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POLITIQUE ÉTRANGÈRE ET GUERRE MONDIALE CONTRE LE TERRORISME DANS LA

REPRODUCTION DU POUVOIR ALGÉRIEN


Author(s): Jeremy H. Keenan
Source: Revue Tiers Monde , avril-juin 2012, No. 210, 25 ANS DE TRANSFORMATION
POST-SOCIALISTE EN ALGÉRIE (avril-juin 2012), pp. 31-50
Published by: Publications de la Sorbonne

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/23593879

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25 ANS DE TRANSFORMATION
POST-SOCIALISTE EN ALGÉRIE

POLITIQUE ETRANGERE ET GUERRE MONDIALE


CONTRE LE TERRORISME DANS LA REPRODUCTION
DU POUVOIR ALGÉRIEN

Jeremy H. Keenan*

Cet article révèle comment l'Algérie a géré sa politique étrangère depuis la « sale guerre » des
années 1990, grâce notamment à son alliance avec les États-Unis de l'après 11 septembre,
pour retrouver une place dans la communauté internationale et rééquiper son armée en matériel
moderne. Il met en évidence les contradictions inhérentes à ses relations avec les États-Unis,
fondées sur la collusion des deux États dans l'invention du terrorisme et la poursuite de la
guerre mondiale contre le terrorisme ou GWOT (Global War On Terror). En renforçant le système
sécuritaire algérien (l'État sécuritaire) et en lui donnant la possibilité de devenir encore plus
répressif, cette politique a exacerbé les problèmes qui pourraient conduire à un « printemps
arabe » algérien.

Mots clés : Algérie, États-Unis, al-Qaïda, AQMI, GWOT, printemps arabe, Bouteflika, politique
étrangère, terrorisme.

Depuis le début de l'année 2011, l'Algérie a fait l'objet d'un nombre incalculable
d'articles sur le « printemps arabe ». La plupart d'entre eux s'interrogeaient sur
les raisons pour lesquelles l'un des États les plus répressifs et les plus corrompus
du monde arabe n'avait pas connu le même type de soulèvement populaire que
d'autres États d'Afrique du Nord et du Moyen Orient (MENA, Middel East and
North Africa).

Certains commentateurs et analystes ont émis l'idée que les cinq jours
d'émeutes qui ont touché presque tout le pays du 5 au 9 janvier 2011 étaient

* Professeur et chercheur associé au Département d'anthropologie sociale et de sociologie de la School of Oriental and African
Studies de l'Université de Londres, jeremykeenan@hotmail.com

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un « soulèvement raté ». D'autres ont fait valoir que l'Algérie avait déjà eu
sa « révolution démocratique » dans les années 1980 (comme si un pays ne
pouvait pas avoir plus d'une révolution !). Ni l'une ni l'autre de ces deux thèses
n'est juste, ou n'apporte même l'ébauche d'une réponse à ces deux questions
connexes qui sont de savoir pourquoi les émeutes de janvier n'ont pas entraîné
une dynamique politique et pourquoi les Algériens n'ont pas suivi l'exemple de
leurs frères de Tunisie, d'Egypte puis de Libye, ainsi que de plusieurs États du
Moyen Orient et du Golfe (Bahreïn, Syrie, Yémen).
Depuis deux ans au moins (certains diraient depuis bien plus longtemps),
un état quasi permanent de contestation sociale et de manifestations contre
le régime fait partie, dans presque tout le pays, des rituels quotidiens1. Cette
contestation et ces manifestations, de même que la violence que leur oppose
l'appareil répressif de l'État, reflètent le fait que, depuis un an ou deux, l'État
a définitivement abdiqué les derniers vestiges de ses responsabilités et de son
devoir d'assistance en ce qui concerne la prospérité et le bien-être de ses citoyens.
Bien qu'elles ne constituent pas encore le terreau d'une révolte politique, ces
manifestations sont « politiques » en ce qu'elles sont devenues une forme de
communication - un discours nouveau - entre le peuple algérien, les « masses »
et leurs dirigeants. C'est à travers ce discours que les questions de logement, de
fourniture d'eau, de gaz et d'électricité, de collecte des ordures, de réparation
des routes et une multitude d'autres doléances sont portées à l'attention des
autorités de l'État et trouvent parfois un début de solution.
La plupart de ces articles sur l'Algérie et le printemps arabe relèvent que les
Algériens ne se sont pas révoltés, bien qu'ils vivent sous l'un des régimes les plus
honnis et les plus répressifs de la région MENA. En d'autres termes, les dirigeants
algériens ont réussi à se maintenir au pouvoir pratiquement contre toute attente.
Les analystes ont avancé une série de raisons pour expliquer un état de choses si
peu ordinaire en apparence. Les principales, hors de tout classement par ordre
d'importance, avaient trait aux facteurs suivants : (1) la richesse substantielle
de l'Algérie, et sa capacité à « acheter » la contestation, que le régime définit
en tout état de cause comme sociale et économique plus que politique ; (2) le
relatif « développement » de l'Algérie, qui peut sembler réel au vu d'un petit
nombre d'infrastructures matérielles, mais est loin de se vérifier en termes de
« développements » débouchant sur une amélioration de la vie quotidienne ; (3)
la crainte souvent invoquée d'un retour à la violence des années 1990 ; (4) la
puissance et la sophistication de l'État sécuritaire2, incarné par le Département

1. Selon les statistiques officielles, en mars 2011, la police (DGSN) a enregistré 11710 demandes d'interventions de maintien
de l'ordre dans des lieux publics, soit une moyenne de 377 par jour, 16 par heure, ou 1 toutes les 3-4 minutes. Voir : « 520
marches et sit-in en mars », El Watan, 12 avril 2011.

2. L'auteur parie de « Police State » mais il semble qu'en anglais ce terme ait un sens plus large qu'en français. Avec son accord, nous
avons préféré traduire par « État sécuritaire » (« militaro-sécuritaire » aurait même été plus précis) car, contrairement à la Tunisie de

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du renseignement et de la sécurité (DRS) - que l'on peut comparer aux célèbres


« mukhabarat » des régimes autoritaires du Machrek - et, en face, (5) la faiblesse, la
fragmentation ou, pour reprendre le terme de certains Algériens, 1'« atomisation »
de l'opposition intérieure.

Bien que ces raisons aient toutes un certain degré de pertinence, elles
n'expliquent pas ce qui constitue, malgré tout, un « phénomène remarquable » :
la capacité du régime algérien à se reproduire ou, plus crûment, à se cramponner
au pouvoir en dépit du désir impérieux et avéré de la majorité de la population
d'en être débarrassée3.

Une explication complète de ce phénomène dépasserait le cadre du présent


article. Je me concentrerai donc sur un facteur particulièrement important,
en expliquant comment le régime a pu d'abord consolider puis conserver son
pouvoir ces dix dernières années, durant 1'« ère Bouteflika » qui a suivi la « sale
guerre » des années 1990. Je fais ici référence à la façon dont le régime, par sa
politique étrangère, a réussi à manipuler - on pourrait même dire à « orchestrer »
- la guerre mondiale contre le terrorisme (GWOT) en Afrique du Nord-Ouest
pour renforcer sa position, que ce soit à l'extérieur, vis-à-vis de puissances
mondiales de poids comme les États-Unis et certains États européens, ou à
l'intérieur, en utilisant la GWOT et le soutien dont elle bénéficie de la part de ces
puissances pour étendre et renforcer les services de sécurités et leurs multiples
instruments de contrôle et de répression.

Lorsqu'Abdelaziz Bouteflika a pris ses fonctions en 1999, l'Algérie était


confrontée à deux problèmes majeurs. Le premier était sa position dans le
monde : le coup d'État de 1992 et le rôle de l'armée, et particulièrement du
DRS, dans la « sale guerre » des années 1990 avaient en effet réduit l'Algérie
au statut de « paria ». Le second résultait d'embargos internationaux sur les
armes : l'armée, institution centrale de l'État algérien, connaissait une grave
pénurie d'armement moderne - dispositifs de vision de nuit, systèmes radar
sophistiqués, système intégré de surveillance, équipement de communication
tactique et divers types d'armes létales, notamment.

Benali qui était un État policier, en Algérie, c'est l'armée, et plus précisément les services de la sécurité militaire, qui maintiennent le
régime en place par la terreur.

3. Les dernières élections démocratiques en Algérie ont été celles de 1991 -1992. Si le second tour n'avait pas été annulé par le
coup d'État militaire, le FIS aurait remporté près de 75 % des sièges (Roberts, 2003, p. 53). Toutes les élections suivantes ont
été truquées d'une façon ou d'une autre par le régime.

N° 210 • avril-juin 2012 • Revue Tiers Monde 33

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Jeremy H. Keenan

LES RELATIONS ENTRE L'ALGÉRIE ET LES ÉTATS-UNIS


AU COURS DE L'ÈRE BOUTEFLIKA

Au début de l'ère Bouteflika, les relations entre l'Algérie et les États-Unis


étaient au plus bas. Lors des funérailles du Roi Hassan II du Maroc à Rabat
en juillet 1999, le Président Clinton évita soigneusement tout contact public
avec le nouveau Président algérien. Cependant, avec la victoire des Républicains
aux États-Unis en novembre 2000, Bouteflika, en bon ancien ministre des
Affaires étrangères4, ne tarda pas à faire connaître ses sentiments à la nouvelle
administration américaine. En février 2001, le Général Carlton W. Fulford,
vice-commandant des forces armées américaines en Europe, reçut le Général
Mohamed Lamari, chef d'état-major de l'armée algérienne, au QG de l'US
EUCOM (le commandement américain en Europe), à Stuttgart, tandis que le
directeur du FBI se rendait à peu près au même moment à Alger pour une visite
de 48 heures. Le 21 juillet, Bouteflika était invité à une rencontre au sommet avec
le Président Bush. Au cours des quatre années qui suivirent, Bush et Bouteflika
se rencontrèrent à nouveau six fois.

À ce stade, à près de deux mois encore du 11 septembre et en dépit des intérêts


croissants des compagnies pétrolières américaines en Algérie, il est probable que
l'Algérie avait plus besoin du soutien des États-Unis que l'inverse, compte tenu
notamment des deux problèmes évoqués plus haut.
Le sommet Bouteflika-Bush de juillet 2001 intervenait deux mois seulement
après la publication du rapport Cheney (NEPG, 2001), qui soulignait l'immi
nence d'une crise énergétique aux États-Unis et l'importance croissante des
ressources pétrolières africaines pour les États-Unis. Bouteflika, en diplomate
consommé, « parla pétrole » avec Bush et lui dit ce que les Américains sou
haitaient entendre. Il rappela à Bush qu'alors que les compagnies européennes
avaient fui son pays en période de troubles, les compagnies américaines, elles,
étaient venues « et avaient misé sur l'avenir de l'Algérie », soulignant que dans
les relations américano-algériennes, « le pétrole, c'est le pétrole, et la politique,
c'est la politique ». C'était exactement ce que souhaitait entendre l'industrie
du pétrole américaine, et particulièrement Dick Cheney, dont la compagnie
Halliburton était l'une de celles qui avaient « misé » sur l'Algérie. Cheney avait
longtemps cherché à nouer des liens plus étroits avec l'Algérie ; alors qu'il
était PDG de Halliburton, il avait rencontré Bouteflika à Alger et s'était fait
l'avocat d'un renforcement des relations bilatérales, incluant la coopération
militaire américaine. Les deux Présidents exprimant maintenant leur volonté
générale d'accroître les investissements américains dans le secteur énergétique
en Algérie, le ministre des Affaires étrangères algérien, Abdelaziz Belkhadem,

4. Bouteflika a été ministre des Affaires étrangères de 1963 à 1979.

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dit aux journalistes présents que l'objectif était « de faire passer le montant des
investissements américains dans le secteur du pétrole de 4 milliards de dollars
[en 2001] à 8 milliards les quatre prochaines années » (Gorguissian, 2001).
Bouteflika n'avait pas perdu de vue ce qu'il voulait réellement de Washington.
Comme s'il présageait ce qui allait advenir en Amérique 59 jours plus tard, il dit
au Président Bush que son pays avait mené la lutte antiterroriste et cherchait
maintenant à équiper son armée pour qu'elle puisse maintenir la paix, la sécurité
et la stabilité en Algérie5. Moins de trois semaines plus tard, le Général Lamari,
toujours en quête de soutien pour moderniser son armée, se rendit pour la
deuxième fois à Stuttgart.

L'AUBAINE DU 11 SEPTEMBRE

Bien que l'adresse avec laquelle l'Algérie sut tirer parti des besoins éner
gétiques de l'Amérique ait été à l'origine de ce réchauffement des relations
américano-algériennes, ce sont les attaques du 11 septembre sur le World
Trade Center à New York et le Pentagone à Washington D. C. qui ont précipité
l'avènement d'une toute nouvelle ère dans les relations entre les deux pays.

La tragédie du 11 septembre allait être pour le régime algérien une aubaine


à bien des égards. En ce qui concerne ses efforts pour sortir de son statut de
paria, le 11 septembre fournit à Alger les images qui allaient lui permettre de
convaincre le monde du bien-fondé de sa politique d'« éradication » dans la lutte
contre les islamistes. Le moment était venu de proclamer : « On vous l'avait bien
dit ». Pour montrer son empressement à aider les États-Unis dans leur GWOT,
Alger fournit aux Américains une liste de 1 350 noms d'Algériens de l'étranger
censés entretenir des liens avec Oussama ben Laden, et une liste de militants
islamistes présumés sur le territoire algérien. Ni le Département d'État, ni les
services secrets américains n'ont souhaité commenter ces listes. Cela n'a rien de
surprenant, car on sait aujourd'hui que bon nombre de ces liens avec al-Qaïda
communiqués par les Algériens aux Américains étaient fictifs. Les noms figurant
sur ces listes étaient pour une large part ceux d'ennemis du régime algérien : pas
nécessairement des « terroristes », mais d'innocents Algériens dont la plupart
n'avaient rien fait de plus que de voter pour un parti religieux, puis de fuir leur
pays pour leur propre sécurité.
Mais surtout, le 11 septembre offrit aux dirigeants algériens une occasion rêvée
de faire du forcing pour obtenir les nouveaux systèmes d'armement qui avaient
été refusés à son armée. C'est avec cette liste d'achats en tête et dans ce contexte
favorable que Bouteflika fit sa seconde visite à Washington en novembre 2001.

5. World Tribune, 16 juillet 2001.

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Il rencontra le Président Bush le 5 novembre. Tout en réaffirmant son soutien à


l'Amérique, il rappela à l'administration américaine que « le peuple algérien avait
dû affronter seul le terrorisme, dans l'indifférence générale »6. Il espérait que les
États-Unis feraient maintenant le rapprochement entre le combat de l'Algérie contre
les militants islamiques et leur propre guerre contre al-Qaïda, et seraient donc plus
disposés à lui fournir l'armement dont son armée avait tant besoin.

En dépit des demandes instantes de Bouteflika, l'armement espéré par l'Algérie


ne venait toujours pas. L'aide militaire américaine à l'Algérie restait largement
symbolique, et ce pour deux raisons. La première était la crainte exprimée par
Washington de critiques des militants des droits de l'homme, ce qui n'était qu'un
euphémisme pour dire que les États-Unis craignaient d'être la cible de nouvelles
attaques des islamistes. La seconde était le déclin du « terrorisme » en Algérie. Dès
2000, le nombre de morts était tombé à quelque 200 par mois en moyenne, une
baisse très nette par rapport aux années 1990. À partir de 2002, l'Algérie parut avoir
encore réduit ce nombre et avoir largement contenu les activités « terroristes » aux
régions les plus reculées du Nord et du Nord-Est du pays. Cela amena des éléments
de l'administration américaine à penser que l'armée algérienne avait pris le dessus
du « terrorisme » et pouvait s'en sortir sans l'équipement militaire américain. En
substance, cela signifiait qu'il fallait que le terrorisme s'aggrave en Algérie pour
qu'elle bénéficie de l'armement américain.
Les États-Unis avaient besoin, eux aussi, d'une recrudescence du terrorisme,
mais pour des raisons bien différentes. À la suite du rapport Cheney, l'admi
nistration Bush considérait le pétrole africain comme un « enjeu stratégique
national » et donc une ressource pour le contrôle de laquelle les États-Unis
pourraient recourir aux forces armées (Volman, 2003). Compte tenu du rôle
prépondérant de la méthode militaire dans la politique étrangère américaine,
il n'est pas surprenant que les États-Unis aient choisi ce mode d'action pour
s'assurer l'accès au pétrole africain et le contrôle de ces ressources. Cependant,
plutôt que de reconnaître que l'intervention militaire américaine en Afrique avait
pour objet le contrôle des ressources, l'administration Bush décida d'utiliser
le prétexte de la GWOT et les moyens idéologiques associés à la GWOT pour
justifier sa militarisation de l'Afrique et s'assurer ainsi l'accès au pétrole7.

6. Algeria Amnesty Newsletter, septembre-octobre 2001, www.amnesty-vokinteer.org/uk/algeria/01Sep.php

7. Le pétrole n'était pas la seule ressource que les États-Unis convoitaient en Afrique.

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Politique étrangère et GWOT dans la reproduction du pouvoir algérien

LA GWOT, LE P20G ET L'INVENTION DU « TERRORISME »


DANS LE SAHARA

Il était toutefois délicat de lancer la GWOT en Afrique, car la majeure partie


de ce continent, en particulier l'Afrique subsaharienne, n'avait guère été affectée
jusqu'alors par les atrocités du terrorisme au sens conventionnel du terme8. Les rares
actes terroristes sur le continent, en dehors de ceux perpétrés contre leur propre
peuple par quelques-uns des régimes les plus répressifs du continent, étaient restés
confinés pour l'essentiel à sa périphérie : le littoral méditerranéen du Maghreb,
l'Afrique de l'Est et à la rigueur la Somalie - tous des lieux fort éloignés des pays
riches en pétrole entourant, en Afrique de l'Ouest, le Golfe de Guinée.

C'est ce besoin partagé de « terrorisme » qui a scellé puis sous-tendu les


singulières relations américano-algériennes de l'après 11 septembre. La façon
dont les deux régimes se sont entendus pour surmonter le problème posé par
l'absence de terrorisme en Afrique, en le créant de toutes pièces, est décrite
ailleurs en détails (Keenan, 2009, 2012). L'acte clé a été la collusion entre des
éléments liés au Groupe d'opérations proactives et préventives (Proactive, Pre
emptive Operations Group, P20G) du ministre américain de la Défense et le
DRS algérien dans l'enlèvement de 32 touristes européens au Sahara algérien
en février-mars 2003 (Keenan, 2012, chapitre 1). Selon l'histoire « officielle »,
les touristes ont été capturés et détenus en otage par des extrémistes islamiques
appartenant au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) sous
la direction d'Abderrazak Lamari (El Para)9. La vérité est que El Para était un
agent du DRS10. Grâce à cet incident suivi d'une série d'autres montés de toutes
pièces en 2003-2004 dans les régions sahéliennes du nord du Mali, du Niger et
du Tchad, l'administration Bush fut en mesure de justifier le lancement du front
saharo-sahélien, qui allait devenir le « second front » de la GWOT en Afrique11.
Les principales structures opérationnelles de ce second front étaient l'Initia
tive Pan-Sahel (Pan Sahel Initiative, PSI) et l'Initiative antiterroriste trans-Sahara
(Trans-Sahara Counter-Terrorism Initiative, TSCTI), lancées respectivement en
janvier 2004 et juin 2005. Avec la TSCTI, Washington réussit à réunir les deux
pays riches en pétrole, l'Algérie et le Nigeria, ainsi que la Mauritanie, le Mali,
le Niger, le Tchad, la Tunisie, le Maroc et le Sénégal, « dans un ensemble de

8. Par terrorisme « conventionnel », j'entends le terrorisme comme usage ou menace d'user de la violence contre des cibles civiles à
des fins politiques,

9. El Para était son nom de guerre, datant de l'époque où il appartenait à un régiment parachutiste d'élite. Son véritable nom
serait Saifi Am[m]ari, bien qu'il ait au moins une douzaine de pseudonymes. Il aurait été entraîné à Fort Bragg comme « béret
vert » en 1994-1996 (Keenan, 2009).
10. Les relations d'EI Para avec le ORS sont documentées par Keenan (2009, 2012).
11. Dans son discours sur l'état de l'Union du 29 janvier 2002, le Président Bush évoqua l'extension de la guerre contre le
terrorisme à de nouveaux fronts. Depuis lors, le terme de « front » et, plus particulièrement, de « second front », est devenu
pratiquement synonyme d'entreprise de mondialisation de la GWOT.

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dispositifs de sécurité dont l'architecture était américaine. » (Ellis, 2004). Un


nouveau discours sur la sécurité en Afrique, sous-tendu par le récit de l'affaire
El Para, mettait l'Afrique en garde contre la menace terroriste rôdant dans des
« espaces ingouvernés » et tirant avantage de la « porosité des frontières ». Bien
que ce discours repose pour une large part sur la fiction et l'imagination, il
suffit à fournir la justification idéologique requise pour la GWOT en Afrique
et pour l'établissement en 2008 par les militaires américains d'un nouveau
commandement unifié pour l'Afrique - FUS Africom12.

L'EXTRACTION DE LA « RENTE DU TERRORISME »

Les bénéfices tirés par le régime algérien de sa duplicité et de sa collusion ont


été substantiels. D'abord et avant tout, devenir l'un des alliés clés - de première
ligne, pourrait-on dire - de la GWOT a permis à l'Algérie de restaurer rapidement
son statut international. La deuxième conséquence a été un réarmement substantiel
des forces armées algériennes, par les Américains mais aussi par d'autres sources.
En troisième lieu, depuis le 11 septembre et l'ouverture du front saharien de la
GWOT, le soutien des États-Unis et d'autres puissances occidentales a permis au
régime algérien d'intensifier la répression intérieure, et l'a même incité à le faire.
Cela s'est vérifié pour tous les autres États impliqués dans la TSCTI, sans exception.
Comme l'a écrit Yasmine Ryan dans son analyse des relations entre la GWOT et le
« printemps arabe », « tous les dirigeants d'Afrique du Nord ont été complices de
l'Occident, agissant comme ses tortionnaires, achetant ses armes et patrouillant la
Méditerranée pour endiguer les vagues de jeunes prêts à tout pour fuir leur pays.
Tous ont participé au douteux « programme de restitution extraordinaire » de la
CIA... » (Ryan, 2011).
Travaillant à cette époque dans le Sud de l'Algérie, j'ai moi-même pu constater
que les populations locales, touareg en particulier, notaient que les autorités
algériennes avaient gagné en assurance dans leur pratique de l'abus de pouvoir,
après l'ouverture du front saharien de la GWOT et le soutien manifeste des
États-Unis aux services de sécurité algériens. Un dignitaire local exprima ce
que beaucoup pensaient en disant : « Depuis qu'ils [les autorités algériennes et
leurs mukhabarat (État sécuritaire)] ont les Américains derrière eux, ils sont
devenus encore plus tyranniques ». Ainsi, la corruption, marquée notamment
par le détournement de fonds des collectivités locales, devint plus éhontée ;
la répression, dirigée en particulier contre les éléments de la société civile
s'inquiétant des droits de l'homme et de la démocratie, ainsi que le harcèlement
des porte-parole potentiels de l'opposition, se généralisèrent ; dans le même

12. Le Président Bush a autorisé l'Africom en décembre 2006. Il a été instauré officiellement le 1er octobre 2008. Aucun État
africain ne souhaitant en être le siège, le QG de l'Africom est resté à Stuttgart.

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temps, la police secrète devenait plus omniprésente ou, pour reprendre une
expression familière, « plus soviétique », plus visible, agissant de plus en plus au
grand jour et respectant encore moins les procédures judiciaires.

L'Algérie, comme tous les autres régimes de la région, n'a pas seulement
pris la GWOT comme prétexte pour sévir contre presque toutes les formes
d'opposition, mais en a aussi profité pour soutirer ce que j'ai appelé la « rente
du terrorisme », sous forme de largesses militaires et financières des États-Unis
(Keenan, 2012, chapitre 3). Dans les parties de la région où l'islamisme était
marginal et où il n'y avait pas de terrorisme au sens conventionnel du terme, les
gouvernements ont dû faire preuve d'un peu plus d'ingéniosité pour générer
cette rente. Leur ingéniosité a consisté à inciter des éléments de l'opposition
d'une mouvance ou d'une autre à des manifestations de mécontentement
social ou même à prendre les armes. Les sémanticiens de Washington ont
ainsi pu transformer « trafiquants », « rebelles », « bandits » et « criminels »
en « terroristes présumés » et qualifier la région de « zone ingouvernée, ...le
type d'endroit où peuvent se cacher des terroristes » - bref, instituer la « zone
terroriste » qui figure désormais de façon indélébile sur les cartes militaires
américaines de l'Afrique. En Algérie, ces pratiques sont bien connues de certaines
populations. En effet, ce type de provocation est largement utilisé par le DRS
pour justifier l'intensification de la répression et du contrôle qu'il exerce.

Un exemple est celui des émeutes de Tamanrasset du 10 juillet 2005, au


cours desquelles une quarantaine de commerces et de bâtiments publics ont
été incendiés, ce qui a conduit à l'arrestation de quelque 150 jeunes Touareg
(Keenan, 2012, chapitres 3-4). Le lancement de la GWOT au Sahara algérien en
2003 a généré dans le Sud une situation de plus en plus paradoxale. Alors que
d'un côté, l'Algérie indépendante avait toujours craint des troubles touareg dans
l'extrême sud du pays, sa stratégie initiale à la suite du lancement de la GWOT
au Sahara fut d'inciter la population targui à ces mêmes troubles sociaux, et
peut-être même à la rébellion ouverte qu'elle craignait auparavant. La logique
était toutefois parfaitement claire : en déstabilisant la région et en y développant
l'insécurité, l'Algérie comptait non seulement aider son allié américain à faire du
Sahara et du Sahel une « zone terroriste », mais aussi légitimer sa militarisation
accrue de l'extrême sud du pays et, ce faisant, accroître sa rente du terrorisme
de source américaine. Le symbole le plus éclatant de cette rente du terrorisme a
été à cette époque la construction de la nouvelle base militaire de Tamanrasset
par une filiale du groupe américain Halliburton.
On estime à 150 le nombre de jeunes, presque tous Touareg, qui ont été
immédiatement arrêtés. Furieux, les habitants de la ville, en particulier les
Touareg, ont exigé la libération des jeunes, soulignant qu'ils avaient été incités
aux émeutes par la police. La cour, qui se réunit à huis clos sous protection
renforcée, répondit en infligeant des peines de prison à 64 jeunes, les autres

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ayant à acquitter des amendes de 60 euros en moyenne. Cependant, les preuves


furent finalement apportées au tribunal que les émeutes avaient été suscitées
et orchestrées par des agents provocateurs de la police. La cour n'eut d'autre
choix que de libérer immédiatement les 64 jeunes emprisonnés. Néanmoins,
le parfait timing des émeutes, coïncidant avec le lancement par Washington
de sa TSCTI, servit au moins l'objectif des Américains en leur fournissant une
« preuve » supplémentaire que le Sahara regorgeait de « terroristes présumés ».

L'INTRODUCTION D'AL-QAÏDA EN AFRIQUE DU NORD-OUEST

2006 a été une année décisive dans l'utilisation par le régime algérien des
interactions de plus en plus complexes entre la GWOT et sa politique extérieure
pour faire avancer ses vues hégémoniques sur le Sahel, et a contribué à ranimer
les intérêts américains, en perte de vitesse dans la région.

Le réseau extrêmement complexe d'intérêts et de forces en jeu dans la région


autour de 2006 et jusqu'en 2007 a été analysé par ailleurs en détail (Keenan,
2012) et ne peut être que résumé ici.

Un sujet de préoccupation majeur pour Alger au début de l'année 2006 résidait


dans les agissements de Mouammar Kadhafi au Nord-Est du Mali, que l'Algérie
considérait comme relevant de sa sphère d'influence immédiate. À la même époque,
des preuves se faisaient jour que le DRS envoyait de petits groupes de repentis
dans la région, probablement, comme on allait le voir plus tard, en prélude aux
encouragements donnés au terrorisme du GSPC dans le Sahel.

En 2006, il était clair pour les États-Unis que la GWOT au Sahara et au Sahel
n'avait pas gagné le terrain escompté. En dehors de quelques cas de provocation
et de « terrorisme d'État » tels que ceux évoqués plus haut, la région ne se
montrait pas à la hauteur de sa désignation par les États-Unis comme « zone
terroriste ». Il aurait été normal de s'en réjouir, mais les militaires américains
avaient besoin de manifestations concrètes de terrorisme dans la région pour
justifier l'Africom.

De plus, en 2006, les relations américano-algériennes s'étaient temporaire


ment rafraîchies. Cela tenait à une série de facteurs au premier rang desquels
figuraient notamment : la révélation d'une affaire de corruption entre la filiale
d'Halliburton, Brown and Root Condor (BRC), et ses partenaires publics algé
riens ; l'indépendance financière accrue de l'Algérie du fait de l'augmentation
des prix du pétrole et de la hausse de son excédent de change ; la diversification
de l'Algérie, qui se tournait vers la Russie et vers d'autres fournisseurs pour ses
achats de matériel militaire.

Cependant, les relations américano-algériennes n'allaient pas s'effondrer


pour si peu. Elles reposaient, après tout, sur un crime majeur : l'invention

40 Nc 210 • avril-juin 2012 • Revue Tiers Monde

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du terrorisme. De plus, l'Algérie tenait Washington à sa merci : si elle avouait


sa collusion avec les États-Unis dans l'affaire El Para, les dommages pour les
États-Unis seraient incalculables.

C'est dans ce contexte qu'en 2006, les États-Unis et l'Algérie s'associèrent dans
une série d'impostures des plus complexes (Keenan, 2012, chapitre 5). Le lieu
géographique choisi était la région de Kidal, au nord du Mali, où les relations
entre les Touareg et le gouvernement du Mali s'étaient une fois de plus détériorées.
Kadhafi voyait dans la grogne des Touareg une nouvelle occasion d'étendre l'influence
libyenne au Mali. Il promit donc une aide financière massive à la région de Kidal et
ouvrit en janvier un consulat à Kidal. La tension s'accrut encore dans la région à
la suite d'un discours qu'il tint à Tombouctou en appelant à un « Grand Sahara »
(sous-entendu « Touareg ») et de l'assassinat présumé, quelques jours plus tard,
d'un militaire targui de haut rang.

Algériens et Américains étaient parfaitement au courant de la situation


et y virent l'occasion d'atteindre au moins deux objectifs. L'Algérie pouvait
discréditer la Libye et l'évincer de la région, cependant que Washington pouvait
relancer sa GWOT.

L'humeur rebelle des Touareg du Mali leur en offrit l'occasion. Le DRS fut
d'accord pour soutenir la rébellion des Touareg en échange de leur aide dans
la GWOT. L'accord fut conclu en ces termes : « Nous [Algérie] sommes prêts
à vous aider à obtenir ce que vous souhaitez, mais à condition que vous nous
aidiez à combattre le GSPC dans le Sahara malien ».

Le 23 mai, des rebelles touareg, soutenus par le DRS algérien et par un


contingent des Lorces spéciales américaines amené clandestinement par avion
en février de Stuttgart à la base aérienne de Tamanrasset, attaquèrent les garnisons
de Kidal et de Ménaka. Dès le lendemain, les deux villes étaient à nouveau sous
contrôle gouvernemental.
Les Algériens veillèrent à ce que Kadhafi soit blâmé pour la rébellion et à
ce que son consulat à Kidal soit fermé. L'Algérie se chargea de cantonner les
rebelles aux montagnes de Tigharghar, entre Kidal et la frontière algérienne, et
de mener en leur nom des pourparlers de paix avec le gouvernement malien.
Une partie des Porces spéciales américaines resta dans la région.

L'Algérie atteignit donc son objectif régional immédiat, qui était de discréditer
Kadhafi et de l'évincer de la région. Lorsque le calme fut revenu, ce fut au tour
des Touareg de remplir leur part du contrat. En septembre, les Algériens
s'associèrent aux Américains pour instruire et payer un groupe de combattants
rebelles touareg afin qu'ils attaquent de présumés terroristes du GSPC. La
première attaque contre un groupe de terroristes présumés intervint huit jours
après que le GSPC eut changé son nom en Al-Qaïda au Maghreb islamique
(AQMI) dans une tentative de l'internationaliser. Une seconde attaque eut lieu

N° 210 • avril-juin 2012 • Revue Tiers Monde

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le 23 octobre, en un lieu au nord de Tombouctou dont les Algériens avaient


indiqué les coordonnées aux Touareg.
Les médias du monde entier donnèrent un écho considérable à ces incidents,
les Américains proclamant que les Touareg s'étaient lancés, contre AQMI, dans « la
guerre mondiale au terrorisme ». Un porte-parole des Touareg déclara à l'agence
Reuters : « Notre Alliance démocratique prend en charge la sécurité dans la région,
et nous chassons ceux qui ne sont pas d'ici, c'est la position que nous avons adoptée
pour contrôler la zone ». C'est cette déclaration saluée par les Américains que
Washington souhaitait que le monde entende : sa GWOT, grâce à l'opération du
DRS, était maintenant fermement implantée au Sahara, et les tribus touareg, comme
les appelaient les Américains, étaient du bon côté.

De même qu'en 2002-2003, la collusion américano-algérienne dans l'invention


du terrorisme avait permis le lancement de la GWOT dans toute la région, une
conspiration américano-algérienne similaire permit en 2006 de relancer le terrorisme
au Sahara-Sahel et de donner au GSPC le label international d'al-Qaïda.

Pour le régime algérien, cette opération complexe eut l'avantage de confirmer


et de consolider ses relations avec les États-Unis et de lui permettre, en tant
que mandataire des États-Unis, de faire avancer ses visées hégémoniques au
Sahel. Le remplacement du sigle GSPC par AQMI justifia non seulement une
militarisation accrue de l'extrême sud de l'Algérie, mais aussi l'extension et
l'intensification des mesures de sécurité au nord du pays. Le régime sut profiter
de ce changement de nom pour justifier le renforcement de ses mesures de
« sécurité » intérieure, au motif que le pays n'était plus seulement confronté au
terrorisme local, mais à la menace désormais internationale d'al-Qaïda.

Cependant, suite aux rébellions touareg qui se prolongèrent tant au Niger


qu'au Mali, ce n'est qu'en 2008 que le DRS algérien, usant de l'infiltration de
ses agents à la direction d'AQMI au Sahara-Sahel, put orchestrer les activités
terroristes d'AQMI au Sahel et entreprendre d'y saper l'influence française,
qui constituait un obstacle majeur aux visées hégémoniques de l'Algérie, et
s'affirmer comme la puissance militaire dominante dans la région13.

DISSIMULER LES PREUVES DES LIENS DU RÉGIME ALGÉRIEN


AVEC LE « TERRORISME »

Les activités d'AQMI orchestrées par le DRS ont eu des conséquences à la fois
souhaitées et non souhaitées pour les relations extérieures de l'Algérie. Celles

13. Après une pause de cinq ans depuis l'enlèvement des 32 touristes européens par El Para en 2003,35 autres Occidentaux
(dont un Togolais et un Malgache) ont été retenus en otage au Sahara-Sahel entre février 2008 et décembre 2011 ; cinq d'entre
eux ont été tués.

42 N° 210 • avril-juin 2012 • Revue Tiers Monde

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que je commenterai concernent spécifiquement les États-Unis, le Royaume-Uni,


l'Union européenne, les Nations unies, les voisins sahéliens de l'Algérie et la
France.

Les relations clés du régime algérien durant toute cette période étaient celles
qu'il entretenait avec les États-Unis, qui devinrent le fervent partisan et supporter
d'un régime répressif et intransigeant.

Le soutien du Royaume-Uni remonte à la« sale guerre »des années 1990.En 1998,
trois ministres siégeant au cabinet14 ont signé des certificats d'immunité au nom
de l'intérêt public pour empêcher que des documents émanant de la Commission
mixte du renseignement (Foreign Office-Whitehall) ne soient présentés devant des
tribunaux. Ces documents, selon lesquels les services de renseignement britanniques
pensaient que le gouvernement algérien était impliqué dans des atrocités [contre
des civils innocents], contredisaient le point de vue officiel du Foreign Office selon
lequel « aucune preuve substantielle crédible ne confirmait les allégations mettant
en cause les forces gouvernementales algériennes dans des atrocités ».

Le soutien de la Grande-Bretagne au régime algérien fut réactivé par le


meurtre, en mai 2009, d'un otage britannique, Edwin Dyer, par un membre
d'AQMI, l'émir Abdelhamid abou Zaïd. Bon nombre de questions sans réponse
entourent la mort de Dyer, et notamment celle de savoir s'il a été sacrifié par les
autorités du Royaume-Uni pour des motifs d'ordre politique et commercial. Le
Foreign Office et les services du renseignement étaient parfaitement conscients
des relations entre Abou Zaïd et le DRS : Abou Zaïd avait notamment été le
second d'El Para dans la prise d'otages de 2003. En témoigne la réponse d'un
officiel du Foreign Office à une note sur les relations d'Abou Zaïd avec El Para et
le DRS : « Notre politique est fondée sur un mythe. Il s'est agi de créer un mythe
[celui d'El Para] et de l'entretenir. » (Keenan, 2012, chapitre 11). À l'époque du
meurtre de Dyer, le gouvernement du Royaume-Uni était fortement engagé dans
des négociations pour un contrat de vente d'armes à l'Algérie et ne souhaitait
pas affronter l'Algérie sur la question des relations entre Abou Zaïd et le DRS.
Qui plus est, comme les Américains, le Royaume-Uni était désireux d'établir
la crédibilité d'AQMI en tant que menace terroriste sérieuse, pour justifier
son implication, possiblement aux dépens des Français, dans les opérations
antiterroristes en Afrique de l'Ouest.

L'exécution de Dyer justifiait le renforcement des relations avec l'Algérie


et la décision de jouer un rôle plus central dans la lutte antiterroriste dans la
région. Patrick Tobin, le conseiller antiterroriste régional du Foreign Office, fut
envoyé à Tombouctou fin mars 2009, puis à Alger, où il a depuis travaillé en
étroite collaboration avec le DRS, sous la direction du général de division Robin

14. Jack Straw, Geoffrey Hoon et Robin Cook (décédé depuis).

N° 210 • avril-juin 2012 • Revue Tiers Monde 43

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Searby. Searby, précédemment impliqué dans des opérations douteuses tant à


Oman qu'en Libye, est le conseiller du Premier ministre britannique pour la lutte
antiterroriste en Afrique du Nord. Après la mort de Dyer, le gouvernement du
Royaume-Uni s'est empressé de mettre en place avec l'Algérie une commission
mixte antiterroriste dont la première réunion s'est tenue en mars 2010.
Le 11 novembre 2010, Alistair Burt, sous-secrétaire d'État au Foreign Office
chargé de la lutte antiterroriste, du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, a
rencontré le gouvernement algérien à Alger. Il a décrit l'Algérie comme un
« partenaire clé », indiquant que « Londres [était] prêt à fournir à Alger le
matériel militaire nécessaire à sa guerre contre le terrorisme ». Le fait que
d'autres pays de la région aient exprimé (comme on le verra plus loin) des
inquiétudes sur le « terrorisme d'État » de l'Algérie et ses liens avec AQMI
semble avoir échappé aux Britanniques.
Deux semaines plus tard, la commission bilatérale antiterroriste s'est réunie
pour la première fois au grand complet à Londres. Les officiels britanniques n'ont
pas tari d'éloges sur les performances de l'Algérie dans la lutte antiterroriste,
Searby la décrivant comme « ayant une longue expérience, étant très efficace
et constituant un modèle pour les pays de la région ». La Grande-Bretagne ne
fit pas mystère de son intention, non seulement, de coopérer de plus en plus
étroitement avec le DRS algérien, mais aussi de lui fournir du matériel, des
renseignements, des formations et diverses autres formes de soutien.
L'implication du Royaume-Uni dans les affaires algériennes tomba à nouveau
sous les feux des projecteurs lorsque transpira l'information selon laquelle
le Général Searby avait rencontré à Nouakchott le Président mauritanien,
Mohamed Ould Abdel Aziz, soi-disant pour discuter de coopération bilatérale
dans la lutte contre le terrorisme, à la veille de l'intervention militaire désastreuse
de la France au Mali, le 22 juillet 2010, un piège qui aurait été monté par le DRS
algérien. La question est de savoir si le Général Searby était dans le secret de la
désinformation par le DRS et donc complice de ce piège.
La crédibilité d'AQMI au Sahara-Sahel en tant que menace majeure pour
la sécurité a été considérablement renforcée, à la suite de l'exécution de Dyer,
par les commentaires de Richard Barrett, chef de l'Équipe de surveillance des
activités d'al-Qaïda et des Taliban pour les Nations unies, dont le rôle principal
est de conseiller le Conseil de sécurité des Nations unies sur la menace que
constituent al-Qaïda, les Taliban et les groupes associés ou affiliés. Barrett déclara
que si les attaques d'al-Qaïda et de ses groupes opérationnels étaient en recul
dans de nombreuses parties du monde, la situation empirait en Afrique du Nord.
Barrett faisait implicitement référence aux activités d'AQMI au Sahel15. Ce qu'il

15. Barrett s'exprima pour la première fois en ce sens le 29 septembre 2009, lors d'une conférence au Washing
ton Institute for Near East Policy sur le thème : « Al-Qaïda and Taliban Status Check: A Resurgent Threat? »,

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y avait d'extraordinaire dans ces dires et dans d'autres déclarations de Barrett


sur AQMI est qu'il faisait totalement abstraction de toutes les preuves pointant
les liens entre les activités d'AQMI au Sahel et le DRS algérien, ainsi qu'entre
le DRS et les services secrets occidentaux, américains notamment. Or étant le
plus ancien expert et le porte-parole des Nations unies sur le terrorisme lié à
al-Qaïda, Barrett était forcément informé de ces liens. Il faut donc se demander
si le « silence » de Barrett sur ces liens cruciaux a quelque chose à voir avec le fait
qu'avant de prendre ses fonctions aux Nations unies en 2004, il a travaillé pour
le Service de sécurité du gouvernement britannique et pour le Foreign Office,
et a été le chef de la branche Antiterrorisme des services secrets britanniques
(Secret Intelligence Service, SIS).
Un silence similaire sur l'implication du DRS dans le terrorisme en Afrique du
Nord, particulièrement au Sahara-Sahel, est observé par l'Union européenne. Aux
déclarations de Barrett font écho, presque simultanément, les inquiétudes exprimées
par l'UE. Lors de la réunion de son Conseil Relations extérieures le 27 octobre 2009
à Luxembourg, le Conseil « exprime ses inquiétudes sur la situation en matière de
sécurité dans certaines parties de la région du Sahel, en particulier en Mauritanie,
au Mali et au Niger [...]. Les événements récents donnent à penser que la région
risque de devenir un refuge pour les réseaux et activités terroristes, ce qui constitue
une menace sérieuse avant tout pour la région du Sahel et sa population, mais
aussi pour d'autres régions, y compris l'Europe »16. Un an plus tard, le Conseil
aura placé le Sahel en haut de ses priorités17, soulignant que « le développement
des menaces transfrontalières comme le terrorisme et le crime organisé, couplé à
l'extrême pauvreté, à des conflits internes non résolus ainsi qu'à la faiblesse et à
la fragilité des États concernés, constituent un défi croissant pour la stabilité de la
région et pour l'Union européenne ». En conséquence, la Commission européenne
(2010) commanda un rapport d'expert sur l'Islam politique au Sahel et dans les
pays voisins, incluant bien sûr l'Algérie. Cependant, la majeure partie du rapport,
une annexe de plus de 16 500 mots, fut entièrement censurée par la Commission
européenne, de même que toutes les autres références aux liens entre le DRS et
AQMI, et entre le DRS et les services de renseignement occidentaux.

LES DIVERGENCES DES VOISINS DE L'ALGÉRIE

Si les puissances occidentales étaient toutes prêtes à se laisser abuser à la fois


par le package idéologique de la GWOT et par le mythe d'El Para monté par

http://www.teachingterror.net/resources/AQ%20Status%20check.pdf. La presse internationale s'en fit largement l'écho en


novembre.

16. 2971e réunion du Conseil des Relations extérieures du Conseil de l'Europe à Luxemloourg le 27 octobre 2009.

17. Réunion du Conseil des Relations extérieures du Conseil de l'Europe à Luxembourg le 25 octobre 2010.

N° 210 • avril-juin 2012 • Revue Tiers Monde 45

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l'Algérie, les voisins sahéliens de l'Algérie, peut-être plus familiers de la duplicité


algérienne, ne succombèrent pas aussi facilement. Quelques semaines après
l'exécution de Dyer dans le désert malien, l'officier de renseignement malien
Lemana Ould Sheikh déclara publiquement : « Le DRS est au cœur d'AQMI. »
Il fut abattu quelques jours plus tard à son domicile à Tombouctou. Quatre mois
plus tard, en novembre 2009, le Président du Mali, Amadou Toumani Touré
(ATT), fit part de ses inquiétudes sur le DRS algérien au Général « Kip » Ward,
Commandant de l'Africom. ATT dit au Général Ward que les services secrets
algériens [le DRS] et l'armée algérienne ne jouaient pas le jeu de la coopération18.
La Mauritanie alla plus loin, accusant l'Algérie en octobre 2010 d'être le porte
parole d'AQMI19. Puis en septembre 2011, le ministre des Affaires étrangères du
Niger, Mohamed Bazoum, dénonça la mascarade du contre-terrorisme algérien
en déclarant aux médias que le QG militaire conjoint établi à Tamanrasset
en avril 2010 par l'Algérie, le Niger, le Mali et la Mauritanie pour contrer le
terrorisme et la criminalité au Sahel, dont la mise en place avait été annoncée à
grand bruit par l'Algérie et ses alliés occidentaux, avait été totalement inefficace.
« Jusqu'ici », dit-il, « on ne l'a pas vu conduire une seule opération concrète »
(Ouali, Schemm, 2011).

LA FRANCE PIÉGÉE ?

Les relations franco-algériennes sont profondément complexes et vont bien


au-delà du champ de cet article. Elles ont toutefois été particulièrement difficiles
pendant la plus grande partie du mandat de Sarkozy. Une raison à cela a été
la détérioration de la qualité des services de renseignement français dans la
région. Si cela est imputable en partie à la mort du Général algérien Smaïn
Lamari (commandant en second du DRS) en août 2007, cela tient aussi aux
problèmes de Sarkozy avec ses propres fonctionnaires, en particulier à la suite de
son discours mal inspiré de Dakar, tenu comme par une ironie du sort un mois
avant la mort de Lamari. Des éléments substantiels donnent à penser que le DRS
a profité de cette détérioration des services secrets français en Afrique du Nord
pour affaiblir la position et l'influence de la France au Sahel. Ainsi, les deux
Français Pierre Camatte et Michel Germaneau ont été enlevés par des proches
d'un ancien « associé » du DRS avant d'être remis à Abou Zaïd, et il est fortement
suspecté que le désastreux raid franco-mauritanien du 22 juillet 2010 au Mali
ait été la conséquence de la désinformation pratiquée par le DRS. Des questions

18. Câble Wikileaks, 1er décembre 2009. Sujet : rencontre de l'Ambassadeur et du Général Ward avec le Président malien
Amadou Toumani Touré.

19. Cette accusation a été formulée par le ministre de la Santé de Mauritanie, Cheikh El Moctar Ould Horma, et rapportée aux
médias mauritaniens.

46 N° 210 • avril-juin 2012 • Revue Tiers Monde

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similaires entourent l'enlèvement par AQMI de sept salariés d'Areva-Vinci à


Arlit en septembre 2010.

CONTRADICTIONS INHÉRENTES À UNE POLITIQUE ÉTRANGÈRE


FONDÉE SUR LES ALLIANCES DE LA GWOT

La politique étrangère de l'Algérie durant l'ère Bouteflika n'a pas été fondée
exclusivement sur la GWOT. D'autres considérations importantes sont entrées
en ligne de compte, comme les relations de l'Algérie avec la Russie, la Chine
et divers États du Moyen-Orient et du Golfe, les questions de pétrole et de
gaz occupant toujours une place prééminente. Cependant, l'engagement de
l'Algérie dans la GWOT, d'abord avec les États-Unis puis de plus en plus avec le
Royaume-Uni et les États de l'Union européenne, a été dominant. Le fait d'avoir
été un allié clé de Washington dans la GWOT a certainement amélioré le statut
international de l'Algérie et affermi la position du régime tant à l'extérieur qu'à
l'intérieur. Surtout, cela a renforcé les services de sécurité, favorisant ainsi une
répression accrue à l'encontre des mouvements légitimes d'opposition intérieure
au régime.

Cet aspect des relations extérieures de l'Algérie a donc sans doute affermi le
régime sur ces deux plans ; mais il est pratiquement certain qu'il a aussi semé les
graines de sa destruction. En effet, cette politique a comporté une contradiction
fondamentale dans la mesure où la GWOT et la répression qui l'a accompagnée
ont exacerbé dans presque tous les États arabes les problèmes qui ont conduit
au « printemps arabe ».
En Algérie cependant, on pourrait arguer que c'est la répression accrue et
hautement sophistiquée du DRS qui a permis au régime de résister, au moins
jusqu'ici, devenant ce que de nombreux journalistes ont appelé « le prochain
domino ». C'est peut-être vrai pour le moment, mais une autre contradiction
plus problématique est aujourd'hui à l'œuvre, en relation avec la Libye.
En dépit de ses constantes dénégations, le régime algérien a apporté au
régime de Kadhafi tout au long de la rébellion libyenne un soutien clandestin
permanent, principalement parce que les dirigeants algériens craignaient que
si le régime de Kadhafi tombait aussi rapidement que l'OTAN l'avait envisagé
au départ, l'Algérie pourrait bien être « le prochain domino ». La prolongation
de quelque six mois du régime libyen permit finalement au régime algérien de
conforter sa propre position de deux façons. Premièrement, il bénéficia d'un
soutien populaire considérable en dénonçant publiquement l'opération de l'OTAN
comme une agression « colonialiste ». En second lieu, il émit des mises en garde
quasi quotidiennes dans les médias, indiquant que le chaos et les morts en Libye,
rappelant les horreurs des années 1990 en Algérie, étaient ce qui se produirait en

N° 210 • avril-juin 2012 • Revue Tiers Monde 47

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Algérie si le peuple choisissait de suivre la voie libyenne. Le régime put donc tourner
la rébellion libyenne au moins partiellement à son avantage, et continuera à le faire
tant que le Conseil national de transition (CNT) luttera pour s'imposer.

Cependant, le soutien du régime à Kadhafi pourrait bien avoir un prix. La


rébellion libyenne a mis en évidence la position foncièrement contradictoire du
Royaume-Uni, des États-Unis et d'autres États de l'OTAN en Afrique du Nord.
Cette contradiction est que si ces États, tout particulièrement les États-Unis et le
Royaume-Uni, ont oeuvré pour un changement de régime en Libye, ils ont aussi
soutenu le régime algérien qui, de son côté, est allé à l'encontre des objectifs de
l'OTAN en Libye !

Cette situation a fortement irrité l'Occident. À telle enseigne que les 2-3 mai
2011, le ministre algérien des Affaires étrangères, Mourad Medelci, a été rappelé
à l'ordre par Washington. Les réprimandes de Washington ont toutefois été
ignorées, ce qui s'est traduit le 18 mai par une visite à Alger de l'Émir du Qatar, le
Sheikh Hamad bin Khalifa Al Thani, qui est à la fois un proche ami du président
algérien Bouteflika et un partenaire de l'OTAN. La mission du Sheikh était de
tenter de dissuader le régime algérien de fournir à Kadhafi des tanks et des
véhicules blindés.

Pendant ce temps, deux des principaux généraux du DRS, Rachid Laalali,


chef de la Direction des relations extérieures (DRE), et Ahmed Kherfi, chef de la
Direction du contre-espionnage (DCE), se sont secrètement rendus en France
pour rencontrer des représentants de haut niveau du gouvernement français et de
l'armée américaine. Les entretiens avec les officiels français auraient porté sur des
questions économiques et sur la possibilité de remplacer le Président Bouteflika.
Les entretiens avec les Américains portaient sur l'inquiétude de l'OTAN face
au soutien de Kadhafi par l'Algérie, et débouchèrent sur un accord qui fut
annoncé lors d'une visite très médiatisée du Général Carter Ham, commandant
de l'Africom, à Alger le 31 mai et le 1er juin 2011.
L'accord conclu entre le DRS et les États-Unis était à la fois une réaffirmation
de l'importance stratégique de l'Algérie pour les États-Unis, et un rappel aux
deux parties qu'il y avait eu trop « d'histoire récente » liée à leurs activités
conjointes dans la GWOT au cours des dix années précédentes pour qu'ils se
brouillent. L'accord prévoyait en substance que :
- 1. L'Algérie cesserait de soutenir Kadhafi. En contrepartie, les États-Unis
sauveraient l'Algérie d'une humiliation internationale en confirmant publi
quement qu'aucune preuve n'avait été trouvée justifiant les allégations d'un
soutien algérien à Kadhafi. L'Algérie aurait tout soutien pour rejeter le blâme

N° 210 • avril-juin 2012 • Revue Tiers Monde

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de cette « propagande » et de ces « rumeurs fallacieuses » sur son ennemi


intime, le Maroc, et sur des mouvements d'opposition tels que Rachad20.
- 2. L'Algérie renoncerait en outre à ses tentatives de lier les rebelles libyens à
al-Qaïda et à l'extrémisme islamique.
- 3. En échange, les États-Unis appuieraient l'alarmisme de l'Algérie quant à la
menace représentée par AQMI pour l'Algérie et l'Europe, ainsi que les déclara
tions souvent hystériques et invérifiées de l'Algérie sur la circulation d'armes
de la Libye à destination d'AQMI. En bref, les États-Unis continueraient à se
faire l'écho des rumeurs alarmantes propagées par l'Algérie sur la présence
d'al-Qaïda dans la moitié occidentale du Sahel tant que l'Algérie garderait ses
distances vis-à-vis de la Libye, tant militairement que « verbalement ».
Il est fort douteux que l'Algérie s'en soit tenue à sa part du marché. Elle a
continué à apporter son soutien au régime de Kadhafi, puis a fourni un refuge
à au moins 30 membres de sa famille. Les agissements de l'Algérie vis-à-vis
de la Libye ont réellement irrité l'Occident, qui pourrait bien finir par perdre
patience avec le régime algérien. Après avoir toléré la dissension interne entre
le Président Bouteflika et le Général Mohamed Mediène, chef du DRS, depuis
fin 2009, l'Occident est aujourd'hui de plus en plus agacé par le manquement
persistant du Président Bouteflika à mettre en place une quelconque réforme
sérieuse qui permettrait de prévenir un soulèvement populaire.
Alors que l'Occident reste fort occupé à essayer de faire en sorte que son
intervention en Libye porte ses fruits, et semble avoir de bonnes chances de
s'assurer un accès plus sûr au pétrole libyen, il est non seulement probable que
l'intérêt et le soutien de l'Occident se reporteront de l'Algérie sur la Libye, mais il
est également concevable que, si le régime algérien persiste dans la voie actuelle,
l'Occident lâche complètement l'Algérie.
Si l'Occident devait jeter le régime algérien à la dérive, il est peu probable qu'il
serait capable de résister longtemps à son propre « printemps arabe ». Et, s'il le
faisait, il retrouverait rapidement son statut de paria des années 1990. Comme
l'indiquait récemment Sergei Balmasov (2011) dans le journal russe la Pravda,
« l'Occident n'a pas un grand effort à faire pour déclencher une révolution en
Algérie. Il suffit de donner au pays une poussée dans la bonne direction ».

20. http://www.rachad.org/

N° 210 • avril-juin 2012 • Revue Tiers Monde 49

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Jeremy H. Keenan

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