels ou probables n'existe pas comme
I substrat, mais en ceci seulement qu'il s'y passe des choses et bien que ces
choses elles-mêmes, qui s'y entrecroisent, surgissent d'innombrables ailleurs
et le plus souvent on ne sait d'où...
Mais pourquoi, demandera-t-on peut-être, marquer une telle réticence
vis-à-vis du sujet quand on parle de mythes, c'est-à-dire de récits qui n'ont
..-r7

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56o L'HoMME NU
FTNALE 56r
pu naître sans qu'à un moment quelconque, dût-il le plus souvent rester serait déraisonnabre de. penser que ra nature
inaccessible, chacun ait étéimaginé et narré une première fois par un individu dernière du réer est d,être en
construction permanente au rieu de consister
particulier ? on ne peut dire parlants que des sujets, et tout mythe doit, en en une de struc_
dernier ressort, prendre- son origine dans une création individuelle. Cela est
tures toutes faites >
(pjaget, p. 5B). Certes, mais ce .o"¿ ""."-J"ton
ã¿j; des structures
qui, par transformaiio_n, engendíent d'autres
'wai sans doute, maislpour passer àl'état de mythe, il faut précisément structur..,'ãt k fait d.e rø
stru.cture est premier. Moins di confusions
qu'une création ne reste pas individuelle et perde, au cours de cètte promo- se seraient proáoit", autour d.e ra
notion de nature humaine, que no rs persistons
tion, l'essentiel des facteurs dus à la probabilité qui la compénétraiìnt au garde que nous n'ente"do.".. pas désigner ¡ "*nrãv"t, rì r'on avait pris
ainsi ;;;;il;;
départ et qu'on pouvait attribuer au tempérament, au talent, à l'imagi- toutes montées et immuablesl mais d"es matrice, de structures
à p";ti;îesquenes
lnation et aux expériences personnelles de son auteur. La transmission des gendrent des structures qui rerèvent toutes
d'un mêmjerr..-br., sans devoir
s,en_
m5,'thes étant orale et leur tradition collective, les niveaux probabilistes rester..identiques au cours de l'existence
qu'ils incluaient ne cesseront pas de s'éroder, en raison de leur moindre jusqu'à l'âge adulte, ni, pour ce qui
in¿iuãuúe å"ü ra naissance
est àes sociétés humain'es, en tous temps
résistance à l'usure sociare que celle des niveaux organisés de façon plus et en tous lieux.
rigide, parce que répondant à des besoins partagés. on accordera donc ians cependant, la psychanalyse et res écoles dites génétiques
peìne que Ia différence entre créations individuelles et mythes reconnus pour pas de la genèse la même idée que cene ne se font
par une com.munauté n'est pas de nature, mais de degré. A cet égard, sur taq"eue"eiãgeì et nous-même
!91s pourrions plus facilement nous åccorder. Loin
l'analyse structuraLe peut légitimement s'appliquer à des mythes issus de äe ,""orr.rîir. que, comme
l'écrit Piaget, < dans re réer comme en mathématiques-
la tradition collective et à des ouwages d'un seul auteur, car le programme touiu tor-" est un
contenu pour celles qui lenglobent et tout contenuãst
ici et là sera le même : expliquer structuralement ce qui peut t ctre et qui une forme pour ceux
qu'il contient, (p. 95),.on pietend expliquer des
n'est jamais tout; pour Ie reste, s'employer à saisir, tantôt plus et tanfôt t¡>es da;dr;, en les rame-
nant à des contenus..qui ne sont pas de mãme
moins, un autre genre de déterminisme qu'il faudra cherchei aux niveaux contradiction singulière, agiraieirt sur leur forme
q;;;t'efiet d,une
""t"íådu"tdehors.
statistique ou sociologique : ceux qui relèvent de l'histoire personnelle, de lisme authentique cherche, au contraire, à saisir Le structura-
la société ou du milieu. avant tãoi r", propriétés
intrinsèques de certains t¡4pes d'ordr".. ó". pr"prlété.
, Admettons donc que toute création littéraire, orale ou écrite, ne puisse leur soit extérieur. ou, si i'ãn veut absorumeirt
;,"iii-"r,t rien qui
être au départ qu'individuelle. Pour autant qu'elle sera aussitôt liwéè à la {u,eres se réièrent à quelque
chose d'externe, il faudra se tourner ve-rs l'orlanisation
tradition orale comme cela se produit chez les peuples sans écriture, seuls comme un réseau dont res systèmes idéorogiqu;s conçue
les niveaux structurés qui reposent sur des fondations communes resteront
"".¿¡r¿"
res plus ¿i"à.. traduisent
telles ou telles propriétés däns res termes d;une
stables, tandis que les niveaux probabilistes manifesteront une extrême strücture particulière, et
chacun à sa façon, révèlent des modes d,i"¿;il;J;;
variabilité, elle-même fonction de la personnalité des narrateurs successifs. Mais cette prudence ph'osophique, qui permet
cependant, au cours du procès de la transmission orale, ces niveaux proba- d'éviter res pièges des
interprétations réductri""-., f"it trot.u force. Ene imprique, en effet, que
bilistes se heurteront les uns aux autres. fls s'useront aussi les uns conlre les "n..i
toute nouvelie interprétation- proposée
autres, dégageant progressivement de la masse du discours ce qu'on pourrait d'un mfihe, ¿iãä-"rrcer par res
nôtres, vienne prendrì rang à ra suiie des v-ariantÉ.
appeler ses parties cristaLlines. Les æuvres individueiles sont toutes des aáie de ce mythe
(L'-1.
J, p' 24o)- Ne,s'enfãrme-t-on p", "ã"""",chaque forme
dans un cercle,
mythes en puissance, mais c'est leur adoption sur le mod.e collectif qui actua- aussitôt muée en contenu requérant ài'infini, "-lor.pour qu,il
.,lise, le cas échéant, leur < mythisme >. úne autre forme ? De ce qui précède, il réiulte
* .ãî,à"¿" compte,
On voit par là en quoi les interprétations structuralistes authentiques diffè- que re critère
de l'interprétation str:ct-uiat9. éghappe à ce paradà* ".; "o"t;;;
ilf"tj qu,ele seure
rent de celles auxquelless'adonnent lapsychanalyse et les écoles qui préten- sait rendre compte à la fois d'erle-måme et dies
dent ramener la structure d'une æuvre individuelle ou collective àie qu'elles autres. ¿;rã tant qu,erle
consiste à e.xpliciter un- système de rapports
appellent faussement sa genèse. Non que nous ignorions que toute structure que les autres variantes ne
faisaient qu'incarner, e_ne se res intègre i?- s'y
soit nécessairement engendrée. Dans l'excelient petit liwe qu'il a récemment intègre ,o. .,rrr-rroorr"au pran
où s'opère la fusion définitive du fonä et de-l,a
consacré au structuralisme, Piaget nous fait ce reproche (p. gil qui résulte, susceptible de nouvelles incarnations. Révélée
f"d;;.t q"i ã;"" n,est prus
semble-t-il, d'un marentendu. car on concédera volontiers que les structures a eue-mêrii ù-structure du
mythe met un terme à ses accomplissements.
ont une genèse, à condition de reconnaltre aussi l'ceuv¡e de piaget
n'en apporte-t-elle pas la démonstration ? - mais
que chaque état antérieur -. 9" aperçoit ainsi en quoi l'effåcement d.u sujet représente une nécessité
d'ordre, pourrait-on direjméthodol0gique : r
d'une structure est lui-même une structure.-< On ne voit pas pourquoi il oü¿it
expliquer du mythe que par re mythJef d'exclure, "ï;;;;i" de ne rien
re point
",, "o"req'o"nce,
I

I.'HOMME Nu FTNALE s6s


s62
de ce fait à lui a trop longtemps réussi à tenir les sciences humaines
, de vue d.e l,arbitre inspectant le mythe par le dehors, et enclin emprisonnées d.ans un
en ne leur permettant d'apercevoir pour r" .o"."i""ù
des causes ã'"i.i"req""s."[ fáut, au contraire, se
pénétrer de la l1ïg1": d'autre orjeì
1 trouver d'étude que la conscience ele-mêmã. D'où r,iåpuir."rr""prãtique
] 1"" á"oiet" tout système-mythique se.profilent'.:o*-" facteurs humaines d'une part, leur caractère nusionn'istJ;;ii;;;il,
aes sciences
"""ï.ir* qui le détermínent, d'altres systèmes mythiques : c-e sont lüöäi;
' piãfã"áetaits
ã;rit"i parlent fo¡ et se font écho les ottt autres, sinon à f infrni, au la conscience étant de se duper ere-même. c" q;,;;;;'ñåor."".*,
Marx,
"" "o* Durkheim, saussure et Freud-. cherche à
moirri ju'sqo,au moment insaisissable oìr, voici quelques-centaines de milliers """o-pti,
dévoiler à la conscience un objet øutre ; donc
rä1i*"ì"r"risme, c,est
débutante la årettre, ,rir_¿_ø, des phéno_
ã;"""¿är ei peut-être dira-t-on un jour davantage, l'humanité de ce mènes humains, dans une pãsition comparable à celre
pr"fãru ses fremiers mythes. Cela nL sigmfi-e p-a¡ qu'à chaque stade î dont res sciences
pas' en passant d'une physiques et naturelles ont fait la preuve qï'ele
développem"nt le mythe tt" i'ittg¿õttisse I r"or" poorr"fpermettre à ra
"o*pi"ie, connaissance de s'exercer. Dire qúe l' conicience
société à l'autre, däs infrastructures techno-économiques diffé- p".1ìut, ni même le
"o-ioirhrge s'engrener sur leurs plus important, n'incite
11 "'"ri
rentes et dont il subit chaquie fois I'attraction. Il lui faut
a-ava11age à renoncer à sJn e"ercice que leurs
que' pour comprendre les principes ne vouaient naguète les philãsophes existentialistes
rouages, et nous .rrot. mántré à maintes reprises
de débauche dans les caves de Saint-Germain des prés.
à mener une vie
du même mytle
écarts différentiels l; ;" manifestent dani des vèrsions
car la conscience peut ainsi mesurer l'immensité de
Bien au contraire :
.pp"rt"r,"rrt à des iociétés voisines ou éloignées, il convenait de rendre
courage.de. l'entrep:endre, dans lespérance enfin
sa tâche et trouver le
à f infrastructure ses droits. offerte qul cele-ci n,est
double détermi pas vouée à la stérilité
Chaque ,r"r.ior, ão *Vìft" trahit- donc f influence d'un prise de conscience demeure d'ordre intellectuer, c,est-à-dire
de versions antérieures ou à un ensemble .Y"fu "911g
nisme : l,un la relie àune Juccession q":*" ne diffère pas substantielrement des réarités ar.r*queles ere
ã" ,r"rrion. etrangèr; t'ãott" agit de façon- en quelque sorte transversale' qu'elle ¿sl ces réalités mêmes accédant àleur propre
s,applique,
p", a". contraintãs d'árigine infiastructurelte qui imposent la modifrcation "ä;¿.
s'agir, sous ces nouverles couleurs, de réintroåu#";"t;;ñJment
ii"" peut donc
pour accom-
ãe tet ou tel élément, d,o-ù résulte que le système se réorganise Nous n'éprouverions.n-u[e indulgence envers cette imposture
ie sujet.
Mais de deux choses qui substitue-
moder ces différen""å e ¿"r nécessiiés d'oidre externe. rait la- main gauche à ra main dioite, pour rendre p.i d"r.oo,
qu'elle met en
l,une : ou bien l'infrastructure relève de la nature des choses
pire philosophie ce qu'on aurait afÊrmé lui avoir ¿iirñ;;
ra tabie à ra
peut rien engendrer; Lssus; et qui,
æuvre et alors, i""tt" et passive à leur image, elle ne-
! remplaçant- simplement le moi par |autre et grissant
en état de
ou bien elle est de l'ordre du vécu et se tro-uve perpétuellement désir sous la logique du conceit, retirerait i cele-ci
unË meiaptrysique du
rléséouilibre et de tension : dans ce cas, Ies mythes ne sauraient en provemr
en
.o' rãrr¿"*ent. car,
plutôt place part u¡
iãÏil;;.dttt¿ Ñãeviendrait vite tautoiogtqoe. Iis constituent 19tja3t _a ]a 9y -oiilne_désignerait
un désir individuatisé (sinon
d,une autre anonlrne, d,aotr" p"ri
des réponses tempoiaires et locales aux problèmés que posent les ajustements rien), o" pas à
cacher qu'il suffirait de les recoller l'un á l'autre et "É-.?"..irait
réaüsables f", impossiËles à surmónter, et qu'ils s'emploient de retourn", i" toot, poo,
"*ir"¿i"tion. reconnaitre à l'envers, ce moi. dont, à grand fracas,
"t
alors à légitimer ou à voiler. Le õontenu que se donne.le myt!9 n'estpas on aurait procta-e
l'abolition. S'il est un_ temps où re moi piri.." re"pp"rr:ir.,
antérieur, mais postérieur à cet élan premier : loin de jamais dériver d'un c,est seulement
celui où, ayant achevé son ouvrage qui i'excruait ãå
contenu quelconque, le mythe s'en ra_pproche, attiré pai st
pesanteur spéci- bout en bout þuisqu,à
une partie de sa f inverse de_ce qu'on pourrait ir en était moins |auteur que Ïouvrage
fique. Dais iiäti¿tt" à ce contact lui-1êq9, durant quï s'écrivait, "toir",ne d.evenait l'auteur
"rr",1-o"'orl"rti"rrli"t,
liberté apparente qui n'est, aperçue sous un autre angle' gu'une astreinte -ne d.,un exécutant qui
age¡' e[:.St vivait plus que p"T-iq), il peut et doit en prendre une vue d,ensemble,
à sa propre ,r¿""..iiã i'"¡gi* då ce[e-ci se perd au fond,des
au tréfonds de l,esprit, et sãn déploiement spontané se_ralentit, s'accélère, ggl*" fe1o1!-9eux qui le liront sans se trouver dans re cas hasardeux d,avoir
qui l'e1- été poussés àl'écrire. coiffé d'une épigraphe qui
s,infléchit o" bif.irA;; en subisËant des coitraintes historiques ne.".it"" f".ãans t" prolon-
lesquels, sans trahir gement des autres mais res commente, ce finale se
brayent, si l,on or"'dir", sur d,autres mécanismes avec déroure rui-rrrê*".r,
de commentaire d'une æuvre terminée, et dont -anière
son'orientation première, viennent se composer ses b.¿ã;;;; à?äãg¿ de sa mis-
"tr:F' sion et retrouvant de ce fait re droit à ra premièr" p"r.o.rrr",
Volontairem""i-"" ,åtr"it pour laissei le champ libre à ce discours I ses propres enseþements.
,åtor"" de tirer
anon)nne, te su¡ei ne ,"rrorr"" ptt 1 prendrg conscience' ou plutôt à ce
qu,il prenne
"l
travJrs lui. Ceitains feignent de croire que 1a cri- ***
åqoe'de la corrscierrce devrait logiquement conduire à renoncer à la pensée
"orrril"rr""-¿
En considérant rétrospectivement mon travail, une première
qu'æuvre.de
consciente. M"i. ;;;, ,ri"rrorr. iã-ais songé faire autre chose frappe d'autant plus qu'elle ne répond pas à une intention
chose me
re prend're consciince' Cependant' 1a philosophie délibérée de ma
connaissanc",
"'"rt-¿-¿i
L,HOMME NU FTNALE
í6+ 565
part. En commençant l'enquête par des mythes de l'hémisphère sud, et en on m'a reproché de fonder mes anaryses sur
des résumés de mythes dont
ir dépl"ç"nt progrôssivemetrt vets des régions septentrionales et occidentales je n'aurais pas fait d'abord.ra critique
iextue[e. commençons par ce second
ae t,iremisphãre-nord, j'ai pris, en quelque sorte, l'Amérique à contre-poil, point. fl n'aura écfap-pé_ à p".rorirr" ayant
quelque connaissance d.e ces
son peuplóment s'étani, dá toute évidence, fait en majeure partie dans le matières qu'en dépit ãè r'énôrmité du maté¡åi
mis *o.rr", cerui_ci ne
sens^inierse. Était-ce utile ou nécessaire, indépendamment des raisons représente qu'une très petite fraction
des mythãs "r,
personnelles qui me mettaient pius à l'aise avec les mythes de populations Amériques que j'aurais pir utiliser. Cioit-on frorr"rrr"t des deux
que j'ai choisi mes documents au
que j'ai moi-même observées ? oui sans doute, et dans une large mesure hasard ou par convenance personnele ? DerrièrJr;;
q""lï"" *ille mythes ou
raison différente, qui tient à la nature propre de la connaissance a variantes d" tyth::^:ïd u l,exégèse, uu"'"o.rp-prìr.-.Ë!äru"rrt,
fooiott" que j,ai
ãthnographique : beaucoup plus panvre que celui dont on dispose pour dépouillés, sommairement anaryséõ et'que je
n,ai pas ietenus pour des
l,Améäqire du Nord, Ie corpus sud-ãméricain se prête dav11_tage à une étude raisons très diverses où ra critique des te-xtes
arr"it ,J pr""ã, *"i, tenue en
préliminãire parce qu'on l aperçoit comme de loin : simplifré, réd"uit par sa lisière par la conviction.qo", ."irT pr.orr",
t., Jiõ;;, il n,existe pas
nord-amé- de < bonnes r versions d'irn mythe' et àes <"¡"t
þauweté mêàe à sJs contours óssentiels. Au contraire, le corpus i
mauvaises , ; toot cas, qu,il
ricain apparaît si copieux, complexe et fouillé qu'il eût pu, si j'avais com- n'appartient pas à r'anaryste ã'en déciáer "í
en forrction à" ã¡t¿r", étrangers
mencé par là, égarei l'analyse dans des chemins de traverse. Plus ingrate à la matière de son étudã : ront ptolãt res mythes qui se critiquent eux_
peut-êtie, l'enquéte sud-américaine a permis de gagner du temps. Mais il m'est ""
mêmes et se choisissent, ouvrant, dåns la masse confusã du corpus, certains
iouvent arrivéãe me demand.er si, commençant par l'autre côté, le résultat eût itinéraires qui n'eussent pas été ies mêmes
si ter mythe au rieu d,un autre
étépareil. Il est probable que je n'aurais pas choisi Ie même mythe de référence : avait d'abord émergé. itiap. je- t'ai p.s seurementl
poo.--o., édification
les inatériaux mis ett *oït" par les veisions nord-américaines sont si riches personnelle, constamment faii ra _critique de mes ;";;; sans éprouver le
et si divers que le mythe ne ressort pas du corpus de façon aussi nette. besoin de tenir re recteur informé ae .es'phase. préri"ú;;;Å*äe i,enquête et
En revanche, est-il que l',Amérique du sud ayant été peuplée depuis qui ne le concernent pas;.chaqu_e fois quô
c,étaii po..l¡le quand
l'Amérique du Nord, ""rtrit,
les verìions du mythe de référence y représentent des on disposait du texte indigène dans då
hngues;"";i;;ä;"ús ";ã.ì_¿_dir"
des diction_
formes flus récentes et dégradées ? Ce pourrait être le contraire si le même l"{". et des grammaireslxistaient "".ri, ;ã;i;. ,;#ä:orationner ra
mythe,^longo"-"nt élaborZ et transformé en Amérique du,Nord, avait, en traduction avec qoi g n"tioi. Ë""d;;;;;-"""åpl" dans re
,täerique ãu Sud, mieux préservé sa fraîcheur et sa simplicité premières. ç des mythes kramath
'origin"t,..g."
iecueillis p"r
cas
e*r.". (suþrq,p. 45, 5r, 63, zz) d,obtenir
Dans Je cas, l'ordre choisi-correspondrait à l'ordre réel. Mais il ne faudrait supptérnent"ir"., qui ne iäJort"i"r,t pas de
surtout pas concevoir la démarche de ces quatre volumes- à l'image d'une ffd:iffi:tssements "i ta
progr"..ion linéaire. Au moyen de mythes introduits dans le second volume Quant aux résumés, qui m,ont, je l,avoue, souvent d.onné plus
de mal
å h- suite de ceux présentés dans le premier, on est allé, dans le troisième que les exégèses propremõnt dites, jåmais
ils ne ."rrr"rrl ã;;;." à celes_ci.
volume, de t,Amérique du Sud à l'Amérique du Nord, grâce à des mythes rls sont destinésãu-recteur l"i'dn*rt un
aperçu á;""r"*tr" de chaque
inaersés dont la signification était id,entiqu¿. Dans le quatrième volume, on mythe, en attendant que la"tdiscussion intègre'p¿gr;;;il;;nt
res détails
est revenu d'Amérique du Nord en Amèrique du Sud grâce à des mythes et les nuances qui n'avaient pu trouver i"or"ptr." d;";l;
ao résumé.
identiques (puisque fourr-u' reproduisent M1, Mz-1, dont la sigaification Je me méte trop des résumËs poo, t*, ,"connaître un autrJ "-o-f,usage, ayant
était inaeriTe. Le codðãstro"omique traduit de manière particulièrement toujours fait lexpérience. de rrmpossibilité
où r,on Jtrñ de pénétrer
claire ce mouvement récþroque, car il a permis de montrer comment un {=nrit d'un mvtie dans
héros qui, au départ, p"i.ottttifi" la constellation du Corbeau (Mt) ^passe
1T"iî;d";ñ;;rg"r
diffuses qu'glle¡ puissent
les .,"r.ior,.'intégrares, si
être, et de laissår s,accompJir une rente incubation
d'abord. au rôle fonctiônnel dévolu à Orion (Muur-uus), et vient, en fin de qui demande des heures,. des jours, des mois
-_ d"ìd;ì;;ã", _
compte, s'identifier à cette dernière constellation en opposition de phase avec ce.que la pensée, gniae.'in"ã*"i.--ent pãr "rrrré"s
!ustr1'à d,infimes détails,
l'autie ifVlu*l que personnifi.e, en Amérique du Sud (Mrrn), un héros dont les parvienn_e à épouser les cont-ours
du mythe. Tel que'þ l,-,riüi'.", re résumé
aventuàsï;ópposê"t aussi à celles de son congénère nord-américain. ne remplit aucune fonction anaþtique, mais
I départ pour une exposition ry"trretÍq-"å qui
seri ..ü"*"J de point de
Mais ce ,r;"irt pr. le terrain de l'ethnog..ptri" qu'ont en général choisi l'enrichit ¿u ããrrrrees supplé-
mes critiques. IIJ m'ont plutôt fait des ob¡eòtiott de méthode; certaines , mentaires, jusqu'à ce qu'on .éorri à rèconstituer et à inierpréter soli-
apparaissent si pauwes qu'il serait désobligeant de nommer leurs auteurs'
- dairement le mythe complet. "it
Dliposons-en donc rapidãment, pour débúyer le terrain et passer à des .. {ussi indigents apparãissent ceux qui prétendent me mettre en contra_
choses plus sérieuses. diction avec moi-même, parce que j,aurás
simultanlm*t ãmr_¿, d,une
j
L,IIOMME NU FTNALE 567
566
que les mythes eux-mêmes sont des outils de démonstration, mais des sténogrammes ou des
part que I'analyse mythique n'a pas d" 11:t dessins
- un et
in-terminøbl,es (cc,p ;;:; å';;re
part (pasiim) que l'ensemble des mvthes en me faisant en même temps grief d'une piétendue démission,
depuis
un système clos. Pour raisonner article écrit-en 1955 pour saluei l'entrée eri for"" des mathématiquäs
faisant l,objet de mon'ãtude constitueni dans
entre le ãir"oo.. mythique de chaque les sciences humaines (L.-s. zz),jusqu'à la professio" ¿,t"-iuté
relative au
ainsi, il faut mécon""ilr" la différence une suite peut être

j
ouvert traitement logico-mathématique des mytheÄ sur quoi .,""t
société, qui, comme îãot ait"o"rs' d'emeure - du premier volume le cru et r,icuit. oniémoigne aiinsi d,une"rr"lt
l,ouverture
nouvelles peuwent apparaître' des
donnée à chaque *ytht ães variantes des choses dont on prétend impudemment trancher. Mon artideäe
totale ignorance
que ce discours met en æuvre 1955
mythes nouveaux.,oi'-i"';oot l-9tJ"J""gue prenait en considération le traitement rles problèmes de paren té par
et qui, à chaque **""i tonsidéré' "r"f"" forrie ui système' C'9st par rapport
"di."oor. déployé dans la ^weil la
f'*¿t" ãL rotr théorie des ensembles, inauguré par André dans orr'd." mes livres
à elle-mêm", "'áïþ jamais close' Mais l'ouverture de cette (L.-s. z, ch. xrv) et qui devait vite faire écore car, depuis i949, tant
"t
diachronie, qu'une ;;ñ;i"d; n est d,ou-
pas que la langue dont elle vrages et d'articles ont pris la suite qu'on peut dire qu,il
eíiste désormais
parole, au sens ,"o,'o'i"t' ãu terme' "'t*ttot lt une véritable mathématique de ra paienté, ã ta n"issance de raquele je
relève soit close p", à d''autres système-s aussi aperçrrs dans 'tyl; ne
"ppo't d'un cylindre, surface close et qur prétends pas avoir autrement cotttribué qu'en formubnf-ces-problãmes
chronie, un peu .o*-"'än le constaterait au cours du temps par dans un-langage propre à retenir lattentiãn des mathématicieås,
resterait t"U" *Cm" indéfrniment et qui
'i""ll" ';"Uot'g""it prétendre en avoir fait Ie tour, et pouvait les encourager à relayer les ethnologues parvenus au point
une de ses bases , f;;**;t""r fourrlit où'la
instant de calculer le volume complication- des problèmes décourageait reirrs pïcédures
déterminer u ro*iJiermettant à chaque en 1on8, les obligeait à s'arrêter.
artisanales et
i".r"t,-ãC*e s'il ne 'éoåsissaitj"*T: àla que j'utilise ne.cessait
parc.ourir
-. de régresser l'étude des mythes soulève des problèmes beaucoup plus
D'autres orrt preiJiäî ã"" tä -q,¡ode ----Cependant,
difficiles, et qui ne tiennent þas seurement au fäit que, d.e cet
impuissance se trouvait
au colrrs de mes ouvrages successifs' ".t i'1L"9"aux trois premiers volumes domaine, nous sommes irrémédiablement voués à nã connaître que
immense
ainsi avérée. c"t aspects partiels et fragmentaires soumis, avant même que nous
des
",go;"ü '?ie "ppriq"é.d'äbord'
des Mythol,ogiques ö'i;;.""'
äirrgote." que les tableáux synoptiques' ne les
rroluine, devenaient plus rares dans appréhendions, à toutes sortes de bouleversements et ie phénomènes
dont j,ai fait grand úri*" ã"* f" pr"rrii"r avant ajoutera-t-on d'érosio_n. Mêpe supposé idéa-lement intact par une fiction
le second et davantagã "rr"or" d.ans le troisième, -
Mais ces tableaux
t à rien de réel, tout domaine mythique paiticulier n'est
qui ne correspond
maintenant _ d" dff;;il;;;;ñtement
du dernier. 1å*"i. saisi {u,en
d'" p'eu"";. leur fonction est surtout devenir e_t, pour des raisons aeja artes (suprø, p.560), íentraîne
sont des illustrations, non des moyens procédé n'a et engendre au cours du procès de sa transmissiðn ãrie d.es niveaux proba-
avec rui
à í'usage 9:-
didactique. Le lecteúr sufñsammént ""t'åitti "t bilistes qui, dans la mefueure h¡rothèse, permettront seulement d,isorer
plus besoin +1."".19i"ii"nrg" n toutbout
àe champ' Cai'.s'- i:iå-#ffiti1:
mon entreprise' il l e,t de dfunit^er des plages restreintès où les
comme il me I'a été t;;i;ême au long de
chaque
ihénomènes sont complètement
déte¡minés. cet état de choses n'offre rien de décourageant, ca,
de s'armer a'or, feuille"de papier et' ã.''occasion de it ,re diffère
",tlot';id;"" un exposé gue,j'ai pas tellement de celui que connaissent res physiciens äaorrrr¿.
confrontation de d.eux ou plusieurs -yt;;;ã;convertirt"TPt et de la place à l'étude des
cru pouvoir ti-rr", *î' ¡;tät" discursive fáot
g"g""t -dY ig*": les plus stables èt res mieux organiséeð de ra matière- comme l,écrit
l'un d'eux : < Au début de ce siècre,'ies physici".r, .'"*proyaierrt surtout
ili"i¡t ininteltigible) et aussr,
Ëi"b'";;r,,""net,airfã,'o'i ¡r*^i., sinàn t'i' a" "o*po'illg" '$"b' jusqu'à la à montrer que les cristaux sont des arrangements ordonnéÄ diatomes,
disons-'e tout ö;îö;'ñJåt poo' *o" d'établir ces tableaux' ou de molécules. Mais, d3nlis querque t-emps, ils insistent davantage
d,ions
sur
fin de mes
"rrtry.".l¡""ï'äpài""tt¿ "o*itt
seulement apparu- qu'il n'était
plus 19 fait que cet ordre est timit¿ et qüe des imperfections
aussi nombr"o* qo,'.r,. ¿åuït ; il m'est constater que dues à la présence d'impuretés et à dès_irrégutarites natives ""i.l.rrt
toujours,
pou-rra cìpendant , (H"rris.h,
utile de les reproduire. Tout lecteur attentif un tableau La cristallographie n'en existe pas moins, ãt les chances de l,ànalysu ó. so).
que d^écrire et commenter
chaque .o*prr"i.or, ä"ã¡rr", ne fait rSle des mythes ne sont-pas compromises, d.e savoir qu'ele "t*ãtú-
svnoptique implicite, superposant term'e à terme les membres homologues tr" p"rript"irrement
r --
d" pin.iãots cñaînes syntagmatiques' t s'ex_ercer.que sur certains .sp"cts favorables de sesib¡ets.
de façon- d'ailleurs peu cohé- Les difficultés auxquelleÀ se heurte Ie traitement iogico-mathématique,
on est pro,ioü "'i*'t""o'"nt'
"ue
rente, d,employer
"""-o'"
des symbol". rrt *"t typographique des dont on p-erçoit pourtant qu'il est souhaitabre et possibie, ,orrì d'rrrru
"r"p*"iJr-ádes formules à leurs yeux sans nature. Elles tiennent d'abord à r'embarras où l,õn se trouve pour "ot."
logiciens et des *"tr,¿*äti"iens pour écrire sans équivoque les unités constitutives du mythe soit comme
définir
validité ni portée - point sur lequell-" *;it¡. ces formules n'étaient pas
cependant franchement termes, soit
que comme relations ; car selon les varianter et à différentes étapes
expliqué dès le début (öC, p' 39)' en précisant "otrsidéré"s
I

568 L,HOMME NU FTNALE 569


autre genre de contradiction. ces outils, dit-on, appartiennent
d.e l,analyse, chaque terme peut apparaltre comme une relation, et chaque à l,arsenal
épistémologique de.notre propre civilisation.; .í
relation ðo--" un terme. En second lieu, ces relations illustrent des types fret."a"* r.. appriquer
à une matière première prélevée d.ans des sociétés åfférentes
de s5,,rnétrie différents les uns d.es autres, trop nombreux- pour les décrire pour amériorer
la.connaissance que^ nous pouvons prend.re de cenes-ci,
dans le vocabulaire timité de la contrariété, de la contradiction et de leurs ¡" i"r"ir preuve d.,un
ethnocentrisme naif transposant aù domaine de la conåair.rrr."
inverses. Cette seconde diffrculté est encore accrue du fait que les éléments, celui dont,
par ailleurs, j'affi.rme vouloir.me dégager en retrouvant, dans
définis comme tels pour les besoins de l'analyse, sont le plu¡ souvent des ra rogiqué
sous-jacente des m5,thes_, les règres qui engenarent re discours
ensembles déjà complexes et qu'on renonce à débrouiller davantage par authenîique
de chacune de ces sociétés. M1.,'ei
manque de procédures appropriées. L',analyse mylhiqug manie ainsi, sans ¡'auiai |occasion ã;y ,"r"rri, Qnfrø,
toujo^urs s'erì rendre comþte, moins des termes et des relations simples -que p. li.r)'le relativisme curturer serait un enfantin"g" .i, pour concéder
larichesse des civitisations différentes de ra nôtre, i'ñi;J;rf;Jd,*rJ;ä;;
des paquets de termes oü d"r paquets de relations, qu'elle classe et définit
de manière inévitablement grossière et maladroite.
u¡ critère philosophique ou morar pour décider "tde la i"rã", ,"rpective des
choix qui ont amené chacune d'ele-s à retenir certaines formes
C,est parce que j'étais ionscient de ces obstacles que j.e n'ai pas c,ru de vie et de
pensée en renonçant à d'autres, il se croyait obligé
pouvoir piomettie
-sens
ài'étude structurale des mythes un progrès aussi rapide, de traiter
dance, sinon même avec dédain, re savãir s"i".riinqo" q"i, "rr"" "o.rd"r""n_
äarrs le logico-mathématique, que celui accompli en vingt ans dans q".1, que soient
les-maux qu'ont entraînés ses applications et ceux plus accablants
l,étude des règlãs de mariage et des systèmes de parenté. Depuis lors, tant encore
qui s'annoncent, n'en,constitue paì moins un mod.e d.e connaissance
en France qù'"o* États-Unis des mathématiciens m'ont spontanément dont on
ne saurait contester labsolue supériorité. rl est vrai qrr"
signalé qo'oi récent développement de leur science, connu sous le nom
^fourrait ."roir scienti_
de théorie des catégories, rendre ies mythes justiciables des ûque est né et s'est développé le dos tourné à d'autres mod.es "" d.e connais_
mêmes méthodes qo"1". faits de parenté (Lorrain r,2); des travaux dans
sance, en raison de leur inefficacité pratique relativement aux
fins
ce sens, entrepris àpartir de ces Mythol,ogí,quøs, s'annonceraient prometteurs qu'il s'assignait. ce, divorce a trop rongiemps fait perdre ã. .,ro"nouvelles
mais
d,après q1i l'on m'en dit. La définition des catégories, comme systèmes peut-être était-ce inévitable certãins aðpecti du réefque nous avons -presque
""
torä¿s à la iois d'un ensemble de termes et de l'ensemble des relations entre
-
oubliés, et surtout que les formes de coirnaiss.r,"", qTi t"o, ,orrt le mieux
ces termes, correspond bien à celle qu'on peut donner du myth9, et la notion ldaptées, confrontaient à de vrais probrè-", qo,o'A.;i;it en res taxant
t d'insigniûance, mais en.fait, parce qùe tes premiäres
de motptis-", q'oi n'exprime rien d'autre que 1'existence_d'une relation par re
entre deux termes ."n, rá préoccuper d'en préciser la nature logique, s9m!|e
savoir scientifique ne lui permettaient plus de comprend,re "oi". "*prontées
ièrri irrt¿rct åt p".
encore de les résoudre. c'est seulement depuis queþo".
trancher le même genre de dilemme que ceiui dont la solution me fut révélée que la science
prend une autre tournure. En s'aventurant dans dås "rr.rå",
il y a vingt-cinq a:ns quand, après qu'un mathématicien illustre mais de la domain".þo. proches
viðine éco-le m'eut dit qu'il tt" ponnãit m'aider à débrouiller les problèmes -de la sensibilité, nouveaux pour elle mais qu,en f"it ;[;;;äécouvre, elle
prouve que le savoir ne progresse d.ésormais qu'en s'érargissant
de parenté parce qu'il ne coniaissait que l'addition, la s.oustraction, la pour com-
prendre d'autres savoirs; et il convient de doiner ici
muliiplicatidn et la division, et que le mariage n'était assimilable à aucune au ier-e comprendre
son double sens d'appréhender par l'interlect et d,incior"-
de ceö opérations, un autre plus jèune et déjà nommé m'assura qg'il lui était b" .ofo" qo"
." qir.'ét"it mathématiquement parlant le mariage, l'approfondissement de Ia connaiisance va de pair avec
indifférent de savoir une dilatation pïã_
gressive des cadres précédemment assignés åu savoir
pourvu qu'entre les différents t¡4pes de mariage on puisse défirrir des relations' scientinque tådi-
" L^piod"n." affichée à l'orée-d'un" noonelle enireprise n'a donc rien d'un tionnel : celui-ci recouvre, s'intègre et ä un sens régitime
des formes de
pensée qu'il avait d'abord tenues
repentii. Elle s'explique par le surgissement de nouveanx problèmes dont þour irrationnelles eireietees. Adopter les
j'avais perçu la ¿im""ft¿ dès 1e déiut en reconnaissant que dans la voie perspectives du savoir scientifiquJne revient. donc pas
n .åi"iãgre, subrepti_
cement des cadres épistémologiques propres à une iociété
qo" ¡,"$"y"is d'ouvrir, < tout ou presque restait à faire avant qu'on puisse pour'exp1iqrr.il",
science véritable t (Ce verso de 1a couverture), par,ailleurs
autres ; c'est, au contraire, constater, comme r'étude aes syste-"s
p.rtËt de àe parenté
äonvaincu qu'il reviendra à d'aùtres, peut-être servis par mon défrichage, de I australiens
-me
l'a pour ra première fois enseigné, que i", Ìãr-". res prus
les résoudrJen utilisant des outils logico-mathématiques nouveaux, et encore
neuves
_de
la pensée scientifique peuvent se åntir de plain-pied avec les
démarches intellectuelles de iauriages par ailleurs déåunis'des
plus souples que ceux dont l'efficaci1¿ a ¡ait ses preuves dans des domaines moyens
techniques qu'au cours. de ses phasðs iniermédiaires, re
d'une moindre complexité.
avait porrrtant permis d'acquérir-. c'est donc, au moins sur ce plan
,""ù, scientifique
Il est vrai qu'à ået emploi ouvertement souhaité d'outils logico-mathé- réconcilier le fait incontestãble du progrès de la connaissanc"'",r""
particulier,
matiques, une äbjectiotr pié¡odi"ielle a été faite pour m'enfermer dans un la chance
r

570 L,HoMME NU
. FTNALE
57r
de récupérer tant de richesses, que ce même progrès avait sacrifiées au qu'on fait de chacun ou de plusieurs répond
départ ; c'est enfin se situer sur un terrain où la pensée abstraite et le savoir aux probrèmes qu,on se pose et
aux propriétés diverses qu'õn veut saiii1.9t t;¿'i;;;;.'iì¡*
théorique, allant de I'avant, s'aperçoivent qu'ils retrouvent en même temps,
par un mouvement rétrograde nullement incompatible avec l'autre, les
au moraliste et a' philosophe d.'occuper r'étage j"?;;;;
et de s'y barricade¡, mais qu'ils ne pr?tende";Ëï";;räer
";;;iltq*;
Jo* .",r1 honorabie
leçons inépuisables d'un monde sensible qu'ils avaient d'abord cru devoir avec eux et interdire,, pool s'attaqìer a a"r tout re monde
récuser. Rien ne serait plus faux que d'opposer des types de savoir conçus d'agir sur la tourere du microscopå, changer
ptátíe*ì. ai.ti""ts des reurs,
re grossissement, et faire ainsi
comme irréductibles les uns aux autres au cours des siècles, et entre lesquels un objet autre derrièrè celui dänt l,Jxctu.ì""
le passage se ferait de manière abrupte et inexpliquée. Car s'il est vrai que, ::åi:"*" "ont"-pration
les
pour devenir scientifique, la pensée du xvrre siècle s'est opposée à celle du t faut bien croire que leur objet n'est pas re nôtre, puisque prusieurs
Moyen Age et de la Renaissance, on commence à entrevoir que Ia pensée du phitosophes sembrent d;accord. poo,
présent siècle et du prochain pourrait moins s'opposer aux siècles immédia- -'.""d;; d;.;;i;i¿åoi, ra substance
des m5rthes à une formJmorte,
tement antérieurs qu'accomplir la synthèse de leur pensée et de celle dont Ï""1t9 abori re sens, et de m,être folement
évertué à élaborer la s5rntaxe d.,un < discours qui
on découvre que la problématique n'était pas entièrement dénuée de -sens ne dit
s'ils disaient waimeni ce que d'aucuns paraìssent ¡en-,,. Soyons sérieux.
des siècles qui les ont précédés. - ne se répéteraient pas inlassabrement à
en attendre, res mythes
trãvers r. -o"¿", ii, ne prod.uiraient
pas des séries illimitées de variantes
*** oscillant
Les peuples qui, depuis des centaines de "otoo,
¿", ãi-". armatures.
mi[énair".-oo-¿"rr"ntage, s,en
remettent aux mythes pour resoudre t".rr. ptotiãr*,
D'autres critiques viennent plutôt de la philosophie et se prévalent de seraient pas mainte.rus dat s res rimites de pråcédés ìrreoriqo"s, ne se
i'aspect philosophique que certains croient reconnaitre à mes ouwages. Mais de vie économique et de types d'institutionJ
t."rr.rìio"r, d.e formes
si, de temps à autre et sans jamais m'y appesantir, je prends la peine d'indi- puissent être, ont permis t ôt, s"rrs raison
*;irr;; ;;il;* divers qu,ils
quer ce que mon travail signifie pour moi d'un point de vue philosophique, de dire q"" ì" humaine
avait plus changé entre re xvrrre et re xxe siècte "årraition
ce n'est pas que j'attache de f importance à cet aspect. Je cherche plutôt thique jusqu'aux temps modernes. Derrière
qle u;n*. r,époque néori_
à récuser d'avance ce que les philosophes pourraient prétendre me faire l" ;;;;h;tîJrrorrg", d,avoir
appauwi les mythes se cache un mysticis-" r.r'"q -"o;;
dire. Je n'oppose pas une philosophie qui serait mienne à la leur, car je n'ai T d.u vain espoir
.qu'un sens caché derrière re sens." iérrèr.,;;l;.ttillï,,
pas de philosophie qui mérite qu'on s'y arrête, sinon quelques convictions sortes d'aspirations confuses et nostalgiqu;. toutes
rustiques auxquelles je suis revenu, moins en approfondissant ma réflexion qJi-;ü;;i!.. "*"or"r
.,u*prrrr"r.
A moi aussi sans doute, le domaine ãii;;"=;dË;;rî;pp"raît
que par l'érosion régressive de ce qui me fut enseigné dans ce domaine et un prodigieux réservoir. de representations q"" comme
que j'ai moi-même enseigné. Contraire à toute exploitation philosophique loin d'avoir épuisé; mais ce sånt des représeitations il;;;h;;cte objective est
qu'on voudrait faire de mes travaux, je me borne à signifier qu'à mon goût, res autres, et
ils ne pourraient, dans la meilleure des hypothèses, contribuer qu'à une
l'esprit-dans requer j'aborde r'étude des'faits "o**"
,"tt**;.öose qu,on reur
refuse d'abord toute spéciûcité.
abjuration de ce qu'on entend aujourd'hui par philosophie. f"-"t en prendre son parti : res mythes ne disent rien qui
Cette attitude négative s'inspire des circonstances. A lire les critiques 1l nous instruise
sur I'ordre du monrre, l" nãture du réei, l,"rigi;;d;lï;#
que certains philosophes adressent au structuralisme, lui reprochant d'abolir on ne peut espéret d,."y: nulle compr,ai-sance métaphysique ou sa d.estinée.
la personne humaine et ses val.eurs consacrées, je me sens aussi abasourdi pas à la rescousse d'idéorogies exiénuées.-po ; ils ne viendront
que si l'on s'insurgeait contre la théorie cinétique des gaz sous le prétexte apprennent beaucoup sur les sociétés d.ont
r"î"'""nîies mythes rrorrs
qu'en expliquant pourquoi l'air chaud se dilate et s'élève, elle mettrait en ils pro"i"""ã"t, itl'"i¿"rrt à expo_
ser les ressorts intimes d.e reur fonctionnement,
péril ta vie de famille et Ia morale du foyer dont la chaleur démystifiée éclairent ra raison d,être
de croyances, de coutumes et d'institutions
perdrait ainsi ses résonances symboliques et affectives. A la suite des sciences dont lagencement paraissait
incompréhensibre de prime abord
physiques, les sciences humaines doivent se convaincre"que la réúité de leur ; surtout,.ils pîr*"il""t de dégager
í . certains modes d'opération. de resprit "nn., "t
humain, éi ã,i".i""iÀ ao cours des
objet d'étude n'est pas tout entière cantonnée au niveau où le sujet la perçoit. siècles etsi génératèment répandus'su. ¿'i*-**s
Ces apparences recouvrent d'autres apparences qui ne valent pas mieux tenir pour fondamentaux et chercher à res ,"troorr","rpã""ï,'q",on peut res
qu'elles, et ainsi de suite jusqu'à une nature dernière qui chaque fois se et dans d'autres domaines de ra vie menta-re
ã-"^ ä,aut.es sociétés
dérobe, et que sans doute nous n'atteindrons jamais. Ces niveaux d'appa- intervinssent, et d.o_nt, à son tour, 1. nãture
o..: o" .*pçJ"""it pas qu,ils

se trouvera èchirée.
rence ne s'excluent pas, ne se contredisent pas les uns les autres, et le choix ces rapports, 10in d'aborir re sens, mon Sous tous
analys. a". áytt", d,une poignée
I
572 L'HOMME NU FINALE
573
de tribus américaines en a extrait davantage de sens qu'il n'y en a dans les gré de leur commune fantaisie des lambeaux
d,idées arrachées à un patri_
platitudes et les lieux communs à quoi se réduisent, depuis quelque deux moine vieilli mais respectabie, pour en tirer des
eaets ãe .orprir" relevant
mille cinq cents ans, les réflexions des philosophes sur la mythoiogie, celles de de l'amour moins du vrai__que dìr faste, et dont
les réussites seraient vouées
Plutarque exceptées. à rester purement sensuellels et décoraiives.
Mais les philosophes se soucient peu des problèmes concrets devant Entre ces deux extrêmes se pracent maintes entreprises
freratées menées
lesquels l'ethnographie elle-même a si longtemps piétiné qu'elle avait prati- par des pêcheurs en eau troubte, ter ce < structurarisme-fiction
quement ¡enoncé à les résoudre, problèmes retrouvés les uns après les autres ) qu,on a vu
fleurir dans le monde philosophico-littéraire d*t
à chaque tournant de mes analyses, qui en ont fait apparaître des solutions sentent à peu près, par rappoit au travail des"!.ringuistes
ú-fråào"tio.r, repré_
aussi simples qu'inattendues. Incapables par ignorance de reconnaltre ces un équivalent de ce qu'offrent certaines_ revues aimées
Jtã;, ethnologues,
problèmes et de les apprécier, les philosophes ont préféré adopter une attitude
du grand pubric en
physique et de biologie : un dévergondag" .";ti;.ntar
dont les mobiles réels sont beaucoup plus troubles que s'ils tenaient au seul :1T".: *
connalssances sommaires et mal rrigérées. onþeut nourri de
manque d'information. Ce que, sans en avoir pleinement conscience, ils me prétendu structuralisme n'est p.. îe porrr
äê*. se d.emander si ce
sJrvi, d'alibi
reprochent, c'est que ce surcroît de sens que je fais sortir des mythes n'est ennui qu'exsudent les rettres ðontemporai*:. F3"t;-ã; à r,insupportabre
pas celui qu'ils auraient souhaité y trouver. fh refusent d.e reconnaltre et cause, justifier leur contenu patent, ii chercherait f,oorroir, et pour
à reur'trouver d.es rai_
d'admettre que cette grande voix anonJ,'rne qui profère un discours venu du sons secrètes au niveau de l. fõrme. Mais c,est
ra pu-"rii, tTntention struc_
fond des âges, issu du tréfonds de l'esprit, puisse les laisser sourds, tant iI leur turaliste, qui est de déco,vrir pourquoi des æ,ivres
est insupportable que ce discours dise tout autre chose que ce que, d'avance, d'inventer des excuses à reur peu d.'irte.êt.
;;;; captivent, non
Quand ,roo. irrì"rprétons une
ils avaient décidé qu'il dirait. A me lire, ils éprouvent une sorte de déception, æuqe qui n'avait nul besoin dJnous pour s,imþo."r,
,roo. ¿i"uons
presque de la rancune, de frgurer en tiers dans un dialogue plus riche de supplémentaires un p1e¡tise qui s'étåit d'"b";J;;"iì*tjäåotr".de raisons
sens qu'aucun jusqu'à présent noué avec les mythes, mais qui n'a pas besoin car si l'æuvre,e possédait rien en propre aux niveaux façons ;
où il était immédia_
d'eux, et auquel ils n'ont rien à contribuer. tement possible de l'appréci"r, i"ri ne serait réductible, àn descendant
Où va donc la philosophie et dans les circonstances présentes, à quels vers-des niveaux plus profonds, "" qu,à d,autres riens.
saints peut-elle se vouer ? Si ses tendances actuelles persistent, on peut
r Il est malheureusement à craiidre et nous retrouvons ainsi un
craindre que deux issues seulement lui soient ouvertes. L'une, promise aux g"1{".de philosophie - contemporaines, non seurement autre
trop d'æuwes
philosophes restés dans le sillage de l'existentialisme cette entreprise --que
en littérature mais aussi ãn peinture et en musiqoå,
auto-admirativer où, non sans jobardise, l'homme contemporain - de l'empirisme naif de leurs auteurs. Parce que
,,. ,"il"t les victimes
s'enferme les sciences humaines ont
en tête-à-tête avec lui-même et tombe en extase devant soi se coupe d'un mis à jour des structures formeiles derrière 1",
savoir scientifique qu'on méprise et d'une humanité réelle dont - on méconnait fabriquer des æuvres d'art à partir de structures
*;;r;-á,-"'ii o' se hâte de
formeiles. Mais il n,est
la profondeur historique et les dimensions ethnographiques, pour se ménager nullement certain que ces structures conscientes
un petit monde clos et réservé : Café du Commerce idéologique où, pris entre truites, dont on s'inspire, soient du même ordre que
et artificieilement cons_
les quatre murs d'une condition humaine taillée à la mesure d'une société
qr,o' découwe
lprès¡gu¡ avoir opéré dansÏesprit du créateur, rË pr", ""tt",
particulière, des habitués ressassent à longueur de journée des problèmes En vérité, la renaissa¡ce si ronltemps attendue de Ïart"ã".åìt à son insu.
d'intérêt local, au delà desquels I'atmosphère enfumée de leur tabagie pourrait résulter, à titre de coñséquience indirect", lontemporain ne
dialectique les empêche de porter la vue.
q""-¿ã1" -i." à jour
des lois immanentes aux æuvres tiaditionnel".,
Ou bien encore, étouffant dans ce réduit et avide de respirer un air frais, à des niveaux beaucoup plus profonds que ceux"i {"uìáuLait chercher
dont on croit pouvoir se
la philosophie s'évade ; des terrains jusqu'alors interdits s'ouwent à ses contenter..Plutôt que ,te compoier des mrisiqo", ,roo.r"n",
joyeux ébats. Dans l'ivresse de sa liberté retrouvée, elle s'éloigne en gamba- teurs, il importerait davantage- d'emproyei des ai"i¿" d.,ordina_
ordinat"rrr. poo, tenter
dant, perd Ie contact avec cette recherche intransigeante de la vérité que de comprendre en quoi, consistã ta-guiiq}e déjà
constiluee : par exe*pre,
l'existentialisme lui-même, dernier avatar de la grande" métaphysique, vou- t déterminer comment et pourquoi |audition ¿ä
lait encore pratiquer. Devenue une proie facile pour toutes sortes d'influences
¿.""
peine suffit souvent à.nãtre ãt"ilt" pour discriminer o"-irois mesures à
extérieures, victime aussi de ses propres caprices, la philosophie risque de reconnaître res stvres, de compositeurã particuliers.
lun de lautre et
tomber au rang d'une sorte de < philosop' art ) et de s'adonner à la prostitu- tifs ayant été enfin atteints c". iorr¿"*ents objec-
création artistique, ribérée par
tion esthétique des problèmes, des méthodes et du vocabulaire de ses devan- cette prise de conscience de ses"i "*po.Ã,'ta
o6sessions et de ses fantasmes, confrontée
ciers. Pour séduire le lecteur, le racoler et lui complaire, elle agencerait au à elle-même, trouverait peut-être un nouvel
"*";.-Ëù;;îfä*i"'ar. p",
F

574 L'HOMME NU FINALE S7S

sans se convaincre d'abord qu'une structure quelconque ne devient pas expérimentales. Nous faisons ra même chose que rui,
à ceci près que des
automatiquement signifiante pour la perception esthétique, du seul fait que sciences humaines vraiment dignes de ce nom
ie seraient prus que l,image
des autres aperçues *1 miioir: apparition,
tout sigaifrant esthétique est la manifestation sensible d'une structure. *T Aussi les sciårces
des fantômes de réarités.
i-pJ;;;íqî *"*pot"r,t
Les grands courants de la pensée contemporaine accordent donc aux humaiires'ne pã,irent_eues pré_
sciences humaines un statut ambigu : tantôt les philosophes les honnissent ; tendre qu'à une homologie formele, non substantr"[",
¿o monde
tantôt, comme font aussi des écrivains et des artistes, ils prétendent s'em- physique et de la nature vivante. c'est au moment""ã"'r¿t,ra"
où eiles tend.ent à se
parer d'elles et confectionnent, avec les fragments qu'üs y découpent au gré de t'idéal du savoir scientifique q;;;; comprend le
de leur fantaisie, des compositions aussi arbitraires que des collages pictu-
:,pT::l-ï,,11:.ll's"
rrueux qu'eues préfigurent seulement, sur res parois
dð l" cãverne, deis opéra_
tions qu'il appartiendra à d'autres sciences ¿ä varider
raux, ce qui les dispense, croient-ils, de méditer et de pratiquer ces sciences,
auront enfin
pl;i;;à, quand eles
et surtout de suivre la ligne où elles se tiennent, dans Ia voie d'une poursuite saisi les véritabres objets dont nous ."*iorr, res reflets.
philosophie, ni l'art ne peuvent donc se bercer Ni la
ombrageuse de ia vérité. de qu,' reur suffit
C'est oublier, chaque fois, que les sciences humaines n'existent pas seules d'accepter. le dialogue avec les sciences humaines, 'inusion
souvent d.,ailleurs d.ans
ni de plein droit. Comme ces moitiés que les ethnologues étudient dans les une intention-de rapine, pour parvenir à se relever.
Í-'on i"rrtre, si souvent
sociétés dualistes, une relation de réciprocité, n'excluant pas mais bien au dédaigne'x du savoir scientifrque, doivent,savoir qu,en
"t interperant res
contraire impliquant une dissyrnétrie constitutive, les unit et les subordonne sciences humaines, on noue-re diarogue avec les
relles et qu'on leur rend lhom*.þ, même ri ñËi;"", et natu_
scierrJÃ
en même temps aux sciences exactes et naturelles. Dans ce dialogue, les par
sciences humaines prennent la relève de la philosophie, condamnée à végéter
personne interposée. ",".i-pioíiroirement
à moins qu'elle n'accepte de se faire réflexion sur le savoir scientifrque, ce
qui est déjà beaucoup. Les sciences humaines sont sans doute comparables ***
aux sciences physiques et naturelles en ce sens que les unes et les autres
n'atteignent jamais les choses, mais les symboles au travers desquelsl'esprit , Aucune- de_s ,objections qu'on vient de passer rapid.ement en revue ne
touche au fond des probrèmes que ces vorumes tentent
Ies perçoit en fonction des contraintes et des seuils de l'organisation senso- d,érucider. e""o"oof
rielle. Cependant, une différence fondamentale apparaît, tenant au double plus sérieuse et- digne d'attention est celle que m,ont
faite certains ringuistes,
fait que les sciences physiques et naturelles travaillent sur 1es symboles des t de netenir qu'exceptionnellement-9gmpti de h diversite
aes iarrgues dans
choses, tandis que les sciences humaines travaillent sur des symboles de lesquelles tous ces mfihes furent d'aboid-pensés et
énoncés, sinon toujours
choses qui sont elles-mêmes déjà des sSrmboles ; et que, dans le premier cas, . recueillis. Même si, dans querques cas où Ë
tache îrop malaisée,
l'adéquation approximative du symbole au référent est avérée par la < prise > je me suis reporté à ra rangue "'ét"it;;avoir
griginate, je ne puis prétendrË une compé-
que Ie savoir scientifique exerce sur le monde qui nous entoure, alors que tence ìinguistique, e-t rgmi res spéciãüstes, il i'en
est sans d.oute aucun
l'inefficacité pratique des sciences humaines, en dehors de la quête d'une cap¿ble d'entreprendre r'étude philologege comparée
de textes provenant
douteuse sagesse, ne nous permet pas, au moins pour le moment, de préjuger de langues qu,i, pour être toutes améri--caines, diåèrent;;
res unes d.es
d'une quelconque adéquation des symboles représentants aux symboles autres que celles des familles indo-européenne, sémitiq"",
Àrrro-ougrienne
représentés. et sino-tibétaine.
Vues dans cette perspective, les sciences humaines apparaissent comme . le recours à la philorogie s'impose surtout dans re cas des rangues mortes,
où le sens de chaque terme ne peut être étabri qo'"r t" pr*uìant
un théâtre d'ombres dont les sciences physiques et naturelles leur laissent aarrs pto-
Ia régie, parce qu'elles-mêmes ne savent pas encore ol) se trouvent ni de quoi .siegp c-ontextes. rl n'91 est pal exactement de même q,;";J;; recueile des
sont faites les marionnettes qui se projettent sur l'écran. Tant que durera récits de la bouche d'informateurs parrant encore reur rangue,
de qui bon nombre d'équivoques et -d'ambiguit¿, ." tio"rrånï
et auprès
cette incertitude provisoire ou définitive, les sciences humaines conserveront érucidées au
en propre une double fonction : calmer par des approximations les impa- Dans la plupart des cas, hélas, il ,rË"i.t" pas ae texie
$épartt. originar, et
tiences du savoir, et proposer aux sciences physiqu-es et naturelles le simu- le m5''the n'est connu qu'à travers une ou mêmie pt.rri"or.
t trad.uctions
lacre anticipé, souvent utile, des connaissances plus véridiques qu'il leur successives dues à des interprètes capables a"
étran_
reviendra un jour de formuler. Défrons-nous donc d'analogies hâtives : gère,_et fexprimant dans la-leur qui n'était pas"o-pr".rãr" """ì"rrgo"
tou]ours celle d.e lenquêteur.
I'effort pour décoder les mythes ressemble peut-être à celui qui permet au Hic Rhodus, hic sør,tø,.'si, malgré le rôle_äécisirq""io"ãìrpiitotogi"a".r.
biotogiste de déchiffrer le code génétique, mais les objets qu'étudie le biolo- une æuvre aussi considérable que celle de M. Dumézii
et aorif ¡,ai tiré tant
giste sont réels, et il peut vérifier ses hypothèses par leurs conséquences de leçons, je m'étais imposé cómme condition pte"uut"
a" î"rrtr"prendre
576 L'HoMME NU
FINALE
577
l'étude de mythes que dans leur langue d'origine, mon projet eût été irréali- ou sous-culture, mais au point d'articulation de celles-ci avec
sable, non seulement pour moi qui ne suis pas un philologue versé dans les d,autres
langues et d'autres cultures. Le mythe n'est donc jamais
langues amérindiennes, mais pour n'importe qui. Il me fallait donc faire un d,e sø l,øngue, il est
une perspective sur ane r,øngue øutre, et te mfúorogue qui Ïap" .¿î."¿"
double pari, en fabriquant d'abord des instruments de fortune, non pas à travers une traduction ne se sent pas d.ans une situ"atiori essentiellement
certes pour remplacer l'étud.e philologique dont le défaut se fera toujoìrrs différente du narrateur ou de Iauditeur d.u cru.
sentir, mais pour pallier dans une certaine mesure l'impossibilité où l'on se J'avais ,"b"¿;;;;**¡
dès le début de mes recherches en soulignant que < Ia substance
trouve de l'employer; puis en décidant, pour trancher le fond du problème, du mythe
ne se trouve ni dans le.style, ni dans le mod.e dã narration, l

d'attendre de connaître le résultat. Or, le résultat est là ; pour moi au moins, ni dans ú'.y"- -":,-__,l
t taxe, mais dans l,,histoire qui y est racontée (L._S.
il ne fait pas de doute qu'une enquête entreprise sous l'empire de limitations Ì S1V, 14.
aussi graves, et qui eussent dû théoriquement la vouer à l'échec, s'est au . cela ne signifre ce.rles pas qu'une connaisòance ãe'h i*go" originaíe,
à supposer qu'on possède re textè, soit superfl.ue, et que ré;ãe
contraire révélée très féconde. C'est de ce fait acquis qu'il faut partir même philolãgiqué
ne doive_pas perme-ttre de préciser et d;enrichir dJs sens, á"
si de prime abord il constitue un mystère, et c'est sur celui-ci qu'il convient å",
erreurs, d'approfondir et de déveiopper l'interprétation : áutant "orrig.î
de tâches
de s'interroger. pour mes continuateurs. Mais, une fois acquis tons ces progrès
Or, la réponse se trouve, me semble-t-il, dans le procès d'engendrement et ces recti-
o-n_ s'apercevra sans doute que, lauf circonstänc'es
des mythes qui se dégage de mon étude, et qu'elle seule pouvait clai¡ement fgati_ons,_ particulières,
philologique ajo-uterait *5'[h" d.es dimensions s'pprémentaires,
mettrè en iumière à c-ondition d'avoir été poussée jusqu'å son terme.Jõar si, f'ej1ae
lui donnerait plus de vorume et "o de rerief, mais sans, pour t,esåãtier, affectei
comme le montre l'analyse comparative des différéntei versions d'un'Íiiême le contenu sémantique. I..'apport serait plutôt d'ordå
mythe provenant d'une seule ou de plusieurs populations, conter n'est
jamais qae conte red,ire, qui s'écrit aassi contred,ire, on comprend aussitôt
il ferait Ti"g" percevoir res propriétés esthétiques üttéraire et poétique,
d'un énoncé dont re
message, dès lors que traduction permet d'appiéhender le mythe comme
pourquoi ü n'était pas absolument essentiel, pour le grossier défrichage que mythe, ne se trouverait fa
guère attéré.
je prétendais accomplir, que les mythes fussent abordés dans le texte original
La philosophie contemporaine, imprégnée d.'un mysticisme rarement
et non dans une traduction ou série de traductions. A proprement parler, il avoué et pius souvent déguisé sous le no- d'homanismå, toujours
n'existe jamais de texte original : tout mythe est par nature une tra- à l,affût
d'une gnose qui lui permettrait de se ménager un d.omaine réseivé et
duction, il a son origine dans un autre mythe provenant d'une popu- ! au-sav-oir scientifique, s'est alarmée de voii la mythologie, qu,elle
interdit
lation voisine mais étrangère, ou dans un mythe antérieur de la même souhaitait
riche d'un sens caché, réduite à ce que certains ont pii.'pãor le vide
population, or¡bien contemporain mais appartenant à une autre subdivision d,un
jeu de traductions sans.texte originat. c'est méconnaîire
sociaie clan, lignée, famille, confrérie qu'un auditeur cherche qï,on peut en dire
- en sous-clan,
à démarquer -
le traduisant à sa façon dans son langage personnel ou tribal,
autant d'un domaine où, cependant, les aspirations mystiques -et res épan-
chements sentimentaux trouvent largemenit leur comþt",'i" .r"o"
tantôt pour-se l'approprier et tantôt pour le démentir, donc toujours en dire la
musique. En vérité, la comparaison entre ra mythorägie'et ra
le déformantìpne illustration particulièrement frappante de ce phénomène musique,
thème conducteur de 1' < ouverture r de cet oo..räg" et que beaucoup
est fournie páfle mythe hupa surl'origine du feu que le démiurge aurait tenté ont
taxé d'arbitraire, se fondait essentiellement sur ce caractère commun.
d'abord de faire jaillir par percussion, mais sans succès, puis en confec- mythes sont seulement traduisibres res uns d.ans les autres, de la même
Les
tionnant la première drille. L'enquêteur précise que ce récit fut produit dans façon
qu'une mélodie n'est traduisible qu'en une autre mélodie qui préserve
l'intention de récuser un mythe d'une tribu voisine attribuant à un vol avec
elle des rapports d'homologie : onþeut la transcrire dans ui
I'origine du premier feu (Goddard ¡, p. tg7 ; cL. suþrø, p. r3B). toir différent, la
conve¡tir du majeur en mineur o*inversement, agir sur des paramètres
Rarement saisis dans leur genèse et sur le vif, ces rapports d'opposition qui
transformeront son rythme, son timbre, sa chargeZmotive, leå ãcarts
entre les mythes émergent vigoureusement de l'analyse comparative. Si relatifs
entre les notes conséc'utives, etc. peut-êirg à la limite, une oreille
donc l'étude philologique des mythes ne constitue pas un préalable absolu, non exercée
ne pourra plus Ia reconnaitre ; c-e sera cependant la même forme
la raison s'en trouve dans ce qu'on pourrait appeler leur nature diacritique. mélodique.
I Et ii illégitime de prétendr", on songerait peut-être à le faire,
Chacune de leurs transformations résulte d'une opposition dialectique à une -serait
que dans ce cas au moins il existe un "o*rir"
autre trans ormation, et leur essence réside dans le fait irréductible de ta texte origñd r d". compositeurs
célèbres ont procédé de la façon qu'on vient à'" ¿it" ""i e p"rli, d,æuvres de
traduction þør et þour L'opposition. Envisagé d'un point de vue empirique, leurs devanciers, po".r créer des thèmes pourtant marquéì au
tout mythe est à la fois primitif par rapport à lui-même, dérivé par rapport sceau de leur
style propre, impossible à confondre avic un autre. une recherche
à d'autres mythes ; il se situe, non pas døns ane langUe et d,øns une culture sur la
reconnaissance des formes, dorénavant possible grâce aux .arculatrices
élec_
I9
I
ï
578 L'HOMME, NU I

t
FINA1E 579

troniques, permettrait sans doute, dans de nombreux ç¿-s, de découvrir des aussi, mais ce ne peut être qu'en raison de son rapport négatif à la langue '
règles de conversion ramenant des styles populaires ou de compositeurs et parce qu'en se séparant d'elle, la musique a conservé l'empreinte en creux
différents à autant d'états d'un même groupe de transformation. de sa structure formelle et de sa fonction sémiotique : il ne saurait y avoir
Mais, si on peut toujours, pratiquement à l'infini, traduire une mélodie de musique sans langage qui lui préexiste et dont elle continue de dépendre,
en une autre mélodie, une musique en une autre musique, comme dans le si l'on peut dire, comme une appartenance privative. La musique, c'est Ie
cas de la mythoiogie on ne peut traduire la musique en a.utre chose qu'elle- langage moins le sens ; dès lors, on comprend que l'auditeur, qui est d'abord
même, sous peine de sombrer dans le verbiage à prétention herméneutique un sujet parlant, se sente irrésistiblement poussé à suppléer ce sens absent,
de l'ancienne mythographie et de la critique musicale trop souvent. Ainsi, comme l'amputé attribuant au membre disparu les sensations qu'il éprouve
une liberté illimitée de traduction dans les dialectes d'une langue originelle et qui ont leur siège dans le moignon. De même pour les mythes : le transfert
formant un univers étanche, va de pair avec f impossibilité radicale de toute qui s'opère afors en direction du sens explique que réduit ou promu
transposition dans un langage extrinsèque. à une pure réalité sémantique, le mythe comme véhicule-de signiûcation -
Telle qu'elle se dégage de mon étude, la nature profonde du mythe puisse décoiler de son support linguistique, auquel I'histoire qu'il narre est
corrobore donc le parallèle que j'avais tracé tout au début entre récit moins intimement liée que ne seraient des messages ordinaires.
mythique et composition musicale. Il semble même que, parvenu au terme Jusqu'à présent, j'ai déflni les rapports entre musique et mythologie
de I'enquête, on puisse formuler leurs rapports de façon plus ciaire et plus comme s'ils étaient parfaitement symétriques. On aperçoit cependant qu'une
convaincante. Je poserai d'abord, à titre d'hypothese de travail, que le dissymétrie existe, du fait qu'à la difiérence de la musique qui n'emprunte
champ des études structurales inclut quatre familles d'occupants majeurs au langage naturel que l'être du son, le mythe a besoin de la langue au
qui sont les êtres mathématiques, les langues naturelles, les æuwes musicales complet pour s'exprimer. La comparaison qu'on vient d'esquisser ne resterait
et les mythes. valide qu'à la condition de voir dans chaque mythe une partition qui, pour
Les entités mathématiques consistent en structures à l'état pur et libres être jouée, requerrait 1e langage en guise d'orchestre, à la différence de la
de toute incarnation. Elles entretiennent ainsi un rapport de corrélation musique dont les moyens d'exécution sont le chant vocal (émis dans des
et d'opposition avec les faits de langue, qui, comme Saussure l'a enseigné, conditions physiologiques totalement différentes de celles requises pour
n'existent que doubiement incarnés et dans le son et dans le sens, et parler) et les instruments.
naissent même de leur intersection. út On ne peut donc prétendre que le mythe soit aussi complètement affranchi
Cet axe une fois tracé, avec les êtres mathématiques et linguistiques du langage que la musique. Avec lui, il garde partie liée. Cependant, le décol-
aux deux pôles,'on aperçoit immédiatement que les autres familles occupent, lement relatif se traduit tout de même, dans la narration du mythe, par des
par rapport à lui, des positions symétriques sur les pôles d'un nouvel axe tentatives pour récupérer le son, comparables aux velléités de l'auditeur
transversal au premier. Dans le cas de la musique, la structure, en quelque d'une æuwe musicale pour lui conférer un sens. Comme par un aimant, le
sorte décollée du sens, adhère au son ; dans le cas de Ia mythologie, la mythe est attiré vers le sens; et cette adhérence partielle crée, du côté du
structure, décollée du son, adhère alt sens. En ce qui concerne la mythologie, son, un vide virtuel que le narrateur éprouve le besoin de combler par des
c'est précisément ce qu'à propos du problème de la traduction, les pages procédés divers : effets vocaux ou gestuels qui nuancent, modulent et ren-
précédentes avaient tenté de montrer. forcent le discours. Tantôt il chante ou psalmodie le mythe, tantôt il le
Posons donc que les structures mathématiques sont tout à la fois déclame; et la récitation s'accompagne presque toujours de gestes et de
affranchies du son et du sens ; et que les structures linguistiques se maté- formules stéréotypées. De plus, les scènes sont présentes au narrateur, et il
ria"lisent, au contraire, dans leur union. Moins complètement incarnées que sait les rendre aussi présentes à ceux qui l'écoutent : il les voit se dérouler
les secondes, mais davantage que les premières, les structures musicales sont devant lui, il les vit, et communique cette expérience par une mimique et
décalées du côté du son (moins le sens), les structures mythiques du côté une gesticulation appropriées. Il arrive même que le mythe soit joué à piu-
du sens (moins le son). Plusieurs conséquences résultent de cette façon sieurs voix et devienne représentation théâtrale. Le rapport déficient au son
d'envisager leurs rapports. se trouve ainsi compensé par la redondance des formules verbales, des répé-
En premier lieu, si la musique et la mythologie se définissent, chacune * titions, des reprises et des redites. Allitérations et paronomases créent une
pour son compte, comme du langage à quoi on aurait retiré quelque chose, débauche d'assonances et de sonorités récurrentes qui grisent l'oreille,
l'une et l'autre apparaîtront dérivées pariapport à lui. Dans h]rpothèr", comme le sens investi par l'auditeur dans l'écoute musicale grise son intel-
musique et mythoiogie deviendront les sous-produits d'une""tt" translation de lect. De la disparité admise au début de ce paragraphe, quelque chose sub-
. la structure, opérée depuis le langage. Sans doute la musique parle-t-elle siste donc, malgré une s5rmétrie rétablie seulement au prix d'une torsion
I

5Bo L,HOMME NU FINALE 5Br

interne. En musique, la coalescence d'une signiûcation métaphorique globale 3Í5, 332,346). On a vu à ces occasions que des mythes ou variantes de.
autour de l'æuvre supplée I'aspect manquant, tandis que le mythe réintro- mythes s'ordonnaient à l'instar de groupes de Klein incluant un thème, le
duit le son par des moyens métonSrmiques. Dans un cas, le sens restitué à la contraire du thème et leurs inverses. On obtenait ainsi des ensembles de
musique répond øu tout du son ; dans l'autre cas, le son s'ajoute à titre de structures à quatre termes emboîtées les unes dans les autres et préservant
þartie du sens. entre elles un rapport d'homologie. Soit, dans les cas considérés et en suivant
La symétrie existe cependant, mais elle revêt une forme plus complexe l'ordre des emboltements successifs : r) non-sæur, sæur fautive, sæur insti-
que nous ne l'avions admis au début pour simplifrer l'exposition. Comme tutrice, épouse ; z) retoar du printemps, séparation des saisons, fin de i'été,
on vient de le dire, en mythologie quelque chose du son persiste dans le sens {t conflit des saisons ; 3) homme blessé, femme boiteuse, homme bossu, femme
et on ne peut l'en évacuer, si ce n'est que la langue porteuse du mythe perd indisposée; 4) sève, résine, urine, sang menstruel. Mais on remarquait aussi
beaucoup de sa pertinence spécifique eu égard à un sens qui se préserve quand que ces groupes n'étaient pas indépendants les uns des autres, que chacun
on le confle à des supports linguistiques difiérents. En musique, au contraire, ne se suffisait pas à lui-même comme un être de plein droit, ainsi qu'il appa-
le sens est hors du son et on ne peut l'y réintégrer à moins d'y voir avec raîtrait si on pouvait l'envisager sous un angle purement formel. En fait, la
Baudelaire (pt. tzto-rzt4) une forme commune où, selon la personnalité de série ordonnée des variantes ne revient pas au terme initial après avoir
chaque auditeur, une série illimitée de contenus signifrcatifs différents parcouru le premier cycle de quatre : comme par l'effet d'un dérapage ou,
peuvent s'insérer. Par conséquent, le mythe, système de sens, s'accommode mieux, d'une action analogue à celle d'un dérailleur de bicyclette, la chaJne
de la série illimitée de supports linguistiques que ses narrateurs successifs logique saute et s'engrène sur le terme initial du groupe embolté de rang
peuvent lui prêter, de la même façon que ia musique, système de sons, immédiatement inférieur, et ainsi de suite jusqu'au dernier. Le cycle géné-
s'accommode de la série ülimitée de charges sémantiques dont ses auditeurs rateur des variantes prend ainsi l'aspect d'une spirale dont le resserrement
successifs se plaisent à f investir. En définitive, la raison de ce parallélisme progressif ignore la discontinuité objective des niveaux emboîtés. pu'est-ce
se trouve dans le fait que la fonction signifiante du mythe s'exerce non pas à dire sinon que, dans le cas du mythe, la distribution périod.ique des struc-
à f intérieur de Ia langue, mais au dessus (L.-S. 5, p. 42) : le langage contin- tures de groupe devient indissociable des niveaux sémantiques que l'analyse
gent de chaque narrateur est toujours assez bon pour transmettre un système permet de dégager ? A la différence des mathématiques, le mythe subordonne
de significations élaborées par des procédés méta-linguistiques et dont la la structure à un sens dont elle devient l'expression immédiate : comme sur
valeur opérationnelle se maintient approximativement d'une langue à ü un écran de télévision que nous disons déréglé, mais seulement du fait que
l'autre. De façon symétrique, la fonction signifiante de la musique se montre les paramètres de la réception se modifient pour des raisons contingentes au
irréductible à tout ce qu'il serait possible d'en exprimer ou d'en traduire lieu d'être régis par une loi, ce sont toujours des images qui s'inversent de
sous forme verbale. Elle s'exerce en dessous de la langue, et n'importe quel positives en négatives, se retoulnent de droite à gauche ou de haut en bas;
discours, émanât-il du commentateur le plus inspiré, ne sera jamais assez toutes transformations qui rappellent le mécanisme du calembour, lequel,
profond pour l'expliciter. convenablement amené, fait apparaître dans un mot ou dans une phrase
A moi-même en tout cas, qui ai entrepris ces Myth'ol'ogiques pleinement et comme en négatif l,'øutre sens qlJe, transposés dans un nouveau contexte
conscient que je cherchais ainsi à compenser, sous une autre forme et dans logique, ce mot ou cette phrase pouvaient aussi comporter.
rfn domaine qui me fût accessible, mon impuissance congénitale à composer Des transformations de ce type constituent le fondement de toute
une æuvre musicale, il apparaît certain que j'ai tenté d'édiñer avec des sens sémiologie. Si, comme je l'écrivais naguère, la signification est l'opérateur
un onwage comparable à ceux que crée la musique avec des sons : négatif de la réorganisation d'un ensemble p.-S. g, p. 3o), il en résulte que la
d'une s5rmphonie dont, un jour, quelque compositeur pourra être légiti- recherche du sens, du sens caché derrière le sens et ainsi de suite, a pour seule
mement tenté de tirer f image positive ; d'autres diront si les contributions limite ce qu'en élargissant une notion introduite par Saussure, on pourrait
déjà demandées à mon ouvrage par la musique s'inspirent ou non d'un appeler la < capacité anagrammatique > de l'ensemble signifiant. On sait
tel dessein. que Saussure lui-même n'est jamais allé jusqu'au bout de sa découverte en
alt raison d'une difficulté à laquelle il s'était heurté et qu'il n'a pas pu ou voulu
*
{c {< surmonter : si les anagrammes jouent un rôle essentiel dans les plus anciennes
poétiques, comment se fait-il que les rhétoriciens et les poètes eux-mêmes
Caractéristique de la mythologie, I'adhérence de la structure au sens n'en aient jamais parlé, ni témoigné qu'ils eussent conscience d'employer
ressort bien des contraintes spécifiques qu'elle impoSe aux groupes quadri- un tel procédé ? La généralisation que je suggère permet peut-être d'apporter
partites dont au tome III, j'ai plusieurs fois fait usage (OMT, p. 293-295, une réponse. Car s'il s'agit d'une application particulière d'un procédé tout
I

î
58z L'HoMwIE NU FTNALE sBS

à la fois fondamenta-l et archaique, on peut concevoir qu'il se soit perpétué, conçus et agencés préalabiement à leur transposition sous forme musicale.
non par l'observation consciente de règles, mais par conformisme inconscient Il ne serait donc pas faux, et en tout cas nullement péjoratif, de dire de ces
à une structure poétique intuitivement perçue d'après des modèles antérieurs tentatives qu'elles représentent une anti-musique vis-à-vis de laquelle la
élaborés dans les mêmes conditions. Après tout, I'objection que nous rencon- mythologie, compte tenu de son décalage en direction du langage, se situerait,
trons aujourd'hui de la part d'esprits conservateurs, refusant d'admettre par rapport à la musique traditionnelle, à mi-chemin.
que f inspiration poétique repose sur le jeu d'une combinatoire, plonge elle- Une importante réserve vient donc tempérer et limiter ce qu'on a
même dans un très vieux mysticisme qui, depuis les temps les plus lointains, suggéré plus haut sur le rapport de symétrie unissant mythologie et musique,
a pu régulièrement refouler dans l'inconscient les mécanismes véritables de f7 de part et d'autre de l'axe transversaL opposant les entités mathématiques
la création esthétique. aux faits linguistiques : cette symétrie n'est apparue et ne s'est maintenue
Peut-être parce que la connivence de l'expression musica-le avec l'intellect que pour une certaine forme de musique, née vers les xvte-xvue siècles, et
est moins patente, les musiciens ne semblent pas avoir éprouvé la même gêne dont, après qu'elle eut épuisé ses virtualités pour des raisons déjà dites, on
pour discerner et expliciter les ressorts logiques de leur art. Les traités de observe aujourd'hui l'effacement. Loin d'exister dans I'absolu, cette symétrie
contrepoint et d'harmonie démontrent comment des distributions structu- doit être rapportée à une période de I'histoire moderne et contemporarne,
rales différentes n'existent et ne deviennent perceptibles qu'en se distinguant et il convient de s'interroger sur les raisons qui l'ont fait surgir, comme sur
les unes des autres par des tons, des hauteurs, des timbres et des rythmes celles qui tendent maintenant à la résorber.
eux-mêmes différents. Depuis longtemps, la musique sait qu'elle dispose de Or, il semble bien que le moment où musique et mythologie ont commencé
deux moyens principaux de composition : confronter des structures à d'apparaître comme des images retournées l'une de l'autre, coincide avec
d'autres structures, ou bien encore les maintenir en transformant leur sup- I'invention de la fugue, c'est-à-dire une forme de composition qui, je l'ai
port sensible : c'est ce qu'on appelle développer. plusieurs fois montré (CC, p. rSS-T7r,246-260 et ce volume, p. roo, 16r,3oz)
Mais, du fait aussi qu'elle prenait une conscience de plus en plus claire existe pleinement constituée dans les mythes où, depuis toujours, la musique
de ce d.ernier procédé, qu'elle en répertoriait toutes les ressources et parvenait eût pu aller la chercher. pue se passe-t-il donc à l'époque où elle la découvre ?
même à les codiûer, la musique allait rapidement affadir, énerver et stériliser Cette époque correspond aux temps modernes où les formes de la pensée
l'art du développement dont les facilités et les abus devaient la conduire mythique relâchent leur mainmise au profit du savoir scientifique naissant,
à renforcer le premier moyen aux dépens du second. Mais alors, un nouveau
É et cèdent le pas à de nouveaux modes d'expression littéraire. Avec f invention
phénomène se produit, car la musique en vient insidieusement à dissocier la de la fugue et d'autres formes de composition à la suite, la musique assume
phase d'élaboration des structures de celle, jusque là confondue avec l'autre, les structures de la pensée mythique au moment oÌr le récit littéraire, de
où elles sont appelées à recevoir un support sensible. Ces deux phases du mythique devenu romanesque, les évacuel. Ii fallait donc que le mythe
procès de la création musicale tendent désormais à se scinder, le lien entre mourût en tant que tel pour que sa forme s'en échappât comme l'âme
forme et son s'affaiblit, et le système sensible lui-même devient un moyen quittant le corps, et allât demander à la musique le moyen d'une réincar-
de codage, parmi d'autres également possibles, de structures intelligibles nation.
qui n'ont pas d'abord été conçues par I'imagination comme systèmes de sons. En somme, tout se passe comme si la musique et la littérature s'étaient
Le langage musica"l se détache ainsi progressivement de ce qui fit longtemps partagé l'héritage du mythe. En devenant moderne avec Frescobaldi puis
son caractère distinctif, à savoir que les structures latentes y étaient toujours Bach, la musique a recueilli sa forme, tandis que le roman, né à peu près en
fonction du support sensible et non l'inverse. C'est seulement, en effet, à même temps, s'emparait des résidus déformalisés du mythe, et désormais
travers les variations du support sensible que les structures de la musique émancipé des servitudes de la s5rmétrie, trouvait le moyen de se produire
traditionnelle conservent leur individualité. Comme toujours et partout, la comme récit libre. On comprendrait mieux ainsi les caractères complémen-
structure ne devient accessible que par le biais d'un homomorphisme dont taires de la musique et de la littérature romanesque depuis le xv¡re ou le
une redondance de niveaux doit fournir l'occasion : I'æuvre musicale est un xvrrre siècle jusqu'à nos jours : l'une faite de constructions formelles toujours
système de sons capable, dans l'esprit de l'auditeur, d'induire des sens.
La contrepartie de ce que l'on appelait naguère musique consisterait donc
ri" r. Ne demanda¡t encore aux formes musicales qu'une inspiration d'ordre, pourrait-
on dire, méthodologique, je leur concédais dans le Cru et le Cuit (p. z3) une antériorité
en structures de signification laissées en suspens, fût-ce théoriquement, dans sur les formes m¡rthiques, et il est wrai que la théorie musicale fut la première à les
I'attente que s'investissent en elles des sons. Formule qui correspond expliciter. De l'ouverture du premier volume au finale du quatrième, on mesure donc
le chemin parcouru : il a permis de comprendre qu'on n'aurait pu chercher dans la
assez exactement à certaines tentatives contemporaines qui donnent l'im- musique des modèles de construction des mythes, si les mythes eux-mêmes ne les
pression, à tort ou à raison, de coder avec des sons des systèmes de sens avaient déjà trouvés.
I

sB+ L,HoMME NÜ FTNALE 585

en mal de sens, l'autre faite d'un sens tendant vers la pluralité, mais se mythologie expirante, qui peut dire si Ia musique sérielle, précédant des
désagrégeant lui-même par le dedans à mesure qu'il prolifère au dehors, en développements plus récents, aura fait autre chose qu'assumer les formes
raison du manque de plus en plus évident d'une charpente interne à quoi expressives et rhapsodiques du roman, au moment où celui-ci se préparait
le nouveau roman tente de remédier par un étaiement externe, mais qui n'a à les évacuer pour disparaître à son tour ?
plus rien à supporter. La mythologie et la musique ont ceci en commun qu'elles convient
Quand le mythe meurt, la musique devient mythique de la même façon I'auditeur à une union concrète, avec toutefois cette différence qu'au lieu
que les ceuvres d'art, quand la religion meurt, cessent d'être simplement d'un schème codé en sons, le mythe lui propose un schème codé en images.
belles pour devenir sacrées. La jouissance esthétique qu'elles procurent n'a qt Dans les deux cas pourtant, c'est l'auditeur qui investit une ou plusieurs
plus de commune mesure, même au sommet, avec le prix disproportionné significations virtuelles dans le schème, de sorte que l'unité réelle du mythe
qu'on les paye; en même temps, la catégorie des æuwes d'art s'élargit par et de l'æuwe musicale ne se produit qu'à deux, dans et par une sorte de
la base pour admettre toutes sortes d'objets utilitaires de l'époque pré- célébration. L'auditeur en tant que tel n'est pas créateur de musique, que ce
industrielle, ou même d'une époque industrielle à ses débuts, respectueuse soit par carence naturelle ou du fait occasionnel qu'il écoute l'æuwe d'autrui,
encore des canons traditionnels et qui s'évertuait à les reproduire ou, avec mais une place existe en lui pour elle : c'est donc un créateur < en négatif r,
le mod,ern styl,e, à les renouveler -
plutôt que d'obtempérer, comme elle de qui la musique émanée du compositeur vient combler les creux. Phénomène
-
le fait depuis, à des consignes économiques ou fonctionnelles. A l'instar des inexplicable, à moins de reconnaître que le non-compositeur dispose d'une
peuples sans écriture qui, dans leurs ritueis les plus sacrés, emploient des profusion de sens inutilisés par ailleurs, mais prêts à s'échapper, attirés
instruments non pas d'origine européenne ni même locale s'ils sont manu- comme par I'aimant pour venir adhérer aux sons. Ainsi se reconstitue dans
facturés, mais des couteaux faits d'une pierre tranchante, d'une coquille un pseudo-langage I'union du son, proposé par le compositeur, et du sens
de mollusque ou d'un éclat de bois, d.es ustensiles improvisés à partir de détenu à l'état latent par l'auditeur. En rencontrant la musique, des signi-
lambeaux d'écorce ou de ramilles, tels qu'encore à l'état de nature l'huma- fications flottantes entre deux eaux émergent, et faisant surface, s'agrègent
nité pouvait en posséder, de même, en s'entourant d'objets superbes ou déri- les unes aux autres selon des lignes de force analogues à celles qui détermi-
soires pareillement tenus pour sacrés, l'homme contemporain berce le regret naient déjà l'agrégation des sons. D'où cette sorte d'accouplement intellec-
nostalgique d'une nature seconde perdue après la première, et qu'illustrent tuel et affectif qui s'opère entre le compositeur et l'auditeur. L'un n'est pas
ces témoins d'âges devenus vénérables du seul fait qu'ils sont à jamais ltt moins important que l'autre, car chacun détient un des deux < sexes r de
révolus. Les ordres de la culture se relayent et, près de disparaltre, chacun 'la musique dont l'exécution permet et solennise l'union charnelle. Alors
transmet à l'ordre le plus proche ce qui fut son essence et sa fonction. Avant - seulement, le son et le sens se rejoþent, engendrant un être unique compa-
de se substituer à elle les beaux-arts étaient dans la religion, comme les rable au langage puisqu'en ce cas aussi s'assemblent deux moitiés, faites
formes de la musique contemporaine étaient déjà dans les mythes avant l'une d'une surabondance de son (par rapport à ce que l'auditeur livré à lui-
même que celle-ci ne commençât d'exister. même eût pu produire), l'autre d'une surabondance de sens (car l'auteur
C'est sans nul doute avec Wagner que la musique a pris conscience d'une n'en avait nul besoin pour composer).
évolution qui lui faisait assumer les structures du mythe ; et c'est à partir Dans les deux cas, ce supplément de son et ce supplément de sens viennent
de ce moment aussi que l'art du développement piétine et s'essouffie, dans en excès des besoins propres de la langue qui exploite des sons autres que
I'attente du renouveau des formes de composition qui apparaltra chez musicaux (au point qu'on a pu dire que l'oreille linguistique et l'oreille musi-
Debussy. Prise de conscience où l'on peut voir l'amorce, sinon la cause même cale varient en raison inverse l'une de l'autre), et qui se montre toujours
d'une autre étape, où il ne va plus rester pour choix à la musique que d'évacuer incapable d'exprimer par un énoncé les émotions et les significations
à son tour les structures mythiques, désormais disponibles pour que, sous la ineffables que la musique suscite chez ses fervents. On peut donc dire que
forme d'un discours sur lui-même, le mythe accède enfin à la conscience la communication musicale et la communication linguistique présupposent
de soi. IJn rapport de corrélation et d'opposition existerait alors entre mon toutes deux l'union du son et du sens; mais il est également wai d'ajouter
entreprise de récupération des mythes et celles de la mgsique contemporaine que les sons et les sens mis en æuvre par Ia communication musicale sont pré-
qui, depuis la révolution sérielle, se serait au contraire définitivement déta-
t cisément ceux dont la communication linguistique ne se sert pas. Les deux
chée d'eux, par une recherche de l'expression conduite au détriment de la types de communication sont, à cet égard, en rapport de supplémentarité.
signification, et par un parti-pris radical d'asymétrie. Mais peut-être ne Cernons cela de plus près. Au sein de chaque société, l'ordre du mythe
fait-elle en cela que répéter une démarche antérieure ? De même que la exclut le dialogue : on ne discute pas les mythes du groupe, on les transforme
musique des xvue-xvrrre siècles assumait des structures que lui léguait une en croyant les répéter. Le long d'une chaîne de narrateurs successifs, le son
5B6 L,EoMME NI' FINALE sB7

et le sens, unis dans le discours mythique, se déplacent solidairement de et de son être : devenu le lieu de la musique, comme la statue de Condillac
proche en proche, au lieu que leur échange ou leur union s'opère, comme en était odeur de rose. Par la musique s'accomplit ce prodige que le plus intel-
musique, dans et par l'acte de communication. En revanche, les échanges lectuel des sens, l'ouïe normalement asservie au langage articulé, éprouve
proprement linguistiques portent aussi sur des molécules doublement char- un genre d'état que le philosophe avait justement réservé à l'odorat, de
gées de son et de sens, mais qui transitent entre des interlocuteurs dont, tous les sens le plus profondément enraciné dans les pénombres de la vie
chacun à son tour, l'un parle et I'autre répond. Dans l'ordre de la musique, organique.
un échange a bien lieu, comme pour le langage articulé et à la différence du Échappant à l'entendement où elle a son siège habituel, la signification
discours mythique. Mais, comme pour le discours mythique et à la différence tv vient s'engrener directement sur la sensibilité. Par la musique, celle-ci se
du langage articulé, cet échange ne porte pas sur des molécules bivalentes trouve donc investie d'une fonction supérieure et, pour le sujet, inespérée:
et toutes pareillement constituées qui, dans le cas du mythe, se transmettent d'oÌr ce sentiment de gratitude envers la musique qui le comble, d'être sou-
on l'a vu dans un seul sens. Les valeurs d'échange sont alors d'une autre dain transformé par elle en un être d'essence différente chez qui des principes
nature : elles consistent en deux sortes de molécules monovalentes, les unes or'dinairement incompatibles (au moins le lui a-t-on enseigné) s'apaisent et
chargées de son (musique) ou d'image (mythologie), les autres chargées de atteignent, en se réconciliant, à une sorte d'unanimité organique. Ce rôle
sens. En se rencontrant, chaque sorte communique à I'autre sorte la charge d'ordonnateur de la sensibilité vient au grand jour surtout dans la musique
de complément qui lui manquait. Une union restée jusque là virtuelle romantique à partir de Beethoven, qui lui a donné un statut incomparable ;
s'accomplit comme par l'effet d'une copulation. mais il est présent chez Mozart et il apparaît déjà chez Bach. La joie musi-
cale, c'est alors celle de l'âme invitée pour une fois à se reconnaître dans
* {. * le corps.
La musique réussit, dans un laps de temps relativement bref, ce à quoi
Jamais, sans doute, le plaisir musical ne fut mieux décrit et analysé que la vie elle-même ne parvient pas toujours, et encore à l'échéance de mois
dans les pages d'Un Amour de Suønnconsacrées àla < petite phrase r et à la ou d'années sinon d'une existence entière : l'union d'un projet à son succès,
sonate de Vinteuil, où Proust montre la musique envahissant l'âme de I'audi- qui, dans le cas de la musique, permet que l'ordre du sensible et celui de
teur, l'occupant tout entière, prenant en charge le cours de ses idées pour l'intelligible se rejoignent, simulant en raccourci cette exaltation de l'accom-
r¡¡? plissement total qu'à beaucoup plus long terme, peuvent seules procurer
un temps plié à ses méandres, comme le pilote automatique d'un avion
substitue ses décisions à celles du commandant de bord et lui rend le contrôle 'des réussites professionnelles, sociales ou amoureuses qui exigèrent une
de l'aéronef en même temps que la conscience réfléchie à elle-même, quand . mobilisation totale de l'être dont, avec le succès, les tensions soudain se
s'achève le voyage pendant toute la durée duquel une sagesse supérieure à Ia relâchent, provoquant une chute paradoxale, bienheureuse à I'opposé de
sienne avait délivré celle-ci de la dure nécessité de penser. Pourtant, Proust celles consécutives à l'échec, et qui engendre elle aussi despleurs, mais de joie.
ne cherche pas à percer les raisons mystérieuses qui font qu'une ligne mélo- C'est, je crois bien, Koestler qui a compris le premier le mécanisme du
dique ou une combinaison harmonique procurent des voluptés qualifiées rire : il résulte d'une prise de conscience soudaine et simultanée de ce que
seulement par lui de < particulières ,, suscitent un état de bonheur < noble cet auteur appelle des < champs opératoires >, entre lesqueis l'expérience ne
et précis r¡ mais qui, dit-il aussi, demeure < inintelligibie r (I, p. zB3). suggérait aucune connexion. Un personnage strictement vêtu, marchant
Toute tentative pour comprendre ce qu'est la musique s'arrêterait avec componction, s'étale brusquement dans le ruisseau et les rires fusent ;
cependant à mi-chemin, si elle ne rendait pas compte des émotions profondes exemple souvent invoqué, mais pour en donner des interprétations fausses.
ressenties en écoutant des ceuvres capables même de faire couler des larmes. Ce qui se passe en réalité, c'est que les deux états, où nous apparalt sans
On devine que le phénomène offre une analogie avec le rire en ce sens que, transition le personnage, ne pourraient se succéder dans des conditions
dans chaque cas, un certain type d'agencement extérieur au sujet, ici de mots normales, sans qu'entre le premier et le dernier s'intercalent une série
ou d'actions, là de sons, déclenche un mécanisme psycho-physiologique dont compliquée d'états intermédiaires. Par sa présence traitresse, une pelure de
les ressorts sont tendus d'avance ; mais à quoi correspo4d celui-ci, et qu'est-ce .f banane en fait l'économie ; en quelque sorte, elle les court-circuite. fncons-
au juste que pleurer de rire ou de joie ? ciemment mobilisée pour reconstituer l'événement et le comprendre, prête
Ce n'est pas tout ; car, comme l'a bien montré Proust, le plaisir musical à de grantls efforts pour opérer la synthèse des deux représentations dis-
survit à l'exécution et peut-être même atteint-il sa plénitude après : dans le jointes, la fonction symbolique du spectateur appréhende, dans un éclair, le
silence rétabli, l'auditeur se retrouve saturé de musique, submergé de sens, terme imprévu qui lui permet de rétablir I'enchaînement logique aux
en proie à une sorte d'envahissement qui le dépossède de son individualité moindres frais.
o

5BB L,HoMME NU FTNALE 589

L'esprit humain se maintient en tension toujours virtuelle, il dispose larmes versées s'accompagnent d'un sentiment de joie. On pleure de rire,
à chaque instant d'une réserve d'activité symbolique pour répondre à toutes en effet, quand les contractions musculaires d'abord limitées à la région
sortes de sollicitations d'ordre spéculatif ou pratique. Dans le cas de l'incident buccale, s'étendent et gagnent les yeux et la face, sous I'effet d'une jubilation
comique comme dans celui du mot d'esprit ou de la devinette cocasse qui, saluant une ellipse particulièrement rapide et bien amenée. Mais ce qui, dans
par un rapprochement insoupçonné de l'auditeur, permettent aussi de - con- l'audition musicale, suscite des pleurs de joie, c'est au contraire un trajet
necter directement deux champs sémantiques qui paraissaient très écartés réellement accompli par l'æuvre, et réussi en dépit des difficultés (telles
l'un de l'autre cette énergie de secours (qu'une histoire drôle bien amenée seulement pour I'auditeur) que le génie inventif du compositeur, son besoin
- à condenser)
s'applique d'abord se trouve privée de point d'application :
subitement libérée et ne pouvant se dissiper dans l'effort intellectuel, elle
v d'explorer les ressources de l'univers sonore, lui a fait amasser en même
temps que les réponses qu'il leur donnait. Entraîné haletant dans ce parcours,
dévie vers le corps qui, avec le rire, dispose d'un mécanisme tout monté l'auditeur se trouve, par chaque résolution mélodique ou harmonique,
pour qu'elle s'y dépense en contractions musculaires. Le rire et ses secousses comme envoyé en possession du résultat. Et n'ayant pas dû lui-même
remplissent ce rôle, et l'état de béatitude qui les accompagne correspond découvrir ou forger ces clefs que l'art du compositeur lui fournit toutes faites
à une gratiûcation de la fonction symbolique, satisfaite à un coût bien au moment où il les attend le moins, tout se passe comme si le trajet labo-
moindre que celui qu'elle se disposait à payer. rieux, parcouru avec une aisance dont, réduit à ses seules ressources, I'audi-
Ainsi compris, le rire s'oppose à l'angoisse, sentiment que nous éprouvons teur se fût montré incapable, était, par faveur spéciale, mis pour lui en court-
quand la fonction s5rmbolique, loin d'être gratifiée par la solution imprévue circuit. Or, consciemment ou inconsciemment, tout trajet laborieux a pour
d'un problème sur lequel elle était prête à s'évertuer, se sent, en quelque l'homme des résonances existentielles. Le vrai trajet laborieux, celui auquel
sorte, prise à la gorge par une nécessité que les circonstances rendent vitale, il rapporte tous les autres, c'est sa vie même avec ses espoirs et ses déceptions,
d'opérer très rapidement, entre des champs opératoires ou sémantiques, une ses épreuves et ses réussites, ses attentes et ses achèvements. La musique lui
synthèse dont les moyens lui échappent. Et ce peut être aussi bien pour faire en offre à la fois l'image et le schème, mais sous la forme d'un modèle réduit
face à la menace imminente d'une agression, que pour rétablir l'équilibre (L.-S. 9, p. 34-36) qui n'imite pas seulement mais accélère ces péripéties, et
d'un système de vie que la disparition d'un être cher, qui y tenait un rôle les condense dans un laps de temps que la mémoire peut saisir comme un
irremplaçable, a ruiné. Au lieu qu'un trajet théoriquement laborieux soit tout, et qui de plus s'agissant de ces chefs-d'æuvre que la vie sait rarement
évité par le raccourci du comique, c'est alors f impuissance à concevoir un tt faire Ies achemine - vers une conclusion réussie.
raccourci qui engendre cette sorte de paralysie douloureuse, étreignant un
- phrase mélodique ou développement harmonique proposent une
Toute
esprit terrifré par les difficuités du trajet que les vicissitudes de I'existence lui aventure. L'auditeur y confre son esprit et sa sensibilité aux initiatives
imposent, et par les épreuves que chacune de ses étapes lui réserve. La physio- du compositeur; et si des pleurs de joie coulent à la ûn, c'est que cette
logie confirme indirectement cette interprétation. En effet, les névroses dites aventure, de bout en bout vécue dans un laps de temps beaucoup plus court
d'anxiété s'accompagnent d'une dose accrue de dérivés de l'acide lactique que s'il se fût agi d'une aventure réelle, a aussi été couronnée de succès et
dans le sang (Pitts). Or, on sait que la production d'acide lactique résulte s'achève avec un bonheur dont les aventures véritables oftrent moins
norma-lement de l'effort musculaire, dont l'effort symbolique, tendu à la d'exemples. Une phrase mélodique jugée belle et émouvante est telle que
limite de ses forces, pourrait être l'équivalent dans le domaine de la vie de son proûl apparaisse homologue avec celui d'une phase existentielle (sans
l'esprit. En langage d'affectivité, I'anxiété exprimerait ainsi un état doute parce que, dans l'acte de création du compositeur, la même projection
d'obstruction physiologique interférant avec le calcium qui transmet les s'était d'abord effectuée en sens inverse), tout en sachant résoudre avec
impulsions nerveuses et paraþsant celles-ci, état qui serait induit dans Ie aisance, sur son plan propre, des diftcultés homologues avec d'autres contre
corps en raison d'une homologie entre des conjonctures morale et physique. lesquelles la vie viendrait buter et souvent échouer sur le sien.
Quand cette obstruction résulte d'un effort mécanique trop intense, elle se
traduit dans le langage de la sensibilité par des crampes et des courbatures * * {<
rnusculaires, dont l'angoisse tenaillant les viscères ofire l'équivalent sous
forme de métaphore incarnée. t Mais alors, on sera fondé à dire qu'à sa manière, la musique remplit un
Or, dès qu'on a situé le rire et l'angoisse dans un rapport convenable, on rôIe comparabie à celui de ta mythologie. Mythe codé en sons au lieu de mots,
perçoit quç l'émotion musicale résulte d'une tierce éventualité qui emprunte l'æuvre musicale fournit une grille de déchiffrement, une matrice de rapports
quelque chose à l'un et à I'autre. Et il est de fait qu'on y pleure, comme dans qui filtre et organise l'expérience vécue, se substitue à elle et procure l'illu-
la douleur morale mais que, comme cela se produit aussi pour le rire, les sion bienfaisante que des contradictions peuvent être surmontées et des
0

SU J .-nÉp c. suJ.-c. RÉp. :

5go L,HoMME NU X 2\
0
--(
Ia
difficulte,s résolues. Une conséquence en découle : au moins pour cette période Ib
de la civilisation occidentale durant laquelle la musique assume les structures
et les fonctions du mythe, chaque æuvl:e doit offrir une forme spéculative, L IIa
IIb
chercher et trouver une issue à des difficultés constituant à proprement parler
son thème. Si ce qui précède est exact, il n'y a pas d'ceuwe musióale conce- IA 2
vable qui ne s'ouvre sur un problème et ne tende vers sa résolution, en don- rb
nant à ce dernier terme un sens plus large mais conséquent avec celui
2A .l
qu'il a dans le langage musical.
On ne lit donc pas sans surprise, sous la plume d'un théoricien lui-même v zb

compositeur, que Ie Boléro de Ravel offre l'exemple d'un < processus de 4 IIIa
transformation simple, se développant dans une seule direction sans revenir IIIb
sur soi-même... cas extrême de directionnalité ininterrompue et parfaitement
5 IVa
continue... (qui va) d'un extrême à l'autre... (ayant) ceci en commun qu'ils IVb
sont extrêmøs, c'est-à-dire qu'il n'est pas possible d'aller au delà dans cette
direction, et qu'il faudrait donc pour continuer revenir en arrière > (Pousseur, 3à 6
p. 246). une telle description semble, en effet, étrangère à toute idée raison- 3b
nable qu'on peut se faire de la musique et, dans le cas particulier, elle ne tient
4a I
aucun compte de la modulation qui surgit vers la fin du morceau et donne à 4b
l'auditeurle sentiment, non seulement d'une clôture, mais d'une réponse déci-
sive à un problème obscur posé dès le début et dont, tout au long du discours 8l Va
\.b
musical, on avait vainement aligné et éprouvé plusieurs solutions. Même
si Ravel définissait Bol,éro comme un crescendo instrumental et feignait de
n'y voir qu'un exercice d'orchestration, il est clair que l'entreprise recouvre ,l VIa
vIb
bien d'autres choses ; qu'il s'agisse de musique, de poesie ou de peinture, on *
n'irait pas ioin dans I'analyse des æuvres d'art si l'on s'en tenait à ce que 5a 10
leurs auteurs on.t dit ou même cru avoir fait. 5b

La partition divise Bol,éro en segments numérotés de [o] à [rB], corres- 6a L1


pondant à autant d'énoncés homologues, mais au sein desquels on discerne 6b
immédiatement des divisions plus fines. Pour des raisons de commodité et
bien que la formule soit littéralement inexacte, on peut considérer l'æuvre L2 VIIa
VIIb
comme une sorte de fugue < mise à plat >, c'est-à-dire où les différentes par-
ties, disposées en séquence linéaire, se suivent bout à bout au lieu de se L3 VIIIa
poursuivre et de se chevaucher. On distinguera alors un sujet et sa réponse, VIIIb
un contre-sujet et sa contre-réponse occupant chacun huit mesures. Le sujet
et la réponse, le contre-sujet et la contre-réponse sont répétés deux fois de 7a 1.4
7b
suite avec, dans l'intervalle entre ces séquences, deux mesures où le rythme
continu pendant tout I'ouvrage ressort au premier plan parce que la
-mélodie elle-même reste en suspens ; -de même après chaque tn de la deuxième 8a
8b
L5

contre-réponse et avant chaque retour au sujet. Au total, on a donc deux


séquences consécutives formées chacune du sujet et de la réponse et qui se t 16 IXa
IXb
répètent quatre fois, en alternance avec deux séquences consécutives formées
du contre-sujet et de la contre-réponse pareillement répétées ; cela dure 9a L7
jusqu'à la conclusion de l'ouwage où, en manière de strette elle aussi mise ã 9b
à plat, le sujet et la réponse, le contre-sujet et la contre-réponse se succèdent MODUL.

18
tt

592 FINALE FTNATE 593

sans duplication et enchalnent sur une modulation. Celle-ci survient qainze pas sur la dernière des deux croches précédant la barre de mesure : le triolet
mesures avant la ûn, et résout la neuvième et dernière présentation du antérieur appelle la première croche de la mesure suivante formant triade
contre-sujet. avec les deux autres; et pour la raison inverse, le second motif, qui com-
Double opposition du sujet et de la réponse, du contre-sujet et de la mence aussitôt après, réclame le bouclage des trois triolets consécutifs par
contre-réponse, incluse dans une opposition majeure entre les deux paires la première croche de Ia mesure qui suit. Entrant à fr.z],les timbales ren-
de séquences; réduplication en alternance régulière de ces paires, chaque forcent l'efiet par des accents sur le premier et le dernier temps de chaque
fois séparées l'une de I'autre, et de la séquence complémentaire, par un mesure; mais elles ne le créent pas pour autant.
intervalle de deux mesures : autant de facteurs qui mettent en évidence un Comment s'explique ce phénomène ? En partie pour des raisons relevant
découpage symétrique et d'inspiration franchement binaire. D'ailleurs, ç du rythme, comme on vient de le voir, mais aussi et peut-être surtout parce
une opposition binaire, en quelque sorte horizontale, persiste pendant toute que, dès le début de l'æuvre, on a affaire non pas à un rythme mais à deux :
la durée de l'ouwage qui se dérouie simultanément sur deux niveaux, I'un celui confié aux tambours qu'on vient d'analyser, et laissés à l'arrière-plan
mélodique et l'autre rythmique. Cependant, la mesure est entièrement mais déjà perceptibles, les pizzicati des cordes encore réduites aux violon-
à trois temps, bien que l'oreille hésite souvent entre trois et deux. Des celles et aux altos. Ces pizzicati dessinent une ligne mélodique, si pauwe
remarques qui précèdent, un aspect fondamental de l'æuwe se dégage donc soit-elle; et ils doublent le rythme développé du tambour par un rythme
déjà : il consiste dans une ambiguïté entre les découpages et redécoupages simplifié, modèle réduit de I'autre : trois noires, puis deux noires suivies de
binaires du discours musical et le mètre ternaire qui le scande, entre la deux croches formant ensemble un rythme déhanché où, d'une mesure
s5rmétrie complexe qui prévaut dans la construction et l'asymétrie simple à la suivante, on reconnaît la même al.ternance entre principe ternaire et
qui préside à l'exposition. principe binaire qu'on a déjà relevée. Ce n'est pas tout ; car, en attaquant
Considérons maintenant l'opposition horizontale, consubstantielle à dès le début la quinte suivie d'une octave redoublée et suggestive de l'unisson,
l'ouvrage, entre la mélodie et le rythme. Elle manifeste pour son compte les cordes retirent au premier temps fort sa marque et la transfèrent aux
le même genre d'ambiguité. A l'inverse de la mélodie, dont I'arabesque deuxième et troisième temps, qui semblent donc ouvrir la mesure comme par
inégale viole la régularité du mètre ternaire par un recours fréquent à la l'effet d'une anacrouse. Les écarts tonal et rythmique se conjuguent, créant
syncope, la batterie, contée d'abord au tambour, respecte cette régularité l'impression de deux mètres ternaires décalés I'un par rapport à I'autre.
pour ce qui est de l'écriture. Mais en fait, elle recouvre plusieurs sortes de Allant de pair avec une mélodie constamment sur l'expectative, et qui anti-
formules binaires : opposition entre deux motifs rythmiques qui se succèdent cipe souvent la mesure suivante par la syncope, le rythme procède à I'inverse
toujours dans le même ordre; au sein de ces motifs rythmiques, opposition et paraît toujours en retard d'un temps. La harpe, traitée comme un instru-
entre deux éléments isochrones, croche et triolet ; opposition, interne au ment à percussion mais dotée d'un pouvoir plus expressif, souligne admira-
premier motif, entre deux paires (croche f triolet) suivies de deux croches blement cet aspect : elle entre à fz] avec des noires sur le deuxième et Ie
formant elles-mêmes une paire; dans le second motif, même opposition de troisième temps; les mêmes accents passent ensuite aux violons puis aux
deux paires (croche f trioiet) suivies cette fois de deuxtrioletsformantpaire, bois ([6], þl) ;laharpe rentre à l8l sur les deuxièmes temps avec des blanches,
de sorte que, d'une mesure à I'autre, la charge d'exprimer la dualité passe remplacées à fro] par des noires qui, seulement sur les deuxième et troisième
de l'élément croche à l'élément triolet, soit les deux unités constitutives du temps, forment des accords de trois sons, puis de quatre. Ainsi, pendant
système rythmique tout entier. Si donc la mélodie tend vers l'asymétrie toute cette période et au deià (car l'effet, confié aux trombones, atteint son
au delà même de celle impliquée par le mètre ternaire, le rythme tend lui- paroxysme dans les six dernières mesures), c'est le deuxième temps qui est
même en deçà, vers des oppositions binaires symétriques entre elies et plu- marqué et s'oppose donc au premier, non marqué ou moins fortement marqué
sieurs fois démultipliées. que les deux autres.
Ainsi, la mélodie et le rythme entretiennent avec le mètre des relations Au cours du morceau, ces r5rthmes décalés, l'un développé et l'autre
équivoques. C'est le rythme intrinsèque du discours mélodique qui casse condensé, subissent deux types de transformations. En premier lieu, chacun
le mètre. En revanche, la batterie, renforcée ou non par d'autres instruments, à son tour passe au premier plan et occupe le devant de la scène rythmique ;
respecte la découpe métrique, mais ses motifs rythmiqires autrement dit, {t \

d'abord subordonné, le rythme synthétique se gonfle par la participation


son discours entrainent l'effet opposé. L'oreille ne perçoit- pas la batterie I
croissante du quatuor, il vient à égaJité vers le segment lrr], triomphe
comme elle est- écrite, ou mieux, elle perçoit quelque chose en plus qui n'est I

vers [r3] pour décroltre progressivement et s'efiacer à [16] derrière le rythme


pas écrit, à la différence de la mélodie dont les syncopes se lisent dans la analytique qui reprend la prédominance grâce au ralliement des cordes.
partition. Après les deux paires initiales (croche f triolet), l'oreilie ne s'arrête En second lieu, chaque type de rythme, en s'affirmant, défend et illustre

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