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CHARLES-RAFAËL PAYEUR

LE TAROT
Les vingt-deux arcanes majeurs

E D I T 1 0 N�E L'A 1 <i LE


C.P. 1383, Sherbrooke (Québec) Canada JIU SL9
CHAPITRE I
CONSIDERA TIONS GENERALES
SUR LE TAROT
Du même auteur
Aux Editions de I' Aigle
Aspects occultes du baptême, 1989 (épuisé).
Apprivoiser la mort, 1990, (2e édition 1997).
Pierres et Initiation, 1990 (épuisé).
La Magie des cierges et de l'encens, 1990 (épuisé).
La Puissance de l'amour, 1991 (4e édition 1992).
Le Se Avatar et sa mission, 1992 (2e édition 1993).
Réconciliation avec la nature, 1992 (épuisé).
Les Mystères de Noël, 1992 (2e édition 1993).
Les Rêves et leurs mystères, 1993.
Le Message secret des nombres, 1993.
Zodiaque et développement spirituel, 1993.
L' Astrologie planétaire, 1994.
Eveil de la conscience par la musique tome /, 1994.
Uranus, Neptune et Pluton, 1994.
Analysez votre nom, 1993.
Les Guides de lumière tome I, 1992 (épuisé).
Les Guides de lumière tome Il, 1992 (2e édition 1993).
Les Guides de lumière tome Ill, 1994.
Les Guides de lumière tome IV, 1995.
Les Guides de lumière tome V, 1995.
Les Chakras, Symbolisme et Méditation, tome 1, 1995.
Les Chakras, Symbolisme et Méditation, tome II, 1996.
La Protection spirituelle, 1996.
La Kabbale et l' Arbre de vie, 1997.
Le Tarot: Techniques de développement initiatique, 1998.
CHAPITRE I
CONSIDERATIONS
GENERALES SUR LE TAROT
L'ORIGINE DU TAROT

Malgré de nombreuses hypothèses, l'origine du tarot


demeure encore obscure et peu d'historiens s'aventurent à la
préciser. Percevant dans l'Egypte ancienne la source du sym­
bolisme occidental, Court de Gébelin écrivait au dix-huitième
siècle: « Si l'on entendait annoncer qu'il existe encore de nos
jours un ouvrage des anciens Egyptiens, un de leurs livres
échappé aux flammes qui dévorèrent leurs superbes biblio­
thèques et qui contient leur doctrine la plus pure sur des ob­
jets intéressants, chacun serait, sans doute, empressé de con­
naître un Livre aussi précieux, aussi extraordinaire. [ ...] ce Li­
vre Egyptien, seul reste de leurs superbes bibliothèques, existe
de nos jours: il est même si commun, qu'aucun savant n'a dai­
gné s'en occuper; personne avant nous n'ayant jamais soup­
çonné son illustre origine. Ce livre est le jeu des tarots... ».1 Or
s'il est vrai que le tarot est un ouvrage symbolique extraordi­
naire, « Court de Gébelin affinne cependant fort gratuitement
l'origine égyptienne du tarot. Il lui suffit de discerner le carac­
tère symbolique de figures jusqu'alors considérées comme
fantaisistes, pour que, d'emblée, il y reconnaisse des hiérogly­
phes, attribuables aux sages de la plus haute antiquité. C'est
aller trop vite en besogne ».2
Par contre, une autre hypothèse, beaucoup plus intéres­
sante, fut développée au siècle dernier par bon nombre
1- Court de 06belin. Monde Primitif, Paris, 1781.
2- Olevalier, Jean et Gbeerbrant. Alain. Dictionnaire des Symboles,
Robert Laffont. Paris, 1982.

7
ffiNSIDERATIONS GENERALES SUR LE TAROf

d'érudits tels qu'Eliphas Lévi, Papus, Stanislas de Guaita ou


Oswald Wirth. Il s'agit de l'origine hébraïque du tarot, cha­
cune des vingt-deux lames majeures correspondant aux vingt­
deux lettres de l'alphabet hébreu. En effet, « ce qui frappe
avant tout dans le tarot, c'est le nombre 22, qui est précisé­
ment celui des lettres de l'alphabet hébraïque. On peut donc
se demander si ce n'est pas aux Juifs que nous devons nos
vingt-deux figures kabbalistiques ». 3 Certains hermétistes af­
finnent même que ces dessins allégoriques auraient été créés
par des kabbalistes médiévaux pour servir de supports de ré­
flexions métaphysiques sur les vingt-deux lettres hébraïques.
Quoiqu'il en soit, il semble bien que le tarot fut intro­
duit en Europe, sous sa forme actuelle, vers le quatorzième
siècle. En effet, l'étude de certains éléments graphiques appa­
raissant sur les lames nous le donne à penser. A titre d'exem­
ple, le jeune homme de l'arcane VI est vêtu d'un pourpoint Qt
de bas qui n'apparurent qu'aux environs de 1335. La trQj­
sième couronne de la tiare papale, dessinée sur l'arcane 4!l
Pape, apparaît, quant à elle, vers 1315 ou 1316. Si le carac
médiéval du tarot, sous sa forme actuelle, ne fait aucun do
nous nous garderons cependant d'avancer quoi que ce
en ce qui concerne son origine, les grands archétypes le c
tituant étant de toute manière éternels. Toutefois, ce qui
meure indéniable, c'est qu'il constitue un ensemble d'"
symboliques extrêmement puissantes mobilisant aisena
regard et l'attention de celui qui les contemple. C'est
nous intéressera.

3- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-age, Le S


et Emile Nourrey, Paris, 1927.

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LE TAROf: l.ES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

LE TAROT D'OSWALD WIRTH

C'est sans doute à l'Italie que revient l'honneur


d'avoir produit les plus anciens arcanes connus. En effet, le
jeu de tarot dessiné pour les familles Visconti et Visconti­
Sforza vers le milieu du quinzième siècle est le plus ancien dé­
couvert à l'heure actuelle. Pendant plus de cinq cents ans, les
imagiers et les artistes ont continué de redessiner ces mysté­
rieuses lames, préservant généralement l'essentiel de leur
symbolisme, mais ajoutant souvent des interprétations per­
sonnelles en modifiant les dessins et les couleurs pour les con­
fonner à leur propre vision du monde. Ainsi, il existe au­
jourd'hui plusieurs centaines de tarots dus au talent de plu­
sieurs générations d'artistes, depuis Bonificio Bembo au
quinzième siècle jusqu'aux peintres les plus modernes comme
Salvador Dali. Panni les plus courants, citons le tarot de Mar­
seille ou celui d' Alyster Crowley.
Bien que les différentes versions du tarot respectent
généralement les vingt-deux grands archétypes associés aux
vingt-deux lettres de l'alphabet hébraïque, certains ont été
modifiés en vue de produire un effet bien précis. Aussi, il im­
porte de connaître précisément le symbolisme utilisé avant de
se livrer à une exploration sérieuse des images proposées. En
effet, certains tarots peuvent représenter un réel danger en
faisant participer la conscience à des archétypes maléficiés.4
Dans cette perspective, nous avons choisi d'étudier le tarot
qui fut redessiné au début du siècle par Oswald Wirth. En ef­
fet, nous l'avons choisi parce qu'il s'inscrit parfaitement dans
la perspective traditionnelle de l'hennétisme chrétien, son
4- En ce sens, l'auteur a longuement étudié certaines versions lucifé­
riennes du tarot dont l'effet psychique est fortement préjudiciable au
d6veloppcment spirituel.

9
OONSIDERATIONS OENERAl.ES SUR LE TAROf

symbolisme particulier et les détails précis de son graphisme


incarnant les principaux enseignements de l'hermétisme.
Or c'est à la suite de sa rencontre avec Stanislas de
Guaita qu'Oswald Wirth décida de restituer aux vingt-deux
arcanes du tarot leur pureté symbolique. Pour ce faire, voici ce
qu'il raconte:« il était nécessaire d'en saisir l'idée générale et
de s'initer aux conceptions qui lui ont donné naissance. Avec
l'aide de Stanislas de Guaita, je me suis mis au travail pour ac­
quérir la science du symbolisme m'autorisant à reconstituer le
Tarot dans le dessin et les couleurs, conformément au génie
médiéval. Ce fut long, mais j'eus la patience de m'instruire
méthodiquement.
« Partout où je les ai rencontrés, je rœ suis exercé à in­
terpréter les symboles, au point de me faire la réputation d'un
spécialiste en la matière. M'attaquant tout d'abord au symbo­
lisme constructif des Francs-Maçons, je fus amené à le compa­
rer à celui des Alchimistes, qui traduisent en images tirées de
l'ancienne métallurgie l'ésotérisme initiatique, si judicieuse­
ment adapté par les tailleurs de pierre au Moyen Age à la pra­
tique de leur art. ». 5 Le symbolisme des vingt-deux arcanes
majeurs redessinés par Oswald Wirth s'inscrit donc dans la
perspective initiatique occidentale telle qu 'enseignée par les
francs-maçons et les anciens alchimistes. En outre, chaque
lame comporte une lettre hébraïque et la présence de cette
lettre souligne clairement le rapport étroit existant entre
l'enseignement initiatique du tarot et celui de la kabbale.

5- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-age, op. cit.

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LE TAROf: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

LA DIMENSION SYMBOLIQUE DU TAROT

Eliphas Lévi écrivait déjà à ce propos: « C'est un ou­


vrage monumental et singulier, simple et fort comme l'archi­
tecture des pyramides, durable par conséquent comme elles;
livre qui résume toutes les sciences et dont les combinaisons
infinies peuvent résoudre tous les problèmes; livre qui parle en
faisant penser; inspirateur et régulateur de toutes les concep­
tions possibles; le chef d'oeuvre peut-être de l'esprit humain,
et à coup sûr l'une des plus belles choses que nous ait laissée
l'Antiquité; clavicule universelle, dont le nom n'a été compris
et expliqué que par le savant illunùné Guillaume Postel; texte
unique dont les premiers caractères seulement ont ravi en ex­
tase l'esprit religieux de Saint-Martin et eussent rendu la rai­
son au sublime et infortuné Swedenborg. ». 6
En fait, la formidable puissance du tarot résulte très cer­
tainement du fait qu'il incarne, comme nous venons de le pré­
ciser, un symbolisme archétypal puissant. A ce titre, Oswald
Wirth é.crivit: « On peut s'instruire des choses profanes en
écoutant parler les pédagogues; il n'en est pas de même en
Initiation. Le vrai secret reste à jamais incommunicable: il ne
souffle pas de bouche à oreille. Pour le posséder, il faut parve­
nir à l'assimiler spirituellement, en le découvrant au-dedans de
soi-même. La découverte s'effectue par l'entremise des sym­
boles, qui deviennent éloquents pour le penseur autonome,
dont la pensée se réveille à la vue muette des choses, sans at­
tendre le stimulant de la parole humaine. Depuis que le savoir
s'inculque dans les écoles à grand renfort de mots, nous nous
sommes, hélas, déshabitués de penser. Les choses ne nous di­
sent plus rien et nous restons stupides devant elles. Nous ne

6- Uvi, Elipbas, Dogme et rituel de Haute magie, Editions Bussière,


Paris, 1988.

11
CONSIDERATIONS GENERAI.ES SUR LE TARITT

savons lire que ce qui est écrit en caractères alphabétiques et


ne parvenons plus à discerner le sens d'une image: c'est le
triomphe de la lettre morte, victorieuse sur l'esprit. Pour ap­
prendre à penser, fermons nos manuels et fuyons le bruit de la
parole. ». 7
La puissance du tarot provient donc de son langage
essentiellement symbolique. Or « non seulement le symbole
exprime les profondeurs du moi, auxquelles il donne forme et
figure, mais il stimule, par la charge affective de ses images, le
développement des processus psychiques. Comme l'athanor
des alchimistes, il transmute des énergies: il peut changer le
plomb en or et les ténèbres en lumière. ». 8 Ainsi, le tarot pos­
sède à la fois une dimension herméneutique et une dimension
anagogique.9

1) La dimension herméneutique du tarot

Les vingt-deux lames majeures du tarot possèdent une


dimension herméneutique dans la mesure où elles instruisent
l'aspirant sur la nature profonde de son être et sur la manière
de le développer et de l'épanouir. Pour décrypter ce message
essentiel, nous devons toutefois avoir recours à un système de
correspondances et d'analogies symboliques faisant appel
aux lettres hébraïques, aux nombres, aux éléments et aux
couleurs qui y figurent. Ainsi, pour étudier l'arcane du Bate­
leur et découvrir l'enseignement qu'il incarne, nous devons
tout d'abord nous référer à la valeur symbolique de la lettre

7- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-lJge, op. cit.


8- Chevalier, Jean et Gheerbrant, Alain, Dictionnaire des Symboles, op.
cit.
9- Ce mot est fonné des tennes grecs ana signifiant « en haut» et
agôgos signifiant « qui conduit». L'aspect anagogique du symbole est
donc la dimension qui conduit l'aspirant vers le haut.

12
LE TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

hébraïque lui correspondant. En ce cas, il s'agit de la lettre


Aleph. Or ce premier élément nous fournit déjà une idée fort
intéressante concernant l'enseignement de l'arcane en nous
orientant par rapport à l'archétype central qu'il illustre. Ceci
est d'autant plus important que la richesse du symbolisme des
arcanes pourrait nous amener à considérer de manière exces­
sive certains aspects secondaires qui nous éloigneraient ainsi
du sens principal de la lame. Comme chacune d'elle est
l'incarnation d'une lettre hébraïque, c'est là le premier élé­
ment à considérer.
Le nombre qui lui est associé est également très impor­
tant. Pour la lame du Bateleur, il s'agit du nombre 1. En analy­
sant le symbolisme de ce nombre, nous obtenons donc des
renseignements complémentaires qui nous permettent de
nuancer notre première approche. Ensuite, nous analysons
l'arcane lui-même en focalisant principalement notre attention
sur l'élément mis en exergue par la dénomination de la lame.
En effet, chaque arcane porte un nom qui indique clairement
le thème illustré. Ce nom joue même parfois un rôle décisif en
nous indiquant très précisément l'élément fondamental sur
lequel nous devons porter principalement notre attention.
Enfin, nous analysons soigneusement les images. Pour
l'arcane du Bateleur, il s'agit tout d'abord du jeune homme
debout derrière la table. Il convient alors d'observer très soi­
gneusement sa posture (li est debout), les éléments qu'il tient
en main (une baguette), les couleurs qu'il revêt (son vêtement
est multicolore) et tout autre détail qui le caractérise (son cha­
peau en fonne de lemniscate, par exemple). Puis, après avoir
effectué l'analyse de cette image centrale, nous entreprenons
1'6tude des éléments secondaires. Ceux-ci confirment et préci­
sent ce que nous avons mis en relief précédemment. Dans le
cas du Bateleur, nous devons examiner la table, considérant sa
couleur (elle est brune et ses pieds sont verts), les objets qui y

13
CONSIDERATIONS GENERAŒS SUR LE TAROT

sont disposés (une coupe, une épée et un denier) ainsi que


son apparence générale (seulement trois pieds sont visibles).
Pour être pertinente, cette analyse symbolique doit ce­
pendant être précédée d'une première approche plus sensitive
permettant de cerner l'atmosphère générale qui se dégage de
la lame étudiée. En effet, si l'approche analytique est intéres­
sante dans le décryptage du message herméneutique, elle doit
toutefois s'inscrire dans une perspective plus globale qui ré­
sulte d'une perception d'ensemble. Aussi, nous recomman­
dons à l'aspirant de s'imprégner d'abord de cette atmosphère
en contemplant avec humilité l'image qui se présente à lui, se
mettant entièrement à l'écoute de son ressenti. D'ailleurs, la
démarche scientifique elle-même, repose d'abord sur une ob­
servation directe. Une phase d'interprétation est ensuite en­
treprise mais elle sera à nouveau confrontée à l'observation
sensible du phénomène.
A ce titre, nous savons que la méthode scientifique fut
originellement introduite pour remplacer une fonne de con­
naissance qui reposait essentiellement sur le critère d'autorité.
En ce sens, elle permit l'introduction d'une connaissance
nouvelle résultant d'une expérience directe. Certes, cette
substitution a d'abord considérablement appauvri le champ
des connaissances en le limitant uniquement aux dimensions
perceptibles, mais une expansion de cette méthode aux sphè­
res supra-sensibles pourrait aujourd'hui nous conduire vers
une « connaissance scientifique» plus large. En effet, nous
pourrions alors parler d'une « science spirituelle» au sens où
Rudolf Steiner la considérait déjà au début du siècle. L'ap­
proche sensitive et l'observation directe (devenue contempla­
tion) sont donc incontournables pour appréhender un ensei­
gnement sacré comme celui du tarot. Cette démarche place
alors l'aspirant sur la voie d'une expérience spirituelle et le
met en condition pour qu'il s'ouvre plus efficacement aux

14
LE TAROf: ŒS VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

réalités intérieures. En effet, il ne s'agit plus ici d'approcher


les choses au seul niveau de la pensée, mais aussi à travers la
perception du coeur. D'ailleurs, le verbe hébreu correspon­
dant au mot � connaître » est le même que celui qui signifie
« aimer » .10
En ce sens, il importe donc que l'approche des vingt­
deux arcanes majems du tarot soit humble et que les conclu­
sions issues de leur interprétation demeurent suffisamment
ouvertes pour éviter tout enfermement. En effet, l'approche
herméneutique doit permettre à l'aspirant de s'ouvrir au si­
lence de l'âme, à la méditation et à la contemplation.
2) La dimension anagogique du tarot
Ceci lui permet alors de s'introduire dans la dimension
anagogique des symboles. En effet, chacune des lames véhi­
cule non seulement un enseignement sur la manière de se dé­
velopper et de s'épanouir, mais elle incarne également une
force d'ascension permettant à celui qui la contemple de par­
ticiper aux mystères qu'elle symbolise, « dans la mesure où
l'Image participe de la réalité divine qu'elle est destinée à ex­
primer... [Elle] est d'abord une représentation - dans les limites
inhérentes à l'incapacité fondamentale de traduire adéquate­
ment le divin - de la Réalité transcendante et support de médi­
tation: elle tend à fixer l'esprit sur l'image, qui elle-même le
reporte et le concentre sur la Réalité qu'elle symbolise. » . 11
En fait, chaque arcane est une véritable icône dans la
mesure où il est une image sacrée dont le rôle essentiel est
10- Pour de plus amples renseignements à ce sujet, nous vous invitons
à consulter l'ouvrage du meme auteur, La Kabbale et l'arbre de vie,
paru aux Editions de 1 'Aigle.
11- Chevalier, Jean et Gheerbrant. Alain, Dictionnaire des Symboles,
op. cit.
15
CONSIDERATIONS GENERALES SUR LE TAROT

d'être « le support de cette méditation débouchant sur la con­


templation, mais un support qui n'est pas seulement passif,
mais très actif: en effet, s'il est vrai que le méditant regarde
l'icône, il est non moins vrai, et même plus vrai encore, que
c'est l'icône qui nous regarde. L'icône, c'est d'abord un re­
gard qui tombe sur nous et nous pénètre. [... ] Il s' établit ainsi
entre l'homme et l'image «vivante», un dialogue muet, in­
térieur, qui creuse, pour ainsi dire, l'individualité afin de la
remplir progressivement de la lumière surnaturelle. [... ] Ain­
si joue une sorte de mécanisme d'échange en un double mou­
vement, du centre, où réside le Nom ou la Face de Dieu, vers le
méditant, et du méditant vers le centre; du centre de l'image
émane le regard divin, chargé de son énergie qui pénètre le
méditant, puis s'amorce le mouvement du méditant vers le
centre et sa réabsorption dans ce centre. Cette réabsorption
peut aller très loin: F. Schuon dit quelque part qu'il existe des
cas d'initiation effective réalisée par la puissance d'une image
sainte. ».1 2
Les vingt-deux lames majeures sont donc de précieux
supports initiatiques permettant à l'aspirant d'accéder à des
réalités abstraites et subtiles transcendant le monde dans le­
quel sa conscience évolue habituellement. Si nous reprenons
l'exemple du Bateleur, la contemplation de cette image favo­
rise en effet une mystérieuse opération intérieure prédisposant
1'âme à se placer en résonance avec l'archétype ainsi incarné.
Ceci lui permet alors une prise de conscience bien particulière:
celle de la présence indéfectible de l'esprit au plus profond de
son être.

12- Hani, Jean, Mythes, Rites et Symboles, Guy Tredaniel Editeur, Paris,
1992.

16
LE TAROf: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

L'ANALYSE SYMBOLIQUE
DES VINGT-DEUX LAMES MAJEURES
Avant de présenter notre analyse portant sur les vingt­
deux lames majeures, il importe de bien préciser la manière
avec laquelle nous allons aborder cette étude. En effet, notre
analyse se fera en quatre étapes précises. Nous procéderons
d'abord à l'étude de la lettre hébraïque se rapportant à la
lame. Nous nous consacrerons ensuite à l'étude du nombre lui
correspondant. Enfin, nous analyserons sa dénomination pour
aborder ultimement son symbolisme particulier. Voyons donc
la manière dont nous allons aborder ce travail.

A - LES LETTRES HEBRAIQUES


Nous avons dit précédemment que les vingt-deux ar­
canes majeurs du tarot correspondent aux vingt-deux lettres
de l'alphabet hébreu. Dans la tradition kabbalistique, ces
vingt-deux lettres incarnent les vingt-deux expressions du
Verbe créateur. Elles sont donc de véritables énergies dyna­
miques responsables du mouvement créateur comme nous le
rappelle très précisément le Sepher Yetsirah: « Vingt-deux
lettres de fondement. Il les a gravées et burinées. Il a combiné
leur poids et les a interverties, et Il a formé selon elles tout le
Fonné et tout le futur à former. ».13 De rœrœ, le Shemua To­
vah rapporte que: « [ ...] les lettres sont les instruments au
moyen desquels les qualités et degrés suprêmes deviennent
visibles... [... ] les lettres ont le pouvoir de condenser les degrés
les plus élevés, de les faire descendre et de les contenir ».
L'étude sommaire de ces lettres nous permettra donc
de mettre en exergue certaines dimensions sacrées associées

13- Sepher Yetsirah li, 2.

17
CONSIDERATIONS GENERAŒS SUR LE TARITT

aux arcanes majeurs du tarot. 14 Voici déjà un tableau mettant


en correspondance les vingt-deux lames majeures du tarot et
les vingt-deux lettres de l'alphabet hébraïque:

Tableau de correspondance entre les vingt-deux lames


majeures du tarot et les lettres hébraïques

Lames du tarot Lettres

Le Bateleur Aleph
La Papesse Beith
L' Impératrice Guimel
L'Empereur Daleth
Le Pape Hé
L'Amoureux Vav
Le Chariot Zaïn
La Justice Heith
L'Ermite Teith
La Roue de Fortune Yod
La Force Kaf
Le Pendu Lamed
L' Arcane XIII Mem
La Tempérance Noun
Le Diable Samech

14- Une étude ponant sur ces vingt-deux lettres a été publiée dans
l'ouvrage de Charles-Rafaël Payeur, La Kabbale et I' Arbre de vie, paru
aux Editions de l 'Aigle. En outre, si vous souhaitez étudier ce domaine
avec plus de précisions, nous vous proposons également un cours par
correspondance vous offrant sur ce thème une fonnation structurée et
graduée. La présentation de ce cours vous est proposée à la fin de cet
ouvrage.

18
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

Lames du tarot Lettres

La Maison Dieu Avin


Les Etoiles Phé
La Lune Tsadé
Le Soleil Qôf
Le Ju�ement Reish
Le Fou Schin
Le Monde Tav

Plus précisément encore, voici un résumé du symbolisme


associé à chacune de ces lettres:

Tableau présentant les vingt-deux lames majeures,


les lettres hébraïques correspondantes et leur signification

Lames Lettres Si2nifications

Le Bateleur Aleph Puissance favorisant la prise de conscience de l 'Esprit


en tant que force creatrice primordiale, à la fois fé-
condante et vivifiante.
LaPapesse Beith Puissance favorisant le processus par lequel la créa-
lion, oeuvre de Dieu, accueille en son sein l'énergie
divine nour au'elle s'v incarne oleinemenL
L'Impmlricc Guimel Puissance pennettant d'extraire des plans intérieurs
les ressources issues de l'Esprit (source de vie), assu-
rant ainsi la croissance de l'êtte.
L'Emptmlr Daleth Puissance de rénovation au cours duquel la création
passe d'un état JXO(ane (source de stérilité et de mort)
à un état sacré (source de fécondité et de vie).

19
CONSIDERATIONS GENERAIBS SUR LE TARITT

Lames Lettres Significations

Le Pape œ Puissance par laquelle le souffle divin descend en


l'homme pour l'éclairer et le vivifier; celui-ci, illu-
miné, rayonnant alors tout autour de lui les grâces
célestes ainsi recues.
L'Amoureux Vav Puissance favorisant l'établissement d'une union
intime entre l'homme (la création) et Dieu (le Créa-
teur), chacun n'existant plus qu'en fonction de l'autre
et de ce que leur union engendre.
Le Chariot Zaïn Puissance permettant d'investir une contrée étrangère
placée sous le pouvoir de l'ennemi (l'Esprit <il
monde) et d'en revenir victorieux (sans s'être laissé
dominer oar les ouissances ténébreuses).
La Justice Heith Puissance par laquelle l'aspirant, entrant dans
l'amour de Dieu et se confonnant à ses lois, bénéfi-
cie de grâce divine le protégeant contre l'influence des
forces négatives.
L'Ennite Teith Puissance permettant à la création, vivifiée et mode-
lée par l'énergie divine, de quitter son état infonnel
oour accéder à son olein accomolissement.
La Roue de Yod Puissance favorisant la prise de conscience de la
Fortune présence agissante de l'Egprit au sein de la création.
La Force Kaf Puissance pennettant de s'affranchir du cercle clos w
monde pour accueillir l'énergie divine et la laisser
totalement investir son être.
Le Pendu Lamed Puissance permettant de ne plus orienter les énergies
divines dans les voies obscures de l'ego (elles y dis-
paraîtraient) mais, au contraire, à se laisser conduire
(instruire) nar elles.

20
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANFS MAJEURS

Lames Lettres Sie:nifications

L'Arcane XIII Mem Puissance de purification par lequel l'homme se


délivre de tous les éléments exlériew-s (étrangers) à
son essence orofonde.
La Noun Puissance pennettanl à la grâce de Dieu de pénétrer
Tempmmce en l'homme (glorifie l'homme), tandis que l'homme,
ainsi comblé des faveurs célestes, rend grâce à Dieu
(2lorifie Dieu).
Le Diable Samech Puissance créatrice qui, issue de l'union amoureuse
entre le ciel el la terre (entre la dimension spirituelle
et la dimension corporelle), maintient la vie au sein
de la création.
La Ayin Puissance permettant de s'extraire des schémas éta-
Maison-Dieu blis dans lesquels la conscience s'était cristallisée
pour pénétrer une réalité nouvelle (en corrélation plus
étroite avec les sohères de l'esprit).
Les Etoiles Phé Puissance permettant à l'aspirant, adombré par la
puissance divine, d'exprimer l'amour qui anime d>-
sonnais son coeur, rétablissant la création dans son
ultime vérité (celle de Dieu).
LaLune Ts.lé Puissance par laquelle l'homme est introduit dans les
sphères divines, ce processus étant l'oeuvre de Dieu
qui, par son amour, extrait définitivement de son état
de non réalisation (de non-être) celui qui se tourne
vers Sa lwnière.
Le Soleil QOf Puissance de pénétration spirituelle pennettanl
d'ax:é.der au coeur de la réalité el de contempler
l'essence divine dans toute sa plénitude.

21
CONSIDERATIONS GENERAl.ES SUR LE TARITT

Lames Lettres Si2nifications

Le Jugement Reish Puissance par laquelle les forces dynamiques émanées


de l'Esprit embrasent l'être en sa totalité, amorçant
ainsi un véritable orocessus de ré2énération.
Le Fou Shin Puissance de destruction des artifices, des appuences
et des illusions forgés par le monde pour mieux
extraire les ressources capables de nourrir les plans
soirituels.
Le Monde Tav Puissance favorisant l'échange et la communion
entre Dieu et sa création. Dieu s'extériorise et se
déploie alors au sein de la création. La création
s'élève, quant à elle, pour se diviniser et participer
aux réalités de l'Esnrit

B - LA VALEUR NUMEROLOGIQUE

Outre la lettre hébraïque, chaque lame du tarot est éga­


lement associée à une valeur numérologique bien précise. En
fait, cette valeur correspond à la position occupée par la lettre
au sein de l'alphabet hébreu. Chacun des vingt-deux arcanes
majeurs est donc mis en correspondance avec un nombre
compris entre 1 et 22. Or, tout comme la lettre hébraïque, ce
nombre nous révèle également un aspect symbolique fonda­
mental de la lame. En effet, chaque nombre est considéré par
les hermétistes comme l'incarnation d'une facette de l'absolu
dans son expression phénoménale. Les nombres incarnent
donc les différentes qualités de l'énergie universelle et possè­
dent en conséquence une fonction métaphysique bien pré­
cise. Ils sont, en quelque sorte, les archétypes permettant aux
forces cosmiques d'engendrer le monde.

22
LE TAROf: lES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

Ainsi, François-Gaspard Lacuria rapporte fort pertinem­


ment: « Les idées de Pythagore sur les nombres qui malheu­
reusement ne nous sont pas parvenues, ont été célèbres chez
les Grecs, le nom même que la langue hébraïque donne aux
nombres a un sens philosophique. L'Ecriture sainte ne donne
pas les nombres au hasard et semble quelquefois y attacher
une grande importance. Saint Augustin, saint Thomas
d'Aquin et d'autres encore, donnent un sens à certains nom­
bres et de Maistre nous dit que le nombre était le miroir de
l'intelligence. Tous ces grands esprits touchaient le seuil
d'une science prodigieuse et immense, puisqu'elle les contient
tous. Si, en effet, nous savions quel nombre correspond à cha­
que degré d'être dans la pensée créatrice et quel rapport
existe entre eux, nous saurions tout ce que peut savoir
l'intelligence, nous aurions une science que Dieu seul possède
pleinement ».15
Loin de désigner une simple quantité, les nombres sont
donc l'expression d'une qualité, d'un état d'être,« la traduc­
tion des vérités et des lois, dont le texte est en Dieu, en
l'homme et dans la nature» pour reprendre les mots de Louis­
Claude de Saint-Martin.1 6 Aussi, nous étudierons soigneuse­
ment le nombre correspondant à chaque lame du tarot. En ce
sens, voici un tableau présentant ces lames, les vingt-deux
lettres hébraïques et les valeurs ordinales correspondantes:

15- Lacuria, François-Gaspard, Les Harmonies del' ltre, édition 1899,


tome I.
16- De Saint-Martin, Louis-Claude, Les Nombres, Documents marti­
nistes, 1983.

23
OONSIDERATIONS GENERAlES SUR LE TAROT

Tableau de correspondance entre


les vingt-deux lames majeures du tarot,
les lettres hébraïques et leur valeur ordinale

Lames Lettres Valeurs


du tarot hébraïques ordinales

Le Bateleur Aleph 1
La Papesse Beith 2
L'Impératrice Guimel 3
L'Empereur Daleth 4
Le Pape Hé 5
L'Amoureux Vav 6
Le Chariot Zaïn 7
La Justice Heith 8
L'Ermite Teith 9
La Roue de Fortune Yod 10
La Force Kaf 11
Le Pendu Lamed 12
L'Arcane XIII Mem 13
La Tempérance Noun 14
Le Diable Samech 15
La Maison-Dieu Ayin 16
Les Etoiles Phé 17
La Lune Tsadé 18
Le Soleil Qôf 19
Le Jugement Reish 20
Le Fou Schin 21
Le Monde Tav 22

24
LE TARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

Soulignons que l'arcane du Monde est associé ici au


nombre 22 alors que la valeur inscrite est 21. Pour comprendre
ce problème, rappelons que la lame du Fou ne comporte pas
de valeur numérique afin de mettre en exergue le caractère
hors normes du personnage qui lui associé. Toutefois, la va­
leur théorique de cette lame est indiscutablement 21 puisque
la lettre qui y figure, le Shin, est la vingt-et-unième lettre de
l'alphabet hébreu. Cependant, comme elle ne se trouve pas
inscrite sur la lame, le fait d'inscrire 22 sur la lame du Monde
aurait contribué à la séparer des autres (aucun arcane de va­
leur 21 n'existant). Or la lame du Monde est la suite logique et
l'aboutissement de la démarche initiatique proposée par le
tarot. Pour éviter de l'isoler, l'auteur y a donc inscrit 21. Cer­
tes, cette inscription est source de confusion puisque la véri­
table valeur de cette hure, associée à la lettre Tav (la vingt­
deuxième lettre de l'alphabet hébreu), est 22. Toutefois, com­
ment l'auteur aurait-il pu faire autrement considérant les impé­
ratifs qu'il devait respecter par ailleurs ? Il importe simplement
que nous tenions compte des véritables valeurs numériques
dans nos analyses. Voici donc un tableau-synthèse présentant
les principales correspondances utiles:
Tableau présentant les vingt-deux lames majeures,
les nombres correspondants et leur signification
Lames Nombres Si1rnifications

LeBatcleur 1 Source ou origine de toute réalité mais aussi but et


finalité de toute chose.
La� 2 Emergence du monde extérieur issu de l'unité pri-
mordiale.
L'Impénllrice 3 Manifestation et révtlation d'une réalité abstraite et
subtile au sein de la création.

25
ffiNSIDERATIONS GENERALES SUR LE TARITT

Lames Nombres Si2nifications

L'Empereur 4 Ordonnance et organisation du plan matériel con-


formément aux lois divines.
Le Pape 5 Assujettissement de chaque dimension de l'être à la
volonté céleste.
L'Amoureux 6 Union féconde issue de la conjugaison de deux
principes: Dieu et l'homme, l'esprit et la matière.
Le Chariot 7 Instauration d'un juste rapport entre le Créareur et
sa créature, entre l'esprit et la matière, entre l'hom-
me et le monde.
La Justice 8 Achèvement plénier de l'ordonnance du monde
matériel et de sa conformation aux lois divines.
L'Ermite 9 Incarnation et manifestation du principe divin sm
les trois plans de l'être (corps âme et esnrit).
La Roue de 10 Révélation de la puissance divine au sein œ
Fortune l'univers.
La Force 11 Ouverture de la conscience à la puissance divine
qui l'adombre, l'investit et la sacralise.
Le Pendu 12 Expression plénière de la puissance divine au sein
de la création.
L'Arcane XIII 13 Action dynamique et opérative de la puisanœ
divine au sein de la création.
La 14 Vivification de la création devenue pleinement
Tem....:.__ réceptive à la ouissance divine.
Le Diable 15 Maintien de la cohérence et de l'ordonnmœ œ
l'univers conformément aux olans divins.
La 16 Instauration d'une communion plus éllOite entre le
Maison-Dieu Créateur et sa création, chacun se d6vailallt l
l'autre en toute authenticité.

26
LE TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

Lames Nombres Shrnifications

Les Etoiles 17 Processus par lequel la divinité se révèle au sein œ


l'univers afin de conduire l'être à sa libération.
La Lune 18 Libération de la création de l'emprise des forces
ténébreuses de l'involution.
Le Soleil 19 Expression du principe divin pleinement incarné au
sein d'une réalité rendue parfaite, à l'image de son
Créateur.
Le Jugement 20 Expression d'une union pleinement incarnée et
effective (ooérative) entre le Créateur et la création.
Le Fou 21 Accomplissement d'un état d'indéfectible unité
avec la divinité.
LeMonde 22 Communion entre Dieu et sa création.

C - LA DENOMINATION

Par ailleurs, chaque lame du tarot (excepté 1 'arcane XIIl)


porte un nom. Or, dans toutes les traditions antiques, le nom
exprime la réalité qu'il désigne. En effet, il la rend alors tangi­
ble et pleinement opératoire sur le plan concret. Le fait de
nommer une chose permettait donc, pour les anciens, de la
faire passer du chaos primordial, monde de l'indifférencié, au
plan du manifesté, lui conférant ainsi une existence réelle. En
Egypte antique, par exemple, décréter que le nom d'une per­
sonne ne serait plus panni les vivants était la plus radicale des
condamnations à mort. Par contre, écrire son nom, ou le pro­
noncer, assurait sa survie. Dans la tradition hébraïque, Dieu
attribua de même un nom à tout ce qu'il créa. Ainsi, après
avoir séparé la lumière des ténèbres, il « appela la lumière

27
CONSIDERATIONS GENERAI.ES SUR LE TAROf

"j our" et les ténèbres "nuit" ». 17 Dans la même perspective, Il


« appela le continent "terre" et la masse des eaux "mers" ».1 8
En outre, en exprimant l'essence profonde de la réalité
qu'il désigne, le nom confère la possibilité d'exercer un pou­
voir sur celle-ci. C'est d'ailleurs pourquoi les envoyés de Dieu
refusent bien souvent de livrer leur nom aux hommes qu'ils
contactent. Ainsi, Jacob interroge en vain l'Ange de Yahvé
contre lequel il lutta toute une nuit: « Jacob fit cette demande:
"Révèle-moi ton nom, je te prie", mais il répond: "Et pourquoi
me demandes-tu mon nom ?" et, là-même, il le bénit. ».19 Ci­
tons aussi Manoah qui adressa la même question au messager
lui annonçant la naissance de son fils Samson et celui-ci lui
répondit: « Pourquoi t'informer de mon nom ? Il est mysté­
rieux. ». 20 En revanche, Adam nomma chaque être de la créa­
tion pour exercer sur eux son autorité: « Yahvé Dieu modela
encore du sol toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du
ciel, et il les amena à l'homme pour voir comment celui-ci les
appellerait: chacun devant porter le nom que l'homme lui au­
rait donné. L'homme donna des noms à tous les bestiaux, aux
oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages... ». 21
Sachant que le nom exprime la nature profonde de la
réalité qu'il désigne, nous étudierons donc soigneusement la
dénomination précise correspondant à chaque lame.

17- Genèse I, 5.
18- Genèse I, 10.
19- Genèse XXXII, 30.
20- Juges XIII, 18.
21- Genèse II, 19-20.

28
LE TARITT: 1.ES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

D - LE SYMBOLISME DE LA LAME

Suite aux analyses précédentes, nous entreprendrons


enfin l'analyse symbolique de la lame elle-même. Pour ce faire,
nous la contemplerons d'abord dans une perspective plus
globale afin d'accéder à une impression d'ensemble. Cette
première approche, s'appuyant principalement sur le ressenti,
est essentielle car elle nous fournit déjà une véritable matrice
qui permettra d'orienter notre approche analytique. Voici
donc les mots-clefs correspondant à chacune des lames:

Tableau présentant les vingt-deux lames majeures


et les mots-clefs correspondantes

Lames Mots-clefs

Le Bateleur Associer le travail et le ieu.


La:- S'ouvrir et accueillir la ouissance de l'esorit.
L';, , ce S'harmoniser aux lois divines.
L'Emnereur Trouver l'esnrit en chaaue chose.
LePaoe Eveiller en soi la volonté divine.
L'Amoureux Unir le monde orofane et le monde sacré.
LeOlariot Vivre la victoire sur les ouissances ennemies.
La Justice Se olacer sous la orotection de la loi divine.
L'Ennite Etre dans le monde tout en demeurant citoyen du ciel.
La Roue de Fortune Accepter pleinement son destin et s'ouvrir à la vie.
La Force Se libérer du cercle clos de I 'eflO.
Le Pendu Onérer un renversement de conscience dans l'humilité.
L'AlcaneXIII Amorcer une renaissance de l'être.
LaTe.m Etablir un échansi:e entre le terrestre et le spirituel.
Le Diable Placer sa ouissance si:énésiaue au service de l'esprit.

29
CONSIDERATIONS GFNERAl.ES SUR LE TARITT

Lames Mots-clefs

La Maison-Dieu S'ouvrir à une réalité nouvelle olus conforme à l'esorit


Les Etoiles Se laisser ,mider oar l'esorit
La Lune Se laisser adombrer par la puissance divine afin d'être
élevé à un nlus haut niveau d'accomolissement
Le Soleil Atteindre l'illumination en tant au'exnérience d'union.
LeJmœment Se libérer de toute entrave extérieure.
Le Fou Exprimer ses valeurs sans prêter attention aux sollicita-
lions extérieures.
Le Monde Communiquer la lumière divine, amenant ainsi toute
chose à oartici�r aux réalités de l'e.-mrit

S'appuyant sur cette note dominante, l'approche


analytique consistera ensuite à décrypter le ressenti obtenu
grâce à la lecture des symboles. A ce propos, il importe de
préciser qu'il existe un symbolisme universel où la significa­
tion des grands archétypes demeure inchangée quelle que
soit la culture ou l'époque. L'oiseau, par exemple, est associé
à une signification symbolique qui demeure sensiblement la
même, quelle que soit l'époque ou la culture à laquelle on se
reporte. Ainsi, certains dessins préhistoriques d'hommes­
oiseaux (ceux de la grotte de Lascaux notamment) évoquent
déjà l'envol de l'âme vers les mondes célestes. On retrouvera
plus tard la même association dans le Coran où l'âme est
comparée au faucon que le tambourin du Maître appelle. La
chrétienté reprendra également ce thème. En effet, l'âme hu­
maine, pourvue de deux ailes à l'image de l'oiseau, évoque le
fait qu'elle quitte désormais le plan terrestre pour accéder au
plan céleste et se rapprocher de la divinité .22

22- Il existe également un symbolisme culturel associé, quant à lui, à

30
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

C'est donc dans cette perspective que nous analyse­


rons tous les référents symboliques des différentes lames ainsi
que les couleurs utilisées. A leur propos, il est d'ailleurs impor­
tant de rappeler que chaque couleur incarne certaines dimen­
sions métaphysiques ou psychologiques bien précises. En
effet, toutes les traditions anciennes ont associé les couleurs à
des états de conscience particuliers. Frédéric Portal écrit à ce
titre:« A Rome on encourait la peine de mort en revêtant ou
vendant une étoffe de pourpre. Aujourd'hui, en Chine, celui
qui porte ou achète des habits avec les dessins prohibés du
dragon ou du phénix, subit trois cents coup de bâton et trois
une époque et à une civilisation donnée. Ainsi, le boeuf évoque tou­
jours, dans les socié� antiques, les rite de labour et de fécondité. En
cc sens, il symbolise la richesse et la puissance matérielles. Toutefois,
dans nos sociétés modernes où l'agriculture s'est considérablement
mécanisœ, le boeuf n'est plus employé pour symboliser la richesse et
la �ndité. Il revêt alors une signification plutôt négative, évoquant
un eue frustre, primaire, borné, lent à comprendre et à réagir. Enfin, il
existe un symbolisme personnel directement en rapport avec le vécu
individuel, chacun ayant élaboré, plus ou moins consciemment, des
œf6rents symboliques parfois fort complexes. Citons, par exemple, le
cas de cette femme qui rêva une nuit qu'elle lavait son linge. Si elle
s'était reportée à une clef des songes pour découvrir la portée symboli­
que de cet acte. elle aurait pu associer cette image à l'idée d'une puri­
fication de son corps puisque le linge représente traditionnellement la
personnalité. A un autre niveau, elle aurait également pu associer cette
image. sur un plan plus culturel, à l'adage populaire: � laver son linge
en famille» désignant le fait de s'expliquer de manière vive, franche et
sans compromis avec ses proches. Or cette image onirique était vectrice
d'une toute autre signification. En effet, la personne était en train de
laver du linge lorsqu'elle apprit, vingt ans plus tôt, le décès de sa mère.
F.n U de choc, elle associa alors inconsciemment le fait de laver son
linge à l'expérience de la mon. Aussi, lorsque vingt ans plus tard, cette
�e personne ressentit qu'un membre de son entourage allait mourir,
elle conscientisa l'infonnation reçue grâce à l'image qu'elle avait anté­
rieurement associée à une expérience analogue. Trois jours après ce
reve, sa soeur dkédait effectivement

31
OONSIDERATIONS GENERAI.ES SUR LE TAROT

années de bannissement. La symbolique explique cette sévé­


rité des lois et des moeurs; à chaque couleur, à chaque dessin
appartenait une idée religieuse ou politique: la changer ou
l'altérer était un crime d'apostasie. ».23
Dans la même perspective, Frédéric Hermann rapporte
que « les archéologues ont remarqué que les peintures in­
diennes, égyptiennes, et celles d'origine grecque, nommées
étrusques, sont composées de teintes plates d'un coloris
brillant, mais sans demi-teintes; cela devait être. L'art ne par­
lait pas seulement aux regards des profanes, il était encore
l'interprète et le dépositaire des mystères sacrés. Le dessin et
le coloris avaient une signification nécessaire, ils devaient êtte
tranchés: la perspective, le clair-obscur et les demi-teintes au­
raient entraîné la confusion. 11s furent inconnus ou leur mani­
festation sévèrement réprimée. ». 24 En nous appuyant sur le
langage traditionnel des couleurs, nous pourrons donc mieux
cerner encore la dimension initiatique de chacune des lames.
A ce titre, voici déjà un résumé des principaux. attributs
correspondant aux neuf couleurs principales présentes au ni­
veau du tarot (le brun, le rouge, le jaune, le vert, le bleu, le
blanc, le noir, l'argent et l'or):

La couleur brune

En tant que couleur de la glèbe, de l'argile et du 1e


brun fut toujours considéré comme le symbole par excelle�
de la matérialité et de la puissance terrestte. En outre, il t
également associé à l'humilité (humilitas venant du�

23- Ponal Frédéric, Des couleurs symboliques dans l'A


moyen dge et les temps modernes, Guy Trédaniel, Editions de.
nie, Paris, 1984.
24- Hennann, Félix, Les gemmes et les perles dans
1949.
32
LE TAROf: I..ES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

tin humus signifiant terre). En ce sens, le brun nous rappelle


que la puissance matérielle n'est r�en si elle est séparée de sa
source spirituelle et c'est pourquoi plusieurs ordres monasti­
ques adoptèrent le port d'une bure brune comme signe de
leur renonciation aux revendications de l'ego. Dans la même
perspective, certains auteurs prétendent que le brun convient
parfaitement à ceux qui sont pudiques et modestes, cette
couleur leur permettant « de passer inaperçu aux yeux des
autres, d'agir dans l'ombre projetée par le soleil, efficacement
bien que sans bruit ».25
Dans sa dimension maléficiée, elle devient toutefois la
couleur des excréments et des feuilles mortes. Elle évoque
donc un processus de dégradation, de souillure et de corrup­
tion. Aussi, plus que le jaune, elle est l'emblème de la trahison.
C'est pourquoi les grandes maisons de France refusèrent
toujours d'introduire le« tanné» dans leurs armes. En outre, il
est intéressant de mentionner que le brun est parfois associé à
l'expression de tendances sadiques que les psychanalystes
rattachent au stade anal. Dans son ouvrag� History of Co­
lors, Hermann nous assure en ce sens que les seigneurs cruels
avaient une prédilection pour la couleur brune. D'ailleurs,
cette couleur fut adoptée pour la fabrication des chemises
hitlériennes. Enfin, le brun est souvent associé, sous son as­
pect maléficié, à l'expression d'une fausse humilité amenant
l'individu à affinner qu'il n'est rien pour ainsi mieux se faire
œmarquer et conforter sa position.

25- Qurd, Nœmi, Rites secrets del' envoatement et du désenvoatement,


Le Cannet-Rocheville, Editions de l'Olivier d'argent, 1985.

33
CONSIDERATIONS GENERAI.ES SUR LE TAROT

La couleur rouge

Le rouge est principalement la couleur de l'incarnation.


Pensons, par exemple, à la lampe rouge des sanctuaires plaœe
près du tabernacle des églises catholiques. En effet, elle évo­
que, sur un plan symbolique, la présence réelle du Christ in­
carné sous une forme visible: celle de l'eucharistie. D'a...-e
part, le rouge est également associé au pouvoir d'action et de
réalisation. En ce sens, on l'associe volontiers à la combati'VJté
et Frédéric Portal rapporte que « dans la langue pop�e
tous les peuples, la couleur du sang, le rouge fut l'emblème
combats; au Pérou, les quipos teints en rouge désignai
gens de guerre. Les Spartiates étaient ensevelis dans
ceuls rouges ... ».26 Enfin, le rouge est directement lié à
mension masculine. Ainsi, les gueules (la couleur rou
armoiries évoquent essentiellement, dans l'art héraldiq
dimension masculine. D'ailleurs, le symbole de Mars,
nète rouge incarnant l'action dynamique, est univenu
utilisé pour désigner le sexe mâle.27
Dans sa dimension maléficiée, le rouge symbo ·
fois la cristallisation résultant d'une scission entre les
matérielles et celles de l'esprit. En ce sens, il est
mort découlant d'une extériorisation excessive,
intérieures étant alors rejetées au profit d'un inv
toujours plus important sur le plan extérieur. A
devint très tôt la couleur infernale par excell
d'exemple, l'âne rouge était, chez les Egyptiens
entités les plus dangereuses que l'âme pouvait

26- Portal Frédéric, Des couleurs symboliques dan&


moyen dge et les temps modernes, op. cit.
27- Notons également que les oxydes de fer, relié., à
(une couleur associée au principe masculin) alo,s
cuivre, associés à Vénus (incarnant le principe féminin

34
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARC� MAJEURS

de son cheminement post-mortem. Ajoutons également que le


rouge maléficié est directement lié aux pulsions masculines
perverties. C'est sans doute pourquoi il incarne traditionnel­
lement la vindicativité et l'agressivité. Les expressions popu­
laires « voir rouge», « se fâcher tout rouge» ou encore « être
rouge de colère» sont d'ailleurs très éloquentes à ce propos.
La couleur jaune

Le jaune est la couleur du rayonnement, de la plénitude


et de l'accomplissement. A ce titre, il est intéressant de noter
qu'une chevelure blonde était souvent l'apanage des héros.
Chez les Celtes, elle était même le signe d'une beauté royale.
C'est sans doute pourquoi les artistes chrétiens ont souvent
représenté le Christ avec des cheveux blonds, soulignant ainsi
la perfection de sa nature humaine. En ce sens, le jaune est
également une couleur de maturité et de sagesse. Dans cette
perspective, les aliments de couleur jaune (comme le beurre, le
miel ou l'huile) ont toujours représenté la maturité et la sa­
gesse. Une ancienne tradition grecque prétend même que Py­
thagore (l'auteur des Vers dorés) se nourrissait exclusivement
de miel, cet aliment de couleur jaune que Virgile considérait
comme un don céleste de la rosée (la rosée étant le symbole de
l'initiation). De mêrœ, dans la tradition judéo-chrétienne,
Yahvé déclare au peuple d'Israël: « Je l'aurais nourri de la
t1em du froment,je t'aurais rassasié avec le miel du rocher». 28
Dans sa dimension maléficiée, le jaune est toutefois la
couleur d'un faux rayonnement correspondant à celui qui
n'exprime pas les dimensions essentielles de son être. Il est
alors associé à la parole mensongère qui, ne reflétant pas fidè­
lement la vérité, devient une parole de trahison. Ainsi, Frédéric

28- Psaume 81 (80), 17.

35
CONSIDERATIONS GENERAl.ES SUR LE TAROf

Portal rapporte que dans plusieurs pays, « la loi ordonnait aux


Juifs de se vêtir de jaune, car ils avaient trahi le Seigneur; en
France, on barbouillait de jaune la porte des traîtres; sous
François Ier, Charles de Bourbon encourut cette flétrissure
pour crime de félonie. ».29 Enfin, le jaune est la couleur par
excellence de l'orgueil. Il évoque alors une tendance à se cen­
trer irrésistiblement sur soi-même et sur ses propres besoins.

La couleur verte

Par sa faculté à introduire la conscience dans les dimen­


sions intérieures de l'être, le vert a toujours été considéré
comme une couleur étroitement liée au processus de transmu­
tation. Aussi, elle fut très étroitement associée aux diverses
étapes de la régénération. Le vert incarnait d'ailleurs, pour les
anciens, les forces vives du printemps. Chez les Grecs, par
exemple, le terme chlôros employé pour désigner la couleur
verte évoquait également la végétation naissante et les forces
du renouveau. Dans la même perspective, la déesse de la
Terre-Mère et de l'agriculture, Déméter, porta même parfois le
surnom de Chloé. Le vert était également un signe de résur­
rection chez les Egyptiens puisqu'il était la couleur d'Osiris
ressuscité, celle des génies funéraires et celle du mort en voie
de renaître à la vie. Enfin, le vert a toujours évoqué les valeurs
profondes de l'amour, de la concorde et de la sympathie.
Dans sa dimension maléficiée, il est cependant un sym­
bole de dévitalisation et de perversion. En effet, il fut toujours
une incarnation vivante du processus de dégénérescence.
Swedenborg affirmait même en ce sens que les démons de
l'enfer avaient les yeux verts. Dans ce contexte, il n'est plus

29- Portal Frédéric, Des couleurs symboliques dans /'Antiquité, le


moyen âge et les temps modernes, op. cit.

36
LE TAROf: LES VINGI'-DEUX ARCANES MAJEURS

associé à la couleur du bourgeon printanier (symbole de la


renaissance), mais à celle de la moisissure. Il évoque donc
l'impulsion conduisant un individu à renoncer à sa volonté
propre (abandon et laisser-aller) pour devenir progressivement
la proie de pulsions mortifères. Les psychologues ont
d'ailleurs souvent constaté que le vert peut favoriser le dé­
veloppement de tendances suicidaires chez une personne déjà
fragilisée. A ce titre, l'eau verte des fleuves a toujours été re­
connue comme exerçant une influence attractive sur les dés­
espérés. Enfin, si les pulsions animant l'individu sont d'ordre
instinctuel, la couleur verte peut bien souvent l'amener à suc­
comber à des désirs exacerbés.
La couleur bleue
Evoquant l'immensité du ciel, la couleur bleue fut tou­
jours considérée comme le symbole par excellence de la trans­
cendance. Les anciens croyaient même qu'elle favorisait toute
tentative de contact avec le divin et ils l'associèrent à la dé­
couverte de la vérité. C'est sans doute pourquoi le saphir bleu
fut en Orient « le symbole de la fleur bleue, de cette fleur mys­
tique de l'Irrationnel qui, poussant du coeur jusqu'au cerveau
des saints, communique à la froide et sèche intelligence hu­
maine la connaissance intuitive et l'amour universel qui jaillis­
sent de l'âme. ».30 Dans la même perspective, Frédéric Portal
ajoute que « sur les peintures du moyen-âge, la robe du Mes­
sie est bleue pendant les trois années de sa prédication de vé­
rité et de sagesse. ».31 Enfin, le bleu est un symbole privilégié
» Hermann. Félix, Les gemmes et les perles dans le monde, Paris,
1M9.
31- Pc,nal, F�ric, Des couleurs symboliq.us dans /'Antiquité, le
moy,11 age et les temps modernes, op. cit.

37
CONSIDERATIONS GENERAI.ES SUR LE TARITT

de la réceptivité aux réalités intérieures. A ce titre, il fut tou­


jours très étroitement associé à Marie qui porta même, au
cours de l'époque médiévale, le titre symbolique de « lys
bleu».
Dans sa dimension maléficiée, le bleu évoque cepen­
dant un lent processus qui conduit la conscience à se décon­
necter du monde réel. En effet, nous savons que le bleu est la
couleur du ciel, caractérisé par sa vastitude et son immensité.
Or cette absence de limites et de repères peut aussi conduire
l'individu à perdre totalement le sens de la réalité. Ainsi, sub­
mergé par une immensité qu'il ne peut assumer, l'intellect suf­
foque littéralement et fait place à diverses formes de mirages et
d'illusions. Dans la même perspective, le bleu est également la
couleur de l'abstraction au sens péjoratif et négatif du tenne.
En effet, perdant le sens des réalités en l'absence de ses repè­
res habituels, la raison peut alors élaborer des systèmes nébu­
leux et chimériques qui n'ont aucune véritable relation avec
le monde réel. Enfin, ajoutons que cette couleur évoque aussi
toute forme de passivité excessive associée à divers états
d'asphyxie ou de paralysie.

La couleur blanche

Le blanc évoque la pureté, tant sur un plan psycholo­


gique que sur un plan physique. Ainsi, les Pythagoriciens qui
recherchaient d'abord et avant tout cette vertu, s'habillaient
en blanc. De même, les chrétiens nouvellement baptisés por­
taient autrefois des vêtements blancs, s'identifiant ainsi aux
âmes sauvées lors du Jugement dernier. Enfin, les mariées por­
taient également des robes blanches pour affinta- p � .­
ment leur virginité. En tant que symbole de pureté, le blall'iililt
en outre étroitement associé aux réalités divines. AïMt.,
plupart des traditions antiques, les animaux blancs

38
LB TAROI': LES VINGf-DEUX ARC�MAJEURS

tin6s aux Stres célestes (les noirs étant consacrés à ceux des
Enfers). Pensons, à ce titre, au passage de l'Enéide où Anchise
« irDmJe une brebis noire à la Tempête, une brebis blanche
aux favorables Zéphyrs ».32 Dans la chrétienté, c'est égale­
ment une colombe blanche qui symbolise le Saint-Esprit. En­
fin, le blanc représente aussi le plein épanouissement d'un
potentiel latent (symbolisé par la couleur noire). Il est alors la
couleur de l'expression plénière.
En tant qu'absence de couleurs, il évoque cependant,
dans sa dimension maléficiée, le vide, l'absence et le néant. En
effet, il s'agit de la couleur des fantômes et des revenants qui
n'ont aucune existence tangible. C'est pourquoi cette cou­
leur annonce la mort dans plusieurs traditions religieuses. En
ce sens, elle fut toujours, en Orient, la couleur du deuil. De
même, l'apparition d'un cheval blanc dans un rêve était fré­
quemment associée à l'expérience ou au pressentiment de la
mort. :Enfin,« ceci explique que le premier homme blanc qui
soit apparu chez les Bantou du Sud-Cameroun ait été appelé
k Nango-Kon, le "fantôme albinos", qui fit d'abord fuir de
frayeur toutes les populations qu'il rencontrait; après quoi,
._,_. sur ses intentions pacifiques, chacun s'en revint lui
dlntaader des nouvelles de ses parents décédés, qu'il était
�t censé connaître, puisqu'il venait du pays des
••».33

0
·,.::::;-1.1!:illl,:BUa: -évoque l'obscurité des origines et symbolise
l'6tat gestatif en tant que prélude d'une nais-

39
O)NSIDERATIONS GENERALES SUR LE TARITT

sance imminente. En ce sens, il« est à l'origine le symbole de


la fécondité, comme dans l'Egypte ancienne ou en Afrique du
Nord: la couleur de la terre fertile et des nuages gonflés de
pluie».34 Ceci explique pourquoi, dans de nombreuses tradi­
tions, les grandes déesses-mères, associées à la fertilité, sont
noires. En ce sens, cette couleur est la promesse d'une vie re­
nouvelée. Aussi, elle désigne en alchimie la matière primordiale
que l'on doit transmuter en pierre philosophale. De même, elle
joue un rôle important au niveau de tous les rites initiatiques,
accompagnant celui qui est introduit dans une réalité nouvelle
(celle de l'esprit).
Dans sa dimension maléficiée, le noir devient cependant
la couleur des ténèbres. Il incarne alors l'ignorance, l'incon­
science et l'aveuglement face aux réalités de l'esprit. Ainsi, les
rites sataniques où Dieu est renié sont désignés sous le nom
de« messes noires». En outre, en évocant l'abîme, le noir re­
présente le néant, la perdition et la mort. Il s'associe alors à
toutes les formes de damnation et annonce le retour au chaos
indifférencié. En ce sens, si les prêtres égyptiens « décou­
vraient un seul poil noir sur la victime [qu'ils devaient sacri­
fier], elle était réputée immonde».35 Par contre, les sorciers
offrent toujours au diable ou aux démons un animal noir (le
plus souvent un coq, un chat ou un bouc).

La couleur argentée

Rappelant l'éclat de la Lune, la couleur argentée est mise


en rapport avec les réalités de l'âme. En effet, elle évoque es­
sentiellement le rayonnement de l'âme illuminée par l'esprit

34- Servier, Jean, L'homme et l'invisible, Paris, 1964.


35- Portal, Frédéric, Des couleurs symboliques dans l� le
moyen dge et les temps modernes, op. cit.

40
LE TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

En ce sens, l'argent incarne « la lwnière pure, telle qu'elle est


reçue et rendue par la transparence du cristal, dans la limpidité
de l'eau, les reflets du miroir, l'éclat du diamant; il ressemble à
la netteté de conscience, à la pureté d'intention, à la franchise,
à la droiture d'action; il appelle la fidélité qui s'ensuit ».36 En
d'autres 1ennes, elle représente l'âme qui, totalement ouverte
et réceptive aux impulsions de l'esprit, les exprime pleinement
et fidèlement.
Dans sa dimension maléficiée, la couleur argentée devint
cependant le symbole d'une âme assujettie à l'autorité de
l'ego. En ce sens, elle évoque une conscience trouble, des
intentions peu nettes, une certaine opacité et une vision dé­
formée de la réalité. Aussi, elle symbolise « l'objet de toutes les
cupidités et les malheurs qu'elles provoquent, ainsi que
l'avilissement de la conscience: c'est son aspect négatif, la
perversion de sa valeur ».3 7 Dans cette perspective, le fait
qu'un bijou en argent s'oxyde rapidement était autrefois con­
sid6ré comme un présage de mort prochaine.
La couleur dorée

Rappelant l'éclat du Soleil, la couleur dorée est mise en


rapport avec les réalités de l'esprit. Aussi, elle évoque essen­
tiellement le rayonnement spirituel et elle est considérée
comme une incarnation de la lumière céleste et de la connais­
sance divine. En Grèce antique, on disait même que les bons
praaeun, avaient une bouche d'or. Dans le même ordre
i'idfel, l'or servait à désigner une parole de grande valeur.
Sf· �acrt. Emile, L' Hiraldique, son esprit, son langage et ses appli­

•·=·
t""""'1. BftlXdles, 1923.
9-, a.nier, Jean et Oheerbrant, Alain, Dictionnaire des Symboles,

41
CONSIDERATIONS GENERALES SUR LE TAROf

Pensons aux Vers dorés de Pythagore. En raison de son lien


étroit avec l'esprit, la couleur dorée indique également
l'absolue perfection. En ce sens, elle était considérée par les
anciens alchimistes comme un symbole de la réalisation: l'or
étant la chair des dieux. Enfin, elle fut bien souvent associée à
l'invulnérabilité et à l'incorruptibilité.
Dans sa dimension maléficiée, elle évoque cependant
une fausse puissance reposant sur les forces de l'ego. Son
symbolisme rejoint alors celui de la couleur jaune maléficiée.
En ce sens, elle évoque le faux éclat et la fausse gloire résul­
tant d'une alliance malsaine avec les forces ténébreuses du
monde, amenant la conscience à se focaliser exclusivement sur
les valeurs propres à la personnalité.
Voici un tableau résumé présentant les couleurs et leurs
principales significations:

Tableau présentant les couleurs


et leurs principales significations

Couleurs Si2nifications principales

Brun Terrestrité, matérialité.


Rouge Activité dynamique, émissivité, incarnation.
Jaune Rayonnement, maturité, maîtrise de soi.
Vert Régénération, transmutation, fécondité.
Bleu Réceptivité, contemplation, transcendance.
Blanc Divinité, conscience spirituelle, pureté.
Noir Gestation, profondeur, mystère.
Argent Réalités de l'âme.
Or Réalités de l'esprit.

42
CHAPITRE II
LES VINGT-DEUX LAMES MAJEURES
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LALAMEI
LE BATELEUR

La lettre hébraïque: Aleph.


La valeur numérique: 1.
Les éléments symboliques: Un jeune homme debout devant
une table sur laquelle se trouvent plusieurs objets.
La dimension herméneutique: S'investir pleinement sur le
plan matériel (symbolisé par la table) en participant activement
à la découverte de ses potentialités (représentées par les
divers objets placés sur la table).
La dimension anagogique: Associer le travail et le jeu.
L'injonction: Agir et prendre une décision.
Les éléments à développer: Le sens du jeu, l'esprit de créati­
vité et l'humour.

45
LE BATELEUR

Le Bateleur

46
LE TAROf: LES VINGI'-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETTRE ALEPH

Du point de vue kabbalistique, la lame du Bateleur est


associée à la première lettre de l'alphabet hébreu, la lettre
Aleph, issue d'un ancien idéogramme représentant une tête de
taureau ou de boeuf. Or le taureau correspond, dans la tradi­
tion hébraïque, au père en tant que géniteur. Ainsi, « il n'est
pas seulement, disent les anciens docteurs, le chef du trou­
peau, il en est aussi l'époux et le père; il y fait naître la joie,
l'amour, et, par là-même, la vie; il assure ainsi la perpétuité de
l'espèce et la multiplication du troupeau». 1 Ce symbolisme se
retrouve aussi en Egypte pharaonique où un hiéroglyphe à
l'effigie du taureau était utilisé pour signifier « fécondateur».
Dans cette perspective, Aleph représente l'élément primordial
qui engendre dans leur infinie diversité les multiples réalités
du monde créé.
En outre, l'idéogramme à l'origine de cette lettre met en
exergue les cornes présentes sur la tête de l'animal et le sym­
bolisme qui s'y rattache est également fort représentatif des
réalités inhérentes à la lettre. En effet, le fait de se coiffer des
cornes d'un animal était, pour de nombreuses civilisations
primitives (les Amérindiens et les Celtes notamment), une mar­
que de puissance. Le terme hébreu pour désigner les cornes
est d'ailleurs le mot queren signifiant littéralement
«puissance» ou « force». En raison du fait qu'elles sont,
chez le taureau, tournées vers le ciel, elles incarnent plus pré­
cisément une puissance provenant des sphères célestes, une
puissance divine. Aleph évoque donc la puissance divine en
tant que force créatrice (fécondante et vivifiante), permettant
l'amorce d'un nouvel ordre des choses.
1- Owbonneau-Lassay, Louis, Le Bestiaire du Christ, L. J. Toth Re­
priilt Milano, 1974.

47
LE BATELEUR

LENOMBREl

D'un point de vue numérologique, la lame du Bateleur


est associée au nombre 1 et ce nombre correspond, pour les
anciens, à l'impulsion primordiale donnant naissance à toutes
les réalités présentes dans l'univers. En ce sens, il incarne le
principium generationis, la semence qui prendra fonne et se
manifestera dans l'engendrement de tous les autres nombres.
Les anciens considéraient même que ce nombre 1 devait se
sacrifier lui-même pour générer les autres. Chacun d'entre eux
était alors perçu comme une souffrance du premier. On re­
trouve la même perspective en géométrie où le nombre 1 est
symbolisé par un point qui donne naissance à toutes les figu­
res géométriques. A ce titre, le Zohar rapporte que lorsque:
« l'inconnu des inconnus voulut se manifester, il commença
par produire un point. Tant que ce point lumineux n'était pas
sorti de son sein, l'infini était encore complètement ignoré et
ne répandait aucune lumière.». Or le déploiement de ce point
généra ensuite le cercle qui, par subdivisions internes succes­
sives, engendra toutes les figures géométriques.
Toutefois, si le nombre 1 évoque la source ou l'origine
de toute réalité, il incarne également le but et la finalité de
toute chose. Autrement dit, s'il représente le principium ge­
nerationis par lequel l'unité engendre le multiple, il implique
aussi un processus par lequel le multiple retourne à l'unité. A
ce titre, certains auteurs l'associent à l'élan mystique condui·
sant l'aspirant à rassembler toutes ses forces pour se mettre en
quête de l'essentiel et du transcendant. En ce cas, il devient un
symbole de l'ascèse permettant de ne plus s'éparpiller en se
consacrant à de vaines illusions (celles du monde du multiple)
et de concentrer tous ses efforts pour atteindre l'essentiel (le
monde du 1).

48
LE TAROT: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

LENOM

Selon le dictionnaire, le bateleur désigne « une personne


qui fait des tours d'acrobatie, d'adresse, sur les places publi­
ques ».2 Il s'agit donc d'un amuseur public associant le travail
et le jeu. Aussi, ce personnage nous enseigne la nécessité de
travail ler en s'amusant. En d'autres termes, il nous révèle
l'importance d'agir et d'oeuvrer sur le plan terrestre en ex­
primant une certaine forme de plaisir. Or, selon la tradition de
l'hennétisme, le plaisir est étroitement associé aux valeurs de
l'esprit. En effet, celui qui cherche à cultiver des valeurs on­
tologiquement étrangères à son identité véritable doit tou­
jours fournir beaucoup d'efforts pour y arriver, ce qui laisse
peu de place au plaisir. Par contre, celui qui exprime les va­
leurs de son essence profonde (celles de l'esprit) n'a nul be­
soin de fournir ces efforts puisqu'il est naturellement prédis­
posé à le faire. Plus encore, il le fait alors avec aisance, habileté
et plaisir. C'est sans doute pourquoi le philosophe québécois
André Moreau écrivait: « L'effort est le signe de l'erreur ».
D'autre part, le bateleur évoque aussi l'expérience du
merveilleux. En effet, il est un acrobate et un prestidigitateur
qui émerveille le public par ses tours de passe-passe. Ce per­
sonnage souligne donc également l'importance de s'ouvrir à
l'expérience du merveilleux, à cette dimension de l'existence
qui ne peut être appréhendée par une raison qui cherche, au
contraire, à tout contrôler. C'est d'ailleurs dans cette perspec­
tive que toute révélation (en tant que grâce divine) se situe.
Ainsi, le bateleur enseigne à l'aspirant qu'il doit s'ouvrir et
accepter le merveilleux dans une attitude d'accueil et de lâ­
cher-prise.

2- D6finition extraite du Petit Larousse lllustrl, Paris, édition 1987.

49
I.E BATEI.EUR

LA LAME DU BATELEUR

Description de la lame

Cet arcane met en scène un jeune homme blond qui,


debout derrière une table, tient de sa main gauche une ba­
guette. Il est représenté de face, dans une attitude décontrac­
tée. Il est coiffé d'un étrange chapeau dont la forme évoque le
signe algébrique du lemniscate et ses vêtements sont bariolés
dans une alternance de rouge, de bleu, de jaune et de vert.
Sur une table brune placée devant lui (dont on ne voit
que trois pieds de couleur verte), divers objets sont disposés:
une coupe, une épée et un denier et il touche de sa main
droite ce denier. Enfin, une fleur rouge, encore en bouton,
pousse à ses pieds.
Interprétation symbolique de l'arcane

Sur un plan symbolique, soulignons d'abord qu'en rai­


son de son jeune âge, le Bateleur est une image de la jeunesse.
Or il s'agit là d'un archétype fondamental dans la tradition de
l'hermétisme chrétien. En effet, l'enfant n'ayant pas eu le
temps d'être perverti par les influences extérieures et n'ayant
pas intégré en lui d'éléments étrangers, demeure conforme à
son essence profonde. Il s'oppose en cela à l'adulte qui, trop
souvent, s'est développé en fonction d'un ensemble d'illu­
sions et de chimères empruntées au monde extériem dans le­
quel il a évolué. C'est d'ailleurs dans cette perspective que le
Christ lui-même déclara à ses disciples: « Laissez les petits en­
fants venir à moi; ne les empêchez pas, car c'est à Jeurs pareils
qu'appartient le Royaume de Dieu. En vérité je vous le dis:
quiconque n'accueille pas le Royaume de Dieu en petit en-

50
LE TARŒ: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

fant n'y entrera pas. ».3 Tout aspirant doit donc apprendre à
redevenir un enfant, c'est-à-dire à ne plus renier son essence
profonde en adoptant des valeurs extérieures pour ainsi redé­
couvrir son être profond et s'y identifier. Il ne s'agit pas évi­
demment d'un retour à l'enfance en tant qu'état d'immaturité
ou de naïveté. En ce sens, la première leçon enseignée par le
Bateleur consiste à réétablir une coïncidence entre son être
profond et sa personnalité. C'est cela qui permet au Bateleur
de conserver sa jeunesse selon l'antique désir des alchimistes.
Loin de rechercher la simple transmutation des métaux vils, ils
étaient en effet consacrés à la queste de l' elixir vitae (l'élixir
de vie) pouvant assurer l'immortalité en octroyant à son dé­
tenteur une jeunesse perpétuelle. L'arcane du Bateleur est
donc une illustration de la disposition essentielle permettant
d'amorcer une véritable oeuvre alchimique.
D'autre part, nous avons également précisé que le nom
de l'arcane, le Bateleur, associe travail et jeu. Or cette associa­
tion évoque également l'archétype de l'enfant. En effet,
l'enfant travaille en jouant. Précisons toutefois qu'il ne s'agit
pas ici d'une attitude frivole, légère ou superficielle. Le jeu de
l'enfant n'implique pas un désengagement ou une incon­
science face aux exigences et aux responsabilités de la vie.
Au contraire, il est toujours étonnant de constater, en obser­
vant un enfant qui joue, à quel niveau il est impliqué. « Le jeu
est tellement intégré à la vie des enfants qu'ils ne distinguent
pas nettement la réalité de la fantaisie. Bertrand, par exemple,
peut prétendre en jouant que l'un de ses blocs de bois est un
lapin et qu'un autre bloc est une carotte que le lapin mange.
Ces blocs deviennent vraiment lapin et carotte pour lui, et il se
comporte vis-à-vis d'eux comme s'ils l'étaient réellement ».4

3- Marc X, 14-15.
4- Papalia, Diane E., Wendkos Olds, Sally, Le développement de la

51
LE BATELEUR

A propos de ce qui caractérise l'enfant, il importe égale­


ment d'évoquer son ouverture et sa capacité exceptionnelle
d'accueil. En ce sens, nous avons déjà souligné que le nom de
l'arcane évoque l'expérience du merveilleux. Or l'enfant ac­
cepte aisément le merveilleux. Chez lui, sa dimension mentale
n'est pas encore suffisamment développée pour l'enfermer
dans une conception purement mécanique de l'univers où
toute dimension transcendant la raison serait soigneusement
évacuée. A titre d'exemple, il accepte tout naturellement
qu'un lapin discute avec un hérisson. Or c'est précisément
par une ouverture semblable que l'aspirant peut accéder à un
niveau d'être supérieur, participant ainsi aux réalités divines
(à l'essence même des choses). C'est ce qu'illustre d'ailleurs
le chapeau du Bateleur en forme de lemniscate ( de huit hori­
zontal) qui, utilisé en mathématique pour désigner l'infini,
évoque de manière éloquente l'ouverture d'esprit du person­
nage.
Saint-Exupéry avait du reste bien saisi cette particularité
de l'enfant lorsqu'il écrivit dans son ouvrage désormais célè­
bre: « Les grandes personnes aiment les chüfres. Quand vous
leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais
sur l'essentiel. Elles ne vous disent jamais: "Quel est le son de
sa voix ? Quels sont les jeux qu'il préfère ? Est-ce qu'il collec­
tionne les papillons ?" Elles vous demandent: "Quel âge a-t­
il? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien
gagne son père ?" Alors seulement elles croient le connaître.
Si vous dites aux grandes personnes: "J'ai vu une belle mai­
son en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des
colombes sur le toit. .. " elles ne parviennent pas à s'imaginer
cette maison. Il faut leur dire: "J'ai vu une maison de cent mille

personne, Les Editions HRW Ltée, Montréal, 1979.

52
I.E TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

francs". Alors elles s'écrient: "Comme c'est joli!". ».5 En effet,


l'enfant sait s'ouvrir à l'essence de chaque être et de chaque
chose s'opposant en cela à l'adulte, et plus précisément au
comptable, qui incarne l'archétype même de l'enfermement et
de la fermeture aux réalités essentielles (à celles de la vie).
A un autre niveau, le Bateleur est debout, dans une posi­
tion active. Il représente donc celui qui s'engage de manière
dynamique pour s'exprimer, entreprendre et mettre en oeuvre
de multiples projets. En ce sens, sa posture est très importante.
Toutefois, bien qu'il soit debout, il n'est pas en mouvement
puisqu'il ne se dirige ni vers la gauche (représentant le passé)
ni vers la droite (symbolisant l'avenir). Bien ancré dans une
position d'équilibre, les pieds légèrement écartés, il nous en­
seigne ainsi la nécessité de vivre pleinement le moment pré­
sent. C'est là, très certainement, la seconde leçon fondamen­
tale révélée par cet archétype symbolique. Toutes les tradi­
tions initiatiques ont d'ailleurs insisté sur la nécessité de vivre
le moment présent, considérant cette attitude comme étant la
seule véritable clef permettant de vivre la vie.
En effet, celui qui vit dans le passé est non seulement in­
capable d'accomplir quoi que ce soit de concret (n'étant pas
entièrement investi dans le présent), mais il encourt également
le risque de se programmer à l'échec, s'enlevant ainsi définiti­
vement toute chance de réussite. De mêrœ, celui qui vit en
fonction du futur, nourrit trop souvent des craintes ou de vai­
nes espérances. Demeurant hors du temps présent, il est alors
hors de la vie. En outre, fuyant toujours vers un avenir et un
monde meilleurs, il ne l'atteint évidemment jamais. Au con­
ttaire, le Bateleur incite l'aspirant à reconnaître dans le mo­
ment présent le seul terrain propice à la réalisation de soi, un
moment présent qui intègre toutefois les leçons du passé et les

5- Saint-Exupéry, Antoine de, Le Petit Prince, Gallimard, Paris, 1946.

53
LE BATELEUR

germes de l'avenir. C'est l'éternel présent qui, loin d'être limi­


tatif, permet que les expériences du passé et les aspirations
face à l'avenir puissent être parfaitement intégrées dans
l'action.
Par ailleurs, nous avons également souligné que le Bate­
leur se tient debout devant une table. Sur un plan symbolique,
cet objet est étroitement associé aux réalités matérielles
comme le confirme d'ailleurs éloquemment sa surface brune
évoquant la couleur de l'argile ou de la terre. D'autre part, sa
forme rectangulaire rejoint également celle du carré dont elle
partage le symbolisme (les francs-maçons attribuent au rec­
tangle le nom de « carré long » ). Or si le cercle exprime le
monde céleste, le carré représente le monde terrestre, « non
pas en tant qu'opposé au céleste, mais en tant que créé. Dans
les rapports du cercle et du carré, il existe une distinction et
une conciliation. Le cercle sera donc au carré ce que le ciel est
à la terre, l'éternité au temps, mais le carré s'inscrit dans un
cercle, c'est-à-dire que la terre est dépendante du ciel. Le
quadrangulaire n'est pas autre chose que la perfection de la
sphère sur un plan terrestre ». 6
Ajoutons qu'il s'agit ici d'une table de travail. En effet,
le jeune homme n'y prend pas un repas mais il l'utilise pour
travailler. Aussi, en plus d'évoquer le plan matériel dans sa
dimension matricielle, en tant que pourvoyeuse des ressources
nécessaires à la croissance et au développement, la table in­
carne également la matière première sur laquelle l'aspirant est
invité à travailler activement. Cette image est donc porteuse
d'un message alchimique évident. En effet, elle implique un
investissement de la part du jeune homme en vue de désen­
sorceler le monde de l'emprise des forces régressives pour ain-
6- Chevalier, Jean et Gheerbrant, Alain, Dictionnaire des symboles,
Robert Laffont, Paris, 1982.

54
ΠTAROf: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

si éveiller en lui une force spirituelle depuis trop longtemps


endormie. En d'autres termes, le Bateleur est un artisan de­
vant participer pleinement à la transformation du plan matériel
et à sa rédemption, ceci le conduisant à transcender son exis­
tence profane en une vie sacrée. C'est l'alchimie dont parlent
les maîtres du passé. A ce titre, notons que les pieds de la table
sont verts. Or le vert a toujours été considéré comme une
couleur étroitement liée au processus de régénération. Dès
lors, le fait que les pieds de la table soient verts confirme bien
que le travail du Bateleur 'in crit dan le cadre d'un proces­
sus de régénération.
Plus encore, seulement trois pied de la table sont visi­
bles. Dans un premier temps, cela semble mettre l'accent sur Je
nombre 3 et il s'agit ans doute d'une piste d'étude intéres­
sante. En effet, ce nombre évoque l'expression d'une force
ou d'une réalité subtile sur un plan plus concret. Il est
d'ailleurs associé au triangle qui, en tant que premier poly­
gone issu du cercle (associé au nombre 1), symbolise la mani­
festation première, la condition a priori de toute révélation.
Dès lors, mis en rapport avec la table, le nombre 3 met bien en
exergue la finalité de l'oeuvre entreprise par le Bateleur:
éveiller (et conséquemment révéler) l'essence divine
(spirituelle) qui anime la matière. D'ailleurs, les pieds de la ta­
ble soulèvent la surface rectangulaire du sol, ce qui évoque,
sans doute possible, l'idée d'une élévation et d'une sublima­
tion de la matière.
En outre. si le quatrième pied de la table est invisible, il
n'en demeure pas moins fondamental puisque l'équilibre de la
table en dépend. En effet, si ce pied était absent, la table telle
qu'elle est conçue, ne pourrait tenir en équilibre. Ainsi,
« l'essentiel est invisible pour les yeux »7 et l'équilibre du

7- Saint-Exupéry, Antoine de, Le Petit Prince, op. cit.

55
I.E BATEl.EUR

monde visible repose sur le soutien du monde invisible. C'est


là, une fois encore, une prise de conscience essentielle po ur
amorcer la démarche initiatique dont la lame du Bateleur est
l'incarnation vivante. En ce sens, cet arcane nous apprend
donc que la réalité n'est pas limitée à sa seule apparence (à sa
seule dimension extérieure). En fait, toute apparence est une
expression extérieure de l'esprit qui l'anime (du 1) et sans le­
quel elle ne serait que néant. Dans cette perspective, c'est la
présence discrète (et même invisible) de l'esprit vivifiant qui
assure en permanence la cohésion de toute chose, la réalité
matérielle étant incapable de remplir la tâche qui lui est attri­
buée sans lui. Dans notre exemple, la table ne pourrait plus, en
effet, remplir sa fonction: « servir de support à des objets»
sans la présence de ce pied invisible.
Toutefois, si l'arcane du Bateleur évoque la présence
agissante du nombre 3, elle incarne également de manière pri­
vilégiée les réalités associées au nombre 4. En ce sens, quatre
instruments sont mis à la disposition du Bateleur: un denier,
une coupe, une épée et un bâton. A propos de ces instru­
ments, Oswald Wirth les met en correspondance avec les qua­
tre verbes de la tradition initiatique: savoir (coupe), oser
(épée), vouloir (bâton) et se taire (denier). En outre, il précise
que « pour entrer en possession de ces instruments mystiques,
il faut avoir subi l'épreuve des Eléments. La victoire rempor­
tée sur la Terre confère le Denier, c'est-à-dire le point d'appui
concret nécessaire à toute action. En affrontant l'Air avec
audace, le chevalier du Vrai obtient d'être armé du Glaive,
symbole du Verbe, qui met en fuite les fantômes de l'erreur.
Triompher de l'Eau, c'est conquérir le saint Graal, la Coupe
où se boit la Sagesse. Eprouvé par le Feu, l 'Initié obtient enfin
l'insigne du suprême commandement, le Bâton, sceptre

56
l.E TARITT: LES VJNGT-DEUX ARCANES MAJEURS

du roi qui règne par sa volonté confondue avec le souverain


Vouloir. ». 8
Dans la perspective de l'hermétisme chrétien, ces quatre
ins truments sont également mis en relation avec les quatre
éléments composant le plan matériel. En effet, nous savons
que les anciens considéraient la matière comme étant essen­
tiellement constituée de quatre éléments, les quatre ryzomatha
(les quatre racines du monde). Ces quatre éléments (la terre,
l'eau, l'air et le feu) correspondaient évidemment aux quatre
aspects ontologiques composant la matière et aux « qualités
fondamentales » qui leur étaient associées. Au si, on considé­
rait jadis que toute réalité concrète était nécessairement com­
posée d'une combinaison de terre, d'eau, d'air et de feu. Dès
lors, pour éveiller l'essence divine (spirituelle) qui anime la
matière, le Bateleur doit travailler au niveau des quatre aspects
ontologiques la structurant (l'élément terre correspondant au
denier, l'élément eau à la coupe, l'élément air à l'épée et
l'élément feu au bâton).
Dans la même perspective, chacun de ces outils peut
également être associé à certaines dispositions psychologi­
ques traditionnellement rattachées aux quatre éléments carac­
térisant les quatre tempéraments fondamentaux: sanguin (feu),
lymphatique (eau), bilieux (air) et mélancolique (terre). Plus
précisément encore, l'élément terre représente alors la persé­
vérance dans le travail à accomplir. L'élément eau correspond,
quant à lui, à la flexibilité et à l'adaptabilité. Dans le même es­
prit, l'élément air incarne la promptitude sur le plan intellectuel
et les processus d'échange permettant à l'homme de mettre
les choses en relation les unes avec les autres en établissant
des rapports entre elles. Enfin, le feu incarne principalement
8- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, Le Symbolisme
et Emile Nourrey, Paris, 1927.

57
lE BATELEUR

l'ardeur et l'intégrité permettant de demeurer fidèle aux va­


leurs profondes de l'être, quelles que soient les circonstances
extérieures. Dès lors, nous pouvons en déduire que l'oeuvre
de régénération du plan matériel proposée par la lame du Ba­
teleur nécessite préalablement l'acquisition et l'épanouisse­
ment de ces qualités psychologiques. C'est ce que représente
le travail sur les arcanes mineurs et nous recommandons à nos
étudiants de prévoir l'étude sérieuse de ces arcanes essentiels
à la compréhension des lames majeures.
Panni ces quatre éléments, le denier semble en outre oc­
cuper une place prépondérante puisque le Bateleur le désigne
de sa main droite. En fait, ce constat n'est guère étonnant
puisque, nou l'avon dit, 1'élément terre (associ6 au denier)
représente traditionnellement la première étape de toute dé­
marche initiatique: la persévérance dans le travail à accomplir.
En effet, san l'action persévérante, l'aspirant ne peut
qu'errer lamentablement sans concrétiser de ,,,..,_ vérita­
blement tangible les potentialités de son essence profonde.
Plus encore, il ne peut alors récolter quoi que ce soit, subissant
au contraire un appauvrissement terrible auquel le Cuist fait
allusion dans la parabole des talents: « à tout homme qui a, on
donnera et il aura du surplus; mais à celui qui n'a pas, on en­
lèvera ce qu'il a. ».9
Quant aux autres symboles, il est intéressant de remar­
quer à propos de la coupe qu'elle semble êtte en argent et
qu'elle contient un liquide rouge (vraisemblablemmt du vin).
Ouverte par le haut aux influences célestes IIJIIÎS. en contact
direct avec le plan terrestre par sa base, la coupe a toujour s
représenté le lieu privilégié permettant à une 1'alit6 spirituelle
de s'incarner pleinement dans le monde. Dès lcn:• tant que
lieu de concrétisation des forces spirituelles, elle -.similée à
9- Matthieu XXV, 29.

58
I.E TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

l'âme et à son ouverture aux impulsions divines (cette coupe


est d'ailleurs en argent, un métal associé traditionnellement à
l'âme). Mise en rapport avec le Bateleur, elle nous apprend
donc que son âme doit être pleinement ouverte aux impul­
sions divines puisqu'elle est remplie de vin. En effet, le vin est
une eau ignée qui, pénétrée par la chaleur du feu, évoque les
impulsions divines. Plus encore, le fait qu'il soit rouge indique
que ces impulsions sont pleinement manifestées dans le
monde (le rouge étant une couleur étroitement associée à
l'incarnation).10
Quant à l'épée, elle présente un double tranchant et une
garde crucifère de couleur jaune. Au niveau symbolique, elle
évoque évidemment la vérité qui tranche, coupe et parfois
blesse profondément ce qu'elle a touché. « N'allez pas croire
que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas ve­
nu apporter la paix, mais le glaive. », 11 déclare le Christ. En
effet, le glaive dépouille et met à nu toute forme extérieure
pour ensuite en révéler la nature profonde à la lumière d'une
vérité absolue, impartiale et non mitigée. En ce sens, les deux
tranchants de l'épée correspondent aux deux réalités sur les­
quelles s'exerce la vérité: celle du corps et celle de l'âme.
Quant à sa garde jaune, elle nous indique que cette vérité est
mue par la puissance de l'esprit (le jaune incarnant la réalité
spirituelle).
Enfin, la baguette que tient le Bateleur se termine par
deux extrémités de couleurs différentes: une sphère rouge et
l 0- Dans la même perspective, notons que la coupe repose sur un pied
comportant six côtés. Placé en contact direct avec la table (évoquant le
plan terrestre), ce pied hexa gonal illustre bien la nécessité de ra y o nner
dans le monde (illustré par la table) les impulsions reçues de l'esprit
(symbolisées par le vin). En effet, le nombre 6 a toujours été très étroi­
tement associé au ra yonnement.
11- Matthieu X, 34.

59
I.E BATEI.EUR

une sphère bleue. Ces deux sphères illustrent les deux polari­
tés primordiales de l'univers: le masculin (évoqué par le
rouge) et le féminin (représenté par le bleu). Il s'agit égale­
ment de la matière (symbolisée par le rouge) et de l'esprit
(associé traditionnellement au bleu). Quant à la baguette qui
les relie, elle évoque évidemment la puissance créatrice résul­
tant de l'interaction féconde entre ces deux réalités. Notons
toutefois que le Bateleur tient cette baguette de la main gau­
che, indiquant ainsi qu'il ne maîtrise pas encore parfaitement
cette puissance créatrice, celle-ci étant davantage à l'état de
potentialité (symbolisme de la main gauche) que pleinement
effective et opérative (symbolisme de la main droite).
Par ailleurs, l'analyse des habits richement colorés du
Bateleur est également susceptible de nous faire saisir plus
précisément ce qu'il représente. En ce sens, il porte d'abord
un chapeau rouge dont le large rebord vert est liséré de jaune.
Sachant que la tête (en tant que principe directeur) symbolise
la dimension spirituelle (! 'esprit), que le tronc incarne la di­
mension psychique (l'âme) alors que les jambes évoquent la
dimension physique (le corps), ce chapeau nous révèle que la
dimension spirituelle du Bateleur, pleinement éveillée et active
(symbolisme de la couleur rouge), s'exprime à travers des va­
leurs cardiaques (symbolisme de la couleur verte) conforme à
la volonté divine (le rebord est liséré de jaune).
En outre, le Bateleur porte une sorte de pourpoint rouge
orné d'une raie bleue en son centre et d'un col bleu liséré de
blanc. Ce pourpoint nous indique que sa dimension psychi­
que (associée au tronc) est pleinement ouverte aux réalités
extérieures (le rouge étant la couleur de l'incarnation). Toute­
fois, elle n'est pas pour autant déconnectée des réalités inté­
rieures. Au contraire, son ouverture au monde est conforme
aux exigences de la vie spirituelle (ce qu'évoque la raie verti­
cale bleue, le bleu correspondant aux réalités intérieures). Plus

60
ΠTARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

encore, cinq boutons (évoquant les cinq sens, portes ouvertes


sur le monde) sont situés sur cette raie bleu, nous confirmant
que sa perception du monde tient compte de ses aspects inté­
rieurs. Ces boutons sont d'ailleurs placés sur un axe parfaite­
ment vertical qui évoque clairement l'état de conscience ca­
ractérisant le personnage.
Quant au col bleu liséré de blanc, il nous révèle que
l'âme (le tronc) se relie à l'esprit (la tête) dans une attitude de
foi, d'écoute et de réceptivité (symbolisme de la couleur
bleue) soutenue par l'innocence et la pureté (évoquées par le
liséré blanc). Les épaules jaunes, quant à elles, nous précisent
que sa volonté (évoquée par les épaules, considérées tradi­
tionnellement comme le siège de la volonté) est conforme à
celle de l'esprit (ceci étant suggéré par la couleur jaune).
D'autre part, les manches vertes et bleues du pourpoint nous
informent que l'action du Bateleur se teinte des valeurs du
coeur (symbolisées par la couleur verte) et de l'esprit
(symbolisées par la couleur bleue). Les poignets rouges nous
indiquent également que cette action est pleinement effective
et opérative sur un plan concret. Enfin, le Bateleur porte un
collant bleu. Ce collant, qui recouvre parfaitement ses jambes,
nous laisse penser que le corps (représenté par les jambes) se
place dans une totale attitude de réceptivité (évoquée par la
couleur bleue) face aux impulsions de l'âme (le tronc), elle­
même ordonnée à l'esprit (la tête).
Notons enfin la présence d'une fleur rouge, encore sous
forme de bouton, apparaissant aux pieds du Bateleur. Sur u n
plan symbolique, elle évoque les qualités et les vertus de l'âme
qui s'épanouissent sous l'influence de l'esprit (que nous
pourrions associer au Soleil). C'est ce que les trois feuilles à la
base de cette fleur nous indiquent en incarnant la dimension
cardiaque (symbolisée par la couleur verte) éveillée aux va­
leurs de l'esprit (représenté par le nombre 3) d'où émerge u ne

61
lE BATElEUR

tige verticale correspondant à la verticalisation de la con­


science. Dans cette perspective, plusieurs traditions populair es
comportent un véritable langage des fleurs exprimant les mul­
tiples vertus qui peuvent animer la nature humaine. Pensons,
par exemple, au myosotis, le symbole de la fidélité (en anglais
cette fleur s'appelle Forget me not !). De m&œ, la fleur
d'oranger est un symbole de l'innocence et de la virginité.
Jusqu'à une époque récente en France, les jeunes filles la por­
taient en parure le jour de leur mariage. Quant à la violette, elle
fut toujours un symbole de modestie. Toutefois, la fleur illus­
trée sur ce premier arcane n'est pas encore épanouie, souli­
gnant ainsi que les vertus de l'âme dont elle est la représenta­
tion ne sont pas encore pleinement développées.

Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Sous sa forme maléficiée, l'archétype du Bateleur évo­


que essentiellement une incapacité à participer pleinement à la
transformation du plan matériel en le faisant passer d'une di­
mension profane à une dimension sacrée. En ce sens, nous
savons qu'en raison de sa jeunesse, le Bateleur évoque
l'enfance. Or, sous sa forme négative, l'enfant est un symbole
d'immaturité, d'incompétence et d'influençabilité. Il incarne
également une soumission dangereuse aux influences exté­
rieures. En effet, l'enfant a toujours d'importants liens de dé­
pendance avec le milieu extérieur. Il était d'ailleurs considéré,
dans les civilisations anciennes, comme une proie particuliè­
rement vulnérable aux influences maléfiques des sorcières et
des esprits malveillants. C'est pourquoi les parents portaient
une attention toute particulière à la protection de leurs en ­
fants. Une croyance médiévale fort répandue :entretenait
même l'idée qu'en donnant de nombreux prénem&à l'enfant ,
on pouvait ainsi mieux le protéger contre J'iQft._.. des dé -

62
LE TAROf: l.ES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

mons. En Asie ( où l'on retrouve également cet usage des pré­


noms multiples), les garçons, plus prisés que les tilles, se
voyaient souvent dotés d'un prénom féminin pour ainsi trom­
per les démons. Les parents habillaient même parfois leurs
garçons en filles, jusqu'à l'âge de sept ans, les couvrant de
colliers et de bijoux.
En évoquant la jeunesse, la lame du Bateleur exprime
donc, sous sa forme maléficiée, une nature fragile, faible et in­
fluençable, se laissant aisément séduire par les multiples forces
régressives de l'involution dont la finalité première est de dé­
tourner l'individu de son es ence profonde, le conduisant
conséquemment à sa perte. En outre, nous avons déjà précisé
que le nom de l'arcane évoque une association étroite entre le
travail et le jeu comme on la retrouve naturellement chez
l'enfant. Or, si le jeu symbolise, sous sa forme positive, une
capacité à exprimer les valeurs de l'esprit, il devient, dans sa
dimension maléficiée, un symbole d'insouciance et
d'irresponsabilité, deux attitudes foncièrement contraires à
toute démarche initiatique.
Dans cette perspective, le livre des Proverbes déclare de
manière éloquente: « Va voir la founni, paresseux ! Observe
ses moeurs et devient sage: elle qui n'a ni magistrat, ni sur­
veillant, ni chef, durant l'été elle assure sa provende et amasse,
au temps de la moisson, sa nourriture. Jusques à quand, pares­
seux, resteras-tu couché ? Quand te lèveras-tu de ton som­
meil? Un peu dormir, un peu s'assoupir, un peu croiser les
bras en s'allongeant, et, tel un rôdeur, viendra l'indigence et la
disette comme un mendiant » . 12 Ceci illustre bien l'importance
d'agir pleinement dans le monde matériel en vue de contri­
buer à sa régénération. Dans le cas contraire, l'individu con­
tribue alors au développement d'un processus de cristallisa-
12- Proverbes VI, 6-11.

63
lE BATELEUR

tion qui bloque et suspend toute croissance en générant un


véritable appauvrissement du monde (la matière, cess ant
d'être vivifiée par les forces de l'esprit, devient progressive­
ment stérile).
Par ailleurs, nous avons également affinné que l'enfant
se caractérise par une capacité à s'ouvrir au monde en a dop­
tant une attitude d'accueil. En d'autres tennes, il accepte le
merveilleux et l'inattendu sans chercher à assujettir ce qu'il
voit à une logique implacable. Dans sa dimension maléficiée,
cette attitude d'ouverture devient toutefois illusion et naïve­
té. Le Bateleur maléficié n'est donc plus qu'un illusionniste
travestissant la réalité en détruisant ainsi toute possibilité de la
percevoir dans son authenticité. Il incarne alors les forces ré­
gressives du monde qui aveuglent l'homme, l'incitant à désa­
craliser la matière et à cultiver un faux rapport avec elle. Dans
un premier cas, l'individu ainsi illusionné adoptera une atti­
tude foncièrement matérialiste, cherchant à exploiter de ma­
nière immodérée les ressources terrestres pour satisfaire ses
pulsions égocentriques et instinctuelles. Dans un second cas,
il aura tendance à mépriser et à rejeter le plan matériel, le con­
sidérant comme un lieu où l'esprit s'exile et où il est retenu
prisonnier. C'est ce qu'illustre le chapeau du Bateleur en
forme de lemniscate (de huit horizontal) qui, dans sa dimen­
sion négative, devient un emblème de déconnection vis-à-vis
du réel (issue d'un mauvais rapport entre le monde extérieur
et les sphères divines).
A un autre niveau, nous avons également souligné que
le Bateleur est debout, dans une position active, sans cepen­
dant se diriger ni vers la gauche (représentant le passé) ni vers
la droite (symbolisant l'avenir). Nous en avions conclu que
cet arcane évoquait l'importance de bien s'enraciner dans le
présent. Toutefois, sous sa fonne maléficiée, cette disposition
évoque plutôt l'inconscience de celui qui vit au jom le jour,

64
l.E TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

incapable d'intégrer les leçons du passé et de situer son ac­


tion dans une perspective d'avenir. Rejetant son passé dont il
n'a pas su extraire l'expérience et ignorant l'avenir en refu­
sant de se fixer un but précis, il fait alors l'expérience d'une
véritable errance, se laissant porter à la dérive en passant
d'une situation à une autre au gré des caprices du temps.
Par ailleurs, nous avons également affirmé qu'en raison
du fait que le Bateleur se tient debout derrière une table de
travail, l'arcane considéré illustre la nécessité de participer
pleinement à la transformation du plan matériel et à sa régéné­
ration. Dans sa dimension maléficiée, cette disposition évoque,
au contraire, une tendance à ne pas savoir cultiver un rapport
juste avec la matière (symbolisée par la table). En effet, en se
situant devant le Bateleur, la table devient un obstacle à son
avancement. Plus encore, elle n'est plus une image de régéné­
ration mais de dégénérescence puisque la couleur verte de ses
pieds devient, sous sa forme négative, la couleur de la moisis­
sure qui se forme sur toute substance organique qui n'est plus
vivifiée. Le vert évoque alors la dégradation de la matière
coupée de la source vivificatrice de l'esprit.
En outre, nous avons précisé à propos de cette table que
son nombre de pieds visibles souligne la finalité de l'oeuvre
du Bateleur consistant à révéler l'essence divine qui anime la
matière. Or, dans sa dimension négative, le nombre 3 évoque,
au contraire, le principe d'obstruction s'opposant à toute ré­
vélation. En effet, il incarne alors un processus de cristallisa­
tion empêchant toute expression, toute évolution ou toute
progression. Aussi, mis en rapport avec la table, ce nombre 3
maléficié illustre bien l'inertie et l'immobilisme d'une matière
qui n'est plus vivifiée par les forces de l'esprit et qui, en con­
séquence, n'en constitue plus le support d'expression.
Quant au quatrième pied, invisible, il symbolise mainte­
nant l'état d'aveuglement de celui qui est incapable de per-

65
LE BATELEUR

cevoir les réalités de l'esprit. Ceci met également en exergue


l'état de profonde précarité dans lequel se retrouve alors
l 'oeuvre entreprise. En effet, tout comme la table privée de
son quatrième pied se trouve dans un état d'équilibre précaire
(le moindre choc la fera basculer), l'individu qui ne voit plus
dans la matière l'empreinte de l'esprit (le pied unique et ab­
sent) éprouve un douloureux sentiment de vulnérabilité (il se
sent désormais seul et perdu dans un univers lui apparaissant
foncièrement étranger et hostile).
Ayant mieux défini l'archétype maléficié de la table,
nous devons également considérer, sous leur forme négative,
les instruments mis à la disposition du Bateleur: un denier, une
coupe, une épée et un bâton. Nous avons déjà vu que ces
quatre instruments correspondent aux quatre éléments com­
posant la matière. Dans leur dimension maléficiée, ils représen­
tent toujours ces quatre éléments, mais sous leur fonne perver­
tie. En ce sens, nous avons précisé que la tradition associe à
chaque élément des dispositions psychologiques précises.
Maléficiés, ces éléments incarneront donc les défauts corres­
pondants. Ainsi, l'élément terre évoquera l'entêtement, la len­
teur d'esprit et la cupidité conduisant à thésauriser sans fin.
L'eau incarnera, pour sa part, l'influençabilité et la passivité.
L'air représentera la versatilité, l'indécision, la superficialité et
une tendance à s'éparpiller. Enfin, le feu évoquera un carac­
tère emporté (prompt à s'enflammer), l'impatience et l'irrita­
bilité.
Plus encore, nous avions ajouté que le denier occupait
une place prépondérante puisque le Bateleur le désigne de sa
main droite (ce denier évoquant la premièœ étape de toute
démarche initiatique: la persévérance dans le tmwU à accom-
plir). Sous sa fonne maléficiée, il conserve touj sa primau-
té. Toutefois, il devient alors une illustration la pemière
étape sur le chemin de la perdition: la c · wmduisant

66
lE TAROf: l.ES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

l'individu à ramener les choses à lui (comme le fait l'enfant).


Or cet instinct d'appropriation est certainement le principal
obstacle dans toute forme de démarche initiatique: la grâ ce
divine étant donnée librement et gratuitement. L'aspirant qui
cherche à se l'approprier s'en éloigne donc forcément.
En outre, si la coupe incarnait une ouverture au destin,
elle devient, sous sa forme maléficiée, une soumission dange­
reuse à l'esprit du monde qui infuse dans l'âme (symbolisée
par la coupe) ses valeurs factices. Tels des narcotiques et des
poisons, elles engendrent alors le sommeil et la mort. Aussi,
l'homme ainsi aveuglé n'exprime plus que des chimères et des
illusions symbolisées par le vin qui grise et qui saôule.
Quant à l'épée, elle n'évoque plus la vérité qui tranche,
mais une force de désorganisation et de destruction coupant
la réalité de son essence profonde (les deux tranchants de
l'épée correspondant toujours aux deux réalités sur lesquelles
s'exerce cette force destructrice: celle du corps et celle de
l'âme). Quant à sa garde jaune, elle nous indique que cette
force mortifère est mue par la puissance de l'ego (le jaune
maléficié incarnant, en effet, la réalité d'un ego replié sur lui­
même et reniant la suprématie de l'esprit).
Enfin, nous avons souligné que la baguette tenue par le
Bateleur illustrait la puissance créatrice résultant de
l'interaction féconde des deux polarités primordiales de l 'uni­
vers (les deux sphères, rouge et bleue, placées aux extrémités
de la baguette). Sous sa forme maléficiée, cette baguette in­
carne maintenant la puissance destructrice issue d'une oppo­
sition irréductible entre deux éléments devenus parfaitement
antagonistes (symbolisés par les deux sphères). La baguette
évoque alors cette opposition engendrant un véritable pro­
cessus de néantisation.
Par ailleurs, nous pouvons également considérer les ha­
bits du Bateleur dans leur dimension négative. A ce titre, nous

67
I.E BATEI.EUR

avons déjà précisé que le Bateleur porte un chapeau rouge


dont le large rebord vert est liséré de jaune. Sachant que la
tête symbolise négativement l'ego, ce chapeau nous indique,
sous sa forme pervertie, que la conscience du Bateleur, exclu­
sivement focalisée sur l'apparence extérieure des chose s
(symbolisme de la couleur rouge maléficiée), donne libre cours
à des pulsions perverses (symbolisme de la couleur verte malé­
ficiée) s'articulant autour d'une volonté purement égocentri­
que (le rebord est liséré de jaune, une couleur de l'ego).
Par ailleurs, le Bateleur porte une sorte de pourpoint
rouge orné d'une raie bleue en son milieu et d'un col bleu
liséré de blanc. Ce pourpoint nous apprend que son psy­
chisme, ouvert aux réalités extérieures (le rouge étant la cou­
leur de l'incarnation), est obnubilé par des chimères qu'il
nourrit en son for intérieur (symbolisées par la raie verticale
bleue, le bleu maléficié étant la couleur de l'illusion). En ce
sens, les cinq boutons du pourpoint (évoquant les cinq sens)
sont situés sur la raie bleue nous confirmant ainsi que saper­
ception du monde est empreinte de ses propres illusions.
Le col bleu liséré de blanc nous révèle, quant à lui, que
l'âme (le tronc) est totalement déconnectée de l'esprit (la
tête), le bleu étant la couleur par excellence de l'égarement.
En outre, cette déconnection est une expression du néant in­
térieur que l'individu a cultivé inconsidérément (symbolisme
du liséré blanc). Quant aux épaules jaunes, elles nous indi­
quent une inclination à conformer sa volonté (évoquée par les
épaules associées au siège de la volonté) à celle de l'ego
(dont la présence est suggérée par la couleur jaune). Les man­
ches vertes et bleues nous précisent en outre que l'action du
Bateleur se teinte des valeurs perverties de son coeur
(symbolisées par la couleur verte) et de ses illusions
(symbolisées par la couleur bleue). Les poignets rouges nous
indiquent que cette action est destructrice- Bnln. le Bateleur

68
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

porte un collant bleu qui recouvre ses jambes. Ceci nous ap­
prend que le corps (les jambes) se place dans une totale atti­
tude de déconnection ( évoquée par la couleur bleue) face aux
impulsions de l'âme (le tronc), elle-même déconnectée de
l'esprit (la tête).
Enfin, la fleur rouge encore en bouton évoque les pul­
sions perverties de l'âme qui s'épanouissent sous l'influence
de l'esprit du monde. En d'autres termes, elle incarne toutes
les valeurs illusoires et étrangères nourries par le Bateleur. Elle
est donc un emblème des perversions qu'il nourrit et déve­
loppe en cultivant un rapport déviant avec la matière.

69
LE TARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LAME II
LA PAPESSE

La lettre hébraïque: Beith.


La valeur numérique: 2.
Les éléments symboliques: Un femme mature assise sur un
trône. Elle porte la tiare papale, tenant en outre de sa main
gauche deux clefs et de sa main droite un livre entrouvert.
La dimension herméneutique: Renoncer aux revendications
de l'ego (symbolisme de la fonction sacerdotale) pour mieux
se mettre à l'écoute des impulsions de l'esprit (symbolisme de
la femme assise).
La dimension anagogique: S'ouvrir et accueillir la puissance
de l'esprit.
L'injonction: S'intérioriser et utiliser son intuition.
Les éléments à développer: La réceptivité, le sens de
l'accueil et la contemplation.

71
1.A PAPESSE

La Papesse

72
I.E TAROT: l.ES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETTRE BEITH

Du point de vue kabbalistique, la lame de la Papesse


cor­respond à la deuxième lettre de l'alphabet hébreu, la
lettre Beith, issue d'un ancien idéogramme représentant
une mai­son. Or il s'agit, sur un plan symbolique, d'une
image univer­sellement associée à la réception et à
l'incarnation de l'esprit. Dans la tradition biblique, le
symbole de la maison évoque d'ailleurs la création
elle-même. En ce sens, la lettre Beith est une évocation
privilégiée de l'incarnation. C'est sans doute pourquoi
nous retrouvons, dans de nombreuses traditions, un foyer
ou une ouverture centrale au ni veau des maisons. Ces
éléments indiquent le lieu où la puissance divine
s'incarne, structurant ainsi l'espace domestique selon des
règles précises pour que l'esprit s'y manifeste pleinement,
y apportant paix, bonheur et prospérité.
La maison à péristyle de l'époque classique
grecque, avec son patio central sur lequel s'ouvraient les
différentes pièces, en constitue un bon exemple. En effet, un
foyer y était dédié à Hestia ( dont le nom signifie « foyer
» ), déesse de la maison et de la famille, qui enseignait
aux hommes l'art de construire les maisons. Dans ce
foyer, considéré comme la source du bonheur pour toute
la communauté familiale, le feu ne d1-vait jamais s'étei.1dre
(on ne le faisait qu'en signe de deuil) car il était le
symbole de la puissance agissante de l'esprit. En
entrant ou en sortant de la maison, on saluait d'ailleurs
ce foyer avec une prière.
Ainsi, la lettre Beith évoque la création (ou, au niveau
de la nature humaine, la personnalité) qui accueille en son
sein la puissance divine pour qu'elle s'y incarne
pleinement (cette puissance façonnant, structurant et
alchimisant le monde ou l'individu pour l'amener
progressivement à sa réalisation su­prême).
73
LA PAPESSE

LENOMBRE2

D'un point de vue numérologique, la lame de la Pa­


pesse est associée au nombre 2. Or ce nombre évoque
l'émergence du monde s'extériorisant de sa source. En ce
sens, il est un reflet extériorisé du nombre 1. En tant que pre­
mière expression de l'unité, le nombre 2 (et à sa suite tous les
nombres pairs) fut donc associé par les anciens à la terre-mère.
Le livre de la sagesse de l'antique civilisation chinoise, le Yi­
king, nous précise d'ailleurs que les nombres impairs sont at­
tribués au monde céleste et les nombres pairs au monde terres­
tre. En ce sens, si le nombre 1 représente le père et le principe
masculin, le nombre 2 symbolise la femme (qui permet
l'incarnation du principe dont le père est porteur) dans ses
dimensions de mère, d'épouse et de fille. Ainsi, « le binaire est
plus particulièrement le nombre de la femme, épouse de
l'homme et mère de la société. ».1
Par ailleurs, si le nombre 2 suggère une émergence hors
de l'unité primordiale, il évoque également une notion
d'union, de communion ou de participation avec cette unité
primordiale. Ainsi, « c'est le nombre de la charité, de l'amour
partagé et des noces. ».2 En ce sens, il est intéressant de cons­
tater que si l'humanité s'est séparée de Dieu et a pénétré dans
le monde de la Chute par l'intervention d'une femme (Eve),
c'est également grâce à la présence d'une femme (Marie)
qu'elle se réconciliera avec Dieu, entrant ainsi dans un nouvel
ordre du monde. En effet, le Christ, Fils unique de Dieu, naquit
de Marie pour assurer l'établissement d'un monde nouveau.
1- Lévi, Eliphas, La clef des grands mys1'res, la Diffusion scientifique,
Paris, 1987.
2- Agrippa, Henri Corneille, La magie céleste, traduit et présenté par
Jean Servier, Berg international, Paris, 1981.

74
LE TAROT : LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LE NOM

Le dictionnaire nous précise que le terme « papesse » dé-


signe « une femme pape, selon une légende ».3 En effet, une
légende médiévale nous apprend qu'un pape de sexe féminin
aurait enfanté, au cours d'une procession entre l'église de
Saint-Clément et le palais de Latran. Scandalisé, le peuple
l'aurait alors lapidée. On aurait ensuite élevé une statue, à
l'endroit où elle aurait été tuée, portant une inscription dont
nous avons aujourd'hui trois versions: Petre Pater Patrum
Papissae prodito partum (Pierre, père des pères, sois favora-ble
à la délivrance de la Papesse); Parce Pater Patrum Papis-sae
prodere partum (Père des Pères, sois bienveillant envers la
Papesse dans ses couches); Papa Pater Patrum peperit Pa-
pissa papillam (le Pape, père des pères, étant papesse, a mis
au monde un petit pape).

En fait, ce personnage légendaire associe deux notions


apparemment étrangères: la féminité et l'autorité ecclésiasti-
que (traditionnellement réservée aux hommes). Toutefois, cet
antagonisme apparent est fort révélateur d'un point de vue
symbolique puisque la dimension féminine est associée à la
réceptivité. Quant à l'autorité ecclésiale, elle évoque l'idée
d'une guidance, le pape étant celui qui indique aux hommes les
volontés divines. Dès lors, le concept de papesse nous ap-prend
que, pour être guidé, l'homme doit s'ouvrir à la puis-sance
divine, une image déjà évoquée dans notre analyse por-tant sur
la lettre Beith. C'est pourquoi la papesse de la lé-gende était
enceinte, c'est-à-dire fécondée par la force mâle de l'esprit.
Elle mit alors au monde « un petit pape », la fonc-tion papale
ne pouvant être vécue qu'en éveillant en soi la réceptivité
féminine.

3- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.

75
LA PAPESSE

LA LAME DE LA PAPESSE

Description de la lame

Cet arcane met en scène une jeune femme assise, por­


tant une tiare formée de deux cercles d'or surmontés d'un
croissant de lune orienté vers le haut. Elle tient sur ses genoux
un livre entrouvert, sur lequel on aperçoit la figure du tao. De
sa main gauche, elle tient également deux clés, une en argent
et une en or. De plus, elle est vêtue d'une robe bleue recou­
verte d'un ample manteau rouge doublé de vert et liséré de
jaune. Un voile blanc tombe sur ses épaules lui recouvrant
totalement les cheveux. Enfit1, une étole blanche comportant
quatre croix est croisée sur sa poitrine.
Derrière la Papesse, un voile blanc doublé de jaune est
également tendu entre deux colonnes (une bleue et une
rouge). Assise sur un trône, elle pose le pied droit sur un cous­
sin vert, le pied gauche étant dissimulé par un pan de l'ample
manteau rouge qui retombe sur le sol pavé de dalles alternati­
vement blanches et noires. Enfin, les accoudoirs du trône re­
présentent deux sphinx, l'un noir et l'autre blanc. Toutefois,
seul le sphinx noir est visible, le blanc étant dissimulé par le
manteau.

Interprétation symbolique de l'arcane

Sur un plan symbolique, soulignons d'abord que la Pa­


pesse est assise. Or ce détail est très important puisqu'il évo­
que essentiellement une attitude de réceptivité. Cette posture
est d'ailleurs parfaitement en accord avec le symbolisme du
croissant de lune que l'on retrouve surmontant la tiare. En
effet, parce qu'elle capte les rayons du Soleil, la Lune est un
symbole par excellence de la réceptivité. Plus encore, comme

76
LE TAROT : LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

la Lune capte la lumière du Soleil, une représentation de


l'esprit, la Papesse incarne une ouverture aux plans intérieurs
dont le Soleil est un emblème consacré. A ce titre, la position
partic ulière du croissant de lune, orienté vers le haut, évoque
très clairement cette ouverture aux sphères célestes. Quant
aux deux cercles jaunes ornant la tiare, ils nous indiquent que
la conscience (symbolisée par la tête) est pleinement réceptive
à cette lumière de l'esprit (le nombre 2 étant un symbole de la
réceptivité) et qu'elle est aussi une matrice accueillant cette
force fécondante descendue du ciel (ce que représente sym­
boliquement la figure du cercle).
En se faisant matrice réceptive, la Papesse incarne éga­
lement une capacité à cultiver le lâcher-prise, renonçant ainsi
aux revendications de l' ego (du moi personnel) pour mieux se
mettre à l'écoute des impulsions de l'esprit. C'est ce que re­
présente le grand voile blanc dissimulant totalement sa che­
velure. En effet, les cheveux symbolisent traditionnellement le
r ayonnement et l'expression de l'identité personnelle. C'est
pourquoi « le fait d'avoir les cheveux coupés ras était, en
Chine, une mutilation, qui interdisait l'accès à certaines fonc­
tions. somme toute une émasculation. La coupe des cheveux
corresoondait non seulement à un sacrifice, mais à une reddi­
tion: c'était la renonciation - volontaire ou imposée - aux ver­
tus, aux prérogatives, finalement à sa propre personnalité. On
trouve trace de ceci non seulement dans le terrible scalp des
Indiens d'Amérique, mais aussi dans le fait qu'un peu partout
1 'entrée dans l'état monastique implique la coupe des che­
veux... ».4
En ce sens, le voile qui les dissimule nous indique claire­
ment une capacité à taire les revendications du moi personnel

4- Chevalier, Jean et Gheerbrant, Alain, Dictionnaire des Symboles,


Robert Laffont, Paris, 1982.

77
LA PAPESSE

pour mieux se mettre au service de l'esprit (de la divinité).


C'est d'ailleurs pourquoi les religieuses, ayant renoncé aux
prérogatives de leur personnalité pour servir Dieu, étaient
toujours voilées d'où l'expression « prendre le voile» pour
signifier l'entrée dans la vie religieuse. De même, le voile de la
mariée indiquait symboliquement le fait que la jeune épouse
ne s'appartenait plus et se plaçait désormais au service de son
époux. Plus encore, le fait que le voile était blanc nous con­
firmait cette renonciation aux valeurs de l'ego, le blanc ne
conservant rien pour lui en rayonnant toutes les couleurs
dans leur intégralité.
Dans la même perspective, la présence d'une étole blan­
che, croisée sur la poitrine de la Papesse, rappelle éloquem­
ment celle que le prêtre porte pour signifier qu'il a fait une
croix sur son moi personnel (qu'il y a renoncé) pour se consa­
crer totalement au service de Dieu. La couleur blanche de
l'étole nous précise alors que les grâces reçues du ciel doivent
être mises au service des autres (qu'elles doivent être rayon­
nées). Enfin, les quatre croix évoquent, quant à eJles, les qua­
tre éléments (la terre, l'eau, l'air et le feu), c'est-à-dire les qua­
tre aspects ontologiques ou « qualités fondamentales» de
l'être devenus pleinement réceptifs à la force divine.
Par ailleurs, la Papesse tient dans sa main gauche deux
clés. Sur un plan symbolique, les clés représentent le pouvoir
d'ouvrir ou de fermer. Au nombre de deux, elles nous préci­
sent alors que la conscience a désormais accès aux sphères
spirituelles (ouvertes par la clef or) et au plan matériel
(correspondant à la clef argent). Dans la tradition alchimique,
elles représentent également le pouvoir de coagliler le subtil
(la clef argent) et de dissoudre l'épais (la clef� lors, les
deux clés de la Papesse représentent sa capaç •• à percevoir
les mondes visibles et invisibles, mais pouvoir
d'incarner pleinement la puissance divine t•••• de coa-

78
l.E T ARŒ: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

gulation) tout en amenant le plan terrestre à participer aux


réalités divines (processus de dissolution ou de sublimation).
Outre ces clés, la Papesse tient également un livre en­
trouvert dans sa main droite. Or ceci nous indique qu'elle ac­
cède maintenant au coeur de la réalité. En effet, le symbolisme
du livre évoque dans la tradition judéo-chrétienne la nature
profonde des choses. A titre d'exemple, c'est une image du
coeur de l'aspirant. En outre, nous distinguons clairement sur
la couverture de ce livre une figure du tao, représentée par un
cercle divisé par une ligne sinueuse en deux moitiés égales:
une partie noire, le yin (l'aspect obscur, terrestre, négatif o u
féminin), et une partie blanche, le yang (l'aspect lumineux,
céleste, positif ou masculin). Dans cette étreinte, le Ciel se fait
Terre (processus de coagulation) et la Terre se fait Ciel
(processus de sublimation). En effet, la juxtaposition d'une
moitié noire et d'une moitié blanche n'illustre pas un antago­
nisme entre les réalités terrestres (le yin) et les réalités célestes
(le yang), mais implique, au contraire, une complémentarité
essentielle de l'un par rapport à l'autre (ce que souligne la
présence d'un centre obscur dans la partie yang et d'un cen­
tre clair dans la partie yin).
Plus encore, si le ciel et la terre, le yin et le yang, se pré­
sentent comme différents, cette différence est toute relative
puisqu'ils sont en fait l'expression d'un seul et même prin­
cipe. Toutefois, ce principe unique d'où procède toute chose
n'est pas visible. En effet, Dieu ne peut être ni perçu, ni conçu,
ni im aginé par l'homme. C'est pourquoi le Sepher ha Zohar le
désigne comme étant « le Mystérieux des Mystérieux» et
« l'inconnu des Inconnus». Sur l'arcane de la Papesse, ce
principe unique dont la compréhension ne peut être atteinte
que par la voie de la négation, est dissimulé derrière le voile
tendu entre les deux colonnes associées au trône (ce voile est
blanc, couleur du rayonnement, doublée de la couleur or,

79
LA PAPFSSE

trône (ce voile est blanc, couleur du rayonnement, doublée de


la couleur or, couleur de l'esprit).
Il ne faut pas cependant en conclure que le yin et le
yang sont illusion (une simple apparence): ils existent bel et
bien du point de vue phénoménal. A ce titre, la lame de la Pa­
pesse insiste sur l'existence objective de ces deux principes
qu'elle symbolise par la présence d'un dallage noir et blanc à
propos duquel Oswald Wirth écrit: « autour d'elle [la Pa­
pesse], un pavé aux dalles alternativement blanches et noires
donne à entendre que toutes nos perceptions subissent la loi
des contrastes. La lumière ne se conçoit que par opposition
aux ténèbres; le bien nous serait inconnu sans mal; nous ne
saurions apprécier le bonheur sans avoir souffert, etc. ».s
Notons également le symbolisme similaire des deux pans
de la robe de la Papesse reliés entre eux par une barrette jaune
nous révélant ainsi que les deux polarités primordiales consti­
tuant toute réalité sont indissolublement liées par 1a puissance
de l'esprit (la barrette jaune). Les deux colonnes, érigées der­
rière le trône de la Papesse, expriment elles aussi 1a réalité tan­
gible de ces deux polarités primordiales. Dans la tradition ma­
çonnique, elle représentent d'ailleurs le principe actif et mas­
culin (colonne de droite) et le principe passif et féminin (la
colonne de gauche). 6 A leur propos, Oswald Wirtb écrit en­
core: « Des deux colonnes, l'une est rouge et l'autre bleue. La
première correspond au Feu (Ardeur vitale dévorante, activité
5- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers duMoyen-,Jge,Le Symbolisme
et Emile Nourrey, Paris, 1927.
6- Précisons que les deux colonnes représentées sur l'an:ane sont mar·
guées par le nombre 3 (elles portent chacune trois brac:èlets et présen­
tent sur leur fronton l'image de la fleur de lys dont la 1ip est double el
les pétales triples). Ceci évoque l'image du temaiœ �eant de la
dualité, c'est-à-dire l'esprit pleinement manifest6 (&Ql,bolisme du
nombre 3) au sein de la matière (évoquée par le nom.. _,).

80
LE TARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

mâle, Soufre des alchimistes); la seconde se rapporte à l' Air


(souffle qui alimente la vie, sensibilité féminine, Mercure des
Sages). Toute la création découle de cette dualité fondamen­
tale: Père, Mère - Sujet, Objet - Créateur, Création - Dieu, Na­
ture - Osiris, Isis - etc. ». 7
Dans la même perspective, soulignons également la pré­
sence des deux sphinx ornant le trône de la Papesse. Ces
deux sphinx (un noir et un blanc) reprennent le symbolisme
des deux colonnes. Mais ce n'est pas l'unique raison de leur
présence: ils symbolisent en outre l'énigme que doit résoudre
l'humanité. En effet, le sphinx a pour principale fonction
d'amener l'aspirant à découvrir le sens de son existence. Tou­
tefois, seul le sphinx noir est visible, la question posée concer­
nant uniquement le problème de l'incarnation et de sa signifi­
cation.
Enfin, le personnage de la Papesse lui-même est très ré­
vélateur puisqu'il récapitule à lui seul tout ce que nous ve­
nons de préciser. En effet, cet être incarne essentiellement le
principe féminin (en raison du fait qu'il est une femme) mais il
évoque également le principe masculin auquel il est totale­
ment réceptif. En ce sens, nous avons affirmé que la Papesse
est un emblème privilégié de la création pleinement investie
par la puissance divine. Ainsi, elle incarne la puissance de
l'esprit (représentée par la robe bleue) qu'elle exprime sur le
plan terrestre (symbolisme du manteau rouge) en conformité
avec la volonté divine (le manteau rouge est liséré de jaune) et
par le biais privilégié des valeurs du coeur: celle de l'amour
(symbolisme de la doublure verte du manteau). De plus, en
accueillant la puissance divine, elle accède elle-même aux réa­
lités divines et s'y unit étroitement. Elle n'appartient donc
plus au monde profane mais elle est véritablement consacrée.

7- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, op. cit.

81
LA PAPESSE

Enfin, la Papesse pose le pied droit sur un coussin ven.


Or nous avons déjà précisé que le vert est une couleur étroi­
tement liée au processus de régénération. Quand au pied, il
représente symboliquement une capacité à s'investir sur le
plan terrestre. En ce sens, l'expression familière « avoir les
pieds sur terre » est employée pour désigner celui qui a plei­
nement conscience des dimensions matérielles de son exis­
tence. Au contraire, l'expression « perdre pied» s'emploie
lorsqu'un individu perd le contact avec la réalité qui
l'entoure. Plus encore, le pied droit évoque un investissement
positif et évolutif alors que le pied gauche indique une pers­
pective de régression (c'est pour cette raison qu'un adage
populaire affinne qu'il importe de se lever chaque matin du
pied droit).
Dès lors, en posant le pied droit sur un coussin vert, la
Papesse nous enseigne qu'en cultivant une attitude d'accueil
face à la puissance divine, toute action dans le monde s'inscrit
dans une dynamique d'élévation vers les plans subtils (le
coussin soulève le pied qui n'est plus en contact direct avec
le sol), contribuant ainsi à la régénération du monde. Quant au
fait que l'autre pied est dissimulé sous le pan de sa robe, cela
nous indique que la Papesse, placée dans une attitude de to­
tale disponibilité face à la puissance divine, se garde bien de
toute tendance à vouloir s'affirmer en tant que personnalité.

Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

En raison de sa position assise, la Papesse évoque tout


naturellement, sous sa forme maléficiée, l'immQbilisme et la
passivité. Elle incarne alors un état de torpeur et. fiJaertie ca­
ractérisant celui qui, s'étant coupé des forces �ues de
l'esprit, s'enlise progressivement dans une ;JU,tériorité
(symbolisée par le grand manteau rouge dontJ'll�œ,esse est

82
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

revêtue). Elle est donc un emblème de celui qui, se déconnec­


tant des réalités de l'esprit, est totalement indifférent aux di­
mensions supérieures de l'être, se focalisant exclusivement sur
le monde extérieur et se nourrissant de ses valeurs factices et
illusoires. C'est ce que représente le croissant de Lune sur­
montant la tiare. En effet, la Lune maléficiée indique une inca­
pacité à demeurer éveillée aux réalités véritables (à celles de
l'esprit), ce qui amène à se construire une vision erronée et
illusoire du réel.
Plus encore, cette inertie mortifère incarnée par la Pa­
pesse évoque également une incapacité à cultiver le lâcher­
prise pour mieux se mettre à l'écoute des impulsions de
l'esprit. En effet, si le grand voile blanc dissimulant sa cheve­
lure était un symbole de sa capacité à taire les revendications
de sa personnalité pour mieux se mettre au service de l'esprit
(de la divinité), il incarne ici l'ego fuyant la lumière de l'esprit
et évitant soigneusement toute confrontation directe avec
celui-ci afin de mieux assurer la pérennité de ses valeurs illu­
soires. Dans le soufisme, par exemple, une personne est dite
voilée « quand sa conscience est déterminée par la passion,
qu'elle soit sensuelle ou mentale, de telle sorte qu'elle ne per­
çoit pas la Lumière divine dans son coeur ». 8 En outre, nous
savons que le blanc évoque, dans sa dimension maléficiée, le
vide et le néant. Dès lors, le fait que le voile soit blanc nous
indique qu'en refusant de placer sa conscience à l'écoute des
impulsions de l'esprit, l'individu s'éloigne de plus en plus des
choses et des êtres incarnés, la réalité cessant peu à peu
d'exister par elle-même, en faisant progressivement place au
néant.

8- Burckhardt, Titus, Introduction aux doctrines ésotériques de l'Islam,


Lyon, 1955.

83
LA PAPF-SSE

Dans la même perspective, l'étole croisée sur la poitrine


de la Papesse ne signifie plus le renoncement aux valeurs de
1 'ego et la nécessité de redistribuer intégralement les grâces
reçues mais implique, au contraire, un repli sur soi (au risque
d'y demeurer prisonnier) ainsi qu'un détournement des grâ­
ces divines à son propre profit. En effet, l'étole rejoint ici le
symbolisme du lien qui ligote, enserre et retient. En outre, le
fait qu'elle soit blanche nous indique qu'en se repliant sur lui­
même, c'est dans son propre néant intérieur que l'individu
pénètre. Les quatre croix présentes sur l'étole évoquent tou­
jours, quant à elles, les quatre éléments (la terre, l'eau, l'air et le
feu), contribuant cependant à l'enfermement de l'âme
(représenté par le corps de la Papesse enlacé par cette étole).
Par ailleurs, nous avons vu que la Papesse tient deux clés
dans sa main gauche. Perçues dans leur dimension maléficiée,
ces clefs or et argent demeurent des outils permettant
l'ouverture de la conscience aux plans spirituels et matériels
mais la perception qui en découle n'est plus alors maîtrisée.
Ceci entraîne évidemment le développement d'un état de
confusion mentale, les deux niveaux de réalité étant eux­
même confondus. C'est ce que signifie le fait qu'elles sont
tenues dans la main gauche. En outre, le pouvoir de coagula­
tion et de dissolution qui s'y rattache fait en sorte que les réa­
lités spirituelles se trouvent enfermées dans une dimension
matérielle (évoquée par la clef argent) alors que les réalités
terrestres acquièrent illégitimement un caractère sacr é
(représenté par la clef or).
D'autre part, nous avons également précisé que la Pa­
pesse tient un livre à demi-ouvert. Sur un plan négatif, ceci
nous apprend que la perception qu'elle possède du monde
intérieur n'est pas fondée (elle n'a pas lu le livre) mais de­
meure une simple interprétation personnelle reposant sur u ne
perception illusoire de la réalité. En outre, nous avions noté la

84
LE TARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

présence d'une figure ésotérique dessinée sur sa couverture.


Perçue dans son aspect maléficié, la partie noire de cette fi­
gure, le yin (l'aspect obscur, terrestre, négatif ou féminin), et la
partie blanche, le yang (l'aspect lumineux, céleste, positif o u
masculin), deviennent deux réalités complètement antagonis­
tes, chacune cherchant à dominer l'autre pour ainsi tenter de
se l'assimiler: le ciel essayant de dissoudre la terre et la terre
cherchant à coaguler le ciel. C'est ce que renforce encore la
présence du dallage noir et blanc, de la tiare parée de deux
cercles d'or, des deux pans de la robe reliés entre eux par une
barrette et des deux colonnes, érigées derrière le trône. En ce
sens, cet arcane maléficié implique une notion d'aveuglement
et de limitation. En effet, se heurtant violemment à la contra­
diction, l'individu n'est plus alors en mesure de percevoir
l'unité immuable régnant en toute chose (cette unité étant
dissimulée derrière le voile tendu entre les deux colonnes).
Déchiré par ces redoutables ambivalences, il est alors divisé,
diminué, affaibli et limité.
Quant aux deux sphinx ornant le trône de la Papesse, ils
évoquent une notion d'ignorance: l'individu se focalisant
exclusivement sur les apparences extérieures (symbolisées par
le sphinx noir dans sa dimension maléficiée) en les érigeant
sous forme de vérité absolue sans discerner leur dimension
intérieure, leur essence profonde (évoquée par le sphinx blanc
que l'on ne voit pas). En outre, le principal piège du sphinx
consiste à croire que le sens de l'existence repose sur
l'homme lui-même. Or une telle survalorisation de la dimen­
sion humaine se fait toujours au détriment de Dieu et ceci en­
ferme alors davantage la conscience dans son cercle clos.
Quant au personnage lui-même, il est également très ré­
vélateur. En effet, la féminité évoque ici la matérialité de l'être
qui se substitue à la dimension spirituelle. La Papesse
s'approprie d'ailleurs, en tant que créature, un pouvoir qui est

85
LA PAPESSE

exclusivement réservé à l'esprit (symbolisé par l'homme). Dès


lors, elle devient une image de la personnalité investie par
l'esprit du monde, par le« Prince de ce monde». A ce propos,
nous pourrions même ajouter qu'elle incarne l'attitude de ce­
lui qui, se détournant des réalités divines (représentées par sa
robe bleue) et se focalisant sur l'extériorité du monde
(symbolisme du manteau rouge recouvrant presque totale­
ment la robe bleue), nourrit alors en lui des forces perverses
(symbolisées par la doublure verte du manteau) qui souillent
et empoisonnent son être.
Enfin, nous avons vu que la Papesse pose le pied droit
sur un coussin vert. Or, dans sa dimension maléficiée, le vert
évoque un processus de dégénérescence (c'est la moisissure
se formant sur toute substance organique qui n'est plus vivi­
fiée). Quant au pied droit, il évoque toujours une capacité à
s'investir sur le plan terrestre mais dans une perspective de
perdition. Dès lors, en posant le pied droit sur un coussin vert,
la Papesse nous enseigne qu'en se détournant des sphères de
l'esprit pour se focaliser sur l'extériorité du monde, l'individu
perd le contact direct avec la création, en tant qu'oeuvre di­
vine (par le coussin, le pied n'est plus posé sur le sol) et se
trouve alors sur une voie de dégénérescence. Quant au fait
que l'autre pied soit dissimulé sous un pan de sa robe, cela
nous indique que la Papesse s'investit dans le monde en tra­
hissant et en pervertissant la lumière de l'esprit (en a-t-elle
d'ailleurs conscience ?).

86
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LALAMEID
L'IMPERATRICE

La lettre hébraïque: Guimel.


La valeur numérique: 3.
Les éléments symboliques: Une jeune femme ailée et couron­
née, assise sur un trône et portant un sceptre.
La dimension herméneutique: Se laisser investir par les for­
ces célestes, l'âme (symbolisée par la jeune femme ailée) deve­
nant alors progressivement détentrice de la puissance et de
l'autorité de l'esprit (représentées par le sceptre et la cou­
ronne).
La dimension anagogique: S'harmoniser aux lois divines.
L'injonction: Penser et s'exprimer.
Les éléments à développer: La capacité à conceptualiser,
l'intelligence et l'accession à la connaissance.

87
L'IMPERATRICE

L 'Impératrice

88
I.E TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETTRE GUIMEL

Du point de vue kabbalistique, la lame de l'Impératrice


correspond à la troisième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre
Guirnel, issue d'un ancien idéogramme représentant le cou
d'un chameau. Or cet animal se caractérise par le fait qu'il
peut demeurer sans boire tout en traversant les terres arides et
sèches du désert. En effet, tout son organisme est conçu pour
emmagasiner d'importantes quantités d'eau et pour en limiter
la déperdition. Ainsi, sa température n'est pas aussi stable que
chez les autres mammifères. Elle subit des variations, s'élevant
aux heures de chaleur et s'abaissant la nuit, contribuant par là
àdiminuer la transpiration. En outre, l'absence totale de glan­
des sudoripares permet à l'animal de rester en plein soleil,
même au repos.
Sur un plan symbolique, ces caractéristiques sont fort in­
téressantes. Pour en saisir pleinement le sens, il faut savoir que
l'eau, en tant qu'élément primordial sur lequel toute vie re­
pose (nul autre lieu que le désert met aussi bien cela en exer­
gue), évoque symboliquement les ressources intérieures que
l'esprit (source de vie) met à la disposition de l'homme pour
qu'il puisse survivre en ce monde (le monde de la Chute), une
terre désolée et aride (privée d'eau, c'est-à-dire fermée aux
réalités spirituelles) dont le désert est une image particulière­
ment éloquente. Dès lors, le chameau devient le symbole
d'une capacité à extraire au plus profond de soi les ressources
spirituelles (l'eau), unique nourriture capable de nous susten­
ter véritablement et de nous conduire à notre pleine réalisa­
tion (réintégrer le Royaume des Cieux).
Ainsi donc, la lettre Guimel évoque une aptitude à se
nourrir sur un plan intérieur (celui de l'âme) en assimilant plei­
nement les ressources spirituelles symbolisées par l'eau.

89
L'IMPERATRICE

LENOMBRE3

D'un point de vue numérologique, la lame de


l'impératrice est associée au nombre 3. Or ce nombre repré­
sente ce qui permet à une réalité purement abstraite et subtil e
de se révéler sur un plan plus concret. Plus précisément en­
core, il évoque l'esprit qui se fait chair et devient nourriture
pour l'âme, lui permettant ainsi de se développ er et
d'atteindre sa pleine maturité. A ce titre d'ailleurs, le nombre 3
résulte de l'union du nombre 1 et du nombre 2. Or, nous
avons vu que le nombre 1 symbolise le père alors que le nom­
bre 2 évoque la mère ou l'épouse qui pennet l'incarnation du
principe dont le père est porteur. En d'autres tetmes, le nom­
bre 1 représente l'esprit, source de toute vie, alors que le nom­
bre 2 évoque l'âme tournée vers l'esprit. Dès lors, le nombre 3,
issu de l'union du 1 et du 2, représente l'âme investie et nour­
rie par les forces divines de l'esprit.
Dans les textes bibliques, nous retrouvons d'ailleurs
de nombreuses relations établies entre la nourriture spirituelle
et le nombre 3. En effet, le texte de la Genèse nous précise, par
exemple, que Dieu donna à l'homme « pour nour,rùure toute la
verdure des plantes. ».1 Or c'est précisément au troisième jour
que Dieu créa les plantes: « Dieu dit: "Que la terre verdisse de
verdure: des herbes portant semence et des arbies fruitiers
donnant sur la terre selon leur espèce des fruits aontenant leur
semence" et il en fut ainsi. La terre produisit de la enture: des
herbes portant semence selon leur espèce, des � donnant
selon leur espèce des fruits contenant leur sr....-ce. et Dieu
vit que cela était bon. Il y eut un soir et il y 0\1t matin: troi­
sième jour. ». 2

1- Genèse I, 30.
2- Genèse I, 11-13.

90
ΠTAROf: l.ES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LE NOM

L'impératrice désigne essentiellement « la femme d'un


empereur ». 3 Or, à la différence de l'empereur, elle ne détient
p as son pouvoir de droit divin. En effet, elle devient impéra­
trice par le fait qu'elle s'unit à l'empereur. En accomplissant
par la suite son rôle d'épouse (consistant essentiellement à se
soumettre à l'autorité de son époux et à le servir), elle est alors
amenée à ne plus focaliser exclusivement son attention sur
elle-même. Ceci lui permet donc de s'affranchir du cercle clos
de son ego et de participer ainsi pleinement à la nature de son
époux, étant alors désormais totalement investie des pouvoirs
impériaux.
Or, d'un point de vue symbolique, l'empereur repré­
sente la dimension divine (l'esprit). En effet, à l'image de Dieu
qui est un, l'empereur est unique (il jouit d'une autorité totali­
taire) et il donne la mesure de toute chose (c'est lui qui com­
mande et légifère). Quant à l'impératrice, elle évoque l'âme,
essentiellement caractérisée par sa dimension matricielle et
réceptive (polarité féminine). En effet, le rôle de l'âme est de
se rendre sensible aux impulsions de l'esprit (dimension récep­
tive) pour les coaguler (dimension matricielle) et leur permettre
ainsi de s'exprimer pleinement dans le monde. Dès lors, nous
pouvons dire qu'en se plaçant sous l'autorité de l'esprit
(symbolisé par l'empereur), l'âme (évoquée par l'impératrice)
se divinise progressivement par sa participation aux réalités
spirituelles. Aussi, c'est dans cette perspective que le fait
d'être sacrée impératrice confère à la souveraine l'accès au
trône sur lequel elle peut ensuite siéger dignement au côté de
l'empereur.

3- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.

91
L'IMPERATRICE

LA LAME DE L'IMPERATRICE

Description de la lame

Cet arcane met en scène une jolie femme blonde, au vi­


sage rond, représentée assise et faisant face à l'observateur.
Ailée et couronnée, elle est assise sur un banc de couleurs
blanche et or et elle est auréolée de douze étoiles (dont neuf
sont visibles). En outre, elle maintient fermement contre elle,
de la main droite, un écusson rouge frappé d'un aigle blanc
tandis qu'elle tient dans sa main gauche un sceptre.
Quant à sa tenue vestimentaire, elle porte une robe
rouge et une ceinture jaune (unie par un axe vertical à l'enco­
lure de même couleur) sous un ample manteau bleu doublé de
vert. Sur sa gauche, un lys blanc est pleinement épanoui. En­
fin, elle pose son pied gauche sur un croissant de Lune aux
pointes orientées vers le bas.

Interprétation symbolique de l'arcane

Sur un plan symbolique, il importe d'abord de préciser


que l'impératrice est assise au même titre que la Papesse. Or
nous avons vu que la position assise évoque la contemplation
et la réceptivité, deux notions confirmées d'autre part par la
présence d'un large manteau bleu. En effet, en tant que cou­
leur féminine (endothermique et centripète), la couleur bleue
évoque la passivité. Toutefois, cette passivité n'est qu'appa­
rente puisque la jeune femme est revêtue d'une belle robe
rouge (une couleur exothermique et centrifuge incarnant
l'action dynamique). En d'autres termes, si l'impératrice
adopte, sur un plan extérieur, une attitude apparemment pas­
sive se caractérisant davantage par une réceptivité contempla­
tive face aux valeurs du coeur (symbolisme de la doublure

92
I.E TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

verte du manteau), elle est cependant pleinement active sur les


plans intérieurs (sur ceux de l'âme). En outre, la présence
d'une ceinture jaune, unie par un axe vertical à l'encolure,
év oque le fait que cette activité intérieure, l'activité de l'âme
(symbolisée par le corps de !'Impératrice), est stimulée et nour­
rie par les réalités de l'esprit (associées à l'encolure) et non
par les réalités extérieures (correspondant au monde).
A ce titre, notons que l'impératrice est couronnée. Or
nous savons qu'en raison de sa forme circulaire, la couronne
év oque une participation à la nature céleste (le cercle ayant
toujours évoqué le monde de l'unique et conséquemment les
sphères de l'esprit). En ce sens, elle symbolise donc une capa­
cité à être pleinement réceptive aux impulsions de l'esprit.
C'est d'ailleurs pourquoi « les dieux se détournent de ceux
qui se présentent à eux sans couronne ». 4 Dans la même pers­
pective, les cheveux blonds de l'impératrice sont ondulés,
soulignant ainsi que son moi personnel (évoqué par les che­
veux) est non seulement focalisé sur les réalités spirituelles
(symbolisme des cheveux blonds, couleur de l'or incarnant
l'esprit), mais qu'il adopte également face à ces réalités une
attitude de souplesse et de malléabilité (représentée par les
ondulations de cheveux). En d'autres tennes, il n'est pas ré­
fractaire aux impulsions divines (ce que suggéreraient des
cheveux raides).
En outre, l'Impératrice est ailée. Or, sur un plan symboli­
que, les ailes symbolisent un affranchissement de la pesanteur
terrestre permettant de se libérer de l'emprise du monde d'en
bas p our s'élever vers les hauteurs célestes. Ainsi, Platon dé­
clare dans le Phèdre: « La fo rce de l'aile est, par nature, de
pouvoir s'élever et conduire ce qui est pesant vers les hau-

4- Cité dans Chevalier, Jean et Gheerbrant, Alain, Dictionnaire des


Symboles, Robert Laffont, Paris, 1982.

93
L'IMPERATRICE

teurs où habite la race des Dieux. De toutes les choses atte­


nantes au corps, ce sont les ailes qui participent le plus à ce
qui est divin. ». Plus tard, Denys l'Aréopagyte reprendra pres­
que mot pour mot ce commentaire de Platon: « L'aile symbo­
lise la promptitude à s'élever, le céleste, ce qui ouvre accès
vers le haut et, par l'ascension, le dépassement de toute bas­
sesse, la légèreté des ailes indique qu'elles n'ont aucun pen­
chant terrestre mais s'élèvent en toute pureté et sans poids
vers les sommets... ».5
Mises en rapport avec l 'Impératrice, la couronne, la che­
velure blonde et les ailes évoquent donc une aptitude à
s'ouvrir aux réalités divines. Dès lors, il apparaît que la puis­
sante activité intérieure à laquelle nous avons fait allusion
précédemment est en fait un intense travail de maturation au
niveau de l'âme, celle-ci intégrant les ressources spirituelles
auxquelles elle a désormais accès. C'est en ce sens qu'Oswald
Wirth écrivit: « notre pensée s'efforce en vain de plonger
dans l'Abîme sans fond des cosmogonies (Apsou des Chal·
déens); elle n'y perçoit qu'un chaos mental devant lequel
nous restons effarés, saisis de terreur religieuse et condamnés
au mutisme. Pour tirer notre esprit de la confusion, il lui faut
l'aide de l'impératrice du Tarot. ».6
Dans la même perspective, les douze étoiles entourant la
tête de l'Impératrice sont révélatrices. En effet, elles nous rap­
pellent de manière éloquente le cercle zodiacal composé des
douze signes représentant les douze modalités pimordiales
par lesquelles l'Esprit de Dieu se manifeste sur le plan terrestre
pour le féconder et lui apporter la vie. En ce se� les énergies
5- Denys l'Aréopagyte, La Hiérarchie Céleste, Les :Editmm du Cerf,
Paris, 1958.
6- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers duMoye11-4B1,;� Symbolisme
et Emile Nourrey, Paris, 1927.

94
I.E TARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

spirituelles nourrissant l'âme correspondent de manière privi­


légiée aux douze énergies zodiacales. Quant au fait que neuf
étoiles seulement soient visibles, ceci met en exergue le pro­
cessus d'incarnation et d'expression du principe divin
(associé au symbolisme du nombre 9). Ceci nous rappelle
également que le zodiaque est une manifestation plénière de
!'Esprit dans le monde. 7 Quant aux trois étoiles invisibles dis­
simulées derrière la tête de l'impératrice, elles font référence à
la trinité divine (les trois aspects de Dieu) qui demeure insai­
sissable bien qu'elle oeuvre de manière active dans le monde.
En ce qui concerne le lis blanc présent aux côtés de
l'impératrice, il confirme en quelque sorte ce que nous venons
de préciser. En effet, cette fleur a toujours symbolisé, dans la
tradition mystique, l'ouverture de l'âme permettant à Dieu de
la vivifier. Les paroles d'Angélus Silesius sont très explicites à
ce niveau: « Le fiancé de ton âme désire entrer; fleuris: il ne
vient pas que les lis ne fleurissent ». 8 Nous retrouvons cette
Dime image dans le Cantique des Cantiques où le fiancé
(symbolisant Dieu c'est-à-dire l'esprit) s'adresse à sa bien­
aimée (représentant l'âme) en ces termes: « Comme le lis entre

7- En effet, le nombre 9 est directement associé au processus de con­


crétisation du principe divin dans le monde d'en bas (le plan terrestre).
A cet égard, il est significatif de constater par exemple que l'Eglise
catholique recense neuf choeurs angéliques: les Séraphins, les Chéru­
bins, les Trônes, les Dominations, les Vertus, les Puissances, les Princi­
pautés, les Archanges et les Anges. Or, ces neuf choeurs angéliques,
que nous retrouvons également chez les gnostiques des premiers siècles
de l'ère chrétienne, sont autant d'intercesseurs qui permettent à Dieu
d'exprimer et de manifester pleinement sa volonté dans le monde in­
carné. En d'autres termes, ils remplissent la fonction d'intermédiaire,
pennenant à la lumière divine issue des plus hautes sphères célestes de
descendre jusqu'au plan terrestre et de s'y exprimer pleinement.
8� Silesius, Angelus, L'errant chérubinique, traduction de Roger Mu­
ruer, Arfuyen, Paris, 1993.

95
L'IMPERATRICE

les chardons, telle ma bien- aimée entre les ferrmes. ».9 C'e st
encore à ce symbolisme du lis que le Christ lui-même fit allu­
sion lorsqu'il déclara: « Observez les lis des champs, comme ils
poussent; ils ne peinent, ni ne filent. ». 10 Le lis symbolise donc
l'âme s'abandonnant à Dieu qui lui communique alors toutes
les ressources nécessaires à son développement.
Par ailleurs, l 'Impératrice tient dans sa main gauche u n
sceptre et entoure de son bras droit u n blason sur lequel est
représenté un aigle. Sur un plan symbolique, le sceptre est
« une verticale pure, ce qui l'habilite à symboliser d'abord
l'homme en tant que tel, puis la supériorité de cet homme établi
chef, enfin le pouvoir reçu d'en haut. Le sceptre de nos souve­
rains occidentaux n'est que le modèle réduit de la colonne du
monde que les autres civilisations assimilent explicitement à la
personne du roi ou de leur prêtre. ». 11 Il incarne donc le pou­
voir par excellence, mais un pouvoir fécond dans la mesure où
il est conféré par la divinité. L a tradition considère d'ailleurs le
sceptre royal comme la représentation d'une branche de l'ar­
bre de vie. Toutefois, le fait qu'il soit tenu par l'impératrice
dans la main gauche nous indique que ce pouvoir n'est pas
encore effectif et opératif: il demeure à l'état de potentialité.
Ceci nous est confirmé par son attitude. En effet, elle tient son
sceptre avec une certaine mollesse comme si son bras man­
quait de force pour en soutenir le poids et le tenir fermement.
Quant au blason, Oswald Wirth y voit « l'emblème de
l'âme sublimée au sein de la spiritualité ».12 Cette affinnation
lapidaire est remarquable car elle confinne bien tout ce que
9- Cantique des Cantiques II, 2.
10- Matthieu VI, 28.
11- De Champeaux G., Dom Sterckx S. (0. S. B. ), Introduction au
monde des Symboles, Paris, 1966.
12- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moye"'4t1, op. cit.

96
l.E TARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

nous venons de mettre en exergue à propos de ce troisième


arcane. Toutefois, il peut être intéressant d'étudier plus ex­
haustivement le symbolisme de l'aigle figurant sur le blason.
En effet, l'aigle était considéré dans les traditions anciennes
comme le seul animal capable de fixer durablement le Soleil.
C'est ce que souligne Louis Charbonneau-Lassay qui rap­
porte à propos de cet oiseau que: « toute l'antiquité professa
la croyance qu'il pouvait, seul avec le faucon, fixer longtemps
la lumière intense du soleil et qu'il éprouvait la légitimité de
ses petits en le leur faisant regarder bien en face dès leur nais­
sance, rejetant de son aire l'aiglon dont les yeux sourcillaient
sous les rayons éblouissants. ». 13 En d'autres termes, cet ani­
mal symbolisait une capacité de la conscience à s'orienter vers
les réalités de l'esprit (symbolisé par le Soleil) et de maintenir
durablement cette orientation.
Plus encore, Denys l'Aréopagyte ajoute que la figure de
l'aigle indique « l'ingéniosité à découvrir les nourritures forti­
fiantes, la vigueur d'un regard tendu librement, directement et
sans détour vers la contemplation de ces rayons, que la géné­
rosité du Soleil théarchique multiplie. ». 14 Or cette « ingénio­
sité à découvrir les nourritures fortifiantes» n'évoque-t-elle
pas les ressources que l'esprit met à la disposition de l'âme
lorsque celle-ci s'ouvre à lui ? Ainsi le blason récapitule en
quelque sorte tout le symbolisme de la lame. Précisons en ou­
tre que l'aigle est blanc sur un fond rouge. Ceci nous apprend
que cette capacité de la conscience à s'orienter vers les réali­
tés de l'esprit (évoquées par l'aigle) pour y découvrir les
nourritures fortifiantes (incarnées par la couleur rouge) sup-

13- Charbonneau-Lassay, Louis, Le Bestiaire du Christ, L. J. Toth Re­


print Milano, 1974.
14- Deny s l'Aréopagyte, La Hiérarchie Céleste, op. cit.

97
L'IMPERATRICE

pose un total renoncement aux revendications de l'ego


(symbolisme de la couleur blanche).
Ajoutons de plus que l'impératrice est assise sur un banc
blanc délimité par deux bandes jaunes horizontales et orné
d'une série de traits jaunes verticaux. Ce banc lui servant de
siège nous précise que l'expérience incarnée par l'impératrice
s'appuie sur le monde extérieur (symbolisé par l'horizontalité
du banc), considéré toutefois dans sa dimension sacrée
(évoquée par les bandes jaunes verticales). En effet, le banc
sur lequel elle se trouve assise est, au sens figuré, ce sur quoi
repose son action. L'impératrice dispose donc d'une vision
lui permettant de saisir la dimension spirituelle présente au
sein de chaque réalité (évoquée par les ttaits jaunes verti­
caux).
Enfin, elle est représentée de face, ce qui nous indique
qu'elle est pleinement engagée dans le présent En outre, elle
pose son pied gauche sur un croissant de Lune aux pointes
orientées vers le bas. A ce propos, Oswald Wirth écrit « Ainsi
est affirmée la domination sur le monde sublunaire où tout
n'est que mobilité, perpétuel changement et ttansformation
incessante. Par contraste avec ce domaine inférieur sur lequel
la Lune (arcane XVIII) ne répand qu'une clarté indécise et
fallacieuse, la sphère de l'Impérattice correspond aux Eaux
supérieures, océan lumineux où réside la suprême Sagesse.
Tout est fixe et immuable, puisque nécessairement par­
fait... ».15
Quant à nous, nous souhaiterions ajouter que si le c rois­
sant de lune est tourné vers le bas, c'est qu'il symbolise un
processus de concrétisation des forces divines, celles-ci étant
devenues pleinement tangibles et conséquemment pleinement
assimilables. En posant son pied sur ce croissant de lune,

15- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-4ge, op. cit.

98
lE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

l'impératrice évoque donc sa complète maîtrise du processus.


En outre, le fait qu'il s'agisse de son pied gauche nous indi­
que que la maîtrise de ce processus fait moins appel à sa capa­
cité d'extériorisation (symbolisme du côté droit) qu'à sa puis­
sance d'intériorisation (correspondant au côté gauche). Plus
encore, ce pied est jaune, nous révélant ainsi que cette capaci­
té a atteint sa pleine maturité (la couleur jaune étant celle de la
maturité).

Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Sous sa forme maléficiée, l 'Impératrice, au même titre que


la Papesse, évoque d'abord la staticité et l'immobilisme, deux
notions confirmées d'autre part par le fait qu'elle porte un
large manteau bleu. En effet, si le bleu évoque une certaine
réceptivité aux réalités intérieures, il incarne, dans sa dimen­
sion négative, un état de torpeur et d'inertie caractérisant tout
état de conscience déconnecté du réel et entretenu par des
forces perverses (symbolisées par la doublure verte du man­
teau) qui souillent et empoisonnent son être. Toutefois, cet
état de torpeur et d'inertie sur un plan extérieur dissimule une
activité fébrile sur le plan intérieur (ce que représente la robe
rouge dont l'impératrice est revêtue). Maléficiée, cette intense
activité intérieure n'est cependant plus stimulée et nourrie par
les réalités de l'esprit mais par celles du moi personnel
(correspondant à la sphère de l'ego). C'est ce que souligne la
présence de la ceinture jaune qui, unie par un axe vertical à
l'encolure de la robe, évoque le fait que cette activité inté­
rieure, l'activité de l'âme (symbolisée par le corps de l'impé­
ratrice) est littéralement ligotée par l'emprise aliénante des
pulsions égocentriques d'un moi personnel, encore totalement
replié sur lui-même.

99
L'IMPERATRICE

A ce titre, notons également que l 'Impératrice est cou­


ronnée. Or la couronne symbolise, sous sa fonne négative, la
fausse puissance, factice et superficielle, que l'ego octroie à la
conscience. En outre, les cheveux blonds ondulés de la sou­
veraine illustrent ici son instabilité. En effet, totalement récep­
tive aux valeurs que lui propose l'Esprit du monde,
!'Impératrice les adopte aveuglément au risque de sombrer
dans l'inconstance et la mouvance perpétuelle qui caractéri­
sent d'ailleurs les valeurs toujours très éphémères du monde.
D'autre part, les ailes maléficiées de l'impératrice incar­
nent ici un désir pervers consistant à vouloir forcer les portes
du ciel pour s'approprier les ressources spirituelles qu'il ren­
ferme. A ce titre, pensons à Icare qui se construisit des ailes
que son père fixa sur ses épaules avec de la cire. Malgré les
conseils qu'il reçut, Icare s'éleva de plus en plus haut et de
plus en plus près du Soleil. Grisé par les hauteurs vertigineu­
ses qu'il atteignait ainsi, il ne s'aperçut pas que la cire fondait
et il fut précipité dans la mer où il se noya. A propos de ce my­
the, Paul Diel propose une interprétation fort intéressante qui
illustre bien le symbolisme de l'Impératrice sous sa forme malé­
ficiée. En effet, à travers le personnage d'Icare, il perçoit le
symbole de « l'intellect devenu insensé ... de l'imagination
perverse; il [Icare] est une personnification mythique de la
déformation du psychisme, caractérisée par l'exaltation senti­
mentale et vaniteuse envers l'esprit... La tentative insensée
d'Icare est restée proverbiale pour une fonne de maladie de
l'esprit [entendons la conscience]: la folie des grandeurs, la
mégalomanie. ».16
Dans la même perspective, le cercle de douœ étoiles en­
tourant la tête de l 'Impératrice évoque toujours le cercle zo-
16- Diel, Paul, Le symbolisme dans la mythologie gr«qu,, Préface de
G. Bachelard, Paris, 1966.

100
I.E TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

diacal à travers lequel l'Esprit de Dieu se manifeste pour fé­


cond er le monde et lui apporter la vie. Toutefois, abordé sous
un angle perverti, il symbolise à nouveau cette volonté de for­
cer les portes du ciel (les douze portes du ciel symbolisées par
les douze étoiles). En d'autres tennes, il représente l'utilisa­
tion des sciences sacrées à des fins purement égocentriques.
Quant au fait que neuf étoiles seulement soient visibles, nous
avons vu que cela mettait en exergue le symbolisme du nom­
bre 9. Or, dans sa dimension maléficiée, ce nombre évoque
essentiellement un processus de déformation et d'aliénation.
Dès lors, nous retrouvons bien cette perversion des ressources
spirituelles qui, détournées au profit d'une conscience placée
sous le joug de l'ego, sont dénaturées. Quant aux trois étoiles
invisibles dissimulées derrière la tête de l'impératrice, elles font
référence aux trois modes privilégiés d'expression de l'ego
(l'avoir, le pouvoir et le valoir) à l'origine du processus de
dénaturation auquel nous venons de faire allusion.
Considérant d'autre part le lis blanc figuré aux côtés de
l'impératrice, il ne symbolise plus l'âme ouverte à l'Esprit,
mais l'âme esclave de l'Esprit du monde. Ayant accès à une
nourriture frelatée qui ne lui convient guère, elle végète alors
à l'image de la couleur blanche du lis incarnant le vide et la
mort. En effet, n'étant plus vivifié par l'esprit, l'être ressent de
plus en plus intensément une vacuité intérieure. La mytholo­
gie grecque nous précise d'ailleurs que c'est en cueillant un
lis que Perséphone fut entraînée par Hadès, épris d'elle, jus­
qu'à son royaume souterrain. La jeune fille qui incarnait la
joie de vivre devint alors la reine des morts, une femme frêle au
visage sinistre, grave et livide. Dans ce mythe, Hadès évoque
évidemment }'Esprit du monde qui a su éveiller en l'âme
(Perséphone) l'instinct d'appropriation et de possession (la
jeun e fille cueille le lis) par lequel il put avoir une pleine em­
prise sur elle.

101
L'IMPERATRICE

Par ailleurs, nous avons vu que l'Impératrice tient dans


sa main gauche un sceptre et entoure de son bras droit u n bla­
son sur lequel est représenté un aigle. Sous sa fonne maléfi­
ciée, le sceptre ne symbolise plus le pouvoir fécond conféré
par la divinité, mais un pouvoir stérile reçu de l'ego (ou de sa
projection extérieure: l'Esprit du monde). Dès lors, l'âme se
nourrit exclusivement des valeurs illusoires appartenant à
cette sphère de l'existence. D'ailleurs, le sceptre n'est pas te­
nu de manière verticale mais de biais. Quant au blason, l'aigle
y figurant devient le symbole privilégié du rapace cruel et ra­
visseur incarnant celui qui, animé par une cupidité insatiable,
ne songe qu'à posséder toujours plus afin d'accroître son
avoir, son pouvoir et son valoir. Le fait que cet aigle soit blanc
sur un fond rouge nous révèle en outre que cette cupidité in­
satiable (évoquée par l'aigle) vis-à-vis des richesses du monde
(incarnées par la couleur rouge) s'inscrit dans un processus de
néantisation (symbolisme de la couleur blanche).
Nous avons également précisé que l'impératrice est as­
sise sur un banc horizontal blanc délimité dans ses parties su­
périeure et inférieure par une bande jaune. Des traits verticaux
jaunes ornent également la totalité de sa surface. Cette parti­
cularité nous indique que l'impératrice s'appuie sur le monde
extérieur (symbolisme de l'horizontalité) conformément aux
valeurs de l'ego (symbolisées par les limites jaunes du banc),
ne percevant plus alors qu'une projection extérieure de ses
propres convoitises égoïques (évoquées par les traits verti­
caux jaunes).
Enfin, l'Impératrice est représentée de face pour nous
apprendre qu'elle suit entièrement les impulsions de son
corps. En effet, sa tête (incarnant la conscience) est orientée
dans le même sens que ses pieds (associés au corps). Plus en­
core, elle pose l'un de ses pieds sur un croissant de Lune aux
pointes orientées vers le bas. Or, sous sa fonne maléficiée, le

102
l.E TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

croissant de lune évoque un processus de cristallisation et


conséquemment de dénaturation. En posant un pied sur lui,
l'impératrice s'implique donc dans un tel processus. En outre,
le fait qu'il s'agisse du pied gauche nous indique qu'elle ne
contrôle pas cette action. En effet, elle est alors manipulée par
les for ces de l'ego, lui laissant croire qu'elle pourra ainsi ac­
croître son pouvoir. C'est ce que souligne d'ailleurs la cou­
leur jaune de son pied (le jaune maléficié étant étroitement
associé aux forces de l'ego).

103
l.E TARŒ: l.ES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LALAMEDD
L'EMPEREUR

La lettre hébraïque: Daleth.


La valeur numérique: 4.
Les éléments symboliques: Un homme solide et vigoureux,
assis sur un trône et portant les attributs de la souveraineté.
La dimension herméneutique: Oeuvrer sur le plan terrestre
(représenté par le trône) de manière positive, constructive e t
féconde conformément aux plans divins (symbolisme des at­
tributs de la souveraineté).
La dimension anagogique: Trouver l'esprit en chaque chose.
L'injonction: Concrétiser et organiser.
Les éléments à développer: Le sens de l'organisation, de la
direction et de la gestion.

105
L'EMPEREUR

L'Empereur

106
lE TARŒ: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETTRE DALETH

Du point de vue kabbalistique, la lame de !'Empereur


correspond à la quatrième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre
Daleth, issue d'un ancien idéogramme représentant un trian­
gle. Or, d'un point de vue symbolique, le triangle est essen­
tiellement associé au processus d'incarnation. Pensons, par
exemple, à cette image de l'oeil inscrit dans un triangle. On la
retrouve fréquemment positionnée au-dessus du maître-autel
des églises catholiques pour rappeler aux fidèles que Dieu est
continuellement présent et conscient dans notre monde terres­
tre. Ainsi, le triangle est tout naturellement associé à l'incar­
nation sur un plan matériel et au passage du monde de l'in­
créé vers le monde spatio-temporel.
Plus encore, le mot hébreu daleth signifie « porte ». Ceci
fait à nouveau référence au passage entre deux états ou deux
mondes. Le symbole de la porte a d'ailleurs toujours été très
important pour toutes les traditions initiatiques qui l'asso­
cièrent au lieu sacré permettant à l'homme de se retrouver au­
près de Dieu. Dans cette perspective, le chemin qui mène au
Saint des Saints conduisait toujours à des portes somptueuses
que le grand prêtre, seul, pouvait franchir. Conformément à
cette image traditionnelle, le Christ lui-même déclara à ses dis­
ciples: « Je suis la porte. Si quelqu'un entre par moi, il sera
sauvé ». 1 C'est d'ailleurs pourquoi une représentation du
Christ en gloire surmonte parfois la porte centrale des cathé­
drales.
La porte associée à Daleth permet donc à l'homme de
passer du monde profane (du monde illusoire issu de la Chute)
au monde sacré (à la création régénérée).

1- Jean X, 9.

107
L'EMPEREUR

LENOMBRE4

D'un point de vue numérologique, la lame de


!'Empereur est associée au nombre 4. Or ce nombre évoque
une ordonnance et une organisation du plan matériel dans le
respect des lois divines. En ce sens, et mis en rapport avec la
lettre Daleth, il incarne le processus par lequel la création se
restructure conformément aux plans divins, passant d'un état
profane (source de stérilité et de mort) résultant de la Chute, à
un état sacré (source de fécondité et de vie). A ce titre, notons
que le nombre 4 est, d'un point de vue purement numérologi­
que, issu de l'addition du nombre 1 et du nombre 3. Or, nous
avons déjà précisé que le nombre 3 représente le principe de
manifestation permettant à une réalité purement abstraite et
subtile de s'exprimer concrètement. Quant au nombre 1, il
symbolise l'esprit, source de toute vie. Dès lors, en tant qu'ad­
dition de ces deux nombres, le nombre 4 évoque l'univers
créé dans sa relation avec le monde spirituel.
Dans les textes bibliques, nous retrouvons d'ailleurs
ces mêmes éléments symboliques. Pensons, par exemple, à ce
passage du Lévitique: « La quatrième année tous les fruits en
seront consacrés dans une fête de louange à Yahvé. ».2 Or­
donnée et organisée selon les plans divins, la matière est alors
consacrée et se trouve pleinement vivifiée. De afme. Yahvé
déclare à Jéhu: « Parce que tu as bien exécuté ce qui m'était
agréable et que tu as accompli tout ce que j'avais dans le
coeur contre la maison d'Achab, tes fils jusqu'à !a quatrième
génération s'assiéront sur le trône d'Israël. ».3 Nqiga'etrouvons
une fois encore cette notion de fécondité pl'Q� ombre 4.

2- Uvitique XIX, 24.


3- 2 Rois X, 30.

108
LE TAROT: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

LE NOM

L'empereur désigne essentiellement« le chef souverain


d'un empire».4 A son propos, il importe de préciser qu'au
même titre que le roi, il assume sa charge de monarque en a
complissant la volonté divine et non son propre souhait . En
effet, dans les sociétés monarchique a-aditionnelles, le ouve­
rain ne gouverne pas en on propre n m mai au nom de Dieu
(c'est le pouvoir de droit divin . n c n , il n dirige pa en
vertu de e propr qualit · (c li inhérente à a nature
hwnaine), mai en 'appuyant ·ur d qualité divin dont
Dieu l'a inve ti pour n faire on repré entant. A ce titre, H.
Pinoteau écrit: < Le roi trè chrétien est l'image du Chri t ur
terre, de même que on lieutenant, comme tou le roi de
l'Antiquité; il repré ente Dieu ici-bas. ».5
C'est d'ailleurs pourquoi les oeuvre du monarque
constituent toujours une véritable source de bénédiction .
Ainsi, on croyait autrefois que, par sa seule présence, il assurait
la fertilité de la terre et la fécondité du bétail: « le roi produi­
sait, comme disent les anciens textes, la graisse du pays. ».6
De même encore, il était considéré comme un véritable thau­
maturge. A titre d'exemple, lorsqu'un sujet du roi de France
souffrait d'une grave maladie, il se rendait à Paris pour être
p&-i par le souverain et cela, à la recommandation même des
m6decins. En effet, à des moments précis de l'année, le roi re­
cevait les malades et procédait à un rituel permettant de les
p&ir.
4- Dffinition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.
S... Pinoteau, H., Quelques réflexions sur l' oeuvre de Jean du Tillet et la
l,Ja/,oliqiu royale française (Archives héraldiques suisses 1956).
• De Sorval, Gérard, Initiation Chevaleresque et Initiation Royale
"""6 la spiritualité chrétienne, Dervy-Livres, Paris, 1985

109
L'EMPEREUR

LA LAME DE L'EMPEREUR

Description de la lame

Cet arcane met en scène un homme apparemment so­


lide et vigoureux, portant une barbe brune. Noble et fa, il est
assis, les jambes croisées, sur un trône cubique jaune orné
d'un aigle noir. Il tient dans ses mains les attributs de la sou­
veraineté: un sceptre imposant terminé par trois folioles en
forme de lis et un globe vert surmonté d'une croix..,
De plus, il porte sur sa tête un casque de guerrier dont
le sommet se termine par quatre pointes. Le buste,.,et,Jes épau­
les sont recouverts d'une cuirasse sur laquelle les�les de
la Lune et du Soleil apparaissent au niveau de la�. En­
fin, il est revêtu d'un collant rouge et porte tehausses
bleues. Une fleur rouge s'épanouit à ses pieds.

Interprétation symbolique de l'arcane

Sur un plan symbolique, il importe d'


que l'Empereur est assis. Nous avons déjà
reprises que cette position évoque une
Mise en rapport avec la personne de l 'Em
cependant synonyme d'inaction, mais elle é
grande réceptivité, soulignant ainsi qu'il aa
se plaçant à l'écoute de Dieu. En effet, le so
verne pas en son propre nom mais au nom
ministre de Dieu, il contribue donc à la
divins. Aussi, il oeuvre activement
l'humanité (la création) du monde profane
au monde sacré (le monde régénéré). En faiti
symboliques s'articulant autour de ce g
font que confinner et préciser cette actioa

110
l.E TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

une dynamique de rédemption attachée à la personne de


! 'Empereur.
A ce titre, le trône sur lequel il est assis est très certaine­
ment l'un des symboles confirmant le mieux ce que nous ve­
nons d'affirmer. En effet, de forme cubique, il évoque sans
équivoque la matière, le carré (d'où procède le cube) étant le
symbole de l'univers créé. La présence d'un aigle ornant
l'une des faces de ce cube évoque en outre l'union retrouvée
entre la création (le cube) et son Créateur (Dieu), c'est-à-dire
la terre régénérée. En effet, sur un plan symbolique, nous
avons vu, dans notre étude portant sur la troisième lame (celle
de l'impératrice), qu'en raison de sa capacité à fixer le Soleil,
l'aigle est étroitement associé aux réalités divines. Plus encore,
la couleur or du cube est une image éloquente de la création
rénovée qui, investie par la puissance divine, rayonne désor­
mais pleinement la lumière. En ce sens, l'or a toujours été con­
sidéré comme un symbole de la lumière céleste et de la perfec­
tion. Les icônes du Bouddha sont d'ailleurs toujours dorées
pour évoquer son illumination et son absolue perfection.
D'autre part, le souverain tient dans sa main gauche une
sphère surmontée d'une croix. Cette sphère représente une
fois de plus l'union retrouvée entre la création (le globe ter­
restre) et son Créateur (la croix). En effet, il s'agit d'un sym­
bole évoquant la régénération de la terre. Notons d'ailleurs
que la sphère est verte et nous savons que le vert est un sym­
bole de rénovation et de régénération. Dans la même perspec­
tive, le cercle rouge entourant la sphère verte surmontée
d'une croix évoque le sang versé par le Christ sur le mont
Golgotha. Pénétrant la terre, il la régénéra alors en rétablissant
son unité avec le ciel. Toutefois, le monarque tient cet objet de
la main gauche, nous indiquant que cette « terre de délices »
n'est pas encore pleinement réalisée (ce qu'évoque le côté
gauche).

111
L'EMPEREUR

Outre cette sphère surmontée d'une croix, l'Empereur


tient également un sceptre de sa main droite. Or, d'un point de
vue kabbalistique, le sceptre incarne la puissance qui résulte
du respect des lois divines. Tenu dans sa main droite (main
associée à l'action dynamique), il incarne donc Je pouvoir
d'oeuvrer en agissant en adéquation avec les lois divines. En
ce sens, il évoque donc à nouveau l'idée d'une rénovation de
l'homme et de la création. En outre, le fait qu'il se termine par
trois folioles en forme de lis nous indique que la puissance
dont !'Empereur est vecteur agit au niveau des trois dimen­
sions de l'être (le corps, l'âme et l'esprit) restaurant ainsi leur
indissociable unité. A propos de ce sceptre, Oswald Wirth
ajoute encore que « le croissant lunaire inséré près de la poi­
gnée promet une irrésistible domination sur tout ce qui est
instable, mouvant, capricieux ou "lunatique", selon le terme
consacré en astrologie ou en hennétisme. Ce qui est fixe et
immuable exerce une action déterminante sur toute substance
inorganisée, dont l'état reste vague ou flottant (lonaire). ».7
En d'autres termes, la présence de ce croissant lunaiœ évoque
le pouvoir organisateur (et conséquemment rég6âlateur) de
l'esprit (immuable) sur la création mouvante �e n'est
pas encore accomplie).
Quant à !'Empereur lui-même, bien qu'il
trône, il n'est cependant pas dans son palais.
trône est posé à même le sol. Or cet élément•
car il accentue le fait que l'action de rénovati
s'opère pas au sein d'un espace délimité. En
cieuse soit-elle, la salle du trône demeure i-.·
cette limitation disparaît totalement sur la
et l'horizon s'étend alors devant lui. Eli
7- Winh, Oswald, Le Tarot des imagiers du M.
et Emile Nourrey, Paris, 1927.

112
lE TARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

!'Empereur acquiert ainsi une portée universelle: elle concerne


la création toute entière.
Précisons également que !'Empereur ne possède pas de
couronne mais un casque de guerrier. Or, cette coiffure évo­
que une force de combativité lui permettant d'agir, de se
mouvoir et d'avancer en dépit des forces naturelles de
l'inertie. En d'autres tennes, elle nous indique qu'il est un
combattant et qu'il s'investit de manière dynamique et active
dans le monde comme le rappellent les quatre pointes ornant
le sommet de son casque. 8 En fait, nous comprenons qu'à
l'image du Christ et des apôtres, l'Empereur mène une guerre
contre les forces régressives de l'involution afin d'accomplir
les desseins divins en amenant la création à sa régénération.
En ce sens, il incarne !'Ouvrier des évangiles « car il sait tra­
vailler en exécutant le plan du Grand Architecte de
l'Univers ». 9
Dans la même perspective, la cuirasse qu'il porte évoque
également la force de combativité dont il est investi. En outre,
elle protège sa poitrine qui représente, selon Denys l'Aréopa­
gyte, le siège de l'irascibilité. Or il ne s'agit pas ici de l'irascibili­
té au sens péjoratif du terme, mais bien de l'élan courageux
engagé dans la lutte contre le mal. La cuirasse, rempart inex­
pugnable, permet donc à cet élan de se focaliser et de se con­
centrer pour combattre les forces régressives. Les symboles de

8- Déjà aux temps présocratiques, la matière était considérée comme


�t essentiellement ordonnée autour d'un schéma quaternaire: la
terre, l'eau, l'air et le feu, comme l'illustre cet ancien adage grec: « Ap­
prends d'abord les quatre racines de toutes choses: Zeus qui brille
[Feu], Héra vivifiante [Terre], Aidôneus [Air] et Nestis [Eau]. ». Ces
quatre éléments correspondaient alors aux quatre aspects ontologiques
de la matière en incarnant ses « qualités fondamentales » soient le sec,
l'humide, le chaud et le froid.
9- Winh, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, op. cit.

113
L'EMPEREUR

la Lune et du Soleil apparaissant au niveau de la poitrine nous


révèlent enfin que ce rempart constitué par la cuirasse est issu
d'un rapport de communion intime que l'Emperem a su réta­
blir entre son âme (la Lune) et son esprit (le Soleil).
Par ailleurs, la barbe brune du souverain nous confmne
éloquemment son investissement sur le plan matériel (le brun
évoquant le plan terrestre). Plus encore, le fait qu'il soit revêtu
d'un collant rouge vient à nouveau appuyer cette assertion.
En effet, les jambes évoquent une capacité à participer plei­
nement aux réalités matérielles ( elles permettent à l'homme de
se mouvoir et de se déplacer). Le fait qu'elles soient rouges
nous révèle donc que cette capacité est pleinement dynamisée
et opérative (le rouge étant la couleur de l'action et de
l'expression). Toutefois, en portant des chausses bleues,
!'Empereur nous indique qu'en participant pleinement aux
réalités matérielles, il demeure toutefois étroitement œlié à son
essence profonde (la couleur bleue évoquant les alités de
l'esprit).
Enfin, une fleur rouge s'épanouit à ses pieds. Cette fleur
est identique à celle qui se trouvait aux pieds du Bateleur.
Cependant, elle est maintenant totalement épano•. A propos
de son symbolisme, nous avions dit qu'elle évoquait 1es quali­
tés et les vertus de l'âme s'épanouissant sousi'Wluence de
l'esprit. Mise en rapport avec !'Empereur, elle so,1iane donc
que les vertus de son âme sont maintenant ploibelaent épa­
nouies et qu'elle peuvent être placées au �l'oeuvre
à laquelle le souverain s'est engagé.

Interprétation symbolique de l'arcane

Sous sa forme maléficiée, l'Emperem


verain perverti qui, en rupture complète av,
che à ordonner la création selon sa propre

114
lE TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

ego aveuglé par l'Esprit du monde). Or en voulant ainsi gou­


verner en vertu de ses propres pulsions égocentriques, il en­
gendre nécessairement une scission profonde entre la création
et son Créateur. En effet, s'écartant des desseins du Grand
Architecte de l'Univers, la création se dénature et s'appauvrit
alors rapidement, ne pouvant plus bénéficier de la fécondité
résultant de son union avec les sphères divines Oes portes du
ciel demeurant totalement closes).
A ce titre, nous avons déjà souligné que !'Empereur est
assis. Or, si la position assise évoque, nous l'avons vu, une
passivité en tant que réceptivité à la divinité (dont le monar­
que est le ministre), elle incarne, sous sa forme maléficiée, une
réceptivité assujettie au joug de l'Esprit du monde. Ainsi,
!'Empereur n •est plus investi par les forces divines, mais pos­
sédé par les forces régressives de l'involution, faisant de lui un
agent privilégié pour accomplir de ténébreux desseins. En
effet, il cherche alors à éloigner progressivement la création de
son Créateur afin de se l'approprier. A un autre niveau, cette
passivité peut aussi évoquer un immobilisme mortifère entraî­
nant un refus de participer activement à la vie du royaume. En
ce sens, !'Empereur assiste, totalement passif, au déroulement
de l'existence, rivé sur son trône qu'il n'ose plus quitter.
Nous retrouvons cette notion d'inertie dénoncée précédem­
ment dans la parabole des talents. Quoi qu'il en soit, dans les
deux cas, !'Empereur participe au processus de dénaturation
de la création et tous les éléments symboliques s • articulant
autour de ce quatrième arcane ne feront que confirmer et pré­
ciser cette notion.
Etudions, par exemple, l'apparence de son trône. Il est
tout d'abord de couleur jaune. Or, dans sa dimension maléfi­
ciée, le jaune représente la fausse richesse du monde qui, cou­
p6e de sa source, n'est qu'une simple apparence:« tout ce qui
bille n'est pas or». En outre, sa forme cubique évoque ici le
115
L'EMPEREUR

processus de cristallisation de la matière (le cube étant la


forme la plus simple de cristallisation). A la lumière de ce qui
précède, le trône maléficié représente donc l'univers établi
dans une forme définie ( celle que l'Esprit du monde lui a attri­
buée) et conséquemment incapable de s'ouvrir au Tout-Autre
(à Dieu). Quant à l'aigle qui apparaît sur le trône, il devient le
rapace cruel et ravisseur, emblème de celui qui, animé par une
cupidité insatiable, ne songe qu'à s'approprier la création en
lui imposant sa propre volonté. En ce sens, Oswald Wirth
ajoute: « cet oiseau rapace se rapporte aussi à l'égoïsme, gé­
nérateur de toute individualité ».1° Evidemment, il personnifie
!'Esprit du monde dont l'Empereur est devenu un suppôt.
Dans ce même ordre d'idées, la sphère surmontée d'une
croix que !'Empereur tient dans sa main gauche évoque la
prise de possession ou encore l'annexion pure et simple de la
création (le globe terrestre), en dehors de toute considération
pour les lois divines, dans le but de satisfaire ses besoins égoï­
ques. La couleur verte de la sphère symbolise alors la terre
dénaturée et pervertie. En effet, si le vert a toujours été con si­
déré comme une couleur étroitement liée au processus de ré­
génération, il devient tout naturellement, sous sa fonne maléfi­
ciée, un symbole de la perversion et de la dégénérescence.
Quant au cercle rouge entourant la sphère verte, il n'évoque
plus le sang rédempteur du Christ, mais le sang issu du meurtre
et de la guerre, c'est-à-dire de toutes les oeuvres de violence
et de destruction.
De plus, le sceptre tenu par ( 'Empereur s' apparente, sous
sa forme négative, à la baguette maléfique utilisée par les sor­
cières pour ensorceler et transformer les princes en des êtres
inférieurs (pierres, végétaux ou animaux). En effet, nombreux
sont les contes médiévaux où un prince est ollaagé en cra-

10- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moye,a�,pp. cit.

116
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

paud à l'instant même où une sorcière le frappe d'un coup de


baguette magique. Sur un plan symbolique, la sorcière repré­
sente alors une projection extérieure de l'ego ou de !'Esprit
du monde qui, chosifiant les êtres et les choses, les cristallise
sous une apparence moribonde. Elle prive donc la création et
les créatures des pouvoirs et des facultés que le Créateur leur
a originellement conférés. En effet, le prince des contes, méta­
morphosé en crapaud, perd alors toute autorité. Lui, qui devait
un jour gouverner le monde, est réduit à n'être qu'un petit
animal hideux dépourvu de tout moyen d'action. En outre, le
fait que le sceptre de !'Empereur se termine par trois folioles
en fonne de lis nous indique qu'il asseoit sa puissance sur les
trois valeurs privilégiées par l'ego: l'avoir, le pouvoir et le
valoir. Quant au croissant lunaire à la base du sceptre, il évo­
que le pouvoir de cristallisation (incarné par la Lune sous sa
fonne maléficiée) exercé par l'ego.
A propos de !'Empereur lui-même, nous avons déjà sou­
ligné qu'assis sur son trône, il n'est cependant pas dans son
palais. En effet, son trône est posé à même le sol et nous avons
précisé que cela évoque la portée universelle de son oeuvre.
Sous sa forme négative, cette précision demeure toujours
vraie: l'oeuvre de perversion et de dégénérescence qu'il in­
carne ne s'opère pas dans un espace limité, mais s'étend à la
création toute entière. C'est l'image de la pomme pourrie con­
taminant toutes les autres.
A un autre niveau, nous avons également constaté que
l'Em pereur porte une cuirasse. Or, sous sa forme maléficiée,
elle évoque l'état d'aliénation et de cristallisation de son âme.
En outre, les symboles de la Lune et du Soleil apparaissant au
niveau de la poitrine nous révèlent que cet état est engendré
et nourri par un rapport étroit établi entre l'ego (représenté
par le Soleil) et l'âme (évoquée par la Lune). De plus,
l'Empereur ne possède pas de couronne, mais un casque de

117
L'EMPEREUR

guerrier. Evoquant la notion de combativité, ce casque repré­


sente ici le caractère dévastateur de celui qui, se plaçant sou s
l'influence des forces régressives de l'involution, nie à la c réa­
tion toute dimension sacrée, la pillant allègrement et sans
scrupule pour ses propres besoins égocentriques.
Plus encore, le fait qu'il soit revêtu d'un collant roug e
confirme cette assertion. En effet, nous avons souligné précé­
demment que les jambes évoquent une capacité à s'investir
sur le plan matériel. Le fait qu'elles soient rouges nous révèle
donc que cette capacité s'inscrit dans une perspective de des­
truction (le rouge maléficié évoquant la violence et la brutali­
té). En outre, en portant des chausses bleues, l'Empereur nous
indique que cette activité de destruction tire .son origine
d'une déconnection vis-à-vis de la réalité en tant qu'oeuvre
de l'Esprit (la couleur bleue évoquant l'illusion). L'Empereur
devient donc un agent de destruction par excelloDœ et la
barbe brune qu'il porte évoque son inclination à se vautrer
dans la fange de sa terrestrité.
Enfin, à propos de la fleur rouge qui s'épàaouit à ses
pieds, nous avons dit qu'elle illustre les vertus de l'ime main­
tenant pleinement épanouies. Dès lors, dans sa dilJWISion ma­
léficiée, elle incarne toutes les perversions de l'lme nourries et
développées en cultivant un rapport déviant avec la matière.
Ayant atteint leur pleine maturité, elles contribuent alors acti­
vement au processus de dégénérescence amotoé au sein de la
création.

118
l.E TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LAME V
LE PAPE

La lettre hébraïque: Hé.


La valeur numérique: 5.
Les éléments symboliques: Un homme âgé portant une tiare
et tenant dans sa main gauche une croix à trois traverses. De
sa main droite, il bénit deux jeunes moines.
La dimension herméneutique: Se conformer à l'autorité de
l'esprit (symbolisme des attributs de la papauté) et recevoir en
conséquence le pouvoir d'éveiller l'essence spirituelle d'un
être ou d'une chose (symbolisme de la bénédiction).
La dimension anagogique: Eveiller en soi la volonté divine.
L'injonction: Avoir la foi et la transmettre.
Les éléments à développer: La capacité à aider, l'aptitude à
guider et le respect de l'autorité.

119
LE PAPE

Le Pape

120
lE TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETIRE HE

Du point de vue kabbalistique, la lame du Pape corres­


pond à la cinquième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre Hé,
issue d'un ancien idéogramme représentant une fenêtre. Or, la
fenêtre est « une ouverture faite dans un mtrr, une paroi, pour
laisser pénétrer la lumière et l'air ». 1 Sachant en outre que la
lwnière et l'air symbolisent différemment la puissance divine,
elle incarne dès lors l'espace par lequel cette force (c'est-à­
dire la grâce) entre en l'homme pour l'investir et l'illuminer.
C'est d'ailleurs dans cette perspective que Sicard de Crémone
écrivit: « Les fenêtres qui protègent des tempêtes [pluie, froid,
vent] et font entrer la lumière sont les docteurs qui résistent
aux troubles des hérésies et répandent la lumière sur les fidèles
de l'Eglise. ». 2
Toutefois, si une fenêtre laisse pénétrer l'air et la lumière,
elle leur permet également de s'extérioriser hors de la maison.
En d'autres termes, évoquant l'ouverture de la conscience
(représentée par la maison) à une pénétration de la puissance
divine qui l'illumine (symbolisme de la lumière) et la vivifie
(symbolisme de l'air), la fenêtre évoque également un espace
de rayonnement permettant à l'aspirant de ne pas conserver
pour lui les grâces célestes reçues en les transmettant, au con­
traire, à tous ceux qui l'entourent, les faisant ainsi participer à
leur tour aux réalités de l'esprit.
Dans cette perspective, la lettre Hé représente l'ouver­
ture à la force divine et son rayonnement permettant la trans­
mutation de l 'être et son retour vers la divinité par un proces­
sus de vivification et d'illumination.

1- Définition extraite du Petit Robert, Paris, édition 1985.


2- Sicard de Crémone, Mitrale seu de officiis ecclesiasticis summa, Pè­
res Latins, 213.

121
LE PAPE

LE NOMBRES

D'un point de vue numérologique, la lame du Pape est


associée au nombre 5 qui incarne fondamentalement la force
de rectification par laquelle l'aspirant peut harmoniser chaqu e
facette de son être à la grâce céleste. C'est d'ailleurs dans
cette perspective que saint Augustin associait les cinq livres
du Pentateuque à la continence et au perfectionnement des
cinq sens. En outre, en incarnant une force de rectification, ce
nombre évoque la puissance et l'éveil de l'essence ,divine. En
ce sens, le pharaon était, en Egypte ancienne, deté de cinq
noms lors de son intronisation (c'était la cérémcwe de la titu­
lature). Ceci démontrait à son peuple qu'il ét4il parvenu à
éveiller la dimension divine (celle de l'esprit)� aupa­
ravant latente au plus profond de son être.
A ce titre, le nombre 5 résulte, sur un
numérologique, de l'addition du nombre 3 et d
nous avons déjà précisé que le nombre 3 évoq'"""'.,!"11;1,...-
fait chair et qui s'exprime tangiblement au seini'.4lfl!Ma.
Quant au nombre 2, il représente la mère ou r
cipe féminin, et d'une certaine manière l'
Dès lors, le nombre 5 issu de l'union du 3 et
processus par lequel Dieu investit l'âme
puisse s'élever vers les sphères divines et s'
l'Esprit. C'est d'ailleurs pourquoi Elipha&
pertinemment à propos de ce nombre qu
religieux car c'est le nombre de Dieu ri
femme ».3

3- Lévi, Eliphas, La Clef des Grands Mystba,


que, Paris, 1987.

122
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LE NOM
Le pape est « l'évêque de Rome, chef de l'Eglise
ca­tholique romaine ».4 Plus précisément, il est le successeur
de saint Pierre à qui le Christ déclara « Eh bien ! moi je te
dis: Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et
les portes
de !'Hadès ne tiendront pas contre elle. ». 5 Or cette image de
la pierre utilisée par le Christ est fort intéressante. En effet,
dans de nombreuses civilisations, elle est le symbole du
pou­voir divin (à titre d'exemple, c'est de la pierre que
l'homme fit jaillir le feu pour la première fois). L'allusion à la
pierre évoque donc non seulement la stabilité et la solidité de
l'apôtre choisi, mais également le pouvoir spirituel dont
Pierre et ses succes­seurs disposent pour mener à bien cette
entrepri se. Ainsi, le pape est investi du pouvoir de
transmettre les grâces et les bénédictions afin de conduire les
hommes (dont il a la charge) à s'éveiller aux réalités de
l'Esprit en les guidant sur le sentier menant à la réintégration
des sphères divines (au Royaume des Cieux).
En ce sens, nous pourrions dire que si le monarque
(empereur ou roi) a la charge de veiller sur les corps, le pape a
la charge de veiller sur les âmes, les amenant peu à peu à
s'ouvrir aux réalités divines et à y participer pleinement.
Aus­si, c'est lui qui organise et réglemente le culte divin, le
pouvoir civil n'ayant aucune compétence pour le faire. En
effet, dès qu'il a accepté son élection et avant même qu'il
ne soit cou­ronné, l'élu a, de droit divin, juridiction
universelle, ordinaire et immédiate sur toute l'Eglise et sur
chaque fidèle. Il devient ainsi celui auquel tous les fidèles
peuvent immédiatement dé­férer leurs causes.
4- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.
5- Matthi eu XVI, 18.

123
LE PAPE

LA LAME DU PAPE

Description de la lame

Cet arcane met en scène un homme âgé, vêtu d'une


large robe bleue recouverte d'un manteau rouge doublé de
vert et liséré de jaune comme celui de la Papesse. Il a une
barbe blanche et des yeux bleus et il porte des gants blancs
sur le dos desquels une croix bleue apparaît. Assis sur un
trône, il est coiffé d'une tiare surmontée d'une croix et il tient
dans sa main gauche une croix à trois traverses émergeant
d'une sphère verte.
De sa main droite, il bénit deux personnages tonsurés
placés au bas de la lame. On note une certaine du)ité au ni­
veau de ces personnages puisque l'étoffe du vitement de
l'un constitue celle de l'écharpe de l'autre et �versa. En
outre, l'un des personnage (celui aux cheveux bfflus) tourne
les yeux vers le Pape et semble soutenir son cnJllAl8DllD (aux
cheveux blonds) qui se cache le visage. Enfin, dcuière le
Pape, se dressent deux colonnes identiques (v� de
jaune).

Interprétation symbolique de l'arcane

Comme pour plusieurs autres lames,


d'abord d'insister sur le fait que le Pape .i
nous avons précisé à plusieurs reprises que la
évoque l'action dynamique alors que 1a
came davantage une attitude de passivité.
cette passivité n'est pas cependant syno
mais elle évoque plutôt une certaine
ainsi que ce personnage assume sa char
lonté divine et non en vertu de sa propie

124
I.E TARITT: LES VJNGT-DEUX ARCANES MAJEURS

ceptivité aux forces divines est d'ailleurs évoquée d'autre


part par la tiare qu'il porte. En effet, cette tiare pontificale est
structurée sur trois étages représentant respectivement les
trois dimensions de l'être: le corps, l'âme et l'esprit. Surmon­
tée d'une croix, elle nous révèle que ces trois plans sont pla­
cés sous l'autorité de la puissance divine qui s'y incarne et
s'y manifeste pleinement. En outre, la couleur or de la tiare
conforte encore ce fait puisque l'or a toujours représenté
l'incarnation de la divinité. Plus encore, les deux fanons de la
tiare, bien visibles, retombent sur les épaules du Pape, souli­
gnant ainsi que la puissance divine incarnée en son être
(symbolisme de la tiare), s'exprime également de manière pri­
vilégiée au niveau de sa volonté (dont les épaules sont le
siège). Ce n'est donc plus le pape en tant que personne qui
agit mais la puissance divine qui l'anime.
Dans la même perspective, la croix à trois traverses qu'il
tient dans sa main g auche évoque sa réceptivité aux réalités
divines agissant au niveau des sept plans structurant son âme
(symbolisés par les sept terminaisons arrondies de la croix). En
effet, la tradition de l'hermétisme nous apprend que l'âme est
formée de sept plans distincts. Ils sont généralement associés
aux sept planètes de l'astrologie traditionnelle, conformément
à l'adage bien connu de la Table d'Emeraude: « Ce qui est en
bas est comme ce qui est en haut et ce qui est en haut est
wmme ce qui est en bas, pour faire les miracles d'une seule
�hose. ». 6

5- Ainsi, selon la tradition de l'hermétisme chrétien, le premier plan,


>u plan lunaire, régit essentiellement la capacité à se faire une image du
nonde par le biais du ressenti et des impressions. Toutes les fonctions
:ensorielles et celles associées à l'imagination appartiennent à ce pre­
nier plan. Le second plan, ou plan mercurien, régit, pour sa part, la
:apacité à conceptualiser ce qui a été perçu du monde pour lui confé­
er un caractère d'intelligibilité. L'intellect, les facultés mentales ainsi

125
LE PAPE

Cette association pourrait se résumer par le schéma sui-


vant:

Plan mercurien

Plan solaire Plan 1unaire


Plan martien Plan vénusien
Plan jupitérien Plan saturnien

Ajoutons en outre que la croix, au même titre que la tiare,


est de couleur or nous précisant ainsi que les sept plans de
l'âme sont pleinement investis par la puissance divine. Plus

que tout processus d'échange, de médiation et de communication cor­


respondent donc à ce second plan. Le troisième plan, ou plan vénusien,
régit la capacité à se sensibiliser aux expériences de l'amour, de l'esthé­
tisme et de la beauté. Toute la dimension affective ainsi que les facultés
artistiques sont donc associées à ce troisième plan. Le quatrième plan,
ou plan solaire, régit, quant à lui, la capacité à exprimer et à rayonner
ses propres valeurs. La notion d'individualité mais également les capa·
cités à commander, à diriger et à gouverner sont donc très étroitement
associées à ce quatrième plan. Quant au cinquième plan, le plan mar­
tien, il régit essentiellement la capacité à s'engager dans l'action en per­
cevant l'obstacle comme une occasion de se dépasser, de vaincre ses
propres peurs et de développer ses ressources intérieures. Les qualités
dynamiques, la combativité et le processus de différentiation sont donc
en rapport avec ce cinquième plan. Le sixième plan, ou plan jupitérien,
confère une capacité à faire confiance et à gérer ses ressources en
fonction des lois qui les gouvernent. La foi, l'abondance, la générosité,
l'expansion et l'art de faire fructifier les biens de ce monde sont donc
autant de notions relatives à ce sixième plan. Enfin, le septième plan, ou
plan saturnien, régit la capacité à comprendre et à accepter les épreuves
jalonnant l'existence terrestre (à assumer son destin). Le sens des res·
ponsabilités, celui de la rigueur, de la persévérance et du dépouillement
se réfèrent donc à ce septième plan.

126
1B TAROT: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

encore, cette croix papale repose sur une sphère verte pour
indiquer que le rayonnement de la puissance divine incarnée
au niveau des sept plans de l'âme s'étend à toute la création
(symbolisée par la sphère) pour en assurer la régénération (ce
que représente traditionnellement la couleur verte).
En étudiant avec plus de précisions l'apparence du
Pape, nous devons également insister sur le fait qu'il est un
homme âgé. Or la vieillesse fut considérée, dans de nombreu­
ses civilisations, comme un signe de sagesse et de vertu. Pen­
sons, par exemple, à la tradition chinoise voulant que Lao-tseu
(dont le nom signifie « Vieux Maître ») soit né en ayant déjà
l'aspect d'un vieillard. De mêrre, les anciens bénéficiaient
toujours, chez les Hébreux, d'une autorité incontestée et les
plus sages assistaient le chef du peuple. Ainsi, la vieillesse fut
étroitement associée, sur un plan symbolique, à la sagesse. Ce­
ci est d'autant plus vrai qu'en raison du retrait de la vie active
qu'elle suppose, la vieillesse est faite pour prier. Dans cette
perspective, la sagesse ne résulte pas de la somme des expé­
riences accumulées au cours de l'existence, mais d'une capa­
cité à se consacrer totalement aux oeuvres de l'esprit sans se
laisser perturber par les turbulences du monde. Ainsi, le Pape
est représenté sous les traits d'une personne âgée p our évo­
quer le fait qu'il est totalement investi par les forces divines
dont il est le serviteur.
Ajoutons encore que le Pape possède une barbe blan­
che. Or la pilosité est associé dans les traditions anciennes à la
force et à la virilité. Située plus précisément au niveau des
joues et du menton, une pilosité abondante évoque un pou­
voir et une puissance sur un plan matériel (en astrologie, les
joues et le menton sont gouvernés par le signe du Taureau
correspondant aux acquis et aux biens terrestres). A ce titre, la
barbe était, chez les Egyptiens, un symbole de puissance et de
suprématie sur le monde. C'est pourquoi les dieux portaient

127
--

LE PAPE

toujours une barbe postiche et, par extension, cette coutume


fut adoptée par les pharaons, en tant qu 'incarnations de la
divinité. Ainsi, le fait que le Pape porte une barbe illustre sa
puissance et sa suprématie sur le monde créé. Ajoutons, en
outre, que cette barbe est blanche. Contenant en lui toutes les
couleurs mais n'en conservant aucune, nous avons précisé
que le blanc est étroitement associé aux réalités divines. Asso­
cié à la barbe, il nous révèle donc que la puissance exercée par
le Pape est un pouvoir qu'il détient de Dieu.
Outre cette barbe, le Pape possède également des yeux
bleus. A ce propos, nous savons que le regard est particuliè­
rement révélateur des qualités véritables du moi C'est
d'ailleurs pourquoi on affirme familièrement que l'oeil est le
« miroir de l'âme». Ainsi, regarder quelqu'un dans les yeux
permet de pénétrer son intimité, le regard exprimant sans men­
songe toutes les dimensions profondes de son atre. Or les
yeux du Pape sont bleus, une couleur favorisant le contact
avec le divin. Ceci nous illustre donc sa capacité à percevoir
l'essence (la dimension divine) qui anime toute chose.
Enfin, le Pape fait un geste de bénédiction de la main
droite. Or l'acte de bénir consiste essentiellement à éveiller la
nature profonde d'une chose. En d'autres termes, il investit
l'objet d'un souffle divin qui, ordonnant chacune de ses di­
mensions selon son essence profonde, rétablit la eoîn cidence
entre son image et sa ressemblance. Ainsi régénéli� il devient
alors un véritable canal permettant à son esse�qirituelle de
rayonner dans le monde la force prodigieuse 4GQt jl est por­
teur (participant ainsi à la rédemption de la CJ#Aâe)Jl.l);; Cet état
demeure tant que sa forme (dans le sens greo,GIW.me) n'est
pas altérée, c'est-à-dire tant que sa fonctie>Qr destinée
n'est pas maléficiée. 7

128
lE TAROf: lES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

Ajoutons en outre que la main qui bénit (au même titre


d'ail leurs que celle tenant la croix) est revêtue d'un g ant
blanc soulignant que l'action du Pape est pure, c'est-à-dire
dépourvue de toute pulsion égoïque (focalisée sur une queste
de pouvoir, d'avoir ou de valoir). De plus, le dos du gant pré­
sente une croix bleue révélant que son action est intimement
liée à la force intérieure symbolisée par la couleur bleue (la
couleur des sphères célestes). Ainsi, Oswald Wirth écrivit: « Le
Pape est ganté de blanc pour indiquer que ses mains restent
pures et ne se souillent jamais au contact des affaires tempo­
relles. Elles sont marquées chacune d'une croix bleue, couleur
de l'âme et de la fidélité, car l'action du Souverain Pontife est
exclusivement spirituelle mais elle s'exerce sur trois plans,
comme le suggèrent les trois couronnes de la tiare et les trois
traverses de la croix pontificale ». 8
A ce titre, le Pape lui-même porte une robe bleue recou­
verte d'un ample manteau rouge. Cela signifie qu'il agit d ans
le monde extérieur (symbolisme de la couleur rouge) mais que
son action est structurée et organisée selon la volonté divine
(le manteau rouge est liséré de jaune). Nourrie par les valeurs
du coeur (symbolisme de la doublure verte du manteau), elle
dépend enfin de l'ouverture de la conscience aux plans inté­
rieurs, à ceux de l'esprit (symbolisme de la couleur bleue).
Par ailleurs, deux personnages sont présents sur la lame.
Placés au pied du souverain pontife, ils en reçoivent la béné-

fonction de réceptacle (c'est-à-dire tant qu'il réalise sa forme consis­


tant à recevoir et à contenir un liquide). Ainsi, toute modification au
niveau de son apparence (nouvelles ciselures ornementales par exem­
ple) n'affectant pas sa fonction n'altère d'aucune manière la bénédic­
tion qu'il a reçue. Par contre, le simple fait de trouer le calice le désa­
cralise car il ne peut plus alors remplir sa fonction.
8- Winh, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, Le Symbolisme
et Emile Nourrey, Paris, 1927.

129
LE PAPE

diction. Or une certaine dualité au niveau de ces personnages


est mise en relief puisque l'étoffe du vêtement de l'un consti­
tue celle de l'écharpe de l'autre et vice-versa. En fait, ces
deux clercs représentent le moi supérieur (la conscience foca­
lisée sur les réalités de l'esprit) et le moi inférieur (celle focali­
sée sur le corps). En outre, ces deux personnages sont tonsu­
rés, en signe de leur appartenance au clergé, nous indiquant
ainsi que la conscience n'est plus placée sous le joug de l'ego
et de ses convoitises mais répond pleinement aux impulsions
de l'esprit. En ce sens, celui qui lève les yeux vers le Pape
semble soutenir celui qui se cache le visage. En fait, leur atti­
tude révèle que, face aux réalités divines incarnées par le
Pape, le moi inférieur (personnifié par le clerc se dissimulant le
visage) vit une intense contrition, véritable feu intérieur qui
brûle toutes les cristallisations qu'il a accumulées dans son
rapport avec le monde extérieur. Quant au moi supérieur
(personnifié par le clerc regardant le Pape), il soutient le moi
inférieur dans ce difficile exercice de purification.
D'autre part, soulignons que le clerc personnifiant le moi
supérieur a les cheveux bruns alors que l'autre, celui person­
nifiant le moi inférieur, a les cheveux blonds. Cette constata­
tion peut étonner a priori dans la mesure où le brun, couleur
de la glèbe, de l'argile et du sol, évoque la matière (générale­
ment associée aux réalités du moi inférieur) alors que la cou­
leur blonde incarne la lumière de l'esprit (évoquant naturelle­
ment les réalités du moi supérieur). En fait, ceci nous enseigne
qu'il n'existe pas d'antagonisme entre le moi supérieur et le
moi inférieur mais plutôt une complémentarité essentielle de
l'un par rapport à l'autre. Ainsi, si le moi supérieur et le mi
inférieur se présentent comme différents, cette différence est
toute relative puisqu'ils sont en fait l'expression d'un seul et
même principe: celui de l'âme.

130
lB TAROI': LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

Enfin, derrière le Pape, deux colonnes identiques (vertes


liséré es de jaune) sont dressées. Elles correspondent aux mon­
tants du trône et revêtent donc une importance toute particu­
lière. A leur propos, Oswald Wirth écrit:« ces montants rigides
se rapportent à une immuable tradition, mais leur couleur verte
veut que cette tradition soit vivante et qu'en restant fidèle à
elle-même, elle sache rester en harmonie avec la vie de la foi.
Le symbolisme du binaire s'éclaire, pour l'initié, aux mystères
des colonnes Jakin et Boaz du Temple de Salomon. Leur op­
position marque les limites entre lesquelles se meut l'esprit
humain [la conscience humaine] et c'est à juste titre qu'elles
flanquent le trône de la Papesse (arcane II). Les montants de
la chaire papale figurent, d'une manière analogue, les pôles
opposés du domaine de la foi: recherche inquiète de la vérité
religieuse et adhésion confiante aux croyances estimées res­
pectables. ». 9
A ce propos, nous souhaiterions ajouter que la couleur
verte des montants indique que l'action du Pape s'inscrit
dans une perspective de régénération. En outre, notons qu'au
sommet de chaque montant, quatre pétales jaunes sont issus
d'une matrice circulaire rouge. Cette matrice représente évi­
demment l'incarnation de l'esprit ( évoquée par la couleur
rouge) au sein de la matière (suggérée par la forme matricielle
circulaire). Quant aux quatre pétales jaunes, ils symbolisent le
rayonnement de cet esprit incarné dans la matière, au niveau
des quatre plans constituant la création.

Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Sous sa forme maléficiée, le Pape représente le souverain


pontife perverti qui tente de s'approprier la puissance divine
9. Winh, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, op. cit.

131
LE PAPE

afin de satisfaire son instinct de pouvoir. Pour mieux com­


prendre ce que cela représente, examinons d'abord la posture
du personnage. En effet, si la position assise incarne la passivi­
té en tant qu'ouverture aux forces divines (dont le pontife est
le représentant), elle devient, sous sa forme maléficiée, l'emblè­
me d'une réceptivité orientée vers l'Esprit du monde. Ainsi, le
Pape n'est plus investi par les forces divines, mais possédé par
les forces régressives de l'involution qui l'entraînent dans
une queste effrénée visant à conforter toujours plus son pou­
voir, son avoir et son valoir.
Cette réceptivité face à l'Esprit du monde est d'ailleurs
également évoquée par sa tiare. En effet, nous avons vu que
cette triple couronne pontificale surmontée d'une croix évo­
que le corps, l'âme et l'esprit placés sous l'autorité de la puis­
sance divine qui s'y incarne et s'y manifeste pleinement. Sous
sa forme maléficiée, elle évoque toujours le corps, l'âme et
l'esprit mais placés cette fois sous le joug de l'ego ou de
l'Esprit du monde (sa contrepartie extérieure). Plus encore, sa
couleur or exprime alors le faux rayonnement correspondant à
celui qui n'exprime pas les dimensions essentielles de son être.
En effet, la couleur or maléficiée est la couleur de l'orgueil.
Elle symbolise donc une tendance à se centrer ilœïisliblement
sur soi-même et sur ses propres besoins. Dans la 'm8me pers­
pective, la croix à trois traverses reprend l'image e; l'individu
qui, complètement réceptif aux forces �ves de
l'involution, se laisse investir par leur souffle •t4rke au ni­
veau des sept plans structurant son âme (symbôlMs par les
sept terminaisons arrondies de la croix). � sphère
verte qui l'orne à sa base, elle indique que la pœ_ff,ee de ces
forces régressives s'étend à toute la créatioll üsée par
la sphère), favorisant ainsi sa dégénéreseenee-:�wifeie repr é­
sente le vert maléficié).

132
LE TAROf: lES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

A un autre niveau, nous avons constaté que le Pape est


un vieil homme ayant la barbe blanche et les yeux bleus. Or,
chacun de ces éléments morphologiques peut revêtir une
fonne pervertie. Ainsi, la vieillesse devient symbole de dégé­
nérescence et de décrépitude en s'opposant radicalement à la
vie. En effet, indissolublement liée à la mort dont elle se fait
l'annonciatrice, elle rappelle à l'homme son éloignement de la
source de toute vie en incarnant de manière tangible l 'oeuvre
des forces régressives. Mise en rapport avec le cinquième ar­
cane, elle souligne donc un état de rupture avec la puissance
divine.
Quant à la barbe, elle n'évoque plus la puissance de
celui qui a su se placer au service de Dieu, mais la fausse puis­
sance, illusoire et éphémère, qui prend source et s'enracine
dans la pure extériorité du monde. Ajoutons à ce titre que la
barbe est blanche. Or, dans sa dimension négative, le blanc
évoque le vide et le néant. C'est la couleur des fantômes et
des revenants, c'est-à-dire des êtres n'ayant plus une exis­
tence tangible au sein de la création. Aussi, associée à la
barbe, cette couleur nous rappelle que la puissance ainsi sym­
bolisée n'a pas d'existence réelle, mais résulte d'un artifice de
l'Esprit du monde qui abuse et illusionne la conscience.
Enfin, les yeux bleus du Pape n'illustrent plus une ca­
pacité à percevoir l'essence (la dimension divine) qui anime
toute chose mais un processus de déconnection vis-à-vis du
réel. En effet, dans sa dimension maléficiée, le bleu évoque un
processus par lequel l'homme s'éloigne de plus en plus des
choses et des êtres incarnés, la réalité cessant peu à peu
d'exister par elle-même, pour faire place à des concepts né­
buleux et chimériques tout à fait arbitraires. Mis en rapport
avec le Pape, ces yeux bleus nous indiquent donc que, se cen­
trant exclusivement sur les revendications de son ego et se

133
LE PAPE

fermant conséquemment aux réalités de l'esprit, il perd pro­


gressivement le sens de la réalité.
Dans cette perspective, le geste de bénédiction qu'il
semble faire de la main droite devient le symbole d'une fonne
d'autorité s'exerçant sur les deux clercs dans le but de les
assujettir à ses propres désirs égoïstes. Loin de les investir
d'un souffle divin qui ordonnerait alors chacune de leurs di­
mensions selon leur propre nature, il cherche en réalité à les
aliéner, pour mieux établir son emprise sur eux. En ce sens,
ajoutons que la main qui bénit (au même titre d'ailleurs que la
main gauche tenant la croix) est revêtue d'un gant blanc. Or
nous savons que le blanc évoque, dans sa dimension maléfi­
ciée, le vide et le néant. Aussi, associée à l'acte de bénédic­
tion, cette couleur conforte l'idée que le geste du Pape est
non seulement dénué de toute force spirituelle mais qu'il
s'inscrit également dans une perspective de néantisation. En
ce sens, le dos du gant présente une croix bleue nous révélant
que cette action instaure un processus de déconnection vis-à­
vis de l'esprit. A ce titre d'ailleurs, nous avons vu tue le Pape
lui-même porte une robe bleue recouverte d'un '811)le man­
teau rouge. S'il agit sur le monde extérieur (�lisme de la
couleur rouge), son action est donc structurée,., organisée
selon la volonté de l'ego (le manteau rouge liséré de
jaune). Nourrie en outre par de multiples JJC1"'fJ.lll!UBlS instinc­
tuelles (symbolisme de la doublure verte du ••Pl), cette
action instaurera forcément un processus de;a111,nnection
entre la réalité et son essence profonde (.8'1••!0le de la
couleur bleue).
Par ailleurs, les deux personnages pté pied du
pape représentent toujours le moi supérieu, vers les
réalités de l'esprit) et le moi inférieur ( corps).
Toutefois, placés sous l'autorité d'un matuEïn.t in-
vesti par les forces régressives de l'invold X clerc s

134
LE TARITT: l.ES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

sont maintenus en état de servitude. Celui qui lève les yeux


vers le Pape, semblant inviter le Pontife à constater l'état de
souffrance dans laquelle son acolyte se trouve plongé, per­
sonnifie le moi supérieur, témoin de l'action destructrice
d'une conscience pervertie (symbolisme du Pape) sur le moi
inférieur. Ce moi inférieur (incarné par le clerc se dissimulant le
visage) est, quant à lui, en état d'affliction profonde, abusive­
ment exploité par une conscience qui, visant à conforter tou­
jours plus son pouvoir, lui nie ses valeurs véritables.
D'autre part, nous avons constaté que le clerc personni­
fiant le moi supérieur a les cheveux bruns alors que l'autre,
évoquant le moi inférieur, a les cheveux blonds. Or ceci nous
révèle un état de profonde confusion. En effet, sous !'influ­
ence aliénante du Pape, le moi inférieur est élevé, valorisé et
glorifié (la couleur blonde incarnant l'éclat de la fausse lu­
mière) alors que le moi supérieur est rabaissé, rejeté et bafoué
(le brun étant la couleur de l'excrément). Enfin, deux colon­
nes identiques (vertes lisérées de jaune) sont dressées derrière
le Pape. A leur propos, nous avons vu qu'elles représentent le
discernement et la foi qui, éclairés par l'esprit (symbolisme du
liséré jaune), établissent le cadre dans lequel l'enseignement
spirituel et religieux (incarné par le Pape) peut s'épanouir.
Dans leur dimension maléficiée, elles incarnent, au con­
traire, une raison et un fanatisme aveugles qui, soumis aux
exigences de l'ego (symbolisme du liséré jaune), engendrent
un cadre rigide et dogmatique au sein duquel le pseudo en­
seignement spirituel et religieux (incarné par le Pape)
s'oppose à toute approche véritable des réalités de l'esprit.
En outre, ajoutons que la couleur verte des montants nous
indique que l'action du Pape s'inscrit dans une perspective
de dégénérescence. De mêrœ, nous avons souligné qu'au
sommet de chaque montant, quatre pétales jaunes sont issus
d'une matrice circulaire rouge. Cette matrice représente alors

135
LE PAPE

l'expression de l'ego au sein de la matière (suggérée par la


forme matricielle circulaire rouge). Quant aux quatre pétales
jaunes, ils symbolisent le rayonnement de cet ego au niveau
des quatre plans constituant la création.

136
LE TAROf: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LAME VI
L'AMOUREUX

La lettre hébraïque: Vav.


La valeur numérique: 6.
Les éléments symboliques: Placé à l'intersection de deux
routes, un jeune homme est sollicité de part et d'autre par
deux jolies femmes. En outre, un cupidon tire une flèche en sa
direction.
La dimension herméneutique: Prendre conscience, sous
l'influence de l'amour (symbolisé par le cupidon) que les ri­
chesses spirituelles (représentées par la femme placée à droite)
et les richesses matérielles (incarnées par la femme placée à
gauche) ne sont que l'expression d'une seule et même réalité:
celle de la puissance divine.
La dimension anagogique: Unir le monde profane et le
monde sacré.
L'injonction: Concilier et unir.
Les éléments à développer: Le sens de l'amabilité, du tact et
de la diplomatie.

137
L'AMOUREUX

L'Amoureux

138
I.E TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LE'ITRE V A V

Du point de vue kabbalistique, la lame de l'Amoureux


correspond à la sixième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre
Vav, issue d'un ancien idéogramme représentant un crochet.
D'ailleurs, le mot vav lui-même signifie «crochet». Or, en re­
liant deux éléments entre eux, le crochet évoque une notion
d'unité et de communion entre deux éléments. En ce sens,
l'image du crochet est admirablement reprise sur le plan
grammatical par le fait que cette lettre forme à elle seule, en
hébreu, la conjonction de coordination «et» unissant deux
termes entre eux. Dans cette perspective, la lettre Vav incarne
donc un rapport d'union intime et étroit pouvant s'établir à
différents niveaux.
En effet, elle incarne, sur un plan macrocosmique, le lien
existant entre la création et son Créateur alors que, sur un
plan microcosmique (au niveau de l'homme), elle correspond
au rapport étroit existant entre la dimension corporelle et la
dimension spirituelle. Plus encore, dans ce rapport d'union
incarné par la lettre Vav, chacun des deux éléments existe en
fonction de l'autre et de la réalité qui résulte de leur commu­
nion. Dans ce contexte, tout développement de l'un ne sau­
rait se faire sans contribuer à l'épanouissement de l'autre. De
même,la dégénérescence de l'un ne peut qu'entraîner un af­
faiblissement de l'autre.
Enfin, la calligraphie de cette lettre évoque, selon les
kabbalistes, l'image d'une colonne vertébrale réunissant la
tête au corps. Or la tête symbolise la dimension spirituelle alors
que le corps évoque la dimension corporelle. Ainsi, nous re­
trouvons à nouveau cette union intime entre le corps et
l'esprit (chacun existant en fonction de l'autre pour engen­
drer, par leur union, la vie).

139
L'AMOUREUX

LE NOMBRE6

D'un point de vue numérologique, la lame


de l' Amoureux est associée au nombre 6. Or ce nombre
incarne fondamentalement la puissance de
rayonnement issue de l'interaction féconde entre deux
réalités principielles. Ceci est d'ailleurs admirablement
évoqué par le fait qu'il est un double ternaire. En effet,
nous l'avons vu, le nombre 3 correspond à l'expression
de l'être en tant que réalité pleinement tangible. De ce
fait, le nombre 6 symbolise la puissance de rayonnement
issue de la conjugaison de l'esprit et de la matière, de la
volon­té divine et de la volonté humaine ou encore de
l'énergie mas­culine et de l'énergie féminine. En Inde,
cette puissance sé­naire s'exprime au niveau du double
ternaire cosmique consti­tué par les trois dieux composant
la Trimourti divine (Brahma, Shiva et Vishnu) et leur
shakti correspondante représentée sous les traits de trois
divinités féminines (Saravasti, Parvati et Lakshmi).
Dans les textes bibliques, nous retrouvons
également de nombreuses allusions en ce sens. Ainsi,
c'est au sixième mois que l'annonciation fut faite à la
Vierge Marie: « Le sixième mois, l'ange Gabriel fut
envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, du nom de
Nazareth, à une vierge fiancée à un homme du nom de
Joseph, de la maison de David; et le nom de la vierge était
Marie. Il entra et lui dit: "Réjouis-toi, comblée de grâce, le
Seigneur est avec toi". ». 1 Cet épisode met bien en
exergue l'association entre le nombre 6 et le rapport
d'union féconde issue de la conjugaison de deux
principes: la dimen­sion spirituelle (associée à Dieu) et la
dimension corporelle (incarnée par Marie), c'est-à-dire
l'union existant entre le Créateur et la créature, l'Esprit et
la matière.

1 - Luc I, 26-28.

140
LE TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LENOM

Selon le dictionnaire, l'amoureux désigne celui « qui


éprouve de l'amour, de la passion pour quelqu'un, quelque
chose ». 2 Il importe donc, pour bien saisir ce qu'il représente,
de définir ce qu'est l'amour. Or, du point de vue traditionnel,
il ne s'agit pas d'une réalité appartenant à la nature humaine.
Invitant l'homme à transcender son instinct de survie (qui
l'incite à demeurer replié sur lui-même) pour s'ouvrir totale­
ment à l'autre au risque de lui donner les outils de sa propre
destruction, l'amour peut même être considéré comme un acte
contre nature. En réalité, il est une grâce dont l'origine est
divine. C'est d'ailleurs ce que nous révèle l'apôtre Jean lors­
qu'il déclare: « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres,
puisque l'amour est de Dieu et que quiconque aime est né de
Dieu et connaît Dieu. Celui qui n'aime pas n'a pas connu
Dieu, car Dieu est Amour. ».3
Ainsi, chaque fois que l'homme exprime l'amour, il parti­
cipe à la nature même de Dieu comme l'affirme à nouveau
saint Jean: « Dieu est amour: celui qui demeure dans l'amour
demeure en Dieu et Dieu demeure en lui. ».4 Or, en participant
à la nature de Dieu, l'homme échappe à sa condition actuelle
résultant du drame de la Chute au cours duquel, s'opposant à
la volonté divine, il s'est séparé de Dieu. A ce titre, tous ceux
qui ont connu l'amour, même imparfaitement, savent combien
les moments d'intense communion avec l'être aimé les ont
pour ainsi dire retirés de ce monde d'en bas, les élevant au­
dessus de leur réalité temporelle et mortelle, pour les faire par­
ticiper à une tout autre réalité: celle des sphères divines.

2- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.


3- 1 Jean IV, 7-8.
4- 1 Jean IV, 16.

141
L'AMOUREUX

LA LAME DEL' AMOUREUX

Description de la lame

Cet arcane met en scène un jeune homme


croisée des chemins, entouré de deux femmes. La
sa droite, est couronnée. Elle porte de longs cheve�•IWiHIO
et une robe bleue dont les manches sont rouges. La
à sa gauche, a les cheveux bruns ornés de fleurs et �-·
robe jaune ainsi qu'une large écharpe verte. Le je ·
ne regarde ni l'une, ni l'autre ( il a les yeux fennés)
position du Bon Pasteur (en croisant les bras sur
Il est vêtu d'un costume où le rouge et le vert al
monieusement.
Mentionnons d'autre part qu'au-dessus
personnages, un ange entièrement nu, aux ailes b
cheveux blonds, apparaît dans le centre blanc d'
rayons rouges et verts. Il se prépare en outre à
en direction du jeune homme; son carquois é
bien rempli.

Interprétation symbolique de l'arcane

Sur un plan symbolique, il importe d'abord


le fait que, placé à la croisée des chemins, l' Am
licité par deux femmes dont l'action semble a
niste, chacune d'elles cherchant apparemment
l'attention du jeune homme. Pour bien saisir ce
sente, nous devons évidemment mieux définir
ces deux femmes. A ce titre, les hermétistes
tionnellement la femme se tenant à droite �
tuelles. En effet, elle porte une robe bleue•
avons déjà précisé que cette couleur, associâ(

142
ΠTAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

ré conme étant la demeure de Dieu, évoque les réalités divi­


nes. Ainsi, « en Egypte, le Dieu suprême, le créateur de
l'univers, Cneph, était peint de la couleur du ciel. En Grèce,
l'azur est la couleur de Jupiter, père des dieux et des hommes.
En Chine, le ciel est le Dieu suprême, et dans la symbolique
chrétienne, la voûte azurée est le manteau qui couvre et voile
. 'té • ».s
la Divtm
Précisons également à propos de ces richesses spirituel­
les qu'elles ne sont pas purement abstraites ou déconnectées
de la réalité. Au contraire, elle sont pleinement actives et opé­
ratives dans le monde comme l'évoquent les manches rouges
de la robe (le rouge étant la couleur de l'action dynamique).
Par ailleurs, cette femme porte également une couronne. Or
nous savons qu'en raison de sa forme circulaire, la couronne
évoque une participation à la nature céleste (en effet, le cercle
a toujours évoqué le monde de l'unique et conséquemment
les sphères de l'esprit). Elle symbolise donc une conscience
(dont la tête est le siège) pleinement réceptive aux impulsions
divines. La couleur blonde de ses cheveux confirme d'ailleurs
cette assertion (la couleur or symbolisant les réalités d'ordre
spirituel). Enfin, cette femme pose sa main gauche sur l'épaule
droite de l'Amoureux. Sachant que cette alternance entre la
gauche et la droite est, sur un plan magnétique, une posture
hétérogène favorisant le transfert d'énergie, nous pouvons en
déduire qu'elle stimule l'expression de sa volonté (évoquée
par l'épaule) conformément aux hautes valeurs spirituelles
dont elle est dépositaire.
Quant à la femme se tenant à gauche de l'Amoureux, elle
correspond aux richesses matérielles résultant d'un juste rap­
port entretenu avec la matière. En effet, elle porte une robe
�- Portal, Frédéric, Des couleurs symboliques dans /'Antiquité, le moyen
age et les temps modernes, Editions de la Maisnie.

143
L'AMOUREUX

jaune et elle s'enveloppe dans une grande écharpe verte. Or


la couleur jaune est celle des épis mûrs, du beurre, du miel o u
de l'huile, autant d'aliments symbolisant l'abondance, la pro­
fusion et la fécondité sur le plan terrestre. Quant à la couleur
verte, couleur du règne végétal, elle évoque aussi la puissance
génésique de la terre. Plus précisément encore, elle est asso­
ciée aux forces vives du printemps. Chez les Grecs, par exem­
ple, nous avons déjà précisé que le terme chlôros employé
pour signifier la couleur verte désigne également la v6g6tation
naissante et les forces du renouveau. C'est d'aillems en ce
sens que Déméter, déesse de la terre et de l'agricultuœ,,ortait
parfois le surnom de Chloé. De même, cette couleur 6Uût çon­
sidérée comme un signe de résurrection chez les EgXlliens.
En effet, c'était la couleur d'Osiris ressuscité, celle de& paies
funéraires et celle du mort en voie de renaître à la vie.
Ajoutons que cette association entre l'écharpe
la puissance génésique de la terre est également coDÎ!
les fleurs ornant la chevelure de cette femme se
che de l'Amoureux. A ce titre d'ailleurs, la chevel
jeune femme est brune, confirmant ainsi éloqu
rapport étroit avec le plan matériel (le brun évoqu
terrestre). Dans la même perspective, ses pieds n
aussi un contact direct et intime avec les réalités
Enfin, cette femme pose sa main droite sur le bra,
l 'Amoureux. Nous retrouvons donc à nouveau
déjà évoquée précédemment: celle de l'altemaa
gauche et la droite favorisant le transfert d'én
sens, nous pouvons en déduire que cette fi
capacité à agir (évoquée par le bras) pour na,�.oi
chesses matérielles dont elle est dépositaire.
Aussi, placé entre ces deux femmes, l'
à se situer clairement entre ces deux réalités
Pour ce faire, il adopte la position du Bon Pas
144
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

les bras sur sa poitrine), celle du renoncement aux revendica­


tions de l'ego. C'est d'ailleurs ce que précise Oswald Wirth:
« s� en se croisant les bras, il se met à l'ordre du Bon Pasteur
connu des Chevaliers de la Rose-Croix, c'est qu'il s'applique
à s'oublier lui-même; il s'interdit de vouloir à son bénéfice
personnel... ». 6 En d'autres termes, l'Amoureux s'affranchit
ainsi du cercle clos de l'ego pour s'ouvrir à l'amour symbolisé
par le cupidon tirant une flèche en sa direction. A ce titre, no­
tons que le jeune homme a les yeux fermés: il ne regarde donc
aucune des deux femmes mais s'intériorise pour s'ouvrir aux
réalités de l'esprit: celles dont l'ange se fait le vecteur. Dans
cette perspective, nous pouvons dire que le cupidon regarde
l' Amoureux et que l'Amoureux le regarde aussi d'une cer­
taine manière. Sous l'éclairage de l'amour, il prendra ainsi
progressivement conscience que les richesses spirituelles et les
richesses matérielles ne sont que deux expressions différentes
d'une seule et même réalité: celle de la puissance divine.
A ce propos, notons que le cupidon se trouve au centre
d'un soleil à douze rayons. Or, sur un plan symbolique, le
nombre 12 évoque précisément l'expression plénière de la
puissance divine (le nombre 1) au sein de la création (le nom­
bre 2). En outre, le fait que ce cupidon soit nu nous révèle
qu'il communique aux hommes cet amour dont il est le vec­
teur en toute neutralité, sans le travestir ou le voiler d'une
quelconque manière. La couleur blanche du cercle dans le­
quel il s'inscrit confirme également la pureté et la neutralité
::;aractérisant ce messager des cieux. De même encore, si les
:tiles bleues de l'ange évoquent, à un premier niveau, son ori­
�ine céleste (divine), elles illustrent aussi son rapport étroit
1vec la vérité. Quant aux attributs du cupidon, son arc et ses
>- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, Le Symbolisme
�t Emile Nourrey, Paris, 1927.

145
L'AMOUREUX

flèches, ils évoquent évidemment le pouvoir dynamique e


fécondant de l'amour qui pénètre le coeur de l'homme �
l'image de la flèche qui atteint le centre de sa cible. A ce titn
d'ailleurs, ce cupidon est admirablement personnifié, dans �
mythologie grecque, par Eros, le fils d'Aphrodite, la déesse de
l'amour. En effet, Eros est un « garçon sauvage et nu, ensor­
celeur et hardi. Il s'avance, le sourire aux lèvres et l'arc au
poing. Il unit les bêtes sauvages dans leurs retraites, il désanne
les guerriers, il fleurit de rêves le sommeil de la jeune fille. Sou­
vent pourchassant une belle proie, nu-pieds et las, il couche à
la dure, sans feu ni gîte, au bord des routes. Mais jamais il ne
perd courage. ». 7
Ainsi, sous l'éclairage de l'amour, l'Amoureux découvre
qu'en répondant aux faveurs de l'une des deux femmes, il
s'ouvre également à celles de l'autre. En effet, en s'ouvrant
aux richesses spirituelles (symbolisées par la fenune en robe
bleue), il reçoit nécessairement les richesses matérielles
(incarnées par la femme en jaune). Cette prise de conscience
d'une unicité ontologique entre le plan spirituel et Je plan ma­
tériel est d'ailleurs illustrée au niveau même du costume de
l 'Amoureux où le rouge et le vert alternent harmonieusement.
En effet, couleurs complémentaires, le rouge évoque, dans son
rapport avec le vert, les réalités matérielles alors que le vert
suggère, dans son rapport avec le rouge, le plan spirituel. De
même, la présence d'une ceinture incarne cette unicité dans la
mesure où elle relie les deux aspects, établissant ainsi un juste
rapport entte la dimension matérielle (symbolisée par le bas du
corps) et la dimension spirituelle (représentée par le haut du
corps). Enfin, la position de ses pieds (chacun est posé sur
l'une des deux voies qui se présentent à lui) conforte égale-
7- Bonnard, André, Les Dieux de la Grke, Editions .de PAiœ, Lau­
sanne.

146
LE TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

ment cette notion d'unicité entre les réalités divines


(correspondant à la voie de droite) et celles du plan terrestre
(symbolisées par la voie de gauche). C'est d'ailleurs en ce
sens qu'Oswald Wirth conclut à propos de l'Amoureux qu'il
« n'est qu'un déguisé de l'Unité active (Bateleur) ». 8
Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Sous sa fonne maléficiée, l'Amoureux se pos1t10nne


toujours entre deux réalités qui le sollicitent. Toutefois, ces
réalités s'expriment alors sous une forme profondément per­
vertie. Ainsi, la femme se tenant à droite de l'Amoureux
n'incarne plus les richesses spirituelles authentiques et vérita­
bles, mais les valeurs illusoires proposées par ! 'Esprit du
monde se substituant au Saint-Esprit en tant que pourvoyeur
de grâces. A ce titre, la robe qu'elle porte est éloquente. En
effet, nous avons vu que le bleu est la couleur du ciel, caracté­
risé par sa vastitude et son immensité. Or cette absence de li­
mites et de repères peut aussi conduire l'individu, qui n'est
pas suffisamment préparé à cette expérience, à perdre totale­
ment le sens de la réalité. Dès lors, il s'enferme progressive­
ment dans un monde artificiel peuplé de délires et de chimères.
Quant aux manches rouges de la robe, elles évoquent alors un
faux rapport avec le plan terrestre (l'individu ne percevant
plus l'essence profonde qui anime chaque être et chaque
chose).
En outre, nous avons vu que cette femme porte une cou­
ronne. Si la couronne évoque, dans sa dimension positive, une
participation à la nature céleste, elle incarne, au contraire, sous
sa forme négative, la fausse puissance octroyée par l'ego (ou
sa projection extérieure, l'Esprit du monde) à la conscience
8- Winh, Oswald, le Tarot des imagiers du Moyen-âge, op. cit.

147
L'AMOUREUX

qui s'est aveuglément unie à lui. La couleur blonde de ses


cheveux confirme en outre cette assertion (la couleur Jaune
maléficiée symbolisant les valeurs de l'ego). Enfin, le fait que
cette femme pose la main gauche sur l'épaule droite de
l' Amoureux nous indique qu'elle stimule chez celui-ci
l'expression de sa volonté (évoquée par l'épaule) conformé­
ment aux illusions et aux chimères qu'elle personnifie.
Quant à la femme se tenant à sa gauche, elle n'iltame
plus les richesses matérielles précises auxquelles acœcM celui
qui cultive un juste rapport avec la création. Au contndïitli elle
représente les richesses éphémères et illusoires °"� à
celui qui entretient une relation adultère avec le
l'identifiant totalement à sa dimension extérieure. A
robe jaune de cette femme est éloquente. En effet,.
vons que le jaune maléficié évoque la fausse puis
sant exclusivement sur l'avoir. En queste de cette
sance, l'individu ainsi illusionné développe alors
profondément matérialiste et une tendance ex
possessivité. Se fermant en outre à toute dimensi
la matière, il ne la perçoit plus qu'en fonction des
qu'il peut en tirer pour conforter plus encore soa
son autorité.
Dans cette perspective, la couleur v
l'écharpe de cette femme) n'évoque plus la féco
luxure. En ce sens, la bible contient de nombreu
aux arbres verts sous l'ombrage desquels
s'abandonnent à leurs pulsions les plus ins ·
sous tout arbre vert, tu t'es couchée comme uno
ou « elle se rendait sur toute montagne élevée,
vert, et s'y prostituait » 10 ou encore « vous qui
9- Jérémie II, 20.
10- Jérémie III, 6.

148
I.E TARITT: LES VJNGT-DEUX ARCANES MAJEURS

rinthes, sous tout arbre verdoyant... ». 11 On pré­


ent que Néron s'amusait, pour exacerber ses pas-
lles, à contempler le martyre des chrétiens à travers
verte, une émeraude plus précisément.
ns que cette luxure incarnée par le vert est en ou­
par les fleurs ornant la chevelure de cette femme
leur dimension pervertie, deviennent l'apanage de
. Dans la même perspective, sa chevelure brune
oquemment ce rapport adultère avec le plan maté­
évoquant, dans sa dimension maléficiée, la fange
trité). Quant aux pieds nus, ils indiquent l'état
dans lequel se retrouve celui qui se ferme à toute
sacrée de la matière. Enfin, le fait que cette femme
· droite sur le bras gauche de l' Amoureux nous
'elle stimule chez lui sa capacité à agir (évoquée
) pour participer aux richesses matérielles éphémè­
ires qu'elle incarne. En outre, le pied qu'elle pose
peut également s'interpréter comme une invitation

entre ces deux femmes, l'Amoureux s'adonne


is aux faveurs de l'une et de l'autre. Plus encore,
l'avons vu précédemment, en répondant aux
l'une, il répond nécessairement à celles de l'autre.
:on s'adonnant aux illusions proposées par l'Esprit
il se déconnecte progressivement de la réalité
de la femme en robe bleue), tout en favorisant
de ses pulsions instinctuelles (représentées par la
;jaune). De mêrre, par réciprocité, en cultivant une
·de et jouissive vis-à-vis de la matière, il favorise sa
n du monde réel. Cette relation de réciprocité est
nous l'avons précisé, illustrée dans le costume de

149
L'AMOUREUX

l' Amoureux où le rouge et le vert alternent (le rouge évo­


quant, dans son rapport avec le vert, les réalités matérielles
alors que le vert suggère, dans son rapport avec le rouge, le
plan spirituel). De rmne, la ceinture que porte l'Amoureux
évoque, sous sa forme maléficiée, un faux rapport entre sa di­
mension corporelle (symbolisée par le bas du corps) et sa di­
mension spirituelle (symbolisée par le haut du corps).
Enfin, nous avons vu que l'Amoureux adopte la position
du Bon Pasteur, celle du renoncement aux revendications de
l'ego. Toutefois, sous une forme pervertie, cette attitude évo­
que une réceptivité excessive et pervertie conduisant
l'individu à se placer aveuglément sous le joug des illusions
de son ego. A ce titre, le fait que le jeune homme a les yeux
fermés confirme sa déconnection vis-à-vis du monde réel: sa
conscience étant retenue totalement prisonnière au sein du
cercle clos des pulsions régressives de son ego. Ces pulsions
régressives sont évidemment symbolisées par le cupidon aux
ailes bleues tirant une flèche en direction du jeune homme. En
effet, si le cupidon personnifie l'amour, il évoque, dans sa di­
mension négative, tous les élans du coeur que l'on croit être
l'expression d'un amour véritable alors qu'ils ne sont que la
manifestation de pulsions instinctuelles assujetties aux forces
de l'ego (besoin sexuel, besoin de valorisation, besoin de pos­
séder l'autre, ... ).
A ce titre, nous avons vu que le cupidon se trouve au
centre d'un soleil à douze rayons. Or, sur un plan symbolique,
le nombre 12 maléficié représente précisément l'action per­
verse de l'ego (ou de l'Esprit du Monde) investissant l'âme
(le nombre 2). En outre, le fait que ce cupidon soit nu nous
révèle le caractère sauvage, grossier et primaire des pulsions
instinctuelles qu'il personnifie. La couleur blanche du cercle
dans lequel il s'inscrit souligne, quant à elle, la dimension de
néantisation à laquelle mène son action. Dans cette perspec-
150
I.E TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURES

tive, les ailes bleus de l'ange illustrent également les


fausses valeurs, illusoires et chimériques, sur lesquelles
s'appuie l'expression des pulsions incarnées par cet être.
Quant aux attributs de cupidon, son arc et ses flflêches, ils
évoquent évidemment le pouvoir destructeur de ces
pulsions qui avilissent et pervertissent le coeur de
l'homme.

151
ΠTAROf: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LAME VII
LE CHARIOT

La lettre hébraïque: Zayin.


La valeur numérique: 7.
Les éléments symboliques: Un jeune homme couronné de­
bout sur un chariot somptueux et tenant un sceptre dans sa
main droite.
La dimension herméneutique: S'engager dans le monde
(symbolisme du chariot) en étant pleinement maître de soi­
même (symbolisme du sceptre) et investi par les forces divines
(symbolisme de la couronne).
La dimension anagogique: Etre glorifié par sa victoire sur les
puissances ennemies.
L'injonction: S'élever et évoluer.
Les éléments à développer: L'ambition, le goût de la réussite
et l'aptitude à progresser.

153
LE CHARIITT

Le Chariot

154
LB TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETTRE ZAYIN

Du point de vue kabbalistique, la lame du Chariot cor­


respond à la septième lettre de l'alphabet hébreu, Zayin, issue
d'un ancien idéogramme représentant une arme. D'ailleurs, le
nom de cette lettre, le mot zayin (Zayin-Yod-Noun), signifie
« anner», �armure» ou « armement». Plus précisément en­
core, panni ces annes, la lettre Zayin est plus particulièrement
associée au sabre ou au poignard. C'est tout au moins ce que
laisse entendre le Sepher ha Zohar qui rapporte que Dieu ré­
pondit à la lettre Zayin: « Je ne me servirai pas de toi pour
opérer la création du monde, parce que tu es l'image de la
guerre, puisque tu as la forme d'un sabre affilé et d'un poi­
gnard de guerre... » .1
Or ces deux armes suggèrent une action de pénétration.
En effet, elles transpercent la peau pour atteindre le coeur et,
dans sa dimension négative, la peau évoque le voile qui mas­
que, obscurcit, étouffe et amoindrit l'éclat de la lumière inté­
rieure. A ce titre, elle s'associe au voile obscur tissé par les
forces ténébreuses pour maintenir l'univers dans un état de
cristallisation mortifère. Dès lors, le poignard de guerre évoque
l'outil par lequel l'aspirant peut transpercer les épaisses ténè­
bres pour permettre à la lumière de briller à nouveau. Ceci lui a
d'ailleurs valu d'être fréquemment associé au Soleil
(dissipateur de toutes ténèbres), sa lame reflétant en outre
l'éclat du luminaire.
La lettre Zayin invite donc l'aspirant à s'investir dans le
monde pour le délivrer des puissances ennemies (les forces
obscures qui tentent de le maintenir dans un état de cristallisa­
tion mortifère) en y instaurant le règne de l'esprit: c'est la vic­
toire de la lumière sur les ténèbres.

1- 2.ohar, I. - 3a.

155
I.E CHARIITT

LENOMBRE7

D'un point de vue numérologique, la lame du Chariot


est associée au nombre 7. Or ce nombre évoque la création
totalement investie par les forces lumineuses de l'esprit Ce
constat est d'ailleurs admirablement évoqué par le fait que le
nombre 7 est la somme du nombre 3 et du nombre 4. Or nous
avons vu que le nombre 3 évoque la divinité rendue tangible
au sein de la création (les trois personnes divines, par exem­
ple). Quant au nombre 4, il est étroitement associé au plan ma­
tériel dont il marque l'ordonnance et l'organisation (les quatre
éléments, les quatre points cardinaux, les quatre saisons,... ). En
ce sens, le nombre 7 incarne la beauté, la grâce et l'bannonic
caractérisant la création lorsqu'elle est totalement péa61réc
par le souffle de l'Esprit.
Dans les textes bibliques, ceci est fort bien illUSlll A ti­
tre d'exemple, le livre de la Genèse nous rapporte que au
septième jour que Dieu contempla son oeuvre: « DiOŒ•P.eAut
au septième jour l'ouvrage qu'il avait fait et, au
il chôma, après tout l'ouvrage qu'il avait fait.
septième jour et le sanctifia, car il avait chômé
ouvrage de création ». 2 Ainsi, le septième jour c
couronnement de la création dans la plénitude •
tion. Il s'agit donc du moment où elle fut totale
par les forces lumineuses de l'Esprit. Pensons
paroles du psalmiste: « Sept fois le jour, je te loue
tes jugements »3 (ce qui servit d'ailleurs de base i
Bénédictins). Ici encore, le nombre sept compo
plénitude: celle du croyant totalement péné
sance divine.
2- Genèse II, 2-3.
3- Psaume 119 (118), 164.

156
LE TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LE NOM
Selon le dictionnaire, le chariot désigne « une voiture à
quatre roues pour transporter des fardeaux ».4 Toutefois, le
chariot représenté sur l'arcane (un véhicule monté sur deux
roues et tiré par deux sphinx) correspond davantage à un
char en tant que « voiture à deux roues, tirée par des che­
vaux ».5 Or le char est traditionnellement un véhicule utilisé
pour le combat et la guerre. Dans cette perspective, de nom­
breux bas-reliefs égyptiens représentent le pharaon se dépla­
çant sur son char et combattant ses ennemis. Plus encore, la
conduite du char était autrefois réservée aux guerriers éméri­
tes, aux héros et aux chefs militaires, car elle exigeait d'avoir
su remporter la victoire sur ses propres ténèbres intérieures (et
conséquemment d'être investi par les forces de l'esprit).
A ce titre, le mythe grec de Phaéton est particulièrement
éloquent. En effet, après s'être querellé violemment avec un
ami qui lui reprochait de se dire fils de roi, le jeune Phaéton
résolut de se rendre chez son père, Apollon, pour lui demander
une faveur qui attesterait indubitablement de sa prestigieuse
naissance: celle de conduire le char de lumière. Malgré
l'avertissement de son père lui précisant les graves dangers
auxquels il s'exposait, Phaéton persista dans sa folle de­
mande. Il se montra évidemment incapable de contrôler le char
et fut projeté dans l'eau de l'Eridan où il se noya. Ce mythe
met en relief le lien étroit entre la conduite d'un char et la né­
cessit é d'avoir remporté une victoire sur ses propres ténèbres
intérieures (un état que Phaéton n'avait pas acquis puisqu'il
était toujours assujetti aux forces de la division comme le dé­
montre son rapport conflictuel avec son ami).

4- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.


5- Définition extraite du Petit Robert, Paris, édition 1985.

157
lE CHARIITT

LA LAME DU CHARIOT

Description de la lame

Cet arcane met en scène un jeune homme revêtu d'une


cuirasse (comportant sur chaque épaule un visage en forme de
croissant de lune), portant une couronne ornée de trois étoiles
et tenant un sceptre dans sa main droite. Sa main gaucll& est
positionnée comme s'il prenait la pose. Son regard pqdond
semble regarder l'horizon. Considérant son appa· rc:Mlf;jeu­
nesse, il est assez étrange qu'il ait les cheveux blancs.
En outre, il est debout dans un chariot tiœ
sphinx, l'un blanc portant une coiffe bleue et l'autre
tant une coiffe rouge. Le sphinx blanc, celui de
patte droite, le sphinx noir, celui de gauche, la�
De plus, le jeune homme apparaît sous un bal
leur bleue, soutenu par quatre colonnes, deux v
jaunes, qui s'élèvent dans les quatre angles du c
le chariot semble sur un piédestal comme s'il s'
char allégorique avançant dans une parade.
Interprétation symbolique de l'arcane

Sur un plan symbolique, soulignons d'a


de cet arcane désigne un objet matériel et non
En ce sens, l'objet lui-même, sur lequel l'ho. mlllll
tient debout, est l'élément essentiel de la
porte d'en faire une étude exhaustive. A $8-8
avons vu précédemment qu'il était utilisé,
traditionnelles, comme un véhicule de com
l'arcane considéré, il semble être sur un pi
s'agissait d'un char allégorique: celui du
torieux du combat et qui se fait acclamer

158
LE TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

vant les honneurs qui lui sont dus. La main gauche du jeune
homme, appuyée sur sa hanche, donne clairement l'impression
qu'il prend la pose et qu'il parade. Aussi, il semble évident
que cette lame évoque l'expression plénière d'une victoire
remportée contre les puissances ennemies et il s'agit sans
doute de l'illustration d'un triomphe.
En ce sens, le sceptre que tient le Maître du Chariot
confinne notre assertion. En effet, sur un plan symbolique, il
est un signe de puissance et d'autorité. Ceci nous indique
donc que son détenteur occupe une place importante au ni­
veau de la hiérarchie: il s'agit nécessairement d'un chef ou
d'un héros qui a su remporter la victoire sur les forces enne­
mies. Outre cet attribut, le jeune homme porte également une
couronne. Or, nous savons qu'en raison de sa forme circulaire,
la couronne évoque une capacité à être pleinement réceptif à
la puissance divine. Ornée de trois étoiles, elle nous indique en
outre que cette puissance divine a pleinement investi le corps,
l'âme et l'esprit (symbolisés par les trois étoiles). De plus, mal­
gré l'apparente jeunesse du personnage, ses cheveux sont
blancs et ce détail, apparemment étrange, s'éclaire si on
l'interprète sur un plan symbolique. En effet, nous savons que
les cheveux symbolisent le rayonnement et l'expression du
moi. Quant au blanc, il est étroitement associé aux réalités di­
vines puisque, contenant toutes les couleurs, il n'en conserve
aucune. Dès lors, le fait que ce jeune homme ait les cheveux
blancs signifie que son rayonnement et la formidable puis­
sance qui en résulte sont des pouvoirs qu'il détient de Dieu.
Dans la même perspective, le regard du Maître du Cha­
riot est fort éloquent. En effet, orienté vers l'horizon, il rap­
pelle celui des anciens pharaons. Or, parce que l'horizon est le
lie u où se rencontrent le ciel et la terre, son regard nous ap­
prend qu'il a réussi à accomplir en lui l'union sacrée de la di­
mension intérieure (le ciel) et de la dimension extérieure (la

159
LE CHARIOf

terre). Plus encore, en dirigeant ainsi son regard vers l'infini, il


semble avancer sans se laisser détourner ou inquiéter par quoi
que ce soit. Ceci évoque clairement sa capacité à se dégager
des valeurs qui lui sont étrangères (les valeurs du monde) et à
affirmer les siennes. A ce titre, lorsque les textes évangéliques
rapportent que le Christ marchait à travers les foules, c'est à
cette capacité qu'ils font allusion: savoir rendre témoignage à
sa vérité intérieure sans se laisser détourner par des sollicita­
tions adverses et extérieures (symbolisées par la foule).
Sur un autre plan, Oswald Wirth écrit à propos des cinq
clous dorées ornant la cuirasse du jeune homme qu'ils « se
rapportent à la domination du quaternaire des Eléments par la
Quintessence, qui représente l'Ame des choses. Il faut que
cinq ramène en lui quatre à l'unité du commandement pour
que le Maître du Chariot entre pleinement en possession de
lui-même et puisse diriger son véhicule sans se laisser dialraire
par des influences troublantes. ». 6 En ce sens, notons qu'ils
s'inscrivent dans une large bande bleue formant un triangle
pointé vers le haut. Ceci nous indique de manière -.,licite
que sa perception du monde par l'intermédiaire de ses dnq
sens (évoqués par les cinq clous) contribue à l'élévatiaJr* sa
conscience (symbolisme du triangle bleu pointé vers Je, t).
A un autre niveau, trois cercles jaunes ornent la
férieure de sa cuirasse (la jupe rouge). Ces trois
font évidemment écho aux trois étoiles présentes
ronne qu'il porte. Or, à propos de ces étoiles, nous
mentionné qu'elles évoquent la puissance divine
nement investi le corps, l'âme et l'esprit du jeune
trois cercles nous précisent donc, quant à eux, que
sance (symbolisée par les trois pans triangulaires
6- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-'2ge. r
et Emile Nourrey, Paris, 1927.

160
LB TAROI': lES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

est désonnais pleinement incarnée et active (symbolisme de la


couleur rouge), manifestant et rayonnant ainsi la lumière dont
elle est vectrice. Enfin, la cuirasse comporte également deux
visages (un sur chaque épaule). Sur un plan symbolique, nous
pouvons les mettre en corrélation avec la conscience spiri­
tuelle (le visage de droite) et la conscience corporelle (le vi­
sage de gauche) dans leur dimension opérative (l'épaule
ayant toujours été associée à l'action du moi). Ceci corres­
pond donc à la capacité dont il dispose pour investir le monde
(un rôle assumé par la conscience corporelle) et y rétablir la
lumière de l'esprit (un rôle assumé par la conscience spiri­
tuelle).
Plus encore, le chariot considéré dans sa totalité évoque
cette capacité à restaurer dans le monde le règne de l'esprit.
En effet, ce véhicule apparaît très clairement organisé et struc­
turé en deux parties distinctes quoique inséparables l'une de
l'autre (sans quoi il n'y aurait plus de chariot en tant que tel).
La première partie correspond au plan supérieur. Surmontée
d'un baldaquin bleu et étoilé évoquant la sphère céleste (les
réalités divines), elle symbolise la conscience spirituelle per­
mettant à l'aspirant d'accéder aux valeurs de l'esprit. Quant à
la deuxième partie, elle correspond au plan inférieur. Consti­
tuée d'un caisson (dont la forme cubique évoque le plan ma­
tériel) en contact direct avec le sol, elle symbolise évidemment
la conscience corporelle permettant à l'aspirant de s'engager
pleinement dans le monde. Toutefois, cette partie inférieure est
blanche illustrant le fait que cette conscience exprime et mani­
feste intégralement les impulsions de l'esprit sans les travestir
ou les détourner à son propre profit.
A un autre niveau, nous devons également considérer le
sigle inscrit sur le chariot. En effet, ce sigle est constitué d'un
cercle jaune ouvert dans sa partie supérieure et au centre du­
quel nous reconnaissons un symbole hindou (celui de l'union

161
LE CHARIUf

des sexes). En outre, il est surmonté d'une sphère ailée. Il


nous enseigne donc qu'en s'unissant aux réalités de l'esprit
(signification du symbole hindou), l'homme brise le cercle clos
de son ego (évoqué par le cercle jaune ouvert par le haut),
s'ouvrant ainsi aux forces spirituelles (représentées par la
sphère ailée). Ceci lui permet alors de s'investir dans le monde
pour le délivrer des puissances ennemies et assurer ainsi la
victoire de la lumière sur les ténèbres.
Ce processus de restauration du monde est d'ailleurs
éloquemment illustré par les quatre colonnes, deux vertes et
deux jaunes, qui s'élèvent aux quatre angles du chariot. En
effet, placé au centre de ces quatre colonnes, le Maître du
Chariot nous indique que son terrain d'action est le plan ma­
tériel. En outre, le vert et le jaune évoquent la femme vêtue de
vert et de jaune se tenant à gauche de l'Amoureux, celle qui
incarne les richesses d'une création régénérée (la couleur
jaune étant celle de l'or, symbole par excellence de la richesse
matérielle et la couleur verte étant associée aux forces vives
du printemps, incarnant la puissance génésique de la terre).
Ajoutons que le chariot est tiré par deux sphinx, l'un
blanc et l'autre noir. En tant qu'éléments moteurs faisant
avancer le chariot, les sphinx représentent la force du désir
constituant le ressort de l'action. En effet, sans le désir,
l'individu resterait figé comme une pierre, dépourvu de toute
incitation à se mouvoir et à agir. Toutefois, le fait que l'un soit
blanc et possède une coiffe bleue alors que l'autre est noir
avec une coiffe rouge met en exergue un rapport antagoniste
entre ces deux animaux fabuleux. Ce rapport est d'ailleurs
confirmé par le fait qu'en ayant la patte extérieure levée, cha­
cun paraît vouloir tirer le chariot de son côté. Considérant ce
qui précède, le sphinx blanc évoque évidemment la fmœ du
désir animant la conscience spirituelle (orient= vers Jes ,._.
tés intérieures évoquées par la coüfe bleue du sphinx.)

162
U! TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

que le sphinx noir représente la force du désir animant la con­


science corporelle (focalisée vers les réalités matérielles sym­
bolisées par la coiffe rouge du sphinx).
Dès lors, les deux sphinx mettent en évidence l'habileté
et la sagesse avec lesquels le Maître du Chariot sait dominer
ses ambivalences. En ce sens, Oswald Wirth écrit: « dans
l'arcane VII, le Sphinx blanc symbolise les bonnes volontés
constructives qui aspirent au bien général réalisé paisiblement,
sans secousses. Le Sphinx noir frémit d'impatience et tire à
gauche avec véhémence; ses efforts risquent d'entraîner le
Chariot dans le fossé, mais ils n'aboutissent, en réalité, qu'à
stimuler le Sphinx blanc obligé de tirer plus fort de son côté.
Ainsi, le véhicule avance plus rapidement, selon la loi mécani­
que du parallélogramme des forces. ». 7

Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Sous sa forme maléficiée, le Chariot apparaît toujours


comme le véhicule d'un héros qui, ayant su remporter la vic­
toire, reçoit les honneurs qui lui sont dus. Toutefois, il s'agit
maintenant d'une pseudo-victoire et la gloire dont il jouit ré­
sulte en fait d'une union adultère avec le monde. En effet, loin
d'être le fruit d'une victoire sur les puissances ennemies (les
ténèbres), son prestige et sa gloire (illusoires) proviennent, au
contraire, de son alliance avec les puissances ennemies, c'est­
à-dire de son assujettissement à l'Esprit du monde. A ce titre,
de nombreux éléments symboliques s'articulant autour de ce
septième arcane confirment notre interprétation.
Ainsi, la couronne du jeune homme évoque une capaci­
té à être pleinement réceptif aux forces de l'ego (symbolisme
de la couleur jaune maléficiée). En outre, ornée de trois étoiles,
7- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, op. cit.

163
I.E CHARIOT

elle nous indique que l'ego asseoit son autorité en se focali­


sant sur les trois valeurs principales qu'il privilégie: le pouvoir.
l'avoir et le valoir. De même, le sceptre ne symbolise plus le
pouvoir fécond conféré par la divinité, mais un pouvoir stérile
originant de l'ego. En ce sens, les cheveux blancs du Maître
du Chariot révèlent son incapacité à rayonner ce qu'il est vé­
ritablement: le jeune homme n'exprimant plus les valeurs de
son identité profonde (celles de l'esprit) mais des valeurs qui
lui sont totalement étrangères et conséquemment vides de
sens (la couleur blanche maléficiée évoquant le vide et le
néant).
Dans la même perspective, en dirigeant son regard vers
l'infini, il n'évoque plus une capacité à se dégager des valeurs
qui lui sont étrangères (les valeurs du monde) mais il trahit, au
contraire, son total aveuglement face à la réalité qui 1 'entoure.
En effet, focalisant sa conscience sur des objectifs qu'il est le
seul à percevoir, il poursuit ainsi des mirages, transformant
progressivement son existence en une véritable errance. De
même, les cinq clous ornant sa cuirasse et s'inscrivant dans
une large bande bleue formant un triangle pointé vers le haut
nous confirment la présence de ces illusions qu'il nourrit
puisqu'ils évoquent une image du monde en parfaite décon­
nection par rapport à la réalité (symbolisme du triangle bleu
pointé vers le haut). A un autre niveau, les trois œrelos jaunes
ornant les trois pans triangulaires de sa jupe rouge aous préci­
sent les trois valeurs factices sur lesquelles il asseoit son auto­
rité (le pouvoir, l'avoir et le valoir). Elles sont alors plm.nement
effectives (symbolisme de la couleur rouge et du tria.do poin­
té vers le bas).
Enfin, nous avons vu que la cuirasse re.,._._ »:Jeune
boame comporte deux visages (ua UE'•IQIMIIIMIMW•ces
dcm. visa,os n'évoquent plus. dw.J.au._.••AffzMc,
wae 08l*it6 à s'investir dQs le --•<••••-,.P• la
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

conscience corporelle) en y rétablissant la lumière de l'esprit


(un rôle assumé par la conscience spirituelle). En effet, ils évo­
quent, au contraire, une action stérile (une perversion de la
conscience corporelle) issue d'une déconnection face aux
réalités de l'esprit (une perversion de la conscience spiri­
tuelle).
Plus encore, le chariot lui-même évoque cette incapacité
à s'investir pleinement dans le monde pour y instaurer le rè­
gne de l'esprit. En effet, sa partie supérieure (symbolisant la
conscience spirituelle) entraîne l'individu à se perdre dans un
monde totalement abstrait. nébuleux et chimérique n'ayant
aucune véritable relation avec le monde réel. A ce titre, il est
surmonté d'un baldaquin bleu. Or, dans sa dimension maléfi­
ciée, le bleu est la couleur de l'abstraction au sens péjoratif d u
terme (sous son influence, l'individu s'éloigne de plus en plus
des choses et des êtres incarnés, le monde réel faisant place à
un pur concept arbitraire). Quant à la deuxième partie du cha­
riot (symbolisant la conscience corporelle), elle invite
l'individu à s'investir dans la matière en y exprimant ses pul­
sions égoïques au risque d'en être prisonnier (de s'y cristalli­
ser). C'est ce qu'illustre le caisson du chariot dont la forme
cubique anti-dynamique évoque les concepts de fixité et de
stabilité.
D'autre part, ajoutons qu'il est tiré par deux sphinx, l'un
blanc et l'autre noir. En tant qu'éléments moteurs le faisant
avancer, ces deux sphinx représentent toujours la force d u
désir. Toutefois, considérés sous leur aspect négatif, le sphinx
blanc évoque le désir animant une conscience spirituelle illu­
;ionnée par le fait qu'elle s'est ouverte à des réalités nébuleu­
;es totalement désincarnées (évoquées par la coiffe bleue du
phinx) alors que le sphinx noir représente le désir animant la
onscience corporelle pervertie en raison du fait qu'elle s'est
�calisée sur la satisfaction de ses pulsions purement instinc-

165
LE CHARIOT

tuelles (symbolisées par la coiffe rouge du sphinx). En outre


ces deux sphinx s'opposent si violemment que le Maître dt
Chariot n'a plus aucune maîtrise sur eux, le véhicule mena­
çant à tout instant de prendre le fossé ou de s'immobiliser sm
la route (lorsque les forces antagonistes sont de même puis­
sance). En d'autres termes, ces deux sphinx évoquent une
totale soumission de l'être à des impulsions antagonistes: cel­
les de sa conscience spirituelle maléficiée et celles de sa con­
science corporelle pervertie, faisant de son existence une
vaste errance (c'est l'éparpillement).
Quant au sigle inscrit sur le chariot lui-même, il est éga­
lement particulièrement significatif. En effet, sous sa fonne
maléficiée, le symbole hindou (celui de l'union des sexes)
évoque un rapport adultère avec le monde. Quant au cercle
jaune ouvert par le haut, il se réfère alors à l'ego qui s'ouvre
aux puissances d • en haut, provenant toutefois « des esprit du
mal qui habitent les espaces célestes ». 8 Ces puissances malé­
fiques sont évidemment représentées par la sphère ailée... Ce
sont elles qui illusionnent l'individu et le portent à s�oigne1
toujours plus de la réalité, contribuant ainsi à un vaste proces­
sus de néantisation au sein de la création.
Ce processus est éloquemment illustré par les quatre co­
lonnes, deux vertes et deux jaunes, qui s'élèvent aux quatre
angles du chariot. En effet, le vert et le jaune évoquent l�
femme vêtue de vert et de jaune se tenant à �aucbe de
l'Amoureux. Or celle-ci, nous le savons, incarne, sous sa forme
maléficiée, les richesses éphémères et illusoires d'u•e créatior
pervertie, réduite à sa seule dimension extérieure ,Ela coulem
jaune étant celle du faux éclat et la couleur verte évoquant lé
moisissure se formant sur toute substance orgatlÎ(IU8T; qui n'es
plus vivifiée, incarnant un processus de dé�)-

8- Ephésiens VI, 12.

166
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LALAMEVID
LA JUSTICE

La lettre hébraïque: Heith.


La valeur numérique: 8.
Les éléments symboliques: Une femme couronnée tenant de
sa main gauche une balance et de sa main droite une épée à
double tranchant.
La dimension herméneutique: Se conformer aux lois divines
(évoquées par l'épée et la balance) pour échapper à l'emprise
des puissances ténébreuses qui envahissent le monde.
La dimension anagogique: Se placer sous la protection de la
loi divine.
L'injonction: Evaluer et être juste.
Les éléments à développer: Le sens de l'équité, l'obéissance
et l'intégrité.

167
LA JUSTICE

La Justice

168
LB TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETIRE HEITH
Du point de vue kabbalistique, la lame de la Justice
cor­respond à la huitième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre
Heith, issue d'un ancien idéogramme représentant une bar­rière,
une haie ou une clôture. Cette lettre évoque donc prin­cipalement
une délimitation. Or, dans les traditions initiatiques et religieuses, la
barrière délimite toujours un lieu sacré au mi­lieu du monde
profane. Elle devient alors infranchissable pour le non-initié.
Pensons, par exemple, aux grilles qui entouraient autrefois le
choeur des églises. Le symbolisme de la clôture rejoint en ce sens
celui du rempart en tant que protection vis­à-vis du monde
extérieur. Citons à ce titre les paroles de Satan qui répliqua à Yahvé
à propos de Job: « Ne l'as-tu pas entouré d'une haie, ainsi que sa
maison et son domaine alentour ? Tu as béni toutes ses entreprises,
ses troupeaux pullulent dans le pays. Mais étends la main et touche
à ses biens; je te jure qu'il te maudira en face!" ».1 Dans cet
épisode, l'image de la haie évoque précisément la protection
spéciale (divine) dont jouit celui qui, s'étant placé sous l'influence
du monde d'en haut, devient alors hors d'atteinte pour les
puissances ténébreuses.
Plus encore, la barrière incarne, en tant que limite à ne pas
dépasser, la notion de loi. En ce sens, si Job est entouré d'une
haie, c'est parce qu'il a conformé son existence aux lois divines.
En effet, Job était« un homme intègre et droit qui craignait Dieu et
se gardait du mal ». 2 Aussi, la lettre Heith il­lustre le processus par
lequel l'aspirant, entrant en communion avec Dieu et maintenant
cette communion en se conformant à ses lois, bénéficie de la
puissance divine qui le protège contre les forces ténébreuses.

1- Job I, 7-11.
2- Job I, 1.

169
LA JUSTICE

LE NOMBRE 8

D'un point de vue numérologique, la lame de la Justice


est associée au nombre 8. Or ce nombre évoque l'équilibre et
la stabilité résultant de l'observance des lois cosmiques et di­
vines. Ceci est d'ailleurs admirablement évoqué par le fait
qu'il correspond à deux fois le nombre 4. Or nous avons vu
que ce nombre est très étroitement associé à l'ordonnance et à
l'organisation du plan matériel (les quatre éléments, les quatre
points cardinaux, les quatre saisons, ...). Dès lors, en tant que
double quaternaire, le nombre 8 évoque tout naturellement un
achèvement plénier de cette ordonnance du monde matériel
conformément aux lois divines (ceci assurant paix et plénitude
au sein de la création).
Dans les textes bibliques, nous retrouvons plusieurs
exemples mettant en exergue ces éléments symboliques. Ci­
tons, en ce sens, la dédicace de l'autel du Temple restauré
après son pillage par les païens. Cette opération dura huit
jours: « Huit jours durant, ils célébrèrent la dédicace de l'autel,
offrant des holocaustes avec allégresse et le sacrifice de com­
munion et d'action de grâces. Ils ornèrent la façade du Temple
de couronnes d'or et d'écussons, remirent à neuf les entrées
ainsi que les chambres qu'ils pourvurent de portes. Une
grande joie régna parmi le peuple et l'opprobre infligé par les
païens fut effacé. ».3 Le récit met bien en évidence Je rapport
étroit entre le nombre 8 et l'achèvement d'un travail de réor­
ganisation du plan matériel conformément aux lois divines. En
outre, l'atmosphère de joie qui en résulte souligne l'état de
plénitude caractérisant la création qui, ayant retrou�6 cette
pleine communion avec les plans divins, est parfaiœmoot :vivi­
fiée par la puissance divine qui l'adombre.
3- 1 Maccabées IV, 56-58.

170
LI TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LENOM
Selon le dictionnaire, la justice désigne la « vertu mo­
rale qui inspire le respect absolu des droits d'autrui ».4 En fait,
c'est le principe par lequel chaque être et chaque chose
trouve sajuste place: la justice ordonnant avec mesure. En ce
sens, nous pouvons dire qu'elle répond essentiellement à une
fonction d'organisation. C'est d'ailleurs à ce titre qu'elle oc­
cupe une place importante dans la bible. En effet, c'est elle
qui fait régner la loi divine au sein de la création, assurant ainsi
le maintien de son organisation et de sa structuration et
l'éloignant conséquemment de toute forme de chaos
(expression des puissances ténébreuses de la mort). Ainsi, le
livre des Proverbes déclare: « par la bénédiction des hommes
justes [ceux qui pratiquent la justice] s'élève une ville, par la
bouche des méchants, elle est démolie. ». 5 De même encore,
« qui établit la justice va à la vie, qui poursuit le mal, va à la
mort ».6
La justice fait donc régner au sein de la création la loi
explicitement promulguée par Dieu. Or parmi les commande­
ments de cette loi, il en est deux fondamentaux: « Tu aimeras
le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de
ton esprit: voilà le plus grand et le premier commandement. Le
second lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi­
même. A ces deux commandements se rattache toute la
Loi... ». 7 Aussi, la véritable justice ne repose pas sur les valeurs
de la raison, mais s'articule essentiellement sur celles du coeur.

4- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.


5- Proverbes XI, 11.
6- Proverbes XI, 19.
7- Matthieu XXII, 37-40.

171
LA JUSTICE

LA LAME DE LA JUSTICE

Description de la lame

Cet arcane met en scène une femme couronnée, repré­


sentée de face et assise sur un trône massif et solide, flanqué
de deux pilastres ornés de demi-disques alternativement
blancs et verts et se terminant par une ornementation jaune en
forme de coquille. Cette femme majestueuse tient en outre
dans sa main gauche, et au niveau du coeur, une balance dont
les plateaux sont en équilibre.
Quant à sa main droite, elle tient une épée en position
verticale dont l'un des tranchants est bleu, l'autre étant blanc.
Enfin, la jeune femme est revêtue d'une ample robe bleue et
porte une collerette rouge lisérée de blanc lui recouvrant en­
tièrement les épaules. Une large chaîne en or lui orne égale­
ment le cou.
Interprétation symbolique de l'arcane

Sur un plan symbolique, soulignons d'abord que la


femme couronnée est assise. Or nous avons déjà précisé que
cette posture évoque une attitude de passivité. Associée à
l'idée de justice, elle nous indique plus précisément qu� cette
justice n'est pas élaborée par l'homme, mais qu'elle est reçue
de Dieu. L'ample robe à dominante bleue dont la jeune fanme
est revêtue conforte d'ailleurs le fait qu'elle reçoit plUJqu'elle
n'émet. En effet, en tant que couleur endothermique ,t cen­
tripète, la couleur bleue s'apparente à la dimensien �e
incarnant le principe de la réceptivité (la capacité à"'- ttre à
l'écoute).
A un autre niveau, nous pouvons égale�iMfCe
dans cette robe ample à dominante bleue, l'

172
1B TAROI': LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

(divine) de la justice représentée sur ce huitième arcane. En


effet, nous avons déjà précisé plusieurs fois que le bleu est
associé aux réalités de l'esprit. Ceci est confirmé par la pré­
sence d'on symbole solaire présent sur la coiffe rouge de la
jeune femme. Il évoque une conscience totalement éveillée et
active (symbolisme de la couleur rouge) en communion
plé­nière avec les mondes divins (incarnés par le symbole
solaire).
Toutefois, si la Justice n'est pas !'oeuvre de l'homme, elle
n'en est pas moins pleinement présente et opérative au sein de
la création. En effet, les huit boucles ornant sa cheve­lure
blonde nous révèlent que l'expression de son essence
profonde (symbolisme de la chevelure blonde) s'inscrit dans le
cadre d'une dynamique visant à ordonner le monde maté­riel
conformément aux lois divines (symbolisme du nombre 8). En
outre, elle siège sur un trône massü, « solide et stable comme
le cube d'or de )'Empereur ».8 Or nous avons déjà précisé que
le trône symbolise l'univers créé, stabilisé par le fait qu'il est
devenu conforme aux lois divines. Dans la même perspective, le
collier porté par la Justice symbolise que le mul­tiple (évoqué par
les maillons du collier) retrouve son unité (représenté par le
collier en tant que tel). Tout ceci évoque donc la réinstauration
d'un ordre établi et voulu par Dieu, as­surant l'unité et la
cohésion du monde.
Par ailleurs, la Justice regarde l'observateur droit dans les
yeux. Cette particularité nous indique qu'aucune réalité
ter­restre ne lui échappe, l'homme étant dans l'impossibilité de
se soustraire à son regard. Il s'agit donc d'une évocation de la
rigueur de la loi évoquée en outre par la couronne aux fleu­rons
en fer de lance surmontant sa coiffe (le mortier judiciaire). En
effet, nous pouvons percevoir dans ces fleurons la rigueur
8- Winh, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, Le Symbolisme et
Emile Nourrey, Paris, 1927.
LA JUSTICE

de la loi qui pénètre les brumes épaisses de l'illusion et de


l'ignorance pour révéler la vérité dans sa pleine lumière. En ce
sens, la Justice porte une large collerette rouge lisérée de
blanc qui lui recouvre entièrement les épaules. D'un point de
vue symbolique, les épaules symbolisent la puissance et la
force de réalisation. Ainsi, Denys l'Aréopagyte écrit: « les
épaules représentent le pouvoir de faire, d'agir et d'opérer ».9
Recouvertes de rouge (couleur de l'activité dynamique), elles
incarnent donc une force de réalisation pleinement éveillée et
opérative sur le plan terrestre, exprimant ainsi intégralement la
volonté divine. En effet, la collerette rouge est lisérée de
blanc. Or, le blanc ne conserve aucune couleur et les rayonne
dans leur intégralité. Il est donc un symbole de la pureté et de
la lumière divine.
En outre, la nature de son action nous est indiquée par
les deux instruments qu'elle tient entre ses mains. Ainsi, nous
observons dans sa main gauche une balance. A son propos,
nous savons que cet objet fut de tout temps l'emblème privi­
légié du jugement permettant de peser, de mesurer et
d'évaluer les actions et les pensées humaines. En ce sens, de
nombreuses religions font allusion à un jugement post-mortem
au cours duquel le défunt est sauvé ou condamné selon le
poids de ses bonnes ou mauvaises actions. A titre d'exemple,
la pesée des âmes ou psychostasie est un thème fréquemment
représenté dans l'art égyptien. La scène se compose généra­
lement d'une balance dont les deux plateaux portent respec­
tivement le coeur du défunt, symbole de la conscience enfer­
mée dans une urne, et une plume d'autruche de la déesse
Maât, symbole de la justice. A droite de la scène se tient le
dieu Thot à tête d'ibis, prêt à enregistrer la sentence. A gau-

9- Denys l'Aréopagyte, Oeuvres compl�tes, trad. Mauri- -do (Jandillac,


Paris, 1943.

174
lE TARITT: l.ES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

che, le dieu Anubis à tête de chacal, prend le défunt par la


main et le dirige vers la balance du jugement puis, attentif, il
surveille le fléau de la balance pendant que le défunt se con­
fesse. Aux pieds d'Anubis, le dieu à tête de crocodile, gueule
ouverte, regarde le dieu Thot qui va proclamer le verdict. Si la
plume l'emporte, le défunt est sauvé; si la conscience est plus
lourde, il est condamné.
La balance est donc l'emblème privilégié du jugement.
Placé entre les mains de la Justice, ce jugement n'est pas ce­
pendant l'oeuvre de l'homme, mais celle de Dieu comme le
confirme d'ailleurs la couleur or de la balance (l'or revêtant,
nous l'avons mentionné à plusieurs reprises, un caractère di­
vin), mais aussi sa position bien particulière. En effet, la Justice
élève la balance au niveau de son coeur. En d'autres termes,
les principes sur lesquels elle s'appuie pour rendre son juge­
ment ne relèvent pas de la raison mais du coeur. Or le coeur
est précisément le siège de l'amour, cette grâce dont l'origine
n'est pas humaine mais divine. Dès lors, nous pouvons affir­
mer que cette balance permet à Dieu d'évaluer à tout instant
l'attitude de l'homme afin de pouvoir le ramener dans les
normes qu'il lui a fixées (ces normes, loin de le limiter, lui ga­
rantissant au contraire plénitude et prospérité).
Outre la balance, la Justice tient également une épée. Or
cette épée illustre évidemment la justice divine en tant que
principe actif qui frappe et corrige le coupable qui a enfreint la
loi. C'est d'ailleurs en ce sens que le Christ déclare: « N'allez
pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne
suis pas venu apporter la paix, mais le glaive ».1° Le manche
rouge de l'épée souligne en ce sens son aspect opératif (le
rouge incarnant l'action dynamique par excellence). La lame
à double tranchant précise, quant à elle, que l'application de

10- Matthieu X, 34.

175
LA JUSTICE

la justice divine se fait selon la vérité (symbolisme du tran­


chant bleu), en toute impartialité et intégrité, sans aucune cor­
ruption (symbolisme du tranchant blanc). En outre, elle tient
l'épée dans sa main droite. Or nous savons que le côté droit
évoque l'avenir alors que le côté gauche est associé au passé.
Dès lors, en tenant l'épée dans sa main droite, la Justice nous
indique que la sentence rendue par le glaive suit le jugement
établi par la balance.
Enfin, toujours à propos de l'épée, il importe de bien
préciser qu'il ne faudrait pas l'assimiler, en tant qu'instrument
de châtiment, à une expression de la vengeance divine. Au
contraire, celui qui s'écarte du cercle clos de l'intimité divine
(en ne respectant plus les préceptes de Dieu) s'expose alors
aux attaques des forces ténébreuses de l'involution. Dès lors,
en frappant le fautif de l'épée, Dieu se comporte à l'image du
bon pasteur qui assène à la brebis récalcitrante un coup de sa
houlette pour lui faire regagner l'enclos et échapper ainsi au
loup dont elle n'a pas toujours pris conscience.
Ajoutons que cet enclos, associé par le psalmiste à• des
prés d'herbe fraîche » 11 pour illustrer l'état de joie, dopas, de
fécondité et de plénitude qui y règne, peut être � sur
le huitième arcane par le trône richement orné sur �ge
la Justice. A ce titre d'ailleurs, Oswald Wirth écrit:« 4eux
pilastres qui le flanquent sont ornés de demi-disque1 ..ati­
vement blancs et verts. Par leur fonne, ces orne�l­
lent les multiples mamelles de la Diane éphésienne; · �a­
trice de lait nutritif et de sève vitale... A leur en
coquille, il serait loisible de substituer des grenadeA
tes, symboles de la fécondité... ».1 2 Toutefois, 1�
coquille est tout aussi éloquent car il représente
11- Psaume 23 (22), 2.
12- Winh, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen.-41l:

176
LE TAROf: � VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

nel protecteur comme le rapporte un bestiaire du Moyen Age:


« selon la volonté divine, la nature a protégé la chair molle du
coquillage au moyen d'une solide écorce, comparable au sein
maternel protecteur ».1 3 Nous retrouvons, une fois encore,
l'image de l'enclos évoquée précédemment.

Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Sous sa forme maléficiée, la Justice évoque tout d'abord


la passivité et l'immobilisme en raison de sa position assise. En
effet, elle incarne alors un état de lourdeur et d'inertie. Asso­
ciée à la loi, cette position assise symbolise donc un processus
de sclérose, de cristallisation et d'enfermement puisque l 'exer­
cice de la Justice s'appuie dès lors exclusivement sur des cri­
tères illusoires et étrangers aux principes authentiques et véri­
tables de l'esprit. En conséquence, loin de libérer, elle aliène
au contraire toute réalité, contribuant ainsi à l'éloigner plus
encore de son essence profonde. A ce titre, nous avons affir­
ni que l'ample robe portée par la Justice présente une nette
dominante bleue. Or, dans sa dimension pervertie, le bleu est
précisément la couleur de l'illusion et de l'abstraction ( au sens
péjoratif du terme) sous l'influence desquelles la raison hu­
maine perd peu à peu le sens des réalités, élaborant des systè­
mes nébuleux n'ayant aucune véritable relation avec le
monde réel.
Ces critères illusoires sur lesquels la Justice pervertie
s'appuie pour exercer sa fonction n'émanent donc plus des
sphères divines mais de l' ego, comme l'évoque la présence du
symbole solaire présent sur la coiffe rouge de la jeune femme.

13- Cazenave, Michel, Encyclopédie des symboles, Edition française


établie sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque, Le livre
de Poche, Paris, 1996.

177
LA JUSTICE

En effet, si ce symbole représente la conscience illuminée en


communion plénière avec les mondes divins, il incarne, dans sa
dimension négative, une conscience placée sous l'emprise de
l'ego (ou de l'Esprit du monde), cette conscience ne perce­
vant plus la réalité que sous son apparence purement exté­
rieure (symbolisme de la couleur rouge maléficiée). En outre, la
large collerette rouge lisérée de blanc portée par la jeune
femme nous révèle également une puissance d'action
(incarnée par les épaules) exclusivement ordonnée en fonc­
tion des apparences extérieures (symbolisme de la couleur
rouge maléficiée) et ne reflétant plus aucune dimension de
l'esprit (symbolisme de la couleur blanche maléficiée, celle-ci
incarnant alors le vide et le néant).
De même encore, les huit boucles ornant sa chevelure
blonde nous indiquent que l'expression de son identité, pla­
cée sous le joug de l'ego (symbolisme de la chevelure blonde),
s'inscrit au sein d'une dynamique contribuant à cristalliser et
à enfermer l'univers dans un carcan de règles contraires aux
lois cosmiques et divines (symbolisme du nombre 8 maléficié).
Quant au collier qu'elle porte autour du cou, il représente son
aliénation et son enchaînement à des valeurs purement facti­
ces et illusoires (celles que lui propose l'Esprit du monde). En
outre, nous avons vu que la Justice siège sur un trône riche­
ment orné. Or, sous sa forme maléficiée, ce trône ne représente
plus la création en tant qu' oeuvre divine mais le monde en
tant qu'oeuvre des puissances ténébreuses. Ainsi, ces orne­
ments multiples illustrent les fausses valeurs (les mensonges)
que le Prince de ce monde proposent à ceux qui le servent et
qu'il leur fait tenir pour vraies alors qu'elles ne sont que de
purs artifices maintenant l'humanité dans un état de médiocri­
té.
Par ailleurs, représentée de face, nous avons vu que la
Justice regarde l'observateur droit dans les yeux. Cette atti-

178
LE TARar: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

tude évoque, sous sa forme maléficiée, une vision dogmatique


de la réalité: la Justice ayant des oeillères (ne pouvant regar­
der ni à droite ni à gauche). La rigueur rigide et sclérosante
avec laquelle elle applique la loi est en outre évoquée par la
couronne aux fleurons en fer de lance surmontant la coiffe.
En effet, à propos de cette couronne, Oswald Wirth écrit:
« c'est une allusion aux rigueurs de la loi qui s'appliquent
avec la froide cruauté d'une pointe de javelot pénétrant dans
les chairs ». 14
A un autre niveau, nous avons également souligné que
la Justice tient entre ses mains deux instruments: une balance
et une épée. A propos de la balance, elle symbolise, sous sa
fonne maléficiée, l'attitude consistant à changer constamment
d'avis selon les opportunités du moment. Elle évoque donc
un comportement hésitant et manquant d'objectivité. En fait,
elle représente un jugement faux et erroné, construit au gré
des circonstances mais ne s'appuyant nullement sur des va­
leurs solides et véritables (ce qui lui vaut une grande instabili­
té). Ajoutons que cette incapacité à évaluer une situation de
manière juste (c'est-à-dire en conformité avec les réalités divi­
nes) provient du fait que la balance est placée sous l'influence
de l' ego comme le confirme sa couleur jaune.
En effet, nous avons eu l'occasion d'affirmer à maintes
reprises que le jaune maléficié incarne toutes les pulsions
égoïques qui peuvent animer l'homme. Dans la même pers­
pective, nous avons dit que la Justice élève la balance au ni­
veau de son coeur. En d'autres termes, les principes sur les­
quels elle s'appuie pour rendre son jugement ne relèvent pas
de la raison mais du coeur. Or, dans sa dimension maléficiée, le
coeur n'est plus le siège de l'amour, mais celui des pulsions
égocentriques et instinctuelles comme l'attestent les propos

14- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, op. cit.

179
LA JUSTICE

du Christ: « c'est du dedans, du coeur des hommes, que


sor­tent les desseins pervers: débauches, vols, meurtres,
adultères, cupidités, méchancetés, ruse, impudicité,
envie, diffamation, orgueil, déraison. ».15
Quant à l'épée, elle illustre évidemment la puissance
des­tructrice engendrée par de tels jugements et son
manche rouge en souligne l'aspect destructeur (le rouge
maléficié in­carnant la violence et la destruction). La
lame à double tran­chant nous précise, quant à elle,
que l'application de cette justice se fait sur des critères
purement illusoires (symbolisme du tranchant bleu),
contribuant à un vaste processus de néan­tisation
(symbolisme du tranchant blanc). Ainsi, la fonction de
cette Justice n'est plus de corriger celui qui a enfreint
la loi divine. Au contraire, elle frappe aveuglément tous
ceux qui n'ont pas su se conformer aux principes et aux
règles que la justice humaine a édictés. Dès lors, elle n'est
plus mise au ser­vice de la vie mais conforte un
processus de sclérose et d'étouffement nourri par
l'intolérance, le dogmatisme et l'étroitesse d'esprit.
En ce sens d'ailleurs, le trône solide et massif sur
lequel siège la Justice illustre admirablement cette rigidité
obtuse et cette lourdeur transformant l'existence en un
véritable carcan limitant toute fonne d'expression. Quant
aux ornementations en forme de coquille surmontant les
deux pilastres, elles nous rappellent, une fois encore, par
la dureté de leur enveloppe, l'intransigeance cristallisée
avec laquelle la Justice émet ses verdicts.

15- Marc VII, 21-22.

180
LE TAROf: LES VlNGr-DEUX ARCANES MAJEURS

LALAMEVIIII
L'ERMITE

La lettre hébraïque: Teith.


La valeur numérique: 9.
Les éléments symboliques: Un homme couvert d'un ample
manteau, s'appuyant de sa main gauche sur un bâton et te­
nant une lampe dans sa main droite.
La dimension herméneutique: Ne plus appartenir au monde
(symbolisme de l'ermite) mais y oeuvrer néanmoins active­
ment en éveillant la lumière (évoquée par la lampe) qui y de­
meure cachée (à l'état de potentialité).
La dimension anagogique: Etre dans le monde tout en de­
meurant citoyen du ciel.
L'iDjonction: Etre humble et patient.
Les Méments à développer: La prise de distance par rapport
au monde, le sens de la discrétion et la persévérance.

181
L'ERMITE

L'Ermite

182
lE TARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETTRE TEITH

Du point de vue kabbalistique, la lame de l'Ermite cor­


respond à la neuvième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre
Teith, issue d'un ancien idéogramme représentant de la boue
agitée. Or la boue symbolise la matière passive et infonnelle,
propice à l'oeuvre de création. En effet, dans la tradition bi­
blique, c'est à partir de la boue (de la glaise ou de l'argile se­
lon les traductions) que Dieu créa l'homme en lui octroyant
une forme parfaite correspondant à sa destinée.
Dans la même perspective, le travail de l'artiste (qui de­
vrait idéalement prolonger celui de Dieu) consiste à dégager
d'une matière brute la forme qu'elle contient depuis les origi­
nes. Son oeuvre ne consiste donc pas à projeter sur la matière
sa propre volonté mais à dégager de celle-ci l'essence divine
qu'elle contient et la destinée qui lui est propre. A ce titre,
Gaston Bachelard, citant Alain, écrit: « "Tous ceux qui ont
sculpté des marionnettes dans des racines, comprendront; tout
le monde comprendra. Il s'agit de faire une statue qui ressem­
ble de mieux en mieux à elle-même. D'où un travail plein de
prudence. Car on pourrait perdre cette ressemblance, effacer
ce fantôme de modèle." Et Alain peut conclure: "On ne sculp­
te pas ce que l'on veut; je dirais qu'on sculpte plutôt ce que
la chose veut" ... » . 1
Considérant ce qui précède, la lettre Teith évoque le
processus par lequel la boue, vivifiée et modelée par la puis­
sance divine, quitte son état informel pour accéder à son plein
accomplissement, ceci ayant pour fonction de révéler Dieu au
sein de la création.

1- Bachelard, Gaston, La terre et les rêveries de fa volonté, José Corti,


Paris, 1947.

183
L'ERMITE

LENOMBRE9

D'un point de vue numérologique, la lame de l'Ermite


est associée au nombre 9. Or ce nombre évoque le processus
permettant à une chose de refléter parfaitement dans le monde
extérieur l'essence divine qu'elle porte au plus profond
d'elle-même. Ceci est d'ailleurs admirablement évoqué par le
fait que ce nombre résulte d'une triple addition du nombre 3.
Or nous savons que le nombre 3 correspond à l'expression et
à la révélation de la divinité (sous la forme de trois personnes,
par exemple). Répété trois fois, il évoque donc l'expression
divine au niveau des trois dimensions fondamentales de l'être
(le corps, l'âme et l'esprit). Ainsi, le nombre 9 symbolise l'être
régénéré, rendu parfait à l'image de son Créateur.
Dans les textes bibliques, nous retrouvons d'ailleurs
plusieurs illustrations de cela. Ainsi, l'apôtre Jean écrit dans
l'Apocalypse: « Puis je vis un autre Ange monter de l'orient,
portant le sceau du Dieu vivant; il cria d'une voix puissante
aux quatre Anges auxquels il fut donné de malmenex la terre
et la mer: "Attendez, pour malmener la terre et la mer et les ar­
bres, que nous ayons marqué au front les serviteurs de notre
Dieu." Et j'appris combien furent alors marqués du sceau: 144
000 de toutes les tribus des fils d'Israël. ».2 Or, selon le prin­
cipe de réduction théosophique, ce nombre se réduit au nom­
bre 9 ( 144 000 donne en effet 1 + 4 + 4 + 0 + 0 + 0 = 9). Il
désigne alors la qualité de l'élu pleinement accompli et realisé,
dont la personnalité se fait le fidèle reflet de l'esprit. Il s'agit
donc de celui qui, selon le mot de l'apôtre, réfléchit« comme
en un miroir la gloire du Seigneur ».3

2- Apocalypse VII, 2-4.


3- 2 Corinthiens III, 18.

184
lE TARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LENOM
Selon le dictionnaire, l'ermite désigne «un moine qui
vit dans la solitude pour prier et faire pénitence // une per­
sonne qui vit retirée».4 Ce terme fait donc référence à un cer­
tain mode de vie fondé sur le renoncement et dont le but est
d'atteindre l'union mystique avec Dieu (le terme moine vient
d'ailleurs du mot grec monos qui signifie «seul»). D'abord
répandue en Egypte où les anachorètes ( « ceux qui se reti­
rent») habitaient dans des cavernes au milieu du désert, cette
manière de vivre fut également reproduite en Europe où les
ermites se construisaient des cabanes en forêt. On retrouve
l'équivalent dans les diverses religions de l'Inde où des ermi­
tes, réfugiés dans les bois pour méditer, accèdent, loin des
bruits du monde, à la connaissance des vérités supérieures.
Gautama Bouddha passa ainsi une grande partie de son exis­
tence à méditer sur la souffrance et à se détacher peu à peu de
toutes les chaînes de l'ignorance. La figure de l'ermite évo­
que donc celui qui s'est retranché du monde et de ses convoi­
tises pour vivre en intimité avec l'Esprit.
Ajoutons qu'en tournant ainsi le dos au monde pour
m ieux vivre en communion avec Dieu, l'ermite acquiert géné­
ralement des dons particuliers lui permettant par certaines vi­
sions, d'apporter une aide adéquate et bienfaisante à tous
ceux qui viennent le trouver pour lui demander conseil. Ainsi,
le personnage de l'ermite est présent dans de nombreux récits
médiévaux, éclairant le héros sur les voies que le destin lui
réserve et lui prodigant de précieux conseils pour qu'il puisse
plus aisément atteindre l'objet de sa queste.

4- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.

185
L'ERMITE

LA LAME DE l'ERMITE

Description de la lame

Cet arcane met en scène un vieil homme dont la barbe


blanche a la fonne d'un triangle isocèle pointé vers le bas. Il
est entièrement recouvert d'une ample cape brune doublée de
bleu sous laquelle il porte une robe d'un jaune éclatant.
Plus encore, il tient dans sa main gauche un bâton de
pèlerin et, de sa main droite, il élève à la hauteur du regard,
une lanterne verte allumée. A ses pieds, chaussés de sandales
blanches, un cobra rouge est redressé et semble lui indiquer la
vme.
Interprétation symbolique de l'arcane

A propos de ce neuvième arcane, soulignons d'abord


que le vieil homme est un ermite, comme l'indique explicite­
ment la dénomination de la lame. En ce sens, il est un homme
pleinement affranchi des puissances du monde et vivant en
parfaite intimité avec Dieu. Plusieurs éléments présents sur
l'arcane nous confirme d'ailleurs son état. En effet, notons
d'abord qu'il est un homme âgé. Or nous avons déjà pôeisé,
en abordant l'arcane du Pape, que la vieillesse est, dans la
plupart des traditions, un signe de sagesse et de vera Plus
encore, nous avons ajouté qu'en raison du retrait de Ja vie
active qu'elle suppose, la vieillesse est « faite pour � Ce
rapport entre la vieillesse et la prière est si fort que Jea !81tho­
doxes appellent leurs moines « vieillards » même ont
moins de trente ans. Dans cette perspective, la sagesse ae ré­
sulte pas de la somme des expériences accumulées, mad3 d'une
capacité à se consacrer totalement aux. oeuvres �t
sans se laisser perturber par les influences du ma1111-.��ette

186
LE TARUf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

sagesse n'implique pas cependant que l'ermite se désintéresse


du monde extérieur.
En effet, notre personnage possède une large barbe
blanche à l'instar du Pape. Or nous avons vu à propos du
cinquième arcane que cette barbe blanche indique l'exercice
d'une puissance et d'une suprématie sur le monde créé (une
autorité alors reçue de Dieu comme l'évoque la couleur blan­
che étroitement associée aux réalités divines). Mise en rapport
avec l'Ermite, cette barbe possède toujours la même significa­
tion. Toutefois, en adoptant la forme d'un triangle isocèle
pointé vers le bas, elle conforte encore plus l'idée que cette
puissance est pleinement opérative au sein de la création.
C'est également ce qu'évoque la large cape brune de
l'Ermite, le brun étant avant tout la couleur de la glèbe, de
l'argile et du sol terrestre (évoquant en outre la lettre Teith
associée à l'image de la boue). Ainsi donc, n'appartenant plus
au monde comme son statut d'ermite le suggère, il n'en est
pas moins pleinement actif. Rappelons ici les paroles que le
Christ adressa à son Père au sujet des apôtres: « Je ne te prie
pas de les enlever du monde mais de les garder du Mauvais.
Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du
monde... Comme tu m'a envoyé dans le monde, moi aussi, je
les ai envoyés dans le monde. ».5 Ces paroles auraient égale­
ment pu être prononcées à l'adresse de l'Ermite: il
n'appartient plus au monde mais il oeuvre néanmoins dans le
monde.
Ajoutons à ce titre que le brun fut toujours considéré
dans la symbolique chrétienne comme étant la couleur de
l'humilité (humilitas venant du terme humus signifiant terre)
et c'est pourquoi plusieurs ordres monastiques l'adoptèrent
comme couleur de bure. Cette remarque est intéressante car

5- Jean XVII, 15-16; 18.

187
L'ERMITE

elle nous indique que si l'Ermite est pleinement agissant dans


le monde, il n'en retire cependant aucune gloire (ne faisant
pas partie du monde, il ne saurait en effet être valorisé par lui).
Toutefois, il porte sous cette cape une robe d'un jaune écla­
tant. Or le jaune rappelle la couleur du Soleil. Plus pré.cisément
encore, il incarne les valeurs authentiques et véritables de
l'être profond (les valeurs de l'esprit). Ainsi, s'il est pleine­
ment incarné dans le monde, l'Ermite demeure cependant par­
faitement conscient de son essence divine à laquelle il accède
par la prière et par la foi (symbolisme de la doublure bleue de
sa cape brune).
Dans la même perspective, notons la présence du bâton
qu'il tient en main. A propos de cet objet, nous savons qu'il
incarne un principe de souveraineté exercé sur le monde créé.
En ce sens, il était, chez les Celtes, un symbole privilégié du
pouvoir dont les druides disposaient pour commander aux
éléments. Attribut exclusif des initiés, il symbolisait donc
l'autorité légitime et naturelle dont ils étaient investis. Dans
cette perspective, il conforte le symbolisme de la barbe évo­
qué précédemment. Toutefois, il est aussi le symbole de la
connaissance. A ce titre d'ailleurs, « le bâton, signe d'autorité
et de commandement, n'était pas réservé seulement, en Grèce,
aux juges et aux généraux, mais aussi, comme marque de di­
gnité à certains maîtres de l'enseignement supérieur, car nous
savons que les professeurs, chargés d'expliquer les textes
d'Homère, portaient un bâton rouge (couleur réservée aux
héros) quand ils interprétaient l'Iliade et un bâton jaune (en
signe des voyages éthérés d'Ulysse sur la mer céleste) quand
ils parlaient de l'Odyssée. ». 6
Ainsi, le bâton de l'Ermite incarne la forrnidabletcon­
naissance dont il est détenteur. En ce sens, il est divis6 m huit

6- Lanoë-Villene G., Le Livre des symboles, op. cit.

188
l.E TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

sections et nous savons que le nombre 8 est précisément celui


de la connaissance. Or il est remarquable de constater que le
dieu Thot de l'Egypte pharaonique (Hermès pour les Grecs),
dieu de la connaissance et patron des scribes, possédait un
sanctuaire à Hermapolis Magna (la« grande ville d'Hermès»)
et que cette ville était appelée en langue égyptienne Schmun
ce qui se traduit par «Huit». Thot était d'ailleurs désigné
comme « le Seigneur du nombre huit». Enfin, le fait que le
bâton de l'Ermite soit jaune (couleur de l'esprit) nous précise
que cette connaissance porte essentiellement sur les réalités
divines.
Ajoutons encore que l'Ermite n'est pas représenté dans
une position statique. En effet, doté d'un bâton (de couleur
jaune pour indiquer qu'il est guidé par l'esprit) et d'une cape
de pèlerin, il est en marche. En d'autres tennes, il est en che­
minement et il ne fait que passer dans ce monde, sachant bien
que le terme de sa route n'est pas là. «Soyez passant» ex­
horte le Christ dans l'évangile apocryphe de saint Thomas et
l'Ermite est une incarnation éloquente de ce logion Plus en­
core, il accomplit sa pérégrination dans la pauvreté, soulignant
ainsi son détachement vis-à-vis des biens que lui propose le
monde.
Ainsi, il n'appartient plus au monde mais il oeuvre néan­
moins en sa faveur. La lanterne allumée qu'il tient dans sa
main droite (la main associée à l'action dynamique) nous ré­
vèle d'ailleurs la nature de son action: elle consiste essentiel­
lement à apporter la lumière à tous ceux qui demeurent encore
dans les ténèbres. Porteur de la lumière de l'esprit, il éveille
donc cette même lumière (cette essence divine) demeurant
cachée (à l'état de potentialité) au sein de la création. A ce
titre, notons que la lanterne est de couleur verte, la couleur de
la transmutation et de la régénération. Dans la même perspec­
tive, il se dirige vers la gauche. Or la gauche évoque l'intro-

189
L'ERMITE

version, l'origine (alors que la droite s'associe à l'expa._..� à


l'avenir). Cet élément nous confirme donc que I'<>e1111ti"- de
l'Ermite consiste à faire en sorte que l'aspirant prenno
ment conscience de son origine, c'est-à-dire de l'
vine endormie au plus profond de lui-même, afin de I'
et de la rayonner tout autour de lui.
Notons cependant que sa lampe est partiell
mulée sous la cape brune qu'il porte, rayonnant ainsi
mière discrète. Oswald Wirth interprète ce fait de
pertinente: « Sa mission n'est point de fixer les cro
formulant le dogme, l'Ermite n'étant pas le Pape (
ne s'adresse pas aux foules et ne se laisse approc
les chercheurs de vérité qui osent s'enfoncer jusq
solitude. A eux il se confie, après s'être assuré qu'"
pables de le comprendre, car le sage ne jette pas ses
pourceaux. ». 7 En outre, l'Ermite porte la lurnièœt
terne à la hauteur de ses yeux. Ceci signifie qu'il
qui l'approche avec le regard de l'esprit, sac
l'impie du chercheur sincère et authentique.
Wirth écrit: « La clarté dont dispose le solitaire
pas, du reste, à éclairer les surfaces: elle pénètre,
masque l'intérieur des choses. Pour reconnaître
véritable, Diogène a dû se servir d'une lanterne
celle de l'Ermite du Tarot. ».8
Soulignons enfin la présence d'un cobra r-o
aux pieds de l'Ermite. Ce serpent évoque l'urae
Egyptiens, ce cobra femelle en colère, à la gœ
prêt à l'attaque, qui personnifie l'oeil brûlant du
présenté sur le front des pharaons ou coiffant
7- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-dge,
et Emile Nourrey, Paris, 1927.
8- Ibid.

190
ΠT AROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

res, il était le détenteur du feu divin. En ce sens, il ne pouvait


être porté que par l'héritier légitime du trône. Même le dieu
Geb qui voulut s'en emparer à tort, dut subir sa foudroyante
colère. Mis en rapport avec l'Ermite, il nous rappelle que ce
personnage est pleinement investi par les forces de !'Esprit et
qu'il est vecteur d'une formidable puissance spirituelle. Plus
encore, l'Ermite éveille ces mêmes forces au sein de la créa­
tion. En effet, il n'est pas erroné de penser que c'est en frap­
pant le sol (la création) de son bâton (le pouvoir spirituel qu'il
détient) qu'il réveille le serpent (la puissance créatrice) qui se
redresse alors.
Enfin, les sandales blanches que porte l'Ermite sont
également très éloquentes. En effet, elles sont des souliers ou­
verts symbolisant la capacité de celui qui les porte à révéler a u
monde l'essence qui l'anime (le pied étant traditionnellement
considéré comme la racine profonde à partir duquel l'homme
croît et se développe). C'est en ce sens d'ailleurs que le port
de sandales était imposé aux moines dans la mesure où ceux­
ci devaient s'appliquer, en rentrant dans les Ordres, à ne plus
exprimer les fausses valeurs de leur ego mais celles de leur être
intime (celles de l'esprit). En outre, nous avons vu que le
blanc ne conserve aucune couleur pour les rayonner dans leur
intégralité. Dès lors, les sandales blanches nous indiquent que
l'Ermite agit conformément aux valeurs de son essence pro­
fonde, sans les travestir ou les dénaturer.

Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Nous avons vu que le vieil homme de la neuvième lame


est un ermite comme l'indique explicitement la dénomination
de cet arcane. Or si la figure de l'ermite évoque, dans sa di­
mension positive, celui qui s'est retranché du monde et de ses
convoitises pour mieux s'unir à Dieu, elle incarne toujours,

191
L'ERMITE

sous sa dimension négative, l'idée d'un retrait du monde.


Toutefois, ce retrait est alors motivé par la haine ou le mépris
du monde jugé trop indigne. Aussi, l'Ermite maléficié se place
sur un piédestal en considérant les autres avec dédain: c'est
l'orgueil spirituel. En fait, il incarne alors un processus de fuite
généralement utilisé par celui qui a échoué sur un plan maté­
riel, affectif ou spirituel. Il se focalise alors sur les plans céles­
tes, prétextant être l'élu de Dieu. Toutefois, il ne comprend
pas que la réalisation spirituelle suppose un sacrifice et un don
de soi. Au contraire, il cherche à se réaliser une fois de plus,
mais sur un plan qui lui semble plus adéquat. Il s'agit évidem­
ment là d'une grave erreur puisque c'est à partir du moment
où l'aspirant a renoncé à sa propre évolution spirituelle pour
mieux se placer au service des autres qu'il peut véritablement
avancer. Subissant donc une véritable inflation de l'ego,
l'Eritem
maléficié se considère, au contraire, comme un être
infiniment plus évolué que ceux qui l'entourent et ne tarde
pas à sombrer dans une véritable mégalomanie spirituelle le
conduisant à sa propre perdition. Plusieurs éléments présentés
sur l'arcane confirme cette caractéristique.
En effet, le fait qu'il soit âgé évoque déjà, dans son as­
pect négatif, un processus de dégénérescence et de décrépi­
tude puisque la vieillesse s'oppose radicalement à la vie en
incarnant de manière tangible l'oeuvre destructrice des forces
régressives. Indissolublement liée à la mort dont elle se fait
l'annonciatrice, elle rappelle donc à l'homme qu'il s'est éloi­
gné de la source de toute vie (c'est-à-dire de Dieu). Le vieillis­
sement et la mort sont d'ailleurs apparus, dans les récits bibli­
ques, après la Chute. Ainsi, le vieillissement incarné par
l'Ermite ne souligne pas seulement son état de rupture avec la
puissance divine, mais également son lien étroit avec les puis­
sances mortifères.

192
I.E TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

Quant à sa barbe, elle n'évoque plus la puissance divine


de celui qui a su se placer au service de Dieu, mais la fausse
puissance, illusoire et éphémère, que lui confère l'Esprit du
monde. Le fait qu'elle soit blanche (la couleur du vide et du
néant) conforte en outre l'idée que cette puissance n'a pas
d'existence réelle, mais résulte plutôt d'un artifice exercé par
l'Esprit du monde sur une conscience complètement abusée
et illusionnée. De plus, en adoptant la forme d'un triangle iso­
cèle pointé vers le bas, elle nous indique que cette puissance
illusoire est pleinement effective et opérative au sein de la
création. C'est également ce qu'évoque la large cape brune
de l 'Ermite. En effet, en tant que couleur terrestre, le brun in­
carne toujours un lien direct avec les choses de ce monde.
Toutefois, cette couleur se teinte maintenant d'une connota­
tion profondément négative en évoquant l'attitude avilissante
de celui qui méprise la création (en effet, la haine qu'il ex­
prime, loin de contribuer à révéler l'essence divine enfouie au
sein de la création, l'étouffe au contraire davantage).
Evoquant l'excrément, la couleur brune maJéficiée
s'associe d'ailleurs étroitement aux forces de dégénérescence
ainsi qu'aux tendances sadiques et perverses. En outre, nous
savons que le brun évoque la fausse humilité de celui qui af­
firme n'être rien pour ainsi mieux briller aux yeux des autres.
Enfin, sous sa cape brune, l'Ermite porte une robe d'un jaune
éclatant. Cette couleur maléficiée évoque l'ego et le faux
éclat (ou la fausse puissance) qu'il confère à celui dont la
conscience s'est placée sous son autorité. Nous retrouvons
bien cette inflation de l'ego qui, nourrissant en lui des chimè­
res et de vaines illusions (symbolisme de la doublure bleue de
la cape), avilit gravement la création.
Dans la même perspective, notons la présence du bâton
que l'Ermite tient en main. En effet, sous sa forme maléficiée, il
s'apparente à la baguette utilisée par les sorcières pour ensor-

193
L'ERMITE

celer et transformer les êtres et les choses en des créatures im­


mondes. Aussi, le bâton prive alors la matière de ses pouvoirs
et de ses facultés, la désacralisant et la cristallisant sous une
forme moribonde. Plus encore, s'il est un symbole de la con­
naissance en incarnant le pouvoir d'enseigner, il représente,
sous sa forme maléficiée, le dogmatisme, l'intolérance et
l'étroitesse d'esprit, autant d'expressions propres à l'ego
(évoqué une fois encore par la couleur jaune du bâton). La
conscience, désormais dépossédée de ses forces intérieures, ne
perçoit donc plus que la seule dimension extérieure des cho­
ses ainsi cristallisées. En outre, nous savons que le bâton est
divisé en huit sections. Or le nombre 8 maléficié évoque préci­
sément une fausse connaissance, tout à fait illusoire, originant
de l'ego. D'ailleurs, ce nombre est celui du mensonge comme
l'illustre notamment l'iconographie chrétienne qui fit de la
pieuvre, cet animal à huit tentacules, l'emblème de la trahison.
Par ailleurs, nous avons noté que l'Ermite n'est pas re­
présenté dans une position statique. En effet, doté d'un bâton
(de couleur jaune pour indiquer qu'il est guidé par les illu­
sions de l'ego) et d'une cape de pèlerin, il est en marche. Dans
une perspective négative, ceci nous apprend que sa vie est
une véritable errance. Complètement aveuglé par les chimères
et les illusions issues de son ego, il est alors en queste d'un
monde meilleur qui n'est pas autre chose qu'un véritable ni­
rage qui s'éloigne à mesure qu'il avance. D'autre part, la lan­
terne allumée qu'il tient dans sa main droite (la main associée
à l'action dynamique) nous révèle qu'il ne perçoit plus le
monde qu'à travers une fausse lwnière, un élément venant
encore confirmer tout ce que nous venons d'évoquer. Ainsi,
l'Ermite incarne celui qui, s'illusionnant sur son son (se con­
sidérant comme un être d'exception), ne perçoit plus les êtres
et les choses qu'à travers ce qu'il veut bien voir et entendre.
En outre, notons que cette lumière est partiellement voilée
194
ΠTARITT: LES VlNGf-DEUX ARCANES MAJEURS

indiquant que sa vision du monde est filtrée et obscurcie par


les prétentions de son ego. A ce titre, la lanterne est d'ailleurs
de couleur verte, une couleur qui, dans sa dimension maléfi­
ciée, s'associe étroitement au processus de dégénérescence. Il
se dirige également vers la gauche et ceci évoque, sous une
fonne maléficiée, un processus de régression nous confirmant,
une fois de plus, que l'Ermite, totalement aveuglé par les for­
ces du monde, chemine vers sa perdition.
Notons enfin la présence d'un cobra rouge, redressé à
ses pieds. Il semble bien lui indiquer la route. Or si ce serpent
évoque le feu solaire et celui qui, pleinement investi par les
forces de l'Esprit, est vecteur d'une formidable puissance
créatrice, il représente, dans sa dimension négative, la formida­
ble puissance destructrice de l'Esprit du monde. En effet, Sa­
tan, « l'antique serpent »,9 confère une fausse puissance à
tous ceux qui le servent. Plus encore, l'Ermite éveille ces mê­
mes forces destructrices au sein de la création puisqu'en frap­
pant le sol (la création) de son bâton (le pouvoir que lui con­
fère l'ego), il réveille ce serpent (la puissance destructrice) qui
se redresse alors. Dans la même perspective, les sandales blan­
ches qu'il porte nous révèlent qu'il agit conformément à des
valeurs factices (symbolisme de la couleur blanche maléficiée).

9- Apocalypse XII, 9.

195
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LAME X
LA ROUE DE FORTUNE

La lettre hébraïque: Yod.


La valeur numérique: 10.
Les éléments symboliques: Une grande roue autour de
laquelle trois personnages sont disposés (l'un au sommet,
l'autre descendant du côté gauche et le troisième remontant
du côté droit).
La dimension herméneutique: Ne pas s'opposer à la mou­
vance de la vie (évoquée par la roue) mais l'intégrer pleine­
ment en sachant que rien n'est jamais acquis (symbolisme des
trois personnages).
La dimension anagogique: Accepter pleinement son destin
et s'ouvrir à la vie.
L'injonction: Accepter le changement.
Les éléments à développer: Le sens de l'adaptabilité, celui de
la mobilité et celui du changement.

197
LA ROUE DE FORTUNE

La Roue de Fortune

198
LE TARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETTRE YOD

Du point de vue kabbalistique, la lame de la Roue de


Fortune correspond à la dixième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre
Yod, issue d'un ancien idéogramme représentant un bras
prolongé par une main. Or la main symbolise, dans la tra­dition
hébraïque, l'action de Dieu dans la totalité de sa puis­sance, une
action rendue en outre pleinement manifeste au sein de Sa
création. Ainsi, !'Ecclésiaste déclare: « Aux mains du Seigneur est
le gouvernement du monde... ». 1 De même, le roi David loue Dieu en
ces termes: « La richesse et la gloire te précèdent, tu es maître de
tout, dans ta main sont la force et la puissance; à ta main d'élever et
d'affermir qui que ce soit. ».2
Dans cette perspective, la lettre Yod représente la
puissance divine à l' oeuvre au sein du monde créé pour en assurer
le développement plénier. Si Dieu était en Aleph une divinité
génitrice, en Yod, il devient donc un dieu artisan fa­çonnant son
oeuvre selon le dessein qu'Il lui a réservé. Et Sa main (dont
l'idéogramme évoque la lettre Yod) occupe alors une place
prépondérante puisqu'elle sculpte, modèle et cisèle la création. A un
autre niveau, les kabbalistes associent éga­lement la lettre Yod au
germe divin caché au coeur de chaque chose. Ce germe est alors
progressivement révélé au monde par la main même de Dieu.
D'ailleurs, être saisi par la main de Dieu signifie, dans la théologie
mystique, recevoir la manifes­tation de Son Esprit. Or ceci consiste à
prendre conscience de l'étincelle divine (du germe divin) qui anime
tout être et qui, une fois éveillée, l'embrase tout entier pour lui
permettre de se révéler pleinement dans le monde.

1- Ecclésiastique X, 4.
2- 1 Chroniques XXIX, 12.

199
LA ROUE DE FORTIJNE

LENOMBREl0

D'un point de vue numérologique, la R


est associée au nombre 10. Or ce nombre é
talement le principe des êtres ou la mesure des
nombre 1) s'incarnant sur le plan matériel (CG
plan des dizaines). La volonté et l'essence di
les se trouvent alors parfaitement exprimées et
titre, Hermès écrivit: « Le 10 est la mère de l'
lumière y sont unies. Parce que le nombre 1 e
le nombre 10 de la matière; l'unité a fait le 10
De même, ce nombre était, chez les Pythag
même des mystères de la création. On le cons
comme le plus sacré des nombres et il était lo
gié de la création dans sa dimension la plus
Dans les textes bibliques, nous retrou
pects symboliques de ce nombre exprimés so
plicite. Ainsi, il évoque fréquemment l'expres
divine au sein de l 'univers. En effet, la traditi
apprend qu'il existe dix lois décrétées par
monde matériel. En ce sens, le livre de 1
« Moïse demeura là, avec Yahvé, quarante J
nuits. Il ne mangea ni ne but, et il écrivit sur
roles de l'alliance, les dix paroles. ».3 Dans
Deutéronome ajoute: « Il vous révéla son
ordonna de mettre en pratique, les dix parq
sur deux tables de pierre. ».4 Le nombre 10
bien à l'expression du principe originel (de
au sein de l'univers.

3- Exode, XXXIV, 28.


4- Deutéronome IV, 13.

200
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LE NOM
Selon le dictionnaire, la roue de fortune est une
« allégorie des vicissitudes humaines ». 5 En fait, elle illustre
l'existence humaine avec ses successions de joies et de pei­
nes, de hauts et de bas, de réussites et d'échecs. En ce sens,
on la retrouve dès l'Antiquité associée à la déesse Fortune (ou
Fortuna) qui était chez les Romains la déesse du Hasard ou de
la Chance (elle correspondait à la déesse Tychè des Grecs).
On raconte que, par son entremise, les dieux distribuaient aux
mortels les biens et les maux, les joies et les peines. Au
Moyen-âge, elle est représentée au niveau des ro saces de cer­
taines cathédrales gothiques (celles d'Amiens, de Bâle et de
Lausanne notamment). Des personnages (généralement trois
ou quatre rois) y sont alors illustrés, une légende latine ac­
compagnant leur présence. Ainsi, le personnage de gauche
(celui qui monte le long de la roue) s'écrie: Spes, regnabo
(Espoir ! je régnerai); celui d'en haut: Gaudium, regno
(Jouissance ! je règne); celui de droite (celui qui descend le
long de la roue): Timor, regnavi (Crainte ! j'ai régné) et celui
qui est tombé de la roue: Do/or, sum sine regno (Douleur, je
suis sans règne).
En fait, la roue de fortune symbolise, nous l'avons
compris, une destinée que l'homme ne peut modifier puis­
qu'elle relève de la volonté divine comme l'évoque explicite­
ment le prophète Jérémie: « Je le sais, Yahvé, la voie des hu­
mains n'est pas en leur pouvoir, et il n'est pas donné à
l'homme qui marche de diriger ses pas ! Corrige-moi, Yahvé,
mais dans une juste mesure, sans t'irriter, pour ne pas trop rre
réduire ». 6

5- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.


6- Jérémie X, 23-24.

201
LA ROUE DE FORTUNE

LALAMEDELAROUEDEFORTUNE
Description de la lame

Cet arcane met en scène une grande roue double à huit


rayons autour de laquelle sont disposés trois personnages hé­
téroclites formés de particularités anatomiques issues de plu­
sieurs espèces animales. L'un se trouve placé au sommet de la
roue, l'autre descend du côté gauche et le troisième remonte
du côté droit. Aucun des personnages n'a toutefois accès à la
manivelle actionnant cette roue.
Par ailleurs, un serpent rouge et un autre vert s'enrou­
lent autour d'un axe vertical soutenant la roue qui, posée sm
une petite barque formée de deux demi-lunes (l'une rouge. et
l'autre verte), navigue sur un océan agité.

Interprétation symbolique de l'arcane

A propos de ce dixième arcane, la roue évoque toü.t


d'abord une notion de mouvement et de cycle puisqu'-dle
tourne sur elle-même. En ce sens, elle nous rappelle, cotnOie
nous l'avons déjà précisé, que l'existence est fonnée d�
succession de joies et de peines, de hauts et de bas, de ré
tes et d'échecs. Les deux croissants de Lune dont elle é
conforte d'ailleurs cette assertion. En effet, comme l'élt
admirablement Mircéa Eliade, « astre qui croît, décroît
paraît, dont la vie est soumise à la loi universelle du
de la naissance et de la mort... la lune connaît une bis •
thétique, de même que celle de l'homme... mais sa mod
jamais définitive... Cet éternel retour à ses fonnes · •

202
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

·cité sans fin font que la lune est par excellence


rythmes de la vie... ». 7
t..e fait que la Lune soit double nous indique par sur­
croît-que le processus de changement cyclique dont elle est
l'iœamation sensible affecte à la fois la dimension matérielle
(le coa:ps) symbolisée par le croissant de lune rouge (le rouge
étant associé à la dimension extérieure de l'être) et la dimen­
sion psychique (l'âme) symbolisée par le croissant de lune
vert (le vert étant associé à une dimension intérieure de l'être).
La dimension spirituelle (l'esprit) échappe, quant à elle, à ce
principe de mouvance. En outre, l'océan sur lequel naviguent
ces deux croissants évoque l'instabilité de l'existence hu­
maine. Quant aux deux serpents s'élançant chacun des deux
croissants, ils correspondent selon Oswald Wirth « aux deux
ordres de courants vitaux, qui sont positif ou négatif et se tra­
duisent en motricité (rouge) et en sensibilité (vert) ». 8 En fait,
l'image de ces deux serpents enroulés autour d'un axe central
évoque les trois canaux subtils disposés le long de la colonne
vertébrale. La tradition hindoue les nomme Ida., Pingala et
Suchumna. Ida est alors associé au cerveau droit et Pingala
au cerveau gauche. L'état de conscience ordinaire résulte du
fonctionnement alterné de ces deux canaux. Quant à Su­
chumna, il occupe une position centrale et son activation as­
sure la fusion des deux autres, générant ce « sentiment
d'union» dont parlent certains mystiques: c'est l'éveil inté­
rieur.
Plus encore, l'image de ces deux serpents s'enroulant
autour d'un axe central rappelle de manière éloquente le ca­
ducée d'Hermès qui se compose d'une baguette autour de
7- Eliade, Mircéa, Traité d'histoire des religions, Paris, 1964.
8- Wirlh, Oswald, Le Tarot des imagiers du moyen âge, Le Symbolisme
et F.mile Nourrey, Paris, 1927.

203
l.A ROUE DE FORTIJNE

laquelle s'enroulent, en sens inverse, deux serpents do111t•


têtes sont tournées l'une vers l'autre. Or le caducé d'Hte•
évoque la révélation. En effet, Homère nous ra�
qu'Hermès « saisit la baguette au moyen de laquelle il ch�
à son gré les yeux des mortels ou réveille ceux qui d
Sous son action, les yeux de l'homme s'ouvrent donc s
destin que Dieu lui réserve et dont il ignorait jusqu'
l'existence (dormant dans un état de totale inconsci
Réveillé, il devra cependant focaliser tous ses effona
conformer son existence à ce sublime destin. En ce sem
éloquent de remarquer que les trois personnages placél
pourtour de la roue n'ont pas accès à la manivelle acd
la roue. Ils ne peuvent donc pas maîtriser ce process
fait, si aucun ne peut toucher la manivelle, c'est que
est actionnée par l'Inconnu des inconnus (par Dieu).
sens, cette manivelle est au centre de la roue pour bi
quer que c'est Dieu qui agit au coeur de l'existence.
A un autre niveau, cette roue de fortune évoque
ment la loi de causalité (la loi du karma des orientau
laquelle nos actes sont inévitablement liés à des con
(c'est l'inexorable retour des choses). A ce titre, kninAui
bure écrit fort pertinemment: « "Karma" à l'origine,
"roue". Il faut croire que, très anciennement, les
marquèrent dans la destinée humaine des retours péri
d'événements, qui rappelaient le passage régulier �
d'une roue devant un observateur lorsqu'elle tourne.,.
mot "Karma" prit très vite aux Indes le sens de non
sion "roue du destin". Mais les hindous attribuèrent
cept une importance infiniment supérieure à celle que
accordons: c'est qu'ils croient que, pour chaque indiv�

9- Bonnard, André, Les Dieux de la Grèce, Editions de 1�


sanne, 1990.

204
lE TARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

cours d'innombrables incarnations successives, la roue du des­


tin tourne pendant un temps incommensurable. ».1°
Dans la tradition judéo-chrétienne, cette loi de causalité
correspond à la loi du talion que Dieu institua lorsqu'il déclara
à Noé et aux siens: « Qui verse le sang de l'homme, par
l'homme aura son sang versé ».1 1 Cette loi sera fort souvent
citée dans les textes bibliques. Pensons, par exemple, au roi
Adoni-Bézeq qui, avant d'expirer, déclara: « Comme j'ai fait,
Dieu me rend ». 12 Toutefois, elle ne doit pas être perçue
comme étant l'exercice d'une punition vengeresse imposée
par Dieu à la suite d'un acte répréhensible. Au contraire, par
l'épreuve qu'elle suscite, elle est une occasion de comprendre
le sens d'une leçon et de rectifier ainsi une attitude ou u n
comportement déviant. En outre, elle ne concerne pas exclu­
sivement les actes négatifs (contraires aux lois divines).
En effet, selon cette même loi, toute action positive
entraîne des conséquences du même ordre. C'est d'ailleurs à
cela que le Christ fit allusion lorsqu'il déclara: « tout ce que
vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous­
mêmes pour eux: voilà la Loi et les Prophètes ». 13 Cette
phrase a généralement été interprétée comme l'exposé d'une
règle morale affirmant que la charité exige de la part du chré­
tien qu'il fasse du bien à son prochain. Bien que cette inter­
prétation soit noble, elle ne tient toutefois aucunement comp­
te du texte biblique correspondant. En effet, il ne s'agit pas ici
de se préoccuper du bien de l'autre mais de son propre intérêt.
A ce titre, l'injonction est claire: « ce que vous voulez que les

10- Lefébure, Francis, Puissance du Christianisme, 2e édition, Québec,


1981.
11- Genèse IX, 6.
12- Juges I, 7.
13- Matthieu VII, 12.

205
LA ROUE DE R:>RTIJNE

hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux. ».


En fait, il s'agit donc d'un exposé de la loi de causalité qui,
correctement appliquée, devient un principe permettant
d'obtenir ce que l'on souhaite, l'homme acquérant ainsi un
certain contrôle sur son existence. Certes, l'aspirant devra être
prudent et ne pas chercher, par exemple, l'appauvrissement de
l'autre (ce qui aurait pour conséquence de l'appauvrir lui­
même). Cependant, il pourra employer ce principe dans le but
avoué d'accentuer son propre bien-être. En ce sens, s'il sou­
haite qu'une chose lui arrive, il fera de même pour l'autre.
Aussi, si la Roue de Fortune révèle à l'aspirant que sa
destinée ne lui appartient pas (puisque qu'elle relève de la
volonté divine), elle lui enseigne également l'existence d'une
loi utile à l'accomplissement de son destin. En effet, à chaque
faux pas qui l'éloigne de ce pourquoi il a été créé, cette loi le
ramène sur la bonne voie par l'épreuve qu'elle suscite. De
même encore, à chaque pas qui le rapproche de l'expression
de son être profond, elle lui permet de faire de plus grands pas
encore par les bonnes dispositions qu'elle lui prodigue.
Outre la roue, cet arcane présente également trois per­
sonnages. A ce propos, il convient dans un premier temps de
souligner qu'il ne s'agit pas d'êtres réels mais plutôt d'un as­
semblage hétéroclite de diverses particularités anatomiques
appartenant à plusieurs espèces animales. A titre d'exemple, le
personnage placé au sommet de la roue possède des ailes
d'oiseau, un buste de femme, des pattes de lion et les flancs
d'un taureau. Cette pluralité de constitution, également pré­
sente chez les autres personnages, évoque très certainement le
fait qu'ils ont su intégrer divers éléments multiples pour en
constituer une unité, les diverses parties animales étant sage­
ment ordonnées dans une forme unique 0'animal fabuleux en
tant que tel). Aussi, ces animaux symbolisent les multiples res­
sources de la personnalité (que la nature animale évoque),
206
I.E TAROT: l.ES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

placées sous la régence de l'esprit (symbolisé par l'unité) et


contribuant ainsi à la réalisation plénière de l'être. En ce sens,
ils sont revêtus d'habits ce qui signifie que les multiples pul­
sions dont ils sont l'incarnation ont été canalisées et alchirni­
sées, les animaux n'apparaissant plus sous une forme sauvage,
mais apprivoisée.
De manière plus précise encore, chacun de ces trois per­
sonnages correspond à une étape de l'existence. En effet,
celui qui s'élève sur la roue représente le principe de crois­
sance et de développement. Certains auteurs comme Oswald
Wirth l'ont identifié au génie du bien, Hermanubis, incarnant
« toutes les énergies bienfaisantes et constructives qui favori­
sent la croissance de l'individu et stimulent son rayonnement
vital. ». 14 Ce personnage représente donc la voie ascendante
par laquelle l'homme croît, se développe et s'épanouit. Mis en
rapport avec l'iconographie médiévale, il incarne le roi de
gauche (celui qui monte le long de la roue) qui s'écrie: Spes,
regnabo (Espoir ! je régnerai). A ce titre, il est intéressant de
noter que son corps est bleu. Or, le bleu est la couleur de la foi
et de la confiance, deux attitudes animant précisément celui
qui s'élève dans l'existence. En outre, l'écharpe jaune dont il
est ceint indique qu'il devra s'appuyer sur ses valeurs pro­
fondes s'il veut atteindre sa réalisation plénière. Enfin, sa tête
est celle d'un chien. Or le chien fut toujours perçu dans les
civilisations antiques comme un guide conduisant l'homme
vers la lumière. C'est d'ailleurs à ce titre qu'il fut universelle­
ment reconnu pour ses fonctions de psychopompe. Pensons,
par exemple, à Anubis, le dieu chacal des anciens Egyptiens. Il
s'agit donc bien d'une notion d'ascension et d'élévation vers
un état de rayonnement et de gloire (la lumière). En outre, le
personnage tient un caducée d'Hermès qui, nous le savons,

14- Winh, Oswald, Le Tarot des imagiers du moyen âge, op. cit.

207
LA ROUE DE R>R.11.JNE

évoque une prise de conscience du destin et les efforts dé­


ployés pour l'atteindre.
Un second personnage est positionné sur la partie des­
cendante de la roue. Il représente, quant à lui, le principe de
dissolution permettant à une forme d'évoluer et de s'adapter
aux nouvelles exigences de son développement. Oswald
Wirth l'a perçu comme un monstre typhonien incarnant
l'ensemble des agents de destruction. En ce sens, il l'associa
« au génie de la matière chaotique, Hyle, à laquelle il tend à
ramener ce qui est organisé, donc coordonné, soumis à une
règle et discipliné.» .15 En fait, ce second personnage
s'oppose à tout processus de cristallisation, confortant ainsi
l'idée que tout se transforme. La couleur verte de son corps le
confirme du reste (le vert évoquant un processus de transmu­
tation et de régénération). Mis en rapport avec l'iconographie
médiévale, il correspond au roi de droite (celui qui descend le
long de la roue). « Timor, regnavi (Crainte ! j'ai régné)» af­
finne-t-il.
Les vêtements de ce personnage sont également fort re­
présentatifs. Ainsi, l'écharpe brune dont il est ceint nous indi­
que qu'il devra s'appuyer sur une attitude d'humilité pour
traverser sans encombre cette -épreuve, le brun étant, nous le
savons, la couleur de l'humilité. Par ailleurs, Oswald Wirth voit
dans l'étrange tête de ce personnage celle d'un démon. Nous
nuancerons, quant à nous, ce terme de démon car il s'agit
moins d'un être démoniaque en tant que tel (c'est-à-dire op­
posé aux plans divins) que d'un être incarnant les forces de la
dissolution (s'incrivant dans une perspective de régénéra­
tion). Dans cette perspective, il tient une fourche évoquant
l'action des forces de la destruction. En effet, la fourche ser­
vait autrefois de supplice pour les esclaves. Elle était alors

15- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du moyen age, op. cit.

208
lE TAROT: 1.ES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

plantée dans le sol et la tête du condamné était placée entre


ses deux dents. Elle devenait ainsi pour eux un instrument de
retour à l'état primordial.
Enfin, un troisième personnage, dont l'apparence géné­
rale ressemble à celle d'un sphinx, occupe la place la plus éle­
vée au niveau de la roue. Or, pour bien comprendre ce qu'il
représente, nous devons d'abord mieux connaître le symbo­
lisme du sphynx, ce lion divin portant une tête de pharaon. En
ce sens, il représentait essentiellement dans l'Egypte antique
« une puissance souveraine, impitoyable aux rebelles, protec­
trice des bons. Par sa face barbue, il est roi ou dieu-solaire, il
possède les attributs du lion. Etant félin, il est irrésistible a u
combat. »_16 Il symbolise donc l'état de réalisation de celui qui
a pleinement accompli et réalisé ce dont il est porteur. Notons
que sur l'arcane, il réunit en lui les quatre éléments. En effet, la
tête écarlate et l'extrémité rouge de la queue évoquent évi­
demment l'élément feu. Les ailes bleues illustrent, quant à el­
les, l'élément air. La partie antérieure du corps aux seins pro­
éminents, de couleur verte, symbolise l'élément eau. Enfin, la
partie postérieure, de couleur brune, évoque la terre.
Ainsi, ce troisième personnage représente la fructification
et le rayonnement de toutes les potentialités de l'être relatives
aux quatre plans structurant sa personnalité: le plan physique
(en relation avec l'élément terre), le plan énergétique (en rela­
tion avec l'élément eau), le plan émotionnel (en relation avec
l'élément air) et le plan mental (en relation avec l'élément feu).
En d'autres termes, il évoque un état de maturité et de réalisa­
tion conférant une certaine puissance d'action (symbolisée
par l'épée que le sphynx tient dans sa main droite). Mis e n
rapport avec l'iconographie médiévale, il correspond évidem-

16- Posener G. (en collaboration avec Serge Sauneron et Jean


Yoyotte), Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Paris, 1959.

209
LA ROUE DE FOR1UNE

ment au roi d'en haut qui s'écrie: Gaudium, regno


(Jouissance ! je règne). Toutefois, ayant atteint un certain
épanouissement, il devra par la suite accepter de mourir pour
amorcer un nouveau défi.
En résumé, ces trois personnages nous apprennent que
tout est en mouvement et que rien ne peut grandir sans décli­
ner, s'enrichir sans s'appauvrir, s'affermir sans s'affaiblir. Ain­
si, rien n'est jamais acquis et si l'homme accepte d'assumer
pleinement s.>n destin, il se fait alors un chevalier errant à
l'image du Christ qui répondit au scribe: « Les renards ont des
tanières et les oiseaux du ciel ont des nids; le Ftls de l'homme,
lui, n'a pas où reposer la tête. ».1 7 Plus encore, ajoutons que
cette roue possède huit rayons unissant son centre à sa péri­
phérie. Sur un plan symbolique, ils évoquent le lien entre
l'intérieur (le moyeu) et l'extérieur (la jante). Au nombre de
huit, ils nous apprennent donc que, pour passer de la périphé­
rie (la personnalité) au centre (l'essence), il est nécessaire
d'intégrer les mystères de ce nombre qui, nous l'avons déjà
mentionné, est le nombre de la connaissance et plus précisé­
ment ici de la connaissance du destin. Ainsi, en cessant de fo­
caliser sa conscience sur l'apparence, en cultivant un rapport
de pure extériorité avec la vie (symbolisme du cercle extérieur
rouge de la roue sur lequel les trois personnages s'agrippent),
l'aspirant doit adopter une vision plus intérieure de la réalité
lui permettant de discerner l'essence au-delà de l'apparence
(symbolisme du cercle intérieur bleu de la roue). Ceci peut
alors faire en sorte qu'il découvre le destin que Dieu lui a ré­
servé. Dès lors, il se retrouve au centre de la roue et non plus à
sa périphérie, acquérant du même coup plus de stabilité,
n'étant plus balloté par les aléas de la vie.

17- Matthieu VIII, 20.

210
lE TARITT: lES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Sous sa forme maléficiée, la Roue de Fortune incarne es­


sentiellement chez l'homme une incapacité d'accepter le fait
que sa destinée ne lui appartienne pas (une réalité qu'il res­
sent alors comme une entrave à sa propre liberté). C'est pour­
quoi les personnages, disposés sur le pourtour de la roue,
adoptent une attitude de triste résignation. En effet, si la roue
symbolise la destinée, elle évoque, sous sa forme maléficiée,
une fatalité inexorable rendant inutile tout effort humain. La
destinée est donc alors ressentie comme implacable par
l'homme déchu qui développe en conséquence un esprit de
résignation mortifère l'amenant à s'enfermer dans une passivi­
té et un laisser-aller suicidaires ou, au contraire, un esprit de
rébellion l'incitant, coûte que coûte, à forcer son destin pour
le conformer à sa propre volonté.
Cette dernière attitude est admirablement illustrée dans
la mythologie grecque par le mythe de Sysiphe. En effet, arri­
vé au royaume des morts, Sysiphe obtint des dieux l'autorisa­
tion de retourner sur la terre pendant trois jours afin de châtier
son épouse qui n'avait pas rempli son devoir en ne lui rendant
pas les honneurs mortuaires. Cependant, une fois revenu sur
terre, il refusa de regagner le séjour des morts et les dieux du­
rent l'y ramener de force. Face à sa désobéissance, il fut alors
condamné à pousser en haut d'une montagne un gros rocher
(dénommé « le rocher de l'impiété») qui, chaque fois qu'il
allait atteindre le sommet, roulait jusqu'en bas. Dans ce mythe,
Sisyphe représente celui qui, refusant de se soumettre au des­
tin que Dieu lui a réservé, tente par tous les moyens d'y
échapper. Toutefois, en agissant ainsi, il s'expose inévitable­
ment à l'échec.
En effet, ce récit nous apprend non seulement que cher­
cher à accomplir autre chose que son destin nécessite des ef-

211
LA ROUE DE FORTUNE

forts très importants (Sisyphe est éreinté à chaque fois qu'il


pousse son gros rocher) mais il nous indique également que
ces efforts sont en outre inutiles puisque le résultat obtenu, ne
trouvant pas résonance avec l'identité profonde de celui qui
en est l'origine, n'est qu'illusoire, artificiel et conséquemment
éphémère (le rocher redescend en effet jusqu'en bas de la
montagne).
A un autre niveau, nous avons vu que la Roue de For­
tune évoque également la loi de causalité selon laquelle nos
actes sont inévitablement liés à des conséquences. Sous sa
dimension maléficiée, elle incarne donc la répétition monotone
et sans fin des épreuves et des expériences de la vie. En effet,
tant que l'individu n'a pas su trouver au fond de lui-même le
destin véritable pour lequel il a été créé, il reproduit les mêmes
erreurs et se retrouve nécessairement confronté aux mêmes
problèmes et aux mêmes situations pénibles. A ce titre, l'image
de Sisyphe poussant son énorme rocher, qui retombe inéluc­
tablement, aussitôt arrivé au sommet de la colline, est encore
une fois très éloquente, car elle met bien en exergue le carac­
tère répétitif, dérisoire et absurde des actes posés par celui qui
s'obstine à cultiver un comportement déviant par rapport à
son essence profonde.
En outre, il est intéressant d'ajouter que les psychanalys­
tes voient dans l'épreuve de Sisyphe l'expression du
« complexe d'échec affligeant les personnes qui semblent être
poursuivies par le sort et se retrouvent toujours dans les �
mes situations pénibles. Leurs relations amicales ou amoureu­
ses se terminent de la même façon: trahison, déception... Ils ne
parviennent pas à réaliser leurs aspirations ni à conserver un
emploi. Les causes extérieures de cette attitude sont diverses:
un manque de connaissance de soi et de ses limites, menant à
la surestimation de ses valeurs ou de ses capacités, une ambi­
tion démesurée, l'incapacité de tirer leçon de ses erreurs, et par

212
LE TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

cons6&plent de se perfectionner par manque de sens critique,


de jugement, de prudence ou de réflexion... Le complexe
d'échec s'accompagne généralement d'un sentiment d'im­
puissance, de faiblesse, d'insécurité, d'humiliation. ».1s
Outre la roue, le dixième arcane comporte également,
nous l'avons précisé, trois personnages. Or le fait qu'ils soient
composites évoque, sous une forme maléficiée, la présence
d'une multiplicité d'instincts encore mal maîtrisés leur confé­
rant ainsi une allure disharmonieuse. De manière plus précise
encore, le premier personnage associé à Hermanubis incarne
celui qui se focalise vers une fausse lumière, en se nourrissant
de vaines ambitions et de désirs pervers. En effet, le corps bleu
de cet être évoque toutes les illusions que se forge une con­
science encore aveuglée par l'Esprit du monde. Quant à
l'écharpe jaune dont il est ceint, elle nous indique que, pour
tenter de se réaliser, cette conscience s'appuie exclusivement
sur les fausses valeurs que lui propose l'ego (l'avoir, le pou­
voir et le valoir).
De plus, nous avons vu que la tête de cet être fabuleux
est celle d'un chien. Or, dans sa dimension négative, le chien
est traditionnellement considéré comme un animal impur en
raison du fait qu'il se nourrit d'ordures, de cadavres et de
viandes pourries. En effet, ces aliments représentent symboli­
quement les ambitions purement égocentriques de celui qui
appartient au monde d'en bas. En outre, ce personnage tient
un caducée d'Hermès qui, sous sa forme négative, évoque
l'endormissement de la conscience, symbolisant la cécité frap­
pant celui qui, focalisé sur l'apparence purement extérieure de
la réalité, est incapable de s'ouvrir à son véritable destin en

18- Julien, Nadia, Dictionnaire des Mythes, Marabout, Alleur


(Belgique), 1992.

213
lA ROUE DE R>RTIJNE

déployant les efforts nécessaires pour l'atteindre (ne poursui­


vant que des chimères et des illusions).
Dans sa dimension maléficiée, le second personnage il­
lustre, quant à lui, l'échec et la chute. En effet, il incarne l'être
dégradé et misérable qui, prisonnier de ses désirs égoïstes, est
placé sous l'emprise des forces régressives l'amenant inexo­
rablement à sa chute. En outre, il évoque également les senti­
ments négatifs développés par celui qui n'accepte pas le cycle
de la vie et qui est soumis, en conséquence, à un sentiment
d'échec, à une dépréciation de lui-même et à la perte de con­
fiance en ses capacités... La couleur verte de son corps le con­
finne d'ailleurs puisque le vert maléficié évoque le processus
de dégénérescence. Quant à 1 'écharpe brune dont il est ceint,
elle incarne également un processus de dégradation (le brun
étant la couleur de l'excrément et de la feuille morte). En ce
sens, nous avons mentionnné qu'Oswald Wirth voit dans
l'étrange tête de ce personnage celle d'un démon. Interprétée
de manière négative, il s'agit en effet d'un démon tel que la
tradition le perçoit habituellement: c'est-à-dire d'un être cher­
chant à réduire à néant !'oeuvre divine. En ce sens, la fourche
qu'il tient entre ses mains évoque une destruction sans espoir
de régénération. D'ailleurs, il n'est pas fortuit que l'imagerie
populaire nous présente le diable conduisant les damnés vers
l'enfer à l'aide d'une fourche.
Quant au sphinx, il représente, dans sa dimension maléfi­
ciée, une illusion amenant l'individu à croire qu'il a atteint sa
pleine réalisation. En effet, si cette créature trône au sommet
de la roue, il importe de rappeler qu'une roue ne possède ni
haut ni bas. En conséquence, sa position élevée n'est qu'un
pur artifice. Le sphinx symbolise donc l'orgueil et la vanité
qui entraînent l'homme à désirer s'élever matériellement
comme spirituellement, se cristallisant ainsi sur des acquis pu­
rement extérieurs. L'épée tenue par le sphinx n'est plus évi-
214
MOI': LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

bole de la vérité, mais l'emblème d'un faux


d'un ego qui, encore cristallisé sur lui-même,
profit les richesses des quatre plans de laper-
oqués par les quatre éléments incarnés par le
seoir son autorité.
, il est intéressant de considérer l'image du
utôt de la sphinge) telle qu'elle fut développée
· ue. En effet, contrairement à la pensée égyp­
(sous une forme féminine) était considéré par
mme un animal malfaisant. Gîtant sur un rocher au
passaient les voyageurs se rendant à la ville de
arrêtait pour leur poser la célèbre question:
être qui marche le matin à quatre pattes, à midi sur
et le soir sur trois pattes ? » Si le voyageur ne sa­
er une juste réponse, il se jetait alors sur lui et le
jour, pourtant, un jeune homme prénommé Oe­
répondre: « L'homme ! Il marche à quatre pattes
sur deux pattes étant adulte, et sur trois pattes
t vieux puisqu'il s'appuie sur un bâton. » A ces
· , vaincu par la sagesse d'Oedipe, se tua en se
ut du rocher. Au niveau symbolique, le sphynx
iDC la vanité et l'orgueil qui dévore celui qui ignore
véritable (la réponse à la question). Seul celui qui
vraie nature peut alors échapper à l'emprise de
table pulsion qui conduit inévitablement l'homme

umé, cette dixième lame du tarot nous enseigne


gereux de vouloir s'opposer au mouvement de
en cherchant à imposer son propre rythme à la vie.
fuser le changement, c'est se cristalliser et empê­
évolution, toute transformation, toute progression.
fait de croire qu'on a atteint le sommet, c'est se
à mourir. C'est d'ailleurs ce qui advint à Adam et

215
lA ROUE DE FOR11.JNE

à Eve qui, mangeant le fruit, crurent ainsi atteindre leur réalisa­


tion. Enfin, cet arcane nous révèle l'inutilité de fuir son destin
puisqu'il est fondamentalement inexorable. En ce sens, la roue
illustrée sur cette lame possède huit rayons et ce nombre évo­
que, sous sa forme maléficiée, une connaissance illusoire résul­
tant de l'ego. Dès lors, cette image évoque l'action perverse
de l'ego qui, se plaçant au centre de l'être (le moyeu de la
roue), illusionne l'individu sur le fait qu'il puisse se forger lui­
même son propre destin (symbolisme des huit rayons). En ef­
fet, ce qui en résulte est alors purement factice et conséquem­
ment exposé à tous les aléas de l'existence, l'individu perdant
toute stabilité en se retrouvant à nouveau à la périphérie de sa
roue.

216
TAROf: ŒS VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LAME XI
LA FORCE

La lettre hébraïque: Kaf.


La valeur numérique: 11.
Les éléments symboliques: Une jeune femme tenant ouverte,
sans effort, la gueule d'un terrible lion.
La dimension herméneutique: Exprimer sa force intérieure
(évoquée par la jeune femme) pour maîtriser et canaliser, sans
contrainte, les pulsions instinctuelles et égoïques symbolisées
par le lion.
La dimension anagogique: Se libérer du cercle clos de l' ego.
L'injonction: Utiliser sa force intérieure.
Les éléments à développer: La force morale, le sens de la dé­
tennination et la maîtrise de soi.

217
LA FORCE

La Force

218
LE TAROT: l.ES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETTRE KAF

Du point de vue kabbalistique, la lame de la Force cor­


respond à la onzième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre Kaf,
issue d'un ancien idéogramme représentant la paume d'une
main. Dans la tradition hébraïque, elle évoque donc tout natu­
rellement une attitude d'accueil, l'homme se disposant à rece­
voir quelque chose. Aussi, elle représente l'aptitude à ac­
cueillir mais également une capacité à transcender les pulsions
du moi personnel essentiellement associées au mode de l'ap­
propriation.
En ce sens, cette main ouverte, placée dans une atti­
tude de réception, est tournée vers le ciel. Or, par son immensi­
té et son inaccessibilité, le ciel est traditionnellement associé
aux puissances spirituelles fécondant le monde. Aussi, la lettre
Kaf évoque une capacité à sortir de soi-même pour se placer
dans une attitude de réceptivité et d'accueil vis-à-vis de Dieu.
C'est d'ailleurs en ces termes que Çophar de Naamat
s'adresse à Job souffrant: « Allons, redresse tes pensées, tends
tes paumes vers lui [Dieu] !... Ton malheur, tu n'y songeras
plus, il laissera le souvenir des eaux qui passent. ». 1
Plus encore, en cultivant une telle attitude d'accueil et
d'acceptation inconditionnelle, l'aspirant laisse alors Dieu
s'exprimer pleinement en son être, devenant ainsi un vecteur
privilégié de la puissance divine. En ce sens, si la lettre Kaf
évoque l'accueil de la divinité (l'aspirant ne cherchant plus à
l'appréhender à travers son propre entendement, mais accep­
tant qu'elle soit et demeure un mystère), elle représente aussi
l'accès à une autre forme de pouvoir, infiniment plus grande
et véritable que celle que peut offrir le moi personnel: la puis­
sance de Dieu.

1- Job XI, 13; 16.

219
LA FORCE

LENOMBREll

D'un point de vue numérologique, la lame de la Force


est associée au nombre 11. Or ce nombre évoque fondamen­
talement l'identité profonde et véritable (le nombre 1 sur le
plan des dizaines) qui s'éveille, s'ouvre et accueille la divinité
(le nombre 1 sur le plan des unités). Mis en rapport avec
l'homme, il suppose un affranchissement de sa conscience ( ou
de son âme) et son ouverture à la toute puissance divine qui
l'adombre, l'investit et le sacralise. En outre, selon le procédé
de réduction théosophique, le nombre 11 est une incarnation
du nombre 2 (1 + 1 = 2). Ainsi, il contient implicitement une
notion d'union et de réconciliation: c'est l'homme qui, éveillé
à sa dimension spirituelle, s'affranchit de sa condition terrestre
pour participer à la nature même de Dieu.
En ce sens, nous retrouvons des illustrations éloquen­
tes de ce symbolisme dans les textes bibliques. Ainsi, c'est à
ses onze disciples (Judas s'étant pendu et Matthias ne l'ayant
pas encore remplacé) que le Christ se manifesta pour leur de­
mander d'aller évangéliser le monde: « Quant aux onze disci­
ples, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur
avait donné rendez-vous... S'avançant, Jésus leur dit ces pa­
roles: « Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Al­
lez donc, de toutes les nations faites des disciples, les bapti­
sant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur ap­
prenant à observer tout ce que je vous ai prescrit ». 2 Ceci il­
lustre bien les diverses dimensions associées au nombre 11,
c'est-à-dire l'amorce d'un nouveau cycle (le monde chrétien
apparaît) mais aussi l'ouverture aux réalités divines (les disci­
ples ont charge de baptiser).

2- Matthieu xxvm, 16-20.

220
ΠTAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LE NOM
Selon le dictionnaire, la force désigne la«vigueur phy­
sique // les capacités intellectuelles ou morales ».3 Pour de
nombreuses traditions, la force est symbolisée par un homme
triomphant sur des puissances sauvages, primitives, animales
et brutales. Ainsi� en Grèce antique, la force est fréquemment
personnifiée par Hercule tuant un lion gigantesque qui terrori­
sait la région de Némée. Dans la tradition judéo-chrétienne,
c'est Samson vainquant le lion ou brisant les colonnes du
temple des Philistins. C'est aussi David qui tue le lion ravis­
seur des brebis de son père. Ces images bibliques sont sou­
vent reprises dans l'art religieux de la première moitié du
Moyen-âge.
Or la force incarnée par ces êtres est moins une puis­
sance physique qu'une disposition morale ou spirituelle que
l'homme doit développer, conformément aux recommanda­
tions du livre des Proverbes:«Le sage est un homme plein de
force. ». 4 Ainsi, la force à laquelle les traditions initiatiques se
réfèrent est essentiellement une vertu: c'est la faculté de résis­
ter moralement aux plus grandes craintes ou encore à orienter
ses énergies dans un but constructif plutôt que de céder à la
violence brutale contre soi ou contre les autres. Cette lutte, au
cours de laquelle les instincts inférieurs sont assujettis et su­
blimés, conduit alors à une victoire de l'esprit sur la matière.
C'est d'ailleurs en ce sens que Paul Diel verra en Hercule«le
symbole de la victoire (et de la difficulté de la victoire) de
l'âme humaine sur ses faiblesses. ». 5
3- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.
4- Proverbes, XXIV, 5.
5- Diel, Paul, Le symbolisme dans la mythologie grecque, Préface de G.
Bachelard, Paris, 1966.

221
LA FORCE

LA LAME DE LA FORCE

Description de la lame

Cet arcane met en scène une jeune femme blonde, por­


tant un chapeau en forme de lemniscate surmonté d'une cou­
ronne. Elle est vêtue d'une robe bleue dont les manches sont
vertes, les avant-bras jaunes et les poignets verts. Par-dessus
sa robe bleue, elle porte un manteau rouge.
En outre, elle tient ouverte, du bout des doigts et sans
effort apparent, les mâchoires d'un puissant lion (la main
droite lui relevant les naseaux et la main gauche lui abaissant
la mâchoire inférieure). Enfin, elle est debout sur un sol entiè­
rement jaune.

Interprétation symbolique de l'arcane

A propos de ce dixième arcane, soulignons d'abord que


la Force est représentée sous les traits d'une jeune femme. En
effet, cette particularité peut sembler étrange a priori dans la
mesure où la force fut toujours perçue comme un attribut mas­
culin. Or il ne s'agit pas ici de la puissance virile, essentielle­
ment masculine, imposant extérieurement sa volonté. C'est ce
qu'explique Oswald Wirth dans son ouvrage sur le tarot des
imagiers du Moyen Age: « cette conception de la Force, en
tant que vertu cardinale, s'écarte des figurations banales d'un
Hercule appuyé sur sa massue et revêtu de la dépouille du lion
de Némée. Ce n'est point la vigueur physique, celle des mus­
cles, que glorifie l'arcane XI; il s'agit de l'exercice d'une puis­
sance féminine, bien plus irrésistible dans sa douceur et sa

222
LE TARITT: LES VINGf-DEUX ARCANF.S MAJEURS

subtilité que toutes les explosions de la colère et de la force


brutale ». 6
En fait, la force intérieure personnifiée par l'arcane XI est
celle de l'âme qui, pleinement réceptive à l'esprit, en exprime
désormais la puissance. En effet, nous savons que la féminité
s'associe étroitement à la dimension intérieure (la polarité
masculine évoquant, au contraire, la dimension extérieure). En
outre, la robe bleue dont la jeune femme est revêtue évoque
bien la réceptivité de l'âme aux puissances de l'esprit (le bleu
étant la couleur par excellence de la réceptivité). De plus,
cette jeune femme ferme les yeux, nous indiquant ainsi que sa
conscience est focalisée sur les réalités intérieures. En outre,
elle porte également un chapeau en fonne de lemniscate sur­
monté d'une couronne. Or le lemniscate est un symbole de
l'infini (il est d'ailleurs employé en mathématiques). Quant à la
couronne, par sa forme circulaire symbolisant la perfection
mais aussi une participation à la nature céleste (en raison de
son absence de distinction ou de division, le cercle évoque en
effet le monde de l'unique et conséquemment les sphères de
l'esprit), elle souligne l'accomplissement de sa conscience dé­
sonnais pleinement réceptive aux forces de l'esprit.
Par ailleurs, d'autres particularités vestimentaires sont à
considérer. Pensons, par exemple, au col de la robe en forme
de V liséré de blanc. Il évoque les forces spirituelles auxquel­
les la conscience (dont la tête est le siège) s'est ouverte. Elles
s'incarnent maintenant pleinement (symbolisme du triangle
pointé la tête en bas) et sans aucune déformation ou dénatu­
ration (symbolisme du liséré blanc) au sein de sa dimension
psychique (représentée par le corps). Enfin le manteau rouge
qu'elle porte nous révèle que ces forces spirituelles sont plei-
6- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, Le Symbolisme
et Emile Nourrey, Paris, 1927.

223
LA FORCE

nement exprimées et rendues opératives dans le monde (le


rouge évoquant l'action et l'extériorisation). A ce titre, nous
pouvons affirmer que la lame de la Force (évoquant l'expres­
sion d'une force intérieure, celle d'une âme adombrée par
l'esprit) succède directement à la lame de la Papesse
(évoquant l'ouverture et l'intégration des forces spirituelles).7
Quant à l'allure plus générale du personnage, il importe
de préciser que cette femme tient ouvertes, du bout des doigts
et sans effort apparent, les mâchoires d'un lion. Or le lion a
toujours été une représentation du moi personnel (ou de
l'ego) devenu maître de lui-même en ayant su intégrer plei­
nement toutes les facettes de sa personnalité, représentées par
les animaux soumis à son autorité (le lion étant le roi des ani­
maux). A ce titre d'ailleurs, la crinière de cet animal lui confère
une impression de rayonnement appuyant notre assertion. En
outre, la couleur de son pelage nous rappelle la couleur
chaude du Soleil et le Soleil évoque précisément, en astrolo­
gie, une capacité à affirmer et à exprimer pleinement les va­
leurs que l'on porte en soi-même. A nouveau, il s'agit d'un
symbole désignant le moi personnel. Or nous avons vu précé­
demment que l'ego, principalement caractérisé par un désir de
tout s'approprier, a également tendance à se replier sur lui­
même et à ramener les choses à lui, demeurant ainsi totalement
fermé aux réalités de l'esprit (qui par définition ne peut être
saisissable). A ce niveau, la gueule du lion évoque à elle seule
le symbolisme de l'animal tout entier. En effet, grande ouverte,
elle incarne cet instinct d'appropriation. En outre, par le fait
7- Ces deux lames appartiennent d'ailleurs à la même famille: celle du
nombre 2. En effet, dans la tradition hébral'que, la lettre Beith
(correspondant à la Papesse) a pour valeur 2 tandis que la lettre Kaf
(correspondant à la Force) a pour valeur 20, soit 2 sur le plan des di­
zaines, le plan de l'incarnation (le plan des unités correspondant, quant
à lui, au plan ontologique).

224
I.E TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

qu'elle happe et retient, elle évoque un processus d'enfer­


mement, l'homme projetant sur les réalités qui l'entourent ses
propres pulsions égoïques. Dès lors, le fait que la jeune femme
ouvre la gueule du lion se révèle fort intéressant.
En effet, nous avons affirmé que cette jeune femme per­
sonnifie la puissance de l'âme adombrée par l'esprit. Dans
cette perspective, l'acte d'ouvrir la gueule du lion symbolise
l'ouverture du cercle clos de l' ego sous l'influence de la puis­
sance de l'esprit (dont l'âme illuminée est alors vectrice). Les
facettes de la personnalité gouvernées par l'ego sont donc
ainsi sacralisées et rendues disponibles (ouvertes) à la dimen­
sion spirituelle. Perçue dans cette perspective, l'ouverture de
la gueule du lion rappelle de manière éloquente le rituel égyp­
tien du ap-ro, mieux connu sous l'appellation de « rituel de
l'ouverture de la bouche». Par ce rite, le kâ du dieu, c'est-à­
dire son esprit, s'unissait alors à la statue ou à l'amulette cen­
sée le représenter. A ce titre, un texte du temple d'Hathor à
Dendérah rapporte que « Hathor s'unit à sa forme qui est
sculptée dans son sanctuaire ... elle s'assied sur son image qui
est sculptée sur le mur».8 Les Néo-platoniciens reprirent plus
tard ce rituel en développant toute une science nommée téles­
tique. En ce sens, Proclos écrit: « la télestique est l'art de cons­
truire des centres oraculaires ainsi que des statues et, par le
moyen de certains symboles, de les rendre aptes à entrer en
rapport avec la divinité et à recevoir son influence. [... ] En
pratiquant une purification sur la statue, en y imprimant cer­
tains caractères et certains symboles, la télestique la rend ani-
mée et elle reçoit la lumière du dieu».9
Ajoutons en outre que le lion représenté sur l'arcane XI
ne semble pas opposer de résistance vis-à-vis de la jeune

8- Morenz, S., La religion égyptienne, Paris, 1962.


9- Proclos, In Tim., III.

225
LA FORCE

femme. Au contraire, il apparaît parfaitement consentant,


s'appuyant même sur celle qui le domine dans une attitude
d'abandon. Ainsi, la jeune femme ne fournit apparemment pas
d'effort, remplissant sa tâche avec une facilité déconcertante.
D'un point de vue symbolique, cette docilité du lion évoque
l'attitude de l'ego qui, mis en contact avec les forces de
l'esprit dont l'âme illuminée se fait vectrice, semble totalement
captivé par celles-ci, se laissant même subjuguer de manièœ
irrésistible. Ainsi, l'homme « domptera la violence par la dou­
ceur; aucune brutalité ne lui résistera, pourvu qu'il sache
exercer la puissance magique à laquelle doit aspirer tout véri­
table adepte ». 10 Cette puissance magique (pleinement op6ra­
tive sur le plan terrestre comme l'illustre le manteau rouge de
la jeune femme) est évidemment la puissance de l'âme adom­
brée par l'esprit, c'est-à-dire la force du coeur éveill6e, dyna­
misée et nourrie par l'esprit comme le suggèrent les manches
et les poignets verts (le vert étant traditionnellement associ6 l
l'amour) ainsi que les avant-bras jaunes (le jaune reflétant 1a
lumière de l'esprit) de la robe.
En outre, si le lion manifeste une attitude docile vis-à-vis
de la Force, celle-ci exprime pour sa part beaucoup de sang­
froid face au lion. En effet, elle ne semble éprouver aucune
peur. Or ceci est très important car nous y découvrons quo,
contrairement à la force masculine qui établit un rapport
d'opposition avec la peur, cherchant à la surmonter et à la
dominer sans pouvoir véritablement la faire disparaîtrl, :Ja
force féminine ne s'oppose pas à la peur mais elle l'év,..
simplement en s'appuyant sur une attitude de foi et de oaa,.
fiance (évoquée par la robe bleue du personnage) résultant de
son ouverture aux réalités de l'esprit. Ainsi, la sérénité mna­
mé.e sur cet arcane ne résulte pas d'une maîtrise de la

10- Proclos, /n Tim., III.

226
LE TAROT: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

mais d'une absence de peur: celle-ci ayant cédé sa place à la


foi et à la confiance vis-à-vis des puissances de l'esprit.
Ajoutons enfin que la partie droite du chapeau de la
jeune femme est doublée de feuilles de laurier en or, signe de
la victoire de l'âme (soutenue par la puissance de l'esprit) sur
ses pulsions égocentriques et instinctuelles. En effet, dans
l'antiquité grecque, le laurier symbolisait la victoire. Ains� la
déesse de la Victoire (en grec Nikê, Victoria en latin) a très
longtemps été représentée avec une couronne de laurier dans
la main. Elle la posait sur la tête des héros victorieux. Plus pré­
cisément encore, le laurier symbolisait alors l'immortalité ac­
quise par la victoire. Or sachant que la mort est l'une des con­
séquences de l'enfermement de l'homme dans le cercle clos
de son ego (l'homme se coupant ainsi des forces de l'esprit,
des forces de la vie), ce concept d'immortalité confirme une
fois de plus l'ouverture de l'être à la lumière éternelle de
l'esprit.
Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Sous sa forme maléficiée, la Force évoque toujours la


force intérieure. Toutefois, il ne s'agit plus d'une disposition
résultant de l'alliance entre l'âme et l'esprit mais plutôt d'un
rapport plus étroit encore entre l'âme et l'ego. En effet, nous
avons vu précédemment que le lion symbolise précisément le
moi personnel. Focalisé principalement sur le mode de l'ap­
propriation, cet ego a tendance à tout ramener à lui et à tout
placer sous le joug de sa propre autorité. Dans une certaine
mesure, cette attitude se révèle positive puisqu'elle permet de
dompter, de maîtriser et de canaliser les pulsions instinctuelles
qui animent la dimension inférieure de la personnalité. C'est
d'ailleurs, en ce sens, que les hermétistes se sont toujours op­
posés à vouloir tuer le lion (l'ego) comme le souligne perti-

227
LA FORCE

nemment Oswald Wirth: « Il n'y a donc pas lieu de tuer


l'animal [le lion], même en notre personnalité, à la manière des
ascètes. Le Sage respecte toutes les énergies, fussent-elles
dangereuses, car il estime qu'elles existent en vue d'être cap­
tées, puis judicieusement utilisées. Déjà Guilgamès, le héros
chaldéen, se garde bien d'étouffer le lion qu'il presse sur son
coeur, après l'avoir étourdi à l'aide d'une arme constituée par
un sac de peau rempli de sable. ». 11
Toutefois, comme le note également Oswald Wirth, l'ego
(le lion) est un animal dangereux. En effet, en voulant tout
maîtriser, il cherche également à capter l'attention de l'âme
afin de la placer sous son autorité, la détournant ainsi des réa­
lités divines (celles concernant l'esprit). A ce titre, nous avons
mentionné que la couleur de son pelage rappelle la lumière du
Soleil. Or, dans sa dimension négative, la lumière solaire repré­
sente le faux éclat. Aussi, elle n'évoque plus l'expression des
dimensions essentielles de l'être, mais celle des valeurs illusoi­
res et superficielles proposées par l'ego. Quant à la gueule du
lion, elle évoque toujours cet instinct d'appropriation à
l'origine d'une avidité aveugle, d'une voracité et d'une force
de destruction sans pareil. C'est sans doute pourquoi le psal­
miste s'écrie: « Sauve-moi de la gueule du lion ».1 2 En effet,
ces paroles évoquent clairement le désir de ne pas sombrer
dans le cercle clos du moi, détournant l'esprit des réalités di­
vines et l'empêchant de s'ouvrir à Dieu en l'accueillant plei­
nement. A ce titre d'ailleurs, le lion était autrefois considéré
comme la monture préférée de Satan qui avalait ainsi les dam­
nés au passage. Dans cette même perspective, l'entrée de
l'enfer était parfois symbolisée par la gueule d'un lion.

11- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-t2ge, op. cit.


12- Psaume XXII, 22.

228
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

Dès lors, la jeune femme qui ouvre la gueule du lion


symbolise l'âme qui focalise toute son attention sur l'ego, se
détournant ainsi des réalités divines. Plus encore, nous avons
vu précédemment que le lion semble ne pas y opposer une
très grande résistance. En fait, cette docilité est une évocation
éloquente de l'attitude perverse d'un ego qui, loin de
s'opposer à l'âme, tente au contraire de la séduire. Le lion
demeure donc maître de la situation et s'il consent à ouvrir la
gueule, c'est simplement pour donner à la jeune femme
l'illusion qu'elle le maîtrise pour mieux ainsi conforter l'attrait
qu'elle lui porte.
Cette illusion de puissance et de gloire est d'ailleurs fort
bien illustrée par l'image de la couronne. En effet, nous avons
affirmé précédemment que la jeune femme porte une cou­
ronne. Or si la couronne symbolise, dans sa dimension posi­
tive, une conscience réceptive aux impulsions de l'esprit, elle
devient, dans sa dimension négative, l'incarnation d'une
fausse puissance, éphémère et superficielle octroyée par l'ego
à celui qui s'est uni à lui. Or cette illusion est également évo­
quée par sa robe bleue (le bleu maléficié évoquant un proces­
sus de déconnection par rapport à la réalité). Plus encore, les
feuilles de laurier apparaissant sur son chapeau confirment,
dans leur dimension maléficiée, cette illusion de puissance
(cette fausse gloire). Enfin, si la jeune femme ferme les yeux,
c'est pour illustrer également son enfermement dans un
monde chimérique. En effet, elle ne peut plus voir les réalités
qui l'entourent. Quant au col de sa robe en forme de V liséré
de blanc, il évoque les illusions de l'ego auxquelles la con­
science (dont la tête est le siège) s'est ouverte, s'incarnant
maintenant (symbolisme du triangle pointé la tête en bas) au
sein de sa dimension psychique (représentée par le tronc).
Finalement, en s'alliant ainsi aux forces de l'ego, l'âme
se pervertit et exprime cette perversion dans le monde. C'est

229
LA FORCE

ce qu'évoquent les manches et les poignets verts de la robe


(le vert maléficié étant associé à la perversion et à la dégéné­
rescence). En outre, ses oeuvres sont alors nourries par des
pulsions égocentriques et instinctuelles incarnées par les
avant-bras jaunes de la robe (le jaune maléficié incarnant les
pulsions de l'ego). En ce sens, elles s'expriment avec beau­
coup de violence et de brutalité comme l'illustre le manteau
rouge (le rouge maléficié incarnant la guerre et le sang).
Il en résulte que si la Force ne semble pas éprouver la
moindre peur face au lion, cet état de sérénité et de calme de­
meure toutefois fort précaire puisqu'il s'appuie exclusivement
sur l'illusion que l'ego nourrit en elle: celle de croire qu'elle le
maîtrise. Certes, la peur est évacuée et laisse place à une atti­
tude de confiance. Toutefois, il est clair que cette confiance
s'assimile davantage à une inconscience et à un aveuglement
comme nous l'indiquent les yeux clos de la jeune femme.

230
U: TARITT: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LAME XII
LE PENDU

La lettre hébraïque: Lamed.


La valeur numérique: 12.
Les éléments symboliques: Un jeune homme est suspendu la
tête en bas à une branche horizontale qui s'appuie sur deux
troncs verticaux. Des pièces s'écoulent des bourses qu'il tient
sous les bras.
La dimension herméneutique: Opérer un renversement de la
conscience (le Pendu voit le monde à l'envers) consistant à
réaliser que le pouvoir, l'avoir et le valoir ne peuvent consti­
tuer une fin en soi (symbolisme des pièces s'écoulant des
bourses).
La dimension anagogique: Opérer un renversement de con­
science où le monde est désormais perçu sous l'éclairage de
l'esprit.
L'injonction: Se détacher et lâcher prise.
Les éléments à développer: Le sens du service, du sacrifice et
du don de soi.

231
LE PENDU

Le Pendu

232
LE TARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETTRE LAMED

Du point de vue kabbalistique, la lame du Pendu cor­


respond à la douzième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre
Lamed, issue d'un ancien idéogramme représentant un ai­
guillon. Or il s'agit, chez les Hébreux, d'un instrument avec
lequel le conducteur de boeufs guide son troupeau, lui indi­
quant le chemin à suivre et les voies à ne pas emprunter.
D'ailleurs, le mot lamed lui-même signifie instruire, enseigner
et apprendre. Aussi, l'aiguillon est souvent associé dans la
tradition hébraïque à l'image du maître (du pasteur) instrui­
sant (aiguillant !) ses disciples (le troupeau) sur le chemin
qu'ils doivent suivre pour atteindre leur réalisation. Ainsi,
l'Ecclésiaste rapporte que: « Les paroles du sage sont comme
des aiguillons et comme des piquets plantés par les maîtres de
troupeaux. ». 1 De même, saint Paul s'écrit: « Où est-il, ô mort,
ton aiguillon ? L'aiguillon de la mort, c'est le péché ... ». 2
L'aiguillon conduit donc l'homme sur une voie bien définie.
Plus encore, il était jadis utilisé pour le gros bétail, prin­
cipalement pour les boeufs. Or, sur un plan symbolique, le
boeuf incarne la puissance génésique de l'esprit. Dès lors, si le
pasteur guidant son troupeau au moyen de l'aiguillon est une
image du maître instruisant ses disciples, l'enseignement qu'il
délivre alors vise essentiellement à leur permettre de mieux
canaliser la puissance de leur esprit. Dans cette perspective, la
lettre Lamed évoque le processus par lequel l'aspirant ap­
prend à ne plus orienter son esprit dans les voies obscures de
l'ego (il y disparaîtrait) mais, au contraire, à l'investir dans des
terres plus propices ( celles de son coeur, par exemple) qui
fructifieront alors sous son souffle vivificateur.

1- Ecclésiaste XII, 11.


2- 1 Corinthiens XV, 55-56.

233
LE PENDU

LE NOMBRE 12

D'un point de vue numérologique, la lame du Pendu


est associée au nombre 12. Or, selon la tradition hermétique, ce
nombre évoque essentiellement l'expression plénière de la
puissance divine (le nombre 1) au sein de la création (le nom­
bre 2). A ce titre, il est éloquent de constater que le cercle zo­
diacal se compose de douze signes représentant les douze
modalités par lesquelles Dieu se manifeste au sein de la matière
pour ainsi la féconder et lui infuser la vie. En outre, mis en
rapport avec la nature humaine, le nombre 12 évoque les
douze modalités par lesquelles l'esprit (le nombre 1) investit
l'âme (le nombre 2) pour la féconder et la vivifier. Dans la
même perspective, l'Olympe des Grecs hébergeait douze
dieux présidant aux destinées humaines et aux affaires terres­
tres.
De rrerœ, il existe des illustrations éloquentes de ce
symbolisme dans les textes bibliques. En effet, il est remarqua­
ble de constater que le Christ s'entoura de douze apôtres
pour réaliser sa mission consistant à exprimer pleinement la
puissance divine (l'amour). Ainsi, il« gravit la montagne et il
appela à lui ceux qu'il voulait. Ils vinrent à lui, et il en institua
Douze pour être ses compagnons... ».3 Ajoutons que la tradi­
tion hermétique associa très tôt les douze signes du zodiaque
aux douze apôtres, le Christ représentant l'Esprit de Dieu
rayonnant à travers les douze signes. Sur la base de cette
analogie, Bède le Vénérable (672-735), docteur de l'Eglise
catholique, proposa même de christianiser l'astrologie en
substituant les douze apôtres aux douze signes du zodiaque.

3- Marc III, 13-15.

234
LE TARITT: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

LE NOM

Selon le dictionnaire, un pendu désigne une personne


« qui s'est pendue ou qui a été pendue ».4 Or la pendaison
évoque tout naturellement une condamnation à mort, incar­
nant en conséquence un rejet ou une persécution. En ce sens,
elle était souvent, dès les premiers siècles de notre ère, infligée
aux chrétiens par les Romains. On la pratiquait alors généra­
lement la tête en bas, le supplicié étant pendu par un pied, afin
que la mort soit plus lente. A ce propos, nous pouvons lire
dans l'édition française (1904) du fameux livre de Gallonio
(1591): « Les femmes chrétiennes étaient souvent suspendues
par un pied pendant tout le jour (comme témoigne Eusèbe
dans son Histoire ecclésiastique), et cela d'une telle façon
que même leurs parties intimes étaient dévoilées, afin que soit
montré pour la sainte religion du Christ le plus grand mépris
possible. Ainsi, pour ce qui concerne les moyens par lesquels
les martyrs étaient torturés par la suspension, l'on peut dire
qu'ils étaient nombreux et divers. Quelquefois, les martyrs
étaient simplement suspendus par un pied, tandis que, pour
d'autres, l'on ajoutait la fumée d'un combustible humide avec
de mauvaises odeurs, comme celle des excréments d'animaux,
pour accroître leurs souffrances.».5
Aussi, l'expression « être pendu» désigne parfois, au
sens figuré, l'état d'une personne qui se trouve dans une si­
tuation où elle est privée de tout moyen d'action. C ette image
évoque alors un état d'impuissance et une incapacité à agir, à
s'investir ou à s'exprimer dans le monde.

4- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.


5- Cité dans Rijnberk, Gérard van, Le Tarot (Histoire, Iconographie,
Esotérisme), Lyon, 1947.

235
LE PENDU

LA LAME DU PENDU

Description de la lame

Cet arcane met en scène un jeune homme au visage


plaisant, les mains liées derrière le dos. Il est pendu la tête en
bas, attaché par la cheville gauche à une poutre transversale
supportée de part et d'autre par un tronc d'arbre dont les
branches ont été élaguées. Ces troncs apparaissent plutôt
bleus à leur base et sont verts à leur sommet.
En outre, le Pendu surplombe un petit monticule de
terre et des pièces d'or et d'argent s'écoulent des deux bour­
ses qu'il tient sous les bras. Enfin, il est habillé d'un collant
bleu et porte une tunique où le rouge et le blanc alternent
harmonieusement.
Interprétation symbolique de l'arcane
A propos du douzième arcane, les hermétistes s'accor­
dent généralement pour affirmer qu'il évoque principalement
un état d'impuissance. En effet, pendu par un pied et les
mains liées derrière le dos, le jeune homme est vraisemblable­
ment incapable de faire quoi que ce soit. S'il est suffisamment
fort et vigoureux pour supporter l'état dans lequel il se
trouve, il ne peut cependant s'en libérer. En outre, la corde
enserrant le pied par lequel il est pendu se situe au niveau du
talon gauche. Or, le talon représente, sur un plan symbolique,
le point le plus vulnérable de l'anatomie humaine. Pensons, à
titre d'exemple, à ce récit où Achille, le célèbre personnage de
la mythologie grecque, trouva la mort lorsque Pâris (ou Apol­
lon selon d'autres versions) le toucha au talon. Dans la tradi­
tion judéo-chrétienne, le talon est également considéré comme
un point particulièrement vulnérable. Ainsi, Yahvé déclare au
236
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

serpent ayant tenté Adam et Eve: « Je mettrai une hostilité


entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Elle t'écra­
sera la tête et tu l'atteindras au talon. ».6
Dans le même ordre d'idées, il importe de préciser que la
corde enserre le pied au niveau du talon gauche. Or le côté
gauche symbolise toujours la dimension passive et féminine
(le côté droit représentant la dimension active et masculine).
Aussi, le fait que la corde se situe au niveau du talon gauche
souligne davantage encore la vulnérabilité et la fragilité du
personnage bien qu'il semble doté d'une apparente solidité.
D'ailleurs, cette impuissance et cette fragilité ne semblent pas
préoccuper le Pendu. Au contraire, l'expression plaisante et
ouverte de son visage nous confirme qu'il a pleinement ac­
cepté et intégré l'état dans lequel il se trouve. En fait, il in­
carne l'étape où l'aspirant prend conscience de la nécessité
de renoncer à son libre arbitre pour s'abandonner à la volonté
divine et suivre docilement la voie qu'elle lui révèle.
D'autre part, nous devons également nous intéresser aux
pièces d'or et d'argent qui s'écoulent des deux bourses que
le Pendu tient sous les bras. En effet, ces pièces symbolisent
les valeurs que l'aspirant a su développer dans son rapport
avec le monde. A ce titre, notons qu'il y en a six en argent et
six en or. Sur le plan numérologique, le nombre 6 évoque la
puissance du rayonnement tout en étant fréquemment associé
aux oeuvres humaines comme l'illustrent certains textes bibli­
ques: « Pendant six jours tu feras tes travaux, et le septième
jour tu chômeras, afin que se reposent ton boeuf et ton âne et
que reprennent souffle le fils de ta servante ainsi que
l'étranger ».7 De même encore, « pendant six ans tu ensemen­
ceras la terre et tu engrangeras le produit. Mais la septième

6- Genèse III, 15.


7- Exode XXIII, 12.

237
LE PENDU

année, tu la laisseras en jachère et tu en abandonneras le pro­


duit. ». 8 Ainsi, ces pièces incarnent bien le fruit des efforts que
le Pendu a fourni dans son rapport avec le monde.
Plus précisément encore, l'or et l'argent sont, en raison
de leur éclat, associés traditionnellement au Soleil et à la Lune.
Or la tradition a toujours identifié ces deux astres aux dimen­
sions masculine (le Soleil) et féminine (la Lune). Dès lors, ces
pièces d'or et d'argent symbolisent l'ensemble des valeurs
que l'aspirant a su développer dans une attitude active
(dimension masculine) comme dans une attitude de réceptivité
(dimension féminine). En outre, nous pouvons également as­
socier les pièces d'argent aux richesses de l'âme (l'argent cor­
respondant à la Lune, un symbole traditionnel de l'âme) et ce,
d'autant plus qu'elles s'échappent d'une bourse grise (la
couleur grise s'apparentant en effet à l'éclat argenté de la
Lune). Quant aux pièces d'or, elles incarnent les richesses de
l'esprit (l'or correspondant au Soleil, un symbole traditionnel
de l'esprit) et ce, d'autant plus qu'elles s'échappent d'une
bourse rose (la couleur rose évoquant le coeur, un lieu privilé­
gié à partir duquel l'esprit rayonne dans le monde).
Oswald Wirth écrit d'ailleurs: « Son abandon confiant se
traduit en insouciance sereine, d'où le visage calme et sou­
riant du Pendu, étrange supplicié, dont les bras reliés soutien­
nent des sacs d'où s'échappent des monnaires d'or et
d'argent. Ce sont les trésors spirituels accumulés par l'adepte
qui s'est enrichi intellectuellement. Ne tenant à rien, il sème
généreusement l'or des idées justes qu'il a pu se faire et des
connaissances précieuses qu'il s'est efforcé d'acquérir (Soleil,
or, esprit, raison). Il n'est pas moins prodigue de son affection,
de ses bons sentiments et de ses désirs bénéfiques symbolisés
par les pièces d'argent qui s'éparpillent à sa gauche (Lune,
8- Exode XXIII, 10-11.

238
LE TARITT: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

argent, âme, sensibilité). ».9 Or, en raison du fait que ces pièces
s'écoulent librement des deux bourses, cet arcane nous ap­
prend que le Pendu traverse une étape de dépouillement et de
détachement vis-à-vis du « souci du monde et de la séduction
de la richesse » pour reprendre une image évoquée dans la
parabole du semeur. Plus encore, le fait qu'il place les mains
derrière son dos nous confirme qu'il n'est plus animé par u n
instinct d'appropriation. En d'autres termes, il ne s'engage
plus dans le monde extérieur pour prendre et ramener à lui.
Ce retrait vis-à-vis du monde et de ses valeurs est
d'ailleurs confirmé par la posture du Pendu qui rappelle celle
de !'Empereur mais de manière inversée: « L'ensemble de la
figure rappelle ainsi le signe alchimique de l'Accomplissement
du Grand Oeuvre, renversement de l'idéogramme du Soufre,
auquel se rapporte la silhouette de !'Empereur. ». 10 Or nous
avons déjà précisé que le personnage de !'Empereur invite
l'aspirant à s'engager pleinement dans le monde pour y oeu­
vrer de manière positive, constructive et féconde. Dès lors, par
le renversement qu'il suppose, le Pendu convie l'aspirant à se
retirer du monde. Dans la même perspective, nous devons
également considérer la couleur bleue du collant qu'il revêt.
En effet, les jambes symbolisent, nous l'avons déjà précisé,
l'action dynamique permettant à l'individu de s'investir dans
le monde. Toutefois, le bleu est une couleur d'intériorisation
invitant la conscience à s'ouvrir aux mondes de l'esprit. Dès
lors, revêtues d'un collant bleu, les jambes du jeune homme
nous indique une réorientation de son activité, celle-ci revê­
tant désormais une dimension essentiellement mystique. Plus
encore, sur un plan purement physiologique, le fait d'être

9- Wirth, Oswald, le Tarot des imagiers du Moyen-dge, Le SymboHsme


et Emile Nourrey, Paris, 1927.
10- Ibid.

239
LE PENDU

pendu la tête en bas provoque un afflux de sang au niveau de


la tête. Or la tête est le siège de la conscience et elle est, par sa
fonne sphérique, étroitement associée à l'esprit. Quant au
sang, nous savons qu'il transporte toute la nourriture dont
l'organisme a besoin. Dès lors, la position du Pendu illustre
l'attitude de celui qui met les richesses (qualités et vertus)
qu'il a acquises à la disposition de l'esprit (la tête).
Oswald Wirth résume d'ailleurs admirablement bien cela
lorsqu'il écrit à propos de cet arcane que le Pendu aborde le
domaine « de l'initation passive ou mystique, dite aussi fémi­
nine ou ionienne. Désormais, la personnalité renonce à
l'exaltation des énergies propres; loin de se comporter en cen­
tre d'action autonome, elle s'efface pour subir docilement les
influences extérieures [celles de l'esprit, du maître ou de
Dieu]. Le Mage a foi en lui-même, en son intelligence et en sa
volonté; il se sent souverain et aspire à conquérir son
royaume. Le Mystique se persuade, au contraire, qu'il n'est
rien, sinon une coque vide, impuissante par elle-même. Son
renoncement passif le met à la disposition de ce qui agit sur
lui. Il se livre pied et bras liés, comme le Pendu, qui, dans le
Tarot, semble être le même personnage que le Bateleur. Dans
l'arcane XII revient en effet, le jeune homme blond et svelte
de l'arcane I; mais quel contraste entre le jongleur trop habile
de ses doigts et le supplicié n'ayant de libre que la jambe
droite qu'il replie derrière la gauche. » .11
Animé d'une nature essentiellement mystique, il est ce­
pendant étonnant de constater une si grande abondance de
rouge au niveau de son costume. En effet, « l'activité du
rouge semble en contradiction avec la passivité du person­
nage qui cependant ne saurait être passif à tous les égards, car
il lui faut être actif pour repousser les influences nuisibles
11- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, op. cit.

240
[celles issues de son ego et de l'Esprit du m
cher les bonnes [celles issues de son esprit et
té]. ».1 2 Quant à la présence du blanc, elle confbme
cernent et ce dépouillement face aux valeurs ad�
1 'ego (le blanc ne retenant aucune couleur mais les resti._
toutes). Ainsi, l'âme du Pendu, vidée de son contenu, est
maintenant devenue « libre de toutes les images étrangères,
aussi disponible qu'avant sa naissance» pour reprendre les
mots de Maître Eckhart. Et c'est dans cet état de vacuité et
de disponibilité retrouvé qu'elle peut alors recevoir pleine­
ment la lumière de l'esprit
Toujours à propos de la tunique, notons enfin la pré­
sence de deux croissants de lune, l'un rouge et l'autre blanc.
A leur propos, Oswald Wirth écrit: « ils rappellent les crois­
sants analogues qui protègent les épaules du Triomphateur
(arcane VII). Ici, cependant, ils commandent, non aux bras,
mais aux jambes, c'est-à-dire aux membres en quelque sorte
aériens du Pendu. Celui-ci, en effet, ne marche pas, puisqu'il
est accroché par la cheville gauche et qu'il bat l'air de la
jambe droite. Dans ces conditions, la lune rouge décroissante
de gauche se rapporte au sentiment d'humilité du mystique,
dont l'abnégation est active, et le croissant blanc de droite
aux facultés intuitives qui ont mission de recueillir sans les
déformer les impulsions de l'esprit, puis de les interpréter cor­
rectement». 13
Ainsi, le renoncement et le dépouillement du Pendu sus­
citent chez l'aspirant un véritable retournement de con­
science comme le confirme d'ailleurs l'étrange position du
personnage. En effet, ayant la tête en bas, il pose nécessaire­
ment un regard différent sur le monde qui l'entoure. Se pla-

12- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-dge, op. cit.


13- Ibid.

241
LE PENDU

çant désormais à l'écoute des impulsions divines, il reçoit alors


la lumière nécessaire lui permettant de ne plus suivre aveu­
glément la voie proposée par l'Esprit du monde pour mainte­
nant cheminer selon les plans de Dieu. Toutefois, en marchant
ainsi « dans les voies du Seigneur», l'aspirant est forcément
victime d'un vif rejet de la part de ceux qui suivent toujours le
sentier de la perdition. En effet, refusant dorénavant de mar­
cher à leur suite, il remet nécessairement en question les va­
leurs qu'ils partagent, une situation que l'ego ne saurait souf­
frir. A ce titre d'ailleurs, il n'y a pas de meilleur exemple que le
Christ lui-même qui refusa tout messianisme de puissance
(celui que l'Esprit du monde, Satan, lui proposa dans le désert)
pour suivre jusqu'au bout la voie que son Père lui avait tra­
cée. Il dut alors endurer les pires persécutions de la part des
autres. En ce sens, l'arcane XII évoque également une notion
de rejet et de persécution et cela est d'autant plus évident
qu'elle met en scène un supplicié qui, par définition, est rejeté
et condamné par les siens.
D'autre part, il est également intéressant d'analyser les
deux troncs d'arbres soutenant la poutre à laquelle le Pendu
est suspendu. A ce titre, soulignons d'abord qu'ils sont
ébranchés. Or le fait d'ébrancher un arbre a toujours évoqué
l'abandon d'un mode de conscience horizontal, focalisé sur
l'apparence extérieure des choses (symbolisée par les bran­
ches), pour adopter un mode de conscience vertical éclairé par
l'esprit et sachant percevoir l'essence qui anime les choses
(symbolisé par le tronc). Ce même symbolisme est d'ailleurs
explicitement repris dans la chrétienté au cours des fêtes de la
Saint Jean-Baptiste. En effet, un tronc ébranché est placé ver­
ticalement au centre du feu afin de symboliser la conscience
nouvelle caractérisant désormais l'individu en qui le vieil
homme a cédé la place à l'homme nouveau, pour reprendre
une expression chère à l'Apôtre.

242
En outre, chaque tronc porte six cicattioes
les hermétistes, elles représentent les six premiers cAJ.flllfllll•
gés le long de la colonne vertébrale (symbolis6e par lê
Le fait qu'elles soient rouges nous indique par ailleurs qui
chakras sont pleinement éveillés, le Pendu ayant su inr6tdl
en lui les six premiers niveaux de conscience.14 Il s 'ouvn,
donc désormais à l'enjeu du septième chakra (symbolisé par
la dernière cicatrice, correspondant à l'endroit où le sommet
du tronc fut scié pour qu'il puisse soutenir la poutre à laquelle
le jeune homme est suspendu). Or ce dernier enjeu consiste
précisément à s'abandonner complètement à la volonté de
Dieu (évoquée par la poutre jaune). En d'autres tennes,
l'aspirant doit alors devenir un instrument de la volonté di­
vine. Une fois encore, nous retrouvons l'image de celui qui
marche« dans les voies du Seigneur».
Enfin, chaque tronc surplombe un petit monticule de
terre. Bleus à leur base, ils virent progressivement au vert en
atteignant leur sommet. Ce détail n'est pas gratuit puisqu'il
nous apprend très clairement que l'éveil et le développement
des sept niveaux de conscience (les sept chakras) reposent
sur une prise de distance par rapport au monde extérieur
(symbolisme du monticule) qui, nourrie par une ouverture aux
réalités spirituelles (symbolisme de la couleur bleue), se révèle
progressivement dans l'expression de valeurs cardiaques
(symbolisme de la couleur verte).

14- Pour plus de précisions, nous suggérons au lecteur de se référer


aux deux ouvrages du même auteur ponant sur l'éveil et
l'hannonisation des chakras. II s'agit des tomes I et II intitulés Les
Chakras, Symbolisme et méditation parus aux Editions de l'Aigle.

243
LE PENDU

Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Sous sa forme maléficiée, le Pendu évoque toujours une


notion d'impuissance. Toutefois, il s'agit maintenant de l'un­
puissance caractérisant celui qui, ayant refusé de suivre les
impulsions de l'esprit (de « marcher dans les voies du Sei­
gneur»), s'est laissé totalement absorber, dominer et asservir
par l'ego et son pourvoyeur, l'Esprit du monde. Complète­
ment li( paralysé et enchaîné, il ne peut donc plus exprimer sa
véritable nature (au bout de sa corde, le Pendu est totalement
soumis à sa condition). Ainsi privé de toute possibilité de réa­
lisation, il se trouve alors, évidemment, condamné à périr.
A ce propos, l'épisode biblique relatant la pendaison de
Judas est fort intéressant: « Alors, Judas, qui l'avait livré,
voyant qu'il avait été condamné, fut pris de remords et rap­
porta les trente pièces d'argent aux grands prêtres et aux an­
ciens: "J'ai péché, dit-il, en livrant un sang innocent". Mais ils
dirent: "Que nous importe ? A toi de voir". Jetant alors les piè­
ces dans le sanctuaire, il se retira et s'en alla se pendre. ». 15 En
effet, Judas est une illustration admirable du Pendu maléficié
puisqu'il incarne celui qui, considérant le pouvoir et l'avoir
(deux expressions propres à l'ego) comme une fin en soi,
s'ôte non seulement toute possibilité de suivre « les voies du
Seigneur » mais s'expose en outre à son propre anéantisse­
ment.
En ce sens, le Pendu est suspendu par un pied et nous
avons longuement insisté sur la signification de ce détail. Sous
sa forme maléficiée, cet élément symbolique est également fort
significatif. En effet, nous savons que les pieds correspondent
à la racine et à l'essence de l'être.1 6 La finalité de l'homme est
15- Matthieu XXVII, 3-5.
16- A ce titre, il est intéressant de mentionner que les pieds, les reins et

244
donc d'assurer sa croissance et son d6p1
ment à ses racines profondes (symbolis6es par Id.
lors, en n'ayant plus les pieds sur terre, le Pendu aei•1
plus sur cette essence divine pour s'épanouir. Aussi,
veloppement risque de se faire confonnément aux valellf8
soires et éphémères véhiculées par le monde qui l'en�
Plus encore, la corde enserre fortement le pied gauche au •
veau de la cheville, le coupant en quelque sorte du reste d u
corps. Au niveau symbolique, cela nous révèle que le Pendu
est littéralement coupé de ses racines profondes, étant ainsi
incapable de poursuivre sa croissance et son épanouissement
conformément au programme de développement reçu de Dieu
(symbolisme du pied gauche).
A ce titre, la couleur bleue du collant confirme notte as­
sertion. En effet, les jambes symbolisent le principe de l'action
dynamique permettant à l'individu de s'investir dans le
monde. La présence du bleu maléficié évoquant d'autre part
une certaine déconnection vis-à-vis de la réalité, les jambes du
jeune homme nous indiquent qu'il poursuit une activité repo­
sant essentiellement sur des valeurs illusoires. Dans la même
perspective, la position même du Pendu est une posture dan­
gereuse pouvant le conduire, au sens propre comme au sens
figuré, à « tomber sur la tête ». Sa déconnection de la réalité (d
n'a déjà plus les pieds sur terre) risque en effet de lui faire
perdre la raison l'amenant ainsi à percevoir les choses dans
une perspective inversée.

les oreilles revêtent tous la fonne d'un foetus (c'est-à-dire d'un


germe). Situés au niveau des membres inférieurs (symbolisant la di­
mension matérielle), les pieds incarnent cependant l'essence de l'être
sur le plan corporel alors que les reins incarnent cette même essence au
niveau de l'âme (évoquée par le tronc) et les oreilles au niveau de
l'esprit (correspondant à la tête).

245
LE PENDU

Quant aux pièces d'or et d'argent s'écoulant des deux


bourses, elles évoquent toujours une attitude de dépouille­
ment. Toutefois, elles sont maintenant l'incarnation d'une vé­
ritable hypocrisie, l'individu semblant répondre à l'appel de
l'esprit, mais demeurant en fait profondément attaché à sa
propre personne. En effet, partagé entre la nécessité de suivre
les préceptes divins et sa peur d'être dépossédé de tous les
éléments nourrissant son moi personnel, le Pendu ne résout ce
dilemme qu'en apparence en se dépouillant de manière super­
ficielle de ses valeurs égoïques. A ce titre, nous savons qu'il
dissimule les mains derrière son dos. Or cette posture repré­
sente, sur un plan maléficié, une dissimulation, le Pendu pla­
çant ainsi ses mains pour cacher quelque chose. Certes, des
deniers d'or et d'argent s'écoulent des deux bourses qu'il
tient sous les bras, mais ces quelques deniers détournent peut­
être l'attention, alors qu'il dissimule et cache derrière lui les
richesses auxquelles il tient vraiment. Son expression déten­
due et plaisante illustrerait alors l'attitude de celui qui se dé­
pouille du superflu, conservant pour lui l'essentiel de ses ac­
quts.
Cette attitude correspond en fait à celle des riches dé­
criée par le Christ dans l'épisode de l'obole de la veuve:
« S'étant assis face au Trésor, il regardait la foule mettre de la
petite monnaie dans le Trésor, et beaucoup de riches en met­
taient abondamment. Survint une veuve pauvre qui y mit
deux piécettes, soit un quart d'as. Alors il appela à lui ses dis­
ciples et leur dit: "En vérité, je vous le dis, cette veuve, qui est
pauvre, a mis plus que tous ceux qui mettent dans le Trésor.
Car tous ont mis de leur superflu, mais elle, de son indigence, a
mis tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vi­
vre." ».11 Dans la même perspective, nous avons dit que la
17- Marc XII, 41-44.

246
posture du Pendu rappelle celle de I'Empeœur.
nière inversée. Or nous avons précisé dans notre\
tant sur le chakra racine que l'Empereur, sous sa !
ficiée, représente celui qui, animé par une cupidité msatî -
ne songe qu'à s'approprier le monde en lui imposant sa PJI
pre volonté pour ainsi en retirer un maximum de ressources.1t
Dès lors, par le renversement qu'il suppose, le Pendu reprô­
sente celui qui, en ayant donné libre cours à son instinct
d'appropriation, s'est laissé totalement absorber, dominer et
asservir par cet instinct.
Toutefois, à un autre niveau, les deniers d'or et
d'argent peuvent également symboliser les ressources du moi
personnel dilapidées et sacrifiées au profit d'un ego qui en
mésuse pour satisfaire ses pulsions instinctuelles (sa quête du
pouvoir et de l'avoir). Ainsi, s'exprimant sous le joug d'un
instinct de convoitise, les qualités du moi personnel sont alors
elles-mêmes dénaturées. A ce titre, nous avons précisé anté ..
rieurement qu'il y a six pièces d'argent et six pièces d'or qui
s'écoulent des bourses. Or, sur un plan numérologique, le
nombre 6 maléficié évoque précisément la puissance destruc­
trice résultant de l'expression de pulsions égocentriques et
instinctuelles. En outre, notons ici que les deniers semblent
s'écouler des deux bourses à l'insu du Pendu. Ceci pourrait
nous donner à penser que, totalement soumis à la tyrannie de
son instinct d'appropriation (ou encore exclusivement focali­
sé sur les besoins de son ego), il n'a pas conscience de son
esclavage et de la dilapidation de ses forces.
Par ailleurs, nous nous étions étonnés précédemment à
propos de la couleur de son costume où le rouge alterne avec
I 8- Nous prions le lecteur de bien vou loir se reporter à l'ouvrage du
même au teur: Les Chakras, symbolisme et méditation, tome I paru aux
Editions de l'Aigle.

247
LE PENDU

le blanc. Dans sa dimension maléficiée, ce rouge n'indique


plus sa capacité de repousser les influences nuisibles (celles
issues de son ego ou de l'Esprit du monde) et d'en rechercher
les bonnes (celles issues de son esprit ou de la divinité), mais
exactement le contraire. En effet, le Pendu, aveuglé par son
ego, s'ouvre alors aux influences négatives du monde et se
ferme à celles de l'esprit. Plus encore, en adoptant une telle
attitude, il s'expose alors au développement d'un vide inté­
rieur. C'est ce que suggère la présence du blanc évoquant le
vide et le néant. Enfin, les deux croissants de lune, l'un rouge
et l'autre blanc, évoquent respectivement une vision pure­
ment extérieure de la réalité (le rouge étant essentiellement
une couleur d'extériorisation) et une totale incapacité à se
placer à l'écoute des impulsions de l'esprit (le blanc évoquant
le néant résultant de l'absence de l'esprit). En effet, lorsqu'il
s'intériorise, le Pendu ne ressent plus qu'un vide oppressant.
Enfin, à propos des deux troncs d'arbres soutenant la
poutre à laquelle le Pendu est suspendu, nous savons qu'ils
sont ébranchés. Or un arbre ébranché évoque, sous sa forme
maléficiée, l'état de celui qui, privilégiant la queste du pouvoir,
du valoir et de l'avoir, se coupe de toute possibilité de
s'affranchir du cercle clos de son ego (la branche symbolisant
sa capacité à sortir de lui-même pour entrer en relation avec
l'autre). Dès lors, il s'expose à vivre une solitude pouvant
l'entraîner vers un certain état mortifère. En outre, chaque
arbre porte six cicatrices rouges. Ces cicatrices représentent
toujours les six premiers chakras étagés le long de la colonne
vertébrale (symbolisée par le tronc). Toutefois, ils sont ici
éveillés de manière déviante. Il en résulte un refus marqué de
suivre les plans divins, l'individu s'abandonnant complète­
ment aux illusions que son ego (évoqué par la poutre jaune)
lui propose.

248
Ajoutons que chaque tronc surplombe un �
cule de terre. Nous avons déjà précisé que, bleus à ltllt
ils sont verts à leur sommet Une fois de plus, ces�
importants. En effet, ils nous révèlent que l'éveil et le d6rl.�
loppement de ces attitudes déviantes reposent d'abord sur ue
sentiment de supériorité par rapport au monde extériom
(symbolisme du monticule) qui, exclusivement nourri par un
rejet des réalités spirituelles (symbolisées par la couleur bleue
maléficiée), s'exprime dans le monde sous la fonne de diverses
perversions (évoquées par la couleur verte maléficiée).
En ce sens, n'ayant pas su se dépouiller des valeurs illu­
soires de l'ego, le Pendu se déconnecte progressivement de la
réalité (il n'a plus les pieds sur terre) et perd peu à peu la rai­
son (il voit le monde à l'envers). C'est ce qu'illustre sa posi­
tion délicate (la tête est en bas), une posture qui peut le con­
duire, nous l'avons affirmé précédemment, à « tomber sur la
tête » au sens propre comme au sens figuré. Si donc le Pendu
évoque un retournement de conscience, celui-ci est cepen­
dant un véritable basculement dans l'illusion. A ce titre, souli­
gnons que la pendaison est spontanément associée à l'expé­
rience de la mort. Or si la mort peut évoquer une transforma­
tion profonde de l'être, elle est, sous sa fonne maléficiée, une
expérience exclusivement destructrice. Chez les Hébreux, le
pendu était d'ailleurs considéré comme étant honni et rejeté
par Dieu (en rupture complète avec la divinité).
A ce propos, le livre du Deutéronome déclare: « Si un
homme, coupable d'un crime capital, a été mis à mort et que tu
l'aies pendu à un arbre, son cadavre ne pourra être laissé la
nuit sur l'arbre; tu l'enterreras le jour même, car un pendu est
une malédiction de Dieu, et tu ne rendras pas impur le sol que
Yahvé ton Dieu te donne en héritage. ». 19 Sur un plan sym-
19- Deutéronome XXI, 22-23.

249
LE PENDU

bolique, le fait que tout pendu soit maudit de Dieu s'explique


dans la mesure où la corde qui enserre le cou du condamné
sépare, en quelque sorte, la tête (la dimension spirituelle) du
tronc (l'âme) et des jambes (le corps). Certes, sur le douzième
arcane, le jeune homme est pendu par un pied, mais l'inter­
prétation du sens de la pendaison demeure valable puisque le
symbolisme du pied (comme incarnation de l'essence pro­
fonde de l'être) s'apparente ici à celui de la tête.

250
LALAMEXID

La lettre hébraïque: Mem.


La valeur numérique: 13.
Les éléments symboliques: Un squelette qui, armé d'une
faux, tranche des corps, le sol étant jonché de têtes, de mains
et de pieds.
La dimension herméneutique: Mourir à un état ancien
(symbolisme du squelette anné d'une faux) pour renaître à
une réalité nouvelle (symbolisée par la végétation verte re­
couvrant le sol).
La dimension anagogique: Mettre fin à toute réalité illusoire
pour se réaligner sur les valeurs profondes de l'esprit.
L'injonction: Se transformer, mourir et renaître.
Les éléments à développer: Le sens du dépouillement, le re­
tour à l'essentiel et l'aptitude à renoncer.

251
LA LAME XIII

L'ArcaneXm

252
I.E TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJBURS

LA LETTRE MEM
Du point de vue kabbalistique, l'Arcane XIIl cmres­
pond à la treizième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre Mein,
issue d'un ancien idéogramme représentant une vague. Or ce
symbole évoque très clai rement l'élément eau associé au pro­
cessus de purification en tant que retour aux réalités essen­
tielles de l'esprit. A ce titre, pensons aux paroles adressées par
Yahvé au prophète Isaïe: « Je répandrai sur vous une eau
pure et vous serez purifiés; de toutes vos souillures et de tou­
tes vos ordures je vous purifierai. Et je vous donnerai un
coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau ... ».1
Dès lors, en raison de sa vertu purificatrice, il n'est pas
étonnant que l'eau incarne une notion de régénération. En
effet, il est éloquent de constater que c'est par cet élément
que Dieu accorda un libérateur à son peuple, associant Moïse
aux eaux du Nil. De même, il sauva les Hébreux du joug des
Egyptiens grâce au passage à pied sec de la Mer Rouge. En­
fin, il introduisit son peuple dans la Terre promise par le fran­
chissement du Jourdain. Dans la tradition chrétienne, c'est
également par les eaux du baptême que l'homme est régénéré
et introduit dans le Royaume de Dieu conformément aux pa­
roles du Christ: « Celui qui croira et sera baptisé sera sau-
,
ve. ».2
Dans cette perspective, la lettre Mem évoque un pro­
cessus de purification par lequel l'homme se délivre de tous
les éléments étrangers à son essence profonde, se replaçant
ainsi en contact avec les réalités de l'esprit pour revivre selon
son plan originel.

1- Ezéchiel XXXVI, 25-26.


2- Marc XVI, 16.

253
LA LAME XIIl

LENOMBRE13

D'un point de vue numérologique, l'Arcane XIlI est


associé au nombre 13 et ce nombre évoque fondamentalement
la puissance divine (le nombre 1) agissant pleinement au sein
de la création (le nombre 3). Ce symbolisme lui valut d'ailleurs
d'être parfois considéré comme bénéfique et parfois comme
maléfique selon le rapport existant entre l'homme et la divini­
té. En effet, le nombre 13 apparaît foncièrement bénéfique
pour tous ceux qui entretiennent avec Dieu un rapport fondé
sur la confiance. Toutefois, il est perçu comme profondément
funeste par ceux dont l'attitude n'est pas conforme aux plans
divins. En effet, ils ont alors tout à craindre d'une intervention
divine au niveau de leur existence.
En ce sens, nous retrouvons des illustrations éloquen­
tes de ce symbolisme associé au nombre 13 dans les textes
bibliques. Au cours de son dernier repas, par exemple, le
Christ et ses disciples étaient au nombre de treize. Or c'est
précisément au cours de ce repas que le Ftls de Dieu se fit
nourriture pour ses disciples, s'offrant ainsi sous une forme
pleinement concrète pour contribuer à une véritable transmu­
tation du monde, l'introduisant dans un nouvel ordre des
choses (ce fut l'établissement d'une Nouvelle Alliance). En ce
sens, le Christ déclara aux apôtres: « En vérité, en vérité, je
vous le dis, si vous ne mangez la chair du Ftls de l'homme et
ne buvez de son sang, vous n'aurez pas la vie en vous. Qui
mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le res­
susciterai au dernier jour. ».3 Par contre, ce fut également le
jour de la condamnation du treizième convive, Judas, qui en­
tretenait alors une vision des choses opposée à celle de Dieu.

3- Jean VI, 53-54.

254
LE NOM
Contrairement aux autres lames du tarot, l'arcaa!
possède pas de nom. Or ce détail, apparemment fortuit;•
vèle en fait d'une extrême importance considérant que le notb
désigne la nature profonde d'un être. En Egypte, par exempl�
« le nom avait pour but de qualifier les êtres et semblait parti­
ciper à leur essence la plus intime. Quand on disait à un dieu
dans les jeux de mots innombrables des textes mythologiques:
Tu fais telle chose sous tel de tes noms, on croyait bien saisir
par là une connexion étroite entre le nom et la propriété qu'il
exprime. ».4 Selon les anciens, le fait de nommer une chose lui
permet donc de passer d'un état non encore manüesté à sa
pleine expression, lui conférant ainsi une existence réelle.
Toutefois, le nom peut également, sous sa forme néga­
tive, emprisonner l'être dans une forme déterminée. C'est sans
doute pourquoi Osiris était, en Egypte pharaonique, celui
« dont le nom restait ignoré» afin qu'il ne soit pas asservi aux
intérêts ou à la volonté de l'homme. De même, Dieu révéla,
dans la tradition judéo-chrétienne, son nom à Moïse mais la
prononciation de ce nom (désigné par le tétragramme sacré)
était exclusivement réservée au grand prêtre qui l'utilisait
seulement une fois par an lors du jour des expiations.
Le fait que l'arcane XIlI ne soit pas affublé d'un nom
nous révèle donc que la réalité correspondant à cette lame
demeure inaccessible à la raison humaine. L'homme ne peut
donc pas la nommer, c'est-à-dire se l'approprier ou exercer un
quelconque pouvoir sur elle. En ce sens, il est condamné à la
laisser s'exprimer librement.

4- Chevalier, Jean et Gheerbrant, Alain, Dictionnaire des Symboles,


Robert Laffont, Paris, 1982.

255
LA LAME XIII

L'ARCANE XIII

Description de la lame

Cet arcane met en scène un squelette maniant une faux


pourvue d'un manche rouge et d'une lame blanche. Le sol
noir, sur lequel pousse une végétation verte, est jonché de
membres épars: deux pieds, quatre mains (dont les doigts évo­
quent certaines postures bien particulières) et deux têtes
(dont l'une est couronnée).
Enfin, le cadre inférieur dans lequel le nom de la lame
est habituellement in crit n'existe pas, la lame XIII ne portant
aucun nom. Toutefois, la lettre hébraïque y est indiquée dans
le coin supérieur droit et le nombre correspondant, dans le
coin supérieur gauche.

Interprétation symbolique de l'arcane

Contrairement aux autres lames du tarot, le treizième ar­


cane ne possède donc pas de nom et cette particularité nous
indique que la réalité ainsi figurée demeure insaisissable pour
la raison humaine. Ainsi, l'homme ne pourra jamais la nommer
en exerçant par là un quelconque pouvoir sur elle. Mais
quelle est donc cette réalité que l'entendement humain ne
peut ni prendre ni posséder ? Elle nous est révélée par le per­
sonnage central de la lame qui revêt l'apparence d'un sque­
lette tenant une faux dans ses mains.
Sur un plan symbolique, il personnifie bien évidemment
la mort. En effet, c'est généralement sous la forme d'un sque­
lette, parfois revêtu d'un grand drap noir et anné d'une faux,
que la mort rend visite aux mortels pour leur annoncer
l'imminence de leur trépas. Représentée de face (comme sur
l'arcane), elle regarde alors l'observateur droit dans les yeux.

256
Cette attitude nous indique qu'aucune mllffiwa•
échappe, l'homme étant en outre dans l''
soustraire à son action. Pensons, en ce sens, aux
danse macabre, fort répandues au Moyen-ige, qui iH
l'égalité de chacun face à la mort. Devant ces repr6sentadôitt
nous saisissons combien il s'agit là d'une réalité qui échai,,e
à toute compréhension. A ce propos, le docteur Pauling, chi­
miste de réputation internationale, deux fois prix Nobel, 6cri-­
vait: « La mort n'a rien de naturel, en théorie, l'homme est m­
tuellement immortel, ses tissus se remplacent d'eux-mêmes,
l'homme est une machine capable de s'autoréparer. Pourtant,
il vieillit et meurt sans que l'on puisse donner une explication
à ce mystère. ».
Toutefois, le squelette de l'arcane XIII ne représente
pas une mort en tant qu'anénantissement, mais plutôt une
mort dynamique, annonciatrice d'une nouvelle fonne de vie.
A ce propos, Oswald Wirth écrivit: « En dissolvant les fonnes
usées devenues incapables de répondre à leur destination, cet
agent intervient comme rajeunissement puisqu'il libère les
énergies destinées à entrer en de nouvelles combinaisons vi­
tales. Nous devons notre existence éphémère à ce que nous
appelons la Mort. Elle nous permet de naître et ne peut nous
conduire qu'à une renaissance ».5 Plusieurs éléments illustrés
sur l'arcane tendent d'ailleurs à le confmner. En effet, souli­
gnons d'abord la présence d'une végétation verte sur le sol.
Cette végétation est évidemment associée aux forces de la
renaissance. En Egypte antique, elle était même un signe de
résurrection. Pensons à l'Osiris végétant constitué d'un peu
de terre dans laquelle des grains de blé étaient déposés. En

5- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-'2ge, Le Symbolisme


et Emile Nourrey, Paris, 1927.

257
LA LAME XIII

germant, ces grains symbolisaient à la fois la renaissance


d'Osiris et les forces de la régénération incarnées par ce dieu.
Par ailleurs, les textes bibliques semblent attribuer la
même signification à la végétation. En effet, « il est ordonné
aux sauterelles de ne faire aucun mal à l'herbe de la terre, ni à
aucune verdure, ni à aucun arbre; et de n'en faire qu'aux
hommes qui n'auraient pas le sceau de Dieu sur leur front.
Cette opposition de la verdure et des profanes démontre que
l'herbe verte était le symbole des régénérés. ». 6 Dans la mêrre
perspective, le sol de l'arcane est noir. Or, le noir évoque
l'obscurité des origines et symbolise principalement l'état ges­
tatif en tant que prélude d'une naissance nouvelle. Ceci ex­
plique pourquoi, dans de nombreuses traditions, les grandes
déesses-mères associées à la fertilité, étaient noires. Aussi, le
fait que le sol soit noir évoque la promesse d'une vie renou­
velée.
Mentionnons également la présence d'une faux que le
squelette tient entre ses mains. Son manche rouge souligne
déjà son aspect dynamique. En outre, tranchant de manière
égale toutes les herbes, la faux est un emblème de la puissance
égalisatrice de la mort. En effet, elle ne fait aucune discrimina­
tion parmi les hommes comme le suggère également la couleur
blanche de sa lame évoquant une intégrité absolue. De plus, la
faux symbolise un processus de régénération puisqu'en cou­
pant l'herbe sans en détruire la racine, elle en favorise la re­
pousse. Plus encore, en ramenant ainsi la plante à sa racine
elle contribue à sa purification (en tant que retour à l'essence;
profonde) stimulant en ce sens le redéploiement d'une noll
velle fonne extérieure plus proche de ses origines profondes

6- Ponal, Frédéric, Des couleurs symboliques dans /'Antiquité, le moy�


dge et les temps modernes, Editions de la Maisnie, Guy Trédaniel, Pan
1984.

258
D'ailleurs, il est bien connu qu'une herbe
pée gagne en vigueur et en beauté.
En ce sens, nous savons que les pieds sont �
les kabbalistes, à la racine de l'être. Ils contiennent doae
totalité du destin d'un individu. En d'autres tmnes, il coaia>
tue l'origine et la finalité de son développement Toutefoà,
depuis le drame de la Chute, l'homme croît et se développe
trop souvent en fonction de ses illusions et de ses chimàes
plutôt qu'en conformité avec son essence. Dès lors, la faux
évoque une mort en tant que rectification dans la mesure où,
fauchant l'être déployé, elle détruit chez lui tout développe­
ment illusoire (la partie visible de l'herbe) pour le réaligner sur
les valeurs véritables de son être (la racine de l'herbe).
C'est sans doute pourquoi Oswald Wirth écrivit: « Le
profane doit mourir à la vie supérieure que confère l'Initiation.
S'il ne meurt pas à son état d'imperfection, il s'interdit tout
progrès iniatiatique. Savoir mourir est donc le grand secret de
l'initié, car, en mourant, il se dégage de ce qui est inférieur,
pour s'élever en se sublimant. Le vrai sage s'efforce donc de
mourir constamment afin de mieux vivre ». 7 Bon nombre
d'éléments symboliques présents sur ce treizième arcane con­
firment et précisent d'ailleurs ce que nous venons d'affirmer.
Pensons d'abord au squelette en tant quel. En effet, to­
talement dépouillé de ses chairs (de son apparence extérieure),
il est alors étroitement associé, sur un plan symbolique, à
l'essence profonde de l'être puisque l'os recèle en son sein la
moelle qui fabrique les cellules sanguines (globules rouges et
globules blancs) responsables du maintien de la vie (un fruit
de l'esprit). Aussi, si le squelette évoque la mort, il incarne
également le germe d'un redéploiement futur. D'ailleurs, de
nombreuses traditions furent très conscientes du rôle de l'os
7- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-t2ge, op. cit.

259
LA LA.ME XIII

en tant que porteur de vie. Mentionnons, par exemple, ce


conte populaire auvergnois intitulé le fondeur de vieilles qui
rapporte qu'un étrange bonhomme redonnait aux vieilles
femmes tout l'éclat de leur jeunesse par la pratique suivante:
« Il l'a mise à bouillir. Ensuite, il a tiré les os de la chaudière, les
a bien nettoyés, raclés, les a serrés dans une serviette blanche,
a fait trois fois le tour du puits, en les secouant comme une
salade. Le soldat, cependant, le suivait pas à pas sans le quitter
de l'oeil; et il mettait par ordre dans sa tête toute la manière de
s'y prendre. Puis le vieil homme à face vermeille est retourné
dans la chambre, il a rangé ces os comme il le fallait, sur le lit.
Et la dame a reparu, revenue à ses jolis quinze ans. ». 8 Or ce
conte met bien en exergue la valeur des ossements en tant
que principe essentiel à partir duquel une nouvelle croissance
est possible.
C'est d'ailleurs ce que précise également ce passage des
écritures: « La main de Yahvé fut sur moi, il m'emmena par
l'esprit de Yahvé, et il me déposa au milieu de la vallée, une
vallée pleine d'ossements. Il me la fit parcourir, panni eux, en
tous sens. Or les ossements étaient très nombreux sur le sol de
la vallée, et ils étaient complètement desséchés. Il me dit: "Ftls
d'homme, ces ossements vivront-ils?" Je dis: "Seigneur Yahvé,
c'est toi qui le sais". Il me dit: "Prophétise sur ces ossements.
Tu leur diras: Ossements desséchés, écoutez la parole de Yah­
vé. Ainsi parle le Seigneur Yahvé à ces ossements. Voici que
je vais faire entrer en vous l'esprit et vous vivrez. Je mettrai sur
vous des nerfs, je ferai pousser sur vous de la chair, je tendrai
sur vous de la peau, je vous donnerai un esprit et vous vivrez,
et vous saurez que je suis Yahvé". Je prophétisai comme j'en
avais reçu l'ordre. Or il se fit un bruit au moment où je prophé­
tisais: il y eut un frémissement et les os se rapprochèrent les
8- Pourrat, Henri, Contes, Folio, Paris, 1987.

260
uns des autres. Je regardai: ils étaient recouverca.� ...
chair avait poussé et la peau s'était tendue par-desslü ..
D'autre part, les membres épars jonchant Je •I
lent également la purification (en tant que retom à l '�
profonde) associée à l'arcane XIII. En ce sens, nous coassa..
tons la présence de deux têtes (dont l'une est couronn6e), de
quatre mains et de deux pieds. A propos des deux t!tes, elles
ont deux visages parfaitement identifiables et elles ne sont
donc pas anonymes. En effet, d'un point de vue symbolique,
le visage a toujours été étroitement associé à l'identité. Dès
lors, le fait qu'ils soient préservés nous indique que l'identité
de l'être est parfaitement conservét: au cours de son proces­
sus de purification. Ajoutons que ces deux têtes sont celles
d'un homme et d'une femme. Ceci nous révèle donc que le
processus de purification touche l'être dans sa totalité, tant au
niveau de sa dimension extérieure (le plan masculin) que de sa
dimension intérieure (le plan féminin). Plus encore, l'une des
deux têtes est couronnée nous révélant ainsi que la purifica­
tion touche tous les êtres, aussi épanouis, rayonnants ou puis­
sants soient-ils.
Quant aux mains, elles évoquent le principe d'action sur
un plan extérieur. Dès lors, le fait qu'elles soient préservées
nous indique que le processus de purification, incarné par le
squelette, n'implique pas une dissolution, mais une réorienta­
tion du pouvoir d'expression. En ce sens, les mains adoptent
des postures bien précises (des mudrâ). L'étude de ces mudrâ
dépasse le cadre de notre exposé, mais précisons seulement
qu'elles incarnent des postures bien particulières favorisant le
travail de purification évoqué globalement par l'arcane xm.
Enfin, deux pieds jonchent également le sol. Sur un plan sym­
bolique, ils représentent une capacité de s'investir dans le
9- Ezéchiel XXXVII, 1-8.

261
LA LAME XIII

monde en prenant contact avec les réalités terrestres comme le


suggère l'expression populaire « avoir les pieds sur terre »
souvent employée à l'adresse d'une personne qui a pleine­
ment conscience des réalités qui l'entourent.
Dès lors, le fait que les pieds soient préservés nous indi­
que que l'individu conserve un contact étroit avec les réalités
terrestres. Toutefois, il est étonnant de constater qu'ils sont
seulement au nombre de deux. En effet, considérant les deux
têtes et les quatre mains, il devrait y avoir logiquement quatre
pieds. Nous devons donc en conclure que chacun des deux
personnages n'a conservé qu'un pied. En d'autres tennes,
s'ils demeurent attachés aux réalités de ce monde, ils ont ce­
pendant vécu une expérience de réunification intérieure les
amenant à s'enraciner désormais de manière différente sur le
plan matériel. A ce titre, le squelette lui-même ne présente
qu'un seul pied visible, l'autre étant en-dehors du cadre de la
lame. Ceci nous apprend qu'il confère à l'aspirant la force de
transcender l'épreuve de la dualité.
Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Sous sa forme maléficiée, l 'Arcane XIII évoque mainte­


nant la mort en tant que perte, anéantissement et destruction.
En ce sens, contrairement aux autres lames du tarot, nous sa­
vons que l'Arcane XIII n'est pas nommé. Or, sachant que le
nom exprime la nature intime d'un être (son identité), cette
absence de nom nous révèle évidemment que cette lame est
associée à un processus de désolation et de retour au chaos. A
ce titre, le fait de décréter que le nom d'une personne ne serait
plus parmi les vivants était, en Egypte pharaonique, la plus
radicale des condamnations à mort. De même, mourir sans en­
fant était, pour le monde antique, le comble des malheurs

262
car ceci impliquait la disparition du nom et ex
personne à une mort définitive.
Le fait que l'arcane XIII ne soit pas llOllllM 6
donc, dans sa dimension maléficiée, le retour au chaos, __.
du non-être, de la destruction et de la désolation. Cette in118Q
du retour au néant est d'ailleurs reprise par le personnage
central de la lame. En effet, nous avons vu que le squelette
personnifie avant toute chose la mort. Or elle désigne, dans sa
dimension négative, la fin absolue et définitive de l'être. Ce
squelette représente donc la descente dans les ténèbres du
néant, fermant définitivement la porte à tout espoir de salut.
D'ailleurs, cette destruction en tant qu'anéantissement est
confirmée par plusieurs éléments apparaissant sur l'arcane.
En effet, nous avons déjà souligné la présence d'une
végétation verte sur le sol. Or si nous avons associé cela pré­
cédemment aux forces de la renaissance, le vert évoque main­
tenant, sous sa forme maléficiée, la dégénérescence et la moi­
sissure précédant la décomposition (cette couleur étant u n
symbole de la putrescence). En outre, cette végétation appa­
raît sur un sol de couleur noire, étroitement associée, dans sa
dimension négative, aux ténèbres de la mort. En ce sens, il
évoque l'ignorance, l'inconscience et l'aveuglement face aux
réalités de l'esprit. A ce titre, les rites sataniques où Dieu est
nié sont désignés sous le nom générique de « messes noires».
De plus, en évoquant l'abîme, le noir représente également le
néant, la perdition et la mort. Il s'associe donc à toutes les
formes de damnation et annonce un retour au chaos absolu.
Dans la même perspective, la faux que le squelette tient
entre ses mains évoque, sous sa forme maléficiée, l'instrument
privilégié de la mort dans son aspect destructeur. En effet, elle
s'oppose alors à la vie comme le suggèrent son manche rouge
incarnant la destruction et sa lame blanche illustrant un pro­
cessus de néantisation. En outre, la faux coupe l'herbe non

263
LA LAME XIlI

encore mature, lui ôtant ainsi toute possibilité de fructifier et


de perpétuer la vie. Aussi, c'est au moyen d'une petite faux
(ou d'une faucille selon les versions) que le Cronos de la my­
thologie grecque coupa les testicules de son père Ouranos, le
privant ainsi définitivement de toute possibilité de procréer.
En outre, en coupant l'herbe à la racine, la faux évoque éga­
lement un processus de désintégration de l'identité et un re­
tour au monde de l'indifférencié (au monde du non-être)
puisqu'elle lui ôte toute spécificité (fleurs et feuilles). A ce
titre d'ailleurs, le squelette illustre également un retour au
monde de l'indifférencié. En effet, sans vêtements et sans vi­
sage, il ne présente plus aucun signe distinctif: il est totale­
ment impersonnel.
Quant aux membres épars jonchant le sol, ils évoquent
également ce retour au chaos. En effet, ils incarnent une idée
de morcellement et de désintégration. De manière plus précise
encore, nous avons mentionné la présence de deux têtes
(dont l'une est couronnée), de quatre mains et de deux pieds.
A propos des deux têtes, il convient de rappeler que la tête est
le siège de la conscience. Aussi, le fait que les personnages
masculins et féminins perdent la tête évoquent une perte de
conscience. En effet, ils sombrent alors dans les ténèbres et
retournent au chaos. A ce titre d'ailleurs, c'est du chaos
qu'étaient issues, dans la cosmogonie grecque, Erèbe
(l'Obscurité) et Nyx (la Nuit). Enfin, la tête séparée du corps
évoque l'état de celui qui, séparé du monde matériel, est inca­
pable d'exprimer quoi que ce soit.
Quant aux mains, si elles évoquent une capacité à créer,
à réaliser et à s'exprimer dans le monde, elles illustrent évi­
demment, lorsqu'elles sont coupées, la perte de ce pouv oir
créateur et conséquemment la plus totale passivité. Mises en
rapport avec la mort, elles incarnent donc une fois de plus cet
arrêt définitif et absolu de toute activité (l'activité étant le

264
propre de l'esprit, porteur de vie, 90US le
création s'anime). Enfin, les deux pieds qui j
symbolisent tout naturellement une perte de con�
réalités terrestres. Quant au fait qu'ils soient au noirna•i•r­
deux et non au nombre de quatre (comme on pourrait�
quement s'y attendre), ceci nous indique la négation d'une
facette de l'être rendant désormais toute renaissance irnpossi....
ble.

265
U! TAROI': 1J:S VINGT-ŒUX

LALAMEXIDI
LA TEMPERANCE

La lettre hébraïque: Noun.


La valeur numérique: 14.
Les éléments symboliques: Un jeune homme ailé versant Je
contenu d'une urne dans une autre.
La dimension herméneutique: Etablir un processus de m6-
diation et de communication entre deux réalités (symbolisme
du transvasement).
La dimension anagogique: Etablir un rapport d'échange
permanent entre sa conscience et les sphères de l'esprit.
L'injonction: Communiquer et transmuter.
Les éléments à développer: Le sens de l'échange, le contact
constructif avec autrui et la sympathie.

267
LA 1EMPERANCE

La Tempérance

268
Œ TARor : � VJNCn'-œux ARCANES MAJEURES

LA LE'ITRE NOUN

Du point de vue kabbalistique, 1a Ti


pond à la quatorzième lettre de r alphabet 116
Noun, issue d'un ancien idéogramme représentant dd
Or le poisson est intimement associé à 1 'élément eau 48M
quel il vit et se développe. Sachant d'autre part que l'eau œ,.
présente les ressources que Dieu (source de toute vie) met .. là
disposition de l'homme, le poisson symbolise donc celui qui,
pénétré par la grâce divine (l'homme nouveau), vit désormais,
ainsi régénéré et glorifié, dans la grâce de Dieu.
A ce titre, les Pères de l'Eglise comparaient volontiers
les nouveaux baptisés à des poissons naissant dans l'eau du
baptistère (alors dénommé piscina, un terme latin signifiant
« l'étang aux poissons» ). En outre, le Christ lui-même, arché­
type de l'homme nouveau vivant sous le régime de la grâce,
était symbolisé par un poisson. C'est pourquoi saint Cyprien
écrivit: « C'est dans l'eau que nous renaissons, à l'image du
Christ, notre Maître, le Poisson». Or ce lien étroit existant en­
tre le poisson et l'homme pénétré par la grâce divine se con­
çoit d'autant mieux que l'un et l'autre se caractérisent par
leur extraordinaire fécondité. En effet, chez bon nombre
d'espèces de poissons, la femelle pond facilement plusieurs
millions d'oeufs. Quant à l'homme pénétré par la grâce divine,
il est également caractérisé par l'abondance de vertus dont il
est porteur. Le Christ, dispensateur privilégié de la grâce di­
vine, déclare d'ailleurs à ses disciples: « je suis venu pour
qu'on ait la vie et qu'on l'ait surabondante ». 1 La lettre Noun
évoque donc un processus par lequel la grâce de Dieu pénètre
en l'homme, lui restituant ainsi sa fécondité première.

1- Jean X, 10.

269
LA TEMPERANCE

LENOMBRE14

Du point de vue numérologique, la lame de la Tem}i­


rance est associée au nombre 14. Or ce nombre évoque fon­
damentalement la puissance divine (le nombre 1) qui gratifie
de ses faveurs (de ses grâces) le plan matériel (le nombre 4).
En ce sens, le nombre 14 représentait pour Jacob Boehme « le
Saint-Esprit se déployant dans la liberté et dans la Nature bien
que la Nature ne le sache pas ».2 Il évoque donc également un
processus de transmutation dans la mesure où ce déploiement
du Saint-Esprit sacralise, élève et alchimise le plan matériel, lui
restituant ainsi sa pleine fécondité. Or le nombre 14 coïncide
avec l'âge moyen de la puberté marquant l'éveil des forces
sexuelles. Plus encore, l'Eglise catholique confère à cet âge le
sacrement de confirmation au cours duquel le Saint-Esprit pé­
nètre dans le coeur de l'adolescent pour y opérer une vérita­
ble transmutation de sa puissance sexuelle, celle-ci étant alors
programmée pour s'exprimer selon les lois divines.
Ce symbolisme associé au nombre 14 est d'ailleurs bien
illustré dans certains passages bibliques. A titre d'exemple,
pensons à ces propos de saint Paul: « Au bout de quatorze
ans, je montai de nouveau à Jérusalem avec Barnabé et Tite
que je pris avec moi. J'y montai à la suite d'une révélation et
je leur exposai l'Evangile que je prêche panni les païens ».3
Ce nombre met donc en exergue le processus même par lequel
la grâce divine adombre l'homme (c'est suite à une révélation
que Paul se rend à Jérusalem), favorisant ainsi un processus de
transmutation du monde (Paul évangélise alors les païens).

2- Boehme, Jacob, La Sphère philosophique in De Signatura Rerum,


traduction de Sédir, Paris, 1908.
3- Galates II, 1-2.

270
LE TAROT : LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LENOM

Selon le dictionnaire, 1a tempérance


« modération des plaisirs, des passions ».4 Dans la
chrétienne, elle est l'une des quatre vertus cardinales (lit dfâlt
autres étant la justice, la force et la prudence). Cx, seleW la
scolastique médiévale, cette vertu consiste essentiellemeilt en
l'acquisition de la modération et de la mesure en toute chose.
Elle favorise donc le développement d'un caractère accom­
modant et pratique sachant se conformer, par la souplesse, aux
circonstances particulières. L'application de cette vertu dans
la vie quotidienne fait cependant appel à plusiems facultés
dont la continence (consistant à ne pas suivre aveuglément
les mouvements violents de la passion), la clémence
(consistant à modérer, selon la vertu de charité, une attitude
déviante commise par autrui), la modestie (réglant le désir de
sa propre excellence) et la tolérance (amenant à respecter les
opinions et les croyances d'autrui).
En fait, nous pouvons affinner que la tempérance per­
met à celui qui la cultive d'instaurer en son être un rapport
harmonieux entre les réalités du corps et celles de l'esprit, évi­
tant tout excès destructeur dans l'un ou l'autre sens. En effet,
celui qui se détourne des réalités de l'esprit (source de vie)
pour se focaliser uniquement sur les réalités du corps s'expose
aux puissances ténébreuses de l'involution. De même, celui
qui ignore les réalités de son corps pour mieux participer,
croit-il, aux réalités de l'esprit s'enferme dans un monde né­
buleux et abstrait, totalement déconnecté des réalités terres­
tres. C'est pourquoi « la sagesse enseigne la tempérance »,s
comme l'affirment si clairement les anciens.
4- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.
5- Sagesse VIII, 7.

271
LA TEMPERANCE

LA TEMPERANCE

Description de la lame
Cet arcane met en scène un être ailé à l'apparence an­
drogyne portant une longue robe rouge recouverte d'une
tunique bleue. Il a les yeux bleus et porte au front l'emblème
de la conscience éveillée.
En outre, il déverse le contenu d'un vase en argent te­
nu dans sa main gauche dans un vase en or tenu plus bas
dans sa main droite. A ses pieds, une fleur rouge semble com­
mencer à se flétrir.

Interprétation symbolique de l'arcane

A propos de ce quatorzième arcane, soulignons d'abord


que le personnage central est ailé. Or les ailes correspondent
au pouvoir de s'affranchir de la pesanteur terrestre (de se libé­
rer de l'emprise du monde d'en bas) pour s'élever vers les hau­
teurs célestes. En ce sens, Platon déclare dans son Phèdre:
« La force de l'aile est, par nature, de pouvoir s'élever et con­
duire ce qui est pesant vers les hauteurs où habite la race des
Dieux. De toutes les choses attenantes au corps, ce sont les
ailes qui participent le plus à ce qui est divin. ». Plus tard,
Denys l'Aréopagyte reprendra presque mot pour mot ce com­
mentaire de Platon: « L'aile symbolise la promptitude à s'éle­
ver, le céleste, ce qui ouvre accès vers le haut et, par l'ascen­
sion, le dépassement de toute bassesse, la légèreté des ailes
indique qu'elles n'ont aucun penchant terrestre mais s'élèvent
en toute pureté et sans poids vers les sommets... ».6 Dès lors, la

6- Denys l'Aréopagyte, La Hiérarchie Céleste, Les Editions du Cerf,


Paris, 1958.

272
LE TAROT: LES VINOT-DEUX AaCANill
présence des ailes sur le personnage de la
sa capacité à s'élever jusqu'aux plus hautes
Outre ces ailes, il présente également une
drogyne comme le note fort pertinemment Oswald w·
Génie de la Tempérance est androgyne ou plus ex.....
gynandre ».7 A ce titre, il est utile de rappeler que si l'' tlfll!IC•
rence masculine de l'androgyne en fait un être rayonnant �
agissant sur le plan extérieur, la féminisation de ses traits noas
indique que cette dimension extérieure (symbolisée par la
masculinité) a été investie des forces spirituelles issues de
l'intérieur (une dimension traditionnellement associée à la fé­
minité). En fait, l'androgyne incarne une conscience à la fois
passive et active (réceptive et émettrice), permettant
d'accueillir les énergies divines et de les rayonner pleinement
dans le monde. D'ailleurs, cette double polarité est également
fort bien illustrée par la tenue vestimentaire de cet être qui
porte une robe rouge (une couleur active et émettrice) recou­
verte d'une longue tunique bleue (une couleur passive et ré­
ceptive) sans manches (laissant ainsi apparaître les bras, prin­
cipe d'activité). Ajoutons en outre que la tunique bleue est
doublée de vert révélant ainsi que la spiritualité incarnée par
l'ange s'appuie sur les valeurs du coeur: celles de l'amour
(symbolisées par la couleur verte).
Ainsi donc, le personnage à la fois ailé et androgyne de
cet arcane n'est autre qu'un ange tout à fait conforme à
l'image utilisée par la tradition chrétienne qui assimile toujours
ces êtres célestes à l'archétype d'un jeune homme ailé un peu
efféminé. D'autres éléments symboliques présents sur cette
lame confirment d'ailleurs la nature angélique de ce person­
nage. Pensons, par exemple, au symbole solaire qu'il porte au
7- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-dge, Le Symbolisme
et Emile Nourrey, Paris, 1927.

273
l.A TEMPERANCE

front. En effet, il s'agit de l'emblème d'une conscience illumi­


née en communion plénière avec les sphères de l 'Esprit. Dans
la même perspective, ses yeux bleus nous révèlent une capaci­
té à entrer en contact avec les réalités divines. En effet, en tant
que couleur du ciel, le bleu évoque la demeure de Dieu. C'est
du moins ce qu'affirme la tradition biblique: « Yahvé a fixé
son trône dans les cieux, par-dessus tout sa royauté do-
.
mme. ». 8
A un autre niveau, cet ange transvase le contenu d'un
récipient en argent dans un autre en or. En fait, cette action
s'éclaire si l'on sait que les anges (dont le nom latin angeli
signifie « messagers ») ont pour fonction de transmettre aux
hommes les grâces de Dieu. En ce sens, le récipient en argent
(un métal associé à la Lune) évoque la lumière lunaire et con ­
séquemment la nuit. Il représente donc le monde de la non­
manifestation ou encore celui des réalités abstraites et subtiles
non encore tangibles. Quant au récipient en or (un métal as­
socié au Soleil), il évoque la lumière solaire qui éclaire et illu­
mine. Aussi, il symbolise le monde de la manifestation ou celui
des potentialités divines pleinement exprimées. Dès lors, con­
sidérant ces éléments symboliques, nous pouvons en déduire
que l'ange préside au processus selon lequel la grâce divine
dont il est le vecteur pénètre la création, lui révélant ainsi son
essence divine (symbolisme de l'urne d'or) alors qu'elle
n'était auparavant que pure potentialité (symbolisme de
l'urne d'argent).
En transposant ce processus au niveau de la nature hu­
maine, ceci signifie que l'aspirant reçoit la grâce céleste (le
souffle du Saint-Esprit) qui réveille en son être l'essence pro­
fonde qui s'y trouve, l'amenant à participer pleinement aux
réalités divines. Il devient alors un véritable levain dans la
8- Psaume 103 (102), 19.

274
pâte du monde, rayonnant la lumière de l'esprit· ....�
lui. Dans la tradition mystique, cette grâce divine
l'amour de Dieu permettant à l'homme de participer
veau à la nature divine tout en jouissant d'une extr
fécondité. En effet, illuminé par cet amour, il voit alors fbWtr
en son être des charismes que la scolastique ancienne coll•
dérait comme autant de grâces extraordinaires conférées pour
le bien de ses semblables.
A ce titre, le récit de Jonas est très éloquent. En effet, to­
talement sourd à l'appel de Dieu l'invitant à se rendre à Nini­
ve pour y convertir ses habitants, Jonas pris la mer pour
s'enfuir à Tarsis. Toutefois, une violente tempête se souleva
durant la traversée et Jonas fut jeté à la mer. Cependant,
« Yahvé fit qu'il y eut un grand poisson pour engloutir Jo­
nas ».9 Dans les entrailles de ce poisson, touché par l'amour
divin, Jonas reprit contact avec la nature divine. Aussi, il dé­
clara: « A la racine des montagnes j'étais descendu, en u n
pays dont les verrous étaient tirés sur moi pour toujours. Mais
de la fosse tu as fait remonter ma vie, Yahvé mon Dieu. Tandis
qu'en moi mon âme défaillait, je me suis souvenu de Yahvé, et
ma prière est allée jusqu'à toi en ton saint Temple. Ceux qui
servent des vanités trompeuses, c'est leur grâce qu'ils aban­
donnent. Moi, aux accents de la louange, je t'offrirai des sacri­
fices. Le voeu que j'ai fait, je l'accomplirai. De Yahvé vient le
salut ».10 Alors, « Yahvé commanda au poisson, qui vomit Jo­
nas sur le rivage ».11
Ce récit met en scène le processus par lequel Dieu
adombre l'homme de sa grâce (Dieu sauve Jonas de la
noyade), cette grâce lui permettant alors de participer pleine-
9- Jonas Il, 1.
l 0- Jonas II, 7-10.
11- Jonas II, 11.

275
LA TEMPERANCE

ment à la nature divine, jouissant ainsi d'une extraordinaire


fécondité. En effet, fort de la puissance de l'esprit qui l'anime
désormais, il devient tout naturellement un levain précieux
dans la pâte du monde. Rejeté sur le rivage, Jonas se rendit
donc à Ninive et « les gens de Ninive crurent en Dieu ».1 2 Ce
récit est d'autant plus éloquent qu'il met en scène un poisson
qui, nous le savons, constitue dans la langue hébraïque
l'idéogramrne correspondant à la lettre Noun, la lettre associée
au quatorzième arcane. En outre, le poisson fut toujours étroi­
tement associé, nous l'avons déjà mentionné, au processus de
transmutation alchimique.
Ainsi, certains cultes de l'Asie Mineure (Syrie, Assyrie,
Mésopotamie et Chaldée notamment) célébraient les mystères
du poisson divin, sacrifié et solennellement consommé. Ces
rites « tendaient à une même fin: à une union intime de
l'homme purifié et de la divinité, par voie d'incorporation de
la chair du poisson. ».1 3 Dans l'Eglise primitive, le poisson,
symbole du Christ, revêtit également très tôt une fonction e u­
charistique. Ainsi, « les premiers artistes chrétiens figurèrent le
poisson en une multitude de compositions très claires: placé
parfois au-dessus du calice ou sur un autel, il semble s'offrir au
fidèle sur des fresques catacombales, il nage en portant sur
son dos la corbeille pleine de pains consacrés, ou bien il pré­
sente dans sa bouche le pain ou le raisin; ailleurs, entre la
coupe et le pain, il attend, sur un plat, d'être distribué conme
eux en nourriture; il impose aussi, souvent, sa fonne à des ob­
jets relatifs au banquet sacramentel ou à celui des agapes bé­
nites ». 14
12- Jonas III, 5.
13- Charbonneau-Lassay, Louis, Le Bestiaire du Christ, L. J, 1)M:b Re­
print Milano, 1974.
14- Ibid.

276
Enfin, une fleur rouge semble se fl6tt:ir aux
l'ange. Or cette fleur est identique à celle qui se
bouton aux pieds du Bateleur et que l'on aperçut
épanouie sur la lame de l'Empereur. A son propos,
Wirth précise: « Il [le Génie de la Tempérance] se borne à en­
tretenir la vie sans la faire naître, comme le Bateleur, ni à
l'intensifier à la façon de !'Empereur. L'échanson angélique
du liquide vital ranime la fleur prête à se faner; il l'arrose ou
condense sur elle la rosée matinale, afin de lui permettre de
résister aux ardeurs du jour. ». 15 En fai� la fleur évoque les
qualités et les vertus de l'âme qui s'épanouissent sous
l'influence de l'esprit. Mise en rapport avec la Tempérance,
elle nous apprend que le processus d'échange entre l'âme et
l'esprit permet alors à l'homme d'entretenir les qualités et les
vertus de son âme, évitant que celles-ci ne se flétrissent au
contact des puissances régressives du monde.
Interprétation symbolique de l'arcane maléficié
Sous sa forme maléficiée, le personnage principal de la
lame est toujours un ange, mais il s'agit maintenant d'un ange
rebelle au service des forces ténébreuses qui parcourent le
monde pour la perte des hommes. Aussi, si les ailes incarnent,
dans leur dimension positive, une capacité à s'élever vers les
hauteurs célestes pour communier avec les réalités divines,
elles représentent, sous leur aspect négatif, ce même désir
d'élévation nourri cependant par des pulsions purement
égoïques. Pensons, à ce propos, aux paroles adressées à Satan
par le prophète Isaïe: « Comment as-tu été jeté par terre, toi
qui vassalisais toutes les nations ? Toi qui disais en ton coeur:
"J'escaladerai les cieux; par-dessus les étoiles de Dieu j'érigerai
15- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-tlge, op. cit.

277
LA TEMPERANCE

mon trône. Je siégerai sur la montagne de l'assemblée dans les


profondeurs du nord. Je monterai au sommet des nuages noirs,
je ressemblerai au Très-Haut. ».16
Quant à l'apparence androgyne de l'ange rebelle, nous
savons qu'elle évoque d'abord une conscience à la fois pas­
sive et active, permettant d'accueillir les énergies divines et de
les rayonner pleinement dans le monde. Toutefois, elle de­
vient, dans sa dimension négative, l'emblème d'une grave
confusion existant entre les pôles féminin et masculin, cette
confusion étant alors une source de profondes illusions en­
fermant l'individu dans une forme primitive et inachevée.17
En outre, cette confusion des sexes est également illustrée par
la tenue vestimentaire de l'ange portant une robe rouge (une
couleur étroitement associée à la masculinité) recouverte
d'une longue tunique bleue (évoquant la féminité). De plus,
cette tunique bleue est doublée de vert nous révélant ainsi
que l'action incarnée par l'ange s'inscrit dans le cadre d'un
processus de dégénérescence (symbolisé par la couleur verte).
Dans la même perspective, le symbole solaire présent sur
front de l'ange ténébreux évoque évidemment l'emprise de
l'ego (ou de l'Esprit du monde, sa projection extérieure) sur
sa conscience. En ce sens, il nous rappelle que c'est par un
péché d'orgueil que Satan et les anges qui le suivirent se sé­
parèrent de la divinité, cessant ainsi de servir Dieu pour agir
selon leur propre volonté. En effet, si ce « prince des or-
16- Isaïe XIV, 12-14.
17- Il est intéressant de mentionner ici que le poisson, idéognmme de
la lettre Noun, devient également, sous sa fonne maléficiée, l'emblème
de la confusion par excellence: la tête (le pôle masculin) et le COIJ)S (le
pôle féminin) semblant réunis sans distinction. De même, le jeur du
poisson d'avril (le Ier avril), surnommé aux Etats-Unis « le des
fous», est entièrement consacré à des activités visant à trompe-: l'autre
en mêlant la fiction à la réalité.

278
LE TARITT: LES VINGr-DEUX ARCANES MAJEURS

gueilleux » a chuté, nous précise saint Hilaire de Poitiers, 18


c'est parce qu'il voulut régner sur le ciel. Il fut donc précipité
dans les ténèbres et le plus lumineux des anges devint la plus
noire des créatures. Quant à ses yeux bleus, ils nous révèlent
qu'il dispose d'une conscience s'éloignant de plus en plus
des choses et des êtres incarnés, la réalité cessant peu à peu
d'exister par elle-même pour faire place à des concepts nébu­
leux et chimériques tout à fait arbitraires. En se centrant ex­
clusivement sur les revendications de l'ego, l'ange n'est donc
plus vecteur de la grâce divine, mais celui d'une puissance
profondément mortifère.
A un autre niveau, cet ange verse le contenu d'un
vase en argent dans un vase en or. Sous sa forme maléficiée,
cet acte n'est plus un processus de transmutation par lequel la
grâce divine pénètre la création, contribuant ainsi à révéler
son essence divine (symbolisme de l'urne or) demeurée jus­
que là invisible (symbolisme de l'urne d'argent). Au contraire,
il s'agit alors d'un processus de perversion par lequel une
fausse lumière (celle dont l'ange rebelle est vecteur) pénètre
la création pour l'éloigner définitivement de son essence pro­
fonde. Au niveau de la nature humaine, cette expérience peut
se traduire par deux attitudes apparemment opposées mais en
fait analogues.
La première consiste à vouloir disparaître en Dieu en
cherchant à s'anéantir dans l'absolu pour mieux participer,
croit-on, à la nature divine. Cet amour par dissolution est tou­
tefois une profonde illusion puisqu'il s'agit d'une pure néga­
tion de la réalité même de l'amour. En effet, l'amour est incon­
cevable sans !'Aimant et l'Aimé, sans le moi et le toi. En
l'absence de l'autre, il n'existe évidemment plus de dynami­
que, plus d'échange, plus de partage: en un mot plus d'amour.

18- Saint Hilaire de Poitiers (315-367).

279
LA TEMPERANCE

Ainsi, en transvasant le contenu du vase argent dans le vase


or, l'ange mauvais assure la mise en place d'un processus par
lequel la nature humaine, illusionnée par les forces obscures
de l'inconscient et nourrie par l'Esprit du monde qui oeuvre à
son insu (symbolisme de l'urne argent) cherche à se dissoud re
au sein d'une pseudo-nature divine (évoquée par l'urne or).
La seconde attitude consiste à vouloir devenir soi ­
même une déité absolue disposant de tous les attributs divins,
comme l'enseignent certaines écoles ésotériques du New Age.
L'être humain cherche donc à être Dieu en éveillant en lui des
aspects divins latents grâce à un travail méthodique accompli
à travers de nombreuses incarnations. Dans cette perspective,
le but de l'existence se résume exclusivement à l'éveil d'une
déité latente faisant de l'homme un surhomme et Dieu seule ­
ment un dieu. Or il s'agit une fois encore d'une profonde illu­
sion car Dieu n'est plus alors qu'une simple projection de soi.
En fait, cette attitude est une véritable inflation de l'ego. Aus­
si, en transvasant le contenu du vase argent dans le vase or,
l'ange mauvais évoque un mouvement par lequel la nature
humaine (l'urne argent) cherche à devenir divine (ce que
symbolise l'urne or)
Quant à la fleur rouge qui semble se faner aux pieds de
l'ange, elle évoque effectivement un flétrissement (une dégé­
rescence) des qualités et des vertus de l'âme sous l'influence
de ce processus de perversion. En effet, l'homme, ainsi illu­
sionné par la fausse lumière dont l'ange rebelle est porteur,
cherche à se dissoudre et à s'anéantir en Dieu ou, au contraire,
à s'ériger en déité absolue, se coupant ainsi de l'amour divin
(l'eau céleste qui peut, seule, abreuver l'âme et faire fleurir ses
vertus).

280
LE TAROT : LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LAME XV
LE DIABLE

La lettre hébraïque: Samech.


La valeur numérique: 15.
Les éléments symboliques: Un personnage
hermaphrodite ayant les mots Solve et Coagula tatoués
sur les bras. Il est debout sur un piédestal auquel deux
êtres nus sont attachés par une chaîne.
La dimension herméneutique: Gérer adéquatement sa
puis­sance sexuelle (évoquée par le personnage
hermaphrodite) et sa dimension instinctuelle (symbolisée
par les deux êtres nus) en les plaçant au service d'une
oeuvre constructive.
La dimension anagogique: Placer sa puissance génésique
au service des oeuvres spirituelles.
L'injonction: Canaliser ses désirs et intégrer ses instincts.
Les éléments à développer: La créativité matérielle, la
ges­tion de l'argent et une sexualité plus épanouie.

281
LE DIABLE

Le Diable

282
LA LETTRE SAMECH
Du point de vue kabbalistique, le Diable
la quinzième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre Samoc
d'un ancien idéogramme représentant un poteau ou mi }'alirr.
Le nom de cette lettre, samekh (Samech-Mem-Kaph), sipifie
d'ailleurs « soutien » ou « appui ». Or le pilier représente, dans
de nombreuses cultures, l'axe du monde (l'axis mundi) évo­
quant l'union substancielle existant entre le ciel et la terre et
la fonnidable puissance créatrice qui en résulte. En Egypte
antique, par exemple, nous retrouvons cette image sous 1a
forme du pilier Djed qui s'élève du corps d'Osiris et se dresse
vers le ciel. Identifié au Nil, il est considéré comme le canal
privilégié par lequel se répand sur terre l'énergie spirituelle
engendrant ainsi la vie sur un plan matériel.
Dès lors, mise en rapport avec la nature humaine,
l'image du pilier est associée à la colonne vertébrale de celui
qui a su faire de son être un véritable pont, unissant à la fois le
ciel (la dimension spirituelle) et la terre (la dimension corpo­
relle). Il jouit alors d'une fonnidable puissance créatrice assu­
rant la plénitude de son être et le maintien de la vie sous tou­
tes ses fonnes. Autrefois, cette fonction était l'apanage des
souverains qui, médiateurs entre le ciel et la terre, étaient con­
sidérés comme les garants de l'ordre, de l'équilibre et de
l'harmonie cosmiques, assurant ainsi la prospérité et la paix d u
peuple.
La lettre Samech évoque donc la formidable puissance
créatrice qui, issue de l'union amoureuse entre le ciel et la
terre (entre la dimension spirituelle et la dimension corporelle),
maintient la vie au sein de la création, éloignant celle-ci de
toute fonne de chaos (expression des forces régressives de
l'involution).

283
LE DIABLE

LENOMBRE15

Du point de vue numérologique, la lame du Diable est


associée au nombre 15. Or ce nombre évoque fondamentale­
ment la puissance divine (le nombre 1) qui s'incarne chez
l'aspirant pour lui permettre d'oeuvrer en harmonie avec les
plans cosmiques (ce que représente le nombre 5 sur un plan
kabbalistique). En outre, le nombre 15 est la somme des nom­
bres 7 et 8. Or le nombre 7 incarne la beauté, la grâce et
l'harmonie caractérisant la créature totalement pénétrée par le
souffle de l'Esprit. Quant au nombre 8, il évoque l'équilibre et
la stabilité résultant de l'observance des lois cosmiques et di­
vines. Dès lors, en tant qu 'union du 7 et du 8, le nombre 15
incarne le processus par lequel la créature, totalement péné­
trée par le souffle de ! 'Esprit (symbolisme du nombre 7), con­
tribue, par la puissance divine qu'elle exprime désormais, à
assurer l'équilibre de l'univers et le maintien de la vie (symbo­
lisme du nombre 8).
En ce sens, nous retrouvons des illustrations bibliques
éloquentes associées au nombre 15. Ainsi, par exemple, c'est
le quinzième jour du septième mois de leur calendrier que les
Hébreux célébraient la fête des Tentes.t Il s'agissait alors
d'une fête de la récolte où le rendement des vignes, olivaies et
vergers était célébré dans la joie, les chants et les danses (les
« tentes » évoquant les cabanes occupées au temps des récol­
tes par les vignerons ou les oliveurs). Or, à travers cette fate
des tentes associée au nombre 15, nous retrouvons bien la
création qui, totalement pénétrée par le souffle de l'Espit, as­
sure l'équilibre et le maintien de la vie sur un plan ma*iel
(image des récoltes abondantes assurant aux hommes leur
subsistance).

1- Lévitique XXIII, 33-36.

284
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LE NOM

Selon le dictionnaire, le diable désigne le « démon, es­


prit malin ».2 Toutefois, mis en rapport avec le quinzième ar­
cane, il faut percevoir le diable sous un angle différent, le con­
sidérant comme la personnification de l'énergie sexuelle qui
fut d'ailleurs « diabolisée » par la tradition chrétienne. En ef­
fet, l'occident chrétien associa l'épisode de la Chute à l'éveil
des forces sexuelles, alors incarnées par le serpent tentateur,
une figure du diable. Ainsi, Jakob Bohme écrivit à propos de
ce serpent: « ayant été le plus malin parmi tous les animaux, et
ayant ravi à Eve sa pudeur virginale, il lui avait inspiré le désir
du coït bestial et de toute impudicité et de toute prostitution
bestiale chez les hommes ». 3
En effet, la tradition judéo-chrétienne considéra géné­
ralement la sexualité sous un angle exclusivement négatif. Or,
s'il est vrai que la force sexuelle peut aliéner, elle peut aussi
libérer et c'est pourquoi elle comporte une dimension profon­
dément mystique dans beaucoup de cultures orientales. En ce
sens, « ceux qui ne veulent pas reconnaître la nature divine
du phallus, qui ne comprennent pas l'importance du rite
sexuel, qui considèrent l'acte d'amour comme vil ou méprisa­
ble ou comme une simple fonction physique, sont sûrs
d'échouer dans leurs tentatives de réalisation matérielle ou
spirituelle. Ignorer le caractère sacré du phallus est dangereux
tandis qu'en le vénérant on obtient le plaisir (bhukti) et la li­
bération (mukti) ».4 Cette affirmation devrait être sérieusement
méditée dans les écoles spirituelles d'occident.
2- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.
3- Bôhme, Jakob, Mysterium Magnum, trad. de N. Berdiaeff, 2 vol.,
Paris, 1945.
4- Lingopdsanâ rahasya.

285
LE DIABLE

LE DIABLE

Description de la lame

Cet arcane met en scène un être hermaphrodite ayant


un torse et des bras humains, ainsi qu'une tête et des jambes
de bouc. Une étoile blanche brille sur son front tandis qu'un
triangle inversé est formé par ses seins et son nombril. Il tient
en outre un flambeau ou une torche allumée dans sa main
droite et un symbole hindou (celui de l'union des sexes) dans
sa main gauche.
Enfin, les mots Solve et Coagula sont tatoués sur ses
bras. Il est debout sur un piédestal bleu auquel sont attachés
par un anneau jaune deux êtres cornus ayant également des
pattes de bouc.

Interprétation symbolique de l'arcane

Pour bien comprendre le sens occulte de ce quinzième


arcane, l'apparence du«diable» mérite toute notre attention.
En effet, nous venons de préciser que sa tête et ses jambes
sont celles d'un bouc et cet animal a toujours incarné, sur un
plan symbolique, la puissance sexuelle, la force créatrice et la
fécondité. A ce titre, nous pouvons sans crainte associer le
Diable au dieu Pan de l'Antiquité grecque, ce « chèvre-pied à
deux cornes» représenté traditionnellement avec un torse et
des bras humains, mais ayant des jambes, des oreilles et des
cornes semblables à celles d'un bouc. Or Pan était considéré
comme le propagateur du pouvoir créateur universel. Ce dieu
des bergers et des troupeaux auxquels il assurait la fécondité
était d'ailleurs invoqué dans les litanies orphiques comme«le
grand principe régulateur, le premier principe d'amour, ou
créateur, incorporé dans la matière universelle et formant le

286
ΠTARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

monde ».5 Ainsi donc, Pan (dont le nom grec signifie «tout»),
était le «tout » incarnant la fécondité et les forces reproduc­
trices de la création.
A travers cette image, nous découvrons donc la princi­
pale dimension symbolique associée au Diable, c'est-à-dire la
formidable puissance génésique, source de toute vie, issue de
l'union du ciel et de la terre, de l'esprit et du corps. De nom­
breux éléments symboliques s'articulant autour de ce quin­
zième arcane confirment et précisent d'ailleurs cette associa­
tion. Pensons, par exemple, au symbole hindou que le Diable
tient dans sa main gauche. Il s'agit du symbole de l'union des
sexes. En ce sens, la forme verticale rouge de ce symbole évo­
que le linga, c'est-à-dire le phallus en tant que source de vie.
Toutefois, le linga, seul, appartient au domaine de l'infonnel,
du non-manifesté. Ce n'est, en effet, que dans son rapport
avec la yoni, c'est-à-dire la matrice (en tant que réceptacle de
la semence), qu'il peut exprimer sa puissance génésique au
sein de la création. Cette yoni est évidemment représentée
dans la main du Diable par la forme horizontale de couleur
jaune dans laquelle s'enfonce la base du linga.
Dans la même perspective, le Diable lui-même est une
synthèse dynamique entre l'élément masculin et l'élément
féminin, l'esprit et le corps. En effet, sa tête de bouc évoque
sans conteste la dimension masculine (sa couleur rouge iden­
tique à celle du linga, conforte d'ailleurs éloquemment ce ca­
ractère mâle). Par contre, son corps aux seins et aux hanches
développés évoque clairement la dimension féminine. En ou­
tre, il possède également deux grandes cornes. Or, en raison
de leur force de pénétration (elles défoncent) et de leur puis­
sance de rayonnement (elles sont jaunes et placées sur la tête),
elles représentent un principe actif et masculin. Par contre, leur
5- Payne Knigt, R., Le Culte de Priape, Eric Losfeld, Paris.

287
LE DIABLE

disposition en forme de lyre et de réceptacle en font un em­


blème du principe féminin. Plus encore, un symbole de Mer­
cure apparaît à la place du sexe. Or nous savons que Mercure
est associé à tous les processus d'échange et de médiation
entre le ciel et la terre. En ce sens, le dieu Hermès (Mercure
chez les Grecs) est un messager ayant pour tâche de transmet­
tre aux dieux les requêtes et les prières des hommes et de
communiquer aux hommes la réponse des dieux. Le fait que
ce symbole soit placé sur le sexe du diable nous révèle très
explicitement que sa formidable puissance créatrice, source de
toute vie, est issue de l'union entre les plans spirituels et les
plans terrestres (ou plans corporels).
Dans le même contexte, mentionnons aussi les couleurs
rouge (évoquant la masculinité) et bleue (évoquant la fémini­
té) associées au piédestal sur lequel trône le diable. Pensons
également à la présence des trois marches pyramidales situées
dans la partie inférieure du piédestal évoquant un triangle
pointé vers le haut alors que les trois marches pyramidales si­
tuées dans la partie supérieure de ce piédestal évoquent un
triangle pointé vers le bas. Ce double triangle incarne, une fois
encore, la fusion du principe féminin (le triangle pointé vers le
bas) et du principe masculin (le triangle pointé vers le haut).
En outre, ces marches sont au nombre de 6. Or nous avons
déjà souligné que ce nombre incarne fondamentalement la
puissance de rayonnement issue de l'interaction féconde de
deux réalités principielles.
En outre, le Diable porte également au front une étoile
blanche. Ce détail est fort important car il nous précise que la
puissance génésique dont il est vecteur doit être soumise, se­
lon les mots d'Oswald Wirth, à une « volonté pure, non tein­
tée d'égoïsme »6 (le front ayant toujours été considéré comme

6- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-age, Le Symbolisme

288
I.E TAROf: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJBURS

le siège de la volonté). Nous pouvons également y voir une


allusion au chakra frontal dont l'éveil et le développement
hannonieux conduisent l'aspirant à exprimer et à rayonner
pleinement les forces de l'amour. Dès lors, nous savons que la
puissance génésique, source de toute vie, ne peut s'épanouir
et être pleinement opérative que si elle est soutenue et canali­
sée par les forces de l'amour. Quant aux ailes de chauve­
souris associées au Diable, elles évoquent l'aspect chtonien
de la puissance qu'il incarne. En d'autres tennes, elles rappel­
lent que la sexualité s'enracine dans ce qu'il a de plus intime,
c'est-à-dire au niveau des couches les plus profondes et les
plus primitives de l'être (celles dont il n'a pas conscience).
Toujours à propos du Diable, notons que les mots Solve
et Coagula sont tatoués sur ses bras. Se référant à l'adage
alchimique« coaguler le subtil et dissoudre l'épais», ces mots
nous enseignent que la puissance génésique issue de l'union
entre l'élément masculin et l'élément féminin, entre l'esprit e t
le corps, condense e t allège à la fois. En effet, elle condense
(coagule) dans la mesure où elle permet à toutes les réalités
non encore manifestées de prendre forme (de se matérialiser)
passant ainsi des mondes invisibles au monde visible de la fini­
tude et du créé. A ce titre, il n'y pas de meilleur exemple que
l'acte sexuel permettant l'incarnation d'un nouvel être sur le
plan terrestre.
Toutefois, elle peut également dissoudre (alléger) dans
la mesure où elle permet à une réalité de s'élever sur les plans
subtils. En effet, au cours de l'orgasme, les deux partenaires
ne s'appartiennent plus et chacun est pleinement présent à
l'autre. Pensons à ces mots du grand mystique soufi Hallay
(857-922): « Je suis Celui que j'aime et Celui que j'aime est
moi. Nous sommes une âme en deux corps. Me voir, c'est le
et Emile Nourrey, Paris, 1927.

289
LE DIABLE

voir et Le voir c'est nous voir». En effet, affranchis du cercle


clos de leur ego, les partenaires sont alors conduits au parvis
du sanctuaire céleste où ils peuvent approcher le Grand Mys­
tère. C'est ce qu'affirme péremptoirement le philosophe An­
dré Moreau lorsqu'il déclare: « En tout homme qui fait
l'amour, il y a un bouddha en méditation. ».
En ce sens, la tradition orientale fut d'ailleurs toujours
parfaitement consciente du formidable pouvoir de l'acte
sexuel comme moyen d'accéder aux plans divins. C'est pour­
quoi tout le rituel védique est l'équivalent de l'acte d'amour:
« Le premier appel est l'invocation du dieu (hinkara). La pro­
position représente les laudes (prastâra). Se coucher avec la
femme est le Magnificat (udgîtha). Se coucher face à face est
le choeur (pratihâna ). Le moment crucial est la consécration
rituelle. La séparation est l'hymne final (nidhâna). ».1 De
rœme, « l'hymne au dieu-de-la-main-gauche (Vâmadeva) est
tramé sur l'acte d'amour. Celui qui comprend que cet hymne
au dieu-de-la-main-gauche (la forme ignée de Shiva) est tramé
sur l'acte d'amour se recrée lui-même à chaque copulation. D
vit toute la durée de sa vie, il vit longtemps, et devient riche en
progéniture et en bétail, riche en renommée.».s
Ajoutons encore que le Diable tient dans sa main droite
un flambeau allumé. Ce flambeau représente évidemment la
puissance génésique dont il est vecteur. Or cet attribut syn­
thétise à lui seul les mots Coagula et Solve puisqu'en étant
source de lumière et de chaleur, le feu donne la vie (fonction
de coagulation). En Rome antique, c'est d'ailleurs une étin­
celle de feu qui aurait fécondé la vierge Ocrisia (une vestale
sacrée) et l'aurait rendue mère du roi Servius Tullius. De

7- Daniélou, Alain, Mythes et dieux de l'Inde, Editions du Rooll8'; Pa­


ris, 1992.
8- Chândogya Upanishad 2, 13, 1.

290
U: TARar: LES VINGr-DEUX ARCANES MAJBOII

même, en raison de sa vertu pwificattice, le feu 6l�vo • �


mute (fonction de dissolution). A ce titre, le couple qui onm,..
tient un amour mutuel au sein de sa relation sexuelle, dispose
d'une force extraordinaire. En effet, dirigée par une intention
précise, elle peut, par exemple, contribuer à guérir un malade.
C'est le principe sur lequel repose la magie du couple, une
technique exposée dans les doctrines spirituelles de l'orient.
Cette magie sexuelle, essentiellement fondée sur la puissance
de l'amour, devient alors un outil extraordinaire permettant
d'éveiller la conscience à des réalités transcendantes aux­
quelles nulle autre voie ne peut permettre d'accéder.
Enfin, il est intéressant de remarquer que le Diable ré­
unit en lui les quatre éléments. A ce propos, Oswald Wirth
écrit: « ses jambes noires correspondent à la Terre et aux es­
prits des profondeurs obscures que représentent les Gnomes
du Moyen Age et les Anounnaki redoutés des Chaldéens. Les
Ondins, animateurs de l 'Eau, sont rappelés par les écailles ver­
tes qui couvrent les flancs du monstre dont les ailes bleues se
rapportent aux Sylphes, puissances de l' Air. Quant à la tête
rouge, elle figure la foumaise où se complaisent les Salaman­
dres, génies du Feu. ».9 Cette synthèse des quatre éléments
nous apprend donc que la puissance génésique que le Diable
incarne, se propage et rayonne au sein de la création tout en­
tière. A ce titre, ses seins et son nombril forment un triangle
inversé et cette figure évoque l'expression concrète d'une
force ou d'une réalité subtile. Or, pointée vers le bas, elle ac­
centue encore davantage cette notion de concrétisation en
évoquant un processus d'incarnation. Dans la même perspec­
tive, la tête du diable s'inscrit dans un pentagramme dont les
deux pointes supérieures correspondent aux cornes, les deux
pointes latérales, aux oreilles, et la pointe inférieure à la barbe.
9- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, op. cit.

291
LE DIABLE

Ce pentagramme évoque donc l'expression d'une force


sexuelle (la pointe inférieure) sollicitant le plan physique, le
plan énergétique, le plan émotionnel et le plan mental (les qua­
tre autres branches de l'étoile).
A un autre niveau, le quinzième arcane met également en
scène deux êtres cornus attachés par des chaînes au piédestal
sur lequel trône le Diable. Nous pouvons les associer aux sa­
tyres, ces démons de la nature, moitié animaux et moitié hom­
mes, affublés de cornes de bouc et de pattes de chèvres. Sen­
suels, paresseux, lubriques et lâches, ils étaient réputés, dans la
mythologie grecque, pour leur appétit sexuel insatiable. En
fait, sachant que le Diable illustre en l'homme sa puissance
génésique, ces deux satyres personnifient les aspects infé­
rieurs (pulsions et instincts) de la personnalité. Cependant, ils
sont assujettis au Diable qui les canalisent dans un même sens
(symbolisme de l'anneau jaune), les utilisant alors de manière
constructive et positive pour s'exprimer pleinement dans le
monde.
Plus encore, l'un de ces personnages (l'être orangé) est
d'apparence masculine comme le soulignent ses cornes effi­
lées (évoquant une capacité de pénétration propre au sexe
mâle). Sa barbe et son absence de seins l'attestent également
Il évoque donc l'aspect émissif et dynamique de ces pol&ions
instinctuelles et sa posture particulière le confinne d'ailleurs
éloquemment. En effet, il élève sa main gauche vers le ad et
pose sa main droite sur son sexe. Cette attitude nous apprend
qu'il capte l'énergie cosmique (positive) par sa main be
(dont la polarité est négative et conséquemment
la transmet à son sexe qu'il excite et dynamise. •r:•�
· � et

<•
l'orangé, une couleur exothermique résultant de I'
rouge (incarnant l'extériorisation) et du jaune
rayonnement) souligne encore le fait que ce satyre

292
LE TAROT: LES VINGr-DEUX ARCANIW MAm..

pulsions instinctuelles dans lews dimensions excl


émissives.
Quant au second personnage (l'êtte vert), il est d'appa;,
rence féminine comme le suggèrent ses cornes arrondies et -
seins développés. En ce sens, il évoque l'aspect passif et 16-
ceptif des pulsions instinctuelles. Plus encore, il porte la main
gauche sur son sexe et place sa main droite sur le sabot jaune
du Diable. En faisant ainsi, il capte l'énergie tellurique
(négative) du diable par sa main droite (essentiellement récep­
tive par rapport aux forces telluriques) et la communique à
son sexe par la main gauche (émettrice par rapport à l'énergie
tellurique), harmonisant ainsi en Il.Ji les dimensions instinc­
tuelles dont il est l'incarnation. En ce sens, le vert (une cou­
leur endothermique évoquant l'intériorisation) souligne plus
encore le fait que ce satyre incarne les pulsions instinctuelles
dans leurs dimensions passives.
En résumé, le personnage masculin correspond donc aux
pulsions incitant l'individu à se mettre en avant pour séduire
(« faire sa cour») alors que le personnage féminin incarne da­
vantage l'harmonisation des forces instinctuelles. Livrées à
elles-mêmes, ces pulsions pourraient évidemment devenir con­
cupiscence charnelle et générer diverses formes de violence et
de brutalité. Toutefois, placées sous le pouvoir du Diable
(symbolisé par la chaîne), elles participent alors à l'expression
et au maintien de la vie.

Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Sous sa forme maléficiée, le Diable incarne toujours une


formidable puissance génésique mais elle est alors utilisée à
des fins destructrices. A ce titre, nous avons vu que le Diable
représenté sur le quinzième arcane ressemble au dieu Pan. Or,
sous son aspect négatif, ce dieu reprend les attributs rnaléfi-

293
LE DIABIE

ques du bouc dont il possède les jambes, les oreilles et les cor­
nes. En ce sens, il évoque « l'image du mâle en perpétuelle
érection, à qui, pour le calmer, il faut trois fois quatre-vingts
femmes. C'est l'homme qui déshonore sa grande barbe de
patriarche par des copulations contre nature. C'est lui qui
gaspille le précieux germe de la reproduction. Image de mal­
heureux, rendu pitoyable par des vices qu'il ne peut maîtriser,
de l'homme dégoûtant, il figure l'être qu'on doit fuir en se
bouchant les narines ». 10 Le Christ lui-même reprendra cette
image du bouc pour évoquer l'homme de perdition: « Devant
lui [le Fils de l'homme] seront rassemblées toutes les nations,
et il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger
sépare les brebis des boucs. Il placera les brebis à sa droite et
les boucs à sa gauche ... Alors il dira encore à ceux de gauche:
Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé
pour le diable et ses anges ».11 Dès lors, en incarnant les élé­
ments symboliques associés au bouc, le Dieu Pan évoque la
puissance sexuelle exacerbée et la bestialité.
A travers l'image de ce dieu, nous découvrons donc la
principale dimension symbolique associée au Diable maJaicié.
Il s'agit de la puissance génésique mise au service des forces
régressives de l'involution. De nombreux éléments symboli­
ques s'articulant autour de ce quinzième arcane nous confir­
ment d'ailleurs cette interprétation. Pensons, par exemple, au
symbole hindou (celui de l'union des sexes) que le Diable
tient dans sa main gauche. Il représente, sous sa forme maléfi­
ciée, la fornication ou la relation adultère (établie en-dehors
des plans divins). Loin de générer la vie, cette relation 6puisc
alors le flux vital, entraînant le corps dans un proceuas de
10- Grillot de Givry, Le Musée des sorciers, mages et�
1929.
11- Matthieu XXV, 32-33; 41.

294
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

dégénérescence. En effet, non soutenu et non vivifié par la


puissance de l'amour, l'acte sexuel génère une importante
déperdition d'énergie qui dévitalise l'homme sur tous les
plans (plan physique, énergétique, émotionnel et mental). A ce
titre, nous avons déjà mentionné que la tête du Diable s'inscrit
dans un pentagramme dont les deux pointes supérieures cor­
respondent aux cornes, les deux pointes latérales aux oreilles,
et la pointe inférieure à la barbe. Or, sous sa fonne maléficiée,
ce pentagramme inversé représente une totale domination
exercée sur l'homme par la force sexuelle, contribuant ainsi à
l'épuiser sur les quatre plans de sa personnalité (les quatre
autres branches de l'étoile).
Dans la même perspective, le Diable lui-même illustre
cette relation adultère entre l'élément masculin et l'élément
féminin. En effet, perçue dans sa dimension négative, la tête
de bouc (évoquant la dimension masculine) placée sur un
buste aux seins développés (représentant la dimension fémi­
nine) confère au personnage une dimension grotesque, voire
monstrueuse. Le Diable incarne alors la disharmonie. De plus,
nous avons vu qu'il possède deux grandes cornes. Sous leur
forme maléficiée, elles incarnent, en raison de leur capacité à
défoncer, la force de destruction de l'ego (un principe actif et
masculin). En raison de leur disposition en forme de lyre et de
réceptacle, elles évoquent également une réceptivité exacer­
bée face aux influences négatives du monde (un principe pas­
sif et féminin). D'autre part, nous avons vu qu'à la place du
sexe, se trouve le symbole de Mercure. Or l'influence maléfi­
ciée de cette planète favorise le développement d'un proces­
sus d'échange et de médiation basé sur la fausseté. En ce
sens, le dieu Hermès (Mercure chez les Grecs) était le dieu des
voleurs, du mensonge et de la ruse. Le fait que ce symbole soit
placé sur le sexe du diable nous apprend donc que la puis­
sance créatrice dont jouit cet être est exprimée dans le cadre

295
LE DIABLE

d'une fausse relation (adultère) entre deux principes. En con­


séquence, cette force de vie ne peut être que stérile.
Dans le même contexte, les couleurs rouge et bleue du
piédestal illustrent une fois encore un rapport adultère entre la
dimension masculine (le rouge) et la dimension féminine (le
bleu). En ce sens, les trois marches pyramidales situées dans la
partie inférieure du piédestal (formant un triangle correspon­
dant au principe masculin) et les trois marches pyramidales
situées dans sa partie supérieure (formant un triangle évo­
quant le principe féminin) peuvent également représentées
une réalité analogue. En outre, nous avons déjà précisé que
ces marches sont au nombre de 6 et ce nombre incarne préci­
sément, sous sa forme maléficiée, la puissance destructrice is­
sue de la rupture ou du divorce de deux principes.
Quant à l'étoile blanche figurant sur le front du Diable,
elle ne signifie plus une « volonté pure, non teintée d' égoïs­
me » mais un singulier manque de volonté Oa couleur blanche
maléficiée évoquant le vide et le néant). En ce sens, elle in­
carne une incapacité à canaliser la force créatrice à des fins
positives et constructives (celle-ci étant souillée et aliénée par
les forces ténébreuses de l'involution). Plus encore, mise en
rapport avec le chakra frontal, elle évoque un blocage au ni­
veau de ce centre d'énergie, entraînant le développement
d'une mégalomanie intellectuelle ou spirituelle et une vérita­
ble quête de pouvoirs. La puissance sexuelle, source de toute
vie, est alors utilisée à des fins purement égocentriques (pour
la recherche de pouvoirs). Quant aux ailes de chauve-souris
attribuées au Diable, elles représentent alors l'aspect chtonien
de la puissance génésique sous sa forme négative. En d'autres
tennes, elles incarnent les obscures pulsions sexuelles qui
tourmentent l'être, vampirisant son énergie vitale. En ce sens,
elles évoquent les mystérieux pouvoirs attri hués aux incubes
et aux succubes, ces démons mâles et femelles abusant des

296
LE TARar: LES VINGr-DEUX ARCANES MAJEURS

mortels durant leur sommeil en provoquant chez ettx del 16-


ves érotiques dont ils se nourrissent.
Toujours à propos du Diable, nous avons également
constaté que les mots Solve et Coagula sont tatoués sur ses
bras. Considérés sous leurs aspects négatifs, ces mots évo­
quent toujours la puissance génésique qui condense
(coagule) et allège (dissout) à la fois. Toutefois, la coagulation
entraîne maintenant un enfermement dans le cercle clos du
monde. A ce titre, les hermétistes ont toujours affinné que si
l'acte sexuel est vécu en-dehors de toute expression amou­
reuse (dans une simple perspective de jouissance chamelle,
par exemple) il devient dangereusement sclérosant et contri­
bue sérieusement à enfermer la conscience (chacun des con­
joints ne percevant plus en l'autre qu'un corps susceptible de
satisfaire ses désirs purement égocentriques). Ce processus de
cristallisation et de sclérose est d'ailleurs repris par l'image du
triangle inversé formé par les seins et le nombril du Diable. En
effet, si le triangle inversé s'associe étroitement au processus
d'incarnation, il évoque, dans sa dimension négative, l'enfer­
mement dans le monde d'en bas.
Quant à la fonction de dissolution, elle devient, sous sa
forme maléficiée, instigatrice d'un vide de plus en plus impor­
tant. En effet, si l'acte sexuel est vécu en-dehors de toute ex­
pression amoureuse, il engendre toujours un sentiment de vide
(une sexualité qui n'est pas soutenue par l'amour dévitalise
l'individu sur un plan énergétique comme sur un plan psy­
chologique, favorisant ainsi le développement d'une sensa­
tion de vide croissant). A ce titre, le sida, principalement carac­
térisé par une diminution notable de la vitalité, ,touche parti­
culièrement des individus ayant un comportement sexuel de
cet ordre. Plus encore, il est avant tout une affection du sys­
tème immunitaire. Or cette affection révèle chez l'individu une
nature faible qui, n'ayant pas su mettre en valeur ses spécifici-

297
LE DIABLE

tés, ne peut durablement et efficacement les défendre face à


l'opposition extérieure (incarnée par le virus). En d'autres
termes, elle trahit la présence d'un profond vide intérieur.
Quant au flambeau tenu par le Diable dans sa main
droite, il représente, sous sa forme négative, le pouvoir de des­
truction découlant d'une utilisation de la sexualité en-dehors
des plans divins. En effet, perçu sous son aspect négatif, le feu
est alors essentiellement destructeur puisqu'il brûle, dévore et
consume. Mis en rapport avec la nature humaine, il symbolise
en outre le feu du désir instinctuel et des passions qui brûle
sans jamais s'éteindre (s'assouvir). De plus, nous avons vu
que le Diable réunit en lui les quatre éléments. Si cette syn­
thèse, perçue dans sa dimension positive, nous apprend que la
puissance génésique incarnée par le Diable se propage et
rayonne sur tous les plans, elle suggère, dans sa dimension
pervertie, un éclatement du rapport harmonieux établi entre
les quatre éléments. En effet, l'apparence grotesque et hétéro­
clite qu'elle confère au personnage, souligne que la force
créatrice, utilisée à des fins négatives, n'assure plus
l'établissement d'un rapport harmonieux et d'une cohésion
entre ces éléments indispensables au maintien de la vie. Au
contraire, elle conduit l'individu à son anéantissement.
Enfin, le quinzième arcane met également en scène deux
êtres cornus, attachés par une chaîne au piédestal sur lequel
trône le Diable. Ces êtres, moitié animaux et moitié hommes,
personnifient toujours les aspects inférieurs (pulsions et ins­
tincts) de la personnalité (l'être orangé représentant l'aspect
émissif et dynamique de ces pulsions alors que le personnage
vert évoque leur aspect passif et réceptif). En outre, ils sont
toujours assujettis au Diable. Toutefois, le Diable symbolise,
dans sa forme négative, la puissance génésique s'exprimant
dans une perspective purement égoïque. Dès lors, ces satyres

298
incarnent tous les instincts en tant que supports d��
de cette force pervertie.
Plus précisément encore, le satyre mâle capte de sa
droite les forces de l'ego qu'il transmet à son sexe, le pro­
grammant ainsi dans une perspective purement égocentrique.
Sa couleur orangée représente d'ailleurs, sous sa forme rnal6fi­
cié.e, une sexualité mâle débridée, grossière et primaiœ ex­
cluant toute dimension affective et sentimentale. En effet,
l'orangé, résultant de l'union du rouge (incarnant l'extériori­
sation) et du jaune (évoquant l'expression égoïque), évoque
une expression sexuelle purement extérieure (excluant donc
toute valeur intérieure: celles du coeur). Quant au satyre vert,
il capte l'énergie active de son sexe pour la communiquer au
Diable, éveillant alors en lui une sexualité purement grossière.
En ce sens, la couleur verte maléficiée est la couleur de la
prostitution. Si les débordements sexuels associés à l'orangé
étaient principalement motivés par un désir de s'approprier
l'autre, ce comportement associé au vert est donc davantage
le résultat d'une pulsion consistant à se laisser dominer par
l'autre.

299
I.E TAROI': LES VINOT-DEUX ARCANP.S MAJBUIS

LA LAME XVI
LA MAISON-DIEU

La lettre hébraïque: Ayin.


La valeur numérique: 16.
Les éléments symboliques: Une tour foudroyée par un éclair
de laquelle tombent deux personnages.
La dimension herméneutique: Assister à l'effondrement de
ses certitudes, de ses points de référence, de ses convictions et
de ses acquis (incarnés par la tour).
La dimension anagogique: S'affranchir de toute structure
limitative pour s'ouvrir à une réalité nouvelle plus conforme à
l'esprit.
L'injonction: Changer ses structures.
Les éléments à développer: La capacité à ne rien prendre
pour acquis, la prise de distance par rapport à la réalité et le
sens de l'accueil.

301
LA MAISON-DIEU

La Maison-Dieu

302
LE TARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETTRE A YIN

Du point de vue kabbalistique, la Maison-Dieu corres­


pond à la seizième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre Ayin,
issue d'un ancien idéogramme représentant un oeil. D'ailleurs,
le mot hébreu ayin lui-même signifie «oeil». Or, sur un plan
symbolique, l'oeil a toujours été considéré comme un reflet
particulièrement fidèle des valeurs profondes de l'être. C'est
pourquoi on affinne familièrement que l'oeil est le«miroir de
l'âme». Plus encore, non seulement il est le« miroir de l'âme»,
mais il possède également le pouvoir de transmettre une force
(celle dont l'âme est vectrice). En ce sens, l'oeil de certains
êtres particulièrement noirs (dont l'âme s'est alliée aux forces
ténébreuses du monde) est redouté, c'est le« mauvais oeil ».
Par contre, l'oeil d'un sage, d'un héros ou d'un dieu
incarne une valeur de protection. En effet, vecteur de la lu­
mière de l'esprit, il détruit alors toutes les forces négatives qui
s'élèvent contre les.hommes. En ce sens, l'oeil Oudjat était, en
Egypte antique, un symbole sacré destiné à protéger de tous
les maux ceux qui le portaient. Dans la tradition judéo­
chrétienne, l'oeil de Dieu revêt également une valeur de pro­
tection pour celui sur qui il se pose. Ainsi, «les regards du
Seigneur sont fixés sur ceux qui l'aiment, puissante protec­
tion, soutien plein de force, abri contre le vent du désert, om­
brage contre l'ardeur du midi, protection contre les obstacles,
assurance contre les chutes. ». 1
La lettre Ayin évoque donc un processus permettant à
l'individu de s'extraire des schémas établis, trop souvent cris­
tallisants, pour pénétrer au sein d'une réalité nouvelle en cor­
rélation plus étroite avec les sphères de l'esprit.
1- Ecclésiastique XXXIV, 16.

303
LA MAISON-DIEU

LENOMBRE16

D'un point de vue numérologique, la lame de la Mai­son-Dieu


est associée au nombre 16. Or ce nombre évoque
fondamentalement la puissance divine (le nombre 1) qui, unis­sant
l'homme à Dieu, permet qu'ils se révèlent l'un à l'autre en toute
authenticité (le nombre 6). En outre, notons que le nombre 16 est
issu de la double addition du nombre 8 et nous savons que ce nombre
évoque un processus de libération (en tant qu'affranchissement du
cercle clos du monde) par une renaissance aux réalités divines. Les
Pères de l'Eglise considé­raient d'ailleurs le nombre 8 comme celui de
la régénération et du salut. Quant au nombre 2, il évoque l'union, la
communion ou la participation avec l'essence spirituelle (le nombre 1).
Dès lors, le nombre 16 incarne un processus de libération par le
biais duquel l'homme restaure un rapport de communion plus
authentique avec Dieu.
Dans cette perspective, nous retrouvons de nombreu­ses
illustrations bibliques éloquentes correspondant à ce nombre.
Pensons, par exemple, à ce passage du second livre des Chroniques
où les prêtres mirent seize jours pour consa­crer le temple de Yahvé:
« Ayant commencé cette consécra­tion le premier jour du premier
mois, ils purent entrer dans le Vestibule de Yahvé le huit du mois; ils
mirent huit jours à con­sacrer le Temple de Yahvé et terminèrent le
seizième jour du premier mois. ».2 Or cette consécration était un rite
sacré fai­sant du temple physique un lieu où l'homme, se libérant des
influences perverses de !'Esprit du monde, pouvait restaurer un
rapport de communion plus authentique avec la divinité (chacun se
révélant à l'autre en toute vérité).

2- 2 Chroniques XXIX, 16-17.

304
LB TARITT: LES VINGf-DEUX ARCANF.s MAJEURS

LENOM

Le nom attribué au seizième arcane résulte de la juxta­


position de deux mots:« maison» et« Dieu». Or la maison est
« une construction destinée à l'habitation humaine».3 Quant
à Dieu, il est une « entité ou être surnaturel, créateur, maître de
l'univers et des destinées humaines, généralement objet d'un
culte religieux ».4 Toutefois, le mot« Dieu», apposé à celui de
« maison», devient ici un qualificatif. En ce sens, il attribue à
la maison une certaine primauté en lui conférant une dimen­
sion plus absolue. Ainsi, la Maison-Dieu est une construction
humaine dotée par l'homme d'un caractère divin. Aussi, elle
incarne l'ambition et la présomption avec laquelle l'être hu­
main édifie son oeuvre, la considérant comme parfaite et
l'assimilant alors à l'oeuvre divine.
Plus encore, nous pouvons même affinner que cette
maison est destinée à saisir le divin. En effet, elle ne semble
pas être utilisée pour abriter l'homme, mais pour capter la di­
vinité; c'est une Maison-Dieu, une maison pour Dieu. En ce
sens, elle introduit une inversion perverse puisque la créature
(l'homme) se fait alors créateur et le Créateur (Dieu) devient
créature. Par la construction de cette maison, l'homme cher­
che donc, en quelque sorte, à saisir Dieu, en s'appropriant la
puissance divine et en la soumettant à son propre pouvoir
pour mieux ainsi la canaliser et la maîtriser.
Dans cette perspective, la Maison-Dieu revêt fonda­
mentalement une signification négative et devient l'emblème
de la déification d'une réalité édifiée par l'homme et consé­
quemment étrangère à la création originelle.

3- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.


4- Ibid.

305
lA MAISON-DIEU

LA MAISON-DIEU

Description de la lame

Cet arcane met en scène une tour en briques ayant


quatre ouvertures (une porte au rez-de-chaussée, deux fenê ­
tres au premier étage et une fenêtre au deuxième étage). Sa
partie supérieure, constituée de quatre créneaux, est renversée
par la foudre (issue du soleil placé au centre d'un nuage) et
c'est pourquoi elle s'écroule.
D'autre part, deux personnages (dont l'un est couron­
né) sont précipités à terre, de part et d'autre de l'édifice et des
briques tombent sur eux. Enfin, seize sphères colorées sont
dispersées tout autour de la tour conférant à la scène une at­
mosphère mystérieuse.
Interprétation symbolique de l'arcane

Ce seizième arcane semble incarner a priori l'idée d'une


destruction. En effet, on y voit l'effondrement d'une tour et
deux personnages précipités dans le vide. Aussi, la significa­
tion de cette lame serait sans doute essentiellement négative si
certains détails n'introduisaient pas une dimension profondé ­
ment positive à cet anéantissement apparent. En ce sens, sou­
lignons tout d'abord que la foudre dirigée contre la tour pro­
vient du Soleil. Or nous avons déjà eu l'occasion de préciser
(dans notre analyse du quatorzième arcane notamment) que le
Soleil, comme source de lumière, de chaleur et de vie, fut perçu
dans toutes les traditions comme une manifestation vivante de
la divinité (comme le confirme d'ailleurs le fait qu'il soit per­
sonnifié sur la lame). C'est pourquoi la plupart des civilisa­
tions instituèrent leurs fêtes religieuses en corrélation avec la
marche du Soleil dans le ciel. Issu de cette source divine,

306
ΠTARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

l'éclair destructeur ne peut donc pas être foncièrement néga­


tif. En outre, ajoutons que, dans la tradition chrétienne, l'éclair
est l'un des outils privilégiés employés par Dieu pour s'expri­
mer: « A pleines mains, il [Dieu] soulève l'éclair et lui fixe le
but à atteindre. [...] Son éclair est lâché sous l'étendue des
cieux, il atteint les extrémités de la terre. ».5
En outre, la présence du nuage est très significative. En
effet, selon la tradition hermétique, un nuage délimite toujours
une frontière entre le monde visible (la création) et les plans
invisibles (les sphères célestes). Pour de nombreuses tradi­
tions, les dieux qui descendent parmi les mortels sont d'ail­
leurs représentés sur un nuage. Nous retrouvons également
plusieurs images confortant cette assertion dans l'iconogra­
phie chrétienne. Pensons, par exemple, au récit de l'Apoca­
lypse où le Christ, revenu sur terre juger les vivants et les
morts, apparaît assis sur un nuage:« Et voici qu'apparut à mes
yeux une nuée blanche et sur la nuée est assis comme un Fils
d'homme... ».6 Dans cette perspective, les nuages annoncent
la manifestation divine sur le plan terrestre. En outre, mas­
quant le Soleil du point de vue terrestre, ils sont également
une indication que derrière l'événement apparemment catas­
trophique (sur un plan humain) se cache l'expression d'une
action divine, vraisemblablement porteuse d'une bénédiction
céleste. Dans cette perspective, les rayons du Soleil sont rou­
ges (incarnant l'extériorisation) et jaunes (évoquant le rayon­
nement), soulignant ainsi le caractère particulièrement dyna­
mique et opératif de la manifestation divine.
Pour mieux saisir la signification profonde de ce fou­
droiement, il importe en outre de préciser que la tour repré­
sente, sur un plan symbolique, tout ce qui permet à l'homme
5- Job XXXVI, 32; XXXVII, 3.
6- A pocalypse XIV, 14.

307
LA MAISON-DIEU

de s'élever au-dessus du sol pour embrasser plus largement du


regard le monde qui l'entoure. A ce titre, elle représente un
processus d'élévation de la conscience par lequel l'individu
perçoit le monde dans une perspective plus vaste et plus uni­
verselle. Cependant, elle est ici une construction purement
humaine comme l'indique très clairement sa couleur chair.
Plus encore, des traits réguliers apparaissant sur ses murs sou­
lignent de manière éloquente qu'il s'agit d'une construction
qui n'est pas édifiée à partir de matériaux naturels (de pierres
ou de bois par exemple), mais avec des briques artificielles is­
sues de l'activité humaine. Ainsi, elle est essentiellement créée
par l'homme et représente plus précisément l'ensemble des
systèmes philosophiques, scientifiques ou religieux qu'il a su
ériger et sur lesquels il s'appuie pour interpréter le réel et
donner un sens à l'univers qui l'entoure (lui conférant ainsi
un caractère d'intelligibilité).
En outre, la brique apparut dans l'histoire judéo­
chrétienne au moment où le peuple hébreu se sédentarisa. Elle
marqua donc l'étape où, abandonnant son statut de nomade,
l'homme prit possession d'une terre et s'y fixa définitivement,
érigeant ainsi autour de lui un village avec ses structures so­
ciales solidement établies. A ce titre, il est intéressant de noter
que les premières villes furent construites sous une fonne car­
rée (symbole de stabilité et de fixité), alors que les camps no­
mades étaient généralement ronds (un symbole évoquant tra­
ditionnellement le mouvement). Dans la même perspective
symbolique, le sommet de la tour, renversé par la foudre, com­
porte quatre créneaux. Or, associé à la figure géométrique du
carré, nous avons déjà précisé que ce nombre évoque la fixité
et la stabilité. Dès lors, la présence de ces quatre créneaux met
en exergue le caractère figé, voire dogmatique, des systèmes
philosophiques, scientifiques ou religieux dont la tour est la
représentation.

308
LE TARITT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

Quant à ses ouvertures (trois fenêtres et une porte), Os­


wald Wirth nous précise: « la partie inférieure [la porte qui
reste ouverte], accessible sans effort, correspond aux notions
banales qui s'imposent à la constatation passive. Du premier
étage, la vue est plus étendue et l'observation, par la fenêtre
de gauche, y devient consciente: c'est la science qui se cons­
titue par l'accumulation des fruits de l'expérience. Par la fenê­
tre de droite entre la lumière du raisonnement, qui coordonne
les notions acquises et en tire une philosophie. Mais il est pos­
sible de monter plus haut pour atteindre le sanctuaire que
n'éclaire plus qu'une seule fenêtre, celle de la foi ou de la
spéculation abstraite, ambitieuse de synthèse. ». 7
Considérant ce qui précède, nous pouvons en déduire
que la lame de la Maison-Dieu représente l'étape où s'effon­
drent les schémas mentaux fabriqués par l'homme en vue de
mieux appréhender le monde (le sommet de la tour bascule
avec ses quatre créneaux). Plus encore, cet effondrement ré­
sulte d'une impulsion divine, la foudre provenant du ciel. En
d'autres termes, cet arcane correspond au moment où
l'homme, investi par les forces divines, assiste à l'effondre­
ment de ses certitudes, de ses points de référence, de ses con­
victions et de ses acquis (aussi nobles soient-ils) pour pénétrer
dans une réalité nouvelle. Ainsi, le foudroiement de la tour,
malgré toute apparence, se révèle puissamment bénéfique. En
effet, il s'agit d'un don du ciel (d'une grâce) qui affranchit
alors la conscience humaine de toute structure limitative pour
lui permettre d'accéder aux réalités essentielles qui lui seraient
demeurées inconcevables sans cette intervention divine.
Outre la tour, nous devons également souligner la pré­
sence de deux personnages chutant sous l'effet de la foudre

7- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, Le Symbolisme


et Emile Nourrey, Paris, 1927.

309
LA MAISON-DIEU

divine. Bras tendus, ils sont précipités à terre, de part et


d'autre de l'édifice. L'un chute (en adoptant d'ailleurs la
forme de la lettre Ayin), l'autre étant déjà étendu au sol. De
lourdes briques tombent alors sur eux. L'un semble atteint à la
tête alors que l'autre, portant une couronne, demeure appa­
remment indemne. Considérant ce que nous venons de mettre
en exergue à propos du symbolisme de la tour, la présence de
ces personnages s'éclaire d'elle-même. Toutefois, pour bien
saisir leur signification précise, cherchons d'abord à mieux
définir ces deux personnages.
Comme nous venons de le préciser, ce qui les distingue
principalement est une couronne portée par l'un d'entre eux.
Or la couronne est traditionnellement un attribut royal qui,
dans notre occident chrétien, symbolise la volonté de Dieu.
Ainsi, « Le roi très chrétien est l'image du Christ sur terre, de
même que son lieutenant, comme tous les rois de l'Antiquité; il
représente Dieu ici-bas. ». 8 A ce titre, nous avons déjà affmné
que le souverain ne gouverne pas en son propre nom mais au
nom de Dieu (c'est le pouvoir de droit divin). Ceci signifie
qu'il ne dirige pas en vertu de ses qualités propres (celles in­
hérentes à sa nature humaine), mais grâce aux qualités divines
dont Dieu l'a investi pour en faire son régent sur terre. Dans
cette perspective, la présence d'une couronne sur la tête de
l'un des personnages nous indique que celui-ci a su se mettre
à l'écoute des impulsions divines (celles de l'esprit). De mêrre,
sa position particulière (il tombe verticalement) conforte plus
encore l'idée qu'il dispose d'une capacité à se relier aux plans
de l'esprit (à s'éveiller aux valeurs de l'esprit, traditionnelle­
ment perçues comme un processus de verticalisation de la
conscience).

8- Pinoteau, H., Quelques réflexions sur l' oeuvre de Jean du Tillet tt la


symbolique royale française (Archives héraldiques suisses 1956).

310
LE TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

•utrc., cet homme couronné porte une tunique bleue


et âv61ant que sa dimension psychique (son âme) est à
l'� des valeurs intérieures, étant animée par la foi
(symbolisme de la couleur bleue) et par l'amour (symbolisme
de la couleur verte). Quant à ses manches, une rouge et une
bleue, elles nous apprennent que le personnage revêtu de
cette tunique sait tout autant recevoir (symbolisme de la cou­
leur bleue) que donner (symbolisme de la couleur rouge). La
ceinture jaune qui lui ceint les reins nous précise de plus que
sa moralité (dont les reins sont traditionnellement le siège) est
confonne aux lois divines (symbolisme de la couleur jaune,
celle de l'esprit). Enfin, ses jambes, l'une bleue et l'autre
jaune, laissent penser que son corps (évoqué par les jambes)
se place dans une attitude de réceptivité (associée à la couleur
bleue) face aux impulsions de l'âme (du tronc), elle-même or­
donnée à celles de l'esprit (à la tête). Le corps rayonne alors
pleinement ces impulsions (symbolisme de la couleur jaune).
Aussi, face à l'effondrement de ses certitudes et de ses acquis,
l'individu dont la conscience est pleinement réceptive aux
impulsions de l'esprit (symbolisme de la couronne) traverse
sans peine cette épreuve et c'est pourquoi il ne semble pas
atteint par les briques qui se détachent de la tour.
Par contre, celui qui demeure insensible aux réalités inté­
rieures (il est représenté sans couronne), traverse cette même
épreuve comme une expérience profondément traumatisante
(une brique l'atteint en pleine tête) qui ébranle sérieusement
sa conscience. A ce titre, notons qu'il porte une tunique entiè­
rement rouge nous révélant que sa dimension psychique (son
âme) est exclusivement orientée sur l'apparence extérieure
des choses (symbolisme de la couleur rouge) sans réussir à
percevoir l'essence qui les anime. De même, sa position parti­
culière (il est couché sur le sol) évoque l'horizontalité de sa
conscience (focalisée essentiellement sur le monde extérieur).

311
LA MAISON-DIEU

Toutefois, aussi douloureuse que soit cette expérience, elle ne


sera pas pour autant négative puisqu'elle l'amènera malgré
tout à se dégager d'un certain nombre de cristallisations pour
accéder ainsi à un niveau supérieur de conscience.
A ce titre, les multiples sphères colorées dispersées au­
tour de la tour symbolisent les grâces célestes qui soutien­
dront les deux personnages au cours de cette dure épreuve.
En effet, leur forme circulaire en révèle l'origine, le cercle
symbolisant « l'activité du ciel, son insertion dynamique dans
le cosmos, sa causalité, son exemplarité, son rôle provident.
Par là, il rejoint des symboles de la divinité penchée sur la
création, dont elle produit, règle et ordonne la vie »9 ). En ou­
tre, au nombre de seize, elles sont rouges, jaunes et vertes,
nous indiquant ainsi qu'au cours de cet éprouvant processus
de libération (symbolisé par le nombre 16), elles soutiendront
l'homme au niveau de son corps (correspondant aux sphères
rouges), au niveau de son âme (associée aux sphères vertes) et
au niveau de son esprit (en rapport avec les sphères jaunes).
Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Si l'événement de la Maison-Dieu incarne essentielle­


ment un processus par lequel l'homme, investi par les forces
divines, assiste à l'effondrement de ses certitudes, de ses
points de référence, de ses convictions et de ses acquis (aussi
nobles soient-ils) pour pénétrer dans une réalité nouvelle, il
représente cependant, sous sa forme maléficiée, une expé­
rience de destruction, de désolation et de ruine. En ce sens,
nous avons déjà précisé que la foudre en provenance du So­
leil évoque la puissance divine à l'oeuvre au sein de la créa-
9- Champeaux de, G., dom Sterckx S., Introduction au monde des
Symboles, Paris, 1966.

312
. � VINGT-DEUX ARCANF.S MAJEURS

maléficiée, cette foudre incarne toujours la


mais elle est maintenant perçue exclusive­
destructrice. Le nuage n'annonce donc
tive de rédemption dans laquelle s'inscrit
tion mais il évoque plutôt un obscurcisse­
céleste. Plus encore, les rayons du Soleil
les motifs contre lesquels la divinité s'insurge,
ges évoquant une inclination à privilégier
dimension extérieure) au détriment de
la dimension intérieure), et les rayons jaunes in­
ce à revendiquer les valeurs de l'ego.
perspective, cette tour foudroyée n'est pas
la Tour de Babel, image biblique par excellence
· conduisit l'homme à vouloir accéder par ses
aux réalités divines. Le terme «Babel» signifie
» (de l'acadien bab) « de Dieu» (el). En la
'homme cherchait donc à franchir cette « porte
ce propos, le livre de la Genèse nous rapporte
monde se servait d'une même langue et des mê­
mo•IDmme les hommes se déplaçaient à l'orient, ils
trouvènllllllllme vallée au pays de Shinéar et ils s'y établirent.
Ils se dueit l'nn à l'autre: "Allons! Faisons des briques et cui­
sons-les fl,u I" La brique leur servit de pierre et le bitume
leur sel'V'II* mortier. Ils dirent: "Allons ! Bâtissons-nous une
ville et ua tour dont le sommet pénètre les cieux ! Faisons­
nous un IIOftl et ne soyons pas dispersés sur toute la terre ! ".
« 'ahvé descendit pour voir la ville et la tour que les
hommes-thient bâties. Et Yahvé dit: "Voici que tous font un
seul peuple:et parlent une seule langue, et tel est le début de
leur s enlNpises ! Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisa­
ble pour eux. Allons ! Descendons ! Et là confondons leur
langage peur qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres."
Yahvé lei dispersa de là sur toute la face de la terre et ils ces-

313
LA MAISON-DIEU

sèrent de bâtir la ville. Aussi la nomrna-t-on Babel car c'est là


que Yahvé confondit le langage de tous les habitants de la
terre et c'est là qu'il les dispersa sur toute la face de la
terre. ». 10
Sur un plan symbolique, cet épisode est donc d'une
grande richesse. En effet, si la tour permet à l'homme de
s'élever du sol pour embrasser plus largement du regard le
monde qui l'entoure, elle représente aussi, sous sa forme néga­
tive, son désir présomptueux de transcender sa condition hu­
maine pour ainsi accéder aux réalités divines, forçant en quel­
que sorte les portes du ciel. A ce titre, nous avons précisé que
la tour symbolise les systèmes philosophiques, scientifiques ou
religieux que l'homme érige et sur lesquels il s'appuie pour
interpréter le réel. Or si ce processus de conceptualisation est
nécessaire pour permettre à l'homme d'acquérir une certaine
maîtrise du monde qui l'entoure et pour qu'il s'y développe
plus harmonieusement, il peut aussi l'amener à vouloir assujet­
tir l'univers à son propre contrôle. L'individu cherche alors à
maîtriser le monde en survalorisant sa propre capacité à le
connaître. Les illusions, les mirages et les autres apparences
trompeuses résultant de cet effort contribuent évidemment à
créer un monde artificiel ne correspondant plus au « monde
créé par Dieu», et devenant même un « monde qui voile Dieu,
qui voile la création de Dieu, qui ensevelit l'univers dans
l'opacité et dans la mort. ».11
Dans le même ordre d'idées, l'image des briques avec
lesquelles la tour fut construite conforte éloquemment nos
propos quant au processus de perversion mis en exergue par
le récit biblique de la tour de Babel et par l'arcane de la Mai-
10 Genèse XI, 1-9.
11- Clément, O., Déification du chrétien et vie dans l'esprit, SOP, sup­
plément au n °3, décembre 1975.

314
. En effet, nous avons vu que l'apparition
ue pour le peuple hébreu le passage d'une
à une existence sédentaire. Ainsi, l'homme
1 pour construire un milieu de vie favorable à
nt. Toutefois, il se prive ainsi de toute possi­
vrir des horizons nouveaux et se cristallise
défini. C'est aussi ce que fait la science mo­
t systématiquement tout ce qui ne répond pas
critères (ceux de la pensée rationnelle) érigés en
. Pensons ici au cri d'Holderlin dénonçant cette
n'ai-je pu éviter le seuil de vos écoles ! La
j'ai suivie au fond de ses labyrinthes dont
l'aveuglement de ma jeunesse, la confirmation
•ati..n•sjoies, la science m'a tout corrompu. ». 12
re, la brique symbolise également l'expérience
brique est faite en terre) que l'homme a acquise
de son cheminement sur la terre. L'image du feu
cuisant • ue évoque d'ailleurs l'énergie dynamique ayant
pennis Ml bomme d'agir, d'entreprendre et de construire. Ce
feu � apparaît dès lors comme l'antithèse des langues
de feu deloendues du ciel au jour de la Pentecôte. En effet,
allumé er entretenu par l'homme, le feu terrestre est issu du
monde d'tft bas et correspond à l'effort humain alors que les
langues cle feu sont issues du ciel et résultent de la grâce di­
vine. Ainai, passée au feu, la brique acquiert la solidité de la
pierre. Ceci nous apprend qu'au fil du temps, l'expérience
humaine se cristallise sous la forme de vérités intouchables.
Sous sa forme maléficiée, la brique évoque donc toute forme
de connaissance érigée en principe absolu (dogme) et sur
laquelle l'homme édifie un système philosophique, scientifi-

12- HGlderlin, Hypérion, Gallimard, Paris, 1973.

315
LA MAISON-DIEU

que ou religieux au risque de travestir la réalité et de se consti­


tuer ainsi un monde à lui.
Toujours à propos de la tour, il peut également être inté­
ressant de souligner le moyen apparemment singulier utilisé
par Yahvé pour empêcher l'homme de bâtir sa ville:
«"Allons! Descendons ! Et là confondons leur langage pour
qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres." Yahvé les dis­
persa de là sur toute la face de la terre et ils cessèrent de bâtir
la ville. ».1 3 Le châtiment de Yahvé corrobore toutefois de
manière évidente ce que nous venons d'affirmer. En effet,
nous avons vu qu'en cherchant à assujettir l'univers à son
propre entendement, l'homme trahit et déforme ainsi le reei
s'éloignant de l'essence des êtres et des choses. A terme, ce
comportement le conduit à ne plus pouvoir entrer en relation
véritable avec son environnement immédiat (et notamment
avec les autres qui l'entourent). Comment peut-il en effet pré­
tendre échanger avec l'autre alors qu'il a érigé ses préjugés,
ses croyances et ses principes en références absolues ? Or
cette incapacité à échanger avec l'autre est admirablement
illustrée dans le récit biblique par la disparition de la langue
commune.
En effet, alors qu'au début du récit, « tout le monde se
servait d'une même langue et des mêmes mots» (permettant à
l'homme d'entrer en relation avec l'autre, de le connaître et
d'échanger avec lui), la construction de la tour de Babel ame­
na chacun à parler dans un langage différent. Dès lŒS,
l'homme devint incapable d'échanger et de communiquer,
l'autre étant devenu un véritable étranger. C'est ainsi, nous
rapporte la Genèse, que l'humanité explosa en fractions
étrangères et hostiles comme les multiples sphères dispersé.es
autour de la tour sur l'arcane maléficié de la Maison-Dieu.
13- Genèse XI, 7-8.

316
l.E TARITT: l.ES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

Enfin, l'analyse sommaire des deux personnages préci­


pités à terre, de part et d'autre de l'édifice, nous précise une
autre dimension de ce drame. En effet, nous avons dit précé­
demment que l'individu portant une couronne représente
l'aspirant pleinement réceptif aux impulsions de l'esprit. Il
assiste donc à l'effondrement de ses certitudes de manière
relativement harmonieuse (aucune brique ne l'atteint). Or,
dans sa dimension maléficiée, cet individu couronné incarne
au contraire celui qui est totalement enfermé dans le cercle
clos de ses chimères et ses illusions (l'aspect maléficié de la
couronne évoquant un cercle entourant la tête et y enfermant
la conscience). Il est alors si déconnecté de la réalité qu'il in­
terprétera cette épreuve de manière à en être valorisé (ce qui,
d'ailleurs, lui permettra de ne pas s'anéantir avec l'effondre­
ment de ses certitudes). Toutefois, il ne comprendra pas la na­
ture de cette épreuve et, sitôt relevé, il réadoptera la même atti­
tude qu'il cultivait auparavant (il reconstruira à nouveau une
tour).
A ce titre, les vêtement qu'il porte sont très révélateurs.
En effet, sa tunique bleue et verte révèle que sa dimension
psychique (son âme) est totalement déconnectée des réalités,
étant animée par l'illusion (symbolisme de la couleur bleue) et
par la perversion (symbolisme de la couleur verte). Les man­
ches, une rouge et une bleue, nous informent en outre sur le
fait qu'il se laisse tout autant abuser et exploiter (symbolisme
de la couleur bleue) qu'il abuse et exploite les autres
(symbolisme de la couleur rouge). Quant à la ceinture jaune,
elle nous précise que sa moralité est totalement empreinte des
valeurs de l'ego (symbolisme de la couleur jaune). Enfin, ses
jambes, l'une bleue et l'autre jaune, laissent penser que le
corps (symbolisé par les jambes) se place dans une totale atti­
tude de déconnection (évoquée par la couleur bleue) face aux
impulsions de l'âme ( du tronc), elle-même déconnectée de

317
LA MAISON-DIEU

l'esprit (de la tête), rayonnant ainsi dans le monde


(symbolisme de la couleur jaune) ses propres illusions (celles
de l'ego).
D'autre part, nous avons également précisé que le per­
sonnage dépourvu de couronne vit cette expérience de ma­
nière particulièrement douloureuse (une douleur qui est toute­
fois libératrice dans la mesure où elle le dégage d'une situa­
tion d'enfermement). Sous sa forme négative, il s'anéantit ce­
pendant avec la disparition des principes auxquels il s'était
totalement identifié. C'est ce que nous confrrme sa tunique
entièrement rouge nous révélant que sa dimension psychique
(son âme) est exclusivement orientée sur l'apparence exté­
rieure de la réalité qui l'entoure (symbolisme de la couleur
rouge). Face à cette épreuve, il ne s'en relèvera donc pas (une
brique l'atteint en pleine tête alors que sa conscience est mor­
tellement ébranlée).
Enfin, les multiples sphères colorées dispersées autour de
la tour symbolisent la dispersion et la désintégration des éner­
gies mises en oeuvres pour la construire. Ces énergies, puisées
au niveau du corps (les sphères rouges), de l'âme (les sphères
vertes) et de l'esprit (les sphères jaunes) sont alors totalement
dilapidées et retournent au chaos. Ainsi, tous les efforts inves­
tis sont demeurés vains: c'est la ruine et la faillite sur tous les
plans.

318
LALAMEXVD
LES ETOILES

La lettre Mb raïque: Phé.


La valeur numérique: 17.
Les éléments symboliques: Une jeune femme nue et age­
nouillée, versant dans un lac et sur le sol le contenu de deux
récipients. Au-dessus de sa tête brille un ciel étoilé.
La dimension herméneutique: Se placer à l'écoute des im­
pulsions spirituelles (représentées par les étoiles) et s'ouvrir à
l'amour (personnifié par la jeune femme nue) qui régénère
l'âme (symbolisée par le lac) et le corps (évoqué par le sol).
La dimension anagog ique: Se laisser guider par l'esprit et
marcher ainsi « selon les voies du Seigneur ».
L'injonction: Avoir confiance et se laisser guider.
Les éléments à développer: La capacité à faire confiance, le
sens de la beauté et les valeurs du coeur.

319
LES ETOILES

Les Etoiles

320
l.E TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETTRE PUE

Du point de vue kabbalistique, les Etoiles correspon­


dent à la dix-septième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre Phé,
issue d'un ancien idéogramme représentant une bouche. Or,
sur un plan symbolique, la bouche est étroitement liée à la
proclamation de la vérité. En effet, le terme hébreu peh signi­
fiant « bouche » désigne également le « tranchant » de l'épée
qui, dans la tradition hébraïque, évoque lui-même la vérité
agissante qui tranche de manière implacable, les deux tran­
chants de l'épée symbolisant le double pouvoir de la vérité
qui vivifie ou détruit selon que l'homme s'est rendu réceptif
ou non à la parole divine.
Plus encore, la parole de vérité étant celle du coeur, la
bouche est également liée à l'expression de l'amour. A ce ti­
tre, elle est l'organe corporel du baiser exprimant l'amour
qu'un être éprouve pour un autre. En tant que signe de con­
corde et d'amour, le baiser était d'ailleurs pratiqué par les ini­
tiés aux Mystères de Cérès qui témoignaient ainsi de leur
communion spirituelle. En ce sens, la bouche fut associée à la
fonction de prophétie permettant aux hommes d'être guidés
« selon les voies du Seigneur». Cette fonction est donc direc­
tement en rapport avec les deux concepts associés à la bou­
che: la vérité et l'amour. En effet, la vérité et l'amour affran­
chissent l'homme de l'influence des puissances ténébreuses,
le conduisant progressivement à sa rédemption.
Dans cette perspective, la lettre Phé évoque donc u n
processus par lequel l'aspirant, adombré par la puissance di­
vine, exprime l'amour qui anime désormais son coeur, rétablis­
sant ainsi la création dans son ultime vérité (celle de Dieu).

321
ŒS EfOIIBS

LENOMBRE17

D'un point de vue numérologique, la lame des Etoiles


est associée au nombre 17. Or ce nombre évoque fondamen­
talement la puissance divine (le nombre 1) s'exprimant chez
celui qui, totalement pénétré par le souffle de !'Esprit, est de­
venu authentiquement beau (ce que représente le nombre 7).
En outre, notons que le nombre 17 est la somme du nombre 9
et du nombre 8. Or le nombre 9 évoque l'expression tangible
d'une réalité spirituelle alors que le nombre 8 est associé au
processus de libération. Dès lors, en tant qu'union du 9 et du
8, le nombre 17 illustre le processus par lequel la divinité se
révèle au sein de l'univers, conduisant l'être à sa libération (à
son affranchissement du cercle clos du monde).
Nous retrouvons d'ailleurs des illustrations bibliques
fort intéressantes correspondant à la signification de ce nom­
bre. Pensons, par exemple, à la relation privilégiée que Joseph
entretenait avec son père Israël: « Joseph avait dix-sept ans. Il
gardait le petit bétail avec ses frères - il était jeune - avec les
fils de Bilha et les fils de Zilpa, femmes de son père, et Joseph
rapporta à leur père le mal qu'on disait d'eux. Israël aimait
Joseph plus que tous ses autres enfants, car il était le fils de sa
vieillesse, et il lui fit faire une tunique dorée. ». 1 Le fait
qu'Israël fit confectionner pour son fils Joseph, alors âgé de
dix-sept ans, une luxueuse tunique dorée, illustre bien le sym­
bolisme du nombre 17 en tant que processus par lequel la
puissance divine s'exprime désormais chez celui qui est deve­
nu authentiquement beau (symbolisme de la tunique dorée) et
ce, dans une perspective de libération (Joseph instaurera en
Egypte les clans hébreux dont naîtra la nation d'Israël, le
peuple élu de Dieu).
1- Genèse XXXVII, 2-3.

322
lB TARUf: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

LE NOM
Selon le dictionnaire, l'étoile désigne « dans le langage
courant, tout astre qui brille dans le ciel, à l'exception de la
Lune et du Soleil ». 2 Pour de nombreuses traditions, les dieux
étaient censé parler aux hommes à travers elles, les guidant
ainsi à travers la nuit (symbolisant l'existence en ce monde)
pour les préserver des embûches et leur permettre d'accomplir
lem destin. Aussi, les étoiles ont toujours annoncé, dans la
tradition judéo-chrétienne, les volontés de Dieu: « Les cieux
racontent la gloire de Dieu, et l'oeuvre de ses mains, le finna­
ment l'annonce».3 Faisant ainsi connaître à l'homme les des­
seins que Dieu lui a réservé, les étoiles le conduisent donc tout
natmellement à son ultime vérité.
C'est pourquoi Oswald Wirth écrivit: « Nous sommes
plongés dans une nuit profonde, [... ] mais les Etoiles. nous
encouragent et nous font sentir que nous ne sommes pas
abandonnés, puisque les dieux, appelés primitivement "les
brillants", veillent sur nous. Ils nous dirigent, en vue de l'ac­
complissement de notre destinée, car nous avons une tâche
dans notre limitée, nul ne s'incarnant sans que son pro­
gramme, dans ses grandes lignes, ne soit tracé, sans qu'un ob­
jectif ne soit assigné au voyageur terrestre. Une mystérieuse
feuille de route désigne les étapes essentielles de notre péré­
grination, comme si le tribunal des A nounnaki avait statué sur
notre compte en fixant notre destin. ».4 En ce sens, les étoiles
ont pour fonction essentielle de permettre aux hommes de
marcher« selon les voies du Seigneur».

2- �finition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.


3- Psaume 19 (18), 2.
4- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, Le Symbolisme
et F.mile Nourrey, Paris, 1927.

323
LES EfOil..ES

LES ETOILES

Description de la lame

Cet arcane met en scène une jeune femme entièrement


nue, ayant de longs cheveux blonds et posant un genou à
terre. Elle déverse le contenu de deux vases (un vase or et un
vase argent) sur le sol et dans un lac.
Par ailleurs, on distingue une branche d'acacia à neuf
feuilles ainsi qu'un rosier dont la fleur est butinée par un pa­
pillon. Dans le ciel, huit étoiles brillent (quatre jaunes, trois
bleues et une huitième, beaucoup plus grande, jaune et verte).

Interprétation symbolique de l'arcane


Sur un plan symbolique, nous devons d'abord souligner
que le nom de l'arcane ne désigne pas la jeune femme age­
nouillée sur le sol, mais les huit étoiles brillant dans le ciel (qui
occupe d'ailleurs les deux tiers de la lame). Aussi, ces étoiles
sont l'élément essentiel de l'arcane et il importe donc d'en
faire une étude exhaustive. A ce titre, nous venons de préciser
que les étoiles ont pour principale fonction de guider les
hommes sur la voie de leur accomplissement. En ce sens, elles
sont perçues dans la tradition islamique comme une manifesta­
tion divine servant à préserver la créature de toutes les embû­
ches s'élevant sur le chemin qui la conduit à son Créateur:
« Dans cette nuit ténébreuse j'ai perdu le chemin de la quête,
Apparais donc, ô étoile qui nous guides. Où que j'aille, mon
angoisse ne fait que croître. ». 5 De rœrœ, c'est une étoile qui
guida les rois mages, au terme de leur voyage, vers l'enfant

5- Paroles de Shabestâri citées dans L' Herméneutique permanente ou le


Buisson ardent (oeuvre collective), Paris, Berg, 1981.

324
LE TAROT: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

Jésus qui incarnait la conscience nouvelle: celle de l'homme


nouveau adombré par l'esprit. En effet, les rois mages « se o.
rent en route; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à son lever,
les précédait jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de
l'endroit où était l'enfant. A la vue de l'astre, ils se réjouirent
d'une très grande joie. Entrant alors dans le logis, ils virent
l'enfant avec Marie sa mère... ». 6
Outre cette fonction générique, les particularités caracté­
risant les étoiles de l'arcane XVII nous précisent également
avec détail ce vers quoi elles nous dirigent. En effet, l'étoile
centrale est nettement plus importante que les autres. Or Os­
wald Wirth l'associe à Vénus: « cet astre [en parlant de Vénus]
est la grande étoile de l'arcane XVII, qui projette des feux
verts entre ses huit rayons d'or. La couleur de Vénus [celle-ci
étant un jaune tirant sur le vert] s'allie ainsi à l'octoade
d'Ishtar, la déesse par excellence des Chaldéens. Ceux-ci di­
l'idéogramme *
vinisaient les étoiles, si bien que dans leur écriture primitive
se dit dieu. Ce signe fut maintenu par les
Assyriens en tant que déterminatif des noms divins qu'il pré­
cède, mais l'étoile à huit rayons resta l'emblème sacré d'Ishtar,
divinité populaire accapareuse de la plus fervente dévotion
des mortels. ».1
Et il rajoute: « Notons qu'Ishtar est double: guerrière le
matin et langoureuse le soir. Matinale, elle réveille les dor­
meurs, secoue les esprits dans leur torpeur et incite à la révolte
contre la tyrannie de dogmes régnants. Au déclin du jour,
l'astre d'Ishtar réapparaît dans la pourpre du couchant. Sa
lumière est alors d'une douce blancheur apaisante. L'homme
fatigué la contemple avec gratitude; il lui semble que la déesse
le convie au repos mérité, aux effusions de tendresse et à la

6- Matthieu II, 9-11.


7- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, op. cit.

325
l.ES ElOIIBS

méditation sereine. N'est-elle point la révélatrice de la beauté


des choses?». 8 En effet, Vénus incarne l'amour et elle invite
donc l'homme à abattre tous les murs construits par son ego
pour s'ouvrir authentiquement à l'autre (ce qui lui confère
une véritable beauté).
Cette double nature de Vénus (vérité et amour) est
d'ailleurs éloquemment illustrée par le fait que la grande étoile
semble être constituée de deux étoiles superposées: une verte
et une jaune. Or, au niveau symbolique, la couleur verte est
étroitement associée aux réalités de l'amour. En effet, la tradi­
tion hermétique nous apprend que le vert permet de transcen­
der la vie sexuelle, primitivement narcissique (où l'autre est
exclusivement perçu comme une source de valorisation et
d'affirmation du moi), en une nouvelle forme d'expression
intégrant la présence de l'autre comme être aimé. En outre,
cette couleur occupe une position centrale dans le spectre des
couleurs visibles à l'image du coeur considéré traditionnelle­
ment comme étant le centre du corps. Quant au jaune, il est
associé aux forces de la vérité. On disait même en Grèce anti­
que que les bons orateurs avaient une bouche d'or. En ce
sens, on rapporte à propos de Platon qu'une abeille (associée
au jaune par la couleur du miel qu'elle produit) se serait posée
sur sa bouche alors qu'il était encore enfant, prophétisant ain­
si la grande sagesse philosophique et les dons d'orateur dont
il serait investi. Dans la même perspective, le jaune servait à
désigner une parole de grande valeur.
Ainsi, nous pouvons affirmer que si les étoiles évoquent
une fonction de guidance permettant aux hommes de marcher
« selon les voies du Seigneur», cette fonction s'adresse ici de
manière privilégiée au coeur puisqu'elle enseigne la nécessité
d'exprimer l'amour et la vérité. C'est du moins ce que symbo-
8- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-t2ge, op. cit.

326
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

lise cette étoile centrale qui occupe au niveau de la lame une


place privilégiée. Quant aux sept autres, de moindre impor­
tance, elles sont évidemment associées au symbolisme du sep­
ténaire évoquant une création totalement investie par les for­
ces lumineuses de l'esprit. Ce constat est d'ailleurs admira­
blement confirmé, rappelons-le, par le fait que le nombre 7 est
la somme du nombre 3 et du nombre 4. Or, le nombre 3 évo­
que la divinité rendue tangible au sein de la création (les trois
personnes divines). Sur cet arcane, il est représenté par les
trois étoiles bleues dont la couleur évoque les réalités célestes
(divines) et dont la disposition (elles forment un triangle poin­
té vers le bas) illustre le processus d'incarnation et
d'expression du divin.
Quant au nombre 4, il est très étroitement associé au plan
matériel dont il marque l'ordonnance et l'organisation (les
quatre éléments, les quatre points cardinaux, les quatre sai­
sons,... ). Sur cet arcane, il est représenté par les quatre étoiles
jaunes dont la disposition en forme de carré est une image de
l'univers créé, le monde de l'espace (défini par les quatre
points cardinaux) et du temps (déterminé par les quatre sai­
sons). Le fait qu'elles soient jaunes nous rappelle que le plan
matériel est totalement pénétré par les forces de l'esprit (ce
que confirme la présence du triangle formé par les trois étoiles
bleues placé au centre du carré formé par les quatre étoiles
jaunes).
Outre les étoiles, nous devons également signaler la pré­
sence d'une jeune femme nue. Cette femme, aux long che­
veux blonds, est en fait une autre représentation de Vénus
dont les longs cheveux sont « une flamme blonde» et qui
« n'est jamais plus belle que dans sa radieuse nudité. ». 9 Os-

9- Bonnard, André, Les Dieux de la Grèce, Editions de l'Aire, Lau­


sanne, 1990.

327
LES ETOII.ES

wald Wirth le mentionne d'ailleurs explicitement: « La jeune


fille de l'arcane XVII semble être, elle aussi, une incarnation
féminine de la grande divinité féminine qu'ont adorée nos
lointains ancêtres [Ishtar, la Vénus des Chaldéens]. ». 10 Nous
ne reviendrons pas ici sur le symbolisme de Vénus puisque
nous l'avons déjà étudié précédemment. Rappelons simple­
ment que cette planète incarne l'amour et qu'elle invite
l'homme à abattre tous les murs construits par son ego pour
s'ouvrir ainsi à l'autre en toute vérité (ce qui le rend authenti­
quement beau).
Il importe cependant de préciser que ses longs cheveux
blonds ondulés nous révèlent symboliquement que l'expres­
sion de son identité profonde (évoquée par les cheveux) est
empreinte des réalités de l'esprit (symbolisme des cheveux
blonds, couleur de l'or) et que la jeune femme adopte une atti­
tude de souplesse et de malléabilité (représentée par les on­
dulations de ses cheveux). En outre, le fait que ses cheveux
lui recouvrent le dos nous indique que sa capacité à s'affinner
(symbolisme du dos correspondant au signe du Lion) est pla­
cée au service de son identité profonde. Enfin, le fait que cette
jeune femme soit nue nous précise qu'elle s'exprime en toute
vérité (tout est manifeste et non voilé). Nous retrouvons donc
le lien étroit existant entre la vérité et l'amour dont la jeune
femme, la déesse Vénus, est la personnification.
Par ailleurs, elle s'agenouille sur le sol. Or le genou repré­
sente, sur un plan symbolique, le siège principal de la puis­
sance physique (les jambes représentant le corps). Cet age­
nouillement nous apprend donc qu'elle dispose d'une capaci­
té à agir concrètement sur le plan matériel. A ce titre d'ailleurs,
le genou correspond, sur un plan astrologique, au signe du
Capricorne incitant l'homme à s'investir dans le monde pour
10- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-t2ge, op. cit.

328
lâ TAROI': LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

créer et CODClétiser. D'autre part, s'agenouiller devant l'autre


illustre 6plement un acte d'allégeance par lequel on place sa
puissance physique (sa capacité à agir dans le monde) à son
service. Bn ce sens, plier le genou devient également un acte
d'humilit6. Aussi, en s'agenouillant, la jeune femme exprime
une volont6 de mettre sa capacité à agir au service de l'autre,
et particulikement ici du Tout-Autre, c'est-à-dire de Dieu.
Ceci 6tant précisé, il importe également de souligner
qu'elle est agenouillée au bord d'un lac et qu'elle y « déverse
le contenu d'une urne d'or dont s'écoule un liquide brûlant,
vivificateur de l'eau stagnante. A cette amphore tenue dans la
main droite en c orrespond une autre qu'incline la main gau­
che, pour 6pancher sur la terre aride une eau fraîche et fertili­
sante ».11 Placés entre les mains de Vénus, la déesse de
l'amour, ces vases illustrent tout naturellement le pouvoir ré­
gé nérateur de l'amour. A ce titre, la mythologie grecque af­
finne d'ailleurs qu'une herbe verte croissait sous les pas
d'Aphrodite: « Levant vers la lumière son radieux visage, la
déesse émergea des flots. Penchées sur le rivage, les Saisons
lui tendaient les mains. Elles s'offrirent à la servir, la vêtirent
d'une robe brodée et, pour parer leur maîtresse, se dépouillè­
rent de leurs plus précieux bijoux. Puis elles la conduisirent au
palais des Immortels. Sous les pas d'Aphrodite croissait l'herbe
verte. ».12
Ceci est fort important puisque l'amour transmute alors
toute médiocrité pour élever la matière vers un état d'être su­
périeur. Ce constat est d'ailleurs admirablement évoqué sur
l'arcane des Etoiles. En effet, plusieurs élémen ts en sont une
il lustration éloquente. Pensons, par exemple, à l'image du pa­
pillon. Quel animal, en ce sens, peut mieux évoquer la trans-

11- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, op. cit.


12- Bonnard, Andre, Les Dieux de la Grèce, op. cit.

329
Les Etoiles

mutation et l'élévation de l'être inférieur (incarné par la che ­


nille) vers un état de réalisation ? Le symbolisme de la rose e t
du rameau d'acacia confirment également cette assertion.
Dans cette perspective, l'arrosage auquel la jeune femrœ
s'adonne « entretient la végétation, plus particulièrement re­
présenté par un rameau d'acacia et une rose épanouie ».13
Or, sur un plan symbolique, la rose est un emblmie pivi­
légié de Vénus, incarnant la perfection et la beauté achevée
issue d'un processus de régénération accompli par l'amour.
Ainsi, Frédric Portal écrit que « la rose et sa couleur étaient les
symboles du premier degré de régénération et d'in itiation aux
mystères... L'âne d'Apulée recouvre la fonne humaine en
mangeant une couronne de roses venneilles que lui présente
le prêtre d'Isis. ». 14 De tœrne, le poète Anacréon 6crivit:
« J'aime tenir dans la main cette fleur charmante qui, m&œ
lorsqu'elle est fanée, conserve le parfum de sa jeunesse». La
rose évoque donc une capacité à s'élever au-dessus de la léa­
lité temporelle et mortelle, permettant en quelque sorte
d'acquérir une jeunesse perpétuelle. Nous retrouvons donc
cette notion de régénération.
Ajoutons à ce propos que la feuille du rosier comporte
cinq lobes. Or ces cinq lobes foliés font évidemment 6cho au
nombre 5 directement associé au processus d'épuration et de
rectification. Ainsi, s'élevant sur une tige ayant deux feuilles
comportant chacune cinq lobes, la rose est un symbole vivant
du processus de transmutation et de régénération aœompli
sur les deux plans de l'être (physique et psychique). Plus en­
core, le nombre 5 incite alors l'aspirant à rassembler ses; efforts

13- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen..tJge, op .. dl.


14- Portal, Frédéric, Des couleurs symboliques dans l'Altlftpltl, le
moyen âge et les temps modernes, Guy Trédaniel, Editiœ-, dl..la Mais­
nie, 1984.

330
LB TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

pour •mue en queste de l'Unique. Dès lors, la rose évoque


égidC!IIMnt une consécration à des valeurs plus authentiques.
En ce ams, elle devient l'emblème de ce qui est véritable
cœ111m-l'évoque d'ailleurs éloquemment l'expression familière
« d6couvrir le pot aux roses ».
Quant au rameau d'acacia, il évoque lui aussi un proces­
sus denSgénération. En effet, il était déjà considéré, en Egypte
antique, comme un symbole de renaissance. De même, certai­
nes légendes prétendent que la couronne d'épines du Christ
aurait été faite d'acacia pour annoncer sa résurrection. Tou­
jours dans la mêm e perspective, cette plante fut également
associée, dans la symbolique maçonnique, à la légende
d'Hiram Abif, le bâtisseur du temple de Jérusalem. Assassiné
par trois de ses compagnons qui voulaient être initiés à ses
secrets de constructeur, ceux-ci l'enterrèrent et plantèrent sur
sa tombe une branche d'acacia. Depuis lors, le bâtisseur lé­
gendaire est censé se perpétuer à travers chaque nouveau
maître, pourvu de la branche d'acacia symbolisant la victoire
sur la mort et la renaissance dans la lumière divine. Ajoutons
que cette branche d'acacia comporte neuf feuilles. Or le nom­
bre 9 évoque l'expression de la divinité au niveau des trois
dimensions fondam entales structurant l'être humain (le corps,
l'âme et l'esprit). Nous retrouvons, une fois encore, la notion
de régénération et de victoire sur la mort.
D'autte part, en ce qui concerne les cruches, elles con­
tiennent toutes deux un liquide déversé dans un lac pour
l'une et pour l'autre sur le sol. Voyons donc ce que cela signi­
fie. En raison de son pouvoir réflecteur, le lac a toujours sym­
bolisé l'âme qui réfléchit la lumière de l'esprit. Quant au sol, il
représente sans équivoque le corps physique. Ainsi, nous
pouvons affirmer que l'amour régénère l'âme et le corps (les
rendant ainsi authentiquement beaux). De manière plus pré­
cise encore, nous constatons que c'est au moyen d'un vase
331
LES EIOII.ES

d'or que la jeune femme déverse l'eau vivificatrice dans le J�


alors que c'est au moyen d'un vase d'argent qu'elle accom­
plit le même geste sur le sol. En fait, nous pouvons associer le
vase d'or aux réalités de l'esprit et le vase d'argent aux réali­
tés de l'âme. Dès lors, cette image met en scène l'amour qui,
issu des sphères de l'esprit (symbolisées par le vase d'or) pé­
nètre l'âme (évoquée par le lac), pour la vivifier et la régéné­
rer. Ce processus de régénération est alors illustré par la va­
peur qui s'élève de l'endroit où l'eau est déversée. En effe�
sur un plan symbolique, la vapeur évoque l'eau (symbolisant
l'âme) qui se sublime, sous l'effet d'une chaleur (correspon­
dant au feu de l'esprit, à l'amour), s'élevant ainsi vers les
cieux (les sphères célestes). De rrêne, les multiples grâces
dont jouit l'âme ainsi amorisée (symbolisée par le vase
d'argent) s'incarnent ensuite au niveau du corps (elles sont
déversées sur le sol), le régénérant et le vivifiant à son tour.
Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Nous avons vu que les étoiles, l'élément ea,entiel de


l'arcane, annoncent aux hommes les volontés do Dieu, gui­
dant ceux-ci à travers la nuit (l'existence en ce JJIQllde) pour
les préserver des embûches. Toutefois, sous leur maléfi­
ciée, elles évoquent, au contraire, une expérie
ment, l'individu ne sachant plus discerner le mes
inscrit. Cet égarement peut alors se traduire par
caractéristiques. En effet, si l'individu est aveu
son, il ne percevra dans la contemplation des
croyance purement superstitieuse. Par contre,
l'emprise de ses émotions, il y projettera tous
états d'âme afin de les justifier, sombrant ainsi
pure illusion. Quoiqu'il en soit, les cieux n'an
la gloire de Dieu (le destin que Dieu a réservé à l'

332
lJ! TAROf: ŒS VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

demeureront muets (pour celui qui adopte une vision mécani­


que de l'univers) ou refléteront simplement les débordements
émotifs d'une conscience immature (percevant la main de
Dieu là où il n'y a que le fruit de sa pure subjectivité).
Or il semblerait bien que ce soit cette seconde attitude
qui soit particulièrement mise en exergue au niveau du dix­
septième arcane. En effet, nous avons déjà noté la présence
d'une étoile centrale nettement plus importante que les autres
et nous l'avons associée à Vénus. Or, sous sa forme maléficiée,
Vénus incarne précisément l'attraction sentimentale, émotive
ou instinctuelle uniquement motivée par des désirs égocentri­
ques et les attitudes déviantes qui en résultent: la fausseté,
l'hypocrisie, la séduction trompeuse. Loin de permettre à
l'homme de transcender sa terrestrité, elle l'enferme alors plus
encore, contribuant ainsi à sa dénaturation et à sa perdition.
A ce titre, nous avons vu que la grande étoile semble
être constituée de deux étoiles superposées: une verte et une
jaune. Au niveau symbolique, la couleur verte évoque alors,
dans sa dimension négative, la perversion des valeurs du
coeur: c'est la couleur de la luxure. Quant au jaune, il s'agit
maintenant de la couleur du mensonge et de la trahison. En ce
sens, Frédéric Portal rapporte que dans plusieurs pays, « la loi
ordonnait aux Juifs de se vêtir de jaune, car ils avaient trahi le
Seigneur; en France, on barbouillait de jaune la porte des traî­
tres; sous François Ier, Charles de Bourbon encourut cette
flétrissure pour crime de félonie. Sur les vitraux de l'Eglise de
Ceffonds, en Champagne, vitraux qui remontent au seizième
siècle, Judas est vêtu de jaune; en Espagne, les vêtements du
bourreau devaient être rouges ou jaunes; le jaune indiquait la
trahison du coupable et le rouge sa punition. ».1 5 En effet, si
15- Ponal, Frédéric, Des couleurs symboliques dans /'Antiquité, le
moyen âge et les temps modernes, op. cit.

333
LES ETOILES

le jaune représente la vérité (rendant ainsi témoignage aux


valeurs spirituelles), cette couleur évoque, dans sa dimension
négative, la fausseté qui déforme et travestit la réalité (le faux
éclat).
En ce sens, si les étoiles évoquent l'égarement, cet aveu­
glement est principalement suscité par une fermeture du
coeur: celui-ci étant placé sous le joug de pulsions instinc­
tuelles l'incitant à s'allier aux forces du monde et à trahir ainsi
sa capacité de percevoir l'empreinte de Dieu dans l'univers
créé. En effet, « on ne voit bien qu'avec le coeur, l'essentiel
est invisible aux yeux », 16 et, pour percevoir cet invisible, le
coeur doit être affranchi de la tyrannie de l'ego. Dans le cas
contraire, l'homme peut alors commettre les pires atrocités,
« car c'est du dedans, du coeur des hommes [fermés aux réali­
tés de l'esprit], que sortent les desseins pervers: débauches,
vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, ruse, impudi­
cité, envie, diffamation, orgueil, déraison » . 17
Quant aux sept autres étoiles, de moindre importance,
elles évoquent, une fois encore, le symbolisme du septénaire
qui, sous sa forme maléficiée, est associé à une création tota­
lement investie par les forces ténébreuses de l'Esprit du
Monde. En effet, le nombre 7 est la somme du nombre 3 et du
nombre 4. Or, le nombre 3 maléficié illustre l'état d'inaccom­
plissement qui maintient une réalité dans une situation de �
diocrité (ne lui permettant pas d'exprimer pleinement son es­
sence divine). Sur cet arcane, il est représenté par les trois
étoiles bleues dont la couleur évoque un processus de décon­
nection vis-à-vis des plans divins et dont la disposition (ela
forment un triangle pointé vers le bas) illustre un processus de

16- Saint-Exupéry, Antoine de, Le Petit Prince, Folio Junior, Paris.


1981.
17- Marc VII, 21.

334
Ul TAROf: LES VINGr-DEUX ARCANES MAJEURS

cristallisation. Quant au nombre 4 maléficié, il évoque un


monde enâkement sclérosé sur lui-même et totalement étan­
che à toute dimension spirituelle. Sur cet arcane, il est repré­
senté par les quatre étoiles jaunes. Le fait qu'elles soient jau­
nes nous indique que le plan matériel rayonne d'un faux éclat,
sous le joug de l 'Esprit du Monde auquel il est totalement
soumis.
Outre les étoiles, nous devons également insister sur la
présence d'une jeune femme nue personnifiant la déesse Vé­
nus. Or, contrairement à ce que nous avons affinné précé­
demment, la nudité de cette femme évoque ici la pauvreté et la
faiblesse morale qui la caractérisent. En effet, pensons au pas­
sage biblique où Ezéchiel raconte l'histoire d'Israël qu'il
compare à une jeune fille nue, jusqu'au moment où Dieu la
choisit et la revêt. 18 D'autre part, les vases incarnent, dans
cette même perspective, le pouvoir de perversion engendré
par cette pauvreté matérielle et cette faiblesse morale engen­
drant une fragilité qui entraîne l'individu à renoncer à sa pro­
pre volonté (abandon et laisser-aller) pour ainsi devenir une
proie soumise aux pulsions régressives, développant alors de
multiples perversions.
Précisons en outre que les longs cheveux blonds ondu­
lés de la jeune femme évoquent, sous leur forme maléficiée,
une personnalité (représentée par les cheveux) totalement
empreinte des réalités de l'ego (symbolisme de la couleur
jaune maléficiée) et parfaitement soumises à ses injonctions
(ce que laisse supposer les ondulations de ses cheveux). En
outre, le fait que ses cheveux lui recouvrent le dos indique
que sa capacité à s'affirmer est placée au service de l'ego. En­
fin, cette jeune femme s'agenouille sur le sol, nous révélant

18- Ezéchiel XVI, 1-14.

335
LES ETOILES

ainsi qu'elle place sa capacité à agir (symbolisée par le genou)


au service de l'Esprit du monde (évoqué par la terre).
Quant au papillon, il ne représente plus un processus
d'achèvement, mais la légèreté et l'inconstance d'une âme qui
n'est plus solidement ancrée dans l'amour et la vérité. En ef­
fet, elle se laisse alors dériver au fil de l'existence et au gré des
vents violents placés sous l'égide de l'Esprit du monde. En ce
sens, le caractère fragile et éphémère du papillon évoque bien
l'inconstance dont cet insecte maléficié est l'incarnation.
Ajoutons également que le papillon se laisse facilement aveu­
gler par la lumière, s'y brûlant parfois les ailes en y trouvant la
mort. C'est ce que nous rappelle le Bhagavad Gîta: « Comme
les papillons se hâtent à leur mort dans la flamme brillante, ain­
si les hommes courent à leur perte ... ».19 La flamme brillante à
l'origine de cet aveuglement est évidemment une fausse lu­
mière, celle du monde qui séduit les hommes en leur ôtant tout
désir de s'élever vers les réalités de l'esprit (ce désir étant
symbolisé par les ailes du papillon).
Quant à la rose, elle devient, sous sa fonne négative, la
fleur de la séduction et de la beauté fugitive. Elle incarne
donc l'attrait du monde auquel succombe tout homme dont la
conscience ne s'est pas ouverte aux valeurs profondes du
coeur (à celles de l'amour et de la vérité). A ce titre d'ailleurs,
une coutume médiévale imposait aux prostituées et aux tilles­
mères le port d'une rose. Or celles-ci évoquent une con­
science s'étant laissé séduire par les attraits du monde, don­
nant ainsi libre cours à ses pulsions les plus grossières. En ou­
tre, nous avons vu que la feuille du rosier comporte cinq lo­
bes. Or le nombre 5 incarne, sous sa forme maléficiée, l'indisci­
pline qui entraîne l'homme à succomber à ses pulsions ég o­
centriques et instinctuelles.

19- Bhagavad Gîta 11, 29.

336
W. TAR<JI': LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

Qaut au rameau d'acacia, il évoque lui aussi un pro­


cessus de d6gén6rescence. En effet, nous avons déjà précisé
que la couronne d'épines du Christ aurait peut- être été faite à
partir de rameaux de cette plante. Or si certains y ont perçu
l'annonce de la résurrection, nous pouvons également y voir
la consécration d'un processus de dénaturation issue de la
victoire des puissances ténébreuses (cette couronne ayant été
tressée par les soldats qui emmenèrent le Christ à la cruci­
fixion). En outre, nous avons vu que cette branche d'acacia
comporte neuf feuilles et, dans sa dimension maléficiée, le
nombre 9 illustre l'expression des puissances ténébreuses de
l'involution au niveau des trois dimensions fondamentales
structurant l'être (le corps, l'âme et l'esprit). A ce titre, il évo­
que clairement la mort. Aussi, le pont sur lequel devait passer
l'âme du défunt, en Perse antique, était long de neuf portées
de javelot ou de vingt-sept portées de flèches (le nombre 27
se réduisant également au nombre 9: 2 + 7 = 9).
Enfin, en ce qui concerne les vases, ils illustrent le pou­
voir de perversion suscité par une pauvreté matérielle et une
faiblesse morale. Plus précisément, nous savons que c'est au
moyen d'un vase d'or que la jeune femme déverse l'eau
(devenue toxique) dans le lac alors que c'est avec un vase
d'argent qu'elle accomplit le même geste par rapport au sol.
Or, sachant que le lac évoque toujours les réalités de l'âme et
que le sol incarne les dimensions du corps, le vase d'or repré­
sente bien évidemment les réalités de l'ego (assujetti au pou­
voir de l'Esprit du monde) et le vase d'argent, les réalités de
l'âme (elle-même assujettie au pouvoir de l'ego). Dès lors,
cette image met en scène les forces de la perversion qui, issues
directement des sphères de l'ego (symbolisme du vase d'or)
pénètre l'âme (évoquée par le lac), la pervertissant et la
souillant. Ce processus de perversion est illustré par la vapeur
qui s'élève de l'endroit où l'eau est déversée. En effet, sous

337
LES ETOII..ES

sa forme maléficiée, la vapeur évoque l'eau (symbolisant


l'âme) qui sous l'effet d'une chaleur (évoquant le feu de
l'enfer, le désir insatiable et toujours brûlant de l'ego) se dé­
connecte de la réalité, pour engendrer divers mirages (les
sphères nébuleuses vers lesquelles l'âme s'élève). De mêlre,
les souillures de l'âme ainsi pervertie (symbolisée par le vase
d'argent) s'incarnent au niveau du corps (du sol) pour le dé­
naturer à son tour.

338
LE TAROT: LES YINGr-DEUX ARCANES MAJEURS

LALAMEXVIIl
LA LUNE

La lettre hébraïque: Tsadé.


La valeur numérique: 18.
Les éléments symboliques: Un clair de lune brille au-dessus
d'un plan d'eau où se trouve une écrevisse rouge. Au pied de
deux tours, deux chiens aboient à la Lune.
La dimension herméneutique: Unir son âme (symbolisée par
la Lune) aux réalités de l'esprit et se libérer du cercle clos du
monde (évoqué par l'océan) dans lequel les instincts
(personnifiés par les chiens) et les pulsions égocentriques
(illustrées par les tours) retiennent l'être prisonnier.
La dimension anagogique: Se laisser adombrer par la puis­
sance divine afin d'être élevé à un plus haut niveau
d'accomplissement.
L'injonction: Dépasser ses illusions.
Les éléments à développer: La capacité à se sortir d'une im­
passe, l'aptitude à s'ouvrir à des horizons nouveaux et
l'attrait vers un plus-être.

339
l.A LUNE

La Lune

340
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETIRE TSADE

Du point de vue kabbalistique, la Lune correspond à la


dix-huitième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre Tsadé, issue
d'un ancien idéogramme représentant un harpon. Or le har­
pon est en relation directe avec la pêche puisqu'il s'agit d'un
« dard barbelé et acéré, emmanché, dont on se sert pour la pê­
che des gros poissons et la chasse de la baleine ». 1 S'il évoque
ainsi la pêche, il est également associé à l'océan qui représente
le monde de l'informel et du non-manifesté, c'est-à-dire la
création plongée dans les ténèbres. Quant au poisson, nous
avons déjà précisé qu'il évoque celui qui, pénétré par la grâce
divine, s'en trouve régénéré et glorifié. Dès lors, le fait de pê­
cher un poisson illustre l'acte par lequel l'homme, pénétré par
la grâce divine, est extrait du monde de l'inaccompli pour être
introduit dans une création nouvelle pleinement réalisée (la
Jérusalem céleste).
Précisons que cette pêche au harpon ne convient pas
aux petits poissons. En effet, elle est exclusivement réservée
aux gros. En d'autres termes, elle s'adresse aux individus qui,
pénétrés par la grâce divine, ont su croître et grandir pour at­
teindre leur épanouissement plénier. En outre, contrairement à
la pêche au filet qui ne différencie pas les poissons, la pêche
au harpon suppose le choix préalable d'un poisson unique:
c'est une pêche élective. Or ce caractère électif est précisé­
ment l'une des spécificités de l'acte d'amour qui permet de
participer à la création nouvelle en devenant citoyen de la
Jérusalem céleste. Dans cette perspective, la lettre Tsadé évo­
que donc un processus par lequel l'homme est définitivement
tiré de son état de non-réalisation (de non-être) et introduit
dans les réalités divines grâce à l'expression de l'amour.

1- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.

341
LAWNE

LENOMBRE18

Du point de vue numérologique, la lame de la Lune est


associée au nombre 18. Or ce nombre évoque fondamentale­
ment la puissance divine (le nombre 1) qui investit l'homme
pour le libérer du cercle clos du monde et l'introduire dans les
sphères célestes (ce qu'évoque le nombre 8). En outre, notons
que ce nombre 18 résulte de la double addition du nombre 9
(9 + 9 = 18). Or nous savons que ce nombre symbolise
l'incarnation plénière d'une réalité spirituelle sur un plan con­
cret. Quant au nombre 2, il évoque une union avec la divinité
(le nombre 1). Dès lors, le nombre 18 symbolise l'être qui, plei­
nement révélé dans son essence divine, participe et communie
avec les réalités de l'esprit.
En ce sens, nous retrouvons des illustrations bibliques
éloquentes associées au nombre 18. Pensons, par exemple, à
cet épisode tiré des évangiles: « Et voici qu'il y avait là une
femme ayant depuis dix-huit ans un esprit qui la rendait in­
firme; elle était toute courbée et ne pouvait absolument pas se
redresser. La voyant, Jésus l'interpella et lui dit: ''Femme, te
voilà délivrée de ton infirmité"; puis il lui imposa les mains. Et
à l'instant nêne, elle se redressa, et elle glorifiait Dieu. ».2
Avant de rencontrer le Christ, cette femme vivait donc dans
un état d'aliénation. En effet, elle était courbée et cela nous
indique que sa conscience était orientée sur un plan horizon­
tal, prisonnière du cercle clos du monde. Or la dix-huitième
année marqua pour elle l'heure de sa délivrance. En effet, in­
vestie par les forces divines ( exorcisée par le Christ), elle se
redressa (sa conscience s'orienta à nouveau selon un axe ver­
tical) et elle put alors participer aux réalités célestes: elle glori­
fia Dieu.
2- Luc XIII, 11-13.

342
LE TAROf: ŒS VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

LE NOM
Selon le dictionnaire, la Lune désigne « le satellite natu­
rel de la terre ». 3 Sur un plan plus philosophique, elle a tou­
jours représenté l'âme (ou la psyche) formée des facultés cog­
nitives telles que la perception, l'intelligence ou l'imagination,
des facultés affectives telles que les sentiments, les émotions
ou les désirs et des facultés instinctives telles que les pulsions,
les besoins ou les tendances. En ce sens, elle fut toujours un
emblème de la dimension psychique et des forces vitales qui
animent l'homme.
Pour mieux saisir encore les rapports étroits unissant
l'âme et la Lune, citons ce passage très intéressant de Kova­
levsky: « Usons des rapports du soleil, de la lune et de la terre,
écrit cet auteur, pour prendre conscience des rapports de l'es­
prit, de l'âme et du corps dans l'être humain. Le soleil est
l'icône de l'esprit, la lune de la "psyché" - de l'âme-, la terre du
corps. De même que la terre tourne autour du soleil, le corps
gravite autour de l'esprit. La "psyché" est satellite de notre
globe, de notre corps, et sa lumière vient du soleil, l'esprit.
L'homme psychique est lunaire, il ignore le soleil de justice,
confondant la lumière spirituelle avec le clair de la lune de
l'âme, et son centre d'attraction reste la terre, le corps.
L'homme spirituel est solaire, sa vie est déterminée par le soleil
du Christ, son "ego" est dans le Soleil-Christ, tandis que pour
le psychique l'"ego" demeure charnel. Le psychique ne con­
naît pas le spirituel, mais ce dernier connaît le psychique,
comme nous l'enseigne l'apôtre Paul, et le psychique n'est
qu'un complément de la terre. ».4

3- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, op. cit.


4- Kovalevsky, J., Le mystère des origines, Paris, Editions Friant. 1981.

343
LA LUNE

LA LUNE

Description de la lame

Cet arcane met en scène une Lune qui, apparaissant


avec un visage resplendissant, occupe l'intérieur d'un cercle
irradiant des rayons jaunes et des rayons rouges. Des gouttes
vertes, jaunes et rouges semblent également remonter en di­
rection de cet astre. Au-dessous de la Lune, se trouvent deux
tours et deux chiens (un noir et un blanc) qui aboient en sa
direction.
Quant à la partie inférieure de la lame, elle est occupée
par une grosse écrevisse rouge qui nage dans une étendue
d'eau bleue remplie d'herbes vertes. Un sentier, provenant de
la droite, s'élève, quant à lui, vers l'horizon, serpentant entre
les deux tours et disparaissant au loin.
Interprétation symbolique de l'arcane
Sur un plan symbolique, soulignons d'abord que cet ar­
cane comporte trois plans distincts: le plan céleste associé à la
Lune, le plan terrestre symbolisé par le sol, les deux chiens et
les deux tours et enfin le plan sous-terrain figuré par l'eau et
l'écrevisse. Aussi, il importe de faire une étude exhaustive de
chacun de ces trois plans. Nous commencerons par le plan
céleste puisqu'il semble bien être un élément fondamental de
l'arcane, le nom de la lame étant celui de la Lune. A ce propos,
nous savons que la Lune est une image de l'âme. Toutefois,
son apparence est inhabituelle puisqu'elle possède un visage.
En effet, le fait qu'elle soit ainsi personnifiée lui confère une
signification symbolique tout à fait particulière. En ce sens,
attribuer un visage à une réalité qui en est généralement dé­
pourvue souligne l'état de réalisation spirituelle atteint par

344
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

cette réalité. A titre d'exemple, les quatre éléments (la terre,


l'eau, l'air et le feu) sont toujours représentés, sous leur forme
sublimée, par des êtres pourvus de visages: « Au milieu du
trône et autour de lui, se tiennent quatre Vivants, constellés
d'yeux par-devant et par-derrière. Le premier Vivant est
comme un lion; le deuxième Vivant est comme un jeune tau­
reau; le troisième Vivant a comme un visage d'homme; le qua­
trième vivant est comme un aigle en plein vol ». 5 La Lune per­
sonnifiée illustre donc un état de réalisation plénière que peut
atteindre l'âme humaine.
A ce titre, elle a des yeux bleus et des lèvres bien dessi­
nées. Or le bleu fut toujours considéré, sur un plan symboli­
que, comme une couleur favorisant un contact avec le divin.
Le fait que la Lune possède des yeux bleus met donc l'accent
sur sa capacité à contempler la dimension divine qui anime
toute chose. En outre, ses lèvres bien dessinées évoque la fa­
cilité avec laquelle elle s'ouvre aux forces de la fécondité. En
effet, les lèvres féminines ont toujours été étroitement asso­
ciées, dans les civilisations primitives, aux lèvres vaginales. Le
fait d'en raviver l'incarnat visait donc toujours à indiquer au
mâle que la femelle était ouverte à la puissance fécondatrice
dont il était le vecteur.
Plus encore, la Lune irradie des rayons de couleur jaune
et rouge. Or la couleur jaune est celle de l'esprit diffusant sa
lumière vivifiante et fécondante. Ainsi, ceci nous apprend que
l'âme, tournée vers l'esprit, est investie d'une puissance fé­
conde qu'elle rayonne sans l'altérer. Le fait que ces rayons
soient au nombre de dix-huit conforte d'ailleurs notre asser­
tion puisque, nous l'avons mentionné précédemment, le nom­
bre 18 symbolise l'être qui, pleinement révélé dans son es­
sence divine, participe et communie avec les réalités de

5-Apocalypse IV, 6-7.

345
LA LUNE

l'esprit. Quant aux rayons rouges, ils évoquent l'activité dy­


namique d'une âme qui, tournée vers l'esprit, est complète­
ment éveillée et vivifiée. Elle est alors douée d'une activité
sans limite, oeuvrant constamment au service de l'esprit, de
jour comme de nuit (ce qu'évoque la forme double des rayons
rouges).
Pour atteindre cet état de communion, l'âme doit cepen­
dant subir une véritable metanoïa, lui permettant de se libérer
du pouvoir attractif du corps pour ainsi s'orienter vers la di­
mension spirituelle de son être, la source de toute lumière et de
toute vie. Or c'est précisément ce qu'indiquent les gouttes
vertes, jaunes et rouges qui semblent remonter en direction de
la Lune, contrairement à ce que prévoit la loi de gravitation.
En effet, ce n'est plus la Terre (évoquant les réalités corporel­
les et matérielles) qui exerce un pouvoir d'attraction sur ces
gouttelettes mais la Lune (représentant l'âme investie par les
forces de l'esprit). A ce propos, il est intéressant de noter que,
parmi les nombreux phénomènes mystiques, l'expérience de la
lévitation tient une place prépondérante. Or elle est, sur un
plan extérieur, une conséquence de la capacité du mystique à
s'extraire des puissances matérielles (des forces d'en bas)
pour focaliser plus parfaitement son âme sur les réalités spiri­
tuelles (les forces d'en haut). En outre, les trois couleurs asso­
ciées aux gouttes remontant vers la Lune nous révèlent que
cet affranchissement du pouvoir attractif de la Terre se mani­
feste tant au niveau des actes (représentés par la couleur
rouge), qu'au niveau des sentiments (représentés par la cou­
leur verte) ou des pensées (évoquées par la couleur jaune).
Quant au plan intermédiaire de l'arcane, nous avons
précisé qu'il comporte deux tours et deux chiens. A propos
des chiens, nous savons que cet animal a toujours été associé,
depuis la plus haute Antiquité, à la fonction de gardien. Am,
il gardait les portes des lieux sacrés et particulièrement celles

346
LE TARar: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

qui séparent le monde d'en haut (les cieux) du monde d'en


bas Oes enfers). A titre d'exemple, un chien terrible, nommé
Garn, gardait l'entrée du Niflheim, du royaume des morts et
des ténèbres chez les Germains. De même, le chien Cerbère
gardait la porte des enfers chez les Grecs, interdisant la sortie
aux défunts. Considérant ce qui précède, nous pouvons affir­
mer que le chien est le gardien du cercle clos du monde, inter­
disant à ceux qui en sont retenus prisonniers (c'est-à-dire à
ceux qui sont morts aux réalités divines) d'en sortir.
Dans cette perspective, les deux chiens de l'arcane XVIII
sont les Cerbères préposés à la défense des régions interdites
(du Royaume des cieux). Leurs hurlements redoublent donc à
l'approche de l'audacieux qui devra être soutenu par la puis­
sance divine (saisi par le bras de Dieu) s'il veut leur échapper.
En ce sens, ils représentent toutes les pulsions instinctuelles
que l'homme conscientise (symbolisme du chien blanc) ou
non (symbolisme du chien noir) et dont il ne peut se libérer s'il
est livré à lui-même. Plus précisément encore, ils incarnent les
deux pulsions instinctuelles majeures de l'ego: l'instinct de
procréation (le désir sexuel) et l'instinct de conservation
(! 'instinct de survie).
Dans cette perspective, le chien noir est parfois assimilé
au loup incarnant depuis toujours l'instinct de procréation (le
désir sexuel). Chez les Romains, la « louve » était d'ailleurs
associée à la prostituée (« lupa » d'où est venu le mot
«lupanar», la« maison des louves »). De même, dans le conte
du Petit Chaperon Rouge, le loup incarne le désir sexuel du
mâle. Aussi, c'est en ces termes que Perrault commente ce
conte célèbre: « On voit ici que de jeunes enfants, surtout de
jeunes filles, belles, bien faites et gentilles, font très mal
d'écouter toutes sortes de gens, et que ce n'est pas chose
étrange, s'il en est tant que le loup mange. Je dis le loup, car
tous les loups ne sont pas de la même sorte. Il en est d'une

347
l.AWNE

humeur accorte, sans bruit, sans fiel et sans courroux, qui, pri­
vés, complaisants et doux, suivent les jeunes demoiselles jus­
que dans les maisons, jusque dans les ruelles. Mais, hélas ! qui
ne sait que ces loups doucereux, de tous les loups sont les
plus dangereux? ».6
Quant au chien blanc, il s'assimile assez bien au chien
domestique qui, en raison de son rôle de gardien du foyer, in­
carne l'instinct de con ervation. En effet, il aboie contre
l'étranger, cherchant à le faire fuir ou, tout au moins, à préve­
nir son maître de a présence, le protégeant ainsi, lui et les
sien . Dan de nombr u tradition , un chien qui hurle est
donc de tre mauvai augur . n effet, il annonce l'arrivœ de
la mort ou tout au m in la pré cnce d'influences maléfiques.
Au quinzième iècJe, on royait même devoir se boucher les
oreille lor qu'un chien hurlait, pensant que cet aboiement
apportait de mauvai e nouvelles.
Pour mieux ai ir encore le rôle de ces deux chiens, il in­
porte toutefoi de mieux cerner le symbolisme des deux tours.
En effet, associées aux chiens, elles sont de véritables toms de
guet édifiées pour la défense d'une frontière séparant le
monde d'en bas du monde d'en haut. Ainsi, elles permettent
de repérer celui qui tentent de s'introduire dans les sphères
célestes pour le refluer plus aisément dans le cercle clos du
monde, sa geôle et sa prison. En ce sens, elles sont des cons­
tructions humaines semblables à la tour illustrée sur l'arcane
XVI (la Maison-Dieu). Mises en rapport avec la nature hu­
maine, elles incarnent donc, au même titre que la Maison-Dieu,
les certitudes, les dogmes et les croyances érigés en références
absolues (notons ici la présence des quatre créneaux, un
nombre évoquant la stabilité et la solidité). Or si ces tours
permettent de mieux appréhender le reel, elles constitue nt

6- Contes de Perrault, Editions de la Fontaine au Roi, Paris, 1985.

348
LB TAROI': LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

aussi un danger par leurs structures limitatives empêchant


l'aspirant d'accéder à des horizons nouveaux (aux plans cé­
lestes). Plus encore, au même titre que les chiens, l'homme ne
peut se libéra' de leur emprise aliénante sans l'intervention
d'une puissance divine (la foudre illustrée sur la seizième
lame).
Adombré par cette puissance, il pourra cependant passer
sans crainte devant les deux chiens et traverser la frontière
marquée par les deux tours pour ainsi poursuivre sa route sur
un chemin le conduisant vers l'horizon. Or, en tant que lieu de
jonction entte la terre et le ciel, l'horizon fut toujours considé­
ré, sur un plan symbolique, comme un lieu hautement alchimi­
que indiquant à l'aspirant l'objectif à atteindre, c'est-à-dire
l'état de communion plénière entre sa dimension corporelle
(évoquée par la terre) et sa dimension spirituelle (évoquée par
l'esprit), cet état lui permettant alors de participer aux réalités
divines (l'étendue infinie évoquée par l'horizon).
Enfin, le plan inférieur de la lame est constitué essentiel­
lement d'une étendue d'eau au sein de laquelle nage une
écrevisse. Elle évoque un symbolisme proche de celui de
l'océan auquel nous avons brièvement fait allusion dans notre
analyse portant sur la lettre Tsadé. Quant à la végétation
verte, elle représente toujours une purification dont les moda­
lités sont précisées par le symbolisme de l'écrevisse. En effet, à
l'image du poisson, cet animal incarne un état de réalisation
atteint par la grâce. En effet, sa couleur rouge évoque une
capacité à exprimer pleinement les valeurs de l'esprit sur le
plan terrestre. Aussi, à l'instar du poisson, l'écrevisse symbo­
lise l'aspirant qui, pleinement uni aux réalités de l'esprit, les
exprime dans le monde. Il attend alors que la main de Dieu le
saisisse pour l'introduire dans une création nouvelle.
Plus encore, l'écrevisse possède la particularité de rester
cacher sous les pierres toute la journée, ne se déplaçant que la

349
LA LUNE

nuit pour se mettre en quête de nourriture. Sur un plan sym­


bolique, elle représente l'aspirant qui a su se retirer des tumul­
tes du monde extérieur pour mieux se focaliser sur les réalités
de l'esprit. Dans le même ordre d'idées, l'écrevisse affectionne
les cours d'eau se dirigeant vers l'ouest ou vers l'est, car elle
fuit la lumière vive du midi. Ceci évoque assez clairement une
attitude consistant à fuir la lumière aveuglante du monde ex­
térieur pour mieux s'intérioriser et s'ouvrir aux sphères divi­
nes. A ce titre, la solide carapace dont dispose l'écrevisse in­
carne également ce besoin de protection face au monde exté­
rieur. Les deux grosses pinces qu'elle possède peuvent enfin
être interprétées dans la même perspective. Elles évoquent
alors un besoin de se protéger contre l'hostilité de l'environ­
nement.
Soulignons enfin la singulière faculté de 1'6crevisse à se
déplacer en arrière. En effet, si un danger survient, l'animal fait
de rapides bonds en arrière en battant l'eau avec sa queue qui
se replie tandis que la nageoire caudale s'étale largement. Sur
un plan symbolique, ce déplacement à reculons évoque clai­
rement une faculté à retourner vers ses origines (son essence
divine). Enfin, ajoutons qu'en raison du fait qu'elle change
régulièrement de carapace, elle fut très tôt associ6e dans la
symbolique chrétienne au dépouillement du vieil bœllle,
c'est-à-dire à l'affranchissement du cercle clos de l'eg, et de
ses pulsions mortifères. A ce titre, elle était réputée pem chas­
ser les influences ténébreuses (celles-ci n'ayant auci,ae em­
prise sur elle). C'est sans doute pourquoi les anciens considé­
raient qu'elle pouvait mettre en fuite les serpenta (,eux-ci
étant en outre réputés souffrir lorsque le soleil passaltdans Je
signe astrologique du Cancer dont le symbole est �t
une écrevisse). De rrêne, on croyait que l'eau �e
des écrevisses avaient séjourné une semaine pmtffilit les
semences des intempéries.

350
LE TAROI': LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

Interprétation symbolique de l'arcane maléficié


Sous sa fonne maléficiée, l'arcane de la Lune représente
toujours la mSme dynamique. Toutefois, elle n'évoque plus
l'âme se tournant vers l'esprit pour communier avec lui, mais
plutôt l'âme orientée vers le corps et repliée sur sa dimension
extérieure, ayant ainsi plus ou moins perdu contact avec sa
dimension intérieure. L'homme est alors entièrement prison­
nier de sa nature biopsychique. En ce sens, nous avons men­
tionné que la Lune est dotée d'un visage et celui-ci devient,
sous sa fonne maléficiée, un masque qui incarne une fausse
image de soi-même. Correspondant aux exigences et aux
normes du monde, cette image purement artificielle génère
alors une scission importante entre l'âme et sa source pro­
fonde.
Dans le même ordre d'idées, nous savons que la Lune a
des yeux bleus et que cette couleur évoque, sous sa forme
négative, un processus de déconnection vis-à-vis du réel. En
effet, ces yeux bleus symbolisent une tendance à s'éloigner
de plus en plus des choses et des êtres incarnés, la réalité ces­
sant peu à peu d'exister par elle-même, pour faire place à des
concepts nébuleux et chimériques tout à fait arbitraires. A ce
titre, la Lune irradie des rayons de couleur jaune et rouge. Or
la couleur jaune rnaléficiée est celle du faux éclat, celle d e
l'ego qui, investi par !'Esprit du monde, en rayonne les va­
leurs illusoires. Dès lors, le fait que la Lune rayonne une telle
lumière évoque l'âme qui, placée sous le joug de l'ego, en ex­
prime la fausse puissance et la fausse gloire. Quant à la cou­
leur rouge, elle est celle de l'activité destructrice. En ce sens,
les rayons rouges incarnent le pouvoir de destruction de
l'âme, essentiellement tournée vers l'ego.
Quant aux gouttes vertes, jaunes et rouges qui semblent
rem onter en direction de la Lune, elles représentent le pouvoir

351
LAWNE

,
attractif de cette âme qui, unie à 1 ego, déconnecte peu à peu
l'individu des réalités concrètes pour l'introduire dans un
monde nébuleux et chimérique dont les réalités sont purement
factices. Ainsi, « fasciné par Hécate [la Lune maléficiée],
l'homme se détourne du scintillement poétique des étoiles,
pour concentrer son attention sur les contrastes du fallacieux
clair-obscur lunaire. En métaphysique, il se forge des théories
erronnées, ,fondées sur les oppositions irréelles, effets illusoires
d'un jeu d optique mentale: du bien et du mal. de l'Etre et du
Néant, il fait des entités objectives et tombe dans le piège
d'un dualisme fatal à toute appréciation saine de la réalité.
Dupe de contrastes apparents, il imagine la matière dense, so­
lide, lourde et indestructible, alors qu'elle se réduit, en dernière
analyse, à des tourbillons infimes d'une impondérable subs­
tance éthérique. ».7 Ajoutons en outre que les trois , couleurs
de ces gouttes révèlent que cette déconnection s exprime à la
fois au niveau des actes (symbolisés par la couleur rouge), des
sentiments (représentés par la couleur verte) et des pensées
(évoquées par la couleur jaune).
L'arcane met également en scène deux chiens. Dans leur
dimension maléficiée, ils remplissent toujours un rôle de gar­
dien interdisant à l'homme de quitter le cercle clos du monde.
A ce titre, ils symbolisent à nouveau les pulsions instinctuelles
conscientes (symbolisées par le chien blanc) ou inconscientes
(représentées par le chien noir) dont l'homme ne peut se libé­
rer sans une intervention extérieure. Ils représentent égale­
ment l'instinct de conservation (évoqué par le chien blanc) et
celui de procréation (évoqué par le chien noir). C'est
d'ailleurs pourquoi l'Islam considère le chien comme l'être le
plus vil de la création. En effet, s'identifier au chien, un man-

7- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-age, Le Symbolisme


et Emile Nourrey, Paris, 1927.

352
LE TAROT: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

geur de cadavres Oes cadavres représentant les réalités cou­


pées de leur essence divine), c'est s • attacher au monde. Or,
dans la tradition judéo-chrétienne, le chien n • a pas meilleure
réputation. « Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré »8
déclare le Christ à ses apôtres. De même encore, il affirme à
Jean: « Heureux ceux qui lavent leurs robes; ils pourront dis­
poser de l'arbre de Vie, et pénétrer dans la Cité, par les portes.
Dehors, les chiens, les sorciers, les impurs, les assassins, les
idolâtres et tous ceux qui se plaisent à faire le mal ! ». 9 Ainsi, le
chien apparaît comme un animal répugnant et indigne de par­
ticiper aux réalités divines, à l'image des bas instincts qu'il
incarne.
Quant aux deux tours, elles évoquent toujours les certi­
tudes, les dogmes et les croyances érigés en références abso­
lues et auxquels l'ego adhère entièrement. Elles sont donc, en
quelque sorte, un symbole de la société qui, alliée à !'Esprit du
monde, tente de conserver les individus sous sa dépendance.
En effet, au lieu de libérer ses propres enfants, elle cherche au
contraire à les aliéner et à les étouffer, les empêchant ainsi
d'acquérir une maturité et les enfermant dans des formes arti­
ficielles qui leur sont ontologiquement étrangères. En ce sens,
elle correspond à la mère castratrice et dévoratrice qui annihile
tout pouvoir d'accomplissement pour ainsi mieux asservir ses
enfants à son pouvoir débilitant.
Dès lors, placé entre ces deux tours et face à ces deux
chiens, l'individu est incapable de poursuivre sa route.
L'horizon vers lequel se dirige le sentier symbolisant l'état de
communion plénière entre la dimension corporelle (évoquée
par la terre) et la dimension spirituelle (évoquée par l'esprit),
lui demeure donc totalement inacessible. Pour tenter de mini-
8- Matthieu VI, 6.
9- Apocalypse XXII, 14-15.

353
LA LUNE

miser cet échec, il se persuade alors que l'horizon n'est qu'un


rêve, une illusion n'ayant aucun fondement réel alors que
c'est le monde dans lequel il vit qui est une pure chimère.
Enfin, l'étendue d'eau au sein de laquelle nage une
écrevisse représente la création encore plongée dans les ténè­
bres où l'homme, placé au service de l 'Esprit du monde, se
complaît et s'épanouit. A ce titre, nous savons que l'écrevisse
fuit la lumière vive du midi. Or ceci évoque clairement un refus
de se mettre à l'écoute des impulsions spirituelles (la lumière
du midi). Dans cette perspective, sa solide carapace représente
également la fermeture de l'individu (son état de cristallisa­
tion) face aux réalités de l'esprit. Plus précisément encore, elle
est l'incarnation d'un sens excessif de l'autoprotection qui
l'incite à se refermer sur lui-même sans vouloir s'affranchir de
ses propres limites. Ajoutons que l'écrevisse est rouge et cette
couleur évoque, sous sa fonne maléficiée, une extériorisation
excessive: toutes les valeurs intérieures étant rejetées au profit
d'un investissement toujours plus important dans le monde.
Cette assertion corrobore nos propos précédents.
Enfin, nous avons vu que l'écrevisse présente la singu­
lière faculté de se déplacer très rapidement en arrière à la
moindre alerte. Sous sa fonne maléficiée, ce comportement
évoque une tendance à se réfugier dans des valeurs anciennes
(celles du« vieil homme»), pour ainsi s'y cantonner (au risque
de s'y cristalliser), refusant alors catégoriquement de s'ouvrir
aux valeurs nouvelles (à celles de l'esprit). En ce sens, les
deux grosses pinces de l'animal représentent un refus de lâ­
cher prise (l'individu s'obstinant aveuglément à se nourrir des
valeurs malsaines que lui propose le monde).

354
1B TAROT: LES VINGr-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LAME XVIIII
LE SOLEIL

La lettre hébraïque: Qôf.


La valeur numérique: 19.
Les éléments symboliques: Un Soleil resplendissant dont les
rayons éclairent et adombrent un couple étroitement uni.
La dimension herméneutique: Développer un pouvoir de
pénétration spirituelle (symbolisé par la lumière) réconciliant la
dimension extérieure et la dimension intérieure (symbolisme
du couple uni).
La dimension anagogique: Atteindre l'illumination en tant
que révélation tangible et manifeste de la présence divine au
sein de la création.
L'injonction: Exprimer l'amour et le rayonner pleinement.
Les éléments à développer: L'authenticité, la sincérité et la
JOle.

355
LE SOLEIL

Le Soleil

356
IJ! TAROI': lF.S VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETTRE QOF
Du point de vue kabbalistique, le Soleil correspond à la
dix-ne uvième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre Qôf, issue
d'un ancien idéogramme représentant une hache. Or, parce
qu'elle fend l'écorce de l'arbre pour découvrir le bois et le met­
tre à nu, la hache devint très tôt un symbole de la pénétration
spirituelle pennettant à l'aspirant d'accéder jusqu'au coeur
des choses, lui révélant ainsi l'essence divine qui les anime. A
ce titre, la tradition maçonnique a repris l'image d'une hache
plantée au sommet d'une pyramide ou d'une pierre cubique.
Elle illustre alors l'acte suprême d,� l'initiation consistant à
pénétrer à l'intérieur de la matière (symbolisée par la pierre
cubique ou la pyramide) pour y découvrir le trésor qu'elle
abrite: l'esprit.
Par ailleurs, le mot qoph signifie « singe » en hébreu et
le singe incarne, sur un plan symbolique, la sagesse issue
d'une capacité à placer ses facultés mentales dans une dispo­
sition d'accueil et d'écoute face aux impulsions de l'esprit.
En ce sens, si Thôt (le dieu de la Sagesse) était représenté en
E gypte pharaonique avec une tête d'ibis, il était aussi souvent
personnifié par un vieux babouin blanc. Cette association
entre la sagesse et le singe provenait alors sans doute du fait
que certaines espèces de singes, et notamment les babouins,
ont l'habitude de se rassembler chaque matin, un peu avant le
lever du jour, pour acclamer bruyamment les premiers rayons
du Soleil. Ils incarnent alors une attitude de reconnaissance et
d'accueil vis-à-vis de la divinité (symbolisée par le Soleil) à
laquelle ils rendent témoignage.
Ainsi, la lettre Qôf évoque un processus de pénétration
spirituelle permettant d'accéder au coeur de la réalité afin de
contempler l'essence divine dans toute sa plénitude.

357
LE SOLEll..

LE NOMBRE 19

D'un point de vue numérologique, la lame du Soleil est


associée au nombre 19. Or, selon la tradition hennétique, ce
nombre évoque fondamentalement l'expression du principe
originel (le nombre 1) pleinement incarné et manifesté au sein
d'une réalité matérielle à l'image de son Créateur (le nombre
9). A ce titre d'ailleurs, il est intéressant de souligner que le
nombre 19 est la somme des douze signes du zodiaque et des
sept planètes de l'astrologie traditionnelle. Or, les douze si­
gnes sont une représentation du monde créé confonnément à
la volonté du Créateur. Ils constituent donc une véritable ma­
trice par laquelle Dieu se manifeste au sein du monde pour le
féconder et lui apporter la vie. Quant aux sept planètes, elles
représentent les sept modes d'expression dynamique de
l'esprit au sein de l'univers créé.
C'est à ces sept modes d'expression spirituelle que
saint Jean fait allusion lorsqu'il parle des sept esprits devant le
trône: « Du trône partent des éclairs, des voix et des tonnerres,
et sept lampes de feu brûlent devant lui, les sept Esprits de
Dieu ».1 Ainsi, nous retrouvons le symbolisme du nombre 19
en tant qu'expression du principe originel (les sept planètes)
au sein d'une réalité parfaite, à l'image de son Créateur (les
douze signes zodiacaux). Ajoutons, en outre, que le nombre
19 est une incarnation du nombre 1 puisqu'il se réduit, selon
le procédé de réduction théosophique, à ce nombre (1 + 9 =
10 et 10 = 1 + 0 = 1). Il contient donc implicitement une no­
tion d'unité. En effet, il s'agit de l'unité existant entre Je
monde visible et le monde invisible, le monde extérieur et Je
monde intérieur, le corps et l'esprit, le premier n'étant que la
coagulation ou l'expression concrète et visible du second.
1- Apocalypse IV, 5.

358
LE TAROI': I..S VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LE NOM
Selon le dictionnaire, le Soleil désigne « l'étoile autour
de laquelle gravite la terre ».2 En ce sens, il a toujours été per­
çu par la majorité des traditions initiatiques et religieuses
comme la représentation même de la divinité et la tradition
jud éo-chr6tienne n'y fait pas exception puisque Yahvé lui­
nime est perçu comme étant le « Soleil de Justice ». 3 En tant
qu'incarnation de l'Esprit invisible, il fut également.associé au
Christ qui, dès le troisième siècle, fut appelé par les Pères de
l'Eglise,4 « Sol lustitiae » (le Soleil de Justice) ou encore Sol
/nvictus (Soleil Invincible). Philothée le Sinaïte l'identifie
nime, quant à lui, au Soleil de Vérité. Aussi, une antienne de
Noël, datant du quatrième siècle, s'adresse au Christ en ces
tennes: « 0 Sol oriens » (« 0 Soleil levant»). En outre, les
églises chrétiennes étaient toujours orientées de telle manière
que le prêtre célébrait sa messe face au Soleil levant.
A ce titre, si la Lune représente la dimension psychique
(c'est-dire l'âme), le Soleil incarne, pour sa part, la dimension
divine (c'est-à-dire l'esprit). En effet, bon nombre de corréla­
tions peuvent être faites entre le Soleil et l'esprit. A titre
d'exemple, parce qu'il renaît chaque matin, il évoque l'immor­
talité comme l'esprit qui est immuable et éternel. En outre,
parce qu'il apporte à la Terre la lumière et la chaleur, on
l'associe également à l'esprit qui illumine le corps et lui con­
fère la vie. Enfin il est au centre du ciel comme l'esprit est au
centre de l'être.

2- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.


3- Titre du psaume 19 (18).
4- Grégoire de Naziance et Origène notamment.

359
LE SOLEIL

LE SOLEIL

Description de la lame

Cet arcane met en scène un Soleil dont les rayons (au


nombre de vingt-quatre) sont figurés alternativement sous
une forme rectiligne (associée à la couleur rouge) et ondulée
(associée à la couleur jaune). Au-dessous de cet astre, un
jeune homme et une jeune femme se tiennent enlacés, debouts
devant un mur dont les pierres régulières sont taillées en
équerre.
En outre, ce couple est au centre d'un cercle de ver­
dure émaillé de fleurs et semble dans un état de profonde
communion. Enfin, des gouttelettes, au nombre de dix-neuf
émergent vraisemblablement du Soleil et se dirigent vers le
couple enlacé.

Interprétation symbolique de l'arcane

Sur un plan symbolique, nous venons d'affirmer que le


Soleil fut toujours perçu, en tant que source de la lumière et de
la vie, comme une expression concrète de la divinité au sein
de la création. C'est pourquoi plusieurs traditions anciennes
instituèrent leurs fêtes religieuses en corrélation avec sa nm­
che dans le ciel. Ainsi, la fête de Pâques, célébrant la résumc­
tion du Christ, correspond à l'équinoxe du printemps, le mo-,
ment où les forces de la lumière (du jour) prennent le pas•
les forces des ténèbres (de la nuit). De même, la fête de Nol,
célébrant la naissance du Christ venu sauver l'humanité, cor�
respond au solstice d'hiver, le moment à partir duquel les
ces des ténèbres (de la nuit) commencent à reculer face
forces de la lumière (du jour).

360
LE TAROI': LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

Quant à l'arcane du Soleil, il évoque plus précisément


une expérience d'illumination en tant que révélation tangible
et manifeste de la présence de Dieu au sein de la création. Or
cette révélation revêt une fonne privilégiée, celle de l'amour.
En effet, tous les éléments symboliques de cet arcane s' articu­
lent autour de cette idée et ne font que la confinner. Ainsi, si
nous analysons l'image du Soleil, nous constatons qu'il évo­
que d'abord le rayonnement lumineux permettant aux choses
d'être perceptibles dans toute leur vérité. Oswald Wirth écrit à
ce propos: « il ne s'agit plus ici d'une clarté trompeuse,
comme celle de la Lune, qui se prête aux méprises et ne permet
pas de distinguer les objets en toute certitude. Le Soleil révèle
la réalité des choses qu'il montre telle qu'elles sont, dé­
pouillées du voile de toute illusion. Devant lui le brouillard se
dissipe et les fantômes s'évanouissent. ».5 Il s'agit évidem­
ment d'aspect précis de l'illumination en tant que révélation
de la vérité.
A propos des rayons émanant du Soleil, nous constatons
plus précisément qu'ils sont figurés alternativement sous une
fonne rectiligne et sous une forme ondulée, à l'image de
l'ostensoir des Eglises chrétiennes contenant le corps du
Christ, cet autre Soleil. Or, nous savons que la ligne droite
évoque la dimension masculine, active et émissive, incarnant
un mouvement d'extériorisation. La ligne courbe incarne,
quant à elle, la dimension féminine, passive et réceptive, asso­
ciée au processus d'intériorisation. Dès lors, le Soleil de
l'arcane XVIIII symbolise le pouvoir de pénétration spirituelle
par lequel l'aspirant réconcilie la dimension extérieure
(matérielle ou corporelle) et la dimension intérieure (ou spiri-

5- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, Le Symbolisme


et Emile Nourrey, Paris, 1927.

361
LE OLEIL

tuelle), la première con tituant en quelque sorte l'icône sacrée


de la econde.
A ce titre d'ailleur , il est remarquable de constater que
cette répétition alternée de lignes droites et de Jignes courbes
forme le mot ISIS. Or Isis fut adorée, en Egypte antique,
comme la déesse suprême et universelle: « Je suis la mère et la
nature toute entière, maîtresse de tous les éléments, origine et
principe des siècles, divinité suprême, reine des mânes, pre­
mière entre les habitants du ciel, type unique des dieux et des
déesses. Les sommets lumineux du ciel, les souffles salutaires
de la mer, les silences désolés des enfers, c'est moi qui gou­
verne tout au gré de ma volonté ». 6 Plus encore, dans les éco­
les des Mystères des premiers siècles de notre ère, elle était
considérée comme l'initiatrice, c'est-à-dire celle qui infuse à
l'aspirant le pouvoir de pénétration spirituelle, lui révélant le
secret de la vie, de la mort et de la résurrection. Il n'est donc
pas im pensable qu'Oswald Wirth ait voulu la faire figurer dis­
crètement sur cette lame.
Toujours à propos des rayons, notons qu'ils sont égale­
ment alternativement rouges et jaunes nous indiquant ainsi
que le processus d'illumination incarné par le Soleil vivifie
l'homme (symbolisme de la couleur rouge, couleur du sang) et
l'illumine (ce qu'évoque la couleur jaune, couleur de la lu­
mière). Etant au nombre de vingt-quatre (douze rayons recti­
lignes et douze rayons ondulés), ils représentent évidemment
l'expre ion plénière de la réalité. En effet, le nombre douze
est le nombre par excellence de la manifestation. Pensons, à
titre d'exemple, à la Jéru alem céleste décrite dans l'Apoca­
lypse. n effet, cette ville« e t munie d'un rempart de grande
hauteur pourvu de douze portes prè desquelles il y a douze

6- Po cmer G , (en collaboration avec Serge Sauncron et Jea


Yoyotte , Dict1onna1re de la civll,sation lgyptienne, Pari , 1959.

362
LE TARITT: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

Ang es ... ». 7 Pensons aussi aux douze signes constituant le


zodiaque. Ils illustrent également, sous une fonne archétypale,
l'ensemble des modalités permettant l'expression de l'esprit
dans l'univers. Dès lors, le nombre 24, en tant que doublement
du nombre 12, évoque une double plénitude au niveau de
l'expression: celle du monde visible (symbolisé par les rayons
rectilignes) et celle du monde invisible (représenté par les
rayons ondulés).
Toutefois, c'est certainement au niveau du couple enlacé
au centre d'un cercle de fleurs que cette notion de commu­
nion trouve sa plus belle expression. Nous ne reviendrons pas
sur le symbolisme de la dimension masculine et sur celui de la
dimension féminine largement étudiés précédemment. Notons
simplement que le jeune homme porte un pagne rouge, une
couleur masculine (c'est-à-dire exothermique et centrifuge)
invitant à l'extériorisation, alors que la jeune femme porte un
pagne bleu, une couleur féminine (c'est-à-dire endothermique
et centripète) invitant à l'intériorisation. Ajoutons en outre
qu'ils ont le torse et les jambes nus. Sachant que le torse évo­
que la dimension psychique (l'âme) et les jambes la dimension
corporelle (le corps), ceci nous révèle que l'âme et le corps de
ces deux personnages sont totalement réceptifs aux impul­
sions divines (évoquées par les rayons solaires): il n'y a donc
plus de forces obscures qui y font obstacle. Dans la même
perspective, ils ont tous deux les cheveux blonds soulignant
ainsi que l'esprit (évoqué par la tête) est pleinement illumin6
sous l'action vivificatrice des impulsions divines, rayonn
désormais sa lumière dans le monde (symbolisme des cheveux
blonds).
Toutefois, comme le note Oswald Wirth, • le Soleil
contente pas d'illuminer les esprits et de vivifier les COtpS ---..i·'l.'ti'

7- Apocalypse XXI, 12.

363
LE SOLEIL

en réchauffant les âmes, car il est de surcroît le distributeur des


suprêmes richesses. Une fine pluie d'or ne cesse de tomber sur
le couple fraternel du jardin pacifique. ». 8 Ces goutttes d'or
incarnent évidemment les multiples grâces accompagnant le
processus d'illumination auquel préside la divinité (le Soleil).
Au nombre de 19 (un nombre incarnant l'expression du prin­
cipe originel pleinement manifesté au sein d'une réalité maté­
rielle conforme à l'image de son Créateur), elles nous précisent
en outre que ces grâces sont exprimées dans toute leur pléni­
tude.
Par ailleurs, ce couple est tendrement enlacé et forme une
structure fermée. Or si nous considérons la femme comme la
personnification de la dimension passive et réceptive, associée
au processus d'intériorisation, et l'homme comme l'incar­
nation de la dimension active et émissive, associée au proces­
sus d'extériorisation, cette posture nous rappelle une idée
déjà évoquée précédemment: celle de la réconciliation de la
dimension extérieure (l'homme) et de la dimension intérieure
(la femme), la première constituant en quelque sorte l'icône
sacrée de la seconde. Plus encore, la femme pose sa main
droite à la base du dos de l'homme: elle se fait donc émettrice,
soutenant l'homme dans sa capacité à s'exprimer (symbolisme
du dos). L'homme, quant à lui, place sa main gauche à la base
du dos de la femme, révélant ainsi qu'il se fait récepteur, pui­
sant ses ressources à ce niveau. En conséquence, nous pou­
vons en déduire que l'homme s'exprime grâce à la femme. En
d'autres termes, la dimension extérieure est issue de la dimen­
sion intérieure qui lui donne vie et soutient son existence.
A un autre niveau, ce couple enlacé nous rappelle éga­
lement que le pouvoir de pénétration spirituelle permettant de
percevoir l'essence d'un être ou d'une chose à travers son

8- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-dge. op. cit.

364
LE TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

apparence, jaillit de l'amour que chacun des conJomts


éprouve l'un pour l'autre. En effet, sous le rayon de l'amour,
l'aspirant perçoit dorénavant la divinité en cultivant une atti­
tude d'accueil et de don face à l'autre (l'aspirant, affranchi du
cercle clos de son ego, ne perçoit plus l'autre à travers la grille
restrictive de son entendement). A ce titre, il est intéressant de
noter qu'en hébreu le verbe yada signifiant « connaître » si­
gnifie également « aimer ».9 Ainsi, la véritable connaissance
est issue d'une pulsion amoureuse.
De plus, ce couple se tient au centre d'un cercle, une fi­
gure qui, en raison de son absence de distinction ou de divi­
sion (il n'a ni commencement ni fin), est traditionnellement
associée à l'unité. Ainsi, cette notion de communion entre les
époux (l'amour) est explicite. Elle entraîne d'ailleurs une véri­
table régénération comme l'illustre éloquemment le cercle de
verdure émaillé de fleurs. En effet, en ayant éveillé ce pouvoir
de pénétration spirituelle, l'aspirant découvre alors que la
création toute entière est l'expression même de la divinité.
1
Dès lors, il entretient avec les êtres et les choses un rapport
sacré qui favorise la transfiguration du monde, révélant toutes

9- C'est en ce sens que l'Ancien Testament rapporte fréquemment que


deux êtres se sont connus pour signifier qu'ils se sont aimés. Ainsi, le
livre de la Genèse déclare « l'homme connut Eve, sa femme» (Genèse
IV, 1). De même encore, il est écrit à propos de Judith « Beaucoup la
demandèrent en mariage, mais elle ne connut point d'homme tous les
jours de sa vie depuis que son mari Manassé était mort et avait été réuni
à son peuple» (Judith XVI, 22). Dans le Nouveau Testament, rédigé
pourtant en grec, le terme «connaître» a été conservé au sujet de Ma­
rie. Ainsi, aux paroles de l 'Archange Gabriel sur sa conception pro­
chaine, Marie lui répond: «Comment cela sera-t-il puisque je ne con­
nais pas d'homme?» (Luc I, 34). Quant à Joseph, il prit chez lui Marie
« et il ne la connut pas jusqu'au jour où elle enfanta un fils, et il
l'appela du nom de Jésus » (Matthieu I, 25).

365
LE SOLEIL

les richesses (symbolisées par les fleurs) maintenues aupara­


vant dans leur état de potentialités.
Enfin, soulignons la présence d'un mur dont les pierres
régulières sont taillées en équerre. Sur un plan symbolique, il
rappelle, en raison de sa solidité, que l'aspirant ne doit pas
chercher l'illumination sans qu'il ne se soit préalablement
pleinement incarné dans le monde d'en bas, ayant su maîtriser
sa dimension corporelle et développer harmonieusement tou­
tes les ressources qu'elle recèle. A un autre niveau, il évoque
également une capacité à s'extraire de l'influence perverse
des forces régressives du monde. En effet, ce mur fait barrage
aux forces perverses issues du monde d'en bas (le monde de
l'horizontalité) tout en laissant la voie complètement libre à la
réception des forces célestes issues du monde d'en haut (le
mur n'a pas de toit). A ce titre, il est constitué de cinq rangées
de pierres. Or le nombre 5 incarne précisément la force de rec­
tification par laquelle l'aspirant peut harmoniser chaque fa­
cette de son être à la grâce céleste. Ainsi, Oswald Wirth écrit:
« Que chacun de nous commence par se régénérer lui-même,
avant de rêver de régénération sociale et humanitaire. Tant
que les pierres ne sont pas taillées d'équerre, aucun mur solide
ne saurait se construire. Or, avant d'édifier le grand Temple où
communieront tous les humains, il nous faut ériger les remparts
contre la barbarie restée brutale et rebelle à la fraternité.
L'élite que représentent les Enfants du Soleil ne peut fraterni­
ser qu'à l'abri d'une enceinte maçonnée... ».10
Ajoutons que cette capacité à faire obstacle aux forces
perverses issues du monde d'en bas consiste en fait à extério­
riser (symbolisme des briques rouges) et à rayonner
(symbolisme des briques jaunes) dans le monde, c'est-à-dire à
rendre tangible (les briques rouges et jaunes forment trois

10- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-dge, op. cit.

366
LE TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

rangées, le nombre 3 incarnant le processus de concrétisation),


la foi (évoquée par les briques de couleur bleue) qui favorise
une union avec les réalités de l'esprit (les briques bleues for­
ment deux rangées, le nombre 2 incarnant l'union et la récon­
ciliation).

Interprétation symbolique de l'arcane maléficié


Si le Soleil fut toujours perçu dans les traditions ancien­
nes comme une expression visible de Dieu, il devient, sous sa
forme négative, une personnification du faux-dieu, ce Soleil
de l'ego qui rayonne d'un faux éclat. Il n'est donc plus une
source de lumière mais une source de ténèbres, amenant
l'individu à considérer 1 'illusoire et l'éphémère comme des
certitudes qui lui masquent alors toute réalité essentielle. Dès
lors, ce Soleil maléfique n'évoque plus l'illumination (en tant
que révélation tangible et manifeste de la présence de Dieu au
sein de la création), mais représente, au contraire, l'illusion. Il
n'est donc plus une source de vision (en tant que pouvoir de
pénétration spirituelle permettant à l'aspirant d'aller au coeur
de toute réalité, à l'essence même des choses), mais il suscite
des visions au sens péjoratif du terme, l'individu se croyant
investi par les forces divines alors qu'il ne perçoit du monde
qui l'entoure qu'un aspect purement factice.
Sachant que l'amour est la manifestation par excellence
de la lumière divine, ces illusions trouveront un terrain d'ex­
pression privilégié en ce domaine: l'individu « amoureux » se
forgeant une image de l'autre ou des autres ne correspondant
pas à la réalité. Nous y reviendrons en étudiant le couple illus­
tré sur l'arcane. Quoiqu'il en soit, nous pouvons déjà souli­
gner que ces visions s'apparentent de manière éloquente aux
mirages qui, issus de l'action du Soleil sur un sol plat et déser­
tique, conduisent le malheureux, qui se laisse prendre à ces

367
LE SOLEIL

curieux effets d'optique, à sa propre perte. Ajoutons en outre


que ces illusions sont d'autant plus dangereuses qu'elle ne
constituent pas de véritables mensonges. En effet, elles asso­
cient de manière inextricable la vérité et le mensonge à la ma­
nière du mirage à travers lequel l'oeil de l'observateur voit
non seulement des objets existant réellement, mais également
une image virtuelle de ceux-ci tout à fait analogue à celle qui
se refléterait dans un gigantesque miroir déformant. Dans
cette perspective, les rayons du Soleil, alternativement figurés
sous une forme rectiligne et ondulée, évoquent ce mélange de
vrai (incarné par les rayons rectilignes symbolisant la vérité
dans toute sa droiture) et de faux (symbolisé par les rayons
ondulés représentant une vérité faussée ou tordue).
A un autre niveau, ces illusions sont également dange­
reuses dans la mesure où elles confondent de manière inextri­
cable les réalités incarnées (relevant du monde visible) et cel­
les qui ne le sont pas (appartenant au monde invisible). En ce
sens, l'alternance des rayons droits et ondulés ne symbolise
plus la réconciliation ou la communion entre la dimension ex­
térieure (ce qui est visible) et la dimension intérieure (ce qui
est invisible) mais, au contraire, la confusion d'une conscience
qui prend non seulement ses illusions pour des réalités, mais
qui doute également de la réalité d'une chose pourtant bel et
bien incarnée.
A ce titre d'ailleurs, nous avons vu que les rayons solai­
res sont au nombre de vingt-quatre: douze rayons rectilignes
et douze rayons ondulés. Or si le nombre 12 évoque, sous son
aspect positif, l'expression plénière d'une réalité, il représente,
sous sa forme maléficiée, son incapacité à s'exprimer confor­
mément à sa véritable nature. Dès lors, le nombre 24, en tant
que doublement du nombre 12, incarne une incapacité de
s'exprimer pleinement dans le monde visible (symbolisé par
les rayons rectilignes) et dans le monde invisible (représenté

368
LI! TAROf: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

par les rayons ondulés). De plus, si les rayons sont alternati­


veme nt rouges et jaunes, c'est pour indiquer que cette illusion
incarnée par le Soleil maléficié favorise en l'homme une exté­
riorisation excessive l'éloignant toujours plus de la réalité au­
thentique et véritable (symbolisme de la couleur rouge maléfi­
ciée) et une inflation de son ego (évoquée par la couleur
jaune maléficiée ).
Quant au couple se tenant enlacé au centre d'un cercle
de verdure émaillé de fleurs, il reprend et récapitule tous les
éléments précédents. En effet, si le couple enlacé évoque une
expérience de communion entre la dimension extérieure
(symbolisée par le jeune homme) et la dimension intérieure
(représentée par la jeune femme), il devient, sous sa forme ma­
léficiée, l'emblème d'une confusion où s'entremêlent ces
deux dimensions de manière chaotique et désordonnée. Ajou­
tons que leur torse et leur jambes nus nous révèlent alors que
leur dimension psychique (l'âme) et leur dimension corporelle
Oe corps) sont totalement illusionnées par l'Esprit du monde
Oe Soleil). Dans la même perspective, ils ont tous deux les
cheveux blonds soulignant ainsi que leur ego (évoqué par la
tête) est pleinement épanoui sous l'action vivificatrice des
impulsions de cet Esprit du Monde, rayonnant désormais sa
fallacieuse lumière (symbolisme des cheveux blonds) sur le
monde. Quant aux gouttes d'or, elles incarnent évidemment
tous les plaisirs éphémères et illusoires que l'Esprit du monde
distribuent à ceux qui lui sont soumis.
Par ailleurs, ce couple est étroitement enlacé et la femme
qui pose sa main droite à la base du dos de l'homme nous in­
dique que la dimension intérieure nourrit désormais la dimen­
sion extérieure des valeurs fallacieuses et perverses de l'ego
face auxquelles elle se montre totalement réceptive, déformant
ainsi sa capacité à être et à se manifester (symbolisme du dos).
Quant à l'homme qui place sa main gauche à la base du dos

369
-
LE SOLEIL

de la femrre, il évoque une dimen ion extérieure, totalement


empreinte de valeur du monde et cherchant à s'approprier
le re ource dont la dimen ion intérieure dispose (il la vam­
piri e en quelque sorte) pour satisfaire ses propres besoins.
A un autre niveau, ce couple évoque également de ma­
nière admirable le faux amour provoquant cette ivresse qui
fait croire à la femme qu'elle a enfin rencontré son prince
charmant ou à l'homme qu'il a rencontré sa Belle au bois
dormant. Au même titre que toute illusion, ce faux amour où
chacun des partenaires projette sur l'autre l'image idéale (mais
purement égocentrique) de l'être aimé, fait qu'ils demeurent
totalement aveugles à ce que l'autre est véritablement. Au
sein d'un tel couple, chaque conjoint tend donc à chosifier
l'autre et à le considérer comme un simple objet susceptible de
satisfaire ses propres besoins. La posture adoptée par le cou­
ple révèle ici une tentative d'appropriation de l'autre, chacun
essayant de tirer les choses de son côté. Comme un mirage, cet
amour-illusion finit cependant par disparaître, laissant dans un
désespoir profond ceux qui s'y sont laissé prendre.
De plus, le cercle où se tient le couple ne représente plus
l'unité, mais illustre, au contraire, une expérience d'enferme­
ment dans un monde totalement déconnecté de la réalité et
parfaitement chimérique. Les fleurs émaillant ce cercle de­
viennent, quant à eUe , des fleur artificielles symbolisant les
attraits édui ants, mai purement illu oire , du monde dans
lequel l'individu 'enferme. En effet, il faut bien comprendre
ici que ce monde e t dangereux dan la mesure où il est ni vrai
ni faux, mêlant la réalité terre tre avec celle des plans subtils. D
e t au i dangereux dan la mesure où il fait miroiter bien des
merveille à l'image même du mirage promettant au marcheur
a oiffé un oa i de fraîcheur 'il veut bien faire quelques p
encore. Mais à me ure que celui-ci s'avance, l'
'éloigne ... Ain i, ce illu ion paraissent bien ouvcnt

370
LE TAROf: lES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

une fonne chatoyante et éblouissante et ce, d'autant plus


qu'elles concordent avec les penchants et les désirs les plus
intimes de l'ego. C'est alors l'ivresse qui fait entrevoir des
éléphants roses et laisse un goût amer...
Enfin, nous avons mentionné l'existence d'un mur de
pierres présent sur cet arcane. Sous sa forme maléficiée, il évo­
que tout d'abord l'enfermement dans lequel sombre
l'individu qui, persuadé de la véracité des visions dont il fait
l'objet, se déconnecte du plan terrestre et des réalités qui lui
sont inhérentes. Il représente alors l'isolement de cet individu
qui se retrouve entre deux mondes (le monde d'en haut et le
monde d'en bas) sans appartenir véritablement ni à l'un ni à
l'autre. En fait, ce mur illustre de manière éloquente l'impasse
dans lequel il se retrouve, victime de son monde illusoire. A ce
titre il est constitué de cinq rangées de briques. Or le nombre 5
maléficié incarne précisément l'incapacité de s'harmoniser.
Cette incapacité est d'ailleurs nourrie et entretenue par
une inclination à ne percevoir le monde que sous ses dimen­
sions purement extérieures (symbolisme des briques rouges),
étant en cela guidé par l'éclairage fallacieux de l'ego
(symbolisme des briques jaunes). Ceci maintient évidemment
toute réalité dans un état d'inaccomplissement et de médiocri­
té (symbolisme du nombre 3 évoqué par les briques rouges et
jaunes formant trois rangées). C'est alors la plus totale illu­
sion. En effet, l'individu étant totalement déconnecté de la
réalité authentique et véritable (symbolisme des briques de
couleur bleue), se dissocie alors des sphères de l'esprit
(symbolisme du nombre 2 évoqué par les briques bleues for­
mant deux rangées).

371
LE TAROI': LES VINGl'-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LAME XX
LE JUGEMENT

La lettre hébraïque: Reish.


La valeur numérique: 20.
Les éléments symboliques: Dans la partie inférieure de la
lame, une femme et un homme entourent un jeune enfant sor­
tant d'un tombeau. Dans la partie supérieure, un ange joue de
la trompette.
La dimension herméneutique: Exprimer une conscience
nouvelle (symbolisée par l'enfant nu sortant du tombeau),
issue de l'union des dimensions extérieure et intérieure de
l'être (représentées par le couple en prière).
La dimension anagogique: Entendre l'appel du divin et se
placer à son service.
L'injonction: S'éveiller et s'ouvrir aux réalités de l'esprit.
Les éléments à développer: La capacité à pardonner, le re­
pentir et le sens de la rénovation.

373
LE JUGEMENT

Le Jugement

374
LB TAR.Of: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETTRE REISH
D'un point de vue kabbalistique, le Jugement corres­
pond à la vingtième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre Reish,
issue d'un ancien idéogramme représentant une tête (vue de
profil). Or la tête est le principal siège de l'activité sensorielle:
les yeux (en rapport avec la vue), les oreilles (en rapport avec
l'ouïe), le nez (en rapport avec l'odorat) et la bouche (en rap­
port avec le goût mais aussi le toucher) se localisent en effet à
ce niveau. En outre, abritant le cerveau, elle est également le
siège de la pensée. Ainsi, en raison de sa capacité à recevoir
les impressions sensorielles issues de l'environnement immé­
diat et à procéder à leur interprétation, la tête représente la
conscience en tant que faculté de connaître sa propre réalité
et celle du monde qui l'entoure.
Toutefois, la tradition initiatique nous précise que cette
faculté ne peut véritablement s'exercer que dans la mesure où
l'aspirant se fait pauvre et qu'il «vide» sa tête, devenant ainsi
« libre de toutes les images étrangères, aussi disponible
qu'av ant sa naissance ». 1 D'ailleurs, tous les grands mystiques
ont insisté sur la nécessité d'établir un tel état intérieur de va­
cuité et de disponibilité pour pouvoir ainsi accéder aux véri­
tables réalités de l'être, les forces dynamiques émanée de
!'Esprit pouvant alors agir pleinement sur la conscience,
amorçant ainsi un puissant processus de régénération.
Dans cette perspective, la lettre Reish désigne la con­
science de l'être illuminé (celle de l'homme nouveau) qui a su
se faire pauvre et s'ouvrir à la puissance divine, pénétrant ain­
si dans un nouvel ordre des choses.

1- Maître Eckhart, Traités et Sermons, Traduction de Alain de Libera,


GF- Flammarion, Paris, 1993.

375
LE JUGEMENf

LENOMBRE20

D'un point de vue numérologique, la lame du Juge­


ment est associée au nombre 20. Or ce nombre évoque fon­
damentalement une puissance d'unification (le nombre 2)
pleinement incarnée et effective sur le plan matériel
(correspondant au plan des dizaines). En considérant ce nom­
bre dans son rapport avec la lettre Reish, nous pouvons éga­
lement ajouter que l'union dont il s'agit s'inscrit dans une
dimension de rénovation. De nombreuses illustrations bibli­
ques sont d'ailleurs éloquentes à ce niveau. A titre d'exemple,
le livre des Chroniques nous rapporte qu'au « bout des vingt
années pendant lesquelles Salomon construisit le Temple de
Yahvé et son propre palais, il restaura les villes que lui avait
données Ruram et y établit les Israélites. Puis il alla à Ramat de
Çoba, dont il se rendit maître; il restaura Tadmor dans le désert
et toutes les villes-entrepôts qu'il avait édifiées dans le pays
de Ramat. Il restaura Bet-Hôron-le-Raut et Bet-Rôron-le-Bas,
villes fortifiées, munies de murs, de portes et de barres, ainsi
que Baalat... ». 2
Or cet épisode met bien en exergue la notion de réno­
vation associée au nombre 20. En outre, en tant que lieu de
sédentarisation, la ville représente symboliquement le plan
matériel en tant que substrat d'incarnation permettant à la
conscience de s'ancrer pleinement au sein de la création. Dès
lors, la rénovation des villes en vue de permettre aux Israélis­
tes de s'y établir illustre un processus de régénération du plan
matériel permettant l'amorce d'un nouvel ordre des choses
(celui instauré par Dieu) et symbolisé ici par l'établissement
des Israélites (le peuple choisi de Dieu).

2- 2 Chroniques VIII, 1-6.

376
TAllOf: IFS VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LE NOM
D'apœs le dictionnaire, le mot « jugement » désigne
une « opinion, une appréciation, une décision ou une sen­
tence émanant d'un tribunal ». 3 Or il existe, dans la plupart
des traditions religieuses, une croyance en l'existence d'un
jugement post-mortem. Ce jugement, prononcé par des divini­
tés gén6ralement équitables, vigilantes et miséricordieuses,
demeure toutefois source de crainte pour tous les hommes,
leur devenir 6tant alors déterminé de manière définitive. Dans
la tradition judéo-chrétienne, il en est de même puisqu'au jour
du « jugement universel », chaque homme devra rendre des
comptes à Dieu.
En outre, ce sera pour certains un jour de colère alors
que d'autres connaîtront une félicité sans borne. C'est le
Christ, à qui le Père « a remis tout jugement » ,4 qui jugera alors
les hommes de toutes les nations, tous étant appelés, selon
leurs oeuvres et leur foi, à une résurrection de vie ou à une
résurrection de condamnation. En effet, les uns s'éveilleront
« pour la vie éternelle, les autres pour l'opprobre, pour
l'horreur éternelle ».5 Sachant que le Christ est amour, ce jour
de jugement sera donc un jour de joie pour tous ceux qui ont
su ouvrir leur coeur à l'amour. Durant son ministère, le Christ
l'avait d'ailleurs déjà clairement enseigné. Pensons, par exem­
ple, à cette affirmation à propos de la femme pécheresse qui lui
avait parfumé la tête:« A cause de cela, je te le dis, ses péchés,
ses nombreux péchés, lui seront remis parce qu'elle a montré
beaucoup d'amour. ».6
3- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.
4- Ibid.
5- Daniel XII, 2.
6- Luc VII, 47.

377
LE JUGEMENT

LE JUGEMENT

De cription de la lame

Cet arcane met en cène un être androgyne, vu de dos,


emblant ortir nu d'un sépulcre bleu. De part et d'autre de
cette image centrale, un homme et une femme, également nus,
ont tournés vers lui, les mains jointes dans une attitude de
prière.
Enfin, dans la partie supérieure de la lame, nous pou­
vons observer un ange aux ailes vertes sortant d'une nuée
d'où émergent douze rayons (six rouges et six jaunes). Il tient
une trompette dans la main droite et une sorte de fanion rouge
dans la main gauche.
Interprétation symbolique de l'arcane

Sur un plan symbolique, précisons tout d'abord que le


sépulcre représente un lieu alchimique où l'aspirant se dé­
pouille du vieil homme pour revêtir l'homme nouveau selon
l'expression con acrée de saint Paul: « Il vous faut abandon­
ner votre premier genre de vie et dépouiller le vieil homme, qui
va se corrompre au fil de convoitises décevantes, pour vous
renouveler par une tran formation spirituelle de votre juge­
ment et revêtir J'homme nouveau, qui a été créé selon Dieu,
dan la JU tice et la ainteté de la vérité. ».7 En ce sens, il est de
couleur bleue, une couleur féminine (c'est-à-dire endothcnni­
que et centnpète évoquant, nou l'avons déjà vu, la dimen­
. ion intérieure d être et de chose . Or, si nous nous i
dan la perspect1 ve d I'hennéti me chrétien, le vieil homme
e t e sentiellem nt caractéri é par une conscience o ·
7- Ephé ien IV, 22-24.

378
TAllOI': LES VINGr-DEUX ARCANES MAJEURS

vers la dimlalion extérieure (vers les apparences), ignorant


même toule dimension intérieure (l'essence animant ces appa­
rences). Quant à l'homme nouveau, il incarne, au contraire,
une conscionce pleinement réceptive aux réalités intérieures,
celle-ci constituant en quelque sorte une matrice privilégiée
pour permettre aux forces divines de s'incarner pleinement
sur le plan 1aleStre.
En outre, l'être qui sort de ce sépulcre semble bien per­
sonnifier l'homme nouveau auquel saint Paul fait allusion
dans son 6pître. En effet, notons d'abord qu'il tourne le dos à
l'observateur. Ceci fait en sorte qu'il est impossible de se pro­
noncer quant à savoir s'il s'agit d'un homme ou d'une
femme. Or ce détail est fort important puisqu'il met en évi­
dence le fait que la conscience nouvelle n'est ni masculine ni
féminine. En effet, la conscience de l'homme nouveau est une
véritable synthèse dynamique des deux polarités, étant à la
fois active et passive. Rayonnant une force extraordinaire
d'unification qui pénètre et transforme la matière, elle contri­
bue alors activement à la restauration du monde. En cela, elle
revêt un caractère masculin. Par contre, dans la mesure où elle
tire sa puissance d'une capacité à être pleinement réceptive
aux forces divines, elle est une incarnation des caractéristi­
ques féminines.
D'ailleurs le Christ déclare éloquemment:« A la résurrec­
tion, en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme
des anges dans le ciel. ».8 Cette remarque est fort intéressante
car elle nous confinne bien que la conscience de l'homme
nouveau (de l'homme ressuscité) n'est ni masculine ni fémi­
nine mais qu'elle est, au contraire, une synthèse de ces deux
dimensions. Les alchimistes du moyen âge faisaient d'ailleurs
fréquemment allusion à cet androgynat qu'ils représentaient,
8- Matthieu XXII, 30.

379
LE JUGEMENT

dans la plupart de leurs figures hermétiques, sous la fonne


d'une noce mystérieuse entre un roi et une reine. Or, pour
eux, ces noces conduisaient invariablement l'aspirant à la
chrysopée, c'est-à-dire à la réalisation du Grand Oeuvre alchi­
mique évoquant la résurrection.
Enfin, il importe de souligner que cet être, sortant du sé­
pulcre, est nu. Or cette nudité évoque, sur un plan symbolique,
une notion de dépouillement. En effet, elle rappelle l'expé­
rience de pauvreté à laquelle nous avons fait allusion précé­
demment. En ce sens, nous savons que la conscience pleine­
ment investie par la puissance divine (la conscience de
l'homme nouveau) ne peut naître que dans la mesure où
l'aspirant se fait pauvre, devenant ainsi « libre de toutes les
images étrangères, aussi disponible qu'avant sa naissance».
Par ailleurs, un homme et une femme se tiennent autour
du sépulcre, tournant leur regard vers celui qui en sort. Sur un
plan symbolique, la femme (incarnant le mode de réceptivité)
représente évidemment la dimension intérieure. Sur l'arcane,
elle possède des cheveux blonds signifiant que cette dimen­
sion intérieure s'est détournée des réalités du monde d'en bas
pour participer aux réalités de l'esprit. Quant à l'homme
(incarnant le mode d'émissivité), il représente la dimension
extérieure. Il est figuré avec des cheveux bruns (une couleur
associée au monde matériel) qui nous confirme son lien étroit
avec le plan physique. Ajoutons que ces deux personnages
sont en état de prière. En d'autres ternies, la dimension inté­
rieure et la dimension extérieure qu'ils représentent sont tou­
tes deux éveillées aux réalités de l'esprit. D'ailleurs, la nais­
sance d'une conscience nouvelle (une conscience pleinement
investie par la puissance divine) ne peut s'effectuer sans que
ces deux aspects de l'être soient entièrement tournés vers
l'esprit.

380
Of: LES VINGJ'-DEUX ARCANES MAJEURS

arcane fait allusion à l'événement du Juge­


em1illl!lel qu'il apparaît dans la tradition judéo­
chré tienne. �ublions pas que l'auteur de ces symboles était
pleinement empreint de la mystique judéo-chrétienne. Or les
textes bibliques nous rapportent à propos de cet événement
que« le rds,cle l'homme doit venir dans la gloire de son Père,
avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon sa con­
duite ».9 A ce âtre, les gouttelettes qui apparaissent sur la lame
illustrent les actions (gouttelettes rouges), les sentiments
(gouttelettes vertes) et les pensées (gouttelettes jaunes) que
l'homme, ainsi jugé, présentent aux instances divines (les
gouttelettes ne descendent pas sur la terre mais s'élèvent vers
les cieux). F.n outre, elles sont au nombre de vingt, ce qui nous
indique qu'elles s'inscrivent dans une dynamique de réconci­
liation et de rénovation (symbolisme du nombre 20).
Plus encore, pour mieux saisir la signification profonde
de cet événement, il importe de rappeler ces mots du Christ
rapportés par le disciple bien-aimé: « En vérité, en vérité, je
vous le dis, l'heure vient - et c'est maintenant - où les morts
entendront la voix du Ftls de Dieu, et ceux qui l'auront en­
tendue vivront. ,._10 Au-delà de la crainte qu'inspire le Juge­
ment, l'aspirant doit donc se souvenir que, dans la mesure où
il a entendu la voix du Christ, c'est-à-dire la voix de l'amour
(l'amour étant l'expression privilégiée de la puissance divine),
il renaîtra alors à la vie éternelle. Ainsi, toute faute se trouvera
effacée et on ne se souviendra plus du passé, il ne reviendra
plus à la mémoire. Amour et régénération (rénovation) sont
donc très éttoitement liés. En effet, l'amour (expression mani­
festée de la puissance divine) purifie, exorcise et libère la con­
science de ses ténèbres intérieures, lui permettant ainsi de re-
9- Matthieu XVI, 27.
10- Jean V, 21-25.

381
LE JUGEMENf

naître et de s'affranchir de toutes les entraves qui la rete­


naient encore prisonnière. C'est pourquoi l'apôtre Jean af­
firme: « En ceci consiste la perfection de l'amour en nous: que
nous ayons pleine assurance au jour du Jugement... ».1 1
Ajoutons que cette voix du Christ est représentée sur la
lame du Jugement par une trompette soutenue par la main
droite d'un ange. En raison de la sonorité éclatante, dynami­
que et brillante de cet instrument, la tradition de l'hermétisme
chrétien lui attribue en effet une tonique planétaire mar­
tienne.12 Cette association est d'ailleurs confirmée par le fait
qu'elle fut, pour de nombreuses traditions (dont la tradition
judéo-chrétienne), l'instrument annonciateur des grands
bouleversements à venir. Ainsi, la trompette (ou plus précisé­
ment sa forme primitive, le schofar) servait chez les Hébreux à
annoncer aux esclaves leur liberté reconquise . De même, les
anges de l' Apocalypse annoncent le Jugement dernier au
moyen de trompettes. Or Mars correspond à la prodigieuse
force de vie qui pulvérise toutes les cristallisations afin de
permettre à l'homme d'accéder à un nouvel état d'être.
Dès lors, cet instrument évoque, sur la vingtième lame du
tarot, la force libératrice de la puissance divine sous sa forme
dynamique, créatrice et fulgurante. Dans la même perspective,
notons que les bras de l'ange portant la trompette sont rou­
ges, une couleur exothermique et centrifuge précisément as­
sociée à l'activité dynamique et exécutrice. Plus encore, la
tête de l'ange est également rouge nous révélant que les pen­
sées animant cet être sont essentiellement focalisées sur la
pleine et entière exécution de la volonté divine. Sa tunique
11- 1 Jean IV, 17.
12- Pour de plus amples informations à ce sujet, nous vous invitons à
consulter l'ouvrage du même auteur, Eveil de la conscience par la
musique, paru aux Editions de l'Aigle.

382
. l..m VINOT-DEUX ARCANES MAJEURS

en outre que sa dimension psychique est


·ve aux réalités spirituelles, cette réceptivité
étant e:11Ql•• d'une grande pureté (évoquée par la pré­
sence du 6*' blanc). Quant aux ailes vertes, elle nous ensei­
gne que la fiDult6 exécutrice de l'ange s'exprime dans le ca­
dre d'une Olllvre de régénération.
Il lmpolle 6galement de souligner que cet ange tient, de
sa main gauche, un fanion qu'il appose sur la trompette. Or ce
fanion e st profondément révélateur de la manière dont la puis­
sance divine va s'exprimer puisqu'il est apposé à la trompette
et caractérise donc la nature même de son expression. En ce
sens, la croix qui y figure évoque symboliquement l'univers
spatio-temporel organisé suivant un schéma quaternaire
(représenté par les quatre branches égales de la croix). Aussi,
ce symbole nous apprend que la puissance divine acquiert
avec cette lame une dimension universelle agissant sur tous
les plans de la création. Il ne s'agit donc pas de la régénéra­
tion d'un atre unique. En effet, l'aspirant disposant d'une
conscience aux dimensions cosmiques rayonne désormais, sur
l'ensemble de la création, les forces unifiantes et libératrices
de la puissance divine.
Notons enfin que l'ange est au centre d'une nuée de
laquelle émane douze rayons. Cette nuée fait directement ré­
férence aux paroles de saint Jean dans son Apocalypse: « Et
je vis un autte ange puissant qui descendait du ciel. Il était
vêtu d'une nuée, une gloire nimbait son front. ». 13 Sur un plan
symbolique, le fait que certains anges puissent se manifester
au sein d'une nuée signifie pour Denys l' Aréopagyte « qu'ils
sont supra-mondainement comblés de lumière secrète ». 14 En
13- Apocalypse X, 1.
14-_ Denys l'Aréopagyte, La Hiérarchie Céleste, Les Editions du Cerf,
Pans, 1958.

383
LE JUGEMENT

outre, douze rayons sortent de cette nuée. Or nous savons


que ce nombre évoque fondamentalement l'expression plé­
nière de la puissance divine (le nombre 1) au sein de la créa­
tion (le nombre 2). Enfin, les rayons sont alternativement rou­
ges et jaunes afin de nous indiquer que cette expression de la
puissance plénière combat les ténèbres (symbolisées par la
couleur rouge, couleur de la guerre et de la combativité) et
illumine l'être tout entier (symbolisme de la couleur jaune,
couleur de la lumière).

Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Sous sa forme maléficiée, le Jugement n'évoque plus un


processus de rénovation, mais un processus de destruction.
En ce sens, le sépulcre, présent au centre de la lame, incarne
toujours, sous sa forme maléficiée, un lieu de transformatiom.
Toutefois, il ne s'agit plus de l'athanor où l'individu se dé­
pouille du vieil homme pour revêtir l'homme nouveau, mais
d'une fosse où l'homme régresse et dégénère. En d'autres
termes, ce sépulcre incarne le lieu de perdition symbolisant le
monde de la Chute dont Satan est le prince et à l'adresse du­
quel l'apôtre Jacques déclare: « Ne savez-vous pas que
l'amitié pour le monde est inimitié contre Dieu ? Qui veut
donc être ami du monde, se rend ennemi de Dieu ».15
En outre, nous avons vu que ce sépulcre est de couleur
bleue. Or si le bleu évoque, sous sa forme positive, la dimen­
sion intérieure (invisible) des êtres et des choses, il devient,
sous sa forme négative, la couleur de l'abstraction au sens
péjoratif et négatif du terme. En effet, perdant le sens des réali­
tés en l'absence de ses repères habituels, la raison humaine
peut alors élaborer des systèmes nébuleux et chimériques qui
15- Jacques IV, 4.

384
LI TAllOf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

n'ont aucune v6ritable relation avec le monde réel. Aussi,


l'individu s'6loigne de plus en plus des choses et des êtres
incarnés, le monde cessant peu à peu d'exister par lui-même,
pour faire place à un concept tout à fait arbitraire. Or c'est
précisément l'une des caractéristiques propres à celui qui s'est
détourné d e Dieu pour s'unir au monde.
En ce sens, l'être qui sort de ce sépulcre personnifie ce­
lui qui s'est allié au monde. En effet, en reprenant notre asso­
ciation du sépulcre et de la fosse, cet être devient un mort­
vivant, certes incarné sur le plan terreste, mais totalement mort
sur un plan spirituel. C'est à ces êtres que le Christ fit allusion
en déclarant: « Suis-moi, et laisse les morts enterrer leurs
morts ».1 6 Plus encore, le personnage de la lame tourne le dos
à l'observateur de telle manière qu'il est impossible, nous
l'avons vu, de se prononcer sur son sexe. Cette incertitude est
un signe que l'être en question est victime d'une profonde
confusion, ignorant même sa véritable nature.
En outre, nous avons vu que, sortant du sépulcre,
l'individu est nu. Or si cette nudité évoque, dans sa dimension
positive, une expérience de dépouillement, elle représente, au
contraire, dans sa dimension négative, la pauvreté et
l'indigence de celui qui n'a pas su s'ouvrir et accueillir la
puissance divine. En effet, ayant toujours focalisé ses efforts
sur des illusions émanant du monde extérieur, l'individu
s'expose alors forcément à sombrer dans la pire misère. C'est
là un élément majeur de la pensée de saint Augustin rappelant
à l'aspirant qu'en plaçant son intérêt dans des biens périssa­
bles, il s'expose inexorablement à être malheureux en raison
d e leur disparition inéluctable.
A un autre niveau, si nous étudions la femme et l'homme
qui se tiennent autour du sépulcre, ceux-ci représentent tou-
16- Matthieu VIII, 22.

385
LE JUGEMENT

jours la dimension intérieure (la femme) et la dimension exté­


rieure (l'homme) mais sous leur forme pervertie. Ainsi, la
femme représente la conscience intérieure soumise aux in­
fluences du monde et conséquemment à l'ego (le monde
étant, selon la tradition hermétique, une projection extérieure
de l'ego). C'est ce que souligne du reste la couleur blonde de
ses cheveux. En effet, dans son aspect négatif, le jaune de­
vient la couleur de l'orgueil incitant l'homme à se centrer irré­
sistiblement sur lui-même et sur ses propres besoins. Quant à
l'homme, il représente le plan extérieur se vautrant dans la
fange de sa terrestrité comme l'illustre la couleur brune de ses
cheveux. En effet, évoquant la boue, le brun maléficié incarne
toujours un processus de dégradation. Ainsi, nous en con­
cluons qu'en s'unissant au monde (en devenant un mort vi­
vant), l'aspirant éveille un processus de perversion et de dé­
gradation qui ne se limite pas seulement à sa conscience, mais
se reflète également au niveau de l'âme et du corps.
Ajoutons encore, à propos de ces deux personnages,
qu'ils sont apparemment en état de prière. En fait, il s'agit ici
d'un simulacre et la prière n'est qu'une habitude, un masque
et une attitude purement extérieure dénuée de toute profon­
deur réelle. Elle ne ne correspond donc en rien à la véritable
expérience mystique qui s'y rattache. Tout au cours de son
ministère, le Christ s'est d'ailleurs violemment érigé contre
cette attitude propre aux scribes et aux Pharisiens: « Malheur
à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui ressemblez à des
sépulcres blanchis: au-dehors ils ont belle apparence, mais au­
dedans ils sont plein d'ossements de morts et de toute pourri­
ture; vous de �, au-dehors vous offrez aux yeux des
hommes l'apparence des justes, mais au-dedans vous êtes
pleins d'hypocrisie et d'iniquité. ».17
17- Matthieu XXIII, 27-28.

386
lE TAROI': LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

Enfin, nous avons affinné que ce vingtième arcane fait


directement allusion à l'événement du Jugement dernier tel
que perçu dans la tradition judéo-chrétienne. A propos de cet
événement, nous avons souligné que celui dont la conscience
s'est éveill6e à la puissance divine y trouve le salut définitif.
Toutefois, il n'en est pas ainsi pour tous. En effet, le Christ
nous adresse cette mise en garde: « N'en soyez pas étonnés,
car elle vient, l'heure où tous ceux qui sont dans les tom­
beaux entendront sa voix et sortiront: ceux qui auront fait le
bien, pour une résurrection de vie, ceux qui auront fait le maL
pour une résurrection de jugement ». 18 En conséquence, celui
qui n'a pas su aimer et n'a pas voulu entendre la voix divine
est alors condamné à demeurer enfermé dans le cercle clos du
monde.
Dans cette perspective, la trompette n'annonce plus la
restauration du monde mais sa destruction. Pensons, à ce titre,
au célèbre épisode biblique au cours duquel des sons de
trompe entraînèrent l'effondrement des murs de Jéricho, une
ville qui« s'était enfermée et barricadée (contre les Israélites);
personne n'en sortait et personne n'y entrait ».1 9 Sur un plan
symbolique, elle représente le cercle clos de l'ego qui, en rup­
ture totale avec les réalités divines, expose celui qui en est
prisonnier à un anéantissement inévitable. Le fanion apposé
sur la trompette révèle en outre que cet anéantissemen t n'est
pas seulement individuel, mais s'étend à tous ceux qui sont
demeurés enfermés dans le cercle clos du monde, sans excep­
tion.
Dans la même perspective, les bras rouges de l'ange por­
tant la trompette évoquent la pulsion destructrice dont cet
être est investi. De plus, sa tunique bleue exprime le motif qui
18- Jean V, 28-29.
19- Josué VI, 1.

387
LE JUGEMENT

justifie cette pulsion destructrice: l'état de déconnection vis­


à-vis du créateur et conséquemment le monde illusoire dans
lequel l'individu s'est enfermé. Quant à la nuée qui entoure
l'ange, elle fait office d'écran entre les réalités terrestres et
spirituelles. Elle évoque donc l'aveuglement de l'homme qui,
se vautrant dans la fange de sa terrestrité, n'est plus capable
de percevoir les réalités de l'esprit. Quant aux gouttelettes,
elles illustrent les actions destructrices (gouttelettes rouges),
les sentiments pervers (gouttelettes vertes) et les pensées pu­
rement égocentriques (gouttelettes jaunes) que l'humanité a
générés et qui s'élèvent vers les sphères divines (motivant
ainsi la colère de Dieu). En ce sens, elles sont au nombre de
vingt puisqu'elles évoquent une dynamique de dissociation,
de division et de rupture (ce que symbolise le nombre 20 ma­
léficié).
Enfin, nous avons souligné que douze rayons émergent
de la nuée. Or nous savons que ce nombre maléficié est asso­
cié au processus par lequel l'âme, tombée sous le joug des for­
ces destructrices et régressives du monde d'en bas, quitte la
voie menant à l'Unique (symbolisme du nombre 1) pour som­
brer dans le monde du multiple (symbolisme du nombre 2).
Plus encore, ils sont alternativement rouges et jaunes indi­
quant ainsi que ce détournement est issu d'une extériorisation
excessive éloignant toujours plus la conscience de la réalité
authentique et véritable (ce que représente la couleur rouge
maléficiée) et d'une inflation de l'ego (symbolisme de la cou­
leur jaune maléficiée). Ces rayons destructeurs qualifient donc
la conscience des hommes à qui ils s'adressent.

388
U TAROf: � VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LAME DU FOU

La lettre hébraïque: Shin.


La valeur numérique: 21.
Les éléments symboliques: Un vagabond poursuivant imper­
turbablement sa route sans s'inquiéter de l'animal qui cherche
à entraver sa marche.
La dimension herméneutique: Se laisser guider par la voix
intérieure sans prêter attention aux sollicitations extérieures
(représentées par l'animal) ou au rejet de la part des autres (ce
que le Fou symbolise en ne se conformant pas aux normes
établies).
La dimension anagogique: Exprimer ses valeurs spirituelles
sans prêter attention aux sollicitations du monde extérieur.
L'injonction: S'abandonner.
Les éléments à développer: Le sens de l'originalité, la capa­
cité à se dégager des préjugés, la liberté.

389
LE FOU

Le Fou

390
LE TROf: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS
A

LA LETTRE SHIN

Du point de vue kabbalistique, le Fou correspond à la


vingt et unième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre Shin, issue
d'un ancien idéogramme représentant des dents. Or précisons
tout d'abord que les dents servent à découper et à broyer la
nourriture pour ainsi mieux l'assimiler et en extraire les res­
sources nécessaires à la croissance de l'être. Plus encore, si
elles permettent à l'homme d'assimiler la nourriture essentielle
à sa vie organique, elles lui permettent également, par analo­
gie, d'accéder aux ressources divines assurant le maintien de
sa vie spirituelle. C'est d'ailleurs en ce sens qu'il existe une
dimension profondément sacrée dans l'acte de manger, le re­
pas permettant non seulement de nourrir le corps, mais contri­
buant aussi à sustenter l'âme.
Dès lors, il n'est guère étonnant que, sur un plan sym­
bolique, les hermétistes chrétiens aient associé les dents à une
capacité d'extraire la nourriture spirituelle nécessaire pour
sustenter l'âme et l'élever vers les sphères divines. Insistons
bien sur le fait que ce processus d'extraction associé aux
dents se fait en outre par broyage. En effet, les dents détrui­
sent la gangue retenant prisonniers les éléments nutritifs né­
cessaires à l'organisme. En d'autres termes, elles pulvérisent
tous les artifices, les apparences et les illusions forgés par le
monde, empêchant l'homme d'avoir accès aux ressources
susceptibles de le nourrir sur les plans spirituels.
Aussi, la lettre Shin évoque le processus par lequel
l'aspirant extrait dans son rapport avec la matière (symbolisme
des dents) la nourriture spirituelle capable de le fortifier inté­
rieurement (de favoriser la croissance de son âme afin que
celle-ci, devenue mature, puisse participer aux réalités de
l'esprit).

391
I.E R>U

LENOMBRE21

Du point de vue numérologique, la lame du Fou est as­


sociée au nombre 21. Ce nombre évoque l'âme (le nombre 2)
qui, réceptive aux forces de l'esprit, entre en contact avec la
divinité (le nombre 1) pour enfin s'y unir et reconstituer avec
elle son unité. Dans cette perspective, l'âge de la majorité était
autrefois fixé à vingt-et-un ans. L'individu était alors considé­
ré comme un adulte accompli, apte à se prendre en charge et à
assumer ses responsabilités. Or cet état découlait précisément
d'une aptitude à consumer en son âme toutes les cristallisa­
tions afin qu'elle puisse être investie par les valeurs de son
essence profonde. En ce sens, le nombre 21 était, pour Louis­
Claude de Saint-Martin, « le nombre de la destruction ou plu­
tôt de la terminaison universelle, parce que, comme 2 s'est sé­
paré de 1, il faut qu'il ait un moyen de s'y réunir s'il le
veut. ». 1 Il s'agissait évidemment d'une destruction positive
puisqu'elle s'inscrivait dans une perspective de réunification.
Dans ce même ordre d'idées, les textes bibliques nous
fournissent des illustrations éloquentes en rapport avec la si­
gnification de ce nombre. A titre d'exemple, il existe vingt-et­
un attributs de la sagesse, fruits de l'âme éclairée par l'esprit:
« En elle [la sagesse] est, en effet, un esprit intelligent, saint,
unique, multiple, subtil, mobile, pénétrant, sans souillure, clair,
impassible, ami du bien, prompt, irrésistible, bienfaisant, ami des
hommes, ferme, sûr, sans souci, qui peut tout, surveille tout,
pénètre à travers tous les esprits, les intelligents, les purs, les
plus subtils. ». 2
1- De Saint-Martin, Louis-Claude, Les Nombres, Première édition au­
thentique du manuscrit autographe procurée avec une introduction et
des notes par Robert Amadou, Cariscript, Paris, 1983.
2- Sagesse VII, 22-23.

392
1B TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LE NOM
Selon le dictionnaire, le fou désigne une personne« qui a
perdu la raison ou dont le comportement est extravagant ». 3
En fait, il désigne plus précisément celui dont le comportement
n'entre pas dans les normes fixées par la raison ou par la so­
ciété. Ajoutons toutefois qu'il ne comporte pas nécessaire­
ment une dimension pathologique: l'inspiré ou le poète étant
souvent considérés comme des fous en raison de leur attitude
échappant aux règles du bon sens. Ce caractère hors normes
peut donc résulter d'une capacité à transcender les contin­
gences du réel pour en percevoir les dimensions invisibles.
Dans les sociétés monarchiques médiévales, ceci permet­
tait d'ailleurs au fou du roi de jouir de« la liberté du fou ». En
effet, il pouvait dire la vérité sans craindre d'être puni, à la
condition cependant de l'exprimer sur le ton de la plaisanterie,
de la satire ou de la moquerie. Le rire était d'ailleurs très étroi­
tement lié au fou puisque, ce qui surprend par son étrangeté et
ses différences fait rire. Or le rire lui-même conduit la con­
science à transcender les limites du réel. Ne dit-on pas que le
rire transporte en illustrant cette mystérieuse déconnec tion
qu'il provoque momentanément ? La sagesse ancienne affir­
mait même qu'il était la porte des dieux.
Enfin, le terme de fou fut substitué à celui de Mat dans le
tarot de Marseille. Or ce mot vient du terme arabe mat signi­
fiant « mort ». Il est d'ailleurs employé au jeu d'échecs pour
désigner celui qui a perdu. Aussi, mis en rapport avec le per­
sonnage du fou, il confirme son statut d'exclus (sa situation
de «mort») vis-à-vis des autres. En effet, n'appartenant plus
au monde, il est comme« mort » aux yeux de la société.

3- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.

393
LE FOU

LE FOU
Description de la lame

Cet arcane met en scène un vagabond, vêtu comme un


bouffon, les fesses dénudées et marchant appuyé sur un bâton
rouge, tenu dans sa main droite. Il porte de la main gauche
une besace brune, lisérée de rouge, supportée par un bâton
bleu qu'il appuie sur son épaule droite.
Un chat sauvage cherche à entraver sa marche en le
mordant violemment à la jambe et un crocodile, un peu plus
loin, le guette derrière une poutre blanche. Cependant, le Fou
poursuit imperturbablement sa route sans s'inquiéter de
l'action éventuelle de ces animaux hostiles. Enfin, une fleur
tourne sa corolle vers le sol.
Interprétation symbolique de l'arcane
A propos de cet arcane, il importe de souligner qu'à la
différence des autres lames majeures numérotées de un (le Ba­
teleur) à vingt et un (le Monde), celui-ci ne comporte pas de
numéro. Il se place donc en hors jeu, mettant en exergue le
caractère hors normes du personnage lui-même. En effet, ce
personnage est dénommé le Fou. Or ce terme désigne, nous
l'avons vu, celui dont le comportement n'entre pas dans les
normes fixées par la raison et échappe aux règles de la société.
Le personnage illustré sur l'arcane évoque d'ailleurs cette
capacité à transcender les normes édifiées par la raison ou la
société. En effet, il se présente sous l'allure d'un vagabond
sans domicile fixe. En ce sens, il ne semble appartenir à aucun
endroit, emportant avec lui tout son bien renfermé dans une
besace qu'il porte sur l'épaule. Le fait qu'il soit en marche
avec un bâton rouge (couleur de l'action dynamique) à la

394
1B TAROf: ŒS VINGr-DEUX ARCANES MAJEURS

main droite (pôle de l'activité et de l'émissivité) nous précise


en outre qu'il se trouve dans un état de non enfermement. En
d'autres termes, il avance en ce monde bien qu'il ne soit pas
du monde, pour reprendre une expression évangélique.
Cette non appartenance au monde suscite cependant
une certaine agressivité de la part des autres. Elle est représen­
tée par un chat sauvage lui mordant la jambe alors qu'un cro­
codile le guette. Sur un plan symbolique, le chat est tradition­
nellement associé à la dimension féminine (alors que le chien
est associé à la dimension masculine). En outre, en tant
qu'animai aux moeurs nocturnes, le chat représente l 'incons­
cient. Plus encore, lorsqu'il est sauvage, il illustre toutes les
émotions et les pulsions agressives qui, tapies dans les plus
profondes couches de l'inconscient, peuvent resurgir à tout
instant Dès lors, mis en rapport avec l'arcane du Fou, le chat
évoque l'inconscient collectif qui cherche instinctivement et
violemment à entraver l'action de celui qui est différent et qui,
en conséquence, représente un danger.
Ajoutons que, parmi toutes les formes d'agressivité et de
violence dont dispose la collectivité pour tenter de récupérer
l'être marginal qui s'en est écarté, l'humiliation occupe une
place prépondérante. Or l'animal qui s'attaque au Fou lui dé­
nude les fesses. Sans analyser le symbolisme évident de ce
détail, l'expression populaire « une déculottée » pour signifier
une défaite humiliante est fort intéressante. De même, « baisser
ses pantalons » désigne, au sens figuré, le fait d'adopter une
attitude humiliante. Ainsi, le chat dénudant les fesses du Fou
évoque l'action sournoise de la société cherchant à humilier
celui qui n'adopte pas ses normes (pour le récupérer ou sim­
plement le détruire).
Quant au crocodile, il rejoint le symbolisme du chat. En
effet, en tant qu'animai dévorateur, il représente la société dé­
voratrice ou l'Esprit du monde qui fait absolument tout ce qui

395
ŒR>U

est en son pouvoir pour que les individus demeurent à son


service. Au lieu de libérer ses propres enfants, elle les dévore
donc en les aliénant et en les asservissant. Sur l'arcane, le cro­
codile guette le Fou. Il illustre donc !'Esprit du monde qui, au
moindre faux pas de la part du Fou, tentera de le dévorer.
Ajoutons que le crocodile se dissimule derrière une pou­
tre blanche. Or, sur un plan symbolique, la poutre résulte de
l'activité humaine (c'est un tronc d'arbre équarri et taillé se­
lon des normes particulières). En outre, couchée sur le sol, elle
illustre l'horizontalité, une image fréquemment employée dans
la tradition hermétique pour évoquer une conscience exclusi­
vement focalisée sur l'apparence extérieure des choses. Sa
couleur blanche l'associe, quant à elle, aux notions de vide et
de néant. En d'autres termes, sachant que le crocodile illustre
l 'Esprit du monde, cette poutre évoque toutes les valeurs vi­
des de sens (symbolisme de la couleur blanche) que l'homme
s'est forgées en percevant le monde sous un éclairage pure­
ment extérieur (symbolisme de l'horizontalité) et derrière les­
quelles l'Esprit du monde s'ancre, s'appuie et se dissimule.
Toutefois, face à ces deux animaux, le Fou semble les
ignorer, poursuivant imperturbablement sa route sans
s'inquiéter. Cette attitude exprime bien le fait qu'il est totale­
ment libéré des contingences imposées par le monde ou la so­
ciété. Celles-ci ne trouvent donc plus écho en lui et n'ont plus
d'influence sur son comportement, aussi négatives et agressi­
ves soient-elles. C'est ce que le Christ évoque lorsqu'il dé­
clare à ses apôtres: « si quelqu'un ne vous accueille pas et
n'écoute pas vos paroles, sortez de cette maison ou de cette
ville et secouez la poussière de vos pieds. ».4 Il n'est donc pas
question de s'élever violemment contre l'attitude hostile des
autres. Il suffit simplement de ne pas en tenir compte, la consi-
4- Matthieu X, 14.

396
U! TAROf: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

dérant conune une réalité insignifiante, aussi dérisoire que la


poussière qui peut s'être déposée sur les pieds.
De plus, si le Fou n'adhère pas aux normes établies et s'il
est l'objet d'un vif rejet de la part des autres, il ne faut pas
croire pour autant que son existence soit une errance. En ef­
fet, il a les yeux bleus. Or le regard est particulièrement révéla­
teur des qualités véritables du moi comme l'affirme l'adage
populaire: « l'oeil est le miroir de l'âme». Quant à la couleur
bleue, elle considérée comme une couleur favorisant le con­
tact avec le divin. Aussi, le fait que le Fou possède des yeux
bleus met en relief sa capacité à percevoir l'essence qui anime
toute chose.
De même, la présence d'un tissu vert enveloppant son
cou évoque une médiation féconde entre l'esprit (symbolisé
par la tête, le principe directeur) et l'âme (symbolisée par le
corps), cette médiation étant en outre nourrie par les valeurs
du coeur (symbolisme de la couleur verte), qu'il exprime dé­
sonnais. Le large chapeau qu'il porte incarne, quant à lui, une
conscience (dont la tête est le siège) focalisée à la fois sur les
r éalités du corps (symbolisées par la couleur rouge), sur celles
de l'âme (évoquées par la couleur verte) et sur celles de
l'esprit (représentées par la couleur jaune). Enfin, la présence
d'un liséré blanc entre les couleurs jaune et verte nous indi­
que que le rapport âme-esprit est empreint d'une grande pure­
té.
Quant à la tunique qu'il porte, elle nous apprend, en rai­
son des bandes verticales qui la caractérisent, que la dynami­
que qui anime l'âme (symbolisée par le tronc) de ce person­
nage s'inscrit dans un processus de verticalisation (c'est-à­
dire d'élé vation vers les réalités divines). Ainsi, ses désirs
(associés à la couleur rouge), ses valeurs cardiaques (représen­
tées par la couleur verte), sa foi (incarnée par la couleur bleue)
et sa p ureté (évoquée par la couleur blanche) sont empreintes

397
lER>U

de la lumière de l'esprit, mise en évidence par le col jaune


(évoquant le rayonnement solaire) recouvrant les épaules
(siège de la volonté). La ceinture souligne également la haute
moralité de ce personnage.
Par ailleurs, le Fou découvre ses dents. Ce détail peut pa­
raître étrange et incongru. Toutefois, considérant le symbo­
lisme des dents mis en exergue précédemment, il conforte bien
la dynamique générale illustrée par cet arcane. En effet, les
dents incarnent une capacité à pulvériser les artifices et les
illusions du monde, empêchant l'individu d'avoir accès aux
ressources divines capables de sustenter son âme et de
l'élever vers les sphères de l'esprit. Toujours dans le même
ordre d'idées, le fou porte de la main gauche une besace
brune lisérée de rouge qu'il dépose sur son épaule droite. Sa­
chant que la gauche évoque l'origine alors que la droite
s'associe à l'avenir, cet élément nous suggère qu'il a su dé­
couvrir le sens profond de ses expériences matérielles
(symbolisme de la besace brune), celles-ci motivant et stimu­
lant désormais sa volonté (symbolisée par l'épaule) de réaliser
son destin (évoqué par la droite).
En outre, si le Fou a un rapport privilégié avec les réalités
transcendantes, il n'est pas cependant déconnecté du réel.
C'est ce que nous révèle la couleur brune de sa barbe. En ef­
fet, nous avons déjà vu que la barbe évoque le pouvoir et la
puissance sur un plan matériel. 5 Quant à la couleur brune, elle
est fondamentalement celle de la terre. En psychologie, elle est
d'ailleurs généralement considérée comme une coulem
chaude, maternelle et proche des réalités élémentaires. Dès
5- Pour plus de précisions, nous vous recommandons la lecture d'une
étude portant sur le visage divin associé au Ftls de l'Ancien des Joun.
Elle est reproduire dans un ouvrage du même auteur intitulé La Kab­
bale et l' Arbre de vie, paru aux Editions de l'Aigle.

398
LE TARCJr: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

lors, le fait que le Fou ait la barbe brune souligne son étroite
relation avec le plan m atériel. L a couleur rouge du bâton avec
lequel il soutient sa marche confirme du reste cette assertion.
En effet, nous savons que le rouge est aussi une couleur
d'incarnation.
Enfin, aux pieds du Fou, une fleur, ouverte, tourne sa co­
rolle vers le sol. A un premier niveau, elle rappelle le caractère
hors norme du personnage puisque son allure, corolle ouverte
vers le sol, est contraire à la normalité (corolle ouverte vers le
ciel). Elle peut aussi rappeler un total renversement de con­
science qui, éveillé chez le Pendu (suspendu la tête en bas),
trouve maintenant son plein accomplissement. Plus encore,
nous avons vu que la fleur symbolise les qualités et les vertus
de l'âme. Le fait qu'elle incline sa corolle vers le sol afin que
personne ne puisse en percevoir l'intérieur peut également
évoquer l'humilité du Fou qui ne dévoile pas les vertus de son
coeur (de son âme). D'ailleurs, comment le pourrait-il puisque
les siens le méprisent, le rejettent ou l'ignorent?
Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Sous sa forme maléficiée, le Fou évoque toujours une


certaine marginalité. Toutefois, elle correspond maintenant à
celle qu'incarne celui qui cherche par sa propre volonté à
s'exclure de la société et de l'existence elle-même. En ce sens,
nous avons déjà souligné que cette lame ne comporte pas de
numéro et se place en conséquence en hors jeu. Ceci évoque,
dans sa dimension négative, une non-implication dans la vie
elle-même, celle-ci perdant alors toute signification. Cette dé­
connection vis-à-vis de la réalité est d'ailleurs confirmée par le
personnage lui-même.
En effet, nous avons vu que ce personnage est dénom­
mé le Fou. Or si le fou peut désigner le poète, l'inspiré ou

399
LE RJU

l'initié, il désigne également l'attitude psychiatrique de celui


qui a perdu le sens de son existence. C'est d'ailleurs en des
termes particulièrement éloquents qu'Oswald Wirth décrit ce
personnage: « Inconscient et irresponsable, il se traîne à tra­
vers la vie en être passif, qui ne sait où il va et se laisse mener
par les impulsions irraisonnées. Ne s'appartenant pas à lui­
même, il est possédé: c'est un aliéné dans toute la force du
terme... Les yeux perdus dans le vague des nuages, l'insensé
poursuit sa route au hasard des impulsions, sans se demander
où il va. ». 6
Aussi, si nous avons évoqué précédemment la liberté
dont jouit le Fou (une liberté issue de sa non appartenance au
monde), elle devient ici une pure illusion. En effet, la volonté
de s'affranchir du joug de la société devient alors une fuite du
réel et non une véritable queste du Tout-Autre. Dès lors, si le
Fou a pulvérisé les illusions du monde, il n'a pas pris soin de le
faire vis-à-vis de ses propres constructions. En ce sens, nous
avons vu qu'il porte de la main gauche une besace brune lisé­
rée de rouge qu'il dépose sur son épaule droite. Sachant que
la gauche évoque l'origine alors que la droite incarne l'avenir,
cet élément nous suggère que le Fou n'a pas su découvrir
dans ses expériences terrestres (symbolisées par la besace
brune) leur raison d'être (leur origine symbolisée par la gau­
che). Aussi, il n'en a retiré que des chimères et des illusions
qui motivent et stimulent désormais sa volonté (symbolisée
par l'épaule) d'accomplir ce qu'il prétend être son destin
(évoqué par la droite). C'est ce qu'atteste Oswald Wirth lors­
qu'il écrit: « de sa main gauche, le Fou maintient sur son
épaule droite une courte trique grossièrement équarie à

6- Winh, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-c2ge, Le Symbolisme


et Emile Nourrey, Paris, 1927.

400
1B TAROf: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

laquelle pend une besace renfermant son trésor de sottises et


d'insanités, que soutient une extravagante idéalité. ». 7
Par ailleurs, nous avons vu que le Fou évoque une no­
tion d'exclusion. Sous sa fonne maléficiée, cette exclusion ne
résulte plus de son détachement à l'égard des banalités du
monde, mais d'un état profondément pathologique. Il s'agit
donc d'un fou au sens propre du tenne, en proie à des délires
d'autant plus dangereux qu'il a tout perdu. En effet, si le
terme de mat désigne la« mort» d'un individu qui, à l'égard
de la société, n'a plus de valeurs, il devient, sous sa forme né­
gative, une« mort» de l'esprit auquel il n'a plus accès.
Quant aux deux animaux, le chat sauvage symbolise
toujours l'inconscient qui cherche instinctivement à entraver
l'action du Fou. En ce qui concerne le crocodile, il incarne
toujours, lui aussi, le pouvoir dévorant de la société qui cher­
che à récupérer celui qui s'est émancipé de son joug. Curieu­
sement ici, ces deux animaux perdent leur dimension maléfi­
que pour revêtir une dimension plutôt bénéfique. En effet,
l'agressivité que le monde manifeste vis-à-vis du Fou pourrait
avoir l'effet d'un véritable électro-choc, lui faisant prendre
conscience du caractère complètement insensé de la voie qu'il
a empruntée. Quant au pouvoir dévorant de la société, il pour­
rait contribuer lui aussi à remettre sur de meilleurs rails cet être
qui a disjoncté. Malheureusement, le Fou, complètement ab­
sorbé dans son délire, ne tient pas compte du chat sauvage.
Quant au crocodile, il détourne la tête de cet animal... Rien ne
saurait donc l'arracher pour le moment à ses illusions.
A ce titre d'ailleurs, nous avons vu qu'il a les yeux
bleus. Or, dans sa dimension négative, le bleu évoque préci­
sément un processus de déconnection vis-à-vis du réel. En
effet, l'absence de limites et de repères (symbolisé par le bleu
7- Wirth, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, op. cit.

401
l.E FOU

maléficié) peut conduire l'individu, qui n'est pas suffisamment


préparé à cette expérience, à perdre totalement le sens de la
réalité. A ce titre,« être bleu» (blau sein) en allemand signifie
perdre conscience par un abus d'alcool. Ainsi, les yeux bleus
du Fou nous apprennent qu'il s'éloigne de plus en plus des
choses et des êtres incarnés. En ce sens, la présence d'un tissu
vert enveloppant son cou illustre une médiation adultère entre
l'ego (symbolisée par la tête, le principe directeur) et l'âme
(symbolisée par le corps), cette médiation, source d'égarement
et d'illusion, étant nourrie par les multiples perversions
(symbolisme de la couleur verte) qui l'animent désormais.
Dans la même perspective, le large chapeau qu'il porte
révèle que sa conscience cultive un faux rapport avec les réa­
lités du corps (symbolisme de la couleur rouge) avec celles de
l'âme (symbolisme de la couleur verte) et avec celles de
l'esprit (symbolisme de la couleur jaune). Notons la présence
d'un liséré blanc entre les couleurs jaune et verte indiquant
que le rapport âme-esprit laisse place au vide. Quant à sa tuni­
que, elle nous indique, en raison des bandes verticales qui la
caractérisent, que la dynamique qui anime son âme (symbo­
lisée par le tronc) s'inscrit dans un processus de pseudo­
transcendance générant en fait une déconnection progressive
de sa conscience tant par rapport aux réalités matérielles que
par rapport aux réalités spirituelles. Ainsi, ses désirs (symbo­
lisés par le rouge), ses valeurs cardiaques (représentées par le
vert) ou sa foi (évoquée par le bleu) sont empreints de la lu­
mière de l'ego que le col jaune (incarnant le rayonnement du
moi) recouvrant les épaules (siège de la volonté) évoque éga­
lement. Il en résulte de nombreux désordres psychiques.
Quant à la ceinture, elle évoque le carcan d'une moralité dou­
teuse qui étouffe davantage qu'elle ne libère.
Sur un autre plan, la dentition proéminente du person­
nage, semble nous indiquer qu'il n'a rien à« se mettre sous la
402
LE TAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

dent ». En effet, les dents représentent une capacité à pulvéri­


ser les artifices et les illusions du monde, permettant ainsi
d'avoir accès aux ressources divines capables de sustenter
l'âme et de l'élever toujours plus vers les sphères de l'esprit.
Toutefois, comme nous l'avons vu précédemment, en brisant
la gangue des réalités qu'il perçoit, le Fou maléficié n'y trouve
que du vent: le fruit de ses propres illusions, pures chimères
inconsistantes, étant évidemment incapable de le nourrir con­
venablement. En ce sens, la barbe brune qu'il porte évoque,
sous son aspect négatif, le symbolisme de la boue. Elle nous
révèle donc un rapport trouble avec les réalités terrestres. En
fait, elle incarne une incapacité à percevoir l'essence au-delà
de l'apparence, ce qui est étroitement lié à la problématique
précédente. En outre, la couleur rouge du bâton avec lequel il
soutient sa marche confirme notre assertion. En effet, dans sa
dimension maléficiée, le rouge est associé à une dissociation
entre la dimension extérieure (l'apparence) et la dimension
intérieure (l'essence) des choses.
Enfin, la fleur qui tourne sa corolle vers le sol, évoque,
sous sa fonne maléficiée, l'extravagance et la folie. Plus en­
core, elle incarne les pulsions perverties de l'âme qui
s'épanouissent sous l'influence de l'esprit du monde. En ef­
fet, la corolle qui s'incline vers le sol nous indique que les ver­
tus dont la fleur est l'incarnation entraîne une destruction et
un anéantissement de l'être. Cette inclination vers le sol pour­
rait également être interprétée comme une tendance à dissi­
muler une nature profondément perverse et éminemment dan­
gereuse pour les autres.

403
œ TARar: LES VINGr-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LAME XXI
LE MONDE

La lettre hébraïque: Tav.


La valeur numérique: 22.
Les éléments symboliques: Une jeune femme entourée d'u ne
couronne verte et des quatre Vivants (le Taureau, l'Aigle,
l'Homme et le Lion).
La dimension herméneutique: Atteindre son accomplisse­
ment plénier, l'âme (symbolisée par la jeune femme) alchirnisée
et régénérée (ce qu'évoque la couronne verte) étant alors to­
talement réceptive à la lumière divine, contribuant ainsi à la
régénération de la création (symbolisme des quatre Vivants).
La dimension anagogique: Communiquer la lumière divine à
la création toute entière, amenant toute chose à participer aux
réalités de l 'Esprit.
L'injonction: Se réaliser.
Les éléments à développer: Le sens de la perfection, le bon­
heur et la paix.

405
ŒMONDE

Le Monde

406
ΠTAROT: l.ES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

LA LETTRE TA V
Du point de vue kabbalistique, le Monde correspond à
la vingt-deuxième lettre de l'alphabet hébreu, la lettre Tav,
issue d'un ancien idéogramme représentant une croix en
fonne de X. Sur un plan symbolique, elle illustre un mouve­
ment d'échange et de communion entre Dieu et sa création.
En effet, Dieu s'extériorise et se déploie alors, passant d'une
réalité purement spirituelle (symbolisée par le point, centre de
la croix) à une réalité tangible et concrète (la croix pleinement
déployée à travers les quatre directions de l'espace), alors que
la création s'intériorise et s'alchirnise, passant d'une réalité
concrète à une dimension spirituelle.
Dans la même perspective, avant de paraître pour offi­
cier la messe, le prêtre croise son étole sur sa poitrine en for­
mant un X. Or l'étole ainsi disposée signifie précisément qu'il
devient un lieu d'échange entre les plans spirituels et le plan
matériel, permettant ainsi à la puissance divine de s'incarner
au sein de la création et à la création de participer aux réalités
divines. De même encore, c'est une croix tracée sur le front
qui distingue dans les textes bibliques les hommes en commu­
nion avec Dieu de ceux qui ne le sont pas. Ains� dans le livre
de l'Apocalypse, un Ange « cria d'une voix puissante aux
quatre Anges auxquels il fut donné de malmener la terre et la
mer: "Attendez pour malmener la terre et la mer et les arbres,
que nous ayons marqué au front les serviteurs de notre
Dieu". ».1 Dans cette perspective, la lettre Tav évoque un
mouvement d'échange et de communion entre Dieu et sa
création. Dieu s'extériorise donc et se déploie au sein de la
création alors que celle-ci s'élève pour se diviniser en partici­
pant aux réalités de l'Esprit.
1- Apocalypse VII, 2-3.

407
I.E MONDE

LENOMBRE22

D'un point de vue numérologique, la lame du Monde


est associée au nombre 22. Or ce nombre évoque fondamen­
talement un mouvement d'échange et de communion entre
Dieu et sa création. En effet, Dieu s'extériorise et se déploie
alors, passant d'une réalité purement spirituelle à une réalité
matérielle (symbolisme du nombre 2 appartenant à la colonne
des dizaines), alors que la création, investie par le souffle cé­
leste, s'élève, se divinise et participe aux réalités de l'Esprit
(symbolisme du nombre 2 appartenant à la colonne des uni­
tés).
A ce titre, il est intéressant de rappeler que l'alphabet
hébraïque comporte vingt-deux lettres. Or ces vingt-deux
lettres sont considérées comme les vingt-deux expressions du
Verbe créateur. Ainsi, le Shemua Tovah rapporte que: « [ ...] les
lettres sont les instruments au moyen desquels les qualités et
degrés suprêmes deviennent visibles... [...] les lettres ont le
pouvoir de condenser les degrés les plus élevés, de les faire
descendre et de les contenir». Toutefois, ces lettres invitent
également à parcourir un chemin inverse à ce mouvement
d'extériorisation pour réintégrer les sphères divines.
En ce sens, nous retrouvons des illustrations bibliques
éloquentes à propos du symbolisme associé au nombre 22. A
titre d'exemple, il est intéressant de constater que le livre de
l' Apocalypse comporte exactement vingt-deux chapitres. Or
ce livre évoque, sous une forme imagée, la puissance divine se
déployant au sein de la création pour établir le règne du
Christ et ainsi la faire participer aux réalités célestes.2
2- Le livre de l 'Apocalypse est certainement, parmi tous les liv.­
Bible, celui qui est davantage symbolique. D'ailleurs, les comme1Mlil
teurs de la Bible de Jérusalem notent que les visions rapportdel

408
LB TAROT: lES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

LE NOM
Selon le dictionnaire, le monde désigne « l'ensemble de
tout ce qui existe // l'ensemble des hommes vivants sur la
Terre». 3 En ce sens, il évoque principalement la création per­
çue, selon Oswald Wirth, dans sa dimension dynamique: « le
Monde est un tourbillonnement, une danse perpétuelle où
rien ne s'arrête; tout y tourne sans discontinuer, car le mou­
vement est le générateur des choses. ». 4
En fait, si l'homme possède une structure ternaire (corps,
âme et esprit) à l'image de son Créateur, Dieu unique en trois
personnes: le Père (l'esprit), le Ftls (le corps) et le Saint-Esprit
O'âme), la création elle-même, en tant que créature de Dieu,
revêt également une structure ternaire, c'est-à-dire un corps,
une âme et un esprit. En ce sens, en tant que « mouvement
générateur des choses», le monde correspond à l'âme univer­
selle se caractérisant par la faculté d'animer le corps (la ma­
tière), le mot âme provenant du terme latin anima (animus)
d'où vient le mot animal. Or l'animal se définit précisément
par le fait qu'il est animé (doué de mouvement).
livre« n'ont pas de valeur par elles-mêmes, mais pour le symbolisme
dont elles sont chargées; car tout ou presque tout, dans une apocalypse,
a valeur symbolique: les chiffres, les choses, les parties du corps, les
personnages eux-mêmes qui entrent dans la scène. Lorsqu'il décrit une
vision, le voyant traduit en symboles les idées que Dieu lui suggère,
procédant alors par accumulation de choses, de couleurs, de chiffres
symboliques, sans se soucier de l'incohérence des effets obtenus. Pour
le comprendre, il faut donc entrer dans son jeu et retraduire les idées,
les symboles qu'il propose, sous peine de fausser le sens de son mes­
sage». Or cette valeur profondément symbolique propre évoque la
lettre Tav, étroitement associée au signe et au symbole.
3- Définition extraite du Petit Larousse Illustré, Paris, édition 1987.
4- Winh, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-âge, Le Symbolisme
et Emile Nourrey, Paris, 1927.

409
LE MONDE

LE MONDE

Description de la lame·

Cet arcane met en scène une jeune fille nue, les che­
veux au vent, portant une large écharpe rouge (lui masquant
le sexe) et tenant deux baguettes dans sa main droite. L'une
se termine par une sphère rouge et l'autre par une sphère
bleue.
Par ailleurs, chaque angle de la lame comporte une fi­
gure: un taureau (à l'angle inférieur gauche), un lion (à l'angle
inférieur droit), un aigle (à l'angle supérieur droit) et un ange
(à l'angle supérieur gauche). La jeune fille se trouve, quant à
elle, au centre d'une couronne de feuillage vert.

Interprétation symbolique de l'arcane

Sur un plan symbolique, le nom de la lame est déjà fort


intéressant car il nous permet de bien définir le contexte au­
quel les différents éléments qu'elle illustre se réfèrent. En effet,
nous avons vu que le Monde correspond à l'âme universelle
se caractérisant par la faculté d'animer le corps (la matière), le
mot âme provenant du terme latin anima (animus) d'où vient
le mot animal. Au niveau de l'arcane, cette âme universelle
(l'âme de la création) est représentée par une jeune femme
placée au centre d'une couronne verte. En effet, le principe
féminin s'associe étroitement au principe de réceptivité. Or la
fonction première de l'âme est de s'ouvrir aux puissances vi­
vificatrices de l'esprit pour les communiquer au corps. C'est
donc pour cette raison qu'elle a été symbolisée par une
femme.
En outre, cette fonction de médiation entre les sphères
célestes et la matière est confortée par la position centrale de

410
ΠTAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

la femme au niveau de la lame. En effet, elle est placée au­


dessus d'un lion et d'un boeuf, deux animaux terrestres évo­
quant la matière, et au-dessous d'un aigle et d'un ange, deux
êtres célestes évoquant les sphères divines. Plus encore, la
jeune femme se trouve au centre d'un cercle de couleur verte.
Or, se situant au centre du spectre visible, entre les couleurs
chaudes (rouge, orange et jaune) et les couleurs froides (bleu,
indigo et violet), le vert illustre bien la médiation entre les réa­
lités spirituelles (correspondant aux couleurs froides) et les
réalités matérielles (correspondant aux couleurs chaudes).
Ajoutons en outre que ce cercle vert comporte deux croix
jaunes en forme de X rappelant l'idéogramme associé à la let­
tre Tav. Or nous avons vu que cette croix illustre, sur un plan
symbolique, un mouvement d'échange et de communion en­
tre Dieu et sa création. En effet, Dieu s'extériorise alors et se
déploie, passant d'une réalité purement spirituelle à une réalité
concrète, alors que la création s'intériorise et s'alchimise, pas­
sant d'une réalité concrète à une dimension spirituelle.
Toujours dans la même perspective, il est intéressant de
noter que la jeune femme est très aérienne. En effet, elle a les
cheveux au vent et son pas, empreint d'une grande légèreté,
donne l'impression qu'elle se déplace davantage dans les airs
que sur terre. Or, dans les traditions antiques, l'âme a toujours
été intimement associée au souffle et à l'air (l'air ayant tou­
jours été considéré comme un vecteur privilégié de la puis­
sance divine au sein de l'univers5 ). Le mot âme correspond
d'ailleurs, nous l'avons vu, au terme latin anima (animus) si­
gnifiant «souffle». Encore aujourd'hui, l'expression usuelle
« rendre le souffle» pour dire « rendre l'âme» illustre bien le
5- Pour de plus amples informations, veuillez consulter notre étude
ponant sur la lettre Aleph (l'élément yetsiratique correspondant à cette
lettre étant précisément l'air).

411
LE MONDE

lien étroit entre ces deux éléments. Enfin, la jeune femme est
enveloppée d'une large écharpe rouge. Or, en tant que cou­
leur exothermique et centrifuge, le rouge s'apparente à
l'énergie dynamique. Dès lors, nous retrouvons le principe de
mouvement associé traditionnellement à l'âme. Ajoutons que
cette écharpe recouvre le côté gauche de la jeune femme pré­
cisant que cette énergie dynamique vivifie les plans intérieurs
(symbolisés par le côté gauche).
Plus précisément encore, si la jeune femme représentée
au centre de la lame incarne l'âme universelle, il s'agit d'une
âme totalement régénérée qui communique la lumière divine à
la création toute entière, la faisant ainsi participer aux réalités
divines. En effet, nous avons vu qu'elle se trouve au centre
d'une couronne de feuilles vertes. Or le vert est une couleur
de médiation et il est également très étroitement associé à la
régénération. Ainsi, la végétation verte est considérée comme
une incarnation des forces de la renaissance. En outre, nous
l'avons vu, un vent souffle sur la femme et ce vent vient de la
gauche (symbolisant le passé) en se dirigeant vers la droite
(symbolisant l'avenir). Il évoque donc le souffle du Saint­
Esprit qui épure l'être de tout élément karmique pour
l'introduire dans une réalité nouvelle.
De plus, les cheveux blonds de la jeune femme signifient
qu'elle participe aux réalités de l'esprit. C'est d'ailleurs pour­
quoi les artistes chrétiens ont souvent représenté le Christ
avec des cheveux blonds pour souligner son état de commu­
nion intime avec les sphères divines. En outre, elle est complè­
tement nue. Or nous avons déjà eu l'occasion de souligner
que la nudité représente l'état de dépouillement essentiel
permettant à l'âme, devenue « libre de toutes les images

412
LE TAROf: LES VINGf-DEUX ARCANF.s MAJEURS

étrangères, aussi disponible qu'avant sa naissance »,6 d'être


pleinement investie de la puissance divine.
Ajoutons encore que la jeune femme tient dans sa main
droite deux baguettes, l'une se terminant par une sphère
rouge et l'autre par une sphère bleue. Or nous savons que le
bâton, et a fortiori la baguette, évoque la puissance et le
pouvoir. Placée entre la main de la jeune femme, la baguette se
tenninant par une sphère bleue nous indique que l'âme ainsi
régénérée possède le pouvoir de participer pleinement aux
réalités célestes. Quant à celle se terminant par une sphère
rouge, elle nous apprend que cette âme possède également le
pouvoir de participer pleinement aux réalités matérielles.
Ajoutons que ces deux baguettes sont tenues dans une seule
main (la main droite). Ceci nous indique que ces pouvoirs sont
non seulement pleinement opératifs (symbolisme de la main
droite), mais qu'ils s'exercent également simultanément dans
un processus d'échange et de communion. Ainsi, l'âme in­
carne la puissance divine et la communique au plan terrestre
(mouvement de descente symbolisé par la baguette dotée
d'une sphère rouge). Ce faisant, elle vivifie et féconde le plan
terrestre, l'élevant, l'alchimisant et le divinisant en quelque
sorte (mouvement d'ascension symbolisé par la baguette do­
tée d'une sphère bleue).
Outre la jeune femme, l'arcane du Monde présente éga­
lement dans chaque angle une figure caractéristique: un tau­
reau (à l'angle inférieur gauche), un lion (à l'angle inférieur
droit), un aigle (à l'angle supérieur droit) et un ange (à l'angle
supérieur gauche). Ces quatre êtres sont les quatre Vivants de
la tradition biblique tels que cités par saint Jean dans son
Apocalypse: « Au milieu du trône et autour de lui, se tiennent
6- Maître Eckhart, Traités et Sermons, Traduction de Alain de Libera,
GF- Flammarion, Paris, 1993.

413
LE MONDE

quatre Vivants, constellés d'yeux par-devant et par-derrière.


Le premier Vivant est comme un lion; le deuxième Vivant est
comme un jeune taureau; le troisième Vivant a comme un vi­
sage d'homme; le quatrième vivant est comme un aigle en
plein vol. ».7 La tradition hermétique les associe aux quatre
évangélistes (Luc, Marc, Jean, Matthieu) et aux quatre élé­
ments constituant la matière (la terre, l'eau, l'air et le feu).
Dans cette perspective, Oswald Wirth nous précise: « Le
quaternaire cosmogonique de la tradition religieuse reçoit en
l'arcane XXI la figuration consacrée. Le Boeuf de saint Luc,
qui représente la Terre printanière, y est noir, mais ses cornes
sont rouges en considération des énergies ignées inhérentes à
la matière d'apparence passive. A l'animal domestique lourd
et patient qui laboure le sol succède l'impétueux Lion de
saint Marc, dont la crinière teintée de jaune et de rouge flam­
boie comme le Feu dévorant, symbolisé par le fauve, qui, en
tant que constellation zodiacale, nous vaut la chaleur torride
de l'été, fatale aux plantes vertes qu'elle dessèche, mais indis­
pensable à la maturation des céréales. En diagonale avec le
Taureau terrestre, !'Aigle de saint Jean s'apprête à déployer
ses ailes qui sont extérieurement dorées, de même que son bec
et ses serres, alors que le reste de l'oiseau est bleu, couleur de
l'Air. Entre !'Aigle et le Boeuf, constellation de l'automne et
du printemps, se place l 'Ange de saint Matthieu, qui est as­
tronomiquement le, Verseau, signe opposé au Lion... Vêtu de
rouge, cet Ange ,s enveloppe de nuages, au-dessus desquels il
étend ses ailes, d or. Celles-ci l'élèvent à la plus pure intellec­
tualité, dont s imprègnent les vapeurs sublimées qui se con­
densent autour de lui, en attendant qu'elles se résolvent en
pluies spirituellement fécondantes. ».8
7- Apocalypse IV, 6-7.
8- Winh, Oswald, Le Tarot des imagiers du Moyen-tJge, op. clt.

414
ΠTAROf: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

En fait, ces quatre Vivants correspondent aux quatre


éléments, transmutés et devenus, sous l'action vivificatrice de
l'âme, conformes à leurs archétypes spirituels. Notons que la
tradition hennétique les associe également aux quatre règles
de vie fondamentales: savoir avec l'intelligence du cerveau
humain; vouloir avec la force du lion; oser avec la puissance
audacieuse de l'aigle et se taire avec la force massive et con­
centrée du taureau.

Interprétation symbolique de l'arcane maléficié

Sous sa fonne maléficiée, le Monde correspond toujours


à l'âme universelle animant la création. Toutefois, elle n'est
plus ici en communion avec les sphères de l 'Esprit, mais elle
est unie aux sphères infernales. En d'autres termes, elle n'est
plus l'âme régénérée, mais l'âme dégénérée devenue démon.
C'est ce qu'illustre éloquemment la jeune femme placée a u
centre d e la couronne verte. En effet, rappelons d'abord que
le principe féminin s'associe étroitement à la fonction de ré­
ceptivité. Or si elle s'exerce, dans sa dimension positive, en
s'ouvrant aux réalités divines, elle devient cependant, dans sa
dimension négative, une ouverture aux puissances ténébreu­
ses de la perdition.
En outre, la jeune femme se trouve au centre d'un cercle
de couleur verte. Or, nous avons déjà vu que la couleur verte
rnaléficiée évoque un processus de dégénérescence (caracté­
risant par exemple la moisissure verte se formant sur toute
substance organique qui n'est plus vivifiée). Plus encore, ce
cercle présente deux croix jaunes en fonne de X, ce symbole
évoquant, sous sa forme maléficiée, l'anéantissement. En effet,
on marque instinctivement d'une croix ce qu'on souhaite ef­
facer ou anéantir (un mot dans une phrase, l'arbre qu'il con­
vient d'abattre, etc.). Cet X évoque également la croix de

415
LE MONDE

saint-André (crux decussata), un instrument de mort par le­


quel l'apôtre fut livré au supplice. Nous retrouvons donc
cette expérience de destruction déjà évoquée par la couleur
verte de la couronne.
De même, nous avons dit que la jeune femme est associée
à l'élément air en raison de ses cheveux flottant au vent et de
son pas très aérien. Or, sous son aspect maléficié, cet élément
est un vecteur privilégié des forces ténébreuses qui parcou­
rent le monde pour la perte des hommes. Rappelons ici les pa­
roles éloquentes de saint Paul: « Et vous qui étiez morts par
suite des fautes et des péchés dans lesquels vous avez vécu
jadis, selon le cours de ce monde, selon le Prince de l'empire
de l'air, cet Esprit qui poursuit son oeuvre en ceux qui résis­
tent... ». 9 C'est d'ailleurs en raison de cela que de nombreux
insectes ailés, et particulièrement tous les types de mouches,
furent jadis perçus comme l'incarnation même des forces né­
gatives. Ainsi, l'âme représentée par la jeune femme n'est plus
ici investie par le souffle vivificateur de ! 'Esprit, mais par celui
des puissances obscures de la perdition. En ce sens, si le vent
souffle de la gauche (symbolisant le passé) vers la droite
(symbolisant l'avenir), c'est pour assurer la transmission des
éléments karmiques issus du passé afin de conditionner irré­
médiablement l'avenir, le rendant ainsi impropre à refléter les
desseins divins.
Toujours dans la même perspective, nous avons noté que
la jeune femme est enveloppée d'une large écharpe rouge. Or,
en tant que couleur associée à l'activité dynamique, le rouge
évoque dans sa dimension maléficiée une extériorisation ex­
cessive. Toutes les valeurs divines (celles de !'Esprit) sont
alors rejetées. En ce sens, le rouge fut d'ailleurs très tôt consi­
déré comme la couleur infernale par excellence. A titre
9- Ephésiens II, 1-2.

416
LB TAROf: LES VINGf-DEUX ARCANES MAJEURS

d'exemple , nous avons déjà précisé que l'âne rouge était,


chez les Egyptiens, l'une des entités les plus dangereuses que
l'âme pouvait rencontrer dans son cheminement post-mortem.
De même, Satan fut bien souvent représenté, dans la tradition
judéo-chrétienne, sous la forme d'un dragon rouge: « Puis u n
second signe apparut dans le ciel: u n énorme Dragon rouge
feu, à sept têtes et dix cornes, chaque tête surmontée d'un
diadème. Sa queue balaie le tiers des étoiles du ciel et les pré­
cipite sur la terre. ».1o
Revêtue d'une écharpe rouge qu'elle porte sur le côté
gauche (évoquant les plans intérieurs, ceux de l'âme), la jeune
femme représente donc l'âme pervertie qui s'est dissociée
complètement des valeurs de l'esprit. A ce titre, elle pourrait
d'ailleurs s'assimiler à la prostituée de l'Apocalypse revêtue
elle aussi de rouge: « La ferrure, vêtue de pourpre et d'écar­
late, étincelait d'or, de pierres précieuses et de perles; elle te­
nait à la main une coupe en or, remplie d'abominations et des
souillures de sa prostitution. Sur son front, un nom était inscrit
- un mystère ! - "Babylone la Grande, la mère des prostituées
et des abominations de la terre". ». 11 Or cette prostituée per­
sonnifie précisement l'âme universelle qui « s'est changée e n
demeure de démons, en repaire pour toutes sortes d'esprits
impurs, en repaire pour toutes sortes d'oiseaux impurs et dé­
goûtants. Car au vin de ses prostitutions se sont abreuvées
toutes les nations, et les rois de la terre ont forniqué avec elle,
et les trafiquants de la terre se sont enrichis de son luxe effré­
né ».12
En outre, nous avons vu que la jeune femme est complè­
tement nue. Or saint Jean nous précise à propos de la prosti-
10- Apocalypse XII, 3-4.
11- Apocalypse XVII, 4-5.
12- Apocalypse XVIII, 2-3.

417
LE MONDE

tuée: « ils [les peuples, les foules, les nations et les langues] la
dépouilleront de ses vêtements, toute nue ... ». 13 En ce sens, si
la nudité évoque, dans sa dimension positive, un dépouille­
ment bénéfique, elle représente, dans sa dimension négative, la
pauvreté et l'indigence de celui qui n'a pas su s'ouvrir et ac­
cueillir la puissance divine. En effet, ayant toujours focalisé
ses efforts sur des illusions extérieures, il s'expose alors for­
cément à sombrer dans la pire misère: « Et les fruits mûrs que
convoitait ton âme, s'en sont allés, loin de toi; et tout le luxe
et la splendeur, c'est à jamais fini pour toi, sans retour! ». 14
Plus encore, nous avons vu que la jeune femme tient
dans sa main droite deux baguettes, l'une se terminant par
une sphère rouge et l'autre par une sphère bleue. Dans son
aspect négatif, la baguette se terminant par une sphère bleue
indique que l'âme ainsi pervertie participe toujours aux réali­
tés intérieures (celles des plans invisibles), mais il s'agit alors
de dimensions factices. Quant à la baguette se terminant par
une sphère rouge, elle nous indique également que cette âme
participe aux réalités extérieures (celles de la création), mais de
manière pervertie. Ainsi, en tenant ces deux baguettes, la
jeune fille représente l'âme pervertie qui incarne les puissan­
ces démoniaques auxquelles elle s'est ouverte et qui les com­
munique au plan terrestre (symbolisme de la baguette dotée
d'une sphère rouge). Ce faisant, elle le dénature évidemment,
le déconnectant ainsi des réalités de l'Esprit (symbolisme de la
baguette dotée d'une sphère bleue).
Enfin, nous avons vu que l'arcane du Monde comporte
daris chaque angle une figure caractéristique: un taureau, un
lion, un aigle et un ange. Dans leur dimension négative, ces
êtres ne sont plus les quatre Vivants de l 'Apocalypse, mais
13- Apocalypse XVII, 16.
14- Apocalypse XVIII, 14.

418
LE TAROT: LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS

quatre fonnes démoniaques correspondant aux quatre élé­


ments dégénérés et pervertis sous l'action mortifère de la
Prostituée. En ce sens, ils correspondent, dans la scolastique
médiévale, aux quatre peines reliées au péché originel
(l'ignorance, la concupiscence, la souffrance et la mort). Ainsi,
l'ange ne correspond plus au savoir mais à l'ignorance, le lion
n'incarne plus le vouloir mais la concupiscence, l'aigle n'illus­
tre plus un processus d'élévation, mais un processus de perdi­
tion ( de souffrance), enfin le taureau n'incarne plus le silence
mystique préludant à l'arrivée de l'esprit, mais celui de la mort.

419
TABLE DES MATIERES

CHAPITRE 1:
CONSIDERATIONS
GENERALES SUR LE TAROT 5

CHAPITRE II:
LES VINGT-DEUX ARCANES MAJEURS 43

Le Bateleur 45
La Papesse 71
L'impératrice 87
L'Empereur 105
Le Pape 119
L'Amoureux 137
Le Chariot 153
La Justice 167
L'Ermite 181
La Roue de Fortune 197

421
La Force 217

Le Pendu 231

La Lame XIII 251

La Tempérance 267
Le Diable 281
La Maison-Dieu 301
Les Etoiles 319
La Lune 339
Le Soleil 355
Le Jugement
373
Le Fou
389
Le Monde
405

422

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