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André RAPONDA-WALKER

SOUVENIRS
D'UN
NONAGENAIRE
N° 731

Les classiques africains


3, rue de la Porte de BliC
B.P. 652
78006 Versailles Cedex (FRANCE)
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CLes classiques africains, 1993


I.S.B.N : 2-85049-573-5
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PRÉFACE
Labiographied'un hommemarquantdontla viea étélongueet
mouvementéepeut servir de trame à l'histoire d'une longuepériode.
C'est le cas d'un Talleyrand, d'un Mazarin.
Onpeutdire aussiquec'est le cas del'AbbéWALKERquel'on
a appelé la «MEMOIREduGABON».
Il estnéen1871,doncdutempsdeMgrBessieux.Il a vécusous
l'épiscopat de Mgr Le Berre, ordonné par Mgr Le Roy aux ordres
mineurs, etprêtre par MgrJean MartinAdam.
Il atravailléautempsdeMgrMartrouetdeMgrTardy.Il apris
sa retraite laborieuse sousMgrJeanJérômeADAMet il estmortpeu
de temps avant le sacre de MgrAnguilet.
Il a connudesdifficultés avec leprésidentLéonMba.
MêléàtoutelaviereligieuseduGabon,l'AbbéWalkerprendses
assises dans lepaysMpongwé; il estlepremierà avoirtraité avecles
Blancs ; etpar sonpèreBruceWalker, il estapparentéà cescommer-
çantsanglaisqu'intéressentlesgensetleschoses,quiexplorentlepays,
et qui enécrivent...
«SOUVENIRSD'UNNONAGENAIRE»- letitre estdelui-
nousfont revivre des moments inoubliables. Bien qu'inachevées, ces
notessonttrèsprécieusesà tousceuxquil'ontapprochéetaiméetqui
sontrestéssouslecharme.Quel'onnouspardonnelesreditesquenous
n'avonspasvoulusupprimercarellesnouspermettentderesterencore
quelques instants avec lui. Avecunemémoireprodigieuse, il a revécu
jusqu'à sa mort tout ce qu'il sait sur le Gabon qu'il a parcouru si
longtemps en tous senspour lepartager avec nous.
Cespagespittoresques sont le testamentd'un «nonagénaire »
comme il se nomme lui-même, qui nous livre ses dernières pensées
avantdenousquitter.Il revoyaitencore,ordonnant,classantàl'âgede
97ans,pournousdonnerlemeilleurdelui-même.Nousluiensommes
reconnaissants.
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Puissiez-vous partager avec moi, sous la brise marine de la


colline Sainte-Marie, ces instants d'intimité en sa compagnie !

Hubert GUERINEAU
fsg
directeur du Collège Raponda Walker
Port-Gentil.
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1 partie

NOTES
BIOGRAPHIQUES
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I. CURRICULUM VITAE.
1. A U T O B I O G R A P H I E DE MGR ANDRÉ
W AL K E R .

Je m'appelle IGNACE ANDRE GERVAIS RAPONDA


BRUCE WALKER. Je suis né le 19 juin 1871 à OMPINDI OROVE,
village de cultures dépendant du village de « LOUIS », situé au-delà
de l'actuelle piste d'avions.
Je fus baptisé à Sainte-Marie, le 30 juillet suivant. Mon parrain
fut François MBONGO, originaire du Haut-Ogooué.
J'ai passé mes premières années dans l'île Elobey, sur un
ponton-magasin de la Maison Hatton & Cookson, où les gens de la
côte venaient échanger leurs produits contre des articles de traite.
Mon père, Bruce Walker, a été le fondateur et le premier
directeur de la Firme Hatton & Cookson à Libreville. Il arriva au
Gabon vers 1859. Il quitta définitivement ce pays en 1875.
Durant son séjour gabonais, il entreprit deux excursions dans
le Haut-Ogooué, en 1866 et en 1873. Il arriva jusqu'à Lopé, grand
marché pour la traite du « bois d'ébène ».
Ma mère, Agnorogoulè Ikoutou, décédée en 1912, était la nièce
par sa mère, Ngouessoukou, du roi Louis Dowé, du clan Aghuékaza.
Par son père, Raponda-Ndjémbo, elle descendait du roi, Georges
Rassondji, du clan des Agoulambas.
En 1875, mon père m'emmena avec lui en Angleterre, en
passant par diverses escales des possessions anglaises (Calabar,
Accra, Sierra-Leone) ainsi que Ténériffe et Madère.
En Angleterre, j'ai vécu à Southampton, chez ma grand-mère
paternelle et commençai à fréquenter l'école. Entre-temps, je visitai
Londres. J'y passai un hiver.
Au bout d'un an, je revins à Libreville, via Fernando-Po, où je
passai un bon mois, à la Maison John Holt. Mon père m'avait confié
à un de ses amis.
Revenu à Libreville en 1876, l'année de la mort de Mgr
Bessieux et du roi Denis, j'entrai à l'école de Sainte-Marie comme
interne en 1877. Le Père Klaine, chargé de cette œuvre, se trouvait en
congé. Je fus reçu par le Père Stalter et par le Père Stoffel, supérieur
de la cité missionnaire. Il n'y avait pas d'évêque. Mgr Le Berre,
nouvellement nommé, s'était rendu en France pour son sacre.
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En mai 1882, je fis ma première communion, et fus confirmé


quelques semaines plus tard par Mgr Le Berre.
Cette même année, je commençai l'étude du latin avec deux
autres élèves à la mission Saint-Joseph des Bengas, au Cap Estérias.
L'année suivante, nous fûmes rappelés à Libreville et réintégrés à
l'école « Sainte-Marie ».
En septembre 1886, je fus enfin admis définitivement au petit-
séminaire, où je repris le latin et fis mes études secondaires.
Comme je manifestais le désir de me faire prêtre, j'eus de
grandes difficultés avec ma mère, qui s'y opposait formellement. Elle
s'en plaignit à l'administration, et je fus obligé de quitter le séminaire.
Mais cela ne dura guère. Quelques jours plus tard, je me sauvai du
village et trouvai le moyen de poursuivre mes études jusqu'à la
rhétorique. En 1892, j'étais majeur.
Mgr Le Roy, nouvel évêque du Gabon, me donna la soutane dès
mon arrivée.
L'année suivante, le 29 septembre 1894, au centenaire de la
mission, monseigneur me conféra la première tonsure, en plein air ;
l'office se déroulait sous une tente dressée par la marine sur le fort
d'Aumale.
Par la suite j'ai continué mes études de philosophie et de
théologie jusqu'au transfert du séminaire à Sainte-Anne du Fernan
Vaz. Là, je passai deux ans et fus promu au sous-diaconat et au
diaconat.
De retour à Libreville en 1899, je fus ordonné prêtre par
Mgr Adam (senior) en l'église Saint-Pierre, le 30 juillet, lors du
cinquantenaire de l'arrivée des Sœurs Bleues au Gabon.
Après mon ordination sacerdotale, je fus affecté à la nouvelle
station « Notre Dame des Trois-Epis », aux chutes Samba, station
fondée six mois plus tôt.
Je fus chargé principalement de l'école et me mis à recruter des
élèves dans les villages voisins. Mais ces enfants étaient très incons-
tants et s'habituaient très difficilement à un règlement. Pour un rien ils
se sauvaient de la mission et rentraient chez eux.
Parfois j'allais visiter les villages de la région habitée par les
Bavilis, les Bavéas, les Fangs et les Bakèlès.
Plus tard je me rendis chez les Guisiras déjà entamés par la
mission de Sainte-Croix et finalement chez les Mitsogos dont je fus le
premier missionnaire.
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En 1910, je quittai Sindara pour Franceville dans le Haut-


Ogooué, en passant par Libreville, Port-Gentil, Matadi, Brazzaville,
l'Alima et les plateaux Batéké.
Je n'y demeurai qu'un an et je descendis l'Ogooué en pirogue,
à travers les rapides, d'abord avec des Mindumus, ensuite avec des
Badoumas.
A Libreville, je fus placé au séminaire comme sous-directeur
et professeur. J'eus d'abord cinq élèves, puis trois que je conduisis de
la sixième à la première. Ils entrèrent au grand séminaire et reçurent
la prêtrise en 1923, le 15 août. Ce sont MM. les Abbés Charles
Guibinga, Clair Bakenda et Jérôme Mba.
De Libreville, je fus envoyé à la mission de Boutika (Rio-
Mouni) en 1917, durant la première Guerre Mondiale. J'y trouvai tout
au plus une dizaine de gosses.
C'est à Boutika que j'ai commencé mes recherches sur la flore
gabonaise.
Du Rio-Mouni, je fus affecté à Donguila d'août 1921 à août
1926. De là, je reçus mon obédience pour Lambaréné ( 1926 à 1929) ;
ensuite de nouveau pour Sindara (1929 à 1934) ; puis à Saint-Martin,
près de Mouila ( 1934 à 1941 ) ; et enfin en demi-retraite au Fernan Vaz
(1941 à 1949).
C'est à mon arrivée à Libreville que je pris définitivement ma
retraite en la paroisse Saint-Pierre où je me trouve actuellement.
En 1950, je recevais la Croix de Chevalier de l'ORDRE
NATIONAL DE LA LEGION D'HONNEUR.
J'avais déjà reçu les PALMES ACADEMIQUES ; et monsieur
Auguste Chevalier m'avait obtenu le titre de Lauréat de l'Académie
pour mes divers travaux de LINGUISTIQUE, d'ETHNOGRAPHIE
et de BOTANIQUE.
Sur les conseils du Père Julien Macé, j'entrepris mon diction-
naire Mpongwè-Français en 1914.
Je commençai mes recherches botaniques au Mouni en 1917
et correspondis plus tard avec Monsieur le Professeur Auguste
Chevalier de 1919 à 1963.
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2. SOUVENIRS DE L'ABBÉ RAPONDA


W ALKER.
Je suis né le 19juin 1871, au village Louis, plus exactement à
Ompind'orové, hameau des cultures dépendant du village Louis, à
quelques kilomètres au-delà du camp d'aviation, devenu aujourd'hui
un village fang.
Monpère, Bruce Walker, signalé àLibreville dès 1859, était
un commerçant anglais, le premier directeur de la Maison Hatton
&Cookson auGabonet l'un des explorateurs du Haut-Okandè, avec
le docteur Lenz, autrichien, Emile Schultz de la Maison Woermann,
de Hambourg le marquis de Compiègne et Alfred Marche, avant
Savorgnan de Brazza. D'abord retenu comme otage par Rè-Mpolè,
le chef des Enengas, qui craignait pour son commerce avec les
Okandès, Bruce Walker réussit ensuite à remonter le fleuve jusqu'à
Lopé. Il explora également la Ngounié où il établit une factorerie à
Boualè-Ivéa, en amont des chutes Samba. Il établit aussi une
factorerie au village d'Adolinanongo chez les Galoas, sur les terres
du roi Nkombé, surnommé le « Roi Soleil » par de Compiègne et
Marche.
Ma mère était, par son père, Raponda-Ndjémbo, apparentée
au « roi » Georges Rassondji, le « King-Georges » des Anglais,
résidant au village de Nghango ou Georges-town, ainsi qu'au chefde
Ntsé-Ntsouwa, Onwassango, tous deux du clan des Agoulambas.
Son vrai nom était Agnorogoulè, parce que première fille d'un
homme de ce clan. Ikoutou, qui a prévalu dans la suite, n'est qu'un
surnom, parce que, dans son enfance, elle était trapue et rondelette
comme une corbeille à couvercle (Ikoutou).
ParsamèreNgouè-Soukou, mamèreétait lapetite nièce duroi
Louis, signatairedutraité de 1813-1841 concluavecBouët-Willaumez.
Je n'ai pas bien connu mongrand-père, Raponda. Maisje merappelle
encore que ma grand-mère Ngouè-Soukou, —Soukou, dans l'inti-
mité— était très vieille. J'en avais peur et quand je la voyais, je me
sauvais en criant : « devil ! devil ! » le diable ! le diable !
Bien queje sois né d'un père protestant et d'une mèrepaïenne,
j'ai été baptisé dans la religion catholique par le bon Père Delorme
à l'église Sainte-Marie du Gabon, le 30juillet 1871, veille de la fête
de Saint-Ignace deLoyola dontj'ai reçu le nom. Plus tard, on aajouté
les noms de Gervais et d'André. C'est ce dernier qui a prévalu. Mon
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parrain a été François MBONGO, ancien esclave affranchi, natif du


haut-Ogooué, vers la Passa. A cette époque, il était surveillant à
l'hôpital indigène de la mission Sainte-Marie.
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II. ENFANCE.
J'ai vécu ma petite enfance à bord d'un ponton, la « Princess
Royal », vaisseau de guerre anglais démâté, ancré en permanence
devant la petite Elobey servant de dépôt de marchandises et de
factorerie. L'équipage était composé principalement de Kroumen,
dont unjeune était chargé de me garder. J'ai eu plusieurs années plus
tard l'occasion de le revoir à Libreville.
La « Princess Royal » était très bien aménagée, surtout à
l'arrière où habitaient les commerçants européens, directeur, gérant et
agents. Avant son départ pour l'Europe, le Marquis de Compiègne y
passa quelques jours avec son confrère Alfred Marche. Il le décrit
comme une « habitation confortable, avec une riche bibliothèque
consacrée principalement à l'Afrique ».
C'est de là qu'en 1875, mon père, quittant définitivement le
Gabon, m'emmena avec lui en Angleterre. J'eus ainsi l'occasion de
visiterlesdiversescolonies anglaises delaCôteoccidentaled'Afrique :
Calabar, Lagos, Accra, Free-Town, etc.
Ce qui me frappa, ce furent les grandes calebasses ornées de
dessins qui servaient de cuvettes aux femmes se rendant au marché.
A Madère, je me promenai en traîneau à bœufs et aux îles
Canaries on me montra le pic de Ténériffe.
En arrivant sur les Côtes d'Angleterre, notre bateau passa à
peu de distance de la flotte de guerre anglaise, mouillée aux environs
du port de Portsmouth. Je ne cessai de regarder ces gros vaisseaux. Le
paquebot s'engagea ensuite dans la rivière qui mène à Southampton,
port de commerce où je devais débarquer. J'allai habiter dans la
campagne de Southampton, chez ma grand-mère paternelle, une
bonne vieille maman, fervente protestante qui meconduisait tous les
dimanches matin au temple voisin, oùj'assistais au prêche : on priait,
on chantait, puis on écoutait un pasteur parlant du haut d'une chaire.
Je m'y tenais tranquille aux côtés de grand-maman, sans trop savoir
de quoi il s'agissait...
Durant mon séjour d'un an à Southampton, je vis, pendant
l'hiver, tomber la neige. Il faisait froid mais je n'en souffrais pas, vu
que j'étais bien emmitouflé dans des vêtements chauds. C'est à
Southampton queje commençai à fréquenter l'école, une toute petite
école de campagne, tenue par un vieux monsieur et sa femme, braves
gens qui me traitaient comme leur enfant. Je m'en rendis compte
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particulièrement lorsqu'en jouant dans la cour, je fis une chute et me


blessai à la tête. Pour me faire oublier mon mal, ce brave ménage fut
aux petits soins et me combla de friandises.
De Southampton on me conduisait parfois à Londres. Finale-
ment un jour, on me fit traverser l'Angleterre pour me rendre à
Liverpool où j'aimais à voir les attelages de chevaux. C'est là que je
pris le bateau pour rentrer au Gabon, sur les instances pressantes de
ma mère, qui me réclamait à cor et à cri, par les lettres qu'écrivait
M. JOBET, le nouveau directeur de Hatton &Cookson à Libreville.
ALiverpool, mon père ne revenant plus en Afrique meconfia
à l'un de ses amis, le capitaine JONATHAN HOLT, frère de JOHN
HOLT, fondateur de la firme de ce nom.
Sur mon chemin de retour, je revis les ports où mon premier
paquebot avait fait escale l'année passée et arrivai enfin à l'île de
Fernando-Po, oùje séjournai un bon mois à la Maison JOHN HOLT.
J'eus l'occasion de voir des Boubis, aujourd'hui évolués, mais alors
très sauvages, à peine vêtus, descendant de la montagne pour vendre
leurs produits et faire leurs emplettes dans les boutiques de la ville
de Santa-Isabel. Enfin, un paquebot me ramena de Fernando-Po à
Libreville.
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III. MON PERE BRUCE WALKER.


En 1866,BruceWalker, commerçantanglais et premierdirec-
teur au Gabon de la Maison Hatton &Cookson, pénétra le premier
dans l'Okandè supérieur (Haut-Ogooué) ; ne pouvant remonter le
fleuveàpartirdesonembouchureàcausedel'oppositiondesOroungous,
il décida d'emprunter la voie du Rèmbwè, affluent de l'Estuaire du
Gabonet ancienchemindescaravanes d'esclaves. Il partit le 7février
1866,avecdesguidesBakélés ;ceux-cipillèrentunegrandepartie de
ses bagages, notamment lors du passage d'un marais donnant sur
l'Ogooué, en amontde la Ngounié et se montrèrent souvent hostiles.
Descendant alors le fleuve en pirogue, il arriva chez les Enengas, au
village duroi Rè-Mpolè. Là, il rencontra les gens duCapLopezet du
Feman-Vaz venus pour affaires. Son arrivée causa un grand trouble
chez les Enengas, pour plusieurs raisons. Onl'accusa d'abord d'être,
commed'autres Européens depassage, annonciateur d'une épidémie
de petite vérole. Lorsqu'il déclara vouloir remonter l'Okandè, les
Enengas pensèrent aussitôt que leur monopole commercial sur cette
régionallait êtrebrisé. Lepassagedel'Okandèétait assuréeneffetpar
les Azyondos, branche des Enengas. Chez Rè-Mpolè, Walker fut
assez peu libre de ses mouvements, étant considéré plus comme
prisonnier ou otage qu'hôte. Il réussit néanmoins à remonter la
Ngouniéjusqu'aux Chutes de Samba, déjà signalées par du Chaillu,
profitantd'unconvoidirigéparunchefVili decetterégion. Il séjourna
auvillage deBoualè,notantqueles habitants decette région, Ivéaset
Vilis, ontpourrôle commercial d'échangerdel'ivoire, desesclaves et
des tissus en fibres de palmier contre du sel et des marchandises
européennes,servantd'intermédiairesentrelestribussituéesenamont—
Eshiras, Mitsogos —et celles situées anaval—Enengas et Galoas. Il
signalequelesMitsogostravaillent lefer. Deretourchezles Enengas,
et enattendant le départ vers l'Okandè, il interrogea les indigènes qui
lui affirmèrent qu'il existait dans cette région deux volcans appelés
Otombi et Ondjiko. Walker crut à ces informations. Profitant d'un
convoidepiroguesorganiséparRè-Mpolè,il partitenfinversleHaut-
Ogooué le 21juillet, alors que les eaux du fleuve étaient en train de
baisser. Le31, il arriva chez les Bakotas, par 11°20delongitude est.
Dansla suite, BruceWalkerétablit unedesespremières factoreries à
Adolinanongo, sur les bords de l'Ogooué dans les terres du roi
Nkombé (appelé «Roi Soleil » dans les récits de Marche et de
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Compiègne), entre 1866et 1870. Mais il s'aperçut que cet établisse-


ment n'était pas très pratique, à cause des bancs de sable qui empê-
chaient les petits vapeurs de sa compagnie d'accoster en période de
saison sèche. Il transporta alors sa factorerie sur une île située au
milieudufleuveetdépendantduroiRanoké,aupointdit«Agouma »,
c'est-à-dire les fromagers. Apprenant qu'il allait quitter ses terres, le
roi Nkombélui dit, d'untonmoqueur :«Lémbaréni !», c'est-à-dire :
Essayez donc !C'est ainsi que fut fondé Lambaréné (Walker (Abbé)
et Reynard - Anglais, Espagnols et Nord-Américains au Gabon au
XIXe siècle, 1866).
D'après le vice-amiral Fleuriot de Langle (croisière à la Côte
d'Afrique.TourduMonde,1876),BruceWalkersetrouvaitàLibreville
en 1859. Il quitta définitivement le Gabon en 1875. Il écrivit les
publications suivantes :
- Relation d'une tentative d'exploration en 1866de la rivière Ogooué
et de la recherche d'un grand lac devant se trouver dans l'Afrique
Centrale (Annales des voyages 1870).
- Sur l'Ogooué et la Ngounié (Peter Mittel, 1875, pp. 51-57).
- Letter on ajourney upthe Ogowe river. Proceedings R. Geo. Soc.
1873 XVII pp. 354-355.
- Notisen über den Ogowe. Geo. Peter Mittell 1875, pp. 112).
- Mr. Skertchly on the Ogowe (Geo Magazine, 1875, pp. 224 et
suivantes. Cet article se rapporte àunprétendu voyaged'un explo-
rateur anglais dans le Haut-Ogooué.)
Sadevise : NONESTVIVERE, SEDVALEREVITA.
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IV. L'ODYSSEE DE MON


PARRAIN.
Il s'appelait François MBONGO,mort àl'hôpital indigène de
lamission Sainte-Marie audébut dece siècle. Il était néauxenvirons
deFranceville,dansunesavaneensoleillée,aupaysdesMindoumous,
non loin des rives de la Passa.
C'était longtemps avant l'exploration du Haut-Ogooué par
Savorgnan de Brazza à l'époque lointaine où les navires-négriers
venaient à la côte, à la recherche du bois d'ébène.
Des Badoumas, remontant le fleuve, tombèrent un jour à
l'improviste sur un village Ndoumou, à peu près désert. Tous les
hommes valides, avec les femmes et les jeunes gens étaient allés
camper dans la brousse pour la chasse aux filets.
Il ne restait au village que deux ou trois hommes, quelques
vieillards ou éclopés, les tout-petits enfants, des femmes en état de
grossesse ou allaitant des bébés.
Cejour-là, la mère du petit Mbongo était dans sa plantation
pour chercher quelques tubercules de manioc pour la journée,
laissant sonenfant auvillage avec ses petits camarades. Soudain, des
gens armés, faisant irruption dans lacour, se saisirent des enfants qui
jouaient ensemble. Ils allaient les emmener dans leurs pirogues
lorsque la mère de Mbongorevint de sa plantation. Folle dedouleur,
elle n'écoute que son instinct maternel et se précipite sur le ravisseur
de sonenfant pourle lui arracher des mains. Maiscelui-ci ale temps
de passer son captif à un de ses compagnons qui le repasse à un
troisième, et ainsi de suite jusqu'au débarcadère où il est mis en lieu
sûr.
La lutte entre la bande des pillards et les gens du village est
inégale. Les Mindoumous, peu nombreux et trop faibles cèdent à la
force et les Badoumous, heureux et fiers, redescendent le fleuve en
criant des chants de victoire, avec une cargaison de jeunes prison-
niers.
Après quelques mois de repos, les Badoumas se remirent en
route pour régler leurs comptes avec les Okandès, leurs voisins
d'aval. En échange des marchandises que ces derniers leur avaient
avancées, ils leur livrèrent un lot de captifs, dont le jeune Mbongo.
ALopé, chez les Okandès, les captifs furent parqués dans les
îlots, au beaumilieu dufleuve, aurapide Mboumba, près des portes
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d'Okandè, où l'Ogooué mesure à peine une cinquantaine de mètres de


largeur. Là, inutile de les surveiller, le fleuve suffit. Mais les Okandès
avaient, eux aussi, reçu des avances des Enengas. Mbongo et d'autres
prisonniers passèrent donc aux mains des Enengas du Lac Zilé, dans
le Moyen-Ogooué. Puis des Enengas aux Oroungous du Cap Lopez,
au village d'Ossengatanga, au bord de l'Océan.
Un jour, le frère de son quatrième possesseur vint par mer à
l'Estuaire du Gabon, chez les Mpongwès. De nouveau, il fallut
rembourser en esclaves la valeur des marchandises avancées par
ceux-ci. Pour la cinquième fois, Mbongo dut changer de maître. Un
chef, du nom d'Akayé, se l'adjugea. Mbongo pouvait avoir de 10à 12
ans. C'était un ou deux ans avant la prise de possession du Comptoir
du Gabon par les Français et leur installation au bloc chaud du fort
d'Aumale. Le vieux Ré-Nimba ou Tat'Osingi venait de mourir et
Ré-Dowé ou le roi Louis qui avait signé un traité avec la France en
1843, lui avait succédé.
Lejeune Mbongo grandit sous l'œil bienveillant de son maître
Akayé qui l'aimait beaucoup parce qu'il se montrait très obéissant et
serviable. Dans la suite, il fut mêmeconfié au Père Bessieux qui avait
ouvert unepetite école àla mission Sainte-Marie, en mêmetemps que
le fils duroi Quaben, connu plus tard sous le nomd'Augustin Owanga.
Malheureusement son séjour à l'école ne fut pas de longue durée ; il
commençait à peine à épeler le syllabaire lorsque son maître Akayé
vint le réclamer :
- « Je t'ai déjà donné cinq enfants, dit-il au Père Bessieux, je
désire garder celui-ci à mon service. »
Ce ne fut que plus tard, à la mort d'Akayé, que Mbongo put se
faire instruire de la religion chrétienne, recevoir le baptême sous le
prénom de François, et se marier religieusement.
- « Ah, disait-il dans ses vieux jours, Dieu a été bon pour moi
en m'amenant jusqu'ici... Si j'étais resté dans mon pays, je serais à
l'heure actuelle un vieux païen endurci ! »
Et il disait vrai, car aujourd'hui encore les vieux Mindoumous
ne se convertissent pas facilement.
Dans ses dernières années, il était surveillant de l'hôpital
indigène de la mission Sainte-Marie.
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V. A BORD DU PONTON.
En effet, j'ai vécu trois ou quatre ans sur un de ces navires,
mouillé devant la petite Elobey, en face de l'embouchure du Rio-
Mouni. C'était dans ma toute petite enfance, entre 1871 et 1875,
date à laquelle je fis le voyage du Gabon en Angleterre. Mon père,
Bruce Walker, un des premiers explorateurs du Haut-Ogooué —de
l'Okanda—commeondisait àl'époque, fondateur et premierdirecteur
de la Maison Hatton &Cookson au Gabon, yavait élu domicile. Plus
tard, j'ai eu l'occasion de revoir à Libreville l'un ou l'autre boy
présent. J'ai appris en lisant les relations du voyage du marquis de
Compiègne et d'Alfred Marche que ce ponton s'appelait « Princess
Royal ». Ces messieurs y avaient passé quelques jours vers la même
époque, avant de rentrer en France, après leur expédition dans
l'Ogooué.
Ces navires-magasins servaient d'entrepôts commerciaux ou,
si l'on veut, de factoreries flottantes. C'étaient de vieux paquebots ou
d'anciens navires de guerre dont certains avaient eu leurs jours de
gloire. Ils étaient démâtés et couverts dans toute leur longueur d'un
toit en planches ou entôles. Le confortable s'yjoignait aupittoresque,
et, ce qui est important, à la salubrité. L'air y était plus frais qu'à terre.
On n'y vivait pas au milieu des émanations des marais et des
palétuviers. Habitants et marchandises étaient à l'abri des rôdeurs. La
vie n'y était pas désagréable. Sur l'arrière était aménagée l'habitation
des Européens avec son meublé, chambres à coucher, cabinets de
toilette, bibliothèque... A bord de la « Princess Royal », raconte le
marquis de Compiègne, se trouvait une très riche bibliothèque qui
renfermait, entre autres choses, une collection presque complète de
tous les ouvrages publiés sur l'Afrique. Une cloison séparait entière-
ment cette partie du reste du bâtiment qui formait les magasins où
étaient rangées les marchandises et les provisions : huile de palme,
objets d'échange, étoffes, bracelets de métal, tabac, gin, eau-de-vie
de traite, poudre et fusils en silex. Enfin, toute la cale était chargée
de sel.
Sur l'avant, logeaient l'équipage composé de Kroumen et les
autres employés africains.
Je ne saurais vous le dire exactement, mais il y avait un
personnel assez considérable, aussi nombreux que celui d'une grande
maison de commerce ordinaire : directeur, médecin, agents compta-
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bles, clercs, boys, cuisiniers, infirmiers, équipe de matelots pour


charger et décharger les marchandises venues d'Europe et les pro-
duits du pays apportés par les indigènes : billes d'ébène, bûches de
padouk, boules de caoutchouc, pointes d'ivoire, cire, gomme-copal,
piassava, etc.
Le ponton sur lequel j'ai vécu était seul en face de l'île Elobey.
Mais, en me rendant en Angleterre, j'ai eu l'occasion d'en voir
d'autres ancrés dans les ports. D'après le marquis de Compiègne et
Alfred Marche, Bonny et Old-Calabar en comptaient un grand
nombre. C'étaient de vraies villes flottantes. Aelle seule, la ville de
Bonny en avait une vingtaine. Au Cameroun, étaient mouillés aussi
quelques pontons. Il y avait dans ces parages de nombreuses épaves
de vieux pontons démantelés.
Les populations riveraines n'avaient de rapports avec le
personnel qu'au moment des transactions commerciales. Chaque
matin, au lever du jour, l'échelle du bord était descendue pour
permettre aux riverains d'apporter leurs produits et des vivres frais.
Chaque soir, au coucher du soleil, l'échelle était remontée, de
manière que personne ne puisse monter à bord ou en descendre
pendant la nuit.
Il n'y avait pas de pontons dans tous les ports. Il n'en existait
que dans les plus importants. Les endroits de la côte où on en trouvait
en rade étaient particulièrement Bonny, Old-Calabar, Cameroun et
Elobey. Non loin de Fernando-Po, vers un îlot isolé, il se trouvait
aussi l'un ou l'autre ponton. Mais ce n'étaient pas des vaisseaux-
magasins. Ils servaient de prison aux déportés espagnols. Quant à
ceux qui se succédèrent à Libreville, c'étaient des hôpitaux flottants.
L'insalubrité du climat avait obligé le gouvernement de la marine à y
installer l'hôpital européen, ainsi que l'habitation des officiers et du
personnel administratifde la colonie, qui nerésidaient àterre quepour
la journée.
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VI. DIFFICULTES AVEC MA MERE


AU SUJET DE MA VOCATION.
Ma mère, bien que n'ayant pas été à l'école, comprenait les
bienfaits del'instruction. Aussi,elle m'atoujours incité àl'étude. Elle
ytenait beaucoup. Unjour queP. Klaine s'était plaint demoi, elle lui
dit :«S'iln'apprendpasbienous'il neseconduitpasbien, il n'y aqu'à
m'appeler,etnousluiadministreronstouslesdeuxunebonnefessée. »
Ce n'est qu'en 1889, vers mes dix-huit ans, qu'elle chercha à
meretirerdel'école,parcequ'elle avaitentendudirequeje voulaisme
faire prêtre.
Commeje refusais d'obtempérer à ses désirs, elle alla porter
plainte au tribunal qui, se basant sur ce que j'étais encore mineur,
m'obligeaàlasuivreauvillage ;ceàquoije merésignaiàcontrecœur.
Mais, au bout de trois jours, n'y tenant plus, je profitai de
l'obscurité, tandis que mamère était occupée à la cuisine, pour me
sauveràtoute vitesse par la plage et rentrer au séminaire oùje passai
lanuit. Lelendemainmatin, dèsla premièreheure, mamèreétait déjà
rendue au parloir de la mission, pour meréclamer et meramener au
village.
Surmonrefus, elle serendit denouveau autribunal oùlejuge
excédé lui répondit : «Tu n'avais qu'à bien le garder ! ».
C'est ainsi que je pus continuer tranquillement mes études
jusqu'à ma majorité en 1892. Acette date, ma mère renouvela sa
plainte au tribunal. Mais je fis alors savoir à Monsieur le Juge que
j'étais majeur, étant né en 1871.
Devant mon affirmation, M. le Juge chargea le greffier du
tribunal d'aller vérifier la chose dans les registres de baptême de la
missionSainte-Marie,vul'absence deregistresd'état-civil àladatede
manaissance.
Sur le rapport que fit ce dernier, M.le Juge fit comprendre à
mamèreque,d'après laloi française,j'étais devenumajeur,donclibre
d'user de mesdroits.
Ala suite de cette décision, mamère melaissa à la mission.
Maisalors, elle megardarancune. Nousnenous sommesréconciliés
qu'en 1894, lorsque MgrLeRoy meconféra la première tonsure.
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VII. LA MORT DE MA MERE.


D'après ce qui m'a été rapporté, mon père serait mort à un âge
très avancé, comme était morte sa bonne vieille maman qui m'a
hébergé dans ma petite enfance lors de mon séjour à Southampton,
en 1875-1876.
Ma mère, au contraire, est morte relativement jeune, en août
1912.
C'était à l'époque où l'on commençait à exploiter le bois
d'okoumé. Il n'existait pas encore de chantiers forestiers ni des
coupes de bois individuelles. Dans la région de l'Estuaire, les Fangs
prospectaient des arbres pour leur propre compte, puis ils les abat-
taient, les tronçonnaient et évacuaient les billes à la remorque de
leurs pirogues vers les plages d'Owèndo et de Glass, où ils les
vendaient à 60 francs la pièce.
Mamère, très entreprenante, s'était entendue avec des gens de
sa connaissance pour l'achat de quelques billes d'okoumé qu'elle
revendait probablement à la Firme John Holt.
A cet effet, elle se rendait à Owèndo pour la réception des
billes. Un jour donc qu'elle avait effectué ce trajet aller-retour du
village Louis à la Pointe Owèndo et inversement, elle ne se sentit pas
bien à son retour ; elle s'alita et ne se releva plus. Un ou deux jours
après, malgré les soins du médecin, elle succombait à la suite d'une
méningite cérébrale.
Ellerepose au fonddelacommunautédeSainte-Marie, au bord
du chemin qui mène au couvent des Sœurs Dominicaines, entourée de
ses trois petits-enfants morts en bas-âge, les deux Florence et le petit
Jacques.
Je présidai ses obsèques. Elle avait à peine soixante ans !Elle
est morte avec tous ses projets dans la tête, comme disait l'une de ses
parentes : « Adyuwa n'imonde sè g'awondjo ! »
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VIII. A L'ECOLE DU PERE KLAINE.


Une fois à Libreville, on ne melaissa pas traîner longtemps au
village. Onmetrouvait trop remuant et trop espiègle. Sur les conseils
de M. Jobet, qui me tenait lieu de tuteur, on s'empressa de me faire
rentrer à l'école de Sainte-Marie comme interne. En jouant sur la
plage, je faillis unjour noyer un tout petit enfant en le poussant dans
l'eau. A ce moment, Mgr Bessieux venait de mourir quelques mois
plus tôt, suivi peu après par le roi Denis, et on attendait MgrLe Berre,
le nouveau vicaire Apostolique, rentré en France pour y être sacré. Il
ne devait arriver que le 30 janvier 1878.
J'assistai àsonarrivéesurunnaviredecommerce,le« Daguerre »,
par forte brise de l'après-midi, toutes voiles dehors et de nombreux
drapeaux flottant au vent. Monseigneur était accompagné du P.
Gaétan et du F. Théophane. Al'entrée de la mission Sainte-Marie,
Mgr Le Berre passa sous un magnifique arc-de-triomphe, à la
façade duquel on lisait ce texte : « Evangelizare pauperibus misit me
Deus ».
Amon entrée à l'école, j'ai été reçu par le R. P. Ignace Stoffel,
vicaire général et supérieur de la mission Sainte-Marie, futur fonda-
teur de la mission de Mayumba, ainsi que par le jeune P. Peter,
remplaçant le P. Klaine, alors en congé en France. Après le P. Stalter,
j'eus comme directeur de l'école le P. Davezac, frais débarqué
également, l'un des futurs fondateurs de la mission de la ville, dans
le Haut-Ogowè. Il y avait aussi là le jeune P. Augouard, arrivé
quelques jours avant Mgr Le Berre. Il était passé sous l'arc-de-
triomphe pour recevoir son évêque. Heureux présage pour son
avenir !
C'est le P. Augouard qui m'admit à la chorale et me fit
. commencer à jouer au piano, en attendant que je puisse pédaler sur
un harmonium. Plus tard, je fis partie de la fanfare de Sainte-Marie,
qui avaitétécréée unequinzained'années auparavantpar le F. Barnabé
Tissot (mort en 1868). Elle servait à rehausser les grand-messes
pontificales, les processions de la Fête-Dieu et de l'Assomption sans
compterla distribution des prix au début des vacances et les visites des
amiraux et commandants de la flotte ainsi que celle des gouverneurs
locaux. Elle comptait une trentaine de musiciens.
Il faut vous dire qu'à mon entrée à l'école de Sainte-Marie,
j'étais bien embarrassé. Je ne parlais que l'anglais. J'ignorais complè-
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tement le mpongouè, ma langue maternelle et ne connaissais pas


encore le français. Fort heureusement, il se trouva là un moniteur,
Marc Loufa, qui parlait le « pidjin », l'anglais des Kroumen, comme
on disait alors. Grâce à lui, je pus tenir une conversation, en attendant
de pouvoir m'exprimer en français.
Deux ou trois années après mon entrée à l'école, le P. Klaine
revint de France et reprit ses anciennes fonctions de directeur de
l'école. C'est sous lui, surtout, que je fis mes études primaires,
entrecoupées d'une annéepassée àlamission Saint-Joseph desBengas,
au Cap Estérias.
Les six derniers mois quej'y passai, le P. Klaine medonna une
classe à faire. J'avais alors 15 ans. Outre l'emploi de moniteur, j'étais
aussi chargé detrois classes dechantparjour :les débutants, les élèves
des classes moyennes et la chorale, sans compter les séances de
musique instrumentale pour ceux de la fanfare. Mais cela ne dura
heureusement que six mois. Aux vacances de 1886, je demandai à
reprendre l'étude du latin, sous le P. Buléon, qui avait décidé Mgr Le
Berre à séparer les « latinistes »des élèves de l'école primaire pour en
faire de vrais petits séminaristes.

1. LE PÈRE KLAINE EN CLASSE.


Chaque matin, chaque soir, à heure fixe, jamais plus tôt ni plus
tard, nous voyions arriver le grand Père Klaine, marchant à pas
mesurés, pas plus vite un jour que l'autre.
Il entrait sans rien dire, se dirigeant tout droit au fond du local,
vers son pupitre, élevé sur deux gradins.
A sa droite, étaient placés les élèves des deux premières
divisions auxquels il faisait lui-même la classe. Ceux des quatre ou
cinq autres divisions étaient confiés à des moniteurs ou élèves-
moniteurs.
Il n'y avait pas de compartiments séparés et le Père Klaine, de
son pupitre, avait sous les yeux maîtres et élèves.
Lorsqu'un élève turbulent chahutait ou faisait la mauvaise
tête, le Père Klaine brandissait son fouet, fronçait les sourcils et
grossissait lavoix :« Hé !là-bas ! ». C'était unpremieravertissement.
Si l'élève continuait : « Hé ! Hé ! tout à l'heure ! » (sous-
entendu : ce sera le fouet). Second avertissement.
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Ala troisième fois, c'était : « Oh !le vilain !le vilain !ici, ici,
le vilain ! ». Alors c'était le fouet...
L'élève, tout penaud, tête basse, quittait sa place et se dirigeait
vers le pupitre du Père, escaladait les deux marches, se courbait en
serrant bien sa blouse sur les fesses et pan ! pan ! pan ! attrapait la
fessée. Trois coups !Pas plus ni moins. Six coups, c'était pour un cas
plus grave...
Les autres punitions consistaient à se mettre à genoux en
pleine salle d'étude ou à manger à genoux au réfectoire, ou encore à
se tenir à genoux quelques minutes au dortoir avant de se mettre au
lit.
Il yavait également les arrêts derigueur aupied d'un manguier,
d'un arbre à pain ou d'un avocatier.
2. LES JOURS DE CONGÉ.
a. Promenades réglementaires.
Dans l'après-midi du dimanche, promenade sous la direction
d'un Frère ; le mercredi sous celle du Père Klaine. Rendez-vous dans
la plaine de Louis, la place entre Quaben et Kringer, l'allée de Sainte-
Anne ou du Four-à-chaux, le jardin du Kérellé et de temps à autre le
quartier de Glass. A chaque promenade, les élèves habitant les
environs avaient la permission d'aller chez eux.
b. Promenades supplémentaires.
Au temps où les jeunes Pères Stalter et Davezac étaient
chargés de l'école, en l'absence du Père Klaine, nous allions en
promenade, en plus du dimanche et du mercredi de chaque semaine,
les lundis de Pâques et de la Pentecôte, ainsi que les fêtes doubles de
deuxième classe de la Sainte-Vierge et des Apôtres. Ason retour de
France, le Père Klaine en supprima une partie.
c. Grandes promenades.
Ces grandes sorties qui duraient toute lajournée avaient lieu,
pendant l'année scolaire, une ou deux fois chaque trimestre, et
pendant les vacances, trois fois. Car, en ce temps-là, les vacances se
passaient à la mission, sauf à de rares exceptions près.
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Le rendez-vous invariable était la plaine de Guégué, sous un


bosquet de grands arbres.
La veille, à la conférence du soir, le P. Klaine, assis à son
pupitre, dans la salle de classe, annonçait solennellement, en ap-
puyant sur les mots : « Demain, s'il fait beau, il y aura grande
promenade ». On était sûrs qu'il ferait beau. Car le Père Klaine ne
parlait pas à la légère. Il s'était assuré d'avance du temps qu'il ferait
ce jour-là et de l'heure des marées. Je ne me souviens pas d'avoir
jamais été surpris par la pluie ou les hautes marées.
Onpartait, aprèslamesseetlepetitdéjeuner,àmaréedescendante
pourrevenir le soir àmarée montante, quand la plage était découverte.
Car le trajet se faisait le long du rivage : la route de terre n'existait pas
encore.
d. Vacances.
La durée de nos vacances équivalait à la moitié des vacances
d'aujourd'hui : six semaines en tout, au lieu d'une douzaine. Outre le
dimanche et le mercredi, nous sortions encore le lundi et le vendredi :
quatre promenades par semaine. Et en plus, une grande promenade
toutes les deux semaines, et des récréations plus longues. Le reste du
temps était consacré à des travaux manuels. Le Père Klaine en
profitait pour recueillir des tas de goémon sur la plage, pour fumer
son petit jardin d'essais situé aux alentours de l'école.
Les vacances commençaient au 14juillet et se terminaient au
début du mois de septembre.
3. RÈGLEMENT D'UN JOUR DE CLASSE.
A six heures moins le quart, au son de l'Angélus, la centaine
d'élèves du Père Klaine, âgés de 8 à 18 ans, se levait et dégringolait
du dortoir.à la cour de récréation, vers les cinq ou six baquets d'eau
disposés sous les manguiers, pour la toilette matinale. Après quoi
avait lieu la prière du matin à la salle d'étude, avant d'aller assister
à la messe à l'église Sainte-Marie.
Ala sortie de la messe, nous nous rendions sur deux rangs à la
plage pour baigner nos pieds dans l'eau de mer. Au retour, c'était la
visite des chiques. Lesgrands examinaient les pieds des plusjeunes et
les débarrassaient de leurs chiques (véritable fléau à cette époque).
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SOUVENR
ISDU
' NNONAGÉNAR
IE
Né à Libreville en 1871, de père anglais et de mère gabonaise,
Mgr André Raponda-Walker apprit l'anglais à l'âge de 4 ans. Mais dès
l'âge de 5 ans, de retour au Gabon, il est confronté aux langues vernacu-
laires et au français. Prêtre à 28 ans, il est affecté à Sindara, au milieu de
six ethnies différentes. Il s'est alors découvert un don spécial pour les
langues et les sciences. Douéd'une mémoireprodigieuse, il assimile plus
de vingt-cinq idiomes et enparle courammentune dizaine.
L'abbé Raponda-Walker vécut un siècle d'histoire puisqu'il mourut en
1968, à l'âge de 97 ans. Il nous fait revivre ses souvenirs d'enfant et de
missionnaire apostolique, après avoir confié à l'histoire ses notes et à la
science ses écrits. Optimiste de tempérament et jovial de caractère, il
effleure les événements avechumouret nous invite àpartager sajoie.
Comme Savorgnan de Brazza, il pénètre dans la forêt gabonaise et se
fait voler ses bagages ; il évangélise les peuplades qui n'ont pas encore
rencontré de "Blancs" ; il scrute le ciel et surveille la terre et la mer. Le
passage de la Comète Halley, une éclipse de soleil, un naufrage, des
noyades, des épidémies, l'arrivée des "chiques" au Gabon, les ca-
tastrophes, les "hommes-panthères", rien n'échappe à son oeil exercé.
Des débuts de l'évangélisation avec le père Bessieux (1844)jusqu'à la
nomination de Mgr Anguilè, archevêque de Libreville (1969) c'est le
pionnier de la MISSION CATHOLIQUE que nous côtoyons au fil des
années, c'est le frère Mathias qui tracte les billes de bois avec son élé-
phant apprivoisé ou qui chasse le buffle avec un parapluie ; c'est le père
Barreau qui assiste à la prise duposte allemand de Cocobeach en 1914et
devient aumônierde la base navale duGabon.
Cespagespittoresques, c'est donc unclin d'oeil àunsiècle d'histoire !
Un livre indispensable dans toute bibliothèque familiale !
FondationMgrRaponda-WalkerB.P 2146Libreville (GABON)

Nosplus vifs remerciements àla Société Gabonaise de Raffinage (SOGARA), et àla Banque
Internationale pour le Commerceet l'Industrie du Gabon (BICIG), ainsi qu'à tous les amis de
la Fondation Raponda-Walker.

I.S.B.N : 2-85049-573-5
Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès
par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement
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relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au
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Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire
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La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections


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La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia
‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒
dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.

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