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L'EMPIRE

DU SULTAN
LE MONDE OTTOMAN
DANS L'ART DE LA RENAISSANCE

ROBERT BORN MICHAl. DZIEWULSKI GUIDO MESSLING

Avec des contributions de


RAPHAEL BEUING
WENCKE DEITERS
FRANCESCA DEL TORRE
PAUL DUJARDIN
SABINE ENGEL
SURAIYA FAROQHI
PAUL HUVENNE
DARIUSZ KOf.ODZIEJCZYK
STEFAN KRAUSE
BEATRIX KRILLER·ERDRICH
DOROTA MALARCZYK
EMESE PÂSZTOR
MATTHIAS PFAFFENBICHLER
MIKAEL B0GH RASMUSSEN
GÜNSEL RENDA
ALBERTO SAVIELLO
KATJA SCHMITZ·VON LEDEBUR
DANIELA SOGLIANI
DORIEN TAMIS
KATHARINA VAN CAUTEREN
HEINZ WINTER
ÂGNES ZIEGLER

Directeur artistique
PAUL DUJARDIN

BO
ZAR
BOOKS Jb 1
LANNOO
6 Avant-propos 16 Introduction

13 « En savoir un peu » est dangereux


ELIF SHAFAK

Essais Études

23 LA PORTE OTTOMANE, 47 LA PRÉSENCE OTTOMANE


LA POLOGNE ET L'EUROPE À VENISE
CENTRALE DU xve SIÈCLE SABINE ENGEL
AU DÉBUT DU XVIIe
DARIUSZ KOlODZIEJCZYK 53 UN REGARD VENU DU NORD :
ALBRECHT DÜRER
29 LES ÉCHANGES CULTURELS ET LES OTTOMANS
ENTRE LE MONDE OTTOMAN GUIDO MESSLING
ET L'EUROPE LATINE
SURAIYA FAROOHI 57 ARTISî'ES EUROPÉENS
DE LA RENAISSANCE
37 LES PORTRAITS DE SULTANS À CONSTANTINOPLE
OTTOMANS ET L'EUROPE MIKAEL B0GH RASMUSSEN
DE LA RENAISSANCE
GÜNSEL RENDA 65 LIVRES DE COSTUMES
ET ALBUMS DE SOUVENIRS.
TRANSFERT D'IMAGES
ET D'INFORMATIONS ENTRE
L'ORIENT ET L'OCCIDENT
ROBERT BORN

69 INFLUENCES DE
L'ORIENT OTTOMAN SUR
LA CULTURE COURTOISE
EUROPÉENNE
ROBERT BORN ET MICHAl DZIEWULSKI

75 LES DEUX CÔTÉS DU PALAIS


PAUL DUJARDIN

Catalogue

81 UN MONDE QUI CHANGE


115 CONFRONTATIONS VISUELLES
129 VERS L'ORIENT: DIPLOMATES, VOYAGEURS, PRISONNIERS
157 VOYAGES D'ARTISTES
171 PEINDRE LE SULTAN
207 L'A1TRAIT DE L'ORIENT
259 LES OTTOMANS DANS 1A CULTURE COURTOISE

280 Bibliographie
La diversité culturelle est l'un des principaux atouts dont nous disposons en Depuis la fondation de la République turque, la Belgique entretient des rela-
Europe. Elle fait partie intégrante de notre identité et offre une occasion unique tions diplomatiques fortes avec la Turquie. Dès 1838, notre - jeune - pays était
d'instaurer une compréhension mutuelle, de se rapprocher, de bâtir des com- déjà représenté auprès du sultan ottoman à Istanbul. Très rapidement, des trai-
munautés. En tant que commissaire européen pour l'Éducation, la Culture, la tés commerciaux furent conclus et, après la Seconde Guerre mondiale, les liens
Jeunesse et le Sport, mais également à titre personnel, je suis déterminé à protéger sont devenus encore plus étroits, notamment parce que la Turquie était devenue
et à promouvoir cette diversité culturelle. membre de l'Otan. Par ailleurs, notre pays a toujours soutenu le rapprochement
Des projets tels que l'exposition !;Empire du Sultan. Le monde ottoman dans l'art entre la Turquie et l'Union européenne.
de la Renaissance sont essentiels pour atteindre cet objectif. C'est pourquoi je me En 2014, nous av~ns célébré ensemble le 5oe anniversaire de l'accord de 1964
réjouis que la Commission européenne soit en mesure de soutenir cette impor- qui a ouvert la voie à l'occupation de travailleurs turcs en Belgique. Depuis cinq
tante exposition - que les citoyens pourront visiter à Bruxelles et à Cracovie - décennies, les liens entre les citoyens turcs et belges n'ont fait que s'intensi-
dans le cadre du projet« Ottomans and Europeans. Reflecting on five centuries fier. La communauté belgo-turque, qui compte quelque 220 ooo personnes, est
of cultural relations », cofinancé par le programme Culture de l'Union. fort diverse. J'ai pu m'en rendre compte lors de la commémoration au Concert
Nos économies et nos sociétés traversent des temps difficiles, ce qui consti- Noble, le 21 janvier 2014, du 5oe anniversaire de l'arrivée des travailleurs turcs en
tue un terreau fertile pour la division, la méfiance ou même l'hostilité envers Belgique. Plus de 200 associations de la société civile y étaient représentées. Des
«l'autre». Nous devons tous - responsables politiques, membres du secteur cultu- images d'archive, des vidéos et des témoignages attestent de l'intégration de la
rel et citoyens - lutter contre la désunion et la haine. Nous devons nous employer population turque dans notre pays. La contribution turque au développement de
à surmonter ce qui nous sépare et trouver le moyen de nous rassembler. la Belgique ne saurait être sous-estimée. La Turquie constitue également un pôle
Les institutions publiques du monde des arts jouent un rôle déterminant à cet d'attraction pour les Belges. Chaque année, 600 ooo touristes se rendent dans le
égard : elles peuvent nous unir grâce à des expériences partagées, en favorisant pays qui a conquis leur cœur.
le dialogue interculturel et la connaissance mutuelle. Cette exposition, qui bâtit Sur le plan culturel, les échanges sont extrêmement importants et 2015 les met-
des ponts au-dessus de la Méditerranée et entre les peuples et nous rappelle tra encore davantage en évidence. !;Empire du Sultan montre combien, pendant
nos valeurs, nos croyances, notre patrimoine culturel et nos rêves communs, la Renaissance, les artistes européens ont été fascinés par la culture ottomane, et
en constitue un parfait exemple. Je lui souhaite tout le succès qu'elle mérite. combien les sultans étaient captivés par la culture européenne. L'Empire ottoman
à cette époque s'étendait jusqu'aux royaumes de Pologne-Lituanie, de Bohême
et de Hongrie. Il ne peut se comparer à la Turquie d'aujourd'hui. Mais l'image
Tibor Navracsics du « Turc » devint un fait. À l'automne de cette année, le festival Europalia sera
Commissaire pour l'éducation, entièrement consacré à la Turquie. Ces deux événements culturels constituent le
la culture, la jeunesse et le sport moment idéal pour resserrer encore davantage les liens. En des temps troublés où
la Turquie est plus que jamais appelée à jeter un pont entre l'Europe et le monde
arabe, il importe de réfléchir à ce qui nous lie historiquement et à ce que devien-
dra notre avenir commun.

Didier Reynders
Vice-Premier Ministre et
Ministre des Affaires étrangères
et européennes, Belgique

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Depuis le 27 février, BOZAR présente à Bruxelles une exposition consacrée à !:Empire du Sultan. Le monde Ottoman dans l'art de la Renaissance est l'aboutissement
la réception de la culture de l'Orient ottoman dans les œuvres des plus grands d'échanges longs et intenses. Nous entendons par là aussi bien les relations
artistes européens de la Renaissance. Pour la première fois, le public de la capitale culturelles qui se développèrent à la Renaissance que les dialogues qui ont
européenne peut admirer les plus précieux trésors artistiques qui attestent l'in- rythmé les années de préparation de cette exposition et du projet européen, plus
térêt de l'Occident pour l'Orient ottoman, à une période charnière de l'histoire vaste, dans lequel elle s'inscrit. !:Empire du Sultan a nécessité un patient travail de
et de la culture du vieux continent.Aucune exposition n'avait encore proposé un recherche, d'échanges d'idées et de compétences, de mise au point et d'analyse.
panorama aussi complet sur le sujet. Plusieurs expositions présentant la culture Nous avons souvent été amenés à réengager le débat avec des partenaires qui
de l'Empire ottoman ont effectivement couvert un champ plus étroit, sur le plan. envisageaient le sujet sous des angles d'approche différents. Le contenu de
thématique ou géographique. Cela a été le cas en Pologne également, dont les l'exposition s'est enrichi et nuancé à mesure que progressait le projet, comme il
relations historiques avec l'État turc demeurent un beau et unique témoignage convient à une exposition couvrant une longue période de l'histoire culturelle
de la fascination et du respect éprouvé l'une pour l'autre par ces deux cultures si et traitant de relations culturelles à une période où les notions de guerre, de
différentes. Je suis heureuse, par ailleurs, d'attirer l'attention sur l'intense collabo- fascination, de préjugés et de rapprochement allaient de pair.
ration internationale à laquelle le projet « Ottomans & Europeans. Reflecting on La rencontre entre l'Occident chrétien et l'Orient musulman à la Renaissance fut
five centuries of cultural relations » a donné lieu. Sans elle, cette présentation - à l'origine d'une production d'œuvres d'art et d'objets précieux qui ne témoignent
d'une importance considérable pour l'histoire de la culture européenne - n'aurait pas seulement de jeux d'influences, mais convoquent une vaste palette d'émotions,
pas été possible. allant de la crainte ou de la diabolisation au respect ou à la tentation. La peur
Ceux qui n'auront pu se rendre au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles pour visi- naît souvent de l'inconnu. [apport de connaissances acquises de première main
ter l'exposition - qui compte des œuvres majeures de maîtres de la Renaissance, tempéra l'image menaçante du «Turc» fréquemment mise en avant, notamment
parmi lesquels Dürer, Memling, Titien, le Tintoret et Véronèse - auront l'occasion à des fins de propagande. En dépit des guerres, l'Orient et l'Occident connurent
de la voir au Musée national de Cracovie dès le mois de juin de cette année. d'intenses échanges d'idées, de biens et d'objets d'art à l'époque de la Renaissance.
!:Empire du Sultan se présente comme un somptueux roman historique divisé
en plusieurs chapitres volumineux. D'éminents romans historiques comme Mon
Prof. Malgorzata Omilanowska nom est Rouge d'Orhan Pamuk ou !:Architecte du sultan d'Elif Shafak nous aident
Ministre de la Culture et du Patrimoine national, à mieux comprendre le présent. À juste titre, les historiens font remarquer qu'il
Pologne est nécessaire d'être prudent avec les comparaisons historiques. La Turquie
d'aujourd'hui n'a rien à voir avec l'Empire ottoman de l'époque, même si les
comparaisons persistent. Le lien avec le présent est encore plus fondamental:
les cicatrices historiques ont tendance à se rouvrir à l'occasion du débat
culturel sur l'Europe et le monde musulman. Toute discussion enflammée sur
les traumatismes passés, situation figée ou blessure non guérie, bénéficiera
grandement d'attention, de prévenance, de calme et de constance.
« Ottomans &Europeans. Reflecting on five centuries of cultural relations» est
un projet international conçu avec le soutien de l'Union européenne. Différents
types d'institutions y participent, implantées dans de nombreuses régions. Après
Bruxelles, l'exposition !:Empire du Sultan sera présentée au Musée national de
Cracovie. Elle apportera un éclairage nouveau en mettant l'accent sur la partie
orientale de l'Europe centrale. Quant au Kunsthistorisches Museum de Vienne, il
ne se contente pas de prêter des pièces de sa collection: conjointement aux musées
de Bruxelles et de Cracovie, il organise dans ses salles un parcours thématique
mettant en relief des œuvres influencées par la civilisation ottomane. Des
conférences, des débats, des blind dates s'adressant à de jeunes artistes mettent en
lumière le thème central, selon des points de vue différents.Aujourd'hui encore,
les lieux de rencontre et d'échange entre artistes demeurent essentiels; à cet égard,
nous remercions la Fondation pour la Culture et les Arts d'Istanbul, le Centre Witte
de With pour l'art contemporain à Rotterdam et la Fondazione Pistoletto de Biella.
Entamés en 2014, les préparatifs de l'exposition de Cracovie ont coïncidé avec
les célébrations internationales du 6ooe anniversaire des premières relations
diplomatiques entre la Pologne et la Turquie. Cette concomitance d'événements
a été l'occasion de rappeler les relations historiques entre les deux pays et de
mettre en place de nouveaux échanges intellectuels et culturels, auquel le projet
européen contribue à propos.
[exposition de Cracovie intitulée Ottomania. The Ottoman Orient in Renaissance
Art est, dans une certaine mesure, plus centrée que celle de Bruxelles sur les
questions touchant à la Pologne à l'époque de la Renaissance. Contrairement à

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d'autres États de cette époque mentionnés dans le projet, la Pologne-Lituanie et, plus spécialement, Ann Flas et Ann Geeraerts qui ont assuré la coordination
bénéficia durant de longues années d'une paix formelle avec l'Empire ottoman, de ce projet européen complexe, Vera Kotaji et Sandra Darbé, responsables de la
qui s'étendait jusqu'à sa frontière méridionale. Si les Polonais partageaient coordination de ce superbe catalogue, ainsi que l'équipe de BOZAR TECHNICS,
certaines des appréhensions des Européens face à la montée de la puissance en particulier Nicolas Bernus. Nous sommes reconnaissants à Sara Noel Costa de
islamique, ce n'est qu'en 1620 - avec la première guerre entre la Pologne et Araujo et à son équipe pour la magnifique scénographie de l'exposition. Katleen
la Turquie - que cette question devient cruciale, ainsi que le laisse entendre Uvin de BOZAR FINANCE reçoit également nos remerciements pour la gestion
l'exposition. À cette période, la culture polonaise était déjà pleinement financière de ce projet international.
développée, assimilant un certain nombre d'influences orientales, turques Notre reconnaissance s'adresse encore à l'équipe du Musée national de
pour la plupart. Le Musée national de Cracovie s'efforce donc de déconstruire Cracovie, en particulier à Olga Jaros, chef des expositions, ainsi qu'à Lidia
la perception courante des relations polono-turques, telle que l'a forgée Koziel-Siudut, Beata Foremna et Aleksandra Klaput, coordinateurs du projet
l'historiographie qui accordait trop d'importance aux guerres du xvne siècle: européen de l'exposition à Cracovie. Nous souhaitons remercier nos collègues
l'accent y est donc mis sur les échanges culturels féconds du XVIe siècle. du département chargé de l'organisation des expositions au Musée national,
BOZAR prend à cœur de suivre un fil directeur pour chacune de ses dirigé par Robert Flur, ainsi que Katarzyna Mrugala, responsable du programme
programmations. Nos différentes expositions se complètent et s'exaltent les éducatif, Michalina Pieczonka et Grazyna Plachta du département de la
unes les autres. Présentée au printemps 2015, I:Empire du Sultan est l'un des volets promotion, de même que toute l'équipe de la conservation dirigée par Dorota
d'un triptyque d'expositions explorant le thème du« regard sur l'autre». Les Okrqgla. La scénographie de l'exposition de Cracovie a été réalisée par Anna Wisz
visiteurs peuvent comparer les portraits de souverains orientaux et de marchands et la version polonaise du catalogue a été coordonnée par Anna Kowalczyk. Nous
occidentaux peints par des maîtres vénitiens à des portraits de riches habitants exprimons également notre gratitude aux départements juridique et financier du
des Pays-Bas au XVIe siècle. Une visite dans la troisième exposition présentant le Musée national pour leur engagement essentiel dans ce projet.
portrait photographique européen depuis la chute du mur de Berlin nous fait Enfin, nous adressons notre vive reconnaissance au ministère polonais de la
encore davantage prendre conscience qu'un portrait est toujours une construction. Culture et du Patrimoine national qui a apprécié l'importance et la signification
Si tel était le cas à la Renaissance, cela se vérifie à l'ère numérique. Comment le de cette belle exposition et lui a apporté son soutien diplomatique et financier.
modèle veut-t-il être portraituré? Que cherche l'artiste à nous montrer?
Nous exprimons notre profonde reconnaissance à Leurs Majestés le roi
Philippe et la reine Mathilde, ainsi qu'au président de la Pologne, M. Bronislaw Paul Dujardin
Komorowski, qui ont accueilli cette initiative avec bienveillance et l'ont placée Directeur général du
sous leur haut patronage. Palais des Beaux-Arts de Bruxelles
Le projet exceptionnellement ambitieux « Ottomans &. Europeans » n'aurait
pu voir le jour sans le soutien de l'Europe. Que la direction générale pour Sophie Lauwers
l'Éducation et la Culture de la Commission européenne et l'Agence exécutive Directeur adjoint des expositions,
EACEA en soient vivement remerciées. Palais des Beaux-Arts de Bruxelles
Nous exprimons notre gratitude à nos quatre partenaires internationaux:
Gorgün Taner, directeur général de la Fondation pour la Culture et les Arts Zofia Golubiew
d'Istanbul, et Tuna Ortayh Kaz1c1, coordinateur des projets internationaux; Directeur du Musée national de Cracovie
Sabine Haag, directeur général, et Sylvia Ferino, directeur de la Gemaldegalerie
au Kunsthistorisches Museum de Vienne; Michelangelo Pistoletto, directeur
artistique, et Paolo Naldini, directeur de la Cittadellarte-Fondazione Pistoletto;
Defne Ayas, directeur, et Samuel Saelemaekers, conservateur associé, au Centre
Witte de With pour l'art contemporain. Avec leurs compétences spécifiques, ils
veillent à mettre en place quantité d'activités passionnantes dans le cadre de
ce projet, lequel se poursuivra jusqu'en 2016 en collaboration avec nos deux
institutions, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles et le Musée national de Cracovie.
Elif Shafak a accepté d'être l'ambassadrice de ce projet, ce dont nous la
remercions très chaleureusement.
Relativement à la préparation de l'exposition, nous tenons à exprimer notre
immense gratitude à son commissaire, Guido Messling, inspirateur et moteur de
ce projet, ainsi qu'aux autres commissaires, Robert Born et Michal Dziewulski. Nos
remerciements s'adressent également aux membres du comité scientifique pour
leur soutien inestimable: Suraiya Faroqhi, Paul Huvenne, Dariusz Kolodziejczyk
et Günsel Renda. Nous remercions les nombreux prêteurs et en particulier le
Kunsthistorisches Museum de Vienne, pour le prêt de leurs précieuses pièces et
œuvres d'art et pour la confiance qu'ils ont accordée à cette entreprise.
Que soient ici vivement remerciés le vicomte Étienne Davignon, président
du Palais des Beaux-Arts, l'équipe de BOZAR EXPO dirigée par Sophie Lauwers

10 Il
-- - -
« En savoir un peu» est dangereux

« En savoir un peu» est dangereux. Lorsque nous prenons conscience, en tant


qu'êtres humains qui se respectent, que nous ne comprenons pas très bien un
sujet particulier, nous avons tendance à nous montrer plus attentifs, et même
modestes. La sagesse engendre elle aussi la modestie. Les sages sont humbles.
Mais « en savoir un peu» mène à l'arrogance dissimulée et à l'inflexibilité cogni-
tive. Quand nous présumons que nous avons une connaissance suffisante d'un
sujet donné, nous cessons de poser des questions, donc nous cessons d'apprendre.
Et cela crée un vide intellectuel dans lequel clichés et stéréotypes culturels ont
les coudées franches. Moins nous en savons sur quelque chose ou quelqu'un, plus
nous le craignons, et plus nous le jugeons. Avec un mélange de peur incontrôlée
et de jugement automatique, il est plus facile de créer un «Autre».
Nombreux sont ceux qui, en Turquie, en savent un peu à propos de l'Europe.
Nombreux sont ceux qui, en Europe, en savent un peu à propos de la Turquie. Les
hommes politiques des deux côtés ne facilitent pas l'instauration d'un dialogue
vrai et complexe. Les nuances sont abandonnées au nom de la simplicité, les idio-
syncrasies ignorées au profit de généralisations péremptoires, et l'histoire est soit
oubliée, soit réinterprétée afin de servir les intérêts d'une politique au jour le jour.
Où commence l'Orient et où s'arrête l'Occident? Au fil des siècles, les frontières
politiques et culturelles étaient exactement les mêmes. Et si ce n'était pas le cas,
comment décrivons-nous la différence? Entre l'Europe chrétienne et l'Orient
islamique, les frontières n'étaient ni immuables, ni imperméables. En vérité, elles
étaient poreuses et fluides, en perpétuel mouvement, comme la vie elle-même.
Exposition aux multiples strates, J;Empire du Sultan. Le monde ottoman dans l'art de
la Renaissance défie les stéréotypes et introduit de passionnantes nuances dans le
débat culturel en cours. Il est vrai que l'Empire ottoman a longtemps été «l'Autre»
aux yeux de l'Europe, et inversement. Mais les Ottomans et les Européens n'étaient
pas seulement des ennemis héréditaires. Entre eux a circulé un extraordinaire flux
d'idées, de marchandises et d'individus - marchands, pèlerins, voyageurs, diplo-
mates, soldats et prisonniers de guerre. Nombre d'entre eux revenaient dans leur
pays avec des histoires au sujet de l'Autre. Mêlant les faits réels et la fiction, ces récits
s'intégrèrent à l'image européenne du «Turc». Avec l'avènement de la Renaissance,
les écrits des humanistes contribuèrent à une compréhension plus nuancée.
En tant que romancière, je suis fascinée par les chemins sur lesquels les his-
toires ont traversé les frontières. Pour mieux comprendre le dialogue et le
manque de dialogue d'aujourd'hui, nous avons besoin de maîtriser les histoires
du passé et leur impact social, politique et psychologique. Cette exposition est
d'une valeur inestimable pour nous aider à retrouver ces histoires et à reconsidé-
rer non seulement l'Autre, mais notre propre perception de l'Autre.
réventail des œuvres exposées reflète la richesse et la complexité des relations
entre Européens et Ottomans. Textiles, céramiques, peintures, sculptures, cof-
frets, cartes, monnaies, casques, armures, masques, portraits, armes ... Jusqu'à ce
jour, il y a eu une myriade de projets culturels sur les Européens et les Ottomans.
Nombre d'entre eux étaient toutefois concentrés sur un seul aspect concernant
l'élite régnante ou religieuse.À l'inverse, cette exposition rassemble des œuvres
d'artistes de diverses disciplines et cultures, y compris la Pologne, la Hongrie et
l'Europe du Nord, et nous montre de rares aperçus de la vie quotidienne. rimage
des Ottomans dans l'Europe de la Renaissance est un thème à la complexité fas-
cinante, non dépourvue de clichés et de préjugés, mais témoignant aussi d'une
curiosité et d'un intérêt sincères.
Il ne faut pas oublier que l'Empire ottoman était une entité pluriethnique, plu-
rilingue et pluri-religieuse. Même si les œuvres exposées concentrent l'attention

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13
sur les relations entre l'Europe chrétienne et l'Orient islamique, il existait des
deux côtés des minorités religieuses, sexuelles et ethniques, qui constituaient une
partie significative de l'histoire, et de cette histoire.
Il manque une autre voix que celle des minorités, c'est celle des femmes.
C'est vrai des deux côtés, mais particulièrement pour les Ottomanes,« invisibles»
aux yeux des voyageurs européens pour raison de ségrégation des genres. En
nous efforçant de déterrer les histoires du passé, nous devons aussi retrouver les
silences des historiographies officielles, chercher la voix des sans-voix.
Parmi les images exposées, il en est une chère à mon cœur. C'est en fait l'image
qui a inspiré mon roman !:Architecte du Sultan. Il s'agit d'une gravure de Melchior
Lorck, artiste germano-danois, où l'on voit le sultan Soliman, le palais, la mos-
quée Süleymaniye, un éléphant d'Asie couvert d'ornements et son cornac ... La
première fois que je l'ai vue, j'ai ressenti un choc, puis le désir ardent d'écrire un
roman où tous ces éléments seraient réunis.
I.:exposition a lieu alors que les relations entre l'Union européenne et la
Turquie sont malheureusement au plus bas depuis des décennies. Mais au
moment où les idéologies extrémistes sont en hausse, et où les ultranationalismes
et le fondamentalisme religieux prennent de l'ampleur, la nécessité de se com-
prendre mutuellement et de développer une culture de coexistence pacifique et
progressiste n'a jamais été aussi grande.
I.:Europe et la Turquie ont plus de 500 ans d'histoire culturelle commune.
Le fait de mettre l'accent sur la culture nous donne accès à des domaines que la
politique et les politiciens ne peuvent atteindre. Dans un monde où la sagesse est
systématiquement menacée par le fait d'en « savoir un peu», l'artiste et le pen-
seur ont le même rôle, démystifier les mythes existants, introduire des nuances
dans les débats et faire revivre la mémoire. Oui, la mémoire, c'est aussi un devoir,
même quand le passé est trouble ... Surtout quand le passé est trouble.
I.:historiographie officielle de Turquie prête une grande attention aux guerres
et aux victoires ottomanes. Mais elle parle rarement des individus. Quand c'est le
cas, il s'agit presque toujours de l'élite - sultans, shahs et quelques femmes choi-
sies dans le harem. Mais comment le peuple a-t-il vécu les périodes de transfor-
mation sociale et politique? La question reste en grande partie inexplorée. Cette
exposition est aussi importante de ce point de vue. Elle ouvre des fenêtres sur la
vie des gens ordinaires.
Notre perception de l'Autre est profondément meurtrie. Nous devons trouver
une narration nouvelle, globale, pluraliste. Une narration qui n'a pas peur de
parler plus fort que l'extrémisme. Nous avons besoin d'un humanisme modeste
et radical. Nous avons besoin de choyer le cosmopolitisme. Ceux d'entre nous
qui viennent de régions du monde qui, comme la Turquie, ont perdu une part
importante de leur héritage pluriculturel, savent que privilégier la similitude
aux dépens de la diversité ne mène à rien de bon. Les œuvres des artistes de la
Renaissance sont un lieu idéal pour recommencer à réfléchir à la distance entre
«nous» et «eux». Comme cette exposition le démontre si bien, cette distance a
moins à voir avec le monde extérieur qu'avec notre monde intérieur.

ElifShafak
Introduction

Peu de visiteurs d'Istanbul peuvent échapper à la fascination que cette ville et l'Occident se sont presque sans exception limitées au rôle de certains centres
doit pour une grande part à sa situation à la limite entre l'Europe et l'Asie et à politiques et culturels comme Venise, Florence ou le Saint-Empire. C'est ainsi que
plusieurs siècles d'histoire mouvementée. Ainsi, en parcourant, l' œil attentif, dans les grandes expositions de ces dernières années, l'Europe centrale et orientale
les lieux de l'ancienne Constantinople, on peut observer en maints endroits la a joué un rôle plutôt marginal, bien que ces régions, limitrophes de l'Empire otto-
rencontre d'influences et de cultures diverses et leur fusion apparemment natu- man, aient entretenu des échanges intenses avec lui.
relle. Après avoir conquis la capitale de l'Empire byzantin en 1453, les Ottomans Certaines circonstances politico-culturelles actuelles ont malheureusement
intégrèrent l'héritage des vaincus dans nombre de leurs réalisations culturelles. empêché la réalisation du projet, évident en soi, de présenter cette exposition
rexemple le plus célèbre est Sainte-Sophie, l'ancienne basilique du couronne- à Istanbul. Pour cette raison, nous sommes doublement heureux qu'elle soit
ment des empereurs byzantins, qui après avoir été convertie en mosquée servit de accueillie à Cracovie, dans un pays qui vient de célébrer six cents ans de relations
modèle et de norme à la construction des premières grandes mosquées de la ville. avec l'Empire ottoman, contacts qu'elle reflète de multiples façons. Mais nous
À l'inverse, tout historien de l'art sait que l'art européen post-antique ne s'est pas nous réjouissons particulièrement que notre projet généreusement soutenu par
ouvert à l'Orient qu'au XIXe siècle, mais avait connu bien longtemps auparavant de l'Union européenne jette un pont entre Bruxelles, la capitale secrète de l' Europe,
nombreuses influences du monde oriental. Nous avons choisi de concentrer cette et Cracovie, l'ancienne ville royale et universitaire qui fut pendant des siècles le
exposition sur l'Empire ottoman, constitué au début du XIVe siècle en Anatolie centre de ce membre relativement jeune de l'Union.
pour bientôt devenir une grande puissance islamique, et d'examiner les diffé-
rentes traces que les Ottomans, déjà appelés «Turcs» par leurs contemporains,
ont laissées dans l'art et la culture de la Renaissance. Robert Born, Michal Dziewulski et Guido Messling
Le cadre temporel de notre projet doit se limiter à cette période pour deux
raisons. D'une part, la Renaissance est une époque culturelle où, avec l'intérêt
renouvelé pour l'Antiquité et l'épanouissement de l'art et des sciences, l'Europe
connut aussi une large ouverture vers l'Orient et un échange accru d'idées et de
biens. D'autre part, cette période coïncide avec l'expansion de l'Empire ottoman
jusqu'en Europe centrale, qui connut une fin provisoire vers 1600 avec son inté-
gration pragmatique à la structure des grandes puissances européennes (et donc
aux modèles historiques européens).Ainsi, des événements comme la prise de
Constantinople en 1453 et la paix de Zsitvatorok conclue en 1606 entre le sultan
et l'empereur constituent non seulement des jalons temporels, mais peuvent
aussi être considérés comme d'importants points de cristallisation historiques
de cette évolution. Ces conflits qui durèrent près de cent cinquante ans entre
l'Empire ottoman et diverses puissances européennes ont des répercussions dans
les débats sociétaux d'aujourd'hui, car ils ont marqué de manière déterminante
les représentations des catégories, éternelles et fondamentalement opposées,
d'Orient et d'Occident et plus particulièrement d'islam et de christianisme. Notre
exposition s'efforce de briser cet antagonisme et de montrer par de nombreux
exemples que les Européens avaient une perception différenciée des Ottomans,
même à une époque où ceux-ci était parvenus jusqu'aux portes de Vienne ou
de Venise. C'était aussi une époque de profonde crise religieuse où catholiques
comme protestants purent instrumentaliser la figure du «Turc» chacun dans leur
intérêt. Bien entendu, les écrits polémiques illustrés diabolisant le «Turc» comme
ennemi juré de la chrétienté constituent tant par leur nombre que par leur
expressivité l'une des productions les plus marquantes de cette époque. Mais un
grand nombre d'autres œuvres peuvent aussi illustrer différentes appréciations de
«l'Autre» et offrir une image certes ambivalente, mais très variée des Ottomans
dans les beaux-arts. Certaines d'entre elles rappellent immédiatement que l'Em-
pire ottoman était un organisme pluriethnique à la société structurée par de mul-
tiples religions, comme on le voit dans les régions de transition entre les sphères
habsbourgeoise, ou vénitienne, et ottomane. C'est en particulier pour cette raison
que nous n'avons pas voulu concentrer notre exposition sur l'Italie, l'Allemagne
et les Pays-Bas, mais pour la première fois associer les royaumes historiques de
Pologne-Lituanie, de Bohême et de Hongrie. Des expositions des dernières décen-
nies consacrées à des processus d'échanges artistiques et culturels entre l'Orient /

16 ï
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L'Europe et l'Empire ottoman vers 1566

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L'Empire ottoman en 1683 États vassaux
Augsbourg •
FRANCE
Lyon• • Conquêtes de Orhan 1er (1326-1359) 11111 Valachie (depuis 1396/1415/1462)
Mer
Avignon( Ca,p1cnnc • Territoire ottoman (1359-1451) - Khanat de Crimée (depuis 1475/1478)
• Conquêtes de Mehmet II (1451-1481) Moldavie (depuis 1456/1512)
.
ESPAGNE Marseille

• Lisbonne
• Tolède Barcelone • Conquêtes de Sélim 1er (1512-1520) Transylvanie (depuis 1541)
Naples•
Conquêtes de Soliman 1er (1520-1566) X Bataille
. Malaga Otrante • Conquêtes 1566-1683 et limites de l'Empire ottoman
Alger
NAPLES
en 1683

" Malte

Les voies commerciales aux xvr• et xv11• siècles


- route terrestre - route maritime
18 19
LA PORTE OTTOMANE,
LA POLOGNE ET L'EUROPE
CENTRALE DU XVe SIÈCLE
AU DÉBUT DU XVJJe
DARIUSZ KOl:..ODZIEJOZYK

Lorsque les Turcs ottomans atteignirent les Balkans dans Sublime Porte, apporta un répit sur le théâtre des opé-
la seconde moitié du x1ve siècle, ils ne tardèrent pas à rations en Europe centrale.Au cours des années sui-
entrer en conflit avec le puissant royaume de Hongrie vantes, sous le règne du sultan Sélim 1er (r.1512-1520),
dont les dirigeants aspiraient à contrôler les territoires les Ottomans entreprirent de combattre les Safavides et
situés entre l'Adriatique et la mer Noire: la Dalmatie, la les Mamelouks en Asie et en Afrique, et d'étendre leur
Croatie, la Bosnie, la Serbie, la Valachie et la Moldavie. Empire vers le sud-est. Mais en 1521, Soliman 1er (r.1520-
En 1396, Sigismond 1er de Luxembourg, roi de Hongrie 1566 ), nouveau sultan plein d'ambition, mena une expé-
de 1387 à 1437, organisa une croisade contre les Ottomans dition contre Belgrade et s'empara de la forteresse. Cinq
qui fut vaincue à Nicopolis (auj. Nikopol, Bulgarie). ans plus tard, en 1526, l'élite de la noblesse hongroise,
Le triomphe des Ottomans sur les chrétiens cimenta dont le jeune roi de Hongrie et de Bohême et neveu du
ainsi leur emprise sur la Bulgarie et la Serbie. roi de Pologne, Louis II Jagellon (r.1516-1526) périt à la
Après deux décennies de confusion résultant de l'inva- bataille de Moha.es. Cette victoire ouvrit aux Ottomans la
sion de l'Asie mineure par Tamerlan (t 1405) qui ébranla voie de l'Europe centrale: dès 1529, ils assiégèrent Vienne
l' État ottoman en 1402, les Turcs reprirent leur marche pour la première, mais pas la dernière fois.
en Europe. En 1444, ils battirent une autre croisade En 1547, après deux autres décennies de combats inces-
menée par Ladislas (hong. Ulaszl6; pol. Wladyslaw III sants et de guerre civile en Hongrie, le pays fut divisé en
Wamenczyk), roi de Hongrie (r.1440-1444) et de Pologne trois. Les Ottomans prirent la partie centrale avec la capi-
(r.1434-1444), près du port de Varna sur la mer Noire. tale royale de Buda et en firent une province ottomane
En 1456, trois ans après avoir pris Constantinople, le sul- placée sous l'autorité d'un gouverneur musulman. La par-
tan Mehmet II le Conquérant (r.1444-1446 et 1451-1481) tie orientale devint la principauté de Transylvanie, gou-
assiégea Belgrade, alors principal rempart de la Hongrie vernée par un prince chrétien élu par les nobles hongrois
sur le Danube, mais le siège tourna court et les Ottomans et qui restait vassal des Ottomans. Enfin, les territoires du
battirent en retraite. Cependant, les affrontements ne nord et de l'ouest, désignés comme royaume de Hongrie
cessèrent pratiquement pas. En 1484, le nouveau sultan avec pour centre Pozsony (ou Presbourg, auj. Bratislava,
Bajazet II (r.1481-1512) renforça la domination otto- Slovaquie), échurent aux Habsbourg. Ces derniers avaient
mane sur la Valachie et la Moldavie en s'emparant de acheté la paix avec la Sublime Porte en s'engageant à
deux ports de la mer Noire, Chilia (auj. Kiliya, Ulaaine) payer un tribut au sultan pour conserver le nord-est de la
et Moncastro'. Cette dernière opération provoqua une Hongrie, ce qu'ils firent jusqu'en 1606. Cette partition de
réaction tardive de la Pologne dont les dirigeants reven- la Hongrie fut maintenue jusqu'à la fin du xvue siècle, où
diquaient la suzeraineté sur la Moldavie. En 1497, des les Habsbourg, ayant battu les Ottomans, revendiquèrent
troupes polonaises pénétrèrent en effet ce territoire, mais l'ensemble du royaume médiéval.
elles furent vaincues dans les forêts de Bukovine. :Cannée En Europe centrale et orientale, l'esprit des croisades
suivante, un raid turco-tatar de grande envergure dévasta et la ferveur du combat contre les «infidèles», encore
les provinces méridionales de Pologne. vivaces à la fin du Moyen Âge, se trouvèrent renforcés par
La pacification générale des années 1502-1503, où la la crainte inspirée par les Turcs. En Pologne, le choc de
Pologne, la Hongrie et Venise signèrent la paix avec la la défaite de 1497 et la panique engendrée par l'invasion

ill. 1 L'ahdname (instrument de paix) émis par le sultan Bajazet Il le 9 octobre 1502 et
envoyé au roi Alexandre de Pologne. Dans ce document rédigé en italien et pourvu
de son monogramme tur. tugra ), Bajazet s'engage à respecter une paix de cinq ans
_3
voiro. u6. caL4 - .
ill. 2 La Barbacane de Cracovie, construite
en 1498-1499 pendant la « grande
peur » de l'invasion turque.

envoyée, mais le seul fait que le roi se soit concerté à ce (La souveraineté turque en Pologne), la pression et les
sujet avec le chef de l'Église catholique de Pologne indique avertissements des Ottomans ont certainement joué un
que la cour considérait le sultan ottoman comme un rôle, car la noblesse polonaise n'a pas cherché à provoquer
membre de la «grande famille des monarques européens» son puissant voisin.
et non comme un ennemi barbare. Le bref règne d'Henri de Valois s'acheva brutalement en
Les relations entre les cours polonaise et ottomane 1574 : à la mort de son frère, Charles IX, il abandonna son
furent cordiales, voire chaleureuses jusqu'à la fin de la trône électif de Pologne pour devenir souverain hérédi-
dynastie des Jagellon. Non seulement le roi et le sultan, taire de France sous le titre d'Henri III. L'élection suivante
mais également leurs épouses étaient en contact amical. fut remportée par un vassal des Ottomans, Étienne (hong.,
Hürrem, l'épouse bien-aimée de Soliman, était d'origine Istvan; pol. Stefan) Bathory (r.1576-1586 ), prince de
ruthénienne (d'où le nom de Roxelane qui la désigne Transylvanie. Présenté par la propagande des Habsbourg
dans les sources européennes; voir cat.101-105). Dans comme un pantin aux mains des Ottomans, le nouveau
sa correspondance, conservée aux Archives nationales roi bénéficia effectivement de leur soutien, en particulier
de Pologne, elle faisait état de sa bienveillance envers les premières années de son règne. À la fin de sa vie,
la Pologne, son ancien pays. Pour sa part, Bona Sforza, la rumeur circula qu'il projetait de libérer le royaume de
duchesse de Bari, l'épouse italienne du roi Sigismond, était Hongrie de la puissance du sultan, ce qui suggère que la
une ennemie jurée des Habsbourg et soutenait le rappro- loyauté de Bathory envers ses protecteurs musulmans était
chement turco-polonais. Il n'est donc pas étonnant que plutôt discutable. Cette intention était-elle réelle ou seu-
les deux reines aient entretenu une correspondance ami- lement destinée à gagner la sympathie de l'Europe catho-
cale à laquelle s'associa ensuite Isabelle Jagellon, fille de lique? La question reste ouverte.
Sigismond 1er, devenue reine de Hongrie par son mariage La troisième élection libre de Pologne fut également
avec Jean 1er Zapolya, le prétendant pro-ottoman au trôné. remportée par un candidat anti-Habsbourg, Sigismond III
Le dernier roi Jagellon, Sigismond II Auguste, décéda en Vasa (pol. Zygmunt III Waza, r.1587-1632), neveu du der-
massive turco-tatare de 1498 aboutirent à de fébriles Habsbourg aux trônes de Hongrie et de Bohême, où ils 1572. Le nouveau souverain devant être élu par l'ensemble nier roi de Pologne Sigismond II Auguste, et fils du roi
préparatifs militaires. C'est précisément à cette période restèrent jusqu'en 1918. de la noblesse, la Porte mit en œuvre une activité diplo- Jean III de Suède (r.1568-1592). D'abord soutenu par la
que les principales villes du sud de la Pologne furent for- La politique pragmatique de la Pologne à l'égard matique afin d'éviter l'élection d'un Habsbourg et apporta Porte, le nouveau roi ne tarda pas à décevoir ses partisans,
tifiées, le meilleur exemple de ces efforts étant la monu- de la Porte ottomane, menée dans le meilleur esprit son soutien au prince français Henri de Valois. Bien que tant compatriotes qu'étrangers. Inspiré par la Contre-
mentale Barbacane de Cracovie, construite en 1498-1499 de·la « diplomatie Renaissance 2 », persista pendant la l'influence de la diplomatie ottomane sur le résultat de Réforme catholique et le modèle de monarchie absolue
et qui existe toujours. majeure partie du xv1e siècle. Lorsqu'il sembla que cette élection en Pologne ne doive pas être surestimé, des Habsbourg, Sigismond III opéra un rapprochement
Cependant, comme le danger imminent représenté les Habsbourg pourraient remporter la lutte pour la comme l'a fait l'historien turc Ahmed Refik dans un avec Vienne, qui contraria bientôt Constantinople, où
par l'expansion ottomane ne laissait guère de marge de domination de la Hongrie, le roi de Pologne se mit article déterminant intitulé Lehistan'da Türk hâkimiyeti7 le regain d'activité de la Pologne en Moldavie inspirait
manœuvre aux souverains hongrois, les cours les plus tacitement du côté du sultan et apporta son soutien à également une certaine inquiétude. Cependant, tant que
lointaines, les Jagellon à Cracovie et les Habsbourg à Jean 1er Zapolya (hong. Szapolyai Jan os), le candidat pro- les Ottomans furent engagés dans une « Longue Guerre»
Vienne mirent en œuvre une politique plus souple et ottoman au trône de Hongrie. En 1539, le roi Sigismond contre les Habsbourg (1593-1606), ils s'efforcèrent de
plus ambiguë à l'égard de la Porte. Vienne et Cracovie, donna sa fille Isabelle en mariage à Zapolya, et leur fils, conserver les Polonais à leurs côtés et acceptèrent dans
qui avaient leurs propres stratégies politiques et leurs Jean Sigismond (hong. Zapolya Janos Zsigmond), ainsi un premier temps une sorte de condominium turco-
propres conflits historiques avec Buda, n'étaient pas tout baptisé d'après ses deux grands-pères, deviendra finale- polonais en Moldavie, établi en 1595 par l'accord de Tutora
à fait mécontentes de voir la Hongrie voisine se concen- ment prince de Transylvanie avec le soutien du sultan (pol. Cecorq). Trois ans plus tard, le sultan proposa même
trer sur un autre domaine. En outre, les Jagellon et les et du roi de Pologne. au roi de Pologne de s'associer aux opérations contre les
Habsbourg rivalisèrent plus d'une fois pour le trône Dès 1533, le sultan Soliman et le roi Sigismond de Habsbourg et aux conquêtes dans leurs territoires de
de Hongrie. Fait symptomatique, chaque fois que les Pologne (pol. Zygmunt I Stary) conclurent un traité« éter- Hongrie (l'actuelle Slovaquie et la Transcarpathie ulaai-
Jagellon montèrent sur le trône de Buda, ils devinrent nel» qui, censé durer jusqu'à la fin de leurs vies, remplaça nienne8). Toutefois, après que le traité de Zsitvatorok
aussitôt des champions antiturcs et deux d'entre eux les trêves à court terme signées auparavant pour des (1606) eut mis fin à cette guerre, les Ottomans n'étaient
perdirent la vie en se battant contre les Turcs (Ladislas durées de seulement deux, trois ou cinq ansJ. Le traité de plus disposés à tolérer la présence polonaise en Moldavie.
en 1444 et Louis en 1526). Toutefois, leurs compatriotes 1533 précédait de trois ans l'alliance que Soliman conclut Des interventions réitérées de magnats polonais dans les
polonais restés au pays étaient bien plus sceptiques à avec le roi de France François 1er. Au xvre siècle, la France conflits internes au sujet du trône de Moldavie reçurent
l'idée d'une croisade. En 1444, des seigneurs polonais et la Pologne constituèrent deux piliers de la politique des réponses irritées de la Porte. En 1617, des troupes polo-
tentèrent d'empêcher le roi Ladislas d'attaquer les européenne des Ottomans essentiellement dirigée contre naises et ottomanes en vinrent presque à l'affrontement
Turcs, et la Pologne s'abstint officiellement de partici- la monarchie des Habsbourg. Un fait intéressant illustre à au bord du Dniester, mais des négociations entre le com-
per à la croisade, même si celle-ci fut menée par le roi, quel point les relations entre le sultan ottoman et les rois mandant ottoman, Iskender Pacha, et le hetman polonais
qui fut tué à la bataille de Varna. De même, en 1526, de France et de Pologne étaient étroites: en 1539, Soliman Stanislaw Z6lkiewski (1547-1620) parvinrent à maintenir
Sigismond 1er de Pologne (r.1506-1548) ne rompit pas la invita solennellement les deux souverains à la cérémonie la paix au dernier moment (traité de Busza en 1617 ).
paix avec la Porte et refusa d'envoyer des renforts à son de circoncision de ses deux fils4. Trois ans plus tard, en Il est un autre facteur apparu en Europe centrale et
neveu Louis. Les Habsbourg étaient même moins sou- 1542, dans une lettre à Piotr Gamrat (1487-1545), arche- orientale à la fin du xvre siècle, et que les historiens relient
cieux d'aider un membre de la dynastie rivale à monter vêque de Gniezno, le roi de Pologne Sigismond suggéra de aujourd'hui aux changements climatiques (la période
sur le trône de Buda. Paradoxalement, c'est la victoire convier le sultan Soliman à assister au mariage de son fils appelée Petite ère glaciaire): l'augmentation du banditisme
ottomane de Moha.es et la mort du roi Louis II (hong. héritier, le futur roi Sigismond II Auguste (pol. Zygmunt II et de l'activité des nomades des steppes. Dans la région
Lajos ; pol. Ludwik II Jagiellonczyk) qui fit accéder les August, r.1545-1572)5. On ignore si cette invitation fut de la mer Noire, le band,itisme était le fait des Cosaques,

ill. 3 · La reine Bona Sforza {1494-155 ), épou se italien n e


de Sigismond I" qui soutint puissamment l'alliance
t1u rco -polonaise.

24
sujets insoumis des rois de Pologne et des tsars de Russie En fait, curieux paradoxe, le «vrai» hetman Zôlkiewski mode venus d'Orient mais aussi la littérature trouvèrent
qui razziaient les ports ottomans, pillant les biens et enle- avait soigneusement évité la confrontation avec la Porte des amateurs parmi la noblesse hongroise. Par exemple,
vant les habitants. Ils saccagèrent Varna en 1606, Sinop en jusqu'à l'année fatale de 1620, et participé à davantage vers 1620, le traducteur de la cour Samuel Otwinowsld
1614 et provoquèrent une panique à Constantinople en de campagnes contre la Suède et la Russie que contre la adapta en polonais Gulistan (Le Jardin des roses), l'œuvre
franchissant le Bosphore en 1615. Aux accusations de la Turquie. Même si le xvn• siècle fut le plus riche en conflits classique du poète persan Sa'di17. En conclusion, la récep-
Porte de tolérer les raids des Cosaques, la cour de Pologne dans leur histoire mutuelle, les guerres entre la Pologne et tion et l'impact du monde ottoman ont considérablement
répondait généralement qu'elle n'avait pas les moyens de l'Empire ottoman n'ont occupé que vingt-trois années de transcendé le stéréotype commun décrivant les Turcs
les empêcher; pour leur part, les Polonais attendaient que ce siècle, bien moins que les guerres de la Pologne contre comme d'intrépides mais cruels guerriers.
le sultan mît fin aux raids des Tatars, des vassaux ottomans la Suède et la Russie.
qui dévastaient régulièrement les provinces du sud-est de Cette distorsion de la mémoire collective est due en Rebaptisée Akkerman 1985, n°3, particulièrement
la Pologne et avaient emmené des milliers de personnes partie à la Contre-Réforme qui commençait à façonner la par les Turcs, aujourd'hui p . 522 (référence à un drame
Bilhorod-Dnistrovskyi, composé pour un théâtre
en esclavage. La situation se détériora davantage au début mentalité polonaise, mais aussi aux guerres de la fin du Ukraine. jésuite en 1667). Le roi
du xvn• siècle lorsque la steppe de Budjal<, située entre XVIIe siècle, symbolisées par la participation de la Pologne 2 Le terme de« diplomatie Jean !" Albert (r. 1492-1501)
Renaissance» vient du a lui aussi été blâmé pour
le Dniester et le Danube dans l'actuelle Moldavie et le à la libération de Vienne (1683). fimage belliqueuse des titre de l'ouvrage détermi- sa malheureuse expédition
sud-ouest de l'Ukraine, fut occupée par les Nogaïs, des relations turco-polonaises du passé s'est encore durcie au nant dont l'auteur Garrett contre les Turcs en Moldavie
Mattingly affirme que c'est en 1497, et ces reproches sub-
nomades rebelles du khan de Crimée venus du bassin de .xrxe siècle, durant lequel des écrivains, compositeurs et l'Italie de la Renaissance qui sistent dans le dicton popu-
la Volga après l'effondrement de la Grande Horde. peintres polonais, soucieux de ne pas éveiller les soupçons a donné naissance au type Jaire « za kr6la Olbrachta
À côté de l'engagement polonais en Moldavie et de la de la censure après les divisions de la Pologne, représen- moderne de relations inter- wygin~la szlachta » (sous Je
nationales pragmatiques, règne d'Albert, la noblesse
question des raids des Cosaques et des Tatars, un troisième taient souvent des victoires anciennes contre la Turquie dégagées des considérations a péri).
facteur pesa sur les relations entre la Porte et la Pologne: comme substitut des guerres contre la Russie. Cette distor- religieuses; voir Mattingly 13 Sur la fonction de «lieu de
1955. Sur la pertinence de ce mémoire » de Z6lkiew et
l'accord secret de 1613 entre la Pologne et les Habsbourg, sion a été récemment redressée par le président Bronislaw terme pour l'Europe cen- le mécénat de ses proprié-
par lequel le roi Sigismond III autorisait l'empereur Komorowski dans un discours prononcé à Anl<ara le traie et orientale de la même taires depuis les familles
Habsbourg à recruter des hommes en Pologne-Lituanie. 5 mars 2014 à l'occasion du 600• anniversaire des relations période, voir Kolodziejczyk Z6lkiewski et Sobieski, voir
2010, p. 19-26. la récente monographie
Ces soldats devaient jouer un rôle crucial dans leur guerre diplomatiques turco-polonaises. Komorowski a fait obser- 3 Kolodziejczyk 2000, Jagodzinski 2013.
contre Gabriel (hong. Gabor) Bethlen (r.1613-1629 ), aristo- ver que sur 600 ans de relations, seules vingt-cinq avaient p. 230-233. 14 Le président de la
crate calviniste de Transylvanie et vassal des Ottomans. Ce été occupés par des guerres, tandis que les 575 autres 4 Dziubinski 2005, p. 129. République de Pologne,
5 Ibid., p. 148. « Polish and Turkish pre-
dernier assiégea Vienne en 1619 mais, attaqué en Haute- avaient été pacifiques1 4. 6 Ibid., p. 151-153 . sidents mark 600 years of
ill. 4 Le tombeau en marbre rouge de Hongrie du hetman Stanislaw bilateral ties », 5 mars 2014,
Hongrie (actuelle Slovaquie) par des mercenaires polonais Z6lkiewski et de son fils, Jan Z6lkiewski, érigé vers 1630 dans l'église Les relations politiques ne représentaient qu'un 7 Refik 1924, p. 227-243. À ce
sujet voir également Beydilli <http://www.president.pl/
des Habsbourg, il fut contraint de quitter paroissiale de Z6lkiew (ukr. Zovkva). domaine des contacts entre l'Empire ottoman et les pays 1976; Dziubinski 2005, en/news/news/art,575,poli-
l'Autriche. Plus tard, des soldats polonais recrutés par les d'Europe centrale et orientale. Des tapis, des tissus de p. 261-269, et notre compte- sh-and-turkish-presidents-
rendu de cette monographie: mark-600-years-of-bilateral-
Habsbourg avec le consentement tacite du roi de Pologne Turquie comme de Perse étaient importés massivement Kolodziejczyk 2007, particu- ties .html> (consulté le
combattront des protestants en Allemagne et en Bohême C'est le xvn• siècle qui a perpétué l'image que la en Hongrie et en Pologne, où ils influencèrent considé- lièrement p. 109. 31 octobre 2014).
au cours de la guerre de Trente Ans. Pologne avait d'elle-même de l'antemurale Christianitatis11, rablement la mode locale et le goût artistique, tandis que 8 Kolodziejczyk 2000, p. 127. 15 Voir Baranowski
9 Sur les implications en poli- 1950; Ciccarini 1991;
En 1620, quand la guerre turco-polonaise fut imminente, le rempart de l'Europe chrétienne protégeant le continent des couteaux de Transylvanie, des tissus de Silésie et de tique intérieure de l'échec de Kolodziejczyk 2009;
le hetman Zôlkiewski entra en Moldavie dans l'intention contre «le Turc». Les batailles de Tutora et de Khotyn la toile de lin de Pologne suivaient le chemin inverse. la campagne d'Osman Il en Tafilowski 2013.
Pologne, voirTezcan 2009. 16 Même Je contrôle des
de combattre l'ennemi sur son propre terrain.Après la ont pris place dans la mémoire collective polonaise en La Pologne constituait également un lieu de passage 10 Voir par exemple « Poselstwo femmes dans les sociétés
bataille indécise de Tutora (en septembre 1620) contre même temps que le souvenir ravivé des batailles de 1444 pour les fourrures moscovites, les textiles d'Angleterre Krzysztofa Xi~cia musulmanes a rencontré
Zbaraskiego do Turcyi w l'approbation enthousiaste
l'armée ottomane sous le commandement d'Iskender et 149712. et l'argent d'Amérique en route vers le marché ottoman. roku 1622 » [L'ambassade du de quelques-uns en Pologne.
Pacha, les Polonais furent vaincus pendant leur retraite et Tandis que Khotyn était présentée comme une grande L'image du commerce entre la Pologne et la Turquie est prince KrzysztofZbaraski L'humaniste et théologien
Zôlkiewski fut tué au combat. Encouragé par cette victoire, victoire militaire - bien que la réalité fût quelque peu toutefois moins rose lorsqu'on y ajoute une cargaison en Turquie en 1622], Dziennik Andrzej Frycz Modrzewski
Wilenski / Historiai litera- (1503-1572), connu comme Je
le jeune sultan Osman II (r.1618-1622) marcha l'année moins glorieuse -, la campagne tragique de Tutora faisait encore plus importante: des milliers d'esclaves, la plu- tura, vol. 3, 1827, p. 3-27, «père de la démocratie polo-
suivante contre la Pologne, mais la campagne de 1621 ne figure de «victoire morale». La propagande polonaise part d'origine ruthénienne (c'est-à-dire ukrainienne) 101-125, 237-273 et 339-371; naise », trouvait juste que
Twardowski 2000. les femmes mariées fussent
répondit pas à ses attentes: grâce à l'appui des Lituaniens compara le trépas héroïque de Stanislaw Zôlkiewski aux et polonaise, enlevés par les Tatars et vendus sur les 11 Pour une opinion similaire, obligées de se couvrir le
et des Cosaques d'Ukraine, les Polonais purent soutenir mains des Turcs au sacrifice du héros de la Rome antique marchés de Caffa (ukr. Feodosia), de Constantinople consulter Tazbir 1989. visage lorsqu'elles sortaient
12 Il convient malgré tout de chez elles, arguant
un long siège dans un camp militaire situé près de Khotyn Marcus Curtius. Sa veuve, Regina Zôlkiewska, et son et même de la lointaine ville du Caire.
de mentionner que pour qu'elles n'avaient pas à atti-
(pol. Chocim; roum. Hotin). Le traité signé en octobre petit-fils Jan Sobieski, futur roi de Pologne (r.1674-1696) Les auteurs qui ont étudié l'image des Turcs en Pologne certains auteurs polonais rer d'autres hommes après
1621 restaura les relations d'avant guerre sans gains terri- veillèrent à la perpétuation artistique de son martyre. soulignent l'attitude ambivalente d'écrivains polonais de l'époque baroque, Je roi avoir juré fidélité à leur
Ladislas n'avait rien d'un époux; voir Kolodziejczyk
toriaux pour l'Empire ottoman. Cette campagne se révéla Sobieski hérita de Zôlkiew (auj. Zhovkva, Ukraine), l'an- envers leurs voisins du sud-est1s. D'une part, le genre litté- héros positif; il a souvent été 2014, p. 57.
être un échec pour le sultan qui, déçu par la performance cienne résidence de la famille Zôlkiewski qui n'avait plus raire du pamphlet antiturc connu sous le nom de Turcica, présenté comme un jeune 17 Sur la traduction
homme inexpérimenté d'Otwinowski d'après une
des janissaires, tenta de les priver de leurs privilèges et d'héritier mâle. Au cours des années suivantes, il en fit un particulièrement populaire en Allemagne (Tükengefahr) poussé devant les Turcs par adaptation abrégée en turc
fut tué l'année suivante au cours d'une émeute9. Le traité « lieu de mémoire» avec l'aide de grands artistes baroques et en Italie, était également répandu en Pologne; les Turcs une cynique diplomatie ottoman de l'original en
de Khotyn fut confirmé par une paix négociée en 1623 tels qu'Andreas Schlüter (1659/1660-1714) et Martino y étaient représentés comme des barbares cruels, presque papale (ou italienne), et sa persan , voir Abrahamowicz
mort à Varna a été considé- 1979, p. 648-649. Il s'agit de
à Constantinople par la grande mission diplomatique Altomonte (1657-1745). Le roi restaura le sarcophage de des bêtes sauvages. D'autre part, de nombreux auteurs rée comme un châtiment la première traduction de
de KrzysztofZbaraski (voir cat. 51). Composée d'environ Zôlkiewski dans l'église locale et commanda une série de présentaient l'État ottoman comme un modèle, vantant mérité pour avoir trahi son Gulistan dans une langue
serment de respecter la trêve européenne.
un millier de cavaliers, cette ambassade typique de la tableaux monumentaux où ses propres triomphes mili- sa méritocratie, sa discipline militaire, son intelligence et avec Je sultan; voir Tazbir
splendeur baroque de l'époque a fait l'objet de dizaines de taires remportés contre les Turcs à Khotyn (1673), Vienne sa justice16 . Des hommes d'État polonais évoquaient pour
dessins, de pamphlets et de poèmes diffusés en Pologne- (1683) et Parkany (1683) apparaissent comme une juste leur part les bénéfices d'une alliance avec la Turquie et la
Lituanie et dans toute l'Europe chrétienne 10• revanche de la mort de son ancêtre'3. fiabilité de partenaires ottomans. Non seulement l'art et la

26
LES ÉCHANGES CULTURELS
ENTRE LE MONDE OTTOMAN
ET L'EUROPE LATINE
SURA IYA FA ROOHI

Aux XV", XVIe et XVIIe siècles, lorsqu'un auteur habitant et l'on rapporte que la fumée des villages incendiés était
la France, le Saint Empire ou la république de Venise visible depuis les campaniles de VeniseJ. En temps de paix,
écrivait sur le monde ottoman, il exprimait la conviction Venise et Istanbul entretenaient toutefois des relations
profonde que les sultans et la religion musulmane étaient commerciales étroites et la Sérénissime était le seul État
les « ennemis jurés» de la chrétienté. Quand un auteur chrétien qui autorisât une quantité non négligeable de
ottoman abordait ce type de question - en l'absence d'im- marchands musulmans à circuler dans son port.
primerie, la quantité de textes conservés est plus réduite-, Il existait un décalage, souvent assez important, entre
il voyait aussi dans le souverain Habsbourg, appelé «roide les déclarations hostiles et l'agression imminente d'une
Vienne », un ennemi «mécréant » qui n'avait fait qu'usur- part, et les liens durables d'autre part. En pratique, la
per le titre impérial. Après la conquête de Constantinople population, les marchandises et l'information circulaient
et l'acquisition des villes saintes de La Mecque et de de façon fluide, indépendamment des fossés politiques
Médine, le sultan ottoman était le seul souverain qui pou- et religieux. Cependant, dans l'Europe latine et dans le
vait légitimement la revendiquer la suprématie sur les monde ottoman, les personnages et les biens «exotiques »
monarchies de moindre importance. C'était, du moins, n'étaient accessibles qu'à un nombre restreint de per-
ce que pensait Soliman le Législateur, que les sources sonnes. Si les tissus ottomans en angora, par exemple,
occidentales appellent le Magnifique (r.1520-1566 ). Par
1
doux et translucides comme la soie, étaient relativement
ailleurs, au début de la période moderne, les papes étaient courants à Venise à la fin du xvresiècle, il n'était pas com-
très soucieux d'instaurer des alliances contre «l'infidèle» mun de les voir en Angleterre ou au Danemark. De même,
entre les monarques catholiques. Aux yeux des Ottomans, le savant ottoman Pîrî Reis (t 1553-1554), commandant
le pape (Rimpapa ) était un ennemi dont le siège romain de la flotte ottomane, eut accès aux nouvelles cartes euro-
était une « pomme rouge » (kml elma), ce terme désignant péennes que ses compatriotes lettrés, issus de milieux
une ville dont la conquête était à l'ordre du jour2 • moins cosmopolites, ne connaissaient généralement pas4.
En fin de compte, les alliances conclues par le pape Ainsi, lorsqu'on étudie les mouvements des personnes
contre les Ottomans furent le plus souvent de courte et des biens matériels et immatériels, il est nécessaire de
durée; les Vénitiens, notamment, avaient tendance à préciser qui en étaient les destinataires et les bénéficiaires,
mettre un terme rapide aux guerres qu'ils avaient ralliées et de rechercher comment ces derniers exploitaient les
à grand bruit, dans le but de protéger leur commerce connaissances et les biens auxquels ils avaient accès. En
méditerranéen. C'est en raison d'un changement majeur résumé: le statut social, l'éducation, le lieu de résidence,
du contexte politique et commercial, à savoir le déclin le genre et d'autres facteurs intervenaient, si bien que
précipité du commerce vénitien au Levant, que la Sainte certains biens matériels ou informations étaient faciles à
ill. 5 Gentile et Giovanni Bellini, La Prédication de Saint Marc à Alexandrie (détail), 150 4- 1507, huile sur toile. Mila n, Pinacoteca di Brera_
Ligue fondée en 1684 perdura jusqu'à l'achèvement de la trouver - ou demeuraient totalement inaccessibles.
guerre en 1699. Les papes étaient souvent fort mal payés
en retour, au regard des subsides élevés qu'ils avaient De l'Occident vers l'Orient : des livres imprimés à
fournis à des souverains censés partir en croisade. Vienne Venise et à Rome pour des lecteurs du Proche-Orient
et Rome ne furent cependant jamais conquises par les
Ottomans; aux XV" et XVIe siècles, les sultans n'assiégèrent Aux premiers temps de l'imprimerie en Europe, les
pas davantage Venise, qui était encore la capitale d'un placards contenant des informations réelles ou inven-
empire maritime - quoiqu'en déclin. Pourtant, à la fin du tées s'adressaient à un public étranger à l'élite, alors
XV" siècle, les assaillants ottomans dévastèrent le Frioul que les écoles et les savants avaient besoin de textes

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rigoureusement établis à des fins d'enseignement. Tous Au milieu de ce même siècle, les commanditaires et les islamique. La technique de fabrication des tapis de
ces textes étaient imprimés dans l'alphabet latin. Le grec artistes établis à Florence et à Padoue commencèrent à velours, quant à elle, ne s'était pas beaucoup diffusée
ancien avait alors été intégré aux programmes des écoles utiliser le cuir décoré dans le style mamelouk ou ottoman au-delà des frontières de l'Empire ottoman, l'une des rares
les plus difficiles, si bien que les grands ateliers d'impri- pour les reliures des manuscrits qu'ils souhaitaient offrir exceptions étant la production de tapis de la manufacture
merie jugèrent utile de pouvoir disposer des caractères à des clients de haut rang. Certains possesseurs fortunés de la Savonnerie en France, qui devint florissante prin-
grecs. Venise offrait également un marché pour les envoyaient même leurs manuscrits en Égypte ou en Syrie cipalement au XVIIe siècle. En revanche, l'importation de
textes écrits dans le grec vernaculaire de la fin du Moyen et, plus tard, à Istanbul pour les faire relier10 • I.;estampage tapis fabriqués dans les régions islamiques était largement
Âge. Après tout, malgré les pertes territoriales causées à froid puis la dorure furent des techniques d'ornemen- répandue ; ainsi, une petite ville comme Ferrare abritait
par les armées et la marine des sultans, la Sérénissime tation particulièrement prisées, importées du monde un négociant égyptien vivant du commerce des tapis 1s.
comptait encore au XVIe siècle un nombre significatif islamique. Lorsque les livres imprimés se généralisèrent Anecdote mise à part, les analyses faites par les spécialistes
de sujets parlant le grec: son empire colonial engloba à la fin du XV" siècle et au début du XVIe siècle, les impri- d'un grand nombre de tableaux flamands et italiens de la
Chypre jusqu'aux années 1570, ainsi que la Crète pen- meurs et les éditeurs furent en quête de reliures encore première Renaissance et de peintures hollandaises de la
dant toute la période qui nous intéresse - laquelle ne fut plus originales dans l'espoir d'attirer des clients fortunés: fin du XVIe siècle ont montré qu'à partir de 1400 les tapis
conquise par les Ottomans qu'au milieu du xvnesiècle. les ouvrages que l'on imprimait alors étaient encore suffi- d'Anatolie arrivaient en quantités significatives dans les
Les habitants grécophones de l'Empire ottoman nour- samment coûteux pour être considérés comme des pièces principaux centres économiques de l'Europe latine 1 6.
rissaient également un intérêt pour les ouvrages sortis de luxe" . Dans la ville universitaire de Padoue, qui faisait La plupart de ces pièces ont malheureusement disparu
des presses vénitiennes : alors que les juifs imprimaient partie de la terraferma vénitienne, les relieurs fabriquaient depuis longtemps. C'est pourquoi l'étude des tableaux -
des livres en territoire ottoman depuis les années 1490, des couvrures ajourées en filigrane superposées à un fond d'une longévité supérieure - est un outil indispensable
les livres en grec n'étaient pas imprimés sur place à cette de couleur, une technique importée d'Égypte ou de Syrie; pour l'historien des tapis. Dans la terminologie interna-
période. Certes, le patriarche œcuménique orthodoxe ces régions allaient devenir des provinces ottomanes tionale des tapis, que les spécialistes turcs ont également
ill. 6 Hans Holbein le Jeune, Les Ambassad eurs, 1533, huile sur panneau de quelques décennies plus tard. adoptée, figure donc la catégorie des « tapis Holbein».
Cyril Lucaris avait essayé d'ouvrir une imprimerie à chêne. Londres, The National Gallery.
Istanbul au début des années 1600s. En raison d'une À l'époque de l'imprimerie, la publication et la com- En effet, Hans Holbein le Jeune (1497-1543) peignit à
série d'obstacles opposés par le gouvernement ottoman mercialisation des livres imprimés jouèrent un rôle de nombreuses reprises des tapis importés d'Anatolie,
et par les étrangers catholiques hostiles au patriarche, économique important. Dans ce domaine comme dans dont les décors consistaient en octogones plus ou moins
cette presse eut une production assez limitée. Ainsi, un les autres, les manufactures vénitiennes - plus que les grands. Ces pièces furent cependant manufacturées
certain nombre d'éditeurs vénitiens imprimèrent des florentines - eurent abondamment recours à des modèles pendant une période plus longue que celle de sa courte
ouvrages en grec à destination d'un public non savant; issus du monde islamique. Certaines reliures vénitiennes carrière (voir ill. 6 et cat.131).
les clients pouvaient donc acheter des romans en vers et rappellent le travail de la laque; néanmoins la substance Les peintres occidentaux et leurs commanditaires ne
en prose en plus des textes religieux6 . résineuse à partir de laquelle est élaborée la laque véri- s'intéressèrent aux tapis du Moyen-Orient que dans des
Les tentatives des éditeurs de publier des livres en table était encore inconnue hors de la Chine et du Japon. circonstances particulières, c'est-à-dire lorsque la pein-
arabe en Italie ne connurent pas le même succès; les Les relieurs du monde islamique utilisaient donc une ture des détails du « monde réel » devint un sujet majeur
relecteurs-correcteurs compétents étaient rares et les préparation de gypse sur un ais de bois et cette technique de préoccupation. Au xve siècle, les peintres flamands
imprimeurs omettaient souvent d'ajouter les ligatures fut bientôt imitée à Venise. Utilisée comme un substitut, accordèrent une grande minutie à la représentation des
entre les caractères, indispensables dans l'impression la laque dite vénitienne était obtenue par la pose d'un costumes et des intérieurs domestiques, intérêt que parta-
de l'arabe. Malgré tout, des textes religieux à l'usage vernis épais, de sorte que le support en cuir devenait pra- gèrent les peintres de la première Renaissance italienne.
des missionnaires chargés de convertir les Ottomans tiquement méconnaissable. Curieusement, ces caracté- Certains maîtres de la haute Renaissance, notamment
chrétiens au catholicisme furent imprimés, notamment ristiques du travail ottoman se retrouvaient surtout dans Lorenzo Lotto (vers 1480-vers 1556),poursuivirent dans
à Rome. Dans les années 1980, un Coran imprimé au les reliures des actes de nomination délivrés aux doges cette voie. À l'inverse, le souci de fidélité à l'Antiquité clas-
XVIe siècle à Venise a été découvert dans une biblio- et à d'autres officiels vénitiens. remploi de reliures pseu- sique qui inspira les œuvres de Raphaël et de Michel-Ange
thèque locale; aucune autre copie n'étant apparue, le do-ottomanes ou pseudo-islamiques ne semble pas avoir ne favorisait pas la peinture d'objets textiles. Par la suite,
motif de cette entreprise demeure obscur7. la même eu de lien avec les événements politiques: l'une de ces la plupart des peintres baroques semblent avoir dédaigné
époque, certains cartographes n'hésitèrent pas à inven- reliures est datée de 1572, année où la quatrième guerre l'univers mondain dans lequel s'inséraient les tapis. Mais
ter des origines arabes à leurs productions si ces asser- vénéto-ottomane (1570-1573) concernant Chypre faisait l'archétype de l'artiste baroque qu'était Peter Paul Rubens
tions pouvaient faire valoir leurs œuvres auprès des encore rage 12 • Les imitations vénitiennes des reliures en fut l'exception: capable d'une grande diversité, il fut à
clients du monde islamique. L'exemple le plus frappant ottomanes ou iraniennes sont parfois si proches des ori- même de s'adapter à différents points de vue, en fonction
est celui de la carte dite de Hadji Ahmed, que les impri- ginales qu'à première vue, il est possible de les confondre. du sujet de son tableau et des goûts de ses clients. Il peignit
meurs attribuèrent à un auteur tunisien; aujourd'hui, ill. 7 Peter Paul Rubens, Portrait de Lady Alethea Howard, co mtesse d'Arundel
C'est le cas de la reliure du Syllo9us de Fra Giovanni ainsi un portrait formel de l'aristocrate anglaise Alethea
les spécialistes s'accordent cependant sur l'idée que ce avec serviteurs et Sir Dudley Carleto~, vers 1 6 2 0, toile. Munich, Giocondo de Vérone, sur laquelle apparaissait le motif Howard, comtesse d'Arundel, posant sur un tapis repré-
Alte Pinakothek. de « nuage chinois », très prisé des peintres de faïence senté avec force détails (ill. 7).
personnage ne fut peut-être que le collaborateur d'une
entreprise contrôlée par des Vénitiens 8 (cat.147 ). ottomans 13. Le plus souvent, les commanditaires semblent Nous sommes peu informés sur les voies qu'emprun-
avoir plutôt recherché la présence de touches italiennes, taient les tapis anatoliens pour parvenir aux centres
De l'Orient vers l'Occident: des objets précieux que leurs propriétaires confiaient comme l'attestent les décors estampés, inspirés de mon- commerciaux de Venise et Florence, avant de poursuivre
circulation des reliures à travers la Méditerranée à des relieurs; pour protéger les textes sur parchemin, naies romaines 4 .
1
leur route vers le nord-ouest de l'Europe 17. Il est néan-
les habitants de l'Europe latine utilisaient de lourds moins probable que certains tapis et kilims transitaient
Si les livres imprimés circulaient de Venise jusqu'aux «ais» de bois, recouverts de tissus ou de cuir9. Pendant la Circulation des textiles par la foire de Ma~kolur, située en Grèce centrale. En
régions orientales de la Méditerranée, les reliures effec- première moitié du xvesiècle, les livres étant habituelle- 1569, une fondation d'Ibrahim Pacha (mort en 1536),
tuaient le voyage inverse. l'époque où les textes étaient ment écrits ou imprimés sur papier, la fragilité de ce sup- Au début de l'époque moderne, les relieurs et leurs grand vizir de Soliman le Magnifique, leva des impôts
manuscrits, les coûts élevés de fabrication en faisaient port rendait l'ajout d'une reliure d'autant plus nécessaire. clients européens «acclimatèrent » des motifs du monde sur les ventes de ces textiles. La liste des impôts qui nous

2()
ill. 8 Gentile et Giovanni Bellini, La Prédi cation de Saint Marc à Alexandrie, 1504- 1507, huile sur toile. Mil an , Pina coteca di Brera .

renseigne sur cette foire ne fait état que des droits à écrits émanant de commerçants vénitiens ou de mar- tardive, après 160018 • Les tissus fabriqués en laine angora déroulées sans encombre ne sont souvent pas rapportées
payer sur les chargements de charrettes, de chameaux chands locaux qui auraient vendu des marchandises aux (soi) que l'on ne trouvait alors qu'à Ankara, avaient une dans les archives. Il est regrettable que la terminologie
et de chevaux, ce qui laisse supposer que Ma§kolur était Vénitiens de passage à la foire. Mais il est fort probable valeur d'échange certaine, comme l'atteste le nombre employée rende difficile la distinction entre la fibre, le fil
un lieu de rencontre de négociants en gros. De façon que certains des tapis représentés dans les tableaux des important de commerçants en sof cités dans les archives et le tissu fini. Le sof était admiré pour sa finesse proche
exceptionnelle, les commerçants introduisant des tapis peintres de la Renaissance ont été acquis à Ma~kolur. vénitiennes. Les marchands d'Ankara (qu'ils soient de celle de la soie et pour ses motifs ondulés,jusqu'alors
en provenance des Ball<ans, probablement en quantités Les soies ottomanes, très admirées de nos jours, étaient musulmans ou non) sont régulièrement mentionnés caractéristiques de la soie seule. Rien ne prouve que des
plus réduites, payaient leurs droits de vente en fonction rarement présentes en Italie ou en France au XVIe siècle, dans la région adriatique à la fin du xvesiècle; beaucoup manufactures produisant ces sortes de textiles aient
des chargements que transportaient les porteurs à leur alors qu'elles allaient devenir très populaires en Pologne de noms parvenus jusqu'à nous sont ceux de marchands existé en Europe occidentale. Il apparaît donc raison-
service. Nous n'avons pas connaissance de documents et dans d'autres pays d'Europe centrale à une période plus victimes de vols, tandis que les transactions qui se sont nable d'émettre l'hypothèse selon laquelle, préalablement

33
à son arrivée à Venise, une quantité non négligeable de sof les soieries ottomanes et vénitiennes diffèrent en prin- reprit son essor à partir des années 1530, ce qui bénéfi- Soliman le Magnifique ne le désapprouvait pas; mais
avait déjà été tissée, teinte et passée sous presse, conférant cipe par leurs caractéristiques techniques, il arrive de nos cia aux finances ottomanes. Les Portugais n'étant pas en en musulman pieux, le souverain émit certainement des
au tissu fini son éclat caractéristique19. jours que des spécialistes de musées hésitent à attribuer mesure de bloquer les voies d'accès à l'océan Indien et leur réserves à son sujet. Les armures incrustées de métaux
À partir du milieu du XVIe siècle, le commerce des certaines de ces pièces qui présentent de grandes simili- poivre étant souvent de qualité inférieure, le négoce en précieux faisaient également partie des tributs payés
textiles en laine produits à Venise pour le marché otto- tudes24. C'est d'autant plus surprenant que les fabricants épices put donc reprendre en Égypte et prospérer jusqu'à par les empereurs Habsbourg; l'une d'elles, qui ne put
man se déplaça progressivement vers l'est, où il prospéra d'étoffes en soie des autres centres italiens ne concevaient la fin du XVIe siècle26. Ce n'est qu'à la fin de ce siècle que les être livrée en raison du déclenchement de la « Longue
pendant environ un siècle, entre 1550 et 1650 20 • Les tis- pas de motifs susceptibles d'être confondus avec ceux des Hollandais conquirent l'archipel des Moluques et s'arro- Guerre» en 1593, est conservée à Vienne. Cette pièce
sus parvenaient principalement au grand marché d'Is- ateliers ottomans. Au XVIe siècle, les fabricants vénitiens gèrent le monopole sur le transport du poivre en Occident, nous donne une idée du type de décor que la cour des
tanbul, où ils rivalisaient avec les lainages manufacturés reprenaient les décors floraux qu'ils puisaient dans le mettant un terme à la mainmise des Vénitiens sur ce com- Habsbourg estimait convenir à un haut dignitaire otto-
par les tisserands juifs de la ville ottomane de Salonique, vaste répertoire de motifs de l'art ottoman. Inversement, merce. Les besoins en poivre des Ottomans étant significa- man. L'archiduc Ferdinand II d'Autriche (1529-1595),
ainsi qu'avec les étoffes anglaises qui étaient achemi- certains artisans de soieries ottomanes adoptèrent le tifs et les Hollandais ne parvenant pas à mettre fin au com- grand amateur d'armes et d'armures de personnages
nées au Levant dans les années 1480 et 1490. Quant aux motif de la couronne, bien que celle-ci ne fût pas en usage merce des Indiens et des autres marchands dans l'océan en lesquels il voyait des «héros», constitua lui-même
tisserands de Salonique, ils furent littéralement pris à la cour du sultan. Il est possible que ces couronnes aient Indien, Istanbul continua à recevoir du poivre par la mer une collection qui comptait des pièces ayant appartenu
entre deux feux. D'une part, la concurrence vénitienne alors revêtu une nouvelle signification, celle de corbeilles Rouge. Tant que le Yémen demeura sous leur contrôle, les au sultan Soliman le Magnifique et à son grand vizir,
et anglaise limitait leur commerce, à un moment où les de fleurs stylisées, par exemple. sultans perçurent dans les ports locaux des impôts, dont Sokollu Mehmet Pacha3° (cat.165).
problèmes de la trésorerie ottomane restreignaient le une partie consistait en poivre 27.
pouvoir d'achat des clients réguliers des manufacturiers Soie grège et épices en provenance À la fin du XVIe siècle, l'élite ottomane n'ambitionnait Conclusion
de Salonique. D'autre part, la demande toujours crois- de l'Inde dans les emporia ottomans apparemment plus de faire d'Istanbul ou de Bursa un
sante de tissu destiné à confectionner les uniformes centre du commerce international des épices.Alors que Les produits de luxe étaient des biens de consommation
des janissaires - que l'administration ottomane payait Les marchands vénitiens et génois avaient fréquenté la Mehmet II (r.1451-1481) et Bajazet II semblent avoir fait très prisés de l'élite ottomane. On peut à ce titre citer
un prix modeste ou dont elle exigeait gratuitement la Méditerranée au XIIIe siècle, alors que l'Empire ottoman des tentatives dans ce sens, la situation excentrée des deux l'importante quantité de fourrures de grande qualité
livraison à titre d'impôt - leur occasionna des difficul- n'existait pas encore en tant que tel et n'était encore qu'une capitales ottomanes et les longs trajets qu'elle imposait que les sultans achetaient régulièrement en Russie. Il
tés financières. De plus, les Vénitiens se procuraient petite principauté. À cette époque, les épices, le poivre en découragèrent les marchands de l'Europe latine. est plausible d'affirmer que la rivalité opposant les puis-
une grande partie de leur laine brute dans les Balkans, particulier, arrivaient de l'océan Indien via l'Égypte. Dans Les négociants occidentaux parcouraient les marchés sances impériales des Ottomans et des souverains du
venant ainsi entamer l'approvisionnement en laine des les années 1400, les sultans mamelouks, en butte à des dif- ottomans dans le but également d'acheter la soie grège Saint Empire ou celle qui confrontait les Ottomans et
tisserands de Salonique 21 • Ceux-ci avaient beau avoir la ficultés financières dues aux pertes humaines causées par provenant d'Iran. Ils se trouvaient alors en concurrence les Vénitiens n'excluait pas une appréciation mutuelle -
préséance dans la mesure où ils fournissaient l'armée la peste, s'attribuèrent le monopole sur toutes les réserves directe avec les fabricants de soie de Bursa qui se four- même mitigée - de leurs qualités militaires et du savoir-
ottomane, les éleveurs de moutons trouvaient probable- disponibles au Caire et à Alexandrie. Les marchands véni- nissaient en soie grège auprès des mêmes producteurs faire de leurs artistes et artisans respectifs. En introdui-
ment le moyen de vendre leur laine au plus offrant. tiens exerçaient néanmoins une certaine influence sur les aux xve et XVIe siècles 28. Tant que la manufacture des sant à la cour et dans leur trésor des œuvres fabriquées
À cette période, les bateaux des marchands vénitiens prix, dans la mesure où ils pouvaient s'abstenir d'acheter soieries et des velours demeura un monopole presque par des étrangers, les sultans faisaient savoir au monde
affrontaient régulièrement des dangers, ce dont témoigne ou même d'aller à Alexandrie. Or cet équilibre fut boule- exclusivement italien, le problème demeura contrôlable. entier qu'ils avaient véritablement conquis un vaste
la pièce de théâtre de William Shakespeare, Le Marchand versé par le succès de l'expédition de Vasco de Gama Or les Ottomans furent confrontés à des difficultés empire. Les officiels ottomans ne s'attardèrent sans doute
de Venise. Le public qui assista à ses représentations put qui atteignit la côte occidentale de l'Inde en 1497-1498. lorsque l'activité du tissage de la soie s'implanta dans le guère dans leurs écrits sur cet intérêt pour l'étranger, à
sans doute se rendre compte que pour asseoir leur com- À partir de ce moment, non seulement la couronne de nord de l'Europe à la fin du XVIe siècle: les marchands l'exception de l'intarissable Evliya Çelebi qui, quelque
merce en Méditerranée, les marins anglais recouraient Portugal commercialisa d'importantes quantités de poivre de ces régions détenant davantage de capitaux propres soixante ans après la fin de la période considérée, relata
souvent à de véritables actes de piraterie. Cette concur- en Europe latine, mais les commandants de sa flotte ten- étaient plus à même d'affronter la hausse des prix 29. les talents exceptionnels des chirurgiens et des musiciens
rence féroce contribua au déclin de Venise dans l'échi- tèrent également d'anéantir le commerce qui avait cours viennois, tout en exprimant l'espoir que ces personnages
quier des échanges internationaux22 .Afin de compenser dans l'océan Indien, entre la péninsule Arabique et l'Inde. Un tribut d'orfèvrerie en argent compétents pussent un jour devenir des sujets otto-
ces pertes, les marchands vénitiens tentèrent d'ouvrir à Pire encore, ils commencèrent à menacer les ports de la venant d'Europe centrale mans31. Un aperçu des pratiques de consommation de la
Istanbul des commerces de détail dans les années 1600; mer Rouge, parmi lesquels Djeddah. Le maintien d'une cour ottomane montre que cette tendance était déjà pré-
une fois seulement, ils réussirent à obtenir l'autorisation flotte en mer Rouge étant extrêmement coûteux, les sul- Les négociants ottomans et vénitiens peinèrent sans sente de façon plus discrète à une époque antérieure.
officielle de le faire. Mais les objections des commerçants tans mameloul<S sollicitèrent l'aide du sultan Bajazet II doute à réaliser des profits commerciaux. Cependant,
locaux invoquant la coutume selon laquelle les étrangers (r.1481-1512). Pourtant, les gouverneurs d'Égypte et de les produits de luxe parvenant à Istanbul de l'Europe Veinstein 1997. 18 Atasoy, Denny, Mackee et
ne pouvaient s'adonner qu'au commerce de gros mit Syrie avaient jusqu'alors manifesté une certaine condes- latine n'étaient pas uniquement le fruit de transactions 2 Fodor 2000. Tezcan 2001, p. 178 ;
Pedani2010, p.58 . Atasoy et Uluç 2012 .
bientôt un terme à leur entreprise 23. cendance envers les Ottomans «parvenus »; ils avaient commerciales : durant la seconde moitié du XVIe siècle, 3
4 Pîrî Reis 2002 ; Soucek 1992. 19 Faroqhi 2013.
Le commerce d'articles de luxe vénitiens destinés aux même combattu contre eux sans succès dans le but de on pouvait régulièrement voir des pièces d'orfèvrerie 5 Hering 1968, p. 161-176. 20 Sella 1968.
Ottomans fortunés connut un essor plus durable. Tout gagner le contrôle de l'Anatolie orientale. Mais face à 6 Layton 1994, p. XXI-XXXII. 21 Braude 1979.
en argent à la cour ottomane. De fait, les empereurs Vercellin 2000. 22 Tenenti 1967.
7
au long du XVIe siècle et plus tard encore, Venise compta cette nouvelle situation, les Ottomans qui étaient dotés du Saint Empire devaient payer au sultan un tribut en 8 Arbel 2002. 23 Veinstein 2008.
des ateliers qui s'étaient spécialisés dans les soieries et les d'une marine militaire eurent le dessus. Les mécènes et échange de la partie de la Hongrie qui était sous leur 9 Mack 2002, p. 125-137. 24 Sarjono 2006; Boralevi,
10 Mack 2002, p. 125, 127 et 131. Ciampini et Contadini
velours recherchés par l'élite ottomane. Ainsi, les velours les artistes réagirent promptement à ce nouvel ordre des contrôle et certains de leurs paiements se faisaient sous 11 Grube 2006. 2006.
ciselés - dont les poils avaient été coupés à diverses hau- choses en mettant à l'honneur dans leurs œuvres le turban forme d'argenterie. Les pièces contenant des méca- 12 Mack 2002, p. 134. 25 Raby 1983b.
rond de style ottoman, plutôt que la haute coiffe caractéris- 13 Grube 2006, p. 239. 26 Braudel 1966, vol. r,
teurs de façon à produire l'effet d'une surface en relief - nismes d'horlogerie d'Augsbourg ou de Nuremberg 14 Mack 2002, p. 131. p. 497-515.
et en particulier ceux qui étaient teints en rouge, tique des sultans mameloul<S 2s. amusaient particulièrement les membres de la cour 15 Ricci 2002, p. 27-28. 27 Sahillioglu 1985.
semblent avoir plu aux dignitaires de plus haut rang En 1516-1517, Sélim 1er (r.1512-1520), fils et successeur ottomane, pour un temps du moins, car la plupart 16 Notamment Aslanapa 28 Inalcik 1960.
1988; Ydema 1991; 29 Çizakça, réimpr. 1987.
de la cour du sultan. La plupart des étoffes de velours de Bajazet II, détruisit en une seule campagne la puis- d'entre elles finissaient par être fondues. Il n'en subsiste Spallanzani 2007. 30 Beaufort-Spontin et
vénitiennes - confectionnées en caftans - conservées au sance qui avait autrefois dominé le monde islamique, donc qu'un nombre limité. Nous savons que l'ambas- 17 Faroqhi 1978, p. 60-61. Pfaffenbichler 2013.
mettant ainsi la main sur les ressources égyptiennes, 31 Evliya Çelebi 1987.
musée du palais de Topkap1 étaient certainement à l'ori- sadeur du Saint Empire Ogier Ghislain de Busbecq,
gine des cadeaux diplomatiques. Curieusement, bien que notamment sur le commerce des épices. Ce marché qui offrit un éléphant en argent, affirma que le sultan

34 35
LES PORTRAITS D E SULTANS
OTTOMANS ET L'EUROPE
DE LA RENAISSANCE
GÜNSEL RENDA

Les Ottomans établirent leur présence en Europe à partir (Géographie) de Ptolémée4, dont un exemplaire en latin
du XIVe siècle, et avec la prise de Constantinople en 1453 et une version en italien, Septe Giomate della Geographia
et leur expansion progressive vers l'Europe centrale et la par le Florentin Francesco Berlinghieri, dédicacée à
Méditerranée, des relations culturelles avec l'Occident Mehmet US, sont conservés au palais de Topkap1. On y
chrétien se développèrent en fonction des alliances poli- trouve aussi des cartes et portulans italiens, catalans et
tiques, des victoires et défaites, de la diplomatie et du arabes acquis sous le règne de Mehmet. Tout ceci indique
commerce. De récentes recherches ont révélé qu'au fil des qu'il avait recours aux sources d'érudition d'autres pays et
siècles des souverains et mécènes jouèrent un rôle impor- qu'il était très certainement en contact avec des étrangers
tant dans les échanges transculturels et, aussi différentes vivant à Constantinople. On sait qu'il était un grand ami
que puissent paraître les cultures ottomane et occiden- des marchands italiens Nicola Ardinghelli et Benedetto
tale, ces échanges permirent un enrichissement mutuel Dei, lesquels ont sans doute largement contribué à l'ac-
de leurs langages artistiques On étudiera dans ce qui suit
1
• quisition des ouvrages européens de la bibliothèque du
l'art du portrait sultanique en tant que langage pictural sultan, livres, cartes et gravures, offerts pour la plupart.
élaboré à la cour ottomane et ses diverses interprétations Ces dernières ont été rassemblées dans des albums
dans l' Europe de la Renaissance. compilés sous le règne de Mehmet Il. Le Fatih Album,
Le monde ottoman commence à s'intéresser à l'art du qui doit son titre aux portraits du sultan qu'il renferme,
portrait sous le règne de Mehmet II (1451-1481), et la tra- comprend également un grand nombre d'estampes de
dition du portrait sultanique qui s'instaure alors se main- l'école florentine aux sujets mythologiques et religieux6 •
tiendra sans interruption jusqu'au xx:e siècle 2 • Mehmet II Dans ce même volume se trouve un portait du sultan
fut le premier souverain ottoman à nouer des relations portant l'inscription El Gran Turco; réalisé en Europe, il
culturelles avec l'Occident et son activité de mécène a a probablement été apporté avec ces gravures. Il s'agit de
profondément marqué le monde oriental et occidental. la première représentation européenne du sultan, appa-
Son intérêt pour l'art de !'Antiquité et de l'Europe s'était remment inspirée du portrait de l'empereur de Byzance
éveillé alors que, jeune prince, il n'était encore que gou- Jean VIII Paléologue - bien connu en Europe pour avoir
verneur de Manisa dans l'ouest de !'Anatolie. On pense approuvé l'union des Églises-, portrait qui figure sur une
qu'il a alors été en contact avec des Génois vivant dans la médaille dessinée par le maître de Vérone Pisanello, à
région et est ainsi entré en possession d'anciennes mon- l'occasion du Concile de Florence réuni en 1439 afin de
naies et médailles. Des croquis de bustes trouvés dans un réaliser l'union des Églises grecque et latine7(cat. 72). Ce
carnet de son enfance indiquent qu'il connaissait ce type premier portrait de Mehmet II révèle que, dans les années
de représentation3. S'étant de bonne heure intéressé à 1460, des représentations imaginaires du nouveau souve-
l'histoire ancienne et à la culture occidentale, il a enrichi rain de Constantinople furent produites en Europe.
sa biblioth èque d'un grand nombre d'écrits scientifiques La personnalité de Mehmet Il, sa politique et son
en diverses langues, traitant de géographie, de méde- intérêt pour le monde occidental ont également contri-
cine, d'histoire et de philosophie. Il possédait également bué à introduire peu à peu l'image des Turcs dans l'art
les œuvres d'Homère et m ême plusieurs Bibles. Dans européen, tandis que les relations culturelles entre la
le domaine de la géographie et de la philosophie, il eut cour ottomane et l'Occident s'intensifièrent au cours des
pour conseiller l'écrivain et philosophe grec Giorgios décennies 1460 et 1470. À l'instar des dirigeants grecs et
Amiroutzes de Trébizonde qui établit pour lui une carte romains et des humanistes de la Renaissance dont les
du monde, en s'appuyant sur la Geographikè Hyphegesis portraits faisaient l'objet d'échanges diplomatiques et

ill Q .\ • ·hué à Gentile Bellini. Portrait de Mehmet Il. Venise. vers 1 - 10. Doha., 1usée de l'an islamioue 3ï
culturels, Mehmet li, qui suivait l'évolution artistique et l'étoffe brodée 1J . Après de récentes recherches concernant Mehmet II, l'Europe a manifesté un intérêt croissant pour
scientifique de la Renaissance, voulut immortaliser son la vraisemblance ou la ressemblance de ce portrait, les les portraits de sultans ottomans. Le sultan Djem, fils de
image par des médailles et des portraits et, à cet effet, fit spécialistes s'accordent à dire que Bellini a sans doute Mehmet Il, qui avait voulu partager l'empire avec son
venir à sa cour un grand nombre d'artistes italiens 8 . cherché à réaliser un portrait fidèle à la demande de frère Bajazet II et vécut en exil à Rhodes, puis en France et
En 1461, il demanda à Sigismond Malatesta, seigneur Mehmet 4. Celui-ci a obtenu ce qu'il voulait, les portraits
1
plus tard au Vatican, a également été peint par des artistes
de Rimini, de lui envoyer Matteo de' Pasti, médailliste et qu'il a commandés et leurs copies exécutées en Europe européens 21 •
ancien élève de Pisanello. Malatesta dépêcha Matteo, mais ont certainement contribué à répandre son image dans L'expansion de l'Empire ottoman au xv1• siècle jusqu'en
le pape, informé de son voyage et du fait qu'il emportait à divers cercles et médias1s. Europe centrale et son rôle important dans l'équilibre
l'intention du sultan De re militari, le traité de technique La présence de maîtres européens actifs à la cour otto- des pouvoirs en Europe entraînèrent un accroissement
militaire de Roberto Valturio, l'accusa d'espionnage et le mane sous la protection de Mehmet II inspira sans aucun de l'intérêt à l'égard de la Turquie et des Turcs aussi
fit arrêter en Crète. Mehmet II s'adressa alors à Ferrante II, doute aux artistes locaux des ateliers du Conquérant la bien que de la crainte qu'ils inspiraient. Cependant, les
roi de Naples, et c'est un autre médailliste, Costanzo di création d'une nouvelle tradition picturale, traduisant relations politiques et commerciales renforcèrent les
Moysis, anciennement connu sous le nom de Costanzo en quelque sorte des idiomes visuels européens dans échanges culturels, en particulier durant les quarante-six
da Ferrara, également élève de Pisanello, qui vint à le langage de la miniature. Le buste de Mehmet II attri- ans de règne de Soliman le Magnifique (1520-1566).
Constantinople vers le milieu des années 1470. Il y passa bué à Sinan Bey montre comment des emprunts à la L' Europe artistique et culturelle du xv1• siècle a adopté
plusieurs années au cours desquelles il effectua plusieurs peinture occidentale tels que le volume et les ombres deux approches différentes à l'égard des Ottomans.
dessins et médailles représentant le sultan. Sa première furent intégrés aux normes islamiques dominées par la D'une part en produisant des livres et du matériel ins-
médaille, conservée à la National Gallery de Washington, linéarité (ill. 10). Selon la recherche récente, Sinan Bey pirés par la réaction à leur puissance écrasante et par la
a pour originalité de porter un buste du sultan sur une aurait été formé par un maître italien, probablement crainte devant leur menace (comme l'indique le terme
face, un portrait équestre au revers9 (cat. 76). da Ragusa, assistant de Pisanello 16 • Un portrait attribué de Türkengefahr désignant des pamphlets anti-Turcs).
Le sultan Mehmet II entretenait également d'étroites à ~iblizade Ahmed de Bursa, élève de Sinan Bey, repré- Des publications de propagande se répandirent contre
relations avec Florence. Après la guerre contre Venise, sente le sultan humant une rose. Cette œuvre de style la politique d'expansion des Ottomans. Les journaux
il accorda en 1460 des capitulations (avantages commer- timouride présente elle aussi un amalgame d'éléments et bulletins publiés dans les pays germaniques tels que
ciaux) aux Florentins dans le commerce italo-ottoman européens et orientaux (ill. 11). La Freer Gallery of Art à Türkenzeitung et Flugbliitter diffusaient aussi bien des por-
ill. 10 Attribué à Sinan Bey, Buste de Mehmet II , vers les années 1460.
auparavant dominé par les Vénitiens. Il soutint également Washington conserve un autre portrait, également attri- traits de sultans que des illustrations à caractère politique Topkap1 Saray1 Müzesi, H. 2153, fb 145b.
les Médicis de Florence en faisant arrêter en décembre bué à Sinan Bey, intitulé Le Peintre assis'7. Mais l'influence donnant une image négative des Turcs 22 (cat. 6, 13 et 16).
1479 à Constantinople Bernardo Bandini, le chef de la en Europe des peintres invités à la cour de Mehmet II D'autre part, des œuvres d'art et des publications plus
conspiration des Pazzi 1°. ne se limite évidemment pas à ces portraits. Durant leur objectives décrivaient le pays et la culture des Ottomans
Cependant, les échanges politiques et culturels avec séjour à Constantinople, Costanzo et Bellini ont peint et présentaient notamment des portraits réalistes des
Venise s'intensifièrent grâce au traité de paix de 1479. de nombreux tableaux sur la Turquie et les Ottomans, et sultans 2 3. Plusieurs Européens qui s'étaient rendus dans
Le sultan demanda au doge de lui envoyer un sculp- ont notamment documenté différents costumes turcs 18 . l' Empire ottoman dans divers buts politiques et diploma-
teur et un fondeur de bronze qui pourraient créer des Bellini a peuplé ses scènes bibliques de personnages tiques ont écrit des livres sur ce pays et les ont illustrés
médailles. Les sources attestent que Bartolomeo Bellano, vêtus à la turque, comme d'autres peintres des xv• et xv1• d'œuvres de peintres qui les avaient accompagnés, ou de
sculpteur de Padoue, et Gentile Bellini de Venise vinrent siècles à la suite d'artistes vénitiens : Vittore Carpaccio travaux commandés à des artistes de Constantinople. En
à Constantinople en 1479-1480. On connaît mieux l'ac- et Bernardino Pinturrichio ont notamment placé dans fait, les récits de voyages et les livres illustrés sur l'Empire
tivité de Bellini, comme l'ont montré de récentes exposi- certaines de leurs œuvres des personnages, des costumes ottoman se répandirent en Europe après l'époque de
tions témoignant de son séjour dans la capitale ottomane et des tapis turcs assez réalistes. On sait qu'à cette époque, Soliman le Magnifique. C'est sans aucun doute dû au rôle
et des commandes qu'il y a reçues" . Bien que n'étant pas les étoffes et les tapis ottomans furent importés par des significatif que celui-ci joua dans la politique européenne
réellement médailliste, le Vénitien a dessiné une médaille marchands italiens. De plus, des tissus semblables furent au cours de son long règne. L'alliance qu'il avait conclue
à l'effigie du sultan, et on pense que celui-ci l'a offerte fabriqués dans quelques villes italiennes. Des tapis turcs avec François J•r fut vaincue par les Habsbourg en 1526 et
à Laurent de Médicis 12 (cat. 77). Cette médaille porte représentés dans des tableaux européens au xv• siècle sa campagne en Hongrie contre ces derniers constitua le
d'un côté un buste du sultan de profil et, au revers, trois témoignent de leur popularité 9 (cat.127-131).
1
principal événement politique de cette période 2 4. Ainsi,
couronnes symbolisant sans doute les trois royaumes Le successeur de Mehmet II, le sultan Bajazet II (r. 1481- la pression ottomane sur les Habsbourg catholiques a-
(Grèce, Asie et Trébizonde). Outre ses portraits, le sultan 1512) qui ne partageait visiblement pas l'intérêt de son t-elle favorisé la diffusion du protestantisme et le succès
a également commandé à Bellini des vues de villes et des père pour la peinture européenne, a été accusé d'avoir fait de Luther. Les portraits du sultan ont en effet été davan-
paysages. Mais l' œuvre la plus significative pour la pein- disparaître certaines œuvres d'artistes italiens que celui-ci tage diffusés en Europe après la bataille de Mohacs et le
ture ottomane et européenne est un portrait de Bellini avait commandées. Il connaissait cependant les activités siège de Vienne en 1529. Ces portraits, dont presque tous
aujourd'hui conservé à la National Gallery de Londres artistiques et techniques de l'Italie de la Renaissance, et incluent des scènes représentant des cérémonies royales,
(cat. 65): il représente le sultan en buste de trois-quarts, requit les services de quelques architectes et ingénieurs. la vie quotidienne et les costumes ottomans ainsi que des
encadré par une arche de style Renaissance surmontée En outre, il semble bien que c'est sous son règne que fut vues de Constantinople, constituent une source docu-
de chaque côté du motif de trois couronnes. Une ins- réalisée en Europe la première série de portraits de sul- mentaire sur l'Empire ottoman à cette époque. Envoyé
cription le désigne comme Victor Orbis, conquérant du tans ottomans. Cette série dédicacée à Ladislas II, roi de là-bas en 1533 par la manufacture van der Moyen de
monde. Dans ce portrait, Bellini met en œuvre à la fois Hongrie et de Bohême, est attribuée à l'humaniste Félix Bruxelles pour vendre des tapisseries, le peintre anver-
un modèle de la Renaissance et l'iconographie orientale. Petancius, qui accompagna sans doute la délégation hon- sois Pieter Coecke van Aelst séjourna par exemple un
Selon des recherches récentes, l'arche symbolise le portail groise à Constantinople en 1513. Sous forme d'un rouleau, certain temps à Constantinople et réalisa une série de
principal du palais de Topkap1 et les couronnes les sul- elle est constituée de sept médaillons représentant les dessins concernant les Ottomans, dont il se servit par la
tans ottomans prédécesseurs de Mehmet II. Une septième premiers sultans ottomans, jusqu'à Bajazet II qui figure en suite pour illustrer son livre. Le cosmographe Nicolas
couronne, représentant le règne de Mehmet, se trouve sur archer2 0 (voir cat. 91). Une telle œuvre témoigne qu'après de Nicolay, qui accompagna l'ambassadeur de France à

ill. 11 Attribué à $iblizade Ahmed, Mehmet II respirant une rose, vers 1480.
Topkap1 Sa ray1 Mü zes i, H. 2153, fb 10b.

38 39
Constantinople en 1553, a lui aussi abondamment illustré
son récit de voyage (publié à Lyon en 1567) de dessins
de costumes ottomans, et ceux-ci constituèrent ensuite
une précieuse documentation pour nombre d'artistes.
Melchior Lorck, de Flensburg, qui suivit Ogier Ghislain
de Busbecq, ambassadeur du Saint Empire à la cour otto-
mane, a créé les tableaux les plus fidèles de la période de
Soliman le Magnifique. Son panorama de Constantinople
et ses vues de divers quartiers, rues et monuments de la
ville sont d'importants documents visuels de l'Empire
ottoman de cette époque 2 s. Les portraits réalistes du sul-
tan gravés par Lorck, des bustes et un portrait en pied
devant un porche à travers lequel se distingue la mosquée
de Soliman (cat. 69), ont inspiré plusieurs représen-
tations produites en Europe au XVIe siècle. Soliman le
Magnifique a donc été souvent représenté en Europe sur
des médailles, des gravures et des tableaux, et ce, non seu-
lement par des peintres venus dans la capitale ottomane,
mais également par des artistes tels qu'Albrecht Dürer,
Titien ou Véronèse qui n'avaient jamais voyagé dans
l'Empire ottoman. Dürer exécuta un portrait du sultan
dès 1526 (voir ill. 20, p. 53); quant à Titien, il peignit un
buste de Soliman, et des personnages ressemblant au sul-
tan qui figurent dans certaines de ses scènes religieuses 26 •
Ces portraits sont sans aucun doute dérivés des portraits
réalistes de sultans dont il a été question plus haut.
Le plus intéressant portrait de Soliman est celui
d'Agostino Veneziano (1535) montrant le sultan coiffé
d'un casque de parade en forme de tiare, orné de pierres
précieuses (cat. 79 ). Cette coiffure évoquant une couronne
avait été commandée en 1532 aux Caorlini, une famille
d'orfèvres vénitiens, car Soliman le Magnifique voulait
porter une couronne impériale, comme les empereurs
d'Occident, afin de montrer sa supériorité sur les souve- ill. 13 Osman, Portrait de Soliman l", 1579, in ~emâ'ilnâme.
Topkap1 Saray1 Müzesi, H. 1563, fb 6ib.
rains d'Europe. Des sources témoignent qu'il a effecti-
vement porté cette tiare lors d'une cérémonie à laquelle
assistaient également les ambassadeurs des Habsbourg
à Nis avant la campagne de 1532 27. Des séries de portraits Nigârî avait certainement vu au palais des gravures
de sultans furent également peintes ou imprimées en européennes dont il reprit les formes de buste et de trois
Europe au XVIe siècle, notamment ceux que Niccolo Nelli quarts. En fait, on pense qu'une série peinte par Nigârî
réalisa pour l'arbre généalogique établi par l'historien est parvenue en France lors de la campagne méditerra-
vénitien Sansovino, et le portrait figurant sur une carte de néenne de l'amiral Barbarossa en 1543. Celui-ci remit
Constantinople dessinée par Vavassore dans les années probablement ces portraits à son homologue français
1560, copié par la suite à plusieurs reprises (cat. 3). Il exis- Virginio Orsini. Paolo Giovio, historien et collection-
tait même en Europe des cartes géographiques illustrées neur italien qui avait rassemblé dans sa villa de Côme
avec le portrait du sultan: au centre de la carte d'Anatolie une collection de portraits de personnages célèbres de
dessinée par le cartographe vénitien Battista Agnese, on cette époque, voulut y ajouter les portraits ottomans et,
voit Soliman sur son trône 28 • apprenant qu'Orsini les possédait, il les lui emprunta
Les relations et les alliances politiques de Soliman pour les faire copier. Plusieurs copies à l'huile ont
le Magnifique avec la France ont laissé des traces pro- encore été faites par la suite, si bien que cette série a
fondes des deux côtés. ralliance franco-ottomane été largement diffusée en Europe. Les portraits de la
favorisa notamment l'expansion et la suprématie des collection Giovio, également copiés par le Suisse Tobias
Ottomans en Méditerranée. À partir de cette époque, Stimmer, et les gravures sur bois ont ensuite été éditées
des motifs européens s'intègrent à la peinture otto- dans le livre de Giovio Elogia Virorum Bellica Virtute
mane. rartiste Haydar Reis (Nigârî), par exemple, a non lllustrum3° (cat. 90).
seulement peint des portraits de sultans, mais aussi de La politique de Soliman le Magnifique à l'égard des
Charles Quint et de François 1er, les deux plus grands pays européens et les privilèges commerciaux qu'il leur
souverains européens de l'époque 2 9. Proche de la cour, accorda intensifièrent les relations culturelles dans les

ill 12 Osman Portrait de Mehmet II, liï9, in Se â ilnâme. Tooka1n Sara ·1 Müzesi H.1- 6L .1 Qa. 40 ~1
qui porte des traces de la peinture européenne, chacun Plusieurs expositions ont ou non une ressemblance.
des modèles devant être adopté par la suite dans les illus- mis les échanges transcultu- Raby 2000a, p. 69, f.n. 26.
reis en lumière: New York 16 Necipoglu 2012, p. 16.
trations de textes historiques ottomansJ2. Le portrait de 1973, Vienne et Münster 17 Ibid., p. 42.
Mehmet II présente toutes ces caractéristiques: le sultan 1983, Berlin 1989, New York 18 Voir Meyer zur Capellen
1994, Dresde 1995, Istanbul 1985. Voir également le cata·
est représenté de trois-quarts à la manière européenne, 1999, Istanbul 2000, Jogue publié en rapport avec
mais assis en tailleur et adossé à un coussin, une rose et Boston 2005, Londres 2005, le portrait de Bellini exposé
Londres 2006. à la Yap1 ve Kredi Bank
un mouchoir à la main dans la tradition orientale (ill. 13). 2 Babinger 1978. d'Istanbul en 1999: Ressam ,
Le $emâ'ilnâme est bien une version islamisée des biogra- 3 Topkap1 Saray1 Müzesi Sultan ve Portresi. The Artist,
phies historiques occidentales, le produit d'une véritable H. 2324. Necipoglu (2012 , the Sultan and his Portrait,
p. 17) a réalisé une étude Istanbul, 1999.
synthèse entre l'Orient et l'Occident. Les artistes otto- approfondie du goût 19 Atasoy et Uluç 2012,
mans ont conservé cette iconographie, si bien que la phy- de Mehmet II pour les p. 173-189.
médailles. 20 Un rouleau analogue à celui
sionomie connue des sultans et leurs attributs sont restés Sur la bibliothèque de de la Bibliothèque nationale
4
inchangés, dans les portraits à part comme dans les séries, Mehmet Il et les cercles de Budapest se trouve à
jusqu'au x1xesiècle. scientifiques, voir Raby Madrid ; cf. Istanbul 2000,
1983a, p. 15-34 ; Rogers 2005- cat. 9.
Les copies de Zübdetü't Tevarih ou Silsilenâme 2006, p. 81-86. Pour une 21 Sur les portraits de Djem,
(Généalogie) sont d'autres manuscrits contenant des recherche récente et plus voir Eyice 1973.
compréhensive sur laper- 22 Meyer zur Capellen et Bagc1
séries de portraits. Le premier est celui d'Adam, dont est sonnalité de Mehmet II, son 2000, p. 96, note 6.
issue la lignée de tous les prophètes bibliques et coran- activité de mécène et son 23 Pour des informations
identité transculturelle, générales sur ces livres,
iques, puis ceux du prophète Mahomet, des califes et des voir Necipoglu 2012. voir Rouilla rd 1938 et And
souverains islamiques du passé, auxquels les sultans otto- 5 Topkap1 Saray1 Müzesi 1993. Sur ces albums du
mans sont rattachés sur le plan généalogique (ill. 14). Les G184; voir Roberts 2013. xv1• siècle à la Bibliothèque
6 Topkap1 Saray1 Müzesi nationale de Vienne, au
portraits de ces manuscrits sont également dérivés des H. 2153. Pour plus d'infor- Mayer Memorial Museum
modèles d'Osman dans le $emâ'ilnâme. Nous savons que mations sur la bibliothèque de Jérusalem et à la
de Mehmet II, voir aussi Bodleian Library d'Oxford,
des Silsilenâme ou $emâ'ilnâme conportant des portraits de Rogers 2005-2006, p. 80-97. voir And 1993.
sultans furent encore produits au cours des siècles sui- 7 Constantinople 2000, p. 65. 24 1nalc1k 2002, p.1058-1065.
vants, et qu'ils étaient conservés dans le trésor du palais La gravure El Gran Turco est 25 Eyice 1970, Fischer 1962,
attribuée au Maître floren- Renda 2012.
afin que chaque souverain vienne les consulter à l'occa- tin de la Passion de Vienne: 26 Silver 2011, p. 186-206.
sion de son couronnement. Des Silsilenâme ont également Necipoglu 2012, p. 18-19. 27 Kurz 1969; Necipoglu 1989.
8 Le mécénat de Mehmet II 28 Renda 2002, p. 1099, fig. 712.
été réalisés par des ateliers de province afin d'être diffusés envers des artistes euro- 29 Ces portraits, autrefois dans
parmi les dignitaires et les administrateurs pour légiti- péens est étudié en détail la collection Binney, sont
mer la dynastie ottomane et le gouvernement sunnite par J. Raby 2000a. actuellement conservés au
9 Ibid. , p. 67. Pour plus d'in- Fogg Museum de Boston.
ottoman dans les provinces orientalesJJ.
-- Né au xve siècle chez les Ottomans, le portrait sulta-
formations sur Costanzo di
Moysis, voir Chang 2005,
Voir Renda 2002, p. 1100,
fig. 713-714.
p. 128-129. 30 Des informations détaillées
nique a évolué en un genre à part jusqu'au début du xxe. 10 Babinger 1963, p. 1-53. sur les portraits de la collec-
On a aussi continué d'en produire en Europe aussi bien 11 Boston et Londres tian Giovio se trouvent dans
sous forme de séries que de gravures individuelles, le 2005-2006. Raby 2000b, p. 141-150.
ill. 14 Portraits de sultan s ottomans de Bajazet II à Mehmet III, 1597, in Sil silenâme. Topkap1 Saray1 Mü zesi, H.1324, fb' 29b-3oa. 12 Raby 2000a, p. 64-95 . 31 Ibid ., p. 150-163.
plus souvent destinées à illustrer des livres sur l'Empire 13 Pedani-Fabris 1999. 32 Pour des informations
ottoman. 14 Rodini 2011. détaillées sur Osman et les
15 L'archiprêtre Matteo Bossa portraits de ~emâ'ilnâme,
deux directions. La commande du grand vizir Sokollu existait une série à Venise, aussi demanda-t-il au baylo Le portrait n'a jamais été une des préoccupations a vu ces médailles à l'effigie consulter Çagman 2000,
Mehmet Pacha passée sous le règne du sultan Murat III de la faire venir à Constantinople. Ces portraits à l'huile premières du monde islamique, sauf dans le cas des du Conquérant. En outre, p. 164-187.
lorsqu'il rencontra à Rome 33 Pour plus d'informations
(r.1574-1595) par l'intermédiaire du baylo (diplomate) peints d'après des estampes de portraits existants sont Ottomans et des Mogols en Inde, dont l'intérêt pour le sultan Djem, fils du sur les séries de portraits du
de Venise auprès de la Sublime Porte constitue un parvenus à Constantinople en 1579 et la plupart sont l'historiographie entraîna l'évolution du portrait sul- Conquérant, il déclara qu'il xv1• siècle, voir Bagc1 2000.
exemple intéressant d'échange culturel. Sokollu, qui encore conservés au musée de Topkap13'. Les biogra- tanique en tant que genre à part, l'illustration d'évé- se demandait s'il y avait
avait sans doute vu en Europe des histoires dynas- phies illustrées appartenant à la tradition européenne, nements historiques amenant à se soucier de l'image
tiques illustrées, souhaita avoir un manuscrit similaire cette série s'inspire probablement du livre illustré de des souverains. Des expositions sur les échanges trans-
et chargea l'historiographe de la cour Seyyid Lokman Giovio, mais se conforme davantage au modèle oriental culturels ne manquent pas de mettre en lumière des
A~urî, et Osman, célèbre artiste de l'époque, de préparer du portrait attribué à ~iblizade, représentant Mehmet II aspects distinctifs de la création artistique dans le cadre
un volume rassemblant des informations sur tous les de trois quarts, appuyé à un cousin et respirant une rose de relations politiques. L'étude des rapports entre la
sultans ottomans et leurs portraits. Cet ouvrage intitulé (ill.12). On peut donc penser qu'Osman recourut d'une Renaissance en Europe et l'Empire ottoman montre que
I<iyâfetü'l-insaniye fi $emâ'il'ül-Osmaniye ($emâ'ilnâme) part aux précédents modèles ottomans et aux portraits l'art du portrait sultanique était un important médium
(Physionomie humaine concernant les dispositions européens apportés de Venise, mais qu'il se référa aussi reflétant l'échange de modes visuels, et illustre la façon
personnelles des Ottomans) contenait les portraits des à des textes historiques ottomans et étudia les costumes dont des traditions artistiques différentes ont pu créer
douze premiers sultans d'Osman à Murat III. L'auteur authentiques, conservés au palais, de chacun des sultans. un langage commun.
explique que certaines caractéristiques du visage et du Les modèles vénitiens sont des portraits en buste où
corps révèlent le caractère. Cependant, afin de ne pas les sultans sont représentés dans une tenue imaginaire,
commettre d'erreur sur l'image des anciens sultans, il a tandis que dans les portraits d'Osman, ils portent des
eu l'idée de se référer à leurs portraits peints en Europe. costumes et des coiffes plus authentiques.Avec ces por-
Sokollu Mehmet Pacha avait entendu dire qu'il en traits, Osman a créé une image sultanique « ottomanisée »

42 .i3
1A PRÉSENCE OTTOMANE À VENISE
SABI NE ENG EL

Pendant de très longues périodes, Venise de nombreux voyageurs ottomans degli Albanesi, le bâtiment où se réunis-
fut considérée comme la « porte de séjournèrent à Venise dans le cadre des sait la confrérie laïque des Albanais, elle
l'Orient ». Le haut degré de familiarité - échanges commerciaux ou diploma- est décorée d'un relief réalisé vers 1530
conditionnée par les liens commerciaux tiques6. Les relations suivies et, par voie montrant une scène historique (ill. 16 ),
- que la ville entretint très tôt avec la de conséquence, la bonne connaissance le siège de Scutari par Mehmet II en 1478,
topographie et les coutumes orientales de la culture étrangère et la fascination rappelant ainsi un des conflits militaires
ressort déjà du vol légendaire des reliques durable qu'elle a exercée, ont laissé leur entre la République et l'Empire ottoman9.
de saint Marc l'Évangéliste, en 828, par empreinte dans l'image de Venise, notam- L'on sait toutefois que les périodes de
des marchands vénitiens d'Alexandrie, vol ment dans l'architecture et la sculpture paix ont largement prédominé 10. Si les
qui fut ensuite rebaptisé plus simplement publique, mais aussi dans les maisons et Vénitiens redoutaient l'expansionnisme
translatio 1 • Le saint étant devenu patron de les palais eux-mêmes du fait des produits ottoman, ils avaient aussi une conscience
la ville, des scènes de sa vie furent réguliè- de luxe orientaux qui y étaient exposés ou aiguë des multiples avantages qu'ils pou-
rement représentées et exploitées comme représentés dans des peintures7. Un petit vaient tirer du commerce avec la Sublime
un pivot de la propagande d' État subtile et tour à Venise et jusqu'au cérémonial d'État Porte. Du côté de l'Occident, l'on se pré-
multiforme de la Sérénissime 2 • de la Sérénissime suffit à éclairer ce point. sentait volontiers comme le premier
Quelques siècles plus tard, de premiers Ainsi, les reliefs et statues de la fin défenseur de la chrétientén, sans hésiter,
contacts seront noués avec un Empire du Moyen Âge et des débuts des Temps en cas de doute, à nouer des alliances avec
ottoman en pleine expansion. Remontant modernes encore visibles aujourd'hui le «Turc » pour se protéger du reste de
au dernier tiers du trecento3, ils s'in- sur les murs de différents édifices de la l'Europe 12 •
tensifièrent progressivement et furent ville, présentent un certain nombre de L'église du Rédempteur (1577-1590) édi-
soignés tout particulièrement à côté des scènes ou de personnages orientalisants. fiée par Palladio sur l'île de la Giudecca
relations avec les mamelouks des bords de Dans le quartier du Cannaregio, le Campo constitue par ailleurs un exemple éminent
la Méditerranée4. Ce qui distinguait alors dei Mori est connu de tous, avec ses trois en matière d'architecture. La manière
fondamentalement la république mari- figures qui ne furent vraisemblablement dont les deux fines tours flanquent la
time d'autres puissances européennes enturbannées qu'au xv• siècle, et que l'on coupole centrale incite très naturellement
résidait dans le fait que les ambassadeurs transforma ainsi en «Mari», en Orientaux au rapprochement entre l'aspect extérieur
et les marchands de la Sérénissime étaient basanés. Non loin de là, la Ca' Mastelli de l'église et des minarets, et plus géné-
durablement établis dans les principales arbore un relief figurant un chameau ralement de l'architecture des mosquées.
villes du Proche-Orient par le truchement chargé et son guide, référence au com- Récemment, Deborah Howard a montré
de comptoirs propress. De même, et par- merce oriental que pratiquait alors son à quel point les plans de cette église ont
ticulièrement au début du cinquecento, propriétaire 8 . Quant à l'ancienne Scuola dû être influencés par les impressions
visuelles que Marcantonio Barbaro reçut
dans l'Empire ottoman (voir cat. 40). En
1568, l'ami et protecteur de Palladio avait
été envoyé à Constantinople en qualité
de baylo (ministre plénipotentiaire) de la
Sérénissime auprès de la Sublime Porte et
consul responsable des Vénitiens vivant
dans la ville du Bosphore 13. Il conservera
ces charges pendant une période éton-
namment longue: jusqu'en 1573. Comme
nous l'apprennent les sources écrites, le
noble vénitien suivait scrupuleusement
la genèse des édifices construits par le
célèbre architecte Mimar Sinan (1489-
1588) et les loua expressément. De retour
dans la ville lagunaire, Barbaro a dû exer-
cer une influence similaire sur Palladio et
sa future église'4.
Les jours de fête pour lesquels le céré-
monial prévoyait une procession - une
andata in trionfo 1s -, l'image de Venise
était en outre marquée par une pléthore
de tapis d'Orient exhibés aux fenêtres
grandes ouvertes des bâtiments publics
aussi bien que des palais privés, un
fait que nous évoque le chroniqueur
ill. 16 École vénitienne, Le Siège de de Scutari, vers 1530, relief de pierre. Venise, Scuola degli Albanes i. Marin Sanudo 16 . Cependant, certaines
ill 15 Pâris Bordone, La Remise de l'anneau au Doge (détail), 1534, huile sur toile. Venise, Galleria dè ccademia.
ill. 17 Gentile Bellini, Procession sur la place Saint-Marc, 1496, huile sur toile. Venise, Galleria dell'Accademia

48 _ __ -9
d'un haut chapeau de feutre 20 et la mous- Dans cette peinture, on relève même aux églises, qui remaniaient les étoffes 23 Grevembroch 1981, vol. 1, n° 74 ; Raby 2007,
tache tombante 21 • Il se peut qu'il s'agisse la présence de plusieurs tapis. En place précieuses des caftans et des manteaux p. 108.
24 Denny 2007, p. 186; Zele 1989, p. 243.
d'une délégation ottomane : contrairement centrale, aux pieds du doge, un Usak- de manière à les rendre aptes au service 25 Howard 2007, vol. 1, p. 79 ; Mack 2002, p. 77.
aux ambassadeurs occidentaux, il était étoile d'Anatolie de l'Ouest, premier du liturgique36. 26 Mack 2002, p. 73.
27 Brown 1988, p. 237-239 et 291-295.
en effet interdit aux Ottomans - comme genre à avoir été représenté dans l'art Malgré ses relations commerciales 28 Denny 2007 p. 187; Schmidt Arcangeli 2007,
aux femmes - de prendre part aux pro- occidental28 . Au-dessus de ce tapis a lieu intensives avec le Levant, relations que p. 142; Mack 2002, p. 90 ; Mills 1983, p. 17;
cessions dans la ville lagunaire. Dans ces la remise de l'anneau, signe et assurance nous n'avons pu évoquer que margi- King 1983, p. 70.
29 Rosand 2001, p. 80-83; Muir 1981, p. 99.
conditions, ils suivaient généralement très visibles que saint Marc l'Évangéliste, nalement, c'est seulement en 1573 que 30 Muir 1984, p. 59.
l'événement depuis une fenêtre 22 • Le fait tout ensemble avec saint Georges et saint Venise commença à mener une réflexion 31 Wolters 1983, p. 29
32 Paul 2014, p. 129 et n° 14.
que la gravure les représente directement Nicolas, patron des marins, garantissait sur l'institution d'un site destiné à la 33 Raby 2007, p. 133 .
au-dessus de la tête du doge souligne leur pour l'éternité l'indépendance de Venise « nazi on turchesca », à ses marchands et 34 Denny 2007, p. 202; Raby 2007, p. 112 et 122;
importance particulière et plus générale- et ses droits sur les voies maritimes 29. à l'entreposage de leurs marchandises. Mack 2002, p. 171.
35 Raby 2007, p. 110.
ment celle de tout l'Empire ottoman pour Les tapis de l' œuvre de Bordone renvoient À cette date, la Sérénissime avait déjà 36 Viallon 2008 .
la république maritime 23. au penchant souvent critiqué de Gritti définitivement perdu l'île de Chypre au 37 Fenian 2007, p. 273-331.
38 Raby 2007, p. 108-109.
En Europe, Venise était la principale pour le luxe, mais aussi au fait qu'il fit profit des Ottomans, que l'on avait pour- 39 Pedani 2010, p. 217-222; Raby 2007, p. 109;
plaque tournante pour les produits de luxe mettre en scène la représentation de l'État tant cru défaits après l'anéantissement Palmanova 2006, n°' 58-62, p. 138-142
(Ennio Concina ).
orientaux, de même qu'un informateur de manière encore plus somptuaire que de leur flotte lors de la terrible bataille
de premier plan pour toutes les ques- tous ses prédécesseurs3'. S'ils soulignaient maritime de Lépante (1571). La memoria
tions concernant le monde ottoman24. le prestige du doge, les tapis s'entendaient de cette bataille fut alors cultivée dans la
La prospérité de la Sérénissime reposait aussi comme une évocation de la position conscience collective à coup de liturgies
sur l'Orient 2s. Dans ce contexte, les tapis particulière de Venise dans le commerce officielles et de célébrations annuelles
étaient, et de loin, l'artefact le plus coû- avec l'Orient.À une époque où l'hégémo- en l'honneur de sainte Giustina et de la
teux26. Cela dit, les précieux tapis n'appa- nie de la Sérénissime sur l'espace maritime Vierge Marie, ainsi que par la dévotion
raissaient pas seulement aux façades des de la Méditerranée orientale amorçait un au rosaire. Les œuvres d'art associées à
ill. 18 Vittore Carpaccio, Le Miracle de la relique de la Sainte Croix (détail), édifices lors des fréquentes processions, ils lent déclin, ce genre de propagande a dû la commémoration de cette bataille ne
1494, huile sur toile. Venise, Gallerie dell'Accademia. s'avérer hautement souhaitable.
avaient aussi fait leur chemin jusqu'au pied sont qu'une facette par laquelle l'Empire
du trône du chef de l'État. C'est en tout cas Au palais des Doges même, dont le ottoman resta présent dans la percep-
peintures témoignent également de le fait qu'on y trouve aussi un groupe ce que nous apprend la Remise de l'anneau décor de tableaux fut presque entièrement tion publique de la Sérénissime37. C'est
la présence de ces tapis dans l'espace d'Ottomans. La peinture de Bellini ne au Do9e (ill.15) de Pâris Bordone, peinture anéanti dans les années 1570 par deux un témoignage du pragmatisme des
public. Les exemples les plus connus montrait que trois Ottomans représentés initialement destinée à la Scuola Grande incendies dévastateurs31, indépendam- Vénitiens que, conformément à leurs
sont dans doute quelques-unes des en petite taille, à une grande distance, di San Marco, les traits du doge étant ceux ment des peintures d'histoire, il semble habitudes en cas de conflit militaire, cette
œuvres créées pour la Scuola Grande di devant le portail droit de Saint-Marc, qui d'Andrea Gritti (1523-1538),le doge alors bien que les tapis d'Orient n'apparaissent fois-ci comme lors des guerres suivantes,
San Giovanni Evangelista, notamment représente le Vol des reliques de l'Évan9éliste. en fonction 27. Ce tableau restitue la quin- que dans trois tableaux votifs commandés ils n'interrompirent jamais entièrement
celles de Giovanni Mansueti, et surtout la Chez Pagan, les Ottomans rendus en vue tessence d'une légende du XIVe siècle et par des doges dans le cadre d'une cou- leurs relations commerciales avec les
Procession sur la place Saint-Marc de Gentile rapprochée et en buste sont en revanche renvoie ainsi à l'un des aspects cruciaux du tume spécifiquement vénitienne: ceux de Ottomans et les reconsolidèrent rapide-
Bellini (1496). Par ailleurs, Le Miracle de la caractérisés par le turban noué autour mythe national de Venise. Pietro Loredano (1567-1570), d'Alvise rer ment une fois la guerre terminée38 • En
relique de la Sainte Croix (ill. 18) de Vittore Mocenigo (1570-1577) et de Marcantonio 1618, après une solution temporaire, le
Carpaccio et La Rencontre des .fiancés et le Memmo (1612-1615). Il se peut que la pré- palais Palmieri da Pesaro, sur le Grand
départ en pèlerina9e, qui fait partie de son sence de ces tapis doive être interprétée Canal, fut remodelé pour devenir le
cycle de sainte Ursule (1495), montrent comme une référence à l'action particu- Fondaco dei Turchi39.
des barques à rames et des gondoles lière de ces doges dans la politique otto-
parées de tapis d'Orient, dont certains mane de Venise32. 1 Carboni 2007, p. 8.
Pour consolider les bonnes relations 2 Schmidt Arcangeli 2007, p. 139- 140 ;
renvoient à des modèles anatoliens 1 7. Muir 1981, p. 78- 92.
Le fait qu'entre 1490 et 1530 des repré- entre la Sérénissime et l'Empire ottoman, 3 Pedani 2007, p. 39; Zele 1989, p. 257.
les échanges de présents étaient incon- 4 Carboni 2007, p. 7 ; Howard 2007a, vol. 1,
sentations de personnages, d'objets p. 88.
de luxe et d'architectures orientaux tournables. On sait que les Vénitiens 5 Pedani 2010, p. 150-151; Carboni 2007,
apparaissent dans les grands cycles de utilisaient ce stratagème en toute luci- p. 7-8; Raby 2007, p. 108; Simon 1985.
dité, en quelque sorte comme une « arme 6 Pedani 2007, p. 39.
peintures narratifs de certaines confré- 7 Howard 2007b, vol. 2, p. 175.
ries laïques vénitiennes a été qualifié de politique33 » pour atteindre leurs objectifs 8 Pedani 2010, p. 215,220; Howard 2000,
diplomatiques. De fait, l'élite ottomane p. 151.
« mode orientale» par Julian Raby, qui la 9 Howard 2005, p. 18 ; Brown 1988, p. 70-72 .
caractérise toutefois comme mamelouke appréciait les produits de luxe européens - 10 Zele 1989, p. 260- 264.
plutôt que d'influence ottomane 18 • à côté des appareils mécaniques, du verre 11 Sanudo 1980, p. 34-35.
12 Finlay 1984, p. 82-88 .
Plus encore que dans la Procession sur la et des fromages à pâte dure, il s'agissait 13 Raby 2007, p. 108.
place Saint-Marc (ill.17 ), les tapis d'Orient en particulier d'étoffes-, et il n'était 14 Howard 2011, p. 74- 83 et 98-109.
pas rare que ces produits fussent com- 15 Wolters 1983, p. 45.
affirment une forte présence dans la 16 Mack 2002, p. 77-78.
Procession du do9e sur la place Saint-Marc mandés par l'intermédiaire du baylo de 17 Schmidt Arcangeli 2009, p. 124 ; Denny
(ill. 19), une gravure sur bois de Matteo VeniseH. Inversement, à leur arrivée à 2007, p. 187; Venise 2004, n ° 48, p. 48
(Giovanna Nepi-Scirè); Mack 2002, p. 78;
Pagan datée d'environ 1558,apparentée à Constantinople, les émissaires étrangers Brown 1988, p. 171 et 279-286.
une frise de plus de 4 mètres de long. En recevaient le hil'at, la « robe d'honneur» 18 Raby 1982.
correspondant à l'usage musulman3s. 19 Denny 2007, p. 186- 191 ; Palmanova 2006,
toile de fond est rendue une vue partielle n° 4, p. 76-77 (Ennio Concina); Brown 1988,
des Anciennes Procuraties avec une double La République de Venise considérait p. 167 et ill. 95-98.
ces dons comme propriété de l'État et, 20 Raby 1982, p. 41.
succession de fenêtres présentant chacune, 21 Kaplan 2011, p. 45.
sans exception, un tapis d'Orient 1 9. Un ill. 19 Matteo Pagan, Procession du do9e sur la place Sain t-Marc (détail), vers 1558,
après le retour de chaque ambassadeur, 22 Pedani 2010, p. 146 et ill. 18 ; Muir 1981,
détail encore plus significatif est peut-être gr avure sur bois, huit parties. Venise, Museo Carrer. le vêtement en question était redistribué p. 241.

50
)
UN REGARD VENU DU NORD :
ALBRECHT DÜRER ET LES OTTOMANS
GUIDO MESSLING

Albrecht Dürer (1471- 1528 ) a fait deux daté vers 1498 -, a dû être reprise d'une environ, telle qu'elle ressort avant tout des
séjours à Venise, mais celui de 1494/1495 œuvre d'art découverte à Venise, mais non nombreux éléments isolés présents dans
est beaucoup plus malaisé à cerner pré- encore identifiée à ce jour. les œuvres des années suivantes, s'ex-
cisément que le second séjour de 1505 à Contrairement au cas de cette étude plique donc avant tout par l'expérience clé
début 1507 1 • En effet, si de ce deuxième physionomique dont les traits féroces du premier séjour à Venise. En revanche,
voyage nous sont parvenus un certain se prêtaient parfaitement à y voir une il est sûrement excessif d'attribuer leur
nombre de ses peintures et dessins, ainsi parfaite incarnation des ennemis de la apparition uniquement à la conjoncture
que plusieurs de ses lettres écrites depuis chrétienté, une série d'études de figures le politique globale de l'époque, et plus
la ville lagunaire, les productions de Dürer plus souvent coloriées à l'aquarelle (voir encore de les associer à la lourde menace
indiscutablement créées en Italie pendant cat. 113) souligne l'intérêt documentaire que les armées du sultan faisaient alors
les années 1494/1495 font défaut. Les de Dürer pour une culture étrangères. peser sur la Hongrie, patrie du père de
nombreux reflets thématiques et icono- Quant à l'idée selon laquelle l'artiste Dürer8 . Le sens des citations orientali-
graphiques de l'art et de la culture du Sud aurait dessiné les Ottomans en chair et santes, dont l' œuvre de Dürer ne présente
que son œuvre présente immédiatement en os qu'il n'a pu manquer de croiser en que de rares signes avant-coureurs isolés9,
après le premier séjour à Venise rendent grand nombre dans la métropole mar- ne se distingue donc toujours pas fonda-
toutefois hautement improbable qu'ils chande, elle est évidemment par trop mentalement de celui qu'elles revêtent
aient pu être inspirés exclusivement et moderne: les études de modèles vivants chez d'autres collègues artistes. En d'autres
aussi durablement par des gravures, des relevaient alors presque exclusivement termes, selon le contexte, ces citations
dessins ou autres œuvres d'art mobiles du domaine du portrait, et les figures peuvent caractériser leurs porteurs
passées au nord des Alpes. L'on ne peut isolées - entières ou partielles - restaient comme des figures négatives (païens ou
donc guère attribuer au hasard le fait confinées au domaine privé ou au travail persécuteurs des chrétiens) ou renvoyer à
qu'apparaissent alors pour la première fois de l'atelier6 . Pour ces figures, Dürer s'est des qualités positives (passé prestigieux,
dans les tableaux de Dürer des Orientaux uniquement appuyé sur des modèles exotisme). Ceci vaut encore pour un des-
vêtus de costumes ottomans plus ou iconiques. Étant avéré que les Trois sin réalisé quelques décennies plus tard,
moins fidèles à la réalité. Dans la plupart Orientaux de Londres (ill. 20; voir aussi en 1526, montrant la tête de Soliman, et
des cas, ces figures doivent néanmoins cat. 114) remontent à une composition dans lequel Dürer, comme tant d'autres
être qualifiées d'hybrides : à quelques de Gentile Bellini qui pouvait se fonder artistes des deux côtés des Alpes, s'avère
exceptions près, l'utilisation d'éléments sur les impressions visuelles d'un voyage fasciné par le sultan 10 (ill. 21 et cat. 81-82).
ottomans se limite en effet aux coiffes à Constantinople, les autres études de
caractéristiques comme le turban noué Dürer peuvent elles aussi être rattachées
autour d'un bonnet cannelé (tadj) ou le à des peintures ou à des dessins dont le
bork des janissaires, tandis que les habits Nurembergeois aura pu prendre connais-
de corps sont le plus souvent la houppe- sance dans l'atelier de son collègue véni-
lande allemande ou le pourpoint seul 2 • tien. L'œuvre de Dürer ne présente qu'un
Cependant, Dürer pouvait aussi adapter seul cas, de surcroît beaucoup plus tardif,
le turban de forme fondamentalement d'exploitation de ses propres études de
ottomane à différentes exigences : dans costumes: l'eau-forte du Grand Canon
la gravure sur bois du Martyre de saint (cat. 116). Le coloris des études évoquées
Jean l'Évangéliste (vers 1496/1497, cat. 28 ), plus haut, qui remplit chaque fois une
la qualité de souverain du juge impérial structure parcimonieuse assez librement
est encore soulignée par un diadème du dessinée à la plume, indique à lui seul
gothique tardif), alors que le turban et les qu'elles étaient essentiellement conçues
traits du visage correspondent largement comme des œuvres documentaires
(inversés par une technique d'imprimeur) autonomes, comparables aux études de
à !'Oriental barbu d'une feuille d'études à costumes irlandais et livons également
la plume qui, selon toute apparence, a dû réalisées lors d'un voyage - en 1521 aux
être créée en Italie du fait des copies de Pays-Bas7. Par ailleurs, des aspects com-
détails réalisées d'après les œuvres d'ar- mémoratifs ont pu jouer un rôle : il est
tistes italiens comme Lorenzo di Credi probable en effet que la provenance des
(vers 1459- 1537) et Andrea Mantegna modèles iconographiques - l'atelier du
(1431-1506), mais aussi à cause du fili- grand maître vénitien - constituait non
grane4. En dernier ressort, la tête d'un seulement une garantie d'authenticité,
Oriental que Dürer réutilisera pour sa mais les ennoblissait. Au-delà de ces rares
xylographie du Martyre de sainte Catherine études de figures intégrales, l'utilisation ill. 21 Albrecht Dürer, Portra it du su ltan So lim an,
(Bartsch n° 120 ) - qui doit également être de costumes ottomans à partir de 1495 1526, Bayonne, Musée Bonnat

ill. 2 0 Albrecht Dürer, Trois Orientaux (d'après Gentile Bellini 1, vers 1494-1495 (?), Londres, The British Museum, Department of Prints and Drawings
-,
l'atelier de Bellini, plus précisément dans au sud des Alpes. Plus importants seront la figure d'Anne dans la gravure sur bois
La Prédication de saint Marc à Alexandrie toutefois les «figurants» de type ottoman Bartsch n° 28 18 • Quant à la figure de dos
(ill. 8) commencée en 1504 par Gentile ou plus généralement oriental qui appa- coiffée d'un chapeau en forme de turban,
Bellini et achevée en 1507 par son frère raissent dans les compositions religieuses et dont la source ne peut être déterminée
Giovanni: dans la peinture de Dürer, le de Dürer, et qui ont été largement diffusés précisément, elle est susceptible d'avoir
potentat autoritaire - sans doute Sapor, le par ses cycles gravés comme !'Apocalypse, plusieurs modèles dans l' œuvre gravé
roi de Perse - qui apparaît en bas à droite la Vie de la Vierge ou les trois Passions. La de Dürer: l'un se trouve dans la Mise au
semble bien dépendre, par la pose et l'ha- Petite Passion, son plus vaste cycle gravé tombeau de la Passion sur cuivre (Bartsch
bit, d'un mamelouk représenté au même (Bartsch n°5 16-52), a connu une popula- n° 5), un autre dans le Grand Canon (voir
endroit dans la Prédication de Bellini. Dans rité toute particulière1 s. Dès 1511, l'année cat. 116 ), un autre encore dans la gravure
un premier dessin préparatoire du Martyre même où elles étaient éditées sous forme sur bois des Fiançailles de la Vierge dans le
des dix mille qui ne nous est parvenu que de livre, les xylographies en furent gravées cycle sur la Vie de la Vierge (Bartsch n° 82).
sous la forme d'une ancienne copie, l'on au burin, sans inversion gauche/droite, par
découvre en outre un jeune homme isolé Marcantonio Raimondi. En 1520, pendant Lu ber 2005, p. 43-76 , met en doute le premier
séjour à Venise, tout comme, récemment,
en habit vénitien qui pourrait aisément son voyage aux Pays-Bas, Dürer écoula rien Eser in Nuremberg 2012 , p. 28. A l'inverse,
se fondre parmi ses compatriotes dans la moins que «16 petites Passions à 4 florins voir Buck in Londres 2013, p. 29-32. Pour une
Prédication12 • Cette correspondance parmi chacune16 ». Pour illustrer l'immense fas- étude récapitulative sur Dürer et Venise,
voir Morall 2010.
d'autres rend probable que Dürer a pu cination que ce cycle, plus que tout autre, 2 Concernant l'apparition de costumes otto-
étudier l'immense toile inachevée dans exerça sur les artistes néerlandais, citons mans dans l'œuvre de Dürer, voir en parti-
culier Raby 1982, p. 22-30.
l'atelier de Bellini et qu'il se soit souvenu seulement deux exemples éloquents: 3 Une combinaison similaire caractérise
des types orientaux (mais aussi et surtout la peinture réalisée par le Maître de la aussi la coiffe du Souverain oriental que nous
vénitiens) qui y sont réunis, lorsqu'au Madeleine Mansi (Gand) d'après la Mise connaissons par une gravure sur cuivre
inachevée (Meder n° 91) et un dessin prépa-
milieu de l'année 1507, c'est-à-dire peu au tombeau (Bartsch n° 44) de Dürer, dans ratoire (Winkler n ° 77). Le contour denté du
après son retour de Venise, il fut chargé laquelle apparaît également un homme sommet de la coiffe pourrait dériver ultime-
ment (bien que par des détours) des turbans
d'illustrer la légende proche-orientale barbu vêtu à l'ottomane1 7, et Le Christ mamelouks à forme cornue qui ont aussi été
du Martyre des dix mille. Ceci concerne prêchant le peuple depuis la barque par Jan traités de fa çon inventive dans les peintures
Swart van Groningen (cat. 120), que l'on de Carpaccio ou de Mansueti.
notamment le souverain à cheval de cette 4 Winkler n° 86; Strauss 1495/ 17 ; voir aussi,
peinture, vraisemblablement l'empereur peut voir dans la présente exposition. Au plus récemment, Francfort-sur-le-Main 2013,
Hadrien, que, dans une gravure sur bois centre de la gravure de Swart apparaît un n o6.7.
5 Winkler n°s 78-81.
de jeunesse, Dürer avait encore représenté groupe de quatre Orientaux en pleine 6 Sur ce point, voir Londres 2013, en particu-
sous les traits d'un monarque médiéval discussion, groupe dans lequel l'Ottoman lier p. 25-28.
7 Winkler, n °s 825-828.
coiffé d'une couronne fermée, mais qu'il de droite se doit peut-être à la figure de la 8 Voir par exemple Giuliano 2007, p. 36-37.
affuble désormais d'un somptueux turban. Mise au tombeau précédemment évoquée. Au sujet des figure s ottomanes dans les gra-
Si le bonnet central est un élément consti- Un fait sûr est que la tête du Mamelouk de vures sur bois de !'Apocalypse de Dürer, voir
Madar 2011, dans lequel l'auteur les identi-
tutif du turban ottoman, sa haute forme gauche a pour modèle le Pilate se lavant les fie comme des équivalents de l'Antéchrist.
volumineuse correspond plutôt aux types mains dans la gravure Bartsch n° 36, tandis 9 Des exceptions en sont un homme entur-
banné de la gravure sur bois d'environ 1492
mamelouks apparentés que l'on trouve que l'homme de face dérive sans mal de réalisée pour une représentation des comé-
dans la Prédication de saint Marc. Cette idio- dies de Térence (gravure dont il est vrai
syncrasie formelle éclaire une fois de plus que l'attribution à Dürer n'est pas certaine;
voir Meder V), ainsi que le dessin d'environ
le fait que Dürer ne pouvait ou n'entendait 1493/1495 qui montre un juge ou souverain
guère marquer de distinction entre les dif- portant une coiffe orientalisante (W. 42;
concernant le modèle, voir récemment
férents domaines de la culture islamique. Eser in Nuremberg 2012, p. 366 et n °s 75-76).
En cela, il se montre proche de la manière Concernant ces créations imaginaires,
Dürer s'inscrit encore dans la tradition des
dont l'Orient est perçu par Carpaccio qui, têtes d'Orientaux de Schongauer et de son
pour son répertoire de figures, consulta de entourage (voir cat. 111).
préférence les xylographies assez simples 10 Winkler n ° 906. Dürer considérait appa-
remment comme authentique la consigna-
de la Peregrinatio in terram sanctam de tion du portrait qu 'il avait à sa disposition,
ill. 22 Albrecht Dürer, Six études de figures, vers 1494-1495. Florence, Galleria degli Uffizi, Breydenbach13 (cat. 43). vraisemblablement une peinture, car il
Gabinetto Disegni e Stampe décrit la peau comme étant couleur cuir.
Ses gravures étant copiées ou utilisées 11 Voir Raby 1982, p. 30.
comme modèles dans toute l'Europe, 12 Winkler, n° 438.
Grâce à la « mode ottomane» qui appa- ce point, le témoignage artistique le plus Dürer deviendra finalement aussi le relais 13 Voir Raby 1982, p. 66-76.
14 Hind n ° 100.
raît en 1495, on peut suivre dans l'œuvre édifiant - en tout état de cause le plus de représentations de groupes. La copie 15 Concernant sa réception, voir Schneider
de Dürer - en quelque sorte « en différé» -, célèbre - est sans doute le Martyre des dix légèrement modifiée réalisée par Nicoletto in Schoch, Mende et Scherbaum, vol. 2,
p. 283-284.
une évolution de la peinture vénitienne mille chrétiens (Vienne, voir cat. 29) que de Modène d'après le burin de Dürer inti- 16 Cité d'après Rupprich 1956, vol. 1, p. 152.
dans laquelle la réception de l'Orient fut Dürer peint en 1508 pour le prince-élec- tulé La Famille turque (cat. 115) laisse égale- 17 Voir Bruxelles 1977, n° 360.
d'abord exclusivement dominée par des teur Frédéric III de Saxe, dit le Sage, et dans ment en suspens la question de savoir qui 18 Voir Held 1931, p. 50-51.
costumes ottomans (ou leurs avatars). Ce lequel de nombreux tortionnaires sont ses contemporains italiens voyaient dans
n'est qu'après 1500 environ que la peinture affublés de costumes - ou présentent des des personnages, lesquels n'ont été iden-
vénitienne présente pour la première fois pièces vestimentaires - aussi bien otto- tifiés que récemment comme des Sintis
des éléments mamelouks - en premier lieu mans que mamelouks. À ce jour, il semble ou des Roms'4. Cette feuille n'en reste pas
dans les grands cycles de Vittore Carpaccio bien que l'on n'ait pas remarqué qu'à côté moins une preuve très ancienne - à dater
(vers 1460-1525/1526). Lors de son second de sa gravure sur bois de même sujet réa- d'environ 1500/1501 - du succès que les
ill. 23 Gentile Bellini, Procession sur la place Saint-
séjour à Venise, Dürer se montrera à son lisée vers 1496 (Bartsch n° 117), Dürer a représentations de genre de personnages Marc (détail), 1496, toile, Venise, Galleria
tour impressionné par ces éléments". Sur de nouveau trouvé son inspiration dans étrangers créées par Dürer ont connu dell'Accademia
ARTISTES EUROPÉENS DE LA RENAISSANCE
À CONSTANTINOPLE
MIKAEL B0GH RASMUSSEN

À la Renaissance, l'Europe et l'Empire que fut la conquête de Constantinople en du sculpteur Bartolomeo Bellano, ainsi
ottoman entretinrent des liens artistiques 1453, fournit au sultan Mehmet II (r.1451- que de deux assistants. Un peintre nommé
multiples. Cet essai tentera d'esquisser 1481) l'occasion d'assimiler une nouvelle Bernardo arriva également de Venise.
quelques-unes des facettes de ces relations tradition dans son empire multiculturel. La cour du sultan comptait, par ailleurs,
qui se caractérisaient par la réciprocité En même temps qu'il reprit les insignes un peintre de Raguse qui enseignait aux
et l'enrichissement mutuel des deux du souverain déchu, il s'appropria les tra- artistes locaux l'art du portrait, si bien que
cultures, selon un principe d'apprentissage ditions des Rûms, transposant, transfor- dès 1480, la Sublime Porte eut son propre
et d'appropriation. Ce type d'échanges mant et s'appropriant l'héritage romain et atelier dirigé par Sinan Bey. Cet intérêt
porta, d'une part, sur la peinture qui jouait byzantin. Il étudia la littérature et l'histoire pour l'art italien coïncide - et ce n'est
un rôle mineur dans l'Empire ottoman classiques, prenant à son service des juristes peut-être pas fortuit - avec les tentatives
majoritairement islamique, si bien que le et des historiens grecs dans le but d'asseoir de conquête de l'Italie par Mehmet II,
rapport fut asymétrique dans ce domaine; les fondements institutionnels de son nou- qu'il semble avoir envisagée lors de la
d'autre part, sur les arts mineurs et l'artisa- veau pouvoir. Cette démarche alla de pair prise d'Otrante en 14806 .
nat qui intervinrent dans une proportion avec un intérêt croissant pour les traditions Si le fait d'inviter des artistes étrangers
plus importante. artistiques anciennes et récentes des nou- et de former des artisans locaux peut
Il semble que l'assimilation des genres velles provinces et des pays limitrophes. En être interprété comme un signe d'ap-
européens par l'Empire ottoman et celle qualité de souverain de Constantinople, il propriation par Mehmet II des genres et
des techniques et des styles ottomans devint également l'empereur des Rûms et, des styles artistiques italiens à des fins
par l'Europe ait été de part et d'autre au titre d'empereur des Romains, il s'arrogea d'autocélébration dans une manière à
le fait d'une élite, avec des résultats le droit de gouverner le mondeJ. À l'instar la fois «romaine» et «moderne », les
variables en fonction du contexte social, d'Alexandre le Grand qui était un modèle témoignages de Gentile Bellini, en par-
économique, spirituel et politique. Les pour lui et dont il découvrait la geste par ticulier, livrent une vision des Turcs qui
marchandises qui parvenaient d'Orient la lecture qui lui en était faite4, Mehmet II n'apparaît pas assujettie aux préjugés ou
en Occident étaient en effet liées au com- commença à s'entourer d'érudits et d'ar- aux écarts culturels, religieux, vestimen-
merce des épices et des produits de luxe. tistes, ainsi qu'à rassembler des ouvrages et taires, linguistiques ou comportementaux.
Depuis l'essor du commerce européen en des œuvres d'art dans le but de rehausser Serait-ce que les différences n'étaient pas
Méditerranée et les croisades entreprises son image. Le palais de Topkap1 conserve aussi importantes ou que la nouveauté
au Moyen Àge, elles étaient demeurées ce qui n'est peut-être qu'une partie infime n'était pas aussi neuve? En tant que cité
des denrées rares et coûteuses, ce qui avait de sa collection d'anciennes gravures en et empire maritime ayant des possessions
contribué à en faire des objets de convoi- taille-douce italiennes; sa vaste collection dans toute la mer Égée et la Méditerranée
tise et des signes extérieurs de richesse et d'art européen et de reliques chrétiennes orientale, Venise était un creuset de popu-
de puissance. Le fait que des pièces com- ne nous est que partiellement connues. En lations issues de toute ces régions; ainsi,
posites, confectionnées sur commande revanche, nous savons qu'il fut un protec- beaucoup de jeunes vénitiens s'établis-
pour de riches Européens, aient été fabri- teur des arts, désireux de faire travailler des saient comme commerçants pendant plu-
quées à Damas et dans d'autres centres artistes européens et d'utiliser leur mode de sieurs années à Alexandrie ou à Damas7.
artistiques de même envergure montre représentation pour ses propres portraits. Constantinople demeurait la cité byzan-
que cette demande trouvait un écho chez Le mécénat de Mehmet II donna lieu tine qui avait profondément influencé
les producteurs' . Des biens de luxe euro- aux premières représentations d'habi- Venise au moment de son expansion,
péens, notamment des pièces d'horlogerie tants de l'Empire ottoman qui furent le ce qui contribuait à rendre les régions
et de joaillerie, arrivaient également dans fruit de l'expérience visuelle d'artistes voisines familières . Ce que Bellini voyait
l'Empire ottoman, ce qui permettait à européens. En 1461, le sultan demanda au ne lui semblait donc pas aussi nouveau,
l'élite locale de collectionner des œuvres prince de Rimini, Sigismond Malatesta, étrange ou choquant que l'on pourrait
et d'accroître ses connaissances dans le de mettre à sa disposition l'artiste de le croire aujourd'hui. Bellini avait une
domaine des styles et des genres des arts cour Matteo de' Pasti, qui avait été l'élève intelligence des choses qui lui permettait
mineurs occidentaux. Ces objets avaient de Pisanello. Matteo ne vint jamais à de saisir et de représenter sans peine ce
des fonctions de représentation puisqu'ils Istanbul (il fut arrêté comme espion à qu'il découvrait, si bien qu'il ne percevait
étaient le plus souvent, semble-t-il, des Venise). Mehmet continua cependant à pas de fossé entre ses paysages intérieurs
cadeaux diplomatiques, que leurs desti- faire appel à des artistes travaillant pour et l'univers extérieur. Alors que son por-
nataires interprétaient comme des actes d'autres souverains italiens; il semble du trait de Mehmet conservé à Londres est
d'allégeance de vassaux ou de clients, reste avoir été assez bien renseigné sur les pauvre quant à son exécution et à son état
alors que pour les donateurs, ces présents foyers artistiques contemporains d'Italie. de conservation - le souverain paraît à
étaient des preuves d'amitié'. Il s'adressa à Ferdinand de Naples qui lui l'étroit dans l'espace de l'image-, les des-
ill. 24 Gentile Bellini.Janissaire turc, assis par terre, quasi de profil droit, portant rextension de l'Empire ottoman vers la envoya Costanzo de' Moysis (en 1476 ou sins délicats à la plume figurant un janis-
un haut chapeau conique au sommet replié, 1479-1481, plume et encre noire. Grèce et la péninsule des Balkans, avec l'évé- en 1478 ). En 1479, Gentile Bellini quitta saire, une femme grecque et une femme
Londres, The British Museum, Department of Prints and Drawings
nement symbolique et politique majeur Venise pour Constantinople accompagné druze, ainsi que l'aquarelle raffinée d'un

56 - - -~ :>
scribe assis, soulignent la simplicité et devint une proche alliée de l'Empire Satan, que l'on rapportait à divers enne-
l'élégance de ses dessins, merveilleuse- ottoman dans le but de faire contrepoids mis intérieurs9. ,.I~?'S'·
ment équilibrés et composés (ill. 24 et au souverain Habsbourg, si bien que le Il arrivait encore que les artistes soient
cat. 66-67 ). conflit prit de l'ampleur en raison des envoyés ou appelés à la cour du sultan;
Bellini n'était pas, pour reprendre les dimensions des empires qui y prenaient inversement, les motifs et les décors
termes d'Ash Çirakman, un armchair part et de l'intrication des politiques turcs exerçaient encore une vive fasci-
scholar qui aurait conçu ses sujets à partir paneuropéenne et transeuropéenne. Tant nation en Europe 10 • La majeure partie
d'on-dit et d'informations de seconde la maison d'Autriche que le mouvement des objets «turcs» étaient à présent des
main, c'était un témoin oculaire, un voya- de la Réforme exploitèrent la menace copies ou des imitations fabriquées dans
geur8. De plus, il était doté d'une capa- militaire ottomane dans leur programme des ateliers européens et la plupart des
cité exceptionnelle à transposer ce qu'il politique. Ainsi, l'image du «Turc» se figea artistes européens qui voyageaient vers
observait sans effort d'adaptation. Si, en de plus en plus en un stéréotype, celui l'est n'étaient plus des invités à la cour du
qualité de Vénitien, il incarnait l'ouverture d'un ennemi de la religion envoyé par sultan, ils étaient membres de missions
relative et pragmatique de l'humanisme
à l'expérience, il demeurait unique dans
sa manière de l'appliquer avec une telle
aisance à sa pratique artistique. Les des-
sins sobres de Bellini témoignent d'une
ouverture des frontières entre l'Europe et
les Ottomans du :xve siècle, de même que
la perméabilité de Mehmet II à la culture
européenne peut être perçue comme un
rapprochement fructueux, qui venait
s'ajouter à la confrontation militaire et
politique et contribuait à une commu-
nication transculturelle à de multiples
niveaux.
Si Mehmet II fut le mécène et collec-
tionneur d'art occidental le plus entre-
prenant de tous les sultans ottomans, les
contacts se poursuivirent au :xv1e siècle de
,. .- -..
· ~ - - i •. - - -

façon sporadique entre les artistes occi-


dentaux et la Sublime Porte. La réciprocité
qui caractérisait ces échanges se trans-
forma cependant. Le fils et successeur
de Mehmet II, Bajazet II (r.1481-1512) se
débarrassa de la plupart des collections
de son père, probablement pour des rai-
sons religieuses. Le conflit entre l'Empire
ottoman et l'Europe se durcit de manière
significative, ce qui eut pour conséquence
d'accroître la distance qui séparait les
deux mondes. Des deux côtés on assista à
l'émergence de conglomérats politiques
plus vastes et plus puissants, ainsi qu'à la
montée de fondamentalismes religieux,
qui portèrent atteinte à l'atmosphère
précédente d'ouverture et de grande tolé-
rance. De son côté, animée d'un appétit
d'expansion territoriale, la branche autri-
chienne de la maison de Habsbourg mena
la guerre sans répit pour le contrôle de
la Hongrie. Ce conflit était indissociable
d'autres motifs d'hostilités proprement
européens, à savoir les guerres entre la
France et les Habsbourg pour la domina-
tion de l'Europe qui sévissaient en Italie,
aux Pays-Bas et dans les régions voisines,
ainsi que les luttes confessionnelles sus-
citées par la Réforme. La guerre entre la
France et le Saint Empire eut lieu sous
les empereurs Maximilien rer et Charles
Quint, de même qu'au début du règne du ill. 25 Grav ure de Leon Da vent d'après un dessin de Nicolas de Nicolay, Femme Turque allant par la ville.
souverain espagnol Philippe II. La France Extrait de Nicolas de Nicolay, Les quatre premiers livres des navigations et pérégrinations orientales,
de N. de Nicolay... Avec les.figures au naturel tant d'hommes que de femmes selon la diversité des nations,
ill 26 Melchior Lorck, Le Cuisinier des janissaires, 1575, gravure sur bois, 229 x 235 mm. Extrait de Dess Weitberühmbten, Kunstreichen
é) de leur port, maintien v habitz, Lyon, Roville, 1568, 76A. Bibliothèque nationale de France,
und Wolerfahrnen Herren Melchior Lorichs, Flensburgensis. Wolgerissene und geschnittene Figuren zu Ross und Fuss, sampt schiinen
département Réserve des livres rares. türckischen Gebiiwden, und allerhand was in der Türckey zu sehen, Alles nach dem Leben und der perspectivœ Jederman vor Augen
CSI :::o _ . _ , . _ U--l........e .. - u:,,..\....._,..I u-...;-.,.. .._J:._..,J;. r,...n...o...._h ... n--..•o Th..o Dnu ... 1 J ihr::.ru inv -,-, _.,c-n ,::i;
diplomatiques. La demande en œuvres la colonne Arcadius aujourd'hui perdue
d'art ne correspondait plus nécessaire- et le piédestal de l'obélisque de Théodose
ment à celle de représentation. sur !'Hippodrome. Entre 1570 et 1583, date
Quelques exemples, parmi les plus à laquelle on perd sa trace, Lorck prépara
significatifs, suffiront à illustrer ce les bois gravés d'édifices, d'équipements
contexte: Pieter Coecke van Aelst, qui et de personnages turcs qui allaient deve-
travaillait pour le compte de la maison de nir son legs principal (ill. 26 et cat. 70). Il
tapisseries Van der Moyen à Bruxelles, se acquit une certaine renommée pour avoir
rendit à Istanbul en 1533, probablement séjourné en Turquie et en avoir rapporté
dans la suite de l'ambassadeur de l'archi- des images fabuleuses, mais ses projets ne
duc Ferdinand d'Autriche, Cornelis de virent pas le jour de son vivant. Ce n'est
Schepper" . Coecke cherchait à obtenir qu'au xvne siècle que ses gravures furent
une commande de tapisseries à sujets his- éditées de façon fragmentaire, sans les
toriques qui étaient alors en vogue dans légendes qu'il leur avait probablement
les cours d'Europe. Il est possible qu'il se destinées 16 .
soit enquis à cette occasion des possibili- Les xylographies de Lorck reflètent des
tés d'ouvrir une manufacture dans l'Em- préoccupations qui sont à mi-chemin
pire ottoman. Aucune de ses tentatives entre celles de Coecke et celles de Nicolay.
ne réussit. Or vingt ans après son séjour À première vue, elles offrent une des-
à Constantinople, sa veuve publia une cription fidèle de personnages et d'objets
magnifique frise xylographique fourmil- isolés, à l'instar de Nicolay. Son répertoire
lant de détails sur la vie et les coutumes de motifs est cependant plus étendu et sa
des peuples de l'Empire ottoman, des démarche est manifestement dictée par le
Balkans et, notamment, des régions tra- souci de créer des images puissantes aux
ill. 28 Pieter Coecke va n Aelst, Ces mœurs etfachons de fa ire de Turcz ... (détail), 1553.
versées par la délégation pour rejoindre Londres, The Br itish Mu se um, Dept. of Pri nts and Draw ings, inv. E,6.1-7 (3• partie de 8). compositions élégantes, dans un langage
Istanbul. Comme l'a fait observer Amanda que l'on pourrait qualifier de «maniériste,
Wunder, la composition et le contenu post-Dürer ». Des lignes tracées avec force
de la frise répondent aux exigences des exécutées par Leo Davent d'après les des- avait des tâches précises à accomplir, mais et netteté, définissant de vifs contrastes,
idéaux de Leon Battista Alberti quant à sins de Nicolay sont dépourvues de toute divers documents émanant de la cour de sont associées à des formes courbes et
l'ingéniosité et à la diversité de la mise en vie et dimension anecdotique, ce qui Vienne après son retour laissent supposer allongées. Lorck réussit à créer avec art
page, ce qui en fait une véritable œuvre renforce cette impression d'objectivité. qu'il avait peut-être été chargé d'une mis- des images véridiques. Le calme rassurant
d'art de la Renaissance, à la composition Nicolay était au service de l'ambassade, sion. Alors que Nicolay avait été envoyé à des dessins de Bellini conçus un siècle
et au dessin raffinés 12 • À la différence des si bien que son propos était de décrire Istanbul par un allié de l'Empire ottoman, plus tôt a disparu pour faire place à une
dessins de Bellini, cette frise est le fruit et non d'interpréter. Ses notes et dessins Lorck accompagnait les envoyés de l'en- atmosphère totalement différente. Le
d'un·e pluralité de croquis agencés en étaient destinés à informer, au point qu'ils nemi, ce qui pourrait expliquer qu'il n'eut caractère intime et familier a été remplacé
une composition complexe. Le résultat se rapprochent davantage de notices de pas la même liberté de mouvement pour par la force et la tension. Nous contem-
offre un tableau tout à fait convaincant f. catalogue. Son principal objectif n'était explorer la ville. Néanmoins, il put pro- plons des images d'un autre siècle et d'un
et diversifié ; malgré l'aspect fantaisiste pas l'art, mais la crédibilité de la repré- fiter de certaines occasions pour réaliser autre contexte historique, qui reflètent
et irréaliste de certains motifs d'architec- sentation 13. Les images de Nicolay et de une importante quantité de dessins, dont une autre manière de voir, plus attentive
ture comme les formes des mosquées, les Davent furent largement diffusées dans un grand nombre furent probablement au sujet et aux moyens de le reproduire.
nombreux détails évoquant les activités toute l'Europe dès leur édition en 1568, exécutés dans le camp militaire otto- Lorck n'était ni un Vénitien ni un homme
des personnages sont le reflet fidèle d'ex- puis elles furent publiées dans des édi- man de Kadikoy, en 1559. Parues dans les du xve siècle - son éducation culturelle
périences authentiques. En comparaison tions allemande, italienne et anglaise décennies suivant son retour, ces études était tout autre que celle de Bellini et sa
des images contemporaines véhiculant au cours des deux décennies suivantes. sont les images les plus stupéfiantes de relation avec le monde stambouliote était
une certaine vision du «Turc », comme Elles devinrent donc les sources visuelles Constantinople et de ses habitants qui plus distante. Néanmoins, au regard de
les xylographies du siège de Vienne par d'information les plus répandues de leurs aient été produites dans le dessin et la l'image abstraite du «Turc » faux et cruel
Erhard Schéin en 1529 ou les gravures contemporains en matière de coutumes gravure au XVIe siècle. que véhiculaient tous les discours de ses
de propagande luthérienne de Matthias vestimentaires de l'Empire ottoman. Par Lorck entreprit de préparer l'édition de pays d'origine, Lord<: réussit en quelque
Gerung, l'atmosphère y est entièrement ailleurs, elles furent copiées et imitées ses observations après son retour à Vienne sorte à conférer sobriété et vraisemblance
différente, respectueuse et bienveillante. dans de nombreux ouvrages sur le cos- à la fin de 1559.Au cours des années qui à ses représentations de Turcs. Par leur
Deux ans avant la publication de la frise tume, comme ceux de Christoph Weigel suivirent, il dessina un panorama d'Is- nombre et leur qualité, les témoignages
xylographiée de Coecke, le cartographe (1577) et d'Abraham de Bruyn 4 (1581) 1
tanbul long de douze mètres, depuis le croqués in situ qu'il livra de l'Empire otto-
Nicolas de Nicolay se rendit à Istanbul (cat. 171). promontoire de Topkap1 jusqu'à l'extré- man constituent un apogée de l'imagerie
dans la suite de l'ambassadeur de France Dans des conditions analogues à celle mité de la Corne d'Or. Cette œuvre qui occidentale du Proche-Orient de la fin de
Gabriel d'Aramon. Nicolay n'était pas un de la venue de Pieter Coecke van Aelst, foisonne en détails sur la topographie la Renaissance.
artiste mais il réalisa sur place des croquis deux ans après la publication de sa et la vie de la cité est sans doute le plus Qu'ils fussent ou non des diplomates,
des costumes très variés que portaient frise, l'artiste germano-danois Melchior important document visuel qui existe les artistes et humanistes rapportèrent
les habitants en fonction de leur rang. Lorck se rendit en 1555 à Istanbul, dans de la ville d'Istanbul au XVIe siècle. Lorck de l'Empire ottoman un vaste réservoir
La place de choix qu'il accorda au vête- la suite envoyée par le Saint Empire sous publia le somptueux portrait gravé de d'images touchant à des domaines variés,
ment - typique d'une époque où les codes
vestimentaires étaient des marqueurs
sociaux essentiels - intervient peut-être
1 les ordres d'Ogier Ghislain de Busbecq,
d'Antun Vrancic et de Ferenc Zay1 s. Lorck
y demeura trois ans et demi, dont il passa
Soliman le Magnifique accompagné de
deux inscriptions, l'une en latin et l'autre
en ottoman, de m ême qu'il effectua des
parmi lesquels la topographie, l'histoire
naturelle et, non des moindres, !'Anti-
quité. Ces trois champs d'étude étaient
partiellement dans l'apparente objectivité près de la moitié confiné dans les loge- dessins préparatoires pour des gravures traités dans les sources antiques, telles
de ces documents. Les belles eaux-fortes ments de l'ambassade. Nous ignorons s'il de monuments anciens de la cité, comme !'Histoire naturelle de Pline l'Ancien et la

ill 2 Anonyme, La Colonne Arcadius, plume et encre sur vélin.


Extrait de The Freshfield Album. Cambridge, Triniry College
Library, inv. ms. o.1j.2 . 60 61
Description de la Grèce de Pausanias. Ces un frein aux préjugés et posa les fonde- (1574) contient de nombreux dessins,
textes contribuèrent à identifier des lieux, ments d'une conception réaliste et prag- dont certains sont manifestement des
copies d'après Melchior Lorck; cf. Vienne,
des objets et des monuments, et à éveiller matique du vaste empire qui régnait aux Ôsterreichische Nationalbibliothek
l'intérêt des Occidentaux pour un patri- portes de l'Europe. (Cod. 3325• Han). Le livre des costumes
officiels turcs de Lambert de Vos de
moine qu'ils ignoraient jusqu'alors et 1574 est conservé à Brême (Staats- und
qu'ils découvraient en même temps. Les Howard 2005-2006. Universitatsbibliothek, Ms. or. 9). Une
artistes faisant partie de missions diplo- 2 À propos des échanges commerciaux et grande représentation d'une procession
diplomatiques, voir par exemple Jardine et réalisée par un artiste anonyme pendant
matiques avaient la charge, entre autres, Brotton 2000; Raby 2007. la même ambassade et donnée au duc de
de dessiner ces documents remontant à 3 Thorau 2004, en particulier p. 318-333. Saxe, fut copiée en 1581-1582 par Zacharias
4 L'Histoire de Mahomet II par Critobule d'Im- Wehme (Sachsische Landesbibliothek,
!'Antiquité afin de les porter à la connais- bros, qui s'interrompt en 1467, est fondée Staats- und Universitatsbibliothek Dresden
sance des milieux érudits de leurs pays sur cette comparaison. Raby 1983a, en parti- (SLUB), inv. Mscr.Dresd.J.2.a). Pour finir,
culier p. 18-19. l'élève de Melchior Lorck, Nicolaus Andrea,
d'origine; ces témoignages pouvaient 5 Chong 2005-2006, en particulier p. 110-112. fut membre de la délégation, comme en
aussi être indirectement perçus comme 6 L'analyse la plus approfondie de cette ques- témoigne une feuille de l'album amicorum
la réappropriation d'un héritage que tion est encore Karabacek 1918, en particu- de Sebald Plan, conservé à la bibliothèque
lier p. 1-64; voir aussi Raby 1982; pour une du monastère Strahov à Prague (Kràlovska
l'Europe chrétienne avait perdu. D'après étude et une analyse récente, voir Chong kanonie premonstràtù na Strahovè, Pra ha,
les relations de voyages de Pierre Gilles 2005-2006. DG IV 25, fo 165v). Cf. Larsson 2007.
7 New York 2007. 19 Freshfied suspectait l'aumônier Stefan
ou d'Ogier Ghislain de Busbecq, il était 8 Çirakman 2002, p. 38-39. Gerlachmay d'être l'auteur des dessins.
difficile de trouver des dessinateurs 9 Bohnstedt 1968; Keller 2012; Grothaus Freshfield 1922 (voir l'attribution à Gerlach
locaux disponibles ou disposés à assister 1986, p . 120-160. p. 89). Le manuscrit est aujourd'hui
10 Deux exemples de contacts avec des artistes conservé à Cambridge, Trinity College,
les artistes étrangers 1 7. La présence néces- italiens sont attestés durant le règne de ms. 0.17.2.
saire d'un dessinateur compétent dans Bajazet, concernant des projets d'ouvrages 20 Ogier Ghislain de Busbecq, envoyé par
d'art pour un pont sur la Corne d'Or. Dans Ferdinand de Habsbourg en 1554-1555 et
une ambassade fut une idée qui ne s'im- les deux cas, l'artiste ne se rendit jamais 1556-1562, nous informe dans l'une de ses
posa qu'au milieu du xvr• siècle. Étant dans l'Empire ottoman et le sultan n'eut « Lettres turques » publiées dans les années
l'un des premiers à avoir reproduit avec jamais connaissance des propositions ou 1580, qu'il possédait un dessin de la colonne
n'y répondit pas. On rapporte que Michel- Arcadius, probablement celui dont il est
précision certains des monuments de Ange avait envisagé de partir travailler question. Itinera constantinopolitanum et
Constantinople, Melchior Lorck fut suivi pour Bajazet Il lorsqu'il eut un différend amasianum ab Augerio Gislenio Busbecqij, <iJc.
avec Je pape Jules II en 1506. Condivi 1976, D. ad Solimannum Turcarum Imperatorem C.M.
par d'autres artistes qui accompagnèrent p. 37 et 131 (note 50). Une lettre de Léonard oratore confecta. Ejusdem Busbecuij De acie
des ambassades. Un exemple particulière- de Vinci à Bajazet à propos d'un projet de contra Turcam instruenda consilium, Anvers,
pont sur la Corne d'Or est conservée aux Christoph Plantin, 1581, p . 62.
ment intéressant date de la délégation du archives du musée de Topkap1, à Istanbul.
Saint Empire dirigée par David Ungnad Le dessin pour le projet se trouve à Paris,
en 1574, avec l'album dit Freshfield, con- Bibliothèque de l'Institut de France, Ms.
2182, fos 65v-66r. Il porte l'inscription de
servé au Trinity College de Cambridge 18 • Léonard: ponte di pera. Voir aussi J'ana-
L'artiste encore non identifié 9 a dessiné
1 lyse mettant en doute l'idée selon laquelle
Michel-Ange et/ou Léonard seraient allés à
un grand nombre de monuments Constantinople et rejetant tout document à
emblématiques de Constantinople, dont ce sujet: Seybold 2011, p. 122-161.
certains ont été détruits lors d'incendies 11 Spuler 1935, p. 318.
12 Wunder 2003, p. 89-119, 110-111.
ou de tremblements de terre. On peut 13 Brafman 2009, p. 153-160; Ilg 2008b,
notamment citer le relevé minutieux p. 161-192.
14 Williams 2013.
de la colonne sculptée monumentale 15 Fischer et al. 2009.
d'Arcadius, datant de 403 avant notre ère, 16 Néanmoins, certains cercles eurent
reproduite dans toute sa hauteur de trois connaissance des dessins préparatoires
ou des épreuves réalisées à partir des
points de vue différents (du sud, de l'est matrices en bois de Lorck, comme l'at-
et l'ouest; ill. 27 ). Melchior Lorck dessina testent les copies qui en figurent dans
la relation de voyage de Lambert Wyts
une partie de la même colonne, mais de 1570-1573. Vienne, Osterreichische
l'auteur du dessin Freshfield semble avoir Nationalbibliothek, Lambert Wyts [main-
tenant catalogué au nom de Lambert
procédé selon une démarche plus systéma- de Vos], Itinera in Hispaniam, Viennam et
tique, tant pour l'ensemble que pour les Constantinopolim sermone gallico, Cod. 3325•
détails 20 • Les expériences constantinopol- Han (voir note 18). Il est possible que Je
manuscrit ait utilisé les croquis ou dessins
itaines des artistes faisant partie d'ambas- préparatoires de Lorck pour les gravures, ou
sades nous fournissent aujourd'hui encore encore qu'il ait été illustré ultérieurement -
les gravures sur bois d'après lesquelles sont
des témoignages uniques sur leurs con- copiées les images sont datées après 1574.
temporains et la culture antique de la cité. , 17 Pierre Gilles, qui se rendit à Constantinople
Les productions apportées en Europe en 1544 et dont la description de la cité ne
fut publiée qu'après sa mort, se plaignit
par les artistes et les dessinateurs ayant de la pénurie d'artistes et de l'attitude
séjourné à Constantinople constituèrent méfiante et menaçante de la population
dès lors qu'un étranger voulait dessiner un
une source importante de stimulation sujet. Gilles 1561. Voir Gilles 2007]. Hans
et contribuèrent à corriger la figure Dernschwam rapporta les mêmes pro-
inquiétante du «Turc» abondamment blèmes en 1553-1554, lorsqu'il accompagna
Busbecq à Constantinople. Babinger 1986,
répandue dans les discours occidentaux 1, p. 98.
de l'époque. Si elle fut essentiellement 18 Cette ambassade est particulièrement
accessible à une élite, la réalité de l'Empire intéressante parce qu'il semble que plu-
sieurs artistes ou dessinateurs l'aient
ottoman, telle qu'elle transparaissait dans suivie à différents moments. Le manuscrit
ces images qui révélaient l'humanité et la de Lambert Wyts, Itinera in Hispaniam,
Viennam et Constantinopolim sermone gallico
diversité de ses habitants, mit cependant

62
LIVRES DE COSTUMES ET ALBUMS
DE SOUVENIRST TRANSFERT D'IMAGES
ET D'INFORMATIONS ENTRE L'ORIENT
ET L'OCCIDENT
ROBERT BORN

L'Empire ottoman atteignit son expansion Les documents visuels de ces domaines des poèmes qui comptent parmi les pre-
/ maximale dans la seconde moitié du XVIe furent d'abord assez rares, et d'autant plus miers en langue hongroise (ill. 30). Son
siècle. Les principaux événements qui recherchés 2 • Les premières images de ce livre contient également une illustration
jalonnèrent cette évolution - les sièges genre provenaient de récits de pèlerinages étonnante, une allégorie de !'Occasion
de Vienne (1529), de Malte (1565) et de en Terre sainte (cat. 43) ou de descriptions représentée par une femme nue sur une
Szigetvar (1566 ), ainsi que la bataille d'anciens prisonniers des Ottomans, roue6. Une composition comparable se
navale de Lépante (1571) - firent l'objet notamment de Hans Schiltberger, de trouve dans l'Album Kessler (vers 1617),
d'un grand nombre de récits en images Bartholomé Georgeijevic ou de Luigi face à la représentation en pied d'un
(cat. 5, 6, 11, 13, 19 et 22). Les témoignages BassanoJ. Si ces auteurs apportèrent un homme en costume hongrois ; d'autres
d'artistes comme Jan Cornelisz. Vermeyen, grand nombre de détails sur la vie dans miniatures de cet album constituent
qui documenta sur place l'expédition à l'Empire ottoman, les illustrations ajou- des vues de monuments remarquables
Tunis de l'empereur Charles Quint en tées aux récits imprimés se révélèrent sou- de la capitale ottomane7. Les albums
1535, offraient un haut degré d'authen- vent être des produits de l'imagination. dits « livres d'amitié » (alba amicorum),
ticité' (cat. 18 ). Les représentations de Deux exemplaires de manuscrits illustrés contenant des dédicaces de personnes
batailles, de prisonniers et de pièces de de prisonniers du xvne siècle sont parve- rencontrées en voyage, des représenta-
butin fournissaient des informations nus jusqu'à nous. Tandis que les images tions de monuments ou de scènes de la
concrètes sur les soldats ottomans et leurs du manuscrit de Reinhard Sorscho4 (vers vie quotidienne, sont connus à partir des
animaux exotiques, notamment des cha- 1622) ont été exécutées immédiatement années 1560. Cette forme de documen-
meaux. À partir du milieu du XVIe siècle, après sa libération, Ferenc Wathay a tation glanée au cours de voyages était
cette image des Turcs souvent façon- rédigé son «livre de chants » alors qu'il une conséquence de l'intensification des
née dans un sens négatif par les tracts était encore prisonniers. Cet officier contacts diplomatiques entre les empires
se vit opposer un pendant neutre avec hongrois capturé en 1602 au cours de la des Ottomans et des Habsbourg. De fait,
des descriptions de la vie quotidienne « Longue Guerre » a documenté chaque la résidence des ambassadeurs à Elç1 Ham
et des coutumes de l'Empire ottoman. étape de sa captivité par des dessins et constituait un important pivot en ce qui
concerne la production et la diffusion
de représentations iconographiques de
la vie à Constantinople8. Outre les diplo-
mates, elle abrita nombre d'artistes dont
Melchior Lorck et Lambert de Vos qui, à
la demande de Karel Rijm, ambassadeur
impérial auprès de la Sublime Porte, créa
son fameux « livre de costumes » ras-
semblant des représentations en grand
format de costumes ottomans et de cor-
tèges d'apparat (cat. 53). Peu de temps
après parut « le livre des Turcs » de David
Ungnad von Sonneck, dont un certain
nombre de copies ont été conservées. Les

l
efforts déployés à la cour de Saxe pour
I en faire réaliser une copie par Zacharias
Wehme ne furent pas une exception,
mais plutôt une pratique courante des
I cours du Saint Empire pour se procurer
des informations, comme en témoignent
des rapports extraits de la correspondance
diplomatique ainsi que les inventaires des
bibliothèques d'humanistes éminents9.
D'autres cours européennes manifes-
ill. 30 Vu e de Belgrade extraite du Livre de chants de Fenenc Watbay (1604-1606), tèrent un grand intérêt pour ces collec-
fos 23V-24r. Budapest, Magyar Tudomânyos Akadé.'lllia, Kônyvtâr. tions de costumes de l'Empire ottoman.
ill. 29 Peter Paul Rubens, Huit femmes turques, dessin extrait de son • livre de costumes ».
Londres, The British Museum, Department of Prints and Drawings
64 65
Ainsi l'amiral français Palin rapporta dès imprimés, ainsi que les genres apparen- qui réinterpréta les figures turques de
1544 un livre de costumes, aujourd'hui tés des vedute et des cartes imprimées, Melchior Lorck dans sa description de
disparu, réalisé par un renégat français 10. témoignent que de larges couches de la l'entrée triomphale à Rome de Jerzy
Cet exemple montre que l'on a très vite population portèrent un intérêt accru aux Ossolinski, ambassadeur de Pologne,
réagi à Constantinople à la demande de observations topographiques et ethnogra- le 27 novembre 1633 17. L'intérêt porté
souvenirs visuels de la main d'artistes phiques au début de l'époque moderne. par l'artiste à la splendeur exotique de
locaux ou d'artistes qui, par leur origine, Ce « regard ethnographique » favorisa en l'Orient et l'orientalisation délibérée
étaient familiers des deux traditions et même temps une sécularisation crois- de l'aristocrate polonais ont ainsi
conventions iconographiques. Un exemple sante de l'image du monde 14. Par ailleurs, fusionné en un archétype (cat. 70d).
particulièrement éloquent en est l'album ces ouvrages offraient la possibilité de
du Hongrois Balazs Csobôr, réalisé à peu transférer des images intellectuelles dans 1 We rner 2005, p. 66-72.
près à la même époque que le livre de cos- des représentations de l'espace s.
1 2 Ilg 2010.
3 Au sujet de cet imp ortant group e de réc its
tumes de Lambert de Vos, et qui contient, Avec l'abandon des modèles de pensée de voyage : Hôfer t 2003, p. 200-216.
outre des miniatures, des feuilles de du Moyen Âge, les formes de présentation 4 Wol fe nbüttel, Herzog-Augu st-Bibliothek,
Sign. Cod. Gu elf. 37. 13. Aug. fol. Voir à
papier marbré turc (ebru). On trouve des des voyages en Orient se modifièrent. Les ce sujet Burschel 2009, p. 174-182.
associations comparables dans un album itinéraires suivirent de plus en plus rare- 5 Budapest, Magyar Tudomàn yos Akadémia,
inv. K 62. Voir à ce suj et Drosztm ér 201 4.
conservé à la Veste Coburg, dont les images ment la route des pèlerinages médiévaux. 6 Drosztmér 2014, p. 245 , il!. 7.
présentent de grandes analogies avec un De plus, un certain nombre d'auteurs, 7 Horky 2008, p. 150-151.
autre album de Jérusalem réalisé en 1587 à Nicolas de Nicolay en tête, cherchèrent à 8 Horky 20 08, p. 146-148.
9 Stichel 1991, p. 40-41.
Constantinoplen. Quelques figures issues présenter leurs observations sous la forme 10 Stich el 1991, p. 40 et 54; n° 99.
de ces deux albums se retrouvent dans le la plus précise possible et s'inspirèrent 11 Stichel 1991, p. 49 et 51.
12 Kurz et Ku r z 1972.
« Livre de costumes » de Peter Paul Rubens en cela des procédés d'illustration bota- 13 Belki n 1980, p. 155.
(Londres, British Museum) 12 (ill. 29). Ce nique et anatomique. Pendant plusieurs 14 Brückn er 2002, p. 14s-162.
dernier avait sans doute utilisé une autre décennies, la qualité du témoignage 15 Defert 198 4, p. 31-33; Grimes 2002;
Mentges 2004.
variante de ce type d'ouvrages et s'était en direct constitua pour nombre d'artistes 16 Ilg 2008a.
outre inspiré de livres de costumes impri- un argument de poids pour recourir aux 17 Ilg 2003.
més comme ceux de Nicolas de Nicolay, livres de costumes 16 . L'une des plus inté-
Abraham de Bruyn et Hans Weigel 1 3 ressantes formulations iconographiques
(cat. 57, 59 et 60). Les livres de costumes est celle du graveur Stefano della Bella,

ilL J1 Vue de Elci Han extraite de l'album Icones, habitus, monumenta Turcarum. Cracovie, Biblioteka Jagiellonska.
66 6ï
INFLUENCES DE L'O RI ENT OTTOMAN SUR
LA CULTU RE COURTOISE EURO PÉENN E
ROBERT BORN ET MIOHAt. DZIEWULSK1

Les effets les plus complexes de l'expan- non pas donc comme des ennemis de la s'affrontaient des cavaliers légèrement
sion ottomane sont peut-être ceux que chrétienté, mais plutôt comme des créa- armés 8 . C'est à partir de ces prémices que
l'on observe dans les sphères de la culture tures exotiques dans le concert d'autres se développèrent, particulièrement sous
courtoise. Ce sont avant tout les résidences nationss. Du reste, il convient de conserver l'archiduc Ferdinand II, les très popu-
des souverains, mais aussi celles d'une à l'esprit le fait que les premières visites laires tournois de hussards, lors desquels
noblesse souvent encline à les concurren- d'ambassadeurs ottomans sont documen- étaient utilisées des armes et armures
cer qui, en Europe centrale et médiane, tées presque simultanément à la rhéto- orientales ou ottomanes prises à l'ennemi
reflètent les expériences spécifiques de rique militante des projets de croisade. ou achetées9. En même temps, ces pièces
ces régions en termes de conflits mili- Ainsi, les illustrations du Livre des pêches étaient conservées dans la collection
taires avec l'Empire ottoman aussi bien de Maximilien 1er (Vienne, Bibliothèque de Ferdinand II au château d'Ambras,
que d'échanges économiques et culturels nationale d'Autriche, Codex Vindobonensis laquelle servait de lieu d'étude aussi bien
dans les zones frontalières . Les régions 7962, fbs 12v et 26r) montrent par exemple que de plateforme pour la representatio
intermédiaires entre les domaines de sou- la chasse au cerf organisée en 1497 pour maiestatis. Les tournois qui mettaient en
veraineté des Habsbourg et des princes l'ambassadeur Bajazet6 (ill. 32). scène les combats contre les Ottomans,
hongrois et polono-lituanien d'une part, La mise en scène de la menace otto- tout comme le « cabinet turc» en tant qu e
et de l' Empire des sultans d'autre part, ont mane sous forme d'événements éphé- lieu d'exposition de pièces prises à l'en-
été le théâtre d'une multitude de processus mères comme les défilés, déguisements, nemi, furent mis au service de l'autore-
dynamiques - migrations de populations, arcs triomphaux ou feux d'artifices dont présentation de la noblesse autrichienne,
recompositions d'élites ou confession- les programmes étaient développés par mais aussi de Bohême 10. Par ailleurs, les
nelles dans le sillage de la Réforme'. Pour des érudits humanistes ou par les artistes tombeaux constituèrent aussi un moyen
l'élite régionale, participer aux combats des différentes cours, était courante à la de représentation particulier dont l'utili-
contre les Ottomans impliquait des inves- cour des Habsbourg, mais aussi chez les sation resta essentiellement confinée à la
tissements financiers et des sacrifices Jagellon de Hongrie?. À la fin du xve siècle, noblesse. Ce groupe de monuments créés
personnels considérables, mais offrait sous l'impression des combats avec les le long des frontières avec l'Empire otto-
aussi la possibilité d'en tirer un fort capi- petites unités extrêmement mobiles de la man - de l'Autriche à la Pologne-Lituanie
tal symbolique en termes de réputation cavalerie légère ottomane, les akmc1, on en passant par la Hongrie et la Bohême
et de reconnaissance 2 .Au tournant du vit se développer à la cour de Buda une - présente les défunts en chefs d'armée, ou
xv1e siècle, Maximilien 1er fut le premier forme de compétition lors de laquelle sous forme de reliefs montrant des scènes
souverain européen à utiliser ce potentiel de bataille, ou encore, comme à Friedland
symbolique au service de sa propre mise (tch. Frydlant), en Bohême, des figures
en scène. Si ses différents projets de croi- d'Ottomans liésn (ill. 33).
sade contre les Ottomans échouèrent face Les zones frontalières vers l'Empire otto-
à la résistance des ordres de la noblesse, man n'ont pas été des espaces dédiés à la
l'idée de croisade n'en resta pas moins une seule mise en scène d'une implacable hosti-
référence importante pour l'image exté- lité, mais aussi des zones d'intégration d'élé-
rieure de l'empereur. C'est ce qu'illustrent ments orientaux-ottomans dans la culture
les coûteuses entreprises du Theuerdank et respective de chaque région. Ce processus
de la première impression de l'Arc triom- s'instaure au plus tard à la fin du xve siècle:
phal, dans lesquelles des espaces furent l'habit orientalisant devient alors un aspect
réservés pour la représentation des futurs important de la mise en scène personnelle
événements d'une campagne contre les des élites en Hongrie comme en Pologne,
Turcs3. Par ailleurs, outre les descriptions pays descendant de peuples que les auteurs
d'événements réels comme la «bataille antiques situaient dans un Orient barbare12 •
des Croates », le Weisskunig (1514), roman Dans le cas de la Hongrie, il s'agissait de
autobiographique resté inachevé de l'em- la Scythie, cependant que la Sarmatie fut
pereur Maximilien 1er, contient aussi des stylisée en patrie originelle des Polonais'3.
représentations allégoriques de l'adver- Parmi les premiers documents qui ren-
saire ottoman, en l'occurrence dans le voient à une mise en scène personnelle,
chapitre du Banquet (cf. cat. 8 et 152). Des on trouve le rapport de l'ambassadeur de
Morisques du même genre apparaissent Ferrare, Cesare Valentini, sur sa réception
dans les illustrations du Freydal ou dans le à la cour de Matthias Corvin : le souverain
décor du Petit Toit d'or à 1nnsbruck4. Lors aurait accueilli les diplomates vêtu d'un
de ces «mascarades », les «Ottomans » se caftan oriental et leur aurait personnelle-
ill. 33 Gerhard Hend rik, tom beau de Melchio r von
présentaient sous l'apparence de janis- Redern, 1605-1610. f:glise de la Sainte-Croix ment offert des vêtements orientaux. Cet
saires portant des masques d'oiseaux: de Friedland (Frydlant, Rép. tchèque). épisode dénotait des analogies flagrantes
ill 32 Jôrg Kêilderer, Chasse au cerf organisée par l'empe reur Maximilien l" en l'honneur
de l'ambassadeur ottoman de Bajazet, illustration parue dans le Tiroler Fischereibuch
de Maximilien Jer, fb 12v. Vienne, Ôsterreichische . aùonalbibliothek.
69
avec l'usage de la cour ottomane, où la céré- la mer Noire, où elle aura des frontières
monie de remise de caftans jouait un rôle communes avec l'Empire ottoman et ses
important dans le rituel diplomatique1 4 États vassaux. Ce qui avait été un territoire
(voir cat. 62). homogène du point de vue ethnique se
Conséquence de l'occupation d'une transforme alors en un État multicultu-
grande partie du royaume de Hongrie par rel habité par des Polonais, Lituaniens,
les Ottomans, les pièces d'habillement, Biélorusses et autres Ruthènes, Juifs, - . _ ~~-=- = --=- -- -..
étoffes et souliers précieux devinrent Allemands, Grecs, Tatars, Arméniens, ENTRATA 1N DELL' EccEC'AMBASClATORE- 01PoLLONr-A L ANNO, MDëxxxu1.
aussi accessibles en dehors de la sphère karaïtes de Crimée, Vallaques, Cosaques, .flz.JJaco11ZJ t!ét?# k~ain!Romaafktc.Pact'-,/
courtoise 1 s. Cette intensification du plus tard aussi par des Lettons et des
commerce de produits orientaux fut for- Estoniens, et dans de petites colonies de f
tement favorisée par les marchands dits peuplement par des Écossais, des Italiens
grecs 16 . Tout comme les tapis d'Orient, et des Hongrois, dont certains avaient
l'habit oriental devint une composante des contacts culturels ou commerciaux r
importante du train de vie coûteux qui, fréquents et étendus avec les pays du N..onJJlo 'lfl';!an1
dtr vn JJUJ tO, J;rv:,_
en Transylvanie comme dans d'autres par- Moyen-Orient. La mosaïque de cultures cvn .wa, /~.J''!' nie~
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ties orientales d'Europe centrale, faisait inhabituelle formée par toutes ces natio- )'!l'·;'! \
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partie du répertoire classique des mises nalités ne pouvait manquer d'exercer :uo n;I;;, mia of'f-:
en scène de l'ascension sociale. L'adoption une influence sur la noblesse polonaise '!'1!!/.; ~ ,/;dlt,,One
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d'éléments issus du monde ottoman n'est et, par voie de conséquence, lituanienn<::_; 'lrraram:,.a,{.,:,/J. .
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pas restée limitée à l' habillement, mais Au XVIe siècle, ce groupe social directe- o:va,s,.,.m4
a aussi concerné la coiffure et surtout ment issu de l'ordre chevaleresque ne
les armes. Le haut degré d'intégration représente pas moins de dix pour cent de
d'éléments orientaux ottomans à la cour la population1 8 • Les innombrables privi-
des princes de Transylvanie ressort des lèges arrachés aux souverains depuis la
comptes-rendus diplomatiques du début fin du XIVe siècle lui confèrent alors un
du xvne siècle, qui comparent l'apparence rôle décisionnaire en politique intérieure.
du prince Gabriel Bethlen à celle d'un Au XVIe siècle, ils le rendent même plus
dignitaire ottoman17. puissant que les magnats. Avec le temps,
Les influences culturelles ottomanes il finit aussi par prendre l'ascendant sur
sur la noblesse polono-lituanienne sont le pouvoir royal: à partir de 1573, suite à
comparables à celles que l'on observe l'extinction de la dynastie Jagellon, les rois
en Hongrie pendant la même période. accèdent en effet au trône par voie élec-
Il existe toutefois une différence fonda- tive. C'est aussi à la noblesse, qui conti-
mentale entre les deux pays : du début du nuait d'exercer une emprise considérable
xve au début du xvne siècle, la Pologne sur le développement culturel du pays,
ne fut jamais exposée à une menace que se doit le fait que, pendant presque 1
d'occupation directe par les armées otto- quatre siècles, de nombreuses influences
manes. Dans cette partie de l'Europe, elle ottomanes (et indirectement persanes)
fut donc le seul pays à jouir d'une paix purent prendre racine dans les pays ratta-
durable avec l' Empire ottoman - du début chés à l'Union polono-lituanienne.
des relations diplomatiques formalisées Plusieurs facteurs ont rendu la chose G
G
en 1414 à l'éclatement de la guerre en possible. Un de ces facteurs fut l'intensifi-
1620. Pour comprendre le processus de cation des échanges avec le Moyen-Orient,
propagation des influences orientales en qui étaient en grande partie assurés par
Pologne, un regard sur la situation géopo- les Arméniens établis à Lvov (Lviv) et
litique de la région aux xve et XVIe siècles à Kamianets-Podilskyï (aujourd'hui en
et sur la structure ethnique et confes- Ukraine). Ces villes devinrent les prin-
sionnelle de l'Union polono-lituanienne cipaux centres d'échange de produits
- s'impose. orientaux avant leur envoi dans d'autres
1 Pendant tout le Moyen Âge, la Pologne est pays d'Europe. Leur importance s'accrut
restée placée sous l'influence de la culture considérablement après que les armées
chrétienne d'Europe occidentale. L'union ottomanes se furent emparées du centre
personnelle de Krewo conclue le 14 août marchand criméen de Caffa (aujourd'hui
1385 avec le grand-duché de Lituanie, Théodosie, en Ulaaine) en 1475 1 9. La ,...
par laquelle le grand-duc de Lituanie Hongrie joua elle aussi un rôle particulier
Jogaila montait sur le trône de Pologne dans l'assimilation d'influences ottomanes G 'Trt:nfa.Arc,~rt- ve./t'â ,4 ra,o nin o C01; a=lt,Ïn. ,,,ana
sous le nom de Ladislas II Jagellon, en Pologne, notamment du fait que les e caraftne....?"'"dé11a·
transforma cet État d' Europe centrale en deux pays eurent un intérêt dynastique
superpuissance, particulièrement avec commun sous les Jagellon et le règne
l'agrégation continuelle de nouveaux d' Étienne Bathory (r.1575-1586). La popu-
ill. 34 Stefan o della Bella (graveur) et Giovanni Giacomo de Rossi (imprimeur), I:Entrée dans Rome de Jerzy Ossolinski,
territoires s'étendant vers le sud-est de la larité du prince de Transylvanie, élu roi de chancelier de Pologne et ambassadeur polonais, gravure, 1633. Deux premières pages de la frise Entra ta in Roma del!'
côte baltique pour atteindre, à l'époque Pologne par la noblesse, s'avéra décisive eccel[issimo] ambasciatore di Polonia l'anno MDCXXXlll, Rome, 1633 . Varsovie, Biblioteka Narodowa w Warszawie,
de son expansion m axim ale, les rives de pour la pérennisation de l'utilisation de inv. sign. G.909 et sign. G.910/Sz.7

70
vêtements et d'armements orientaux dans des traits byzantino-ruthènes avant de plus fortunées: nobles, princes, membres devinrent une partie intégrante des offices la cavalerie hussarde3 6 (voir cat.170). Lon 12 Klaniczay 2001, p. 684-685.
les régions rattachées à la Pologne 20. succomber aux influences ottomanes au de la cour royale 27. Si les produits tissés liturgiques extraordinaires31, même si l'on trouvera difficilement un exemple plus 13 Péter 1981; Bômelburg 2006, p. 414-416 .
14 Gervers 1982, p. 12-14; Turnau 1991, p. 48.
Un autre facteur qui joua un rôle XVIe siècle 23. Les principales pièces vesti- que nous connaissons aujourd'hui sont sait qu'en 1603, l'archevêque Jan Zamoyski flagrant d'influence turque sur l'armement 15 Mérai 2008; Pâsztor 2013 .
important dans l'orientalisation des goûts mentaires provenant de Turquie ont été le majoritairement liés à la Perse, ce furent décora la cathédrale de Lvov de vingt tapis polonais. La première unité hussarde fut 16 Gecsényi 2007; Pakucs 2007, p. 74-100.
et des modes dans l'Union polono-litua- delia et le ferezja, des pardessus habituelle- généralement des marchands constanti- importés de Constantinople et arborant 17 Gervers 1982, p. 14; Turnau 1991, p. 47.
constituée des troupes de conscrits serbes 18 Choinska-Mika 2002, p. 20-21.
nienne fut le mythe du sarmatisme, dont ment maintenus par une broche fixée sous nopolitains qui en assurèrent la diffusion son blason brodé32. documentées en 1501. Vers le milieu du 19 Mankowski 1968, p. 97; Dziubinski 1998,
il a déjà été question plus haut 21 • Compte le col, et le caftan galonné, de même que au xvre siècle 28. Sur ce point, les usaks, tapis Un accessoire important du costume de xvne siècle, les hussards étaient devenus p.14.
20 Mrozowski 1986, p. 260.
tenu du fait que la Pologne restait dans le kontusz et le zupan 2 4, qui déterminent dont le nom renvoie à leur lieu de produc- la noblesse était le sabre à garde ouverte un corps de cavalerie composé majoritaire- 21 Dlugosz et Scholz 2012.
l'orbite culturelle des pays d'Europe le costume national polonais aux xvne tion en Turquie (U§ak), constituent une présentant de longs quillons et une large ment de nobles, bien qu'encore assez com- 22 Biedronska-Slotowa 2005 , p. 58 .
et xvme siècles, et même, sporadique- exception. Leur popularité peut être illus- 23 Mankowski 1959, p. 194.
occidentale, elle fut donc un domaine où lame terminée par un faible encore plus posite. C'est seulement avec les réformes 24 Biedronska-Slotowa 2005, p. 30, 36 et 56 ;
coexistèrent deux traditions culturelles ment, à la fin du xrxe siècle (voir cat. 166). trée par le privilège qu'Étienne Bathory large renforcé d'un «martel» servant à d'Étienne Bathory que l'organisation et Tazbir 2002, p. 35.
apparemment opposées. Ladoption du vêtement turc, souvent accorda en 1585 à Murat Jakubowicz de porter des coups transperçants (voir cat. l'apparence évolueront et que sera créé ce 25 Tazbir 2002, p. 154.
26 Biedronska-Slotowa 2005, p. 60.
Identifier les éléments spécifiquement somptueux sous l'influence des tissus por- Caffa, un Arménien établi à Zamosé qui 167 ). C'était un sabre de type hongrois qui aura sans doute été un des exemples 27 Biedronska-Slotowa 1997, p. 151; Zygulski
turcs ou persans qui ont été absorbés par la tés par les officiels ottomans 2s, s'impose reçut ainsi l'autorisation exclusive de modelé par l'influence ottomane. Ayant les plus parfaits de mélange d'influences 1989, p. 12.
28 Mankowski 1959, p. 152.
culture polonaise s'avère souvent malaisé. parmi la gent masculine, mais sans conno- fabriquer des tapisseries « tissées à la mode remplacé l'épée du chevalier, il devint occidentales et orientales en territoire 29 Mankowski 1954, p. 69; Mankowski 1959,
Au risque de généraliser, l'on peut toute- tation religieuse, ce qui explique notam- turque 29». Pour autant, on ignore si son le principal attribut du gentilhomme polonais : des cavaliers ressemblant aux p. 186.
fois estimer que jusqu'à l'éclatement de la ment que les turbans ne furent jamais atelier fut celui qui produisit les célèbres polonais, preuve de son état revêtant au 30 Cracovie; Zamek Kr6lewski na Wawelu
deli et aux sipahi ottomans, décorés de [Château royal du Wawel], inv. 240; Berlin,
guerre de 1620, la plupart des influences largement acceptés. Ils ne seront en effet tentures de KrzysztofWiesiolowski mon- fil du temps un caractère moins national plumes, armés de longues lances et portant Staatliche Museen, Museum für Islamische
orientales sont entrées en Pologne soit portés qu'épisodiquement comme élément trant des blasons polonais. Ces tentures que sacré33. Ceci est particulièrement un sabre sur le côté, armés de cuirasses Kunst, inv. 1.4928.
31 Wetter et Ziegler 2003, p. 272-278.
directement depuis l'Empire ottoman, de décor ou de costume exotique lors d'oc- datées des années 1630 sont aujourd'hui vrai pour la karabela directement adop- à l'occidentale et de zischagges (casque 32 Mankowski 1959, p. 188.
soit par son intermédiaire. Parmi les élé- casions festives au début du xvre siècle, et conservées à Cracovie et à Berlin, notam- tée de l'Empire ottoman, une arme qui « queue de homard», pol. szyszak) modelés 33 Nadolski 1974, p. 90-102 ; Zygulski 1975,
ments de la culture orientale assimilés plus tard dans l'armure du xvne siècle26 . ment30. En pays polonais, les tapisseries devint le symbole du sarmatisme34. Au sur leurs équivalents turcs37 (voir cat.164). 34
p. 171.
Zygulski 1978, p. 17.
par la noblesse polonaise, le vêtement est Les ouvrages textiles d'origine orientale orientales furent utilisées comme couver- XVIe siècle et au début du xvne siècle, on Lorientalisation s'étendit aussi à la sellerie 35 Ce type de sabres figurent par exemple
incontestablement l'un des plus visibles. qui ont été populaires en Pologne incluent tures de tables ou de bancs, parfois comme trouve aussi des exemples d'utilisation de des chevaux et à la terminologie afférente, dans les portraits de Jan Zamoyski
(1542-1605), hetman, grand chancelier de
Lorientalisation du costume des nobles aussi les tapisseries et les tapis. Comme tentures murales, et ne revêtirent jamais de sabres ottomans en Pologne, ou encore remodelant surtout entièrement le dessin la Couronne, proche conseiller et soutien
(et aussi des bourgeois) s'observe dès le dans d'autres pays d'Europe, ils étaient dimension sacrée, contrairement à ce qui de sabres pouvant être décrits comme de la selle, qui présentera désormais une du roi Étienne Bâthory, peint vers 1601, et
de Jan Danilowicz, voïvode de Ruthénie
milieu du xve siècle 22 • Elle présente d'abord surtout achetés par les couches sociales les se passa en Transylvanie (ill. 35), où elles une forme intermédiaire entre les sabres forme très différente des selles utilisées en portraituré en 1620 par Fedir Sankowicz
turc et hongrois, comme le montrent Europe occidentale3 8. (les deux peintures son conservées dans
les rares portraits d'époque qui nous les collections de la Galerie nationale des
On constate donc que les hussards polo- Beaux-Arts, à Lvov, inv. lf<·5892, )!(·5897).
sont parvenus3s. Les masses d'armes de nais, les célèbres « cavaliers ailés», sont 36 Cichowski et Szulczynski 1981, p. 58;
cérémonie - le buzdygan et la boulava l'exemple le plus probant non seulement Zygulski 2000.
37 Zygulski 2000, p. 17-19 ; Bochenski 1965,
(en polonais bufawa) -, attribut exclusif de l'orientalisation, mais aussi et surtout p. 103.
des officiers hussards et des hetmans, de la sarmatisation de la noblesse39. 38 Mankowski 1959, p. 145 ; Zygulski 1959,
les commandants en chefs des armées p. 42 et 98-100.
La recherche tend le plus souvent à faire 39 Kaufman 1999-2000, p. 15.
polono-lituaniennes, étaient également jouer ce rôle avant tout au vêtement 40 Cracovie 2010, p. 17.
d'origine turque. Lon notera toutefois masculin de la noblesse, alors que c'est
que les buzdygan modelés sur des masses la cavalerie polonaise qui, au xvne siècle,
d'armes turques ou directement importés imita littéralement les modes antiques,
de Turquie n'apparaissent en Pologne notamment avec l'utilisation d'armures
qu'à partir du xvne siècle: auparavant, les d'écailles (pol. karacena) pour les parades.
masses d'armes de cérémonie reposent La formation hussarde fournit aussi
en effet sur des conceptions occidentales. une parfaite illustration de la nature
Les boulavas de la fin du xvre siècle et du extrêmement complexe du sarmatisme
début du xvne siècle étaient avant tout des - ce mythe auquel furent subordonnés
produits transylvaniens ayant eux aussi presque tous les aspects de la vie, plein de
des racines ottomanes. Il faut attendre le valeurs syncrétiques et de contradictions
deuxième quart du xvne siècle pour voir internes, aussi tyrannique que créatif4°
les boulavas turques fabriquées dans le développé dans la zone de démarcation
style «impérial» - dorées et garnies de entre deux mondes coexistants: l'Occi-
turquoises - devenir majoritaires chez dent et l'Orient.
les hauts officiers polonais. Il convient
enfin de souligner la popularité d'autres Schulze 1978. Concernant les configura-
armes turques ayant acquis le statut d'ac- tions particulières de l'Europe médiane,
voir Born et Jagodzinski 2014 et Born et
cessoires du gentilhomme en Pologne : Puth 2014.
le nadziak (marteau d'armes) et le czekan, 2 Pour le concept de capital symbolique:
Bourdieu 1983.
mélange de hache et de marteau d'armes. 3 · Silver 2008, p. no-n7.
Lorientalisation n'épargna pas la cavalerie 4 Franke 2013.
légère équipée d'armures (pancerni) qui, 5 Dresde et Bonn 1995, n°' 287a-287d
(Christian Beaufort).
suivant la mode turque, utilisait la cote de 6 Unterkircher 1967, p. 32.
mailles, la misiurka (casque), les arcs et les 7 Gulyâs 2014, p. 217.
8 Fügedi 1985, p. 400.
boucliers de type ka!kan. 9 Gulyâs 2014, p. 222.
Pendant presque tout le début des Temps 10 Vocelka 1979; Reitbauer 2003 .
n Sur ce genre représentatif: Galavics 1986 ;
modernes, l'unité militaire la plus impor- Jagodzinsk i 2013, p. 41-44 ; Kempe 2014 ,
ill. 35 Présentation muséale de tapis ottoman s dans l'église noire de Cronstadt (roum . Bra~ov). tante de l'Union de Pologne-Lituanie a été p. 159-169.

72
LES DEUX CÔTÉS DU PAIAIS
PAUL DUJARDIN

Situé au cœur de Bruxelles, le Palais royal à l'heure actuelle - se vante du massacre avons été les témoins de deux guerres
est bordé à sa gauche par la statue de causé par les croisés3. « Au Temple de du Golfe, d'un printemps arabe, de deux
Godefroid de Bouillon et à sa droite par Salomon, le carnage était tel que le sang intifadas, d'une guerre israélo-libanaise,
le Palais des Beaux-Arts, dans lequel la arrivait aux chevilles et aux étriers de nos de trois conflits militaires à Gaza, et nous
culture ottomane et turque sera au centre hommes.» Ici, Henri Pirenne qualifia assistons à une tragique guerre civile en
de l'attention en 2015. Cela peut sembler Godefroid de Bouillon de « plus parfait Syrie. En 2015, des F16 de l'armée belge
être un fait divers pour celui qui n'est pas serviteur de Jésus4 ». bombarderont des positions de l'État isla-
au courant de la relation conflictuelle En 1984, !'écrivain libanais Amin mique en Irak.
entre l'Europe et !'Outremer, mais il s'agit Maalouf étudia la façon dont les croisades Le 16 septembre 2001, la deuxième
là en réalité d'un événement revêtant une sont perçues par le monde arabes. Il cite6 guerre du Golfe fut qualifiée par le pré-
importance particulière et qui démontre l'historien Ibn al-Athîr (1160-1230) qui sident George W. Bush lui-même de
de surcroît que l'art est à la fois en mesure décrit, lui aussi, la Chute [sic] de Jérusalem: « croisade10». La lutte armée d'Al-Qaïda
d'exprimer l'image hostile que l'on cultive « Les habitants de la Ville sainte furent tués et de l'État islamique, quant à elle, vise
de «l'autre» et de fusionner le meilleur de à l'épée et les Francs assassinèrent massive- avant tout Israël qui est considéré comme
deux mondes. ment les musulmans une semaine durant. une puissance occupante de la ville de
Rares sont encore les Belges qui savent Dans la mosquée al-Aqsa, ils tuèrent plus Jérusalem «libérée» par Saladin en 1187 11 •
qui est Godefroid de Bouillon (1060-1100). de 70 ooo personnes7. » Quant au chroni- Actuellement, des dizaines de jeunes
Cette situation est davantage liée à la baisse queur français Raoul de Caen (vers 1080- européens, dont les parents ou grands-pa-
de la qualité de l'enseignement de l'histoire vers 1120), il décrivit les atrocités commises rents sont originaires du Levant, prêtent
qu'à l'importance du chef de la première par les croisés à La Marre - l'actuelle ville de l'oreille aux appels subversifs de l'État
croisade (1096-1099).Au moment de l'in- Ma'arat al-Numan en Syrie8. «À La Marre, islamique afin de fonder un califat qui
dépendance de la Belgique en 1830, le roi les nôtres firent cuire les païens adultes règnerait sur le Moyen-Orient, y compris
Léopold 1er fit ériger partout dans le pays dans des chaudrons, embrochèrent les sur Israël. La rupture qui existe entre l'Eu-
des statues à la gloire de personnages ayant enfants et les consommèrent grillés. » rope et le monde musulman semble peu à
incarné l'identité proto-belge à travers les À la fin de son ouvrage, Maalouf tente peu insurmontable.
siècles. C'est ainsi qu'à Tongres fut érigée la de démontrer que les croisades consti- Que ressentiront ou penseront les
statue d'Ambiorix et à Gand celle de Jacob tuent aujourd'hui encore un point de musulmans, en cette époque cruciale,
van Artevelde. La statue de Godefroid de référence pour les musulmans qui portent lorsqu'ils se promèneront sur la place
Bouillon, quant à elle, fut dressée à l'endroit un regard sur l'Europe.« Dans un monde Royale et lèveront les yeux vers Godefroid
où les révolutionnaires français avaient musulman constamment menacé, il est de Bouillon, fièrement assis sur son che-
planté le Meyboom en 1794. impossible de se débarrasser du sen- val, après avoir visité l'exposition L'Empire
Godefroid de Bouillon fut honoré parce timent de se faire pourchasser. Chez du sultan. Le monde ottoman dans l'art de la
qu'il avait libéré la Ville sainte de Jérusalem certains fanatiques, ce sentiment se trans- Renaissance au Palais des Beaux-Arts? La
en 1099 du «joug d'un peuple rude et forme même en une dangereuse obses- vue du boucher de Jérusalem a-t-elle le
féroce - les Turcs - ce qui lui valut de deve- sion9. » Maalouf cite Mehmet Ali Agca qui même effet sur eux que la vue d'Oussama
nir le plus grand héros de cette guerre perpétra un attentat sur le pape en 1981 ben Laden ou d'Abou Bala al-Baghdadi
sainte•». Selon le célèbre historien Henri après avoir expliqué dans une lettre: « J'ai sur les Occidentaux? Ou inversement?
Pirenne, les croisés originaires de Lorraine, décidé de supprimer Jean-Paul II, le chef Comment des Belges «autochtones»
du Brabant, du Hainaut, de Flandre et de suprême des croisés.» réagiraient-ils si la communauté turque
Hollande constituent la préfiguration Et l'auteur conclut: «Abstraction faite récoltait de l'argent en vue de dresser
du peuple belge 2 • L'armée de Godefroid de cet acte individuel, il est clair que une statue de Saladin ou de Mehmet II
était plurilingue: « Wallons, Allemands et l'Orient arabe considère l'Occident tou- au cœur de Bruxelles ?12 Actuellement,
Flamands marchèrent côte à côte sous la jours encore comme un ennemi naturel. la Belgique compte environ 150 ooo res-
direction d'un prince qui s'exprimait dans Chaque acte hostile de l'Orient vis-à-vis sortissants turcs. Des dizaines de milliers
leurs langues et qui connaissait également de l'Occident, que ce soit sur le plan poli- d'entre eux ont adopté la nationalité belge.
leurs habitudes et leur tempérament. » tique, militaire ou qu'il soit lié au pétrole, Quelques-uns siègent dans un conseil
En revanche, les habitants de Turquie ne constitue jamais qu'une vengeance communal, dans un parlement ou dans
et du Moyen-Orient grandissent avec une légitime. Il est incontestable que le fossé un gouvernement belge.
représentation tout autre de Godefroid entre ces deux mondes remonte à la La politologue belgo-turque Meryem
de Bouillon et des croisades. Les pillages période des croisades, ces dernières étant Kanmaz ne se fait pas beaucoup d'illu-
entre Constantinople et Jérusalem furent considérées comme illégitimes, et ce éga- sions13. « Il apparaît que l'islam constitue
d'une rare cruauté et barbarie. Lors de la lement par les Arabes d'aujourd'hui.» un plus grand problème lorsqu'il devient
prise de la Ville sainte, la population ne visible dans l'espace public que lorsqu'il
fut pas épargnée. Une grande partie de la Minarets et cathédrales reste cantonné à la sphère privée. [...] La
population fut décapitée, et il s'agissait là construction de mosquées pourvues de
encore du châtiment le plus clément. Dans La conclusion à laquelle est arrivée Amin minarets visibles et le voile constituent
Gesta .francorum, le chroniqueur anonyme Maalouf en 1984 est toujours d'actualité deux éléments que le citoyen lambda
- nous dirions «journaliste embarqué » trente ans plus tard. Depuis lors, nous considérera comme un affront aux
ill. 36 Guillaume de Tyr, lettrine avec Godefroid de Bouillon et quatre cavaliers, vers 1295-1300.
Baltimore, The Walters An Museum
symboles occidentaux, comme une reven- catalogue, l'image que se fait quelqu'un sent européenne? Quelles sont les limites
dication de l'espace public. Un minaret n'a comme Gentile Bellini ne semble « pas inhérentes aux représentations de nous-
pas sa place dans le paysage urbain belge. être influencée par les préjugés ou la mêmes et de l'autre? Riche, pauvre, allo-
Une cathédrale, par contre, oui.» distance qu'il peut y avoir entre l'Empire chtone ou autochtone, groupe ou individu,
Un héros national douteux, tel que ottoman et l'Occident sur la base des ville ou campagne.
Godefroid de Bouillon, peut avoir sa sta- différences culturelles, religieuses, vesti- De la sorte, les trois expositions forment
tue dans l'espace public belge, en l'occur- mentaires, linguistiques ou encore dans la un ensemble thématique, le fil rouge étant
rence à côté du Palais royal. Un hommage façon de se comporter. Peut-être qu'après constitué par la dynamique qui naît lorsque
similaire à un important personnage turc tout les différences n'étaient pas si impor- «la représentation de nous-mêmes» s'op-
(musulman) est impensable en revanche. tantes, ou la nouveauté pas si nouvelle.» pose à «la représentation de l'autre».
La plus importante influence culturelle
Les pères de l'Europe eut lieu entre les XIIIe et xve siècles, de rEurope et l'art
l'Orient vers l'Occident. Les mathéma-
L'exposition I.:Empire du sultan. Le monde tiques, la médecine et l'astronomie prirent Afin de mieux comprendre l'Europe et
ottoman dans l'art de la Renaissance propose leur envol lorsque les vues des érudits de travailler à un nouveau projet d'avenir
une solution à ces accusations réciproques musulmans pénétrèrent dans les universi- attrayant, l'art et les artistes sont bien
nuisibles. Une société qui ne connaît pas tés européennes. Des noms tels qu'Al-Farabi placés. Ces derniers sont les spécialistes
son histoire s'engage dans un avenir incer- (Alpharabius),Algoritmi (Muhammad ibn lorsqu'il s'agit de construire une image,
tain. Si nous souhaitons aller de l'avant tout Musa al-Khwarizmi) ou Abbas Ibn Fimas d'écrire de nouvelles histoires et d'en-
en ayant le regard tourné vers le passé, nous avaient leur place dans tous les livres d'his- terrer d'anciennes conventions. Depuis
finirons par trébucher tôt ou tard. Toute dis- toire de l'Europe, en plus d'André Vésale, de le cœur de l'Europe, BOZAR explore les
cussion animée au sujet des traumatismes Gerardus Mercator ou de Simon Stevin. frontières de l'Europe. C'est aux confins
d'avant, toute impasse délicate et toute L'Europe redécouvrit ses racines de l'Europe qu'apparaît clairement ce
blessure non encore cicatrisée doit faire grecques grâce au travail de scientifiques qui nous lie avec le reste du monde et
l'objet de l'attention, du soin, du calme et du tels qu'Averroès (ou Ibn Rushd). Cet lesquelles de nos valeurs «universelles»
dévouement nécessaires. « Européen arabe», né à Cordoue, traduisit méritent aujourd'hui encore de faire
Derrière les œuvres d'art et les artéfacts et commenta les travaux d'Aristote. Il peut l'objet d'une «croisade».
rassemblés pour l'exposition se cache être considéré comme « l'un des pères
une tentative de réponse, nuancée, aux spirituels de l'Europe 1 4 ». Le philosophe
grandes questions qui divisent l'Europe français Alain de Libera nous apprend Paul Dujardin souhaite remercier Karl van den
et le monde musulman. Ces objets d'art que «le penseur "européen" des XIIIe et Broeck pour son aimable collaboration à la rédaction
de ce texte.
nous montrent à quel point nous sommes XIVe siècles constitue en fait une importa-
en mesure de construire la perception que tion du monde arabe 1 s ». 1 Hébette et Hoet 1938, p. 40-43.
nous avons de l'autre, mais également de 2 Pirenne 1928, p. 71-73 .
3 Anonyme 1890, p.467.
la déconstruire et de l'adapter. En diabo- La représentation de l'autre 4 Pirenne 1928, p. 71.
lisant « les autres», nous sommes en état 5 Maalouf 1983.
6 Ibid. , p. 80.
de mobiliser« les nôtres» dans la lutte L'exposition I.:Empire du sultan. Le monde 7 Le nombre a été exagéré des deux côtés.
que nous menons contre eux. Ce n'est que ottoman dans l'art de la Renaissance présente Dans des cours d'histoire belge (Hébette et
Hoet 1938), le nombre de croisés fut estimé
lorsque nous nous « retrouvons » en partie le regard que portait l'Europe chrétienne à 600 ooo. Ils étaient sans doute environ
dans ces «autres» qu'il peut être question sur les Ottomans et la façon dont ces der- 35 ooo. Dans son ouvrage Historical Atlas of
de dialogue, d'échange, de civilisation. niers voulurent se montrer à l'Europe. the Crusades, Angus Konstam (Konstam 2004)
affirme que seuls 15 ooo croisés participèrent
Tout commence par une rencontre. Parallèlement à cette exposition, BOZAR encore à la prise de Jérusalem.
C'est ainsi que les croisés rapportèrent organise - au printemps 2015 - une expo- Le nombre de victimes mentionnés dans les
sources turques est sans doute également
des épices et des biens de luxe de la Terre sition sur l'art du portrait aux Pays-Bas et exagéré. Une grande partie de la population
sainte en Europe. La première croisade fut en Belgique lors de la Renaissance. Nous aurait ainsi quitté la ville avant le début du
suivie par huit autres, et la fondation des pouvons y voir la façon dont les nobles et siège de Jérusalem.
8 Caen 1825, p. 185.
États chrétiens d'Orient favorisa le com- les bourgeois se firent représenter par des 9 Maalouf 1983, p. 365.
merce entre l'Asie (mineure) et l'Europe. artistes tels que Quentin Metsys, Joos van 10 G.W. Bush sur la pelouse sud de la
Maison-Blanche pendant qu'il formulait
C'est Venise qui en profita le plus. Cleve, Simon Bening, Ambrosius Bens on des remarques à l'attention de la presse
Lorsque Mehmet II conquit Constan- ou Joachim Beuckelaer. Ce penchant pour le 16 septembre 2001. http://georgew-
tinople, il s'appropria également l'héritage bush-whitehouse.archives.gov/news/
le réalisme et la représentation exacte du releases/2001/09/20010916-2.html (dernière
de l'Empire romain. Il invita des artistes visage s'oppose à la représentation sté- consultation le 21 novembre 2014).
européens et encouragea des historiens à réotypée, stylisée et souvent symbolique 11 Bien que l'État islamique s'en rapporte aux
leaders musulmans qui combattirent les croi-
légitimer son pouvoir. Sous son patronage, de leurs prédécesseurs. L'homme de la sés, ils détruisirent la tombe d'lbn al-Athir,
des artistes se rendirent dans l'Empire Renaissance souhaite se montrer comme l'historien du XIII' siècle qui accompagnait
Saladin lors de ses campagnes, en juin 2014.
ottoman. Ces derniers furent les témoins un individu unique. Voir« Iraqi forces ready push after Obama
de la vie quotidienne du citoyen lambda Une troisième exposition boucle la offers advisers », Reuters, 20 juin 2014.
e de l'élite, et ils brossèrent un tout autre boucle, en quelque sorte, et présente des 12 Par sa prise de Constantinople, Mehmet II ou
Mehmet le Conquérant mit un terme à l'Em·
tableau des Turcs que les chroniqueurs portraits de photographie contemporains pire byzantin en 1453. Il établit les bases de
ayant accompagné Godefroid de Bouillon. européens. Cette exposition pose la ques- l'Empire ottoman qui s'étendait, à son apo-
gée, d'Alger à l'Éthiopie et d'Irak jusqu'aux
La représentation des Turcs est moins tion de savoir ce que le concept d'identité portes de Vienne.
étrange que ne le laissent présager les signifie pour nous. Est-il possible de voir, à 13 Kanmaz 2014, p. 19-21.
vieux stéréotypes. Tout comme l'affirme partir d'une photographie, si une personne 14 Hayoun et De Libera 1991, p. 121.
15 Ibid., p. 19-20.
:vtikael B0gh Rasmussen ailleurs dans ce est de nationalité française ou si elle se

76
"--.Ânt.Ljre,,,j' 'F~t!US ~ ~ :.~ . ~ -LXVI.
. .• :.
1 UN MONDE QUI CHANGE
À la fin du x1ve siècle, par ses succès militaires dans le sud-est de
l'Europe, l'Empire ottoman entra dans les consciences euro-
péennes. La prise de Constantinople en 1453, une avancée rapide
jusqu'au cœur du continent avec le siège d'Otrante en 1480,
le démantèlement du royaume de Hongrie après le bataille de
Mohâcs en 1526 et le siège de Vienne en 1529 engendrèrent un
sentiment général d'insécurité. L'ascension des Ottomans au rang
d'une puissance prédominante en Europe eut lieu parallèlement
aux grandes découvertes géographiques et à l'invention de l'im-
primerie. Artistes et imprimeurs répondirent à la demande accrue
d'informations par un éventail de publications qui, à côté des récits
illustrés d'événements historiques, offrirent de plus en plus une
documentation sur les mœurs et coutumes des Ottomans, ainsi
que des cartes et des vues de villes. Des feuilles volantes désignées
sous le terme générique de Turcica, des discours, des pamphlets,
de même que des ouvrages théologiques traitant de la dimension
sotériologique de l'expansion ottomane, constituent d'importants
témoignages de la« crainte du Turc» ressentie à travers toutes les
couches sociales.
En même temps, les conflits entre l'Empire ottoman et les
puissances européennes furent instrumentalisés à des fins de
propagande dans les divers médias. Les tapisseries fabriquées à
l'occasion du siège victorieux de Tunis en 1535, les mises en scène
éphémères des festivités courtoises et les reconstitutions allégo-
riques de batailles après la victoire de Lépante en 1571, ainsi que
les médailles commémorant les pertes de la défaite de Mohâcs,
en constituent autant d'illustrations. Les manuscrits enluminés
issus de l'entourage du sultan relèvent de stratégies comparables
de visualisation des campagnes victorieuses des Ottomans en
Hongrie en 1566 ainsi que de la<< Longue Guerre» (1593-1606).
RB
REGARD TROMPEUR SUR CONSTANTINOPLE
La chronique publiée en 1493 en latin (Liber doute Albrecht Dürer, résultent d'une stratégie de com-
Chronicarum) et en allemand (Weltchronik) par pilation comparable.Ainsi, la vue de Constantinople
Hartmann Schedel (1440-1514), médecin et humaniste a-t-elle été composée d'après plusieurs modèles dont
de Nuremberg, constitua à l'époque des incunables une copie extraite du Liber insularum de Cristoforo
un important projet éditorial regroupant des graveurs Buondelmontis (voir cat. 4). Cette vue en plongée depuis
sur bois, des typographes et des imprimeurs, et son l'est est intégrée au chapitre concernant l'histoire de la
importance doit beaucoup aux 1800 estampes qui y ville depuis sa fondation par Constantin jusqu'à la prise
sont rassemblées. Cet ouvrage encyclopédique destiné par les Ottomans. La période récente, explicitement trai-
à un public érudit et humaniste présente les six âges tée dans le texte, n'est pas illustrée par la gravure, comme
du monde jusqu'en 1493. Les données géographiques le montrent les drapeaux portant l'aigle byzantin à
combinent également les savoirs antique et médiéval. deux têtes qui flottent au-dessus des portes de la ville.
En outre, Schedel a eu recours à des œuvres contem- Le centre délibérément vide sert de toile de fond à des
poraines d'humanistes italiens, en premier lieu à De monuments byzantins, notamment la basilique Hagia
Europa d'Enea Silvio Piccolomini (1405-1464), le futur Sophia, les ruines de l'ancien palais impérial et l'église
pape Pie II. En conséquence, la prise de Constantinople des Saints-Apôtres. Sur la droite, le quartier de Pera où
par les Ottomans représenta aussi pour Schedel le prin- vivent les Génois, est davantage peuplé. Cette option
cipal événement du passé récent, auquel la réclame des résulte sans doute de l'espoir d'un retour à la situation
libraires fait explicitement allusion. Si Mehmet II fait d'avant 1453.
l'objet d'un article particulier, l'ouvrage ne contient pas RB
d'histoire des Ottomans, mais des allusions éparses à la
grande puissance en expansion, empruntées à diverses Bibl.: Rücker 1988; Berger et Bardill 1998; Kugler 2005, p. 181-186.
sources contemporaines. Les gravures sur bois réalisées
à l'atelier de Michael Wolgemut, auxquelles ont parti-
cipé Wilhelm Pleydenwurff, son fils adoptif, et sans

Cat. 1
Johannes Schnitzer d'Armflheim (graveur)
Mappa mundi
Claudius Ptolemaeus, Cosmo9raphia, Ulm, Lienhart Holl, 1482
Gravure sur bois, couleurs, 31 x 44 cm
Inscription sur la partie supérieure du cadre: lnsculptum est per
Johannë Schnitzer de Armszheim
Vienne, Kunsthistorisches Museum, Bibliothek, inv. l.C.9304
Cracovie, Zaktad Narodowy im . Ossoliriskich, Biblioteka, inv. XV-512

MODERNITÉ D'UN REGARD DU PASSÉ SUR LE MONDE


L'édition en latin de la Géographie de Ptolémée cartes de l'édition d'Ulm. Cette carte du monde colorée
(Geo9raphikè Hyphè9esis) publiée en 1482 par Lienhart à la main, entourée des douze vents personnifiés, rend
Holl (t après 1492) est le premier atlas imprimé au nord compte de la forme sphérique de la Terre et se distingue
des Alpes et constitue, à ce titre, une importante avancée en outre par l'innovation qui consiste à indiquer claire-
à l'époque des découvertes géographiques. L'ouvrage du ment l'identité du graveur.
savant d'Alexandrie redécouvert à la fin du xrve siècle RB
à Byzance contenait les coordonnées et 8000 lieux du
monde antique, ainsi qu'un système permettant de Bibl.: Stuttgart 1979, p. 279-287. cat. 138 (Peter Amelung); Ulm 1982 ;
répertorier l'ensemble du monde habité. La diffusion de Gautier Dalché 2009, p. 292-329.
ce savoir qui a révolutionné la cartographie en Europe
fut assurée par des savants byzantins comme Manuel
Chrysoloras (1350-1415), qui s'était établi à Florence pour
fuir l'expansion ottomane. Vers 1460, le moine béné-
dictin Nicolaus Germanus (vers 1420-vers 1490) affina
le procédé de projection et prépara la fabrication des
Cat.2
Nuremberg (Atelier de Michael Wolgernut [Nuremberg, 1434 - Nuremberg, 1519])
Vue de Constantinople
in Hartmann Schedel, Liber Chronicarum, Nuremberg,
Anton Koberger 1493, f° CCXLIX
Gravure sur bois, mise en couleur ancienne
Env. 23,5 x 52 cm
Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, INC 75
Cracovie, Biblioteka Ksi;µljt Czartoryskich, sign. lnc. 121 V

82 3
Cat. 3
Giovanni Andrea Yavassore
CTelgate, vers 1495 - Ven ise, après 1572)
Byzantivm sive Constantinepopolis,
OPERADIGIOVANN vers 1520
ANDREA VAVASSORE Gravure sur bois, d'après un modèle
DETTOVADAGNlNC de 1478/1479-1490, 52,6 x 36,8 cm
Bamberg, Staatsbibliothek, inv. IV C 44
DE L'ANCIEN ET DU NOUVEAU SUR LA CORNE D'OR
Le religieux Cristoforo Buondelmonti (1385-après 1430) en représentant les transformations urbanistiques de
voyagea pendant plusieurs décennies en mer Égée trois décennies de souveraineté ottomane. La vue depuis
orientale. Fruit de ses études, le Liber insularum, son la mer de Marmara offre un condensé du programme
ouvrage le plus connu, parut vers 1420. Largement dif- de construction de Mehmet II : à côté de la forteresse
fusé par un grand nombre de copies, il s'inscrivait dans de Yedikule située à la jonction des remparts terrestres
l'esprit des études humanistes, qui s'efforçaient de véri- du ve siècle et de la mer de Marmara, il s'agit surtout
fier sur place les connaissances géographiques de !'An- des centres du pouvoir politique et religieux comme
tiquité. Buondelmonti étant vivement intéressé par les l'Ancien palais (Eski Saray), le noyau du Topkap1 Saray
monuments antiques, la ville de Constantinople trouva commencé en 1469 sur la colline surplombant la mer de
également sa place dans le Livre « des îles». Vers 1420, Marmara, et la Fatih Camii. Le minaret représenté à côté
Buondelmonti réalisa aussi une membrana maxima de la de Sainte-Sophie est un autre signal clair de l'intégration
capitale pour le grand-duc Vitold de Lituanie (r. 1392- de la ville dans la« maison de l'islam» (Dar al-Islam).
1430), beau-père du futur empereur Jean VIII Paléologue Dans cette image, les trois strates significatives de l'his-
(voir cat. 72). C'est ce plan aujourd'hui perdu qui a servi toire de la ville ont donc été réunies en une seule vue.
pour réaliser la vue de la ville publiée dans le Liber insu- RB
larum, et qui fut copiée à maintes reprises, surtout dans
les années 1460 à 1480. Dans la plupart des cas, seuls Bibl.: Siebert et Plassmann 2005 ; Manners 1997 ; Barsanti 2001;
y étaient toutefois indiqués les monuments antiques Ragone 2002 .
et les églises byzantines. Ce parti pris illustre la reven-
dication durable de l'héritage byzantin en Occident.
La vue détaillée du folio 37 de la copie de Düsseldorf
réalisée vers 1480 s'écarte fortement de cette tendance

UNE CAPITALE EN ÉVOLUTION


Giovanni Andrea Vavassore est un des grands carto- contredite par la forte concentration sur les construc-
graphes vénitiens de la première moitié du XVIe siècle. tions ottomanes séculières, mais aussi et surtout sur les
Ses cartes ont surtout été éditées sous forme de gra- monuments chrétiens de la ville. La vue de Vavassore
vures sur bois. Au nom de Vavassore est également ou son modèle, qui ne peut plus être cerné précisément
associé une des toutes premières vues d'ensemble aujourd'hui, fut utilisée de façon intensive au XVIe siècle.
connues de Constantinople après la prise de la ville par C'est ce que montrent les désignations qui lui furent
les Ottomans. Il s'agit d'un plan relativement détaillé empruntées dans le panorama de Constantinople
présenté en vue d'oiseau depuis l'est, dans lequel les réalisé entre 1559 et 1561 par Melchior Lorck (Leyde,
structures urbaines furent représentées pour la pre- Universiteitsbibliotheek), mais aussi la vue de la ville du
mière fois dans leurs justes proportions. Compte tenu Bosphore que l'on peut voir dans le portrait du baylo de
du fait que cette vue ne présente aucun édifice construit Venise Marcantonio Barbara (1570, voir cat. 40).
sous les successeurs de Mehmet II, l'on estime que RB
Vavassore est parti d'un modèle réalisé entre 1478 et
1490. L'attribution fréquemment proposée à Gentile Bibl. : Berger 1994; Manners 1997, p. 91-93 ; Stichel 2001 ;
Bellini, qui travaillait alors pour la cour du sultan, est Kafescioglu 2009, p. 158 et 168.

Cat.4
Anonyme
Vue de Constantinople et de Pera tirée du Liber
insularum archipelagi de Cristoforo Buondelmonti
Haute Italie, vers 1480
Plume, encre et lavis, 30 x 43 cm
Düsseldorf, un· ersitâts· und Landesbib&othe 111V. ls. G 1. 3ï
86 Uniquement à Bruxe es
CARTES ET PROPAGANDE de la suggestion récurrente d'une croisade contre les LA GUERRE EN MINIATURE CORBAVIE:
Ottomans, la vue urbaine de Jérusalem, ostensiblement
Le seul exemplaire connu de cette carte murale a été mise en scène comme le point le plus oriental de la Cette médaille présente, à l'avers, le portrait en buste UN TRAUMATISME CROATE
découvert en 2007 dans un atlas composite. Sous la carte, prend une signification toute particulière avec de Matthias Corvin portant une couronne de laurier
forme d'un flot ininterrompu de soldats s'étirant de l'église du Saint-Sépulcre surmontée du croissant. et vêtu du paludamentum all'antica, et au revers, une Associé au royaume de Hongrie par une union per-
Constantinople à Vienne, la carte décrit la campagne RB bataille équestre à laquelle participent des cavaliers coif- sonnelle depuis le début du xn• siècle, le royaume de
militaire ottomane menée jusqu'à Vienne sous le sulta- fés de chapeaux coniques qu'il convient de considérer Croatie se trouva engagé au xv• siècle dans d'incessants
nat de Soliman le Magnifique. Outre le siège de Vienne, Bibl. cat. 5 : Meurer et Schilder 2009, p. 27-42 ; Barbar et Harper, 2010, comme des Ottomans. Contrairement aux autres scènes conflits avec les Ottomans qui progressaient sur la
d'une brûlante actualité - la ville est représentée comme p. 32-33. de bataille impliquant des Ottomans sur des médailles péninsule des Balkans. Une des batailles les plus lourdes
Bibl. cat. 6 : VD 16 ZV 21787, Gêillner 1961, p. 195, n° 379, Bohnstedt 1968,
le centre de l'Europe-, d'autres grandes étapes de la p.1-2. du roi de Hongrie, les combats ont été représentés ici de conséquences fut livrée en 1493 dans la plaine de
progression ottomane le long du Danube - prise de autour d'une colonne érigée au centre. Sur celle-ci se Corbavie (Krbava) quand la cavalerie du pacha Hadum-
Belgrade en 1521, victoires de 1526 en Hongrie - sont dresse une statue que la légende MARTI FAVTORI désigne Jakub, bey du sandjak de Bosnie, affronta l'armée com-
soulignées par différents textes et scènes. La carte comme Mars. Le motif de cette création reste inconnu. mandée par Emerik Derencin (Derencsényi Imre), ban
montre en outre des vues partielles d'autres pays: La littérature a attribué autrefois cette médaille au (vice-roi) de Croatie. I.:intelligence tactique du bey, d'une
Angleterre, France, Espagne, Pologne, Russie. Des figures sculpteur florentin Bertoldo di Giovanni (Florence? vers part, et les mauvais armement et formation des fan-
de souverains suivent les événements depuis leurs pays 1440 - Poggio a Caiano, province de Florence, 1491) et tassins de la partie adverse, d'autre part, conduisirent à
respectifs avec l'empereur Charles Quint et deux sou- la datait donc du règne de Matthias. Or, si l'apparition une écrasante défaite des Croates, qui y perdirent la fine
verains anatoliens, également représentés en habits de
sacre. Les territoires placés sous leur souveraineté sont
4'ee îtiirckifcbé 1'ay du portrait en médaille peut être envisagée en Hongrie
à partir de Matthias Corvin, aucun original ne nous est
fleur de la noblesse et ne purent jamais plus se relever
pour contrer la menace ottomane. Les chroniqueurs des
détaillés par une liste des différentes provinces qui les fera bccqug/tùit truon (onftantinoptl parvenu: les pièces existantes sont toutes sans excep- deux côtés ont décrit le déroulement de la bataille, les
composent. I.:absence de cette information dans le cas ©it aller mjfung/;ii 1tofj "nt, SiilJ!;ii waffcr""~ tion des coulages postérieurs. Très généralement, les chrétiens faisant ressortir la cruauté réelle ou préten-
du roi de Hongrie peut être lue comme une allusion :,Lint, izë, gm 1krud)ifd)é WeyfftnBurg fum revers semblent d'ailleurs être des inventions tardives, due des Ottomans, qui auraient tranché le nez de leurs
mm/"nb fürtcr/.t'.ür bic foniglid)cn ff'3
à l'effondrement de ce royaume après la défaite de .Ofm vn "'Ongem/ "rmb Wim m et pour les scènes de bataille, aucun exemple datable ennemis vaincus. Leonhard Beck, actif à Augsbourg,
Mohacs en 1526. .Ol«mid, ~qogê/bie bdcgm du xv• siècle ne peut être produit. Quelques arguments a dû avoir connaissance de ces récits vers 1514-1516,
Johann Haselberg, l'auteur de cette carte dont les "ii gc(nmnrizë. mit an" n'en permettent pas moins de penser que les avers ont au moment de réaliser sa représentation gravée de la
détails topographiques ont été compilés à partir de gcl)mcftcf aman~ tout de même pu être conçus sous le règne de Matthias bataille. Sa gravure sur bois devait servir d'illustration
11ng/t,cr grau
feuilles cartographiques en partie perdues, a aussi rédigé famcnty1 Corvin: l'intérêt du roi pour les monnaies et les au Weisskunig , le roman autobiographique de l'empe-
le livret qui l'accompagne. ran,-. médailles, le fait que, sous l'influence de la Renaissance reur Maximilien 1er (voir cat.152). Son insertion dans le
La gravure de titre du livret (cat. 5), probable- ney bcé ~den/u,yt,n: Œ'biiflficl}e tùltion 1~. italienne, le souverain accordait une grande importance roman s'explique sans doute par le fait qu'à différentes
ment réalisée par Erhard Schon, montre l'empereur t\arolutJ .§ulban · à son propre portrait, enfin le fait que l'existence de époques de son règne, Maximilien a nourri l'idée d'une
Charles Quint et le sultan Soliman se faisant face à la portraits royaux apparentés à des médailles - essentiel- guerre de la chrétienté contre les Turcs qui ne se réali-
tête de leurs cavaleries. Cette formule iconographique lement dans des livres - dès l'époque de son règne, n'ait sera jamais. Depuis 1515, du fait du mariage longtemps
fait délibérément l'impasse sur les réalités historiques, rien d'exceptionnel. Concernant l'avers de la pièce expo- planifié de ses deux petits-enfants avec les enfants du
la confrontation entre le sultan et l'empereur aboutis- sée, il convient de renvoyer par exemple à une représen- roi Ladislas II de Bohême et de Hongrie, des liens dynas-
sant ici à la personnalisation réductrice d'une conjonc- tation identique de la main de Boccardino Vecchio dans tiques l'unissaient en outre avec ce royaume.Avec 128
ture politique complexe. Ce sillon argumentaire est le Codex Philostratus réalisé vers 1487-1488 (Budapest, gravures sur bois, Beck a réalisé la plus grande partie des
encore creusé par les légendes placées au-dessus des Széchényi Konyvtar, Cod. Lat. 417, fb 1v). 212 illustrations connues du Weisskunig.
têtes des deux souverains, légendes qui caractérisent HW GM
l'empereur Charles Quint comme le «protecteur de
la chrétienté» et le sultan Soliman comme «l'ennemi Bibl. : Hill 1930, n° 920 ; Balogh 1966, pl. 292, 420-421 ; Win ter 2007, Bibl. : New Ho. n° 208; Pe. n° 15 .
héréditaire de la foi chrétienne». Le terme « ennemi cat. 1770/2 (cette pièce) ; sur le début du portrait en médaille en Hongrie,
voir Wi n ter 2006 ; sur le Codex Philostratus, voir Schallaburg 1982,
héréditaire» s'est établi au xv1• siècle dans toutes sortes cat. 78d2 et pl. 7.
de médias comme un slogan fondamental de la propa-
gande anti-ottomane. Si la carte et le livret, dans lequel le .2.
récit des événements de 1529 est enrichi d'informations
sur l'armée, le mode de vie et la religion des Ottomans,
montrent des inspirations manifestement issues des
turcica humanistes, la mobilisation des souverains Cat. 5
chrétiens au service de la lutte contre la menace pesant Er hard Schôn (Nurember g, vers 1491 - Nuremberg, 1542)
sur« l'Europe chrétienne» n'en est pas moins l'objectif Xylographie de titre pour Johann Haselberg: Des Türckischë Kaylfsers
principal. Les deux publications faisaient donc d'office Heerzug / wie er von Constantinopel Il Mit aller ruestung / zû Roj!, vnd Fûj!,/
zû wasse r vnd If Land vc. gen Kriechischë Weyssenburg kumlfmmen/ vnd fürt er/
appel à l'unité des souverains chrétiens sous la respon- Für die kon iglichen stat If Ofen yn Vngern / vnnd Wi enyn If Osterreich gezogë/
sabilité de Charles Quint, avec pour horizon la perspec- di e belegert If vii gestuermt vc. mit an -lfgehenckter erman- lfung/ der grau/fsamen
tyranney des Türcken/ wyd er Chri stliche Nation v c... , Nürnberg, Zell, 1530
tive d'une croisade contre les Ottomans. Conformément
Gravure sur bois, 18,2 x11 ,2 cm
à cet axe, le bord supérieur de la carte murale montre Vienne, Kun sthist ori sches Museum, Bibliothèque, inv. 15059
les blasons des électorats du Saint Empire romain ger- Cat. 7
manique et de sept autres royaumes européens, notam- Cat. 6 ( pages précé dentes) Médail leur ita lien inconnu
ment l'Angleterre, la France et la Pologne. Sous le signe Johann Haselberg von Reichenau (documenté 1514 - 1537) Portrait en médaille de Matthi as Co r vi n ,
et Chr istoph Z ell Ct 1544, Nuremberg) roi de Hongrie (r. 1458-1490)
Carte murale de la campagne militaire de Soliman le Magnifiqu e s.d. (xv<-xvu• siècle)
co ntre la Hongrie et Vi enne, 1530 Bronze coulé, Diam. 52,5 mm
Xylographie avec des inscriptions t ypographiques, 62 x 9 8,5 cm Vienne, Kunsthistorisches Museum, Münzkabinett,
Oescriptio Expeditionis Turcicae Contra Christianos Anno Domini M D XXIX Videlice{ inv.MD163
OuoApparatu Be/lico Ouantisque.• , Nürnberg, 1530
Norfolk, collection du comte de Leicester, Holkham Hall (The South Tribune Librar1
A General System of Geography, vol X, n°10)
()0
LA CHUTE D'UN ROYAUME
Cette médaille présente, à l'avers, les portraits en buste
de Louis II, roi de Hongrie et de Bohême, et de son
épouse Marie de Hongrie, et au revers la bataille de
Moha.es. L'armée de Louis, dernier souverain Jagellon,
y subit une écrasante défaite face à celle, très supérieure
Cat. 9
en nombre, du sultan Soliman 1er. Le roi mourut dans sa Attribué à Christoph Fuessl (t 28 août 1561)
fuite vers Pécs, quand son cheval s'embourba et l'enterra Médaille du roi Louis II de Hon9rie,
sous lui. Les Ottomans purent alors pénétrer dans l'inté- de son épouse Marie et de la bataille de Mohacs
rieur du pays. Dans la mesure où Marie et les bourgeois Datée «1526» (vers 1531-1535)
Or, Diam. 43,5 mm
s'enfuirent de Buda, le sultan put entrer dans la ville le Vienne, Kunsthistorisches Museum, Münzkabinett,
11 septembre. inv. 2639bB et 2640bB

La défaite de Moha.es, le 29 août 1526, provoqua la


chute de l'empire créé par Matthias Corvin, inaugurant
ainsi le déclin de la puissance hongroise en Europe
centrale. Conformément aux pactes successoraux, les
terres de Louis II passèrent à la maison d'Autriche et
Ferdinand 1er fut élu roi de Bohême et de Hongrie. Cette
médaille n'a vu le jour qu'après 1530, car sa légende cite
le gouvernorat de Marie dans les Flandres, auquel elle
fut nommée début 1531 par l'empereur Charles Quint.
La médaille allemande de la Renaissance étant par
nature personnelle et non événementielle, le motif du
revers mérite une attention particulière. Notre médaille
représente l'épisode réel, c'est-à-dire les deux armées
Cat. 10
se faisant face. Le début de la médaille événementielle Ct 28 août 1561)
Attribué à Christoph Fuessl
accompagne la percée de la Réforme à partir d'environ Médaille du roi Louis II de Hon9rie,
1530, c'est-à-dire à une époque qui exigeait l'émergence de son épouse Marie et de la bataille de Mohacs
Datée« 1526 » (vers 1531-1535)
d'un public sensibilisé aux conflits politiques autant
Argent coulé. Diam. 44,5 mm
que religieux et confessionnels. Le médailliste qui doit Vienne. Kunsthistorisches Museum. Münzkabinett,
être considéré comme l'auteur de cette médaille est le inv. 2639bB et 2640bB

graveur de poinçons Christoph Fuessl, de Kremnica


(all. Kremnitz, hong. Kormocbânya).
HW

Bibl.: Huszâr et v. Procopius 1932, n° 15 ; Vienne 2003, cat. V.5, V.6


(Heinz Winter); Win ter 2007, cat.1782/1 et 1782/3 (pour les
exemplaires exposés).

Cat. 8
Leonhard Beck (Augsbourg, vers 1480 -Augsbourg, 1542)
La Bataille de Corbavie en 1493, vers 1514-1516
Gravure sur bois, 219 x 195 mm
Stuttgart, Staatsgalerie, Graphische Sammlung, inv. GVL 133

92 ~ - ~ - 93
Cat. 11
RÉALITÉ ETTRANSFIGURATION DÉFILÉ EXOTIQUE La deuxième estampe appartient à une série de bois
gravés éditée avec des pamphlets contre les Turcs rédigés
Le siège de Vienne de 1529 traumatisa profondément Avec sa description de la chute du roi Sennachérib Les conflits militaires entre le Saint Empire et l'Empire par Hans Sachs (1494-1576) après la seconde tentative
l'Europe. En même temps, le besoin d'informations devant Jérusalem, Hanss Lautensack suivit une autre ottoman ont eu un impact profond sur les différents de Soliman pour conquérir Vienne en 1532, qui s'acheva
sur cet événement favorisa la production de diverses argumentation. Cette gravure fut publiée en 1559 à l'oc- médias visuels, en particulier la production et la diffusion en Hongrie par le siège infructueux de la forteresse de
publications, notamment de combinaisons d'images casion du trentième anniversaire du siège ottoman, en d'estampes au caractère polémique et propagandiste des- Güns (hong. Këiszeg) (voir aussi cat.15-16). Composé de
et de textes d'une certaine longueur. Eu égard à l'aspect même temps qu'un texte rédigé par l'historiographe de sinés par des artistes comme Erhard Schëin, actif dans l'un trois registres formant une frise, dans un style qui rap-
économique de l'information sur la menace ottomane, la cour Wolfgang Lazius (1514-1565), qui devait se trou- des principaux centres d'humanisme et d'imprimerie de pelle les représentations des cortèges triomphaux des
la gravure sur bois éditée à Nuremberg par l'imprimeur ver sous l'estampe. Lazius y souligne les parallèles entre la Renaissance. armées impériales, ce placard montre le sultan porté
Hans Guldenmund d'après un dessin d'Erhard Schëin, la menace que le roi d'Assyrie fait peser sur Jérusalem I.:une de ces œuvres liées au siège de Vienne par les Turcs dans une litière, escorté de soldats à pied et à cheval,
accompagnée à l'origine d'une longue description du (2 Rois 18-19), écartée au dernier moment par l'inter- en 1529 représente une colonne de lansquenets impériaux tandis que sur la droite, l'arrière-plan représente l'assaut
siège par le poète Hans Sachs (1494-1576), constitue un vention d'un ange envoyé de Dieu, et le siège de Vienne escortant des Turcs prisonniers de guerre. Cependant, l'at- de Güns. Les bâtiments en flammes, les prisonniers
exemple intéressant. Le Conseil de Nuremberg empêcha par les Ottomans. I.:auteur y adjoint une vue d'ensemble tention se focalise au centre de l'image sur le chameau et le conduits par les gardes et les têtes piquées au bout de
dans un premier temps la publication de cette gravure, de l'histoire de Vienne jusqu'en 1529. La figure de l'ange dromadaire, également capturés. S'agissant probablement lances - manifestement des victimes de la cruauté pré-
car il avait déjà autorisé l'imprimeur et éditeur Nil<las armé a été créée par Lautensack, de même que les armes d'un fragment d'un ouvrage de plus grandes dimensions, sumée des Turcs - étaient destinés à alerter l'Europe du
Meldemann à éditer une vue du siège, et celui-ci avait des territoires héréditaires d'Autriche, de Ferdinand 1er cette planche visait à répandre la glorieuse nouvelle de la danger imminent et diriger l'opinion publique contre
investi une forte somme dans ce projet. Guldenmund et de la ville de Vienne à la limite supérieure de la victoire impériale sur l'armée ottomane, mais la présence les Turcs.
fut contraint de remettre ses bois gravés au Conseil et feuille. Ces éléments sont absents de l'exemplaire pré- des animaux exotiques capturés, accompagnée d'un long MD
ne put publier sa représentation du siège de Vienne senté ici, qui ne se compose que de deux plaques sur passage de Naturalis Historia de Pline l'Ancien, apporte
qu'entre 1536 et 1538. trois. Pourtant, même dans cet état fragmentaire, on est un effet supplémentaire. Le sujet et la manière de cette Bibl.: Ackermann 2009, p. 439-441; Moxey 2004, p. 80-83; Stewart 1988,
Cette gravure présente une vue en plongée depuis impressionné par la combinaison virtuose d'une vue de feuille, d'abord attribuée à Sebald Beham, s'inspirent claire- p. 235 et 245, pl. 12.
Bibl. cat.13: New Ho. n° 147; Faust 2001, n ° 365, p. 54-55 / cat.14: New Ho.
l'est. La ville, identifiée par la tour de la cathédrale Saint- Vienne à la haute précision topographique et de l'armée ment de gravures sur bois dessinées à l'occasion du défilé n °18.
Étienne qui s'élève au milieu, présente des analogies assyrienne en fuite, dont la composition s'apparente aux triomphal de Maximilien 1er, notamment du Chameau de
avec la vue de Vienne des Chroniques de Schedel. Sortant batailles représentées dans la première moitié du XVIe Bactriane et cavalier tenant un cartouche de Hans Burglanair,
des tentes qui entourent déjà la ville, une foule d'assail- siècle dans l'environnement des cours d'Allemagne du dont Schëin a emprunté la représentation du chameau.
lants se rue au combat, tandis que des cavaliers partent sud par Albrecht Altdorfer, Abraham Schëipfer et Bartel
terroriser les environs. Dans les faubourgs largement Beham.
détruits, on voit des soldats en costume oriental accom- RB
pagnés de leurs chameaux de charge, ce qui confère
une note d'exotisme à cette description de la bataille. Bibl. cat.11: Ho. n° 17; Nuremberg 1976, cat. 32, p. 26; Vienne 2003,
Des défenseurs tentent de sortir par une des portes cat. V. 16, p. 412 ( G. Dü ).
Bibl. cat.12: Ho. n° 3; Camesina 1856; Schallaburg 1974, cat. 670;
de la ville. Il s'agit probablement de l'action tentée par Rosenauer 2003, n ° 308 (Fritz Koreny).
le comte Hans von Hardegg le 23 septembre 1529.

Cat. 13
Erhard Schën (Nuremberg vers 1491 - Nuremberg 1542)
Tract contre l'invasion turque en Hon9rie
Nuremberg, 1532
Gravure sur bois, 26,3 x 114,2 cm
Inscriptions: Ein Klag zu Gott / vber die grausamliche
manigfaltigen wüterey / deB 8/utdirstigen Türcken vmb gnedige hilff
Londres, British Museum, Department of Prints and Drawings,
inv. 1849, 1031.255

Cat. 14
Erhard Schën (Nurem berg vers 1491- Nuremberg 1542),
imprimé par Hans Guldemund
Lansquenets avec des chameaux et des prisonniers turcs
Nuremberg, 1530
Gravure sur bois et texte typographié, 29 x 40,4 cm
Cobourg, Kunstsammlungen der Veste Coburg, inv. VI, 457.115
Gotha, Stiftung Schloss Friedenstein, Kupferstichkabinett, inv. 49.6

Cat. 12 Cat. 11 (pages précédentes)


Hanss Lautensack (Bamberg, 1525 - Vienne, 1561/1566) Erhard Schën (dessinateur) (Nuremberg, vers 1491- Nuremberg, 1542)
et H ans Guldenmund (graveur) (vers 1460- Nuremberg, 1560)
La Chute de Sennachérib, roi d'Assyrie
(Allé9orie de la défaite des Ottomans devant Vienne), 1559 Premier siè9e de Vienne par les Ottomans
Eau-forte (de deux plaques), 2' état. Feuille 28 x 72,4 cm, représentation
(Vue de la ville depuis le sud), 1529
(de trois plaques) en tout 51.7 x 123.6 cm Gravure sur bois (de quatre bois gravés). 54.8 x 77,1 cm
Date et monogramme 1559/HSL sur le bloc de pierre dans l'angle à droite Vienne. Museen der Stadt Wien, inv. 31089
Vienne. Graphische Sammlung Albertina, nv. DG1964/178
96
Cat. 15·
Michael Ost endorfe r (c.1490/ 94-1559)
Mouvements de troupes au début de la bataille
contre les Turcs
Extraite de Warhaffiig e Beschreibung des
andern Zugs in Oesterreich wider den Turcken ON SE BAT POUR TUNIS La tapisserie de Malines repose sur deux des douze car-
gemeyner Christenheit Erbfeinde, vergangens tons réalisés en 1546-1547 par Jan Cornelisz. Vermeyen,
fun.ffzehnhundert zwey und dreissigsten
jares, tatlich beschehen [...), Nuremberg La tapisserie monumentale et le casque en forme de le peintre de la cour de Charles Quint. Témoin oculaire
(Hieronymus Andreae), 1539 turban ont tous deux un rapport avec la campagne victo- des événements, Vermeyen s'appuyait en outre sur dif-
Gravure sur bois, 33,6 x49 cm rieuse de Charles Quint contre le royaume de Tunis, que férents textes et modèles iconographiques, notamment
2° état
Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek,
les Ottomans avaient conquis en 1534. Pour reconquérir sur la gravure Mœurs etfachons de Turcz (voir cat. 68). Les
inv. Sign. A:12,6 Hist. 2Àà ce fief de la couronne d'Espagne et briser la menace cartons de Vermeyen servirent de modèle pour un cycle
ottomane en Méditerranée occidentale, Charles Quint de douze tapisseries monumentales représentant les
prit la tête d'une puissante flotte de 400 navires et de épisodes de la campagne de Tunis, tapisseries qui furent
plus de 30 ooo soldats et partit de Barcelone en mai exécutées par le tisserand bruxellois Guillaume de
1535 pour rejoindre l'Afrique du Nord en passant par Pannemaker (les cartons sont aujourd'hui à Vienne, les
la Sardaigne et la Sicile. Une des premières actions tapisseries à Madrid). Le coût total de la série se monta
militaires des forces espagnoles fut de prendre le fort à 32 ooo livres, ce qui en fit la commande artistique la
stratégique de la Goulette, qui gardait l'entrée du port plus chère de Charles Quint. En 1564, Pannemaker se
de Tunis. La tapisserie représente cet événement mili- verra encore commander la tapisserie de Granvelle qui,
taire décisif en vue aérienne. À l'arrière-plan à droite, selon les sources, fut tissée en 1565-1566 et se présente
des unités de la flotte impériale s'approchent du champ comme une sorte de condensé de l'expédition de Tunis.
de bataille, tandis qu'au premier plan, des vaisseaux Pendant bien longtemps, le casque en forme de turban
sont déjà engagés dans les combats. À gauche, quelques et le plastron d'un harnais qui forment un ensemble
caraques canonnent le fort bâti sur une langue de terre ont été considérés comme une prise de guerre ayant
au second plan. En même temps, des troupes espagnoles peut-être appartenu au corsaire Hayreddin Barberousse,
progressent déjà vers le fort, tandis que des barcasses l'adversaire de Charles Quint engagé au service de la
débarquent d'autres contingents à terre.À leur gauche, cour ottomane, et ayant été dédiée à l'empereur. Selon
sur le pont arrière d'une galère, on découvre l'empe- Atasoy et Uluç, les deux objets ne furent toutefois fabri-
reur Charles Quint et Moulay Hassan, l'émir chassé de qués qu'après la conquête de Tunis, le casque s'entendant
CAMPAGNE MILITAIRE Tunis, tous deux représentés de dos. Comme l'indique dès lors comme une référence à la défaite de l'ennemi.
le blason de la bordure supérieure, la tapisserie fut com- GM
VUE DU CIEL mandée par le cardinal Antoine Perrenot de Granvelle
(1517-1586), ministre influent des Habsbourg d'Espagne. Bibl. cat.17 : Madrid 1898, p. 363-364, ill. 332; Atasoy et Uluç 2012,
En août 1532, la seconde tentative turque de prendre Elle décorait son palais à Malines, dont il fut archevêque p. 237, ill. 178.
Bibl. cat 18 : Piquart 1950, p. 112 et 116-118; Calberg 1969; sur la
Vienne échouait à 60 kilomètres au sud de la capitale à partir de 1560. Nicolas, le père d'Antoine, avait parti- campagne de Tunis et les tapisseries en général, voir Vienne 2000,
autrichienne: le siège de la petite place forte de Güns cipé personnellement à l'expédition, et cette campagne Tostmann 2008 et Vienne 2013.
(hong. Koszeg) s'y était étiré sur plusieurs semaines malgré victorieuse jouait un rôle important dans la propagande
l'écrasante supériorité numérique de l'armée ottomane. Ce iconique des Habsbourg d'Espagne, que les commandi-
retard fit décider au sultan Soliman d'interrompre la cam- taires assuraient de leur loyauté par cette commande.
pagne militaire lancée au printemps. I.:armée impériale
était placée sous le haut commandement de Frédéric Il,
comte Palatin du Rhin (1482-1556), à qui est dédiée la bro-
chure de 1539. Cette brochure est enrichie de sept xylogra-
phies de grand format créées par Ostendorfer, à commen-
cer par le blason et un portrait équestre du prince-électeur.
Mais le plus spectaculaire réside dans les vues panora-
miques de scènes de batailles, comme ici le déploiement
des troupes impériales contre les armées ottomanes
arrivant entre deux montagnes. La dernière gravure repré-
sente la rencontre entre Philippe Il et Charles Quint près
de Vienne, où l'empereur arriva fin septembre. Il est vrai
que la représentation de mouvements de troupes bien
ordonnés et de batailles livrées en terrain découvert fait
oublier les horreurs que les akmci infligèrent à de grandes
parties de Basse-Autriche et du Burgenland. Connus pour
leur brutalité, ces cavaliers ottomans sans solde se rémuné-
raient par les razzias et le commerce d'esclaves - la langue
vernaculaire les appelait« coureurs et brûleurs». Parue dès
1532, la brochure contenant la gravure de titre de Breu, qui
sera réutilisée dans d'autres livres édités par Steiner, repré-
sente ici la multitude de plaquettes et avec lesquelles la
Ca 16 ··
résistance victorieuse contre l'armée ottomane fut exploi- Jorg Brni k Jeune (Augsbourg, après 1510 - A ugsbourg , 1547)
tée sans tarder à des fins propagandistes. illustration de page de titre ex traite de Wa rhaffi ige Anzaygung der
GM 9eschichr des Turckischen kriegs, wie es sich in dise m 32. Jar des Monats
September ln Osterreich und Steyrmarckt zu getragen [...], Augsbourg,
Heinrich Steiner, 1532 Cat. 17
Bibl. 1" livre : VD 16, W 208 ; Berlin 2008, n• 7/30 /Xylograph ies: Gravure SUT bois, 10.9 Xll c m Casque en forme de turban
Wynen 1961, n• 138, 1-7 ; Ho., n• 86, 1-7 ....,.,., torisches useum, Bibliothek, inv. 15.106 Ital ie, Vers 1540
Bibl. 2• livre: VD 16, W 181 / Xylographie : ew Ho., 1 Acier forge e gravé, H. 23 cm, L 28 cm, poids : 2280 g
Oll
Pauimonoo à ...-noru, ~RlwtlAMadrid -9. inv. 0000172
VUE AÉ RIENNE D'UNE GRANDE BATAILLE
À la fin de l'automne 1566, la progression ottomane par Lafreri, un pionnier de l'édition d'atlas, présente les
vers Vienne fut interrompue par le siège de la forte- événements en vue aérienne, ce qui permettait d'expo-
resse de Szigetvar, dans le sud de la Hongrie. Il faudra ser efficacement les détails topographiques et straté-
aux troupes ottomanes un mois pour conquérir cette giques de la place forte aussi bien que les événements
place stratégique. Ce sont surtout les événements péri- militaires. À la fin du xvne siècle, des descriptions com-
phériques du siège - la mort, dans sa tente, du sultan parables du siège de Szigetvar et de l'assaut infructueux
Soliman 1er déjà affaibli par la maladie et la résistance des fortifications de Malte en 1565, étaient devenues un
désespérée de la garnison de la forteresse, avec le sacri- classique des publications militaires spécialisées et des
fice du commandant Nicolas Zrinyi - qui marqueront recueils de cartes géographiques.
durablement le public européen. L'attention particulière RB
accordée à cet événement se reflète dans une multitude
de bulletins, de portraits gravés des acteurs du siège et Bibl. : Tooley 1939, p. 44, n °' 540-546; Pognon 1968, p. 13-16; Szalai 2001,
de cartes géographiques à la production desquelles par- p. 112-12 2; Szakâly 1983.

ticiperont un nombre croissant d'éditeurs italiens de


première importance comme Domenico Zenoi à Venise
et Antonio Lafreri à Rome. La représentation du siège

Cat.19
Cat. 18 Anton io Lafreri
Guillaume de Pannemaker (Bruxelles, 1512 - Bruxelles, 1581), Le Siège de la forteresse de Szigetvdr
d'après des cartons de Jan Cornelisz. Vermeyen
Gravure au burin sur cuivre, 50,9 x 34,6 cm
(Beverwijk, près de Haarlem, vers 1490 - Bruxelles, 1559)
Il vero ritratto de Zighet. con il suo Castello, fortezza nuova. Paludi. Lago fiume
Episodes de la campag ne de Tunis (La prise du fort de La Goulette) (détail), et ponte, et aitre Oose Notabili per lettere annotate, con monstra del monte fatto
1565-1566 da Turchi et con /'asalto dacogli da essi.
laine, so,e tissage, 365 x 575 cm AnLLafrij Form,s Romae MO.LXI
C::::1- "" ""' e:~!11 ,Q.("~.:ir,n. Tv0()?4 Budaoes Orszàltos Szechenvi Ki>nvvtàr. R 20
Car. 20
UNE FORTERESSE TOMBE Cette illustration sur double page représente le retour de
l'armée ottomane victorieuse après la chute de Szigetvar.
Le livre de Seyyid Lokman intitulé Tarih-i Sultan Le sultan Soliman périt le 7 septembre pendant le siège
Süleyman (Histoire du sultan Soliman), également de la forteresse qui tomba le lendemain. Sa dépouille
connu comme Zafername (pers. Shahnama; Livre des fut embaumée et rapportée à Constantinople via
victoires), rend compte des campagnes et des victoires Belgrade au cours d'un voyage de quarante-huit jours.
des dernières années du règne de Soliman le Magnifique Au centre du folio de droite, on voit le chariot transpor-
(1559-1566). Seyyid Lokman, originaire d'Urmia en tant le corps du sultan, dont le turban apparaît entre les
Azerbaïdjan, fut engagé en 1569 comme historiographe rideaux et, au-dessous, le grand vizir Sokollu Mehmet
à la cour du sultan, où il réalisa plusieurs livres d'his- Pacha à cheval, dans la même tenue que sur l'illustration
toire illustrés en collaboration avec le grand artiste du siège de Szigetvar. À l'arrière-plan sur les deux folios,
Osman, en particulier sous le règne de Murat III (1574- l'armée ottomane est en marche dans un paysage de col-
1595). En 1579, il commença la rédaction de ce livre dans lines ; les différents corps et les janissaires défilent avec
lequel il décrit les événements marquants des dernières discipline et solennité.
années du règne de Soliman, notamment ses victoires, Ces deux pages sont attribuées à Osman, connu pour
d'où la dénomination de Zafername. D'après les registres son approche documentaire des événements historiques
de la cour, la plupart des récits de Lokman furent illus- qu'il représente en s'efforçant de refléter la souveraineté
trés par Osman et son atelier, dont le collaborateur le de l'empire. Il laisse ses arrière-plans simples, afin d'at-
plus renommé était son beau-frère Ali. Les illustrations tirer l'attention sur les personnages, et cherche à créer
du Zafername sont de la main de ces deux artistes. une impression de mouvement par les gestes des digni-
Cette illustration sur double page décrit la chute de taires dont il fait le portrait.
la forteresse de Szigetvar en Hongrie. En haut du folio GR
de droite est représentée la cour intérieure de la forte-
resse entourée de douves et de quatre tours d'angle. Les Bibl.: Bagc1 et al. 2006, p.120-122, pl. 81; Çagman 1999, p. 197-206 ;
Ottomans se sont emparés du fort, comme l'indiquent Minorsky 1958, p.19-21 ; Stchoukine 1966, p. 67-68, 116-117,
pl. XXXVI-XXXVII; Wright 2009, p. 92 et 149.
les deux soldats visibles dans l'enceinte des remparts.
Des cadavres gisent au pied de murailles en ruine. En
bas, des soldats ottomans présentent des prisonniers
hongrois au grand vizir Sokollu Mehmet Pacha. Sur le
folio de gauche, deux autres pachas sont assis devant
leurs tentes en compagnie de janissaires. Les têtes de
Hongrois décapités sont jetées par terre, tandis qu'à
gauche un janissaire tient une lance au bout de laquelle
est piquée la tête de Zrinski (hong. Zrinyi), commandant
de la garnison. La représentation du camp, traditionnel-
lement établi autour des forteresses assiégées, occupe les
deux tiers supérieurs de la composition; cette impor-
tance est sans doute destinée à évoquer la magnificence
de la tente impériale (Ota9-1 Humayun).
Ces illustrations sont attribuées à Ali dont les person-
nages sont généralement plus petits et les compositions
moins rigoureuses que chez son maître Osman, comme
on peut le voir dans la manière dont celui-ci représente
le retour de l'armée ottomane après la chute de Szigetvar
(cat. 21).
GR

Bibl.: Bagc1 et al. 2006, p.120-122, Çagman 1999, p. 197-206, Minorsky


1958, p.19-21, Stchoukine 1966, p. 67-68, 116-117, pl. XXX.li-XXXIII,
Wright 2009, p. 92,149.

Cat. 20 (pages précédentes)


La Chute de Szigetvar
Illustration de manuscrit attribuée à Ali
Seyyid Lokman, Tarih-i Sultan Süleyman
(dit aussi Zafername), achevé en 1579
Folios 93b-94a, 39,5 x 25 cm (chaque folio)
Dublin, Chester Beatty Library, inv. T. 413

Cat. 21
L'Armée ottomane revient de Szigetvar à Belgrade
en portant la dépouille de Soliman le Magnifique
Illustration de manuscrit attribuée à Osman
Seyyid Lokman, Tarih -i Sultan Süleyman
(d it aussi Zafername), achevé en 1579
Folios 113b-114a, 3 9,5 x 25 cm (chaque folio)
Dublin. Chester Beattv Librarv T. 413 104 C5
ASSISTANCE DIVINE
Dans la première gravure, une Bellone presque surdi-
mensionnée par rapport au format de l'image, conduit
les troupes de l'empereur en soufflant dans un grand
cor. Derrière la déesse romaine de la guerre, une impres-
sionnante bannière arborant l'aigle impérial à deux têtes
flotte au vent. Au pied de la bannière, encouragés par
Mercure, quelques fantassins s'apprêtent à attaquer les
Ottomans représentés à droite. Dans le coin supérieur
gauche apparaît encore la déesse Victoria, gage de vic-
toire. À travers la sublimation allégorique, cette feuille
renvoie aux guerres de l'empereur Rodolphe II contre
les Turcs commencées en 1593, et pendant lesquelles
les troupes impériales furent placées sous le haut com-
mandement de l'archiduc Matthias (1557-1619), frère
cadet de l'empereur. Comme l'indique l'inscription
portée au bas de la feuille, c'est à celui-ci que Spranger
a dédié cette gravure. La deuxième gravure sur cuivre
datée de 1597, que Spranger avait dédiée à sa ville natale,
renvoie également aux guerres contre les Ottomans. Lon
y voit les allégories de la Peinture, de la Sculpture et de
!'Architecture montant vers l'Olympe auprès du dieu-
père Jupiter, aidées de la déesse Fama soufflant dans
une trompette. Une nuée sombre les protège des flèches
Cat. 22 des soldats ottomans représentés dans le coin inférieur
An ony me (All emag ne du Sud ou Fland res?)
droit. Comme l'explique l'inscription de la plinthe, les
La Bataille de Lépante
Fin du xv1• siècle Ottomans sont présentés ici comme des barbares enne-
Hu ile sur t oi le, 127 x 232,4 cm mis des arts, destructeurs, auxquels s'oppose, dans le
Inscriptions nominales di verses, notamment « H lette r » (signature d'artiste?)
Greenwic h, National Mariti me Museum, inv. BHC0 261
coin inférieur gauche, l'épanouissement des arts sous le
protectorat de l'empereur et de l'Église. Cette création ico-
nographique du peintre de cour Bartholomaus Spranger,
dont la complexité compositionnelle et sémantique cor-
UNE SANGLANTE BATAILLE NAVALE respondait en tout point au goût du commanditaire, a été
traduite plusieurs fois par Müller en gravures sur cuivre
Le 7 octobre 1571, dans le golfe de Patras, non loin de la consacrées à cette bataille cruciale. L œuvre d'un peintre de grand format, techniquement parfaites.
ville portuaire grecque de Naupacte (ital. Lepanto), plus anonyme présentée dans l'exposition remonte à une GM
de deux cents galères de la Sainte Ligue affrontèrent une gravure sur cuivre de 1572 de Martino Rota qui décrit
flotte ottomane de force équivalente. Deux mois plus l'événement en vue d'oiseau. Les galères de la Ligue y Bibl. : Oberhuber 1958, p. 171-172 et 289; New Ho., n°' 75.II et 76.III.
tôt seulement, l'île de Chypre placée sous souveraineté sont caractérisées par le lion de saint Marc (Venise), la
vénitienne était tombée entre les mains du sultan. La croix de saint Georges (Gênes ), la bannière pontificale
Sainte Ligue, une alliance entre Venise, Gênes, les États argentée (États pontificaux) et l'aigle bicéphale des
pontificaux et l' Espagne, poussait à une réponse éner- Habsbourg (Espagne), celles des Ottomans par des crois-
gique. Les forces navales chrétiennes étaient placées sants de lune. Différentes inscriptions font par ailleurs
sous le haut commandement de Juan d'Autriche, fils ressortir les vaisseaux de certains protagonistes, notam-
naturel de Charles Quint. Face à lui, Ali Pacha Moezzin, ment celui du Génois Andrea Doria dans le coin infé-
l'amiral de toute la marine ottomane. La bataille se rieur gauche. Cette peinture a peut-être été commandée
conclut par une écrasante défaite des Ottomans, qui par la famille génoise des Negroni, dont le blason (croix Cat. 23 et 24 • •
Jan Harmensz. Mu ller(A msterdam, 1571 -Amsterdam, 1628)
perdirent plus de 2 5 ooo hommes. À long terme, le profit blanche sur fond rouge) décore de manière proéminente d'après Bartholoma us Spra nger (A nvers, 1546 - Prague, 1611)
psychologique fut plus important pour l' Europe chré- la voile d'ombrage du pont arrière de la galère représen- a. Bellone menant les troupes impériales co ntre les Otto mans, 1600
tienne que la destruction de la flotte ennemie, car la tée au-dessus. b. L'Apothéose des arts, ou Les Arts échappant aux barbares
défaite des Ottomans brisa leur aura d'invincibilité. Un GM et rejoignant le mo nt Oly mpe, 1597
Gravures sur cuivre (sur deux plaques), 705 x 510 mm et 685 x 502 mm
an jour pour jour après la bataille, le pape Grégoire XIII a. Inscription en bas à gauche:« B. Sprangers invent. / loan. Muller sculp. » ; à droite :
faisait du 7 octobre une journée commémorative de Bibl.: Clifton et Ribgy 2004, p. 228, ill. p. 229. • Harman. Muller. excud. / An° 1600. »; avec une dédicace en latin sur deux lignes de
Spranger à Matthias, frère de l'empereur Rodol phe Il,•[...) Generali supremo totiu s
l' Église. D'innombrables représentations ont ensuite été Christiani exercitus contra Turcas duc i [... ]»;en dessous, q uatre pavés de texte de trois
lignes chacun:« En Be llona ciet [ ... ] causa tr iumphet. »
b. Inscription en bas au milieu: " B. Sprangers inve n. »; e n dessous, dans un cartouche,
dédicace latine de Spranger à la ville d'Anvers: • Amplissimis ... ) M.D. xcvu. / Joannes
Mullerus sculpsit. »; en dessous, quatre pavés de texte de trois lignes chacun:
• Postquam Barbaries[. .. ] pristina Ragna» ; à droite de celles-ci:• Harman Muller excudebat. »
a. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Estampes, inv. S. I 26792
b. Cracovie, Biblioteka Naukowa PAU i PAN, Gab. Rye. 34075

106 10
LA LONGUE GUERRE tenant une palme et couronné de laurier en signe de
victoire. Dans sa main droite, il tient un croissant de
Parmi les réactions artistiques à la « Longue Guerre lune dont il semble avoir décoiffé la figure féminine
turque» menée de 1592-1593 à la paix de Zsitvatorok assise à côté de lui. Celle-ci renvoie indéniablement à
en 1606 par l'empereur Rodolphe, l'une des plus inté- Hungaria, personnification de la Hongrie qui a été déli-
ressantes, parce que les plus complexes et les plus vrée du joug ottoman, comme l'indiquent les chaînes
influentes, est sans doute la série d'allégories créées par brisées gisant à ses pieds, et qui reçoit à nouveau sa
Hans von Aachen autour des principaux événements couronne royale des mains de l'empereur. L'allusion au
du conflit. À l'origine, cette série de petites peintures rôle historique de la ville comme lieu de couronnement
sur parchemin comptait au moins onze, mais plus pro- des rois de Hongrie est tout aussi transparente que
bablement quatorze scènes, comme on peut l'inférer la manifestation céleste dans laquelle, parallèlement
d'une série de quatorze copies réalisées sous forme de à l'événement terrestre et par référence à la Hongrie
dessins dans l'atelier de l'artiste pour le prince-électeur comme Regnum Marianum, Hungaria reçoit la couronne
Christian II de Saxe, et que von Aachen a facturées en royale des mains de la mère de Dieu. À gauche, on recon-
1610. Selon l'entrée d'un inventaire, les allégories ou naît le sultan vaincu - vraisemblablement Mehmet III
imprese créées sans doute un peu plus tôt, entre 1603 (r.1595-1603) - entouré de courtisans: il s'agit d'ailleurs
et 1605, et dont cinq sont aujourd'hui conservées à de la seule représentation d'un souverain ottoman dans
Vienne et deux à Budapest, étaient initialement reliées toute la série. Devant le sultan est agenouillée l'allégorie
en un livre conservé au Trésor impérial de Prague, ce de la Turquie endeuillée. Autre signe de deuil suivant
qui montre le caractère exclusif de cette série destinée à la défaite, quelques femmes portent des lampes à huile
l'usage privé de Rodolphe. allumées sur leurs têtes. Derrière le sultan, on reconnaît
En illustrant la reconquête de la place forte croate en encore une figure féminine à demi dénudée accompa-
juin 1593 - elle avait été assiégée par les Ottomans en gnée de deux colombes, sans doute une personnification
1592 -, !'Allégorie de la bataille de Sissek (cro. Sisak) ren- de la Paix qui tend impérieusement la main pour arrêter
voie au prétexte invoqué par le sultan pour sa déclara- le bras du sultan armé d'une masse d'arme.
tion de guerre à Rodolphe II, sujet d'une autre peinture Début août 1601, l'armée impériale commandée par
de la série conservée à Vienne. À gauche et à droite, les Giorgio Basta et soutenue par Michel le Brave (roum.
dieux fluviaux de la Save et de la Kupa, au confluent des- Mihai Viteazul), l'ancien voïvode de Valachie, remportait
quelles se trouve Sissek, encadrent le groupe central. Ce une victoire sur Sigismond 1er Bathory, ancien prince de
groupe montre la personnification de la Croatie ou de Transylvanie et neveu du roi de Pologne et de Lituanie
la Styrie assise sur une île fluviale et couronnée de lau- Étienne Bathory (cat.162). Sigismond, que les États de
rier par la déesse Victoire. À l'arrière-plan est représenté Transylvanie n'avaient réélu à la dignité de prince qu'au
l'événement militaire, qui se déroule devant la place début de cette année, tentait de faire valoir ses revendi-
forte coupée par le bord droit de l'image. Comme toutes cations avec l'aide de la Pologne et des Ottomans contre
les autres peintures de la série, la scène centrale est sur- Michel, qui combattait désormais en vassal de l'empe-
plombée par une apparition céleste emblématique. Ici, reur Rodolphe. Le centre de l'allégorie de cette bataille
il s'agit de l'aigle impérial tendant une serre vers le crois- est occupé par les bannières prises aux alliés de Bathory,
sant de lune turc. L'influence de cette allégorie particu- notamment un étendard ottoman à queue de cheval
lière sur l'art de cour de Rodolphe II a été considérable: (turc tüg), et plantées dans une souche d'arbre au pied de
le groupe central a servi de modèle au sculpteur Adrien laquelle une femme endeuillée et liée - sans doute une
de Vries pour son relief sur les guerres turques (Vienne), allégorie de la Discorde - est représentée assise sur des
et la composition générale a été reprise par Paul van armes ottomanes. À droite, quelques ennemis vaincus
Vianen pour l'avers d'une médaille présentée dans cette se sont réunis sous un signe astrologique composé de
exposition. La médaille en question célèbre la prise de symboles turcs; à gauche, sous le signe du Capricorne
Târgovi~te, capitale de la Valachie, son revers illustre la favorable à Rodolphe, les personnifications romaines
reconquête de Javarin (all. Raab, hong. Gy6r) en 1598, en de la puissance militaire (avec l'enseigne) et de la force
s'appuyant sur la peinture de von Aachen consacrée à cet (avec la colonne) illustrent la légitimité de l'action de
événement (aujourd'hui conservée à Budapest). Rodolphe.
Le face-à-face des deux souverains ennemis déter- GM
mine l'allégorie de la prise de la ville hongroise de
Stuhlweiisenburg (hong. Székesfehérvar), que les troupes Bibl.: Jacoby 2000, n°' 60.3, 60.8 et 60.10 ; Aix-la-Chapelle, Prague et
impériales avaient investie en 1601, mais qui retomba Vienne 2010-2011, n°' 95, 98 et 99 (Karl Schütz); sur le cycle complet,
voir aussi, récemment, D0j-Fetté 2013, cat. 26; sur la médaille de van
bientôt aux mains des Ottomans. À droite, on peut voir Vianen, voir Essen et Vienne 1988, n° 467; Prague 1997, n ° 11.12.
l'empereur Rodolphe II représenté en imperator romain

Cat. 25
Hans vo n Aac hen (Cologne, 1552 - Prague, 1615)
Trois Allégories de la «Longue Guerre turque », Vers 1603- 1605
Allégorie de la bataille de Sissek (1593) (voi r p. 110-111)
Allégorie de la prise de Stuhlweiflenburg (1601)
Allégorie de la bataille de Goroszl6 (1601)
Parchemin monté sur toile. 34 x 42 cm chacune
V~IC 1 (1~ ,no
Cat. 26
Paul van Vianen (Utrecht, vers 1570- Prague, 1613)
Allégorie de la bataille de Târgovi$te
Revers: Allégorie de la reconquête de Javarin
Après 1603-1604
Argent coulé, Diam. env. 7,4 cm
Inscription sur la bordure à l'avers: SIGIS.BATH. [... ]
A.MDVC.D.XVl-11 OCTOB. et . IAVARIN [... ] A.MDIIC.D.
XXIXMART.
Vienne, Kunsthistorisches Museum,
Cabinet numismatique, inv. bb

110 111
RÉCIT DE GUERRE
INACHEVÉ
Des événements de la « Longue Guerre» sont relatés
dans un ouvrage, non connu jusqu'à présent, de Seyyid
Lokman, historien de la cour du sultan. Il est illustré de
miniatures sur doubles pages qui représentent, du point
de vue ottoman, des épisodes de la campagne menée
par Mehmet III en Hongrie en 1596. Cette campagne
fut un événement considérable, car pour la première
fois depuis la mort de Soliman le Magnifique en 1566
devant Szigetvar (voir cat. 20-21), un sultan se trouvait
de nouveau à la tête de l'armée sur le terrain des opéra-
tions. Elle s'acheva par la prise de la forteresse d'Eger,
d'une grande importance stratégique, et par la victoire
remportée quelques jours plus tard, le 26 octobre 1596
à Haçova (auj. Meszôkeresztes, Hongrie). L'ouvrage en
question est probablement l'une des dernières chro-
niques rédigées par Seyyid Lokman, et les miniatures
sont l'œuvre d'un atelier proche de la cour du sultan.
Ainsi la représentation de la bataille d'Haçova (fbs 17b-
18a) recèle-t-elle d'indiscutables analogies avec la des-
cription de même événement dans le Divan-t Nadiri
(Istanbul, Topkap1 Saray1 Müzesi, H. 889, fb 6b-7a).
Cependant, l'exécution du manuscrit de Copenhague
est de bien moindre qualité que les chroniques illus-
trées réalisées pour Mehmet III, le plus haut dignitaire
ottoman et grand promoteur de l'art de la miniature.
Ces miniatures du manuscrit de Copenhague, dont la
mise en couleurs n'est pas achevée, décrivent le moment
décisif de la bataille. Sur la page de droite, des artisans,
des chameliers et des cuisiniers, reconnaissables à leurs
couvre-chefs pointus, repoussent les soldats impériaux
en train de piller le camp ottoman où ils sont parvenus
à pénétrer. Dans la partie supérieure, Mehmet III, enca-
dré par sa garde personnelle et accompagné de Hoca
Sadeddin et Gazanfer Aga, donne l'ordre de contre-at-
taquer. C'est cette phase que montre l'autre page, sur
laquelle des Ottomans et des Tatars poursuivent les
soldats impériaux vêtus de gris.
RB

Cat. 27
An ony me
Victoire des troupes ottomanes à Haçova en 1596
Miniatures extraites d'un récit illustré de la campagne
de Mehmet Ill en Hongrie par Seyyid Lokman (f0 ' 17b- 18a),
Istanbul, vers 1600
Gouache, 30,2 x 18,2 cm (chaque page)
Copenhague, C.L. Davids Samling, inv. 19/2009

112 113
2 CONFRONTATIONS VISUELLES
Les affrontements militaires entre l'Empire ottoman et les puis-
sances européennes furent mis en scène à des fins de propagande
en tant que confrontations globales de l'Orient et de l'Occident,
de l'islam et du christianisme. En référence aux conventions ico-
nographiques du Moyen Âge, les «Turcs» figurèrent d'abord
dans les représentations du martyre des premiers saints, comme
l'incarnation des adversaires du christianisme.
La Réforme, qui se propagea en Europe à l'ombre des succès
militaires ottomans, favorisa la production d'autres << images de
Turcs». Martin Luther (1483-1546) jugea d'abord avec sympathie
les mœurs sévères des Ottomans et surtout leur attitude libérale
envers les communautés non musulmanes de leurs territoires. Le
mot d'ordre « Plutôt Turc que papiste» lancé par les Gueux fla-
mands relève d'une position comparable. Cette perspective fut
relayée par une image où la crainte concrète des Turcs se trouva
modifiée dans un sens théologique. C'est surtout en Europe cen-
trale, directement touchée par l'expansion ottomane, que le
«Turc» figura en tyran laïc qui châtiera les hommes pour leurs
péchés, tandis que la papauté représentait l'Antéchrist religieux.
L'usage intensif de l'imprimerie propagea ces idées dans toutes les
couches de la société. En conséquence, l'Église catholique recou-
rut à son tour à une image du Turc à connotation apocalyptique
pour diffamer ses adversaires.
Parallèlement à ces images relevant de confrontations confes-
sionnelles, un autre groupe de représentations thématisa dans un
langage iconographique plus subtil la rivalité entre l'empereur et
le sultan pour le pouvoir universel. Les Ottomans y apparaissent
moins comme « ennemis jurés du christianisme» que comme une
puissance laïque de rang égal.
RB
Cat. 28 at. 29
Alb re ch t Dürer (Nuremberg, 1471 - N uremberg, 1528) Johann Christian Ruprecht
(M ühlhausen/Thuringe, vers 1600 - Nu re mberg, vers 1666),
Le Mar ty re de sain t Jean l'Évangélis te
d·après Albrecht Dürer(Nuremberg, 1471 -Nuremberg, 1528)
Vers 1496-1497
Xylographie, 394 x 284 mm
Le Martyre des dix mille chrétiens
Monogrammé près du bord inféri eur « AD ,. (ligaturé) 1653 (peinture originale de 1508)
Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Estampes, inv. S. 112047 (ill.) Bois de sapin, 101 x 89 cm
Cracovie, Biblioteka Nau kowa PAU i PAN w Krakowie, inv. Gab. Rye. 10141 Désignation sur le cartel que Dürer ti ent au bout d 'une
canne: /ste faciebat ana domini 1508 / albert[us] dürer [. ..] /
Ad imitationem düreri fecit Joan: / Kristian Ruprecht Ci vis
Norimb:[ergus] Ano / 16 53

L'EM PEREUR ENTURBANNÉ Vienne, Kunsthistorisches Museum, Pinacothèque, inv. 841

Dürer conçut cette gravure sur bois en ouverture de


l'Apocalypse qu'il publia en 1498 avec quatorze autres
illustrations en pleine page, en allemand d'abord, puis
en latin. La gravure représente le martyre de l'évangé-
liste Jean, considéré comme l'auteur du dernier livre
de la Bible. Dürer suit ici le récit de la Légende dorée de
Jacques de Voragine, qui décrit le supplice de l'évangé-
liste à Rome, devant la Porte latine à l'époque de l'empe-
reur Domitien. Jean subit néanmoins son martyre sans
être blessé et fut banni par Domitien sur l'île de Patmos,
où il rédigea l'Apocalypse. Domitien n'a pas été repré-
senté ici en empereur romain, mais comme un souve-
rain oriental coiffé d'un turban ottoman noué autour
d'un kavuk à côtes et ceint d'un diadème tout à fait inha-
bituel. D'autres éléments comme le manteau d'hermine
et le sceptre renvoient eux aussi plutôt à l'image euro-
péenne du souverain. À cette époque, Dürer multiplie en
effet les types orientaux dans son œuvre (voir cat. 113-
116). Un prince encore plus fantasque dans lequel des
éléments orientaux (plus précisément mamelouks)
sont combinés de manière comparable à des éléments
occidentaux, apparaît à peu près à la même époque dans
la gravure sur cuivre inachevée Le Souverain oriental
(Meder 91; dessin préparatoire conservé à Washington).
La confrontation entre souverain oriental et chré-
tien inébranlable pourrait avoir été influencée par la
constante menace que les Ottomans faisaient peser sur
l'Europe chrétienne. Cela est en revanche contredit par
l'attitude plutôt indifférente, voire compatissante, des LE COSTUME DES ENNEMIS foi inébranlable et de la disposition au sacrifice des turban caractéristique des mamelouks, tandis qu'un
deux porteurs de turbans. chrétiens: la légende médiévale rapporte que l'empereur membre de sa suite est coiffé d'un haut chapeau rouge
GM En 1508, Dürer achevait Le Martyre des dix mille chrétiens, Hadrien avait ordonné au centurion Acace et à ses neuf à houppes qui rappelle le zamt des mamelouks. En fait,
peinture sur panneau que le prince-électeur de Saxe mille soldats de réprimer une rébellion très supérieure les costumes mamelouks n'apparaissent dans l'œuvre de
Bibl. : Bartsch 61; Meder 164; Schoch, Mende et Scherbaum, Frédéric le Sage lui avait commandée pour l'église du en nombre. Des anges lui ayant promis la victoire, Dürer qu'après son second séjour à Venise en 1505-1507
vol. 2 , n° 112 . celle-ci acquise, Acace et ses hommes se convertirent à la (voir. cat. 113-116). Dans Le Martyre des dix mille, l'artiste
château de Wittenberg, sa ville de résidence. Étant donné
le mauvais état de l'original conservé à Vienne, nous foi chrétienne avec mille hommes de la suite d'Hadrien. s'est représenté lui-même en compagnie de l'humaniste
présentons ici une copie fidèle de même format datant À la suite de cette conversion et après qu'Hadrien se Conrad Celtes, qui venait de décéder en 1508. En nous
de l'époque baroque. Les raisons de cette commande au fut assuré du soutien d'autres souverains comme le regardant alors que son ami désigne le groupe formé
peintre nurembergeois sont sans doute liées à la col- roi de Perse Sapor, ils furent condamnés à mort, mais autour de l'évêque Hermolaüs, l'appel à la fermeté des
lection de reliques réunies par le prince-électeur dans supportèrent héroïquement les effroyables supplices chrétiens est explicitement lancé au spectateur.
l'église du château, reliques dont certaines étaient celles décrits de manière très suggestive dans la peinture. GM
des dix mille chrétiens, de leur chef Acace et de l'évêque Dans une gravure de même sujet réalisée en 1497-1498,
Hermolaüs. Ce dernier, baptiseur supposé des dix mille Dürer avait encore représenté Hadrien en souverain Bibl. : Vienne 1994, n° 50; sur la peinture de Dürer, ibid. n° 4 ;
chrétiens, est représenté à gauche au second plan de la occidental côtoyé par un roi Sapor figuré en Ottoman. An zelewsky 1971, n° 105 ; Stocker 1984.
peinture, face à deux Orientaux qui tentent de l'admo- Ici en revanche, Hadrien est représenté en prince
nester. À cet endroit comme ailleurs dans la peinture, oriental monté sur un cheval, coiffé d'un immense
Dürer présente les ennemis des dix mille chrétiens en turban ottoman, tenant dans sa main droite une masse
costumes orientaux, la peinture reflétant ainsi (comme d'arme de type oriental.À l'exception d'un interlocuteur
tant d'autres œuvres religieuses de l'époque) le senti- d'Hermolaüs évoqué plus haut, les autres Orientaux sont
ment de menace que la progression ottomane faisait pour la plupart signifiés par des éléments mamelouks:
peser sur la chrétienté. Dans ce contexte, le martyre des ainsi, }'Oriental représenté au premier plan à droite, et
dix mille était tout indiqué pour servir d'exemple d'une dans lequel il convient de voir le roi Sapor, porte le haut
CATHOLIQUES ET PROTESTANTS EN TURCS
La série de gravures de !'Apocalypse de Matthias Gerung entremêlées, et de leurs gueules sortent des chaînes
est un exemple significatif de l'ensemble complexe de par lesquelles les partisans du pape (des moines et des
facteurs ayant influencé la production d'images de pro- prêtres) et ceux du sultan sont entraînés dans l'abîme.
pagande pour la Réforme. Cette série fut commandée en Le camp catholique recourait lui aussi à des motifs
1544 à Gerung par son mécène Ottheinrich von der Pfalz iconographiques de !'Apocalypse pour diffamer ses
(1502-1559), qui s'était converti au protestantisme en adversaires en religion, comme en témoigne la gravure
1541, époque à laquelle Gerung rejoignit probablement sur bois attribuée à Hans Brosamer figurant sur la page
lui aussi la Réforme. La série destinée à illustrer l'édition de titre du pamphlet de Johannes Cochlaeus (1479-1552)
allemande du commentaire antipapal de !'Apocalypse sur les contradictions des livres de Luther. Ici aussi, le
par le prédicateur bernois Sebastian Meyer est restée Turc symbolise les incroyants. Avec le motif d'une créa-
inachevée. Elle est toutefois plus étendue que celles de ture à sept têtes, Cochlaeus réagit avec esprit à l'immense
Dürer et de Cranach, ce qui résulte de sa conception popularité de Luther, qui résultait pour une grande part
particulière: chaque scène de !'Apocalypse a pour pen- d'une efficace mise en scène médiale d'aspects indi-
dant une satire présentant le pape et les Turcs comme viduels de son action. Ces capacités multiples font ici
des incroyants, procédé auquel Lucas Cranach avait déjà l'objet d'une présentation négative par cette référence au
recouru dans son Passional Christi undAntichristi de 1521. dragon à sept têtes de !'Apocalypse (Ap 13,1). Les médi-
Ainsi, en pendant de la Chute de la grande prostituée sances empirent de gauche à droite: au début, Doktor et
de Babylone (Ap 18,2), Gerung met en scène une com- Martin us sont encore proches de l'Église; la tête entur-
position double dont la partie supérieure est occupée bannée représentant le Turc, ennemi de l'Église, intro-
par une montagne où le Christ prêche devant un groupe duit une note nettement négative qui culmine à droite
d'élus.Au-dessus de sa tête plane la colombe du Saint- dans la comparaison avec Barrabas. Cette gravure par-
Esprit, tandis que la figure de Dieu de Père apparaît lante de Brosamer a été réutilisée, également sous forme
dans les nuages. Sur les côtés, des anges précipitent deux de copie, dans des éditions ultérieures du livre.
damnés dans le vide. Juste en dessous du Christ, deux RB
monstres hybrides coiffés respectivement d'une tiare
et d'un turban qui les identifient comme représentants Bibl. cat. 30: Ho. n ° 67; Roettig 1991, n° 23b; Londres 1999-2000, p. 6i,
de la papauté et des Turcs, se tiennent au-dessus d'un cat. 61 (Giulia Bartrum).
Bibl. cat.31: Ho. n° 402; sur le livre: VD 16 C 4389 ; Gülpen 2002,
trou d'où jaillissent des flammes. Les créatures démo- p. 358-360; Grotzkowsky 2009, p.190-192.
niaques sont attachées l'une à l'autre par leurs queues

lJtra/ o1firbrn rarlJ


,... 1 ~ :X

Cat. 31
Hans Brosamer (Fu lda, 1495 - Erfurt, 1554)
Luther à sept têtes
Page de titre de Johannes Cochlaeus, Sieben kopffe Martin Luthers /
von sieben sachen des Christlichen 9/aubens [...], Dresde, Stocke!, 1529
Gravure sur bois. 16,4 x 13,3 cm
Cat. 30 Texte typographié: Ooctor Martin[us] Luther [. ..] Siebenkopff.
Matthias (Mattis) Gerung (N ord lingen, 1500 - Lau ingen, 1570) Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin, Preu.ischer Kulturbesitz; Abteilung Historische
Drucke, inv. sign. CU 1560 R (ill.)
Le Pape et le sultan entraînent leurs partisans en enfer, vers 1546 Wrocfaw, Biblioteka Uniwersytecka, inv. sign. 308391
Gravure sur bois, 20,4 x 16,9 cm
Monogramme MG dans l'angle inférieur droit
Londres, The British Museum, Department of Prints and Drawings, inv. 1895,0122.45
11 R 119
Cat . 32
Anony me
Médaille des gueux en forme de croissant, 1574
Argent, Diam.: 32 mm
Inscription: li ver turcx * dan pavs / Endespit delames
Sur l'œil se trou ve une marque méconnaissable, peut-être une petite main UN RÉCIT ENTRE
Greenwich, Royal Maritime Museum, inv. MEC0003
DÉSIRS ET RÉALITÉ
Un an après l'abdication de Charles Quint paraissait à
Anvers une série de douze burins qui glorifiait les vic-
toires de l'empereur et qui devait connaître plusieurs
rééditions. La gravure d'ouverture montre l'empereur
assis sur un trône exhaussé entre les deux colonnes
d'Hercule, motif central de ses devises, un aigle à ses
pieds. L'animal héraldique de l'Empire tient dans son
bec un anneau par lequel passe une chaîne avec laquelle
f
sont enchaînés cinq des adversaires de Charles Quint. rANNONIA
1

TV RCA M , C~S AR, CR VD r: L E


t. 9.
F"V REN TE~t
Ce sont, à droite, les princes protestants de l'Empire P RO F L 1 0 AT, SOLVE N S D V RA O 8 S JOJO NE V 1 E NNA Mr
Vt,,;J Sobma110 podtrofo, Cy furent Turcqs vaincuz & dcchaffc:
vaincus: Guillaume de Clèves, Jean-Frédéric 1er de Saxe 1 aui.1 putfloy., ctrro a Vtt11a, Virillemenr du puiffant Empcrcur,
et Philippe 1er de Hesse. Face à eux, les représentants 'Ptro h11yOdt "'i."i mit) ttmtro[o,
1>or ka l1irtud dt Gtrlos tl qut imprrA. v
Vienne alors de fcscnnuy,!h p:iffe:
Fuc ddiurêc, &: rcm.ife en honneur.
des puissances souveraines: le pape Clément VII, le roi
François 1er et Soliman 1er. Le sultan n'est pas présenté ici
comme « l'ennemi héréditaire des chrétiens», mais sur
un même pied que les autres adversaires de l'empereur.
Le fait qu'il ne soit pas enchaîné lui permet de quitter
la scène, ce qui pourrait être une allusion à l'échec du
siège de Vienne en 1529. Cet événement est le sujet de la
cinquième gravure de la série, dans laquelle l'empereur
intervient dans le cours des événements militaires avec
son frère Ferdinand 1er, lui aussi lourdement armé, pour
chasser l'armée du sultan assiégeant Vienne. Cette scène
est une fiction manifestement propagandiste dont le
message dénote des analogies avec ceux produits par
d'autres médiums de l'époque (voir cat. 8).
RB
PLUTÔT TURC QUE PAPE! fois. Ceux qui assistèrent durant l'été caniculaire de cette
année-là aux« hagenpreken» (prêches en plein air, litté- Bibl. : Ho. n°' 524-535; Rosier 1990-1991; Graf 2005, p. 38-39.
HIC P APA,ET GALLVS 1 SAXO , HE.SS V S,CLIYIVS,ACR J
Pourquoi des rebelles néerlandais du xv1e siècle ralement prêches derrière la haie) en dehors des limites CON C E O V NT A Q...V I L ..f: 1 SEL Y 1-t VS DA T TER GA PA VORE.
L'.J{g111la muy tr111,nphamtJ no ~tn(lda Cy fut le Papc, 2u!Ty le Roy de Fn nce1
optèrent-ils pour l'emblème du croissant, le signe dis- de la ville d'Anvers, lors desquelles les prédicateurs 1>r Car/01 'kinto Enptrador ~ mnno, Le Duc de Saxe, 8( du Cleuoisla fuyce,
Nos murflra qut tjla gtntt/ijtrrndula Au ffi d'Hdfen, v:tinc u: pa rla puifü nce
tinctif par excellence de l'Empire ottoman aux yeux de osèrent enfin parler ouvertement, portaient des insignes T romo/)IIJbfas \11iasSolim:1no. Du haulr Ccfar,dom Je Turcq pnnt la fuyct.
l'Europe occidentale? Mieux connue sous le nom de en forme de croissant. Lorsqu'ils regagnèrent la ville en
guerre de Quatre-Vingt Ans (1568-1648),la révolte aux masse, les prêches terminés, ils chantèrent des chansons
Pays-Bas constituait un soulèvement mené contre le aux refrains du style « Halve manen op de mouw, Hever
régime de la monarchie espagnole des Habsbourg. Turksch dan Papauw ». Plusieurs informateurs au service
Le conflit était né de la volonté de centraliser le pouvoir des Espagnols, et même le gouverneur Requesens, le suc- Cat. 33
Di rk Coornhert ( Di rck Volkertsz. Cuerenhert, 1498-1556),
affichée par les Espagnols et la persécution sanglante cesseur plus modéré du duc d'Albe dont la sévérité est d'après Maarten va n H eemskerck (H eemskerck, 1498 - H aarlem , 1574)
des hérétiques dont ils furent les auteurs. légendaire, font état avec consternation de ces insignes. a. L'empereur Charles Quint entre ses adversaires vaincus
Porté par des rebelles néerlandais, la signification du Les « trois cents marins» qui libérèrent en 157 4 la ville b. L'armée du sultan Soliman chassée du siège de Vienne
croissant, pourvu de la devise « Liever Turks dan Paaps » de Leyde, assiégée par les Espagnols, sous l'amiral des 1555-1556
Gravures sur cuivre, 15,2 x 22,8 cm
(Plutôt les Turcs que les papistes), pouvait être interpré- gueux Louis de Boisot, portèrent les médailles sur leur a. Inscription: PANNONIA TVRCAM, CAESAR, ORVDELE FVRENTEM/
tée de deux façons. Tout d'abord, la médaille symbolisait chapeau ou à leur col. Ce même croissant aurait décoré PROFLIGA T, SOL VEN DVRA ABSID/ONE VIENNAM./1527
b. Inscription : HIC PAPA, ET GALL VS, SAXO, HESSUS, CL/V/VS,
le désir d'une tolérance religieuse telle qu'elle fut attri- leurs enseignes. C'est en raison de cette victoire, célèbre AORI CONCEDUNVNT AOVILE, SEL YMVS DAT TERGA PA VORE
buée à la politique menée par le sultan ottoman. Mais il et capitale, que ce millésime est généralement frappé Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, inv. S. IV 2497 et S. IV 2504
Cracovie, Biblioteka Naukowa PAU i PAN, inv. Gab Rye. 1573 et Gab. Ryc.1577 (ill.)
s'agissait davantage encore d'une provocation, d'un véri- sur ce genre de médailles, même si celles-ci ne sont pas
table affront pour les Espagnols. En effet, les Ottomans toutes pourvues d'une date, comme pour cet exemplaire.
islamiques étaient les pires ennemis de « l'Empire En raison de la montée du nationalisme, la médaille fut
[catholique] sur lequel le soleil ne se couche jamais». reproduite à de nombreuses reprises au x1xe siècle.
Les médailles en forme de croissant, dont nous pos- DT
sédons différentes variantes, furent principalement
signalées durant les premières années de la révolte des Bibl.: Fruytiers 1577, fb 18r; Van Loon 11723, p. 192-193 ; Westerink 1989,
gueux. C'est au moment où se prépara l'iconoclastie, en p.76.
août 1566, qu'elles furent mentionnées pour la première

120 121
UN FÉROCE DRAGON
Le portrait en pied montrant le sultan Sélim II avec un
dragon est un des vingt-neuf dessins de figures orien-
tales réalisés par Jacopo Ligozzi à Florence à la demande
soit de François de Médicis (1541-1587 ), soit de Niccolè>
Gaddi (1537-1591). Initialement conçues pour former
un album, ces illustrations combinaient la tradition des
descriptions allégoriques et le style des recueils de cos-
tumes, très populaires au xvre siècle. L'artiste a ajouté à
ses figures des animaux ou des créatures fabuleuses dont
le sens et le symbolisme originaux ne nous sont pas
toujours familiers aujourd'hui.
Sélim II est représenté de trois quarts, légèrement
tourné vers la droite, portant une robe à motifs dorés
sous un caftan rouge déboutonné doublé d'hermine,
coiffé d'un grand turban orné d'une plume d'autruche
foncée. Il est accompagné d'un dragon qui le regarde et
dont le serpentin se termine par une petite tête à gueule
grande ouverte, complétée par des ailes de papillon
décoratives et une queue en spirale.
Bien qu'il ait manifesté un intérêt certain pour les
costumes orientaux, Ligozzi n'a jamais voyagé dans
l'Empire ottoman, et sa série s'appuie donc sur des
recueils de costumes et des récits de voyage. Pour la
figure de Sélim Il, il a pu puiser à différentes sources,
la plus probable étant le « Gran signore » des Habiti
antichi.. . de Cesare Vecellio (voir cat. 58) publiés pour
la première fois en 1564. Mais l'artiste a aussi pu s'ins-
pirer de la description du sultan (Imperator sive sul-
tanus Turcarum) donnée dans l'Habitus Praecipuorum
Populorum publié en 1577 par Hans Weigl (voir cat. 60).
Toutes ces illustrations pourraient avoir servi de purs
exemples, car l'artiste a évité toute imitation littérale
de ses sources. Malgré son aspect fantastique, le dragon
est rendu avec un sens très poussé du réalisme et révèle
l'intérêt du dessinateur pour l'étude de la nature qui le
rendit célèbre dans toute l'Europe, notamment avec ses
dessins de plantes et d'animaux.
MD

Bibl.: Williams 2013, p. 19 5-197; Alsteens 2009, p. 48, cat. 22


(Nathalie Strasser) ; New-York 2010, p. 109-110 .

Cat. ;4··
Jacopo Ligozzi (Vérone 1547 - Florence 1627)
Portrait du sultan Sélim II avec un dra9on, vers 1580-1585
Dessin à la plume. encre, gouache, peinture à l'or, craie noire, encre brune, fond bleu plus tardif, 27,5 x 21 ,5 cm
Inscription (coin supérieur gauche), à l'encre: Sultan Selim 13 lmperatorae Turchi ; en bas : Drago
Genève, collection de Jean Sonna
122
L'APOCALYPSE À LA CHAPELLE DU CHÂTEAU DES TURCS À CRACOVIE
Ces deux dessins appartiennent à un groupe de huit pro- ce programme décoratif, qui n'a pas été conservé, décri- Ce panneau qui représente le Christ ressuscité s'élevant
jets établis entre 1553 et 1555 pour la décoration d'une vaient la résurrection des morts, le cortège des bienheu- au-dessus de son tombeau est l'œuvre de Tobias Fendt,
salle attenante à la chapelle du château de la Résidence à reux et les tourments de l'enfer. Les études préparatoires de Breslau (pol. Wrodaw) qui travaillait dans le style
Dresde. La tâche avait été confiée à Gabriele Tola, peintre conservées sont d'importants témoignages de l'intégra- maniériste hollandais. Cette œuvre révèle un goût pro-
et musicien originaire de Brescia, venu à Dresde avec tion de la réelle menace ottomane dans une perspective noncé pour les couleurs vives au pastel et une fascina-
son frère Benedetto sur l'invitation du prince-électeur eschatologique, qui devait figurer dans la résidence d'un tion pour les paysages naturalistes, comme en témoigne
Maurice de Saxe (1521-1553). Le programme décoratif éminent partisan de la Réforme. Le recoupement déli- le fait que l'artiste a situé cette scène biblique dans un
de la salle en question consistait en une suite de motifs béré de ces deux niveaux est certainement dû à la parti- décor représentant Cracovie. La ville est montrée depuis
de !'Apocalypse, qui commençait par la prise du pouvoir cipation de Maurice de Saxe aux campagnes contre les Kleparz, commune alors située au-delà du rempart nord
sur le monde par les Turcs. Ceux-ci sont ici représentés Ottomans (1542 et 1552-1553). En plus de ce programme de l'ancienne capitale de la Pologne, si bien que l'on peut
par un groupe de cavaliers auxquels sont amenés des iconographique de !'Apocalypse, le château de Dresde voir l'église Saint-Marc et les tours de la basilique Sainte-
prisonniers débarqués d'un bateau, tandis qu'à l'ar- garde le souvenir des combats en Hongrie dans une Marie. Autour du tombeau, un groupe de gardes mani-
rière-plan un pont et des bâtiments s'effondrent. Des suite de tapisseries. festent effroi et stupéfaction: un soldat ottoman ou un
motifs cpmparables rappelant les créations de Giulio RB hussard de type serbe portant un haut bonnet de four-
Romano figurent dans la représentation de la chute de la rure caractéristique et tenant un bouclier (voir cat. 168 ),
domination turque. La menace ottomane est également Bibl. : Schweikhard et Heckner 1995 ; Heckner 1996, p. 34-50. un noble polonais au crâne rasé, portant un zupan et un
évoquée par la scène de l'effondrement des peuples sabre de type hongrois au côté, deux soldats d'apparence
apocalyptiques de Gog et Magog. D'autres panneaux de « antiquisante » et, au premier plan, tournant le dos au
spectateur, un Turc coiffé d'un turban, un marteau de
guerre à la main.
Les motifs orientaux témoignent de l'intérêt per-
sonnel de l'artiste et de ses études de la couleur locale
de Pologne-Lituanie, comme le montre le réalisme des
détails des costumes et des armes. Fendt s'est sans doute
inspiré du tableau placé en 1554 dans l'église Sainte-
Marie de Gdansk, en guise d'épitaphe picturale de la
famille Connert. Il présente une iconographie similaire
mêlant des types européens antiquisants et des figures Cat. 37
d'aspect oriental, ce qui est assez inhabituel dans les Tobias Fendt (vers 1520/1530 - Breslau 1576)

Résurrections de cette époque. Rés urrection du Christ


Seconde moitié du X VI' siècle
MD Panneau de bois, 117 x 83 c m
Monogramme sur le personnage au bouc lier: TF
Cracovie, Zamek Kr61ewski na Wawelu , inv. 533
Bibl.: Vienne 1986, p. 215 -216, cat. 34 (Jerzy Gadomski ); Szablowski 1969,
p. 377; Steinborn 1966, p. 23-24, 4 7; Legnica 2001, p. 32-33.

Cat. 35 .. Cat. 36 ••
Attribué à Gabriele Tola ( Bresc ia, 1523 - ?, 1569) A ttribué à Gabr iele Tola (Brescia, 1523 - ?, 1569)

La Domination turque sur le monde, vers 1553-1555 L'Effondrement de la domination turque, vers 1553-1555
Plume et encre sépia, 18.9 x 12,6 cm Plume et encre sépia, 19,1 x 12,7 cm
Dresde. Staatliche Kunstsammlungen Dresden. Dresde. Staatliche Kunstsammlungen Dresden,
Kupferstich-Kabinen, inv. C 1966-34 Kupferstich-Kabinett, inv C 1966-38
124
UNE HISTOIRE
DE MOUSTACHE
Cette miniature de Stanislaw Samostrzelnik, peintre et
enlumineur de Cracovie, l'un des artistes polonais les plus
novateurs de la Renaissance, a pour commanditaire le
magnat Krzysztof Szydlowiecki (1467-1532 ), personnage
politique majeur du premier quart du XVIe siècle. Extraite
du Liber geneseos illustris Familiae Schidloviciae, série de
miniatures célébrant la famille Szydlowiecki, elle fait réfé-
rence à une légende héraldique selon laquelle le fondateur
du clan, participant à un tournoi en pays étranger, avec des
épreuves de tir à l'arc, de lutte et de joute, se trouva opposé
à un guerrier «païen». Son adversaire manifestement mal-
chanceux au combat le défia en duel. Offensé, le chevalier
arracha la moustache de l'homme, l'attacha à son arc puis
l'offrit à l'empereur en guise de trophée. Pour commémo-
rer cet événement, le souverain octroya au chevalier des
armoiries et le nom d'Odrzywé!s («arrache-moustache »),
qui devint par la suite Odrowé!z.
Samostrzelnik a illustré cette légende héraldique du
Moyen Âge avec les attributs de son époque. La miniature
montre un souverain sur son trône remettant un blason,
en présence de nombreux invités et membres de la cour,
à un chevalier revêtu d'une armure maximilienne du XVIe
siècle, agenouillé devant lui. Il est permis de supposer que
sous les instructions expresses de son commanditaire,
l'artiste a illustré le moment où l'empereur Maximilien rer
a anobli les armoiries de la famille Szydlowiecki et octroyé
le titre de baron à Krzysztof Szydlowiecki pendant le
congrès de Vienne qui a réuni les Habsbourg et les Jagellon
en 1515. Compte tenu des opinions et des activités poli-
tiques de Szydlowiecki, fervent partisan des Habsbourg
soucieux de convaincre les Jagellon d'entrer en guerre
contre l'Empire ottoman, le païen de la légende peut être
associé au personnage turc dans la foule des courtisans.
Sous sa forme modernisée par Samostrzelnik, cette
légende héraldique reflète nettement l'état d'esprit et
les relations qui régnaient dans l'État des Jagellon au
début du XVI 0 siècle. Bien que la politique officielle du
roi tendît à maintenir la paix avec la Turquie, certains
nobles et magnats faisaient pression, contrairement à
la raison d' État, afin d'entrer en guerre pour défendre la
chrétienté, et rejoignirent (contre la loi) les armées impé-
riales, particulièrement après le siège de Vienne de 1529.
Les œuvres de Samostrzelnik sont souvent des compila-
tions de motifs observés pendant son séjour à Vienne, et
cette miniature est un exemple intéressant de ce que la
perception occidentale des Turcs s'est infiltrée dans l'art
polonais. Par son aspect et sa tenue, le personnage au tur-
ban ressemble beaucoup aux figures orientales d'Albrecht
Dürer inspirées d'œuvres de Gentile Bellini, qui furent
par la suite copiées ou empruntées par d'autres artistes
(voir cat.114 et ill. 20 ).
MD

Bibl. : Paprocki 1584, p. 392-393; Miodonska 1983, p. 80-81, cat.17;


Dzialyilski 1852; Zlat 2008, p. 85; Seroka 2002, p. 219.

Cat. 38 · ·
Stanislaw Samostrzelnik (Stanislaus Claratumbensis) (Cracovie, 1480 - Cracovie, 1541)
Octroi des armes du clan Odrowqi,
avant 1532
Deuempe.gouache sur parche rehaussé d "°'· 27.7 x 18.7 cm
126 Pols<a Akademia Bibliote<a K6mioka. inv. 3641
3 VERS L'ORIENT: DIPLOMATES,
VOYAGEURS, PRISONNIERS
À l'époque de la prise de Constantinople, on ne disposait en Europe
que de peu d'informations fiables sur l'Empire ottoman et sur les
coutumes de ses habitants. En s'appuyant sur les anciens géo-
graphes, on a d'abord vu dans les Turcs les descendants des Scythes
ou des Troyens. Les récits d'anciens prisonniers des Ottomans,
comme Hans Schiltberger, Georges de Hongrie et Bartholomé
Georgeijevic fournirent les premières informations détaillées. À la
suite des traités de paix, que les Ottomans ne signèrent d'abord
que pour une période limitée, outre les diplomates, un nombre
croissant de marchands et de pèlerins entreprirent des voyages
dans les territoires ottomans. Ces voyageurs s'efforcèrent de
conserver le souvenir de leurs expériences notamment sous forme
visuelle. Les dessins effectués ou achetés in situ furent rassemblés
dans des albums, qui trouvèrent place dans les collections d'éru-
dits ou d'artistes humanistes. Une partie de ces dessins fut inté-
grée par la suite à des ouvrages récapitulatifs sur les coutumes et
les costumes des peuples de la Terre, un type de publication par-
ticulièrement apprécié à l'époque des grandes découvertes. Avec
les récits des voyageurs, l'échange de présents diplomatiques -
horloges, armures et automates offerts à la Sublime Porte ou des
textiles et des plantes qui en furent rapportés - joua un rôle impor-
tant dans le transfert culturel entre l'Europe et l'Empire ottoman.
RB
GENTILHOMME DE
GUERRE ET DE PAIX
Les personnages représentés sur ces portraits jouèrent
un rôle de premier plan dans un moment particulière-
ment important de l'histoire de la république de Venise.
Sebastiano Venier (1496-1578) exerça des fonctions
politiques et militaires, alors que Marcantonio Barbaro
(1518 - 1595) fit une carrière politique et diplomatique.
Les deux portraits célèbrent une période faste, celle qui
consacra la victoire des puissances occidentales contre
les Turcs à la bataille de Lépante (7 octobre 1571) et qui
aboutit à la conclusion d'un traité de paix séparée entre
la Sérénissime et l'Empire ottoman (1573).
Nommé capitano generale da mar en mars 1571,
Sebastiano Venier reçut le commandement de la flotte
vénitienne le 10 avril 1571, des mains du provveditore
generale da mar, Agostino Barbarigo. Doté d'un caractère
impétueux et autoritaire, il entretint des relations dif-
ficiles avec ses alliés, en particulier avec les Espagnols.
Placé à la tête de 110 galères vénitiennes, il permit à don
Juan d'Autriche de s'emparer du vaisseau du comman-
Cat. 40
dant ottoman. Le portrait représente Sebastiano Venier Artiste vén it ien
en buste, revêtu de son armure, tenant dans la main Marcantonio Barbara, ambassadeur à Constantinople
droite son bâton de commandement en argent, orné Vers 1573
du lion de saint Marc. La cape, de couleur pourpre, est Huile sur toile, 122 x 100 cm
In scri ption:« E[ccellentiss]s1Mo domino Mahomet musulmanorum /
fermée par des boutons en or, privilège du capitano gene- Visirio amico optima» (sur la lettre qu'il tient dans la main droite)
rale da mar. Son casque est posé devant lui, à droite. Au Vienne, Kunsthistorisches Museum, Gemâldegalerie, inv. GG 29

second plan, une fenêtre ouvre sur une vue de la bataille


de Lépante. En 1571, l'amiral vénitien avait 75 ans: ses
cheveux et sa barbe sont blancs, mais son regard et son Le portrait obéit aux canons du portrait officiel véni-
attitude expriment toute l'énergie et toute la détermi- tien, tel qu'il avait été codifié par Tintoret, et fut sans
nation du chef de guerre. Volontaire et pénétrant, son doute exécuté par un peintre qui travaillait dans l'atelier
regard se dirige sans hésitation vers le spectateur. Le de l'artiste. Marcantonio Barbaro est représenté dans
portrait est sans aucun doute l'un des chefs-cl' œuvre de une pièce dont la fenêtre s'ouvre sur le golfe d'Istanbul,
Tintoret, qui réussit, sans recourir aux poses et aux attri- vers la Corne d'Or, avec la tour de Léandre - Kiz Kulesi
buts conventionnels, à rendre le caractère du person- - au premier plan. Le palais de Topkapi se dresse sur la
nage par son expression et son attitude. La touche rapide rive gauche, tandis que le quartier de Pera s'étend sur
mais vigoureuse souligne les scintillements du métal et la rive droite. Pour exécuter cette vue, l'artiste s'est ins-
les reflets de la cape. piré de la carte d'Istanbul du Vénitien Giovanni Andrea
Après la bataille de Lépante, la république de Venise Vavassore (cat. 3).
confia à Marcantonio Barbaro le soin de défendre ses Les rapports que Marcantonio Barbaro envoya au
intérêts. Brillant diplomate, il avait exercé de hautes Sénat de Venise témoignent de sa profonde connais-
fonctions politiques et administratives, avant d'être sance de la mentalité turque et d'un sens aigu de la
nommé ambassadeur à Constantinople en 1568, à un diplomatie. Dans un langage simple mais expressif,
moment où les tensions étaient vives entre Venise et une de ses mémorables observations rend compte de sa
l'Empire ottoman. Après la victoire de Lépante, le Sénat conception de la diplomatie : « On peut dire que l'art de
de Venise chargea Marcantonio Barbaro de négocier négocier équivaut à jouer avec une balle de verre qu'il
secrètement une paix séparée avec les Turcs. En mars faut toujours tenir en l'air avec habileté sans la laisser
1573, il fit parvenir à Venise un projet de traité, lequel fut tomber par terre ni la renvoyer avec précipitation, au
ratifié en mai de la même année. C'est sans doute à ce risque de la briser, mais en la tenant habilement, puis
traité que le portrait fait allusion. Le personnage - iden- en la renvoyant au bon moment et avec vivacité. »
tifié avec Marcantonio Barbaro dès la fin du xvm• siècle FDT
- tient en effet dans sa main droite un document pourvu
d'un sceau appendu à un cordon de soie rouge, avec une Bibl.: Vienne 1991, p. 122; Rossi 1994, p. 144, n ° 33;
inscription qui fait allusion à son amitié avec le vizir Ferino-Pagden 1999, p. 292-293; Krafft 1854, p. 145-146; Burns 2008,
cat.119.
Sokollu Mehmet Pacha.

Cat. 39
Tintoret (Jacopo Robusti, dit) (Venise, 1519 - Venise, 1594)
Sebastiano Ve nier, do9e de Venise
Après 1571
Hu, e sur toile, 104.8 x 83,5 cm
130 131
"1r. t:.:if~-,.,;. ii/F ·t ~ §~~·::~
' . .
N.fl.
I
LE RAPPORT D'UN TRADUCTEUR
En août 1530, une délégation de vingt-quatre person- les observations sur la culture quotidienne des régions
nes ayant à leur tête le comte Joseph Lamberg zu visitées, qui se retrouvent dans les illustrations. De
Schneeberg et Niklas Jurischitz - chevalier, militaire et même que la gravure de la page de titre où l'on voit la
trésorier héréditaire en Croatie - quitte Augsbourg pour délégation remettre son message au sultan, celles-ci
Constantinople, où elle parviendra le 17 octobre. sont l'œuvre de Jèirg Breu le Jeune, d'Augsbourg (New
Les ambassadeurs ont reçu de Ferdinand rer (1503-1564), Ho. n °s 50-58 ). Elles ne présentent que les-fortifica-
roi de Bohême, de Croatie et de Hongrie à partir de tions de Bosnie les plus importantes du point de vue
1526 -1527, la mission d'engager des pourparlers avec stratégique : la forteresse et le village de Cruppa (auj.
« l'empereur turc» Soliman. Bosanska Krupa ; n° 51); Camengrad (auj. Kamengrad ;
Benedikt Kuripesié, l'auteur de l'ouvrage présenté n° 52) ; Glutz (auj. Kljuc; n° 53) ; Ssokholl / Falckhenstein
ici, faisait partie de cette délégation au titre de traduc- (auj. Soko Grad; n° 54); Khonatza (auj. Konaca ; n° 55) ;
teur en latin (« Lateinischer Tulmaetscher », comme il Vischegrad (auj. Visegrad; n° 56) ; Suetzay (auj. Zvecaj;
l'écrit). Kuripesié, dont le nom en allemand est Benedict n° 57). Len° 58, un caravansérail à Constantinople avec
Curipeschitz von Obernburg, est d'origine slovène. Son la tour de Galata, constitue une exception.
récit se présente sous forme d'un journal où il décrit BKE
chaque étape du voyage. Il se distingue par la fidélité
des descriptions géographiques et topographiques et Bibl. : VD 16, K 2591; Géillner 1961, vol. 1, n° 416.

Cat. 41·
An onyme
Vu e de la mosquée Süleymaniye à Istanbul
XVI ' siècle
Dessin à la plume, lavis ro uge et sépia, 19,6 x 29,7 c m
T itre: Kuntterfettung de/3 Turkyschen Kaisser Su/dan Suleiman Kirchen
in Constantinop el Stembul
Berlin, Staatliche Museen Pre uBischer Kulturbesitz, Kunst bi bliothek, inv. HdZ 4169

LA MAGNIFIQUE MOSQUÉE DE SOLIMAN


ET SES ADMIRATEURS
Ce dessin représente la mosquée Süleymaniye construite les cérémonies célébrées le 8 octobre 1557 à l'occasion
par l'architecte Mimar Sinan (vers 1490-1588) au centre de la pose de la clé de voûte de la coupole, marquées
d'un vaste complexe. Cet ensemble, fondé par le sul- par le sacrifice d'un grand nombre d'animaux et la libé-
tan Soliman, l'un des chefs-d'œuvre de l'architecture ration de 400 prisonniers et de 100 chrétiens. Malgré
ottomane classique, constitue encore aujourd'hui l'une ces descriptions détaillées, les spécialistes excluent que
des dominantes topographiques d'Istanbul. Ce dessin l'esquisse ait été exécutée d'après nature, mais pensent
du xvr• siècle témoigne l'intérêt que des voyageurs qu'elle aurait été faite d'après des notes ou à partir de
européens portaient à l'architecture ottomane de leur la maquette de l'édifice.
époque. Les éléments soulignés à l'encre rouge et sépia RB
ainsi que les annotations suggèrent que cette esquisse
devait servir de base à une élaboration ultérieure. Un Bibl.: Francfort-sur-le-Main 1985, vol. 1, p. 233, cat. I/55; Rogers 1987,
texte assez long dans l'angle supérieur droit rapporte p. 187; Berlin 1988, p. 71, cat. 5. Cat.42
Benedikt Kuripesi é (vers 1490 - ?)
ITINERARIVM / We9rayft Kün[i9lich] May[estiit] pot- / schafft /
9en Constantinopel / zudem / Türckischen keiser Soleyman,
Anno xxx [...] m.d.xxxi, Augsburg, Steiner, 1531
Avec dix gravures sur bois (de neuf bois gravés) de Jërg Breu le Jeune
(Augsbourg, vers 1510 - Augsbourg, 1547)
Gravure sur bois, 15.4 x 9 ,8 cm
Vienne. Kunsthistorisches Museum, Biblîothek. inv. 15.071

1 ,7
LE REGARD DU PÈLERIN religieuses d'Orient qui suscitèrent l'intérêt de savants
et d'artistes comme Carpaccio et Mantegna (voir Vickers
Vers 1483-1484, Bernhard von Breydenbach (vers 1440- 1977 ). La xylographie présentée ici accompagne le récit
1497 ), doyen de la cathédrale de Mayence, entreprenait de la conquête, en 1470 par les Ottomans, de l'île de
un pèlerinage en Terre sainte avec Johann zu Solms-Lich Negroponte (Eubée) placée sous souveraineté véni-
(1437-1484), pèlerinage qui conduisit les deux hommes tienne. Elle montre une musique militaire équestre -
jusqu'en Égypte. Solms mourut pendant le voyage en fait, comme l'explique le texte, sous la forme qu'elle
de retour, mais peu après être rentré en Allemagne, présente « en temps de paix». Les cavaliers y sont dési-
Breydenbach publia ses descriptions de voyage dans gnés comme des genetzer, déformation allemande du
une édition latine et une édition allemande. Selon les turc yeniçeri (janissaires), et comme turci (Turcs). Quant
indications du colophon, le livre fut imprimé dans la à savoir d'où Reuwich a pu tirer sa connaissance plutôt
maison du peintre Erhard Reuwich (que l'on a parfois exacte de l'aspect des musiques militaires turques, la
identifié au Maître du Livre de Raison), mais les types question n'a pas encore trouvé de réponse définitive.
utilisés renvoient à l'atelier mayençais expérimenté Le groupe de pèlerins n'ayant traversé aucun territoire
de Peter Schoeffer. Reuwich, qui avait accompagné les placé sous souveraineté ottomane, la proposition de
deux pèlerins, conçut aussi les gravures d'illustration Timm selon laquelle l'artiste aurait pu étudier des
qui assurèrent l'extraordinaire popularité de l'ouvrage: modèles de l'entourage de Gentile Bellini à Venise,
jusqu'en 1525, douze éditions paraîtront en allemand, mérite réflexion.
français, latin, néerlandais et espagnol. À côté de vues GM
panoramiques des villes visitées en chemin - Venise, Cat.44"
Modon (Meth6ni) ou Jérusalem-, dont la précision Bibl.: GW 5075; Amsterdam et Francfort-sur-Je-Main 1985, Conrad Gesner (Zurich, 1516 - Zurich, 1565)

topographique et les détails étaient alors totalement n° 142 (Jan Piet Filedt Kok); Timm 2006, p. 227-229, ill. 117; Denke 2011, Tulipe, 1559
p. 201-202 et 263-264; Ross 2014, p. 14, 80, ill. 8. Aquarelle sur papier, 54 x 38 cm
inédits, ce sont surtout les représentations de membres
Erlangen, Universitiitsbibliothek Erlangen-Nürnberg 1
de différents groupes humains ou communautés Handschriftenabteilung, ms. 2386, F 220v.

LA PREMIÈRE TULIPE EN EUROPE?


En 1554 et 1558, le Flamand Ogier Ghislain de Busbecq un lis rouge». Gesner dessina la fleur mystérieuse et
(1522-1592) se rendit à Constantinople comme ambas- griffonna des annotations à côté de son croquis. Bien
sadeur impérial. Plus tard, dans ses mémoires publiés que celui-ci montre une des toutes premières tulipes
en 15 81, il racontera que, lors de son premier voyage, documentées en Europe, des fleurs comparables furent
il eut la surprise de voir des fleurs sauvages s'épanouir signalées au même moment dans le Nord de l'Italie.
en plein hiver. Arrivé à destination, il avait payé une En Europe méridionale, la tulipe était probablement
somme importante pour acquérir quelques bulbes de connue depuis beaucoup plus longtemps, grâce au com-
ces « tulipan », qu'il expédia ensuite chez lui, introdui- merce avec le Proche-Orient.
sant ainsi la fleur en Europe. Quoi qu'il en soit, à partir de Gesner, le marché de la
Le livre de Busbecq se compose de «lettres» qui tulipe s'emballa. Le célèbre botaniste Carolus Clusius
remontent apparemment à l'époque de ses voyages, mais (Jules Charles de L'Ecluse, 1526-1609) rapporta qu'en
dont la rédaction date en fait du début des années 1580. 1563, un négociant anversois, entré par hasard en posses-
En mentionnant la tulipe, l'ancien ambassadeur comp- sion d'un paquet de bulbes précieux, commença par en
tait probablement s'attribuer la «découverte» de cette déguster une partie, puis planta les autres dans l'espoir
fleur à la popularité croissante. Mais sa mémoire lui d'en tirer des oignons exotiques. Mais, au lieu d'oignons,
joua des tours: même dans l'Empire ottoman, les tulipes il récolta des tulipes. Clusius lui-même introduisit la
ne fleurissent pas en hiver. Il y a donc gros à parier qu'il tulipe dans les Pays-Bas septentrionaux. Et cette fleur
ne les vit pas en 1554, mais seulement en 1558, année devint bientôt si populaire que son jardin fut envahi par
où son voyage s'était déroulé au printemps. Il est peu les pillards. La tulipomanie qui s'ensuivit déboucha sur
probable qu'à peine débarqué à Constantinople, Busbecq la première « bulle spéculative» de l'histoire.
se soit hâté de procéder à l'envoi des bulbes. Dès 1559, KVC
pourtant, le physicien suisse Conrad Gesner aperçut une
tulipe dans le jardin du magistrat d'Augsbourg Johann Bibl.: Busbecq 1927, p. 24-2 5; Clusius 1951; Pavord 1999, p. 53-89;
Heinrich Herwart. Un bel exemplaire, «grand comme Dash 1999, p. 29-45; Goldgar 2007, p. 20-61.
Cat. 43
Bernhard von Breydenbach
Cavaliers ottomans (Mu sique militaire) (non folioté )
Pere9rinatio in Terram Sanctam [...] (titre), [... ] impressum ln civitate Moguntina Anno
salutis M.CCCC.Lxxxv1 [... ] (colophon ), Mayence (Erhard Reuwich et Peter Schôffer [?]) 1486
Enrichi de vingt-huit gravures sur bois d'Erhard Reuwich (Utrecht, vers 1450/1455? - Mayence, vers 1490 ?}
Gravure sur bois, 11,9 x 12 cm
Bruxe es. s· èQue rovale de Belgique. Imprimes anciens et prèc eux, nv. inc B 223
134 135
LE MONOGRAMME D'OR L'ARME DU SULTAN
DU SULTAN Toutes les parties métalliques, hormis la lame, sont
dorées et en partie ornées de médaillons gravés, autre-
Ces traités de paix signés par le sultan Bajazet II sous fois émaillés. Au revers du fourreau en cuir noir lissé se
forme de documents appelés 'ahdname, furent remis trouvent deux médaillons frappés de la tugrâ du sultan
à Jean 1er Albert et Alexandre 1er, rois de Pologne de la Soliman 1er. Ce sabre décrit dans l'inventaire du château
dynastie des Jagellon. Chaque document, généralement d'Ambras de 1583 sans indication de propriétaire peut
enfermé dans un coffret scellé et délivré par un mes- donc être associé à ce sultan. Le sabre à lame courbe
sager (çavu§) accompagnant l'ambassadeur, est pourvu était l'arme par excellence des membres de la cavalerie
d'un monogramme doré du sultan (tugrâ) et écrit dans ottomane, et son port avait valeur de symbole statu-
une langue européenne. Le premier, rédigé en latin, taire - tout comme dans la culture chrétienne l'épée ou
offrait à la Pologne une extension de la trêve pendant la rapière. Le sabre turc, ou kilij (turc kiliç) présente un
trois ans après la mort du roi Casimir IV Jagellon et élargissement au niveau du dernier tiers de la lame, ce
le couronnement de son fils Jean Albert, ainsi qu'une qui augmente la puissance du coup. Le déplacement du
confirmation de droits commerciaux illimités et la poids vers l'extrémité du sabre en rend le maniement
garantie de la sécurité des marchands. L'acte fut finale- plus difficile, mais permettait au guerrier de trancher la
ment ratifié à Cracovie en juin 1494. L'autre document, tête de son adversaire d'un seul coup.
rédigé en italien, assurait un prolongement de la trêve
pour cinq ans, négocié par Mikolaj Firlej, émissaire délé- Bibl.: Washington, Chicago et New York 1987-1988, p.157; Berlin 1989,
gué auprès de la Sublime Porte. Ce traité fut signé dans cat. 7/67, p. 721; Vienne 1990, p. 242-243.
l'espoir de mettre fin aux incursions continuelles des
Tatars de Crimée dans les régions frontalières méridio-
nales du grand-duché de Lituanie.
La délivrance de documents officiels en langues euro-
péennes était une pratique peu courante à la cour impé-
riale ottomane; elle n'eut d'ailleurs cours que pendant
une brève période des relations avec les rois de Pologne
et fut abandonnée par la chancellerie du sultan après
1525. L'emploi de langues européennes dans des docu-
ments officiels rédigés par des interprètes de la cour
(dra9oman) est un exemple intéressant des influences
culturelles sur la cour impériale de Constantinople.
MD

Bibl.: Kolodziejczyk 2000, p.11-14, 21, 26, 32, 39, 44, 69-70, 110-111,
202-204 et 210-212; Abrahamowicz 1959, p. 27-28, n° 9; p. 29, n° 11.

Cat. 45 (voir p. 22)


Ahdname du sultan Bajazet II pour le roi Alexandre I" Jagellon
Constantinople, 9 octobre 1502
Papier, lin, ruban de soie, encre, couleurs dorée, bleue et noire. 87,5 x 30,5 cm
Varsovie, Archiwum Glôwne Akt Dawnych, sign. AKW, dz. tur., k. 66, t . 11, n° 26

Cat. 47
Atelier ottoman
Sabre et fourreau de Soliman le Magnifique
Vers 1550
Argent. dorures, fer, cuir, 97,5 x 19 x 2,8 cm
Tugrâ du sultan Soliman
,.,,,.. :jt~~ "W"'""" .Jk,.,.:A:,. ';f)f""',,_.,~, 15oz. Vienne, Kunsthistorisches Museum, Hofjagd- und Rüstkammer, inv. A 1341

• tî 92, .'.l.11:lO.

Ca,: ••

name du sultan Bajazet II pou r Jean I" Albert, roi de Pologne


Consranùnople, 6 avril 1494
?a;>oe<-. llin. ruban de soie. encre, couleurs dorée et noire, 69.5 x 28 cm
- 4,ra Se,im-µf, bin Bayezid han muzaffer da'ima [Bajazet, fils de Mehmet. khan
.-ictorieux)

136 13
PRÉCIEUX CADEAU
Depuis le milieu du XVIe siècle, l'empereur romain
germanique était représenté à la Sublime Porte par un
ambassadeur qui devait notamment remettre le tribut
annuel. I;obligation d'offrir des présents honorifiques
(munera honoraria) ne s'appliquait pas seulement à l'em-
pereur habsbourgeois, mais aussi à d'autres souverains,
tant occidentaux qu'orientaux, comme le roi de Pologne,
le prince de Transylvanie et les cités-États italiennes
comme Venise ou Florence. La composition des présents
honorifiques impériaux incombait aux baillis impé-
riaux de Souabe, à qui leur séjour à Augsbourg donnait
un accès aux marchés concernés. La ville d'Augsbourg
remplissait toutes les conditions requises - pour le
change des monnaies nécessaires au présent turc et
comme centre de l'artisanat d'art en Allemagne du Sud.
eon y trouvait les horloges et les armes dont la cour
d'Istanbul était friande. Pour le prolongement de l'ar-
mistice de 1592, qui n'entra jamais en vigueur, le grand
vizir Sinan Pacha exigea expressément des armures
et des armes de poing pour l'achat desquelles le bailli
reçut les instructions correspondantes. Les projets d'un
casque et d'une cuirasse pour l'année 1590 sont conser-
vés aux archives de la cour. Les deux pièces inspirées
du goût oriental, un casque (zischagge) et une cuirasse
(plastron et dossière), furent sans doute fabriquées
comme présents destinés au grand vizir Sinan Pacha,
mais ne furent finalement jamais livrées du fait de la
« Longue Guerre» turque de 1592-1606. Tout comme
la cuirasse, la zischagge est richement décorée. Elle est
cannelée et ornée de traits gravés à l'acide et dorés. Dans
les champs séparant les cannelures dorées sont rivetées
des rosettes en bronze dans lesquelles ont été sertis des
cristaux de roche. Le pare-soleil est traversé d'un nasal
ajustable. Les garde-joues présentent des rosettes audi-
tives en relief en forme d'ovale pointu. Toutes les parties
sont décorées d'ornements dorés sur fond bleui. Sur
l'arête médiane de la poitrine sont rivetés cinq grands
médaillons en bronze dans lesquels sont serties des
pierres fines.
MP

Bibl.: Vienne 1988-1989, p. 285-286; Vôlklingen 2005, p. 8-9 ;


Vienne 2005, p. 168.

Cat. 4 8
Armurier augsbourgeois (?)
Zisch agge et cuirasse
Vers 1590
Fer nu, décor gravé à l'acide, bronze, dorures, pierres fines
A 613: 56 x 30 x 40 cm (socle et casque compris)
A 1450 : f'Qx6Qx6Qcm
139 V>enne. . orisches seum. Holjagd- und Rüstkammer, inv. A 613 et A 1450
UNE IMPOSANTE
DÉLÉGATION
En 1620, pour la première fois au début de la période
moderne, la Pologne fut directement impliquée dans
une guerre contre l'Empire ottoman. Les armées de l'État
polono-lituanien furent battues à la bataille de Cecora
(roum. Tutora), et leur commandant en chef, le hetman
Stefan Z6lkiewski, fut tué au combat. En 1622, le roi
Sigismond III Vasa délégua une mission diplomatique
à Constantinople auprès du sultan Murat IV, conduite
par Krzysztof Zbaraski (1579-1627 ), grand-écuyer de la
Couronne, staroste de Wislica et de Hrubiesz6w. L'une
Cat. 49••
Nik las Stôr (t 1562 ?) de ses missions consistait à délivrer des prisonniers
Éditée par Wolfgang Resch polonais capturés par les Ottomans. Cette légation, que
Girafe présentée co mme un cadeau à Laurent de Médicis, 1529 Zbaraski finança lui-même en partie, est réputée la plus
Xylogravure et presse t ypographique, 28,5 x 38 cm
Insc ription : Hie steet ein Thier recht kunterfeck t/ Drum= Il metare genannt/
somptueuse de l'histoire de la diplomatie polonaise.
Welches der Türckisch Key= Il ser einem Bürger zu Florenz geschenk t hat ..[...] L'un de ses membres, Samuel Twardowski, en a donné
Gotha, Stiftung Sc hloss Friedenstein, Kupferstichkabinett, inv. Xykl.1329
une description dans un long poème intitulé Przewaina
legacyja, publié à Cracovie en 1633.
Ce portrait en pied représente Zbaraski en ambas-
LA GIRAFE FLORENTINE sadeur de l'État polono-lituanien à un moment histo-
rique. Il porte un delia ottoman aux motifs brodés de
En 1486, une mission d'Orient arrivait à Florence fleurs de chardon - probablement un hil'at, manteau
accompagnée d'un présent insolite destiné à Laurent de d'honneur offert par le sultan à ses visiteurs éminents.
Médicis (1449-1492): une girafe vivante pour la ména- Son bras gauche écartant un pan du manteau découvre
gerie exotique du duc. L'animal fit grande sensation un sabre aux riches ornements et un zupan (vêtement
dans la ville, où l'espèce était seulement connue par une traditionnel des nobles polonais) blanc. Le costume est
effigie satirique réalisée à la demande du duc. La girafe complété par des chausses noires et de courtes bottes
ne survécut hélas pas longtemps, mais sa mémoire fut jaunes à talon de style turc. Zbaraski se tient près d'une
immortalisée par la poésie, la peinture et d'autres genres petite table couverte d'un tapis oriental, il tient à la main
artistiques. La même chose fut tentée en Allemagne, droite une bourse contenant la rançon des prisonniers.
notamment en 1529 avec une gravure sur bois de Nildas Le livre posé sur la table symbolise l'érudition du diplo-
Stor incluse dans une série publiée par Wolfgang Resch. mate, qui avait été l'élève de Galilée.
Stor a représenté la girafe en compagnie de l'esclave qui Ce portrait qui évoque un moment crucial des rela-
s'en occupait, un homme enturbanné d'apparence orien- tions polono-turques présente des traits caractéristiques
tale, et s'est inspiré pour cela en partie de !.:Adoration du portrait sarmate, très populaire dans la noblesse
des rois mages (1486-1490), fresque de Domenico polonaise. Il s'apparente par sa forme au portrait de
Ghirlandaio (Florence, Santa Maria Novella, chapelle cour (voir cat ..162), dans lequel la grandeur de la repré-
Tornaboni) dans laquelle on peut voir au second plan sentation crée une certaine distance entre le modèle et
une girafe conduite par des figures orientales. le spectateur et dont la qualité artistique est reléguée à
On a longtemps cru que la girafe était un présent l'arrière-plan par le réalisme des détails anatomiques,
du sultan ottoman, et cette affirmation se retrouve la tendance au linéarisme et la signification symbolique
dans la légende ajoutée par l'imprimeur. Des décou- des objets entourant le modèle.
vertes récentes indiquent toutefois que l'animal fut MD
envoyé à Florence par Al-Achraf Sayf ad-Dîn Qa'it Bay
(1416/1418-1496), le sultan mamelouk d'Égypte qui Bibl. : G~barowicz 1969, p. 29-3 2 ; Varsovie 1993, p. 331, cat. 57
cherchait à obtenir le soutien des Médicis. (Tatiana Sabodasz); Twardowski 1633.
MD

Bibl.: Ringmar 2006, p. 353-397 ; Belozerskaya 2006, p. 87-129;


Faust 2001, n° 403, p. 128-129 ; Réittinger 1925, p. 239.

Cat . 50 ( pages suiva ntes)


Jost Amman (Zur ich, 1539 - Nure mberg, 1591)
Arrivée de l'amba ssade ottomane à Francfort , le 23 novemb re 1562, Cat . 51 ''
Artis te anonyme de Lviv
po ur l'élection de Max imilien à la dign ité de roi des Romain s
Gravure sur bois (huit planches), 71 x 108,5 cm
Por t ra it de Krzysztof Zbara ski, vers 162
Inscript ion à gauche sur le bastion : SPOF ; en bas à gauc he, signé /A ; sous l'image, Yuile sur toile, 195,5 x 117 cm
sur t rois lignes : VerzeichnuB vnd Beschreibung, der gwaltigen Türckischen Botschafft nscription âgauche : VSTAFEO TVRCARVM II PERATORII POTENTI-ISIMO
eintrfth, zu Franck furt [_] abgeferttigt worden Lviv, /lbS·BCbKa ·o an a ranepesi , cTe1~ra llvivska atsiona1na
• .! ) GaJen,ia L· . -5894
Oxfo,d The Ashmolean Museum, nv. L01408.1(WA1863.3069) 140
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LES OTTOMANS DES HÔTES EXOTIQUES ~/'.,)ri

DEVANT FRANCFORT ET UN COLLECTEUR


Maximilien II (1527-1576), qui devait hériter de la dignité
DE NOUVELLES
impériale à la mort de son père Ferdinand J•r en 1564, fut
couronné roi des Romains dès 1562. Son couronnement Cette œuvre d'un peintre proche de la cour de
eut lieu le 14 mai à Prague, tandis que son élection par Heidelberg paraphrase une gravure de JostAmman
le collège des princes-électeurs en présence de son père (cat. 50), où l'on voit les chefs de la délégation otto-
et empereur, n'eut lieu que le 24 novembre à Francfort- mane, le cheval somptueusement harnaché apporté en
sur-le-Main. La gravure de grand format dont le présent cadeau et une unité de soldats montant des chameaux.
exemplaire semble être le seul aujourd'hui conservé, Ce tableau de format à l'italienne fut commandé par le
décrit l'arrivée, la veille de l'élection, de la délégation juriste Marcus zum Lamm (1544-1606), conseiller ecclé-
ottomane dirigée par le bey Ibrahim. L'envoi de cette délé- siastique à la cour du Palatinat électoral à Heidelberg,
gation (la troisième envoyée à Ferdinand 1er par Soliman qui pendant plusieurs décennies fit réaliser des copies
Cat. 53' '
le Magnifique), présupposait la conclusion d'un traité de peintes d'après des gravures. Il les rassembla avec ses Lambert de Vo s (doc. à Malines, 1563 ; doc. à Const antinople, 1574)
paix entre le Saint Empire et la Sublime Porte qui avait été notes personnelles dans les trente-neuf volumes thé- Livre des costumes avec le cortège de la Sublime Porte, 1573- 1574
signé peu de temps auparavant. La délégation ottomane, matiques du Thesaurus picturarium, un imposant cor- Aq uarelle sur papier, 40,3 x 27 c m
Reliure en maroquin rouge, 8 c ahiers, 125 folios
qui ne comptait en réalité que cinquante-trois membres, pus illustrant ce qui intéressait un personnage cultivé Brême. Staats- und Universitiitsbiblioth ek, inv. Ms. or. 9
a été élargie jusqu'à en faire un cortège essentiellement et actif en politique à la fin du xv1e siècle. Dans cette
composé de soldats qui s'étire à perte de vue.Amman ne collection de la fin de la période humaniste, les infor-
s'est pas seulement attaché à livrer une description minu- mations concernant les Ottomans occupent une place
tieuse des armes et des costumes, mais a aussi réalisé considérable. Le volume Turcica (xv) contient plus de LIVRE DES COSTUMES OTTOMANS
une mise en scène particulièrement efficace en faisant cinquante représentations de costumes ainsi que des
démarrer le cortège au premier plan à droite, où six dro- portraits de sultans. Marcus zum Lamm participait régu- Dans les années 1570, le juriste et humaniste gantois d'innovation. L'artiste suit les sentiers battus du genre
madaires chargés de présents destinés au roi et à l'empe- lièrement aux événements politiques importants, aussi Karel Rijm (t 15 83) fut pendant six ans ambassadeur et se base sur des formats usuels dans le monde des
reur sont représentés en place proéminente. Le reste du est-il vraisemblable que lui-même ou les artistes travail- de l'empereur romain germanique Maximilien II à la livres de costumes, comme le recueil du Gantois Lucas
cortège s'étire ensuite dans les profondeurs de l'image en lant pour lui aient vu des Ottomans. Cette expérience cour de Sélim II et Murat III, à Constantinople. Sa suite de Heere ou les costumes turcs tels que nous les retrou-
suivant une puissante courbe en S qui se termine devant a pu influencer la représentation en couleurs de cette comprenait notamment le peintre malinois Lambert de vons entre autres dans les livres des costumes conser-
une porte de la ville, où la délégation est accueillie par scène, où est mise en avant la splendeur du cortège et Vos, qui avait accédé à la maîtrise en 1563 et que nous vés au L.A. Mayer Memorial Museum of Islamic Art à
des feux d'artifice. Avec ce déploiement de fastes, l'artiste des animaux exotiques qui l'accompagnent. connaissons seulement par un petit tableau signé, un Jérusalem ou à la forteresse de Cobourg (inv. N, HZ 12).
rendait hommage à Ferdinand 1er et à Maximilien, qui RB Calvaire (vers 1573; collection privée), et par ses réali- Avec les Mœurs et fachons de faire de Turcz de Pieter
reçoivent la délégation, autant qu'à celui qui l'a envoyée, sations visuelles au service de Rijm, dont trois dessins Coecke van Aelst, par ailleurs, la génération précédente
le sultan Soliman 1er. En même temps, il misait sur l'inté- Bibl.: Heidelberg 1991, p. 14-20; Haase 1991; Meise 2008. de l'intérieur de la mosquée Hagia Sophia (Freshfield avait laissé un livre des costumes d'une tout autre allure
rêt d'un public féru d'objets et d'animaux exotiques. Album; Cambridge, Trinity College, Ms. 0.17-2, fbs 8-10) (voir cat. 68). Pour son reportage illustré, Lambert de
GM et ce beau livre des costumes de 1573-1574, inachevé Vos s'est manifestement inspiré chaque fois que possible
mais constituant, à notre connaissance, son œuvre la plus d'autres artistes, sa « femme assise chez elle» n'ayant
Bibl.: New Ho. 246 ; Rudolph 2005 , p. 312-313. importante. Celui-ci contient 104 dessins (103 foliotés, certainement pas été prise sur le vif L'ouvrage de Brême
auxquels s'ajoute un folio 63bis). Les folios destinés à la compte néanmoins parmi les manuscrits remarquables
page de titre et aux pages liminaires sont restés vierges, du genre, car, même s'ils tiennent du lieu commun, les
mais au verso de la huitième page, on peut lire l'inscrip- dessins de Lambert de Vos ont quelque chose d'authen-
tion: Lambertus de Voss [sic] Mechliniensis/ S Caroij Rijmij tique, qui s'exprime dans la vivacité de certains détails
Caesarei Oratoris/ Pictor, Constantinopoli.Anno mdlxxiii/ observés sur place et gravés dans sa mémoire. Cette par-
pingebat. ticularité confère à son œuvre un certain charme et en
L'ouvrage rassemble une série de dessins de costumes fait un matériau source intéressant pour la recherche en
traditionnels turcs, généralement avec une ou deux histoire culturelle, de plus en plus pratiquée à l'heure
figures par page. Les quarante-neuf premiers dessins actuelle.
forment un long cortège hiérarchique de hauts person- L'ouvrage est ouvert au folio 71, une feuille dépliante
nages. Une dizaine de feuilles, consacrées à des scènes composée de trois feuillets collés ensemble : un cortège
plus complexes, animent un peu l'ensemble: le« cortège de noces escortant une fiancée, invisible sous un dais,
de noces» (folio 71) et une autre procession (folio 101), vers la maison de son futur époux. Un spectacle jamais
qui ont droit l'un et l'autre à une feuille dépliante, les vu, digne d'un reportage!
danseuses du folio 74, la bousculade lors de la distribu- PH
tion des aumônes au folio 47 et l'étonnant portrait de
la femme assise chez elle (folio 73). D'un profession- Bibl. : Huvenne 1978 ; Pedone 2011, p. 753-755 ; Radway 2011;
nel consciencieux comme De Vos, cependant, on ne Radway 2012.
peut cependant pas attendre un grand déploiement

Cat. 52 •
Anony me
Délégation ottomane à l'élec tion de Maxi mi lien II ,
empereur du Saint Empire, à Francfort-sur-le-Main en 1562
Couleur couvrante
Darmstadt. UniversJtâts- und Landesbibliothek, Hss. 1971, vol. XXIV, f" 3v
144 : 5
Cat. 55
Z acharias Wehme (Dres de, vers 1558 - Dresde, 1606)
Extrait de: Bildliche Darstellungen der Sitten
und Gebrüuche der Türken
CONGRÈS DES AMBASSADES 1581-1582
Encre de chine, peinture à l'eau et couvrante, re hauts or
et argent sur papier, ma rouflé sur toi le
La représentation de Grodno par Adelhauser et Zündt Dresde, Sâchsische Landesbibliothek - Staats- und
Cette gravure présente une vue panoramique Universitâtsbibliothek, Mscr. Dresd. J.2.a
de Grodno, au grand-duché de Lituanie (auj. en a fait l'objet de nombreuses copies destinées à des publi-
cations cartographiques. Cette vue, la première repré- Feuille 5 : Entrée dans la première cour du p alais de
Biélorussie). En 1568, la cité accueillit le congrès réuni Topkap i à Consta ntinople, p our la séa nce du Conseil
pour préparer l'union historique de la Pologne et de sentation picturale connue de Grodno, est une des plus du sultan, 36,2 x 136,3 cm
anciennes documentations conservées des relations (seu lement à Bruxelles)
la Lituanie, auquel participèrent des délégations de Feuille 6: Colonne de prisonniers et délégation
plusieurs nations: des Russes, envoyés par Ivan IV le diplomatiques polono-ottomanes. impériale dans la deuxièm e cour d u palais de Topkapi,
se rendant à /"a udience, 36 x 168 cm
Terrible, des Tatars et des Ottomans. La rencontre, qui MD
(seulement à Cracovie)
s'est tenue au milieu d'armées nombreuses, est repré-
sentée ici parmi les bâtiments de Grodno et de ses fau- Bibl.: G~barowicz 1981, p. 23-24, pl. 22-25; Varsovie 2000a, p. 49, cat. H6/2
bourgs rendus avec réalisme et un grand souci du détail. (Kazim ierz Kozica, Janusz Pezda); Len cznarowicz 2000, p. 94-96.
Composée de deux planches, cette veduta s'inspire d'une
gravure plus ancienne de Hans Adelhauser retraçant
l'entrée de la délégation du tsar à Grodno, où l'on voit
deux personnages se saluer. Zündt a repris plus d'une
fois ce motif, qu'il met en œuvre ici notamment avec
les émissaires ottomans.

RÉCIT ATTENDU DE LA COUR DU SULTAN


À la fin de 1581, le prince-électeur Auguste de Saxe description des cérémonies du palais de Topkap1, dont
(1526- 1586 ) chargea Zacharias Wehme, ancien élève de le déroulement était réglé par un protocole strict.
Cranach le Jeune à Wittenberg, d'effectuer une copie Ces feuilles aujourd'hui montées sous forme de frise
de l'ouvrage dit Türkenbuch de David Ungnad, baron décrivent les étapes de la réception de la délégation
Sonneck (1542-1600). Celui-ci, le premier protestant impériale en 1575. À l'aide d'images dépliables, la feuille
entré au service de l'empereur, fut ambassadeur auprès n° 5 représente deux scènes dans la première cour de
de la Sublime Porte de 1573 à 1578, et relata ses expé- Topkap1, le défilé et le châtiment de prisonniers, et l'en-
riences dans un livre paru en 1582. Pendant son séjour trée de la délégation impériale escortée par une unité
à Constantinople, Ungnad collecta également des repré- de cavaliers ottomans. Un protocole bien plus strict
sentations iconographiques qu'il fit ensuite copier par présidait aux activités de la deuxième cour du palais.
un serviteur. Ce procédé, assurant une documentation On le voit sur la feuille n° 6 à l'alignement des digni-
optimale, permit la création de son Türkenbuch qui taires ottomans et des gardes commandés par l'Aga des
n'est malheureusement pas parvenu jusqu'à nous. Les janissaires. Sous les yeux de l'élite de l'empire, une file de
Cat. 54 copies du Türkenbuch conservées à Dresde (Sachsische serviteurs portant les présents diplomatiques se dirige
Matth ias Z ündt (N ure mberg 1498 - 1572), d'après Hans Ade lhauser
Landesbibliothek bzw. Kupferstichkabinett, inv. Ca 114 et vers la salle d'audience. La salle d'apparat du sultan,
Vu e de Grodno, 1568
Ca 169 ) et à Vienne (Ôsterreichische Nationalbibliothek, représentée à l'extrémité droite de la feuille, est couverte
Gravure. 36,3 x 102 cm
Signature dans une note explicative : [... ) et primo sic à lohanne Adelhauser o consi- Cod. Vind. 8615, ayant appartenu à Hieronymus Bock de précieux tapis. Les membres de la délégation impé-
gna ta, ac deinde â Matthia Zunthio Nurmbergae p erecta, Anno Domini 1568. Dans la von Leopoldsdorf), ainsi que la copie partielle de riale, surveillés par des gardes, y attendent l'apparition
part ie cent rale, au-dessus de l'emblème : Vera designatio Urbis in Littavia Grodnae
C racovie, Muzeum Ksiqiqt Ozartoryskic h, inv. XV R.7024 Cracovie (auparavant Berlin; Staatsbibliothek, Lib pict. du sultan. Ils portent les caftans qui leur ont été remis
A 15), témoignent du grand intérêt de ses contemporains comme présents d'honneur (voir cat. 51 et 62). La copie
pour des informations authentiques. du Türkenbuch par Zacharias Wehme conserva son pou-
La copie de Wehme fut recensée dès 1587 dans le voir de fascination, même quand des informations sur
Trésor de Dresde comme « Illuminirtt turckenbuch ». Elle les coutumes de la cour sultanique furent accessibles à
ne servit pas seulement à des études ethnologiques, mais un plus large public. À Dresde, les scènes dessinées par
constitua également un important document pour les Wehme furent encore utilisées au xvnr 0 siècle comme
projets de politique extérieure, en particulier par la des- modèles pour le décor de fêtes à la cour.
cription minutieuse des rituels de la cour du sultan qui RB
n'étaient pas familiers aux diplomates européens. On y
trouve notamment des scènes détaillées expliquées par Bibl. : Schnitzer 1995 ; Dresde et Bonn 1995- 1996, p. 103-105,
des légendes écrites au-dessous, ainsi qu'un système de cat. 81 a-f (Claudia Schnitzer); Stichel 1996.
pliage du papier qui apporte un certain dynamisme à la

146 147
IMAGES OTTOMANES MONDES FASCINANTS POUR VOYAGEURS EN CHAMBRE
POUR DES YEUX À la fin du XVIe siècle, les livres de costumes proposant sut transposer du médium de l'eau-forte dans celui de
EUROPÉENS un vaste ensemble d'images ont connu une immense
popularité. La forte demande de ce type de publications
la gravure sur bois la structure de détail, subtilement
observée, de l'habit des deux enfants. La revendication
fut favorisée par les récentes découvertes de nouveaux de fidélité postulée par Nicolay dans son avant-propos
Cette représentation de l'épouse du sultan intronisée fait territoires en Amérique, mais aussi et surtout par les devait aussi susciter une longue série de reprises dans
partie d'un album de soixante-deux miniatures marou- récits venus de l'Orient ottoman. Concernant la repré- des recueils de costumes plus tardifs. Un exemple
flées ultérieurement sur carton et complétées par des sentation d'habitants de l'Empire ottoman, une des important en est le Janitschar de Jost Amman, copie
légendes explicatives en italien. La série s'ouvre sur six publications les plus influentes fut le récit de voyage inversée, avec quelques variations de détail, du Janissaire
portraits de sultans représentés en figures assises. Ces por- publié en 1567 à Lyon par Nicolas de Nicolay (1517- allant à la guerre (folio 137) des Navigations. La gravure
traits de souverains s'inscrivent dans un cadre richement 1582 ), géographe ordinaire du roi de France Henri II d'Amman parut une première fois en 1572 dans une
décoré et sont identifiés par une légende en turc osmanli. qui avait visité Constantinople en 1551-1552, et plus tard série de quarante-deux feuilles présentant la hiérarchie
Les autres images de la série montrent des membres de l'Algérie, dans le cadre d'une mission diplomatique, avec administrative ottomane. Un poème d'accompagnement
la cour du sultan, des militaires et des artisans. Bajazet II d'autres savants comme le botaniste Pierre Belon (1517- de Hans Sachs explique le recrutement des janissaires
étant le dernier sultan représenté, cette série pourrait avoir 1564). Les soixante-deux eaux-fortes de la première dans des familles chrétiennes dont la conversion à
été réalisée au plus tôt en 1512, année de la mort de celui-ci. édition de son ouvrage furent gravées par Léon Davent, l'islam et la formation subséquente comme gardiens
Le type d'écriture des légendes en italien suggère toutefois important aquafortiste de l'école de Fontainebleau, et du sultan intéressaient au plus haut point le lectorat
un achèvement de l'album au début du XVIIe siècle. C'est se distinguent par le renoncement aux compositions et européen. La série de gravures et le texte d'accompagne-
précisément pendant la seconde moitié du XVIe siècle que aux toiles de fond complexes. Les images s'appuient sur ment traitant de l'Empire ottoman furent incorporés
la mise en scène iconographique des hiérarchies sociales les dessins réalisés sur place par Nicolay et présentent à l'ouvrage général sur les costumes du monde publié
de l'Empire ottoman a connu son apogée avec les manus- des analogies certaines avec les illustrations des exposés en 1577 par Hans Weigel l'Ancien (1520/1525-1577), pre-
crits illustrés de silsilenâme (tableaux généalogiques) ou de scientifiques de l'époque. Cette revendication d'authen- mière publication du genre dans l'espace linguistique
sumâme, descriptions des opulentes festivités données en ticité et de précision, qui fut assurément influencée allemand. Le principe de l'insertion de motifs prédé-
l'honneur des membres de la famille du sultan. talbum par les échanges avec Belon, est encore perceptible finis dans de nouvelles configurations éditoriales s'est
conservé à Venise présente lui aussi quelques échos de ces dans la réimpression de 1577, pour laquelle l'artiste consolidé à la fin du XVIe siècle. C'est ce que montrent
deux genres, dans lesquels l'habillement joue également
le rôle d'indicateur central de la position sociale. La stra-
tégie iconographique appliquée par les peintres ottomans
rappelle par ailleurs le genre des recueils de costumes
ou de portraits, très populaires en Europe pendant les
dernières décennies du XVIe siècle (voir cat. 53 ). À la diffé-
rence de ces ouvrages imprimés qui cherchaient à donner
un aperçu général de la société, l'album ottoman présente
presque exclusivement la cour du sultan et met donc en
exergue une série de figures qui jouaient un rôle crucial
dans l'idée que l'Occident se faisait de l'Orient, à savoir le
sultan, l'eunuque et l'épouse du sultan. La représentation
de l'épouse du sultan intronisée est une des deux figures
féminines présentées dans l'album. Sa posture rappelle les
illustrations des manuscrits ottomans, tandis que la forme Cat. 56 ..
de certains détails, notamment la coiffure et la coiffe, ren- An ony me

voient à la Grand'Dame turcque des Navigations de Nicolas Sultane introni sée, début du XVII' siècle
Folio n° 60 de la série Poggie diverse di vestire de' Turchi
de Nicolay (folio 98). Les représentations de l'épouse (Divers u sages vestim entaires des Turcs)
favorite du sultan (Haseki Sultan) et mère du successeur au Gouache sur papier, marouflé ultéri eurement sur carton, 17 x 23,5 c m ;
trône, qui ont parfois été diffusées par les recueils de cos- miniature : 16 x 8,5 cm
Légende : Sultana sedente in trono
tumes imprimés, illustrent l'ascension de ces femmes dans Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, mss. lt. IV, 4 91 (=5578)
la hiérarchie de l'Empire ottoman - une évolution initiée
par le sultan Soliman le Magnifique. Dans cette image
de la favorite du sultan, les allusions à la sphère du pou-
voir politique mêlées délibérément à des références à un
quotidien à la fois exotique et érotique au sein du harem
s'adressaient en premier lieu aux attentes des voyageurs
européens. Reste que ce livre vraisemblablement réalisé
dans un atelier impérial et vendu au bazar à des amateurs
européens, est un document important de la circulation
des images et des conceptions entre les mondes oriental
et occidental.
RB
c.. -
raham d<e Bruy n (Anvers,1538/1539 - Cologne, 1587)
Bibl.: Paris, New York et Venise 2006-2007, p. 298, cat.13; Wilson 2007. Quarre nobles ottomans
Exrraite de : Omnium pene Europae Asiae Aphricae atque Americae
riw:i habitus, Antwerpiae [Guillaume Silvius], 15 -- ?

148 149
le groupe de figures de Soliman le Magnifique, des
ambassadeurs persans à la Sublime Porte et de deux
autres dignitaires ottomans des Omnium Pene gentium
Imagines d'Abraham de Bruyn, ouvrage qui reprenait et
intégrait les figures de gravures sur bois de Melchior
FAVORITA Lorck (voir cat. 57) dans une situation dialoguée. La libre
utilisation d'images préexistantes fut aussi à l'œuvre
dans la plus ambitieuse anthologie de costumes du
monde, que Cesare Vecellio (vers 1530-vers 1601), un
parent de Titien, publia en 1590 à Venise. Vecellio orga-
nisa l'évolution des costumes selon des critères tant
chronologiques que géographiques et hiérarchiques. La
présentation des différents groupes de population de
l'Empire ottoman qui conclut le livre consacré à l'Eu-
rope part du sommet de l'État. Le sérail, qui exerçait une
fascination particulière sur le public européen du fait de
son isolement,
y est présenté comme un centre particulier du pouvoir,
comme l'illustre de manière éclatante la représentation
de l'épouse favorite du sultan. La gravure sur bois de
Cristoforo Guerra (Christoph Krieger) montre lafavo-
rita, dont le texte décrit l'extraordinaire beauté, comme
une jeune femme vêtue d'habits garnis de perles et de
pierres précieuses. Le haut cidaris posé sur la tête, d'où
tombe un tissu léger, confère à la figure une apparence
majestueuse. Sa composition s'appuie ainsi sur un type
de figure que les représentations de Roxelane (Hürrem
Sultan), l'épouse légendaire de Soliman le Magnifique,
MILES PRdlTORIANUS
mais aussi les portraits de Cameria (Mihrimah Sultan), fivc Janizarus.
la fille du sultan, avaient déjà solidement établi dans la
mémoire visuelle du public européen (voir ca.102-103).
RB

Bibl. cat. 57: VD16, B 8810 (éd. Cologne); Burum 1995, p. 17-18.
Bibl. cat. 58: Gattineau-Sterr 1996, p. 200-213; Guérin Dalle Mese 1998,
p. 55-115; Rosenthal et Jones 2008, p. 5-25; Kuhl 2008.
Bibl. cat. 59: Ilg 2008a.
Bibl. cat. 60: VD 16, W 1487; Doege 1903, p. 391; Rèittinger 1927, p. 95-96,
n°' 61-66; Stichel 1991, p. 32.

Cat. 58
Cristoforo Guerra (= Chri stoph Krieger, Nuremberg, ?- Venise, 1589/1590)
La Favorite du sultan turc
Extraite de: Cesare Vecellio, De gli habiti antichi et moderni di diverse
parti del mondo libri due, Venetia (Damiano Zenaro]. 1590, p. 392
Gravure sur bois, 19 x 12 cm
Légende: Favorita del Turco Sultano
Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, inv. VH 9.626 A
Cracovie, Biblioteka Ksia,za,t Czartoryskich, sign. BCz. 835 1(éd. 1608)

Cat. 59
Anonyme
Mère turque avec ses enfants
Extraite de: Nicolas de Nicolay, Les navigations peregrinations et voyages,
faicts en la Turquie[...], Antwerpiae [Guillaume Silvius], 1577, f<> 116
Gravure sur bois, d'après une eau-forte de Léon Davent (actif 1540-1556),
20,5 x 15,5 cm
Légende: Femme Turcque menant ses enfants
Anvers. useum Plantin-Moretus, inv. 4-101

CXCIII.
Cat. 60 'Z),r (S~ri/irn .ltinDcr Jfrk"sfntd:t.
JostAmman (Zurich, 1539 - Nuremberg, 1591) !Ott §~li~nlfinDcr /irdlbAr Jtmgs!nrd)IJ ~Cl) )?ad)t lllil ~rnn ~f(Oo6lUmlll/

Jani ssaire
~"'1Nd)caDcnJtd9fcr rcd)tl 6Cl)nDJ~r'r 14000.au orr,a~I.
.flf
Extraite de: Hans Weigel, Habitus praecipuorum populorum [...],
Nuremberg, 157 , p. 193
Gravure sur bois. 45 x 31 cm
Légende en hau. au milieu: ILES l'R)ETQR US sive Janizarus
Vienne. ÔSterre · sche ationalbib iothe Sammlunge von andsclviften
150 151 und aite . 261604-C
UN PRÉCIEUX LIVRE UN LION DE GUERRE sa ceinture. Chacune de ses armes est marquée du sym-
bole de l'étoile et du croissant. À ses pieds est couché
DE SOUVENIRS Ce dessin représente un janissaire, soldat des corps un lion qui, contrairement au dragon accompagnant le
d'élite de l'infanterie qu i constituèrent le cœur des sultan dans une autre œuvre de cet artiste (voir cat. 34),
Ce portrait de Sélim II en compagnie de deux servi- armées ottomanes du xv• au xvm• siècle. Ce janissaire n'est entaché d'aucune connotation négative, puisqu'il
teurs se trouve au début d'un volume qui mérite une représenté en pied est vêtu d'un long vêtement du type symbolise la force et la bravoure. Pour cette représenta-
place particulière parmi les albums de la seconde moi- zupan, dont le bas est retroussé et fixé dans la cein- tion d'un janissaire, Ligozzi s'est inspiré d'une gravure
tié du xv1• siècle. Sous sa remarquable reliure en cuir ture. Il porte des chausses étroites et de courtes bottes sur bois publiée en 1577 dans Habitus Praecipuorum
rouge-brun, il ne contient que quatorze miniatures. rouges dont la tige s'arrête sous la cheville. Celles-ci Populorum [..J de Hans Weigel (voir cat. 60).
Les 90 autres feuilles sont en papier laqué et papier sil- sont caractéristiques des janissaires, au même titre que MD
houette, très recherchés en Europe au début de l'époque le bork, haut bonnet traditionnel muni d'une «cuiller »
moderne. Ainsi, le portrait de Sélim II est peint sur une en métal à la signification particulière pour ces soldats. Bibl.: Williams 2013, p. 214-215; New-York 2010, p. 109-110.
page dont le motif ornemental unvân est caractéristique En plus du sabre qu'il porte au côté, il est armé d'un
des anthologies de poésie orientales. L'adresse avec m ousquet sur l'épaule et d'une petite hache passée dans
laquelle les personnages sont intégrés à la structure
ornementale du papier et l'équilibre de la composi-
tion indiquent que les auteurs étaient familiers de ces Cat. 62 ·
types de calligraphie orientale. Il peut éventuellement Jacopo Ligozzi (Vér one 1547 - Florence 1627)

s'agir de peintres et d'artisans ottomans répondant Ja nissaire de 91/erre et lion, vers 1580-1585
à la demande de clients européens. Cette hypothèse Aquarelle, gouache, peinture dorée, encre sépia,
, ~ 'f'J. gomme arabique, 28 ,2 x 22,4 c m
est étayée par des analogies de motifs avec l'album de Inscriptions à l'enc re dans l'angle supérieur gauche:
Lambert de Vos (voir cat. 53) pratiquement contem- Gia nicero di Guerra; angle infé rieur droit: Leone
New York, The Metropolitan Museum of Art,
porain. Une note en hongrois: «Ez konw irattot kusta- Depart ment of Drawing and Prints, inv.1 997.21
nezi N apolban az ka pi tan Alij basa portai an Szi9eth Varij
Chiobor Balasnak keze altal ezor oth szaz hetuen» (Ce livre
fut calligraphié à Kustanczij Napol [Constantinople]
dans la demeure du capitaine Ali Pascha de la main de
Balazs Cs6b6r Szigetvary en l'an 1579) permet de dater
les illustrations de l'album de Wolfenbüttel, qui a ensuite
appartenu à Lauretius Go(s)zthony, également originaire
de Hongrie. Compte tenu de l'étroite parenté de ces
miniatures avec des modèles ottomans plus anciens, leur
attribution réitérée à Balazs Cs6b6r n'est guère convain-
cante, car la ville de Szigetvar d'où il est originaire n'est Cat.61
A nony me
devenue ottomane qu'en 1566. Pour sa part, Haase voit
plutôt en Cs6b6r et Go(s)zthony deux soldats hongrois Le Sultan Sélim II avec deux serviteurs
Con sta ntinople, vers 1570
ayant participé à la conquête de Chypre en 1570 sous les Peinture couvra nte sur papier ottoman de coule ur, 20,3 x 14 cm
ordres du kapudan (amiral ) Müezzinzade Ali Pascha. Wolfenbüttel, Herzog-A ugust-Bibliothek, inv. Cod. Guelf. 206 Blank, f" 2r

RB

Bibl. : Butzmann 1966, p. 202, inv. 202 ; Cod. Guelf. 206 Blanl< (aupa-
ravant 251); Szakâly 1983; Radway 2011; Haase 2002 ; Haase 2003,
p.100-105.

152 153
Cat. 64 •
Ano nyme persan
Europée n
T V R CARVM IMPHRATO R N OS
VESTIBVS D0 NAV I T.
Q.YOQ..Y E
UN NOBLE PRÉSENT
Premier quart du x vn• siècle
Papier, gouache, or, 17,5 x 9 cm
Vi enne, ôsterreichische Nat ionalbibliothek, inv. Cod . Mixt. 313, f" 7r

Sigmund von Herberstein (1486-1566) servit quatre


empereurs de la maison de Habsbourg en tant que
diplomate. La paix qu'il négocia en 1541 à Buda avec
Soliman rer et son séjour à la cour du tsar à Moscou,
sur lequel il publia un récit de voyage, fondèrent sa
réputation de diplomate et d'écrivain humaniste hors
du commun. C'est comme tel qu'Heberstein se pré-
sente dans l'autobiographie qu'il publie en 1558 et en
1560, respectivement en latin et en allemand. La haute
conscience qu'il a de lui-même y est illustrée par les six
portraits en pied grand format de la seconde édition,
qui le montrent dans les habits d'apparat qu'il a reçus au
titre de présents diplomatiques. Parmi ces habits, la robe
honorifique qui lui fut remise en 1541 «par l'empereur
turc » occupe un rang particulier. Dans le cérémonial
de la cour ottomane, la remise des robes honorifiques
(hilat ) était un moyen important pour mettre en scène
la revendication de souveraineté universelle du sultan
en tant que « refuge du monde » (pcïdi§cïh-1 'cïlem-pencïh).
Un deuxième regard montre toutefois que les habits
d'honneur d'Herberstein sont des créations hybrides:
l'habit de dessous a été taillé dans un velours ottoman,
l'habit de dessus dans une soie italienne néanmoins
coupée à l'ottomane. La confection d'habits honorifiques
à partir de tissus italiens est une brillante illustration
des échanges économiques entre l'Italie et l' Empire
ottoman.
RB

Bibl.: (VD16 H 2201]; Nevi nson 1959 ; Wearden 1985; Enenkel 2008,
p. 556-566; Alpaslan Ar ça 2008, p. 46-49.

Cat. 63
Donat Hübsc hman n (Leipzig, ve rs 1530 - Vie nne, 1583)
Sigmund von Herb erstein vêt u des h abits h onor ifiques offerts pa r
le sulta n Soliman l"
Ex t ra ite de : Gra tae Posteritati Sigismv ndvs Liber Baro in Herberstain
Neyperg rD Guetten hag <De. immunitate meritoru m ergo, do natus.
Viennae Avstriae (Hoffhalter) 1560, E2v.
Gravure sur bois, 29,3 x 19 cm
Titre: turca rum imperator nos quoquae vestibus donavit
Budapest, Orszâgos Széchényi Kônyvt âr, Régi Nyomtatvânyok Târa, Sign. A nt. 18 0 8 ,
inv. A pp. H. 359

REGARDS D'ÉTRANGERS la cour du sultan. Les précieux manuscrits arrivèrent nous sont parvenus des albums ottomans contenant des
d'abord au Topkap1 Saray1 comme butin de guerre, puis, poésies, des p ortraits de sultans mais aussi des images des
SUR UN ÉTRANGER après le traité de paix de 1555, de plus en plus souvent différentes cou ches de la société influencées en partie
comme présents diplomatiques. La miniature représen- par la gravure d'Europe de l'Ouest. Les représentations
Cette miniature probablement peinte à Ispahan montre tant le voyageur européen fait partie d'un album réalisé des groupes sociaux étaient combinées avec de luxueux
un jeune homme vêtu de pièces d'habillement euro- en 1572 pour le fils aîné du sultan Sélim II, qui devait papiers teintés et ont produit une impression durable sur
péennes aussi bien que persanes. Si la coiffure et le col gouverner l'Empire ottoman pendant deux décennies à les voyageurs européens, comme le montrent les albums
en pointe renvoient à un citoyen hollandais, le manteau, partir de 1574 sous le nom de Murat III. Sous son règne, réalisés à Constantinople (voir cat. 61).
la robe et surtout le pantalon et les chaussures semblent l'enluminure connut un épanouissement particulier. RB
relever du costume persan. La figure rend compte de À partir du xv1esiècle, l'habitude de relier des minia-
l'adaptation des voyageurs aux coutumes locales, mais tures et des vers luxueusement calligraphiés dans des Bibl.: Froom 2006 ; Vienne 2009, p. 265, cat. 203 (Johannes Wieninger).
documente aussi la perception des Européens dans le Muraqqa (turc Murakka) se répandit chez les Ottomans,
langage iconographique de la miniature persane. Pendant les Séfévides et dans l'Empire moghol, influençant la
des siècles, celle-ci a joui d'une estime particulière à peinture contemporaine de ces régions. Du xvne siècle

154 155
4 VOYAGES D'ARTISTES
Capitale de l'Empire ottoman depuis 1453, Constantinople
constitua de plus en plus la destination d'artistes occidentaux qui
parvenaient au Bosphore par les voies commerciales terrestres
ou maritimes. Ces voyageurs européens obéissaient certes à des
motifs divers. Il s'agit d'abord d'artistes vénitiens, notamment
Gentile Bellini, dont la présence est attestée dès 1479. Ce fait était
dû aux relations de longue date entre Constantinople et Venise et
au vif intérêt que portait Mehmet Il à l'art italien de son époque.
Si Bellini fut dépêché par la République de Venise pour répondre à
un souhait du sultan, c'est l'esprit d'entreprise qui amena l'artiste
flamand Pieter Coecke van Aelst en 1533 dans la capitale otto-
mane: il espérait y établir une manufacture de tapisserie et obte-
nir des commandes du sultan Soliman. Ces espoirs ne furent pas
réalisés, mais quelques-uns des dessins que Coecke effectua sur
place aboutirent à une œuvre spectaculaire, une gravure sur bois
en forme de frise, qui ne fut éditée que vingt ans plus tard. Comme
d'autres artistes, Coecke était autant fasciné par les vénérables
vestiges de l'ancienne capitale de l'Empire byzantin que par la
nouvelle culture ottomane à l'attrait exotique. Quant à Melchior
Lorck, artiste d'origine allemande et danoise, il vint à la cour du
sultan en 1555 en tant que membre d'une mission diplomatique
de l'empereur. Son héritage constitue le témoignage iconogra-
phique le plus complet et le plus fidèle de la culture ottomane de
son temps, de son architecture et de sa société. De sa production
de plusieurs années passées à Constantinople, il existe encore
aujourd'hui des dessins comme un monumental panorama de
Constantinople (à Leyde), plusieurs dessins et gravures sur cuivre
de portraits de cour, mais surtout plus d'une centaine de gravures
sur bois qui n'ont été éditées sous forme de livre qu'après sa mort.
GM

/
BELLINI AU SERVICE DU SULTAN
Comme l'indique l'inscription portée dans le coin infé- Le visage relativement mince comparé à la masse cor-
rieur droit du tableau, c'est le 25 novembre 1480 que porelle du modèle et au grand turban, est représenté
Gentile Bellini acheva ce qui est aujourd'hui le portrait en vue de trois quarts dite occhio e mezzo. En bas, sur les
le plus célèbre de Mehmet II. Quelques semaines plus côtés, des inscriptions ont été portées dans des champs
tard, l'artiste entamait son voyage de retour à Venise foncés: à droite, la date d'achèvement du tableau déjà
après avoir justifié sa réputation de plus grand peintre évoquée, tandis qu'à gauche, le mauvais état de conserva-
de la ville lagunaire, mais aussi rempli de manière tion nous permet seulement de reconstituer raisonna-
éclatante sa mission d'ambassadeur « culturel » de la blement un imperator orbis (conquérant du monde).
Sérénissime. Des sources d'époque rapportent en effet Une plus grande distance entre le spectateur et le
qu'au cours des quelque dix-huit mois qu'il passa à sultan mais aussi une plus grande dignité sont en outre
Constantinople, Bellini parvint à être accueilli dans le assurées par la représentation du modèle à l'intérieur
premier cercle des courtisans de Mehmet II, comme le d'un encadrement de pierre modelé par l'ombre et la
confirment d'ailleurs les titres d'eques auratus (chevalier lumière, composé de deux colonnettes et d'un arc en
doré) et de cornes palatinus (comte palatin) qui lui furent plein cintre. De part et d'autre de l'arc apparaissent
conférés par un sultan manifestement comblé. trois couronnes représentant la conquête des trois
Le 1er août 1479, quand un émissaire juif avait royaumes de Grèce, de Trébizonde et d'Asie - symbo-
demandé à la Seigneurie l'envoi d'un peintre à la cour lique que Gentile a également utilisée dans sa médaille
du sultan, aucun nom n'avait été évoqué. Du côté de la de Mehmet II (voir cat. 75 ). Ici, le redoublement des trois
Sérénissime, le choix de Gentile aura sans doute été couronnes ne relève pas seulement d'un souci de symé-
dicté en bonne partie par le fait que les portraits des trie : l'ajout d'une septième couronne brodée en position
doges qu'il avait réalisés jusqu'alors lui avaient permis centrale près du bord inférieur de l'étoffe posée sur le
de montrer l'entière maîtrise de son art. Travaillant en mur d'appui rappelle que Mehmet était le septième
outre au renouvellement du cycle monumental de pein- sultan de la maison d'Osman.
tures d'histoire du palais des doges, Bellini se trouvait I:arc sculpté témoigne par ailleurs un essai d'une
alors en quelque sorte au service de l' État. Le fait que la nouvelle iconographie du portrait princier. Ce type d'arc
Sérénissime ait décidé d'envoyer à Constantinople son n'apparaît pas seulement dans les peintures religieuses
meilleur peintre atteste aussi l'immense importance des collègues de Gentile, mais aussi dans les architec-
accordée à Mehmet. tures vénitienne et vénète de l'époque. Cet arc en parti-
Admiré en Occident comme conquérant, mais pré- culier a été mis en relation avec un cérémoniel d'État,
senté comme un souverain cruel par la propagande l'andata pascale du doge jusqu'à l'église Saint-Zacharie,
(voir cat. 71), Mehmet fut en fait un grand protecteur des où, au-dessus du portail d'entrée de l'église, le même type
sciences et des arts qui s'intéressait à l'Orient comme d'arc agissait comme un arco glorificante. I:iconographie
à l'Occident. Reste qu'il avait une passion particulière de l'arc en pierre peut également renvoyer au « nouveau
pour les portraits, comme le montrent ses commandes palais », le futur palais Topkapi construit sous Mehmet II
de médailles (voir cat. 75-77) et de dessins - et même ses et achevé en 1478. Pour pouvoir approcher et apercevoir
propres dessins d'enfants. Il convient sans doute d'y voir le sultan, il fallait passer sous trois portes.
aussi la principale raison de ses tentatives récurrentes Peu après la mort du sultan, le portrait aujourd'hui
d'engager des artistes italiens. Si la cour de Mehmet conservé à Londres fut peut-être vendu au bazar de
connaissait des portraits de la dynastie timouride (vers Constantinople par Bajazet II, fils et successeur très
1370- 1506) exécutés sous forme de miniatures, l'art croyant de Mehmet II. Ensuite, c'est peut-être par l'inter-
italien se distinguait par un tout autre traitement de la médiaire d'un marchand vénitien qu'il trouva le chemin
lumière, de l'ombre et de la perspective et permettait de sa ville natale. En tout état de cause, il fut une source
seul une représentation réellement fidèle du modèle, ne d'inspiration pour des artistes contemporains ou posté-
serait-ce que grâce à la technique de la peinture à l'huile rieurs, tant ottomans qu'occidentaux.
(sur ce sujet, voir aussi l'essai de Günsel Renda). SE
I:état de conservation problématique du portrait de
Mehmet II conservé à Londres ne doit pas induire en Bibl. : Longo 1995; Pedani Fabris 1996; Necipoglu 2000 ; Ch ang 2005 -
erreur sur le très haut niveau d'exécution de cette pein- 2006; Boston et Londres 2005 , cat. 23 (Caroline Campbell }; Meyer zur
Capellen 2009; Rodini 2011 ; Necipoglu 2012, p. 31-35.
ture, dont l'iconographie est en outre un cas tout à fait
unique dans le domaine du portrait Renaissance.

Car. 65
Gentile Bellini (Venise, 1429 - Venise, 1507)
Portrait de Meh met Il, 1480
Huile sur toile, 69,9 x 52,1 cm
Inscriptions, dans le coin inférieur gauche: _ IL [ ?] ISQV_R / _QR ORBIS_ / CVNCTARE :
dans le coin inférieur droit: .MCCCCLXXX. / DI E XXV. ME / NSIS NOVEM / BRIS.
Londres, The ational Gallery, inv. 3099
158 59
DANS LES RUES DE CONSTANTINOPLE
Ces deux dessins font partie d'un ensemble de sept Certains dessins se sont retrouvés dans les fresques du
œuvres associées au voyage de Bellini à Constantinople peintre ombrien Pinturicchio (vers 1454-1513 ), qui pour-
et conservées aujourd'hui au Stadel de Francfort, au rait les avoir obtenus par l'intermédiaire du beau-frère
British Museum à Londres et au Musée du Louvre, à Paris. de Bellini, Andrea Mantegna (1431-1506 ), à l'époque
Chacune de ces compositions soigneusement calculées où tous deux travaillaient à la décoration du palais du
montre une figure très aboutie placée au centre de la Belvédère, à Rome, sous le pape Innocent VIII (1484-
feuille dans une pose et un costume particuliers. Il ne 1492 ). L'«Albanais » de Francfort et l'Étude de Turc debout,
s'agit pas d'études spontanées d'après des modèles vivants, vu de face du Louvre apparaissent ainsi dans La Dispute de
mais d' œuvres entièrement achevées qui ont assurément sainte Catherine (1493 - 1494) de la Sala dei Santi, dans les
été préparées par des esquisses prises sur le vif. appartements Borgia du Vatican. Mais la fidélité à la réa-
L'ensemble rend compte de la grande diversité ethni- lité qui prévalait dans les dessins a été sacrifiée au profit
que et religieuse qui régnait à Constantinople et dans d'un décor plus amène. Certaines parties des costumes
tout l'Empire ottoman à la fin du xve siècle. À ce jour, présentent désormais des tissus à motifs, les boutons du
seules l'une ou l'autre de ces figures a pu être attribuée manteau de !'Albanais ont été déplacés au milieu de l'ha-
à tel ou tel groupe humain particulier. Les deux feuilles bit de dessous et ses bottes ont reçu des lacets.
conservées à Francfort présentent deux Orientaux Au sein de la recherche, ces feuilles sont générale-
debout tournés respectivement vers la droite et vers la ment abordées comme des études de costumes. Meyer
gauche, la recherche ayant défini le premier comme un zur Capellen propose en revanche de classer les sept
Amavut (terme turc désignant les Albanais). dessins originaux de Bellini dans la catégorie de por-
Les sept feuilles ont le plus souvent été attribuées à traits. Par Giovanni Maria Angiolello, qui vécut à la cour
l'entourage de Gentile Bellini ou de Costanzo da Ferrara. de Mehmet II, on sait que le sultan demanda à Bellini
Leur rapprochement physique récent (voir Boston et d'exécuter le portrait de nombreuses personnalités
Londres 2005-2006) a montré que toutes sont bien les de son proche entourage. Dans la mesure où les sept
œuvres d'un même atelier, mais pas de la même main. dessins dénotent une parenté stylistique avec le Scribe
Trois dessins ont pu être attribués à Bellini même. Les assis (1479-1481) conservé à l'Isabella Stewart Gardner
deux feuilles de Francfort ont en revanche été attri- Museum à Boston, qui fut assurément présenté à
buées à un de ses assistants, qui ne semble toutefois être
l'auteur d'aucune des autres feuilles. Dans les dessins
Mehmet II et ne fut colorié et rogné qu'ultérieurement,
le même traitement pourrait aussi avoir été prévu pour
j
de Londres et de Paris, certaines caractéristiques stylis-
tiques et les notes portant sur les habits ont été rédigées
les sept dessins, ce qui aurait encore renforcé leur fonc-
tion en tant que portraits. l
en dialecte vénitien, suggérant que les artistes devaient
être originaires de la ville lagunaire. Plus généralement,
SE !; I

des correspondances avec l' œuvre de Gentile ont pu être


établies. L'autorat de Costanzo da Ferrara a en revanche
été écarté. Selon certaines indications, il naquit bien à
Bibl. : Karabacek 1918, p. 33-37; Andaloro 1980, p. 202-203; Meyer zur
Capellen 1985, p. 97-101, cat. E 5-E 6; Boston et Londres 2005- 2006,
p. 99-105 et n°' 28- 29; Schewski-Bock 2006 , cat. 6-7; Meyer zur Capellen
2009, p. 152-154. /
/
Venise mais travailla essentiellement à Naples. Et l'on ne
sait pas avec certitude où il reçut sa formation.

/ I '

Cac. 66· ·
Atelier de Gentile Bellini (Venise, 1429 -Venise, 1507)
Oriental en manteau, tourné vers la gauche (dit ~ L'Aibanais ~)
Fin du xv" siècle
Plume, encre brune, 25,8 x 18 cm
160 6 Francfon-st.W"4e-Main. Stadel Museum, Graphische~ inv. 3957
~·· ·.·.

UNE BANDE DESSINÉE DE LA RENAISSANCE


En 1533, Pieter Coecke van Aelst est envoyé à Une fois montée, la série suit un itinéraire imaginaire:
Constantinople par le marchand tapissier bruxellois partant du paysage inhospitalier des Ball<ans, le voya-
Dermoyen afin d'établir un commerce de tapisseries geur traverse les plaines de Macédoine et la région de
avec la cour du sultan. Du point de vue économique, sa Philippopel (act. Plovdiv) pour gagner Constantinople.
mission est une mesure pour rien : en bon musulman, Les estampes décrivent fidèlement les villes, villages, pay-
Soliman ne s'intéresse pas aux tapisseries figuratives. sages et plantes, mais surtout les « moeurs et fachons » des
Mais Coecke ne reste pas inactif: pendant toute la durée populations : les soldats dressant leur camp, les bergers
de son voyage, il multiplie les croquis, peut-être dans l'in- gardant leurs troupeaux, les saluts, les prières, la musique,
tention de les intégrer ultérieurement dans des cartons les repas et le repos. Plus loin, des funérailles succèdent
de tapisseries. Ce projet, cependant, ne se réalisera pas. à un mariage. Le point culminant est la «cavalcade » du
C'est seulement après la mort de Coecke, en 1550, Grand Turc et de sa garde, en route pour la prière du ven-
que sa veuve, Mayken Verhulst, exhume les dessins dredi au cœur de Constantinople. Le résultat final donne
de son époux pour les publier sous forme d'estampes. pour la première fois aux habitants des Pays-Bas une
I.;inscription introduisant la série précise que Coecke vision réaliste du mode de vie des Turcs.
les a gravées lui-même, mais il y a lieu d'en douter: Les bois remportent un énorme succès. Plus d'un
bien que les scènes soient incontestablement basées demi-siècle après leur publication, Karel van Mander,
sur le carnet de croquis de Coecke, elles constituent un dans son Livre des peintres, leur consacre encore près de
mélange de différents dessins. De plus, le panorama de la moitié de sa notice biographique sur Pieter Coecke.
Constantinople présente certaines erreurs. Sans doute Plus tard, Rembrandt en possédera également un exem-
Mayken Verhulst se sert-elle du nom de son époux pour plaire. Détail piquant : Van Mander affirme que la figure
des raisons essentiellement commerciales. centrale de la première scène est un autoportrait de
La série consiste en dix planches distinctes, destinées Coecke. Comme ce personnage plein d'assurance res-
à être montées bout à bout, afin de former une frise de semble en effet à un portrait de l'artiste gravé par Jan
sept scènes, séparées les unes des autres par des caria- Wierix, cette assimilation n'a rien d'impossible - d'au-
tides vêtues à l'orientale. Les estampes ne sont donc pas tant que, dans un contexte comparable, Melchior Lorck
conçues pour être exposées indépendamment, cette et Jan Cornelisz. Vermeyen se sont également risqués à
formule nécessitant de scinder les scènes et les car- ce divertissement.
touches de texte. I.;ensemble devait manifestement être KVC
accroché au mur, ou peut-être entoilé, puis stocké en
• rouleau, comme c'est encore le cas pour l'exemplaire de Bibl. : Van Mander 1604, fb' 218r- 218v; Maxwell 1873; Ho. n° 4, 1-14;
la Bibliothèque royale de Belgique . Dresde 1995, p. 87-88; Op de Beeck 2005.

Cat. 68
Pieter Coecke van Aelst (Alost, 1502 - Bruxelles, 1550)
Moeu rs et fachons de faire de Tlircz, 1553
Cat. 67" Bois, env. 44 x 457 cm
Ate lie r de Gentile Bellini (Ve nise, 1429 - Ve nise, 1507) Inscription: CES MŒURS & FACHONS DE FAIRE DE TURCZ AVOO' LES REGIONS Y
Oriental vêtu d'une cape, tourné vers la droite (dit !'Albanais}, fin du x~ siècle APPERTENANTES. ONT ETE AU VIF CONTREFAIOTEZ PAR PIERRE COEOK D'ALOST.
LUY ESTANT EN TUROUIE. L'AN DE J ESUSCHRIST M.D.33, LEQUEL AUSSY DE SA MAIN
Plume et encre brune, 25,7 x 18 cm
PROPRE A POURTRAJCT CES FIGURES DIJYSANTESA L'IMPRESSION D'YOELLES
Francfort-sur-le-Main, Stàdel Museum, Graphische Sammlung. inv. 3956
162 163 Bruxelles. uerovale de Bel2iaue. ltrtl. S 11 32364
PORTRAIT OFFICIEL IMAGES DU BOSPHORE plus documenté et l'on ignore tout du sort ultérieur
des bois. Cette situation perdure jusqu'en 1619, date à
EN PETIT FORMAT De 1555 à 1559, Melchior Lorclc fut attaché à l'ambas- laquelle deux versions d'une petite feuille sont publiées
sade du Saint Empire à Constantinople, qui était alors sans indication de lieu, et jusqu'en 1626, quand l'impri-
Si l'on en croit l'inscription, ce portrait en pied du sultan dirigée par Ogier Ghislain de Busbecq. À son arrivée, meur hambourgeois Michael Hering publie pour la pre-
Soliman 1er a été réalisé en 1559, c'est-à-dire pendant la der- qui précéda sans doute de peu celle de Busbecq, Lorclc mière fois les bois, et seulement les bois imprimés sans
nière année du séjour de Lorck à Constantinople, lequel dut passer toute une année confiné dans les logements aucune forme de commentaire. Quinze ans plus tard, les
dura trois ans et demi. Comme l'indique la date du mono- de l'ambassade située dans l'enceinte du« Elç1 Ham». bois sont à nouveau publiés par Tobias Gun dermann,
gramme, la gravure ne fut toutefois produite qu'en 1574. Selon toute apparence, il n'y avait pas grand-chose à y à Hambourg, selon toute apparence également sans le
Trois états en sont connus, le présent tirage correspondant dessiner: quelques portraits, un étalon, une pintade, une moindre texte. Leur troisième publication, encore par
au premier état. Le deuxième état a été altéré: le mono- ou deux vues du toit. En tout état de cause, ces motifs Gundermann, a lieu en 1646, cette fois-ci avec d'inté-
gramme et l'inscription du coin supérieur gauche ont été sont les seuls dessins de Lorclc qui nous sont parvenus ressants compléments : la page de titre explique que le
supprimés et les mots « cum privilegio » ajoutés dans la par- de cette période. Pendant les dernières années de son registre où sont décrites les différentes planches est tiré
tie gauche, près du bord inférieur. Le troisième état est un séjour, l'artiste eut toutefois davantage de liberté de du « manuscrit original», ce qui ouvre la possibilité que
remaniement datant de la fin du xvnesiècle, à l'époque où mouvement et put réunir un grand nombre de croquis Lorclc ait laissé un manuscrit accompagnant les bois.
les plaques et les bois de Lorck furent réutilisés dans diffé- portant sur différents aspects de la topographie et de la Le projet d'une publication comme celle promise en
rentes publications sur l'histoire et la topographie turques, vie de la capitale ottomane. 1574 dans le livre d'Anvers avait-il suffisamment mûri
mais aussi dans deux reportages sur les guerres menées De retour à Vienne, il rapporta donc un vaste pour que Lorck en ait laissé à la fois les illustrations
à la frontière austro-hongroise. Le portrait s'avère être un ensemble de motifs qu'il allait passer le reste de sa vie et le texte? Le registre publié tend à corroborer cette
développement du portrait en buste de 1526 (voir cat. 106) à convertir en dessins ou en gravures destinés à un cer- hypothèse. rordre du registre ne correspond pas à celui
placé ici dans un cadre qui présente le sultan dans sa tain nombre de projets éditoriaux. Au début des années des planches, mais celles-ci y sont clairement décrites.
grandeur et son rayonnement, le tout selon un schéma 1560, il se concentra sur des sujets topographiques et Ainsi, le n° 119 du registre décrit la vue de la splendide
qui suit les dernières tendances du portrait princier antiquaires et produisit notamment la splendide Vue de mosquée Süleymaniye construite à Constantinople par
européen. Encadrée d'une immense draperie, la figure de Constantinople de 12 mètres de long conservée à la biblio- l'architecte Sinan et explique la signification des lettres
Soliman s'avance légèrement vers le spectateur, tandis que thèque de l'université de Leyde. qui désignent différents édifices attenants. Reste que le
sa main droite est dirigée vers l'arche sous laquelle passe La carrière de Lorclc n'a jamais été rectiligne, et l'artiste lien entre le texte et les images avait été perdu et qu'il
un éléphant au harnais richement décoré de croissants de a laissé bien des choses inachevées. En 1573 et 157 4, il est était devenu impossible de le reconstituer. Concrètement,
lune, chevauché par un mamelouk et un Turc portant une à Anvers, grand centre européen de l'imprimerie, où il l'imprimeur semble s'être contenté d'imprimer l'existant
bannière à croissant de lune.À travers l'arche\ on aperçoit se lie d'amitié avec des personnalités comme Abraham sans accorder d'importance au fait qu'une partie du texte
un templum, en l'occurrence une immense mosquée que Ortell, Philippe Galle et Christophe Plantin. Il y publie un n'avait pas vraiment de sens. À l'évidence, l'entrée 120 qui
l'inscription désigne comme la mosquée Süleymaniye. petit livre intitulé Soldan Soleyman Tvrckhischen Khaysers, renvoie à l'image de la Ka'aba et de ses environs - une
Ca t. 69 vnd auch Furst Ismaelis aufl Persien, Whare vnd eigendtliche
Construit à Istanbul par l'architecte Sinan, le grand projet Melchior Lorck ( Flensbourg, 1526/1527 - après 1583)
image curieusement élaborée, avec un grand nombre
architectural de Soliman fut achevé et consacré en 1557. Il Le Sultan Soliman I" . Portrait en pied avec une vue
contrafectung vnd bildtnufl ..., dans lequel il présente une d'autres types d'édifices relevant d'autres religions, dont le
n'est pas certain et même peu vraisemblable que Lorck ait de la mosquée Süleymaniye , 1573 autobiographie, quatre splendides portraits gravés de christianisme - a été ajoutée sans réelle réflexion sur son
pu avoir accès à une quelconque partie des palais du sultan Gravure sur bois. 43,4 x 31,3 cm Soliman le Magnifique (cf cat. 69, 106 et 107) et d'un contenu véritable. rimage est truffée de lettres de diffé-
Inscription dans le coin supérieur gauche : IMAGO VERE EXPRESSA
censée servir de cadre à cette scène, dont le décorum est SVL TA: / SOLEIM: ARTE ET MANV MELCH/ :/ LOR/OHS OONSTAN-
ambassadeur perse à la Sublime Porte, quelques poèmes rents alphabets qui désignent chaque édifice individuel,
donc probablement une compilation imaginaire d'élé- TINOPOLI ANNO :/ 1559 ; sur la c lé de voûte, dans un c hamp circulaire associés aux portraits _et - non moins important - l'évoca- et le registre indique que ces lettres vont être expliquées.
posé sur un croissant de lune :Allah / sou s l'arcade, entre les minarets :
ments significatifs renvoyant à l'identité et à l'importance TPLM I OOST/T: I A I SVL T: I SOLEIM:
tion d'un projet en cours qui devait devenir son magnum En définitive, seuls les édifices désignés par des caractères
du modèle, comme c'est le cas pour la plupart de ses équi- Londres, British Museum, Department of Prints and Drawings, opus : une description complète, sous forme de textes et latins sont précisés, et en guise de tout commentaire,
inv. 1848,1125.24
valents européens. d'images, des peuples du monde ottoman, de leurs vie l'éditeur explique que «le sens des autres lettres peut être
Le portrait - probablement dans son deuxième état - fut et coutumes, de leur système administratif, et même de déduit du manuscrit original.» Il n'est pas impossible
publié en 157 4 à Anvers comme partie d'un petit livre in leur situation fiscale. À l'époque, Lorclc avait déjà créé qu'une partie du manuscrit ait été inclue dans la dernière
folio intitulé Soldan Soleyman Tvrckhischen Khaysers, vnd auch quelques gravures sur bois datées de 1570 et montrant publication des bois par l'éditeur hambourgeois Eberhard
Furst Ismaelis aufl Persien, Whare vnd eigendtliche contrafec- des motifs de l'architecture ottomane réalisés dans la Werner Happel, qui en avait fait l'acquisition, qui publia
tung vnd bildtnufl...2 qui entendait susciter l'intérêt du veine de ses études topographiques et antiquaires. des journaux sur les guerres austro-turques de 1680 ainsi
public pour un ouvrage plus vaste traitant de sujets turcs. Cependant, après avoir conçu ce projet aux dimensions qu'une vaste description de l'Empire ottoman et qui, dans
Ce livre peut être considéré comme le premier pas concret quasi encyclopédiques, on constate que Lorclc prend un cas comme dans l'autre, utilisa les bois de Lorck pour
vers une publication qui ne verra le jour qu'un demi-siècle une nouvelle direction. À partir de 157 4 et pendant les illustrer ses travaux. Cette hypothèse, si séduisante qu'elle
plus tard, les Wolgerissene und geschnittene .figuren... qui font dix dernières années de sa vie, jusqu'à ce que sa trace soit, est invérifiable.
de Lorck une source visuelle de première importance pour se perde en 15 83, il produit un total de 111 bois sur des MBR
l'Empire ottoman au XVIe siècle. sujets turcs essentiellement ethnographiques destinés à
MBR sa grande publication. Quatre-vingts d'entre eux seront Bibl.: Fischer et al. 2009, vol.111, en partie. p. 7-20 (errata et addenda vol. v ).
gravés entre 1580 à 1583.Après cette période, Lorclc n'est
Bibl.: Harbeck 1911, p. 40; Zijlma 1978, n° 35 ; Necipoglu 1989, p. 425,
fig. 29; Fischer et al. 2009, et vol. v, cat.1574,1.

1 Necipoglu 1989 suggère qu'il 2 Concernant les détails de ce


pou rrait s'agir de «l'entrée sous livre, dont le dernier exem-
arche de l'ancien palais (Eski plaire connu fut détruit
Saray) » su r l'emplacem ent pendant la Seconde Guerre
duquel est con struite l'actuelle mondiale, voir Harbeck 1911,
université d'Istanbul. p . 105-108; Fischer et al. , 2009,
vol. r, p. 124-129, et vol. v, cat .
1574,2.

166 6ï
Cat. 70
Melchior Lorck (Flensbourg, 1526/1527 -
inconnu, après 1583)
a. Achada Soltane, 1581
b. Janissaire vue de dos, 1575
c. Mosquée avec deux minarets, 1570
d. Joueur de tambour sur un chameau,
1576
Quatre xylographies extraites de
Wolgerissene und geschnittene Figuren zu
Ross und Fuss, sampt schonen türckischen
Gebiiwden, und allerhand was in der
Türckey zu sehen : Alles nach dem Le ben
und der perspectivœ Jederman var Augen
gestellet..., Hambourg, Michael Hering,
1626, 1570, 1575, 1576 et 1582
Gravures sur bois, a) 27,1 x 14,7 cm; b) 23,5 x
13,9 cm; c) 17,8 x 25,7 cm ; d) 20,4 x 16,89 cm
a-c) Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique,
Cabinet des Estampes, inv. S Il. 51653, S 1.
516558 et S Il. 51654
d) Londres, The British Museum, Department of
Prints and Drawings, inv. 1871,0812.4642

168 169
5 PEINDRE LE SULTAN
Après l'effondrement de l'Empire byzantin, son vainqueur, le
sultan Mehmet Il (r. 1444-1446 et 1451-1481) se retrouva sou-
dain dans le champ visuel de l'Europe chrétienne. En l'absence
d'images authentiques, la nécessité d'avoir des portraits de sa
personne stimula en premier lieu l'imagination des artistes.
L'exemple le plus connu est la gravure du Gran Turcodatéed'envi-
ron 1475 et traditionnellement attribuée à Pollaiuolo. Ce portrait
fut composé d'après une médaille à l'effigie de l'empereur de
Byzance Jean Paléologue dessinée par Pisanello vers 1438/1439.
C'est seulement avec les médailles d'artistes italiens travaillant
pour le sultan, comme Costanzo da Ferrara et Gentile Bellini,
que des portraits authentiques (ou considérés comme tels) de
Mehmet II parvinrent en Occident, tandis que le célèbre tableau
de Bellini était probablement destiné à Constantinople.
L'intérêt de la cour pour l'art italien, manifeste pendant le
règne de Mehmet Il, ne connaîtra un regain que sous celui de
Soliman 1er (r, 1520-1566). Les contacts culturels et diploma-
tiques contribuèrent grandement à sa réputation de prince intel-
ligent et aimant le faste. Par ailleurs, nombre de ses portraits
réalisés en Occident le montrent comme un adversaire militaire
redouté et respecté. Parallèlement se manifesta un intérêt accru
pour l'histoire de l'Empire ottoman et de ses souverains, comme
en témoigne la multiplication de séries de portraits de sultans,
Une série peinte par l'artiste ottoman Haydar Reis (Nigârî) est
parvenue en Occident, offerte par l'amiral Barbarossa au service
de Soliman. Grâce aux copies commandées par Paolo Giovio,
cette série exerça une large influence et servit de modèle à des
artistes comme Cristofano dell'Altissimo ou Tobias Stimmer.
Une autre série de portraits de sultans suivit ensuite le chemin
inverse, celle que créa le peintre vénitien Paolo Véronèse sur
commande du sultan Murat Ill (r. 1574-1595),
GM

V
Cat. 71•
A ttr ibué au M aître de la Pass ion de Vienne
El Gran Turco (Portra it imag inaire du sulta n Mehmet II ),
vers 1460 -1470
Burin sur cuivre, 24 x 19,5 cm
Berlin, Kupfe rst ichkabinett, inv. 14 0-1879 d'autres objets utilitaires. Les «copies » s'éloignent alors
de plus en plus de l'original, tant par la forme que par
le contenu: les versions mutées du profil impérial vont
ainsi représenter d'autres souverains, des philosophes
grecs, des dieux ou des héros antiques.
Dans ce contexte, une gravure au burin sur cuivre
qui reprend, en le modifiant, le profil de l'empereur et
le désigne comme le sultan ottoman par l'inscription
« El Gran Turco » (cat. 71), revêt un intérêt particulier.
Certains aspects stylistiques comme l'accentuation des
contours par de courtes hachures, mais aussi des corres-
pondances iconographiques, plaident en faveur d'une
attribution au Maître de la Passion de Vienne. Les carac-
tères un peu maladroits de la plaque, qui présente au
demeurant un travail extrêmement fin, sont vraisembla-
blement un ajout postérieur qui n'est pas de l'artiste lui-
même. Il est vrai toutefois que la même inscription est
aussi présente dans la seconde des deux seules épreuves
aujourd'hui conservées. Cette gravure parvint même
jusqu'à Istanbul et fait partie d'une collection d'estampes
européennes que fit réunir Mehmet Il.
Dans un premier temps, l'on trouvera peut-être sur-
prenant que le profil de l'avant-dernier empereur byzan-
tin, venu en Italie pour obtenir un soutien contre les
Ottomans, ait été transformé en portrait de son ennemi
héréditaire. L'existence d'autres versions du portrait de
l'empereur d'Orient en sultan montre toutefois que cette
transformation n'était nullement le fruit du hasard.
En réalité, l'adaptation du portrait correspond d'une cer-
taine manière à l'idée d'une translatio imperii, d'un trans-
fert de la dignité impériale de l'ancien vers le nouveau
souverain de Constantinople. Si les ressemblances entre
Cat. 72 les portraits ont leur importance, les différences ne sont
An tonio Pisa nello (Pise, 1395 - Rome, 1455) pas moins éloquentes: représenté avec un dragon cra-
Portra it en médaillon de Jean VIII Pal éo lo9 ue, cheur de feu sur sa coiffe, bouche entrouverte, sourcils
1438- 1439
ondulés comme des flammèches, le sultan présente une
Bronze coulé, diam. 10,3 cm
Vienne, Kunsthistorisches Museum, Münzkabinett, inv. 290bB apparence encore plus dynamique et menaçante que
l'empereur. La barbe plus longue, la lèvre supérieure
rasée, la torsion zoomorphe de la coiffe et l'excès de
pierreries soulignent l'altérité de ce souverain. Cat. 73

UN EMPEREUR DEVIENT SULTAN Tout comme la médaille de l'empereur, l'image d'un sul- Alba rello décoré d'un portra it imaginaire,
Flore n ce, Tosca n e(?), 14 80-1500
tan agressif, extérieurement attirant, fut à son tour exploi- Faïence glaçurée à l'étain, haut. 26,2 cm
Le portrait en médaillon (cat. 72) qu'Antonio Pisanello monnaies. Toutefois, et contrairement au cas des mon- tée comme modèle. Des reprises s'en trouvent dans la Londres, The British Museum, inv. 1906,0418.1
crée en 1438-1439 pour la visite de l'empereur byzantin naies, les médailles et leurs portraits particulièrement Historia CaptaeA Tvrca Constantinopolis (Nuremberg, 1541),
Jean VIII à Florence, a connu un double succès. D'une soignés ne servaient pas de moyen de paiement, mais première version imprimée du récit de la conquête de
part, cette médaille allait déclencher un engouement étaient plutôt une « devise de la gloire ». Elles circulèrent Constantinople (1543) par Léonard de Chio, de même que
pour ce médium, qui se répandit non seulement en avant tout sous forme de présents dans les cercles de la sur un «pot de pharmacie » du dernier quart du xv• siècle
Europe, mais temporairement aussi à la cour ottomane ; noblesse européenne avant d'atteindre ceux des érudits. (cat. 73). Ici, le profil est moins détaillé et le dragon a été
d'autre part, le portrait de profil de l'empereur qui en À partir des années 1450, sans doute inspiré par leur ori- traduit en une sorte de plumet. Si l'identification n'est
décore l'avers allait servir de modèle pour de nom- gine impériale, le sultan Mehmet II fit à son tour réaliser plus assurée, la barbe et la coiffe insolite continuent de
breuses autres œuvres d'art. plusieurs médailles à son effigie (voir cat. 75-77). renvoyer à une haute personnalité orientale. La représen-
Le bronze coulé de Pisanello fut probablement ins- Si la médaille en tant que médium connut ensuite tation d'Orientaux, en partie de médecins savants comme
piré par deux médailles antérieures créées en 1402 à une grande vogue, ce fut aussi le cas du profil de l'em- Avicenne (Ibn Sina) et Averroès (Ibn Rochd), n'était pas
Paris pour la visite de l'empereur byzantin Manuel II, pereur, avec sa barbe taillée en pointe et sa coiffe très inhabituelle sur des albarelli. Sans doute s'agissait-il de ren-
médailles qui montraient aussi deux empereurs particulière. Au xv• et au début du xvr• siècle, ce portrait voyer ainsi à l'origine et à la valeur des plantes médicinales
romains, Constantin et Héraclius. À l'origine, la médaille apparaît fréquemment en différentes déclinaisons for- conservées dans ces pots, ou encore à la science médicale
entendait donc poursuivre sous une autre forme la melles dans des gravures, des peintures sur panneau, des transmise par la littérature arabe.
tradition antique des profils impériaux frappés sur les enluminures, sur des cassoni (coffres de mariage) et sur AS

Bibl.: Saviello 2010; Chong 2005-2006; Mack 2002-2006, p. 6-7, 97-101


et 155-157; Raby 2000; Raby 1987; Weiss 1966.

172
AU SERVICE DE LA PROPAGANDE Le revers suit une médaille de Lionel d'Este, duc de les trois nus soient couronnés s'appuie en l'occurrence
Ferrare, créée vers 1441 par Pisanello, médaille au revers sur le revers de la médaille de Bellini, où figuraient uni-
de laquelle figure également un nu masculin couché qui, quement trois couronnes. Cette allégorie réitère le mes-
.. ; étant identifié à Bacchus, pouvait être mis sur un même sage de l'inscription de l'avers, qui désigne Mehmet II
(
(
'· ).,
plan qu'Alexandre le Grand, le conquérant de l'Inde. comme le souverain de trois royaumes. Tout comme le
, I'

~ ~ t,,, Le fait que Mehmet II se voyait lui-même comme un revers de la médaille de Costanzo, la dynamique triom-
'/·' / nouvel Alexandre n'était un secret pour personne. phale ici représentée illustre la volonté expansionniste
1 /:),. •/.
Il en va tout autrement d'une médaille de double du sultan, dont l'Italie fit elle-même les frais, comme
;t diamètre (cat. 76) créée par Costanzo da Ferrara, qui le montra le siège d'Otrante en 1480.
.,, Il
1_-,. • .·/" séjourna à Constantinople - sans doute en 1477 ou en Un plat ombrien semble avoir été réalisé sous l'in-
/• 1478 - sur l'ordre de Ferrante 1er, roi de Naples (r.1458- fluence, certes bien plus tardive, d'un de ces portraits en
1494). La médaille qu'il y réalisa n'existe aujourd'hui médaille. Elle montre un jeune homme vêtu à l'orientale
/
qu'en un seul exemplaire conservé à la National Gallery contemplant un rameau fleuri. Le décor d'arabesques
Cat. 75
of Art de Washington. Comme l'indique l'inscription de de la bordure et les petites fleurs bleues sur fond blanc,
Cat. 74
Italie (successeur de Pisanello) G entile Bellini (Venise, 1429 -Venise, 1507) la date au-dessus du turban, de nouveaux coulages n'en qui apparaissent fréquemment dans les majoliques de
Médaille de Mehmet II, années 1450-1460 ? Médaille de Mehmet Il, 1479-1480 furent réalisés qu'en 1481, à une époque où Costanzo Deruta du xvre siècle, ont vraisemblablement été ins-
Revers: nu masculin couché Revers : Trois couronnes était depuis longtemps rentré en Occident. Après la pirés par les majoliques espagnoles ou les ouvrages en
Bronze Bronze
Diam. env. 60 mm Diam. env. 95 mm
mort de Mehmet II, on voulait sans doute commémorer métal ciselé proche-orientaux.
Inscription (à l'avers): MAGNVS ET ADMIRATVS . Inscription à l'avers : MAGNI SVLTANI MOHAMETI IMPERATORIS: le Gran Turco. Cette médaille immédiatement recon- SE
SOLDANVS. MACOMET. BEI au revers: GENTILIS BELLINVS VENETVS EOVES AVRATVS
Vienne, Kunsthistorisches Museum. Münzkabinett, inv.10932bB COMESO. PALATINVS. F
naissable au portrait en buste finement travaillé a été
Vienne, Kunsthistorisches Museum, Münzkabinett, inv. 297bB qualifiée comme une des plus belles de la Renaissance. Bibl.: Andaloro 1980; Raby 1987; Necipoglu 2000; Raby 2000; Spinale
Le revers montre le sultan armé du kilij et monté sur 2003; Boston et Londres 2005-2006, cat.15-22, p. 70-78 (Susan Spinale);
Waddington 2008, p. 6-9; Meyer zur Capellen 2009; Chiappini di Sorio
un cheval avançant au pas. Les deux images ne font pas 2009; Sani 2012; Blass-Simmen 2015.
seulement penser à l'imperator cité par les inscriptions
des deux faces, mais évoquent aussi son surnom Fatih,
le Conquérant.
En comparaison, la médaille vraisemblablement pos-
térieure réalisée par Gentile Bellini (cat. 75) - la seule à
présenter la signature du Vénitien-, est d'un effet beau-
coup plus réservé. La fraîcheur et l'expression énergique
et résolue du visage qui caractérisent la précédente
médaille ont disparu. En revanche, la corpulence mas-
sive du modèle a été mise en valeur, de même que cer-
Cat. 76 Cat. 77 tains détails de l'habit. Le revers est surprenant: à côté
Costa nzo da Ferra ra (di Moys is, actif vers 1474-1524) Bertoldo di Giovanni (F lorence, 1435/1440- Poggio a Caiano, 1491)
de la signature de l'artiste, l'inscription met fortement
Médaille de Mehmet II, 1481 Médaille de Mehmet II, années 1480
Revers : Allégorie de la Victoire
l'accent sur le titre d'eques auratus conféré à Bellini par
Revers : Portrait équestre de Mehmet II
Bronze Bronze
Mehmet IL Seules les trois couronnes superposées ren-
Diam. env. 115 mm Diam . env. 90 mm voient au sultan et à sa souveraineté sur les royaumes de
Inscription à l'avers : SVLTANI MOHAMMETH OOTHOMANI VGVLI Inscription à l'avers: MAVMHET ASIE AC TRAPESVNZIS MAGNE
8/ZANTII INPERATORIS 1481 : au revers : MOHAMETH ASIE ET GRETIE OVE GRETIE IMPERAT : au revers: GRETIE / TRAPESVNT / ASIE
Grèce, de Trébizonde et d'Asie. Le même motif fut utilisé
INPERATORIS YMAGO EOVESTRIS IN EXEROITVS Signé: OPVS / BERTOLDI / FLORENTIN / SOULTOR/ 18 par Bellini - en l'occurrence redoublé - dans le portrait
Signé au revers: OPVS /C ONSTANT/1 Vienne, Kunsthistorisches Museum, Münzkabinett, inv. 295bB
2° état
du sultan aujourd'hui conservé à Londres (voir cat. 65).
Vienne, Kunsthistorische s Museum , Münzkabinett, inv. 293 bB Bertoldo di Giovanni s'est quant à lui inspiré de la
médaille de Bellini pour créer son propre portrait en
médaille de Mehmet II (cat. 77 ), qui a très vraisembla-
blement vu le jour à Florence sous Laurent de Médicis,
dont l'émissaire l'apporta à Constantinople en mai
DÉCORATION EXOTIQUE à des États et des princes italiens de lui envoyer les 1480. La médaille de Bertoldo faisait partie des présents
artistes compétents en la matière à Constantinople. diplomatiques remis à la Sublime Porte pour remercier
C'est un fait bien connu que Mehmet II nourrissait Pour autant, il existe aussi des médailles qui n'ont sans le sultan d'avoir livré Bernardo Bandini, un des princi-
une grande passion pour le portrait en médaille. Les doute pas été commandées par Mehmet II, comme le paux acteurs de la conjuration des Pazzi, dans le cadre
médailles ont sur les peintures l'avantage d'être rapide- suggère un de ses tout premiers portraits en médaille de laquelle Julien, le frère de Laurent, avait été assas-
ment reproductibles et très robustes: elles étaient donc (cat. 74). Les traits du sultan n'y correspondent en effet à siné. Au revers de cette médaille figure une allégorie
tout indiquées pour servir de présents diplomatiques aucun de ses autres portraits. De même, certains détails antiquisante de la Victoire montrant Mehmet II coiffé
aux souverains orientaux ou occidentaux. On peut par- de l'habit et du turban montrent que l'artiste italien d'un turban, barbu, vêtu d'un manteau flottant au vent,
tir du principe que Mehmet II a connu la médaille de n'avait qu'une piètre connaissance des vêtements otto- debout sur un char triomphal, brandissant de la main
Jean VIII Paléologue créée par Antonio Pisanello (voir mans. L'inscription nous apprend qu'à l'époque, le sultan gauche une figure de la Victoire. La corde qu'il tient dans
cat. 72), et qu'il utilisa ce médium pour propager ses se satisfaisait encore des titres d'amir (amiras ou admi- sa main droite enlace trois nus féminins désignés par
objectifs politiques. Le sultan demandait régulièrement ratus) et de be9 (bey) avant de se faire appeler imperator. les mots «Grèce », «Trébizonde» et «Asie». Le fait que

Cat. 78
icola Francioli, dit« Co»
Plat lustré sur pied bas décoré d'une.figure en costume turc, Deruta, vers 1525
Faïence, glaçure opaque, décor lustré, diam. 25 cm
174 res Sa ' "" Beou est Voctoria and A lbert Museum. inv. C.2185-1910
MARQUE DE POUVOIR des yeux européens, la forme idiosyncrasique du casque
ne pouvait manquer d'évoquer la tiare pontificale, dont les
Ces deux feuilles montrent deux ouvrages de joaillerie trois couronnes étaient surmontées ici d'une quatrième,
extraordinairement précieux réalisés pour le sultan tandis que le bourrelet garni de diamants taillés en pointe
Soliman 1er. La gravure sur bois est essentiellement rappelait la couronne rayonnante des empereurs romains.
consacrée à la description du casque exubérant; le profil Le casque exprime donc les revendications territoriales
caractéristique du sultan y semble presque insignifiant. de l'Empire ottoman, qui s'était allié à Venise et à la France
La coiffure consiste en un haut casque en forme d'ogive contre le Saint Empire romain et le pape.
composé de quatre couronnes superposées, garnies cha- Il est tout à fait possible que la pennacchiera - nom
cune de pierres fines et de perles. Le bourrelet qui ceint le donné à l'aigrette dans un document de 1581 - ait figuré
front est décoré de diamants taillés en pointe, la nuquière parmi les pièces de joaillerie accompagnant la coruscante
présente un ornement floral et de pierres fines. Le cimier campagne de Soliman en 1532. Un chroniqueur anonyme
garni d'autres pierres et se termine par le corps d'un décrit le casque aperçu sur la tête d'un des douze pages du
oiseau de paradis, avec son long plumage haut en couleur. proche entourage de Soliman lors de l'entrée du sultan à
Au centre de l'aigrette méticuleusement décrite en son Belgrade. Quant à savoir si Soliman le Magnifique a jamais
éclat resplendissant, brille une grande émeraude. Cette lui-même porté le casque, la question reste ouverte dans
pierre et des spinelles de taille inférieure sont cernés la mesure où la gravure vénitienne se borne à le combiner
de ramures dorées ornées de petits glands et de plus avec le profil très répandu du sultan. La campagne de 1532
grandes perles. Parmi les rameaux sont tapis de petits ne rapporta aucune conquête militaire. En 1534 et 1536,
dragons, lézards et aigles en émail vert. Au sommet, un Gritti et le grand vizir succombèrent à leurs propres ambi-
croissant d'argent garni de diamants rappelle la destina- tions et périrent de mort violente. La politique de Soliman
tion ottomane de l'aigrette. De part et d'autre de l'épingle fut désormais dirigée vers l'Orient et l'acquisition d'objets
ornementée, des chaînettes terminées par des crochets d'art à forte connotation européenne perdit tout son sens.
pointus permettent de fixer l'aigrette au turban. Pour RBE
finir, le dessinateur s'est surpassé dans les trois plumes
d'autruche jaillissant de derrière le croissant. Bibl.: Kurz 1969, p. 249- 258; Necipoglu 1989, p. 401-427 ; Rapp 2003,
Bien que les formes générales du casque et de l'aigrette p. 105-149; Paris, New York et Venise 2007, p. 316-317, cat. 59 (Wendy
Thompson).
suivent des types ottomans, le vocabulaire ornemental est
manifestement d'origine européenne. Les deux pièces de
joaillerie ont joué un rôle important dans la trame d'in-
térêts politiques et économiques tendue entre l'Orient
et l'Occident. S'agissant de chefs-d' œuvre qui surclassent
d'autres pièces de même destination, leur histoire est
bien documentée. Le casque et l'aigrette emplumée sont
l'œuvre de l'orfèvre vénitien Luigi Caorlini et de son
atelier. Selon Paolo Giovio, le cerveau qui fut à l'origine
du casque fut Alvise Gritti, fils naturel du doge Andrea
Gritti et marchand talentueux établi à Istanbul, sa ville
natale. Alvise fut un proche du grand vizir Ibrahim Pacha
(Pargal1 lbrahim Pa§a), qui jouissait de l'entière confiance
du sultan et qui exerçait une influence décisive sur sa
politique envers les souverains occidentaux.
Le casque fut exposé pour la première fois le 14 mars
1532 sur le Rialto. Un messager l'escorta jusqu'à Andrinople
(Edirne), où Ibraltim Pacha la reçut le 12 mai pour la
somme de 115 ooo ducats. De là, le casque commença à
jouer un rôle fortement symbolique dans la mise en scène
orchestrée par Gritti et le grand vizir. Soliman désirait
étendre son empire vers l'ouest, même dans les années
qui suivirent l'échec du siège de Vienne en 1529. En 1532,
il mena en Occident une campagne qui, dans ses terri-
toires d'origine, prit l'allure d'un cortège triomphal. En
qualifiant le casque de «trophée d'Alexandre le Grand»
Cat. 79•
Attribué à Giova nni Britta
dans un entretien avec l'ambassadeur de Venise Pietro
(actif1531-vers 1550) Zen, Ibrahim Pacha l'associait donc au conquérant du
Le Sultan Soliman l" coiffé du casque monde antique. Si l'image dont il se servait pouvait trouver
garni de pierres précieuses, vers 1532 un écho chez quelques observateurs orientaux, pour un
Gravure sur bois, 92 x 55,8 cm
Inscription sur la bannière: · SVLIMAN ·
public oriental élargi, des coiffures comme les couronnes
OTOMAN ·/·REX· I TVRO ·X étaient inconnues en tant qu'insignes. Inversement, pour
Inscription manuscrite à l'encre: Die Oron
dieses Türckischen Keysers Solimanni ist Cat. 80
geschii.tzt auffünffmal hundert tausend Ateli er des frères Caorlini
ducaten
Aigrette à plumes d'autruche
New York, The Metropolitan Museum of Art,
Venise, vers 1530
Harris Brisbane Dick Fund, inv. 4 2.41.1
Erlangen, Universit.tsbibliothek Erlangen- Peinture et dorure sur parchemin. 52.9 x 33,5 cm
ümberg. Graphische Sammlung inv. BH 70a JI unich. Baverisches ationalmuseum. inv. R 8221
LEJEUNE SOLIMAN SOLIMAN EN ARMURE
Le portrait au burin daté de 1526 et attribué au Ce portrait en pied du sultan Soliman, au visage de
Monogrammiste AA mérite une attention particulière profil et le buste tourné vers sa gauche, appartient à une
parce qu'il semble nous transmettre de façon fiable un série de gravures sur bois rassemblant des portraits de
portrait aujourd'hui perdu du sultan Soliman 1er, né souverains et de princes contemporains, éditée par Hans
en 1494. Par un rendu dont la précision s'étend jusqu'à Guldenmund. Le sultan se tient au-dessus d'un cours
l'inscription en arabe, il va encore plus loin qu'un des- d'eau, un pied sur chaque rive, tenant un sceptre à la
sin à la mine d'argent, très supérieur du point de vue main droite. Il porte une armure semblable à celle des
artistique, réalisé et daté de la même année par Dürer autres chefs d'État de la série. Les jambières sont notam-
(Winkler n° 906). Pour ce dessin sans doute réalisé à ment typiques des armures européennes du xv1e siècle,
Nuremberg, il est probable que Dürer se soit appuyé sur de même qu e le plastron, en partie recouvert d'un man-
une peinture, comme le suggèrent les notes internes teau qui présente certains traits caractéristiques du delia
portant sur des couleurs. De son côté, le graveur ano- oriental, mais dont la longueur ne dépasse pas le genou.
nyme a peut-être copié une autre version du même Cat. 83 Les seuls éléments orientaux permettant d'identifier
Anonyme des Pays-Bas(?)
portrait. Ces deux œuvres comptent donc parmi les plus l'origine turque du modèle restent le turban surmonté
Méda ille, 1532 (?)
anciens portraits occidentaux de Soliman aujourd'hui Bronze, une face, diam. 104 mm
d'une couronne et le cimeterre que le sultan porte au
connus. Une gravure sur bois italienne conservée à la Inscription sur la tran che: +TE.DECET.0.FELIX. VLTRA.PLVS.PERGERE.CESARI côté, sur lequel il pose la main.
CESAREO.PRESENS.DED/CET.ENSE.CAPVT
Bibliothèque vaticane (Ms. Chigi G. II. 39 ) et montrant Londres, Th e British Museum, Departm ent of Coins and Medals, inv. 1906,1103.1453
En dessinant les portraits de Soliman et de son épouse
le sultan tourné vers la gauche, est probablement encore Roxelane (ce dernier connu par des copies), Michael
antérieure. Donati la considère comme l'archétype de Ostendorfer s'est inspiré des bois gravés d'Erhard Schën
toutes les autres versions de ce type, mais elle semble datant d'environ 1535 (cat.104). La ressemblance frap-
plutôt s'appuyer elle aussi sur une peinture. Le fait que pante du profil, les plis du turban et même la disposi-
les deux feuilles de l'exposition ont vu le jour en 1526, L'EMPEREUR, tion des manches sur les épaules et les bras du sultan
qu'elles sont donc pratiquement contemporaines, est lié
à la bataille de Moha.es livrée la même année : elle s'était
LE SULTAN semblent également expliquer pourquoi - contraire-
ment aux autres portraits de cette série où le modèle est
conclue par une écrasante défaite des Hongrois (voir ET L'ANGE représenté de trois quarts - l'artiste a décidé de faire une
cat. 8-10) qui aura sans doute excité la curiosité concer- exception pour celui de Soliman en restant fidèle à la
nant le commandant des armées ottomanes en pleine La médaille présente trois personnages échelonnés en représentation originale.
progression. Ce lien devient encore plus flagrant avec le bas-relief. Le premier plan est dominé par le buste en MD
portrait au burin de conception similaire réalisé par le contrapposto de l'empereur Charles Quint, qui porte
Cat.81
Hierony mus Hopfer (Augsbou rg, 1500 - N ure mberg, 15 63) Monogrammiste AA : ce portrait de Louis II de Hongrie, l'insigne de l'ordre de la Toison d'or dans la tradition Bibl. : Campbell 1903, p. 239, 252 ; Wyn en 1961, p. 166- 167 et cat.105;
Le Sultan Soliman I" , 1526 qui périt à la bataille de Moha.es, semble avoir été conçu de la chevalerie bourguignonne. Juste derrière l'empe- Ho. n°37.
Eau-fo rte, 22,5 x 16,1c m comme un pendant ou un complément. Le portrait de reur apparaît le profil du sultan Soliman qui, comparé
Inscription en haut : SVLEYMA N AIN KAISER DER TIRCKEI ; en bas: UMB UNSER [. ..]
ÜBER EUCH, HIEREMIE: VJ; à droite, au milieu, inscripti on
Soliman 1er par le Monogrammiste AA a servi pour sa aux portraits diffusés peu de temps auparavant par des
(en arabe): SHAH 8/N SELIM SHAH part de modèle au graveur augsbourgeois Hieronymus gravures (voir cat. 81-82), présente des traits fortement
Monogrammé à gauche, au milieu : J.H.
Londres, Th e British Museum, Departm ent of Print s and Drawings,
Hopfer. Avec les citations de la Bible ajoutées dans un caricaturaux. Les petits yeux et les parties délibérément
inv. 1845,0809.1476 champ spécifique au bas de l'image, celui-ci fait claire- charnues de son visage contrastent nettement avec la tête
ment comprendre que la terreur de la chrétienté sera ascétique de l'empereur, dont le regard vigoureux fixe
finalement frappée par le châtiment de Dieu. le lointain. L'intention polémique de cette composition
GM antithétique est confirmée par l'inscription sur la tranche
de la médaille : l'ange que l'on aperçoit au fond à gauche
Bibl. cat. 81; Ho. n° 62.JI; Berlin 1989, cat. 7/33. exhorte l'empereur à marcher en tête et prophétise que la
Bibl. cat. 82 ; Hind vol. 2, p. 301, n° 3ia; Istanbul 2000, cat. 13.1 (Jürg Meyer tête du sultan tombera bientôt sous l'épée de l'empereur.
zur Capellen); sur la gravure sur bois, voir Donati 1956, p. 219- 228.
Ce message fonctionne comme fondement divin de l'am-
bition de Charles Quint d'un empire universel, que les
victoires de Soliman remettaient en question. L'annonce
d'un combat imminent entre les deux adversaires a sans
doute été formulée à l'occasion du séjour de l'empereur à
Vienne en 1532. Son départ précipité vers l'Espagne ainsi
que les hésitations à l'approche des troupes ottomanes
empêchèrent une rencontre directe des deux souverains
rivaux.
RB

Bibl. : Waddington 2008, p.12-13.

Cat . 82 Cat. 84
MonogrammisteAA (actif vers 1526 en Ita lie) M ichael Ostendorfer (H emau, 1490/1494 - Ratisbonne, 1559)

Le Sulta n Soliman I", 1526 Portrait du su ltan Soliman I" , 1548


Gravure au burin sur cuivre, 14,8 x 12,4 cm Gravure sur bois, 33,2 x 24,7 cm

1MPERA(f)RJi/ Inscription en haut (en arabe): SHAH 8/N SELIM SHAH;


en bas: SVLEYMAN IMPERATOR T{URCORUMJ
Signé et daté en bas: 1548 (le 5 à l'envers)/ MO
Inscription en haut: EJn War abconterfaction Mit namen Sultan Solleymon [... ]
Daté 1526 à gauche, au milieu Gotha, Stiftung Schloss Friedenstein, Kupferstichkabinett, inv. 38.33/69
\[ .,,nn.,, 61h..:>.n>n~ ·n n<11QR? / 117~ 178 ï9
Cat. 85
Hans Eworth (actif de 1540 à 1574)
Le Sultan Soliman à cheval
Panneau, 56,9 x 48,3 cm
Signature sur la pierre en bas à dro ite : 164 9/ HE
Collection pri vée TEXTE ET ILLUSTRATIONS
Cat . 86 Avec celles d'Ibrahim Pacha et de Sansaco (cat.117 ), cette
Niccolô Nell i (vers 1530- Venise(?) 15 76/1585)
feuille forme vraisemblablement la série des «Trois
Soliman à cheval , entre 1566 et 1576/1585
Assiégeants de Vienne». Dans ce portrait de Soliman le
Gravure sur cuivre: 53,6 x 40,6 x 3 cm (encadré)
Inscription sur le carto uc he, surmontée d'un croissant de Lune: Magnifique, Sebald Beham a réuni des éléments puisés à
SVLTAN SOLIMAN/ lmperador de Tur/c hi Entro al gouer/ no L'anno deux sources distinctes. La représentation du sultan, par-
1619 et mori L'anno 1666
Cobourg, Kunst sammlungen der Veste Coburg, inv. xn, 24, 2 (ill.) ticulièrement le somptueux habit et le turban, correspond
Cracovie, Muzeum Ksi'IZ'lt Czart orysk ich, inv. XV-R.6807 à la mode ottomane de l'époque et s'appuie sans doute sur
des modèles qui peuvent être rapprochés des descriptions
précises réalisées par l'atelier de Bellini à Venise.
En revanche, le sceptre que tient Soliman correspond
plutôt à un type familier en Allemagne du Sud. Le sabre
ottoman, dont le pommeau doré dépasse du manteau,
a été rendu de manière erronée. Ainsi représenté, il est
en effet beaucoup trop court: sa pointe devrait ressortir
à l'arrière du manteau. Tout comme le sceptre, le cheval
du sultan aura sans doute été inspiré de modèles de l'en-
vironnement de Beham. Le harnachement, les houppes,
le couvre-reins et son motif géométrique renvoient à
des sources locales allemandes. De plus, le cheval ne
présente pas le traditionnel wundschuk en usage dans
l'espace ottoman, une décoration fixée sous le collier
d'attache, réalisée le plus souvent en argent ou en cuivre
doré, et à laquelle est suspendue une houppe ou du crin
de yack. La collection des armes et armures de Vienne
conserve des pièces comparables (vers 1550 ; inv. C 156).
À la place du wundschuk, Beham a représenté un grelot
semblable à ceux que l'on peut voir au niveau des garde-
rênes métalliques, du collier et de la croupière.
SI<

Bibl. : Geisberg n° 297; Ho. Ill, P. 227.

UN SPLENDIDE CAVALIER en s'inspirant de dessins que son compatriote Pieter


Coecke van Aelst avait réalisés à Constantinople (cat. 68 ).
Afin de faire la démonstration de sa puissance, le sultan Il a emprunté la tête de Soliman au portrait de Hopfer
Soliman se rendait à cheval à la prière du vendredi, dans (cat. 81) et habilement mis en œuvre les proportions
une mise en scène hebdomadaire qui ne manqua pas surdimensionnées du célèbre turban afin de créer une
d'impressionner les diplomates et voyageurs séjournant note d'exotisme.
dans la capitale ottomane.À partir de 1530, de nombreux Sur la gravure de Niccolô Nelli, Soliman figure en
écrits ou œuvres graphiques témoignent de ces somp- revanche comme un souverain empli de dignité. La
tueux cortèges destinés à rivaliser avec les défilés des physionomie du sultan est vraisemblablement inspirée
rivaux politiques romains et vénitiens du sultan, ou de du portrait plein de sensibilité créé par Melchior Lorck
Charles Quint. en 1559 (cat. 106 ).
L'un comme l'autre, Eworth et Nelli soulignent la RB
splendeur du souverain ottoman en l'isolant du reste Cat. 87'
Seba ld Beham ( N uremberg, 1500- N uremberg, 1550)
du cortège; cependant, ils ont obéi dans l'élaboration Bibl. cat. 85 : Londres 1995- 1996, p. 64, cat. 22 (Karin Heam);
Le Sultan Soliman l" , vers 1530
artistique à des considérations différentes. Eworth, pein- Le Thiec 1996; Istanbul 2000, p. 116, cat. 19 (Jürg Meyer zur Capellen ).
Bibl. cat. 86 : Pilon i 1997, Budapest 1994, cat. 6 (Beatr ix Basics). Grav ure sur bois (colori ée à la main), 30,9 x 20,1cm
tre originaire d'Anvers, actif par la suite en Angleterre, En haut, impression typographique : Absagbrieff/wie Sultan Solleyman
a probablement conçu les personnages à l'arrière-plan Künig Ferdinando zu zu
geschickt l ..JHanns Guldenmundt / Nürmberg
in Sanct / Gilgen gassen
Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen, inv. MB2010/2A

180 181
TITIEN A-T-IL PEINT LE PORTRAIT DU SULTAN?
Sous le règne de Soliman, qui dura plus de quarante particulier vers 1530-1540. Une datation plus ancienne
ans, l'Empire ottoman connut sa plus grande expansion est justifiée par l'aspect juvénile du sultan qui rendrait
sur trois continents et s'étendit vers l'ouest jusqu'aux plausible un modèle datant des années 1520. Cette idée
portes de Vienne. En Europe, Soliman était appelé « le est étayée par les portraits individuels de Soliman docu-
Magnifique». Des ambassadeurs européens auprès de mentés à partir de 1538.
la Sublime Porte et les artistes qui les accompagnaient La comparaison montre que ces deux portraits se
(voir cat. 69) rapportent la splendeur des cortèges escor- réfèrent à une tradition fondée par la série de portraits
tant ses sorties à cheval, mais parlent aussi de sa modes- de Giovio. Les copies effectuées après 1543 fournissent
tie et de sa dignité. donc un point d'appui déterminant pour la datation du
Le portrait de Vienne présente Soliman en jeune souve- tableau de Vienne. Ce portrait est généralement consi-
rain, le visage de profil et le buste de trois quarts, le regard déré comme issu de l'entourage de Titien ou comme une
fixé au loin. Sa physionomie est marquée par un nez copie d'une de ses œuvres. La souveraineté avec laquelle
légèrement courbe et une moustache. Coiffé d'un volumi- Soliman emplit le format et le nombre d'œuvres que
neux turban sphérique à calotte (külah) qui lui couvre le ce type de représentation a inspirées à Venise parlent
front, la nuque et l'oreille, dont le lobe est replié, il porte en faveur de la paternité de Titien. La qualité de détails
un caftan rouge à manches courtes et à boutons dorés, comme les boutons dorés ou la bague indiquent un
ainsi qu'une pelisse sans manches sur un vêtement de peintre capable d'imiter la manière de Titien. Mais la
brocart. De sa main droite où brille une pierre précieuse, question de l'attribution demeure non résolue.
il tient une flèche dont on ne voit pas la pointe. WD
L'attribution de ce portrait à l'entourage de Titien, l'un
des plus grands peintres de la Renaissance vénitienne, Bibl. : Majer 1990, 110; Dresde et Bonn 1995-1996, p. 74, cat. 21
est due en grande partie, comme le montrent d'an- (K. Schütz); Istanbul 2003-2004, p. 102, cat. 18 (A. Rensi ); Vienne
2007-2008, p.167-168, cat. 1.3 ( C. Bischoff, avec bibl. ant.).
ciennes documentations, à l'inscription «TIZIANO» visible
au dos.Aucune rencontre personnelle n'est cependant
attestée entre Titien et Soliman. Le peintre a dû recourir
à des représentations du souverain ottoman diffusées en
Occident. Un grand nombre de portraits a en effet cir-
culé, en particulier après l'effondrement du royaume de
Hongrie - qui avait bloqué pendant presque deux siècles
l'expansion de l'Empire ottoman vers l'Europe centrale -
à la bataille de Mohacs (1526).
Ce portrait est proche du type Soliman propagé par
Paolo Giovio (1483-1552). Pour sa collection person-
nelle rassemblant des personnalités célèbres du Moyen
Âge et de la Renaissance, celui-ci avait fait copier une
série de portraits de sultans, d'après des miniatures
que l'amiral ottoman Khayr Al-Din Barbarossa avait
offertes en remerciement à un commandant français en
1543. La série de copies commandée par Giovio, qui n'a
donc pu être effectuée qu'après cette date, a aujourd'hui
disparu, à l'exception du portrait de Mehmet rerÇelebi
(Côme, Museo Archeologico Paolo Giovio, inv.158). On
peut se faire une idée des autres portraits de sultans
par les copies contemporaines faites sur place d'après
ces modèles, la série de Cristofano dell' Altissimo pour
le duc Cosimo de' Medici, et les gravures sur bois de
Tobias Stiminer (cat. 90) pour l'imprimeur bâlois Pietro
Perna. Comme sur le portrait de Vienne, Soliman est
représenté de trois quarts et porte un turban sphérique
qui lui replie l'oreille. Stimmer fit aussi de lui un por-
trait en buste avec une flèche, mais quelques différences
apparaissent toutefois: Altissimo place Soliman dans un
plus petit champ et ajoute une inscription; Stimmer lui
donne des traits plus âgés.
En ce qui concerne la datation du portrait de Vienne,
les spécialistes penchent pour les années 1520-1550, en ût. Car. 89
C · fano ddl' Altissimo (Florence?, vers 1530 - Florence, 1605) Artiste vén itien, d'après Titien (Pieve di Cadore, vers 1490 - Venise, 1576)
uS Iran Soliman II, 1552-1560 Le Sultan Soliman II, après 1543
Panneau. 58 x 45 cm Huile sur toile, 99 x 85 cm
lnsaipoon à droite : SOUMANUSI AET. XLIII Vienne, Kunsthistorisches Museum, Gemâldegalerie, inv. GG 2429
Aonance. GaDeria degfi Uffizi, inv. 1890. 3051

183

LA FOUDRE AU MUSÉE portraits conservés à Côme, qui furent ensuite édités à EXAMEN D'UNE DYNASTIE
Bâle par Pietro Perna. Le portrait du sultan Bajazet 1er
Par son ouvrage Commentario de le chose de' Turchi (1532) (r.1389-1402) se trouve dans le volume consacré aux I.:humaniste Félix Petancius (cro. Petancié), originaire
délibérément rédigé dans une langue proche du peuple, héros militaires: il est présenté dans un cadre au décor de Raguse (Dubrovnik), fut un connaisseur de l'État
Paolo Giovio (1483-1552), médecin, historien et plus tard foisonnant où l'on voit notamment deux figures en ottoman et de son histoire. À côté de son Historia
évêque, a fourni une importante contribution à la diffu- pied qui semblent toutefois n'avoir aucun rapport avec Imperatorum Regni Turcici (cat. 92) et de sa Genealogia
sion d'une image différenciée de l'Empire ottoman. lui. Le champ de l'image, avec ses angles coupés emplis Turcorum Imperatorum (cat. 91), on lui a longtemps
Le Musaeon installé dans sa villa du lac de Côme a servi d'enroulements, évoque la forme d'un médaillon. Par attribué le De itineribus in Turciam libellus, qui traite éga-
de modèle aux collections princières de Florence et sa barbe à deux pointes, son nez aquilin et son regard lement des Ottomans et envisage les possibilités d'une
du château d'Ambras. Parmi les pièces de la Gioviana acéré, le sultan représenté de profil donne une impres- croisade. Agostino Pertusi a toutefois pu prouver que ce
se trouvait un élément particulièrement intéressant, sion de grande fermeté. La flèche qu'il tient à la main et texte, le plus célèbre de Petancius, était un plagiat.
une série de onze portraits miniatures de sultans que l'éclair en haut à gauche font référence à son légendaire Le livre de la Historia et le rotulus de la Genealogia ont
l'amiral ottoman Khayr Al-Din Barbarossa avait remise à surnom de Ytldmm (l'éclair). tous deux vu le jour pendant le service de Petancius à la

Virginio Orsini, son homologue au service des Français. RB cour royale de Buda, en Hongrie, dont il dirigea très pro-
Ces portraits, exposés avec d'autres objets ottomans bablement non seulement le scriptorium, mais aussi des
dans la Sala de Turchi, étaient assortis de brèves biogra- Bibl.: VD 16, G 2066; Ho. n° 546; Tanner 1984; Le Thiec 1992; missions diplomatiques qui le conduisirent à la Sublime
phies poétiques composées par Giovio. Les Elogia furent Majer 2000. Porte à Istanbul en 1513. Les manuscrits enluminés sont
publiés en 1546. Après la mort de Giovio, le graveur des réalisations de luxe sur parchemin dédiées toutes
suisse Tobias Stimmer copia un grand nombre des deux au protecteur de Petancius, Ladislas II, alors roi de
Bohême (r. 1471-1516) et de Hongrie (r. 1490-1516 ). ,..., .•
Dans la Genealogia, l'auteur décrit la structure de l'État
ottoman. Parallèlement au texte d'introduction apparaît
une chaîne de portraits en médaillon des huit sultans
ottomans représentés en buste jusqu'à Bajazet Il, sultan
régnant à l'époque. Ces portraits sont suivis d'autres
médaillons présentant les portraits de différents digni-
taires de l'Empire ottoman - des vizirs au simple soldat
- et donnant des indications sur leurs emplois et rétribu-
Cat. 91
tions respectifs. Le rouleau s'achève sur une courte expli- Félix Petancius (vers 1455 - après 1517)
cation des lois et coutumes ottomanes. Cependant, les Genealo9ia Turcorum Imp eratorum , 1502-1512
représentations plutôt richement détaillées des sultans Parchemin, peinture couvrante, médaillons historiés peints
et des dignitaires ne constituent que des images stéréo- au scriptorium de Buda, Rotulus de parchemin, 217 x 39,5 cm
Budapest, Orszàgos Széchényi Konyvtàr, inv. Cod. Lat. 378
typées ne donnant que peu d'informations véridiques.
Ces miniatures ont vraisemblablement été peintes à l'ate-
lier d'enluminure de la cour de Buda, sachant que leur
attribution occasionnelle à Petancius doit être écartée.
La Historia traite de l'histoire de l'Empire ottoman
en s'appuyant sur les biographies des sultans jusqu'à
Bajazet Il. Le manuscrit a été réalisé en 1501 - les minia-
tures sont restées inachevées pour des raisons inconnues
- et présente un texte légèrement lacunaire. Les parties Ce n'est qu'avec Murat II (r.1421-1442; 1444-1453) que les
contenant les récits biographiques des sultans sont toutes images tentent d'induire un jugement moral négatif par
précédées d'une grande miniature représentant le souve- des représentations sexualisées comme la compagnie de
rain et sa suite, ainsi que d'un petit portrait du sultan en dames de harem ou d'adolescents court-vêtus dans le cas
incipit du texte qui lui est consacré. Les miniatures ont été de Mehmet Il. Concernant Bajazet II, l'ouvrage indique
peintes à l'atelier de la cour. Leur attribution à Francesco enfin qu'il s'agit d'un souverain hésitant qui n'échangerait
da Castello, originaire de Lombardie et documenté à Buda, qu'à contrecœur sa vie de luxe contre les rudesses d'une
a été proposée récemment. guerre. Cette affirmation est soulignée par la miniature
Les deux ouvrages ont en commun de plaider en qui présente le monarque lors d'un fastueux banquet en
faveur d'une croisade contre les Ottomans. La Historia compagnie d'odalisques. I.:affirmation de la décadence
suit à cet égard une stratégie intéressante: les Ottomans progressive de la dynastie ottomane ne marquait pas
n'y sont pas représentés comme des ennemis presque seulement une différence d'avec Ladislas II et ses sujets
bestiaux ou diaboliques. Au début du texte, la référence à hongrois, mais devait aussi faire apparaître une proche
l'origine scythe des Ottomans établit même un lien avec croisade comme promise au succès.
les Hongrois qui, en tant que descendants des Huns, se AS
réclament de la même origine. Ainsi, le texte et les images
/ décrivent les premiers sultans comme des souverains res- Bibl. : Saviello 2014; Nikisié 2004; Majer 2000; Csapodi 1972;
pectables, combatifs, largement exempts de traits négatifs. Pertusi 1970, p. 521-546; Kniewald 1961.

Cat. 90
Tobias Sti mme r (Schaffho use, 1539 - Strasbou rg, 1584)
Portrait du sultan Bajazet l"
Extraite de Paolo Giovio, Elo9ia virorum bellica virtu te illustrium [...), Bâle, Perna, 1575, p. 183
Gravure sur bois, 35,5 x 25,5 cm
Légende : DE VIT/$ IMPP: TVRCAR BAIAZETES I
Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, sign. M: Da 4° 27
•--- - ,._ , -..--1 " - ' - - - - ' - . ·~ l"\---,·..:.,...1.,.·-1... ... -......... V I l:"1".)0'")~ ... A 184 5
Cat. 93
H;,,t. 5Hf JostAmman (Zurich, 1539- Nuremberg, 1591)

CHRONICORVM TVRCICORVM, Cavalier oriental


ln quibus Vignette de titre de Philipp Lonicer, Chronicorvm Turcicorvm in qvibus
Tvrcorum origo [. ..], Francfort, Sigmund Feyerabend, 1578

TVRCORVM 0- Gravure sur bois, 14,6 x 7,7 cm


Gand, Universiteitsbibliotheek, inv. BIB.HIST00528 (ill.)
Cracovie. Biblioteka Ksiqzqt Czartoryskich. sign. BCz. 57544111
RIGo, PRINCIPES, IMPE::
RATORES , BELLA , PRAELIA , CAE-r
DES, VICTORIAE, REIQYE MILITARIS RATIO ,ET CAE-
rcr3 hue pertincnti:1, continuo ordinc,& pcrfpicu2 brcuitatc exponuntur; Et Mahomctica: rcli.
gionis Infti cura;Iudiciorum(]; proccCfus,& Aula: conftitmio;Proccrum item ac
populi mores, vir:r4;dcgcndznrio pcrccnfcrur:
Ace ESSIRE,
N..tllR,tTIO DE BAIAZET1llS FlLIORVM SED ITIO NIBYS ; TYR.CfC ,UYM ITEM Rl~
nu,, Epll•11U;q 11,modon1nri,11m c.1t11û cbriff;1111itlJ/lr11b,111111,,& •b Imprr11t1re T11râo, Cflttr11fJ T11rcu trAfltlf•
t11r: Et Io HANNlS Av6NT1Nl Ltin- , i,,q11,,nfa mifm11no11,qu1b,u cbr,JJ111n11Rtj},,•.
prt'#IÏt#r, ind""""' , T•rû,.,9, f"11ttic reprimtnû r11111
4tflATAl#r: J \;.
TOMVS PR! YS. - \;1, u~ .
OMNIA NYNC PRIMYM BONA FIDE COLLEC A , SEI\MONCQ.Yt
latinocxpofita, àReucrcndo &doéllfs1m oviro, D. PHIUPP o
LoNtCU.O Thcologo.
TOIJ. fi. IJ,,urfa,/od•T,unrÎl•!•/nû.,r,•t1•cl: . .
T o M. IJ J. Gl•,zi C6jlr1111,E11n1,,r,1• l'r1•r·!•( t•1 !r•!'"lf"'Z'"• 6tU, fJ1r1,u,,,, Sr,1•,/1r6'1• ,l,,r , R,J lr.
11,,.,1,r N"1•111,,-,,,,.,,.,,,,,,.,j',u,) i:,1..-•. ,,,,,,.11, "'lefl-, r•• S.-Hlr1.t1Uf, W',• ,r!"I•"',...
.,111,l,,1.k, : Aww,M,u1••hrÛff• : f2!!.1.l..-11111pll1n1111T,•qrif.Jm•rM "if.'n!IA.f,Nu.

omni4 vi#it i11fap" im1gi11ibw i!litflr,t,, C•mrtr•m drvtrborNm [ N o 1 c E cop,cjô.

(um qratia f5 Priuilegio C~Jare& (3r[.mffatiJ.


{MPRE SSVM fRANCOFORTI AD MOENVM, M.O.LXXVlll.

c/e _la//ilt'1!h.ftlt.J de .,,f/.1" .Pdkr;m/Tlid /Jl'~.11durcU<___


f ~ ~{'1ft7Tm,Mdie_,

UN SULTAN AU COMBAT apparemment nerveux. Il s'agit d'une adroite varia-


tion du motif d'un sultan à cheval dans un cortège,
I..:historien Philipp Lonicer (1532-1599) fut d'abord mis en œuvre dans la seconde moitié du XVIe siècle
recteur du Gymnasium de la ville de Francfort-sur-le- par les médias les plus divers (voir cat. 68, 85 et 140).
Main puis, à partir de 1582, prédicateur à Friedberg. I..:énorme turban confirme qu'Amman s'est inspiré de
Au cours des années qu'il passa à Francfort, il publia une représentations de Soliman de Magnifique. La figure du
Chronica turcica composée de trois livres chez Sigmund cavalier revient sur le folio 14 v, cette fois pour illustrer
Feyerabend (1528-1590), l'un des éditeurs les plus «Tamerlanes Scythia ». Ce glissement de sens historique
célèbres de cette époque. Celui-ci s'était spécialisé dans ne constitue pas un cas unique: dans l'histoire de la
les ouvrages historiques et théologiques, illustrés de gra- Hongrie par Antonio Bonfini publiée en 1581 également
tn:ext u· vures de qualité comme celle de Jost Amman. par Feyerabend, la gravure d'Amman extraite de l'ou-
o tnts ' La participation de Lonicer à ces publications fut moins vrage de Lonicer, représentant le sultan Bajazet enfermé
celle d'un auteur que d'un compilateur de textes divers, dans une cage par le souverain mongol Tamerlan (f0 12v)
comme le récit de la défaite de Varna en 1444 par l'hu- est reprise pour illustrer la capture de Salomon, roi de
maniste de Cracovie Filippo Buonaccorsi (Philippus Hongrie (fb 123v).
Callimachus Experiens, 1437-1496), ou le récit de captivité RB
de Bartholomaus Georgievics (vers 1510-vers 1566).
Les illustrations firent aussi l'objet de manipula- Bibl.: VD 16, L 2464; New Ho.; Géillner 1961, n ° 1773; O'Dell 1993;
tions. Sur la vignette de la page de titre, on voit un Budapest 2000, p. 291, cat. lV-10 (Wojtillané Salg6,Agnes);
Milwright 2006, p. 327-328.
cavalier armé s'apprêtant à se battre, sur son cheval

Cat . 92
Félix Pet ancius (ver s 1455 - après 1517)
Histo ria Imp eratorum Regni Turcici
1501
Parchemin, peinture couvrante, scènes historiées peintes au scriptorium de Buda, 33,5 x 23 cm
...~ ~~~h.ihli.nrh.o..L, inu s::nlo ,::, .!l"1 ? • 186
Cat. 94 •
M ichael O stendorfer (H ema u, vers 1490/1494 - Ratisbonne, 1559)
Arbre g énéalogique des souverain s otto mans, 1527
Gravure sur bois, 38,7 x 27,3 c m
•~ok,-1NnnnetnagnusM)(Jf.
Cürdifd) :!,.f'flh i).lti\ll!_td]côt,6: ""'
9m1 ,SO ma113clct aç19.
Nombreux noms et dates gravés sur les banderol es que ti enne nt les sultans;
daté de 1527 sur un panneau en haut; monogramme de l'artist e MO en bas à UNE PRESTIGIEUSE COM MANDE
droite près du pied du sou verain déchu ; un autre monogra mme à gauc he : GA
~:vlfn°f.:;,~:i~:~,t::;!~!~,:i~ (Georg Appian ?)
• ~~
1
~::i~n~~~!&~:r~~~~~et:
Gd,gm:11J1111b a11 1)(:mt)trh!_tcnl!htifi.19 im
Tex te typographié en haut : Der Türgkisschen Keyser herkom{m}en vnnd ge= / En 1578, le grand vizir Sokollu Mehmet Pacha Si la conception des portraits revient sans doute à
sch/echt bis auff den gros sen Soleyma nnum welc her den nechst vergangenen / s'adressa à Niccolè> Barbarigo, ambassadeur de Venise
1f l.t, t.!:.int1rn~11ir11 1fiannad)11t'l9tnt>tdrt
ffarcfrn JÛ:J ln l 31111gm 1gtd}a1~1pcm ro.• Summ er den Künig von Hungern im fe/dt erschlagen hatt.; texte t ypograph ié
Véronèse lui-même, leur exécution est vraisemblable-
brin micc: snl'lllt grnx'nne.n 1bttJ1'1:4l 2)1j1
de part et d'autre de l'image : So/eymannus Magnus der XII./Türkisch Keyser [. .. } à Constantinople, pour lui demander des portraits de ment l'œuvre d'un de ses collaborateurs, non identifié,
t:?Cmuram1.
2fmur,me 1,tlc fad) nod) l)eat:igf eAgf ~e'f lngoldstat. sultans. Il avait appris qu'une série de portraits était
1)(11 pnficm. Berlin, St aatli che Museen zu Berl in , Kupferstichkabinett , inv. 371-7
qui travailla sous la direction du maître. La fascination
t :?t1Jm.1tu&. conservée à Venise et souhaitait en avoir une à son tour. que Véronèse éprouvait pour les vêtements orientaux et
• 2ibmaeue ein9 011 p.u.13ml}ae mit l34tf1'11
~;e :~\~~t~i~;:o:i:j~7,~:r t;,:: La demande répondait au désir du sultan Murat III de pour la vivacité de leurs couleurs est confirmée par leur
gtfanffcn llnb ti111rm Ftu.txr gc_f}t:ndu
1'(111
'Cltt\) ttll Ji:111 Sn\l)(r llnb l\'Jtf far1e 9,1m1,ct,, posséder une galerie dynastique des sultans ottomans. présence constante dans ses tableaux. Au xvn• siècle, le
gcmff 1ft tnit Sddn 3tt~rom n,01btn.
t p ai.13rtu& b<t }(, l}ur6an3û:l\tgirn
Barbarigo transmit la requête au doge et au Sénat en peintre et théoricien de l'art Marco Boschini rapporta
t,o man,a!c 1 ,+ 8 1.
·,,. tlifftr &îftr 1ft nlft,1 tin frattrn b<:lnn cin11 insistant sur l'occasion qui était offerte de faire plaisir que Véronèse se rendait souvent su r la place Saint-Marc
!':~1 : ~r.?;~:jfa~~'r-&~î:JYJtjfa!
ra:'w111 1~111Li9r('b l:'li B1li1111 '0..1tî Jfc nSurg
au sultan. Une série de portraits partit de Venise pour pour faire le portrait des étrangers qui s'y retrouvaient.
gtwonnrn. t;rm~affa1n ~ittftn l)tlt man1
dw 1}Ô!_t1n l!rcac&.11(0111 îd1Swr1l!ijtr11tl1 arriver à Istanbul en septembre 1579. Il est probable que Un répertoire d'images fut ainsi constitué pour son
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' gcwcunrn 1+99.,111 1)(11111 rag 2luguffi.
les portraits d'origine vénitienne qui sont conservés, atelier, comme en témoigne le tableau intitulé Le Doge
":?(11111t.tÇU1 iubc:rotbtlttng bcr VIU. aujourd'hui encore, au Musée Topkapi d'Istanbul sont Marino Grimani recevant les ambassadeurs perses (1603),
;&c-yft'f 6,1c~ r1{'1dm 1 ..p .i .~r.
!)cr f;,ae d::pimm1tt'.tohA12ld,.1â.:m11~o«iiit
'.Zlrtî:am,~ tff.1lc11iamn0Sctt . LtbiJl.uun
ceux qui furent envoyés en 1579 par la République. Ils exécuté par Gabriele Caliari pour la salle des Quatre
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\.~4m,1 1m ,xlbc"lèt:lag<n 1 4.~ta_ud) s'inspirent de la série conservée à Munich qui, par sa qua- Portes du palais des Doges de Venise.
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lité et sa finesse d'exécution, en constitue le prototype. Les quatorze portraits des sultans de Munich sont
f fffo'f(tllbtr VI . 1\cgireutn 'l:urdi(d>
l'-C'flO'l)an ,mgei}cfit 1 4 o ô.,,n • Entre 1553 et 1577, la publication de trois importantes mentionnés pour la première fois en 1636 au château
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1115rcid)e uniiirt C1ll'li N lt>t b,:m,ad>gffo16l. · généalogies ottomanes témoigna de l'intérêt constant de Heidelberg. Maximilien de Bavière les fit transpor-
f P tt.s.mt&bfr 1111 ,bilJce :&rtfctcumSe
1\tgmc uu 1 3 S é. Jar1. de l'Occident pour les souverains ottomans et pour ter à Munich.Attribués à Véronèse jusqu'en 1885, ils
l)n l}at: einm gr~fTrn rad [.r.uic1p(}c_a't,,,n1
2'u1t-'tl62'11 lg11m m1t ll1!1111t)ct11a11ffofînt' ~01d}4ntt, leur empire. L'histoire des portraits des sultans est en furent ensuite considérés comme des œuvres d'atelier
~1 ~:~,':!'i::·~~(f::/:!~r~tg~f=n~!
n:oi~t, ni III bte 1c1S1gt11 9tfmg1111/j gc/lo,St.
d)1ct,dtttt tin fon c11ltpinif),acn(crq_n'rt,(un1S
tftvonfdne ~&'8:uixrcrl}(nct·crco1t-en. quelque sorte le reflet des relations que l'Occident - en et donc exclus des monographies consacrées à l'artiste.
•Cakpitt11s ba v. ürcfifch 1!..t'f(cr1ifl
f 0 1cf~ance t>cr ( J. t::ürdi(d, Z.eyftr ~4C
angrl;cSr ,O l\.cg1111 im 'Hf•)ar.
n1t1tJta:oirxnim1 J 9 ... J11r. l'occurrence, Venise - entretenait avec le monde otto- Aujourd'hui, la série est conservée dans les Bayerischen
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rtllt cro6c1 uns (l,4'f4tl4 1'1U1b411ticrcr mr~Ot' ~~=~;~~~~c;:.1~;~ic:;~: man. Au fil des siècles, la cité avait tissé un réseau serré Staatsgemaldesammlungen.
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de relations commerciales et diplomatiques - parfois FDT
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conflictuelles - avec les Ottomans. Des échanges de
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ncfirm~l1t:'w1d)l!l}ziftiscfurt1JS0 ,
cadeaux avaient lieu régulièrement.
Le processus qui décida de la physionomie des
Bibl. : Kultzen et Eikem eier 1971, p. 236-239 ; Raby 2000, p. 136-163.

souverains ottomans obéit également à la logique de


l'échange. Si les portraits des sultans exécutés par Paolo
Giovio puisèrent dans des modèles ottomans, les por-
traits qui sont exposés ici s'inspirent du Promptuarium
Iconum de Guillaume Rouillé (Lyon, 1553), des gravures
de Nicolè> Nelli pour le Sommario et alboro delli principi
othomani de Francesco Sansovino (1567) et de celles
LA NOBLE LIGNÉE DES ADVERSAIRES de Tobias Stimmer (1577), inspirées par la galerie de
portraits de Paolo Giovio. À leur tour, ils servirent de
Cette gravure de Michael Ostendorfer dont il ne reste lune et un sceptre brisé; il représente Soldano, le calife modèles aux galeries généalogiques de Nakkach Osman
que quelques exemplaires, représente l'arbre généa- renversé en 1300 par Osman r•r. De la poitrine d'Osman et de ses successeurs.
logique des souverains ottomans. Par la forme, elle triomphant sort un rameau qui s'enroule autour du Le peintre qui conçut cette série réalisa une synthèse
rappelle les Türkenzeitungen, publications particulière- tronc, chacun de ses nœuds portant le buste d'un des des sources imprimées dont il disposait et en proposa
ment appréciées dans la première moitié du xvr• siècle. sultans suivants. Des pousses latérales se terminent par une interprétation originale, qui confère aux portraits un
L'édition simultanée en allemand et en latin par Georg les bustes de leurs fils qui tiennent des banderoles por- caractère individualiste. Les répertoires imprimés et les
Appian répondit à l'intérêt croissant pour la puissance tant leur nom. Les biographies figurent dans les deux portraits peints ne fournissaient guère d'informations
en expansion qui avait écrasé le royaume de Hongrie colonnes de texte. De tous les sultans, ce sont Mehmet Il objectives sur la physionomie des sultans, qui étaient
l'année précédente à la bataille de Moha.es. Un espace et «Soleymanus Magnus» dont la personnalité et les représentés surtout de profil. L'artiste donne donc libre
d'autant plus important fut donc réservé aux explica- victoires sont décrites avec le plus de détails. cours à son imagination en variant les poses et en recou-
tions rédigées par Jean Eck, qui encadrent l'arbre généa- RB rant intelligemment à l'un ou l'autre détail d'un grand
logique. Dans la version en allemand, la bordure est une effet : les formes variées des turbans, le chromatisme
suite de grotesques dont les armures et les boucliers Bibl. : Ho. n° 52 ; Istanbul 2000, p. 157; Berlin 1989, cat. 7/ 29; précieux et raffiné des tissus damassés, qui rappellent la
rappelant des tropaia évoquent les succès militaires des Wynen 1961, p. 127 et cat. 62. calotte des turbans, ainsi que les bijoux ornés de pierres
Ottomans. Par sa position, le personnage allongé au précieuses. Les sultans, représentés en buste, se détachent
pied de l'arbre généalogique s'apparente aux représen- sur un fond sombre et uni, mais les véritables protago-
tations de Jesse. À la différence de l'ancêtre du Christ, il nistes sont les turbans, de grandes dimensions, enrichis
porte une armure, un bouclier décoré de croissants de de motifs décoratifs, qui sont souvent de pure imagina-
tion. L'artiste les dispose dans l'espace de façon scénogra-
phique, selon le cadrage adopté pour chaque portrait.

Cat. 95
Paolo Véronèse (Vérone, 1528 -Venise, 1588) et atelier
Portrait d'Osman l" (1288-1326)
Huile sur toile. 68,7 x 54 cm
Munich. Bayerische Staatsgemâldesammlungen, inv. 2242
188 189
Cat. 97
Cat. 96 Paolo Véronèse (Vérone, 1528 - Venise, 1588) et atelier
Paolo Véronèse (Vérone, 1528 -Venise, 1588) et ate lier
Portrait de Mehmet li (1451-1481)
Portrait de Bajazet l" (1389-1402)
Huile sur toile, 68,5 x 54 cm
Huile sur toile, 68,5 x 54 cm unich, Bayerische Staatsgem,-ild<asa11TVnlungen. inv. 2247
Munich, Bayerische Staatsgemâldesammlungen, inv. 2243 1 Q()
Cat. 99
M atteo Pagano (acti f à Venise entre 1515 et 1588)
Portrait du sultan Soliman le Magnifique,
1540- 1550
Gravure sur papier, 525 x 360 mm
Titre de l'œuvre en lettres capitales: SVLIMANO
IMPERATOR DE TVRCHI; inscription dans l'encadre-
ment, orné de mascarons et de figures féminines:
ln Venetia per Mathio Pagan in Frezaria tien per inse-
gna ta Fede • Senza di me l'huom fassi a dio ribelle »);
l'œuvre comprend une courte biographie du sultan
Londres, The British Museum, Department of Prints
& Drawings, inv. 1878, 0713. 4164

Cat. 100
Portrait de la sultane Roxelane, dite la Rousse,
1540- 1550
Gravure sur papier, 520 x 359 mm
Titre de l'œuvre : La più bel/a e più favori ta donna del
gran Turoho dita ta Rossa; inscription dans l'encadre-
ment, orné de mascarons et de figures fé minines :
ln Venetia par Mathio Pagan in Frezaria tien per
insegna ta Fade
Londres, The British Museum, Departmen t
of Prints & Drawings, inv. 1878, 0713. 4166

UN COUPLE GLAMOUR Vasari, 1568 ), donna six enfants à Soliman et exerça une
grande influence à la cour ottomane en orientant la poli-
Les deux gravures représentent respectivement le sul- tique intérieure et extérieure de son époux.
tan Soliman le Magnifique (1494-1566 ), qui apparaît de Les deux portraits, exécutés par le graveur Matteo
profil, le nez aquilin, coiffé d'un grand turban et portant Pagano (ad vocem « M. Donattini », in DBI 2014, 80,
une longue moustache, et sa concubine Roxelane, dite p. 268 ), qui fut aussi actif à Venise comme médailleur
la Rousse (1500 - Constantinople, 18 avril 1558), qui fut et imprimeur, sont caractérisés par la précision du trait
aussi son épouse. Les deux portraits ovales sont bordés et par la lisibilité plastique. La critique a identifié deux
d'un décor qui présente, en haut, un masque de lion marques de Pagano : l'une représente la figure de la Foi
flanqué de deux figures féminines et, en bas, deux mas- (c'est celle qui est utilisée ici); l'autre représente deux
carons aux corps de lion. mains serrées, surmontées des initiales MP.
Le prototype du portrait de Soliman est un tableau de Imprimeur de cartes géographiques, Matteo Pagano
Titien, aujourd'hui perdu mais très connu à Venise, dont se rendit célèbre à Venise en reproduisant les œuvres
il existe une copie d'atelier, aujourd'hui conservée au de cartographes renommés, disponibles sur le marché.
château d'Ambras (Sogliani 2002, p. 217, n° 66). Le por- Avec Giovanni Andrea Vavassore, dit Guadagnino,
trait de Titien a été repris par Cristofano di Papi dell'Al- il poursuivit l'œuvre xylographique des Florentins
tissimo dans la série des portraits aujourd'hui conservés Francesco Rosselli et Luca Antonio Degli Uberti et de
aux Offices de Florence, où l'artiste déclare que le sultan l'Istrien Pietro Coppo, contribuant à l'excellence de la
est représenté à l'âge de quarante-trois ans. cartographie vénitienne avant que la gravure sur bois ne
La fortune de cette image repose sur une représenta- soit supplantée, à partir de 1555 environ, par la gravure
tion classique d'un buste de profil, certainement inspiré sur cuivre. Le 18 août 1561, le Sénat de Venise lui accorda
d'une médaille. Une œuvre semblable, destinée à une un privilège d'impression de quinze ans pour un« map-
galerie d'hommes illustres, est également mentionnée pamondo di fogli dodici grandi reali » (Woodward 2007,
dans la correspondance de Frédéric II Gonzague, duc de p. 773-803). Entre 1542 et 1563, Pagano déploya égale-
Mantoue, qui, en 1537, commanda un portrait du sultan ment une intense activité en tant qu'éditeur, publiant
à Titien. D'autres documents attestent que Guidobaldo plus de 150 titres (du Décaméron de Boccace au Guerin
della Rovere, duc d'Urbino, possédait un portrait de Meschino du trouvère Andrea da Barberino, mais aussi
Soliman, daté de 1538. des livres de voyage, comme l'œuvre de Marco Polo).
Roxelane, représentée de trois quarts, porte un riche DS
vêtement orné de demi-lunes, ainsi qu'une coiffure déco-
rée de pierres précieuses. La sultane, que Titien repré- Bibl.: Londres 1988; Sogliani 2002; Pagano, ad vocem « M. Donattini »,
sente à l'âge de seize ans, comme sa fille Cameria (Giorgio in DB! 2014; Woodward 2007.

Cat. 98
Paolo Véron èse (Vérone, 1528 - Venise, 1588) et atelier
Portrait de Soliman le Mag nifique (1520-1566)
Huile sur toile, 69 x 54 cm
Munich, Bayerische Staatsgemaldesammlungen, inv. 2249
192 :93
UN MODÈLE À SUCCES l'artiste qui représentait ce sujet et dont le seul terminus
ante quem est le premier document vénitien de 1552.
La critique reconnaît dans cette œuvre le portrait de Titien exécuta certainement les deux œuvres avant
Roxelane (1500 - Constantinople, 18 avril 1558), Hürrem cette date, puisque l'humaniste Paolo Giovio possédait
Sultan ou Karima, née Alexandra Anastasia Lisowska, un portrait de Roxelane, inspiré par des gravures exé-
concubine puis épouse de Soliman le Magnifique. cutées vers 1530. Il existe une copie de cette œuvre: le
La sultane est vêtue d'un corset blanc et d'une robe de tableau, aujourd'hui aux Offices, exécuté par Cristofano
velours marron, ornée d'une bordure. Ses longs che- di Papi dell'Altissimo et terminé le 23 octobre 1556, où
veux roux sont dissimulés sous une coiffure décorée de la femme est représentée de profil (Klinger indique
pierres précieuses. Le bracelet et l'hermine qu'elle tient qu'il correspond à une gravure de Beham). Le portrait
sur sa main gauche soulignent la noblesse de son rang. de Roxelane du château d'Ambras renvoie à un modèle
Née en Ukraine occidentale, Roxelane donna au différent, où la femme est toujours de profil mais dont la
sultan six enfants, dont l'héritier du trône, Sélim II, coiffure appartient aux costumes arméniens, si l'on en
et Mihrimah, surnommée Cameria. Elle joua un rôle croit Cesare Vecellio. Même s'il est impossible d'établir
important à la cour et exerça une grande influence sur lequel des deux tableaux correspond au prototype de
les décisions de son époux. Alors que les autres concu- Titien, il est permis de supposer que la toile de Sarasota,
bines quittaient le harem dès la naissance de leur pre- où la jeune femme est coiffée « à la persane», d'après
mier garçon pour se retirer dans une province lointaine, Cesare Vecellio, représente Cameria, et non sa mère
Roxelane conserva son rang à la cour et resta jusqu'à la Roxelane qui, dans les tableaux cités plus haut, est repré-
fin la favorite de Soliman. Engagée dans des œuvres de sentée de profil.
bienfaisance, dotée d'une grande culture, elle recevait DS
les ambassadeurs étrangers et entretenait une étroite
correspondance avec des souverains, des nobles et des Bibl. : Gualandi 1844-1856; Mancini 1998; Kenner 1898; Klinger 1991;
artistes. Au cours des siècles, son personnage inspira Sperco 1972; Wethey 1969- 1975; Zimmermann 1901
des peintures, des œuvres musicales (dont la symphonie
n° 63 de Joseph Haydn), des ballets, des comédies et des
romans (Sperco 1972).
Dans sa biographie de Titien (1568), Giorgio Vasari
mentionne, parmi les portraits de l'artiste, « la Rousse,
femme du Grand Turc, âgée de seize ans, et Cameria, la
fille de celle-ci, avec des robes et des coiffures magni-
fiques». Vasari est le premier à fournir cette informa-
tion, reprise plus tard par Carlo Ridolfi, mais ne précise
pas où se trouvaient les deux œuvres.
Certains documents nous permettent d'en savoir plus.
Le 11 octobre 1552, Titien écrit de Venise au futur roi
d'Espagne Philippe II. Dans sa lettre, il écrit qu'il pos-
sède « une reine de Perse» digne du prince. Le même
jour, Francisco de Vargas écrit à Philippe pour lui confir-
mer que le tableau en question est de la main de Titien.
Dans une lettre écrite à Hans Jacob Fugger le 29 février
1569, Nicolô Stoppio attribue à Titien «une femme
persane» destinée aux Fugger (Munich, Bayerische
Hauptstaatsarchiv, Kurbayern Âusseres Archiv, Bd. 4852,
cc. 209r-v). On ignore si ces documents font allusion
au portrait de Roxelane ou à celui de sa fille Cameria,
mais il apparaît clairement qu'il existait un prototype de

Cat. 101
Anonyme (atelier de Titien)
Portrait de la sultane Roxelane, dite la Rousse(?),
vers 1545-1555
Huile sur toile, 96,5 x 76,2 cm
194 195
LA CHÈRE FILLE DU SULTAN font mention d'un tableau de Titien qui représentait une
reine persane. On ignore s'il s'agit du portrait de Roxelane
Les deux tableaux représentent Mihrimah, dite Cameria ou de celui de sa fille Cameria, mais on peut supposer
(Constantinople, 1522-1578), fille de Roxelane et du que le portrait de Paolo Giovio et les œuvres postérieures
sultan Soliman le Magnifique. En 1539, Cameria épouse mentionnées ici devaient renvoyer à un des prototypes
Rüstem Pacha, grand vizir entre 1544 et 1561. Mère de exécutés par Titien. Le grand nombre de variantes -
trois enfants, elle exerce une certaine influence à l'intér- conservées au National Trust de Lacock (Wiltshire), au
ieur du harem, sous le règne de son père puis de son Mazovian Museum de Plock (Pologne), au Topkap1 Saray1
frère Sélim II. Müzesi et au Pera Museum d'Istanbul4 - montre que le
Comme le rappelle Giorgio Vasari de sa biographie modèle de Titien, où la jeune femme semble toujours
du peintre vénitien (1568), Titien exécuta le portrait de représentée de trois quarts, était aussi utilisé à Venise pour
Roxelane et de sa fille Cameria en leur prêtant des vête- représenter simplement une femme vêtue à !'orientales.
ments et des coiffures magnifiques. Dans la toile conser- DS
vée à Londres, la jeune femme porte une robe de damas
ornée de motifs floraux, ainsi qu'une coiffure rehaussée Bibl.: Monti 1904, p. 9-71 ; Wethey 1969-1975 ; Klinger 1991; Scalini et
de pierres précieuses, dont le voile blanc descend jusqu'à Damiani 2004; Florence 1979, p. 630, lc213.
terre. Aux attributs de son haut lignage, l'artiste anonyme
ajoute la roue du martyre, sur laquelle Cameria pose la 1 Wethey 1969-1975, II, p. 19of, 4 Scalini et Damiani 2004,
main droite, l'identifiant ainsi avec sainte Catherine n° L-2, pl. 269. p. 94, n .14.
2 Klinger 1991, II, p. 39, n° 71, n .1. 5 Wethey 1969- 1975, II,
d'Alexandrie - une référence appropriée, puisque la ville 3 Côme, Biblioteca Comunale, pl. 267-270.
d'Alexandrie fait partie, à l'époque, de l'Empire ottoman1. ms. Sup. 2.2.42, p. 254 ; Monti,
Le second portrait, où la jeune femme, vêtue d'une robe 1904, p. 55.
rouge, porte la même coiffure ornée de bijoux, mais où la
roue du martyre n'apparaît plus, est attribué à Cristofano
di Papi dell'Altissimo. Sa présence à Florence est mention-
née en février 1557 2 • rartiste avait été chargé par Cosme 1er
de Médicis de copier les portraits de la Galleria universale
degli uomini de Paolo Giovio, qui avait consacré aux Turcs
une salle entière de sa ville de Côme. Un inventaire des
œuvres de l'humaniste, envoyé à Côme mais probable-
ment dressé à Rome avant le 23 septembre 1547 (date appo-
sée sur le document par une main différente), mentionne
une toile qui représente« la sultanafigliola del Gran Turco3».
Le portrait de Paolo Giovio est aujourd'hui perdu, mais
il est connu par des copies, comme celle de Cristofano di
Papi dell'Altissimo ou celle qui est aujourd'hui conservée
au château d'Ambras. Des documents fournissent d'autres
informations sur les œuvres exécutées par Titien et citées
par Vasari (voir cat.101): entre 1552 et 1569, les sources

Cat . 102
Anony me (atelier de Ti tien) Cat. 103
Crisrofano di Papi dell'Altissimo (Florence, 1530-vers 1605)
Portrait de Cameria, fill e du sultan, Soliman le Magnifique, sous les traits de sainte
Catherine, ve rs 1560 Portrait de Cameria ,fille du sultan Soliman le Magnifique, 1552-1557
Huile sur toile, 99,3 x 71,5 cm Panneau, 60 x 44 cm
Londres, The Courtauld lnstituce of Art, ,rrw. P. 1978. PG.463 (don du comte Antoine Seilern) Inscription en haut: CAMERJA SOUMAN/ IMP RUA ROS TANIS BASSAE VXOR 1541
Florence, GaDeria degli UtfizJ, ,nv. 1890/13
196 .9ï
Cat. 104"
Erhard Schën (Nuremberg, vers 1491 - Nuremberg, 1542)
Le Sultan Soliman I" (en fait Sélim l") et son épouse Roxelane, vers 1535
Gravures sur bois (coloriées à la main), 36,5 x 26,3 cm (chacune)
Gotha, Stiftung Schloss Friedenstein, Kupferstichkabinett, inv. Xyl.1315 et 316
198 199
UN COUPLE DE SOUVERAINS EXOTIQUES SULTAN ET AMBASSADEUR Gümülcineli Damat Nasuh Pacha, grand vizir de l'Empire
ottoman de 1611 à 1614, tandis que le portrait d'lsmaïl
Ces deux splendides épreuves coloriées attribuées à Ostendorfer faisait appel au même type de tête présen- D'après les inscriptions, le portrait de Soliman date représente Damat Rüstem Pacha (1500-1561), grand vizir
Erhard Schon qui présentent les portraits de profil tant des traits « sélimesques ». Quant à savoir comment de 1559, la dernière année du séjour de Lorck à à deux reprises sous le règne de Soliman, de 1544 à 1553,
du sultan Soliman 1er et de son épouse Roxelane, sont l'on en vint à ce quiproquo à Nuremberg, la question Constantinople (qui dura trois ans et demi), et celui et de 1555 à 1561. Les gravures ont été modifiées en consé-
intimement liées à deux gravures sur bois en forme de reste ouverte. Dans sa recherche d'un modèle authen- d'lsmaïl de 1557. Cependant, les premiers stades de ces quence: toutes deux sont amputées des parapets portant
médaillon également localisées à Nuremberg, et qui ont tique (Schon ne devait pas encore connaître le portrait gravures ne sont sans doute pas antérieurs à 1562. Il s'agit les inscriptions, le monogramme de Lorck a été effacé, et
été considérées jusqu'ici comme le modèle de celles de fidèle de Soliman réalisé en 1526 par Dürer et copié selon toute vraisemblance des estampes que Melchior les noms de NASSUH=BASSA (Soliman) et RUSTAN=BASSA
Schon (cf. Ho., vol. 31, p. 176). Ce rapport de dépendance la même année par le Monogrammiste AA [cat. 81]), Lorck mentionne dans deux lettres de janvier 1563, l'une (Ismaïl) ajoutés près des visages.
doit toutefois être inversé. En effet, les bordures du col méconnaissant sa véritable identité, l'artiste a dû tomber adressée à Frédéric Il, roi du Danemark (r.1559-1588), MBR
garnies de perles, absentes de la version en médaillon, sur un portrait de Sélim qui passa ensuite pour celui de l'autre au duc Jean de Schleswig-Holstein-Hadersleben
apparaissent dans les portraits analogues publiés en 1553 son successeur. Ainsi, les deux gravures de Schon ont (r.1544-1580), oncle du roi. Lorck leur envoie des exem- Bibl. : Harbeck 1911, p. 40; Zijlma 1978, cat. 35 ; Necipoglu 1989, p. 425,
dans le Promptuarium Iconum de Guillaume Rouillé et en aussi servi de modèle pour l' œuvre d'un graveur ano- plaires des deux gravures à l'occasion du Nouvel An en fig. 29; Fischer et al. 2009, et vol.1-4 et vol. 5 (à paraître), cat.1562,1 et
1562,2; B0gh Rasmussen 2011.
1567 dans le Sommario etAlboro delli Principi Othomani nyme (conservée à Erlangen) qui montre une représen- affirmant, dans l'espoir d'obtenir leur soutien financier,
de Sansovino. Le portrait de Schon est donc plus proche tation controversée du couple sultanesque. qu'elles ont été éditées en l'honneur du roi du Danemark.
du modèle original vraisemblablement vénitien dont GM Toutefois, rien dans les dessins ni dans les textes ne 1 Le sultan.fils du sultan, Sultan d'a9ir en tant qu'ambassadeur de
dépendent également les versions de Rouillé et de confirme cette allégation. Soliman Shah.fils du sultan Selim Süleyman Khan, empereur de l'Is-
Khan - 9/orieuses sont ses victoires ! lam,jils du sultan Selim Shah, en
Sansovino - que la petite gravure sur bois en médaillon. Bibl.: Rôninger 1925, n°s 274-275; Istanbul 2008, cat. 12 (Julian Raby); On connaît respectivement trois et quatre états de ces Remerciements au Dr. Tim l'an 963. Remerciements au Dr.
Chez Rouillé et Sansovino, les deux portraits sont dési- Ho. n°s 175-176. gravures, présentées ici dans leur deuxième version. Le Stanley (Londres, Victoria and Tim Stanley et à Manijeh Bayani
gnés comme étant ceux de Sélim 1er (r.1512-1520), mon- portrait de Soliman n'a pas été modifié de manière signi- Albert Museum) pour la trans- (Londres, Victoria and Albert
cription et la traduction en Museum) pour la transcription
trant ainsi que le portrait réalisé par Schon ne présente ficative, mais on a ajouté un bref texte,« Cum Priuilegio » anglais. et la traduction en anglais. Ils
pas les traits de Soliman, mais de son prédécesseur. dans l'angle supérieur droit. Cette déclaration de privi- 2 Corrigé sur la plaque au lieu de: ont toutefois fait remarquer
Il se trouve toutefois qu'une épreuve de notre portrait lège figurera également au troisième stade du portrait turcarum. que nous avions ici affaire à du
3 Corrigé sur la plaque au lieu de: mauvais persan.
du sultan conservée à Budapest a reçu une inscription d'lsmaïl. La principale modification dans le deuxième lorch. 6 Portrait d'après nature du très
typographique qui désigne explicitement le modèle état de celui-ci est l'ajout de huit «pâtés» circulaires sug- 4 Portrait de Soliman, empereur des estimé Ismaïl, que Techmas, l'in-
comme le « Sultan Solleyman actuel empereur turc». gérant que la plaque a été percée de trous et réparée. Turcs en Orient.fil s unique de Selim, vincible roi des Perses, en l'an de
qui a succédé à son père dans l'Em- Notre Sei9neur 1557 et en l'an 964
Cela dit, son pendant, le portrait de la légendaire épouse Ces portraits, respectivement dans leurs deuxième et pire en l'an de Notre Sei9neur 1520, après la naissance de Mahomet,
du sultan, aura également contribué à conférer une troisième versions furent publiés à Anvers en 157 4, dans l'année où Charles Quint, petit-fils envoya à Constantinople richement
nouvelle identité au sultan: le portrait de Roxelane un petit in-folio intitulé Soldan Soleyman Tvrckhischen de l'empereur Maximilien.fut lui pourvu de présents royaux en tant
aussi couronné empereur chrétien que porte-parole à la cour du sultan
dérive également d'un type italien auquel Christofano Khaysers, vnd auch Furst Ismaelis aufl Persien, Whare vnd à Aix-la-Chapelle en Occident. Très Soliman,jils de Sélim, le 9rand
dell'Altissimo a lui aussi fait appel pour sa peinture eigendtliche contrafectung vnd bildtnufl.. .7 avec des portraits .fidèlement rendu à Constantinople et puissant empereur des Turcs.
conservée aux Offices de Florence (voir cat.105). Les en pied des deux mêmes personnages (cat. 69) réalisés à en l'an 1559, le 15' jour du mois de Représenté en 9ravure par Melchior
février, par Melchior Lorichs, très Lorichs, très érudit en antiquités,
deux médaillons de Nuremberg représentent eux aussi partir des estampes présentées ici. érudit en antiquités, ori9inaire de ori9inaire de Flen sbur9, au
Soliman et Roxelane, car ils font partie d'une série Le portrait de Soliman y occupait la place la plus pres- Flensbur9, au Holstein. Holstein, qui vivait alors en Turquie.
contenant les portraits de Louis II de Hongrie, mort en tigieuse, le lecteur le découvrait en tournant la page de 5 Ce personna9e, dont le nom est 7 Fischer et.al., vol. I, p.124-129,
Isma'il Shah Tahmasp,.fut envoyé à et vol. v, cat.1572,1 et 1562,2.
1526 à la bataille de Moha.es contre les Ottomans, de titre. Il faisait face à deux poèmes, l'un de Paulus Melissus travers le territoire d'Irak avec une 8 Voir B0gh Rasmussen 2011,
son épouse Marie et de François 1er de France. En 1548, (Paul Schede), l'autre de Conrad Leicht. Le poème de ce quantité de présents a.fin p. 165-170.
dans sa gravure sur bois du sultan Soliman représenté dernier subsiste sur deux petits fragments de la page de
en pied et désigné par une inscription (cat. 84), Michael titre, seuls vestiges de la partie du livre contenant des
textes, et celui de Melissus est probablement identique
à !'Épitaphe de Soliman publié dans Schediasmata poetica,
vol. II, 1575. Les deux poèmes se rapportent directement à Cat. 106
M elchior Lorck ( Flensburg, 1526/ 1527 - après 1583)
l'image, utilisée comme point de départ d'une caractéri-
Le Sultan Soliman le Ma9ni.fique . Portrait en bu ste
sation du modèle, ou la font parler. Tandis que les inscrip- Deuxième stade, probablement 1574 (premier stade : 1562)
tions en ottoman, en persan et en latin sur le parapet des Gravure, 40,8 x 28,7 cm
Monogramme à gauche.juste au-dessous du milieu: F ML
deux estampes présentent les modèles en des termes offi- Inscriptions : sur le parapet en bas (langue ottomane, carac tères arabes): Al-sultan ibn
ciels et neutres en les situant dans le contexte historique al-sultan Sultan Sutayman Shah ibn al-Sultan Salim Khan 'azza nasruhu 1 ; sur le même
parapet, au-dessous: IMAGO SVLEYMANNI TVRCORVM2 IMP. IN ORIENTE, VN/C/
de leur époque, les poèmes des éditions de 157 4 évoquent SEL/MY FIL//, OVI AN. DO. MDXX. IN IMPER/0 SVCCESS/T: OVO ET/= / AM ANNO
Soliman comme un ennemi tyrannique et belliqueux. CAROL VS. V. MA X/EMYLIANI C/ESARIS NEPOS AOVISGRANI IN OCCIDENTE
CORONATVS EST CHRISTIAN: IMP: A MELCH/0= / RE LORICHS3 FLENSBVRGENS/,
Lorck a manifestement adapté l'emploi des images au HOLSA T/0, ANTIOVITA T/S STVDIOSJSSO, CONSTANTINOPOL/, AN. MOL/X, MEN.
public qu'il visait, et n'a pas hésité à adopter la turcopho- FEB., DIE X V, VER/SS/ME EXPRESSA 4
Londres, Th e British Museum, Department of Prints and Drawings, inv. 1848, 1125.22
bie de son temps quand il l'a jugé bon8 .
Les dernières versions des deux estampes consistent en
Cat. 107
des restructurations effectuées à la fin du xvne siècle, où M elchior Lorck (Flensburg, 1526/1527 - après 1583)
les clichés ont été réutilisés pour l'édition du Thesaurus Ismaïl, ambassadeur de Perse auprès de la Sublime Porte. Portrait en bu ste
Exoticorum d'Eberhard Werner Happe! (1688). Destinées Deuxième stade, probablement 1574 (premier stade : 1563)
à illustrer l'histoire de deux vizirs ottomans, ces gra- Gravure, 40,8 x 28,7 cm
Monogramme à d ro ite.just e au-dessous du milieu : F ML
vures ont alors changé d'identité. Soliman est devenu Inscriptions: sur le parapet en bas (persan): ln shakhs ismuhu Isma'il Shah Tahmas <p>
az khak-i 'Iraq ba-janib-i Padshah-i Islam Sulayman Khan ibn al- Sultan Salim Shah
Cat. 105 ba-ba 'zi hadiyyah-ra ba-tariq-i ilchi firistad dar tarikh -i sana h 963"; sur le même par-
Cristofano di Papi dell 'Alti ssi mo (Florence, vers1530 - Florence, 1605) apet, au-dessous : V/VA EFF/GIESILLVST: ISMAEL/S, O VEM TECHMAS INV/CTISS:
PERSARVM REX, ORATOREM REG/IS MVNERIBVS ORNAT/SS: ANNO CHRISTI
Portrait de Roxelane, épouse du sultan Soliman le Ma9nifiqu e, 1556
155Z A MAHOMET/ AV= / TEM ORIGINE ANNO 964. CONSTANTINOPOLIN AD
Panneau, 6 0 x 44 cm SOLDANUM SVLEYMANNVM SELIM/ FILIVM POTENTISS: T VRCARVM IMPERA T:
Inscription en haut : ROXOLANES SOI: VXOR AB= /LEGAVIT. A M ELCH/ORE LORICHS FLENSBVRGEN. HOLSATO ANTIOVITA TIS
Florence, Galleria degli Uffizi, inv. 1890/ 14 STVDIOSISS. DIOTO TEMP: IN TVRCIA VERSANTE GRAPHICE E.XPRESSA 6 .
200 201 Londres. The Bnosh useum, Depanme of Pnntsand Draw, gs. inv. 1848.1125.23
202 _03
UN CORSAIRE AU SERVICE DE SOLIMAN
À l'avers, cette médaille montre le portrait en buste de avec ses troupes. L'émir hafside Moulay Hassan appela à
Hayreddin Barberousse (vers 1480-1546) coiffé d'un l'aide l'empereur Charles Quint, qui vainquit Hayreddin
turban et désigné en caractères latins: « Barbarossa ». l'année suivante à la Goulette, à la suite de quoi Moulay
Au revers, les trois lignes de la légende le désignent Hassan fut rétabli. En 1543, Hayreddin assiégea la côte
en arabe:« Hayreddin / sultan d'Algérie (Hayreddin, occidentale de l'Italie en tant qu'allié de François 1er,
Cezayir sultani) ». avant de mourir en 1546 dans son palais d'Istanbul.
Le portrait en buste de Hayreddin dénote une forte Sur sa tombe, on éleva plus tard un mausolée construit
similitude avec un double portrait de l'Art Institute de d'après les plans du célèbre architecte Sinan.
Chicago ( Charles H. and Mary F. S. Worcester Collection, L'on sait peu de choses sur le médailliste Ludwig
1947.53) montrant Hayreddin et son capitaine Sinan. Neufahrer, dont le monogramme figure à l'avers de
Œuvre d'un maître d'Italie du Nord également datée cette médaille. Dans les années 1530, celui-ci arriva en
d'environ 1535, ce double portrait est connu comme Autriche et fut quelque temps actif à Linz. À l'époque où
ayant fait partie de la célèbre collection de portraits fut créée cette médaille, il œuvrait en tant que portrai-
de souverains et de héros militaires réunie par Paolo tiste itinérant. En 1547, muni du titre d'orfèvre de la cour,
Giovio dans sa villa des bords du lac de Côme. Il illustre il entra à la monnaie de Vienne, où il occupa des fonc-
ainsi l'immense popularité de Hayreddin, qui avait tions de contrôle en tant qu'essayeur. Il devint plus tard
régné sur Alger comme gouverneur général sous l'auto- maître monnayeur à Prague.
rité ottomane. Hayreddin pratiqua la piraterie dans tout HW
l'espace méditerranéen. En 1533, il fut nommé amiral
en chef de la flotte de Méditerranée (Kaptan-i Derya) Bibl.: Habich I/2 1931, n ° 1403 ; Probszt 1960, n ° 17 ; Klinger et Raby 1989.
par Soliman le Magnifique. En 1534, il assiégea Tunis

Cat.109
Ludwig Ne ufah re r (vers 1500/ 1505-1563)
Cat. 108 Médaill e de Hayreddin (Khayr ad-Din) Barberou sse
Christofano dell'Altissimo (Florence?, vers 1530 - Flore nce, 1605)
s.d. (vers 1535)
Portrait de Hayreddin Barberousse A rgent (frappe), d iam. 27 mm
Vers 1568 Inscriptions: BA RBA - ROSSA (revers); Chaireddin I Schah,
Pa nneau, 68,5 x 56,8 cm sultan d'Alger (avers, en caractères arabes)
Inscription à gauche: ari-ade; à droite : barba -rossa Vienne, Kunsthistorisches useum, Cabinet num,smatique,
Florpnr.P G~llprÎ;:t deefi Uffizi 1890 n 3051 204 05 inv.OR3796
6 L'ATTRAIT DE L'ORIENT
La production artistique de Gentile Bellini résultant de son
séjour à la cour du sultan fut d'une importance considérable
pour l'image des Turcs en Europe, dans la mesure où elle inspira
d'autres artistes et remplaça les visions imaginaires qui préva-
laient auparavant sur tout le continent. Les élèves de Bellini
et l'école de Venise, mais aussi Albrecht Dürer et ses suiveurs
à Nuremberg, ont joué le rôle le plus influent dans la diffusion
d'une image plus réaliste, en créant une multitude d'œuvres
caractérisées par un vif intérêt pour une culture différente,
traduit dans la plupart des cas dans des descriptions de la vie
quotidienne ou des scènes bibliques.
À cette époque, l'Europe a aussi manifesté un intérêt accru
pour les réalisations techniques et artistiques de l'État ottoman.
Dès le xv1 e siècle, il y eut une demande croissante d'objets d'art et
d'artisanat ottomans, ainsi que d'ornementation mise en œuvre
notamment dans les textiles ou les arts décoratifs, ce qui influa
considérablement sur le développement du commerce, mais
aussi sur l'essor des ateliers européens imitant les fabrications
orientales. Cette mode trouva même le chemin de l'art ecclésias-
tique, malgré les puissantes campagnes de propagande contre
l'Empire ottoman entreprises par le pape.
Les produits ottomans les plus appréciés étaient les tapis
qui, utilisés comme tentures ou tapis de table, devinrent un
signe de statut social en Europe, et figurèrent comme tels dans
nombre de tableaux. Les maîtres de la Renaissance créaient sou-
vent leur propre ornementation en s'inspirant de motifs orien-
taux, et chaque style a été désigné par la suite du nom de l'artiste
lui-même : Lotto, Holbein, Crivelli ou Memling. Les tapis ont
également revêtu un symbolisme religieux. Dans des tableaux
européens, étendus aux pieds d'un saint, ils séparaient les sphères
sacrée et profane ; en Hongrie et en Transylvanie, ils faisaient
partie intégrante des cérémonies liturgiques.
MD
Cat. 110
Maître du Li vre de Raison (actif entre 1470et1500 da ns la région du Rhi n moyen?)
Le Turc à cheval, vers 1490
Pointe sèche, 18 x 10 ,4 cm
Lond res, The Britis h Museum, Departme ntof Prints a nd Drawi ngs,
inv. 1845, 0809.134

VU DE PRÈS savoir d'où l'artiste anonyme, probablement actif dans


la région du Rhin moyen, également appelé Maître
Parmi toutes les représentations d'Ottomans réalisées du Cabinet d'Amsterdam du fait que la plupart de ses
en Europe du nord au xv• siècle, cette pointe sèche d'un pointes sèches sont conservées à Amsterdam - a pu tirer
cavalier en armes se distingue par son haut degré de une connaissance aussi exacte de l'aspect de ces objets,
véracité. Presque tous les détails du guerrier, comme le alors que le reste de son œuvre ne dénote aucun contact
carquois d'arc incurvé sur un côté (sadak) où est fourré approfondi avec cette culture. Peut-être a-t-il eu accès
l'arc reflex, la chabraque décorative bordée de franges, aux dessins d'Erhard Reuwich, qui s'était rendu en Terre
l'épée ou sabre à garde cruciforme, le petit tambour en sainte avec Bernhard Breydenbach et qui conçut les
gobelet, et jusqu'à l'habillement composé d'un caftan xylographies du récit de pèlerinage que celui-ci publia
à manches ouvertes et d'un turban, s'avèrent être des en 1486 (voir cat. 43 ). Inversement, le vaste paysage ne
modèles ottomans soigneusement observés. Il est vrai présente aucun indice renvoyant à l'origine du cavalier,
qu'un tambour à gobelet est un objet plutôt insolite pour mais porte plutôt l'empreinte de l'Europe centrale.
un cavalier; de plus, le carquois d'arc et l'arme portés du GM
côté droit du corps plutôt qu'à gauche, ne sont pas fidèles
à la réalité. Il est difficile de répondre à la question de Bibl. : Lehrs n° 79; Amsterdam et Francfort 1985, p. 59 et n° H.

Cat.111
Martin Schongauer (Colmar, vers 1440/1445 - Colmar ou Brisach, 1491) et entourage
Huit figures en buste portant des coiffures orientales ou fantasques, vers 1480-1500
Dessin à la plume. encres noire ec brune. 'ZT.7 x 20.~ cm
208 209 Londres. The Bntish Museum. Deoartmenr: d ana 0.--
COUVRE-CHEFS montrant une vierge folle en buste (Lehrs n° 86 ). De l'ar-
tiste de Haute-Rhénanie et de son entourage, auquel on
Pendant la seconde moitié du XV" siècle, la diffusion de doit le présent dessin sans doute exécuté par deux mains,
têtes orientales connaît une formidable accélération dans nous connaissons un nombre particulièrement important
les arts plastiques d'Europe du Nord. Ces motifs où les de têtes pittoresques du même genre, et dont les motifs
dons d'observation et d'invention travaillent souvent de très populaires circulaient beaucoup. La femme coiffée
concert ressortent assurément d'une répercussion directe d'un bonnet, à gauche dans la rangée inférieure, revient
des guerres contre les Ottomans, qui suscitaient la crainte par exemple dans un dessin conservé à Paris (Winzinger
autant que la curiosité. Cela dit, les coiffures orientali- n° 70) qui doit vraisemblablement être attribué à l'atelier
santes souvent tout à fait fantasques étaient déjà apparues de Schongauer, mais aussi dans un Jugement de Salomon
plus tôt, de même que les physionomies exotiques desti- connu à la fois par un burin du Maître BM (Lehrs n° 71) et
nées à conférer une ambiance étrangère aux sujets chré- par un dessin conservé à Weimar. Le visage aux traits gros-
tiens en général, dans lesquels elles caractérisaient bien siers, en bas à droite, réapparaît pour sa part en compagnie
assez souvent le païen, c'est-à-dire l'ennemi du chrétien. de deux hommes enturbannés dans un burin de l'école de
Un facteur d'influence non négligeable pour la diffusion Schongauer (Bartsch n° 15). La gravure au burin sur cuivre
précoce de ce type de motifs furent les tziganes immigrés d'un vénérable vieillard enturbanné particulièrement
en Europe de l'Ouest en provenance de l'espace géogra- <lignifié par la main de Meckenhem (cat.112), qui se quali-
phique grec au début du XV" siècle: de nombreux exemples fie ici d'orfèvre, est également influencée par les représen-
iconographiques, notamment de Dürer (voir cat. 115 ), tations d'Orientaux de Schongauer. Son turban correspond
représentent alors des femmes tziganes caractérisées plus plutôt à des types authentiques, ce qui n'est pas le cas de sa
particulièrement par leur turban, coiffure exclusivement longue chevelure frisée.
masculine chez les mahométans. La feuille présentée ici GM
(cat.111), qui pourrait être celle d'un recueil de modèles,
réunit des femmes portant toutes sortes de coiffures et Bibl. cat. 111: Londres 1993, n° 22.
pouvant bien sûr être aussi utilisées dans des images chré- Bibl. cat.112: Bartsch n° 2; Lehrs n° 515; Ho. n° 15; Munich 2006, cat. 128.
tiennes - un exemple célèbre en est le burin de Schongauer

DÜRER COPIE BELLINI de Bellini, ce qui suggère que le peintre allemand aurait
malgré tout pu voir la toile inachevée, sachant qûon ne
Parmi les multiples impressions que Dürer reçut de son connaît aucun dessin préparatoire colorié de la main de
premier séjour à Venise en 1594-1595, tout indique qûil Gentile Bellini correspondant à ce détail. La gravure sur
y eut aussi des Ottomans, car ses œuvres ultérieures bois est une copie simplifiée réalisée vers 1570 d'après
présentent un nombre frappant de figures vêtues à l'otto- l'étude de Londres, qui faisait alors encore partie de la
mane (voir cat. 29). Fait singulier, les emprunts de Dürer collection de Willibald Imhoff à Nuremberg, ou peut-être
se limitent presque intégralement aux caractéristiques d'après un autre dessin perdu de Dürer, car le copiste a très
turbans, ce qui est peut-être lié à son mode d'appropria- exactement repris un motif du tableau de Bellini qui ne
tion. Ainsi, les rares représentations d'Orientaux qui figure pas, ou n'est que très vaguement indiqué dans le des-
se sont conservées de la ma.i n de Dürer ne sont pas des sin de Londres. Le Cavalier oriental de Dürer (cat. 113) pour-
études d'après des modèles vivants qu'il a nécessairement rait également remonter à un modèle de Bellini, comme
croisés dans les venelles de la métropole marchande, le suggèrent en particulier la figure aux proportions mal
mais semblent bien s'appuyer sur des modèles de Gentile équilibrées, donc peu probablement copiée d'après nature,
Bellini, qui avait personnellement séjourné sur les rives mais aussi des plis tendus et parallèles du vêtement. Lon y
du Bosphore en 1479 (voir cat. 65). Cette gravure sur bois relève aussi certaines similitudes avec une figure équestre
montrant trois Ottomans (cat. 114) remonte pour sa part à du sultan Mehmet II qui apparaît au revers d'une médaille
un dessin colorié à l'aquarelle de Dürer conservé à Londres de Costanzo da Ferrara (cat. 76). S'il se trouve que cette
(Winkler n° 78 ), dessin que son sujet relie au groupe de feuille, dont le coloris présente la même luminosité que
figures correspondant qui apparaît dans la Procession sur la l'étude de Londres, est la copie directe d'un modèle ori-
place Saint-Marc de Bellini (ill.17, p. 48-49). Le fait que cette ginal, celui-ci n'aura pas été un cavalier ottoman en chair
peinture monumentale n'ait été achevée qûen 1496 et que et en os (que l'on n'aurait d'ailleurs pas pu rencontrer à
les Orientaux n'y apparaissent qu'en toute petite taille à Venise). Seuls le style de la barbe, le turban, l'habit et le
l'arrière-plan, tend à faire penser que Dürer a eu accès à cimeterre renvoient clairement à une origine ottomane,
l'atelier de Bellini, où il aurait pu étudier des dessins pré- alors que notamment les éperons et la masse d'arme pré-
paratoires de son collègue vénitien. Certaines différences sentent des formes européennes.
entre la feuille de Dürer et le groupe finalement exécuté GM
par Bellini, groupe que ce dernier a peut-être modifié
par rapport à son projet initial, vont dans le même sens. Bibl. cat.113: Winkler n° 79; Koschatzky et Strobl 1971, n° 15; Meyer zur
Car. 112 Cela dit, la distribution des couleurs des habits de l'étude Capellen 1985, n° El9; Atasoy et Uluç 2012, p. 335, il!. 332.
lsrahel van Meckenem (vers 1440/1445 - Bocholt, 1503) Bibl. cat.114: Dodgson 1903-1911, vol.1, p. 493, n° 2; Nuremberg 1990, n° 28.
de Londres correspond largement à celle de la peinture
Portrai t en buste d'un Oriental, vers 1490 ?
Gravure au burin sur cuivre, 10,8 x 12,1cm (rogné sur les q uatre côtés)
Inscription en bas: /srahel Van Meckenem Goltsmit
Londres, The British Museum, Department of Prints and Drawings, inv. 1845,0809.312

210
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Cat. 114
Cat. 113 • uremberg (d'après A lbrecht Dürer)
Albrecht Dürer (Nuremberg, 1471- Nuremberg, 1528)
Trois Orientaux, vers 1570
Cavalier oriental/ au verso: Esquisse d'un turban, vers 1495 (?)
Gravure sur bois, 30.7 x 22,8 cm
Plume, encre noire, aquarelle, 30,5 x 21 cm ~-Ondres. The British Museum. Department of Printsand Drawings. inv.1895,0122.786
Daté 1509 par une main étrangère et monogrammé • AD ,. en haut au milieu
Filigrane : tête de bœuf, croix et serpent
Vienne, Albertina, inv. 3196 ?17 213
·.:,d) ·.Syn gnûflet.auff bïe·tyf ·30 (éyncmlo-ptf/armcu/\lnb 6nifl
Vnb l)a6 gtfcbotfen vil ba1>fcyl ~bo4, -l'trtrit6(n&.vnb l)enlutt
MYSTÉRIEUX PORTEURS DE TURBAN .fu ()flcnt)'d) in Witn bic i}abt .t nit jr.cm·gfd>û~ ~ad) -be& gd(Jd)(fl
La «Famille turque», qui fut copiée très tôt ou exploitée sa signification reste aujourd'hui encore incertaine: long-
.D.is m.tnd]" fncd)t cntpfùnben i,~ i:''*e wir v.o.n b..tnnen mü.flen .w,ycfJtn.
à l'envi en tant que source iconographique de types temps interprétée comme l'allégorie d'une menace turque
exotiques, n'en est pas véritablement une: comme grandissante, la présence simultanée d'une pièce d'artil-
Anzelewsky a pu le montrer à l'appui de nombreuses lerie et d'un Ottoman en place tout aussi proéminente ne
comparaisons iconographiques de l'époque, la femme doit guère être comprise au sens d'une confrontation. Cet
représentée dans cette feuille est en toute certitude une Oriental, dont Dürer a emprunté la tenue vestimentaire
tzigane, attendu que le port du turban était interdit aux au dignitaire central de son dessin de Londres, dessin lui-
femmes turques et très généralement aux musulmanes. même réalisé d'après trois Ottomans de Bellini, se voit en
thomme doit lui aussi être considéré plutôt comme un effet adjoindre ici des guerriers hongrois et un lansque-
tzigane: si l'arc reflex et le turban sont bien d'origine net. Quant à la pièce d'artillerie, il s'agit d'un modèle déjà
ottomane par leur forme, ce n'est pas le cas du bonnet qui désuet à l'époque. Comme l'indique l'homme représenté
dépasse du turban, de la longue chevelure et du vêtement au pied de l'arbre qui tend le bras vers la gauche de
de dessus apparenté à un manteau. rhabit masculin des l'image, le transport du canon s'est apparemment trouvé
tziganes suivait largement les coutumes locales. Dans stoppé. Tout comme le lansquenet appuyé sur le canon
cette gravure dont la composition et le thème s'avèrent de la pièce d'artillerie, il se tourne vers les représentants
inspirés d'une gravure à la pointe sèche du Maître du songeurs de différents peuples regroupés à droite : sans
Livre de Raison (Lehrs n° 67 ), Dürer a donc manifeste- explicitement prendre parti, Dürer voulait-il illustrer les
ment représenté une famille de tziganes immigrée de la incertitudes pesant sur la future évolution des conflits
péninsule des Balkans, peut-être en provenance d'une entre les Ottomans d'une part et le Saint-Empire, ainsi que
région placée sous domination ottomane. Reste que le l'union personnelle de Bohême-Hongrie, d'autre part?
titre traditionnel, en méconnaissant le sujet réel, montre GM
à quel point les Ottomans se sont imprimés dans la
mémoire collective et avec quelle facilité on pouvait leur Bibl. cat.115: Bartsch n° 85; Meder 1932 n° 80; Schoch, Mende
associer un aspect étranger. Le «Grand Canon» de 1518 de et Scherbaum, vol.1, n° 12 ; Anzelewsky 1983.
Bibl. cat.116: Bartsch n° 99; Meder 1932 n° 96; Schoch, Mende
Dürer, un incunable de l'eau-forte paysagère, a également et Scherbaum, vol. 1, n° 85.
donné lieu à bien des interprétations erronées, même si

Cat.11 6
Albrecht Dürer (Nure mber g, 1471 - Nuremberg, 1528)
Paysage au canon (Le Grand Canon), 1518
Eau-forte sur fer, 22,2 x 31,8 cm (plaque)
Daté 1518 et monogrammé « AD » (ligaturé) en haut à gauche
Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Estampe s, inv. SI 14007 (ill.)
Cracovie, Biblioteka Naukowa i PAN w Krakowie, inv. Gab. Rye. 37276

Cat. 115
Albrccht Dürc r (Nurcmbcrg, 1471- Nure mberg, 1528)
Fa mille tziga n e (dit Famille turque), vers 1496
Burin sur cuivre, 10,8 x 7,7 cm (plaque)
Berlin, Staatliche Museen, Kupferstichkabinett, inv. 76-2
Cracovie, Biblioteka Naukowa i PAN w Krakowie, inv. Gab. Rye. 37267

214
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En décembre 1529, le peintre cartier, imprimeur et Le « stradioth » vêtu d'un caftan et d'un chapeau rond
éditeur Hans Guldenmund publia une série de quinze est un stratiote. Aux xve et xvre siècles, ces mercenaires
gravures sur bois ayant pour thème le siège de Vienne originaires des Balkans (Albanie ou Grèce) s'enrôlèrent
de 1529. Ces images réalisées d'après les dessins de tour à tour au service des Ottomans et de leurs ennemis.
plusieurs artistes représentent le sultan Soliman (voir Ici, le texte renvoie de manière élogieuse à la tactique
cat. 87 ), le grand vizir Ibrahim Pacha et le « Sansaco, le utilisée par les stratiotes, qui simulèrent une retraite
commandant en chef du Turc», un autre commandant avant de décocher le « tir parthe », pour lequel les archers
de l'armée ottomane. Les autres feuilles montrent diffé- lancés au galop tirent en arrière sur leurs poursuivants,
rentes unités d'assiégeants qui ont laissé un sentiment entraî-nant ainsi la désorganisation des lignes enne-
d'insécurité au sein de la population à cause de leur mies. L'éditeur de cette série de gravures était très au fait
tactique particulière ou de leur apparence extérieure des différences ethniques au sein de l'armée assiégeante.
insolite, mais surtout à cause des razzias. Par les images Ces différences sont particulièrement soulignées dans
comme par les explications versifiées de Hans Sachs, l'image du cavalier armé du cimeterre et du bouclier.
l'éditeur de cette série entendait mobiliser l'opinion Les vers indiquent que ce cavalier est un Turc par ses
publique contre la menace ottomane. Pour souligner quatre aïeux et que sa mission est de bannir les chré-
l'authenticité des images, l'on alla même jusqu'à citer tiens. Se référant aux populations chassées de Carniole
des documents originaux. Ainsi, une version de la et de la « Croatie hongroise», le texte évoque les inva-
représentation d'Ibrahim Pacha (Makbul ibrâhîm Pa§a, sions ottomanes du xve siècle jusqu'en Carinthie. Dans
1493-1536) montre le favori du sultan majestueusement le sillage du siège de Vienne, l'on vit notamment arri-
monté sur un cheval, une masse d'arme d'apparat à la ver en Europe centrale des animaux exotiques, parmi
main; en haut et à droite, la figure est encadrée par la lesquels les chameaux et les dromadaires attirèrent
missive adressée aux commissaires de guerre de Vienne tout particulièrement l'attention (voir cat.14). Pour sa
par Ibrahim Pacha, missive dont le texte est authentifié représentation d'un dromadaire monté, Erhard Schon
par les reproductions emblématiques du monogramme s'est appuyé sur la suite de gravures sur bois de Hans
et du sceau du pacha. Dans le texte d'accompagnement, Burgkmair illustrant le cortège triomphal de l'empereur
Soliman est qualifié d' «empereur», ce qui semble inha- Maximilien 1er. Le texte d'accompagnement souligne
bituel au regard de la concurrence entre Soliman 1er et l'importance des dromadaires pour l'armée ottomane et
Charles Quint, qui revendiquaient tous deux le titre renvoie au fait que le cavalier est un mamelouk. Toutes
d'empereur universel (voir cat. 6 et 83). Le« Sansaco » est ces indications avaient indéniablement pour fonction
présenté dans une pose analogue, avec une masse d'arme de faire ressortir le rang de Vienne en tant que ville
:Jd1 pi11tirl t:alrc!uo11mcin l'.lim1n11t11 Je!, fct,l.it1fit tobtroo id)fic finbt ~H.. OJ ver necolt IXS turckif,001 kctfers
i:lit Ct,:ijiaa !trot t,1lffid) U(fJ)anncn l&fcycnman U>n6 ol>o: l'.int>t 1'.ul)ABconr:tjtct. '
à la main en guise d'insigne du pouvoir. Ce person- qui s'était opposée victorieusement à l'assaut de forces Jn Cra8attcn l'.lngttn beP glcrd) t!:in tcyl fiia: œir mit "'1& b<1n1on :S1ad)im l3Jfcf)~ ber 11,cl,flt rMI) 211s Wim l>i< 6tabt8d,gm ""1it
.Jn Crail<111t>t 1>1111bmQ)ficn:crd) i)iclcfl 111.in 1'11ll fiü: vnfnn 1011. ticr l\eyfn:hd)tn tlla rcflat X,nt, ifl g,rimn auff l>ic <ICI
nage est sans doute un Sandjakbey (seigneur banneret), armées si peu conventionnelles. Jn all<n_f•cf)cnbcr Cl)iircf,y tllit allerfltyl:>ung l>ittr bitgt
X>at, 1fl g<nnf<n mit i>nl> llty Jfl n: n,01'otn all cont<rftct.
un gouverneur de province. Les deux représentations RB
équestres réalisées par Niklas St6r présentent des textes
informatifs sur la tactique particulière utilisée par ces Bibl.: TIB.045, a-f (Sti:ir); Ho. n°' 143-146 (Erhard Schi:in); Camesina 1875,
combattants. Dans les récits se mêlent l'effroi et l'admi- Nuremberg 1976 p. 30-31, cat. 36-37, p. 38-39, cat. 42, 46-47;
Vienne 1979-1980, p. 63-69, cat.151/1-14; Maxey 1989, p. 76-77-
ration pour les prouesses accomplies par ces cavaliers.

Cat.117
Erhard Schën (Nuremberg, vers1491- Nuremberg, 1542)
Hans Sebald Beham (Nuremberg, 1500- Francfort-sur-le-Main, 1550)
Niklas Stër (?, 1520 - Nuremberg, 1562/1563)
H ans Guldenmund (graveur sur bois) (?, 1460 - Nuremberg, 1560)
Feuilles volantes sur le siège de Vienne 1529,
1. Le Grand Vizir Ibrahim Pascha (Hans Sebald Beham);
2. Le Grand Vizir Ibrahim Pascha (Hans Sebald Beham),
avec un texte d'accompagnement modifié et plus court;
3. Sansaco, le commandant en chef du Turc (Hans Sebald Beham);
4. Archer (Niklas Sti:ir);
5. Archer (Niklas Sti:ir);
6. Cavalier turc (Niklas Sti:ir);
7. Cavalier sur un dromadaire (Erhard Schi:in)
Nuremberg, 1529
Gravures sur bois (coloriées à la main), inscriptions typographiques, 31 x 19,9 cm
Chaque feuille comporte une légende en vers de Hans Sachs (Nuremberg, 1494 -
Nuremberg, 1576)
Rotterdam, Museum Boijmans van Beuningen, inv. MB2010/ 2B-D, MB2010/ 2 i,
MB2010/ 2M-0

216 21
- - - - -- - --,11:",.-..n~ ~~crrn,1reA~nra 0mt>6ii~fo )6ia,m t1'4fci,A/bm t,mn !mgfcommiff"Aricn sa
l).is ~ t:h,œcftn ;û tèlbe tTcgt XU,er. mit ft,nem l}anblJq,sJffltJer,Vgclt/)6 gefd)i d't. ·
•Srin :fri~gcs ;cüg ""t, bic ·p:A6~nt • :J6raym n,afd)a •on('!;ore gnaben~od)tfer"eririfd)er Secrerari/06erfler Ra~ t,ee b1nd)leûd}~ett "n'"
Der th,ia fin'b l'd in fcincm l'1nbt l'6en"inblid,)fkn l\eyfere 9ultan9clle.,matt/~au6rman \lnb <IJubemaeor bee gangm fcynce 2\e7fenl)6m6e/
aller fcyner fad)en. _:Jr Wol~e6omen/<1Jro~med)tigen/4)6crflen """~ ~au6tlen,t/21le vns en,ufdJrtî6tn burdj
Dasmen&a bAt cin pucfd ~utf ewernpotten)Üfumcn/l}aBcnwiraUef~cbent,erfl.tnben/X)nbn,ifft/t>a6w:rni~tfummfeyn/m,er9tc\bc ey
feym .r o(f i)"v4luff fi13ct ~~ nemen/fonbcr;u fud)en e.wem Œr~erg~geri .jcrbinanbiis/2'6cr tenfêl6en nid,t gefùnbcn/barum6 feyn n,tr fo
<in f C~~ttt tnamm~= "'' tag ba ~c!y6en/•mt> auffJu sren,arr;'1Ser er ili ni~c ru1fJe,1.'t'j1 afo gcflem/l)a8c.-n n,irbre~en,er lm,cg,fangen
iuce. (ebiggelaffen/i:>ergley~f}cn n,61~
~~'A,U,,, lecjrmÎtbcni,nfcm gcfanglau
l)anbdn/wit ii,ir baii m,enn po
oen f(,lcbscu'9m11-nbd~an3Û~e
~n6euol~B ~a6en. 90mugt j
bep9al6en t'9ntn t,On eud) t)er.1u
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folcbem f~H,/reytJ forg ~ber ford}tA
l>nfere traii,en "nbglau8ens~al,
6en/cragen/l>,nn bas benen ~o
cD~n /von "ns nid)t glan,6en ge~
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218 19
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'îVR.C.Ht\RY~ 1y7.~.

SOLIMAN ET SON CORTÈGE


Ces cinq gravures sur bois de Jan Swart van Groningen dont la lame repose sur son épaule, tandis qu'un fan-
figurent un défilé triomphal du sultan et de son cortège tassin armé d'une lance marche derrière son cheval.
directement inspiré par la victoire ottomane à Moha.es Le cortège est fermé par des cavaliers archers et des mer-
en 1526. Cette série, que Daniel Hopfer a copiée par la cenaires arabes armés de longues lances, de sabres et de
suite en gravures à l'eau-forte, constitue l'une des pre- boucliers, représentés trois par trois sur deux planches
mières représentations picturales de Soliman et de séparées.
l'armée ottomane dans les arts graphiques d'Europe. Les gravures de Daniel Hopfer sont caractérisées
L'ordre des illustrations, marqué chez Hopfer en une plus grande plasticité du dessin et une plus grande
chiffres romains, place Soliman au centre du cortège, richesse de détails que les originaux de Jan Swart. Ce
faisant de lui le participant principal. Le cortège défile dernier a probablement créé les personnages orientaux
aux accents d'une musique militaire, accompagné en s'inspirant d'observations faites à Venise où il a passé
par les mouvements vifs des musiciens qui ouvrent la plusieurs années. Le portrait de Soliman présente des
marche sur la première estampe. Ils sont suivis sur la similitudes avec un autre portrait de souverain édité la
deuxième estampe de mamelouks à cheval coiffés de même année par un artiste signant du monogramme AA
hauts bonnets de fourrure, armés de sabres, de boucliers (voir cat. 82).
et de longues lances à l'extrémité desquelles sont fixées MD
des flammes portant un croissant. La troisième gravure
représente Soliman sur un cheval au bel harnachement Bibl.: Ho. n°s 812 (Swart) et n°s 64-68 (Hopfer); Zwolle 1995, p. 80,
de style européen; il tient à la main droite son sabre cat. 6i (Jacqueline Kerkhoff); Istanbul 1999, cat. 6 (Waldemar Deluga).

Cat. 118
Jan Swart van Groningen (1490/1500 -Anvers, 1553/1558)
Daniel Hopfer (Kaufbeuren, 1471 -Augsbourg, 1536) d 'après Jan Swart van Groningen
Soliman et son cortège:
1. Trois trompettistes à cheval;
2. Trois cavaliers mamelouks portant des flammes au bout de longues lances;
3. Soliman à cheval accompagné d'un soldat tenant une lance;
4. Trois archers à cheval coiffés de turbans;
5. Trois guerriers à cheval armés de langues lances
Anvers 1526 (Swart) et Augsbourg vers 1526-1536 (Hopfer)
Swart : gravures sur bois, 35 x 27 cm
Hopfer : eaux-fortes, 22,4 x 15,4 cm
Inscriptions: 1: Geprent tantwerpe[n] By my/ Willem Liefrinck figure snyd[er] (OH); 2: Mama/Vcke[NJ
(MAMALVCKE); 3: Soliman Vs lmperator TVrcharVm, 1526. (Solimanus lmperator TVrcharVm); 4:
Haiden (Haiden); 5: Arabische[NJ (ARAB/SCHE)
Stuttgart, Staatsgalerie. Graphische Sammlung, inv. A 2785-2789•
Varsovie, Museum Narodowe, inv. GR.Ob.N.882. Gr.Ob.N.883, Gr.Ob.N.884, Gr.Ob.N.886 et
Gr.Ob.N.885/1 (Hopfer)

220 J?l
LE TURC ET LA FONTAINE et entrepreneur nurembergeois Georg Labenwolf
(1520-1585) pour un ensemble de trente-six statues per-
Au xvre siècle, la présence de nombreux humanistes sonnifiant divers pays destiné à une fontaine au bassin
et artistes fait de Nuremberg un centre important du hexagonal du château royal de Kronborg, au Danemark.
renouveau de l'art de !'Antiquité. Cette ville impériale La fontaine monumentale aujourd'hui disparue, que
libre était également considérée comme l'un des prin- l'on ne connaît que par des dessins et une gravure, fut
cipaux centres de fonderie de bronze en Europe. La commandée par Frédéric Il (1534 -15 8 8 ), souverain de
présente statuette en bronze illustre la relation de ces culture humaniste.
deux aspects. Elle représente un archer turc portant un RB
turban, une tunique mi-longue et une culotte orientale
fermée au genou, en train de bander son arc. L'ample Bibl.: Larsson 1975; Dresde et Bonn 1995-1996, p. 78, n° 33b
(Holger Schuckelt).
mouvement des bras et la position de fente rappellent
des statues antiques. Cette association est renforcée
par la forme antiquisante du support au bord profilé.
Le trou au centre de la plaque suggère que la statue était
destinée à l'origine à une fontaine. Larsson émet l'hypo-
thèse que le modèle de ce bronze a pu être créé par
Lienhard Schacht (t 1603) sur commande du fondeur

Cat. 120
Jan Swart van Groningen (Groningen, vers 1490/1500 - Gouda, après 1558)
Le Christ prêchant le peuple depuis la barque, vers 1522-1525
Gravure sur bois, 235 x 362 cm
Monogramme • 18 » (ligaturé) en bas au milieu
Bruxelles. Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Estampes, inv. S. V 95533

JÉSUS PRÊCHE POUR LES PAÏENS


Cette représentation suit les évangiles selon saint bois de Swart ayant pour sujet le cortège de Soliman le
Matthieu (13,1-9) et saint Marc (4,1-20): une foule nom- Magnifique (cat. 118 ), pourrait également avoir eu pour
breuse s'est rassemblée au bord de la mer de Galilée pour modèle une gravure de Dürer (cat.116). Selon Cesare
écouter Jésus prêcher. Mais avant de découvrir le Messie Vecellio, ce que les deux artistes d'Europe du nord
au second plan, à droite sur le bateau, le regard s'arrête considéraient visiblement comme un accessoire orien-
sur quatre étrangers représentés au centre de l'image et talisant serait en fait d'origine grecque. Quant à savoir si
apparemment plongés dans une discussion. L'un d'eux, Swart entendait réunir ici les représentants de certains
l'Oriental représenté à droite avec un cimeterre, attire peuples particuliers ou plus généralement des types
l'attention de ses compagnons sur le Christ - les quatre exotico-païens, la question reste ouverte. Selon Karel van
hommes sont apparemment censés représenter ici les Mander (1548-1606), qui a qualifié cette gravure mono-
païens, que Swart a caractérisés comme les destinataires grammée « IS » comme une œuvre de Jan Swart, l'artiste
du message divin. Seul l'homme enturbanné porte en aurait voyagé à Venise, où il aurait pu entrer en contact
définitive une empreinte ottomane: les costumes exo- avec des Ottomans et d'autres représentants de peuples
tiques des trois autres sont en revanche plus difficiles étrangers.
à localiser, car tout porte à penser qu'ils ont été repris GM
de modèles plus ou moins dénaturés. Selon les obser-
vations faites par Held, les deux autres turbans - plus Bibl.: Ho. n° 5 ; Held 1931, p. 50-51 ; Washington et Boston 1983, cat. 135;
proches du type mamelouk - ont été directement copiés Amsterdam 1986, cat. 60; Leyde 2011, cat. 18 (J.P. Filedt Kok).
des gravures de la Petite Passion de Dürer (voir p. 55). La
haute coiffe de la figure vue de dos, qui caractérise aussi
Cat. 119 un des joueurs de trompette de la série de gravures sur
Anony me

Archer turc
Nuremberg, milieu du xv1• siècle
Bronze, 23.4 x 14,5 x 6,5 cm
Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum, inv. Pl. O. 2948

222 223
Cat. 122
Jan Swart van Groni ngen
(Groningue, 1496 - Autun, 1535)
L'Adoration des mages,
vers 1520
Huile sur toile, 78 x 95 cm
Anvers, Koninklijk Museum voor
/
Schone Kunsten Antwerpen,
inv.207

Cat. 121
Vittore Carpaccio (Venise, ve rs 1465 -Venise, 1525/1526) et entourage
Ottoman assis, après 1500
Plume, encre gris-brun et rehauts de blanc sur papier vert autrefois bleu,
GARDE-ROBE CHANGEANTE
24,6 x 16,4 cm
Inscription en haut à gauche.: 299 Ces trois tableaux montrent l'adoration des mages - en et 1530. Selon des sources non confirmées, Swart aurait
Wolfegg, Kunstsammlungen der Fürsten zu Waldburg-Wolfegg
plus de l'adoration des bergers chez Mansueti. Les mages ensuite continué son voyage vers Constantinople au
y portent à chaque fois des habits de cérémonie orien- départ de Venise. A-t-il réellement poursuivi son voyage?
taux. Le fait n'est pas exceptionnel: depuis le gothique Nous l'ignorons. Quoi qu'il en soit, le peintre n'avait pas
international, les rois sont en effet vêtus de costumes besoin de se rendre dans l'Empire ottoman ou en Terre
MODÈLE AVEC TURBAN cadrage irrégulier suggère qu'il faisait autrefois partie traditionnels exotiques dans nombre de tableaux. Dès le sainte pour voir des costumes traditionnels orientaux: à
d'une feuille au format paysage comportant d'autres début du xve siècle, un certain nombre de miniaturistes cet égard, Venise suffisait largement. À la fin du xve et au
Vers la fin du xve siècle, les types orientaux se répan- études de figures réalisées soit à des fins pédagogiques, parisiens - en ce compris les frères Limbourg - repro- début du xvre siècle, des costumes syriens, palestiniens et
dirent dans la peinture vénitienne, comme en soit comme répertoire de motifs. Du fait des étroites duisent avec précision différentes parties des costumes égyptiens sont représentés si fréquemment dans les arts
témoignent notamment les vastes cycles de peintures relations commerciales de Venise avec le monde isla- orientaux. Ils mélangent toutefois ces parties en vue plastiques que le terme «orientalisme» y a toute sa place.
illustrant des légendes de saints réalisés pour les nom- mique, les Orientaux étaient en quelque sorte omnipré- d'obtenir un ensemble éclectique. Ce résultat d'ensemble Cette fascination trouve très certainement, en tout cas
breuses scuole ou confréries de la ville lagunaire. Les sents dans l'image de la ville lagunaire, ce qui fait que de souligne surtout la différence fascinante incarnée par partiellement, son origine dans la réalité quotidienne:
exemples les plus significatifs furent peut-être créés nombreuses représentations vénitiennes dénotent un les mages. En ce sens, les miniaturistes évoqués ci-avant étant donné les relations commerciales entre Venise et
par Vittore Carpaccio, avec ses peintures peuplées haut degré d'authenticité. se distinguent clairement des Adorations de Giovanni le Proche-Orient, l'on peut supposer que les Vénitiens
d'innombrables Mamelouks, Ottomans et autres types GM Mansueti, de Francesco dai Libri (?) et de Jan Swart van connaissaient relativement bien les costumes en ques-
orientaux destinées aux confréries de Saint-Étienne et Groningen: il s'agit ici à chaque fois d'un exemple pré- tion. Mais cet intérêt s'inscrit également dans un style
de Saint-Georges. Ce dessin peu connu d'un vieillard Bibl.: Ravensburg 2003, cat. 22 (Ursula Verena Fischer-Pace). coce de personnages vêtus d'habits authentiques. typiquement vénitien, le « réalisme descriptif»: le but
assis en habit ottoman dont le bras gauche repose sur Venise en constitue le dénominateur commun: était de représenter, dans les arts plastiques, les scènes
un accoudoir n'est vraisemblablement pas de la main Mansueti y a été actif tout au long de sa vie connue. Dai historiques de la façon la plus convaincante possible.
même de Carpaccio, mais de son entourage immédiat: Libri, ou son collègue anonyme, y a très certainement eu Gentile Bellini, notamment, s'illustre brillamment
l'homme enturbanné pourrait être une copie d'atelier accès aux ateliers les plus importants. Quant à Jan Swart dans ce« réalisme descriptif». Dans son œuvre La
réalisée d'après un modèle du maître, sachant que le van Groningen, il s'est rendu à la Sérénissime entre 1526 Prédication de saint Marc à Alexandrie (ill. 8, p. 32-33),

,-)4 ,,c
Cat. 123
Artiste de Vérone (Francesco dai Libri?, Vérone, vers 1450 - Vérone, vers 1503/1506)
L'Adoration des mages, vers 1500
Huile sur toile, 103,5 x 223,2 cm
Padoue, Museo d'Arte Medievale e Moderna, inv. 425

226 227
Bellini intègre en outre la mode des Mamelouks, une semble davantage vouloir impressionner la galerie. NATIONS UNIES en 1598 dans la succession d'Ambras, mais on ne sait pas
mode pour laquelle opte également Giovanni Mansueti Dans son tableau, les personnages principaux sont avec certitude quand et comment l'archiduc en fit l'acqui-
dans son Adoration des mages. Les trois mages et leur suite presque relégués au second plan par un long cortège Cette peinture sur toile tout en largeur ne se distingue pas sition, et son attribution est tout aussi incertaine. ron y
y portent des turbans et des habits propres à la dynastie de personnages exotiques vêtus de costumes magni- seulement par sa taille inhabituelle, dont on ne connaît décèle une étroite parenté stylistique avec les peintures
des Mamelouks. ron aurait peine à croire qu'il s'agit d'une fiques et spectaculaires. que peu d'équivalents dans la peinture allemande du d'histoire du Munichois Hans Schopfer l'Ancien. Cela dit,
coïncidence: jusqu'au début du xv1• siècle, une grande Quant à Jan Swart van Groningen, c'est à Venise qu'il a milieu du xv1• siècle, mais aussi en raison du nombre les commanditaires et certains modèles utilisés - notam-
partie de l'Égypte et du Moyen-Orient -y compris la Terre très certainement vu la mode orientale pour la première impressionnant de figures vêtues de différents costumes, ment différentes gravures sur bois de Hans Burgkmair -
sainte - appartiennent au sultanat des Mameloul<s. Ce fois.À son retour aux Pays-Bas, il intègre celle-ci dans ses qui en font une sorte d'image des « Nations unies» de rendent en revanche probable un artiste d'Augsbourg.
n'est toutefois pas tellement auprès de Gentile Bellini lui- œuvres. On peut constater qu'il existe un lien entre les l'époque. ron y trouve aussi de nombreux Ottomans Ainsi, les Aztèques et une femme castillane (à droite à
même que Mansueti trouve l'inspiration pour son tableau, turbans représentés ici et ceux que l'on peut voir dans le répartis dans tout le tableau, parmi lesquels ressort parti- l'arrière-plan) figurés dans la peinture correspondent
mais auprès de son collaborateur anonyme qui est l'auteur tableau La Réception des ambassadeurs à Damas, même si culièrement l'homme au manteau vert, que l'on peut voir à des types qui apparaissent pour la première fois dans
de l'œuvre La Réception des ambassadeurs à Damas (Paris, l'aspect des turbans de Jan Swart van Groningen rappelle deux fois en conversation avec un Hongrois. Toutes les le recueil de costumes de l'Augsbourgeois Christoph
Musée du Louvre): certains couvre-chefs représentés ici également ceux du Baptême des Sélénites dans la Scuola figures se présentent comme des comédiens, mais surtout Weiditz, paru en 15 2 9 à Nuremberg. La circulation de
ont été reproduits dans son Adoration des mages. degli Schiavoni à Venise. Les tissus orientaux drapés de comme des figurants dans l'histoire d'Esther (dans l'An- ces types et les modèles que l'artiste a pu utiliser pour
Dans l' œuvre attribuée à Dai Libri, les rois ne sont pas façon théâtrale contribuent également à la valeur de cien Testament), dont les différents épisodes se déroulent les autres costumes exotiques ressort par exemple d'un
représentés en costumes mamelouks mais en costumes spectacle de l' œuvre. La mode orientale, tout comme les ici sur une scène décorée d'architectures Renaissance autre manuscrit illustré, le Cod. Icon. 341 de la Bayerische
ottomans. Il s'agit là d'une différence substantielle, d'au- cadeaux exotiques qu'ils ont apportés, expliquent en partie imaginaires. Après que le roi de Perse Assuérus eut répu- Staatsbibliothek, à Munich, qui a également vu le jour
tant plus que les Ottomans s'emparent du pouvoir de fait la popularité dont bénéficiait le thème des mages auprès dié sa première femme et choisi pour nouvelle épouse à Augsbourg et que l'on date de la fin du xv1• siècle: ce
en Terre sainte (et au-delà) en 1517. Il n'est toutefois pas d'un public d'acheteurs composé de commerçants, un la juive Esther, celle-ci fut bientôt placée en situation manuscrit compile non seulement certaines figures de
certain que le peintre ait voulu y faire allusion. Il trouve public présent en nombre aussi bien à Anvers qu'à Venise. de devoir sauver son peuple. Après avoir démasqué un Weiditz, mais aussi une vaste palette de costumes euro-
probablement son inspiration vestimentaire dans les KVC complot contre le roi, son tuteur Mardochée avait refusé péens et étrangers. rartiste semble aussi avoir connu des
œuvres de peintres vénitiens tels que Vittore Carpaccio, de s'agenouiller devant Haman, le premier ministre modèles de Pieter Coecke van Aelst (voir cat. 68 ), qui
Gentile Bellini - dans l'atelier duquel cet artiste a sans Bibl. : Raby 198 2, p. 21-22 et 35; Berlin 1989, n°' 5 et 7; Husband 1995, d'Assuérus. rorgueilleux Haman ordonna alors l'exécu- avait lui-même séjourné à Constantinople. C'est ce que
doute été formé - et Giovanni Mansueti. Le réalisme p. 166; Kubiski 2001 ; Mack 2002, p. 160-163; Paris, New York et Venise tion de tous les juifs du pays, et Mardochée demanda son suggère notamment le motif de la tonnelle de branches
2006-2007, p . 304.
descriptif n'entre pas en ligne de compte ici: l'artiste aide à Esther. Celle-ci se rendit auprès du roi sans y être soutenue par des caryatides, sur la tour, sachant qu'un
conviée, alors qu'une telle audace était punie de mort, motif similaire apparaît dans une des tapisseries du cycle
et trouva une oreille favorable. Cette scène et le cortège de vertumnes de Coecke 1 • Notre artiste pourrait avoir pris
d'Esther somptueusement vêtue se rendant auprès du roi connaissance des œuvres du Néerlandais par l'intermé-
sont représentés au premier plan, à l'extrême gauche et diaire de Jalmb Rehlinger, un parent de Barbara Rehlinger
à droite. Grâce à l'action avisée d'Esther,Assuérus accor- qui avait travaillé avec Coecke à la traduction du qua-
dera finalement la vie sauve au peuple juif au terme de trième livre du traité d'architecture de Serlio, imprimée
bien des péripéties, et châtiera l'intriguant. en 1543, et qui avait cofinancé le voyage de Coecke à
Les blasons des coins inférieurs sont ceux des com- la cour du sultan 2 . D'autres sources de types ottomans
manditaires du tableau: Karl Villinger (après 1511-1566, à envisageables sont les manuscrits constantinopolitains
gauche) et son épouse Barbara Rehlinger (vers 1515-1593). montrant des images de costumes. Ces manuscrits furent
Par son mariage avec Barbara, qui était issue d'une vieille apportés en assez grand nombre en Europe par des mis-
famille patricienne d'Augsbourg, Karl Villinger, dont le sions diplomatiques, particulièrement dans les années
père Jakob avait été trésorier de l'empereur Maximilien J•r 1550-1560. Une autre référence ottomane notoire, diffu-
à partir de 1510, accéda à la couche directrice de la ville. sée cette fois-ci par l'estampe, est une des colonnes her-
En 1546, il fut en outre fait baron de Schonenberg par métiques rouges en forme d'homme enturbanné: celui-ci
Charles Quint. Karl Villinger, qui a utilisé une forme a été emprunté à un burin du Néerlandais Cornelis
élargie de ce blason à partir de cette époque, a vraisem- Bos (vers 1510 - avant 1556). rauteur de la peinture de
blablement commandé cette peinture pour le château de Vienne est aussi celui d'un tableau de même sujet, mais
Seyfriedsberg (Bavière) qu'il avait fait construire à partir de dimensions très inférieures, conservé au Philadelphia
de 1550. rarchiduc Ferdinand II de Tyrol (1529-1595) l'y Museum of Art (inv. 734).
vit en 1569 et la décrivit comme un « tableau [...] dans GM
lequel sont dépeintes maintes nations avec leurs diffé-
rents habits » (cité d'après Sandbichler ). La passion pour Bibl. : Innsbruck 1977, n° 372, ill. 35; Meadows 2009; Sandbichler 2010;
toutes les choses exotiques, qui conduisit le Habsbourg sur Schêipfer, voir Locher 1995; sur les figures ottomanes dans les
recueils de costumes, voir Stichel 1991.
à réunir dans sa résidence du château d'Ambras, près
d' Innsbruck, une des premières collections d'art et d'objets 1 New York 2014-2015, cat. 66.
culturels ottomans, a sûrement joué un rôle décisif dans 2 Ibid., p. 90,176 et 311.

le souhait de posséder cette œuvre. Le tableau est décrit

Cat. 124
Giovanni M ansueti (actif à Venise, 1484-1526)
La Naissance du Christ, début du xv1• siècle
Huile sur toile, 79,5 x 136,7 cm
Inscription: JOHANNES DE MANSVET/S P
Vérone, Museo di Castelvecchio, inv. 974-18276

229
Cat. 125
All emag ne du Sud (H ans Schopfer l'Ancien [?], Munich, vers 1505 - Munich, 1569)
L'Histoire d'Esther
Huile sur toile, 169,4 x 368,2 cm
Vienne, Kunsthistorisches Museum, Gemaldegalerie (exposé au château d'Ambras), inv. 5777

231
LA BELLE FILLE DU CHAPELIER
Ce portrait peint par Titien, dont il existe de nom- de l'Italie cultivaient la mode des serfs noirs parce qu'on
breuses copies, montre Laura Dianti, fille d'un chapelier pensait que cette couleur de peau désignait les esclaves
qu'Alphonse 1er d'Este (1486-1534), duc de Ferrare, choi- des couches supérieures de la société ottomane. Laura
sit pour maîtresse après la mort de Lucrèce Borgia, sa Dianti pose majestueusement la main sur l'épaule de
seconde épouse. Le tableau présente par ailleurs le por- l'enfant. Un examen sommaire de son costume suggère
trait d'un page qui est un enfant noir, une première dans également une origine ottomane. Dans son ouvrage sur
la peinture de portrait, et qui restera une rareté pendant les costumes, Francesco Vecellio (1590, p. 406v) décrit le
le Cinquecento, bien que les représentations d'esclaves vêtement de dessus du « servo turco» comme semblable
noirs apparaissent plus souvent et plus tôt dans la pein- à un large manteau à rayures fait de toile épaisse (di
ture d'histoire, notamment chez Carpaccio (voir ill.18, lana 9rossa si mile aile schiavine ver9ate ). Dans la Cène à
p. 50 ). Le tableau fut offert en 1599 à Rodolphe II à Emmaüs de Marco Marziale (1506) conservé aux Gallerie
la cour de Prague. C'est là qu'il apparaît dans le plus dell'Accademia, à Venise, le serviteur noir enturbanné
ancien inventaire réalisé peu après, et où il est décrit représenté à côté du Christ porte précisément ce genre
comme «Une Turque avec un petit Maure, de Titien». de vêtement, mais dans le tableau de Titien, la texture
Dans son Roland furieux (XLVI, 5) publié entre 1516 et 1532, du tissu à rayures est déjà nettement plus raffinée. Il
L'Arioste avait déjà fait allusion à Laura Dianti comme à pourrait s'agir de soie ou de satin, comme le suggèrent
une «Turque» en la citant conjointement avec « Barbara aussi les manches blanches qui en ressortent. Celles-ci
Turca » et en ajoutant qu'entre l'Inde et le plus lointain ont dû être réalisées en connaissance de cause de ce que
rivage des Maures (da l'Indo all'estrema ondea maura), on ne Vecellio formulera plus tard concernant les « esclaves
pouvait trouver de plus grande beauté que ces deux dames. turcs», à savoir qu'ils se promenaient en manches
Deux faits inhabituels dans l'œuvre de Titien sont de chemises (vanna in maniche di camicia). Titien les
d'une part le visage peu typé du modèle, dont le teint n'est a pour sa part ennoblies pour le contexte de la cour.
pas marqué par la pâleur en vogue à l'époque, mais par un Concernant la coupe du vêtement de dessus de l'enfant,
incarnat tirant sur le vert olive, en particulier au niveau on peut voir que l'habit est froncé au niveau du col, d'où
du décolleté, et d'autre part l'habillement fantaisiste bleu les rayures se prolongent le long des formes corporelles.
azurite, qui ne correspond en rien aux usages courtois Tout cela est inconnu des vêtements ottomans. Mais
de l'époque, mais qui n'en est pas moins très précieux et la pièce de tissu vert tissé d'or nouée autour de la taille
luxuriant, et en partie agrémenté d'accents orientaux. de l'enfant comme une large ceinture ou une écharpe
La parure de tête est particulièrement frappante. Il ne correspond pour sa part à la mode ottomane, comme
s'agit pas de l'habituel balzo. En lieu et place de celui-ci, le montrent de nombreuses illustrations de récits de
la tête a été coiffée d'un tissu doré noué en turban et orné voyage de l'époque.
sur le devant d'une parure voyante en forme d'étoile Peut-être créé comme pendant d'un portrait du duc
composée d'un médaillon et de nombreuses perles. Selon Alphonse peint par Titien vers 1524-1525, mais dont
toute apparence, Alphonse d'Este voulait voir ennoblie sa on ne connaît plus aujourd'hui qu'une copie conservée
maîtresse, qui était de basse extraction. au Metropolitan Museum à New York, Laura Dianti se
En même temps, il fit introduire plusieurs références tourne vers le duc par une légère torsion droite, mise en
à l'Orient, comme le montre notamment le personnage scène comme une beauté exotico-érotique et souveraine
secondaire - plutôt une fillette qu'un garçon, du fait de orientale magnifiquement parée.
la prédilection de la maison d'Este pour les esclaves SE
noires, mais aussi des boucles d'oreilles. Tout porte à
penser que l'enfant était membre de la cour de Ferrare, Bibl.: Justi 1899; Wethey 1971, vol. 2, cat. 24, p. 92-94; Kaplan 1982;
dont on sait qu'elle abritait toute une famille originaire Bestor 2003; Woods-Marsden 2007; Koos 2010.
d'Éthiopie. Selon Kaplan (2011, p. 52), les cours du nord

Cat. 126 (œ uv re pas présentée dans l'exposition)


Tiz ia no Yecell io, dit T itien (Pieve di Cadore, vers 1490 - Venise, 1576)
Lau ra Dianti, entre 1523 et 1529
Huile sur toile, 119 x 93 cm
Signé: TICIANVS F.
232 Suisse. Kreuzlingen. Collection Heinz Kisters
SPLENDEUR ORIENTALE EN HONGRIE
Le portrait mortuaire de Gaspar Illéshazy (1593-1648) la masse d'arme ornée de pierres précieuses, l'épée,
est l'un des exemples les plus marquants de ce genre le costume et en particulier le tapis vert foncé dont la
répandu au xvue siècle dans les chapelles familiales structure décorative rappelle un çintamani, révèlent la
de la haute noblesse protestante de Haute-Hongrie qualité des objets ottomans importés comme des fabri-
(auj. Slovaquie), un genre issu de l'ars moriendi et de la cations locales - d'inspiration orientale - présents dans
philosophie néo-stoïcienne de Juste Lipse (1547-1606) la culture de représentation de la noblesse hongroise au
développés dans les écrits de Martin Luther et de début de l'ère moderne.
Philippe Melanchthon. Gaspar Illéshazy, qui futf6ispcin RB
de trois comtés, a contribué par ses traductions à faire
connaître cette forme de littérature édifiante. Les idées Bibl. : Buzàsi 1975, p. 106-109 et 115; Budapest 2007, cat.18, p. 96
fondamentales de ce courant spirituel se reflètent dans ( Emese Pàsztor ).
ce portrait mortuaire où sont représentés les mérites
du défunt. En plus de l'inscription visible en haut du
tableau, des objets personnels sont placés dans l'image
à titre d'emblèmes de son haut rang. En même temps,

Cat. 127
Anonyme du nord de la Hongrie
Portrait mortuaire de Gaspar Illésha zy, 1648
Pa nneau, 136 x 221 c m
Inscription en hau t a u centre: /1/ustrissimus Domiuns Come Gasparus 11/éshàzy
de 11/éshàza. Perpetuus a Trenchin ...
Budapest, Magyar Nemzeti Muzeum, Tërténeti Fé nyképtà r, 33, inv. TKCs30

Cat. 128
Attribué à Lorenzo Lotto, [Sebastiano del Piombo (Venise, vers 1485 - Rome, 1547) ?]
Portrait du cardinal Pompeo Colonna, vers 1525
Hui e sur toile. ns x 87 cm
Roma, GaDeria Colonna. inv. FKi . 159
2 34 235
UN ADVERSAIRE DES PAPES probablement peint vers 1525 après sa nomination de
cardinal. Dans l'une des premières études sur les tapis
La désignation de types de tapis à l'aide de noms de ottomans, Julius Lessing a attribué ce portrait à Lotto.
peintres a été instaurée à la fin du XIXe siècle dans le Selon des recherches plus récentes, il s'agirait de l'œuvre
cadre des premières recherches systématiques sur les d'un artiste de Vénétie actif à Rome entre 1520 et 1525.
tapis d'Orient. Les tapis dits «Lotto», caractérisés par L'attribution actuelle à Sebastiano del Piombo (1485-
l'un des motifs les plus appréciés à la fin du XVIe siècle, 1547 ), ami de Michel-Ange, a été justifiée par la parenté
doivent leur nom à Lorenzo Lotto, peintre actif en Italie stylistique avec des portraits vénitiens de suiveurs de
du nord et à Venise (voir cat.128). Les peintres de la Bellini et le monumentalisme de la figure de Pompeo
haute Renaissance italienne enrichissaient leurs décors Colonna. En tant que vice-chancelier de l'Église, le car-
des couleurs vives et des motifs complexes des tapis dinal était un des membres les plus influents de la curie,
d'Orient, faisant en même temps la démonstration de où il fut l'adversaire des deux papes Médicis, Jules II et
leur virtuosité. C'est particulièrement vrai pour Lotto Clément VIL Le tapis d'Orient au premier plan, élément
qui porta un grand intérêt à la structure de ces tapis. noble, correspond au rang particulier de cette personna-
Leur intégration habile à la composition et surtout le lité controversée.
rendu détaillé des divers motifs font de ses tableaux RB
des documents sur l'art du tapis au début de l'époque
moderne. Ses tapis appartiennent souvent au même type Bibl.: Lessing 1879, p. 5; Mills 1981, p. 287 ; Mack 1997-1999;
à bordure kufi. C'est le cas du Portrait de Pompeo Colonna, Baker-Bates 2008.

LE PHILOSOPHE ET LE NEZ LE PLUS CÉLÈBRE


DE LA RENAISSANCE
Avec Marsile Ficin et Pic de la Mirandole, Cristoforo est aujourd'hui attribuée au jeune Sandro Botticelli
Landino (1425-1504) est un des principaux représen- (1445-1510). L'artiste a organisé la scène de dédicace
tants de la philosophie néoplatonicienne à Florence. dans un cadre architectural qui paraphrase sans doute la
Le cercle des philosophes et poètes commença à se loggia du studiolo du palais ducal d'Urbin. Sur le parapet
réunir en 1462 dans le cadre de l'Accademia platonica est posé un tapis Holbein à petits motifs géométriques
fondée par Cosme de Médicis, académie dont les dont la structure a été rendue de manière détaillée.
membres se retrouvaient en différents lieux pour Botticelli connaissait ce genre de tapis de Florence, où
débattre de sujets philosophiques. Dans ses Disputationes ces objets furent très appréciés pendant la seconde moi-
Camaldulenses, Landino transcrira la teneur des ren- tié du xve siècle. Telle qu'elle ressort des inventaires de
contres qui eurent lieu à l'ermitage de Camaldoli. Vers l'époque, l'augmentation du volume d'importation de
1472, il dédia le manuscrit de cette œuvre au célèbre ce type d'objets de luxe fut une conséquence des bonnes
chef d'armée (condottiere) et futur duc d'Urbin Frédéric relations entre Florence et l'Empire ottoman. Pendant
de Montefeltre (1422-1482), sous l'autorité duquel Urbin cette phase, l'on en vint notamment à un échange
devint un centre majeur de la Renaissance italienne. intensif d'œuvres d'art entre les Médicis et le sultan
Ce double portrait montre l'acte de dédicace, lors duquel Mehmet II (voir cat.129).
le duc, représenté à gauche, tient entre ses mains le EP et RB
livre qu'il vient de recevoir, tout en regardant Landino
d'un air approbateur. Cette miniature initialement Bibl.: Pasetto 1998, p. 194- 206 ; Spallanzani 2007, p. 62-71.
attribuée à Francesco di Giorgio Martini (1439-1501)

Cat.129 ·
Artiste florentin (Sandro Botticelli?)
Cristoforo Landino remet le texte de ses Disputationes
Camaldulenses à Frédéric III de fontefeltre, vers 14 2
Gouache sur parchemin. 'Z1 x 18,6 cm
236 237 Citôdu"2.tic2n. Bibliot:oc-:a~ ~
LES TAPIS DE MEMLING
Hans Memling, l'un des plus grands primitifs flamands,
a traité à plusieurs reprises le thème de la Vierge trônant
accompagnée d'un ou deux anges, en s'inspirant de son
maître Rogier van der Weyden. Friedlander et Lane ont
mis en doute que ce panneau soit de Memling, mais
De Vos est d'avis qu'il appartient à son œuvre tardif.
Le trône est recouvert d'un tapis d'Orient aux motifs
géométriques qui tombe jusqu'à l'estrade. Avec le bal-
daquin de précieux brocart aux motifs de grenades,
il souligne le rang de Marie, reine des cieux. Le tapis
est certes en grande partie dissimulé par sa robe et
le coussin où reposent ses pieds, mais par son décor
et ses couleurs, il est si proche de tapis figurant dans
d'autres Vierges de Memling, notamment celle de
Florence (Offices), que l'on peut le rattacher au type
de « tapis Holbein », ainsi nommé d'après les tapis
représentés dans deux tableaux de Hans Holbein le
Jeune, Les Ambassadeurs (Londres, National Gallery;
« tapis Holbein à grands motifs ») et le Portrait de Georg
Gisze (Berlin, Gemaldegalerie ; « tapis Holbein à petits
motifs »). Il faut distinguer ces textiles ottomans que l'on
rencontre dès le milieu du xve siècle dans des tableaux
d'artistes italiens tels que Piero della Francesca, et les
tapis, probablement venus d'Anatolie, souvent présents
dans des œuvres de Memling. En raison de leur décor
caractéristique, le gül Memling, constitué d'octogones
emplis de losanges aux bords en escaliers ou hérissés Cat.1 30
de crochets, ceux-ci sont appelés communément « tapis Attr ibué à Hans Mem ling (Seligenstadt, vers 1440 - Bruges, 1494)

Memling ». Les tapis orientaux étudiés par Memling ont Vierge à l'en fant trôn ant entre deux anges, ve rs 1485-1490
Huile sur chêne, 68,2 x 51,5 cm
sans doute été importés à Bruges, capitale du commerce Prieuré de Saint-Osyth, près de Clacton-on-Sea, Trustees of the Right Honourable Olive,
où le peintre passa ses principales années d'activité. Il ne Countess Fit zwilliam's Chattels Settlement, by Permi ssion of Lady J uliet Tadgell, inv. 61

reste aujourd'hui aucune pièce originale au fond jaune,


modèle que préférait Memling, comme le montre le
tapis du tableau présenté ici.
GM

Bibl. : Friedlander 1971, vol.i, n° 100; Bruges 1994, cat. 32 ; De Vos 1994,
n° 75 ; Lane 2009, n° C2. UN TAPIS SUR LA TABLE peinture de la Renaissance, remonte au portrait de
Georg Gisze peint en 1532 (Berlin, Gemaldegalerie) par
Cet indiscutable chef-d'œuvre, que Vasari mentionne Hans Holbein le Jeune, où le modèle se tient devant une
dès 1566, séduit par son atmosphère intimiste et le table couverte d'un tapis d'Orient. Ce type se caractérise
mélange inhabituel de portrait de groupe et de scène par de petits motifs géométriques répétés à l'infini qui
de genre. L'artiste a représenté trois de ses jeunes sœurs couvrent la partie centrale délimitée par la bordure.
jouant aux échecs sous l'œil attentif d'une servante. Les « tapis Holbein à petits motifs» se distinguent
Tandis que l'arrière-plan s'ouvre sur un paysage, une des « tapis Holbein à grands motifs» dont l'original
situation momentanée est mise en scène au premier figure dans Les Ambassadeurs peint par Holbein en 1533
plan: Minerva s'adresse à Lucia, son aînée, en levant (Londres, The National Gallery).
la main comme pour protester, mais celle-ci regarde GM
le spectateur, faisant de lui un autre observateur de la
partie d'échecs. Pour sa part, la petite Europa regarde Bibl. : Perlingieri 1992, p. 82-88, pl. 49; Vienne 1995, cat. 13
Minerva avec un sourire espiègle qui commente la (Sylvia Ferino).

Cat.131
scène. Toutes trois figurent autour d'un échiquier posé
Sofonisba An gu issola (Crémone vers 1531/ 15 32 - Palerme, 1625) sur une petite table recouverte d'un tapis d'Orient.
La Partie d'éch ecs, 1555 Il s'agit d'un « tapis Holbein » de la catégorie « à petits
Toile, 72 x 97 c m motifs». La dénomination de ces tapis sans doute
Inscri ption que l'échiquier : SOPHONISBA ANGUSSOLA [ ...] TRES SUAS SORORES ET ANCIU.A MPINXITMDLV
Poznar\, Fundacj a im. Raczyr\skich przy Muzeum Narodowym w Poznaniu, inY. MNP Mo 39 d'origine anatolienne, qui figu rent souvent dans la

239
DES TAPIS OTTOMANS DANS DES ÉGLISES PROTESTANTES demeure patricienne de Sighi~oara (all. Schassburg), en dans le cadre de l'exposition des corps de défunts dans
Transylvanie, renvoie à leur utilisation comme tentures. les églises que les tapis ottomans semblent avoir relevé
L'ensemble de tapis ottomans relativement homogène d'un axe de symétrie horizontal (tapis à double niche), La tradition des tapis ottomans utilisés pour déco- de l'obligation la plus généralisée. Les règlements
en termes de fabrication, de coloris et de taille prove- présente des motifs végétaux qui rappellent des sym- rer les églises s'est perpétuée en Transylvanie - ce qui ecclésiastiques du xvme siècle nous apprennent que la
nant pour la plupart d'Anatolie occidentale, a été sub- boles antérieurs - motif étoilé devenu médaillon ou cou- constitue un cas rare. C'est surtout dans les paroisses famille de tout défunt dont la dépouille était inhumée
divisé en différents groupes classés selon leurs motifs. ronne de fleurs , lampe à huile devenue vase. protestantes que les tapis ont servi à « déquotidianiser » dans l'enceinte de l'église devait déposer sur le cata-
Leur appellation se doit en partie au modèle supposé Ces tapis arrivaient en Transylvanie par les grandes et sacraliser l'église pour le service divin. Par ailleurs, falque un tapis ottoman qui entrait en possession de la
de leur décor (par exemple un oiseau ou un scorpion), voies commerciales avec d'autres textiles ottomans et les tapis se sont vus conférer une fonction mémorielle, paroisse après le service funèbre.
mais ils sont aussi souvent désignés d'après des peintres une multitude de produits orientaux. Comme dans de sorte que leur conservation au fil des siècles a fini par Le XIXe siècle ayant mis fin à leur utilisation tradi-
dont les œuvres montrent tel ou tel type de tapis (tapis d'autres régions d'Europe, un engouement pour les couler de source. tionnelle, entraînant une diminution substantielle du
Holbein, Crivelli, Memling ou Lotto). textiles d'origine ottomane se développa aussi en Les corporations urbaines les installaient comme fonds de tapis transylvaniens, ce groupe d'objets a été
Les tapis Lotto (cat. 128) doivent leur nom au peintre Transylvanie. À côté de lés entiers de velours ottoman, objets de représentation à l'emplacement de leurs redécouvert au xxesiècle par la recherche. Sur le terri-
Lorenzo Lotto (1480-1557). Leur dessin consiste en un des pièces de tissu pour turban, des chabraques et des mobiliers liturgiques respectifs (chaises, bancs) ou toire de l'actuelle Roumanie, les musées et les paroisses
décor d'arabesques jaunes sur un fond à dominante housses de coussins entrèrent ainsi dans le quotidien comme moyen privé d'autoreprésentation des familles conservent aujourd'hui un total d'environ 400 tapis
rouge. Leurs caractéristiques bordures présentent sou- de Transylvanie, sachant que ces produits y furent uti- patriciennes lors des offices et autres solennités. Les ottomans, dont 200 sont exposés dans des églises.
vent des signes coufiques, et plus tard aussi une bande lisés pour des usages qui différaient fortement de ceux inventaires des xvne et XVIIIe siècles nous apprennent ÂZ
de nuages ou une succession de rosettes. qu'ils avaient dans leur région d'origine. Ainsi, les tapis en outre que les lieux clés de la célébration liturgique -
Un sous-groupe particulier est constitué de tapis ottomans étaient volontiers utilisés comme décoration chaire, pupitre, table d'autel-, mais aussi le mobilier Bibl.: Csànyi 1914, p. 37 ; Schmutzler 1933 ; Eichhorn 1968, p. 72-84;
«transylvaniens», dont le nom, qui remonte au XIX" siècle, intérieure. Les dommages que l'on relève aujourd'hui ecclésiastique, les pierres tombales et l'orgue, étaient Dall'Oglio et Dall'Oglio 1977, cat.11 ; Kertesz-Badrus 1978, cat. 28;
Kertesz-Badrus 1985 ; Ba tari 1994; Ionescu 2006, p. 97,115 et 138;
renvoie à la région où en furent conservés le plus grand sur ces tapis - traces d'usure, taches d'encre, etc. - per- décorés de tapis. En même temps, lors des actes litur- Berlin 2006, p. 53, 59; Budapest 2007; Istanbul 2007, p. 149;
nombre. Le dessin des tapis transylvaniens se distingue mettent de conclure à leur utilisation comme tapis giques particuliers, les tapis avaient une fonction dis- Gdansk 2013, p. 110- 111; Wener et Ziegler 2013.
par une bordure spécifique garnie de cartouches. Le de table, tandis qu'une peinture murale représentant tinctive: le tapis offert à l'enfant baptisé ou au couple
champ central, typiquement répété de part et d'autre un tapis à décor d'oiseau qui s'est conservée dans une d'époux célébrant leur mariage était exposé. Mais c'est

Cat. 132 Cat. i;;

Tapis tra n sylvanie n à double nich e Tapis Lotto


Onoman, début du xvu• siècle Première moitié du xvu• siècle
Laine. nœud de Ghiordès. 1520 nœuds/dm2 • 177 x 116 cm L •ne. nœud de Ghiordès, 1010 nœuds/dm2 160 x m cm
Brasov (aJI Kronstadt ; hong. Brassé), église protestante A.B., inv.111.271 Br~ ( Kronstadt;hong.Brasso prou,stante~. .m.167
240 241
UNE RICHE PARURE ou islamiques jouissaient déjà d'une grande popularité
sous Rodolphe. Cette considération pour les textiles
Après la mort de Rodolphe II en 1612, Matthias (1557- orientaux s'exprime déjà de manière analogue dans le
1619), un frère cadet du défunt, fut élu à sa succession costume de sacre impérial confectionné au Moyen Âge
en qualité d'empereur du Saint Empire romain germa- dans les ateliers arabe-normands de Sicile. Quand des
nique. C'est peut-être de cette même année que date le troupes suédoises investirent la capitale de Bohême en
portrait de cour en pied peint par Hans von Aachen, 1648, vers la fin de la guerre de Trente Ans, ce caftan
artiste de la cour de Prague déjà très sollicité sous semble avoir fait partie de leur butin, car il fut remanié
Rodolphe. Dans ce portrait, Matthias n'apparaît toutefois peu après en antependium avec une autre pièce d'étoffe
pas (encore?) en tant qu'empereur, mais comme roi de ottomane. L'antependium se trouve aujourd'hui encore
Bohême - il avait été couronné dès 1611. La peinture à l'église de Mariefred, en Suède. Le portrait de Matthias
conservée à Prague se distingue d'une seconde version atteste donc mieux qu'aucune autre œuvre contempo-
conservée au Kunsthistorisches Museum de Vienne raine la considération dont jouissaient les produits de
par le costume de sacre hongrois que porte Matthias. luxe ottomans à la cour impériale de Prague, considé-
La peinture devait donc renvoyer également à la dignité ration qui, tout comme le vol et la réutilisation dans le
de roi de Hongrie qui était la sienne depuis 1608. contexte sacral, devait faire naître ultérieurement de
Sous le manteau hongrois doublé de fourrure, Matthias nouvelles convoitises.
porte par ailleurs un caftan de soie à motif d'yeux de GM
paon. Concernant cette luxueuse pièce vestimentaire,
il s'agit d'une production ottomane que Matthias avait Bibl.: Neumann 1966, n° 1 ; Kurz 1977, p. 8, ill.12 (détail de l'antepen-
peut-être reçue comme présent d'Ali, pacha de Buda, en dium); DaCosta Kaufmann 1985, n°' 1-82; Jacoby 2000, n° 88 ; Berlin
et Magdebourg 2006, cat. Ill.49 ; Karl 2011, p. 21- 22 ; sur l'antependium,
1609. Selon les indications de différents inventaires de voir Geijer 1951, p. 108, ill. 31.
l'époque, les armes et pièces d'habillement ottomanes

Cat.135
Cat. 134 Antependium suédois, xvu• siècle (1)
Hans von Aachen (Cologne, 1552 - Prag ll e, 1615)
l'!.toffes ottomanes du xVI• siècle
Portrait de l'e mpereur Matthias en roi de Bohême, 1611- 1612
Soies brodées d'or et d'argent, 265 x 92 cm
Huile surtoile, 184,5 x 16.5 cm Marierred (Suède). égise municipale
Dra_g_ue Obrazàrna Prais,e o raou . -.s 3,0 anc e r,erneri: :,_ 3 .:l
243
242
ŒILLETS ETTULIPES SOIES ORIENTALES
Cette chape en kemha, brocart de soie turque, porte un par l'évêque Francesco Simonetta pendant son séjour à POUR L'ÉGLISE
décor de rangées de médaillons figurant des œillets en Cracovie (1607-1609). On cherche encore à savoir quel
forme d'éventail, disposés en quinconce sur un fond était le rapport, s'il en existait un, entre cette chape et la Le fond en velours de soie cramoisi est couvert d'un
de fins rinceaux fleuris de tulipes, exécutés au fil d'or, colonie de bourgeois florentins de Cracovie, ou si des allover de rangées décalées de grands médaillons cou-
d'argent et de soie. Au bord du vêtement a été rapporté ateliers locaux ont participé à sa confection. Les spécia- leur or contenant des œillets et des bandes nuageuses.
par la suite un orfraie décoré de neuf médaillons brodés listes sont unanimes sur un point : cette pièce est sans nul L'espace entre le haut et le bas des médaillons est décoré
représentant le Saint-Esprit au centre, encadré de chaque doute l'un des plus riches présents faits par Simonetta d'un motif à trois cercles (çintamani).
côté par trois bustes d'apôtres (Pierre, Jean, André, Paul, en Pologne, et l'un des plus beaux exemples d'ornements Sur un fond blanc et or, le second brocart de soie brodé
Jacques et Thomas ) et aux extrémités, deux médail- religieux anciens. Elle peut également être perçue comme de fils métalliques dorés présente un allover décoratif de
lons identiques portant les armes du nonce Francesco un symbole des nombreux liens artistiques et commer- rangées décalées de médaillons couleur or en forme de
Simonetta (1555 -1612). Sous la bordure a été ajouté un ciaux entre Cracovie, l'Italie et l'Empire ottoman aux croissant. Les médaillons sont remplis de fleurs de lotus
capuchon en forme de demi-ovale, décoré des portraits xvre et xvne siècles. et de feuilles saz en forme de croissant, ainsi que d'un
en buste de la Vierge Marie et de l'archange saint Michel MD cercle doré de moindre taille décoré d'étoiles bleues.
dans des médaillons entourés d'un motif de feuillages et Les textiles ottomans les plus précieux - brocarts de
de vrilles évoquant l'ornementation de style mauresque Bibl.: Nowacki 2013, p. 165- 173; Istanbul 2014, p.143, cat. 38 soie brodés de fils d'or, d'argent et de soie de couleur
du xvre siècle. (Beata Biedronska-Slotowa); Istanbul 1999, p.116-117, cat.19 (kemha), serâser piqués de fils d'or et d'argent, et velours
(Beata Biedronska-Slotowa).
Cette chape a été offerte à l'église du Corps du Christ de soie (çatma) - que l'on pouvait trouver en Hongrie
de la cité de Kazimierz (auj. un quartier de Cracovie) et en Transylvanie aux xvre et xvne siècles n'étaient pas
accessibles dans le commerce. Ces riches étoffes avaient
généralement été offertes par des ambassadeurs ou ache-
tées à Constantinople par les princes de Transylvanie. Le
protocole voulait que des caftans de cérémonie (hil'at)
(cat. 51 et 62), fussent remis aux personnages reçus en
audience à la Sublime Porte, si bien que la mention de
« caftan turc » ou « robe turque» figure souvent dans les
inventaires des familles de la noblesse hongroise.
Toutefois, ces caftans de cérémonie n'étaient pas por-
tés. Leurs précieuses soieries étaient réutilisées pour
la confection de chemises, de jupes, de doublures, de
dessus de lit, de coussins, et même d'accessoires reli-
gieux tels que chasubles, devants d'autel et voiles de
calice. Dans certains cas, ces tissus étaient conservés
dans les trésors en tant que riches présents. Les articles
textiles coupés dans des soieries précieuses provenant
de caftans sont généralement désignés dans les sources
comme « article de caftan».
Tandis que la chasuble de velours (cat. 137) semble
faite dans une pièce tissée en deux lés, celle en brocart
de soie (cat. 138) a probablement été coupée dans le
kemha d'un caftan de cérémonie.
EP

Bibl. cat.137: Pasztor 2013, p. 133, fig. 7.


Bibl. cat.138: Dresde 1995, p. 152, cat. 161 ; Budapest 2013, p. 147-148,
fig. JV.16.

Cat. 137
Panneau arrière d'u n e chasuble taillé dan s
un velours onoman
Brousse ou Istanbul, Turquie, début du XVII' siècle
Velours de soie coupé et fils métalliques (çatma), 95 x 64 cm
Cat. 136
Budapest, lparmüvészeti Mùzeum, inv. 8397
Chape décorée d'œillets et d'une Annonciation
Tu rquie , Bursa [?]. seconde moitié du xv1• siècle, Italie vers 1606, Cracovie après 1607
Soie, satin, broderie au point d'orient de fils argentés, dorés et de soie, 275 x135 cm; hauteur du capuchon 45 cm Cat. 138
Cartouche sur le capuchon : Ave Maria Gra Piena. Dominus Tecum Panneau arrière d'une chas uble taillé dans une soie onomane
Cracovie, Klasztor Kanonik6w Regularnych Lateranskich Brousse ou Istanbul, Turquie, fin du xv1• siècle - début du
XVII' siècle
Lampas de soie (kemha), 124 x 64,5 cm
Budapest, lparmüvészeti Mùzeum, inv. 7375

244 245
MERVEILLEUXAUTOMATES
ET MACHINES MONDIALES
À la fin du xvre siècle, l'horlogerie et l'orfèvrerie ont
connu une floraison particulière en Allemagne du Sud.
Ce sont surtout les pièces fabriquées par des ateliers
établis à Augsbourg qui jouissent alors d'une haute
renommée auprès des cours européennes et ottomanes.
Les horloges, automates et autres productions de réfé-
rence de l'artisanat d'art deviennent un classique des
«hommages», en d'autres termes des tributs que les
ambassadeurs des Habsbourg remettaient au pacha de
Buda, mais aussi et surtout aux grands dignitaires de
la Sublime Porte. De même, les facteurs d'horloges fai-
saient régulièrement partie des missions diplomatiques
envoyées dans le Bosphore. Les récits d'époque montrent
que malgré l'interdit islamique des images, l'on y était
très friand des automates à figurines. C'est à ce groupe
de présents qu'il convient sans doute de rattacher les
horloges conservées à Moscou, Vienne, Dresde, Chicago
et Bâle qui présentent un pacha à cheval (voir Maurice
1976, vol. 2, cat. 272-274). L'horloge exposée possède un
boîtier en cuivre doré au feu. Le haut socle ovale est posé
sur quatre pieds en bronze et est agrémenté d'un riche
décor à enroulements contenant des scènes de chasse.
Sur la face supérieure décorée d'escargots, de lézards
et de deux serpents se trouve le cadran et le disque de
réglage du réveil doté de chiffres arabes. La figure de
pacha ottoman qui la surmonte, ainsi que celle du chien
qui l'accompagne, donnent une impression très vivante
grâce aux éléments peints. Cette impression est encore
renforcée par le mouvement de la tête et du bras armé
d'une masse d'arme au moment de sonner les heures.
La figure du pacha à cheval fut probablement inspirée
des gravures largement répandues représentant des pro-
cessions sultanesques.
La fascination exercée par les fastes de la cour du sultan
n'était guère plus forte que l'idée d'un Orient creuset des
sciences et de la sagesse, comme le montre une série de
représentations de penseurs antiques, à commencer par
le géographe astronome Claude Ptolémée (voir cat. 151).
La même idée combinée à la mécanique moderne dont
Cat. fi9
la cour ottomane était si friande, est à la base de l'horloge
à figurine sur laquelle un «Turc» contemple une sphère
armillaire fixée à l'extrémité d'un tronc d'arbre, et qui sert arre. doru'e.émaillage partiel à froid. mécanisme en laiton, 25.5 x 12,1x 12,1cm
en même temps à indiquer les heures. orisches Museum, Kunstkammer, inv. KK 866

RB

Bibl.: Maurice 1976, vol. 1. p. 125 et vol. 2 , cat. 366; Mraz 1980;
Ackermann 1984, p. 84, cat. 49.

Cat.140
Horloge à automate avec un pacha à cheval accompagné d'un chien, Allemagne du Sud, vers 1580
Cuivre et bronze, dorure au feu, émaillage partiel à froid, 46 x 31,7 x 26,5 cm
Bâle, Historisches Museum. inv. 19821162

)47
DE LA VAISSELLE ENTRE UN MOTIF FAIT CARRIÈRE est donné par la gourde en cuir décorée d'applications
précieuses: le sultan Murat III la fit parvenir à l'em-
ORIENT ET OCCIDENT Depuis le XVIe siècle, l'art européen appelle mauresque pereur Rodolphe II en 1581 dans le cadre des festivités
un type d'ornement plan constitué de rinceaux feuil- données à l'occasion de la circoncision de son fils, ce qui
Au xve siècle, les porcelaines de Chine au décor bleu et lus et fleuris étroitement entrelacés et stylisés jusqu'à en fait aussi un important document de l'échange de
blanc étaient très appréciées, aussi bien dans les États l'abstraction. C'est ce qui distingue la mauresque de présents diplomatiques entre les deux cours. Les mau-
islamiques qu'en Europe occidentale. La Turquie n'ayant l'arabesque, qui lui est du reste étroitement apparen- resques se sont largement diffusées en Europe par les
pas la possibilité d'en importer de grandes quantités par tée, mais qui est plus fortement travaillée en relief et cycles de gravures sur cuivre et les recueils de modèles
terre ou par mer, on a cherché à fabriquer des produits qui peut accueillir des éléments animaux ou humains. essentiellement conçus comme répertoires de motifs
comparables dans des ateliers locaux. Kütahya et Iznik, Comme l'indiquent leur désignation, les deux orne- pour les artisans d'art. Dans le domaine nord-européen,
les principaux centres de production, étaient situés ments remontent en dernier lieu à un modèle commun l'engouement pour les modèles ornementaux ressort
à proximité de gisements d'argile de qualité. Les pre- arabe. Ainsi, la mauresque vient des Maures (esp. moros), notamment de la masse de gravures sur cuivre publiées
mières céramiques au décor bleu et blanc inspiré de la des berbères nord-africains qui se convertirent à la par l'éditeur anversois Hieronymus Cock (1518-1570)
porcelaine chinoise virent le jour vers 1470, encore sous foi islamique et qui occupèrent de vastes parties de la et copiées très tôt par des artistes comme Augustin
le règne de Mehmet II. I.:expansion territoriale de l'Em- péninsule Ibérique au Moyen Âge. Au xme siècle, les Hirschvogel (1543) ou Peter Flëtner, sans doute le
pire et l'augmentation des contacts commerciaux appor- mauresques, dont on peut retracer les origines jusqu'à plus grand représentant de l'ornement allemand de la
tèrent de nouveaux motifs décoratifs de l'est comme l'Antiquité avec l'ornement végétal hellénique, s'étaient Renaissance. Une des mauresques exécutées d'après un
de l'ouest. Les échanges entre l'Occident et l'Orient imposées dans l'ensemble de l'espace islamo-arabe. modèle publié par Cock, et que l'on attribue au Maître F,
ottoman peuvent être illustrés par ce plat, fabriqué entre C'est par l'intermédiaire des Maures qui conquirent figure aussi parmi les gravures sur bois du recueil de
1535 et 1540, dont le fond creux figure un médaillon avec Cat.141
l' Espagne et par les voies marchandes du reste de l'es- modèles de Flëtner exposé ici, recueil que l'éditeur
le portrait d'un jeune homme devant un paysage. C'est le Tondino en majolique de Ca fagglio pace méditerranéen qu'elles arrivèrent en Europe, où zurichois RudolfWyssenbach publia en 1549 à titre pos-
seul plat d'Iznik connu dont le décor soit un portrait. Le Cafagglio, vers 1515 elles devinrent d'abord populaires au xve siècle en thume avec des projets de Hans Rudolf Manuel. Quant
jeune homme représenté est un « Franc » (c'est-à-dire un C éramique; décor peint sous glaçure à l'étain Italie. La splendide cassette vénitienne présentée dans à la gravure sur bois de Dürer, elle fait partie d'une série
Diam.25cm
Européen); il porte un vêtement vert tilleul et un bonnet Londres, Victoria and Albert Museum, inv. C.2129-1910 l'exposition date de la Renaissance tardive. Les pan- de six « dessins de broderie » que l'artiste créa en 1507
à aigrette. Dans le paysage à l'arrière-plan, on aperçoit neaux latéraux comme le couvercle et les plinthes en en s'inspirant de modèles gravés issus de l'entourage
des collines et même une église. Le portrait est entouré sont couverts de rinceaux dont la profusion suscite un de Léonard de Vinci. Si ces modèles assimilaient les
d'un large marli au décor d'écailles bleues duquel se sentiment d' « horreur du vide » - ce n'est sans doute pas influences de la mauresque, leur organisation plus for-
détachent en réserve huit mandorles contenant chacune par hasard que le contraste de couleurs efficacement tement géométrique montre qu'ils doivent plus encore
un bouquet de cinq tulipes en bouton émergeant d'une décoratif des mauresques dorées sur fond brun rappelle à l'art ornemental arabe et à ses motifs noués ou entre-
fleur. Les écailles sont un motif connu des majoliques celui des reliures ottomanes décorées de dorures sur lacés. Les nœuds entrelacés de ce type furent populaires
de Deruta en Ombrie. Ce détail, ainsi que le portrait de cuir. Un bel exemple d'entrée des mauresques dans l'art dans l'art d'Italie du Nord pendant la seconde moitié
profil suggèrent que son auteur s'est inspiré de modèles ottoman, mais aussi du passage de ces imaginatifs orne- du xve siècle et plus tard. Tout comme la mauresque,
italiens. Le plat de majolique fabriqué à Cafaggiolo en ments plans dans le domaine culturel européen, nous ils attestent donc en quelque sorte l'internationalisme
Toscane près de deux décennies auparavant présente des formes ornementales.
une composition d'ensemble analogue. Le décor végétal GM
stylisé et surtout le costume orientalisant de la femme
figurant sur le médaillon central indiquent que l'auteur Bibl. cat.143: Ho. (Flêitner ); Ho. n ° 48 (Hans Rudolf Manuel ) ; Gülpen
a cherché à donner l'impression d'un travail oriental- 2002, p. 185,406; sur Flêitner et le Maître F, voir Byrne 1979, p. 103.
Bibl. cat. 145: Bartsch n ° 140; Meder 193 2 n ° 274 ; Sch och , Mende et
ottoman. Avec le plat de Deruta au portrait de Mehmet II Scherbaum, vol. 2, n ° 142.
(cat. 78 ), ces deux exemples illustrent une autre facette Bibl. cat. 144: Wash ington, Ch icago et New York 1987-1988, p. 165,315,
de l'échange artistique entre l' Europe occidentale et cat. 105 ; Vienn e 2009, cat. 174 (Joh annes Wien in ger).
l'Empire ottoman dans la première moitié du XVIe siècle.
RB

Bibl.: Lan e 1957, p. 51-5 2 ; Fran cfort-sur-le-Main 1985, vol. 2, p.143,


cat. 2/12; Atasoy et Raby 1989, p.181, n ° 178; Washington et al.
2004-2006, p. 123 (Rosser-Owen , Miriam).

Cat.142
Pla t en céramique à large bord
Izn ik, vers 1535-1540
Céramique à pâte siliceuse: décor peint sur e ngobe siliceux
et sous glaçure plombifère, d iam. 26,2 cm
Londres, Victoria and A lbert Museum, inv. C.5763-1859

Cat . 143'
« Livre d'ar t » de Peter Flêitner (Th urgau, ve rs 1485/1490 -
Nu remberg, 1546)
Avec des gravures sur bois de Peter Flëtner et de Hans Rudolf Manuel (1525- 1571)
@3«rudt !'13üf9dl b9 :Xilbolff'W9fîfllb11~ Zurich, RudolfWyssenbach, 1549
ifonttfcfin91>«', •J•Hl• ln-4°
Berlin, Kunstbibliothek, Lipperheidische Kostümbibliothek, inv. D 844 & Bi. 78.43

248 249
Cat. 144
Venise
Cassette, vers 1570-1590
Hêtre, palissandre (placage), argent (poignées), partiellement doré,
peint et laqué, 19,7 (26,4 poignées comprises) x 41,8 x 28,9 cm
New York, The Metropolitan Museum of Art, Department of European
Sculpture and Decorative Arts, Rogers Fund, 1957, inv. 57.25a.b

Cat. 145
Albrecht Dürer (Nuremberg, 1471 - Nuremberg, 1528) Cat.146
Motif avec blason en forme de coeur Constantinople
Gravure sur bois (1" état), 272 x 211 cm Gourde, avant 1581
Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Estampes, Cuir, peau de poisson peinte, fer, corne, os, soie, 30,5 x 26 x 13,5 cm
inv. S. Il 23027 (folio rés.) Vienne, Kunsthistorisches Museum, Hofjagd- und Rüstkammer, inv. C 28

250
LE MONDE EN CŒUR
Cette mappemonde en forme de cœur accompagnée
d'un texte en turc osmanli compte parmi les plus
anciennes gravures européennes présentant des carac-
tères arabes et illustre par ailleurs l'échange de connais-
sances entre l'Europe et l'Empire ottoman pendant la
Renaissance. Concernant son auteur, le texte nomme
un certain Hajii Ahmed de Tunis, qui la réalisa en l'an
967 de l'Hégire (1559 de l'ère chrétienne). Des fautes de
grammaire et des erreurs de contenu suggèrent toutefois
que la carte serait plutôt l'œuvre de spécialistes véni-
tiens comme le drogman Michele Membré et l'éditeur
Marc'Antonio Giustiniani qui, avec cette carte, ciblaient
ainsi l'élite ottomane. Le centre de la carte est occupé
par une projection terrestre cordiforme dans laquelle
est aussi repris le continent américain. Si le nouveau
continent avait déjà été consigné plus tôt dans la carte
du monde connu établie par le marin ottoman Pîrî Reis,
la projection cordiforme, qui permettait de représenter
les hémisphères occidental et oriental avec un mini-
mum de distorsion, était une innovation inédite. Près du
bord inférieur apparaissent trois autres représentations:
une sphère céleste dans laquelle sont représentées la
Terre et les planètes environnantes et deux cartes du ciel
montrant les signes du zodiaque visibles respectivement
en été et en hiver. Les éléments iconographiques s'in-
sèrent de manière virtuose dans un texte très dense, et le
tout est encadré d'une bordure décorative à motif floral.
Le texte décrit les continents, les douze principaux
pays de la Terre et les sept souverains du monde. Les
pays sont associés aux constellations et les souverains
aux étoiles fixes. La mise sur un même plan du sultan et
du soleil pourrait être un reflet de la théorie héliocen-
trique, qui commençait alors à s'imposer. En combinant
des éléments issus de la mythologie classique, de l'astro-
logie et de l'histoire, les cartographes allaient au-devant
des ambitions du sultan avec la présentation des
connaissances géographiques les plus récentes, mais
aussi du groupe formé autour d'Ibrahim Pacha qui,
entre 1523 et 1536, défendit l'idée d'une translatio imperii
et qui considérait donc l'Empire ottoman comme
faisant partie intégrante de la constellation des États
européens. Ainsi, les revendications formulées dans la
carte présentent des point communs avec le casque
d'apparat exigé par Ibrahim Pacha pour le sultan
Soliman (voir cat. 79): les deux projets ont en commun
l'utilisation d'un langage symbolique ancré dans le
contexte européen pour illustrer la revendication de
souveraineté universelle des Ottomans. Le présent projet
ne put toutefois être réalisé tel qu'il avait été planifié: en
1568, le pouvoir vénitien procéda à la confiscation des
planches, qui ne furent redécouvertes qu'en 1795 et qui
servirent alors à tirer vingt-quatre épreuves de la carte.
RB

Bibl.: Arbel 2002; Vienne 2009, p. 190 cat.136 (Beate Murr); Casale 2013;
Emiralioglu 2014, p. 135-138. Cat.147
Hajii Ahmed (peut-être un pseudonyme pour
Nicolô Cambi et Michele Membré),
Mappemonde, 1795
(impression tardive à partir des six
planches gravées en 1559)
Gravure sur bois, 114 x 113 cm
Vienne, ôsterrechische Nationalbibliothek,
Kartensammlung und Globenmuseum,
inv. FKB 0.11.3
MESURER LE MONDE étaient souvent les croquis ou dessins réalisés sur place
par des voyageurs. Ainsi les produits finis suggéraient-ils
Christoph Schissler fut un des facteurs d'instruments une forte impression d'authenticité.
scientifiques les plus influents du XVIe siècle. Établi à Cette figure constitue un éloquent témoignage de la
Augsbourg, ce dinandier de formation se définissait lui- fascination durable que ce monde exotique et lointain
même comme astronome, géomètre et artiste. Dans les a exercée sur l'Occident. Dans le contexte du cadran
sources, il est généralement cité comme fabricant de bous- solaire, elle peut être interprétée comme une reconnais-
soles. De nombreux instruments comme des astrolabes, sance des mérites arabes dans le domaine des sciences
sphères armillaires, quadrants, globes terrestres ou célestes, naturelles, mais aussi, spécialement, des mathématiques
mais aussi des cadrans solaires de précision et d'un haut et de l'astronomie. Inversement, la cour ottomane était
niveau de finition peuvent être mis en relation avec l'ate- très friande de ce type d'ingénieux instruments de pré-
lier qu'il fonda au début des années 1550. Ses voyages le cision. Depuis le milieu du XVIe siècle, les horloges et les
conduisirent notamment à la cour d'Auguste 1er à Dresde automates fabriqués à Augsbourg étaient particulière-
et à celle de l'empereur Rodolphe II à Prague, dont les ment appréciés à la Sublime Porte, où ils arrivaient sous
collections regorgeaient d'instruments mécaniques. forme de présents diplomatiques. Le désir du sultan et
Comme son nom l'indique, le cadran solaire hori- de ses courtisans de posséder des œuvres d'art méca-
zontal doit son nom à sa table horizontale. En tant que niques sorties des ateliers augsbourgeois documente de
cadran solaire indiquant l'heure pendant toute la durée manière éloquente le savoir-faire technique, la connais-
du jour, l'objet exposé l'indique aussi aux premières et sance mécaniques de l'Occident et l'estime dont ils
dernières heures de la journée. La forme artistique de jouissaient en Orient.
ce cadran solaire va très au-delà de la simple fonction et KSVL
en fait la pièce de cabinet de curiosités par excellence.
Ainsi, l'aiguille du cadran solaire est tenue par une Bibl.: Dresde et Bonn 1995-1996, p. 102 .

figure d'Ottoman se tenant debout sur un globe terrestre.


Les modèles d'Ottomans utilisés pour ce type de figure

Cat. 148
Christoph Schissler (Augsbourg, vers 1530/1532 -Augsbourg, 1608)
Cadran solaire de table horizontal décoré d'un« personnage turc »
Augsbourg, 1562
Laiton gravé et doré, bronze coulé, bois, verre, fer, 21 ,5 x 19 cm (plaque de base)
Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, Mathematisch-Physikalischer Salon, inv. D 137

MESURER LE TEMPS À L'OTTOMANE


Au XVIe siècle, Nuremberg s'est notamment distinguée L'on remarquera le décor exotique des deux faces
comme centre de production de cadrans solaires extérieures, flanquées chacune de deux figures orienta-
pliables, des instruments maniables qui pouvaient être lisantes représentées debout sur un bandeau paysager
commodément emportés en voyage. L'ouverture du cou- et caractérisées comme des Ottomans par la coiffure,
vercle à 90 degrés tendait un fil qui servait de 9nomon. l'habit et le sabre. Cependant, l'auteur du cadran n'a
Une fois l'instrument orienté au nord, le fil marquait la sans doute jamais visité le pays exotique ; il semble en
ligne horaire correspondant à l'heure du jour. En règle effet s'être plutôt appuyé sur les études de costumes de
générale, une boussole était donc intégrée à l'objet pour l'époque. Les correspondances avec les représentations
en faciliter le fonctionnement. de Persans et d'Ottomans du recueil de costumes publié
Le matériau privilégié pour la fabrication de ces chefs- en 1577 par Hans Weigel l'Ancien (voir cat. 60), qui
d' œuvre technologiques était l'ivoire, certes difficile à était établi à Nuremberg comme la famille Tucher, sont
travailler, mais d'autant plus résistant à l'usage comparé flagrantes.
par exemple au bois. Matière extrêmement précieuse, Les correspondances des études de costumes de Weigel
l'ivoire était en outre un symbole statutaire. avec celles de Jacopo Ligozzi (voir cat. 62), qui fut actif
Nuremberg, où une corporation des boussoliers exis- à la cour des Médicis, ou avec le recueil de costumes de
tait depuis 1480, était située au carrefour de plusieurs l'Italien Cesare Vecellio (voir cat. 58) édité à Nuremberg,
grandes routes commerciales, ce qui profitait à la vente suggèrent que les trois artistes ont pu s'appuyer sur une
des cadrans solaires pliables. L'atelier de la famille source commune sans doute perdue aujourd'hui.
Tucher, qui y était installé, et surtout Thomas Tucher, KSVL
s'y firent un nom grâce à la fabrication de cadrans de
précision. La pièce exposée, qui a perdu son aiguille, Bibl.: Gouk 1988, p. 56-58; Weigel 1577-
correspond au type décrit plus haut et doit être attribuée
à cet atelier.
Cat. 149
Ateli er de Thom as Tucher (Nuremberg, 1590 - Nuremberg , 1645)

Cadran solaire pliable


Nuremberg, vers 1600
Ivoire, laiton, 14 x 7,6 x 1,8 c m
Oxford, Museum of the History of Science, inv. 78766
25 4 255
Cat. 150
Christoph Schissler (Au gsbourg, vers 1531 - A ugs bourg, 1608)
Qu adrant géom étriqu e (Quadratum Geometricum), 1579
Cui vre, dorure, 34,8 x 34,8 x 1,1cm
Diverses inscriptions gravées; signature dans un cartouche au dos : CHRIS-
TOPHOR VS SCHISSLER I GEOMETRICVS A C ASTRONOM I /CVS ARTIFEX GREC AU TURBAN
AVGVSTAE I VINDELICORVM FA C/EBAT I A NNO DOM/NI . 15. 79
Oxford, Museum of th e History of Science, prêt de la Bodleian Library,
inv. 48659 (ace. 1952-83) Les deux dessins se présentent comme des pendants,
mais furent vraisemblablement complétés de cinq
autres feuilles pour former la série des Septem artes
liberales, les « sept arts libéraux », subdivisés en quatre
arts du calcul - géométrie, astronomie, arithmétique et
musique - et trois arts de la langue - rhétorique, dialec-
tique et grammaire. Aux personnifications féminines
des arts représentées assises sur un trône, Brosamer a
adjoint un savant emblématique dont le choix s'était
déjà plus ou moins établi dès l'époque médiévale. Ainsi,
!'Astronomie était habituellement accompagnée de
Claude Ptolémée (vers 100 - après 160).Avec l'Alma-
geste, son grand ouvrage, Ptolémée a déterminé pen-
dant des siècles le modèle géocentrique de l'univers,
qui ne sera remplacé qu'à la Renaissance par le modèle
héliocentrique, dans lequel le Soleil est mis au centre de
l'univers en lieu et place de la Terre. Le savant grec actif
à Alexandrie apparaît ici sous les traits d'un Ottoman
dont l'habit n'a d'autre prétention que de renvoyer à la
patrie respectable et - du point de vue européen - exo-
tique de Ptolémée, tout en communiquant l'idée d'un
LE MONDE EN CARTES Schissler (VD 16, R 1148 ). Les costumes ottomans ren- Orient perçu comme un creuset d'érudition. Il se peut
voient manifestement à l'origine orientale présumée que les dessins de l'artiste allemand s'appuient sur des
Des prédécesseurs de cet instrument étaient utili- de ce domaine des mathématiques : selon Rensberger, modèles de l'art italien, dans lequel on trouve parfois
sés au Moyen Âge pour l'arpentage. À l'époque de la géométrie était une invention des Égyptiens, reprise des représentations analogues d'artes liberales assises su r
la Renaissance, après quelques adaptations et amé- ensuite par les Grecs, notamment Thalès de Milet et un trône, avec à leurs pieds leur représentant respectif
liorations, le quadrant géométrique (ou Quadratum Euclide. Au Mathematisch-Physikalisches Salon de Dresde (voir la fresque d'Andrea di Bonaiuto, vers 1365/1367;
Geometricum) servait à mesurer des angles verticaux et est conservé un carré de mesure au décor en relief presque Florence, Santa Maria Novella, chapelle des Espagnols).
des distances zénithales. L'exemplaire présenté ici a été identique, créé en 1569 et dédié la même année par GM
fabriqué en 1579 par Christoph Schissler d'Augsbourg. Schissler au prince-électeur Auguste de Saxe (inv. CI 1;
La plaque carrée et la bordure présentent un travail très détérioré au cours de la Seconde Guerre mondiale). Bibl. : Fran cfort-sur-le-Main 2004, cat. 80-81 (Stephanie Buck); sur les
élaboré de gravure, et dans l'angle au centre, figurent L'exemplaire d'Oxford signé et daté au dos par Schissler représentations des sept arts libéraux, voir Tezmen-Siegel 1985.
des personnages en costumes européens et ottomans fut envoyé à Prague en 1579 à la cour de l'empereur
munis de divers instruments mathématiques, se livrant Rodolphe II qui en fit l'acquisition pour la coquette
à des mesures. Une inscription explique la fonction de somme de 300 thalers. Il fut ensuite vendu aux enchères
l'instrument: « in hoc qvadrante svmma omnivm fractorvm en Angleterre au xvne siècle et parvint à une date incon-
nvmerorvm qvi in mille partibvs contingere possvnt sine nue à la Bodleian Library d'Oxford. Aux précieux ins-
omni calculatione invenitvr. » Des compositions analo- truments que Zacharias Philipp von Uffenbach, visitant
gues se trouvent parmi les gravures sur bois illustrant la bibliothèque en 1710, décrivit comme faits d'or pur,
le traité de Walther Hermann Ryffs, Der furnembsten [...] appartiennent encore un index pour le dos et un clino-
Mathematischen und Mechanischen Kuenst eygentlicher mètre également conservés à Oxford, mais non exposés.
Bericht (Nuremberg, 1547; VD 16, R 4001); en outre, les GM
bas-reliefs sont très proches d'une gravure de concep-
tion analogue représentant trois bandes de paysage à Bibl. : Bobinger 1966, p. 317; Plassmeyer 2009, p. 20; sur l'exemplaire
la fin de la Geometria de Nikolaus Rensberger, imprimé de Dresde, voir Dresde et Bonn 1995- 1996, cat. 79.
Cat. 151'
en 1568 à Augsbourg, dans la sphère d'influence de Hans Brosa mer (Fulda?, ver s 1495/ 1500 - Erfu r t , vers 1554)
Euclide et la Géométrie, 1521
Ptolém ée et !'Astronomie, 1521
Plume, enc re brune et rehauts blancs au pinceau sur papier rouge-brun (apprêt vert),
15,2 x 14,6 c m et 14,8 x 14.4 cm
Inscription manuscrite : eue/ides et geometria ; ptholo
Francfort-sur-le-Main, St âdel Museum, Graphische Sammlung, inv. 686 et 685

256 257
7 LES OTTOMANS DANS
LA CULTURE COURTOISE
Au Moyen Âge, festivités, tournois et entrées triomphales
étaient inséparables de la culture des cours. Parmi les souverains
d'Europe, c'est surtout Maximilien 1er de Habsbourg (r. 1493-1519)
qui commandita des spectacles hauts en couleur engageant l'élite
courtisane et urbaine comme moyens de propagande politique.
À partir de la fin du W siècle, les spectacles publics représentant les
ambitions et les projets de la cour devinrent des manifestations du
pouvoir et des vertus du souverain. Les tournois et les parades com-
prenaient des mises en scènes faisant référence à des événements
mythologiques ou historiques, où les ennemis étaient représentés
par des personnages aux allures orientales. De tels motifs furent
également mis en œuvre dans les fêtes des descendants de l'empe-
reur Maximilien, notamment de l'archiduc Ferdinand Il de Tyrol
(r. 1619-1637), grand amateur de romans chevaleresques. Dans les
reconstitutions de batailles des grandes mises en scène de Prague
et d'lnnsbruck, des personnages ottomans et maures identifiés par
des masques et des costumes imitant les fabrications orientales suc-
combaient sous l'écrasante puissance militaire des Habsbourg.
Les tournois et parades de Ferdinand 11 montraient les ambi-
tions politiques des Habsbourg à l'égard des Ottomans, ainsi que
le vif intérêt de l'archiduc pour cette culture si différente. Cet
intérêt se manifesta notamment par la fondation d'un musée au
château d'Ambras, destiné à accueillir les objets rassemblés par
ce collectionneur passionné. II s'efforça aussi d'imiter les styles
ottomans associés à la richesse légendaire des sultans, comme
en témoigne l'unité de << hussards d'argent» que le souverain
d'Autriche antérieure créa spécialement pour les tournois.
Les tournois et le goût pour l'Orient n'étaient pas non
plus étrangers à la cour royale de Pologne, bien que l'imitation
y eût adopté une forme différente, particulièrement après que
le prince de Transylvanie, Étienne Bâthory (r. 1576-1586), eut
accédé au trône. Contrairement aux autres cours européennes,
les éléments orientaux, sous forme d'armes et de vêtements, n'y
furent pas considérés comme de simples accessoires exotiques
mais, intégrés et adaptés, ils contribuèrent à la cristallisation de
formes civilisationnelles authentiques au carrefour des cultures
orientale et occidentale.
MD
Cat. 152 •
H ans Burgkmair (Augsbourg , 1473 - Aug sbourg, 1531)
Le Jeune Weisskunig donne des in st ruction s pour l'orga-
ni sation de ma scarades et de banquets, vers 1514-1516
Gravure sur bois, 22,2 x 19,9 cm
Monogrammé « H.B. » en bas au milieu
New York, The Metropolitan Museum of Art, Department
of Drawings and Prints, inv. 43.3.3

LES MASCARADES nombreuses dames et musiciens, s'adressant à un cortège


de personnages déguisés qui s'approche de lui à pas de
DE MAXIMILIEN danse mesurés. Menés pas un porte-flambeau, ils portent
des masques à tête d'oiseau, des coiffes apparentées à des
Cette gravure sur bois de Burgkmair devait servir turbans, des cimeterres et des masses d'armes orientaux.
d'illustration pour le Weisskunig, un roman de chevalerie Les mascarades ou bals masqués étaient le couronne-
autobiographique conçu par Maximilien 1er en personne ment final de tout tournoi; des scènes comparables avec
(1459-1519, roi des Romains en 1486, empereur à par- masques à tête d'oiseau et costumes orientalisants, qui
tir de 1508 ), et que son secrétaire Max Treitzsauerwein ont pu influencer Burgkmair, apparaissaient déjà dans
(t 1527) rédigea sous sa dictée jusqu'en 1518. Lacam- les miniatures du Fredayl, livre de tournois mi-littéraire,
pagne d'illustration de l'ouvrage fut menée parallèle- mi-autobiographique également conçu, un peu plus tôt,
ment à sa rédaction: outre Burgkmair, d'autres artistes par Maximilien.
d'Augsbourg et de Nuremberg en conçurent les bois GM
(voir cat. 8 ). Le projet ne fut toutefois pas mené à terme
du vivant de Maximilien, et la première édition livresque Bibl. : Ho. n° 448; Pe. n° 35; Dresde 1995, cat. 288 (Claudia Schnitzer);
concernant Freydal, voir récemment Vienne 2013, cat. 72 (Stefan Kra use).
ne parut qu'en 1775. La gravure sur bois exposée, qui
fait partie des toutes premières épreuves d'état réalisées
vers 1516, montre le jeune Maximilien en présence de

260
JEU AVEC L'ENNEMI CASQUE À TURBAN duc de Savoie, ce casque était censé provenir du butin pris
aux Ottomans à la bataille de Lépante en 1571. Cependant,
Les masques exposés constituaient des visières de sub- Ce casque de teinte brune est surmonté d'une haute il présente toutes les caractéristiques d'une armure euro-
stitution pour l'armure cachée sous le costume oriental. crête et muni de joues et d'une collerette. De même que péenne; il ne peut donc pas s'agir d'un casque de l'armée
Ils ont été emboutis en forme de visages turcs ou maures le gorgerin riveté au casque, ces éléments sont riche- ottomane. Il aurait plutôt été ajouté à une armure de
et peints à l'huile dans un style naturaliste. Les fentes ment décorés d'applications, de médaillons et de doru- parade afin d'imiter l'armement oriental lors de masca-
oculaires sont dissimulées dans les sourcils. Les mous- res au motif de feuillages. Cet exemplaire se distingue rades «turques» ou de cortèges triomphaux.
taches sont faites de cordelettes de cuir tressées de d'autres bourguignottes d'Europe par le fait qu'il est MD
crins de cheval. Destinés à des « tournois hussards», ces entouré à hauteur du front d'un bandeau imitant un
masques sont probablement l'œuvre des armuriers de tissu, qui évoque un turban turc. Un autre décor, com- Bibl.: Madrid 1898, p. 149-150 ; Stockholm 1992, p.135 -136 et 374, cat.124
posé d'un grand nombre de pierres précieuses ajoutées (José-A. Godoy).
la cour de Prague Wolfgang Keiser et Melchior Pfeifer.
Après la campagne militaire turque de 1556, l'archiduc afin d'en renforcer l'aspect« turc», n'est pas resté intact
Ferdinand II avait organisé un tournoi hussard pour la (voir cat. 48 ).
fête de Mardi gras de 1557, tournoi au cours duquel un Offert le 5 septembre 1603 au roi d'Espagne Philippe III
groupe fut déguisé en croisés hongrois, tandis que les (de la maison des Habsbourg) par Charles-Emmanuel rer,
membres du parti adverse se présentaient sous l'appa-
rence de Turcs et de Maures. La collection du château
d'Ambras conserve douze masques maures et turcs, celle
de Vienne sept. Tous ces masques furent confectionnés
pour ce genre de tournois. L'intention propagandiste qui
sous-tend ces « mascarades chevaleresques» visait à sen-
sibiliser le public, en premier lieu les États impériaux, à
la lutte contre les Ottomans dans les régions orientales
d'Europe centrale et en Afrique du Nord. Le déguise-
ment oriental «turc» renvoie à la menace qui n'avait
cessé de grandir depuis la défaite de Moha.es en 1526.
L'aspect anti-ottoman n'est toutefois qu'un niveau de
lecture parmi d'autres: à côté de ce niveau explicitement
politique existe aussi un niveau littéraire étroitement lié
au souffle épique et chevaleresque du XVIe siècle : dans
les romans de chevalerie apparaissaient souvent aussi
des héros islamiques, ce qui facilitait le déguisement
des nobles de la cour des Habsbourg.
Cat. 153 et 154
MP
Wolfgang Keis er et M elchior Pfeifer ?
Masques maures utilisés comme visières de substitution
Bibl.: Vienne 1978, p.18-19; Vienne 1981, p. 53; Vienne 1987, cat. IV. 41, Armurerie de la cour de Prague, Prague vers 1555
p. 218 (Matthias Pfaffenbichler); Berlin 1989, cat. 7/68, p. 721; Vienne Fer peint, cuir, crin de cheval, env. 22 x 21,5 x 43 cm
1990, p.162-163; Stockholm 1992, cat.118 (Matthias Pfaffenbichler); Vienne, Kunsthistorisches Museum, Hofjagd- und Rüstkammer, inv. B 62 et B 96
Vôlklingen 2005, p. 92.

Cat. 155
Casque de parade de type bourguignotte, avec gorgerin
Milan (?}, vers 1585-1590
Acier. bronze. or. tissu. casque : 30 x 20.5 x 35 cm; gorgerin: 19 x 30 x 24,9 cm
adrid. Patrimonio acional Real Armeria, Palacio Real de Madrid. inv. 10000 844-45

263
UN MAGNIFIQUE TOURNOI EN POLOGNE
Cette aquarelle représentant un cavalier à la barbe et à la Dans ses recherches concernant ce volume, Zdzislaw
chevelure blondes, vêtu d'un costume de carnaval multi- Zygulski suggère que les dessins ont été exécutés à l'oc-
colore, est l'une des 124 illustrations d'un volume ras- casion du mariage de Jan Zamoyski (1542-1605), grand
semblant des tenues et harnachements en usage dans les chancelier et grand hetman de Pologne, et de Griselda
cortèges solennels précédant les tournois. Ces costumes Bâthory (1569-1590), nièce du roi Étienne Bathory,
évoquaient les dieux de divers peuples contemporains célébré à Cracovie le 12 juin 1583 qui fut suivi de deux
ou de !'Antiquité, Grecs, Romains, Persans, Africains, semaines de festivités.
Slaves et Turcs. Le personnage de l'aquarelle présentée MD
ici porte un chapeau haut et pointu qui semble une réfé-
rence claire à un portrait anonyme bien connu au xvre Bibl. : Zygulski 1992, p. 3-21 ; Stockholm 1992, p.117-119, 364, cat. 99
siècle, montrant le sultan Soliman coiffé d'un casque de (Lena Rangstrôm ).
parade en forme de tiare (voir cat. 79).

Cat. 157
Sigmund Elsiisser

Livre de mariage de l'archiduc Ferdinand II


Innsbruck 1580 et 1582
Gravures sur cuivre coloriées sur papier, 43 x 29,6 cm
Vienne, Kunsthistorisches Museum. Kunstkammer, inv. KK 5270

DES HUSSARDS AU MARIAGE


Les folios 37-40 et 57-60 du livre de mariage créé en celui de la cavalerie lourde des Ottomans, les sipahis.
1582 par Sigmund Elsasser pour le second mariage de L'armement des cavaliers hussards se compose du
l'archiduc Ferdinand II qui l'unissait à Anne Catherine casque, du bouclier, de la pique et du sabre, complétés
de Gonzague, décrivent le cortège des jouteurs avant par de longs éperons de style hongrois.
le tournoi hussard. Lors de ce tournoi organisé à MP
Innsbruck, l'on rep résenta un combat entre cavaliers
hussards et ottomans. Les hussards, troupe d'élite chré- Bibl.: Innsbruck 2005, cat. 3.30, p. 102-104 et cat. 4-1-4.3, p.119-132
tienne, ont combattu sur la frontière orientale des terres (Veron ika San dbichler).
/ habsbourgeoises dans u n équipement très semblable à
Cat. 156 ••
Cavalier turc portant un casque-tiare,
Extrait de Tournoi magnifique tenu en Po logne, après 1583 (?)
Aquarelle, 42 x 39 cm
Stockholm, Kungliga biblioteket, inv. S. 100

264 265
SPLENDEUR DES TOURNOIS alors une vogue particulière. Dans l'Italie du XVIe siècle, ÉLÉPHANTS ET FEUX D'ARTIFICE
ce genre littéraire produisit toute une série de chefs-
Pour les festivités du jardin d'agrément, un des partis d' œuvre, notamment le Roland furieux de L'Arioste ou À la Renaissance, les feux d'artifice constituèrent un Augsbourg où la succession de Charles Quint devait être
du tournoi hussard apparut vêtu à l'orientale, notam- La Jérusalem délivrée du Tasse. Face aux chrétiens, ces élément notable des fêtes de la cour et des tournois, qui réglée, il était prévu de représenter l'assaut spectaculaire
ment avec des chevaliers déguisés en Maures du fait de deux poèmes épiques présentent aussi des héros maho- jouèrent un rôle conséquent dans la mobilisation de d'une forteresse «chrétienne» par un éléphant portant
l'utilisation d'Africains dans l'armée ottomane. Si l'en- métans décrits comme de grands guerriers. Il n'y a l'opinion publique contre l'expansion ottomane. Des sur son dos un petit château «mauresque». Les drapeaux
gouement pour l'exotisme jouait un certain rôle dans donc rien d'étonnant au fait que les membres d'une scènes situées dans des architectures éphémères asso- aux croissants flottant sur le château pourvoyaient à
ces réjouissances, les Africains n'en étaient pas moins société aristocratique parfaitement familiarisée avec ciées à l'ennemi ottoman devinrent partie intégrante l'actualisation du motif de l'éléphant de guerre, surtout
considérés comme des pairs, car des membres de la ces ouvrages aient pu s'identifier à des héros maures ou des représentations officielles, que les villes reprirent à connu par les sources de !'Antiquité. En outre, la pré-
haute noblesse de la cour de Prague n'hésitaient pas à orientaux et qu'ils se soient donc déguisés non seule- leur tour dans leurs manifestations. Les feux d'artifice sence de cet animal symbolisant la force ajoutait une
y participer sous cet accoutrement. Enfin, cette mise en ment en hussards chrétiens, mais aussi en Turcs et en furent aussi incontournables que les arcs de triomphe note d'exotisme à la scène.
scène permettait d'évoquer le conflit entre les territoires Maures. lors des festivités célébrant les visites impériales. Le RB
des Habsbourg et l'Empire ottoman. Toutefois, le pro- MP combat contre les Ottomans y était pompeusement mis
pos anti-ottoman n'est qu'un niveau de lecture parmi en scène dans des allégories, comme le montre ce projet
d'autres. À côté de cet aspect explicitement politique et Bibl.: Vienne 1936, p.195; Vienne 1990-1991, p. 299, cat.162c (Matthias pour la visite de Philippe II d'Espagne à Nuremberg en
Pfaffenbichler); Stockholm 1992, cat. 117 (Matthias Pfaffenbichler); 1550. En l'honneur de l'héritier du trône en route vers
propagandiste, un autre aspect plus traditionnel relève
Innsbruck 2005, p. 67.
du romantisme chevaleresque du XVIe siècle, avec l'in-
fluence des romans de chevalerie, qui connaissaient

Cat. 159 •
Anony me
Un éléphant portant un château mauresque devant une forteresse
chrétienne: projet de feu d'artifice , 1550
Dessin à la plume aquarellé, 46,5 x 123,5 cm
Nuremberg, Staatsarchiv Nürnberg, Bildsammlung, inv. 35.1

Cat. 158
Livre des tournois de l'archiduc Ferdinand II (de Tyrol)
Autriche, après 1557
Manuscrit sur papier décoré de gouaches historiées, 131 feuilles
Passe-partout: 40 x 50 cm
Vienne, Kunsthistorisches Museum, Kunstkammer, inv. KK 5134 266 267
COIFFURE D'ARGENT
Ce casque en argent fait partie del'« armure hussarde»
de l'archiduc Ferdinand II. Les parties métalliques
de cette armure - casque, éperons, fourreau du sabre,
plaques du troussequin - sont en argent. Elles ont pour
la plupart été décorées de motifs ornementaux gra-
vés en relief, sachant qu'à certains endroits, le décor
d'arabesques est seulement gravé à plat. La targe d'argent
massif en forme d'aile autrefois existante fut cédée à la
monnaie autrichienne en 1809 et fondue. L'armement
du cavalier est complété par un sabre et une lance dont
la hampe est recouverte de tôle d'argent grainé. L'armure
hussarde inclut encore le long manteau brodé de fil
d'argent, le haubert à manches courtes, les demi-bottes
en cuir et le harnais du cheval. L'ensemble fut sans doute
été fabriqué à Prague pour le « tournoi hussard» de la
fête de Mardi gras 1557. Lors de cette joute organisée par
l'archiduc Ferdinand II (1529-1599), un parti fut déguisé
en croisés hongrois et l'autre en Maures et en Turcs.
Le déguisement oriental renvoyait à la menace orientale
qui grandissait continuellement depuis la bataille de
Mohacs en 1526.
MP

Bibl.: Gamber 1972, p.109 sq.; Thomas, Gamber et Schedelmann 1974,


p. 250; Vienne 1990, p. 151-152, Vienne 2005, p. 170. Cat. 160
Arm ure hussarde de l'archiduc Ferdinand 11

Allemagne du Sud, 1556-1557


Argent, fer, cuir, tissu, bois. 52 x 21 x 30 cm
Vienne, Kunsthistorisches Museum, Hofjagd- und Rüstkammer, inv. A 878

UNE ARME DEVIENT Cat.161


Andreas Hunyadi
Masse d'arme d'apparat
PARURE Cluj-Napoca (ail. Klausenburg), vers 1560-1580
Bois, argent doré, or, turquoises, jade, 75,3 x 8,8 x 8,8 cm
Vienne, Kunsthistorisches Museum, Hofjagd- und Rüstkamm er,
Cette masse d'arme d'apparat, qui fait partie d'un inv.A2319

ensemble d'armes né de la convergence entre les cultures


ottomane et européenne, a vraisemblablement été
créée entre 1560 et 1580 par l'orfèvre Andreas Hunyadi
actif à Klausenburg (roum. Cluj; hong. Kolozsvar). En
Transylvanie, espace culturel où se mêlaient les traditions
ottomane-orientale et européenne, furent créées des
armes dont la forme extérieure reprend très exactement
des modèles ottomans. Les caractéristiques orientales
résident notamment dans le goût pour les ornements de
remplissage et l'utilisation de pierres fines. Les formes
européennes apparaissent en revanche dans le type d'or-
nement utilisé et, dans le cas présent, surtout dans l'uti-
lisation de mauresques en relief et de petits cartouches
disposés les uns en dessous des autres. Les détails de l'or-
nementation évoquent nettement l'influence des orne-
ments d'Europe occidentale, qui avaient été largement
diffusés par des gravures.
MP

Bibl.: Zygulski 1982, p.108; Thomas, Gamber et Schedelmann 1974,


p. 263; Rangstrom 1986.

Cat.162 ··
Martin Kober (Wroc!aw, vers 1i50 - Cracovie ou Varsovie, 159 ~
Portrait d'Étienne Bâthory, roi de Pologne et grand-duc de Lituanie, 1583
Huile sur toile. 236 x 122 cm
Signarure dans rarig1e - 'érieur gauche : 583
268
LA MODE OTTOMANE
À LA COUR DE POLOGNE VERS LE SARMATISME
Étienne Bâthory (pol. Stefan Batory; hong. Bathory mouchoir blanc à la main droite, symbole d'autorité
Istvan; 1533-1586), grand-duc de Lituanie et roi de originaire de Byzance et de l'Empire romain, adopté en
Pologne élu en 1575, fut l'un des plus remarquables diri- Hongrie à l'exemple de l'Empire ottoman.
geants de l'État polono-lithuanien. Son règne est sou- Il ne s'agit pas de la première représentation d'Étienne
vent considéré comme les débuts de l'ère du sarmatisme Bathory. On peut constater certaines analogies avec un
et de la mode aux tendances orientales en vogue dans portrait gravé quelques années auparavant par l'im-
la noblesse polonaise. On a craint tout d'abord qu'étant primeur suisse Jost Amman, où Bathory figure en pied
voïvode de Transylvanie et donc vassal des Ottomans, vêtu à l'orientale: zupan à motifs, delia bordé de fourrure
il n'affaiblisse la position de la Pologne-Lituanie dans lui couvrant les épaules et les bras, chausses étroites et
les relations avec l'Empire ottoman, mais ces craintes se courtes bottes à talons. Sa main gauche est posée sur son
révélèrent infondées. Au cours de son règne, notamment sabre, la droite sur la hanche. Il se tient devant une large
grâce à ses réformes, la position de la Pologne dans la vue encadrée par une colonne engagée à gauche et un
politique internationale et sa bravoure militaire se trou- rideau drapé sur la droite. I.:inscription suggère qu'il
vèrent considérablement renforcées et tandis que l'effort s'agit du seul portrait connu de Bathory à l'époque où il
militaire se dirigeait contre la Russie, le roi a maintenu était encore voïvode de Transylvanie. Cependant, la date
de bonnes relations avec l'État ottoman voisin. de 1576 figurant à deux reprises indique qu'à l'époque
Sur le tableau de Martin Kober, artiste de Breslau où cette estampe a été éditée, l'inscription du cartouche
(auj. Wroclaw), Étienne Bâthory figure en pied, de trois n'était plus d'actualité, puisqu'à cette date, Étienne
quarts, devant une porte à deux battants encadrée de Bathory était déjà monté sur le trône de Pologne.
draperies. Il est vêtu d'un long delia (manteau) dont les Si la gravure d'Amman est la plus ancienne représen-
manches sont découpées de manière caractéristique, tation d'Étienne Bathory, le portrait de Kober est pour sa
ouvertes et pendant derrière les bras. Il porte au-dessous part considéré comme la plus belle réussite du portrait
un zupan à motifs et des chausses noires avec de courtes polonais, qui influa considérablement sur l'ascension du
bottes jaunes à talons. Ce costume typique des terres portrait dit sarmate au xvne siècle, caractéristique des
hongroises (à l'exception de la coiffure) d'où Bâthory portraits de la noblesse polonaise (voir cat. 51).
l'avait apporté dans son nouveau pays, est entièrement MD
basé sur la mode alors en vogue dans l'État ottoman.
Adopté par la noblesse polonaise et lituanienne sous le Bibl. cat. 162: Komornicki 1935, p. 2r30; Zygulski 1988a, p. 61-77;
règne de Bathory, il obtint bientôt le statut de costume Zlat 2008, p. 244; Varsovie 1993, p. 321, cat. 2 (Jerzy T. Petrus ).
Bibl. cat. 163 : New Ho. n ° 272; Komornicki 1935, p. 9-10; Gdansk 2006,
national qu'il conservera jusqu'au xrxe siècle. Ce portrait p. 63, cat. 89 (Joanna Sikorska).
présente le souverain sans attributs; il ne tient qu'un

Cat.163
/ JostAmman (Zurich 1539 - Nuremberg 1591)
Portrait d'Etienne Bclthory, prince de Transylvanie, 1576
Eau-forte, 18,1 x 12,8 cm
Cartouchedans l'anglesupérieurgauche: STEPHANVS/ BATHORIVS/WBWODENAVS/S/EBNBVRGEN/M.D.LXXVI·
monogramme daté dans rangle inférieur droo : /.A./ 1576 '
Cracovie, uzeum ~ Czanotyskich, inv. XV-R 2164
270 271 JUA2.tt_~ -- d 'NR. Gll l
Cat.164
Deux casques et une pa ire de canons
d'avant-bras
Ottoman et Prague (?), fin du xv1• siècle
Ac ier, argent, or, nielle, gravure, eau-forte et
damasquinage
CATALOGUE D'UN
Canons d'avant-bras: 32 x 20,5 cm
Casques: 39 x 21 x 21 cm
Inscriptions: En polonais sur les joues de l'un des casques:
MUSÉE DES HÉROS
PAN BOO NADZIEAMOA [Dieu est mon espoi r] / KTOSIE NANIE SPVS
CIEGNE [Celui qui s'en remet à lui ne périra pas]. En arabe
sur l'autre casque (partiellement illisible), sur la calotte : .\ii
L'Armamentarium Heroicum constituait la pièce maî-
I [,,...Wil ,,Je LI [ ,.,,s.,.i1J r-,S-->- l; /[.,#Il ~ l; I ~ 1 ] ~ tresse de la collection que l'archiduc Ferdinand II
, (0 Allah/ the Très-haut / sage/ miséricordieux/
bon/ qui entend tout); sur le garde-cou: [ ~I _,._....,JI]
de Habsbourg (1529-1595) fit rassembler au château
~ L ~ L / s , [_.,i.JJ1J .....,w L / J< L .ii1 L [Celui qui d'Ambras dans les années 1570, et dont la conception
voit tout, qui répond/ plein de grâce [. .. ] / 0 Allah/ le
Très-haut]; suries joues: 1J .iilL [... ] / .übl ~I [avec Allah
s'inspirait du Museo de Paolo Giovio au Prado. Il avait
(?)/jusqu'à ma mort] ; sur les canons d'avant-bras: obtenu les armures par des canaux diplomatiques,
v1, l; F l; ~ L .ii1 L (0 Allah/ le Très-Haut( ... )]
Stockholm; Livrustkammaren, inv. 9671-9673
par l'intermédiaire de son secrétaire, Jakob Schrenck
von Notzing (1539-1612) qui, en tant qu' historien, a
également coordonné la préparation de cet imposant
ouvrage gravé. Sur ces gravures de Domenicus Custos,
les souverains sont représentés en pied dans une niche
architecturale, qui présente des analogies avec la galerie
d'ancêtres des Habsbourg par Francesco Terzio éditée en
1569. Par ailleurs, la présentation initiale des armures
pourrait aussi avoir été inspirée d'une galerie.
Parmi les 120 armures de grands chefs de guerre des
xve et xvre siècles se trouvent également des objets ayant
appartenu aux adversaires des Habsbourg, notamment
un canon d'avant-bras du sultan Soliman. La présence de
tels objets dans la collection relève de l'idée humaniste
de conserver pour la postérité le souvenir des coups
d'éclat de leurs propriétaires, indépendamment de leur
religion. Outre les armures, la collection du grand-duc
comprenait quatorze portraits de sultans. L'inscription
« Soleymanus Tür99ischer Kayser » (Soliman, empereur
turc) qui explicite celui de Soliman mérite l'attention,
car en lui conférant ce titre, elle place le sultan sur pied
d'égalité avec le souverain du Saint Empire romain
germanique. Les portraits, aussi bien celui d'Étienne
Bâthory, roi de Pologne-Lituanie, illustrent en quelle
estime les souverains européens tenaient les armures
et casques ottomans (voir cat.166).
RB

Bibl. : Luchner 1958, p. 69-71; Galavics 1986, p. 51-55; Innsbruck 2002,


p. 70-81, cat. 33 (Alfred Auer); Innsbruck 2008, p. 77-78, cat. 2.9.1-2.9.2
ENTRE ORIENT ET OCCIDENT (Veronika Sanbichler).

Ces deux casques plats de type misiurka sont consti- des deux misiurka, avec leur motif d'amande en relief,
tués d'une calotte d'acier à laquelle sont fixées par des sont typiques des casques ottomans du xv1e siècle (voir
mailles plusieurs plaques d'acier protégeant le front, le cat.166).
cou et les joues. Pratiquement identiques, ils diffèrent Les deux casques comptent parmi les exemples les
par leur ornementation. L'un est décoré de plusieurs plus évidents et les plus intéressants de la forte orien-
incrustations d'or: une croix de chevalier, symbole des talisation de l'armement dans les territoires polonais
hussards polonais, un aigle et un cerf, ainsi qu'une ins- au cours des xvre et xvne siècles, et de l'imprégnation
cription en polonais. L'autre porte des inscriptions en mutuelle des formes et des motifs entre l'Empire otto-
caractères arabes et des motifs végétaux damasquinés man et son tributaire, le royaume de Pologne-Lituanie.
d'argent. En partie rendues illisibles par les combats, MD
les inscriptions des deux casques font référence à Dieu
(Allah), afin de protéger le guerrier des blessures et du Bibl.: Stockholm 2007, p. 221-223, cat. 3.5-3.6 (Carl Zarmén); Cat. 165
trépas. Ces casques font partie du butin pris par les Steneberg 1943, cat. 26- 27. Domenicus Custos (Anvers, vers 1559/1560-Augsbourg, 1615)
d 'après des dessins de Giovanni Battista Fontana (1541-1587)
Suédois à Varsovie en 1655. Ils sont présentés ici avec
a. Le Sultan So liman le Magnifique
une paire de canons d'avant-bras ottomans (pol. karwasz; b. Étienne Bathory, roi de Pologne
hong. karvas, « fer de bras»), fabriqués et décorés avec les Illustrations extraites de: Jakob Schrenck von Notzing,
mêmes techniques que le deuxième casque. Les joues Augustissimorum imperatorum ... , Innsbruck, Agricola, 1601
Gravures, 48 x 33.5 cm
Vienne. Kunsthistorisches Museum. Bibliothek, inv. 1971 (ill.)
Cracovie, Muzeum Ksiqiqt Czartoryskich, inv. XV-R.2146

77? 273
HABITS DE FER ARME ROYALE PROTECTION UNIVERSELLE
POUR LE ROI Cette épée traditionnellement associée au roi Étienne Ces boucliers caractéristiques, dont la courbure permet
Bathory (1533 -1586) (voir cat.162 et 163) est considérée de couvrir totalement le haut du corps d'un cavalier,
Bien que le casque turc et l'armure d'Europe centrale ne comme l'un des plus beaux sabres de type hongrois des et munis sur la gauche d'une extension pointant vers
fassent pas partie du même armement, ils n'en forment collections polonaises. Sa lame est à simple tranchant le haut, étaient en usage dans de nombreux pays d'Eu-
pas moins aujourd'hui un ensemble. L'on ignore la date avec une gouttière de chaque côté. Le fort est orné d'un rope jusqu'à la fin du xvr• siècle, comme en témoignent
à laquelle Étienne Bathory entra en possession de ce motif végétal gravé dans un cartouche rectangulaire notamment leurs désignations locales. Ils étaient en
casque turc de type zischagge. Il s'agit vraisemblable- allongé, flanqué de groupes de quatre poinçons en effet dits balkaniques dans l'Empire ottoman, hongrois
ment d'un produit de l'armurerie de la cour d'Istanbul carré. À l'extrémité supérieure de la lame, partiellement en Pologne, bosniaques en Italie. En fait, le bouclier de
réalisé à l'apogée de l'armurerie ottomane. Il arriva cachée par la languette, se trouve la marque du forgeron hussards provenait à l'origine de la région balkanique
probablement en Transylvanie en tant que présent figurant un lion. La lame est montée dans une poi- de l'État ottoman, mais au milieu du xvr• siècle, il était
honorifique du sultan devant lier plus solidement son gnée ouverte typiquement hongroise, constituée d'une devenu un armement commun des cavaleries ottomane,
destinataire au souverain ottoman. Le motif ornemental longue garde munie de quillons et d'un pommeau plat hongroise, polonaise et autrichienne (voir par exemple
d'incrustations d'or est un ouvrage ottoman de la plus en forme d'amande légèrement incliné. La fusée gravée cat. 37,117 et 170).
insigne qualité d'exécution. I.:intérieur du casque est d'une rainure en spirale est recouverte de cuir noir et Les boucliers de hussards sont généralement consti-
tapissé d'une doublure de soie rouge. Furent également entourée de fil d'argent doré. Le fourreau est également tués d'une structure légère en bois couverte de parche-
conservées les deux mentonnières de soie rouge et verte. recouvert de cuir noir. La garde et la garniture du four- min sur la face extérieure, où sont peints de motifs
Bathory était sans doute encore prince de Transylvanie reau présentent un riche décor exécuté en Hongrie mais héraldiques remontant à l'époque de la chevalerie.
lorsqu'il fit confectionner la demi-armure en fer bleui rappelant l'ornementation en usage au Moyen-Orient Les ailes et les serres peintes sur le bouclier présenté
d'un ton bleu profond. L'armure est l'œuvre remarqua- jusqu'au xm• siècle, sous la dynastie des Omeyyades. ici relèvent d'une tradition des hussards consistant à
ble d'un maître allemand hélas inconnu. Sa technique Offert au roi de Pologne et prince-électeur de Saxe orner leurs armes et le harnachement de leurs chevaux
décorative fait de cette demi-armure un cas tout à fait Auguste II (1670- 1733), ce sabre a été longtemps de plumes de rapaces. Cette coutume qui s'est le mieux
unique en Europe centrale qui, de par sa position à conservé dans la« chambre turque» (Türkenkammer) de implantée chez les hussards polonais, a probablement
mi-chemin entre influences orientale et occidentale, la résidence des électeurs de Saxe à Dresde, l'une des été empruntée aux deli (éclaireurs à cheval) turcs ou aux
correspond à la situation culturelle compliquée de la plus anciennes et plus belles collections d'objets orien- Tatars de Crimée.
Transylvanie et de la Pologne. Le décor a peut-être été taux hors de l'Empire ottoman. MD
réalisé sous cette forme inhabituelle pour compléter MD
le casque turc par une cuirasse de style européen. La Bibl.: Bruxelles 1999, p. 86 et 12 2, cat. 67 ; Brzezinski 2006, p. 6.
construction de l'armure est caractéristique des régions Bibl. : 2ygulski 1982, p.103 ; Czerwinski 1994, p. 23; Jarnuszkiewicz 1935,
orientales d' Europe centrale, particulièrement de la p. 220.
Hongrie et de la Pologne. Dans la partie inférieure, la
poitrine et le dos présentent trois bourrelets qui sub-
divisent la demi-armure en trois arceaux horizontaux.
L'ornement du décor, qui s'étire le long de la poitrine,
du dos et du col, est incrusté d'or, le fond étant bleui
d'un ton bleu profond. Sur le bandeau médian de la
Cat . 166
poitrine apparaît le Crucifié, un motif ornemental et Casque et demi-armure d 'Étienne Bâthory, roi de Pologne
dévotionnel fréquemment utilisé par les aquafortistes Casque
allemands pour décorer les armures d' Europe centrale. Ottoman , 1550-1560
À l'arrière-plan, on distingue une tour d'église dont les Fer bleui, cuir, soie, 36 x 21 x 32,5 cm

clochetons caractéristiques rappellent Notre-Dame-de- Demi-a rmure


Pragu e(?), vers 1560
Tyn, à Prague, ou la basilique Sainte-Marie, à Cracovie.
Fer bleui, cuir, soie, 181,5 x 60 x 60 cm (montée su r socle et colonne, casq ue compris)
Étienne Bathory devint grand-prince de Transylvanie Vienne, Kunsthistorisches Museum , Hofj agd- und Rüstkammer, inv. A 609
en 1571. L'élection d'un nouveau roi de Pologne s'im-
posant après la fuite d'Henri III pour la France en
1575, il fut élu roi de Pologne en qualité de prince de
Transylvanie et beau-frère du défunt roi de Pologne
Sigismond II Auguste. Grâce à la prise de Pskov, il put
décider du sort de la guerre de Livonie (1558-1582)
contre les Russes en faveur de la Pologne. Quelques
années plus tard, parvenu au faîte de sa gloire militaire,
Étienne fera parvenir l'armure et le casque assortis à son
concurrent au trône de Pologne, l'archiduc Ferdinand II
(de Tyrol), pour la salle des armures du château
d'Ambras.
MP

Bibl.: Thomas 1971, p. 73-74 ; Zygulski Jr 1988b, p. 100; Vienne 1990,


p. 214 ; Vienne 2005, p. 144.
Cat. 167 ·· Cat. 168
Sabre avec fourreau attribués à !::tienne Bâthory Bouclier de hussard
Seconde moitié du xv1• siècle Seconde moitié du xv1• siècle
,.. et argent dore, gravé et poinçonné~bots et cuir Bots. parc pe ture, 142 x 59 cm
L~me . 84 cm. garde : 26.8 cm. langue e : 20 cm Budapest. Magyar emze ùzeom. Feg\'\'ertar. 111V. 55.3550
274 27 5 t'Ol<;,()<>1<0. U1V•• 337
UN PRÉSENT DE HONGRIE LA FAMEUSE CAVALERIE
La lame légèrement courbe de ce sabre est à simple Cette série d'estampes illustrant la cavalerie de plusieurs
tranchant et à double tranchant à la pointe, la garde est nations fut à l'origine dessinée par Abraham de Bruyn
en forme de croix avec de longs quillons un peu plus pour la publication d'Equitum descripcio [. ..]. On y voit des
larges aux extrémités. La poignée légèrement incurvée hussards polonais peu de temps avant la réforme mili-
est terminée par un pommeau plat portant les mono- taire du roi Étienne Bathory. L'une des gravures (pl. 28)
grammes IHS (Iesus Hominum Salvator) et I.E Le four- montre un officier armé d'une épée et d'un bouclier, sur
reau, la poignée, certaines parties de la garde et de la un cheval cabré au bel harnachement. Une autre (pl. 27)
décoration de la ceinture de cuir reliée au fourreau sont représente deux militaires jouant de la trompette et du
garnis d'argent doré portant un riche décor de feuillage tambour, et une troisième (pl. 44), deux enseignes por-
repoussé et ciselé. Des lanières de cuir fixées au fourreau tant de longues lances munies de flammes.
le relient à la ceinture par deux disques décoratifs. L'aspect des cavaliers polonais rendu par Abraham
La forme du sabre et son ornementation sont clairement de Bruyn n'est guère différent des représentations de
de style oriental. Si la longue garde est caractéristique leurs homologues de Hongrie et de Lituanie figurant
des sabres hongrois un peu plus récents, la forme de la dans d'autres illustrations du même artiste. Les troupes
poignée et le motif de feuillage s'apparentent au style montées de ces pays avaient la même origine remontant
prédominant des armes ottomanes. Le monogramme aux cavaleries ottomanes (voir cat.117-118). Les hussards
IHS sur la poignée exclut toutefois que cette arme puisse polonais sont représentés ici comme une formation
être attribuée à un atelier ottoman. légère ; ils utilisent encore les boucliers que devaient
Ce sabre est censé avoir été offert par des aristocrates bientôt remplacer des cuirasses et des casques, à la suite
hongrois à l'archiduc Ferdinand II de Tyrol lors de des réformes d'Étienne Bathory (voir cat.162). Cet équi-
sa campagne contre les Turcs en 1566. Il est l'un des pement défensif introduit progressivement à la fin du
exemples les plus anciens et les plus représentatifs de xvre siècle et au début du xvnemodifia l'apparence de
sabres hongrois. la cavalerie polonaise et en fit une formation unique à
MD l'échelle européenne, le noyau de l'armée de Pologne-
Lituanie jusqu'en 1776.
Bibl.: Bruxelles 1999, p. 60 et 119, cat. 49; Temesvàry 1983, p. 8 et 57-58, MD
cat. vm.
Bibl.: Zygulski 2000, p. 9-10.

Cat.169
Sabre traditionnellement attribué à Ferdinand II du Tyrol
Hongrie, 1514
Acier, cu ir, bois, argent doré, forgé , repoussé, ciselé et gravé,
107 (longueur totale) x 4cm (largeur de la lame)
Monogrammes sur la poignée : IHS et J.F.; date sur le fou rreau : 1514
Budapest, Magyar Nemzeti Mûzeum, Fegyvertar, inv. 55.3236

Cat . 170
Abraham de Bruyn (Anve rs, 153-9 - Cologne?, 1587)
Hussards polonais: Cavalier polonais/ Deux musiciens à cheval/
Deux en seignes polonais à cheval
Extraits de Equitum descripcio, quomodo equestres copie, nostra hac
aetate, in sua armatura [. ..], Cologne, Caspar Rutz, 1576
Gravures. 150 x 108 mm / 144 x 116 mm / 174 x 103 cm
Inscriptions:
1. En haut : Eq ues Po/onus, dans la marge inférieure: Derr Poolsohe reuter 28 ;
2. En haut: Typanista Po/onorum / Equitum. en bas: Die trummelshlager bey die
Po/sche Reuter 27;
3. En haut :Polonorum Equitum Signifere, en bas: Die Po/onischer Reuter fhann. 44
Cracovie, Princes Czartorys · useum. onv. XV·R.9606, XV·R.9605 et XV-9623

276 277
LA DEMEURE DU SULTAN
Tout ce que nous savons sur l'artiste se résume à peu
près à ces quelques données : il naquit vers 1630 à
La Haye, d'où il dut s'enfuir en 1647 après un duel au
cours duquel il blessa mortellement son adversaire;
on le retrouve plus tard, très exactement en 1659, établi
à Vienne, où sa trace se perd après son mariage docu-
menté en 1662. I.:on ignore donc également si, après
sa fuite, de Jode s'est rendu à un quelconque moment
lui-même à Constantinople, ou si cette vue pittoresque,
par-dessus la Corne d'Or, sur la pointe du Sérail avec le
palais Topkapi, siège politique et résidence des sultans,
n'aurait pas en définitive été peinte en Italie, voire à
Vienne. En tout état de cause, cette peinture de grand
format ne dénote pas seulement l'influence manifeste
d'artistes italiens comme Salvator Rosa et Alessandro
Magnasco, ainsi que de Johann Anton Eismann, peintre
autrichien essentiellement actif à Venise, mais aussi
une connaissance assez exacte de l'aspect du com-
plexe palatin et d'autres constructions de la pointe
boisée du Sérail, dont la vue est ici prise du quartier de
Galata, au nord, sur la rive opposée. Sur la rive même
de la Corne d'Or, l'on reconnaît ainsi le « kiosque des
Vanniers » (Sepetçiler Ko~kü) construit en 1592 par le
sultan Murat III, et à sa droite, le Yalt Ko~kü, un autre
kiosque aujourd'hui disparu. Les hautes montagnes qui
surplombent la péninsule sont en revanche purement
imaginaires, tout comme les collines étrangement « asia-
tiques » au loin sur la rive asiatique. Les vues quasiment
identiques du même motif qui apparaissent parfois sur
le marché de l'art sont le plus souvent également attri-
buées à de Jode, mais sont sûrement les œuvres d'autres
peintres. Il se peut que toutes ces peintures remontent
à un modèle originel aujourd'hui perdu, ce qui expli-
querait les nombreuses différences que l'on relève
entre elles. Toutes illustrent néanmoins l'immense
intérêt pour le siège légendaire des sultans, qui est ici
en quelque sorte romantiquement transfiguré. Cette
peinture peu connue qui n'avait plus été exposée depuis
des décennies, a pu être restaurée pour la présente
exposition.
GM

Bibl.: Safatik 1967, n ° 32; Vienne 1991, p. 72, pl. F30.


Cat. 171
H ans de Jode ( La H aye, ver s 1630 - Vi enne, après 1662)
Vue de la pointe du Sérail à Co nstantinopl e, 1659
Huile sur toile. 13 4 x 220 cm
Inscri ption en bas à droite: Seraglio del g ran signor 1659; en dessou s: H. de Jode
V ienne, Kun sthistorisches Museum, Pinacothèque, inv. GG 2945

278 279
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(éd.), Die Gemêildegalerie des Gallery of Art; Bergame, Accademia und Adelskultur in Ostmitteleuropa

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Ce catalogue a été publié à l'occasion de l'exposition
I:Empire du sultan. Le monde ottoman dans l'art de la Renaissance
BOZAR, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles
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MUZEUM
Du 27 février au 31 mai 2015 DES BEAUX-A RTS,
BRUX ELLES EX NARODOWE
W KllAKOWIE
Ottomania. The Ottoman Orient in Renaissance Art PO
Musée national à Cracovie ChiefExecutive Officer -Artistic Director Director
Du 26 juin au 27 septembre 2015 Paul Dujardin Axelle Ancion Zofia Golubiew
Helena Bussers
Director Artistic Policy Mieke De Bock Deputy Director for Technical Matters
L'exposition est une coproduction du Palais des Beaux-Arts Adinda Van Geystelen Christophe De Jaeger Leszek Bednarz
de Bruxelles (BOZAR) et le Musée national à Cracovie. Rocio del Casar Ximénez
BOZAREXPO Gunther De Wit Deputy Director for Conservation and Collections
Avec le soutien du Programme culturel de l'Union Deputy Director Exhibitions AnnFlas Preservation
européenne, du Service public fédéral des Affaires Sophie Lauwers Ann Geeraerts Janusz Czop
étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération au AnneJudong
Développement du Royaume de Belgique et du ministère BOZARMUSIC Vera Kotaji Deputy Director for Economie Affairs
de la Culture et du Patrimoine national de la République de Director Alberta Sessa Krystyna Pankau
Pologne Ulrich Hauschild Maïté Smeyers
Christel Tsilibaris Deputy Director for Administrative Matters


BOZAR CINEMA Katarzyna Stawiarz
ROYAUME OE BELGIQUE Ministerstwo Head
St<vcapublic~l
Aff~ires êtr~ncêres,
Kultury Juliette Duret Deputy Director for Research and Education
commerce e11térieur et i Dziedzictwa
Coo~~tlon tu Développement Narodowego. EXPOSITION MarekSwica
BOZARCOM
Director Marketing, ChiefExecutive Officer - Artistic Director Head of Exhibitions
Communication cD Sales Paul Dujardin Olga Jaros
En collaboration avec le Kunsthistorisches Museum de Vienne, Filip Stuer
l'Istanbul Foundation for Culture and Arts, le Witte de With Deputy Director Exh ibitions Head of the Public Programmes Department
Center for Contemporary Art Rotterdam, la Cittadellarte - BOZAR TECHNICS Sophie Lauwers Beata Majcher
Fondazione Pistoletto Biella. Director Tech nies, IT,
lnvestments, Safety and Security Cura tors ChiefRegistrar

KUNST
HISTORISCHES
MUSEUM
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ISTANBUL
KÜLTÜR
SANAT
Stéphane Vanreppelen

BOZAR PRODUCTION & PLANNING


Director
Robert Born, Michal Dziewulski,
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Exhibition Coordinators
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WIEN •- VAKA Jean-François D'hondt Ann Fias, Ann Geeraerts EXPOSITION

BOZAR FINANCES Technical Coordinator Curators


Director Nicolas Bernus Robert Born, Michal Dziewulski,
~ ittadellarte Jérémie Leroy Guido Messling
~~OAZIONE PISTOLETTO Art Hundling and Installation
GENERAL ADMINISTRATION BOZAR art handlers Project Coordinator
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HUMAN RESOURCES Coordination Beata Foremna,Aleksandra Klaput
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Grabowska, Dominika Habrat, Pawel Martosz,
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PRtTEURS DE I:EXPOSITION Hongrie CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES Frankfurt am Main, Stade! Museum p. 161, 162, Vienne, Kunsthistorisches Museum p. 82, 90, Les organisateurs de l'exposition et les com-
Budapest, Magyar Iparmüvészeti Muzeum 257 91, 93, 98, 109-111, 117,130,131,133,137,139,172, missaires de l'exposition tiennent à remercier
Allemagne Budapest, Magyar Nemzeti Mû.zeum Les éditeurs se sont efforcés de régler les droits Gan d, Universiteitsbibliotheek p. 187 174,183,205,230,246,251, 261, 262, 265,266, chaleureusement les personnes suivantes de
Bamberg, Staatsbibliothek Bamberg Budapest, Orszagos Széchényi K6nyvtar relatifs aux illustrations conformément aux Genève, Collection de Jean Bonna p. 123 268,273,274, 278- 279 leur aide indispensable :
Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, prescriptions légales. Les ayants droits que, mal- Gotha, Stiftung Schloss Friedenstein, Aus dem Vienne, Museen der Stadt Wien p. 94-95
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Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Dublin, Chester Beatty Library sont priés de se faire connaître aux éditeurs. und Gotha'schen Stiftung fur Künst und Nationalbibliothek p. 151,155, 252- 253 Stijn Alsteens
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Cobourg, Kunstsammlungen der Veste Coburg Padoue, Museo d'Arte Medievale e Moderna © U. Edelmann - Stade! Museum - HMB, Historisches Museum Base! p. 247 152,184 Christian Beaufort-Spontin
Darmstadt, Universitats- und Landesbibliothek Rome, Galleria Colonna ARTOTHEK p. 161, 162,257 Istanbul, Topkapi Palace Museum Dieter Beaujean
Dresde, Sachsische Landesbibliothek - Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Directorate p. 39-42 Beata Biedroilska-Slotowa
Staats- und Universitatsbibliothek Venise, Biblioteca Nazionale Marciana KunstenAntwerpen p. 225 K6rnik, Polska Akademia Nauk. Biblioteka Fani Bihr
Dresde, Staatliche Kunstsammlungen Dresden, Vérone, Museo di Castelvecchio Anvers, Museum Plantin-Moretus p. 151 K6rnicka p. 127 Till-Holger Borchert
Kupferstichkabinett Anvers, Museum Plantin-Moretus, Collectie Kreuzlingen, collectie Heinz Kisters p. 233 Iris Brahms
Dresde, Staatliche Kunstsammlungen Dresden, Pays-Bas Prentenkabinet p. 149 Kronstadt, Evangelische Kirche A. B. - Arpad Stephanie Buck
Mathematisch-Physikalischer Salon Rotterdam, Museum Boijmans van Beuningen Bâle, Historisches Museum p. 247 Udvardi p. 240- 241 Caroline Campbell
Düsseldorf, Universitats- und Landesbibliothek Baltimore, The Walters Art Museum p. 74 Londres, The British Museum p. 52, 56, 64, 97, Anne Campman
Erlangen, Universitatsbibliothek Pologne Bamberg, Staatsbibliothek p. 84-85 118, 166,169,173, 178,179,193, 202,203,208, Krzysztof Czarnecki
Francfort-sur-le-Main, Stade! Museum Cracovie, Biblioteka Naukowa PAU i PAN Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, 209, 210, 213 EwaCzepiel
Gotha, Stiftung Schloss Friedenstein Cracovie, Muzeum Historyczno-Misyjne Kunstbibliothek p. 132, 249 Londres, The Courtauld Gallery, The Samuel Georg Diez
Munich, Bayerisches Nationalmuseum wKrakowie Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Courtauld Trust p. 196 Iwona Dlugopolska
Munich, Bayerisches Cracovie, Muzeum i Biblioteka Ksi<1i<1t Kupferstichkabinett p. 188,214 Londres, The National Gallery, Layard Bequest, Joanna Dziewulska
Staatsgemii.ldesammlungen, Alte Pinakothek Czartoryskich Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin, Preussischer 1916 p. 159 Mark Evans
Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum Cracovie, Klasztor Ksif,zy Kanonik6w Kulturbesitz p. 119 Londres, The National Gallery/Bridgeman p. 30 Sylvia Ferino
Nuremberg, Staatsarchiv Regularnych Lateranskich bpk / Kunstbibliothek, SMB / Dietmar Londres, Victoria and Albert Museum p. 175, Jenny Gaschke
Nuremberg, Stadtbibliothek im Cracovie, Zamek Kr6lewski na Wawelu Katz p. 188 248 Agnieszka Giziilska
Bildungscampus, Handschriften und Poznail, Fundacja im. Raczynskich przy bpk / Kunstbibliothek, Staatliche Museen zu Lviv, J1bBiBCbKa Ha11ioHaJibHa ranepeH Karolina Grodziska
Alte Drücke, Orts- und Landeskunde Muzeum Narodowym w Poznaniu Berlin/ Knud Petersen p. 249 MJIICTeI.1TB p. 141 Gerlinde Gruber
Stuttgart, Staatsgalerie Varsovie, Archiwum Gl6wne Akt Dawnych bpk / Kupferstichkabinett, Staatliche Madrid, Patrimonio Nacional, Real Armeria, Christina Hofmann-Randall
Wolfegg, Kunstsammlungen der Fürsten wWarszawie Museen zu Berlin/ J6rg P.Anders p. 172 Palacio Real de Madrid p. 99, 263 Sabine Jagodzinski
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Wolfenbüttel, Herzog-August-Bibliothek wWarszawie Museen zu Berlin p. 188 forsamling p. 24 3 Aleksandra Kabata
Wrodaw, Biblioteka Uniwersytecka bpk / Munich,Alte Pinakothek p. 30 Malines, Stedelijke Musea Mechelen p. 100 Dariusz Kaczynsk.i CRL
Autriche weWrodawiu Bra~ov, Biserica Neagra p. 240-241 Milan, Pinacoteca di Brera/ Bridgeman p. 28, Barbara Karl
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Hofjagd- und Rüstkammer 165, 168,214,223,250 Near Clacton-on-Sea, St Osyth, St Osyth's Priory, Michael Korey
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Ambras Juliet Tadgell College p.v6o Nuremberg, Germanisches Dariusz Nowacki
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Vienne, Ôsterreichische Nationalbibliothek, of Coins and Medals Coburg p. 97,181 Oxford, Museum of the History of Agnieszka Perzanowska
Sammlung von Handschriften und alten Londres, The British Museum, Department Copenhague, Davids Samling, photo Pernille Science p. 254, 256 Zdzislaw Pietrzyk
Drucken of Prints and Drawings Klemp p. 112-113 Oxford, The Ashmolean Museum, Bequeathed Andreas Puth
Londres, The Courtauld Institute of Art, Copenhague, Bibliothèque royale p. 59 by Francis Douce, 1834 p. 140 Paulus Rainer
Belgique The Courtauld Gallery Cracovie, Klasztor Kanonik6w Regularnych Padoue, Musei Civici, Museo d'Arte Medievale Anne-Marie Rooseleer
Anvers, Koninklijk Museum voor Londres, The National Gallery Lateranskich p. 244 e Moderna p. 226- 227 Michael Roth
Schone Kunsten Londres, Victoria and Albert Museum Cracovie, Muzeum Historyczno Misyjne-Ksi~zy Paris, Bibliothèque nationale de France p. 58 Veronika Sandbichler
Anvers, Museum Plantin-Moretus Norfolk, Holkham Hall Library, Collection Misjonarzy p. 269 Poznan, Fundacja im. Raczynskich przy Amy Schwarz
Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique of the Earl of Leicester Cracovie, Muzeum Ksi<1i<1t Czartoryskich p. 25, Muzeum Narodowe p. 238 Christian Sedat
Gand, Universiteitsbibliotheek Oxford, Museum of the History of Science 146, 277 Prague, Obrazarna Prazského hradu p. 242 Martin Sonnabend
Malines, Stedelijke Musea Oxford, The Ashmolean Museum of Art and Cracovie, Zamek Kr6lewski na Wawelu p. 125 Rome, Galleria Colonna p. 235 Monika Strolz
Archaeology Cracovie,Pawel Krzan p. 24 Rotterdam, Museum Boijmans van Gudrun Swoboda
Danemark Darmstadt, Universitats- und Beuningen p. 181, 215, 217,218,219 Aiko Uytterhaeghe
Copenhague, C.L. Davids Fond og Samling Suède Landesbibliothek p. 144 Sarasota (VS), The John and Mable Ringling Katharina Van Cauteren
Mariefred, Svenska Kyrkan / Mariefreds Doha, Musée de l'art islamique p. 36 Museum of Art p. 195 Karl Van den Broeck
Espagne forsamling Dresde, Sachsische Landesbibliothek - Stockholm, Kungliga biblioteket p. 264 Peter van der Coelen
Madrid, Patrimonio Nacional, Real Armeria, Stockholm, Kungliga Biblioteket Staats- und Universitatsbibliothek p. 147 Stockholm, Livrustka=aren p. 272 Joris Van Grieken
Palacio Real Stockholm, Livrustkammaren Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, Stuttgart, Staatsgalerie p. 92, 220-221, 271 Evelin Wetter
Mathematisch-Physikalischer Salon p. 254 Varsovie, Archiwum Gl6wne Akt Elisabeth Wolfik
États-Unis Suisse Düsseldorf, Universitats- und Dawnych p. 22, 136 Elaine Wright
New York, The Metropolitan Museum of Art, Bâle, Historisches Museum Landesbibliothek p. 86 Varsovie, Muzeum Narodowe p. 70-71 Karen Wulgaert
Department of Drawings and Prints Genève, Collection Jean Bonna Erlangen, Universitatsbibliothek Erlangen- Varsovie, Muzeum Wojska Polskiego p. 275 Nedim Zaliirovié
New York, The Metropolitan Museum of Nurnberg, Handschriftenabteilung p. 135 Venise, Biblioteca Nazionale Marciana p. 148
Art, Department ofEuropean Sculpture and Ukraine Florence, Galleria degli Uffizi p. 182,197,200,204 Venise, Galleria dell'Accademia/ Bridgeman Nos remerciements s'adressent également à
Decorative Arts Lviv, J1bBiBCbKa Ha11ioHa/lbHa ranepeH MJIICTeI.1TB Floride, Sarasota, Florida State University, the p. 46, 48-49, 50 tous les auteurs ainsi qu'à toutes les personnes
Sarasota, The John and Mable Ringling Museum State Art Museum ofF!orida, The John and Vérone, Museo di Castelvecchio p. 228 et les institutions qui ont accepté de prêter
of Art Mable Ringling Museum of Art p. 195 Vienne. Albertina p. 96, 178,202, 203,212 leurs œ uvres.
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Emese Pasztor [EP] Véronèse, Portrait de Bajazet l" ,
Matthias Pfaffenbichler [MP] huile sur toile, 68,5 x 54 cm,
Mikael B0gh Rasmussen [MBR] Munich, Bayerische Staatsgemaldesammlungen,
Günsel Renda [GR] inv. 2243
Alberto Saviello [AS J
Katja Schmitz-von Ledebur [KSVL] Illustrations
Daniela Sogliani [Ds] Page 4: détail du cat. 18
Dorien Tamis [DT] Page 12: détail du cat.15
Katharina Van Cauteren [KVc] Page 15: détail du caq
Heinz Winter [Hw] Pages 20-21 : détail du cat.147
Agnes Ziegler [Az] Pages 44-45: détail ducat. 50
Pages 78-79 : détail du cat. 19
Coordination rédactionelle Page 80: détail du cat. 3
Sandra Darbé, Vera Kotaji, Sarah Theerlynck Page 114: détail du car. 29
Page 128 : détail ducat. 40
Correction et relecture Page 156: détail ducat. 69
Fabrice Biasino, Mot à mot Page 170: détail du car. 91
Page 206: détail du cat.125
Traduction Page 256 : détail du cat.171
Élisabeth Agi us d'Yvoire, Wolf Fruhtrunk, Roland Lousberg,
Chantal Philippe, Etienne Schelstraete
• uniquement exposé à Bruxelles
Conception graphique •• uniquement exposé à Cracovie
Ellen Debucquoy, Luc Derycke, Ruud Ruttens, Stijn Verdonck,
Jeroen Wille ; Studio Luc Derycke Les dimensions mentionnées pour les objets tridimensionnels
renseignent dans l'ordre hauteur, largeur et profondeur (ou hauteur
Cartographie puis diamètre).
Timo Stingl

Imprimeur
Lannoo, Tielt

Éditeur
Éditions Lannoo
www.lannoo.com

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