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COURS D’EGLISE-ETAT

Par

Professeur Thomas MUNAYI Muntu-Monji


I. Introduction

A. Objectifs

 Le cours d’Eglise-Etat dispensé en troisième


graduat en droit et en première licence en
théologie de l’Université protestante au Congo
(UPC) s’assigne comme objectifs d’informer les
étudiants sur un domaine précis de l’histoire et de
l’actualité de notre pays : les rapports entre l’Etat
et les Eglises, deux des principaux acteurs qui ont
fait et continuent de faire du Congo ce qu’il est.
B. Divisions

• Ce cours comprend trois parties correspondant aux trois


statuts juridiques différents qu’a connus le Congo de 1885 à
nos jours.

I. L’Etat « indépendant » du Congo (1885 - 1908),


II. Le Congo belge (1908 - 1960),
III. Le Congo devenu pays indépendant depuis 1960.
II. Résumé du cours

 Sous ces trois statuts juridiques différents qu’a


connus le pays depuis 1885, ces rapports peuvent
se résumer comme suit.
A. Sous l’Etat « indépendant » du Congo
(1885 -1908)

 Les puissances colonisatrices de l’Afrique convinrent que


« la mission civilisatrice des populations africaines »
pouvait être mieux remplie notamment par les missions
religieuses. D’où la place importante réservée aux
rapports avec les missions religieuses dans l’Acte général
de la Conférence de Berlin de 1885 (art. 6) : protection,
libre et public exercice des cultes sans restrictions ni
entraves, traitement égal avec toutes les missions sans
distinctions ni de cultes, ni de nationalités.
 L’Etat ne tarda pas à violer ces dispositions en demandant
et en obtenant du Saint-Siège le départ des Pères français
du Saint-Esprit, pourtant catholiques, pour les remplacer,
en 1888, par les Pères de Scheut ou Prêtres de la
Congrégation du coeur immaculé de Marie (cicm), la
congrégation belge par excellence.

 En cette même année 1888, Léopold II promulgua le


décret sur l’octroi de la personnalité civile aux institutions
et associations, texte qui restreignait la liberté desdites
institutions et associations dans leur installation au Congo.
 Allant plus loin encore dans la discrimination, l’Etat
indépendant du Congo conclut en 1906, avec les seules
missions catholiques, dorénavant appelées « missions
nationales » dont la majorité était composée des
missionnaires belges, la convention d’étroite
collaboration, à l’exclusion des missions protestantes,
toutes composées des missionnaires non belges
(américains, britanniques et scandinaves), dorénavant
appelées missions étrangères.
 Cette marginalisation des missions protestantes était due
en grande partie au fait que ces dernières avaient pris une
grande part dans la dénonciation des atrocités et abus qui
accompagnaient l’exploitation du pays par les agents de
l’Etat et des sociétés commerciales : travail forcé
notamment dans la récolte du caoutchouc et de l’ivoire
entrainant assassinats, mutilations, incendies de villages,
prises d’otages, etc. ce fut la période du caoutchouc
rouge.
 La première collaboration Etat-Eglises dans le
domaine de l’enseignement se fit dans la création
des colonies scolaires (décrets de 1890 et 1892).
Alors que les missions catholiques acceptèrent cette
collaboration en organisant effectivement des
colonies d’enfants indigènes ou colonies scolaires, où
étaient recueillis des enfants orphelins ou
abandonnés, les missions protestantes se
réservèrent de recueillir des enfants, estimant que
les enfants dits « orphelins » restaient après tout
enfants de clans et que, par conséquent, ceux-ci
s’occupaient d’eux.
 Sous l’EIC, une crise éclata dans les rapports Etat-Missions
catholiques à la suite de la publication, en 1905, du
rapport de la commission d’enquête instituée en 1904 par
Léopold II, aux fins de « vérifier les allégations selon
lesquelles des actes de mauvais traitements auraient été
commis à l’égard des indigènes, soit par des agents de
l’Etat, soit par des particuliers ».

 Dans ce rapport, il était reproché aux missions catholiques


de mal traiter les enfants recueillis dans leurs colonies
scolaires d’une part, et d’autre part, d’exploiter
abusivement les adultes obligés de vivre dans leurs
fermes-chapelles. Les missions catholiques élevèrent de
très vives protestations contre ce rapport, menaçant
même de quitter le Congo.
 Aux premières années de l’EIC, les missionnaires
remplissaient aussi les fonctions d’officiers d’état civil.
B. Sous le Congo belge (1908 – 1960)
 La charte coloniale (1908) (art. 5 et 15) reprenait encore
les dispositions de l’article 6 de l’Acte général de la
Conférence de Berlin, pourtant déjà foulées aux pieds par
la convention de 1906, laquelle constituait dorénavant un
droit nouveau dans les rapports Etat-Missions religieuses.
 Dans le domaine de l’enseignement, la convention
scolaire de 1925 fut à l’origine de la subsidiation de toutes
les écoles des missions catholiques remplissant les
conditions de programmes et d’inspection. Il a fallu
attendre 1946 pour voir promettre cet avantage aux
écoles des missions protestantes, dont un petit nombre
en virent l’effectivité à partir de 1948.
 Signalons cependant que, bien qu’exclues des subsides
scolaires, les missions protestantes recevaient des
subsides pour leurs hôpitaux, qui étaient d’ailleurs parmi
les meilleurs de la Colonie. Entretemps, les rapports Etat-
Missions protestantes étaient devenus tendus à la suite
de l’apparition, en 1921 dans l’ouest du pays, du
mouvement kimbanguiste, dont le pouvoir colonial
attribuait la paternité à ces missions.

 Toutefois, le kimbanguisme devenu église sera autorisé


en 1959, alors que des dizaines de milliers de ses adeptes
avaient été relégués loin de leurs milieux d’origine.
 La deuxième crise dans les rapports Etat-Missions
catholiques vit le jour en 1954 à la suite de la création,
par le libéral Auguste Buisseret, ministre des Colonies,
des premières écoles officielles laïques pour enfants
congolais. Persistante, cette crise fut à la base de la
Déclaration de l’Episcopat catholique en 1956, par
laquelle l’Eglise catholique du Congo dénonça la
convention de 1906 et décida de faire cavalier seule
d’une part, et de favoriser l’émancipation culturelle des
Congolais d’autre part. Le ton était ainsi donné pour le
processus qui aboutira à l’indépendance en 1960.

 En cette même année 1954 s’était ouverte l’Université


catholique Lovanium de Léopoldville, ouverture à
laquelle s’opposaient les libéraux belges.
 En 1956, ces mêmes libéraux, avec Buisseret en tête,
ouvraient l’Université d’Etat à Elisabethville, la future
Université officielle du Congo. Les protestants conglais
créeront la leur à Stanleyville (Kisangani) en 1963, donc
après l’indépendance.
C. Sous le Congo devenu indépendant depuis 1960

 Sans citer expressément la laïcité de l’Etat, la Loi


fondamentale du 17 juin 1960 relative aux libertés
publiques (art. 12 et 18), la Constitution du 1er août 1964
dite « Constitution de Luluabourg » (art. 24) et la
Constitution du 24 juin 1967 énonçaient les principes de
liberté de religions et de cultes ainsi que la séparation
Eglise – Etat.
 La demande explicite d’inscrire, à l’article premier de la
constitution, la laïcité de l’Etat, fut formulée en 1963, par
les protestants congolais réunis en conseil à Stanleyville.
C’était notamment pour s’opposer à la décision annoncée
en 1962, par le Saint-Siège, de nommer un nonce
apostolique à Léopoldville, avec juridiction également sur
le Royaume du Burundi qui venait d’accéder à
l’indépendance en cette même année 1962.
 Malgré cette opposition des protestants congolais, le
Président Kasa-Vubu reçut quand même, le 28 mars 1963,
les lettres accréditant Mgr Vito Roberti en qualité de
nonce apostolique (ambassadeur extraordinaire et
plénipotentiaire du Saint Siège) dans la jeune République
du Congo. La laïcité de l’Etat sera formellement inscrite au
premier article de la constitution, lors de la révision, le 15
août 1974, de la constitution du 24 juin 1967. :
 « La République du Zaïre est un Etat unitaire,
démocratique, social et laïque ».
 Dorénavant, elle sera reprise dans toutes les constitutions
qui sont venues après.
 Dès 1970, l’Etat s’impliqua dans le processus de
consolidation de l’unité de l’Eglise du Christ au Congo
(ECC) d’une part, et de l’Eglise kimbanguiste d’autre part.
Cette consolidation, que le Président Mobutu voulait pour
faire de ces églises ses « alliées » dans la lutte qu’il allait
déclencher contre l’Eglise catholique, sera réalisée par la
loi du 31 décembre 1971 réglementant l’exercice des
cultes en République du Zaïre. Dorénavant, n’avaient droit
à l’existence dans le pays que l’Eglise catholique, l’Eglise
du Christ au Zaïre (ECZ) et l’Eglise kimbanguiste. Dans le
courant de cette même année 1971 avait commencé la
nationalisation des universités et instituts d’enseignement
supérieur confessionnels.
 Ainsi fut créée l’Université nationale du Congo qui
deviendra Université nationale du Zaïre (UNAZA), avec le
changement du nom du pays qui passait de la République
démocratique du Congo à la République du Zaïre (octobre
1971). C’était le début officiel du mouvement du recours à
l’authenticité.
 En 1972 éclata la troisième crise dans les rapports
Etat-Eglise catholique dite conflit Mobutu-Malula,
dont quelques retombées seront l’interdiction du
port de prénoms chrétiens, la suppression du
calendrier des jours fériés légaux des fêtes
catholiques d’obligation, l’imposition d’installer les
comités MPR et JMPR dans les séminaires et autres
maisons de formation religieuse, l’interdiction des
réunions de la Conférence épiscopale catholique à
tous les niveaux.
 Le Président Mobutu accusait le Cardinal Malula d’avoir
été à la base du mouvement qui s’opposait à cette
politique du recours à l’authenticité. De son côté, le
Cardinal défendait plutôt la justice distributive, dans un
pays où l’écart entre les riches et les pauvres ne faisait
que s’accentuer. Vilipendé et menacé d’arrestation, le
Cardinal dut se réfugier à Rome (février – juin 1972).

 De leur côté, retournant l’ascenseur à Mobutu, les Eglises


protestante et kimbanguiste se rangèrent derrière la
politique du recours à l’authenticité.
 La nationalisation de l’enseignement confessionnel, qui
avait commencé avec les universités et les instituts
supérieurs en1971, s’étendit à l’enseignement primaire
et secondaire. Le cours de religion y fut interdit et
remplacé par celui d’éducation civique et politique.

 Incapable de bien gérer ces écoles primaires et


secondaires confessionnelles nationalisées, l’Etat, qui
continuait à se proclamer propriétaire de ces écoles, en
confia la gestion, à la suite d’une convention, aux
confessions religieuses, leurs anciens propriétaires. Elles
devenaient ainsi des écoles conventionnées
(catholiques, protestantes ou kimbanguistes…).
 L’UNAZA finit par être supprimée en 1981. Mais les
universités et les instituts supérieurs confessionnels
nationalisés en 1971, tout comme les écoles primaires et
secondaires en 1972, ne furent pas restitués à leurs
anciens propriétaires. Le contentieux en cette matière
continue d’exister entre l’Etat et les confessions
religieuses concernées.

 A deux repris : 1980 et 1985, le pays connut la visite du


Pape Jean-Paul II accueilli aussi en chef d’Etat : la
première pour célébrer, avec les catholiques zaïrois, le
premier centenaire de la deuxième évangélisation (1880
– 1980), la deuxième visite pour béatifier la religieuse
congolaise : Marie-Clémentine Anuarite Nengapeta,
martyrisée par les simba en 1964 à Isiro.
 En 1991 -1992, les Eglises prirent une part active dans les
travaux de la Conférence nationale souveraine (CNS),
forum dont la présidence était assurée par un prélat
catholique : Mgr Laurent Monsengwo Pasinya,
archevêque de Kisangani, qui devint d’ailleurs, de 1993 à
1997, président du Haut Conseil de la République –
Parlement de transition (HCR-PT).
 En 1997 intervint un changement dans le pays : la prise de
pouvoir par l’Alliance des forces démocratiques pour la
libération du Congo (AFDL). De 1998 à 2001, le pays
connut plusieurs mouvements insurrectionnels menaçant
gravement l’unité nationale et l’intégrité du territoire. Les
Eglises prirent une part active dans la recherche de la paix
et de la sauvegarde de l’unité du pays.
 C’est ainsi qu’elles participèrent au Dialogue inter-
Congolais de Sun-City en République sud-africaine (2002-
2003), lequel dialogue déboucha sur l’Accord global et
inclusif signé à Prétoria en décembre 2002. Entretemps,
en janvier 1999 avait été abrogée la loi du 31 décembre
1971 réglementant l’exercice des cultes et, en juillet
2001 avait été promulguée la loi sur les associations sans
but lucratif, en conformité de laquelle fonctionnent
aujourd’hui comme ASBL, les cultes dans le pays.
 En 2016, la Conférence épiscopale nationale du Congo
(CENCO) organisa des pourparlers au Centre
interdiocésain de Kinshasa, lesquels pourparlers
débouchèrent sur la signature de l’Accord politique global
et inclusif du 31 décembre 2016. Cet accord permettra le
changement en douceur au sommet de l’Etat en janvier
2019.

 En 2006 avait expiré la convention conclue entre l’Etat et


le Saint-Siège en 1906. Le 20 mai 2016 fut signé l’Accord-
cadre entre le Saint-Siège et la République démocratique
du Congo, accord qui sera ratifié par Son Excellence le
Président de la République Félix-Antoine Tshisekedi
Tshilombo à la Cité de Vatican le 17 janvier 2020.
 En cette année 2020, les confessions religieuses sont
appelées à relever un défi : le choix par consensus du
candidat président de la Commission électorale nationale
indépendante (CENI).
Conclusion

 Pour l’intérêt de la République démocratique du


Congo et de son peuple, et dans le respect
mutuel de leur autonomie, l’Etat et l’Eglise
doivent tenir pour sacré le principe de la
collaboration nécessaire. Ils ne peuvent s’ignorer
sans dommages réciproques.

Prof. Thomas MUNAYI Muntu-Monji

Kinshasa, le 20 juillet 2020

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