Annales de chirurgie plastique esthétique (2016) 61, 348—359

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Traitement primaire des fentes

labio-palatines. Ses grands principes§
Primary treatment of cleft lip and palate. Its fundamental
principles

J.-C. Talmant *, J.-Ch. Talmant, J.-P. Lumineau

Centre de compétence de traitement des fentes labio-palatines des Pays-de-Loire, clinique Jules-Verne, 2,
route de Paris, 44300 Nantes, France

MOTS CLÉS Résumé Le traitement des fentes labio-palatines, s’il est source de perplexité avec son
Fente labiale ; foisonnement de protocoles fonctionnels, est riche d’enseignements qui ont guidé nos choix pour
Fente palatine ; l’âge de la première opération et la chronologie opératoire prévenant le mieux la rançon
Développement cicatricielle palatine. En définitive, la réponse fonctionnelle la plus aboutie depuis 18 ans
maxillofacial ; surprend car elle a toujours été combattue : c’est celle d’une vraie rhinoplastie primaire.
Maxillaire ; Au-delà de l’ambition esthétique, promesse d’une bonne intégration sociale, elle installe dès la
Nez première opération une ventilation nasale, clé d’une croissance faciale harmonieuse, sans
sacrifier, bien au contraire, les autres fonctions car elles sont interactives et préservent la
ventilation nasale.
# 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary If the multiplicity of functional protocols of cleft lip and palate treatment has been
KEYWORDS bewildering, it is now a source of learning. The lessons we can draw from them assist us to choose
Cleft lip; the best age for the primary surgery and a chronology that prevents the palate from the worst
Cleft palate; scaring. Eventually, with 18 years of follow-up, the best functional achievement comes
Facial growth; unexpectedly from an ambitious primary rhinoplasty that had till now been condemned. Not
Maxilla; only do the patients have good appearance and social integration, but the nasal mode of
Nose breathing established at the time of the primary surgery favors a good facial growth without any
compromise. Reciprocally, all the interacting functions benefit from a nasal ventilation.
# 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

§
Rapport du congrès de la SOFCPRE 2016 sur la chirurgie plastique pédiatrique, sous la présidence du professeur V. Duquennoy Martinot.
* Auteur correspondant.
Adresses e-mail : jeanclaude.talmant@libertysurf.fr (J.C. Talmant), talmantsecretariat@yahoo.fr (J.C. Talmant).

http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2016.06.007
0294-1260/# 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Traitement primaire des fentes labio-palatines. Ses grands principes
Introduction
En 2002, le numéro spécial des Annales de Chirurgie Plas-
tique et Esthétique dédié aux fentes labio-palatines avec
11 protocoles a montré qu’on ne pouvait se satisfaire
d’approximations et que nous avions encore beaucoup à
apprendre. Où en sommes-nous 15 ans plus tard ? Est-on plus
cohérent ? Que faire des dogmes interdisant les dissections
sous-périostées ou sous-périchondrales et la chirurgie nasale
infantile ? Cerne-t-on mieux avantages et inconvénients des
techniques et les vraies priorités ? L’intérêt pour une remise
en question est stimulant [1].
L’évolution de la philosophie du traitement
fonctionnel [2]
La chirurgie fonctionnelle fondée sur l’idée d’un septum
moteur de la croissance faciale [3] a d’abord fait de la
réparation des boucles musculo-aponévrotiques vélopha-
ryngées et nasolabiales le Graal de la croissance [4]. Les
certitudes de l’époque ont retardé le progrès en jetant le
soupçon sur les dissections sous-périostées et sous-péri-
chondrales [5—7] et en condamnant toute vraie rhinoplastie
de pointe primaire. On sait à présent que dès la 11e semaine
in utero, la ventilation fœtale modèle les structures des
voies respiratoires en y mobilisant le liquide amniotique et
s’affirme à ce stade comme le moteur de la croissance
faciale [8]. Si un septum passif contredit Scott [9], il
renforce Moss [10] et sa matrice fonctionnelle. « Tous les
tissus, cellules et organes fonctionnent dès le début de leur
développement. Les fonctions fondamentales sont les fonc-
tions de croissance. . . et dans le processus de différencia-
tion chaque fonctionnement évolue autant que la forme
[11] ». Ainsi, le développement des germes des incisives
centrales de lait, dès la 6e semaine et ceux des incisives
permanentes dès la 10e semaine, en font les seuls supports
du plancher des narines dont ils préviennent le collapsus
inspiratoire lors de l’émergence de la ventilation. En témoi-
gne la sévère dysplasie nasale sanctionnant l’agénésie
d’une incisive centrale [12]. L’ouverture d’une fosse nasale
fendue dans la cavité buccale y fait chuter la pression
d’éjection du liquide amniotique. Le gradient de pression
entre les deux fosses nasales repousse la cloison vers la
fente et participe aux autres déformations nasales comme
au défaut de croissance du côté fendu. Après la naissance,
l’air compressible et léger n’a pas l’effet du liquide. La
largeur du seuil narinaire et de l’orifice piriforme repose
alors sur un alignement incisif complet : l’espace de l’inci-
sive latérale manquante doit être préservé. Ainsi, avec
l’émergence de la ventilation dès la 11e semaine in utero,
la matrice fonctionnelle oronasale de la face entretient un
échange de fluide liquide, puis aérien avec son environne-
ment. Elle constitue donc un système ouvert [13] dont les
sous-systèmes en développement, oral, nasal et pharyngé
interagissent et évoluent dans le temps avec le système
ventilatoire. L’optimisation du sous-système masticateur
doit respecter son interaction continuelle avec le système
ventilatoire et son évolution dans le temps. Dans cette
hiérarchie, le système ventilatoire, seul à être vital, est
le grand ordonnateur de tous les sous-systèmes en inter-
action avec lui.
349
Objectif du traitement primaire : la priorité doit
être donnée au nez
La terminologie orale des classifications des fentes (Kerna-
han et dérivés [14]) reflète ce qui a été l’objet exclusif des
thérapeutes. Pourtant, la priorité du système ventilatoire
présuppose :
 le contact bilabial au repos ;
 la perméabilité des narines et des valves nasales ;
 une cloison centrée ;
 un orifice piriforme qui permet l’alignement des 4 incisi-
ves avec un diamètre intercanin suffisant ;
 une largeur du plancher de la fosse nasale qui reflète la
largeur de la voûte palatine et celle d’une arcade maxi-
llaire symétrique en occlusion centrée.
Bref, la priorité au nez oblige à normaliser les structures
orales et dès lors, les interactions fonctionnelles harmonieu-
ses stimulent la croissance. Un changement de paradigme
s’impose donc !
L’anatomie pathologique est la base d’une
réparation cohérente
Il y a 88 ans, Victor Veau [15] a ouvert la voie : « Dans une
fente unilatérale, les structures normales sont présentes sur
les deux berges de la fente, modifiées seulement du fait de la
fente ». Notre expérience confirme son hypothèse vision-
naire. La seule exception est l’atteinte constante du champ
embryologique de l’incisive latérale [16,17] : il y a bien un
déficit osseux, même dans la fente la plus fruste où manque
l’apophyse frontale du prémaxillaire. À un degré de plus,
l’incisive latérale est hypoplasique, voire manquante dans
50 % des fentes totales.
La déformation labionarinaire essentielle par son inci-
dence thérapeutique est la bride verticale soulevée dans
le vestibule nasal par la rotation caudale de la crus latérale
sous la pression du puissant muscle myrtiforme. Celui-ci
glisse sur le cartilage [18] en même temps qu’il devient le
seul point d’ancrage antérieur de l’enveloppe faciale du côté
fendu. L’intrication de la déformation du cartilage alaire et
de cette disposition musculaire particulière nécessite la
séparation de ces deux structures lors d’une réparation
simultanée lèvre/narine (Fig. 1).
Au niveau du palais, la libération des insertions anormales
des muscles élévateurs et palatopharyngiens sur les berges
osseuses de la fente palatine et la dissection de leurs fais-
ceaux pour une large transposition intravélaire restaure un
anneau musculaire postérieur libre d’ancrage palatin et qui
retrouve ainsi une amplitude de mouvement remarquable
[19].
Les méfaits et inconvénients de la chirurgie : une
meilleure analyse
Nombre d’écoles attribuent le défaut de croissance à la
malformation et œuvrent pour que l’enfant soit accepté
dès le premier regard maternel, en opérant le plus tôt
possible [20]. On cherche en vain la cohérence de cette
précipitation. Le patient est l’enfant et non la mère. La
350
Figure 1 a : document original, offert par Harold McComb avec l’autorisation de le publier, où on voit le muscle nasalis surcroiser
le cartilage alaire chez un enfant mort-né avec une fente unilatérale totale ; b : schéma du muscle Nasalis d’une fente unilatérale
totale labio-palatine, avec son chef supérieur le muscle transverse et son chef inférieur le muscle myrtiforme. Il vient couvrir la crus
latérale du cartilage alaire et en la forçant à une rotation caudale soulève avec elle la bride narinaire, relief vertical dans le vestibule
nasal qui majore l’éversion de la narine.
priorité est le résultat. Les mères l’entendent quand on leur
montre que la correction narinaire est performante et même
spectaculaire si on sort du piège de l’urgence. En effet, bien
qu’indispensable la chirurgie est néfaste : des travaux
anciens [21] confirmés en 2007 [22] ont montré que les
adultes non opérés de leur fente ont une croissance
antérieure et une largeur intermolaire comparables à celles
de la même population standard. Leurs déformations alvéo-
lodentaires relèvent du défaut de pression labiale sur les
berges de la fente.
La chirurgie a deux inconvénients majeurs : la compres-
sion et la rétraction cicatricielle. La compression immédiate
est d’autant plus puissante que la fente est large et l’opéra-
tion précoce sur ces structures fragiles. À cet âge, le maxi-
llaire, peu ossifié, doit sa résistance aux seuls germes
dentaires, déformables mais incompressibles dans leurs sacs
liquidiens. Au-dessous du contrefort orbitaire, l’opération
précoce fléchit l’un vers l’autre les deux maxillaires comme
deux sacs de billes. La conclusion la plus claire d’une étude
faite auprès de 15 centres mondiaux (1987) souligne la plus
grande nocivité pour la croissance faciale des opérations
précoces, avant l’âge de 4 mois [23]. Prônée au Royaume-Uni
par Desaï [24] (référence des auteurs français) qui a opéré
dès la 48e heure 450 enfants en 25 ans, la chirurgie néonatale
a été épinglée dans le rapport du CSAG de 1998 qui a pointé sa
responsabilité sur les déformations maxillaires par rapport à
celle faite après l’âge de 4 semaines [25]. Depuis, les bri-
tanniques n’opèrent qu’après 3 mois comme ils nous l’ont
confié lors d’une visite avec B. Sommerlad à Nantes en
octobre 2004.
Le deuxième inconvénient de la chirurgie est la rétraction
cicatricielle. Elle sténose les narines en l’absence de préven-
tion, mais les rétractions les pires par l’intensité et la durée
succèdent à l’épithélialisation spontanée d’une surface
J.-C. Talmant et al.
dénudée du palais. Malheureusement, la majorité des équi-
pes ferment le palais en laissant l’os à nu latéralement
[26,27] ou réparent en un seul plan avec des lambeaux
vomériens [5] ou des greffes libres de périoste [6] qui brident
le maxillaire. Il faut bannir ces pratiques comme on l’a fait
pour les brûlures des plis de flexion !
Principes de la réparation fonctionnelle
Si l’on excepte l’incisive latérale, toutes les structures sont
présentes, simplement déformées. Rétablir l’anatomie en
les reposant suffit sous réserve que les cicatrices n’en gênent
pas le fonctionnement : « La réparation du bec-de-lièvre ne
doit être que de l’embryologie expérimentale [15] ». Les
dissections sous-périostées et sous-périchondrales, indispen-
sables à cette remise en place, sont proscrites à tort car dans
ces plans, elles préservent les fonctions embryologiques de
ces tissus [28] si on respecte deux principes : ne pas laisser de
surfaces dénudées et fermer les espaces morts pour chasser
les épanchements. Nous avons toujours travaillé à réduire la
nocivité de la chirurgie : certains âges, certaines périodes et
chronologies sont plus favorables, ce dont il faut tirer profit.
À 6 mois, l’ossification progresse avec les éruptions incisives
et l’os résiste mieux à la compression. L’expérience de
Schweckendiek [29] est très instructive : sa fermeture du
voile à 6 mois, puis du palais osseux à 16 ans préserve la
croissance mais aux dépens de la phonation. Si la réparation
vélaire à 6 mois est propice à l’éclosion du babil, la crois-
sance maxillaire très active jusqu’à l’âge de 30 mois autorise
une forte réduction du délai avant fermeture du palais
osseux : depuis 35 ans, nous fermons le voile à 6 mois, puis
le palais osseux à 18 mois. Réparé avec les seuls tissus des
berges, sans emprunt extérieur ni fistules et avec le mini-
mum de cicatrices, le palais est proche de la normale. Le
Traitement primaire des fentes labio-palatines. Ses grands principes
résultat est convaincant sur la croissance et le langage.
Aucun protocole ne fait mieux, comme l’avait pressentit
V. Veau.
Depuis 18 ans, notre protocole est inchangé [30]
À 6 mois : fermeture simultanée lèvre/narine et fermeture
du voile avec transposition des muscles élévateurs selon la
technique de Sommerlad. Ce protocole est le seul à oser, ce
qui a généralement été condamné [31,32] : une rhinoplastie
primaire ambitieuse qui grâce à une conformation narinaire
pendant 4 mois donne des résultats fonctionnels et esthéti-
ques très constants : en installant une ventilation nasale dès
la première opération, elle prévient les dysfonctions et
adaptations posturales et transforme la vie scolaire et
sociale de ces enfants. Cette avancée considérable justifie
à elle seule d’attendre 6 mois pour opérer.
La croissance nasale est bonne comme la croissance maxi-
llaire. Les éventuelles imperfections relèvent d’autres fac-
teurs influents : agénésies dentaires, tendance familiale à une
classe III, ou dysfonctions qui génèrent les mêmes troubles
chez le sujet standard (telles une ventilation orale par aller-
gies respiratoires ou une déglutition infantile persistante).
Dans ce cas, le retrait maxillaire est souvent discret dans un
visage symétrique permettant d’attendre sa correction en fin
Figure 2 Résultat d’une fente labio-palatine unilatérale à l’âge de 9 ans où sont réunies les conditions fonctionnelles favorables
pour une bonne croissance faciale.
351
de croissance par ostéotomie d’une arcade monobloc, sans
fistule et bien préparée.
À 18 mois : fermeture en deux plans, sans dénudation et
sans fistule, de la fente résiduelle du palais osseux qui en un
an s’est réduite comme s’il y avait un rattrapage de crois-
sance.
Entre 4 et 5 ans : la gingivopériostéoplastie avec greffe
osseuse iliaque reconstruit la fente alvéolaire. Si besoin est,
on corrige le déficit de largeur en dentition lactéale par
expansion antérieure préalable. Dès lors, on réunit les
conditions pour une bonne croissance : l’enfant dort la
bouche fermée et a une mastication symétrique et centrée
(Fig. 2 et 3).
Choix techniques utiles et performants pour
chaque temps opératoire
L’orthopédie préopératoire n’a pas de
justification établie
En 65 ans, elle n’a jamais fait preuve d’un effet durable dans
quelque domaine, que ce soit : alimentation, prévention des
otites, conformation de l’arche maxillaire, qualité du lan-
gage, de la croissance ou du résultat esthétique [33—35].
352 J.-C. Talmant et al.

Figure 3 a : fente unilatérale labio-palatine totale opérée en 1984 avec pour la première fois, une conformation narinaire fixée par
suture pendant les 4 premiers mois postopératoires qui nous a démontré l’efficacité de cette précaution pour une correction nasale
stable ; b, c, d : résultat à 25 ans après une bonne croissance. Le nez asiatique et le nez caucasien peuvent être corrigés avec la même
technique.
Quant à l’orthopédie active, elle est nocive : la fusion L’âge de la fermeture labiale et ses
osseuse par contact des berges entérine un petit maxillaire conséquences
par fermeture précoce du seul secteur où il y a toujours un
défect. De plus, l’expansion simultanée de la columelle n’est La chirurgie précoce a été abandonnée au Royaume-Uni
pas stable et ne dispense pas d’un abord direct des cartilages (1998). Ses adeptes francophones soutiennent que leurs
alaires [36,37]. résultats sont aussi bons que lorsqu’ils opèrent à 6 mois

Figure 4 a : tracé des incisions du principe de rotation du philtrum/avancement latéral de Millard ; b : sur la ligne médiane un
lambeau triangulaire latéro-prémaxillaire dont la base supérieure monte avec la columelle sera transposé dans un refend horizontal
sous le cartilage triangulaire ; c : latéralement le lambeau de Muir sera transposé dans le refend le long de l’orifice piriforme.
Traitement primaire des fentes labio-palatines. Ses grands principes 353

Figure 5 a : dissection sous-périostée latérale de la face antérieure du petit fragment maxillaire. Elle circonscrit le pédicule sous-
orbitaire avec élongation du périoste ; b : individualisation de l’insertion du myrtiforme qui est sectionnée ; c : la dissection sous-
périostée latérale communique largement avec la dissection sous-périchondrale des deux faces du septum et du cartilage triangulaire.

[38] ou que les résultats n’étant « ni catastrophiques ni pas une voie d’avenir. Mais surtout la compassion n’est pas
irrattrapables », ils s’estiment légitimés par « l’énorme justifiée. Le patient est l’enfant ! Si la précipitation le prive
bénéfice familial et affectif » [39] ! Ils admettent de facto d’une réparation anatomofonctionnelle plus complexe mais
que cette précocité n’améliore pas leurs patients et n’est utile à sa croissance, on doit le dire aux parents. Avec

Figure 6 a : reconstruction du plancher narinaire et du vestibule nasal par transposition des lambeaux sous columellaire médian et
du lambeau latéral de Muir ; b : le revêtement mucopériosté de la fosse nasale libéré de toute attache peut comme la doublure d’une
manche suivre la projection de la pointe du nez ; c : une suture suspend le vestibule de la lèvre au muscle myrtiforme en regard de la
fente. Elle sera nouée en fin d’intervention après fermeture des espaces morts en regard du cartilage alaire reposé pour éviter que le
myrtiforme ne reprenne sa position anormale sur le cartilage.
354 J.-C. Talmant et al.

internet, la précocité est un biais de recrutement ne dis-
pensant pas du « devoir éthique d’une information complète,
accessible et conforme aux données actuelles de la
science ». La réduire à sa pratique est insuffisant : les progrès
doivent bénéficier au patient. Un dernier point serait la
qualité de la cicatrice fœtale en chirurgie expérimentale
animale ; avantage non retrouvé chez l’homme [27].
En 2011, nous avons décrit en détail la réparation labio-
narinaire dans l’EMC [30]. Il nous faut, à 6 mois,
3 heures 30 pour la première opération d’une fente labio-
palatine unilatérale et 4 heures 30 dans une fente bilatérale.
Cette chirurgie complexe est irréalisable en condition néon-
atale ou précoce. Très récemment, des travaux américains
concordants d’anesthésiologie néonatale ont déconseillé
d’opérer avant l’âge de 4 mois sauf pour raisons vitales
[40,41]. Suivre ce conseil ne peut qu’être bénéfique pour
l’enfant.
Réparation labiale unilatérale : les incisions
En dehors des différentes plasties en Z (du Tennisson au
Malek), la technique la plus utilisée est la rotation avance-
ment de Millard [42] ; elle seule distribue idéalement la peau
entre la lèvre et le nez et respecte la règle des unités
esthétiques (Fig. 4). Les tissus d’avivement des berges par-
ticipent à la projection de la pointe du nez. Latéralement, on
transpose le lambeau de Muir le long de l’orifice piriforme.
Au milieu, depuis 1991, un lambeau latéroprémaxillaire
porté par la columelle est transposé dans un refend septal
sous le cartilage triangulaire.
Les dissections et la réparation musculaire :
deux temps essentiels
La dissection sous-périostée intéresse toute la face
antérieure du petit fragment maxillaire mais respecte la
suture inter-incisive (Fig. 5). La section du myrtiforme (mus-
cle de la fente de Veau [15]) à l’aplomb de la bride endo-
narinaire ouvre la dissection sous-périostée latérale sur la
dissection sous-périchondrale des deux faces de la cloison et
du cartilage triangulaire. Le cartilage alaire séparé de sa
couverture cutanée reste adhérent au plan endonasal.
L’ensemble du revêtement muqueux de la fosse nasale,
séparé de son support, peut coulisser comme la doublure
d’une manche et suivre la projection de la pointe du nez
(Fig. 6). La réparation musculaire rétablit l’équilibre de
l’enveloppe faciale dont le secteur oronasal est chargé du
captage inspiratoire de l’air. Toute imperfection de la valve
nasale, secteur le plus étroit mais ajustable des voies respi-
ratoires, entraîne des adaptations fonctionnelles de l’enve-
loppe et de la posture craniorachidienne défavorables à la
croissance maxillaire [43—46]. Si la hauteur labiale dépend

Figure 7 Correction de la déformation nasale : a, b : après la suture musculaire qui rapproche l’un de l’autre les deux pieds de
l’arche du cartilage alaire, deux attelles de silicone souple de 0,5 mm d’épaisseur sont enroulées dans chaque narine et conformées
pour recréer les galbes internes et externes des narines et les symétriser. Elles sont réunies par des sutures trans-septales de nylon.
Une troisième feuille posée sur la peau et réunie aux précédentes contribue à la symétrie des rebords narinaires mais surtout ferme les
espaces morts et chasse les épanchements sanguins, temps essentiel du contrôle du phénomène cicatriciel ; c : au 6/7e jour, les
attelles fixées sont remplacées par un conformateur narinaire amovible maintenu 4 mois. Il est fait de la même silicone souple et fine,
ce qui lui confère une vaste lumière, une très bonne tolérance, une grande facilité de mise en place même quand le conformateur n’a
pas été reposé pendant une journée, ce qui n’est pas conseillé. Depuis 18 ans, cette souplesse nous a permis de valider cette technique
avec des résultats jamais publiés auparavant. Tous ceux qui ont employé des conformateurs rigides ont fait part de leur déception
devant des résultats très inconstants et même trop médiocres pour pouvoir encourager l’adoption de la conformation rarement
respectée car la moindre interruption conduit à l’abandon devant la difficulté ou l’impossibilité de remise en place. Une bavette
labiale utile pour la fixation du conformateur aide à la prévention de l’hypertrophie cicatricielle.
Traitement primaire des fentes labio-palatines. Ses grands principes 355

avant tout de la suture des muscles, il faut éviter un excès
vertical entre l’implantation de la narine et la ligne cuta-
néomuqueuse. Cette tendance est contrôlée par le croise-
ment des plans profond (myrtiforme) et superficiel
(orbiculaire) des muscles labio-narinaires, qui est aussi indis-
pensable à la correction de la bride narinaire [30].
La correction nasale : fermeture des espaces
morts et maîtrise de la rétraction
Tout est prêt pour la correction nasale (Fig. 7). Des attelles
de silicone souple enroulées dans chaque narine sont sutu-
rées entre elles à travers la cloison. Une troisième attelle
posée sur la pointe du nez est suturée aux précédentes. Ce
« sandwich » conforme et symétrise la pointe du nez à
volonté et tout en fermant les espaces morts, il chasse les
épanchements sanguins. On évite leur coagulation source
d’une fibrose intense et rapide [47] à l’origine de la rétrac-
tion de la circonférence de ces petites narines. Ce geste mal
compris est négligé à tort par nombre d’équipes qui adhèrent
à l’idée d’une conformation sans saisir le rôle d’une ferme-
ture immédiate des espaces morts qui non seulement assure
un modelé parfait interne et externe avec très peu d’œdème
mais réduit considérablement l’ampleur du phénomène cica-
triciel dès le départ. Les attelles sont remplacées au 6e/
7e jour par un conformateur amovible en silicone souple. Il
finalise la maîtrise de la rétraction narinaire s’il est porté en
permanence 4 mois. Pour réussir, il faut éviter la rupture de

Figure 8 Fermeture de la fente palatine en deux temps. Tous ces documents concernent le même patient sauf la figure « d » qui montre
la suture finale de l’anneau musculaire en avant de la luette : a, b : la fente vélopalatine à 6 mois ; c : dissection des 2 faces des lames
palatines et dissection du voile exposant sa musculature avant le soulèvement des muscles palato-pharyngiens et élévateur de la
muqueuse nasale pour leur transposition ; d : reconstruction de l’anneau musculaire postérieur en avant de la luette ; e, f : fermeture
vélopalatine à 6 mois ; g : réduction spontanée de la largeur de la fente résiduelle du palais osseux ; h : fermeture en deux plans à 14 mois.
356
la chaîne de contrôle de la rétraction comme pour la chaîne
du froid ! L’efficacité n’est pas un détail, elle est faite de
détails, tous utiles. En 18 ans, ces précautions cumulées ont
ouvert une nouvelle ère pour la chirurgie nasale infantile
mais aussi toute chirurgie nasale complexe, à n’importe quel
âge [48].
Fermeture de la fente vélaire avec véloplastie
intravélaire
À 6 mois, la première opération associe à la fermeture lèvre/
narine celle du voile (Fig. 8). Depuis 35 ans, cette chronologie
nous a permis d’abandonner les dénudations osseuses des
techniques de type Veau Wardill. En effet dans l’année qui
suit, la fente résiduelle du palais osseux se réduit sans défor-
mation de l’arcade au point que sa fermeture se fait en deux
plans, sans fistules ni mauvaises cicatrices. Depuis 18 ans, la
transposition intravélaire des muscles élévateurs de Sommer-
lad [19] a transformé nos résultats. Après abord médian et
dissection sous-périostée des lames palatines et des ailes
internes des ptérygoïdes, la muqueuse nasale est suturée.
Puis, sous grossissement optique, on soulève du plan nasal les
muscles palatopharyngien et élévateur. Dès que ce dernier,
plus profond, est repéré latéralement, on le clive facilement
du plan nasal de dehors en dedans. La dissection est entreprise
sur des muscles assez forts pour préserver leur intégrité. Elle
est repoussée lors de la fermeture du palais osseux si la fente
est trop large (15/16 mm). L’anneau musculaire libéré de son
ancrage osseux devient vraiment performant.
Fermeture du palais osseux à 18 mois
En 1 an, la réduction spontanée de la fente résiduelle,
souvent spectaculaire, facilite sa suture en deux plans sans
Figure 9 a : fente bilatérale à 6 mois ; b, c : dissection sous-périostée et sous-périchondrale dans le même cas.
J.-C. Talmant et al.
dénudation osseuse et sans fistule entre les âges de 14 à
20 mois (Fig. 8g, h). Une éventuelle incision latérale pour
exploiter la souplesse de la fibromuqueuse orale par des
incisons périostées parallèles sera fermée.
Fermeture alvéolaire par
gingivopériostéoplastie et greffe osseuse
[49]
Entre 4 et 5 ans : la fente alvéolaire est fermée par gingivo-
périostéoplastie et greffe osseuse iliaque, éventuellement
préparée par expansion orthopédique. La dentition lactéale
permet d’évaluer le déficit en largeur et de rétablir la
fonction canine. L’expansion antérieure par quadhélix fixé
aux molaires lactéales rétablit en 2 à 4 mois un diamètre
intercanin maxillaire supérieur de 4 mm à la référence man-
dibulaire. La gingivopériostéoplastie reconstruit les 3 faces,
nasale, palatine et vestibulaire de la fente alvéolaire. Les
dissections à partir du collet des dents préservent les germes
protégés par l’os cortical. La gencive portée par la muqueuse
jugale ferme les fentes les plus larges et la greffe de spon-
gieux iliaque donne avec constance un bon volume osseux. En
intervenant en dentition lactéale, on bénéficie de la forma-
tion osseuse et du remodelage induits par les éruptions des
dents permanentes et d’une attache épithéliale favorable à
la symétrie des couronnes [50]. Le volume osseux reste
souvent suffisant pour traiter l’agénésie de l’incisive latérale
par implant à partir de 16 ans.
Fentes bilatérales [51]
Le protocole est strictement le même que dans les fentes
unilatérales.
Traitement primaire des fentes labio-palatines. Ses grands principes 357

Fermeture bilatérale labio-narinaire en 1 temps
à 6 mois avec fermeture vélaire
Les incisions philtrales traversent la ligne cutanéomuqueuse,
légèrement cintrées pour mieux projeter le vermillon dont
on préserve au maximum le volume : il n’y a jamais trop de
tissus dans une fente bilatérale. Les lambeaux d’avivement
des berges labiales incorporées au plancher et au vestibule
narinaire participent à la projection de la pointe du nez. Les
dissections sous-périostées et sous-périchondrales bilatéra-
les se rejoignent sur la ligne médiane (Fig. 9). Les muscles
latéraux sont suturés entre eux sur la 1/2 supérieur de la
lèvre. Puis, le philtrum est inclus entre les deux berges. La
conformation nasale par un jeu d’attelles de silicone sutu-
rées comme dans la fente unilatérale affine la columelle et
projette la pointe du nez. Au 6e/7e jour, un conformateur

Figure 10 a, b, c : fente bilatérale à 6 mois ; d, e, f : résultat de la conformation par les attelles fixées en fin d’intervention ; g, h, i :
aspect au 7e jour lors du remplacement des attelles fixées par le conformateur amovible ; j, k, l : remodelage spontané du visage à
2 ans grâce à la mise en place d’une ventilation nasale dès la première opération qui autorise l’acquisition d’une occlusion labiale.
358
narinaire amovible le remplace pour 4 mois. C’est dans la
fente bilatérale que nous avons découvert il y a 18 ans,
l’incroyable efficacité de ce protocole, immédiatement
généralisé à tous types de fentes et à tous les âges (Fig. 10).
Fermeture vélopalatine
La fermeture vélaire à 6 mois, puis celle du palais osseux à
18 mois, est la même que dans la fente unilatérale avec, au
deuxième temps, un soin extrême pour fermer absolument
toute communication entre les deux fentes en arrière du
prémaxillaire.
Les deux fentes alvéolaires sont fermées l’une après l’autre
à partir de l’âge de 4 ans, après préparation orthopédique
selon les mêmes principes que pour la fente unilatérale.
Les fentes vélopalatines
Quel qu’en soit le type anatomique et l’éventuelle forme
syndromique, la chirurgie en deux temps à 6 et 18 mois est
la même que dans les fentes labio-palatines complètes. Dans
les fentes sous-muqueuses, la disposition musculaire anormale
bénéficie de la même véloplastie intravélaire selon Sommerlad
qui répond au vœu d’embryologie expérimentale de V. Veau.
Conclusion
Une ambition fonctionnelle est à l’œuvre depuis 45 ans dans
le traitement des fentes labio-palatines. Deux générations,
prisonnières des dogmes, ont exploré des options parfois très
opposées. On peut maintenant en tirer l’enseignement.
V. Veau l’avait écrit : toutes les structures indispensables
sont présentes sur les berges de la fente, seulement défor-
mées. Le protocole qui semble le plus performant poursuit la
même logique tout au long du traitement : restaurer la lèvre,
la narine, l’arcade alvéolaire, l’occlusion dentaire, le palais,
le voile en installant une ventilation nasale dès la première
opération et en la préservant. Le nez, oublié de ces deux
générations dont on comprend mieux les subtiles fonctions et
interactions va enfin prendre la place qui lui revient : celle de
grand ordonnateur de la croissance faciale.
Déclaration de liens d’intérêts
Cet article ne bénéficie d’aucun financement. Toutes les
données qui y sont développées résultent d’une expérience
de 18 années consécutives avec le même protocole. Le
conformateur narinaire souple utilisé pendant toute cette
période a été mis au point et réalisé par l’auteur principal à
sa charge et bénévolement. Depuis mars 2016, ce conforma-
teur est fabriqué et distribué par la société SEBBIN sous la
marque Talmant.
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