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L’analyse de l’inflation au Maroc

est au cœur du désaccord


Lahlimi/jouahri

Cette semaine, quelque chose de rare a émergé du paysage


médiatique marocain : un débat de fond intéressant ! Les principaux
protagonistes de cette sympathique « polémique » qui concerne
principalement l’Inflation et les moyens de la combattre sont le Wali
de Bank-Al Maghrib, Abdellatif Jouahri et le Haut commissaire au
Plan Ahmed Lahlimi-Alami.

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Avant de rentrer dans le vif du sujet, rappelons que les économistes


définissent l’inflation comme une hausse générale des prix
matérialisée par une baisse de la valeur de la monnaie. Le mot clé ici,
c’est « générale » mais nous allons y revenir plus tard. Les
vulgarisateurs retiennent aussi souvent la définition suivante : « too
much money chasing too few goods ». Définition qui met l’accent sur
l’une des caractéristiques principales de l’inflation : une Demande
(émanant des consommateurs) trop forte pour une Offre
(entreprises, producteurs…etc) insuffisante.
:
Les causes de l’inflation au Maroc
Et depuis 2020, un nombre impressionnant d’événement sont venus
travailler à désaxer la Demande de l’Offre. Il y a eu d’abord la pénurie
de semi-conducteurs qui a rendu tout ce qui contient de
«l’électronique » plus rares et donc plus chères (rappelez-vous, la
Playstation 5 était introuvable !). Ensuite, c’est la perturbation des
chaînes d’approvisionnement mondiales qui a fait exploser le coût du
Fret Maritime occasionnant une hausse des prix de tous les produits
transportés par la Mer.

Puis, il y a le flux d’argent gratuit distribué par les gouvernements


occidentaux à leurs populations pendant les confinements, suivi par
un relâchement des restrictions sanitaires qui a occasionné un
redémarrage trop soudain de la Demande des consommateurs. Une
Demande mondiale, dopée par les dons monétaires
gouvernementaux (occidentaux surtout…) et par un effet « sortie de
confinement », est venue faire surchauffer l’économie en mettant
sous pression une Offre qui avait déjà de plus en plus de mal à
suivre.

Enfin, il y eut LE phénomène inflationniste par excellence : l’entrée en


guerre d’un exportateur majeur de pétrole et de blé qu’est la Russie.
Historiquement, les perturbations géopolitiques du Marché du
pétrole ont toujours suffi à déclencher de l’inflation. Cela vient du fait
que le pétrole a un caractère systémique qui fait qu’une
augmentation de son prix se réverbère nécessairement à d’autre pan
de l’économie. A tout cela, il faut ajouter la sécheresse qui sévit chez
nous et vous avez les ingrédients pour une inflation terrible que vous
n’ignorez pas.

Maintenant, que viennent faire Lahlimi et Jouahri dans tout ça ? Pour


comprendre ce qui oppose les deux hommes, il faut revenir sur l’un
:
des principaux leviers dont disposent les gestionnaires de la chose
publique pour endiguer l’inflation : le taux d’intérêt de la banque
centrale. C’est un peu le « prix de gros » de l’argent, car
grossièrement, les banques achètent l’argent selon ce taux puis
facturent à leurs clients des crédits en n’oubliant pas de répercuter
leurs marges. Donc plus le taux directeur de la banque centrale est
élevé, plus les taux appliqués aux demandeurs de crédits bancaires
sont élevés.

Lahlimi, qui passe pour un « homme de gauche », n’apprécie pas


le renchérissement de ce taux, décidé dernièrement par Jouahri.
Dans une interview avec « medias24 », Il insiste sur le caractère
« structurelle » de l’inflation ( sécheresse, guerre….etc) et explique
que l’augmentation de ce taux ne pourra qu’aggraver la situation en
déprimant l’économie car qui dit crédit plus cher, dit aussi baisse de
l’investissement et son corollaire : baisse de la croissance et de
l’espoir de voir la situation s’améliorer à court terme.

 Jouahri, qui passe ici pour un chantre de la rigueur et pour un


austère «homme de droite », ne veut rien de moins que de déprimer
l’économie ! En effet, Jaouhari veut moins de croissance, moins
d’investissement, moins de consommation, des crédits plus chers,
 des logements plus chers…Jouahri aurait-il un viscère terne à la
place du cœur ? La réponse est non, car le Wali de la banque
centrale craint probablement un phénomène encore plus dangereux
que l’inflation actuelle : la Stagflation, soit une installation de
l’inflation dans la chronicité, couplée à des perspectives
économiques ternes…la totale quoi !

Maintenant il faut revenir au « générale » de la définition de l’inflation


pour comprendre les périls qui s’annoncent car nous nous ne
sommes pas à l’abri de ce qu’on appelle « une spirale inflationniste »
avec à la clé une stagflation. Si on parle d’inflation « structurelle » ou
:
« importé » des produits alimentaires, de produits pétroliers….On
oublie que l’inflation est une hausse GÉNÉRALE des prix.  Voyez-
vous, en période d’inflation tous les producteurs ont une incitation à
augmenter leurs prix même ceux qui n’ont pas vu leur business
bouleversé par la sécheresse ou la guerre !  Et les seuls moyens
connus pour maîtriser cette proportion des entreprises à augmenter
continuellement leurs prix, c’est de ne PAS indexer l’inflation sur les
salaires ET de déprimer foncièrement l’économie en augmentant le
taux directeur comme l’a fait Jouahri. Donc la solution, c’est de
déprimer la Demande jusqu’à ce qu’elle vienne s’ajuster avec l’Offre.
No future comme dirait les Sex Pistols….

Mais alors, qu’est-ce que la Stagflation ?

Faites l’expérience mentale suivante : vous êtes un médecin et votre


pratique de la médecine n’est absolument pas concernée par les
dysfonctionnements de l’économie actuelle. Vous n’avez donc pas
de raison valable d’augmenter vos prix, car ni vos consultations, ni
vos diagnostics ne dépendent de la disponibilité du Diesel ou du blé
Russe. Mais la situation vous interpelle quand même : Tous les biens
et services que vous avez l’habitude de consommer voient leurs prix
augmenter, et si avant, vous pouviez avec le prix d’une consultation
remplir le réservoir de carburant de votre voiture, aujourd’hui, le tarif
que vous touchez pour une consultation ne vous garantit même plus
assez de carburant pour vous emmener de votre domicile à votre
travail (on exagère beaucoup, mais vous comprendrez l’esprit du
raisonnement). Vous vous mettez alors à contempler une
augmentation du tarif de vos consultations même si une telle
augmentation ne peut être ni justifiée par une hausse des prix du
pétrole, ni par la sécheresse…. Car au final, le problème est
monétaire vu qu’avant l’apparition de l’inflation vous pouviez faire un
tas de choses avec le tarif d’une seule consultation mais aujourd’hui
ce n’est plus trop le cas car la hausse générale des prix vient rogner
:
votre pouvoir d’achat. Vous êtes donc obligé de considérer une
hausse de vos honoraires, ce qui revient à alimenter en retour
l’inflation ! C’est comme si les agents économiques se retrouvaient
coincés dans des cercles vicieux, nourrissant ce même feu
inflationniste qui ne manque pas de venir les brûler en retour….L’
érosion du pouvoir d’achats générale qu’entraine l’inflation peut
pousser les producteurs de biens et services à augmenter leurs prix
même si leurs activités ne subissent aucun choc externe particulier
(sécheresse, pétrole….) justifiant de telles augmentations de prix.
C’est cette mécanique qui peut provoquer un emballement
inflationniste chronique qui lorsqu’il survient en période de
« dépression économique » est appelé stagflation.

De simples pressions inflationnistes devenus incontrôlables peuvent


donc en théorie, par un effet boule de neige, entraîner une
stagflation : soit une hausse générale et continue des prix couplée
avec des perspectives économiques ternes. Pour une banque
centrale, le coût de l’inaction en période d’inflation est beaucoup
trop grand car nous risquons la dépression économique ET une
aggravation de l’inflation (stagflation) alors que le coût de l’action
(augmentation du taux directeur) n’est synonyme, en théorie, que de
dépression économique (avec maîtrise de l’inflation). Entre le
chômage et l’inflation (coût de l’inaction en laissant le taux directeur
inchangé) et le chômage seulement (coût de l’action représenté par
l’augmentation du taux directeur), Bank Al-Maghrib ne risquait
naturellement de ne pas hésiter très longtemps …

Maintenant, est-ce qu’il y a vraiment un risque de Stagflation au


Maroc ? Vu la faiblesse du taux de croissance et la hausse continue
de l’inflation on peut dire qu’on y presque déjà ! La règle générale en
pareil situation énonce que seule une baisse drastique de l’activité
économique occasionnée par la banque centrale peut mettre un
terme à la Stagflation. Mais il faut prendre en compte les spécificités
:
de l’économie marocaine et en particulier la dépendance de la
vigueur de son économie au niveau de précipitations annuelles.
Ainsi, une excellente campagne agricole pourrait très bien mettre un
terme à l’inflation au Maroc. Le problème, c’est qu’un tel scénario ne
peut se concrétiser que l’année prochaine et qu’il est tributaire de la
clémence du ciel.

Spirale inflationnistes

Qu’est ce qu’une spirale inflationniste ? C’est simple, les salaires sont


une charge pour les producteurs de biens et services. Une
augmentation des salaires, c’est donc une augmentation importante
des charges. Une augmentation que les entreprises ne manqueront
pas de répercuter sur leurs prix pour maintenir leurs marges. Cette
augmentation des prix, des biens et services, qui est due à
l’augmentation des salaires, entraîne en théorie à son tour de
nouvelle colère sociale et de nouvelles revendications…
d’augmentation de salaire ! C’est la spirale inflationniste, sorte de
cercle vicieux franchement infernal.

L’inflation qui s’emballe pour devenir « structurelle » n’est


probablement pas juste une situation viable avec laquelle on peut
juste composer comme le laisse entendre Lahlimi dans cette
interview avec « medias24 ». D’autant que l’inflation pèse
terriblement sur les travailleurs qui ne disposent d’aucuns filets de
secours et qui voient chaque mois leurs salaires être dévalorisés.
Surtout que le gouvernement n’osera pas toucher aux salaires (en
les augmentant) de peur d’alimenter une spirale inflationniste qui
dans le contexte actuel pourrait devenir rapidement hors de contrôle,
même pour Bank-Al-Maghrib.

Mais pour comprendre pourquoi Lahlimi « tacle » la politique du Wali


de Bank Al-Maghrib, c’est aussi par fidélité à sa famille politique : la
:
Gauche. En effet, les économistes de gauche s’accommodent
généralement très bien de l’inflation qu’il considère comme un mal
nécessaire surtout lorsque celle-ci découle d’une politique monétaire
expansive visant la lutte contre le chômage. Beaucoup considèrent
qu’entre lutter contre le chômage et lutter contre l’inflation, il faut
choisir ! C’est même le crédo des Kéynesiens, qui proposent des
politiques publiques basées sur un flux d’argent gratuit et visant à
industrialiser volontairement un pays même si de telles politiques
débouchent sur une dette élevée et de l’inflation. Les « hommes de
gauche » sont aussi sensibles aux « bons côtés » de l’inflation sur
les grosses dettes comme l’explique ici Jean Luc Mélenchon qui
réclamait en 2014…de l’inflation pour régler le problème de la dette !

D’un autre côté, la rigueur incarnée par le Wali de Bank-Al-Maghrib,


si elle est en phase avec ce que nous dise les manuels d’économie,
demeure néanmoins assez dérangeante. Ces mêmes manuels
invoqués pour expliquer la « rigueur » et le sens des responsabilités,
et qui énumèrent les solutions douloureuses de l’inflation…. ne
renferment en réalité qu’une seule vérité réellement scientifique et
qui fait vraiment consensus : celle qui stipule que les économistes ne
sont jamais d’accords, ni sur les causes ni sur les solutions des
problèmes qui nous accablent. Et on ne vous cache pas, que ce
manque de consensus chez les économistes, sur des questions
pourtant fondamentales, n’arrange pas les choses. Les théories
économiques les plus respectés se plantent souvent lorsqu’il faut
vraiment trancher ou prédire. Il n y a pas longtemps, une bonne
partie des économistes de « droite » prédisaient  que l’impression
puis la distribution de billets de banques par la Banque centrale pour
stimuler l’économie conduisait irrémédiablement à de l’inflation. On
sait maintenant, après les milliers de milliards de dollars ou d’euros
imprimés par les USA et l’UE entre 2008 et 2021 que ce n’est pas
absolument le cas, ce qui est une preuve irréfutable de la pauvreté
:
des raisonnements économiques actuels.

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