Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
C’est Schmuel Eisenstadt, le premier, qui traite de l’imbrication entre dans l’exercice du pouvoir. Il
commence sa réflexion par une analyse des avancées Weberienne de l’Etat patrimonialiste. Weber, en
effet, énonce que certains régimes autocratiques ne semblent pas dissocier bien public et bien privé. Que
le dirigeant se comporte de sorte que, pour lui, les biens de l’Etat sont assimilés à ses biens personnels.
La trajectoire politique de Jean-Bedel Bokassa est identique à bien de dirigeants africains qui sont
passés par l’armée française. Enfant de troupe, sous-officier de la coloniale et vétéran de la Seconde
Guerre mondiale et des guerres coloniales, il rejoint l’armée Centrafricaine en 1962 en tant que
commandant de bataillon. Peu de temps après son arrivée, il sera promu colonel, puis conseiller militaire
du président de l’époque David Dacko – surnommé « La vache qui rit » en raison de sa ressemblance avec
la marque - (1962-1964) et rapidement chef d’état-major de la Défense nationale.
Dans la nuit de la saint Sylvestre 1966, il formente et réussit un coup d’Etat, s’autoproclame tour à
tour général, président à vie (1972) et maréchal (1974 pour finir empereur (1977). Durant ses années au
pouvoir, les pays du bloc de l’Est et les Etats-Unis lorgnaient sur la Centrafrique, la France a donc cherché
à installer un homme assez malléable et qui a fait ses classes dans l’armée française pour maintenir leurs
intérêts. Il sera renversé en 1979 par l’intervention de parachutistes français en raison des excès de
pouvoir de Bokassa (exécutions, tortures …).
La Centrafrique est le fruit d’un agrégat de clan dominé par le clan Ngbaka (le clan de Bokassa) or la
logique de clan est une logique ancré dans la logique néo-patrimonialiste ou le comportement de
préservation des acquis du groupe et la loyauté envers le chef est primordial. Et c’est exactement la
logique mis en place par Bokassa : une hiérarchie clanique dans l’administration entre ceux qui ne sont
contre lui et ceux qui ne s’opposent pas à lui, du favoritisme envers son clan et l’appropriation des
ressources de l’Etat à leur profit. Cela va même au-delà puisque Bokassa est vu en RCA comme un
mythique, attributaire de pouvoir d’une intelligence et d’un altruisme hors du commun mais impitoyable
avec ses ennemis.
Il faut savoir que la République Centre Africaine a été et est un pays de haute potentialité. Sa
position géographique est stratégique, placé au milieu de l’Afrique donc idéalement situé pour le
commerce régional. C’est un pays duquel l’or et le diamant abonde, cette abondance place ce modeste
pays en 4ème position dans le monde parmi les pays producteurs de ce minerai. A titre d’exemple, une
moyenne de 500 000 carats de diamants sort des fleuves chaque année. Pour l’Uranium, la RCA dispose
de 20 000 tonnes exploitable. Enfin, et non des moindres, environ 5 millions de barils de pétrole existent.
Ci-dessus : Carte de la Centrafrique en 1966, on y voit bien sa position stratégique : le pays possède
une frontière avec 5 pays d’Afrique.
Pour répondre à ces interrogations, il est pertinent de s’attarder sur l’utilisation de l’appareil
étatique par Jean-Bedel à des fins personnelles (I) et pour comprendre l’attrait de la jeunesse
centrafricaine envers la mémoire de l’empereur, il faut comprendre que malgré son attitude
confondant État et propriété privée, Bokassa a continué à faire exister l’État (II)
Dans une attitude de Big Men, Bokassa se convertira à l’Islam pour s’attirer les faveurs de
Mouammar Kadhafi. Le colonel lui enseigne les préceptes de l’islam et l’intime à faire du zèle prosélyte
dans son pays et en contrepartie Bokassa parvient signer des contrats d’une valeur de 3 milliards de FCFA
avec la Libye. Cependant, lorsqu’il voit que son interlocuteur libyen ne lui prête plus grand intérêt,
Bokassa reniera l’islam. Un autre cas relatable est l’entré en scène de la SADECA (un agrégat
d’entrepreneurs français et américains voulant exploiter les mines de diamants de Centrafrique), lorsque
les représentants de la société refusent de payer des pots de vin, Bokassa les expulse manu-militari.
L’État, pour lui n’est qu’un pourvoyeur de richesse personnel. Ainsi, avec les deniers de l’État,
l’empereur achètera ou construira des villas luxueuses pour ses femmes, compagnes et maitresses à
l’exemple de la villa Kolongo d’une valeur de plusieurs millions de FCFA. Son clan créera le CENTRADIAM
(une entreprise d’exploitation du diamant) pour siphonner l’argent issu de l’exploitation du diamant sans,
bien évidemment, ne payer aucune taxe. Il possédait des entreprises de cacao, des abattoirs, des
restaurants. Bien évidemment, il ne paiera jamais ni taxes, ni droits, ni redevances. Bokassa ira même
jusqu’à mobiliser les ressources de l’État pour le bon fonctionnement de ses entreprises : il est des cas où
les hydrocarbures et les camions de l’État ont été mis à contribution pour l’approvisionnement des
entreprises de l’empereur. De même, la création de ces entreprises sont fait sur fond publics en l’absence
de toute légitimité légale.
Sa richesse ne se limite pas à la Centrafrique, Bokassa diversifie ses biens en faisant notamment
l’acquisition en 1969 du Château de Villemorant et ses 23 hectares de dépendances, du Château de Saint-
Louis Chavanon en 1973, du Château de la Cotancière avec ses 400 hectares de domaine, du Château de
Hadricourt et du Château de Mézy-Sur-Seine. Enfin, toujours avec des fonds ponctionnés à l’État, il était
propriétaire de la villa Patio sur les hauteurs de Nice ainsi que du restaurant de Montauge à Sologne.
Il n’y a pas que le patrimoine financier qui sera touché, mais aussi le patrimoine culturel de la
Centrafrique. Sous sa direction le trafic d’ivoire se répandra et décimera 50% de la population des
pachydermes. Sachant l’attrait de Valery Giscard d’Estaing (VGE) et des occidentaux pour le safari, il
ouvrira aux personnalités importantes passant par la Centrafrique un droit de chasse sans limite du
nombre de bêtes autorisées à être tuées. Le clan Bokassa exportera jusqu’à 150 tonnes d’ivoire par an
durant la second moitié de son règne. Instaurant une logique Client-Patron, Bokassa va user de ses
privilèges pour brader les ressources du pays. Ainsi comme on l’a dit précédemment, VGE bénéficiera de
la privatisation de 2 millions d’hectare de savane dans le Sud-Est centrafricain pour ses safaris. La famille
du président français bénéficiera d’avantages conséquent, en effet le frère de VGE a créer la Société
Financière pour la France et les pays d’outre-mer (SOFFO) qui détiendra, grâce à ses relations amicales
avec Bokassa, 38% de la Société Forestière Sangha-Oubangui (la plus grande société forestière de
Centrafrique, un pays connu pour ses luxuriantes forêts). En échange, les relations diplomatiques de la
France avec la Centrafrique se retrouvent renforcés, Bokassa obtiendra des aides pour son pays et aura
des facilités d’acquisition de biens immeubles en France.
Usant de toutes ces méthodes Bokassa disposera de 125 Millions de Dollars de fortune personnelle.
- De 1976 à 1979, Bokassa ne se préoccupant plus de son image national et international n’investit
plus dans l’Etat : dégradations des routes, arrêt des services d’eaux et d’électricité, centralisation des
paies des fonctionnaires (rendant plus facile la corruption et plus difficile le paiement des traitements de
ceux qui n’habitent pas dans la capitale)
- Creusement du déficit extérieur en 1960 qui ne va pas en s’améliorant à mesure que les produits
à forte valeur exportatrice s’effondrent (café, diamant, coton, bois), l’importation s’envole rapidement
pour faire face aux lacunes du pays.
- Le solde budgétaire est excédentaire en 1967 puis déficitaire rapidement de 1.4 milliards CFA en
1976 (2.8% du PIB) jusqu’à atteindre un pic en 4.8% du PIB en 1977 en raison d’une baisse des recettes car
les sociétés nationales ne sont plus que des « postes » à allouer aux fidèles qui se servent allègrement
dans les caisses des sociétés nationales. De même le recouvrement de l’impôt se fait de plus en plus en
difficile en raison de l’apparente désorganisation de l’administration fiscale.
SOLDE COURANT EN % DU PIB (c’est le solde des importations
et des exportations)
- Sa fortune personnelle s’élevait à 125 millions US $, Et pour les brutalités il ne le cédait en rien au
zèle de ses hommes de mains, n’hésitant pas à mettre la main à la pâte.
- Son goût pour le luxe va être connu de ses proches en 1967 lorsqu’il se confronte à Alexandre
Banza (son compagnon dans le coup d’Etat) qui est alors ministère des finances. Leur altercation est
stérile, Banza refuse toute dépense ostentatoire et injustifiée alors que Bokassa souhaitait augmenter les
frais alloués au train de vie des putschistes. Ceci va coûter à Banza son ministère qui en retour essaiera,
en vain de renverser le futur empereur. Ceci lui coutera la vie après un simulacre de procès en 1969, et
toute sa famille en subira les conséquences.
- Mythe de Tere et Ngakola : Tere est fragile mais rusé (Dacko) symbolise le désordre et la facétie,
Ngakola est fort mais cruel symbolise l’ordre, la création mais aussi la transformation de l’ordre en
tyrannie. Mythe ancestral centrafricain. L’opposition entre le faible et le fort.
- Se déclare héritier spirituel de Barthélemy Boganda, symbole de la lutte anti-colonialiste, de la
même ethnie Ngbaka. Il poursuit ici la logique clanique d’intérêt restreint à son clan.
- Bokassa va associer son pouvoir à un pouvoir personnel, il commence le 6 juin 1971 en
demandant l’exécution de tous les hommes coupables d’avoir violé ou tué une femme et libère les
femmes prisonnières. La raison n’est donc plus appliquée, c’est la loi arbitraire de Bokassa qui prévaut.
Elimination de tout opposant à sa concentration des pouvoirs, maintien de l’ancien système
clanique Nzakara et Avoungara (logique clanique : comportement sociétale de préservation et de
perpétuation des intérêts du clan)
La concentration du pouvoir : Bokassa s’adjoint au début le ministère de la défense nationale, la
justice et l’intérieur. En 1968, il rajoute l’information. En 1970 l’agriculture, la santé et la population. En
1971 l’avion militaire et civil. En 1973 le ministère des services publics et celui de la sécurité sociale. Il
continuera dans cette lancée jusqu’à l’avènement de l’Empire en 1977. Il maintient une logique clanique
propre au néo-patrimonialisme, en ne faisant confiance qu’à sa famille et dans une moindre mesure aux
gens de son ethnie.
- De plus en plus, il va agir comme propriétaire de l’Etat. Le 24 Avril 1970 il s’octroie le privilège de
pouvoir nommer, rétrograder ou promouvoir, seul, les militaires. Visitant une entreprise en fin de
journée, il s’aperçoit que seul l’homme de ménage travaille. Bokassa le nommera directeur.
Une insécurité juridique s’installe peu à peu dans le pays, nul ne sait plus ce qui est prohibé et ce
qui autorisé. Tout dépendait de l’humeur du dirigeant. Bokassa aime rappeler qu’il n’est qu’un simple
père de la nation. Et qu’à ce titre, comme un père de famille, c’est à lui de décider de la conduite du pays.
En 1972 il se donne le titre de président à vie, en 1974 de maréchal de la République. Sans doute,
peut-on y voir un écho aux titres napoléoniens.
- De même, comme un père qui punit ses enfants, il emprisonnera et maltraitera son ministère des
travaux publics Auguste M’bongo pour son ostentation. Celui-ci mourra en prison en 1974. Il en sera
autant du chef de la gendarmerie Martin Lingoupou, coupable de sa popularité auprès des forces de
l’ordre dont la famille en fera aussi les frais.
- La période empereur pour donner encore plus un caractère mythique et mystique à son pouvoir.
Fan inconditionnel de Napoléon depuis ses classes en France, Bokassa s’entretient avec VGE de la
nécessité de dynamiser l’Afrique en passant par un empire Centrafricain. Il s’est, par ailleurs, convaincu
que la dimension mystique de l’empereur le protégeait si il en revêtait aussi l’attribut. Il convainc les
autorités françaises de payer son sacre contre l’arrêt des relations commerciales avec la Libye : la France y
consent. 2500 invités ainsi que leurs logements, la réfection des rues, la mise en marche des usines de
textiles à destination des conviés, les cachets des artistes. L’aigle doré à lui seul vaut 2.5 millions de
dollars, le costume 145 000 dollars, le gant de l’impératrice Catherine 74 000 dollars. La couronne vaut
aussi 2.5 millions de dollars, 40 000 bouteilles de vin à 25 dollars (château Lafite-Rothschild) etc. Pour un
total de 22 millions de dollars de dépense pour le couronnement.
- Création d’infrastructure : Berengo, palais des sports, aéroport Bangui M’poko, arc de triomphe,
L’université Bokassa en 1970, création d’Air Centrafrique en 1971
- Cependant le régime de Bokassa n’atteint pas le statut de néo-patrimonialisme performant
- Nationalisation de Total, shell, Texco
- Une réelle application dans l’Uranium centrafricain en 1971. Après le retrait des français, Bokossa
est allé demander aux américains puis aux allemands d’investir dans les mines de Bakouma. Finalement il
arrive à négocier le retour des exploitants français avec le nouveau directeur du commissariat à l’énergie
atomique français, Jacques Giscard d’Estaing (un cousin de VGE).
- Sous la demande du ministre de l’économie Thimothée Malendoma,Bokassa va accepter de
réguler strictement l’exploitation et le commerce du diamant centrafricain. Un arrangement sera fait
avec un consortium européen mais 40% des profits seront pour l’Etat Centrafricaine. En 1968, par
exemple, 610 000 carats seront sortis de terre soit l’équivalent de 4.4 milliards de FCFA de l’époque.
Les centrafricains disposaient d’un travail relativement bien payé sous Bokassa en raison de
l’explosion industrielle et agraire durant son régime. 20 usines de filatures et de tissage de sac, 2850
points de vente avec une production estimée à 38 000 tonnes en 1977, 660 000 mètre de toiles et
440 000 sacs en 1974 (UCCA, SACAF), d’huile et de savon (SICPAD), le café de l’usine de torréfaction
(SATO), le tabac (ICAT), la cigarette (MANUCACIG) mais aussi une multitude d’usine de production de lait
de fromage, une usine de coton (ICCA, la plus grande de l’UDEAC qui emploie 1200 personnes), une
industrie de boutonnerie (CIOT, qui emploie 250 personnes).
En conséquence par exemple de 1972 à 1975 la balance commerciale centrafricaine est déficitaire
puis devient excédentaire de 1.2 milliards de FCFA en 1976, ceci grâce à une politique d’exportation mené
par le régime Bokassa et ayant augmenté de 45.6% les exportations de Coton, de Café et de Bois.
Selon Xavier Mbembele, enseignant en Histoire à Bangui, la perception des habitants en RCA
aujourd’hui est très favorable envers la mémoire de Bokassa, de sorte que la jeunesse qui n’a pas connu
son régime estime que de son temps, l’Etat faisait son travail (construction de routes, d’infrastructure
hospitalière, travail…)
La plus grande preuve est que l’Etat Centrafricain n’a pas fait de banqueroute contrairement à
d’autres pays qui ont mal géré leurs économies telles que la Grèce ou le Zimbabwe.
BIBLIOGRAPHIE
Bach, Daniel C., and Mamoudou Gazibo. “Front Matter.” L’État Néopatrimonial: Genèse et Trajectoires
Contemporaines, University of Ottawa Press, 2011, pp. i–iv. JSTOR.
Bradshaw, R. (1999). [Review of Dark Age: The Political Odyssey of Emperor Bokassa, by B. Titley]. The
International Journal of African Historical Studies, 32(1), 180–182. https://doi.org/10.2307/220838
Brian Titley. « Dark Age : The Political Odyssey of Emperor Bokassa”. Février 2002
Dominique DARBON (ed.), Le comparatisme à la croisée des chemins. Autour de l’oeuvre de Jean-
François Médard, Paris, Karthala, 2010, 252 p. : 113-140;
Emmanuel Chauvin, Benoît Lallau et Géraud Magrin, « Le contrôle des ressources dans une guerre civile
régionalisée (Centrafrique). Une dynamique de décentralisation par les armes », Les Cahiers d’Outre-Mer ,
272 | Octobre-Décembre 2015;
Fauré Yves-André, Médard J.F. (1995). L'Etat business et les politiciens entrepreneurs : néo-
patrimonialisme et Big men : économie et politique. In : Ellis S. (ed.), Fauré Yves-André (ed.). Entreprises
et entrepreneurs africains. Paris (FRA) ; Paris : Karthala ; ORSTOM, p. 289-309. (Hommes et Sociétés).
ISBN 2-86537-530-7.
Gervais Ngovon, « Le contrôle des ressources de l’État, un enjeu des conflits en Centrafrique », Les
Cahiers d’Outre-Mer, 272 | Octobre-Décembre 2015. URL : http://journals.openedition.org/com/7634 ;
https://doi.org/10.4000/ com.7634
International Crisis Group. République centrafricaine : anatomie d’un état fantôme Rapport Afrique N°136
– 13 décembre 2007;
Rietsh Christian. Déséquilibre et ajustement en République Centrafricaine. In: Tiers-Monde, tome 29,
n°114, 1988. pp. 409-428;
Roger Yele, Paul Doko , Abel Mazido. “Les défis de la Centrafrique : gouvernance et stabilisation du
système économique” 2011
Suchel Jean-Bernard. Les cultures d'exportation de la République Centrafricaine. In: Revue de géographie
de Lyon, vol. 42, n°4, 1967. pp. 395-424;