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LES ECHOS WEEK-END - En moins de cinq ans, la petite ville suisse de Zoug est devenue
une capitale des monnaies virtuelles. Ni le krach du bitcoin ni l'hostilité des banques centrales
n'ont entamé la foi des centaines de startuppeurs qui s'y sont installés, convaincus de bâtir
l'économie du futur.
Source : https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/bienvenue-dans-la-crypto-
valley-992953
Le lac de Zoug aussi a un jet d'eau mais, ce n'est pas faire insulte à la petite
ville que de le dire, il ne peut guère rivaliser avec celui de Genève. Une
vaguelette qui submerge son socle, et le voilà qui mollit presque
comiquement. En ce matin d'hiver, les nuages qui stagnent au-dessus de
l'étendue d'eau masquent les montagnes alentour. Dans cette ambiance
cotonneuse, personne en vue. La place de La Poste, à un jet de pierre de la
tour de l'horloge du XVe siècle, est vide. Seule une Porsche vient percer le
silence du matin. À l'angle du café Plaza, le bolide accélère sur
Bahnhofstrasse, l'une des principales rues de la bourgade de 30.000 âmes.
Ses pétarades s'entendent à des centaines de mètres. Puis plus rien.
« Drôle de coin, n'est-ce pas ? » s'amuse Hany Rashwan, sac à dos sur
l'épaule. Un an après son installation, l'entrepreneur de 28 ans, arrivé très
tôt par le train de Zurich, assure toutefois qu'« on s'y fait », la tête levée
vers le ciel plombé. Tout en sirotant un chocolat liégeois, l'Américain
d'origine égyptienne, qui fait régulièrement de grands écarts entre la
trépidante New York et cette retraite lacustre, se dit très satisfait de son
choix d'installer ici sa société. Amun - du nom du dieu égyptien Amon, en
anglais - permet d'investir dans des actifs numériques basés sur des
monnaies virtuelles.
Sur la base de ses intuitions, la ville a été très claire sur la façon dont elle
comptait traiter - bichonner, en fait - les entreprises actives dans les
cryptomonnaies. La définition précoce d'un cadre accueillant et un impôt
sur les sociétés pour le moins modeste, de l'ordre de 12 %, ont attiré un
acteur promis à un grand avenir : Ethereum. La société, lancée
officiellement à Zoug en 2014, est aujourd'hui l'un des Gafam de la
blockchain. « Ethereum a été un don du ciel pour Zoug », sourit Dolfi
Müller, qui confie pourtant ne pas avoir « un souvenir très clair » de sa
première rencontre avec les deux fondateurs canadiens, Vitalik Buterin,
d'origine russe, et Joseph Lubin.
Les deux hommes se rappellent en revanche très bien leur voyage en
Suisse en 2014. Joe, de passage de Paris, look d'adolescent malgré sa
cinquantaine bien entamée, assure qu'« on s'est compris très vite avec la
municipalité et le canton ». La forte décentralisation de la Suisse, qui
recourt beaucoup à la démocratie directe pour de nombreuses décisions,
s'accorde très bien à la logique décentralisée et libertaire de la blockchain.
Certaines des plus grosses ICO mondiales ont été réalisées à Zoug, comme
celle du français Tezos. En 2016, la start-up d'Arthur Breitman, qui se
propose de créer une nouvelle monnaie virtuelle plus économe d'un point
de vue énergétique que le bitcoin ou l'ether, a ainsi récolté 232 millions de
dollars en quelques semaines - c'était alors le record absolu. Même si la
mode des ICO est retombée ces derniers mois, le secteur a levé l'an dernier
plus de 10 milliards de dollars, dont 1 milliard rien qu'à Zoug. À elles
seules, les start-up de la ville ont récolté plus de fonds sur la blockchain
que toute l'Europe continentale réunie.
Au fil des mois, les start-up crypto ont poussé comme des champignons
sur Dammstrasse, l'une des principales rues du « quartier d'affaires » de
Zoug. Chaque jour, la gare, véritable poumon de la ville, déverse des
milliers de travailleurs dans la bourgade, en provenance de Zurich ou de
Lucerne, situées à moins de 30 minutes en train. Une part croissante de ces
jeunes pousses appartient à la Crypto Valley, qui représente « entre 500 et
1 000 emplois », s'enthousiasme Dolfi Müller.
Désormais, les choses sont plus faciles. Avec la baisse des cours, le marché
s'est professionnalisé. « C'est compliqué de révolutionner le monde à 25
ans avec un projet qui tient sur cinq pages », ironise Mathias Ruch. Il espère
aider à l'émergence d'un des futurs géants de la tech. Un de ses « bébés »
pourrait y contribuer : la banque Seba Crypto AG. Son fondateur, Guido
Buehler, ancien d'UBS, petites lunettes rondes vissées sur le nez, a levé
près de 100 millions de dollars en 2018 et veut encore accélérer l'essor du
secteur : « L'écosystème existe, mais il manque les financements. »
Car la finance traditionnelle fait la fine bouche - après tout, tous ces jeunes
gens essaient de lui voler son métier. Et si les ICO deviennent la règle, le
capital-investissement peut se faire du souci. Même la banque cantonale
locale n'est pas très accueillante. Les projets blockchain sont encore
tabous. « Aucune banque traditionnelle ne peut prendre le risque de se
lancer publiquement sur ce marché », relève un banquier de Genève. Seuls
pour l'instant des établissements alternatifs comme la Falcon Private Bank
ou Swissquote, la plus grosse banque en ligne helvétique, soutiennent des
projets d'ICO.