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ExpÉÐitions

Voyage d’exploration à visée artistique, scientifique et pédagogique

- RENNES - MARS 2013 -

JOURNAL GRATUIT www.expedition-s.eu


Sommaire
4
Lumineuse, agitée et troublante
par Romain Louvel

ExpÉÐitions
Espaces
par Nolwenn Troël-Sauton

8
Paysages intimes
Voyage d’exploration à visée artistique, scientifique et pédagogique par Alba Rodríguez Núñez

- RENNES - MARS 2013 -


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Homogéquoi ?
www.expedition-s.eu par David Dueñas

12
À propos Territoire de l'imaginaire
par Anthony Folliard

Expéditions est une expérimentation Ponent, de Maurepas et de Praga, y compris sur le plan de l’actualité
14
à la croisée des chemins de l’art, de il s’agit de valoriser les ressources des attitudes parfois néo-coloniales Vélos multi-fonction
la recherche en sciences sociales et culturelles invisibles de territoires trop dans nos disciplines (art, recherche, par Pierre Grosdemouge
de l’éducation populaire. Ce projet souvent stigmatisés. La finalité de ce éducation).
de coopération européenne réunit projet s’inscrit dans un horizon de
une équipe composée d’artistes, de transformation de nos regards sur la Ces résidences en immersion dans les 16
chercheurs en sciences sociales, de
pédagogues et d’enfants dans les villes
ville : trois villes donneront lieu, entre autres,
à l’édition d’un livre, à la production
Alternative point of view
par Richard Louvet
de Tarragone en Espagne (janvier - Réinterroger les idées préconçues d’une installation plastique, d’un
2013), de Rennes en France (mars concernant les quartiers dits film documentaire et d’un séminaire
2013) et de Varsovie en Pologne (mai
2013). Avec les acteurs associatifs
populaires,
- Réinvestir le motif de l’expédition
international pluridisciplinaire. 18
et les familles des quartiers du ethnographique pour le déconstruire, Les traces individuelles de Maurepas
par Zofia Dworakowska

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Objets trouvés
par Goro

22
Quartier libre
par l'équipe du GRPAS

Photographie de couverture : Alba Rodríguez Núñez


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Lumineuse
agitée et

troublante
Romain Louvel, Coordinateur artistique et scientifique du projet

Nous sommes arrivés dans le de chacun, les manières de faire, pour être en contact, pour faire sommes comme ces explorateurs
quartier de Maurepas il y a déjà les habitudes, les comportements connaissance, tout en satisfaisant désarçonnés qui vont de surprise
trois semaines. Les explorateurs pratiques, les routines, autant les exigences de chacune des en surprise, toujours au-delà des
ont déployé leur attirail : d’effets qui donnent au lieu sa disciplines qui composent l’équipe limites qu’ils croient apercevoir.
appareils photo, carnets, crayons, singularité et sa richesse. d’Expéditions. Pédagogues, De rencontre en expérience,
peinture, enregistreurs… Il a photographes, graphistes, des silhouettes apparaissent sur
fallu marcher, arpenter les allées, Dans les jours qui ont suivi notre vidéastes, sociolinguistes, les balcons, des images sur les
gravir les tours, escalader les arrivée, l’équipe fait face à une sociologues, anthropologues, vitres, des affiches sur les murs,
toits, et parfois même les arbres météo difficile. Nous cherchons chacun de ces métiers se des ballons dans les airs, des
pour redécouvrir ce quartier de la nos repères, il faut s’organiser, répondent, partagent leur point parachutes jetés des balcons. Des
ville que beaucoup d’entre nous trouver des lieux de rendez-vous, de vue pour faire avancer leur images nouvelles sont créées,
connaissent déjà. Maurepas est à construire un réseau, évaluer la activité, comme un moteur qui se lumineuses, agitées, parfois
l’image de la représentation que situation avant d’agir. Si nos amis met en marche dans un vacarme troublées, parfois troublantes. Car
je me fais de ces paysages urbains explorateurs polonais et espagnols de secousses, de tremblements et Expéditions, c’est aussi revenir
actuels, avec son goudron, ses qui participent au projet font d’agitations confuses. C’est la part sur la présence d’artistes, de
feux tricolores, ces voitures par parfois face à un environnement, créative de l’expédition qui donne pédagogues ou de chercheurs à
milliers, ces arbres taillés, ces un langage et des coutumes à ce projet tout son sens artistique.     Maurepas. C’est avoir un regard
allées et ces parcs, ces éclairages inhabituels, les conditions mêmes critique sur notre présence sans
nocturnes orangés, ces bâtiments de notre expédition nous obligent L’équipe d’Expéditions est pour autant abandonner notre
verticaux, ces constructions ensemble à revoir les lieux que composée de personnalités, métier.
angulaires, ces formes nous croyons connaître. Elles d’âges, d’horizons et de métiers
géométriques. Maurepas est aussi nous obligent aussi à reconsidérer différents. C’est aussi cela qui
un espace encadré, organisé et la capacité de nos outils et de nos donne aux actions menées un
régulé, un territoire contrôlé méthodes pour observer la réalité aspect très varié, désordonné et
par les institutions qu’il abrite, et pour nous aider à comprendre créatif : filmer les balcons, porter
un espace social ordonné par les ce que nous faisons tous les jours. son attention sur l’usage du vélo,
individus qui l’occupent. Enfin, En trois semaines, le temps est écouter des voix, surprendre des
Maurepas est un espace habité au compté pour investir un lieu, conversations, entendre parler de
sein duquel s’exprime la créativité pour y rencontrer des personnes, souterrains, faire du bruit. Nous Photographies : Richard Louvet
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Es
pa
ces
Nolwenn Troël-Sauton, sociolinguiste, Rennes

Sociolinguiste en doctorat à inconnu pour beaucoup de ceux qui endroit, comme si les sentiments
Rennes 2, je travaille sur les faits de n’habitent pas dans le quartier, comme d’appartenances ne pouvaient pas être
langage, et donc sur ce qu’ils créent. pour moi qui suis de Rennes et qui multiples ?
« Dire, c’est faire » - retour sur trois n’étais jamais venue ici. Maurepas
semaines de vie dans le quartier. comme quartier présenté dangereux ? Mais travailler sur un quartier comme
Quartier dont tous ceux avec qui j’ai celui de Maurepas revient aussi à se
Parler d’ailleurs, c’est toujours parler parlé m’ont dit qu’ils avaient entendu questionner sur l’impact d’un tel
de soi. C’est toujours proposer sa parler de leur quartier négativement, travail sur l’endroit en question.
vision individuelle, et la plaquer sur la la plupart du temps par des gens Comme me le disait quelqu’un il y
« réalité ». C’est toujours interpréter le n’y ayant jamais vécu (y étant déjà a peu Maurepas est « fréquemment
monde qui nous entoure par le filtre de allé ?). Les représentations collectives victime d’expériences parce que ce sont
notre propre perception. Mon travail que sont ces croyances préétablies et des quartiers à problèmes » ou en tous
à Maurepas est donc d’interroger les jamais prouvées ont elles aussi des cas toujours présenté comme tel. En ce
espaces par le biais d’entretiens, et donc conséquences sur la façon dont les sens, venir travailler ici pour des projets
les stratégies identitaires développées personnes qui occupent un espace se comme ceux-ci n’est–ce pas toujours
par les collaborateurs de cette l’approprient / s’en distinguent. Se reproduire les représentations que l’on
recherche que sont les personnes ayant l’approprient quand les personnes souhaite déconstruire ?
accepté ces entretiens. Je m’intéresse de interrogées revendiquent cet espace
près aux sentiments d’appartenance, comme un espace positif dans lequel Travail en collaboration aussi, avec
et c’est parfois en interrogeant les gens ils se sentent bien ; s’en distinguent Alba Rodriguez Nuñez, une des
sur l’espace dans lequel ils vivent, et quand ils préfèrent marquer la photographes dans le projet, sur l’idée
sur les discours qu’ils entendent sur cet distinction eux / nous pour parler de ce d’intérieur-extérieur, le jeu du flou des
espace que l’on obtient des réponses qu’ils perçoivent être de l’insécurité. frontières, parler de l’extérieur c’est
intéressantes. C’est en tous cas le biais parler de soi, l’œil du photographe
que j’ai choisi ici : interroger les gens Mais travailler avec des individus c’est au cœur des habitations, comme un
qui le souhaitaient sur l’espace vécu / toujours apporter plus de questions va-et-vient permanent entre notre
l’espace perçu / l’espace assigné. à ses questions, ouvrir de nouvelles subjectivité en tant que membre du
portes par le biais d’entretiens. projet et celle des habitants, comme
Maurepas, comme un quartier proche Rencontres interculturelles qui trois regards croisés.
du centre ville mais qui reste aussi posent aussi la question d’être de quel
Photographies : Alba Rodríguez Núñez
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Paysages
En janvier, je suis arrivée avec mon appareil photo et presque rien En mars je suis arrivée à Maurepas, un quartier de Rennes.
de plus à Campo Claro, un quartier de Tarragone. J’ai à nouveau commencé avec toutes ces questions.
J’ai commencé à errer librement dans les rues laissant le hasard Est-il possible que n’importe qui d’autre fasse ces photos ?
me guider. Photographiant ce que je voulais quand je le voulais. Ma présence ici est-elle importante ?
Où étaient mes limites ? Puis-je faire quelque chose pour ce quartier ?
Comment puis-je dépasser mes frontières ? Est-ce que j'envahis leur espace ?
Avais-je peur de n’avoir rien planifié avant ? Quelque chose s’est esquissé et a pris vie petit à petit.

intimes
Aurais-je dû avoir une idée cohérente ? J’ai commencé à photographier des personnes chez elles, regardant
dehors, de dos pour permettre une identification avec elles.
Que puis-je voir et qu’est-ce qui est invisible pour mes yeux ?
Qu’est-ce que l’intérieur et qu’est-ce que l’extérieur ?
Alba Rodríguez Núñez, Quelles sont les choses qui nous séparent ?
photographe et designer, Tarragone Comment puis-je communiquer sans parler la même langue ?
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Homogéquoi ?
David Dueñas, sociologue, Université Rovira i Virgili, Tarragone

Des enfants qui jouent au ballon, ou en russe, mais la langue partagée habitants de Maurepas aux gens qui Malgré tout, la perception qui est habituellement répandu par plutôt le manque d'intérêt porté par
une femme qui revient du travail, par tous est le français, langue habitent au centre-ville, à Villejean générale sur le quartier cache cette les médias. ceux du centre qui crée cette absence
des jeunes qui se regardent utilisée pour faire la majorité des ou au Blosne. Cette analyse nous complexité. Elle propose une vision Si on prend le bus, on pourra voir les de mouvements.
amoureusement assis sur un banc échanges communicationnels dans le permet de voir une forte densité stigmatisée et homogène du quartier, même personnes qui vont au centre-
au parc, un homme qui fume au quartier. Il y a des gens qui sont actifs de relations endogroupales (qui se et cette idée ne permet pas de laisser ville et en reviennent, comme ces L'échange communicationnel,
balcon, un grand-père qui jette les socialement et politiquement et, au sentent appartenir au même groupe - transpirer la vie sociale réelle. Les caravelles des XVIè et XVIIè siècles, très fort au niveau du quartier, est
ordures dans la benne... Qu'ont- contraire, il y en a qui développent quartier) et multiculturelles, surtout connaissances entre Maurepas et qui transportaient des explorateurs faible avec la ville, et cela a tendance
ils en commun? Tous partagent une vie chez eux sans sortir de chez les enfants. Cela laisse à penser le centre-ville semblent inégales, allant “découvrir” de nouveaux à générer stéréotypes et idées
le même quartier et la fierté l'environnement familial par volonté qu'une vie en commun peut être puisque les habitants d'ici semblent territoires et en revenaient sans que généralisantes qui rendent difficile
d'appartenir à Maurepas. de rester invisibles. garantie dans le futur grâce à ces mieux connaitre le centre que les gens qui habitaient là-bas puissent la mission de casser les stigmates
L'analyse des rapports sociaux nous réseaux. ceux du centre le quartier. C'est ce faire l'expédition en sens inverse. Ici, qui sont imposés aux quartiers
Il y en a qui parlent en tamoul, en montre un quartier ouvert sur la manque de connaissances empiriques ce n'est pas un interdit qui est posé “sensibles”.
portugais, en shiamore, en italien ville, plein de relations qui lient les qui simplifie une réalité complexe, et par les gens du quartier, mais c'est
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n La notion de « représentations » reste
le fil rouge de ma recherche. J’interroge

a la matière mentale. Et dans ces


premiers temps d’expédition, l’agitation
intérieure est à son paroxysme. Toutes
i les idées sont bonnes à prendre. J’en
profite pour remplir les pages de mon

r
carnet. Les choses se déclenchent parfois
sur un petit rien. Au détour d’une
Anthony Folliard, discussion, d’un malentendu ou d'une

e graphiste et illustrateur,
L’Atelier du Bourg, Rennes
situation incongrue, on décèle parfois
une ouverture potentielle.
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Vélos
•Les Triporteurs de Maurepas, outils de
diffusion culturelle (photo : Alba Rodríguez
Núñez)

Pierre Grosdemouge, sociologue, Grenoble


Aux limites du quartier, une affiche annonce

Multi-fonction
l'atelier vélo de l'Élaboratoire (photo : Pierre
Grosdemouge)•

À quoi sert un vélo ici ? Produire des rencontres, pour eux un moyen de rencontrer les
À se déplacer, bien sûr, mais encore ? la fonction de sociabilité autres, mais aussi d'éprouver et de
faire évoluer leurs relations amicales,
J'ai essayé ces derniers jours de La première est celle de ce que l'on d'intégrer les nouveaux venus dans le
préciser cette question au contact pourrait appeler la fonction de quartier.
des habitants de Maurepas, et de voir sociabilité : comme le dit un habitant Je suis allé en parler avec eux, et une Participer au paysage, la
comment elle pouvait s'enrichir ici. cycliste : vingtaine d'entre eux a bien voulu fonction spectaculaire
J'ai rencontré plusieurs réponses, qui répondre à un questionnaire plus
sont autant de fonctions possibles « la voiture t'enferme dans un univers précis, dont il va falloir maintenant Les cyclistes que j'ai rencontrés « On roule lentement et on étonne, donc et les enfants que j'ai rencontrés sont
du vélo : le vélo sert à rester en personnel. Tu mets ta musique à fond, tu dépouiller les résultats. décrivent volontiers leur pratique les gens s'intéressent à ce qu'on propose. nombreux à déclarer s'adresser à un
forme et à augmenter ses capacités es au chaud. Le vélo ça rapproche, tu es Les professionnels travaillant dans du vélo comme une possibilité de Ils viennent voir et on prend le temps de père, un cousin, ou un voisin (une
cardio-vasculaires, il sert parfois le directement au milieu des autres, tu peux le quartier semblent partager ce renouveler leur approche du paysage parler avec eux. On est lents, c'est ce qui affaire d'hommes ?) lorsque leur vélo
dimanche à éprouver la cohésion leur parler, ils peuvent te parler… » constat : ainsi pour une institutrice, urbain. Ils redécouvrent leur quartier, fait la différence ! Et c'est pour ça qu'on a ne fonctionne plus. La simplicité et la
familiale le long du canal, ou au enseigner la pratique du vélo « fait empruntent des routes qu'ils ne choisi la tortue comme emblème. » bidouillabilité du vélo le placent ainsi
contraire à échapper à sa famille, il Il m'a semblé que les enfants, plus partie des missions de l'école », connaissaient pas, prennent le temps au coeur de sociabilités locales que je
(Françoise, présidente des Triporteurs de
sert à boire sans perdre son permis, encore que les adultes, mettaient puisque c'est pour les enfants un de regarder. En pratiquant le vélo, ils Maurepas.)
continue d'explorer.
il sert à affirmer des convictions en pratique cette possibilité de créer moyen « d'intégration sociale ». Pour se donnent l'opportunité de varier
écologiques, il sert encore d'objet des liens dans la rue, en « traînant » les pédagogues de rue du GRPAS, et d'explorer d'autres qualités de À l'heure où les villes repensent
décoratif, d'outil pédagogique… ensemble sur leur vélo, entre les les activités liées au vélo (initiation, l'expérience urbaine. leur politique de transports, et
Faire soi-même, la fonction notamment la place des « mobilités
immeubles, les places et les aires de sorties, ateliers de réparation en
Mais si faire du vélo permet d'apprécier capacitante douces », la question du vélo me
Mais trois de ces fonctions me jeu. Je me suis donc demandé ce qui plein air) sont un moyen de « créer
semblent plus particulièrement pouvait se jouer là pour eux, si ces des moments de vie collective » et de le paysage, c'est aussi une façon d'en semble intéressante puisqu'elle peut
faire partie, une façon d'apparaître. Le Enfin le vélo, surtout lorsqu'il est bon être partagée par des habitants des
intéressantes à explorer désormais : enfants en vélo se connaissaient, rencontrer les habitants.
corps du cycliste est à vue, il travaille marché, est un véhicule facile à réparer, centres comme des périphéries, des
s'ils étaient solitaires ou formaient
son apparence et négocie sa présence à bricoler. C'est un objet ouvert aux quartiers riches comme pauvres. À la
un groupe uni, si faire du vélo était
aux yeux des passants. Le souci de interventions profanes. fois peu cher, utile et « branché », le
« l'élégance cycliste » est encore vélo pourrait rassembler et articuler
vivace. Il date des premiers temps de Un habitant bricoleur raconte ainsi ces différents espaces urbains dans une
la bicyclette, pratique pour laquelle comment il a découvert et construit même problématique.
les « élégantes » avait par exemple ses compétences mécaniques en Pourtant, au terme de cette phase
inventé la jupe-culotte qui permettait bidouillant des vélos improbables d'exploration, j'ai plutôt l'impression
de pédaler confortablement sans cesser au contact d'un professeur d'atelier que le vélo est ici pris dans des enjeux
d'émettre les signes de la imaginatif. Et comment il aimerait bien spécifiques : des vélos moins chers
féminité. mettre en place un « atelier et plus malléables « qu'en ville », une
d'invention de vélos » dans le quartier. vie de rue et dans les creux des places,
Cette participation du vélo au Pour les pédagogues du GRPAS, le vélo des rythmes de vie modifiés par le sous-
spectacle urbain n'est pas seulement est aussi l'occasion d'initier les enfants emploi, la prégnance des solidarités de
le fait de cyclistes isolés. C'est aussi à la mécanique et à la possibilité de voisinage, la négociation constante de
l'outil qu'utilisent des associations réparer soi-même les objets que l'on l'intégration…
qui souhaitent se rendre visibles possède. À l'extérieur du quartier,
aux yeux des habitants. C'est tout c'est également la démarche de Pour continuer cette recherche, j'ai
particulièrement le cas de l'association l'atelier permanent de réparation proposé à des habitants de construire
des Triporteurs de Maurepas, qui utilise de vélo de la friche de l'Élaboratoire. ensemble un petit dispositif, une
l'image insolite d'engins construits à Plus globalement, cette possibilité cabane permettant de fabriquer la
partir d'épaves de vélos pour diffuser d'auto-réparation joue à plein conversation à l'abri, dans l'espace
les programmes de manifestations dans les solidarités familiales et de public, sur le passage des vélos.
culturelles. voisinage. Il permet le développement
autodidacte de compétences valorisées, À suivre…
L'atelier réparation vélo en plein air du G.R.P.A.S. (photo Pierre Grosdemouge).
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ALTERNATIVE

VIew-
point
Richard Louvet, photographe, Rennes

Modifier son regard sur les éléments quotidiens passe souvent


par une remise en cause de sa manière de les regarder. Pour
moi, revenir en expédition à Maurepas devait passer par une
autre manière d'envisager mon travail photographique.
Cela m'était nécessaire pour éviter de me répéter mais
bien plus encore pour poursuivre mes recherches dans de
nombreuses autres directions. Pour trouver ces nouvelles
manières de procéder, j'ai fait le choix de prendre en compte
deux paramètres : le coté ludique de l'aventure associé à une
démarche faussement scientifique. Ces ingrédients m'ont
amené à fabriquer des outils de travail - souvent familiers -
directement trouvés dans le quartier.

J'ai d'abord commencé par ou bien

faire voler un utiliser un caddie


appareil photo abandonné,
avec des ballons ou encore

de fête gonflés à faire flotter ce


l'hélium, même appareil à
puis continué par l'aide d'un vieux
transformer un cubi de vin.
parapluie en Toutes ces expériences m'ont amené à produire des points de
vue inédits sur cet espace sans toutefois jamais en maîtriser

parachute,
totalement le résultat. Ces outils m'ont permis de me
dessaisir de la posture du photographe souvent jugée comme
intrusive pour prendre la forme d'un jeu sans conséquences
qui va jusqu'à créer de la curiosité et de belles rencontres.
Photographies : Alba Rodríguez Núñez et Richard Louvet
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Les traces
individuelles à
Maurepas
Zofia Dworakowska, anthropologue, Institute of Polish Culture, Varsovie

Ma première impression est celle une évidence de droit pour les citoyens, représentation de la vie sociale, c’est
d’une personne étrangère arrivant ce qui est très différent dans mon pays pourquoi je n’ai pas seulement voulu
à Maurepas et venant de très loin. en Pologne. En même temps, cet ordre m’attacher aux espaces, mais aussi à
Je me suis alors concentrée sur semble être organisé d’en haut. Cette l’expression des traces individuelles
l’organisation de l’espace public. première impression m’a conduite dans le groupe social. Par là, je cherche
Tout ici semble être organisé de façon à penser aux lieux confidentiels et à mettre en lumière les initiatives, les
très fonctionnelle : jeux extérieurs, à la frontière entre l’espace privé et exemples d’auto-organisation et de
espaces verts, tri collectif, trottoirs. Les l’espace public. Mon attention s’est créativité qui rompent les routines
endroits sont nettoyés régulièrement. aussi portée sur l’ensemble des traces de la vie quotidienne. Pendant les
Chaque jour, des personnes en individuelles que l’on rencontre sur le deux semaines restées sur Maurepas,
combinaisons fluo conservent quartier de Maurepas. De mon point j’ai fait la connaissance de personnes
l’arrangement des lieux, effacent de vue — dans la mesure où je suis une remarquables et je veux les remercier
tous les changements inattendus et étrangère qui ne parle pas français et pour ces rencontres.
conservent l’homogénéité des espaces. ne connait presque rien sur Maurepas
Ici, l’espace public est ordonné selon — l’espace public est le seul accès à la
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Objets trouvés « C’est Noël tous


Goro, plasticien, Vlep[v]net, Varsovie
les jours pour moi
ici. Je sais que des
cadeaux m’attendent.
Quelqu’un les jette
dans la poubelle.
Merci. »
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Quartier
libre L'équipe du GRPAS
(Groupe Rennais de Pédagogie et d'Animation Sociale), Rennes

Dans le cadre du projet


« Expéditions », le GRPAS a proposé
différents dispositifs pour favoriser
les rencontres entre les enfants, les
habitants et les explorateurs.

Dès le premier jour du lancement de encore de son professeur, de son places, parc, jeux, immeubles, etc... des
la résidence, quelques enfants ont joué animateur. Toutes les personnes lieux qu'ils aiment fréquenter ou qu'ils
le rôle de guide du quartier afin de croisées ou choisies par les enfants ont envie de faire partager. Ces clichés
présenter les lieux les plus importants à qui ont bien voulu se prêter au jeu ! seront transformés par la suite en
faire découvrir aux explorateurs. Puis après avoir récolté sur de grandes carte postale avec au verso une phrase
affiches les silhouettes des personnes, expliquant le choix de cette image.
Puis des familles ont accueilli des celles-ci ont été découpées puis peintes Cette phrase sera écrite en différentes
explorateurs, voisins, et pédagogues pour enfin être installées sur le quartier langues ; français, espagnol, catalan
autour d'un repas ou d'un goûter. Ces telles des ombres apparaissant sur les et polonais. Ces cartes postales seront
rencontres permettaient de tisser un balcons des différents appartements. envoyées par la suite aux enfants des
premier contact avec les familles du deux autres villes participant au projet :
quartier et d'échanger plus précisément - La tentative d'un « arbre à à Tarragone en Espagne et à Varsovie
sur le projet. expression », où les habitants pouvaient en Pologne. Les semaines suivant le
exprimer toutes les idées qui leur projet « Expéditions », cet atelier sera
Sans oublier, nos petits-déjeuners tenaient à coeur et qu'ils ne pouvaient l'occasion de découvrir de manière
proposés du mercredi 13 au vendredi pas faire ailleurs. Les enfants sont allés pédagogique le lieu où sont imprimées
15 mars. L'occasion encore une fois à la rencontre des habitants afin de ces cartes, d'aller les poster, et de
de se faire connaître, d'échanger, de récolter toutes ces expressions. Nous pouvoir découvrir le centre de tri postal
partager un temps de vie du quartier et les avons récoltées puis nous les avons de Rennes.
pour Zofia, anthropologue polonaise, de suspendues à un arbre situé près de
nous faire goûter les plats typiques de l'école, sur un lieu de passage du Nous espérons également après le
son pays ! quartier. départ des explorateurs, comme
Cet atelier a été pour les enfants nous l'avons fait avec nos artistes et
Durant ces trois semaines de projet, l'occasion de se familiariser avec chercheurs Rennais avant le lancement
différents ateliers sur le quartier ont été des lieux de passages importants du de la résidence, aller leur rendre visite
menés avec les enfants. quartier. Cependant, dès le lendemain, pour découvrir les évolutions de leurs
il ne restait plus rien dans cet arbre. travaux et préparer la prochaine étape :
- Plusieurs collectes de « silhouettes », l'exposition.
l'idée étant de récolter les empreintes - La fabrication de « cartes postales » :
des corps de copains, de voisins ou les enfants prennent des photos de
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CO-ORGANISATEURS - L’association Ariadna (gestion de projets


culturels, Tarragona)
Direction éditoriale : Romain Louvel
et Antoine Chaudet
- L’association L’âge de la tortue (création artis- - L’Institute of Polish Culture de l’Université Relecture : Céline Laflute
de Varsovie Maquette : Antoine Chaudet
tique, coordination générale du projet, Rennes)
- Le département de sociologie de l’Univer- Composé en Lekton, TJ Evolette et
- L’association GRPAS (pédagogie sociale, Stuart
Rennes) sité Rovira i Virgili de Tarragona
- Le centre d’art contemporain La Criée - L’association Künstainer (création artis-
(Rennes) tique, Tarragona)
- Les laboratoires Arts : pratiques et poé- - L’ONG GPAS Pologne (pédagogie sociale,
tiques (équipe arts plastiques) et PREFics Varsovie) ContacT
(sociolinguistique urbaine) de l’Université - Le collectif d’artistes Vlep[v]net (Varsovie) Mail: agedelatortue@gmail.com
Rennes 2 - Le collectif de recherche Le Commun : ate- Tel: 06 61 75 76 03
- La Fundació Casal L’Amic (éducation de liers de recherche-expérimentations (socio-
rue, Tarragona) logie, Montpellier, Saint-Denis, Grenoble, Dépôt légal : mars 2013
Rennes) Editions L’âge de la tortue
10 bis, square de Nimègue, 35200
Rennes
Financeurs Numéro ISBN : 979-10-91510-04-2
Commission européenne – programme
« L’Europe pour les citoyens », Conseil régio- Partenaires
nal de Bretagne, Ville de Rennes, Rennes Canal b, Habitat 35, Archipel Habitat, Pole
Métropole, Conseil général d’Ille-et-Vilaine, associatif de la Marbaudais
Institut Français Photographie : Alba Rodríguez Núñez

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