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Sociolinguistique

Thème 4
La norme et les normes
Plan :
1. Normes et société
2. Les types de normes selon M.L. Moreau
3. Le fonctionnement de la norme prescriptive dans une société

1. Normes et société
La vie en société implique des normes.
Une norme, du latin « norma » (équerre, règle) désigne un état habituellement répandu ou
moyen considéré le plus souvent comme une règle à suivre.
Ce terme générique désigne un ensemble de caractéristiques décrivant un objet, un être qui peut
être virtuel ou non. Tout ce qui entre dans une norme est considéré comme « normal », alors que ce
qui en sort est « anormal ». Ces termes peuvent sous-entendre des jugements de valeur.
Pour le Petit Robert la norme « est un ensemble de règles d’utilisation, de prescriptions
techniques, relatives aux caractéristiques d’un produit ou d’une méthode, édictées dans le but de
standardiser et de garantir les modes de fonctionnement de la sécurité ».
Avant de passer à la notion de norme dans le domaine de la linguistique, il faut mentionner que
les sociologues distinguent :
• premièrement la norme sociale qui est un ensemble de conduites dont on constate leur
régularité dans un groupe, mais dont les membres n’ont pas conscience ;
• deuxièmement le système de valeurs auxquelles ils obéissent consciemment.
Pierre Bourdieu (Ce que parler veut dire, Paris, 1982) fait appel au concept d’habitus. Il le
définit comme un système de structures intériorisées, mais non individuelles, qui conditionnent
l’action et la pensée. Il considère que ces habitus /us/ sont acquis au sein de la famille, puis à l’école
et sont sans cesse remodelés au gré des expériences. Ils varient considérablement d’un milieu social
à l’autre.
P. Bourdieu refuse l’idée d’une norme définitive qui déterminerait une fois pour toutes le
comportement des individus.

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Chr. Baylon (Initiation à la linguistique, Paris, 1991) constate que la norme linguistique
n’est qu’un aspect de l’ensemble complexe des normes sociales. La norme linguistique fonctionne
dans une société comme un régulateur du comportement collectif.
La norme linguistique est donc un élément déterminant le comportement social qui évolue.
Elle est soumise au changement, même si elle paraît identique pendant plusieurs générations ou que
le locuteur la perçoit dans une sorte d’intemporalité. Elle est toujours liée à une époque historique.
Ex. : Au XVIIe siècle l’usage de la cour royale a imposé peu à peu la prononciation grasseyée du r ;
le r roulé (considéré aujourd’hui comme un provincialisme) représentait jusqu’à cette époque la
norme.
La Révolution de 1789 a généralisé la prononciation en « -wa » des mots comme : roi, loi,
bois… La noblesse a tenté en vain sous la Restauration (1815-1848) de faire renaître la
prononciation pratiquée jusqu’alors en « -we ».
Les linguistes relèvent 2 façons d’aborder le problème de la norme en matière du langage.
Du point de vue formel, on peut la définir par la négative, comme une moyenne (o medie) :
il s’agit de la langue sans les écarts (exceptii, devieri). Dans ce cas on rejette : les registres
populaires et familiers, et les usages trop distingués. On obtient alors une norme d’usage,
statistique, qui représente le registre des habitudes linguistiques sociales qui se régularisent par la
vie en société.
Mais on peut aussi voir dans la norme un modèle à imiter. Cette définition en positif
désigne alors l’ensemble des formes habituellement considérées comme correctes. Il s’agit alors
d’une norme prescriptive, d’un registre de prescriptions écrites, imposé officiellement. C’est un
registre où l’utilisation de la langue est contrôlée et dirigée de l’extérieur. Parmi les raisons qui
poussent les hommes à décrire les langues en réalisant des grammaires, le désir de fixer une forme
considérée comme la plus correcte joue un rôle important.
Le linguiste A. Rey (« Usages, jugements et prescriptions linguistiques », dans Langue
française, 16, 1972, p. 4-28) affirme que la norme « coercitive » est un phénomène social qui
s’appuie sur un jugement d’inégalité entre productions linguistiques, c’est une façon d’isoler l’usage
correct de ce qui est jugé incorrect, impur, fautif ou vulgaire : plus une attitude qu’une réalité
linguistique.
Elle fonctionne comme un système d’instructions définissant les formes à choisir pour
modèles, et celles dont l’usage est interdit. Donc, les rapports sont complexes entre la norme et
l’usage.
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Pour beaucoup de Français, la notion de « norme » au sens linguistique recouvre


uniquement la norme prescriptive et les formes qui constituent.
Sa désignation même relève d’un acte normatif : pour la désigner, on avait recours à de
nombreux termes comme :
- bon usage ;
- langue de référence ;
- français référentiel.
Ces termes ont été concurrencés dans les années 60 du XXe siècle par français standard,
malgré le fait que dans cette période on remarquait l’extension du mot standard dans le domaine
technique (de l’anglais standard). En 1967 dans un communiqué (du 20 avril), l’Académie française
a recommandé de remplacer standard par norme, dans la mesure du possible. Depuis ce temps,
conformément à ce règlement on utilise seulement les notions de :
- norme du français ;
- norme grammaticale ;
- norme lexicale ;
- normalisation ;
- langue normalisée…
Pourtant, en français, comme dans beaucoup de langues européennes, il faut distinguer
différentes sortes de normes.
Ainsi, Bodo Muller (Le français d’aujourd’hui) propose de distinguer :
- par rapport à la situation de discours, la norme relative ou situationnelle, dépendant de la
situation et fonctionnant dans l’instant, et la norme absolue, totalement indépendante de la
constellation variable des éléments de la situation qui a pour objectif immédiat d’assurer
l’intercompréhension la plus parfaite possible ;
- par rapport au nombre de locuteurs, la norme individuelle et la norme sociale collective,
commune ;
- par rapport à la validité, la norme prescriptive, idéale, et la norme statistique ou norme
d’usage.

2. Les types de normes selon Marie Louise Moreau (Sociolinguistique. Les concepts de base,
1997)
Ce linguiste distingue 5 types de normes :
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1) Les normes objectives (appelées aussi normes constitutives, de fonctionnement, de


fréquence, statistiques) désignent les habitudes linguistiques dans une communauté (quelles
unités sont employées, dans quelle situation, avec quelle valeur…). Par ex. : certains groupes
de locuteurs opposent en français un passé composé à un passé surcomposé (j’ai mangé –
j’ai eu mangé). D’autres utilisent seulement le premier temps.
2) Les normes descriptives (appelées normes constatives) explicitent les normes objectives.
Elles enregistrent les faits constatés, sans les hiérarchiser ou y associer de jugement de
valeur. Par ex. : Je suis tombé, Je suis allé au cinéma sont considérés comme meilleurs que :
J’ai tombé, J’ai été au cinéma.
3) Les normes prescriptives (nommées sélectives, normatives) donnent un ensemble de normes
objectives comme le modèle à suivre, comme « la norme ». C’est dans le cadre de cette
norme que les monolingues sont présentés souvent comme des meilleurs témoins du bon
langage que les bilingues parce qu’ils sont plus préservés des influences extérieures des
emprunts. Beaucoup de grammaires dites scolaires semblent ainsi décrire la langue (un
français scolaire écrit) quand elles ne font que la prescrire.
4) Les normes subjectives concernent les attitudes et les représentations linguistiques. Elles
attachent aux formes des valeurs esthétiques affectives ou morales. Par ex. :
élégant/vulgaire, chaleureux/prétentieux. Ces normes peuvent être implicites ou explicites.
Elles constituent le domaine discursif par excellence du concept dans la mesure où l’analyse
sociolinguistique peut mettre à jour les représentations sociales des groupes sociaux
individuels. On constate que les premières études sur les normes subjectives (attitudes
évaluatives de prestige ou désapprobation) en matière d’usage linguistique concernent des
situations de bilinguisme ou de diglossie. Les oppositions au plan sociologique sont très
visibles dans ces situations de contact de langue.
5) Les normes fantasmées renvoient à la théorie de l’imaginaire linguistique. Elles peuvent être
individuelles ou collectives et se développent (se basent) sur les quatre types de normes vus
précédemment. M.L. Moreau la définit comme : « l’ensemble abstrait et inaccessible de
prescriptions et d’interdits que personne (nimeni/никто) ne saurait incarner et pour lequel
tout le monde est en défaut » (être en défaut – commettre une faute, une erreur)

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3. Le fonctionnement de la norme prescriptive dans une société


La sociolinguistique s’est intéressée à la notion de norme : elle lie le phénomène normatif à
l’idéologie sous un double aspect de « pratique sociale » (comportements sociaux) et de
« consensus » (acceptation pour une communauté de locuteurs).
Un des comportements sociaux les mieux connus vis-à-vis de la langue, c’est la normalisation,
c’est-à-dire « la codification et l’acceptation », par une communauté de locuteurs, d’un système
formel de norme qui définissent l’usage correct.
« La codification est typiquement du ressort des gens ‘qui veillent sur la langue’, tels des
écrivains, les grammairiens, les professeurs, les auteurs : elle dépend de groupes déterminés qui
naissent dans les communautés les plus diversifiées et pour lesquels l’usage de la langue est
conscient et conditionné par la profession » (J. Fishman, Sociolinguistique, Nathan-Labor, 1971, p.
39). « L’acceptation de la variété formellement codifiée – donc normalisée – d’une langue est
promue par l’État, les établissements d’enseignement, les mass media, etc. Cette variété normalisée
est dès lors étroitement associée à ces institutions, aux échanges entre elles et nous, ainsi qu’aux
valeurs et aux objectifs qu’elles représentent » (E. Haugen, Language Planning and Language
Conflict ; the Case of Modern Norwegian, Harvard University Press, 1966, p. 28).
Le lieu d’élaboration et de diffusion de la norme est clairement désigné : ce sont les intellectuels,
professionnels de la langue, qui en assurent la production et la reproduction, en liant leur pratique de
la langue à une attitude métalinguistique. À ces indications précieuses, certains sociolinguistes
français ajoutent l’aspect politique, l’aspect historique et la fonction culturelle et sociale du
processus normatif.
On affirme qu’il y a norme dès l’instant, quand sur un territoire déterminé, un processus
d’unification politique et/ou culturel est à l’œuvre ; car cette unification s’organise au moyen de la
domination d’une couche sociale sur une autre.
Il est vrai que ce sont avant tout des raisons politiques et sociales qui imposent la norme. Liée à
l’écrit, et spécialement aux œuvres littéraires, la norme a une origine historique à chercher dans des
facteurs externes à la langue. En France, l’idée se fixe à partir du XVIIe siècle, en rapport avec des
événements politiques (unification nationale, centralisation monarchique, constitution de la
bourgeoisie, qui prendra le pouvoir lors de la Révolution française, avec pour conséquence
linguistique l’imposition définitive de la langue nationale.
C’est donc l’existence de la norme qui unifie la communauté, qui constitue sa structure
sociolinguistique, sous les deux formes définies par Labov, la « norme objective » de la stratification
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sociale et stylistique, et la « norme évaluative » acquise très tôt par l’enfant, de façon active par la
correction, puis par intériorisation. En ce sens norme tend à prendre le sens de normal, largement
partagé par les membres de la communauté.
Les linguistes affirment qu’on a besoin des personnes, des organismes et des initiatives pour
arriver à cette norme unique, face à toutes les variations d’une communauté linguistique. Il y faut
également certains moyens pour l’imposer à la communauté.
Une question apparaît : qui sont ceux qui font ou établissent la norme et qui sont intervenus (ou
interviennent encore) dans la langue par des actes normatifs pour constituer ce registre ou le
développer ?
Pour le français il convient de mentionner les grammairiens et les lexicographes que la
tradition répartit en 2 camps très différents selon l’idée qu’ils se font de la norme. Ce sont :
- les puristes et les laxistes séparés par les modérés ;
- les institutions officielles ou semi-officielles comme l’Académie française et un réseau serré
d’organismes destinés à contrôler et à normaliser la langue. Ce réseau comprend les
différentes Académies (des Sciences, de Médecine, des Beaux-arts, des sciences morales et
publiques), le Conseil international de la langue française, l’Association française de
terminologie, l’Association Défense de la langue française.
Il faut mentionner que l’État comme législateur, depuis les arrêtés du 12/01/1973, prescrit à
toutes les instances placées sous son autorité d’employer ou d’éviter certains termes relevant de
certains domaines actuels dont la terminologie est en fort expansion. Le Journal officiel de la
République indique à tous les citoyens les normes lexicales du français qu’ils doivent respecter.
Aucune normalisation n’est définitive. Malgré toutes les retouches qu’on peut lui apporter pour
la perfectionner, la norme prescriptive qui s’est développée à partir d’une langue naturelle présente
des lacunes. C’est un fait inévitable dans les langues naturelles. C’est aussi le cas pour la norme du
français où beaucoup de réalisations possibles ne sont pas prévues par des prescriptions formelles.
(Ex. : 1) beaucoup de règles explicitées sont inconséquentes : il est docteur / elle est docteur, mais il
est chanteur / elle est chanteuse ;
2) beaucoup de règles offrent 2 possibilités et même plus : il s’assied, il s’assoit ;
3) le Petit Robert indique une double graphie pour environ 500 mots.)
La base de la norme prescriptive est toujours un modèle linguistique tiré du passé pour corriger
la langue présente et à venir.

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Les moyens dont disposent ceux qui établissent la norme pour faire passer leurs décisions dans
l’usage sont :
- les grammaires « du bon usage »,
- toute une littérature grammaticale et lexicale.
Les linguistes affirment que la norme d’usage est à la base de la communication linguistique
dans toute la communauté et elle existe à chacun de ses niveaux. Elle rend le dialogue possible à
l’intérieur d’un parler local, d’une langue technique, d’une langue propre à une génération.
Elle est à la fois « une instance légiférant supra-individuelle et une réalité linguistique collective
prenant la forme d’un registre partiel spécifique. C’est la communauté qui précise les règles et leurs
applications d’après l’usage effectif de la langue. La régularisation se fait d’elle-même parmi les
locuteurs.
Ainsi, le français tel qu’on le parle résulte de l’influence réciproque du français parlé par la
majorité des Français et du français parlé dans la capitale, dont certains reconnaissent la primauté.
Avec le concept de norme d’usage, on envisage donc une forme de la langue qui se régularise
d’elle-même, que la plupart des locuteurs pratiquent ou du moins reconnaissent comme le moyen de
communication « normale ».

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