Vous êtes sur la page 1sur 4

Mais qu’est-ce que ce plan d’immanence auquel appartiennent tous les corps ?

Un plan
d’immanence est semblable à une organisation.
Elle ne nécessite aucune dimension exogène supplémentaire. Le processus de sa
composition doit être saisi pour lui-même et en lui-même.
S'il fallait mettre en tableau ce qui distingue Spinoza de Descartes, en insistant donc sur ce
qui les oppose, on pourrait rapporter à l’un, la vitesse, la lenteur, les variations d'intensité, et,
à l’autre, les configurations, les mouvements, les effets d'une première substance sur une
deuxième. On pourrait opposer aussi une conception éthologique de la métaphysique (exposée
dans l'Éthique) et une conception de la métaphysique qui privilégie la démonstration de
l’existence de l’âme et celle de Dieu. Enfin, à l'immanence et au parti pris naturaliste qui
l’accompagne, s’opposeraient la liaison entre immanence et transcendance dans la philosophie
de Descartes.

c)Enfin l’étonnement de l’esprit devant le corps.

Spinoza utilise deux fois le même verbe, « étonner », dans le court passage cité. Le terme
n’est pas nouveau en philosophie, il remonte à Platon et au dialogue Théétète (115 d), à
Aristote qui écrit dans la Métaphysique, en 982 b11 : « l’étonnement est, toujours, ce qui
pousse les hommes à philosopher ». L’étonnement figure également dans un traité des
passions comme celui de Descartes puisque la première des passions est, selon ce dernier,
l’admiration, laquelle n’est rien d’autre que l’étonnement.
L’emploi du verbe « étonner » est toutefois troublant dans une philosophie qui ne
reconnaît pas de rôle particulier à l’esprit.
Qui étonne ? Le Corps répond Spinoza. Qui s’étonne ? L’Esprit, c’est-à-dire l’idée de ce
corps, répond-il encore. Devant quoi l’Esprit s’étonne-t-il ? Devant le pouvoir du Corps et,
plus concrètement, devant les actions qu’il peut accomplir.
Si nous insistons sur ce point, c’est parce qu’il n’y a qu’une substance dans la
philosophie de Spinoza, Dieu ou la Nature, une thèse qui a pour conséquence l’idée qu’il
n’y a nulle influence, nulle détermination causale entre l’âme et le corps, seulement un «
parallélisme ». (Chez Spinoza on a le mot correspondance, à un point A correspond un point
B. L’âme n’a pas d’influence de l’âme sur le corps ni le corps sur l’âme). Ce mot ne figure
même pas chez Spinoza, il est une création de Leibniz, mais ce mot traduit l'exacte
correspondance entre ce qui se passe dans le corps et ce qui se passe au même moment
dans l'esprit. Or, que dit Spinoza ? Les actions du corps, son pouvoir, étonnent l’esprit,
une affirmation qui, pour avoir un sens, suppose un écart aussi minime qu’on le voudra,
mais un écart temporel, entre ce que fait le Corps et la réaction de l’Esprit.

1
2) Le corps et l’esprit

a- Le « parallélisme »
« L’ordre des actions et des passions de notre corps correspond, par nature, à l’ordre
des actions et des passions de l’esprit »1.
Répétons-le, ce mot de parallélisme a été forgé par Leibniz pour désigner la philosophie de
Spinoza est éclairant. À tout corps, c’est-à-dire à tout mode fini de la substance considérée
comme étendue, correspond un esprit, l’idée de ce corps, c’est-à-dire un mode de la substance
considérée en tant que pensée.
L'originalité du point de vue de Spinoza est explicitée par Deleuze. Présenter le parallélisme
comme une identité d'ordre entre les phénomènes du corps et ceux de l'esprit est insuffisant.
L'isomorphie entre les corps et les esprits ne suffit pas à exprimer l'originalité de Spinoza.
Le parallélisme rend compte d’une identité de connexion entre deux séries différentes, c'est-à-
dire une équivalence en dignité entre la pensée et l'étendue. De cela, découle l’affirmation
qu’aucun attribut n'est supérieur à un autre et par conséquent l’idée qu’aucun attribut
ne sera réservé au créateur ou à la créature. (L’esprit n’est pas supérieur au corps, le
corps retrouve une noblesse avec Spinoza, il n’est plus vilipendé, le corps est digne
comme l’esprit est digne.)

Plus encore, le parallélisme de Spinoza implique une identité d'être ce qui veut dire qu’une
même modification est produite dans l'attribut pensée (sous le mode d'un esprit) et dans
l'attribut étendue (sous le mode d'un corps).

Les conséquences pratiques de cela sont de taille : (1) contrairement à la vision morale
traditionnelle, tout ce qui est action dans le corps est action dans l'âme, tout ce qui est passion
dans l'âme est passion dans le corps. (2) Selon le degré de complexité du corps, l'esprit est
plus ou moins puissant, plus ou moins conscient.

b- Le corps.
Deux remarques nous suffiront, l’une sur le souci de la conservation, l’autre sur l’activité
et la passivité.
Sur un plan physique, les corps sont limités, divisibles, construits par d'autres, corruptibles.
Dépendant de l'existence d'autres corps, le corps est d'emblée relatif. Tout corps est en

1
Cf le scolie de la Proposition II de la troisième partie de l’Éthique

2
mouvement ou en repos et il se distingue par là-même d'un autre. La conservation d’un
rapport de mouvement et de repos ainsi que la pression des corps ambiants déterminent la
forme d'un individu (d'un corps composé). Tout ce qui conserve cette forme est bon. Tout ce
qui modifie le rapport de mouvement et de repos entre les parties du corps et donc détruit sa
forme est mauvais.
Le classement en « utile » et « nuisible » traduit le point de vue pris sur le corps. La santé est
une norme immanente à la vie du corps.

Un corps est à la fois actif et passif, passif quand il est mû, actif quand il produit un
mouvement, agit avec d'autres et conforte de ce fait sa puissance, voire l'augmente. Actif et
passif, le corps ne supporte pas toute notre faiblesse (notre finitude, notre corruptibilité) de
même que l’esprit ne supporte pas toute notre force.
« Je dirai cependant, d'une manière générale, que plus le Corps est capable, par rapport aux
autres, d'accomplir et de subir un grand nombre d'actions, plus l'Esprit de ce Corps est, par
rapport aux autres, capable de percevoir simultanément un plus grand nombre d'objets , et
plus les actions d'un seul corps dépendent de lui seul, moins les autres corps concourent à
l'action du premier, plus l'esprit de ce corps est capable de comprendre distinctement".

Le corps n'est donc pas un tombeau pour l'âme ni un navire pour son pilote,
Descartes l’avait déjà montré ; le parallélisme enseigne cependant autre chose : la
puissance d'agir et la santé du corps se développent en même temps que se développe la
puissance de connaître de l'esprit.

Conclusion :
Que retenir de la conception spinoziste du rapport entre le corps et l’âme ?
Spinoza réfute l’idée d’une interdépendance entre l’âme et le corps. L’idée d’une union de
l’âme et du corps ou encore d’une suprématie de l’âme sur le corps est une absurdité. C’est ce
que traduisent les premières lignes de la deuxième proposition : « Ni le corps ne peut
déterminer l’esprit à penser, ni l’esprit ne peut déterminer le corps au mouvement, ou
au repos, ou à quelque chose d’autre (s’il en est) »2 Croire l’inverse, c’est considérer l’âme
comme « un empire dans un empire ». C’est aussi faire du corps une réalité vile alors qu’il est
pour Spinoza en égale dignité ontologique à l’âme. Spinoza disjoint l’âme et le corps, mais
contrairement à Descartes, il en fait deux versants d’une même et unique réalité qu’est
l’homme. La thèse spinoziste est celle d’une corrélation rigoureuse, d’un strict
isomorphisme : à une passion du corps correspond une passion de l’esprit. La
2
Spinoza, Éthique, Troisième partie, proposition II,

3
conséquence sur le plan éthique, c’est ceci : tout ce qui est bon pour le corps, l’est pour
l’esprit. Le corps n’est plus le tombeau de l’âme. En prendre soin, lui accorder de
l’importance, c’est favoriser le perfectionnement de l’esprit.
Il convient alors du point de vue de Spinoza de se connaître soi-même en tant que
corps en vue d’œuvrer à développer ses capacités, ses aptitudes propres. Il s’agit selon son
vocabulaire d’augmenter sa « puissance d’agir », sachant que ce passage à une plus grande
perfection est synonyme de joie. Spinoza est un penseur de l’allégresse du corps comme
flambeau de l’âme en quête de béatitude.
On peut résumer la pensée de Spinoza à propos du corps en reprenant ce proverbe que
l’on peut lire d’ailleurs à la fin de l’Éthique : « un esprit sain dans un corps sain ».

Quelques explications :
Spinoza interdit toute éminence de l’âme sur le corps ou du corps sur l’âme.
Le corps dépasse la connaissance qu’on en a, et que la pensée ne dépasse pas moins la
conscience qu’on en a.
Le corps et l’âme sont des modes d’une même substance qui est Dieu (l’infini ou la
Nature)
Si pour Platon, l’âme est présentée comme dépassement du corps et dont le corps est le
tombeau (faiblesse du corps, faiblesse de l’esprit) ; l’âme domine le corps
Pour Spinoza, le corps peut quelque chose sans l’apport de l’âme, l’âme n’agit pas sur le
corps et le corps n’agit pas sur l’âme.

Vous aimerez peut-être aussi