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d’élèves tuteurs :
considérations générales,
application au cas
des habiletés motrices
s Lucile Lafont, Pierre Ensergueix
lucile.lafont@u-bordeaux2.fr
L
’objectif de cette contribution est d’envisager, parmi les
facteurs d’efficacité du tutorat entre élèves, les différentes
formes de préparation d’un élève au rôle de tuteur. Cette
condition d’efficacité est envisagée pour différentes tâches
et/ou disciplines académiques puis dans le cas particulier
des habiletés motrices. Enfin, une expérimentation de
tutorat réciproque en tennis de table illustre nos propos.
Le tutorat entre pairs est un sous ensemble des pratiques
pédagogiques désignées sous le vocable d’apprentissage assisté par les pairs
(Peer-Assisted Learning, PAL, Topping et Ehly, 1998).
L’examen de la littérature met en évidence que des mises en œuvre
variées (dyades, petits groupes de pairs avec ou sans définition de rôles
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tuteur : les fonctions de guidage s’avèrent une prise en charge trop complexe pour
des enfants jeunes. Ainsi l’idée a émergé de rendre les enfants plus efficaces dans
les fonctions de tuteur et leur activité d’étayage de leurs pairs.
dans l’instant, souvent « sous pression temporelle », le tuteur n’a que très rarement
des éléments matériels durables à sa disposition. On peut se demander comment
modéliser une formation au tutorat valide pour toutes les tâches motrices et per-
mettant de répondre aux contraintes du domaine. Au sein du groupe Interactions
sociales et acquisitions (ISA), la transposition au cas des habiletés motrices des
principes élaborés par Lorence (2001) a été réalisée.
Par delà ces aspects génériques, le champ des APS regroupe des tâches et habi-
letés motrices extrêmement hétérogènes ; les tâches à but de forme (réaliser une
figure acrobatique en gymnastique, une arabesque en danse) diffèrent des tâches
à but environnemental et stratégiques (envoyer une balle sur une cible). Certaines
études ont mis en évidence l’efficacité différentielle des procédures de guidage selon
les tâches et les habiletés (Lafont et Bouthier, 2004). Par exemple les tâches à but
de forme « appellent » plus des guidages de type démonstration que les tâches
se déroulant dans un environnement instable (habiletés ouvertes selon Poulton,
1957). Ainsi, à partir de la méthodologie générale de formation, une série d’études
a été réalisée pour mettre à l’épreuve ce modèle avec des tâches support de nature
différente (Lafont et al. 2005).
Dans le cas des habiletés de type morphocinétiques (à but de forme), les tuteurs
ont été entraînés à guider les tutorés par imitation modélisation interactive au plus
près de la ZPD du novice. Ainsi, la formation des tuteurs a permis de meilleurs
apprentissages en gymnastique (Cicero et Lafont, 2007) et en danse (Viala et Lafont,
2006). Dans le cas des habiletés stratégiques (cf. infra l’illustration choisie), si l’axe
du « contexte communicationnel » a été conforme à la démarche définie précédem-
ment, la formation à l’analyse de la tâche a été réalisée de manière inductive à partir
des propositions des tuteurs. Le but étant d’assurer l’implication forte et active des
élèves pour permettre une co-construction du sens et des buts de la fonction de
tutelle réciproque. D’autres études se sont employées à former les tuteurs dans le
cas d’habiletés ouvertes et stratégiques. C’est le cas par exemple des travaux de
Legrain, et al. (2003) dans le contexte d’un cycle de boxe française avec un public
d’étudiants qui fournissent un exemple de formation extrêmement structurée. Il
s’est agi d’entraîner les tuteurs à observer et évaluer les comportements de leurs
pairs à l’aide de fiches (technique et score de performance) en s’attachant à une
seule composante des comportements des tutorés et en comparant leur observation
à celle de l’enseignant. Ensuite, les tuteurs étaient formés à identifier les causes
et conséquences du comportement du novice à l’aide d’un check-list. Enfin, ils
étaient entraînés à formuler des conseils et devaient délivrer en situation d’assaut
des feedbacks appropriés.
La formation au tutorat en EPS s’inscrit dans un système présentant des spécifi-
cités : 1) la difficulté plus ou moins grande à observer les performances des pairs ;
2) la complexité plus ou moins importante à interpréter les conduites observées
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Méthode
Participants
Soixante-quatorze participants âgés de 15,3 ans (+/- 1,3 ans), 38 filles et 36
garçons, sélectionnés à partir de la population de trois classes de 3e d’un collège de
la ville de bordeaux (90 élèves), ont pris part de manière volontaire à l’expérimen-
tation. Seuls les élèves novices dans la tâche expérimentale ont été retenus, confor-
mément à la littérature soulignant l’impact positif de l’apprentissage entre pairs et
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Mesures
Procédure
L’expérimentation a pris place au sein d’un cycle de tennis de table en EPS (sept
séances de deux heures) et s’est déroulée selon cinq phases. Durant tout le cycle,
l’expérimentateur prenait en charge, dans un espace spécifique et isolé, les élèves
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Pré-test
À la première séance du cycle, l’ensemble des élèves des trois classes (90 élèves) a
été pré-testé individuellement dans la tâche expérimentale. À l’issue du pré-test, 74
élèves novices ont été retenus et classés en ordre croissant de performance au sein
de leur classe. Ce classement a servi de référence pour former les trois conditions
(TRF : n = 24, TRS : n = 24 et CC : n = 26) et pour constituer des dyades symétriques
non mixtes dans les deux conditions interactives.
Modalités
Recours à la technique du groupe nominal (TGN) qui permet à l’ensemble
des membres d’un groupe de formuler un avis (écrit puis verbal) au sujet d’une
question ou d’une situation. Intégrée de manière originale à un dispositif de for-
mation d’élèves au tutorat, cette technique de mise en mots visait à développer les
compétences métacognitives de l’élève.
1re séquence : les simulations proposées étaient des situations de tennis de table
aux caractéristiques proches de celles de la tâche expérimentale. Ces simulations
étaient agencées pour favoriser l’observation d’une seule composante essentielle
(déplacement ou renvoi). Les participants devaient évaluer la performance du
joueur (rôle endossé successivement par un des élèves-complices) selon un format
précédemment utilisé par Legrain et al. (2003) : (a) identification des comporte-
ments incorrects, (b) nomination des causes des comportements incorrects, (c)
formulation des comportements adaptés, et (d) hiérarchisation des comportements
incorrects/adaptés.
2e séquence : l’objectif de la formation était la prise de conscience des partici-
pants des comportements particulièrement attendus chez le manageur. Les élèves
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Entraînement
À chacune des séances 2 à 5 du cycle, les 74 élèves ont réalisé une fois la tâche
expérimentale. Quatre par quatre, les participants d’une même condition d’en-
traînement étaient successivement et aléatoirement appelés à rejoindre la table
expérimentale.
Condition contrôle (CC) : successivement, chacun des quatre élèves effectuait
individuellement la tâche tandis que les trois autres ramassaient les balles. Les
modalités étaient strictement identiques au pré-test.
Conditions interactives (TRF et TRS) : tour à tour, chacune des deux dyades était
directement impliquée dans la tâche pendant que l’autre ramassait les balles. À la
séance 2, les consignes suivantes étaient formulées : « Dans la séquence suivante,
vous serez alternativement joueur et coach. Le joueur réalise son premier essai pendant
que le coach l’observe en silence. Pendant le temps-mort, le coach est libre de donner des
conseils au joueur afin qu’il améliore sa performance l’essai suivant. Le joueur réalise
son deuxième essai pendant que le coach l’observe en silence. À la fin de cette séquence,
les rôles seront inversés ».
Post-test immédiat
Réalisé à la sixième séance du cycle, le post-test immédiat incluait, d’une part,
l’évaluation du SEP dans des conditions identiques au pré-test et, d’autre part,
l’évaluation du CM selon les mêmes modalités que la première séquence d’entraî-
nement (séance 2).
Post-test différé
Le post-test différé a été réalisé lors de la septième et dernière séance du cycle,
après les vacances scolaires (deux semaines). Son déroulement était strictement
identique au post-test immédiat.
Résultats
Tableau 1. — Moyennes et (écarts types) des mesures dans les trois conditions
d’apprentissage
Au pré-test
Discussion
Conclusion
La question du tutorat entre élèves a été abordée ici en relation avec la formation
des élèves aux fonctions de tuteurs. Le problème de l’efficacité des tuteurs élèves
a été explicité, les moyens d’entraînement au rôle de tuteurs ont été repérés dans
les disciplines académiques et dans le domaine des habiletés motrices. La décli-
naison de la formation au tutorat pour l’apprentissage de tâches motrices a mis
en évidence des contraintes spécifiques celles-ci justifient en partie sans doute la
nécessaire préparation des élèves au rôle de tuteur. Ainsi il ne suffit de grouper
les élèves en dyades et de leur assigner alternativement des rôles de tuteurs et de
tutorés pour permettre des apprentissages moteurs. Par delà ces résultats, quelques
axes de recherche demandent à ce jour à être explorés. Ainsi, la nature des APS et
des habiletés motrices semble une « variable de commande » du point de vue de la
situation sociale (degré de dissymétrie) mais aussi de la nature de la formation au
rôle de tuteur. La question des supports et des formes de formation, du caractère
plus ou moins émergent/« descendant » de celle-ci demande des élucidations plus
systématiques. Par ailleurs, dans une perspective systémique, des comparaisons
entre dispositifs de PT et de RPT pour un même public mais avec des APS et des
habiletés différentes, permettraient d’offrir aux enseignants des possibles plus
pertinents en matière de mises en œuvre.
Lucile Lafont, Pierre Ensergueix, équipe VSTII, LACES, EA 4110 faculté des
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