Vous êtes sur la page 1sur 184

' '

LA

M USIQUE ARABE
n 69 8'41
LA

~1USIQUE ARABE
SES RAPPORTS

MUSIOUE GR~COUE ET LE CHANT GR~GORIEN

Feo S ALVADOR DANIEL

Jlisloria, quoquo motJo s<:ri pLa, placct.

A.LGER
ADOL PHE JOlJRDAN. 1,IBRAlHE- l~OITElJR
'i , PJ,ACI~ J>U GOU\'KH~C)lli:"\'I', i

1879


A SON EXCELLEN CE

)lONSIEUR LB i\íARÉUlfA.L COll'11'E HAN DOK


~n:NIS'l'lU~ l>E LA GUERRE.

Le trnvai l que je publie nujou1·d' hui a étl; cornmQnC0


lot'Squc vous présidicz aux <lcstinócs de I'Algéric. TI n pnru
cl'nbord dnns la llc~uc A(l'icai11c, journal des tra,·nux <le In
Socidlc l1islo1'1·q11c Al{Jél'ie11nc, fondéc sous les nuspiccs de
V. Ex<'. par les soins de M. Berbrugger qui la dirigo
dcpuis sa Cl'éation.
C'cst i1 la haute protcclion dont ,·ous a,·cz bien ,·oulu
m'hono1·('1' que j'ai dude pou,·oir cnlrepl'endrc el 11ours11i\'l'l'
t•ctlc élude de la musiquc indigcne; j e lui dois aussi la
posilion quej'occupe'c n Algérie.
V. J<:xc. est d u pcliL nombre des pcrson ncs cnvc1·;;
k•squcllcs la rcconnnissnncc cst facile et doucc; je \'Oud1·a is
\'OllS t(•moigncr la micnnc 11111· une O:?U\TC plus imporlunlc.
,\ussi scrai-je d'autant plus heurcux et fier, si, bien que ce
tra\'ail soil fort humblc, l'OUS dnignez l'acccplcr, ~lonsicur
le ~laréchal, ccmme témoignage de ma 1-cspcctucus<'
¡;:;rntitudc.

,\ Jgel', juin 1863.


Cctle É tude tle la ~fusique Arabc a paru dans la /lcru~
:lfrfc(line, annéc~ i 86?- I863, livraisons 31 á 39.

'
LA MUSIQUE A RABE
SES llA PPOll 'l'S

AVEC LA M USIQUE GRECQUE ET LE CHANT GREGORIEN

Hiswria, qua¡uo m~o !f.lipta, placet.

AVANT - PROPOS

I
Habitant l'.Aigérie dcpuis l'nnnée 1853, nrtiste
pat· le fait, puisqu'on est convenu a peu pres d'ap-
peler ainsi ceux qui vivent du produit d'un art,
j'ni cru pouvoir employer 1nes loisirs d'une maniere
utilc pcut-6tre, mais cert..,,incment intéressantc
potll' un musicien, en étuclia.nt la musique eles
Arnbcs.
-2-
Des l'abord, je n'y reeonnus, comme tout le
monde, qu'un affreux charivari dénué de méloclic
et de mesure. Pourtant, par l'habitude ou, si l'on
ai1ne mieux, par une sorte d'éducation de l'oreille,
il vint un jour oü je clistinguai quelque chosc qui
ressemblait a un air. J'essayai de le noter, mais je
n'y pus réussir; Ja tonalité et la. mestu·c m'óchap-
paient toujotu·s . Je percevais bien des séries de
tons et de demi-tons, mais il m'était ünpossible de
leur nssigner un point de clépart, une tonique.
D'un autre coté, si je portais mon attention sur
les tambours qui forment le seul accompagne1nent
de la musique des Arabes, la encore je distinguais
bien une sorte de rhytlune, mais ce rhythme ne
1ne paraissait avoir aucuu rapport avec celui de
l'air qu'on jouait .
Oependant, la oü je n'entenclais que clu bruit,
les Arabes trouvaient une mélodie agréable, ~i
laquelle ils m~laient souvent leurs voix; lii. oit je
ne distinguais pas de mesure, la danse me forc¡ait
U. en admettre une.
Il y avait clans cette dilférence de sensations un
probleme intéressant : j'essayai de l'approfo11d í1· .
Pour cela, je n1e liai avec les musiciens indi·
- 3-
genes , j'étudiai a.vec eux, afin d'arriver i~ me
rendre compte d'une sensation que d'autres éprou·
vaient et qui ne me touchait en rien.
1\ présent, c'est avec passion que je fais de Ja
musiquc avec les Arabes . Ce n'est plus le plaisir
de la difficulté vaincue que je cherche; je veux
prendre ma part des jouissances que la musique
des A.rabes procure 3. ceux qui Ja comprennent.
C'est qu'en effet, pour juger Ja 1uusique des
Arabcs, il faut la comprend.re; de m~me que pour
estin1ru· aleul' valeur les beautés d'une langue, il
fltut la posséder.
Or, la musique des Arabes est une musique ¡\
part, reposant stu· des lois toutcs différent.es de
cellcs qui régissent notre systcme musical; il faut
s'habituer lt lctu·s gan1mcs on plutOt it lcnrs modcs,
et cela en laissant de coté toutes nos idées de
tona lité.
Nous n'avons, a proprc1ncnt parle.t', que deux
gammcs, puisque la série des demi-tons est idcn-
tiquo dans chacuu des dcux modes, majeur et
inineur, qui different entre oux par le no111bre et
hi position eles de111i-to11s.
Les Arabos out quatorze modcs ou gamu1es,
- 4-
dans lesquels cette position eles demi-tons vnrie
de maniere aforroer quatorze moclalités différentes.
Le classeroent des sons est fait par tons et de1ni-
tons com1ne chcz nous . Jarnais je n'ai pu distiu-
guer da.ns leur musique ces intervalles de tiers
et de qunrt de ton que d'autres ont prétendu y
trouver.
Tous les rousiciens jouent a l'unisson, et il n'y
a d'autre harmonie que cellc des tambours ele
diflérentes grosseurs, que j'appelle ha1r1nonie rhyth-
1nique.
On pensera, sans doute, qu'avec une aussi
grande simplicité de moyens - une mé!odie ac-
compagnée de tambours - il ne cloit pas etre
clifilcile ele comprenclre cette musique. Un fait
expliquera commcnt il y a lit des difilcultés sé-
rieuses: les Ara.bes n'écrivent pas lelu· musique;
ils n'ont; plus nucunc espece de théorie, plus ríen
qui puisse faciliter les recherches. 1'ous chantent
ou jouent ele routine, sans savoir le plus souvent
dans quel mocle est l'air qu'ils exécutent (i).

(l) « La mémoire útait le seul 1noycn de conservation de&


rouvres musicales . Aussi, tout le passé ele cet art cst pcrdu
-- 5 -
Uctte tbéorie pcrdue, j'ai cherché a la recons-
truire. Pour cela, j'ai dft réunir un nombre consi-
dérable de cbausons, toudo'wrs éC'rites ci l'O!IJ,(lition.
J'ai puisé dans ces chansons l'explication des
quelques regles que j'a vais pu recueillir par hasard
aupres des diJférents musiciens que j'ai fréquentés.
J'ai parcouru les trois provinces de l' Algérie, tant
sur le littoral que dans l'intérieur; j'ai visité
'l'unis, qui est potu· l'Afrique, au point de vue
musical, ce que l'Italie est pour l'Europe ; de
Tuuis, j'ai été aAlcxandrie, puis en Espagne, oú
j'ai trouvé eucore daus les cha.usons populab:es les

en Oricnt. Il ne reste l'ien des co1nposiLions ancicnncs .


Combie11 d'entre elles n'ont vécu que la vie de lem'S co1n-
positem·s ! On sait seulemcnt su r quel ton, sur quclle
mesure, en que! 111ode était telle composition ; les livrcs
n'ont pn co1iscrvcr que ce souvenfr, 1ncme des meilleures
et des plus cé!Cb1·e s composilions inusicalcs. Auj ourd'hui,
nul Arabe, nul savant Arabo ne comprend ce c¡ue veulcnt
significr les anciennes désignations générales des rhytb1nes,
et mcme les termes les plus fréque1n1ncnt répétés dans ce
qni reste (!es trait.és de 111usique. J e n'ai p11 découvril' un
seul 1nusulman qui s(1t ce qu'a voul u iodiquer, pm· les
termes musicaux qu'il cite, le grand romancero ou I' Arani,
101'Squ' il spécifie les genres de composi lions 1nusicales qu'il
nomine si fréquen1111ent dans ses pages ... . • (D' PEnno:-< .
- Femmcs A1·abcs dep11is Cislamisine. Ch. XX) .
-6-
traces de la civilisation ara.be. Enfin, possesseur
d'en,riron 4.00 chansons, je suis renr.ré a. Algcr, oú
j'ai essayé de coordonner les notes recueillies un
peu partout, et de reprendre, sur des bases posi-
tives, cette étude de la musique arabe.
Cette étude, qui n'avait l)Olll' moi, a l'origiue,
qu'un but de curiosité, de plaisir satisfait, m'en
tit entrevoir par la suite un autre plus élevé.
Comparant la musique arabe avec le plain-
chant, je me demandai si ce ne serait pas une
hypothesc téméraire de supposer que cette 111u-
sir1 ue arabe actuelle était la men1e que celle qui [b
régné jusqu'au treizieme siecle, et si, par consé-
quent, avec les renseignements que nous clonnc
1'étudc de cette musique vivan te encore en Afrique
et prise stu· le fa.it, on ne potu'rait pas reconstituer
'
la inusique des premiers siecles de l'Ere cb1·étienne,
et combler ::ünsi, avec l'étude du présent, une
!acune dans le passé éle notre histoire iuusicnle.
En effet, que savons-nous del'état de la 1nusiquc
antérieurement au treizieme siccle ? l{.ien ou
presque ríen. Il y a la une !acune considérable;
et, si ma supposition de tout-it-l'heure est justitiée,
cette !acune peut ctr~ comblée .
-7-
En outre, remonter ainsi dnns le passé aurait
cet avantage de nous placer dans le vrai milieu oü
il faut étre pour apprécier une 1nusique qui, pour
nous, est en ret:ard de six ou sept siecles.
Je chercherai done it. démontrer qi¡e le préscnt,
paJ' rapport aux Arabos, correspond it ce que ce
ser::tit pour nous Ja musique antérictu·e au treizieme
siecle, et que Jn, musique arabo actuello u'est ríen
nutre chosc que le chant eles 'l'rouveres et des
i\1éncstrels. Aussi, 1110 faut-il, des le début, pré-
munir le lecteur coutrc la tendance générale chez
l'hon1me de tout rapportcr au prése nt.
En effet, qu'une chose s'éloigne, si peu que ce
soit, de ce qu'on conna!t, de ce qu'on a accepté, et
aussitOt la foule des honnctes gens va crier contrc
le novatetu· témérairc qui sou vent n'apporte en
fait de nouveauté qu'une cbose vieille de plusieurs
siecles et abandonnée pour des raisons inconnues.
Et cependant combien de bonnes choses ainsi
oubliées out été remises un jour en lumicre et out
contribué nu développement eles connaissances
huroaines !
D'un autrc coté,¡¡ Ul'rive 80uvent auss i qu'en
remontant un peu dans l'antiquité on n'a plus la
-8-
notion exacte des changements plus ou moins im-
portants qui ont eu lieu a une certaine époque ;
cependant, on en fait grand brtút, sur la foi de
cenx qui en ont parlé, sans pour cela se rendrc
bien compte de leur nature.
Je m'explique par un fait pris dans l'histoirc de
la musique.
On connatt Gui d'Arezzo comme étant l'invcn-
teur des noms des notes pour lesquels iI prit la
premiere syllabe de chacun des vers de l'hymne de
St-Jean.
Or, antérieurement a Gui d'Arezzo les lettres
arabes étaient usitées pour nommer les sons. Le
changeinent des noms ne peut pus constituer une
invention sérieuse; et si Gui d'Arezzo n'avait fait
que cela., il n'eftt certainement pas joui de la
réputation qui l'a im111ortalisé. On reconnaitra
sans peine que, basée sur un pareil fait, cette
réputation ne serait rien moins qu'usurpée, at-
tenclu que nommer la ce qui s'appelait ali{, si ce
qui s'appelait ba ou bi11i, et ainsi de suite pou~· les
autres sons, cela, dis-je, ne peut pas constituer
une invention
Qu'a done fait Gui d'Arezzo?
-9-
D a posó les bases de la musique tclle que nous
l'entenclons maintenant, ele cette musique bien
difterent~ de celle qu'on faisait autrefois, puis-

qu'elle réunit la. mélodie et l'harmonie; de cette


musique enfm que Víctor Rugo appelle avec raison
la twne de l' CIA"t.

Il

Se figu1·e·t-on l'ell'e t que produirait aujourd'hui


une des chansons organisées en harmonie par les
musiciens contemporains de Gui d'Arezzo ou de
J ean de ~íurris; ou encare l'impression que ferait
notre musique actuelle sur ces memes musiciens,
si nous les supposons assistanta une représentation
de Robert·lo-Diable ou de (}uill01Umc-Tell?
Évidemu1ent le résultat serai t le meme dans les
deux cas.
Le beau n'est-il done que pure convention?
Comment ce qui était bcau au treiiieme siecle nous
paraitra-t-il si mauvais au dix-neuvieme; tanclis
c111e notro musique produira le meme elfet sur ccux
meme a qui 01) en attribue les plus grands pro-
gres?
- ·10 -
Dcux mots résoudront cette qucstion : L'HAn t-
'l'UDE D'E)i"l'ENDRE.

O'cst en vertu d'une habitude, priso en quelquo


sortc it notre iusu, que nous admirons aujotu·d'hui
eles rouvres musicales que nous rejotions hier. En
musique, l'habitude d'entcnclre a force de loi, et en
vertu de cette loi l'exception de la veille devicnt
souvent la regle dn leudemain ('l).
Ce qu'on rccherchc surtout dans la n1usique,
c'cst la variété; la variétó implique la nouveauté,
c'cst-il-cliro lo progres. Or, tout progres suppose
clans un art un progres égal clans lo sons qui en
est frappé et par oonséqucnt uno c.xtensiou du
cerclo habitual des connaissances acquises et dos
sensations éprouvées.
:Faites passer Jcan de j\[urris et ses contempo-
rains par Ja sério eles progres qui ont signalé la

(·l) JI cst bien cntcndu que je ne parle ici q ue des form ules
mélodiqucs nouvcllcs, dont l'ol'iginalit.é prut fra¡>pcr loul
d'abot'd, mais qui onl besoin d'<!tt-c connuc s déja pour t1u'on
puissc en appréc ier le charme , ou bien des marche s bnr-
moniqucs qu'un compo sitcur cmploie souvcn t bien avnnl
que In loi q ui les 1·é git soi t ro1·1Hulé c . llo1·s ces dcux CtL5
exccplionneis, il ne pourrai l y ª'·oir qu':uiarcbie el par
consl-quent chal'i\'ari.
-11-
1nusique, et ils comprendront les be."lutés mélo-
diques et harn1oniques ele nos opóras.
'
Agissons en seos invcrse: reportons-nous a,vec
eux it ce Discant, qui résumait la seience harmo -
nique de letu· époque; oublions nos J1abitudes
acqtnses, <.'t nous jouirons avec eux de eette
harmonie improvisée qui n'est que l'enfance de
l 'art.
Appliquons ce procédé ii. la n1usique ancienne et
voyons les résultats.
Ce mcme .TC<."lll de J\ LLUTiS qui, d¡l.J1S son Speciiluni
1nusic.m, posait les lois ele la révolution musicale,
dont Gui d'Arezzo avait été le premier apotre,
ce Jeau de iíurri s qui protestait déja contrc les
innovations de ses contemporains (Sic c1ii11i
concorcliw con(undiintur cuni discorctiis, iit n1d-
latenu.s 1ina disting·uatwr ab tilia), n'eut-il pas
souri de pitié en attcndant l'unisson du Chant
Grégorien '?
l~t St-G1·égoire n'eut- il pas été bien avisé s'il eut
dit a cet orgucilleux chanoine : \ rous faites mar-
cher ensetnblc plusieu t·s roéloclies, je le ero is, mais
clans toutcs ces n1élodies vous n'avez qu'une
gamme, tandis que nous en avions huit, et nous
- 12 -
les cmployions selon que nous voulions procluirc
des cffets clifférents .
Si un philosophe grec cut pn entenclre cettc
réponse, il eut parlé ii son totu· des quatorze n1odes
de son systeme, dos trois genres cliatonique, chl'O·
ruatique et enharmonique, et de toutes ces choses
oubliées de nos jours, nlais qui faisaient alors ht
beauté, la variété de la mnsiqu~ .
Pour nous, comment pourrions-nous juger les
cffets de cette musique? I,es renseignements que
nous en avons sont obscurs et incomplets, et, en
llllmettant comme exacte la tradnction que i\Ieybo-
mius, Burette, etc... nous ont donnée de quelques-
unes ele leurs chansons, nous en avons la lcttrc,
mais non !'esprit.
Cette théorie perdue de la musiq uo des .A.ncicns,
les effets cxtraordinaires obtenus par cette u1u-
siquc, j'ai cru les retrouver dans la musique des
Arabes, et j'ai díl forcé1nent, des lors, étendre le
cadre d'abo.rcl si restreint ele mon sujct.
Je devais, autnnt que cela était en mon pouvoir,
suivrc partout les traces ele la civilisation n1au-
resque; dans ce seos, ancun pays plus que l'Es-
pagne ne pouvait m'olfrir, en dehors de l'Africtuc,
-13 -
que j'avais déjiL parcourue en grande partie, les
vestiges de ce qu'était In musique des premiers
siccles de notre ere.
L'Espagne á encore aujourd'hui cet avantage de
réunir, 1ri van te daos son présent, l'histoire ele son
magnifique passé.
Écoutez ce bruit qu'on entcncl dans les quartiers
populaires de i\ladrid.
Deux enfants parcourent les rues en chantant;
lcurs voix alternent avec les batteries du tambour.
lis chantent un cantique ele Noel, un Villancico,
cmpreint de ce caractere triste et passionné tout h
la fois, qui est le propre des cbant.5 primitifs.
Est·cc liL le chant que les Rois i\lages f.·lisaient
entendrc lorsqu'ils allaient adorer le clivin ber-
ce.'lu?
Et pourquoi uon ! N'avons-nous pas daos Ja
liturgie ron1ainc des chant.5 du memo genre et qui
doi vent nvoir la meme origine?
Ces chants que l'Espagne a pu conserver, grílce
peut-Qtre i~ la domination des Ara.bes, n'ont-ils
pas un caractere bien clistinct de ceux de notrc
musique actuelle, et qui semblc cxclure toute idée
d'harn1onie?
- 'L4 -
1[élopée poul' la chanson .
Rhythmopée pour le tambour.
Ccpendaut, si on exnmiDe ces ehansons au point
de vue de nos conoaissances aetuellcs, on ad1nire
sans cloute leur sin1plicité. inais on les tronvc·
trop simples potu· qu'elles puissent nous ofTri1· eles
ressources de quelque utilité !
i, au contrairc, on les examine en se rcportant
iL l'époque oii on les considérait eomme le l'ésultat
co1nplet eles connaissances musicales généralc1nent

acceptées, on se demande si c'était bien la la mu-
sique qui charn1ait nos peres, et si vraiment les
1\.lfarabbi, les Znidan, les Rabbi-Enoc et tnnt
cl'autres grands musiciens c1ui illustrerent le regne
des Oalifes, su.ivaient bien la tradition que les
St-Augustin, les S1r1\.n1broise, les St-Jsidore de
Séville avaient eonsorvée de la mélopóe grecque
et romnine.
La clistance qui sépare cette musique ele la notro
est si grande, les bases qui régissent les deux
systemes sont si diíférentes, qu'ils seo1blent
n'avoil' jama.is eu nucun líen qui les rattachc -
et la musique populail'e reste ensevelie clans le
chaos du passé tflndis que l'harmonie nous en-
- 15 -
traino dans le tourbillon des jouissauces atixquellos
elle nous n. habitués .
Qu'était clone la musique avant Gui d'Arezzo?
- Méloclie.
Qu'a-t-elle été clepuis? - Harmonie .
Gni d'Arezzo n'a pas inventé, ou pltttót changé,
les noms eles sons, mais il a réduit ~~ une seule
ga1ntne toutes celles qui existaient auparavant, en
basant les rapports dos sons sur la loi des réson-
nances ha.rmoniques.

rrr
On comprendra comment il est tres-difficüe
d'apprécier le ca.ractcre des ancicnnes chansons
faites, pour Ja plupart, ·des gammes abandonnées
dopuis la découverte de l'harmonie.
Rechercher ces gammes et le c.a.ractere particu-
lier achacune d'elles, tel était le prcmíer objet de
mon travail; Je second consistait a établir lo
momeo!; de l'éclosion du príncipe harmonique et
de la séparation des cleux systemes.
Je n'aí pu qu'efileurer cette question, les maté-
-16 -
riaux et les moyens ele contr6le me manquant la
plupart elu temps; roa.is je crois avoir assez frayé
Jn. route a suivre pour que el'autres, placés da.ns
de tneilleurcs con<litions, reprennent ce travail,
de maniere a indiquer Ja marche suivic da.ns
l'abanelon des diffórcntes gammes avant d'arriver
;\ l'emploi d'une seule.
En terminant, je constate les effets me1·veilleux
obtenus par les Ara.bes avec leur musiquc, cffets
qui ne sont pas sans analogie avec ceux que les
Anciens attribuaient ala leur.
Quant aux conséquences a tirer de cette étude
de la musique eles Ara.bes, elles me paraissent si
di verses que je me bornerai ainsister ele préférence
sur celle qui ressort clu foncl meme de mon sujet.
On a beaucoup écrit sur la niusiquc eles Arabes,
1nais presque toujours les jugements qu'on n portés
venaient ele personnes peu musiciennes, et dout
l'opinion n'était basée que sur un nombrcrestreint
d'auditions. Da.ns de semblables conclitions, il était
presque impossible de ne pas se trompcr.
Si l'opinion que j'émets, a mon tour, eloit avoir
quelque valeur, ce n'est pas parce que je suis
musicien comme on l'entend en Europe, mais bien
- 17-
pi11·ce c¡ne, nielé :iux 1n11:<icicns :ll':'lbcs, je prcnd!i
pnrt i~ leurs coucerts, je jone arec eux letu'S chnn-
sons, et, c1u'enfin, par suite d'une habitude acquise
a.pres plusieurs année:; de tra vail, je su is ru:ri vé ü.
co1nprcndre leur musiquo.

"-


CIIAPITHE PREi\llER

L<'s Al'nbe s ont c•1n111·unl(• aux Grccs leur sys lcmc musi-
c.11. - Oé6nilion~ de la rnusiquc chez les Anciens. -
~lusique théo,.iquc ou spécu fative ; scien cc des nombres.
- Quere lle des Pytbagoric iens et des Aryst oxéni ens. -
Les .Juifs participen! aux progri:s de l'art musical chez
tous les (lCU(lles de l'anliquité. - Musiquc J>l'nt.ique.

1
Bien que n'a.yant pns l'intention de fa ire l'his-
toire de la musique des Arabes, je suis forcé, par
l'étude 1ncme de ce sujet, de rcchercher au moin s
les rapports de leur systeme musical avcc celui
des peuples au contact desquels il a pu se 1nodificr
potu· arriver au point oü il se trouve maintcna.nt.
- 20 -
Ces rapports, nous les rencoutrons d'nborcl dnn!<
les instruments les plus usités : la Kou itt(t, elite
vulgairement gtútare de 1\1nis, dont la forme au-
tant que le nom rapp cllent la Kithc&ra des Grecs;
le Gosbah ou Dja-01t1.1k, instrwnent populaire par
excellence et qui, clans les mains d'un Arabc, rap-
pelle le joueur de tiute antique, tant par Ja forme
de l'instrum e11t dont l'orificc sert d'embonchure,
que par la position et le costume de celui qui en

.1oue.
Ces premiers indices per1netteut de croire que
si les 1\rabes connaissnient dója la n1us ique 1L l'é-
,
poque oii l'Egypte était le berceau des sciences et
des arts, leur systeme musical dut se dévc lopper
plus particulierement lorsque la dou1ination Ro-
1naine letu· a.pporta,, avec la civilisation, la 1nusi-
que grccque, qui résu1naitalors toutcs les connais-
:;ances ncqu ises.
Mais a,·ec Ja décadence de l'Empire disparut la
civilisatiou; et tand is qu'en Occident les sciences
et les arts trouvaient un refuge dans les cloitres,
Maho111et en défendit l'étudc en Orient sous les
peines les plus séveres.
Les Arabes sui virent religieusement les précep-
- ti -
tes du législatetll ' j usqu'au regne clu Cali fe 1\.li,
qui autorisa l'étude des sciences et, avec elles, la
musiqnc et la poésie. 'es successeurs encoura-
geren t cncore dnvantage le culte de la littérntut·c
et bientot les .A.rabes, 1naih·es d'unc grande partie
de la Grccc, se sou1nirent, comme avant eux les
Romains, a la loi des vaincus, pour l'étude des
sciences et des arts. lis traduisirent les ouvragcs
les plus célebres des Grees et par1ni eux ceux qui
traiu1ient de la n1usique (l).

11
Les Arabes, co1n1ne les Grecs, attachaient-ils
au mot 1nusique le sens que nous lui donnons?
11 nous suffira de rappeler les <lifferente.'> d<ifi-
nitions clonnées i\ cette science par les anciens
auteurs, potu· fairc compnindre Je caractcrc de
la ré,volution musicale accomplie par la secte des
Arystoxéniens, révolution qui eut pour résultat
d'isole1· la musique pratique et d'en 1hire une

( 1) T,n base U.u systcmc de com position et de c hn11L csl


la base du sysl.Cmc Cree, el plusicurs des tc1·mcs tcchni -
c¡ucs gr<.'<::! sont mcmc conse1·\'éS en transcri¡>lion nrnbc.
(O• PmrnoN. - Femmc.~ A1·abes clc¡mis !'Jslamisme).
- 22 -
scicnce !ipécinle pour lnquello l'oreillo ótriit,l'ccon-
uue comme le sen! juge apte 1\ déterminer les rup-
ports des sons.
Daus uu dialogue cutre .A.lcibiade et Socratc,
nous trouvons le passage suivant:
Soc.. - Quel est l'art qui réunit au jeu des ins-
tru1nents le chant et la danse?
JllC. - J e ne saurais le dli·e.
'oc. - l{~fléchis ii ce sujet.
J\.lc. - Quelles sont les di vinités qui iirósideu t
iL cct art? JJcs :\fu ses?
8oc. - Précisé1nent; maintcnant, exa1ninc qucl
110111 peut con,·enir 1L l'art auquel elles e-0ucourent

toutes .
Ale. - Oelui ele tnusiquc.
'oc. - C'est cela mcme.
Hermes définit la inusiq uc : la connaisscincc de
l'orelre eles clioses ele la nat1i1·c.
Pythagorc ense igne qnc lOt~t dans t'univors est
1wusique.
l'laton Jn, rlésignc comme le princ ipc géniJrat des
scionccs lnonaincs, et il ne craint pas d'njouter
qu'on ne pcut fairc de cbangcment dans Ja 1nusi-
,
que qui n'cn soit un dans la. constitution de l'Eta.t.
- 23 -
Les Dieux, ajoute-t-il, l'ont donnée aux ho1nn1es,
r
non·-seulement pour le plaisü· de l'ouie, n1ais en-
core pou1· étabtir e/ta?'nionie des (acultés de l' árne.
Toutes ces définitions, et d'autres encore que
nous 01nettons, démontreot assez que les Aociens
a.ttncbaient au mot musique un sens bien plus
étendu que celui qu'il a conservé parmi nous.
C'éta.it l'art auquel concouraient toutes les n1u-
ses ; c'était le principe d'oi.t l'on pouvait déduire
les rapports qui uuissaient toutes les sciences. La
musique ét.a.nt Je résultx'l.t ele l'ordre et de la régu-
la.rité dans le bruit et le mouvement, deva.it etre
étndiée co1nme príncipe générateur des di verses
sciences, pour amener a la connaissance de l'ha.r-
1nonie des choses ele Ja. nature, oit tout est mouve-
ment et bruit.
Les deux mots mus1que et harmonie cxpr1-
1nnient clone une seule et meme chose. C'était Ja
1nusique purement théorique, la musique spécu-
lati ve, donnaut la raison numérique des distances
et la connaissance du rapport des so ns entre e11.>: .
Le príncipe de Ja résonnancc eles corps sonores
développait l'arithmétique et la géon1étrie et était
appliqué ensuite i\, l'astronomie.
24
.Ainsi s'explique la définition générale de scit111ix
des nonibrcs donnée á Ja 1nusiquc ('I).
Lorsq ue Plato u écrivait sur son por tique : l oin
d'i;;i cclui q1~i ig1wra l'liarmo1iü', il u'eutendait
certainement pas parler de l'ordre successif des
sous produ its par eles voix ou par des instruments,
mais bien des rapports physiques et mathémati-
ques ele ces sons entre eux.
Ces rupports appartenaient au domain e de la
physique ou plutOt ele l'acoust.iquc, et non H. celui
ele la music¡ue dans le sens que nous attachons it
ce lllOt.
Nous retrouverous la mus1quc avec la mcme
significa.tion, alliée 11. l'arithmétique, ala géométrie
et ii l'astrouomie, dans les arts libéraux qui, sous

(1) Est-il néccssai1·e de 1·appeler ici l'anccdote si connue


des martcnux de Pytbngo rc ?
Ce ¡>hilosopbc, pnrlant de l'unité, la dcünit : le pri11ci¡1e
tic 10111~ vt'1·ité ; le nombre dcux est nppclé i9al ; le nomb1"'
trois c.~cctlcnt, parce que tout s<! diviso pnr ce nombro CL
c¡ue sa puissnncc s'étend sur l'harmonie un i1·erselle ; le nom·
brc quatrc n les memcs pt·oprictés que le nombre dcux ; le
nombre cinq reunit ce <¡ui ét.~il sépare ; il nppcllc harmo11ic
le nombre six, auquel tl~jt\ nvnnt luí on avail donné la qun-
li(ication tlc ~JOND~ : Quia m.w11l11s al ctiwn .ienarius c.v con-
lrariis s.vpc visus co11slilissc scc1uulwn /1armo11·imn.
- 25 -
ln dónomination de (Juad·rivii~1n formnient uno des
branches principales de l'enseignen1ent dans les
universités fondées it dater du IX• sieele.
·rene était la musiquc spéculative qui a1ncna
chez les Anciens le systeme des tétracordes appli-
qué ii la 1nusique pratique.
O'étai t Je systeme de P.vthagore.
En regard du physicien, du théoricieu, il fnut
placer Arystoxene, le musicien dans le sens 1no-
dcrne, qui Je prc1nier sépara la science de l'nrt,
sut établir Ja différence ele la thóoric et de Ja pra-
tique, et opéra da ns la musique des anciens u ne
révolution durable.
Exn.minons rapideme~1t les fait~ essentiels qui
avaient préparé cctte révolution .
L'histoire nous montre it !'origino de t-0us les
peuples le 1nusicien, le pocte, le chanteur et le
législateur réunis dans uno seule personne:
Orphée, A1nphion, Sitnonides et tnnt tl'autres
dictent leurs lois en musique, et nous ~itvous par
la Biblo que les 1uémes fnits se produisirent chez
les Hébreux.
Bossuct, clans son Discours sur l'.1-listoire uni-
verscllc, dit que les Jois étnient des chansons.
-- 26 -
Qn'étoiont ces chan sons sinou la t11usic1ue :ivec
le sens que nons attaehons a ce n1ot, la u111sique
pratiquc>, eont re les envahissements de laqnellc
Platon proteste déja., Jors de son importation en
Grece par les .Jnifs.
C'cst en Yain que Pythagorc a formulé uu sys-
tc1ne rigo uren x; c'est en vain que les lois s'op-
posent a ce qu'il y soit fait un changement. J~a
division éclatc entre ccux qui vottlaien t s'cn rap-
porter a la précision dn calcul et In massc bien
plus cons iclérable ele eeux qui, avec A1·ystoxcne,
admetta ient unique111ent le jngement de l'oreilla
et n'exigca icnt pas des scns hnmains une pcrfec-
tibilit:é i1np ossib le a obtcnir.
La sciss ion clevient bicnt6t uu fait acco m-
pl i.
La mns ique pratique aura bien enco re reco urs 11
la théorie pour clévelopper ses 1noyens d'action,
1nais cette théorie aura ponr arbitre supren1c l'o-
rcillc, reeonnuc désor1nais co1n1ne ju ge en dernier
resso rt ele ce qu'il f.'l uclra ac~ep ter ou de ce c¡n'il
faudra rcjeter.
A chacune sn route.
La théorie resta nt la sciencc tic:; non1brcs, la
- 27 - '
pratique sera appelée }1 éveillcr des scnsations
endormies ou lt. en faire naltre <le nou velles da11s
le cmur de ses auditetu·s.
A.vec la pretniére, s'accompliront les décou-
vertes scientifiques qui appartiennenta l'harmonic
uni vcrsellc; la secondc de1riendra la hingue di vine
du chant et de la mélodie.

III
Notons des a présent, cotnn1e un fait digne
<l'unc sérieuse attention, la participation constante
dn pcuple .T uif au progr~ de l'art n1usica.l chcz •
tous les pcuplcs de l'antiquité et j usque da.ns les
pre1niers siécles clu cbristianisme.
Les Juifs, comme les Grecs, avaient puisé a la
n1en1e source; et bien que l'auteur de la Genese
désigne J ubal fils de J,an1ech con11ne in venteur de
la n1usique - Jubal ft~it tiatci· canenti1~ni cU.hC111·a
et 01·gano - ~'tndis que les pa:tens citent Mercure
et Apollon, nous devons rappeler que ;\Io'ise, le
législateu1· hébreu, avait été élevé en Égypte, lit
1netne oú Pythagore avait étudié. D'ailletu·s, les
rapports établis entre les J uifs et les l~gyptiens,
penda.nt la longue mtptivité des preroiers, a,va.ien~ •
- 28-
dft a1nener dans les art;s cou11ne d:ins les sciences,
et tnalgré les différences de religion, les ~nc1nes
eflcts d':issilniJation constatés plus tard entre les
Grecs et les lto1nains, entre les Juifs et les Ch1·é·
tiens, entre les 1\rabes et les Espagnols.
Le principe musical, développé clans le sens
purement pratique, fut étendu chez toutes les
nations, lors de la dispersion du peuple Juif. A
l'époque de l'Jaton, un célebre mnsicien juif~
Timothée de i\lilct, fut d'abord sifilé, pu is applaudi
avec onthou sias1ne; h Ron1e, les musiciens juil's
étaiont placés au premier rang; c"est aux jnifs
qu'on emprnnta plus tard les notes rabiniques
qu'on retrouve dans les anciens recuei ls ele plain-
chaot; en:tin en Espagne, penclant la domination
ara be, on cite eles J uifs parmi les plus habilos
n1us1c1ens.
Tout cela cst corroboré par la réputation musi-
cale tlont jouissent encore les J uifs d'A.fi·ique; et
il nous faut bio11 tenü· cou1pte ele cot élé1nent qu i
nous offru'll, pour l'objet spécial ele cette étuele, do
fréquentes OCC.'ISÍOllS de rapproche1uents a établir
soi t pour les instru1nents, soit pour l'ollet pure-
ment musical.
- 2!) -

IV
Je 1ne suis éten<lu trop longuement peut·ctre
sur cette prctnicre rév olution musiCl\le qu'o n a
appelée In querelle des Pythagoriciens et des
Arystoxéniens. Cependant, j'ai cru nécessaire de
n1'arrcter sur ce point, afio de n'avoir plus it
exan1iner, des a présent, que la partie pw·e1nent
pra tiqne de la musiq ue.
ll serait ll1cile de constater un rapp roche1uent
entre les Pythago1·icieus et quelques rares lettrés
de nos jours, qui pnssent lern· vie, comme les an-
ciens philosophes, ii étudier la musique spéc ula-
tive. Pour eux, la 1nusique est encore la science
eles no111bres et ils y étuclient l'ord re et l'agence-
111ent des choses de la nature.
Boruous-nous ii signale1· ce li1it et revenons 3.
ceux qui, dnn s une position plus lnunble, 1nais
plus disposés anccepter les homu1ages du vulgaire,
ne connaissent que la partie purement pra tique
de la n1usique, les poetes, les chanteurs, de1·niers
suc cesseurs des l~ap sode s et des 'l'roubadours.
Ceux-la ne trou vent daus la mus~qu~ nutre
chose qu'u ne distraction ou une jouissance, tul
- 30 -
1nélange beureux tle cha nt et de poésie, uu ru·t
et non une science. Fidcles disciples d'Arysto-
xénes, ils ne connai ssent d'autt·e jugc que l'oreille,
et ne denutndent a In musique qnc d'expri1ner les
sentiments tout humains qu i les agitcnt .
Un hymne aIn divinité, une plaintc an1ourense,
une chanso n guerri cre, voila les expressio ns les
plus orclinaire s qu'ils en attendent ; et, sans se
préoeeuper des lois de l'aeoustique qu'ils ne con-
naisseut pas, ils chantent en s'accompagnant de
lcurs ius truments, et réunissent autour cl'eux
un no111breux nudito ire toujours ehar111é ele les
cntendre.
GHAPITRE JI

Pourc¡uoi les Eu1·opéens n'opprécicnt pas les bcautés de la


music¡ue ambo. - Les variantes, la Glose. - La 1nusic¡uc
<lu Bey de 'l'unis. - Il faut une certainc habitude, une
espccc d'éducation de l'orcillc pom· colllprcnd1·u la 1n L1-
sic¡uc nrabc. - Les A rabcs ne connaisscnt pas l'bar1nonic.
- Composition ordinairc d' un concc1t an1bc. No11b11. -
Béclwr11f'. - Caractcrc de la mélod ie ai·abe . - Les Arabos
ne connaisscnt ni les tiers oi les qual'ls de ton. - Variété
dans les tcrm in aisons.

I
Écoutez un musicien a.rabe, la. pre1niere i1npres·
sion sera toujours défuvorable. Cepenclant, on
citel'a tel chanteur comn1e ayant plus de mérite
que tel autre; les 1\.rabes accourent en foule pour
- .·39 --
cntcndrc dans une fcte un J1abilc tnusicien, alors
tncme qu'il est israélite (i); vous irez, stu· le bruit
de sa renommée, da.ns l'espoir cl'entendre une mu-
sique i1gréable, et votre goilt européen ne fera.
aucune difterence entre le chant de l'artiste indi-
gene et celui cl'un mozabite du bain maure. Peut-
Gtre meme ce dernier aura-t-il, non pas précisé-
ment le don de vous plaire, mais au moins le ta-
lent de vous etre moins désagréable.
D'oú vient done cette différence de sensation?
C'est qu'en premier lieu le principal mérite du
cluu1teur consiste clans les variantes improvisées
dont il orne la mélodie; et qu'en out.re il sera ac-
compa.gné par eles instruments a percussion pro-
dúisant it eux seuls ce que j'appelle une harmonie
1·ythinique dans laquelle les co111binaisons étran-
'
ges, les divisions clisoordantes, semblent i1111enees
it dessein en opposition avec la 111élodie.

(·!) On sait le pt·ofontl mépris que les Arabcs ¡H"ol'essent


pom· les J uifs; cependant le n1usicien le plus rech~l'ché
pou1· les fCtes cst un j ujf cl'Algcr, nommé Youssef Eni-/Jcl-
Khai·núa.
C'esl Jui qui fut appelé pour <ltrc le chef des 1nusicicns
indigencs, dans la rete mauresque donnée lors clu voyngc
de l'Empcrem· en Algérie.
- 33 -
C'est 111. uue des parties les plus intércssantcs et
les plus diOiciles a. saisir dans cetro musique, et
ce qui a fait dire a tant cl'écri vaius que les Arabes
n'avn icnt pas le sentiu1ent ele la n1esure. Et, ce-
pcuditnt, c'est le point essentiel ele leur 1nusique.
Le chanteu1· se passera volontiers d'un instru-
meut chautant - YÍ•>lon ou guitare - mais il
exige l'instrument a percussion frappant la me-
sure. 1\. son défr1ut, il s'en crééra un. Ses piecls
1narq11eront les temps forts sur le plrtncher, tan-
dis que ses mains exécutcront toutes les divisions
rbytho1iques possibles sur un morceau de bois. Il
lui faut son accompagnement rhytbmique, sa.
vraie, sn seulc harmonie.
11 sera possible des lorsiil'Européen, dédaignant
cet nccoinpugnement e11 sourcline, de distinguer
une phrase 1uélodique sou11ent tendre ou plainti ve
cotnme nccent, parfaitemeot rhythmée en elle-
mcme, et susceptible d'cb·e écrite avec notre gam-
me et accompngoée par notre harmonie, surtout
si le chnntenr a choisi une de ces 1nélodies popu-
laires clont l'étendue ne dépassc pas quatre on cinq
notes. ~íais encare fiiudra-t-il tenil' compte des
variantes, puisque la beauté ele l'cxécution consiste
3
- 3't -
dnns les enjolivemcnts itnpro,risés par chaquc 1nu-
sicicn sur un theme donnó.
Oc genre d'in1provisn tion est connu de nos jours
sous le 110111 de Glose. .
Ln Glose, selon .A.ristide Quintilien, n vfli t étó
introduite en Grece pnr 'Thi1nothée de i\Iilet, ce
chnnteur juif dont il a déjiL été question.
Ajoutons que si la réputation de ce chnntcur
fu t grande, il cut iL lutter, des le principe, contre
une vive opposition basée sur le fait rnérne de ces
enjoli ve1neuts apportés lL hL méloclie.
C'est a luí qtie l'uuteur de l'origine des rh ythu1es
fait remouter l'invention, ou an 1noins le perlcc-
tionnemcut de la poésic dithyrambique sur la-
quellc il phu;ait ses 1neilleurs enjolivements 1nusi·
caux.
l'Cll U peu, la glose étcndit SOll empire SUI' tOUS
les rbythu1es, soit qu'ellc se moclifiil.t ellc-rnéme,
ou bien, ce qui u1c pnrait plus probable, soit
qu'cllc fut devenue une habitudc, une uécessité.
Toujours est-il qu'on la retrouve daus la 11111siquc
de tous les peuples jusqu'h ce que, apparaissan t
sousle nom cleDiscant, - discantus- dans le chan t
rcligicux du dixieu1e au trcizieme siecle, elle con-
- 35 -
duit au nouveau systcme sur lequel est basée notre
musique, c'est-a-clire a l'harmonie . •
O'était la glose qui formait le principal point
de la cliscussion qui s'éleva entre les chantres
Francs et les chantres Italiens tnnndés par Ohítrle·
tnagne. Ces derniers corrigerent les nntiphonnires
et enseignerent nux Francs le chant Romain ;
« Mais quant aux sons tremblants, battus, con·

>' pés dans le chant, les Francs ne pureut jatnais


" bien les renclre, faisant plutot des chevrote-
>i 1ncuts que des roulements, lt cause de la rudesse
• nn,turelle et barbare de leur gosier » ('l).
Ces tremblemeuts, ces buttus, ces coupés, qui
faisaient l'ornement de la musique au temps du
tres·pieux roi Charlemagne, nvaient ce m6u1e ut-
tribut chez les .A.rabes et l'ont encore conser vé (2~ .

(·I) . ... .excepto CJLLOd trcmulos vel vinnulas, sive colli-


sibilcs vel secabiles voces in canlu non poterant pel'fcctc
exprimerc Franci, nalurali voce bfü·baricü frangentes in
gutture voces qu;\m potius exprimcntes.
(2) J'extrais le passage suivant du livre de Félix i\fornand,
La vie Arabc :
« Ces vers érotiqLLCS étaient psamoldiés sur un air !u-
> gubre qui, par ses cbevrotcmcnts, ses intonations lan-
• guissantes, et par l'absencc de tout rbytlnne, rappclait
-- 3() -
C'est la le principal obstacle a notre adnliration
pour cctte mnsique, n1ais encore cet obstacle est-
il Í<\Cile a ]ever.
J'ai entendu la inusiquc du Bey de 'fnnis, tlans
sa rósiclence princicre de la i\íarsa. Cettc 1nusi-
que est composée <l'uue treutaiue d'instrun1ents
de cuivre fabriqnés en Enrope, tels que pistons,
cors, trompettes, tro1nbonnes, ophicléides, eofin
tout ce qui compose une fanfare militnire. 'fous
ces instru1nents joucnt U. l'unisson sans nutre ac-
compagnen1 ent que le rhythmc inarqué par une
grosse caisse et cleux tambours ou caisscs roulan-
tes.
Avec ces instruments, les tremblements, les
battus, en un mot la Glose clevient impossiblc et
il en résulte pour les Européens un chant qui,
bien que conservant son caractere oriental, de-
vient facilement appréciable quant au rapport
des sons entre etL"I:. C'est a ~ point qu'il. Tunis
j'ai pu constater une affection bien plus prononcée

• nolrc plaincbant. C'élait une cspcce ele trémolo bl'isó et


• plnintií, allernanl, snns nucune lransition, du {Ol'IO au
• tJia110, el clonL le mouvcmcnl rnpidc étail nussi pcu en
• hannonic que possiblc nvcc cclui du cbanl. •

- 37 -
·et plus commune qu'en Algérie pour ht 1nus1que
¡u·abe, et cela an inilieu <l'une population curo-
péenne <lans laquelle les Italiens sont en tres-
grande majorité .
Le incme résultat est obtenu ¡iar suite cl'un con-
tact plus fréquet1t avec les lncligenes.
J•affirme cela d'autant plus volontiers que j'en
ai la pre.uve dans les encouragemcnts qui m'ont
été donnés en Algérie pour cette étucle de la 111u-
siquc arabe. Ces encouragen1ents, je les ai dus en
grande partie aux chefs des bureaux arabos qui,
par la ll(tt LH'C tncu1e de lcurs attributions, vi vant
¡ienclant ele longues 11nnées au 1nilieu des Indige-
nes, se sont assinlilé, au n1oins en partie, leurs
usages, leur caractere, je dirais prcsquc lcurs sco-
sa,tions .
11 nous ti1utdonc admettre nne cert.aine habibnda
cicqMise, un certain dcgré d'<icli~cation do l'oreitle,
pour comprendre le sens d'unc mélodie arabe, la
01usique clu Bey ele 1\uüs u'ét.ant qu'unc cxcep-
tion, un fh it isolé, et 111, glose régnant en 1nattresse
souveraine et a.bsolue sur tous ceux qui chantent
ou jouent cl'un inst.rument depuis Tanger jusqu'il
Alexandrie.
- 38 -
.Ajoutons que ce fi1it de la réuniou d'une mu-
sique milit.aire jouant tl. l'unisson, est asscz con-
cluant pour que nous puissions affirmcr, eles a
présent, que les Arabcs ne connaissent pas l'har-
monie (1). Il est bien évidcut que s'ils avaicnt seu-
lement l'idée de deux sons différents formant un

(1) • Avanl l'Islnmisme, In n1usique n'éLiil g\lcrc qu'unc


" psalmodie peu :unbitieuse, que variait cl brodnit ((l chan-
• teuse ou le chanleur, sclon son gotit, selon son émotion,
• sclon l'cffel que ro n \'Oulo il prodLti re . Ces l'nl'iation8 ou
• plulól ces ca¡Jriccs, ces fioritu1·es se prolongc:i icnt <\ l'i n-
• fini, SLU' une syllabe, sur un mot, sur un hémislichc, de
• tclle faQon qu'cn chanlnnl une cantilcne de deux ou lrois
• ,·c1'S sculemcnl, on en n1•nit pnrfois pou1· des bcm'(:s. C'cst
• cncore aujourd'bui In mcme n1étbode, la memo mnni«rc :
• c¡uel l'Oyagew-, quel tourist.c, en Égypte, n"a pns cntcndu
• clrnnler pendant une demi-heure et plus, saos s'o rrcter,
• a1·ec les deux seu ls mots : ya lcyly, ó ma nuit 1
• Le timbre ele In voix, sa llexibi lité, ses vibrnlions, le
.. scntiment q ui faisait sonner ou frérni1· le timbre, cli!fc-
• 1'(:nciaient le mérile Jcs chnnteuscs. La 1·il'nci1é., In gnité,
• In langucur arnom'(:USC étaienl les rcssourccs l1•s plus
• puissantcs et les plus s~res ; le ,·in el l'amour pnyaienl
• les 1>lus forts écots dnns ces anciens concerts, :\ une voix
> OU a dCUX YOix :\ l'uniSSOll . »
(/lcmmes al'abcs, at•anl l'fs/amismc. Ch. XXXI.)
Ces dcrnie1·s mots dison~ nsscz que l'bnrmonio n'l•x istn il
pns nvanl l'lslru11is1110; 1tc11.~ coi.J! á l '11nisson. Q'un11l aux
vm·inntes, elles sont probnblcmcnt aujounl'hu i c·c: qu'cllcs
c'·taicnt n.lors.
- 39 -
ensemble agréable, on pourrait le consta ter 1nieux
que partout ailleurs dans la u1usique du Bey de
Tunis, liar cela seul qu'elle est formée d'instru-
1nents européeus . l\íais, je le répete, l'har1nonie,
pour les Arabes, n'existe que clans l'aecompagne-
1nent rhyth1nique des instrumcnts ii percussion .
A 'fu nis, ce sera le role ele la grosse caisse et des
cleux ta1nbours qui eomplctent le corps de musi-
que n1ilitaire; pa1tout ailletu·s, les instrun1ents it
cordes OU ft vent joueront a l'UllÍSSOll, tandis que
le Tcvr, Ja !Jencla'ír ou tout autre instrument it per-
eussion, propre au pays, fi:appera l'acco1npagne-
n1ent rhythmique, la seule harmonie qu'ils appré-
cient.

Il
Snpposons un chanteur accornpngné cl'un ins-
trtunent a cordes : le méhinge clu chant joué uni-
formément sur l'instrument et des variantes iul·
proviséei; par le cha ntetu·, produ ira u ne confusion
que des auclitionsfréquentes pourrontseules a1noin·
dril· et eoiin clissiper.
Si l'instrument accon1pngnant est Ja Kouitllrci,
le chant reviendra en forme ele ritournelle apres
- 40 -
chnque cot1p let, avcc tous les cnjolivemcnts que
comporte le genre de cet instrument, c'est-ii-dirc,
les Jlotes répótécs, con1me su1· la u1anclolinc, et une
profusion de 11i~:.icati en sourclinc cxécutés en
for1ne de notes d'agrén1ent, par la si1nple prcssion
des doigts do la mu in gaucho sur les eordcs.
Qu'on jugo de l'effet produit, lorsqu'a la l(oui-
thrn se joindra un llebab ou un violon (Kcnicndjah )
monté de quatrc cordes accordécs presquc an dia-
pason de !'alto et néce ssitant un égal 1101n bre
d'instruments it pcrcussion, pour équilibrer les
forces d(} l'har1nonic rhyth111ique 1tvcc ccllcs d11
chnnt joué lt l'unisson par les instruments chan-
tants (J) .
Oc ne sont plus alors simplemcnt des u1ólodies
populaires qu'on cntendra, 1nnis un n1orcenu com-
plot, connu sous la clénomination de Nouua.
La ~ouba se composc <l'une introcluction en ré-
citatif sui vio d'un pre1nicr motif it un mo11vc1ncnt
n1odéré qui s'cnchainc dans 1111 second d'une allure
plus anin1 ée; puis 1•.icnt u 11 retour au pre1n icr 1110-

(1) J'opp cllc insln11ncnts chnnt nnls les instru mt•nls :i.u-
ti·cs <1ue les lambou 1·~. qui juucn l constnn 11ncnl lu chan l

el ricn <¡uc le chan l i1 l' uniss on tics ,·oix .
- !ti -
tif quelquefois sur un rhythme différent, mnis
toujours plus vif que le précéclent, et enfin une

péroraison allegro vivaco to1nbant stu· une dernicre
note en point d'org·ue, c¡ui sernble rnppeler le ré·
citntir de l'introcluction.
D'orclinaire, l'introcluetion a un accent de tris-
tcsse pluintive, de clouce mélnncolie, parihite1nent
en rapport avec le genre d'interprétation que lui
donncnt les Arabos. I>our le chanteur, c'est ün
1nélangc de voix mixte et de voix de t&te, et la
répótition de chaque phrasc en récitatif~ sur les
cordes gnLves du violon ou sur le llcbab, vient cn-
core aug1ncutcr cct eflet.
Le récitatif du chanteur cst précédé d'un pré-
ludc exócnté par les instrun1ents chantants et des-
tinó h iudiquer le modo dans lec1uel doit etre chan-
tóc la chanson.
Cette mnniere d'indiquer le ton au inoycn d'u ne
n1élodie connue de tous, réglée iL !'a.vanee, n'a-t-
clle pas l:L mcme origine que ces 1Yon1cs de la 0111-
siquc grccque, riuxquels il était défendu de rien
changer, parce qu'ils cíu·actérisaicnt chacun do
ces 1nodes spéciaux?
Chez les Arabes, ce prélutle se nomme Bcchcl'o 1:


- 1.:2 -
Le Bccllercif reproduit d'abord la gamn1e ascen-
dante et descendante du ton, ou, i<i l'on ai1ne
1nieux, du mode dans lequel on doit chantc1· ; puis
il indique les transitions par lcsquclles 011 po111Ta,
passer accidentellc1nc1i t dans uu autre 1noclc ('I),
soit par les tétracordcs se1nblables, appartenant it
cleux n1odes différents; soit par l'extension donnée
en haut ou en bas de l'échelle du mode principal
avec les notes caractéristiques de la Glose. En
ellct, la Glose n'cst pas, co1n111e on pot1rrait le
croirc, cnticren1ent so11n1isc au capricc tlcR cxé-
cutants . Elle est suhol'cfonnée ades regle~ llont il
n'cst permis /1 aucull 1nusicien ele s'écarter, s'il ne
veut qu'on luí applique le proverbe u~ité autre-
fois pour les chanteurs co1n1ne pour les poctes qui
passaient sans transition <l'un sujet iL nn nutre,
<l'un 1nocle principal h un nutre qui n'avait avec
lui nueune relation : <i Dorio acl pj¡,·ygiu1n. La
Glose est en quelque sorte incliquée dan:; le pré-
lude par les développements donnés iL la g¡1n1n1e,
non plus en conservant l'ordrc habituel des sons,

(1) Le modc indic¡w" pa1· lt• Ucchcraf co1·rcsponcl A nos


lons d intonic¡ucs el n'cxclul pas les changc1ncnls ncciclcn-
lcls.
- 43 -
mais bien en décrivcvnt eles corcles, co1nn1c discnt
les 1\.n1bcs. Ccttc expression, décrire des ccrcles,
indique qu'il faut inontcr ou dcsccndre IJar dcui·és
clisjoints : mais encore fítut-il que ces degrés dis-
joint.s appartiennent au mcmc téh-acorde. A.insi :
au licu de 1·é mi fa sol, par exemple, on fera ré fa
nii sol (a 1·é, et ainsi de suite, soit en montant,
soi t en desccndan t (1) .
Le Bochera{ indique aussi les so ns caractéristi-
ques du 1node, ceux sur lesquels on doit revenir
plus sou1rc nt et ccux clont on ne doit se servir
c1u'avec tnodération.
1'cl cst, daos son ensemble, ce préludc obligó de
tous les concerts a.rabe s; ses di visions, bien

(l) Ccttc cxprcs sion. tlécrirc des ccrcles, n fait pense r it


fJUClqucs pe1·son ncs que les Arnb~s l!n1¡1loyoient ces figures
pou1· <'cri t'C el expliq ucr leur musique. Pcu .\f. Cotcllc,
clrogmnn du Consu bt fran~ais, il Tange r, s.~,·ant oricntnlistc
el musici en cl istingu<-, me fil voir, en ·lS:iG, la trncluc tion
d' un manuscl"il arabc 1·c nfcrmnnl un ancicn u·ailé de mu-
sic¡ue, dnns lequel on ''oynil des ligure s en íorme de C('t'Clc.
En effct, les }\J·abcs se sont scr,·is aull-cíois de ccrcle s, cli-
''is(·s en un rcrtai11 nomb re de Jlarlics, scrvnnl it ind i,1uc1·
11' t"liylhnH' poéliq uc plulot que musical, sur lcquel on pou-
,·ait com1>Uscr dilfé1-cnlcs cbans ons; on pourrn il comp:u\!r
l'c111ploi de ces ccrclc s a cclui des timbres incliqués dnns
nos vau<lc vi lles pour cbanle r d¡:s couplcls sur un afr connu .
-44 -
qu'aynnt un certnin rapport nvec eelles de la 1né-
lopée des Grecs (l.ypsis, 1Jf i.ti el Pcttcya), n'ont pas
cepenclnnt tous les dé1·eloppe1nents qu'on a don-
nés au sujet représenté par chaeun· de ces trois
mots. Nous nous contenterons de notcr ces rap-
port.~, snns nous y nppcsnntir da1·anti1gc, ponr

continuer nos observations sur Ja n1éloclie enton-


née par les musiciens imméd iutement aprcs Je Be-
che111f.

III
La chanson co111mence : Ja dernicre note <lu l'l:.
citatif, prolongée sur le violon, sert de signal aux
iustru111cnts iL peroussiou, et de point de <lépart
pour l'intonation de Ja mélodie.
Qnel que soit lo mode auquel elle appnrtiennc,
le cbantc ur trnlncra la voix, en montnnt ou eu
descendant, depuis Ja dernicre note du récitatif
jusqu'it lu pre1nicre de Ja chnnso n.
Le prcmier couplet oJli·ira un chaut simple et
de peu d'étendue; hi mélodie pa1"Uitra lilcile ii sai-
sir, abstrnction fitite de l'accent g11ttun1l du chan-
teur et des combinaisons rliythmiqucs frappées
Slll' ]es instruments a percussion.
- 1¡5 -

1V1nis dqjible violon a fait sa. ritournelle en :i:iou-


tant ala mélodie les enjolivements qui constituent
la partie essenticlle de son talent, tandis que la
guitare continue inva.riablement le then1e. Puis,
le chanteur, rcprcnant le second cou1)let, com-
meuce a orner ses terminaisons, ses C.'tdeuces,
avec une série de petites notes empiétant cu haut
ou en l>as sur l'éteudue de l'échelle donuée. 11 s'a-
nime ib mesure que le sujet se développe ; bient6t,
aux petites notes, viennent se joinclrc les frag-
1nc11ts de garo1ne t ratnée, sans régularité appa-
rentc ec cependant sans alcération ele mesure,
puisquc le chaut est joué et chanté souvent aussi,
1nais toujours al'unisson par les autres musiciens,
tandis que les instruments it percussion frappent
unifor1ué1nent le rhyth1ne commencé sur le pre-
111ier couplet de la chanson.

IV
Ici cleux faits se présentent tout cl'aborcl :
t • L'absence ele la note s<Jnsible ;
2º La répétition constante d'un ou cleux sons
fonclarncntaux sur lesquels repose l'iclée mélo-
dique.
- 46 -
L'absence de la note sensible uous prouvera que
le systcme eles Arabes repose s1u· des priucipes tout
différents du notre : uotre oreille ne pou vant sup-
poser une méloclie privée de la note caractéristi-
que clu ton.
Au contraire, les notes caractéristiques de la
méloclie arabe se présenteront au troisieme ou
quatrieme <legré ele l'échelle eles sons parcourus,
le clernier étant toujours considéré comme point
ele clépart, comme tonique. Les chansons arabes
étant co1nposées el'nn granel noinbre de couplets
séparés par une ritournelle des iustrumeuts, il
clevient facile de reconnaltre le point de départ de
l'échelle eles sons parcourus.
Parta.nt de ce principe, on trouvera a.lors une
gamme dont le premier son sera pris indistincte-
ment parmi les sept dont nous nous servons, 1nais
en conservant intacte la position eles demi-tons.
Soit, par exemple, le ?'é pris pour point <.le départ,
nous aurons la gamme suivante :

ré mi fa sol la si do ré

Et, selon les clifférents points de départ, le ton ou


l)lutot le mode sera changé, iuais la position des
- 47 -
dem i-tons restera toujours fixe et invariable du
?ni au /a et du s.i au do . Au contrairc, avec notre
systcme harmonique, les clemi-tons se déplaeent
en raison cht point de départ, pour se trouver tou-
jotu's du troisieme au quatrieme <legré et du sep-
tie1ne au huitieme.
'!'elle est la coinposition la plus orclinaire des
gammes arabes, iinitées ele celles des mocles grees
et rles tons c.lu plainchant.
Des i1 présent, nous pou vous formuler le carac-
tere de la mélodie arabe de la maniere suivan . te :
UNE 31ÉLODIE DO?>T LE POP.IT DE DÉPA.R.T, PR.IS

DAXS LES SEl"l' DEGRÉS DE f,A. G.\MME, N'EXTR.AINE

PAS, PAR SUITE DE L' ABSENCE DE LA SE:'ISIBLE,


LE DltPLACEMENT DES DE~ll-TO:\S .

Enfin, en nous appuyant sur ce príncipe, nous


pourrons écrire les chansons arabes; puis, les
soumettant it un examen plus approfondi, nous
reconnaitrons que les notes fondamentales se
trouvent généralement au troisicme ecau quatrieme
degrés, selon le point de départ qui détermine la
tona.lité, et c1uc ces notes remplissent ainsi l'o:füce
des deux demi-tons de notre systeme n1usicnl.
48 -

V

Me voila bien loin de ceux qui ont prétendu


trou ver des tiers et des quarts de ton tlans la n1u·
sique des Arabcs. Cctte opinion, que je déclare
pour mon compte enticrement erronnéc, est due
sans doutc ii l'cmploi des gammes tralnées dont
je parlais plus haut. L'emploi de ces ga1ntncs est
un des mocles d'orne1nentation les plus usités, sur·
tout par les chantcurs et les violonistcs; et j'a-
vouerai sans peine que c'est llb ce qui 1ne sédu it
le 1noins dans la 1nusique arabe.
A.u cont1'.'lire, les terminaisons toujonrs \'aric.:Cs,
soit par la note supérieure ou inférieure njoutée 3.
cellcs du chant, soit par plusieurs petitcs notes it.
intervalles diffórcnts, 1nais toujours choisies da1Js
In tonalité de la chnnson, pour arri ver' h In note
tenue sur laquelle 1·eton1be l'idéc tnélodique, ces
terminaisons pour lesqucllcs les Arabcs ont un
genre tout spécial, sont une des plus jolics choses
qu'on puissc intaginer.
Rien de plus délicatcment orné .
La suppression ou l'adjonction d'une note, quel-
quefois l'interposition seulement, suflit pour don-
- 49 -
ner une autre formtlle mélodique, un accent dif-
férent, quoique bien en rapport avec !'ensemble
du sujet et qui prépare d'une fagon toujours nou·
velle, presque toujotn·s gracieuse, le repos sur la
note fondamentale.
A mestu·e que le nombre des couplets augmente,
les variantes augmentenc aussi, détruisant par
leur origina.lité, par leur forme multiple, Ja mono-
tonie qtti résulterait ele la répétition constante
d'une meme phrase, jnsqu'au moment oú deux ou
trois reprises d'uue ter1uinaison principale, íaites
.
en forme de réponse par le violon, ser~ent d'en-
chainement au seconcl motif.
Si le violon est entre les mains cl'un musicien
habile, il essaiera dans ces réponses un clisc(l/nt stu·
les eordes graves, généralement a la quarte infe-
rieure, prépru:ant ainsi le changement qui devra
se faire dans la tonalité.
Alors se reproduit le meme genre d'exécution
avec les variantes amenées progressivement jus-
qu'au retotn· au premier motif exécuté cette f'ois
sur un rhythme dilférent.
On eomprenclra comment il devient impossible
ele bien apprécier, au premier abord, cett.e mus1-
1,
- 50 -
que si peu en rapport airee nos sensations, et cou1-
1ncnt auss i nous avo ns posé cette théorie de l'ha-
bitude cl'cntcndrc ou de l'éduca tio1~ de l'oreillc,
comme Ja conclition indispensable pour apprú-
cier a S..'l valeur une musique si différente de la
notre.


CHAPITR.E lll
lllodcs des G1·c cs el ucs Aral¡cs. - 1'ons du plain-chanl.
- f,cs Arnbcs ont quatorzc modcs. - Réswné bistori-
<¡uc. - QuatJ-c modes principnux : lrak, Me;111ou111,
Ed;cil, Djo1·ka. - Cbanson foitc ¡mr les Kabyles lors de
lcur soumission, en 185i. - Qunlre ntodes secondni1-cs :
1:sai11, Saika, Mcia, Ráscl-Ed;cil.

I
Chacun des sept clcgrés ele lo. gamme pouvant
servir de point de départ pour une des gammcs
de la musiquc des Arabcs, ils auront done sept
ga1nmes ou modes dificrents. Cependant, si on
interrogc it ce sujet un n1usicien incligene, il ré-
pondra snns hésiter que lcur systeme musical en
con1pte quatorze. Dcu1andcz-lui d'cn faire l'énu-
mération et il n'arrivcra it en nommer que douzc.
- 52 -
J'ai cherché longtemps, et saus résultat, a con-
naitre les deux autres. Du reste, il m'a été im-
possible de constater l'existence de ces deux roo·
des, apres l'aoalyse que j'ai díl. faire des chaosoos
écrites par moi sous la dictée des musiciens arabes.
Je suis clone forcé de borner mon énumération
aux douze mocles dont on m'a donné les noms, et
dont ies différentes qualités s'adaptent parfaite-
roent au caractere spécial de chaque chanson .
Mais avant ele faire cette énumération, et pour
éviter les répétitions, il est utile de retracer ici
un résumé historique qui nous aiclera dans nos
appréciations.

Il
A l'époquc de l'invasion des Barbares, les arts
et les sciences trouverent un refugc dans le Chris-
tianisme. La religion nouvelle avait emprunté aux
Hébreux leurs psaumes, et atL'l: Gentils leurs chan-
sons . ~Iais l'exagération signalée par l'union des
instruments avec les voix pour l'exécution des
chants religieux, et aussi l'emploi de certains
inodes particuliers aux représentations théatrales
des Romains, appelaient uné réfor me sévere .
- 53 -
Oe fi.u·ent saint Augustin et saint Ambroise c1ui
l'entrepriJ:ent, le premier, i1 Hippone, le second,
rt 1\1ilan. Tous detL"{ firent un choix parmi les
chausons jugées dignes d'etre cha.ntées dans les
temples, et ce 'choix se porta principalement sur
celles qui appartenaient aux plus anciens modes
des G-recs.
Plus t,·trd, saint Grégoire continua cette muvrc
de réforme, nécessitée pa.r une nouvelle invasion
de ces inodes cléjil prohibés et que les Hérésiar-
ques voulaient introcluire clans le chant religieux.
1\iais, en meme temps qu'il réformait et coclifiait
ce chant, qui a conservé son notn, saint Grégoire
augmeuta, le nombre des modes, ou plutOt il a.u-
torisa leur emploi eles cleux manieres usítées au-
trefois par les G-recs, c'est-a-clíre clans les cleux
proportíons aritknitJtiquc et hc11rnioniquc (1) . Cha-
cune eles tonalités posées par les pretniers réfor-
mateuxs elevint a.insi le point ele clépart ele clcux
modes clifférents. Enfin, 011 divisa ces 1nodes en

(1) IJoct.avc cst cli'"iséc arithn1étiquemcnt, •1ua11d la


quartc cst au gra,·c et la ciu inte á l'aigu.
Dans la division banuonic¡ue, c'est le contrairc qui a licu.
- 511 -

principaux et plagnux ou supéricurs et inférieu1·s,


chacun ayant un point de dópart qui lui était. pro-
1ire, c'est-a-dire une des sept notes de la gao1me.
Dans toutes ces réfornit-s, le príncipe des deux
demi-tons placés invariablement du mi au fq, et du
si au do, avait été respectó ; il semblait qu'il df1t
l'ctre t-0ujours. i\fais, pa1· suite de l'introductio n
du systeme harmonique, l'oreille se famil iarisa,
dans la. musique moderne, avec le déplace111ent
des demi-tons subordonné nu changement de la
tonique; et, comme les tendauces de l'ancien sys·
teme subsistaient encore, il résult.'L de Ja lutto qui
s'établit alors un chant qui ne tient ii ríen, n'ap-
partient a aucune époque, et ne soutient notre
harmonie qu'a la condition de changer sa mélo-
die, de telle sorte que les ~'.lusicieus ne l'acceptent
pns co1nme 1nusique et que nous don to ns que saint
Grégoire pftt jamais le reeonnaitre s'il revenait
.
parm1 no11s.
Cette étude pourra-t-elle venir en aide ii ceux
qui désirent ramener le plain-chant dans la voie
dont il n'aurait pas du s'écartcr? C'est un peu
dans ce but que je placerai ici les différents modes
des A1·abes en regard ele:; tnodcs Grecs et des tons
55 -
du plaiu-ch.ant qui y correspondaicnt, heureux si
je peux ainsi 'apporter roa pierre dans unereuvrede
restauration recoLnmandable i.i tous les points de
vuc.

III

Exa1ninons d'aborcl les quatre modes principaux


les plus usités :

1° Le mocle J?·alG, correspondant au tuode Doi·ien


des Grecs et au vroniiet ton du plain-chaut nyant
pour base le ré.
Il est sérieux et grave, ¡n·opre pour cha.ntcr la
guerre et la religíon.
l:'resque tous les chants du rite Hanefi sont sur
ce n1odc. On en trouvera un exemple dans l'espccc
de chant religíetL"l: dont les prcmicres ¡)aroles
sont : /1 llah ya rabbi sicti. 11 y a dans ce chan t
une expression mélodique que ne désavouerai t
pas un compositeur moderne.

2• Le mode 1lfez11iow1n, corresponclant au 1node


Ly,lien des Grecs, et au troisii:ino Ion du plain-
chant ayant pour base In 1ni.
-5 6-
n est triste, pathétique, efféminó et entraine it
la mollesse (1).
Platon avait bau1li lo mode lydien ele la répu-
blique.
C'est sur oc 1node que se joue la clanse connue
aConstantine sous le nom de Chabati, dansc lente
et voluptueuse dout le mouvemeut se concentre
dans les torsions de la taille.
Sur ce mode aussi, se chantent presque toutes
les chansons d'amour, parmi lesquelles je eiterai
ceUe bien connue qui commence ainsi : 1lfácla d;je-
ridj . Notons aussi la ebanson f.1ite par les fcm1nes
de Bou-Sacla en l'honneur clu bureau arabo : El·
/Jiro ya 1n léh.
Dans le ¡)lain-chant, le trois icmc ton a. con-
servé ce meme caractere, mais son enlploi dovient
plus ra1·c de jour en jotu·. On s'en sert cncorc
dans quclques clioccscs pou1· les Jitanies de la
Vierge.

3° Le 1node Eclzeil, cor1·espondant au 1nocle

(1) J 'ni rcu·ou1·(: prcsquc conslnnuncnl ce mode en Es-


pagne Jans les cbnnsons populaircs.
- 57-
.
Phrygien eles Grecs, et au cinquiemc ton clu plain-
chant ayant pour baso le fa .
Ardcnt, fier, impétueux, tc1·rible, il est propre
u cxcit-0r aux combats. Son emploi est presquc
spécialcmcnt alfecté nux instruments de musique
miJitairc (1).
• Thin1othée exeitait les fureurs d'Alexanclre
» par le mocle Phrygien, et les calma.it par le
» mode Lydien » (Rousseau).
O'est principalement chez les tribus guerrieres
de l'Algérie qu'on reneontre le mode Edzeil. Les
I{:abyles l'emploient fi·équemment, ce qui explique
leur üsage presque exclusif des instruments 1t ven t .
Citons plus particulierement la danso des
Zou.aoua, dont le caractere eorrespond bien al'idée
qu'on se fait ele cettc tribu vaillante qui a donné
son nom aux zouavcs.

(•l) On alll'ibltC ú ce modo la qualificalion de Diabolus in


111usica qui npparlc nait 1·écllcmcnL au modc Asbci11.
Le modo Asbcin n'étail pns employé dans le cbnnl gré-
go1·ien . La du1'Clé du mode Ed::eil, pro"cn nnl du lrilon qui
en íormc la bnse (fa-sol-la·si1, lui a fait donner ii lort une
qunlification c1ui n'cst applicablc qu'nu 111odc Asbei11, ainsi
que le prouvc la légcndc que je cilc et c¡u'on peut constn ler
dans fa da11Je1lu Ujin11 ( Voir le cha¡lilrc VI).
- 58 -
.
La cha.nson que les Kabyles firent sur le tnaré·
chal Bugcaud a le mcme cachet fier et sauvagc
qu'on retrouvc jusquc daos quelqucs chaosons
a1nollreuses, tclles que cclle de . Sicli A·lclw . Il
scmble, en effet, que ce soit HL le seul modc dont
l'empJoi couvienne a un peupJc qui se vantait
d'avoir toujours été libre et ne s'est souniis que
réce1nmeot it Ja domioation fran~ise.
Une autre chan&on qu'iJs firent lors de Ja con-
quétc de la Kabylie par ~l . le maréchal Raudon,
en 1857, me parait digne d'etrc citée en entier.
La voici telle qu'elle a été traduitc par l\'l. Féraud,
interprete ele Ja division de Constantine :

Le ~larécbnlallant combn ttre t1 fai L nrborc r son étendarcl ;


Les soldnts c¡ui le sui,·cot, muois de toutes armes , sont
babitu és ll. la guerre ;
lnfortunés Kabyles qui n'ont pas écouté les conscils ; ils
vont ctrc nsservis !
Les Ait-lr ntcn, surtou t, éta.ienl p1'1i,·enus dcriuis long·
lClll]lS ;
Le Knbyle n'nvai t obéi ni ti l' Asabe ni nu Turc;
~Inis le Roum i, guerri er puissa ot, vient s'étab lir dnns son
pays ;
JI y constr uil le fott du Sultan ; c'cst 111 qu' il babite ra.
Ail l'Hass en a l!té enlevé de force ;
Tnnl mieux pour tui, cnr les enfonL~ de Paris font tou-
jours ce qu'ils p1·omctt cnt;
- 5!) -
L'étcndnl'd des ¡;én(>ra ux (·blouit cl'éclnt ;
Tous mal'c hcnt ]Jour une m~mc causo el vcrs un mcmc
but ;
Chacun <l'cux 1>ort.c les insigne s du ¡¡rnde sur les épau les;
Les Zouaoua ''nincus se sonl sournis ;
Les colonnc s étaicnt campéc s sous Zibcrt.
IA) canon tononit,
l..<'S fcmmc s mourai ent d'(•¡>Ou\'anlc;
Les cbrétic ns . ornés de décornt ions, nnticn l ceint lcurs
sabl'cS ;
Et lorsque le s ig nnl a él(· donné, cbacun a couru nu com-
bat;
~fczian a élé rasé jusqu'n ux fondations ;
Que ceux qui compre nncnt rélléchisscnt (1) .

.Je n'ai pu résister au plai~ir de eiter ces strophcs


dont l'énergiquc ualvcté té1noignc, mieux que ne
pourra ient le faire de longs discon1·R, de ce' qu'cst
dcvruu cct esprit d'indépendancc si célébré des
1nontagnards d 11 Ju1jura.
Je reprends, mai ntenant, 1non travail musica,l
au point oü je l'ni lnis é pour faire cette citation
toute exccptionnellc, puisqu'cllc ne peut avoir,
au point de vue 0(1je 1nc suis pln.cé, qu'un in térét
sccondaire.

{I ) \ '. sm· ce chnnl, le '!• \'Olumc de la l!ct·uc .l{ricai nc


( lSji-1 85$). p. 331, 1 16 ctaOO.
- 60-
ti• Le mode Djorka) corresponclant au moue
Eolion eles Grecs (quek1ues auteurs disent Lydien
grave), et au scptieme ton clu plain-chant ayant
l)our base le sol.
üe mode est grave et sévere ; il semble résumer
en lui les qualités de deux des précédents (Irak
et Edzeil), dont on a quelquefois de la peine a le
distin guer.
Dans le plaiD-chant, on confond jourDeUement
le eiDqu ieme ton avec le septieme, quant aux rap·
ports eles intervalles.
Rousseau, parlant de son origine, dit que son
nom vient de l'Éolie, contrée ele l'.Asie ~íineurc,
oü il fut prilnitivemeut employé .
U'cst du mode Éolien que Burettc a traduit eD
notes l'hynvnc a 1Véniésis.
On retrouve ce moele pnrtout dans la musique
ara.be, oit il exprim e les seDtiments les plus clive1~.
Sévcre dans les march es militaires ele la musique
de 'f u nis, marches qu'on croirait basécs sur noti·c
systeme harmonique, n'était l'absencc de la sen-
sible (fa naturel}; triste avce celui qui chante :
Ya tcslam he~ hcclabi, tendre et plaintif dttns l' Ania-
t·oua de Tizi-Ouzou et dans la chanson des Bcni·ilb-


- 6'1 -
bes, tnndis qu'i\ Constantine il accompagne la
clanse voluptueuse du Chabatt, en cbaota ot 1hn
o-

kl"a ou lid t; il satu-a encore donner une grl


lce na!ve
-
au Guifsarta des Kabyles, et son intluence s'éten
dl'a jusqu'au cbant du rrvtwcldin qu i appelle
a la
pricre les fidcles croyants .
En vaio, je vouclrais clonner une iclée clu cbarme
;
que les .1\.rabes trouvent dans l'usage de ce mo cle
en vain, je citernis les chanso ns avec Jeurs diffé-
ronts caracteres. Protée 1nLtsical, le modo Djol'ka
s,
revct toutes les formes, prencl toutes les allure
li·
Je ne saw-ais mieux le faü·e apprécier qu'en ini
quant son emploi dans le plain-chant pour toutes
les fetes solenn ell es.

IV

Les quatre modes suivants ont, avec les pre-


miers, une ressemblance due, tan t a la. reprod uc
-
e
tion des tétracordcs qu'il. la di vision arithmétiqu
s
sw· laquclle ils son t basés . Ce sont les c1ua tre ton
in fél'ieurs clu plain- chant. Les voici dans le
mcme
orclre que les précédents :

5° Le mocle L'sa1in, correspoodan t au mocle!l¡¡per-


- 6'2 -
doricn des Grecs, et au dcua:iinnc 1011 clu plain-
chant ayant pour base le la.
11 en1prunt.e quelquefois la gravité l'eligieuse du
n1ocle Irak, con1n1e dans le Gam1na~·a de 1' unis,
ou encore dans cettc l'laintive chansou qui cou1-
1neuce aiusi : A1ni sebbali el a/ibab.
C'est sm· ce mode que les Ka by les chantent la
chanson de Sébastopol, qu'ils appellent Stamboul.
L'emploi de ce mode tient ib ce que cette chanson,
1nalgré son titre, n'n rien de guerrier. C'est la
plainte d'un jeune guerrier que l'amotu· cmpGche
d'aller défeudre l'étendard du Prophete.
L'emploi ii·éc1uent de ce mode chez les i\Iaurcs
· et les Arabes a fait dire que presque toutes leurs
chansons étaient en mode inineur (1). Ce serait, en
effet, la reproduction ele notre gam1ne nlineure
s' il y avait une note sensible, mais le chant arabe
ramcne obstinément le sol natuTel dans le mode
L'saln .

6° Le mode Satlca, correspondantau mode llypci·-

(1) Voir la chansoo mnurcsciuc el' Algcr, intitu léc Clwbbot1-


cltcbba11 . gravéc avec un 11ccompagne1nent de pinno qui rc-
p1·oduit le 1·bythn1edcs tambours. (Chcz Ricbau lt, édilcur
de musique, boulcva1·d Poissorúcrc).
- 63 -
Lyctien des Grecs et au qita/!riemc ton du plain-
chant ayant potu· base le si.
Son emploi est trcs-rare et aussi son carnctcre
mal défini. On le confond assez souvent nvec le
mode 11/e;n1ou11~ dont il déri ve.

7° Le mode Mela, correspondantnu mode llypc r·


P/1.1·ygicn des Grecs, et au sia;iilme ton du plain-
1,hnnt ayant pour bnse le clo.
Selon Plutarque, ce mode est propre a tempé-
t·cr la véhémencc du Phrygicn . En elfet, bien
qu'il participe du 1uode Ed;cit dont il n quelque-
fois la férocité, il conserve un caractcre de gran-
dcnr et de majestó, memo chez les J(abyles, qui
l'emploient dnns quclques-unes de leurs chan-
sons populnires. Et ou mou11na ou lascciA· que chnn-
tcnt les fe1nmes pour encou ragcr les gucrriers nu
combat, et la chanson des Bcni-Mansour sont dans
ce tuode.
Dans le plain-chant, le cinquieme et le sixic1ne
tons semblent aujo1u·d'hui n'cn formcr qu'un scul.
Il sernit curieux de rechcrcher par quellcs gr::t-
dations on a successi vement abandonné toutes ces
gnmn1cs, usitées alors da ns la musiq ue profrtne
- 64 -
coLume dnns la 1nusique sacrée, pour ne conscrver,
dans la premicre, que la gamme du sixieme ton
du plain-chant.
C'cst a ce point de vue qu'il serait bon d'étu-
dier surtout ht 1nusiquc des Espagnols, non pns
celle des 15• et '16" siecles, comme on l'o. fa it déjit,
1uais bien celle des chansons populaires. Do.ns ces
chansons, oü l'on reconnait facilemcnt le carac-
tere arabe impri1ué par sept sieclcs de do1nination,
dans ces Carnas Jaca;ras, etc., doit se trouver Ja
t111nsition du príncipe ancien au príncipe nou-
veau, le germe de la révolution musicale qui
donna naissance 3. l'harmonie, révolution dont
Gui d'..ilrezzo fut le pren1 ier apotre.
J'essaierai, en parlant des instrttments, de don-
ner quelques indications sur ce sujet (voir le cha-
pitre suivant).

8° Le mocle Jlasd-Ecl::oil, correspondant au modc


lfype1·-müi;olydicn des Grecs, et au ltuitienie ton du
plain -chant ayant potu· base le ?'d, octave clu pre-
.
mtet'.
Ce mocle offre un mélangc singulier, un réstuné
des autrcs et principalement du mode Ed:c il, au-
- 65 -
prc
quel il clo nn c un e tcinte lugubre. On le dit pro
aux méditations sublimes et divines.
-
Les chansons écrites dans ce mode ne se dis
que
tinguent ele celles du premicr et <lu tro isien1e
serait
par les terminaiso ns et des déto.ils qu'il
bcaucoup trop long cl'é numérer ici.
des
Tels sont, en son1me, les huit pre1niers mo
acuue
de la musiq ue arabe . Tous sont bnsés s1u· ch
nt des
des scpt notes de la gamme, snns déplacen1e
dcmi-tons.
CJ-IAPI'l'RE IV

Tétrncordc cL hexacordo. - I nsLrumcnts usité s chcz les


Héb1-cux, chez les G1·ccs, ehcz les Arabes, et qui scr-
\'Cnl cnco rc il rcxéc ution de In musiquc pop11lai rc en Es-
¡1ngno. - Gosba . - 1'aar et JJo¡: - Ka1101111, baqic de
Dn"i d. - Djaouak. J,(:gende, lhilc a scpl lrous . - Raila
el Gaila . - A taba/., Alambor, Dcrbouka . - Yiolon ou
Kcmcndjah, /lcbab. - Ko11il1'(1. - Les nnciens n'ont pas
conn u les prop rielé s de l'octa\'e. - Cons onna nccs de
tie1-cc et de s ixle. - Bocee . - St-Grégoil'e. - Gui
d' A1·ezzo pose les bases d'uno gamm c uniqu e el réuniL
dans son S)Slcmc d'hcx aco1'11cs les p1-cmie rs clémenls
tl'oil doit j uillir le nouv cnu princ ipc 111usicnl, l'hn1· moni o.
- Ln guitat·c moderno ; fusio 11 des deux systc mcs.

I
Je vais chercher 1nai nten11nt ií expliquer conl·
iuent le principe mus ical ancien, basé sur le sys-
teme des tétracorclcs, pns~:i au systen1e des hexa-
- 67 -
cordes avant d'arriver a celui de !'octave qui le
régit a présent.
Dans ce sens, !'examen des différents instru-
meuts usités chez les A.rabes nous sera d'un grand
secours, puisque nous y trou verons la classifica-
tion des sons réduite dans quelques-uns a un seul
tétracorde se suffisant a lui-meme, développée
da.ns cl'autres jusqu'a une étendue de trois octa-
ves et trois notes, éteudue qui clevait etre la ] j.
n1ite extrt\me des sons appréciables produits par
des instruments aussi imparfaits.
Quelque hésitation qu'on ait d'ailleurs a adrnet-
tre un systeme musical régi par le tétracorde ou
me1ne par l'hexacorde, il nous faudra bien en re-
connaitre l'existence daos la flute iL trois trous
donnant quatre so ns seulemcnt, un tét1·acordc;
daos la guitare ~tccorclée par quartes, puis par
quartes et sixtes; enfin, dans le rebab, ce violon
priroitif qui, a la position ordinaire, n'a qu'une
étenclue de six notes, un hexacorde.
D'nn autre c6té, si on admet l'influeuce des
Ara.bes en Europe, notarou1ent depuis le huitieme
jusqu'au quatorzicme siecle, infiuence qu'on ne
saurait mettre en cloute a l'égarcl de la littérattu·e
- 68 -
tant dans le micli de Ja France qu'eu Espngne et
en Italie, il uous sera permis de croirc que cctte
infiuence dut se porter aussi sur la musiquc qui,
avcc la poésie, forLnait In. partie esscntiel lc de la
Gaye-scicnce, la sciencc des 'rrouveres et des ~Ié­
nestrels.
C'est la, a nos yeux, le c0té important de cette
étude, puisqu'on peut en tirer des renseignements
curieux etintéressants pour une période presqu'in-
counue de l'histoire de la musique.

II
« Des tambours et des flutes de la plus grossicre
• espece fureut trouvés nu milieu des iles les
» 1noins penplées, et l'on peut prouver par des
» exc1nplcs 1n1iltipl iés IL l'infini que hL n1usique

» cst absolument la m&me chez tous les peuples


» bnrbares. »

Aiusi s'expriLne ill. .Fétis dans sa traductiou


de l' /fistoite de la niusique par t.'lfford.
Une fiflte et un tambour résument aussi l'or-
chestre populaire des 1\.rabes; ces deux instru-
ments sont en générnl, sinon de la plus grossiere
espece, au moins essentiellement primitifs .
- 69 -
Un roscau percé de trois trous forme la ftílte
non1mée Gosba.
Une pea.u séchée tcndue sur un cercle de bois
en forn1c de tambour de base¡ ue et voila le T(J//T.
ciuelqucfois, ce tambonr affccte la forme carrée,
principalen1ent chez les tribus errantes du Sallara.
On l'nppelle alors /Jo(.
Joignons a ces de\Lx instru1nents un chnnteur,
et nous atu·ons la music¡ue ara.be telle qu'on l'en-
tend Je plus orclinairement.
L:i llíl.te lt trois trous donnc c¡untre sons 0 11
con1pt;1nt celui qui se lili t snns le secours eles
doigts, c'est-a-dire en Jaissnnt les trois trous ou-
verts. C'est l'instrument chantnnt chargé de sou-
tenir Ja voix clu chnnteur en jouant constamment
le tcxtedc la chanson. Dans les ritournelles, entre
chaque couplet, les variantes consistent en es-
peccs de trilles imitant les sons tremblés, puis
dans la répétition du chnnt en sons plus aigus,
obtenus par la prcssion des levres Slll' le bout du
roseau, clont l'orifice sert cl'e1nbouchurc, et enfin
dans le iuéla.nge ele ces dcux différentcs sonorités.
Les dimensions du G·osbrt sont a peu pres les
1nc111cs c¡ ue celles de notro grande ftftte.
- 70 -
Notons des ii présent ce fait que le chang ement
des sons graves aux sons aigus s'opcre, non pas a
une octave de différence, mais bien il. une quinte,
ainsi que cela a lieu avec le fifre des bateleurs
provenc¡aux ou avec la finte it bec des musiciens
ele certaines provinces ele l'Espagne. C.:epenelant la
mélodie chantée et jouée ne dépasse jamais l'éten-
due du tétracorde, si ce n'est dans les enjoli vc-
ments dont je viens ele parlcr.
L'acco mpagn ement est fait ¡)ar le t;a1nbour dont
le rhythme, toujon rs úgal, régularise celui de la
chanson, en mcme ten1ps que son timbre voilé
scmble luí faire une es¡)cCC de basse continue.
Nous 1royo ns clans la bible qu'li l'occasion du
passage ele la 1ner l{ouge, Mo1se et les enfants
d'Israel chantcrent un hy1nne d'action de gruces .
Marian1, la p1·ophétesse, sceur d'Aa.ron, prit en
1nain un tambourin, to(, et toutes les femmcs la
sui virent en dansant (1).

( 1) Le cbanteu1· qui le premic1· s'acq1ül le plus de renom-


méc npres l'install ation de l'islami smc, ful un ap¡>cl<l
Townis (il étail a ll(édine), csclnvc d' Arwn, mere du troi-
sicmc knlife Othm;1n (Osmt\n), fils d'Atran. A1·wa affmncbiL
Towais. Ce ful lui qui in\'~nla le lambou1· de basquc can'é
(Ft111111u Arabcs cltpuis l'islamismc, cb. XXI).
- 71 -
Le to( des Hébreux ou do( des Arabes, avec la
forme carrée, existe encore en Espagne, oi1 il
joue le 1ncme r6le sous le notn de a<tu(. La, commc
cu A.frique, il n1arque le rhythme des vieillcs
chansons populaires dont l'étenduc n'excede pas
quatre notes.

m
A propos du tof des Hébreux, on objectera, sans
<lout.c, la lta1·pc de David et les quatre millo chan-
tcurs de Salomon . ' ' oyons, des h présent, ce
qu'était cctte harpe; cela nous conduira di1·ectc-
ment a I'cxamen du systeme DHtSical (l) des An-
ciens arri vé ason plus grand dé1•eloppcmcn t qunn t
uu 1101nbrc des sons appréciables avcc leurs ins-
truments.
On se ferait une étrangc idéc de la harpe de
David, si on se la figura it semblable a celle qu'on
en1ploic de nos jours . Une chose ccpendant fi1 it
croire a de grandes dimcnsions pour cet instru-
n1ent . On parle de soixa-nte-q1ünze cordes .

(1) Il est bien entendu que j'np¡>ellc systemc l'ensemble


des sons classés á cclle ópoque, depuis le plus grave jus-
c¡u'au p lus 11 igu .
- 72 -
Or, la. harpe do soi.'l:ante-qu inze cordes cst en-
core en uso.ge chez les Arabes, priocipalement i:t.
Tunis et ll Alexandrie. On l'appelait chez les Hé-
breux Kin nor ; ehez les Arabos son nom est ka-

no1~1~ ou 9anou1i. Les Grecs a.vaient un instrument
semblablc nommé kynni1·a.
Cett.e harpe se pose sur les genoux de l'instru-
1nentisto, et, malgré ses soi.'l:ante·quinze cordes,
elle n'est guere plus grande ni plus lourde qu'une
guitare. Les corcles n'ont pas plus de 80 ou 90
centi1nctres clans letu· plus grande Jongueur. Elles
sont tendues horizontalement stu· une boite har-
monique en bois d'érable recou1 erte d'une peau
1

sécbée comme cclle d'un t.'lmbour. Cettc boitc


hartnonique a In forme d'un triangle aigu. On
pince les cordes aq moyen de petites balcines ou
ele becs clo plumes fL'l:éS a l'inclex et au médius do
chaque 111ain par eles anneaux (1).
Les seuls eojo livements que comporte la nature

(1) Ceu e barpo pcrreclionnée dcvint plus tard le ¡wly -



plecln1m, don l on allri buc l'in\· enlion il Glti d' A1-czzo. C'es l
la, In promicro formo do l'épinctLo, pour nrrivcr ¡\ nolr
c
piano. ·

- ¡3 -
du lu11noun sont eles gammes ascenclantes et des-
cendantes exécutées en faisant glisser rapidement
les becs ele plume sur les corcles, et cela toujouxs
en se sou1nettant au rhyth1ne de la chanson mar-
qué par un instrumenta percussion.
I~es deux doigts de chaque main cmployés pour
pincer les cordes ponrraient fajre supposer une
suite de sons si1uultanés procluisant l'harmonie;
il n'en est rien. Le joue1u· ele luvnoi¿n se sert de
l'inclex ele chaque main dans les passages rapides
et elans les gan1mes glissées; l'em¡>loi des quatre
cloigts n'a lieu ctue pour l'exécutiou des notes ré-
pétées, genre d'enjolivement dont j'ai déjit parlé
au sujet de Ja kouitra. Le kanoun joue le mcme
role que la kouitr(t dans les concerts ara bes.
Q,uant aux soixa.nte-quinze cordes, elles sont
accordées par /.rois (t l'1tnisson, ce qui réduit a
vingt-cinq le no1nbrc eles sons formant l'étendue du
syste1nc basé swr le tétracorde. Encore, arri ve-t-il
souvcnt que les musiciens négligent de mettre les
cordes extremes clont l'emploi est tres-rarc. Alors
l'étenelue elu kanoun est seulcmcnt de trois octaves,
co1uportant soia;ante-süv cordes, par suite de la
suppression eles trois sons les plus aigus.
-l
- 11 -
J,e mocle cl'accord est conforme au premier ton
du plain-chant. La cord e Ja plus grave donne le
ro et les sons se succeclent dans l'ordre naturel :
re-1ni-/a-sol-la -si.-clo-ré, etc.
J\. 11ec soixante-s ix cordes, l'étendue est de trois
oeta1·es, de 1·é a 1·é.
Avec soixante-quinr,e cordes, elle est de trois
octü ves et trois notes, de 1·é a sol, liniitc c.z·tríhnc
des sons appréciablcs swr des instirunients au.tsi i11i-
11arfaits.

Revenons au tétracorde.
Les chansons populaires les plus anciennes,
avons-nous dit, sont rcnfermées dans les quatrc
sons de la fl.tUc ci troi.s 11·ous . Le tétracorde se suf-
fit a}ui-tnéme, et CC n'est que clans quelqueS en-
joJívements qu'o n enten<l une cinquíe1n e note
glísscr rapidemeot.
Comment le systeme des sons s'cst-íl dé1relop-
pé pour attci nch·e trois octn.ves, que nous savo ns
étre l'étendue du kanoun?
L'adjonction cl'une cor,Ie en haut ou en bas s'ex-
plique llicilement potu· ht lyre . l'our la flüte, au
- 75 -
contraire, il n'y a pas de tn1nsition entre l'emploi
de la flute il. trois trous, formnnt un tétracorde, et
celui de la flí'ite a six trous, clonnant la réunio11
de doux tétracordes conjoints .
.Je n'ai recueilli, a ce sujet, tl'autres renseigne-
ments qu'une légende. La voici :

illoha1n1ned était un des plus célebres musiciens


de Constantine; on l'appelait iL prendre part iL
toutcs les fetes, cl'oü il revenait toujouxs comblé
de pr6sen ts .
Cependant ilioham1necl étnit triste. Quelle pou-
vilit etre la cause de sa tristesse? Hélas ! son fils,
qui promettait d'hériter de son talent et de sa ré-
putation, ótait mort peu de temps apres son ma-
riage, et le vieux musicien ne cessait de deman-
der au Prophete de le Jaisser vivre assez long-
temps pour qu'il put transn1ettre ses connaissan-
ces musicales a son petit-fils, deruier rejeton de
sa race.
L'enfant qui se nommait Abmed, manifesta. de
bonne heure un gout prononcé pour la musiquc ;
bientot, le vieillard lui ayant confectionn é une
fh1to dont la grandeur était appropriée a ses pe-
- 76 -
tites tnains put l'emmcner avec luí dans les fetos,
oü chacun le félicitait sur le talent précocc de son
petit-fils, et l'assurait qu'il parvíendrait ii l'égaler.
Un jour que l'enlan t ótnit resté seul ala maison,
l\1oluunmecl fut fot·t étonné, en revcnant chcz
lui, d'entenclre uno musique qui semblait procluite
par deux iustrumcnts . Pensant que quelque musi-
cien étranger étaít vetHLle voír, il press..'l. le pas,
1nais, cu pénétrant dans la CO lU', il ne vit que son
fils qui, ne l'ayant pas entendu venir, continuait
h joucr de la flflte, et produisait lt luí seul, cet
ensemble de so os tout nou vean.
J}enfant, ayant introdait l'e2..'irémitó de ~a pe-
tite th1te dans celle de son grand-pere, avait ob-
tcnu une étendue de sons jusque-Iit ínconnue sur
cct instrumeut. Et co1nu10 i\1ohammed le question·
nait au sujet ele sa découverte, .il réponclit sin1ple-
ment qu'il avait voulu que sa voi::c suivit ccllc ele
son alct,l.
En effet, les sons de la petite flftte sui vaient
graduellemeut ceux de la grande, ou, pour n1ieux
nous exprimer, eomplétaien t presque !'octave,
dont la grande Rute no don nait que les preuuers
sons, les plus graves.
- 77 -
Les 1n11rabouts, appelés 1L se prononcer sul' ce
fait extraordinail'e, en concltu·ent que le Prop hcte
avait voulu indiquer que l'enfaut continuerait Ja
l'éputation du noo1 de son a:ieul et 1núme la su rp<LS-
serait. C'est a cause de cela qu'on nomma cette
nou velle Jl(Ue djao1iak, c'est-iL-dire ce qtú s¡¿if.

])'apres cette légende, nous considérerons con1n1e


dntan t de l'ere 1nusulmane Ja flftte pcrcée de six
trous et donnant, par conséquent, sept sons. Le
cljaouak usité aujourcl'hui plus particulierement
par les i\Iaures, est percé ele sept trous et donne
!'octave complete. ll est rare cependant que les
chansons jouées sur cet instruLuent clépassent une
étcndue de six on sept sons; !'octave u'est pres-
que jamais e1nployée si ce n'est dans les enjoli ve-
u1ents.
Quelquefoi , on rencontre aussi le gosba, gl'aode
11C1te percée de cinq ou six tl'ous, donnant, par
conséc¡uent, l'hexacorde au moins.
Rapp elons, a ce sujet, que les Grccs avaient
des fHltes de ditférentes espcces })Ou1· les dilfél'ents
modes, et que les auteLn·s parle nt souvent de la
Jlúte iL trois trous. La. i'lílte clouble 6tant la réu-
- 78 -
nion de deux fh'.ltes appartenant a l'un des 1noeles
dorien, ionien ou pbrygieo, aurait 6té ainsi un
premier pas vers la décou verte ele l'hexacordc,
amcnée par l'c1nploi simultané de dcux u1otles
différents mais toujours les plus rapprocbés . Ül',
en réunissant les soos extremes ele dcux ele ces
fiOtes, 011 ne dépassait pas une étencluc de six
notes, un hca:aco1·de.
La flftte du mode dorien donnait 1·é-111i-(a-so l;
ccllc du modc ionien, ?»i-(a-sol-la; cclle du 1noclc
phrygicn, (a-sol-la-si.
L'étcnclue complete érait done deré a si.
K'y a-t-il pas lu déja un précédent pour le sys-
teme el' ltc::caco1'de ele Gui ti' Arezzo?

,,
Signalons, pour en finir avec les instru1nents i1
•ent, la raita ou t·aica, especc de musettc aanche
pcrcée de sept trous et terminée en pavillou.
üet instrument déja plus parfait, puisqu'il ré-
sume toujow·s !'octave, est connu en Espagne sous
le nom de gaita. Cbez les Arabes, il sert généra-
lement pour les chants de guerre, et - ce qui
peut amener quelque confusion - le mode qui
- 7\) -

luí est propre est appelé par les anciens autcurs


.Jaika ou Saika, noms qu'on Iui clonne encore <lans
certaines partics ele !'.A.frique (1).
L'accompagnement rhythmique de la llai ta est
procluit par eles paires de tin1balles ele clifférentcs
dimensions, blouzées avec <leux baguettes. Leur
nom est Atabal .
11 y a aussi, dans la musique militaire des Ara-
bes, un tan1bour plus grand nommé Atainbor . On
le frappe avec un os d'animal.
Le nombre des instruments apercussion en usa-
ge chez les Arabes est si considérable, qu'il me se-
rait impossible de les incliquer tous. Je me bor-
nerai clone i.t. citer, co1ume étant plus usités la
derbo16'ca et le bcndair. Ce dernier est une simpli-
fication du Ta~·1-.

VI
Parini les instrumcnts a cordcs figure le violon,

('l) Saika csl le nom du sb:icmc mode ayant pour base


le si.
Quelc¡ucs variétés de ces diverscs especcs d'iostruments,
tcls que ilfcia, J:sai11, ele .. ., prcnncnl égalcmcnl lcur nom
du modc qu i leLi:· cst proprc.
- 80 -
connu sous le nom de hemcndjal1. 11 est monté de
quat.rc cordes accordécs par quintes comme notro
violon européen. La scu le différence consiste dans
la maniere de le jouer. Le musicien étant assis
tient son instrumcnt de la main gaucho en fhisant
reposcr l'extré1nité de Ja table d'barnlonie sur son
gcnou. L'a rchet, tenu de la maiu droit~, passc
sur les cordes con1mc cel ui de notrc violoncellc,
1uais ht position de Ja main cst en sens in verse, Je
poignet en clessous de la baguette et l'extrémité
des doigts en l'air. C'est acette pos ition de la main
que j'attribue certaine pression sur Ja corde tout
/1 fait spéciale aux artistes incligcnes. Le mouve-
111ent de va-et-vient est toujo1u·s dans la mcine li·
gne; une ina nceuvre de la main gaucho fait tou r-
ner le violon pou1· amener sous les crins la corde
qui <loit vib rer.
Un violon primitif, le Rebaó (Rcbeb ou Rebec)
joue un role import.ant dans la musique ara be. J..e
Reb ab a Ja boite bombée eomme Ja mandoline;
le
baut <le l'iustrument, un peu ami nci, sert de
1nanche. Une plaque de cuivre, qui couvre la
1uoitié de la surface de l'instrument, forme la tou-
che ; la par tie inférieurc est recouverte d'u ne pcau
- 81 -
sur laquelle repose, en guise de chevalet, un mor-
cenu de roscau taillé dans la longueur. Deux cor-
dcs, grosses comu1e celles de notre contre-bnsse et
nccordécs en quintes, sont tnises en vibration a.
l'aide d'un trcs-petit archet de fer arrondi en are.
On joue le robab cotnme la klYlnentljah. Pour faci-
litcr le démanché, la tete du 1·cbaú, recourbée a.
l 'inver~e de cclle du violon, est appuyée sur l'é-

paulc de l'exécutant.
A la position naturelle, l'ótcndue des sons pro-
duits par le i·eúaú est d'un hcxacorcw.

VD
n me reste iL pnrler de la lr.ouitra di te guitare de
·runis.
La /¡ouibra ótnit l'instrument connu des Grecs
sous le nom de kitha1·a, elle a conservé la forme
premiere de la lyre :
On sait que, cl'apres l'histoire des temps mytho- •

logiques, ce fut Mcrcure selon les uns, Orphée


selon les nutres, qui invent.a la lyre, en faisant
raisonner sous ses doigts les nerfs d'uoe tortue
clesséchée au solei1 .
Or, cette fonne concave ele la carapa.ce de la
(i
- 82 -
tortuc, les Grecs l'avaient couservée a Ja kitl1ara;
ils la b-ansmirent anx Romains, chez qui Ja déno-
mination de li1·a était commune a tous les ins-
truments a cordes, comme celle de tibia 11 tous
les instruments aven t.
La. hithwra fut une individualité da.ns l'especc
bien qu'elle conservllt plus que les nutres la forme
primitive qu'on retrouve dans la. kouitra des
Arabes.
La kouiira cst montée de huit cordes accordées
par deux a l'unisson, ce qui ne donne en rénlité
que qua.tre sons. Les corrles sont mises en vibra-
tion au moyen d'uo bec de plume teou de Ja
main droite, tandis que les doigts de Ja main
gauche exécutent le méine tra.vail que sur notro
guita.re. Le manche n'a. pas de sillets.
Le mode d'accorcl ne peut procéder que du sys·
tcn1e des Grecs, car nous y trou vous deux tétra-
cordes disjoints, donnant comme sons extremes
l'octa.ve, et séparés par un intervallc d'un ton,
soit :

1·tJ-sot. - la- ré.

Octte guit.a.re qui, com1ne le kanoun, scmblcrait


- 83 -
róvéler J'cxistence ele l'élément harmoniquc, n'cn
cxclut-cllc pas toute idée, quand on voit un bec
de plume qui ne peut frapper qu'une seule corde?
SelonDiodore, Jalyrc deÑlcrcurcn'avaitqne trois
cordes; sans doutc les deux tótracordes conjoints:

ré-so l-do.

Cepentlant Bocee appelle tétracorde de Mer-


cure les quatre sons cités plus haut, tandis que
Nicomaquc en attribue l'invention i1 Pythagore .
Toujours est-il que le tétracorde avait chez les
Anciens le role qu'a chcz nous l'octave. Nous en
a.vons h~ prcu ve tant dans l'indépendance com-
plete de chaq Lte tétracorde, que dans l'existence
de la fiflte a trois trous donnant quatre sons seu-
lement et nussi dans les quatre syllabes elont on se
servait poLU' solfier. Ces syllabes étaient, selon
Aristi<le Quintillien, té, ta, /lié, tlió; on les répé-
tai t pour chaque tétracordc coro me nou s en répó-
tons sept pour chaque octave.
Les 'l'unisiens qui, de meme que les .AJgériens,
n'ont plus d'aJphabet musicnl, se servcnt encore
ele nos jours des mcmcs syllabes pour enseigner ii
jouer ele la kouitra.
- 8~ -

VIII
Un fait qui doit exciter l'étonnement génóral,
c'cst que les Grces, clont les connaiss1111ccs et le
goflt clans les arts ét11ient si étenclus, n'aiont pas
cleviné les propriétés do l'octave précisément dans
ccttc union de dcux tétracorcles disjoints. La
cause en est peut-etre due ala grande quantitó ele
signes qu'ils employaient pour représentcr les
sons dans chacun dos quinze modes dont parle
Alypius .
Selon cet aute1u" le nombre des signes figurés
par les lettres de l'alphabet prises dans différentes
positions, s'e1evait a plus ele seize cents (1).
Les Romains climinucrent beaucoup cette pro-
fusiou de signes; cependan t, il faut nrri ver j us·
qu'a l~oece, potu· t rouvcr l'usage de qui uzo lettres
seuletnent. Des lors, In oomparaison peut s'éta.-
blir plus facilement pou1· les tétracordes, et 8aint-
Grégoire, considérant que les rapports des sons

( l) i\Ininoun, pcndnnt les vingl p1·emiel's mois de son 1·c-


gnc, n'cntcndit pns une lcttrc, c'cst-il-dil'e une note ele mu-
siquc, ni une pnrolc ele chnnl (Fem111es A1·abcs dc¡n1is l'isla-
mismc. ch. XXVIH).
- 85 -
sont les m&mcs dans chaqtte octa.ve, récluit encore
ces quinze signes aux sept premieres lettres de
l'alphabet qu'il répete en diverses formes daos les
différentes octaves (1).
A cette époque se présente un fait nouveau et
d'une grande importance. Je vctL'\'. parler des sons
simultanés dus, sans doute, a l'introduction de
l' orgue dans les te1uplcs.
Quelques auteurs citent Saint-Damas comme
étant l'inventeur de l'orgue; d'autres le font venir
cl'Orient.
·roujours est-il que Boece est le prem1er qui

( 1) Antéricurement á ce fait, une premicre réforme avait


úté ten\ée par Saint-Augustin et Saint-1\mb1·oise. C'est il
Alexandl'ie que Je premier avait entendu chantet· des hym-
ncs dont la simplicité Je frappa <l'autant plus que cet\e sün-
plicité méme plaisrut davantage aux Africains que Ja 1nul-
tiplicité des ornements usités dans <l'autt'CS <lioc(,ses. A
Alcxanclrie, les parolcs étaicnt en laugue grccque.
C'est d'Orient, aussi, r¡uc Saint-Amhroisc avait l'ap¡iorté
a Milan le chant ditA1nbroisien.
Toutefois, les modifications introd1útcs par ces deux ré-
formatcu1·s ne porlaie1lt que sur la forme des 1nélodies,
¡J1•i11cipalemcl\t poux· les enjolivemcnts, et ne changcaicnt
en l'ico Je fond du sys\eme.
Le mcmc gel\re de t·<:fol'mc avaiLété in\roduit en Espa-
gne, pal' Saint-Isidoro de Séville.
- 86 -
parle des consonnances de tierces et de sixtes a¡>-
pliquées it la méloclie; informe bégaiement du
contre-poiut futur, dont le Déchant ou Discant est
Ja, pre1niere manifcstation, et d'oú doit surgir
plus tard l'hru·monie de Palestrina.
Les consonnances de ticrccs et de sixtes, im-
provisées sur une mélodie connue d'avance, étaient
ainsi un acheminement vers l'harmonie; mais avnnt
de formuler la loi de ootte nouvelle science, que
cl'erreurs, que de tatonnements !
Ce meme Bocee, qui rédige au quatrieme sicele
un traité de musique imité de cehú eles anciens,
séduit, sans eloute, par le charme eles sons !'i1nul-
t.'lnés, cherche it en introduire l'emploi dans ses
tótracordcs, mais il n'obticnt aucu u résultat.
Au milieu du boulcversement général, procluit
autant par les hérésies que par les invasions eles
barbares, les hérétiques se font une arme ele cette
clécouverte pour aug1nentcr le nombre de Jcurs
adhérents. G'est alors que les conciles, et aint-
Grégoirc lui-meme, cléfcndent l'usage des instru-
u1cnts dans les églises .
Cepeuelant l'idée pre1nicre de l'hannonic existe;
clic va germer au scin tnCinc dn christianistne, au
- 87 -
moyen du JJiscant et de l'orgue. La religion nou-
vclle, qui a puisé dans le paganisme les príncipes
de son cha.nt 1·eligieux, adopte potu· son instru-
ment de prédilection la f!Ote de Pan, dont les ro-
seaux résonneront, non plus successivement, au
soufil.e cl'un individu, inais bien simultanément au
moycn d'un clavier et d'un souffiet.
Peu a peu, les consonna.nces de tierces et de
sixtes s'introduisent a. coté des progressions de
quarte et de quinte, déduites du systeme eles t.é-
tracordes; les deux systemes sont en présence et
se disputent le terrain avec acharnement, jus-
qu'au mo1nent oú Gui d'A.rczzo, développant l'idée
de Saint-Grégoirc, établit les rapports des hcxa-
ccrdcs et pose les bases d'wne 17a.1Mne uniqite p&r-
1ncttant t' usage eles sons sinwltanés .

IX
On se ferait une étrange idéc du sens de la ré-
forme ele Gui d'Arczzo, en lui attribuant simple-
meut l'invention du nom des notes pris dans l'hym-
ne de Saint-Jean .
Sa véritable découverte, celle qui a conduit it la
formule ha.rmonique, consiste dans l'ótablisscment
- 88-
des ,·apports des hexacorclcs, dans les 'nuanccs, et
enfin dans le bénio/.
La oi1 Saint-Grégoire avait vtt deux tétracordes
se1nblables donnant con1n1c sons extremes l'oc-
ta.vc ré- sol=la-ré, Gui d'.Arezzo, proc6dnnt par
l'application des consonnances hannoniques, re-
connut d'abord clcux ticrces semblables, séparées
par un clemi-ton et clonnant comme sons extremes
la sixte, l'lwxacorclc : do-ré-n~i fa-sot-la.
Puis, appliquant i~ sa découverte le systC111e des
dcux progressions aritlnnétique et harmonique,
qui cousistait a intervertir la position de dCU..'{ té-
tracordes (1), il mit en hant la tiercc qui, dans le
pren1ier hexacorde, se trouvait en bas. Il en ré·
sulta un secoud hexacorde ayaut un point de dé-
pnrt difl'érent, 1nais enticreutent semblablc au
prcu1icr qunu t au rapport des sons entre eux. Ce
second hexacorclc était, en effet, formó com1nc le
premier, de deux ticrccs scmblables, séparées par
un demi-t-011 : sol-la-si clo-ré-1ni.
En suivant ce 1néo1e u1odc de procéclcr, il prit

(!) Nous en avons consl:ilé l'cmploi pnr Sainl-Grégoire,


dans sa réforn1c du chnnl rcligicux.
- 89 -
la seconde tierce du prcmicr hexacorde pour en
fairc la base d'un nouvel hexacordc, et compléta,
a.u n1oyen du bé1nol placé sur Je premier son de lit
seconde tierce, les trois hexacordes fondament.aux
do son systeroe.
Enfin, appliquant cetto décou verte, en la pré-
cis.'lnt da ns une étenduc d{} quinze sons seulement,
il for1nula les cinq b.oxacordcs de la loi harmoni-
que, comprenant :

'lº Dcux hexacordos con1monqant par Ja lettrc


G, no1n1ués ltcxacordes do becuadro ou b carrd;
2• Dcux hexacordes cotnmcnqant par la lettre
O, nommés hexacordes natttrcls;
3º Un hexacorde commcnqant par la lettre F,
nonuné 1texaco1·dc ele bé1nol.

Ce systcmcét..'1it applicable U. toute l'étcnduc des


sons perceptibles produits par les iostr111nents,
dont nous &'1vons déjii que le plus con1plct con1-
prenni t trois oct.'lYes et trois notes. La séric des
cinq tétracordes pou vait so rcproduire lL l'aigu et
au g1·ave, clans les u1c111es conditions (Voir le ta-
bloau IL la page suivaute) .
L'hymoe de St-Jeao explique pnrfaitcment le
- 90-
scns de cctte découvertc, puisque, bien qu'il soit
écrit dans le premic1· ton du plain-chaut, il rcu-
fcrme les six notes du prcmier hexacordo nat11trel,
qui est le poiut do clépri¡·t du systeme de Gui
d'Arczzo. Chaque vers commence lX>r une note
différente, suivant la mrirche ascendaute des dc-
grés de la gamme :

Ut qucnnL !axis
/lcsonai·c flbt'is
Jlffrn gcstoi·um
Pmnuli IUO\'lllll
Sotvc polluti
labii rcatmn
Sancto Joannes.

Quant aux tnuanccs potu· facilitcr le passagc


d'un hexacordo a l'autre (1), il n'est bcsoin que de
regarcler ce tablea.u avcc un peu d'attcntioll, pour
se couvaiucre que leur but était ele ramcner le
chant de toutes les méloclics ii une seule et memo
gamme, comprenant une étendue de six notes.

(1) La muance consisto dnns le cbangcn1entd u nom d'unc


note Lout en conscrvnnl l e m~mc son. A insi C-fo du prc-
micr hexacordo de becuadro dc\·iont C-uL dans le prcmior
hexacordo naLurcl bien que le son no cbangc 1ia~.
¡,:. a . ... la
w a
;:::¡
Ql g ... sol
p...
g
o f f. . . . fa
:::;
e e ... la c . .. . 1ni
Jr d • .. la
-· d d ...sol d .... l'é
~
-,,, c ........ ....... •.. ... c ... fa c ... . ut. .. 2° llEXACOR DE XATUREL e ... sol
b b . . . u1i b ... fa
~ a . •• m.i
.,...
-· a rt .. .. la (l • • , L'é <D
et> G.. . ré
:::; G G . . . . sol. ... G.. . ul. • . '2• llEXACOR DE DE DECVA011s -
e>
o F, F .... fa F . .. ut .• REX.•CO&OE os BR)IOr.
ó E .. .. la E .... n1i
~- D .. .. sol
- D .. .. ré
g C , , , . fa C . , .. ut., .. 1•" llEXACOl\ llf. NATUREL

¡;;' B .... mi
C>
:::; A •.•. ré
;:::¡
<> G . . • . uL .... 1" nEx"conoE os nscu,,on& basé sur la note liypopt·oslambanoméuc.
,.o
:::;

- 92 -
ne fut comblée que plus tard par la décou verte de
la sensible; mais il n'en reste pas moins óvident
que la loi de l'bannonie étaít foro1uléc par Gui
d'Arezzo ('l) .
Quant au systcn1e des tétracordos, on en garda
justo ce qui pouvait concorder avec les príncipes
nouveaux, et la guitare, modifiant son mode d'ac-
cord, forma avec les dcux systil1nes un 1nélange
héroroclite qu'elle a conser vé. La nature excep-
tionnelle de ce modo d'accord (2}, - trois té/!J·acor·
eles surnionlés cC1in ltc:raco1·de cou,pé ((. sci baso va1·
1ine ticroc - semble ctre le résultat de la fusion
des deux systcmcs de St-Grégoire et de Gui
d'Arezzo.

('l) II esl it remnrquer que le dcrnier ,·crselSa11clc Jolwn-


nes rcstnit disponible pour In note u in,·cntcr, note qui com -
mence précisément ¡inr In mcme lettrc que luí, S. - Note
<U t'Édik11r.
(2) Les sons des cordcs de In guitare élnient rcpréscntes
pnr les leltrcs A. D, G, C, B, A.
J..a création d' un dia11uson fixe les n chnngés, snns cc-
pendarll ricn mod ificr dnns son modc cl'accorJ pu isc¡uc nu-
jourd'hui les cordes de In guitare sont : 111i, 11.1, nJ, sol, si,
1ni.
CllJ\ PITRE V •

Le 1'}1ylhmc. - Le l'hylh mc des AL'nbcs csl 1·ó¡;ulicr, pé-


riodiquc. - Rhyllu nc poétiq uc n1>plique) a la musiq uc e~
u la dnnsc. - Tempus per{tcl11111 el lempus i1111>tr{tcl11111.
- Quclc1ucs variél és de 1'!1ythmcs usités chcz les Arnbcs.
- lndépcndnncc des instrun1cnts ¡\ pcrcussion. - l fol'-
monic rhythm iquc.

I
La musique, considérée dans son état le plus
sin1pl e - un bruit régularisé - supp osc fo1·cé-
ment une mesure. Or, les musiciens arabes jouan t
1t l'unísson, c'est-lt-dire, f.1isant ensen1blc le mcmc
son, la méine pht·asc musicale, cloivent chanter et
jouer forcément en mesure.
Cette 1ncsure est-cllc nsscz scmblablc il. la notro
- \:)!¡ -
pour que uous puissions en ressentir imn1édiate-
ment l'influenee, ou bien y trou verons-nous on-
coreles difieren ces que uous a vous const atm entre
notre systeme harmonique et le systeme mélocli-
que des Arabo s ?
J'ai déja cité l'har1nonic rhythm iquc de la. mu-
sique du bey de Tunis et celle plus simple pro-
du ite par les iostruments a percussion des Ara-
bes; cela seul suflirait a démontrer l'existenoo de
la tneine disse1nblance. Cepeodant, Ja n1esure est
aussi rigoureuse dans la musique des Arabes que
dans la nota:e; elle regle les mouvements de la
danse; elle suit l'allure lente ou vive de la mélo-
die; elle fait corps avec cette mélodie qui ne peut
marcher sans elle. La clivision rhytlunique se rc-
produit d'une maniere périodique, inaltérable dans
tout l'accotnpagnement d'une chanso n; mais cette
clivision, subordonnée probablement, daos le prín-
cipe, au rhythme poétique, a conduit a des cou1-
binaisons étranges potu· nous et dont la régula-
rité ne nous frappe pas des l'abord.
Qu'ét4lit le rhythme poétique des anciens?
Le mélange eles syllabes longues et breves .
Ce rhythme fut évidemmeot des le príncipe ap-
- 95-
pliqué it la u1usique chez des pcuples pour qui cU1·c
et vhantcr était la mcme chose.
De la musique a la danse la transition était fa-
cile; et bienoot, con1me le chant n'était pas sufii-
san1ment bruyant potu· marquer les mouvements
des dttnseurs, ce role échut en part-0ge aux ins-
truments h percussion dont la sonorité n'étiüt
jamais con verte, memc par les cris et les applau-
disse1nents les plus enthousiastes ('I).
De mcme que la poésie variait ses accents, la
danse varia ses mouvements, et l'application ele
chaque nouveau rhythme du t se faire presque eu
meme te1nps pour la poésie et pour la danse.
Quaud, par suite de ces variantes, qui cléplai-
saient si fort i1, Platon, le chant se fút peu 11. peu
clégagé des cntraves ele la poésie, les instruments

(1) 11 y avail baiicur de inesm·e nommé /11>rupltaios,


LID
choryphée, ou podoctupos, a cause du bntil <1u'il faisait avcc
les pieds , Ce balteur de mesure portait des sandalcs de
bois ou de fer, ce qtti lui pcrmeltaiL de se servir a la fois
d'un inslrurncnt acordes avec les mnins et d' un instrument
a percussion avcc les pieds. Les .Romains njouterent au
bruit des sandales, pour baltre Ja mesm·e, celui des co-
quilles, des écailles d'buitres et des ossemcnls d'animaux.
Ces ll"Ouveaux inslruments se jouaicnt avec les 1nains, d'ou
le nom de •nanuductoi· pour le balteur de mcsm·e .
- 96 -
it percussion rcsterent seuls chargés de maintcnir
le rhythme, la cithare filisant entenclre, ainsi que
le <lit Plutarque, le mame son que la voix. En
effet, le chant clégagé de la prosoclie avait cepeu-
dant besoin d'un régulatenr. La guitare ne pou-
vait lui reudre cet officc puisqu'elle suivait servi-
Jemen t le ebant. Le tambour cut done pour mis-
sion de régulariser le mouvement de la 111élodie.
A.u lieu du dactyle et du spondée 011 cut un
rhythm e a deux tcmps égaux, figurés par deux
longues ou par une longue et deux breves .
Au lieu de l'iambe et du trochée, 011 eut un
rhythme dans lequcl les deux temps étaient dans
la propor tion de cleux a un, soit deu.."\'. longues et
une longu e, ou bien deux breves et une breve, et
a l'in \rerse.
Est-ce a l'influence eles autetU'Ssatyriques c1u'on
dut, avec l'emploi plus fréquent de l'iambe, l'ap-
plicatio11 presque constante de ce rhytl11ne 11 la
danse et son nom de tcin1n~s pe1'(cct11An, tandis que
le rhythme U. deux tcmps égaux (dactyle ou spon-
clée) s'appelait tcnip·us iinpcl'fcctu11i?
Ce que je pi.lis affirm er, c'est l'existence du
mame fait chez les Arabes . Pour eux la. musique
- \:)7 -
iL trois tcn1ps ou plutot le rhythmc ternaire offrc
beaueoup plus de charmc, bien que l'emploi des
clcux tcmps égaux s'y rencontrc aussi.
Le rhyLlnnc 111arqué par les tn,mbours est géné-
rale1ncnt soumis au chant cotnmc le tenivus per-
fect1vni et le te1npus i11ipcrfccl1u11, mais quelquefois
aussi il sc1nble s'en écarter compléteme nt.
J}esprit d'indépendance qui avait amcné la sé-
paration de Ja poésie et de la 1nusique s'est signalé
da ns les instnunents apercussion ; aussi arri \1 e-t-
il souvcnt que Je chant cst accompagué par un
rhythmc qu i parait enticrc1nent opposé a celui
que néccssiterait lamélodie. Ln, cncore, 1'habitude
d'cntcn<ltc peut seule nous fairc distinguer des di·
visions da ns Jesquelles lo p1·e111 ier remps est au
second d1u1s la proportiou de trois a clcux (1).
Quelquefois, tanclis que le rhytbme méJodiquc
est de ll'ois pl11s trois-, lo rhythme du tambour sera
ele cleu:r 11lus quatre ou, encore, ele cleua; plus cleuf&
vlus dcuf&.
Pour une nutre chanson dont chaque mesure
scrn diviséo c1ans la méloclie en h1dt JX//l'tics égalcs,

(1) C'cst le rhythmc usit(: en Espngnc pn1· les Bnsqucs.


7
- U8-
l'accom pngncmcnt rhyth1 nique sera tic 1;¡·ois pl1t~

trois plus dcux ( 1).


Qu'on suppose un groupe de chnque especc tl'ins·
truments concourant il. !'ensemble d'un orchcstre
nrabe : les guitnres, les HOtes et les violons joue-
ront le chant nvec les gloses obligées, taudis que,
ele leur coté, les tambours de diíl'érentes di1nen-
sions produ irout, non pas un seul rhythme, inais
un mélange ele plusieurs rhythu1es, formant une
espece cl'ha1•1nonic rh.ythtniquc, la senle harmonie
que les A.rabes conuaissent et dnns Jaquelle les
parties sont tellement cnchevetrécs, qu'il fhut une
tres-g rande hnbitucle pour y distinguer une cer-
tnioe régulnrité ('2). Et, ccpendant, cette réguln.rité
existe; chnque battcur de tambou1· suit exncte-
111ent le genro de rhyth n1c que luí indic¡uc le chef
des musiciens (3) ; le plus ou le moins de di visions

(1) Voir les chnnso ns mnuresqucspubli<·cs chezRi chnull,


boulcvn rd Poi8sonnicrc, et chcz Pclit, au Pnla is-Roynl.
('2) Il y n un pcu de ce mélnngc rhythm iquc dnns In sé-
guidillc des Espngnols .
(3) • Ibrahim cl-llfnusely, dit i\I. Pcrron , cst Je prcmic r
• qui, n,·cc In bnguct tc á In mrun, mnrqun et 6t obsc1·1·cr la
• cndcncc et In mesure 1nusiculc. » Cct Ibrnl1i m étnit un
musicicn de In cour rl'Hnroün-cl-Rnchid.
Actucl lcmcnt le chef d!'s musici cns joue J'instru mcnt
Jll'incipnl, 1·iolon ou Rnitn.
- gg -
rhythmiques ét.ant toujours tres-bien adapté nu
volume de l'instrument.
C'est cctte harmonic rhythn1ique qui constitue
Je secontl ólé1nent de la 1nusiquc arabe . Un ins·
trtn11en tiste qui se respecte ne joue pas plus sans
son accompagnement de tambotu· que chez nous
un artiste européen ne chante sans piano.
En pareil cas, et géoéralement dans tout or-
chestrc réduit, la di 1•ersité des timbres du t.am-
bour de busque produit a clic seule cct accotnpa-
gncmcnt.
'fcl est le role des tambours chargés ele mar-
quer Ja mesure, dont je for1nulerai le caractcrc
ainsi qu'il suit : ti:'\ RHYTIDIB D ACCO~IPAGNEMEX1'
1

PRESQUE Th"DÉPEXD.\:\T DE f,.\ MÉLODlE, ET OONT

LES l1EL1\TlONS AVEC ELL.E NI!: SON'!' FIXES QUE POUlt

LE CO~DfENCE~IENT DE CllAQUE ~IESURE .

l\lólodie et Rhythme sontdonc les élémeuts cons·


titutifs de la musique arabe, correspondant, qunnt
a l'ngencement, aux deux élén1ents de Ja musique
grecque, l\lélopée et Hhythmopée.
.•

.. ..
~

CHAPITRE VI
-
Effots mc1·1·cillcux que les Ara bcs, com mc les C rees, nltri
buc nt a leur 111usiquc. - Dan sc du /Jjinn. - Chnnson
es
de Sala/1 JJey. - Lég endc Alfarabbi. - Quntrc nutr
modcs : lhm11net-meia, i·sain-sc/Jah, Zcidan, As/Jetn.
-
Diabotus il1 111usica. - L'l.iabiludc d'cn teod rc et l'édu
ca-
de
tion de l'oreillc. - La musiquc soui11isc aux capriccs
ui
1'01'Cillc. - Exagération poétiquc. - Excm11les it l'opp
de In loi de l'hnbitudc acqu ise par l'~ducntion de l'orcillc.

Nous rcstons itnpass iblcs i~ l'audition de la mu-


siquc arabc, que dís-je, impnssibles, nous seri ons
tent.és de fuir pour éviter un bru it confus de voix
et d'instruments qui nous cho que .
Le contrni re se procluit chcz les Arabes; ils
s'cxo.ltent aux sons de lcurs ins trumcnts. Les
- lül -
senti1nents les plus di vers, il:> les exprilnent a vec
leur musique it laquelle ils prctent des effets mer-
veilleux.
Qui n'n vu, en Algél'ic, ces fetnmes dnnsant
jusqu'it ce qu'elles totnbont épuisées? Tout·lt-
l'heuro elles étaient t1·anquilles; mais les chan-
tcurs ont fhit une modulation i~ laquelle elles ont
d'nhorcl preté l'oreille, puis cette modulation rc-
vennnt h chaque couplet ele la chanson, on les n
vucs se lcvcr l'ceil hagard, la respiration hale-
t."1nte, rcmucr un bras, puis une jan1be, tourne1·
lentc1nent d'abord, puis plus rapidement et en
sautant jusqu'i~ ce qu'elles tombent, privécs de
sentiment, clans les bras de leurs compagnes.
Den1andez la cause de cettc danse elfrénée, 011
vous rópondra : le 'ljcno1in, les cljinns. Elles sont
possédóes du démon.

11

Quolquefois, a l'auditioo d'une chn.nson, 011


vernt les lar1nes couler des ycux de tous les au-
tliteurs. Cela se produit pl'csque généraJeu1ent
avee la chansou de Salah Bey.
' ' oici l'argument de ccttc. chanson :
- 102 -
Salah était bey de Constantine; le cley d'Alger
l'appela sous un prétexte et lui fit couper la tete
pour se débarrasser ele lui et s'en1parer de ses
biens.
Cette chanson est divisée en deux pru:ties :
La premiere retrace les adicux de Salah-Bey a
sa fauülle, les exhortations de ses pareuts pour
l'cngager it rester, son voya.ge, son arrivée a Al-
ger et sa mort ;
La scconde renfero1e les hunentations cln poetc,
qui chante les hauts faits et les ver tus du per-
sonnage.
J;es deux pa.rties sout coupées pa.r un récitatif
ele cleux mots : le Bey est mort, répétés deux fois
et clits sur un chant si lugubre que cela. donne le
f'risson .
Les prcmieres paroles de cette chaoson sont :
Galoti cl-Arctb galvú.

111

Citons, comme dernier trait, la légende du cé-


lebre n1usicien ara.be Alfarabbi :

Alfarabbi avait nppris Ja n1usique t»n Espagne,


- 103 -
dans cos écoles fondées par les califes do Cor-
doue et déja ílorissantcs a la fin du neuvicme
siccle.
La reno111111ée tlu célebre n1usieien, dit un au-
tctu· ;\rabc, s'était étcnclue jusqu'en Asie. Le
sultan Fekhr ed-doula-, désireux ele l'entenclrc, lui
envoya plusicu1·s fois des mcssagers porteurs de
riches préscntS et ehargés de J'engager a venit• iL
sa cou1" Alfarabbi, craignant qu'on ne le laissat
plus revenir dans sa patrie, résistn longteu1ps i1
ces offres . Enftn, vaincu par les insta nees et la
procligalité du sultan, il se détermina apartil' in-
cognito.
Arrivé nu palais de Fekhr ecl-doula, il se pré-
scuta dans un eostume si déguenillé qu'on lui efit
refusé l'entréc, s'il n'eftt tlit qu'il était un musi-
cien étranger désireux de se faire entcndrc. Les
escla \'CS qtú avaient orclre d'introclui re les poctes
et les tnusiciens, le conclu isirent alors aupres du
Sultan. C'ét.'lit précisément l'heure oit Fekhr ecl-
doula assistait il ses concerts journaliers. La pau-
vreté clu costume d'Alfarabbi n'éta it pas faite pour
lui concilier la sympathic; cepenclant, on lui cle-
mandit de jouer et de chanter.
- 104 -
Alfarabbi cut a peine co1nmcncó sa chanson que
déj~i tous ceux qui l'écoutaient ful'ont pris <l'un
acccs de rirc impossiblc it comprin1or, malgré la
présenco clu Sultan . Alors, il chnngea de modc, et
aussitót Jn, tristesse succé<la 3. la joic. L'effet de
ce changctnent fnt tol que bientOt los ¡)leurs, les
soupirs et les gémissemcnts remplnccrent le bruit
des rires. 'l'out-a-coup, le chantcur change encoro
une fois Ja 1néloclie et le rhythn1c, et amcne choi1
les auditcurs uno furcu1· si grande qu'ils se sc-
raiont précipit.és sur lui, si un nouveau chango-
ment no les out a¡laisés, puis, plongés clans un
son11nei l si profond, qu'A.lüirabbi out lo tomps de
sortir du pnlais et memo ele la villo avant qu'on
pi1t songor it le sui vro.
L'auteur arabo ajoute que, lorsque le Sultan et
ses courtisans se révoillcront, ils no pureut attri-
buer qu'i~ Alfarabbi los cffets extrao1·dinaircs pro·
duits par la musique qu'ils venaient d'entcndre.

lV
Appliquons ces cffots anx modcs que nous con-
naisson s tléja : la joio sora causéo par le modo
Lºsain, la furou r par le 1nocle l!:d:;cU; tnais Ja tri::;-
- 105 -
tesse, le som1neil, et aussi cette danse qui fait dire
que les femrnes sont posséclées du démon?
Ces effets appartiennent aux modes Ri~1nnict­
nieüi, L'sain-sobah, Zeülan et Asbein, c1tü semblent
étre les derniers restes de ce genre chromittique
auquel les Grecs préta.ient un caractere si sur-
prenant ('l) :

1° Le Rwni-inel-nieia, dérivé du 11/eia simple, lni


emprunte son pre1nier tétraeorde; n1ais il inocli-
fie le seeond, dont il éle1re cl'nn de1ni-ton la pre-
nüere eorde, produisant ainsi ré clie;;e dans une
gan11ne qui a le sol pour poin t de départ ;
2° Le mode L'sain-scbah, cléri vé du L'sain, cor-
respond entiereu1ent iL notre gao1me mioetu·e avec
le sol clie;;e ;
3° Le mocle Zciclan, déri vé du inocle Jrak, lui
cmprunte son second tétra.corde; mais il moclifie
le premier en élevant d'un demi-ton la seconde
corde, prodnisant ainsi sol dieze clans une gamme
qui a le ?"é pour point de départ;

' (1) Les huit pl'CJUiCl'S modes, dont j'ai pal'lé au cbapi-
trc lli, dcvaicnt fOl'ffiCI' le gcnl'C diatoniquc, qu i procédait
par dcux tons et un dc1ni·ton pour chac¡uc túlracordc.
-- iüo -
L1• Enfin, le moda Asbein, dérivé du mode Afo-:.-
•1no1in on Lydien, de ce mode triste et propre i~ Ja
mollesse que Platon bannissait de sa Répnblique,
emprunte an Afe;;;1nown son second tétracorde, mo-
difiant le sol du premiar pour produire sol clia!!e,
dans un mode qui a le ?ni pour point de départ;.
C'cst ce mode Asbein (que l'on confoncl souvent,
en .A.lgérie, avcc le Zei.<lwn) qui fait danser, malgré
elles, les fen11nes posséclées du démon. C'est ce
mode Asbein qui avait bien réelle111ent tnérité hi
qualification ele Diabolus in nvu.süxi, qu'on appli-
qua plus tarcl au modc Ed;;eil .

\Toiei a ce sujet la légende arabe :


Lorsquc le démon fut précipité du Ciel, son pre-
1nier soin fut de tcnter I'ho1nn1e. Pour rénssir plus
sftrcment, il se servit de la musique et enseigna les
chants eélestes qui étaient le privilége des élus.
iVIais, Dieu, pour le ptúlir, l1ú retira le souvenir de
eettescience, et il ne¡)l1t ainsi enseigner aux hom-
n1es que ce seul modedont les effets sont si extraor-
dinaires.
I/impression que ce mode exerce sur les .A.rabes
est telle, que j'ai vu, á Tunis, un musicien de
- 107 -
granel inéritc, qui avait été att-aché aupres de
l'ancieo ministre du Bey, Ben Ai"ecl, je l'ai vu,
clis-je, tomber en extase lorsqu'il jouait sur sa
Jr¡y¡ncncljah ses chansons tliaboliques en mode
Asbein .
Potu· c¡n'on n'objecte pas qne eet effet est dQ :i.
l'exagération religieuse, j'ajoute que ce inusicicn
est juif. 11 se nomme Sahagou Sfo~. A l'époque oü
je l'cntenclis, en 1857, il jouait clans llll café <ln
faubourg; c'est le sen! violonistc iodigenc que
j'aie vn clémancher su1· son instrument.

V
Bien qu'on llésite a évoquer les souvenirs rl'Or-
phée, el' A.111phion et de tons ces chantres fii.meux,
pour se les représcnter opérant leurs prodíge.s avec
ele tels inoyens, 011 ne peut méconnaltre le rapport
des effets extraorclinaires procluits par la musique
eles A.rabes avec ceux que les Grecs attribuaient
i:t. leur musique.
Mais, si, avec des élémeot.s aussi récluits, on
procluisait clans l'antiquité des effets que nous ne
pouvons pas imiter aujourd'h1ú; si toutc cette
science n1usicale, que les philosophes plaqaient au
- 108 -
premier rang parmí les seiences, se résun1e dans
un chant accompagné de tamboLu·; si, ehez un
pcuple appréeiatcur du beau dans les arts et dans
Ja Ji ttérature, les questions u1usica.les étaient rcn-
fcr1nées dans un ccrcle aussi rcstreint; coouncnt
pourrons-nous c1·oirc a eette i1nportancc que les
philosophes attachaicnt li l'étude de Ja musiqne,
ii ces louanges que lni donnaient les poetes et les
oratenrs, il ces di visions de sectes pr&tes a en
venir aux mains, con1tne il y a trente ans, chez
nous, les classiq ues et les ron1antiques, ou oneorc,
eo1n me il y a un siccle, les Piceinistes et les Gluc-
kistes?
Dirons-nous, aprcs tant d'autres, qu'il fhut,
pour le merveilleux, faire la part de l'exagération
poétique, et que les prineipaux effets de In, tnu-
sique étaient dus a. la poésie, a cette langue
greeque dont les aeeents étaient si dotL'I':, que clire
et ehanter était la méme ehose; rejettcrons-nous
plut-Ot la cause de ces mcrveilles sur l'ignorance et
la grossiereté des aucliteurs; ou nous résou<lrons-
nous, comme Rousscau, apenser qu'il cst i1npos-
sible ele juger une musique dont nous pourr1ons
uvoi1· la lettre, mais non !'esprit'?
- 109 -
Pour u1oi, nprcs n.voir fait In. pnrt de l'exagó·
ration poétique, je rnppellel'ai le principe de
l'liabitudc cl'cnterul1·e, ou, si l'on airoe mieux, de
l'éclucation de Corcilla, qui <loit, ;'~tnon seos, donner
la clef de cette énigmc.

« J,c plaisir que cause la musique, dit .M. Ha-


lévy, daos ses Sotbvenirs et Portrails, Í.'lit toujours
supposer uue éducation prcmicrc, acquise par la
~cul o habitude de l'orcillc ou par l'étudc de

l'al't. "

Ce príncipe de l'éducation preniiere ou de l'ltabi·


ltt<lc cl'c11te11drc, cst applicable i~ t-0us les dcgrés
de connaissanccs musicales, commc a tous les
gcnrcs de rousic1ue.
Nons savons déja que les prcmicrcs lois étnient
des chn.nsons; or, si le chnnt exista. au 1nél1nc
mo1nen t que la parole, il nous faudra bien recon-
nnitrc que les premieres regles musicales ne furcnt
que l'cx1>ression d'une babitucle cléja prise.
A 1nesure que les premien; sons avaieot étó
appréciés, on dut les classcr da.ns un syste1ne
renfcl'lné cl'abord dans un seul tétracorclc; mais,
chnque nouvcllc extcnsion clu systeme des sons
- 110 -
pour le classement de dilférents tétracordcs, sus-
cita des oppositions.
C'étnit une nouvelle habitude a prenclrc, un
nouve!lu trav!lil pour l'éducation de l'oreille;
e'était presque une róvolution, et les sages cher-
chaient a l'évitcr.
Terpanclre fnt banni de Ja République parce qu'il
!lvilit ajouté une eorde il la lyre.
Timothée de :Jlilet fut sifilé lorsqu'il p!lrut pour
la premiare fois en public avee 53, cithare ga.rnic
de onze cordes; quek¡uc te1nps apres on le consi-
dérait comme le prcmier musicien de son époque.
Sur quoi repose la querelle eles Pythagoriciens
et des .drystoxéniens, sinon stu· cette loi de l'l1abi·
tudc ct'cntendrc? 1\rystoxene s'en re1nett!lit n
l'oreille du soin d'accepter ou de rejeter les cotnbi-
unisons 111élodiques. Pytha.gore, lui, voulait !lssu-
jettü· ce juge1nent a eles lois préeises, et, sous le
prótexte de COnSer\•er Je beau, iJ posait a )'art
1nusical ses colonnes d'Ilereule, et luí disnit: 'fu
n'iras pas plus loin !
Est-ce a ces entra ves mémcs qu'on cloit le p1·0-
grcs accompli par suite dela scission opérée entre
la inusique théorique et Ja musique pratique?
- ·111 -
.Je le cro1r:us d'autant plus volontiers, qu'a
clater de ce mo1nent, la musique se1nble n<1 plus
acceptcr d'autres regles que cclles basées sur les
sentitncnts qu'elle éveillait. Des lors, soun1ise aux
caprices de l'oreille, et en raison de 1'babitude ac-
quisc, elle accept-0, ce qu'elle avait r~jeté la veille.
C'cst ainsi que cha.cun eles faits extraorclinaires
de l'bistoire de la musique cher. les Anciens, s'ex-
pliquera par une extension de la somme eles con-
naissauces acquises, et a l'inverse.
Ce Thimothéc, dont je parlais tout-a-l'heure,
qui aug111cntait le no1nbre des cordes de la cithare
et introduisait J¡~ Glose dans le chant, aurait-il
produit avcc ses onze cordcs des effets scmblablcs
á ceux que produisit A1nphion avcc sa lyre garnie
de quatrc cordes seule1neut? Eí\t-il comme lui
charmé les travailleurs qui rclevaient les mu-
raillcs de 1'hcbes ?
On ne l'eut peut-étre pas sifilé, cou1me cela lui
arriva U. Athcocs, 1nais, en raison ele l'cxtension
qu'il donna.it au syste1ue musicfl,l, par l'cmploi de
Ja guitare ~~ onze corcles et par la Glose ajoutéc au
chant, les tra.vailleurs de Thcbes, ne pou vant ni
co1nprendre sa n1aniere de chanter, ni a.pprécier
- 112 -
cette étendue de sons toute nou velle et co1nplétc-
1neut en dehors de « Jeur éducation preu1icre, ac-
quise pa1· la seu le habi tude de l'oreille, » ne l'cus-
scnt pns écouté ou bien l'cussentpris pour un fou.
Prenons un autre exerople a une ó1)oque déja
plus rnpprocbéc de nous. Exnroiuons les progres
accomplis par notre systeme haro1onique depuis
le treizicn1e siccle jusqu'il. nos jours, et cherchons
11. nous rend re compte de l'elfet que produirnit sur

nous une eles chansons organisées par Jean de


hlurris, l'inventeur des blanches et des noircs
(xnr• siecle) .
Renvcrsons les termes de la question et suppo·
so ns J can de 1Iurris nssistan t h une représen ta-
tion d'un opéra ou al'cxécution cl'une syrnp honie
de Beethove n.
Cons idérée i\ toutes les époq ues, ccttc question
se résoudra de tncme.
Orph ée, 1'erpaudr c, A.mpbion possédaieut les
connaissauces 1nusicales de Jeur te1nps; outre
qu'ils étsúcut au preuliei· rang paru1i les chauteUl'S,
ils contribuaient encorc au progres, en augo1en-
tant grad uellement la somn1e de ces connaissan-
ces. De ccttc cxtension vienuent les elfets mer-
- ll 3 -
1·eillcux :1ttribués par les G1·ccs i1 lcur musiquc.
Ces clfcts, j'cn ai constaté l'cxistence chez le:>
Arahes, a qui ils ont transn1 is lcur systeme musi-
cal. Il n'cst done pas étoonant de les voir se re·
proclui1·c cncore it présent chcz un peuple resté
;;tationuai1·c clcpuis plusieurs siccles, et dont le
systeu1c 111usical, je ne saurais trop le répéter, est
éviclc1nu1cnt le 111cmc que celui clont on se servait
eu Europe ª''ant la. découvcrtc de Gui cl'Arezzo .
.Ai-jc besoin, pour liii1·c 111 p:irt de l'exagér1ttio 11
poétiquc, de rappcler les lógcndes qui, de notn•
te1nps, ont couru sur 1'ag11nini ·?
Quant :~ l'acceptation du non veau e11 musiquc.
on pourrait citcr les plus célebres de nos composi-
teurs, Rossini, .:\Ieyerbeer, Rccthoven, ~Icndel­
sohn, et tant d'autres, qui, chacu n dans son gen re,
mais toujours en raiso11 dn développement qu'ils
donnnicnt h la formule harn1onique, ont cu 1\ su-
bir ou subissent encore le sort ele Thimothée .



RÉS UMÉ . - CON CLU SION

I
11 111t• fiiut, 1naintenant, indiquer les consé-
quences ii tirer de cette ótude de la musique nrabe
co111parée :\ la musiquc grecq ue et au cha.nt gré-
.
gor1en.
Résumons d'abord !'ensemble des faits avancés,
la conclusion en décou lera naturellement :

Nous avons YU qu'n !'origine de tous les peu-


ples, la pren1iere loi a <\té for1nuléc en cbanso ns .
Selon Strabon, dire et chanter étai t la mcn1e ch ose.
La classification tic>~ !'on:.:: appa1'flit :tYec 01·phé<>
- 1J(j -
et }lcrcure. J usque-lii, les sous n'éhüent pas ré-
gularisés; on 11'11vait pas établi la distance fixe
entre un premie1· son ot un second; le systeme
n'existait pas, et cette décou verte parut si mer-
veilleuse qu'on l'attribua aux Dieux .
Le systemeest indiqué par la lyre d'Orphéc ou
par celle de Mercure. La longueur ou Ja grosseur
des cordes doono une succession de sons fixes
imitée bientot dans les iustruments i\ vent par la
gradation des tuyaux de la flüte de Pa11.
O'est lá le point de départ dé1·eloppé pon i1. pcu
et formu lé d'une fa<¡on plus complete dans le sy~·
ten1e de Pythagore, en raisou et par suite <lu dé-
,·eloppement memo clu scns auditif.
Le syst.én1e de Pythagorc n'aclmet pas plus de
l[Uatre sons pour Je principc, u1ais il les reproduit
toujours par série de quat1·e clans l'étendue des
~ons perceptibles procluits par les voix ou par les
instruments. De la vient le change1nent de point
de départ potu· chaque tétracorde, bien que la
position des clemi-tons soit maintenue régulicre-
1nent entre les deux tncmes sons.
Kous n'avons l'ien en i1 mentionner des llo-
1nnins, car cher. eux le culte des arts ne s'est dé-
- 117 -
veloppé qu'ib la fin de !a Républic1ue. Il fallait done
cherchor ailleurs qu'{b l{o1ne les destinées et le:; pro-
gres eles a.rts et de la. mnsique en partieulier. O'est
ainsi que nous a.1rons passé des Gr ecs aux chré-
ticns, du tétracorde de Pythagore au tétracorde
de Saiot-Grégoire, pour arri ver 1t l'hexacorcle de
Gui d'Arezzo.
J'ai incÜqué Je role ele Saint-Angustio et surtout
1;ehú do Bocee da.ns cettc période. Le systeu1e des
sons si1nultanés devait para1tre alors inco1npatible
a.vec la. iuéloclie basée sur les tétracordes. Aussi,
est-ce bien le systeme de Pythagore, pur de tout
alliage, qui passe aux Ara bes en meme temps qu'il
devient Ja base de la réforme faite da.ns le chant
religielL\'. par Saint-Grégoire. « ~1ais, dit M. Vil-
lemain, dans le 1'ablcClllN de la litléra,flure ai& inoyen
.
ti(Je, de méme que la langue latine se modifiait au
contact de la prononciation des Barbares, la mu-
siquo dut perdre ses intonations les plus do uces. ,,
C'est ainsi qu'en Enrope le plain-chant, et aveo
lui la musique profane, ne conservent que le
genre dia.tonique. Quant aux genres chr omatique
et euhar1nonique, on en trou vera peut-etre quel-
qnes ve~tiges chez les peuples d'Asie et el' A.frique.
- ·118 -
« K'est-ce pas par les ordres d'Haroun-el-Ra-
chid et de son fiJs Mrnnou u que fureut filites, d'a-
pres les écrits des pbilosophes grec~, hébreux et
syriens, la plupart des traductions dont la cou-
naissance devint si précieuse aux chréticns, et,
pourrait-ou nier l'influence puissante que les
Arabes out exercée SU \' les cbrétieus jusqu'au xv·
siecle, soit par la !Ol'CC des armes, soit pnr celle
de l'intelligence? (1) »
J)'nprcs Guinguenó et Sismondi, la litt-Oraturc

provcnqale est une perpétuelle imitatio11 de la li t-
térature arabe. Si Ja 1nusique des chrétiens a ap-
porté. en Burope la littérature arabe-hébra'iquc,
l'in,·nsion arabe doubla l'action de ce 1noycn it.
l'aide de la gayc-scicne-0, la sciencc des 1'rou vcre~
et des 1'roubaclours.
« Qu'étaieut les 'fronbadours '? (2) Des hotnu1e~
tle guerre pour la plupnrt, quelques-uns des sei-
gneurs ele chateaux; d'autres eles gens d'esprit du
temps, qui, anirnés par Jeur uature musicale de
1néridionau i, fa1•orisés par cette langue sonoro et

( 1) Dclccl uzc. - U<111lc el I<• 1ioésie amo111·e11sc.


lt) \'illemain. - Tablea11 de la lilléral11rr d11 moyr11 <i{¡1-.
- 'll~ -
1nét.'1llique, et redisant avec verve la pensée po-
pulaire, tour it tour attaquaient ou célébraicnt
dans leurs cbansons les seigneurs du voisinage...
" Le tronbadour fhisait des vers et souvent les
chantait lni-mcme; mais il était suivi d'nn ou
dcux jonglcurs qui avaient pour mission spéciale
de chanter et de réciter des histoircs de chevalerie.
» Girard ele Calanson, dans une piece de vers oü
il donne les préceptes de son art, recommande d'a·
borcl de savoir bien trouver, bien rimer, bien parler
et proposer hardi1nent un jeu-pa1·ti í1). En outre,
dit-il, il faut bien jouer du taro bour et eles cym-
bales, fhirc retentir la symphonie, jeter eles petites
pon1n1es et les retenir ad1·oitement sur Ja pointe
cl'un coutean; imiter le chant du rossignol, faire eles
tours avec des corbeilles, simuler l'attaque des
chateaux et traverser en sautant quatre cerceaux,
joner de la cytale et de la n1anclore, manier la ma·
nicarde et la guitare, jouer de ht harpe et bien
accorcler la gigue potu· égayer l'au· du psaltérion. •

('l) On ~ntendait par jett-parti une cbanson improvisec


pa1· dcux voix alternant .en forme do demande et de ré-
ponse. C'était e n pctit le doul>le clHnu1· cbanta nt la stropbc
et l'antistropbe.

- 120 -
'ou1-ent cependnnt, le trouvere, c1ui devait sa-
voir tant de choses, ne savnit pns mcme écrire, et
les paroles comme la i1111sique de ces chaosons se
transmettaient ii l'nudition. De la, In nécessité
d'une poésie courte et qui clut bientót ctre divi-
sée en couplets a1•cc un rcfrain distinct. Fauriel
en donne un esemple dans le Récit en vers do la
croisade con/re les héretiques albigoois, qui contient
l'indication suivnntc : Soir;neurs, cet/o chanson csl
faite dr la 1né1ne 111mii<h·c r¡1¿<: celle cl'Antiochc, et
paroillement versi/itJ1•, el so <lit sur le monto air 1101¿r
qui sait la ctire.
Ce fait 1·ient a l'appui de l'opinion de i\l. , .ille-
1nain, lorsqu'il clit : « J'imagine que les chants
nrabes et espagnols avaient pu donner, pnr la ll)ll-
siquc mcme, le type de ccttc poésie provenqnle si
rigoureuscment asservic dans ses mctres. »
On voit par lit que, si ib cette époque di1·e et
chanter n'était plus la mcme chose, la poésie était
cependant encore inséparable de la musique, qui
réglait Ja mesure des ve1·s.
La musique, avecses tentntives cl'harmonie con-
nues sous le nom de Discant, donnait naissa1\ce n11
Di-scort, piece de ven; qui réunissait un pe11 de


- '12'1 -
toutes les langues, italien, provenqa.J, franqais,
gascon, espagnol, etc.
Est-il besoin d'ajouter que les croisades, renou-
velant constan11nent les rcla.tions des Europécns
avec les i\Iaures, étüblissaient un échnngc conti-
uuel dans la Iangue et les connaissances scientili-
q ues et littéraires des denx races ?
~'.Irtis,
tanclis que les i\laures restaient station-
naires, les peuples d'Occiclcnt, aprcs s'ctre assimilé
les connaissances des Orien taux, les développaient
dans un autre sens, et nous avons vu comn1ent
le systen1e n1usical fut singulieren1ent modifié
et agrancli par la clécou verte ele Gui d'.A.rezzo.
Des lors, la musique, se faisant calme et grav<'
en Occident pour développer plus a l'aise le prín-
cipe harmonique, abandonnait aux musulmans la
glose et les enjolivements qu'ils ont conservés.
Les chantetu·s arabes cloivent encore savoir une
grande partie de ce qu'on exigeait du Trouvere,
et si on ne retrou ve pa.s chez tous les ta.lents spé-
ciati:-: qui semblaient étre réser1rés aux jongleurs,
on co1nptenclra comn1eot ce persooonge a pu ctre
remplacé dans les fétes mnurcsques par un boútfon
rl'un autre genre qu 'il suffira de 1101111ner; je veux
- l':/2 -
dire Ga-ra{JOtts, le poliehinelle indigene, dont les
grosses plaisanteries sont toujours si bien accueil-
lies de la population musulmaue.

II
Disons, u1itintenant, qnelles conséquenees nous
tirerons de cette étude de la n1usiqne arabe, exa-
minée daos ses rapports avec la musique grecque
et le cban t grégorien"
Jusqu'au quatorzieme siecle, on s'est servi de
douze ga1nmes différentcs, chacune ele ces gan1tues
donnant a Ja mélodie un caractere particu lier.
A dater dtt quatorzicme siecle, on a abaoclonné
ces gammes pour n'en conser ver qu'une co111me
base du systeme harmonique. Plus tard, on en a
repris une seconde, la, gamme 1nineure, qui
n'existe qu'a l'état de déri vé de la premiere, et ne
peut, harmoniquement parlant, marcher sans elle.
Ainsi, antérieurement au quatorzietne siecle de
.Jésus-Ohrist, la musiq11e n'est que méloclie, tnais
cette u1élodie se dévcloppe dans douze {JC111nnies ou
1nodes d'un oa1·actere different.
Au momcnt oü surgit l'élément haru1onique for-
n1ulé da ns lesysteme cl'hex<1Cordc de Gui el' Arezzo,
- 123 -
on abanclonne ces douze ga1nmes ; puis, lors·
que déjit l'hannonie a grn.ncli son action, et sans
rloute aussi par suite de la déconverte de Ja note
sensible, c'est-a-tlire vers le dix-septicme siecle,
on reprend une seconde gan1me, un second tuode
dont la mélodie a un caractere spécial, nécessitant
Hne harmonie spéciale aussi.
Or, ces deux gamn1es, qui corl'espondent a nos
111odes niajc1¿·1· et rninenr, ayant fa.it partie tles 1110-
dcs du systcmc n1élodiq11e usité antérieuren1ent a.u
qua.torzietne sieclc, n'est-ou pas en droit de pen-
scr que, dans les dix autres mocles abandonnés a
Ja méme époque, il y a lt prendre, sinon tout, au
moios quelquc chose, et que ce quelque chose ai-
deri it au dévelop¡)e1neut de notre systeme har-
monique ?
Pour nous, il n'y n pns lit le 1noindre doute, et
cependant, au tnoment de termincr ce travnil,
nous nous demaudons si les sympathies qu'il n
éveillées chez quclqucs personnes trou 11eront un
écho dans le monde musical . Nous nous rappelous
les sarcasmes qui ont accueilli les lVIeybomius et
les Burette dans leurs essais ele musique grecque;
et, sans nous abri ter clerriere une fttusse et inutile
modestie, nous avouons n'a.,·oil' pas l'espoír de lilirc
partager it nos leetcurs Ja conviction qui nous anime.
Sans doute, on nous objeete1~1 que les elfets de la
1nusigue ara.be sont connus et qu'on a pu les juger
notam1nent dans Le Ddscrt de J\í. 1\ílicien ])avid .
0."ous dirons, nous, ctue c'est la une errt>ur trc:;-
grancle. ~ I. David a. fi1it le contraire de ce que
non:; demandons; il a n1odifié la mélodie arabt>
pour lui appliquer notro systeme Jiarmonique, re-
nouvelant aiusi pour son muvre ce qu'on fitíttous
les jours pour le plain-chant.
Nous Youclrions, au contraire, qu'on :tpplic1uí'tt
un systcme harmoniquc approprié it la gau11ne de
chaque mode, sans altérer le ca.ract.Cre de la iné-
lodie. La, croyons-nous, est la source d'une non-
velle richesse harmonique, dont J'eniploi po11r1·1tit
se combiner avee ecllcs c1uc nous avo11s déji1.
De meme que le mode 1nineur a une harn1onie
$péciale, il faut en adaptcr une a chacun des n1odes
que nous signalons.
Un tra vail dans ce sens atu·ait pour résultat
i1n1nédiat de ramencr le plaín-ebantltsa vraio voie,
et fcrait cesser la confus ion apportée dans le chant
reli~ieux par le mélan¡re du príncipe 1nrlocliqul',
- l25 -
t1u i cst la busc tlu syste1ne de Saint-Grégoire,
avec le príncipe barmonique auquel on veut Je
plier et qui n'arrive c¡u'a le défigu rer (1).
Quant <'L l'application d'un se1nblable systen1e 1t
notre inusique profane actuelle, nous ne saurions
en affirn1er Ja possibilité, le temps et l'expérience
pouvant seuls démontrer jusc¡u'it que! point les
ressources de la mélodie antique, alliée á une
lun·monie spéciale, seraient compatibles a vec nos
habitudes iuusicales .
Quoi qu'il en soit, nous pensons qu'il y a dans
notre tra\7 ail quelques points d' histoire, je clirais
presquc cl'archéologie musicale, qui peuvent offrir
quelquc intérat; et, si l'ou vicut nous clire que le
tétracorde de Pythagorc et l'hexacorde de Gui
cl'1~rezzo ne renouvelleront pas chez nous la que-
relle des Gluckistes et des Piccinistes, nous n'en
eroirons pas moins que l'étude clu passé donne
souvent le vrai clu présent et permet de conjecturer
!'avenir.

(•! ) J e ne pcux, i1 ce sujet, <¡ue 1·cnvoycl' le lcctcm· ~ux


[ll'écicuses indications données par Nieder1neyer, da ns son
l ivl'e de l'llannonie a¡;pliqutlc au. plain-chant.
APPE NDJC E

RSSAI
~rn

LºORIGIN E ET LES TRANSFO RMATION S

IJG

i,JUELQUES INS'l 'llUMEN'l'!:'


ES S AI
SUR

L'ORTGINE ET LES TRANSF'0Rt.1ATJONS

QUE LQU ES INST RUM ENT S

Le travail qui suit a été publié, en 1858, a


~ladrid, dans la Hspa11a artística, alors que
je
n'avais pns encore réuoi tous les renseignctnents
nécessaires pour 1non étude de la musique nrabe.
. 11 1n'a semblé que, 1nalg1·é les répétitions inévi-
tables en pareil cns, il y avait dnns cet cssai des
développe1nents qui pouvaient olliir quelque inté-
9
- 130 -
l'et. A cause de lenr caractere spécia!, ces dévc-
loppements n'avaieut pu trou ver place dans 111on
t.ravail de musir1ue indigcne, auquel, cepenclant,
ils se ra.ttachent par taut ele points, dont ils sont
en quelque sorte le complétnent.
O'est h ce titre que je les transcris ici, renvoyant
le lecteur curieux au texte original de la Espana
c11·tistica, nº' 38, 40, !¡!¡et 45.

1
Qui tend A prouver que le premler Chef d'Orchesti·e connu
a. succédé A une Éca.llle d'Hu1tr e.

11 me serait clifficile de fixer l'époque précise de


cette transformation; nlais, si le lecteur veut bien
suivre inou raisonncnlent, il comprenclra com-
1nent, sans qu'il soit nécessaire ele clonncr une
date certaine, il est possible cl'arri 1'er a cette con-
clusion.
\ 1oyons, d'abord, s'il y avait chez les anciens

cet ensemble cl'instru1nents différents qui forme


un orchestre.
David jonait de J¡L harpe, et quelques écrivnins
portent iL trente-six le nombre des instrun1ents
clont on se servait a cette époque.
- 131 -
8alo1non réunissait dans le temple L¡,400 n111si-
ciens, dont les trois quartsjouaientdesinstrumcnts
!~ vent, tels c1ue trompettes, sarnpunia ou corne-

muses, llfttes , conches sacerdotales, etc.


' Toili1 bien l'orchestre, avcc ses timbres variés,
orchestre bruyant, sans doute, surto ut si, co1n1ne
j'ai licu de le croire, les sampunia ét.aient de
1ne1ne nature que les rnuse ttes des Arabes.
l\'Iais, dans to ut cela, il n'est pas question d'un
c·hef quelconque.
Les Grecs, cux aussi, n.vaient un orchestre
\'arié, bien qu'il n'y eut pas, chez eux, de 1n11siquc
puren1ent instru 1nent.alc. ::\[ais, !'un des dcux
príncipes sur lcsquels rcposait leur musique, la
Rhyll11nopé<J ou science du rh.rtlnne, co1nprenai t
aussi Jn. scicncc des 1nou~·cn1cn/s 1ntbe/s appcléc
Ore/tesis.
Il y avait, dit Burette, un battcur de 1ncswrc
placé au 1uilieu du choour des 1nusiciens. On
l'appelait Koruphaios, coryphée, ou mieux eneore
Pocloct1bpos, it cause d1t /Jru,i/. qu'il faisait cwcc les
pieds.
C'est qu'en effet ce batteur de mesure portait
des sandales de bois 011 de fer, ce qui lui perroeli-
-- '132 -
tait de se servir d'un instrn1nent chantant avec
Jes.mains, en men1e temps qu'il batta.it Ja mesure
:tvec les piecls.
Plus tarcl, les Roma.ins ajoutCrent· a.u bruit eles
sanclales, pour111arquer le rhytbme, celu i des écait-
li:s <l'huítres et des ossements <l'animaux. Ces nou-
veaux instruments se jouaient avecles mains, cl'oit
le nom ele ?11!'?1Abcluctor pour le battetu· de mesLu·e.
Les Matu·es, plus délicats sans éloute, transfor-
1nerent les éca.illes cl'huit.res en castagnettes de
' fer; les Espagnols les perfcctionnerent encore en
les faisant en bois.
i\'Ia.is, tanclis que ces transfor1na.tions avaient
lieu en .Afi·ique et en Espagne, la mestu·e ton1bait
da.ns l'oubli sous l'influence ele l'invasion des
Barbares. D'un autre cóté, le christianisu1e, en
s'appropriant les mélodies de la musique grecque
et romaine, avai·t banni des céré1nonies religieuses
les instrument.s it percussion.
Le plain-chant ótait h la .1néloclie toute idée de
rhythmc et ele prosoclie, et jusqu'a Gui d'1\rezzo,
qui for1u ula le systeme ban11onique des hexa-
cordes, le chant se traJna uniformément et sans
nucune espece de mesure. ·
Les troubadours apportereut bien <laus la mu-
sique profane une modification sensible pour le
rhyth1nc; 1nais ils dédaigncrent les casta.gnettes,
_e t ne conser11erent des instrllmeuts apportés d'O-
rient, a.pres les c1·oisades, que le tambou1,.de basque
- 1ac11t· - et le rebec ou 1·e/Jab.
Dans tonte cette pél'iode, il n'est plus question
de batteur de mesure.
TI fau t arri ver it Franc¡ois l •r pour citer un
fiuneux violoniste, qui rec¡ut le titre de roi des
violons. L'histoire n'a pas conservé le nom de ce
premier chef d'orchestre. Le plus ancien qu'ou
puisse citer est Lulli, qui rec¡ut de Louis XI\T Je
.
titro de roi des violons, et celui ele maltre des u1é-
nétriers.
11 obtint, <le plus, Je pri vilége <le l'Opéra en
1672. Ce fut lui qui, a.1rec l\1outevercle de 1 01nbar-
tlic et ·viaclann, de Lodi, foru1a le premier orchestre
dans le sens u1oclerne, composé de plusieurs mu-
sicieus jouant it plusieurs parties écrites (1).

(1) On a pu npprécicr l'etfcl "ele cct orchestre, en ·l tt'19, ;\


Pa1·is. Les co111édiens du Tb&\trc F runga is, il l'occasion de
l'anniversairc de la naissancc de Moliere, rcprésentcrent sut·
- 134 -
1\. dater ele ce 1nonicnt, le bru it n'óta it plu~
néccssaire ponl' indiqne.i· les mouvements et le
rbyth me; le geste suffisait: ore/tesis.
J,cs castagnettes, dont on avait fhit les timbr es
clu tan1bou1" de basque, furcn t abandonnées aux
jongleurs et aux balnclins.
J,c chef d'orchestre, roi des violons, prit pour
sceptrc l"archet du com1nandemcnt.
Et voila comment les castagnettes, snccédant
au,x écailles d'hui tres, ont été relég uées clans Je
dooia ine de la da nse pa~· ceux-la m~n1e qui leur
devaient leur importance musicale, et coUllllent
aussi clics ont été rc1nplacées dans la musiq11I'
1noder ne par un chef d'orchestre, 1na1iu<l'uct11r.

la tiCCnc clu G1·and-0 ¡1ú1·a /e l10111'(JCOis Gentillto>nmc ave<'


ballet, musique ele Lulli.
L'orchestre se compos.1it du quatuor et de quelques ins-
1 rum cnls a \"Clll ,jouant pt'CSque toujo urs a l' unisson.
C<lpendant la musiquc do Lulli l'ut toulc une 1·6vo luLio11.
bien qu'on connut déja l'op(•ra en Italic dcpuis longtcmps.
Le premier dont il cst foit mention est Da11lme qui fut
1·eprésenté, en 1597, ú F lorcnce. Ocla,·e Rinnucini fil k·
pocmc el J ac<¡ ucs Peri y npplic¡un une déclamnlion notéc
c¡ui n•a,•njt de In musiqu~ <111e lo uom. Les inslruments il
pe1-cussion y tcnnient un rólc imporlanl. nota111111cnt le t-0111-
bou1· de basquo.
'135 -

II
D'une Tortue a un Plano.
1Vihil novu1n sub sole, clisent quelquefois les an·
tiquaires; ríen de uou veau sous le soleil, - et
partant de cet a.xiome ils voot cherchant, compul-
sant, potu· prouvcr qu·aprcs le cléluge - pour ne
pas dire avant - la somme des connaissances
hu111a.ines éta it aussi complete qu'i~ présent. Une
inscription décou verte, un hiéroglyphe déchiffré,
un texte traduit, cou1menté e.le mille manieres,
tout est matiere a iuvestigations sur ce sujet, et
heureux, bien heureux, celui qui peut apporter
une uou velle preu 1•e al'appui de son axiome favori.
Lo in de nous la pensée de fai re cause commune
avec ceux-la quant au résulta.t final.
Si nous cberchous a rc1nonter - daos notre spé-
cialité - a!'origine des choses, ce n'est pas clans
le but de glorifier le passé pour dédaiguer le pré-
seut; uous voulons, a.u contraire, sui vre ces grauds
courants de la civilisation qui, comme autant d'an-
neaux d'une méo1e chaine, se renonent dans l'his-
toire pour o:iontrer aux peuples la 01arcbe toujours
ascensionnelle de l'humanité vers la perfection.
- 136 -
En un iuot, nous cherchons !'origine pou1· éta-
blir le progre .
On ne s'étonnera done pas si nous parcourons
la métne route pour l'étude de chaque instru1nent,
puisquc la musiquc, unie iL la poés ie, apparrut
avec elle et se déphice selon que la civilisation
progrcsse chei les eliltcreuts peuples qui nous l'ont
transu1ise.
C'est ainsi que nous voyo ns, eles la plus haute
antiquité, les poctes et les musicieus prendre pour
emblcme la lyre, typo génórique des instruments ü
cordes.
On croit géné ralen1ent que la guitare a succédé
a la lyrc antique, et com ino preuve on cite David
jouant de la ha1·pe en dansuut devant l'A.rche.
Disons d'abord que cette citation porte cntiere-
1nen t iL !hux, ainsi que nous l'établi1·ons en parlant
spécialement de la harpe qui, men1e 1t l'époque d!'
David, n'avait déjiL presque plns ríen ele commun
avec la guitare.
Que les deux instrumeut· déri vcnt ele la lyre,
nous ne le contestons pas; u1ais nous pensons que
tous cleux suivirent une marche bien distincte et
que, en ce qui concerne la guitare, ce f'ut l'ins-
- '137 -
tl'ument connu des G·!'ecs sous le nom de Kithara
eb qui avait couservé la forme pretniere ele la lyre.
Oo sait que ce fut Jl1crcure, selon les uns,
'

Ül'pbée, selon les antres, qui inventa la Iyre en


faisant résonner sous ses doigts les nerfs cl'une
tortue clésséchéc au soleil. Or, cette 'forn1e coucave
de Ja carapace de la tortue, les Grecs l'avaient
conservée a la kitbara; ils la transmi.r ent aux
Roroains, chez qui Ja déno1nination de lyra. était
cotnmune iL tous les instrlnnent.s a corcles, et celle
de tibia ii tous les instruments i1 vent.
La kithara eut done le iuérite de conserver plus
que les autres h• forme primiLi ve.
Elle était montée d'aliord de trois cortles, - sans
doute les deux tétracordes conjoints, - puis, en
raison de l'extension progressi ve clu diagramu1c,
on en ajouta plus tard· une quatl'ieu1e forn1a nt les
cleux tétracorcles clisjoints et <lonnant comme son
extr&n1e, l'octa 1'e .
L'ensemble de l'accorcl était done, sui vant le
mode da.ns lequel on clevait chanter:
?'é-sol-la-1·é,
ou bien :
nii-la-si-rni,
- 138 -
d'nprcs les divisions que Pythagore lui-u1eme 011-
scignait commc prcmiere déduction, c'est-a-tlire
dans les proportions de 1/2, 1/3e t 1/4.
Cettc guita re, avcc sa forme concavc, est encorc
en usage chez les .Arabes a\·cc les diltcrcnts modos
cl'nccord qui se rapportent aux tót1·acordes du
~ysteme pythagoricicn.

Son noo1, en A.lgérie, est l\oui lra; n1ais il se


n1odifie sclon les dialectos, plus doux h Tunis et
surtout !~ 1\lexandrie oü le t prend la prononciation
du th des J\nglais; plus dur, an contr11i1·e, clu coté
du fiíaroc ou on l'appelle simplen1cnt kitra .
De la /;itra des jfarocains it la !71tilarra des
Espagnols la différcncc est pcu sensible, et uo11s
pourrons conclure de ces analogies que si la /;itlia1·C1
fnt apportéc en Espagne par les Roma in!\, l'u~agc
n'en fnt pas d'aborcl trcs-gtlnéralisé par suite de la
déca.dencc de l'E1npire. Alors les sciences et les
nrt.s se rélhgierent an sein clu chris tianistne, et les
hérésies lhisaient rejcter des cérémonics religicul\CS
les instru1ncnts clont l'etuploi cootrastni t nvec ht
sin1plicité du nou vcau cultc.
'frois siecles a¡n·cs la réfonne musicale de Saint·
1\ugustin, l'orgue était le scul instru1ncnt reconn11
- 18\:J -
tligue d'accompagner les cantiqucs; et tandis c1ue
Constantin Oopronymc envoyait a Pépin le Brefle
premier orgue qui ixirnt en Occident, la dom ina-
tion arabe ramenait en Espagne, avec la. poésie et
la diinse, leur accompagnement obligé, la guitare.
Nous ignorons de quelle épocp1e date le chan-
gement qui s'opéra da.ns la table inférieure qui,
de conc::nre qu'elle ékiit, devint pla.te comme la
supérieure; n1nis ce cbangement dut avoir lieu
.
probahlement lorsqu'on ajouta. <leux cordes aux
quatre déjh connues, c'est-á-dire lorsque le dia-
gramme étant augmenté et les lois premieres de
l'harmonie connues, bien que non encore forn1ulées,
le systCmc ancien - le tétracorcle- dut composer
avec le nouveau - l'bexacorde.
De la, croyons-nous, vient ce mocle d'accord qui
pa.rnit si étrange, fonné qu'il est de trois tétra-
cordes conjoints, - mi-la- ?"é - sol surmont.és
de l'hexacorde coupé par la tierce sol- si-nii,
pre1nier indice de l'har1nonie que l'oreille avait
trouvé clans le Discanl.
J;agu itare résnmait n;insi l'élément bar1uonique,
et, á ce titre, elle requt différentes moclifieations
et aussi di fferents notns appropriés a leur carac-
- 1-iO -
tcre, théorbe, mando re, colaehoo, etc.... Ren1ar-
quo11s, toutefois, qu'on la trouve, au xv1• siecle, en
.A.nglet-01Te et en France, sous la dénomination
presquo égyptienne de Cisthra, Cisthrc.
~íalgré ces perfectioone1nents, la guit.'lre ne
sufilsait plus au développonient dn systc1ne har -
1nonique, et co fut dans son union avec l'org11e
qu'on trou ''ª les éléments ele l'instru1nent qui
dcvait la re1nplacer. L'orgue clonn¡~ son clav icr, la
guitare maurcsqne donna son plectrtun (bcc de
plumo aire e lequel on frappait les cordes}, et de
cette nníon naquit le clavicenibalti111 , et plus tard
le piano, qui substitua au plectru1n le systcme eles
marteaux .
En vain, la guitare vou lut-clle faire assaut de
sonoricé Hll mettant, cornme le clavecín, deux
cor<les pour cbaquc son ; ses SLx cord es doubléc ·
durent s'inclin er devnnt le cla1recin, dont les tou-
ches semblaient se n1ultiplier, et elle ne trouva de
rclllge qu'en Espa.gne, oú la cho.nson·ct h~ clansc
natiooales out couse1·vé, en grande partie, le gen re
a.rabo, qui leur était commun.
'l'outcfois, la forme nouvelle <t subsisté, et il
n'est i·esté ele l'anciennc qu'un écliantillon tronqué,
- '14 1 -
assez rérandu encore sous le no1u de Band!i.iria
(ma.ndoline), et clont les sons trop aigus, {or1nés
par un bec de pluu1e qui frappe les eo1tles, agis-
sent sur le syste111e ncrveux bea.ucoup plus.qu'ils
n'éveilleut de scnsations agréables.
Est-ce a un respect exa.géré des vieilles tra.di-
tions que nous devons de voir encore, clalls cer-
tains cafés ele 1\ínclrid, Ja guitare et le piano se
t:üre les hu111bles accompa.gnateurs de la Ra.nduria,

ou bien, ce rapprochen1eut est-il d íl it la ténacit.é
d'un antiquaire qui voudrait justifier son 11xion1e
favori : l\;ihit novun1 sub sole?

Ill

D'un Rosea.u R. un Diapason.

ll y a. quelques jours, j'allai chez un fabricant


d'instru1uents de musique, pour lui t!e1.nander
c¡uelques renseigne1ncnts. Il était sorti; mais on
iu'assuni qu'il ne tarderait pns a reotrer, et, en
l'attendant, j'examinai les vitrines, garnies de ces
précieux procluits que notre siecle a tant perfec-
.
tionnés. C'étaient des fiütes, des violons, eles ta1n-
bours; enfin, un assortüuent complet. Penda,nt
- 142 -
que j'admirais comment ]'esprit h111nain a su tirer
de si peu d'i ncft1i.l.1les jouissances, il me se111 bla
entend re un bruit étrange, et dont le sens m'était
inconnu. Je Cl'US llll lllOlllent ctre le jouet d'une
illusion ; u1nis bientot ce bruit devint plus percep-
tible, et je pus me convaincre qu'une discussion
s'était élevée dans ce nlilieu haru1onieux.

- Eh quoi ! disait un hautbois de sa petitc


voix aigre et per'1:Jnte, vous &tes bien fiere, flOte
11111 1J1ie, parce que vous faites remon ter votre

généa logie jusqu'aux ten1ps mythologiques? Pen-


~cz-vous que vous soycz la seule u avoir une ori-

gine aussi ancienne, bien que tlouteuse ·? En


,·érité, vous axez bien plus d'orgueil que les bom-
n1cs, nos rnaitres qu i JHl re1nontcnt c1ue jusqu'a11x
croisades. 2\iais, quand cela serait, encore une fois,
,·ous n'ctcs pas la seule.
- Taisez-vous, petit criard 1 répondit la Híttc
sur un ton doucereux et calme ; n'ayez done pas
J'air d'ignorOL' que le Diou Pan fut mon pere.
- Oh! cela., 0 11 lo dit, 1nais personne ne peut
l'affirm er. Ne jaunissez pas tant de colere, c'est
inutile. Xous s.t,·ons tous qu'en pcnser.
- 143 -
Oui, oui, reprirent les autres en chceur, nous
savons qu'en penser.
- D'ailleurs, reprit le hautbois tout lier de
J'adhésion de ses camaratles, vous a1'ez bien changé
depuis; alors, vous aviez, dit-on, plusieurs 1nem-
brcs distÍUCts, tandis qu'aujourcl'hui VOUS etes
comme nous tous, vous n'en a1rez plus qu'un.
- Oscz-vous bien vous comparer a moi, s'écria
la iifttc avec colere, vous qui étiez alors formé du
tibia d'un ane?
Le hautbois 1roulnt l'interrompre, mais la tlftte
ne Ju i en laissa p:1s le ten1ps et eontinun :
- Oui, 1Taiment, le tibia tl"un fine, voili1 votre
origine. Et depuis longte1ups je servais a neco1n-
pagncr les chants des sacrificcs et les hymnes en
l'honneur des Dieux, que vous n'ét,ic7. pas encore
né. D'ailleurs, n'est-ce pas lt 1non i1nage que vous
.
avez été fait? Lors de la transforn1ation i1 laquelle
vous faites allusion je n'avais que quatre sons pour
chanter; mais bientot les pastetu·s, charmés des
plaisirs que je leur proeurais, en augn1enterent le
nombre et j'en a vais c1éji1 huit lorsque ....
- 'Et voilil. qui prou1·e eu notre faveur, inter-
ron1pit le hautbois. .Je suis né pa.rlhit ; et si ou ne
- l'i li. -
1n'a pns cnipl oyé cotntnc vous pour ce dont vous
,·ous éuorgueillisscz, je puis, 111oi, co1npter partni
1nes ad1nirateurs tous ceux que 1na voix cntralnait
an co1nbat. Vous calmcz etj'c xcitc, voili1 la cliílc-
rence. nJais c1u'est le cnhue dnns la vio, s'il vous
plait ? Cotubien de jo111·s ele trouble pour un mo-
nicnt de repos ·? L'cxcitation, n'cst;.ce pos la vio
1nc1ne <le l'hol'nnH1, et ne la cher chait·il pas nvec 1noi
jusquc dnu:; ses jetL'\ oil, com1ne clit 1noo bien-ain1é
pocte Ovide, j'irnitais les sifilen1011ts clu serpent ·?
- .J ·adm ire votre citation, rcprit la tl fit~, en
1·c1nu::in t ses clefs avcc 1111 bruit de i·ire. Parce
qu'une fois il ::i. pris fantaisie ii Ovide de parle r de
vous, vous ne pensez pas que ce 1nen1e poete vous
a oublié dans son ArL ct'ainicr. l)'aílleurs, u'ai-jc
pas enco re en n1a fa\•eur Virgile et Horace qui
l'itlent bien au n1oin s autant qu'Ovido. Tencz,
laissons lii les poctes et ne Yoyons que les t:1its.
1·ous <lisiez tout-it-l'heure que nous ne devi ons,
comino les homu1es nos 1nnltres, ne remonter qu'au
temp s des croisacles . Eh bien 1 nous étions lii tous
deux, et si vous servi ez iL cxciter au combnt les
preux chevaliers, je venais iL mon tour les cahncr
en leu1· 1·appeln11 t les chants clu foyer.
- 145 -
La vie n'est qu'excitation, disiez-vous; mais
combien ne donnerions-nous pas de jours passés
dans Je trouble pour ce moment de repos que
vous avez l'air ele déprécier .
Laissons la guerre et les croisades, revenons en
Europe. Vous etes avec les guerriers, soit; mais,
moi, dans la main de tous les 1'roubadours, je reste
leur compagne inséi)arable et je chante dans le
pa.Jais et la chaumiere les hauts faits de ceux que
vous avez accompagnés dans la bataille.
Vous les tuez et je les itnmort.alise; lequel ele
nous deux a le n1eilleur r6le '?
D'ailleurs, je n'a.i pas oublié iua premiere for1ne
et je n'en rougis pas, car on se sert encore de moi
polu· fqrmer l'orgue, l'instrument religieux par
excellence. Oh! ne m'interrotnpez pas; je sais ce
que vous allez 1ue di.re. Vous aussi, vous avez
coopéré au développement de l'orgue, j'en con-
viens, mais depuis quand ?
Une longue rumeur accueillit ces dernieres
paroles de la fhlte . Quand, enfin, le calme se fut un
peu rétabli, j'entendis comme trois voix qui par-
laient en meme temps . O'était la triple clarinette
qui voulait aussi établir sa généalogie, mais un
·10
- 146 -
couac qui survint fit que ses voix furent cou vertes
par les huées ele l'assemblée.
- Silence, clit enfin no basson, silence, mes
amis; n'apportons pas la discorde la ou l'on ne
cloit trotnrer que l'harmonie. Ne remontoos pas si
haut clans l'histoire pour ét.ablir nos clroits.
- C'est vrai, tres-bien, crierent les clarinettes
et le hautboit. Ne remontons pas si haut, c'est
inntile.
- Eh bien, clit le basson, cherchons quel est
celui cl'entre nons qui a le plus cl'infiuence dans
l'orchestre.
- ~1oi, moi, iuoi, s'écrierent-ils tous i1 la fois .
- °'' ons ne m'avez pas compris, reprit le placicle
basson. Je vous demande stu· lequel d'entre nous
se regle l'accorcl daos les orchestres.
Le hautbois triomphait et cléja tous les instru-
ments se rangeaint de son coté quancl la flütc
, .
s'ecr1a :
- Un moment. J 'aclmet que nous sommes tous
égaux devant la loi clu jour, la · loi du progres,
mais il y a accord et accord .
- Vous ne pouvez pas nier que ce soit moi qui
donne le ton, clit le hautbois.
,~

- l ·ll -

- Et pourquo i le donn cz-vous '~


- Parce que je ne varie pas, reprit le hautbois
avec malice.
- Pauvre enfant 1 exclama la ilftte. Puis, elle
ajouta aprcs un silcnce : lgnorez-vous done que
vous avez varié d'un ton depuis un siecle. Oui, un
ton. Et c'est vous qui m'accusez d'etre va.riablc
quancl on vicnt de décider qu'on se rapportera a
moi pour rétablir un diapason fixe. Ah ! cela vou s
étonnc. Et bien, sachez-le, c'est a une de mes
SCBl!rS, a une flíl te déSOl'll1DiS célebre, c'est a Ja,
fifttc de Deviennc qu'on Ya demander une regle a
laquelle il fhudra bien que vous vous soumettiez
tous, clepuis le . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . .. . . . . .. . .
lci le bruit des clefs de tous les instruments
couvrit la voix de la fiíltc, et quand ils commen-
qaient :~ s'apaiser le maltre de l'établissement
venait d'entrer.

IV
A Dori o ad Pbry glum .

Nous comptons au nombre ele nos amis un admi·

'
- '148 -
rateur passionné de l'antiquité, qui nous a filit des
remontrances amicales relativement a In pnuvre
petire raillerie échnppée de notre plume ;\ l'endroit
des antiquaixes.

- \Tous cherchcz le progres clans l'Otrc art,


nous disait. cet ami, et potu· cela vous reo1ontcz :~
l'nntiquité; ríen de n1ieux. Muis, par ces recher-
ches mcmes, ne montrez-vous pas aussi un senti-
n1ent égal a celui que vous raillez?
- Votre reproche serait fondé, avons-nous
répondu, si nous avions formulé un blume; or,
c'est ce que nous n'avons pas fait. Nous rions de
ccux-la qui ne voicnt le bien que daos le passé;
1nais de liba n'apprécier que le présent il y a loin,
et nous cherchons it faire la part qui revient a
cbaque époque.
- Cependant, vous clédaignez la guitare?
- Comme instrument de notre époque, oui,
puisqu'il ne répond plus 3. nos besoins.
- C'est-a-dire que Ja guitare ne vaut plus ríen,
qu'il faut l'abandonner?
- Non pas, mon cher antiquaire; vous exa-
gérez Ja portée de incs parolcs. Loin ele n1oi la
- l'i9 -
pensée de supprí1ner un instrument auquel nous
devons en partie l'orgue et le piano; mais, il faut
bien avouer que les ressources de cet instrument,
qui a cbarmé nos peres, ne nous satisfont plus
maintenant, et que la guitare ne nous convient pas
plus que la harpe de David.
- Et si je vous prouvais que la harpe de Da1•id
a serví plus encoro que la guitare ÍL la formation
. ·~. ....
. . \Tous nez
l 1ll p1a.no

- Oui, vrai1nent, car je ne conuais cl'autre rap-


port entre eux que l'nsage qu'oo en a fai& pour
danSCI'.
- Et eomment vous figurez-vous David clan nnt
en jouant de la harpe '?
- J'avoue que je ne me le figure pas du tout.
- Eh bien, 1noi qui su is antiquaire, je vais voui:>
en donner l'explication. Vous aver. clít, et avec
raison, que la harpe, bien plus que la cythare,
était la lyte perfectionnée. En elfet, la guitn 1·e,
avec ses quatre cordes, procluisait jusqu'il. douze
so ns a vec le secours des cloigts de la main gauche,
t.'lndis qne la lyre u'en produisait qu'Llll pour
chaque corde. Aussi, en arriva-t-on il. f.'lire la lyre
de onze corcles, qui, nu dirc do Plutnrque, s'appela,
- 150 -
d'abord kynnira, dn nom hébrai'que kin11or; plus
tard, it cause de sa forme, les Grecs la. nom1ncrcnt
aussi trigonon, tandis que, en commémoration de
l'acte solenncl oü elle avait figuré dans les n1ains
,
du roi David, les Peros de l'Eglise la non:uncrent
psallérion.
- Tout cela ne dit pas comment on pouvait

danser en jouant de cet instrument.
- Un peu de patiencc, et nous y arriverons.
Le nom de tri,r¡onon ne lu i fut pas donné seulcu1ent
ac.'Luse de sa forme, mais aussi en raison des trois
cordes qui concouraient il. forroer chaque son.
- .Mais, alors, c"était Je kánun des Arabes?
- Précísément; ce kílnftn, dont les soixante-
qu inze cordes, accol'décs 11a1· ti-ois a l'unisson, nous
ont amené a la forn1ation clu piano a trois cordcs.
Quant au fait de la danse, vous savezque le k!lnfin
n'est ¡)as plus lourd qu'une guit.'l.re, et que les
cordes, dans letu· plus g1·ande longueur, n'cxcc-
dent pas 70 ou 80 centi1nctrcs. 1\laintenant, appclez
cct instru1nent kanftn, par corruption de kinnor,
comine les Arabes, ou kyn nira, co1nme les Grecs,
ou psalt.érion, ou encorc trigonon, c'est toujours le
mCine i11strun1ent, déri vé en ligue di recte de la
lyre priniitive, et dont on a fait, plus tard, Je
laud, qui tenait ala fois de la lyre et de Ja cythare.
- Oui, le laud, dont on a fhit aussi Je luth, et
qui n'est autre chose que l'éoucl. On s'en servit
da ns les églises avant la réformc deSaint-Grégoire,
ponr chanter les louanges du Seigneur (laudes), et
l'OUS me pcrmettrcz de croire que laud et luth ....
- Prencz garde, interrompit notre ami, vous
nllez révciller la vicille querelle des poetes et des
mus1c1ens.
- Comnient cela?
- Les poctes n'ont-ils pas la lyre pour attribut,
ne disent-ils pas: Je chante.....
- Cela po11 vai t étre vrai autrefois, mais au,iou r-
d'hui .....
- Il eRt Vl'lli qu'aujourd'hui, tOUt en disant
qu'ils chantent, íls ne font que parler.
- 'randis que les chanteurs sont en progres,
ils cricnt.
- Chut..... Ne comparez pas ainsi hier et au-
jolu·d'hu i, et surto ut déficz-vous ele la philologie
musicale; sinon, vous pourriez, entra1né par votre
ardeu r pbilologique, dire, avec d'autres, que les
naquaires sont des ti1nbales, et que leur nom vient
- 152 -
du mot arabe nag r, mot dont l'existence est au
moi ns clouteuse.
- 1\ ceux-lil. nous répond rions ce que dit
~l. Fétis au sujet de l' flist oire de la /Jlusiquc,
par
Statford :
« hl. Statford a cru ne pouvoir prendre de mcil·
» leur guicle q Lle les récits des voyage urs pour hi
» musique orientale; mais, la plupart
de ces
» voyageurs avaient peu de notions de
l'art, et,
" da.ns leur ignorance des tern1es tecbniqucs, ils
,, ont donné des descriptions inexactes et contra-
» dictoires. "
Naquai1·es était le nou1 généra l des chanso ns
aynnt trait aux guerres des croiSádes. Ce root passa.
dans le langage usuel et clevint notro nagucrcs,
qui n'a cu et n'a rien de comn1un avec les tim·
bales qu'on appela it Ala bal , du vieux mot arabe.
~es ata bal ont passé (bUX Espagnols avec la
Gaita
ou Raita, dont !'origine est la méme. 1\joutons c¡ue
ce qui pcut donner licu a quelque confusion c'est
la similitude du nom d'un instru1nent ª''eC celu i
du mode qui lui est propre. Ainsi, chez les Ara.bes,
la Rai ta n'était employée que pou r les cbants de
guerre, et le mode qui lui est propre est no111mé
- 1;)3 -
par d'nncieus autou1·s l aika ou Sail<a. Nous pour-
rions citcr égalc1nent les 111odcs 11/éia, lsain et
quelq11es nutres propres it ccrtains instruu1ents qui
portont Je meu1e llOUl.
- l)ans tout cela il n'cst pas fnit u1entio11 clu
libich dont vo us a vez parlé.
- Non, 111ais vous ~a vez tres-bien que le fait
est exact. J,es premierc:. flí\tes gucrricres fnrent
frlites d'osse1ncnts d'anin1aux et p1uticuliere1neut
du tibia qui a clouué nai~saucc i\ la forme éra ·ée
des pavillons de nos hnutbois.
- ' 'ous partugez done l'opinion ele certai ns
antiquaires : niltil 11ovu111. .... ?
- Da11s une certa inc 1ncs11re seulement.
- Enfin, que prétendez-vous conchu·e <l'unc
pareille étude '?
- .J 'en conclus:
1° Que les mo<lifications apportécs aux ditférents
instrun1euts ont toujours été le résultat cl'un pro-
gres, quelqueíois cl'une révolntion <lans l'art mu-
sical ;
2• Que l'époquc oü ces 1nodifications ont ét(:
introduites est un jalou précieux pour l'h.istoire de
In nn1si que;
- [ f>/L -

:3º Qu'enfin, l'artn'ayantpasdit sondcrnier mot,


il cst bon ele regarder quelquefois en arriere parce
que les enseigncmcuts <lu passé nous 1nontrcnt. ....
- .Avoucz clone que les anciens a1raient du
bon.
- g1i ! qui le nie.
- A.1·ouez-le publiqucn1ent.
- Ríen de plus Ji1cilc; notre conversation ~er-
vira ai11si de conclusion it ce travail.
- J\.n 1noins ménager. les transitions.
- Bast ! Puisqu'il vous fhut une ré1)a1·nt,io11
publique nous la donnorons aussi grande que pos-
sible on prenant pour titrc justificatif le provcrbe
latin : li Dorio aá Phrygi1~11i.
- Vous oubliez ceux qui ne savent pas le ln-
tin '?
- Nous leur clirons que cela signifie: ele Par is
it l\.ladrid - sans transition .
NOTICE

LA M US IQUE KABYLE

F" SALVADOlt DANIBL


PROFF.SSEUR DE MIJSIQUE A L'ÉCOl.E AllADE o',\LGBll
F.T DIRECTt-:un OB L 0nP11t:ON ;\LG~l11EN
1

Avant d'exarniner en détail la fricture des


chansons que nous donnons comme spécituen de la
mlisique des Kabyles, il 1ne parait nécessnire
d'exposer, an tnoins d'une maniere générale, les
élérnents qu i la composent .
.J'ai cl~jaclonné ailleu rs eles indications touchant
la tnusique des Orientaux; chez les Kabyles
1;)() -
comme chcz to us les pcuples de l'.Ali·ique, les
dcux sculs clé1ncnts de la 1nusiquc sont la 111élodie
et le rhyth1ne .
L'har1nonie, In science eles sons sin1ult..'lné:l,
leur est co1nplétc n1ent inco nnue.
~:Iais, tandis q uc, d'ap1·cs le systc me har1uoni-
que empl oyé par tous les peuples civilisés, le
chant se développc dans les deux seuls 1nodc$,
111ajeu1· et 111incur, la roéloclie oricntalc c111pruntc
llllC grande varié té U l'en1ploi de dou,ze 1noclcs par·

fhitcrocot clistiocts les uns des nutres, t..'l nt par la


note qui scrt de point de départ que par Ja posi-
tion des intcrvallcs dans l'orclrc sueccs~i f <lei: tons
et des de1ni -ton~ .

Ces u1otlcs divisés en trois e~pcces sont :


1° Pour la prenlicre es pece, iníl•, 111e;1nou111,
ccl;ei/, djo1·ka ;
~· I'our la <lcux icme, /'sa'in . sr1'ilia, 1nc'i(I, ·l'as-
dccJ:, eif;
:i• Et pour la troisic1nc, ru111111c/-1nc'ia, /'s(l'iil-
sebali, :;i•i<la11, asbei11.

J'ai indiqué la formation et le carnctcrc rlr


- 157 -
cbacun de ces modes que les musiciens indigenes
emploient selon le genre d'émotion qu'ils vculent
communiquer a l'auditeur (!).
On sait que les Grecs avaient eles modes dilfé-
rents poul' leurs représentations théatrales, selon
qu'il fallait accompagner une tragédie ou une
coméclie. Les Kabyles ont aussi des modes ou, si
l'on aimc mieux, des gammes spéciales, affectécs
au caractere, au genre de la poésie qu'ils veulcnt
in terprétcr.
Est-ce h dire que nos musiciens d'Europe appré-
cieront des l'abord cette variété et seront sensi·
bles, con1me les indigenes, a la molesse du 1nez-
1nou11i, ou a l'ardeur gucrriere de l'ed::eil? Le
mode l'sain les fera·t·il rire U. hi premiere audition,
et leu1· suffira-t-il d'entendrc une chanson chantée
sur le mode asbcin pour qu'ils entrent en commu-
nication avec les Djinns?
Je crois plutOt que les pcrsonues les micux

('I) la Mttsíquc arabc; ses 1·apport; avcc la 111usique grccque


et le cllant grégorien. Algcr, Adolphe Jourda.n, éditou1·,
place du Gouvcrnemen t, 1,.
Ce trnva i1 a paru d' abord en 1863 dans le tome VII de la
lleruc o{ricainc, livraisons 31-10.
-1 58 -
disposées a accueillir avec intéret cotte musique
essenticllement prirniti ve n'y trouveront d'abord
qu'un chnrival'i véritablement diabolique, quel
que soit le mode employé par les cxécutants. Il
faut uno étndc soutenue pour arriver a compren-
dre la mclodie indigene, surtout lorsqu'elle appa-
ratt, co1ntne cela arrivo ordinail'ement, ornéc de
tous les enjoJi vements qtú constituent le talent
essentiel eles exécutants, tonjours ambitieux cl'ob-
tenir le titre de maitres, n1aellcni kouitl'a ou
1naelleni ka1ncndja.
D'ailleurs les Kabyles, comn1e les Arabes, n'ont
pas cl'écriture musicale; leurs chansons se trans-
mcttent al'audition, et il n'est pas rare de cons-
tater des cli1férences sensibles dans la maniere
clont on chantera la mcme chanson chez deux
tribus voisines. Les exécutants out apporté dans
l'interprétation du texte musical des enjolive1nents
qui, en raison 1nl'lme du mérite du 1naelle1n, out
été considérés comme faisant corps avec le textc
prim itif; il devient alors tres-clifficile deretrouver
la premiere formule au milieu des changcments
qu'elle a subís
C'est ainsi qu'o n entendra une des chansons les
-159 -
plus populaires aAlger, Chobbou-chebb(J//1,, chautée
de deux n1aniercs dilférentes.
Le Banni-banni, qu'on chantait a Tunis en
'1857, nous a étó apportó a Alger c1uelq1.1es n1ois
apres, 1nais consiclérablement amoi odri et déli-
guré.
J'ai recueilli cinq textes différents de la chan-
son clo Salah-Bey, qtte les musiques des Goums
font entenclre dans toutcs les retes en Algél"ie et
daos la rógence ele Tunis .
T·outcfois cette varié té, ces di vergences de
text~ ne portent géuéraleu1ent que sur les détails
et ne changent en rien le mode, ni, par consé-
quent, le caractere cl'ensemble du n1orceau.
Je pourrais multiplicr les exemples; il me
suffira do citer Ja chanson kabyle nº r, intitulée
Dadda-Ali, que je transcris ici de deux manieres
sans prétendre indiquer laquelle des deux formules
est origin ale. Dans les deux textes, d'ailleurs, le
mode est le mcn1e; c'est le mode l'sain, ayant
pour base le la, et corresponclant U. notre uanwnc
?nincU?·c avec le sot naf!u,rct en moutant et eu
clescendant. Le mouvement de cet ai1· est vif, on
doit l'exécuter presque comn1e un galop.
- 160 -
l,c rhythn1e d'accompague1ncnt fait par les
tambours donne un rou]cment continuel avc
c
quelqucs coups détachés fortement sur les mo
ts
qui 'Servcnt de refrain. Ce rhythme cst indiqué
a
la seconde portée. Les no tes marqu ées d'u n s F
>
représentent les coups frappés sur le 1niliett
du
tambour.
Remarquons que les <lécompositions rhythmi-
ques de la 111nsique arabe et kabylc oflrent dé
ja
pa,r elles-memes un intéressant suj et d'é tnde. Le
rhythmc indiqué au commenccment d'une cha
n-
son continue pendant toute la durée du 1norccau.
Les chansons 11umé1·otées llI, IV et XI I sont
en mode ira k ou en modc cljorka.. Ces clianso
ns
n'ayant qu'une étendue de cinq notes, il devie
nt
nécessaire d'cntendre les enjoli vements des flfttes
pour détermincr le mode vrai; et encore fhut-il
que la :flute soit jouéo par un véritable art iste in-
digene .
Les ouméros 1' , VI, ·v1IJ et XI, sont sürc1nen t
en mo<le ira/>, mode sévere employé pour les
chants religieux. Les faits c1ui sont l'objet de ces
chaosons ayant, pour les Kaby les, un caractere
religieux, il n'est pas étonnant de voi r leurs chan
-
- 16t -
tenrs employer en pareille circonst.ance le mode
sur lcquel, aAlger, on chante les versets clu Koran
dans les mosquées du rite Hanéfi.
Le mode ii·ak a pour base le 1·é. Sa gan1n1e est .
formée ttinsi :
ré-111 i-fa-sol-la-si-clo-ré.
Le plus ordinairen1ent, on trouve comme note
grave le la, et comme note aigue le sol. La rnélo-
die reste ainsi rcnfermée dans un iotervalle de
septii.:111e, accessible ii toutes les classes de voi.'I:.
Observous bien vit53 que je n'ai jan1a.is trouvé
daos la musiquc indigene ni tiers ni quarts de
tons. Cependaut je joue la musique arabe avec
les iuusiciens du pays et sur Jeurs instru1nents.
.A.insi, bien qu'en opposition sur ce point avec
tous ceux qui out traité cette question, puis-je
dire que je m'appuie sur lu1e expérience pcrson-
nclle; a ce titre et daos ces conditions, les ren-
seignements que je don ne doi vent avo ir quelque
valeur.
Ceci dit en passant, je reviens aJllOll sujet..
La chanson nº IX, faite sur l'expéditiou du
général Pélissier en 1851, est toute sur le mode
cctzeil, mode guerrier par excelleuce et tres-propre
- lo? -
i~ lairc parler la poudre. Le mode cd;eil a pour
base le fa. Les quatrc premieres notes donnent le
fameux triton fa-sol-la-si, qtú fut pendant long-
temps la terreur des musiciens. La répétition do
ces trois tons produit un effet sauvnge dont la
dureté est tres-appréciable pour tout le monde.
Presque t-0us les chnnts de guerre sont lilits
sur le mode ed:;ci/.
I ..a chanson nº X est un mélange des modes
ud:eit et sa"ika. Les indigenes out ainsi des chan-
gcments de modes comt11e nous avons eles chnn-
gements de t-0ns. Le 1node safka ne vi en t ici
qu'accidentellement pour terminer une ph1-ase
incidente; le retom· au 1noele ed:cil se fait par la
reprise du premier moti f, qui sert ele conclusion
potu· Ja mélodie.
Le mode sa'i'kci correspond a notre gatnmc ina-
.
,1eure.
Les chants portant les n•• VII et XV sont en
mode nie:;1noumi. C'est le mode lydien des Grecs,
ce mode efféroíué que Platon bannissait de sa
rópublique. On xemarquera l'absence complete de
la deu,'{ieme note de ce 1nocle, qui a pour base le
.
•1ni. La gammc réelle serait done : nii-sol-la-si -
- t(:)3 -
do-i:ó. Quelqueiois on arrive au mi cl'en haut pou1·
reclescendre rapiclement an do en faisant entendre
le i·é intermédiaire comme appoggia.twre. Cette
étenclue est tres -rare, la mélodie indigene ne
clépassant pas , cl'ordinaire, six ou sept sons
conjoints. Ce n'est qu'il. Tnnis et a Alexandrie
qu'on eu1ploie !'octave et meme la dixieme. (Voir
l'Albumi des chants arabes, niwures et kabyles, publié
chez Richault, marchancl de musique, boulevard
eles lta.liens, uº 4. Ces chants sont transcrits avec
les paroles franqa.ises et un accompagnement de
piano qui reproduit le rhythme des tambours.)
En Espagne, les vieilles chansons populaires
ont presque toutes gardé l'empreinte du 1node
11iezniouin. Les chants de l' A.ndalousie surtout
ofll·ent le caractere langotu·eux, particulier 1L ce
mocle, affectéle plus souventaux chansons d'an1our.
A Tuiaclricl m@me, 011 peu t apprécier le caractere de
ce mocle en écoutant la ron.della, bien qu'on l'ac-
compagne, a tort selon moi, avee uotre mode
fililletu·.
Il y atu·ait certainement eles effets nouveaux it
obtenir en essayaut pour ces chants ce que Nieder-
meyer et M. d'Ortigues ont fait poux le chant
- 164 -
o<rrérro
o rien )·
comme c'est la le c0té intéressant et
sérieux d'une étude de la musique nrabe, je ne
puis mieux faire que de rcnvoyer le lectcur
curieux au trava il que j'ai déja cité. ll y trouvera
tous les renseignements qui ne peu,·ent prendre
place dnns cette notice.

Algrr, mai 1863.


c tr A JTS KAD YLE 8

o:r- - ·
1

DADO A-A ~I.

~~~ J- D 1J ~ 1J 11 R ~=i
ijqj; Cf bCJ ~ Q· E f r 1

~ J1 · 1 p j 1 Al Jj J lJJ
~ J \ l=J · 5 a r ~ e; rr1
¡¡::JJ=r Et 1JJ r l P J 1JTJ W J1
t@~J tJ =kR +l-:J m J l J HI
C HA NTS KAB YLE S.

1 ¿¡._

DAOOA-ALI.

$i- J==F-m=x 1 J-ci 1 p-~g¡


t@ cr ti± t!::lr 1H 1J.) ~ 1
~., J h+ 17 'lj=J J g ~ ·11

~J13EJ3fuJJP 8
11

SID l-llEBOI.

1\ ¡¡ - di Reb - bi •
~:lt ii tho sa - dith

i1l iiltl·b-Ouau le ~he - rif !


... 111 ~:l-boul' ()u - drir.


CHANTS KABYLES .

111

A-ílA B-El,-LEFED HOL .

1L<f?_
::1~~-,
,
. ~:::1
_,=i=r
= .l ~- º
7 r r
J
- - - -
1
...:.. ,, _ j ._,,,.
-

• " ~- ~
.
::-
r-r
- -- --!
-- -
- 1
- '
Pour R prendre. Po ur finir.

n -~ il-:..
_ ..,. .,::1
-· __ ,
~ ,_
- ~

--
_____ ,..._..
L o • I 1 1 • ,
N S KAB YLE S.

IV

1.11 MA· MANN A.

f:Rff. O-A01JAR·D l· Ell0t.; ZZ AD.IOUl -~1.

Allogro.
CHANTS KABYLES .

VI

PHIS& D'A l.GEH. - A· IR'&F·IOU-EKKER· OUR-EGGAN .

:\dAntino.

~I! F ;r=l! er_F ijS+-@cr E1


~ G Et t_r E:J] U
~
É EJ f_j

~ E gr r CtF Et ffi-EffJ r 1

~-= q:@1~ 1 E&1-¿S=?EEr®


ij cnpcy ~ @r r r L.r J
~ Ci r FJ EJ E tf ~@ r . 1
CBA~TS KABY LES .

Vll

AIT-ERBAH.

1\1ld:)ntin o.

~31· J J ; 1-:z 13 J :; TI
F6 J •:?J

VI II
EXPÉDlTION DU MAl\'f:CHAL BUGEAUD DANS L'OUED ·SAEL
EN 1841.

' 1 \/ y \i
CHANTS J(ADYLES .

- - -
~ yJC °V~ V

,y ~-·-·e~=jlP '71
vf 'í · Scgue. ·- --- •• ·-•

D.C .

·-

IX

EXPÉDITION DU GÉNÉR,\L PELISSIER CllEZ J.ES )IA ATKA


E~ 1851.

Aod:.nito


fj i J
V
Cl!A N T S KAB YLE S.

¡..---:-, -
~-,~(\~,,-
, - •
l$- o- 14 P MEt
fil j]
1
j
~ ; J J
Et El .r._r J I
- l).C.

t<$
v
) J

! ! J J
·-----
1 o ti
X

EXPEO l'l' ION DU MARÉCHAL RANDON CHEZ LES Al'l'-BOU-


ADDOU EN i85G

~
'1 Modorn<o.
'.I 1
Cli ANT S K ABY LES .

xr
SOl!MISSION OE LA l(ADYLll( PAR LF. llAJlÉCll.\ L RAN001\
EN tss; .
..\ntlan lino.

lí~ª:!d=r-~r=rff=reI.~
~-r tt::§@?f=Eí E @
f@3 li QFQ:.r ~a~s=r Er=gr 1
' ; cJ :-¡ 4-r e~
~ e;i:: ,...---::::, 11.C.

ij E r. -§ gf=¡gF ~~§lt] J
X 11

COMPLA INTg DE DA llMAN-OU-ME()AL.

And•nlinTu
~6 ?,
P , $
l .1_
i .J
Íj
~
1 ~
ll...i-;;- 11-,,;_

--J
- [ r-r r r¡ ! .
¡,¡
- -s ¡' ( í r
CliANTS l(ABYLES.

--

X 111

ASS-A1;ut-)I Ot;G UERER'-TU .\K'CH ICI IT.


CHANTS KADYl.l~S .

Segue.- - - -

D.C.

1 r-:j f
XIV
Al·Al\'Cll ICJ·l·AfiAS, A1-ZIM Ell· A.KS AS.

$egue.
Cl l A N'r S KA llY LES .

[§: r-...r" E
_::¡: 1·
.,-1 .-_,
. r r r·I1 C ;
1 • a
r ~flrl
.,
XV
1,,\ f, .\ ~' -1e11ou o.n.En . J•:N-NED1E1,..

Jh ~
1r2 1--- 1
EU J-4 111
-
CATALOGUE
DES

MORCEAUX DE MUSLQUE ARABE


RECUEJLLI S ET TRANSCR1TS

POUR CHANT, PIANO ET ORCHESTRE

t>AR

F<• SALVADOR DAl\'lEL

(Chei ll1c11AULT, éditcur de musiquc.)

C b ansons mou1•es ques d'A lger , transcrites pour


chnnl et piano nvec parol cs imitécs du textc original :
J• hl" GAZELl.E, - O'ap1·cs l'air a1·abc intitulé 11fakhlas
zei'dan;
2• HEus Eo-oouno . - l\Iodc MCia;
3° Cusooou-c>mnnM~. - Modc Lhsain;
Ce chant est aussi publ ié pour cbreu1· d'hommcs avee
ténor solo, hautbois ou fh\le et tambour de basque ;
'•º YAlllNA. - Su1· l'air de la Noiíba de lhsain.

Cli:>n s <>ns 1naures ques de Tunis , transcrites 1>our


chant et pfano avcc paroles fran9aiscs, d'apres le tcxte
original :
1° LE RAMJER. - Modo Jráck :
2• SOLEDLA. - rriode Zeidan. - Les paroles de ce chant
sont imitées de ccl les de la dernicrc chanson de Mourak-
kich (l'ancicn), cl'aprcs );1 Lraduclin11 de l\L le oloctcur
Pcrron { l't•mmes arab('S apanl et apri.< /"islamisn11) .
l 'l
- 178 -
C b nn s o ns knb y le s , lranscrites pour chant et pia no
avec paroles fran~ises, d'aprcs le lexte original :

·1° ZounA. - l\íode Lhsain ;

2° STA:>ioouL. - Ce tte cbanson a été composée ¡\ l'é-


poque de la g uerre de Crimée par Si Mohainmed Said ben
Ali Cl1crif, agba des Illoulcn ou Sammer e t des Beni-
Aldel.
(M. Victor Berard, qui a bien voulu y adapter les paro-
les fran~aises, a donné la ti·aduction complete de ce c bant
dans ses Poi:mcs atgéricns. - Paris, Dentu, libraire-
cdi teur) :

3• KLAA nENr-Ann i:s. - Ce c han t est aussi publié pour


c ho:m1· c~bommcs avec lénor solo, bautbois ou titile et
tambout' de busque.

Une a ulre Chans o n n 1n uresq u e de T u nis, en


modc Asbcin, - mode du diablc - a é té publiée pout'
chant et piano avec des paroles fran!f3ises, a Paris, cbez
Petit ainé, éditcur (Palais-Royal. sous l'cstruninet hollan-
dais), et ¡\ Madrid, avec des paroles es¡>agnolcs, par la
senara Dona Maria <le! Pilar Sinttes <le ,)[arco (che~ Salazar,
editor, almacenista de S . l\L, calle de Esparteros, n• 3).
Celle cbanson est a rraogéc aussi en choour pour voix
de sop1·a ni, ténor el basse avec piano, violon et tambou1·
de basque.

DU l\IBME AUTEUR:
·l• P lusicurs F.1NTArsms rouR ORCRESTRE s ur des airs a ra bes;
2• Les memes, al"l"angées pour piano i• 2 eL á 4 111ah1s;
3° NOUJJA ( ;:._! _,_; ) •
TABL E DES MA TIERE S

PAOES
A\ o\NT• PROPOS., , , •, . ,
1 , , •, , , . ••, •o , • • • • • • • •• • , , , , , • 1
CJIAPJ'l'RE PREMIEn. - f,cs Arabcs out emprunlé
aux Grccs lcur systcmc music."ll. - D6finitions do
In musiquc chcz les Anciens. - Musique tbéoriquo
ou s¡iécuJative; sciencc des nombres. - Querelle
des Pythagoriciens et des Arystoxénicns. - Les
Juirs p.-irticipeot a1Lx prog1~s de l'art musical chcz
tous les pcuples de l'aot.iquité. - :Musique pratique. I~
CJIAPITRE ll. - Pou•'(]uoi les Européeos u'appré-
cicnt pas les beautés de la musique arabe. - Les
varinntes, la Glose. - La musique du Bey de Tunis .
- TI l'aul une cerlainc hal>ilude, une espcce d'édu-
cation de l'oreille pour com¡ll'cndre la musique ani-
be. - Les Arabes ne connaissl'nl pas l'harmon ic.
- 180 -
J'li\G&S
- Composition Ol'djnaire d'un conccl'L a1·abc. Nouba.
- Béchora{. - Cnrnctcrc de la mélodic ar:1bc. -
Les Arabes ne connaissent ni l~s ticl's ni les qoa rts
de ton. - Variété dans les tel'minnisons. . . . . . . . . . 31
CHAPI'l'R.E III. - Modes des Grccs et des Ambcs.
- Tons clu plain-chant. - Les Arabes ont qua-
torzc modcs. - l lésumé bisto,.iqué. - Quatre mocles
pdncipnux : frak, .lle=moum, Edzcil, Djor~·a. -
Chanson faite pal' les Kabylcs lors de lcul' soum is -
sion, en l85i. - Quat1·e modcs sccondaires : L'sain.
S1iika, Jl!eia, Rlisll-Ed::eil. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
CHAPIT'RE IV. - Tétracordc e l hexacorde. - Ins-
trumcnts usités cbez les Hcbrcux, chez les Grecs,
chcz les A1·abes, et qui servcnt encore a l'execution
de la musique populaiec en Espagnc. - Gosba. -
Taa1· et Do(. - Kanottn, barpe de David. - JJj1w111tk.
Légendc, flt\te u sept lrous . - Rait11 et Gaita . -
Atabal, Alambor, JJcrbo11k·a. - Violon ou A'emcndjah,
Rebab. - Kouitra. - Les ancicns n'ont pas con nu
les propriélés de l'oct.avc. - Consonnanccs de lierce
e t de s ixtc. - Bocee. - St-G,.égofrc. - Gui
d' Arez"o poso les bases d'unc ~amme uniquc et
réunit daos so11 systcmc d'hexacordcs les premier~
elémcnts d'ou doit jaillir le 11ouvcau principc musi-
cal, l'harmonic. - La guitare modcrnc; rusion des
clcux syst.Crncs.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
CHAPI1'RE V. - Le l'hyLhme. - Le · rbylhmc des
.<\.rabcs cst l'égulicr, périodiquc. - Hhytbrne poéti-
<1uc appliqué a la musiquc et á la dansc. - 7'empus
pc1feétu.;n.et tempus impcl'(eetuin. - Quclqucs vai·ié·
tés (le .vbyl.hmes
. usités chez les Arabcs. - Indépen-
da11w ... .<Jc.
. s .' ipstnuncnts il pcl'cuss ion. - Jfo,.monic
rh,yth1n iqiic ....... .... .... ... .... . ... ..... . . . . . . 9:~
• - 181 -

CHAP!TRE YI. - Elfcts mcr\'cillcux que les .-\rabcs,


commc les Grecs, allribucnl :\ leur musiquc. -
Oan<;e du Djinn. - Chnnson de Salah Bey. - I.<·-
gcndc lllfarabbL - Quntrc nulrcs modcs : Rum.mct-
mcia, L's11in-sebah, Zcida11, llsbcin. - Diabolus i n
111t1sica. - L' ba bitudc d'cnlend1'Q e l l'éducalion cl r
l'oreillc. - La m usiquu soum ise a ux caprices de
l'orcille. - Exagération J1C>(•liquc. - Exemplcs :1
l'appui de la loi de l'habitudc acquiSt' par l'c'duca-
1ion de l'orciUc. . . . ............. ........... .. .. . . 100
llf:sUME. - CONCLUSION . . . ........ .... . . . .. . . 115
.\ PPENOICE . - Essai sur l'origi ne et les t ransfor-
maLi ons de q uelq ucs i nst1·uincnls . . . . . . . . . . . . . . . . . 12()
I. - Qui teod i~ prouvcr que le ¡wcmicr Chef d'Or-
chcstrc connu a succéd(• :\ une Écai llc d' J:luilrc .. 130
JT. - O'une 'l'orluc ¡\ un Piano,. .. .. .... . . .. . . . . 135
l ll. - O'un Roscau t\ un Oiapason . . .,........ .. . 141
l\". - A Dorio ad Phrygium.. ........ .. ........ 147
NOTICE sur la musiquc kabylt'.... . ... . . . . . . . . . . . . 155
CTIAN'l'S KABYLES .. . . . . . .. .. . .. .. .. . . .. . .. . . . 165
C1\.'l'ALOCU I~ des 11101·cca ux <le music¡uc ara bC\ rc-
c·uci llis e t tran~rl'its pour c ha nl, piano el orchcst1·e. 177
A~IJEO. - T\"POORAPBI E ADOLPllE JOUOOAN •

Vous aimerez peut-être aussi